Bac Textes 2024
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Ce qu’il y a de clair et d’évident, que personne ne peut ignorer, c’est que la nature,
ministre de Dieu, gouvernante des hommes, nous a tous créés et coulés en quelque sorte
dans le même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt frères.
Et si, dans le partage qu’elle a fait de ses dons, elle a prodigué quelques avantages de
corps ou d’esprit aux uns plus qu’aux autres, elle n’a cependant pas voulu nous mettre en
ce monde comme sur un champ de bataille, et n’a pas envoyé ici- bas les plus forts ou les
plus adroits comme des brigands armés dans une forêt pour y malmener les plus faibles.
Croyons plutôt qu’en faisant ainsi des parts plus grandes aux uns, plus petites aux autres,
elle a voulu faire naître en eux l’affection fraternelle et les mettre à même de la pratiquer,
puisque les uns ont la puissance de porter secours tandis que les autres ont besoin d’en
recevoir. Donc, puisque cette bonne mère nous a donné à tous toute la terre pour
demeure, puisqu’elle nous a tous logés dans la même maison, nous a tous formés sur le
même modèle afin que chacun pût se regarder et quasiment se reconnaître dans l’autre
comme dans un miroir, puisqu’elle nous a fait à tous ce beau présent de la voix et de la
parole pour mieux nous rencontrer et fraterniser et pour produire, par la communication et
l’échange de nos pensées, la communion de nos volontés ; puisqu’elle a cherché par tous
les moyens à faire et à resserrer le nœud de notre alliance, de notre société, puisqu’elle a
montré en toutes choses qu’elle ne nous voulait pas seulement unis, mais tel un seul être,
comment douter alors que nous ne soyons tous naturellement libres, puisque nous
sommes tous égaux ? Il ne peut entrer dans l’esprit de personne que la nature ait mis
quiconque en servitude, puisqu’elle nous a tous mis en compagnie.
Parcours : Écrire et combattre pour l’égalité
EL n°2
Préambule.
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées
en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la
femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des
gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels,
inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à
tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs,
afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à
chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus
respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes
simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes
mœurs, et au bonheur de tous.
Femme, réveille-toi; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers; reconnais tes droits. Le
mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation. L'homme
esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est
devenu injuste envers sa compagne. O femmes! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles? Quels
sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution? Un mépris plus marqué, un dédain plus
signalé. Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire
est détruit; que vous reste-t-il donc? La conviction des injustices de l'homme. La réclamation de votre
patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature; qu'auriez-vous à redouter pour une si belle
entreprise? Le bon mot du Législateur des noces de Cana? Craignez-vous que nos Législateurs français,
correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de
saison, ne vous répètent : femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous? Tout, auriez vous à répondre.
S'ils s'obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes,
opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité; réunissez-vous sous
les étendards de la philosophie; déployez toute l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces
orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de
l'Être Suprême.
EL n°4 O. De Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la Citoyenne (1791)
Il était bien nécessaire que je dise quelques mots sur les troubles que cause, dit-on, le décret en faveur
des hommes de couleur, dans nos îles1. C’est là où la nature frémit d’horreur; c’est là où la raison et
l’humanité n’ont pas encore touché les âmes endurcies; c’est là surtout où la division et la discorde agitent
leurs habitants. Il n’est pas difficile de deviner les instigateurs de ces fermentations incendiaires2 :
il y en a dans le sein même de l’Assemblée Nationale. Ils allument en Europe le feu qui doit embraser
l’Amérique. Les Colons prétendent régner en despotes sur des hommes dont ils sont les pères et les frères;
et méconnaissant les droits de lanature, ils en poursuivent la source jusque dans la plus petite teinte de leur
sang. Ces colons inhumains disent : notre sang circule dans leurs veines, mais nous le répandrons tout, s’il
le faut, pour assouvir notre cupidité, ou notre aveugle ambition. C’est dans ces lieux les plus près de la
nature, que le père méconnaît le fils; sourd aux cris du sang, il en étouffe tous les charmes; que peut-on
espérer de la résistance qu’on lui oppose ? la contraindre avec violence, c’est la rendre terrible, la
laisser encore dans les fers, c’est acheminer toutes les calamités vers l’Amérique. Une main divine semble
répandre partout l’apanage de l’homme, la liberté; la loi seule a le droit de réprimer cette liberté, si elle
dégénère en licence; mais elle doit être égale pour tous, c’est elle surtout qui doit renfermer l’Assemblée
Nationale dans son décret, dicté par la prudence et par la justice. Puisse-t-elle agir de même pour l’état de la
France, et se rendre aussi attentive sur les nouveaux abus, comme elle l’a été sur les anciens qui
Mme RENAUD - Mais tu penses bien que si! Tiens, le jour de tes derniers prix, je me rappelle...
GASTON la coupe- Non, pas les prix ! Plus tard. Entre le moment où j‘ai posé mes livres de classe et celui où l’on m’a
mis un fusil dans les mains; pendant ces quelques mois qui devaient être, sans que je m’en doute, toute ma vie
d’homme.
Mme RENAUD - Je cherche. Mais tu sortais tellement, tu sais… Tu faisait tellement l’homme...
GASTON- Mais enfin, à dix-huit ans, si sérieusement qu’on joue à l’homme, on est encore un enfant ! Il y a bien eu un
jour une fuite dans la salle de bain que personne ne pouvait arrêter, un jour où la cuisinière a fait un barbarisme
formidable, où nous avons rencontré un chauffeur de tramway comique.. J’ai ri devant vous. J’ai été content d’un
cadeau, d’un rayon de soleil. Je ne vous demande pas une joie débordante… une toute petite joie. Je n’étais pas
neurasthénique ?
Mme RENAUD soudain gênée- Je vais te dire mon petit Jacques… J’aurais voulu t’expliquer cela plus tard, et plus
posément.. Nous n’étions plus en très bons termes à cette époque, tous les deux… Oh ! C’était un enfantillage !… Avec
le recul, je suis sûre que cela va te paraître beaucoup plus grave que cela ne l’a été. Oui, à cette époque précisément,
entre le collège et le régiment, nous ne nous adressions pas la parole.
GASTON- Ah !
GASTON- Fichtre ! Nous avions tous deux de l’endurance. Et qui avait commencé ?
Mme RENAUD après une hésitation- Oh ! Moi, si tu veux… Mais c’était bien à cause de toi. Tu t’étais entêté
stupidement.
GASTON- Quel entêtement de jeune homme a donc pu vous entraîner à ne plus parler à votre fils pendant un an ?
Mme RENAUD- Tu n’as jamais rien fait pour faire cesser cet état de chose. Rien !
GASTON- Mais, quand je suis parti sur le front, tout de mème, vous ne m’avez pas laissé partir sans m’embrasser ?
Mme RENAUD après un silence, soudain- Si. Un temps, puis vite- C’est ta faute, ce jour-là aussi je t’ai attendu dans ma
chambre. Toi, tu attendais dans la tienne. Tu voulais que je fasse le premier pas, moi, ta mère !...Alors que tu m’avais
gravement offensée. Les autres ont eu beau s’entremettre. Rien ne t’a fait céder. Rien. Et tu partais pour le front.
GASTON- Je ne savais peut-être pas où j’allais. A dix-huit ans, c’est une aventure amusante, la guerre. Mais on n’étais
plus en 1914 où les mères mettaient des fleurs au fusil ; vous deviez le savoir, vous, où j’allais.
Mme RENAUD - Oh ! Je pensais que la guerre serait finie avant que tu quittes la caserne ou que je te reverrais à ta
première permission avant le front. Et puis, tu étais toujours si cassant, si dur avec moi.
GASTON
Mais vous ne pouviez pas me dire :« Tu es fou, embrasse-moi ! »
Mme RENAUD- J’ai eu peur de tes yeux...Du rictus d’orgueil que tu aurais eu sans doute. Tu aurais été capable de me
chasser, tu sais...
GASTON- Et bien, vous seriez revenue, vous auriez pleuré à ma perte, vous vous seriez mise à genoux pour que cette
chose ne soit pas et que je vous embrasse avant de partir. Ah ! C’est mal de ne pas vous être mise à genoux.
La rencontre
J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens1. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j’aurais
porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à
me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche2 d’Arras1, et nous le
suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il
en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans
la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait pour
faire tirer son équipage des paniers3. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la
différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la
sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport4. J’avais le défaut d’être
excessivement timide et facile à déconcerter5 ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai
vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans
paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de
connaissance. Elle me répondit ingénument6, qu’elle y était envoyée par ses parents, pour être religieuse.
L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce
dessein7 comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes
sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi : c’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent,
pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s’était déjà déclaré, et qui a causé dans la suite tous
L’évasion de Saint-Lazare
(...) de peur qu’il ne lui prît envie d’élever la voix pour appeler du secours, je lui fis voir une honnête
raison de silence, que je tenais sous mon justaucorps. Un pistolet ! me dit-il. Quoi ! mon fils, vous
voulez m’ôter la vie pour reconnaître la considération que j’ai eue pour vous ? — À Dieu ne plaise !
lui répondis-je ; vous avez trop d’esprit et de raison pour me mettre dans cette nécessité ; mais je
veux être libre, et j’y suis si résolu, que si mon projet manque par votre faute, c’est fait de vous
absolument. — Mais, mon cher fils, reprit-il d’un air pâle et effrayé, que vous ai-je fait ? quelle raison
avez-vous de vouloir ma mort ? — Eh ! non, répliquai-je avec impatience. Je n’ai pas dessein de
vous tuer : si vous voulez vivre, ouvrez-moi la porte, et je suis le meilleur de vos amis. J’aperçus
les clefs qui étaient sur la table ; je les pris, et je le priai de me suivre en faisant le moins de bruit
qu’il pourrait. Il fut obligé de s’y résoudre. À mesure que nous avancions et qu’il ouvrait une porte, il
me répétait avec un soupir : Ah ! mon fils, ah ! qui l’aurait jamais cru ? — Point de bruit, mon père,
répétais-je de mon côté à tout moment. Enfin nous arrivâmes à une espèce de barrière qui est
avant la grande porte de la rue. Je me croyais déjà libre, et j’étais derrière le père, tenant ma
chandelle d’une main et mon pistolet de l’autre. Pendant qu’il s’empressait d’ouvrir, un domestique
qui couchait dans une chambre voisine, entendant le bruit de quelques verrous, se lève et met la
tête à sa porte. Le bon père le crut apparemment capable de m’arrêter. Il lui ordonna avec
beaucoup d’imprudence de venir à son secours. C’était un puissant coquin, qui s’élança sur moi
sans balancer. Je ne le marchandai point ; je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine. Voilà de quoi
vous êtes cause, mon père, dis-je assez fièrement à mon guide. Mais que cela ne vous empêche
point d’achever, ajoutai-je en le poussant vers la dernière porte. Il n’osa refuser de l’ouvrir. Je sortis
heureusement, et je trouvai à quatre pas Lescaut qui m’attendait avec deux amis, suivant sa
promesse.
Nous nous éloignâmes. Lescaut me demanda s’il n’avait pas entendu tirer un pistolet. C’est votre
faute, lui dis-je ; pourquoi me l’apportiez-vous chargé ? Cependant je le remerciai d’avoir eu cette
précaution, sans laquelle j’étais sans doute à Saint-Lazare pour longtemps. Nous allâmes passer
la nuit chez un traiteur, où je me remis un peu de la mauvaise chère que j’avais faite depuis près
de trois mois. Je ne pus néanmoins m’y livrer au plaisir. Je souffrais mortellement pour Manon. Il
faut la délivrer, dis-je à mes trois amis. Je n’ai souhaité la liberté que dans cette vue. Je vous
demande le secours de votre adresse : pour moi, j’y emploierai jusqu’à ma vie.
Parcours :Personnages en marge, plaisirs romanesques
La mort de Manon
Pardonnez si j’achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui n’eut
jamais d’exemple ; toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais quoique je le porte sans cesse dans
ma mémoire, mon âme semble reculer d’horreur chaque fois que j’entreprends de l’exprimer.
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit ; je croyais ma chère maîtresse endormie,
et je n’osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m’aperçus dès
le point du jour, en touchant ses mains, qu’elle les avait froides et tremblantes ; je les approchai de
mon sein pour les échauffer. Elle sentit ce mouvement, et faisant un effort pour saisir les miennes,
elle me dit d’une voix faible qu’elle se croyait à sa dernière heure.
Je ne pris d’abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l’infortune, et je n’y répondis
que par les tendres consolations de l’amour.Mais ses soupirs fréquents, son silence à mes
interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes, me
firent connaître que la fin de ses malheurs approchait.
N’exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières
expressions. Je la perdis ; je reçus d’elle des marques d’amour au moment même qu’elle expirait ;
c’est tout ce que j’ai la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable évènement.
Mon âme ne suivit pas la sienne. Le ciel ne me trouva point sans doute assez rigoureusement
puni ; il a voulu que j’aie traîné depuis une vie languissante et misérable. Je renonce
volontairement à la mener jamais plus heureuse.
Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma
chère Manon. Mon dessein était d’y mourir ; mais je fis réflexion, au commencement du second
jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je
formai la résolution de l’enterrer, et d’attendre la mort sur sa fosse. J’étais déjà si proche de ma fin,
par l’affaiblissement que le jeûne et la douleur m’avaient causé, que j’eus besoin de quantité
d’efforts pour me tenir debout. Je fus obligé de recourir aux liqueurs que j’avais apportées ; elles
me rendirent autant de force qu’il en fallait pour le triste office que j’allais exécuter. Il ne m’était pas
difficile d’ouvrir la terre dans le lieu où je me trouvais ; c’était une campagne couverte de sable. Je
rompis mon épée pour m’en servir à creuser ; mais j’en tirai moins de secours que de mes mains.
J’ouvris une large fosse ; j’y plaçai l’idole de mon cœur, après avoir pris soin de l’envelopper de
tous mes habits pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu’après l’avoir
embrassée mille fois avec toute l’ardeur du plus parfait amour. Je m’assis encore près d’elle ; je la
considérai longtemps ; je ne pouvais me résoudre à fermer sa fosse. Enfin, mes forces
recommençant à s’affaiblir, et craignant d’en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise,
j’ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu’elle avait porté de plus parfait et de plus
aimable ; je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable ; et, fermant les yeux
avec le dessein de ne les ouvrir jamais, j’invoquai le secours du ciel, et j’attendis la mort avec
impatience.
Ce qui vous paraîtra difficile à croire, c’est que, pendant tout l’exercice de ce lugubre ministère, il
ne sortit point une larme de mes yeux, ni un soupir de ma bouche. La consternation profonde où
j’étais, et le dessein déterminé de mourir, avaient coupé le cours à toutes les expressions du
désespoir et de la douleur.
Parcours : Personnages en marge, plaisirs romanesques
Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit
que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je
l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans
doute je ne l'aimais pas. « Pourquoi m'épouser alors ? » a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela
n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs, c'était
elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était
une chose grave. J'ai répondu : « Non. » Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence.
Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant
d'une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. J'ai dit : « Naturellement. » Elle s'est
demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre
moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela
mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais,
n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier
avec moi. J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait.
Parcours : Émancipations créatrices