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Dr Francesco Bianchi-Demicheli
Consultation de gynécologie INTRODUCTION
psychosomatique et sexologie
Département de psychiatrie et Unité En ces temps où chacun revendique le droit au bonheur et à
d’endocrinologie gynécologique et l’orgasme, il est difficile de concevoir que l’orgasme féminin
de médecine de la reproduction soit resté pendant longtemps réprimé.1 Ce n’est qu’à partir du
Département de gynécologie
obstétrique XVIIIe siècle qu’a émergé le droit au plaisir féminin.1 Mais ce
HUG, 1211 Genève 14 droit a vite été endigué par les siècles suivants qui ont nié la
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nécessité de l’orgasme féminin dans la procréation et fait du
sexe une «immonde maladie mortifère».1 Au début du XXe siè-
cle, l’orgasme féminin était même considéré comme un signe
«d’hystérie» ou de «perversion». Il a fallu attendre le dernier
The neural basis of the female orgasm tiers du XXe siècle pour que les choses changent.1 De nombreux philosophes,
The way women experience orgasm during anatomistes et psychiatres ont tenté de résoudre son énigme. Durant ces cinq
passionate sexual activity has been of inter-
dernières décennies, jamais autant d’écrits n’ont en effet été réalisés sur l’orgas-
est throughout the ages. The astonishing ad-
vances of functional imaging techniques
me que sur d’autres phases de la réponse sexuelle féminine.1,2 Cependant, bien
recently allowed unravelling the neuroanatomy que certains auteurs aient permis de comprendre l’organisation structurelle de
l’orgasme féminin,3-6 les conceptions en sexologie clinique divergent encore quant
à l’origine de ce «plaisir venu d’ailleurs». Une des principales controverses porte
of female orgasm within a distributed cortico-
subcortical neural network. In the present
article, we review the clinical and experimen- sur la distinction entre orgasmes vaginal et clitoridien. Selon Masters et Johnson,
tal evidence that attributes orgasm not only a peu importe la source de stimulation et la façon dont sont perçues les sensations,
peripheral but also a central origin. We thus
l’orgasme féminin provient toujours du clitoris.4 Cependant, d’autres auteurs, in-
outline the importance of integrating orgasm as
a complex process involving the entire woman,
téressés au rôle de l’utérus dans l’orgasme féminin, ont identifié trois types d’or-
mind and body. In light of this, future studies in gasmes : le vulvaire, l’utérin et le combiné.7 En 1982, Ladas, Whipple et Perry ont
female sexuality would need to take account d’ailleurs précisé que la zone érogène, initialement décrite par Ernest Grafenberg
of the consequences of both standard ap- en 1953 et qui se situe sur la paroi antérieure du vagin (point G), peut provoquer
proaches in sexology and functional imaging un type d’orgasme neurophysiologiquement différent de l’orgasme clitoridien.8
results in the understanding of the human Néanmoins, malgré l’apport considérable de l’ensemble de ces travaux, l’origine
sexual function and in the treatment of sexual
«neuro-psycho-physiologique» des différents types d’orgasmes reste floue. D’une
dysfunctions.
part, les orgasmes clitoridien et vaginal suivent les mêmes étapes physiologiques
pendant la réponse sexuelle 4 et d’autre part, de récentes recherches anatomi-
ques ont révélé l’existence de connexions nerveuses entre les tissus intravaginaux
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et le clitoris.9 Par ailleurs, l’origine uniquement périphéri- en masturbation (39% versus 17%). L’ensemble de ces ré-
que des différents types d’orgasmes a également été remi- sultats montre que partager un contexte environnant et un
se en cause.10 Au cours de cet article, nous présenterons les patrimoine génétique peut avoir des influences sur la ca-
évidences neuroscientifiques tant cliniques qu’expérimen- pacité d’atteindre un orgasme.2
tales du rôle épicentral du cerveau dans l’orgasme féminin. D’un point de vue neuroendocrinologique, l’orgasme
n’augmente pas seulement la pression sanguine, le rythme
cardiaque et le taux de noradrénaline, mais aussi les taux
DÉFINITION DE L’ORGASME FÉMININ
Du grec orgasmos, lui-même d’orgâo et du verbe orgän, le
de prolactine pendant 60 minutes chez les femmes et 30
minutes chez les hommes.12 Chez les femmes multiorgas-
terme orgasme signifie : «je suis entièrement agité» ; «bouil- miques, une corrélation positive entre l’augmentation du
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vertébrale et provoque une série de contractions rythmi- médiane, le cervelet, et le nucleus accumbens.
ques. Cependant, bien que cette composante soit indénia- L’activation de ces régions localisées au cœur du (ou
ble,5 de récents travaux ont démontré que l’orgasme ne peut étant intimement reliées au) système limbique démontre
se réduire à cette simple réaction réflexe étant donné qu’il que les circuits neuronaux liés à l’orgasme se situent au
dépend également de l’activation de noyaux supraspinaux, centre de réseaux émotionnels généralement impliqués
tels que par exemple des neurones du tronc cérébral, le dans des processus motivationnels et de récompense.24
noyau paraventriculaire de l’hypothalamus et l’amygdale.10 Par ailleurs, l’activation du cervelet, région impliquée dans
Par ailleurs, le récent développement de techniques d’ima- la coordination des mouvements mais aussi les émotions,
gerie fonctionnelle appliquées tant aux patients qu’aux su- est concordante avec la partie motrice de la définition de
jets neurologiquement sains a permis de mettre en éviden- l’orgasme dans le sens où le cervelet module les tensions
ce les réseaux neuronaux impliqués dans le plaisir féminin. musculaires tout en recevant les informations propriocep-
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