Jean-Pierre Jouyet - L'envers Du Décor
Jean-Pierre Jouyet - L'envers Du Décor
Jean-Pierre Jouyet - L'envers Du Décor
N’enterrez pas la France, avec Philippe Mabille, Paris, Robert Laffont, 2007
Une présidence de crises, avec Sophie Coignard, Paris, Albin Michel, 2009
Nous les avons tant aimés, ou la chanson d’une génération, Paris, Robert Laffont, 2010
Ils ont fait la révolution sans le savoir, Paris, Albin Michel, 2016
© Éditions Albin Michel, 2020
ISBN : 9782226456939
À Brigitte, aux enfants
et petits-enfants
« Comprenne qui voudra,
moi mon remords ce fut… la victime raisonnable…
au regard d’enfant perdue…,
celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés. »
Paul Éluard, cité par Georges Pompidou,
en réponse à une question sur le suicide
de Gabrielle Russier, à la fin de sa conférence de presse,
le 22 septembre 1969,
e
la plus belle de la V République, selon moi.
Notes
1. Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Gallimard, « Quarto », 2002.
2. Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera, Fayard, 1973 ; et Le Mal français, Fayard, 1976.
1
Rupture au sommet
Notes
1. Alexandre Bompard, inspecteur des Finances, est le P-DG de Carrefour.
2. On ne présente pas le prodigieux comédien Guillaume Gallienne.
3. Charles-Henri Filippi est banquier et inspecteur des Finances. Nous avons servi tous les deux au
cabinet de Jacques Delors, ministre de l’Économie et des Finances de François Mitterrand au
lendemain de son élection en mai 1981.
2
Pendant toutes ces années, ma proximité avec François n’a pas favorisé
mes échanges avec Nicolas Sarkozy. Entre 2012 et 2019, je le revois à deux
reprises tandis que je suis ambassadeur à Londres, où il est de passage pour
donner une conférence. Je l’accueille à l’aéroport et nous nous rencontrons
à son hôtel. Nous parlons politique, bien entendu, mais échangeons aussi
sur l’avenir de l’Europe, qui le préoccupe beaucoup. Puis, en 2019, lors
d’un de mes séjours à Paris, l’ancien Président a la gentillesse de m’inviter
à déjeuner dans ses bureaux de la rue de Miromesnil. Il me demande
aimablement des nouvelles de François Hollande, m’interroge sur ses
projets. Il commente aussi les deux premières années du quinquennat
Macron. Le « grand débat » suscité par la crise des Gilets jaunes vient de se
terminer. Il me fait part de ses doutes : son jeune successeur pourra-t-il aller
jusqu’au bout de son mandat ?
Je constate avec une certaine surprise que ses propos, en privé, diffèrent
sensiblement de son discours public, toujours chaleureux voire élogieux à
l’égard du chef de l’État. Je ne le relève pas devant lui, bien entendu. Mais
dans les mois qui suivent, je comprends. Certains de ses amis, notamment,
m’aident à ouvrir les yeux. À partir de l’automne 2020 démarre pour
Nicolas Sarkozy une séquence judiciaire compliquée, avec l’ouverture de
son procès, dans le cadre de l’affaire dite « des écoutes ». Une situation
assurément inconfortable.
J’ai rencontré cette personnalité exceptionnelle, au début des
années 2000, grâce à François Hollande, un soir de match entre le PSG et
Lens au Parc des Princes. Cette soirée reste dans ma mémoire comme un
échange de plaisanteries animé par l’humour et les traits d’esprit de ces
deux hommes qui allaient devenir Président l’un après l’autre.
Lors du changement de gouvernement qui voit Dominique de Villepin
remplacer Jean-Pierre Raffarin à Matignon, en 2004, j’apprends comme
directeur du Trésor que Nicolas Sarkozy devient « mon » ministre.
J’éprouve un peu d’appréhension car j’entretenais avec son prédécesseur
Francis Mer comme avec le Premier ministre des relations très confiantes
voire amicales. Francis Mer m’avait même proposé en 2002 d’être son
directeur de cabinet malgré mon engagement auprès de Lionel Jospin et de
Laurent Fabius. Je lui avais expliqué que le Trésor nécessitait – et nécessite
toujours – une certaine continuité et que je le servirais aussi bien comme
directeur du Trésor tant les relations que ce dernier entretient avec le
ministre de l’Économie et des Finances constituent une des épines dorsales
de l’État, plus particulièrement en ce qui concerne l’influence européenne
ou multilatérale. J’avais donc conseillé à Francis Mer de s’entourer de deux
inspecteurs des Finances, Xavier Musca comme directeur de cabinet,
François Pérol comme adjoint, lesquels devinrent par la suite des piliers du
sarkozysme.
La veille de l’arrivée de Nicolas Sarkozy à Bercy, en ce printemps 2004,
je reçois un message téléphonique anonyme qui m’enjoint de présenter dès
le lendemain matin ma démission de directeur général du Trésor. Cela
semble venir d’un conseiller du nouveau ministre ou d’un proche de Claude
Guéant, qui demeure son directeur de cabinet à Bercy comme il le fut à
l’Intérieur. Toujours est-il que je ne reconnais pas la voix sur le répondeur.
Mon épouse Brigitte écoute à son tour cet appel menaçant et me conseille
de me rendre au bureau du nouveau ministre Nicolas Sarkozy pour clarifier
le sens de ces propos on ne peut plus étranges. En effet, depuis 2002,
Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin et Francis Mer m’ont toujours assuré,
en public comme en privé, de toute leur confiance.
Au petit matin, je me fais annoncer dans l’antichambre du ministre. Je
pense, bien que n’étant pas d’un tempérament très matinal, me trouver le
seul visiteur. Eh bien non ! Un ancien ministre de François Mitterrand,
autrement plus illustre que moi, dispose déjà d’un café servi. Il s’agit de
Bernard Tapie ! Je le salue puis lui demande s’il a rendez-vous avec le
ministre. Il me confirme ce dernier point et je lui indique qu’il a
évidemment la priorité sur moi et que je patienterai, donc.
Lorsqu’il sort de son bureau, Nicolas Sarkozy, à notre surprise commune,
m’invite à entrer le premier. Il propose à Bernard Tapie d’attendre dans le
bureau de Claude Guéant.
Seul face au ministre, je lui offre immédiatement ma démission, qu’il
refuse avec énergie et élégance. Il m’explique qu’il considérera tout cela
plus tard, au vu de la qualité des relations que nous entretiendrons. Pour lui,
la priorité consiste à gérer les urgences et à préparer le prochain Conseil
européen des ministres de l’Économie et des Finances. J’acquiesce. Avec
quelques notes de synthèse, je lui indique les dossiers en cours. Il me
demande si, comme à l’Intérieur, il peut s’en tenir à gérer la coopération
européenne avec ses seuls homologues allemand, britannique et italien. À
son grand dépit, je lui rappelle qu’à la différence des domaines régaliens
(sécurité et défense) l’Europe ne se résume pas à un G7, qu’il existe un
sommet de la zone euro, un Conseil Écofin des ministres de l’Économie et
des Finances, et une Commission européenne dotée pour l’essentiel de
prérogatives économiques, commerciales et financières. Il le reconnaît mais
ne s’avoue pas vaincu. Contrairement à ce qu’a pu penser Nicolas Sarkozy,
je n’ai donc jamais été partisan d’une Europe immobile. Mais, à la
différence de ses proches conseillers, je ne me suis pas transformé, même
ministre, en « intégriste de Maastricht » et de ses règles strictes de
plafonnement de la dette et de ses déficits.
La semaine suivante, ce n’est pas sans quelque inquiétude que je
l’accompagne pour son premier Conseil des ministres de l’Économie et des
Finances. Il demande à voir en priorité les ministres allemand, italien et
néerlandais, sachant que le Britannique Gordon Brown ne viendra
naturellement qu’après la réunion de l’Eurogroupe.
Ces rencontres informelles ont lieu sous la forme de brefs cocktails entre
les sessions officielles. Il me témoigne en ces occasions une très grande
confiance que je n’ai pas oubliée. Je me rends compte de son pragmatisme,
car tous ces échanges se déroulent en anglais et si le mien est loin d’être
« fluide », je puis néanmoins le secourir, le sien étant à l’époque inexistant !
Les sujets sont de surcroît très techniques, truffés de vocabulaire ou
d’acronymes très spécifiques.
Nos relations de directeur à ministre se révèlent excellentes. À la
différence d’autres directeurs de Bercy, plus à droite que moi, je mets un
point d’honneur à me montrer très ponctuel, un héritage de mes années
passées aux côtés de Jacques Delors à Bruxelles. J’évite également,
contrairement à d’autres, de prendre les « ponts du mois de mai ». Je le suis
dans tous ses déplacements internationaux, assemblées générales du Fonds
monétaire international et de la Banque mondiale, mais aussi G7 organisés
dans divers pays. Nous voyageons avec son épouse Cécilia et nous
partageons le même hôtel à New York, où mon fils Jérôme effectue un stage
à cette époque. Le souvenir le plus marquant de ce séjour à Manhattan reste
le match du Paris-Saint-Germain que Nicolas Sarkozy avait demandé à voir
dans sa chambre, tandis que je suivais la même rencontre avec mon fils.
Après le coup de sifflet final, dans le hall de l’hôtel, le ministre imite pour
le plus grand bonheur de mon fils les meilleurs dribbles de foot qu’il a
retenus de cette confrontation.
Quelque temps plus tard, il me fait aussi l’honneur de bien vouloir que je
le représente à un premier G20 informel qui se déroule en Chine…
Bref, le nouveau ministre et moi nous entendons très bien. Les échanges
sont d’autant plus fluides que je me sens rapidement très à l’aise avec son
cabinet qui, outre mes amis de l’Inspection des Finances, intègre Ramon
Fernandez, fils de l’illustre écrivain académicien et de Diane de Margerie,
qui se révélera quelques années plus tard le directeur le plus empathique et
le plus sympathique qu’aura connu le Trésor. D’une rapidité intellectuelle
remarquable, d’une finesse sans égale, raisonnable, bon vivant doté d’un
humour pince-sans-rire, il n’a jamais besoin de démontrer son autorité.
C’est le complément idéal de Xavier Musca et de François Pérol. Je
comprendrai par la suite pourquoi Xavier Bertrand, politique proche du
peuple s’il en est, le choisira comme directeur de cabinet quand il deviendra
ministre du Travail et des Affaires sociales de Nicolas Sarkozy. Ramon sait
toujours faire aimablement, ce qui n’affaiblit nullement son autorité, bien au
contraire.
Quelques anciens de son cabinet à l’Intérieur ont suivi le ministre à
Bercy. C’est le cas de deux énarques, David Martinon, diplomate qui
deviendra ambassadeur de France en Afghanistan à la fin des années 2010,
et Laurent Solly, chef de cabinet, aujourd’hui patron de Facebook pour la
plus grande partie de l’Europe, qui est devenu un ami intime.
Ce dernier bénéficie de la « collaboration » énergique de Cécilia Sarkozy,
qui organise des déplacements internationaux, auxquels je participe
fréquemment comme directeur du Trésor. Je la rencontre toujours avec
grand plaisir. Nous élaborons ensemble les modalités de chaque voyage
ainsi que des différentes allocutions que le ministre devra prononcer.
Confessons que c’est une des grandes dames que j’ai eu la chance de
côtoyer dans ma vie – et je ne doute pas de son influence sur ma nomination
au gouvernement en 2007 ! Comment oublier, dans cette équipe de choc,
celle qui deviendra une amie très proche : Rachida Dati m’avoue sa grande
surprise quand je lui rends visite pour la première fois. Le directeur général
du Trésor condescend donc à se rendre dans son bureau tandis que les chefs
de bureau du Budget refusent de se déplacer pour lui rendre des comptes,
car elle est simple conseillère et que la préséance, à Bercy, veut à cette
époque qu’un conseiller de cabinet s’incline devant les sous-directeurs.
Depuis ce jour, elle me défend en toutes circonstances auprès de Nicolas
Sarkozy, au point que celui-ci lui parlera souvent, plus tard, quand je serai
président de l’Autorité des marchés financiers ou directeur général de la
Caisse des Dépôts et que je n’obéirai pas à ses injonctions, « de son ami
Jouyet qui ferait bien de se calmer ». Depuis le premier jour, j’aime le
tempérament de Rachida, son outrecuidance, sa sensibilité cachée lorsque
nous évoquons ses relations avec ses parents, ses frères et sœurs et bien sûr
l’adorable petite Zohra.
Cette distribution, ce « casting » dirait-on aujourd’hui, montre à quel
point Nicolas Sarkozy sait s’entourer de personnalités aussi fortes que
diverses, quand certains responsables politiques, au contraire, tiennent à
distance celles et ceux qui risqueraient de leur faire de l’ombre…
Malgré cette harmonie entre le directeur général du Trésor que je suis et
le cabinet du ministre, les premiers nuages apparaissent à l’été 2004.
Quelques collaborateurs du ministre, dont Claude Guéant et François Pérol,
me font comprendre qu’après quatre années passées à mon poste, il serait
temps que je cède la place à Xavier Musca. Je m’efface bien volontiers, au
grand dam de Jacques Chirac, qui m’appelle à deux reprises pour me
demander de rester.
Plus de deux années passent. Je suis patron de l’Inspection des Finances
quand je rencontre de nouveau, mais à titre personnel, Nicolas Sarkozy,
dirigeant de l’UMP, dans son bureau au siège du parti, grâce aux bons soins
de Laurent Solly. L’entretien se passe très bien, de manière conviviale et
éclectique, alors que mon hôte n’est pas encore candidat à la présidence de
la République.
Quelle n’est pas ma surprise quand, une fois élu, il me sollicite une
nouvelle fois pour me proposer de devenir secrétaire d’État en charge des
Affaires européennes… Je dois à la vérité de dire que j’avais reçu quelques
signaux annonciateurs. Ainsi, le soir du second tour, nous passons la soirée
à quatre chez Christophe de Margerie, P-DG de Total et cousin de mon
épouse, qui était avec François Hollande notre témoin de mariage, en 2006.
Personne n’est déçu de la défaite de Ségolène Royal, car personne ne
pensait sérieusement qu’elle puisse l’emporter…
J’ai encore en tête la scène qui s’est déroulée quelques heures plus tôt,
dans les locaux d’une grande radio nationale où j’avais été invité, comme
d’autres, à découvrir dès 18 h 30 le sondage « sortie des urnes » qui, sauf
extraordinaire, permet de connaître le nom du vainqueur avant la fermeture
des derniers bureaux de vote. Interrogé par un journaliste sur le résultat, j’ai
dit qu’il me satisfaisait. Relancé sur la vieille amitié qui me lie à Ségolène
et à François, j’ai répondu que l’ouverture évoquée par Nicolas Sarkozy
pouvait donner un nouvel élan au pays… Puis Thierry Breton, ministre de
l’Économie et des Finances sortant, lui aussi présent au cocktail, est venu
me saluer en ces termes : « Nous sortons du QG de Nicolas Sarkozy. Tu
sais, ce qui nous a vraiment épatés, c’est tout le bien qu’on a dit de toi… »
Chez Christophe de Margerie et son épouse, nous regardons la télévision
et zappons d’une soirée électorale à l’autre. Nous assistons au discours
énergique de Ségolène, toute de blanc vêtue, acclamée par ses partisans.
Puis, plus tard, à celui de Nicolas Sarkozy. Je dis à Christophe que
j’aimerais bien devenir secrétaire général aux Affaires européennes. C’est
un poste administratif, diplomatique, mais non partisan. Je connais très bien
les rouages de l’Europe, qui est pour moi la grande cause à faire progresser.
« C’est très simple, me répond Christophe, tu n’as qu’à écrire à Nicolas
Sarkozy. » Ce que je fais dès le lendemain. Je suis convoqué dans la
semaine à son QG de campagne. Je croise François Fillon qui lève un
sourcil étonné en me voyant apparaître. Puis on me conduit dans le bureau
du président élu.
– Alors vous vous intéressez à l’Europe, me dit-il. Vous souhaitez prendre
des responsabilités ?
Je le lui confirme. La conversation dure moins d’un quart d’heure.
C’est seulement quelques jours plus tard qu’il me reçoit de nouveau.
– Est-ce que vous voudriez être secrétaire d’État aux Affaires
européennes ?
Je suis très surpris et fais une réponse d’une affligeante banalité :
– Monsieur le Président, je vais réfléchir et demander à ma femme ce
qu’elle en pense…
Je téléphone à Claude Guéant pour prendre la température :
– Quelque chose vient de me tomber sur la tête. Le Président me propose
d’entrer au gouvernement. Je n’en reviens pas !
– Oui, c’est la dernière de ce matin, me répond-il d’un ton désabusé.
C’est ainsi que j’entre dans le gouvernement Fillon. Je suis le seul
secrétaire d’État, avec Roger Karoutchi, en charge des Relations avec le
Parlement, qui participe à tous les Conseils des ministres. Le chef de l’État
fait régner une discipline plus grande que celle que je découvrirai quelques
années plus tard, dans les mêmes circonstances et les mêmes lieux, sous la
présidence de François Hollande. Bien sûr, quelques personnalités
détendent l’atmosphère, telle Roselyne Bachelot avec ses fous rires très
communicatifs.
Je noue aussi une relation de très bonne entente avec Xavier Bertrand,
qui se trouve à la tête d’un vaste ministère du Travail, des Relations
sociales, de la Solidarité et de la Famille. Jeune quadragénaire, il
m’impressionne toujours par son engagement, son énergie et son empathie.
Travailler aux côtés de Bernard Kouchner me permet de côtoyer des
personnalités aussi brillantes que Gérard Araud, qui représentera pendant
des années avec brio la France à New York, auprès des Nations unies, puis à
Washington. Alors directeur des affaires politiques au Quai d’Orsay, sa
fréquentation s’avère un délice quotidien. L’humour, l’intelligence et le
caractère ont toujours été des sources d’admiration pour moi. Lors de notre
première rencontre, dans mon bureau de secrétaire d’État, il voit que le
portrait de Jacques Chirac figure encore en bonne place dans la pièce, il me
dit : « Tu sais qu’on ne garde pas les Loubet lorsqu’ils ont un successeur. »
Cette remarque vacharde fait allusion à Émile Loubet, président de la
République de 1899 à 1906. Peu de temps après, alors que Bernard
Kouchner convoque une réunion un vendredi à 19 h 30, ce diplomate à la
langue bien pendue fait une entrée tonitruante : « Monsieur le ministre,
vous ne savez peut-être pas que chacun d’entre nous a droit à ses week-
ends. » Une insolence magnifique qui laisse le ministre sans voix.
Je découvre rapidement que Martin Hirsch, énarque comme moi, a fait
preuve de plus de sens politique que moi. Venant de l’humanitaire, résolu à
imposer son RSA 1, sur lequel il a beaucoup réfléchi comme président de la
Fondation Abbé Pierre, il a refusé le titre de secrétaire d’État et exigé d’être
« haut-commissaire », ce qui lui permet d’être moins critiqué par la gauche
que je ne le suis, moi qui n’ai jamais pris ma carte au Parti socialiste ! Je ne
lui ai jamais demandé si, à l’époque, Florence Parly refusait de lui serrer la
main…
Ma distance vis-à-vis des appareils politiques de la droite me donne une
certaine liberté de ton auprès de Nicolas Sarkozy. Un soir de juin 2007, peu
de temps après la présidentielle, dans l’avion qui nous ramène de Bruxelles
à l’issue d’un Conseil européen, je fais une crise de « jeunisme » qui le
surprend un peu. Je dis au Président combien il serait astucieux de coopter
dans le gouvernement Fillon II issu des élections législatives le benjamin du
groupe UMP à l’Assemblée nationale. Il se trouve qu’il s’agit de Laurent
Wauquiez, qui devient porte-parole du gouvernement à l’âge de 32 ans. À
l’époque, il revendiquait encore quelques convictions social-démocrates…
Notes
1. Revenu de solidarité active.
2. Nous les avons tant aimés, Robert Laffont, 2010.
3
Le Petit Paris
Note
1. En référence à Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, avec lequel
j’étais, pour une fois, d’accord sur ce point précis.
5
François et moi
Note
1. Sa mère me disait : « Quand on a un fils comme François, on a réussi sa vie. »
6
Divine surprise
Ce dimanche 15 mai 2011, c’est toute notre vie politique qui bascule. Ce
jour-là, j’apprends avec stupeur, comme la France entière, que Dominique
Strauss-Kahn est en garde à vue à New York. À la radio, j’entends Michel
Rocard se lamenter que la gauche puisse perdre un candidat aussi
fantastique. Ahuri, comme tous les Français, je téléphone à François
Hollande. Il est désolé des propos que vient de tenir Rocard, et qui ne le
grandissent pas. Il est surtout convaincu, d’emblée, que son heure est
arrivée.
Depuis que mon ami a annoncé sa candidature à la primaire socialiste, fin
mars 2011, certains à gauche ont voulu me transformer en petit
télégraphiste. Manuel Valls, que j’ai invité à une soirée à la maison, me
lance ce message : « Ton copain, il y croit vraiment ? Il commence à
exagérer. Il faudrait qu’il se rende compte que c’est DSK qui va
l’emporter. » Quelque temps plus tard, j’assiste à une remise de décoration à
Bercy. Un inspecteur des Finances que je connais bien fond sur moi et me
demande aimablement si j’ai deux minutes à lui consacrer. Il m’entraîne
vers un canapé, à l’abri des oreilles indiscrètes. Et là, en le voyant prendre
sa respiration, je flaire le traquenard : « Ton ami François doit bien
comprendre que s’il attend septembre pour se désister, ce sera trop tard. Il
n’aura rien… » Ce messager, c’est François Villeroy de Galhau, que j’ai
recommandé comme directeur de cabinet à DSK quand j’ai dû renoncer à ce
poste pour rejoindre Lionel Jospin à Matignon. Il est passé dans le secteur
privé, à la BNP, mais prépare son retour aux affaires politico-
administratives par la grande porte. C’est peu de dire que je n’apprécie pas
ces manières. Sous prétexte que François Hollande n’a jamais été ministre,
peut-on imaginer qu’il va renoncer à la présidentielle pour espérer figurer
dans un gouvernement ? Le procédé est suffisamment déplaisant pour que je
ne rapporte même pas cette conversation à François. Je lui parle, en
revanche, des remarques de Manuel Valls. « On verra bien, répond-il. De
toute façon, je n’ai rien à perdre. Je suis à 20 % dans les sondages. J’incarne
plutôt l’aile gauche du Parti socialiste par rapport à DSK. » Au moment où
ces paroles sont prononcées, Martine Aubry n’a pas déclaré sa candidature.
Mais François est le mieux préparé, comme je le précise à Emmanuel
Macron pour lui éviter de se fourvoyer dans une impasse.
Dès lors, François est assuré de tout mon soutien, et personne dans ce
microcosme ne l’ignore. J’essuie des critiques, à gauche comme à droite,
dans le Petit Paris que je fréquente. Parfois on invoque mes supposés
manquements à mon devoir de réserve. Je suis président d’une autorité
administrative indépendante, l’AMF, et je ne perds pas une occasion de dire
tout le bien que je pense de mon ami dès qu’on me tend un micro. Mais
j’assume…
Le Président me choisit
Deux jours avant mon arrivée officielle au Palais, je reçois à la Caisse des
Dépôts la visite d’Aquilino Morelle, conseiller politique de François. Je le
connais bien. Il était la plume de Lionel Jospin à Matignon. Avec lui,
Manuel Valls et David Kessler, conseiller culture d’une finesse
extraordinaire, nous formions une sorte de quatuor de joyeux lurons autour
de l’austère Premier ministre. Aquilino ne prend même pas la peine de
s’asseoir. Il est affolé : « On n’arrête pas de me tomber dessus. Je voulais
t’expliquer, pour les chaussures, c’est une sottise sans importance… » Les
médias s’emballent parce qu’il a fait venir un cireur de chaussures à
l’Élysée pour lustrer ses souliers. Au même moment, il est soupçonné de
collusion avec des laboratoires pharmaceutiques, accusation dont il sera
blanchi. Mais à cet instant, la pression sur lui est immense. Celle que subit
le chef de l’État aussi.
Le lendemain, je partage mon premier dîner de secrétaire général de
l’Élysée avec le Président. Le cas Aquilino le préoccupe. Il ne peut se
permettre, après l’affaire Cahuzac, une autre défaillance de cette
« République exemplaire » qu’il a promise aux Français. En même temps, il
voit Aquilino s’accrocher à son poste avec l’énergie du désespoir, exiger un
reclassement à la hauteur du talent qu’il estime être le sien, et demander que
sa femme, directrice de cabinet de la ministre de la Culture, soit « bien
traitée ».
Je tente de le défendre. Je le connais bien. Les chaussures, les beaux
costumes, les cravates spectaculaires, cela fait partie de son personnage. Il a
toujours été comme cela. Chez Jospin, il était déjà très soucieux de sa mise.
« Ce n’est quand même pas dramatique, cette histoire de chaussures », fais-
je remarquer. François n’est pas d’accord : « Jean-Pierre, on ne va pas
pouvoir tenir longtemps, cela va nous retomber dessus tellement la pression
médiatique est forte. » Tout l’Élysée ou presque, ce soir-là, est à l’Opéra.
Pendant le dîner, la directrice de cabinet, Sylvie Hubac, téléphone : « Les
gens à l’entracte n’arrêtent pas de nous parler d’Aquilino. » Je répète qu’il
ne faut pas exagérer, il n’y a pas de quoi le jeter en pâture aux lions ! Je fais
remarquer qu’on s’amusait quand même plus avec lui qu’avec Élisabeth
Borne, alors conseillère chargée des transports chez Jospin ! Je me souviens
qu’il s’entend bien aussi avec Emmanuel, avec qui il a passé des heures à
écrire les discours d’Hollande pendant la campagne présidentielle et après.
Mais je n’ai pas gain de cause. « Tu as entendu Sylvie, elle est prudente
comme moi », me dit le Président. D’autres passent derrière pour enfoncer
le clou : c’est une nouvelle ère qui démarre, avec une nouvelle équipe, et
tout le monde a envie d’oublier le désastre des municipales. Exit Aquilino
Morelle…
Quelque temps plus tard, Emmanuel Macron nous quitte, de son plein
gré. Nous voulons tous le retenir, moi le premier. Mais il ne veut rien
entendre. Il me fait valoir que nous avons trop de traits communs sur le plan
économique et financier (car sur le plan politique, il se situe alors bien plus
à gauche que moi !). Il m’informe qu’il désire retrouver plus de liberté pour
donner des cours dans de grandes universités américaines et exercer
quelques activités de conseil.
Dans son discours d’au revoir à l’Élysée, en juillet 2014, il me décoche
une petite flèche : « Je souhaite bonne chance à Jean-Pierre. J’ai été heureux
de travailler à ses côtés même s’il sait que nous avons parfois eu des
différends politiques. » Lui aussi me donne des leçons de gauche, ce que je
trouve déjà surréaliste sur l’instant, et plus encore avec le recul. Quand
François Fillon avait dû remplacer Antoine Gosset-Grainville, son directeur
adjoint de cabinet à Matignon, il avait proposé le poste à Emmanuel. Et
celui-ci avait tout de même réfléchi quarante-huit heures avant de décliner.
Cela dit, je ne lui en tiens pas rigueur.
De toute façon, je n’en ai pas le temps. L’Élysée tourne vite, très vite. J’y
découvre mon rôle aux multiples facettes : coordonner le cabinet du
Président et assurer une bonne harmonisation avec Matignon ; préparer les
séminaires gouvernementaux ; recevoir les ministres pour les câliner, les
raisonner, les écouter, selon les tempéraments ; anticiper les projets de lois
qui vont être présentés au Parlement, assister aux Conseils des ministres, les
préparer en amont et veiller à la bonne transcription des décisions prises en
aval ; conseiller le chef de l’État, notamment sur les questions européennes,
économiques et financières ; recevoir de nombreuses personnalités…
Le Président me demande comme une priorité de remettre l’équipe en
marche, d’assurer une meilleure organisation du travail, en veillant à la plus
grande rapidité de transmission des notes, à une meilleure implication des
conseillers dans leurs champs de compétences respectifs et de suivre,
compte tenu de mon expérience, les affaires européennes, économiques et
financières.
Pour insuffler un nouvel esprit d’équipe, je décide, ce qui ne se faisait pas
à l’Élysée, d’organiser une réunion de tous les membres du cabinet pour
préparer tout ce que le chef de l’État requiert pour ses déplacements,
entretiens, interventions ou communications. Ces tours de table permettent
aux participants de mieux se connaître et de bénéficier d’une vision plus
transversale des priorités.
Je prends aussi quelques résolutions destinées à séparer la gouvernance
de l’activité politique. Ne pas interférer, par exemple, dans les réunions ou
dîners politiques qu’organise chaque semaine le Président avec le Premier
ministre, le premier secrétaire du PS, parfois Stéphane Le Foll, les
présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, les leaders des groupes
parlementaires dans ces assemblées, Bruno Le Roux et Didier Guillaume
(qui deviendra ministre de l’Agriculture d’Emmanuel Macron, ce qui ne
manque pas de sel).
Je reste aussi à distance de la communication, dont on me fait
comprendre très vite qu’elle appartient au domaine réservé du Président,
assisté d’un nouveau venu : Gaspard Gantzer, chaudement recommandé par
celui qui deviendra l’homme d’influence d’Emmanuel, Philippe Grangeon.
Je participe néanmoins aux réunions de communication du samedi matin, en
compagnie de Vincent Feltesse, de Philippe Grangeon et de Robert Zarader,
consultant qui lors de ses entretiens particuliers avec moi s’intéressait autant
à la politique qu’aux occasions de mieux connaître l’univers assez fermé de
l’administration.
La réunion de communication la plus amusante et tardive à laquelle je
participe est celle où notre Président revient d’une humeur plus
qu’excellente du Salon de l’agriculture, où maints crus régionaux ont sans
doute été goûtés, alors que de tout temps François s’est montré d’une
austérité remarquable que je lui ai toujours enviée.
Le lundi matin, je réunis les principaux chefs de service : Emmanuel
Macron, Nicolas Revel, secrétaires généraux adjoints, le conseiller
diplomatique Paul Jean-Ortiz (hélas décédé trop vite) toujours vif, précis et
discret en dépit de ses souffrances, la directrice de cabinet Sylvie Hubac et
l’incontournable Gantzer pour organiser la semaine.
Puis chaque lundi après-midi se tient avec la directrice puis le directeur
de cabinet 1 et le secrétaire général du gouvernement une réunion destinée à
préparer le Conseil des ministres : projets de lois, de décrets et de
nominations (qui m’intéressaient au plus haut point). Une fois ces différents
éléments ordonnancés et répartis, nous allons présenter le projet d’ordre du
jour au Président, afin qu’il puisse non seulement en prendre connaissance,
mais le valider.
Ce cérémonial a été précédé d’une rencontre de mon équipe avec la
directrice de cabinet du Premier ministre, Véronique Bédague, son adjoint
Aurélien Rousseau, et souvent Maud Bailly, inspectrice des Finances qui a
bien suivi la voie d’Emmanuel Macron après mon départ de l’Inspection…
Nous nous retrouvons chaque vendredi à 15 heures et faisons preuve d’une
productivité remarquable.
Véronique Bédague dispose d’une personnalité, d’un charisme et d’un
franc-parler exceptionnels. Nos discussions sont parfois marquées par des
désaccords et des volumes sonores élevés, tant lorsqu’elle combat une
nomination qu’elle estime imméritée que quand elle nous reproche de
toujours vouloir dépenser. Cela n’entame en rien le bonheur de travailler à
ses côtés. Le plus extraordinaire est que Véronique est secondée par un
adjoint qui ne lui cède en rien pour ce qui est de l’originalité, de la vivacité,
de l’intelligence et de la sagesse. Pour ne rien gâcher, il est doté d’un grand
talent d’écrivain et d’humoriste.
C’est dire le duo d’enfer dont dispose Manuel Valls, qui déjeune chaque
lundi en tête à tête avec le Président. Véronique Bédague et moi-même
sommes invités pour le café, code qui me permet d’échanger agréablement
avec elle lors du déjeuner qui précède et que nous partageons.
Parmi ces rendez-vous qui rythment la semaine, il convient de ne pas
oublier le pot du vendredi soir, dont l’initiative revient à Nicolas Revel,
aujourd’hui directeur de cabinet du très républicain Jean Castex. Y vient qui
veut pour se retrouver autour d’un verre de vin ou de whisky (préférence
partagée par Emmanuel et votre serviteur). Nous apprécions les talents
d’animatrice d’Alice Rufo, qui deviendra la principale conseillère
diplomatique d’Emmanuel Macron, avant d’être nommée à la Cour des
comptes, une consécration pour laquelle elle fit mon siège constant fin
2016-début 2017 2.
Hormis le chef du gouvernement, seul le puissant ministre des Affaires
étrangères Laurent Fabius a le privilège de rencontrer seul à seul le
Président. Il pèse de tout son poids sur les décisions les plus lourdes, que ce
soit envers la Syrie, à propos du Mali ou encore du nucléaire iranien…
En Conseil des ministres aussi, le chef de l’État écoute ses interventions
avec la plus grande attention. J’ai pour ma part quelques difficultés à me
concentrer quand mes yeux se posent sur Bernard Cazeneuve, qui à chaque
présentation internationale s’efforce par son regard de faire rire le Président,
qui s’applique bien entendu à garder son sérieux.
Ses talents humoristiques sont ignorés par les Français. Ils sont pourtant
immenses. Lors de la visite du prince d’Arabie saoudite à l’Institut du
monde arabe, présidée par Jack Lang, Bernard, alors ministre de l’Intérieur,
est talonné par l’ambassadeur d’Arabie saoudite, qui répète en boucle la
même phrase : « Y a pas de sécurité ici. » Hilare, il nous raconte l’anecdote
en imitant la voix flûtée de Jack Lang, hypnotisé par le prince : « Vous
voyez, Votre Altesse, après la visite de cette magnifique exposition, je vais
vous offrir un magnifique repas… »
Mais plus important que le budget, que la politique étrangère, que tout en
vérité, il y a la conférence de presse. Nous y consacrons un nombre de
réunions important, que d’aucuns jugeraient disproportionné. Nous passons
en revue les thèmes à aborder, les annonces à mettre en lumière. C’est un
moment important d’expression publique, qui répond à la nécessité de
s’exprimer de manière quasi officielle et d’assurer la continuité avec ce que
e
cet exercice représente sous la V République, depuis le général de Gaulle.
La communication est devenue un art majeur de la politique. Mais un art
difficile, et parfois même dangereux !
Notes
1. Sylvie Hubac a été remplacée en janvier 2015 par Thierry Lataste.
2. Les places disponibles au tour extérieur dans les grands corps sont limitées, et les demandeurs
en cette fin de quinquennat étaient fort nombreux.
3. La dernière année d’excédent budgétaire, en France, est 1974, qui voyait triompher en politique
Valéry Giscard d’Estaing, au cinéma Les Valseuses avec un jeune acteur de 25 ans nommé Gérard
Depardieu, au hit-parade « Les divorcés » de Michel Delpech et « Sugar Baby Love » des Rubettes.
4. Tout ceci valait avant la crise du Covid-19 et ses conséquences financières (voir plus loin
chap. 22, « L’épreuve de vérité »).
8
Après quatre ans, la formation est terminée. Il est temps pour le jeune
inspecteur de déployer ses ailes et de quitter le nid pour atterrir dans les
grandes directions de Bercy (Trésor, Budget, Impôts), les cabinets
ministériels, les entreprises publiques comme EDF ou la Caisse des Dépôts,
mais aussi et surtout le secteur privé, à commencer par la banque.
C’est cet essaimage tous azimuts qui alimente les accusations de
« pantouflage » et nourrit une suspicion d’omniprésence dans tous les
cercles de pouvoir. Impossible de le nier, tout est fait pour que chacun
trouve un beau poste, afin de préserver le prestige du corps tout entier. « Un
pour tous, tous pour un », comme disaient les mousquetaires.
Avant même la fin de mes quatre ans de service, en 1981, j’étais invité à
mon premier « déjeuner de corps ». Le principe est simple : celui qui a les
moyens de recevoir convie quelques camarades issus de plusieurs
générations. Le banquier Pierre Moussa avait ainsi convié deux jeunots,
Henri de Castries et moi-même, ainsi que des personnalités expérimentées,
tels Alain Minc, alors chez Saint-Gobain, ou Pascal Lamy, directeur adjoint
au cabinet du ministre de l’Économie et des Finances Jacques Delors.
Ces déjeuners sont un excellent moyen de mettre en contact des
recruteurs potentiels et des candidats, tous issus du moule de l’Inspection.
Je remarque toutefois, lors de mon retour en France, à l’automne 2019,
après deux années passées à Londres comme ambassadeur, qu’ils se sont
raréfiés et je le regrette. Contrairement aux critiques que j’entends et que je
lis parfois, cette convivialité et cette entraide ne sont pas synonymes de
fuite des cerveaux vers le secteur privé, et plus particulièrement la banque.
J’en suis l’exemple vivant : en quarante ans de carrière, je n’en ai passé que
quatre hors du service public. Les deux fois, ce fut à mon corps défendant,
parce que l’administration n’avait rien à me proposer ou s’opposait à ma
nouvelle affectation.
Je croyais dur comme fer en la supériorité de l’Inspection sur tout autre
grand corps de l’État, en termes de puissance et d’influence, en raison de sa
capacité à essaimer dans tous les compartiments de la politique et de
l’économie, jusqu’à mes premiers jours comme directeur de cabinet de
Roger Fauroux, ministre de l’Industrie et du Commerce extérieur, ancien P-
DG de Saint-Gobain et inspecteur des Finances comme moi. Là, j’ai trouvé
plus forts que nous !
À peine installé dans mon nouveau bureau, rue de Grenelle, je reçois un
coup de téléphone de Robert Pistre. Un nom inconnu du grand public mais
très respecté dans la haute administration française. Robert Pistre est alors à
la tête de l’Amicale du corps des Mines, qui regroupe les premiers sortis de
Polytechnique et, dans une moindre mesure, de l’École normale supérieure.
Il est chargé de placer ses troupes dans les cabinets ministériels, les
directions d’administration centrale et la haute industrie française. Épaulé
dans cette tâche par le patron de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, qui
prendra sa suite à la tête de l’association, il a pris sous son aile une jeune
protégée, Anne Lauvergeon, qui malgré sa jeunesse se fait vite remarquer
par son dynamisme et son intelligence. Ce coup de fil n’est pas une simple
marque de courtoisie. Robert Pistre n’y va pas par quatre chemins. Il me
« propose » un nom pour occuper le poste de directeur adjoint de cabinet.
« Proposer », en réalité, signifie bien entendu « imposer ». Le ministre est
un inspecteur, son directeur de cabinet aussi, il ne serait pas envisageable,
dans le code de l’honneur du corps des Mines, qu’ils soient livrés à eux-
mêmes. C’est ainsi que je fais la connaissance de Marie-Solange Tissier, qui
a aujourd’hui repris le flambeau de Robert Pistre comme chef de corps. Elle
devint mon adjointe et, par chance, je m’entends très bien avec elle…
Dix ans plus tard, quand je suis directeur adjoint du cabinet Jospin à
Matignon, j’ai de nouveau affaire à cette très efficace agence de placement,
qui m’envoie d’abord Olivier Coste, un polytechnicien tout juste
trentenaire, puis, au départ de celui-ci, en 2000, la normalienne Isabelle
Kocher, qui sera la première femme patronne d’un groupe du CAC 40,
comme directrice générale d’Engie, à la fin des années 2010.
Outre le plaisir de découvrir cette puissante fraternelle de brillants
esprits, mes trois ans passés aux côtés de Roger Fauroux ont contribué à
façonner mes convictions, européennes notamment. La crise épidémique
qui s’est abattue sur la France au début de l’année 2020 est venue
cruellement nous rappeler l’importance décisive de l’industrie nationale
pour sauvegarder sa souveraineté dans tous les domaines.
Notes
1. Cité dans un article du Monde, « Une caste tranquille, l’Inspection des Finances », signé par
Daniel Schneider et publié le 18 octobre 1982.
2. Depuis une réforme intervenue en 2017, les jeunes inspecteurs des Finances frais émoulus de
l’ENA ne font plus que deux ans et demi de tournée au lieu de quatre. Ils sont ensuite envoyés dans
d’autres administrations ou collectivités pour développer leurs compétences de terrain. Cette réforme
va dans le sens souhaité par le président de la République de rendre ce corps plus opérationnel. Il en
résulte toutefois un problème très concret. L’Inspection dispose de moins de personnes susceptibles
d’encadrer les missions de contrôle des services des impôts, de la comptabilité. Elle est obligée de
recourir à des inspecteurs généraux plus âgés ou à des personnalités extérieures au corps pour
effectuer ces tâches. Je n’ai pas encore vu l’avantage que cette réforme procure aux jeunes recrues.
L’IGF effectue de moins en moins de missions en son nom propre. Ainsi, je n’aurais jamais pu me
consacrer au rapport que j’ai cosigné avec Maurice Lévy, l’ancien patron de Publicis, en 2006, sur
l’économie de l’immatériel, considéré comme un des plus novateurs rendus par l’Inspection. Nous
disposions de temps et de moyens pour mener à bien cette mission, dont les retombées sont
aujourd’hui tangibles, notamment dans le secteur de la culture, avec l’échange d’œuvres entre
musées ou encore la création du Louvre d’Abu Dhabi.
3. Les tours extérieurs sont beaucoup moins fréquents – à peine plus d’un par an – qu’au Conseil
d’État ou à la Cour des comptes.
11
Quand je consulte les notes couchées dans mon cahier, je trouve, datées
de cette fin d’été 2014, quelques mentions consacrées au remaniement
ministériel provoqué par l’attitude d’Arnaud Montebourg, ministre du
Redressement productif – autrement dit de l’Industrie –, et de son invité
Benoît Hamon, lors de la traditionnelle Fête de la rose que le premier anime
chaque année, non sans créativité, sur ses terres bressanes. Cette journée
historique va commencer par une rébellion médiatique qui n’a rien de
spontané. Mécontents de la voie choisie par l’exécutif pour renouer avec la
croissance, ils plaident ouvertement pour une relance massive tout en
ironisant – plus grave – sur le Président. Un acte d’insoumission dont
Arnaud Montebourg sait qu’il lui coûte son poste ministériel. Un
remaniement est dès lors inévitable.
Le mardi suivant, je suis en conclave avec le Président, le Premier
ministre et sa directrice de cabinet dans la salle à manger du rez-de-
chaussée. Il faut former une nouvelle équipe soudée autour du projet
défendu pour cette fin de quinquennat, rien de moins que la lutte contre le
chômage.
Nous commençons par évoquer quelques noms. De grands anciens,
comme Bertrand Delanoë, qui vient de quitter la mairie de Paris ? Jack
Lang, qui continue à venir gratter à la porte ? Julien Dray, qui n’a jamais
fait partie d’un gouvernement et qui persiste, depuis des années, à jouer les
Nostradamus ? Personne n’est enthousiaste.
Qui est partant du gouvernement ? Pas Christiane Taubira, qui souhaite
plutôt rester place Vendôme malgré ses nombreux désaccords politiques. Le
Président doit l’appeler personnellement. Elle représente une incarnation
forte de la gauche morale. Aurélie Filippetti ne peut pas rester à la Culture
car, très proche d’Arnaud Montebourg, elle pourrait encore relayer les
frondeurs au sein du gouvernement. Il faut faire une place aux radicaux de
gauche. Jean-Michel Baylet pourrait devenir ministre des Territoires…
C’est finalement Sylvia Pinel qui garde le Logement, et son mentor
n’intègre pas l’équipe cette fois.
Puis nous passons aux choses sérieuses. Qui pour remplacer
Montebourg ? Je plaide la cause d’Emmanuel : « Arnaud Montebourg a des
défauts mais il est jeune, séducteur, il faut nommer à sa place quelqu’un qui
représente la même chose que lui, moins l’idéologie. » Nous faisons le tour
du gouvernement pour envisager d’autres possibilités. Personne ne sort du
lot. J’insiste : « Un profil comme Macron, ce serait bien. »
Manuel Valls, aveugle pour une fois, ne fait pas de difficulté. Au
contraire. Il tient une monnaie d’échange pour promouvoir Najat Vallaud-
Belkacem à l’Éducation nationale. Après Benoît Hamon, François Hollande
veut un « grand ministre », c’est le terme qu’il emploie. La jeune membre
du gouvernement chargée des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse
et des Sports s’est montrée très politique mais ce n’est pas toujours suffisant
dans ce ministère. Même si les noms de Fleur Pellerin – qui hérite
finalement de la Culture – et de l’ancien ministre Jean Glavany sont
rapidement mentionnés, ce choix est validé par un François Hollande ni
enthousiaste ni hostile.
Le Président sort de la pièce pour téléphoner à Emmanuel Macron, qui
accepte vite. Il est vrai qu’il n’a pas eu le temps d’organiser sa nouvelle vie
professionnelle depuis son départ de l’Élysée, quelques semaines plus tôt.
Preuve de cette improvisation : il demande à Bernard Cazeneuve de le loger
place Beauvau pour sa première nuit de ministre, avant de prendre
possession d’un appartement de fonction à Bercy. Le député de la Gironde
Gilles Savary est évoqué pour les Transports, mais c’est finalement Alain
Vidalies qui est retenu, pour ses talents de négociateur social. Le risque de
confrontation avec les syndicats, dans ce secteur, ne date pas du
quinquennat d’Emmanuel !
Nous récapitulons la composition du nouveau gouvernement. Laurent
Fabius et Ségolène Royal restent à leurs postes et à leurs rangs de numéros
un et deux. Najat Vallaud-Belkacem arrive en troisième position, devant
Christiane Taubira. Emmanuel est loin derrière, onzième sur seize dans
l’ordre protocolaire. Mais ce sont les deux promotions qui vont susciter le
plus de commentaires et il faut les anticiper.
Il faut « vendre » le nouveau venu aux militants en insistant sur son
itinéraire humain : banquier chez Rothschild mais inscrit au Parti socialiste ;
homme de chiffres mais aussi amoureux des lettres… Autre impératif : faire
passer la pilule auprès de Michel Sapin, ministre des Finances, qui n’aurait
pas détesté récupérer aussi l’Économie. C’était le double poste qu’il
occupait déjà au début des années 1990, quand François Mitterrand était à
l’Élysée et Pierre Bérégovoy à Matignon. Nous examinons donc à la loupe
le décret qui répartit les compétences entre le nouveau ministre de
l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, d’une part, et celui qui
demeure en charge des Finances et des Comptes publics. Ce dernier reste le
représentant de la France dans les réunions dites « Écofin » à Bruxelles. Il
est aussi en responsabilité sur tout ce qui concerne la zone euro… et
n’appréciera guère les franchissements de ligne de son jeune collègue, qui
utilisera ses fonctions ministérielles pour se rendre en Allemagne, au
Royaume-Uni ou en Grèce rencontrer ses homologues, qui sont aussi ceux
de Michel Sapin.
Il convient également d’accompagner les premiers pas de Najat Vallaud-
Belkacem, pour laquelle la marche est très haute. Comme il est admis au
sein de l’exécutif que je suis le correspondant officieux de l’Église, je suis
chargé de rassurer les milieux catholiques : la nouvelle ministre est de
culture musulmane mais elle n’est affiliée à aucune religion et
l’enseignement privé n’a rien à craindre. Reste à lui fournir un cabinet
« clés en main », grâce aux avis éclairés des conseillers éducation de
l’Élysée et de Matignon.
Puis vient le moment crucial, celui du message à faire passer aux
Français. Un impératif : ne pas se faire piéger sur le rétrécissement politique
que peuvent sembler signifier les départs de Filippetti, d’Hamon et de
Montebourg. L’aile gauche, eux ? Plaisanterie ! Voilà notre axe de
communication. Nous voulons au contraire laisser entendre que ces trois
personnages quittent le gouvernement au moment même où des marges de
manœuvre sont retrouvées aussi bien sur l’économie (le CICE 1 donne de
l’oxygène aux entreprises et un élan à la croissance) que sur l’Europe
(l’action de François Hollande a permis de sauver le gouvernement Tsipras
en Grèce et de maintenir ce pays dans la zone euro, évitant une fracture
profonde au sein de l’Union). Autre « élément de langage » qu’il faut
imposer : le Président a fait acte d’autorité.
Note
1. Crédit Impôt Compétitivité Emploi.
12
Les décideurs
sont-ils toujours les meilleurs ?
Les seules fonctions qui furent toujours politiques, ce qui bien sûr
n’excluait pas la compétence, étaient celles des préfets. De même, en
matière de défense, la continuité de l’État a toujours prévalu.
L’un des grands atouts de la France en Europe et dans le monde depuis
1958 reposait sur des gouvernements forts, qui s’appuyaient sur des
services très compétents. Progressivement, et surtout ces dernières années,
ce schéma idéal s’est délité sous l’influence de plusieurs facteurs.
Le rejet des élites, d’abord, a conduit Emmanuel Macron à donner la
suppression de l’ENA en pâture aux Gilets jaunes, alors que la plupart de
ceux-ci se moquent éperdument d’une telle mesure démagogique.
L’instauration du quinquennat, qui a accru la fréquence des changements
à la tête des administrations, n’a rien arrangé. Cette valse des nominations
nuit dans une certaine mesure à leur cohérence. Emmanuel Macron voulait
après son élection rencontrer personnellement les nouveaux directeurs
d’administration centrale. Il l’a fait avec plusieurs d’entre eux, rompant
ainsi avec un des piliers de la tradition républicaine, celle de l’autorité des
ministres, qui rendent des comptes devant le Parlement, contrairement au
chef de l’État. Après la crise des Gilets jaunes et le « grand débat » qui l’a
suivie, il a renouvelé son souhait d’instaurer un « spoil system » à la
française. Et déclaré qu’il fallait changer de nombreux directeurs afin qu’ils
adhèrent aux réformes à appliquer. Un message inquiétant de dépolitisation
de la haute fonction publique, alors que sa plus grande qualité fut pendant
des décennies sa neutralité. On se soucie de moins en moins de promouvoir
des hauts fonctionnaires compétents. On exige juste qu’ils soient obéissants.
Voilà comment s’affaiblissent peu à peu les administrations centrales…
Quelques exceptions confirment cette règle. Le directeur général de la Santé
demeure une autorité, même si le titulaire actuel Jérôme Salomon a été
contesté. À Bercy, au Trésor, la continuité prévaut toujours avec la première
femme directrice générale, la très européenne et politique Odile Renaud-
Basso, contrairement aux Douanes ou aux Impôts, entre autres. Au Quai
d’Orsay, le secrétaire général bénéficie encore d’un certain respect.
La montée de différents réseaux au sein des administrations depuis une
dizaine d’années brouille la méritocratie qui existait parfois et fait fuir vers
le privé les très bons éléments, lassés de ne pas être promus à leur juste
valeur.
L’attractivité du secteur privé est forte pour les moins de quarante ans,
qui redoutent non seulement la gestion erratique des ressources humaines
dans le secteur public, mais aussi le poids des règles déontologiques mises
en œuvre par les lois sur la transparence, lesquelles paralysent l’action à un
niveau de responsabilité élevé. Au Royaume-Uni comme dans certains pays
scandinaves, où les combats contre la corruption et pour la transparence
sont pour le moins aussi déterminés qu’en France, on impose des délais
d’un an, contre trois à cinq ans en France, pour pouvoir quitter de hautes
fonctions publiques et rejoindre le secteur privé.
La fausse décentralisation mise en œuvre depuis une quarantaine
d’années a multiplié les échelons bureaucratiques au lieu de réellement
déconcentrer les moyens et les responsabilités. Au fil des ans, elle a nourri
la défiance, plus la colère des élus territoriaux, auxquels on promet, tel
Emmanuel Macron en 2017, des pactes girondins jamais honorés.
La faiblesse du personnel politique, notamment de la plupart des
ministres, qui répugnent à s’entourer de directeurs d’administration centrale
dotés d’une forte personnalité, de peur de se voir débordés par eux,
n’arrange rien. Combien d’entre eux sont connus par la population
aujourd’hui ? Ont-ils le désir de découvrir et de promouvoir les grands
serviteurs de l’État de demain, les futurs François Bloch-Lainé ou Jean-
Claude Trichet, dotés d’une grande notoriété auprès de la classe politique et
de l’ensemble des décideurs ? La récente promotion de Clément Beaune est
l’exemple de ce qui est encore possible : à l’occasion de la formation du
gouvernement Castex, ce jeune énarque qui conseille Emmanuel Macron
depuis son passage à Bercy est devenu secrétaire d’État aux affaires
européennes, un poste difficile dans le contexte international actuel, dont je
connais bien les contraintes pour l’avoir moi-même occupé autrefois !
Notes
1. À l’exception peut-être du Royaume-Uni qui a mis en place, de longue date, un recrutement très
diversifié, dans lequel l’appartenance politique ne joue aucun rôle. J’ai pu noter, lors de mon séjour à
Londres, la fluidité dans les échanges d’informations entre les administrations de différents
ministères. L’Italie semble avoir concentré de nombreux profils d’excellence au sein de sa Banque
centrale. Les Néerlandais m’ont toujours impressionné par l’efficacité de leurs fonctionnaires quand
je travaillais à la Commission européenne. La comparaison avec l’Allemagne est plus difficile, dans
la mesure où le système institutionnel est fédéral. J’ai remarqué, néanmoins, le caractère très
discipliné de l’administration économique et financière à l’échelon fédéral.
2. Les Socialistes, les communistes et les autres. Je l’ai toujours dans ma bibliothèque.
13
Tentatives et échecs
d’un serviteur de l’État
Note
1. Jusqu’à la formation du nouveau gouvernement Castex où Agnès Pannier-Runacher, inspectrice
des finances, a hérité du titre.
14
e
Cet État (relativement) archaïque est incarné depuis la naissance de la V
République par un homme, un seul. Cet homme omniscient, juste,
travailleur bien sûr, ayant le sens de l’autorité évidemment, c’est le
président de la République. Il attire tous les regards et tout tourne autour de
lui. Le petit microcosme des journalistes parisiens surveille ainsi de façon
obsessionnelle tout ce qui se passe à l’Élysée. Les Français s’interrogent
fréquemment sur les failles de leur monarque. Les rumeurs vont bon train :
tel Président est réputé alcoolique, tel autre cocaïnomane, le troisième passe
pour un obsédé sexuel, son successeur pour un déprimé chronique et ainsi
de suite. Les plus féroces sont les initiés. Ceux qui croient savoir. Et surtout
ceux qui ne savent rien ou si peu !
François n’a pas vraiment souffert autant que ses prédécesseurs de ce
bruit de fond médiatique. Parce qu’il était perçu comme il s’était présenté,
comme un « Président normal » ? Peut-être. Mais il avait cependant un trait
de caractère que je n’ose appeler faiblesse et qui n’a pas toujours été pour
autant une force. Dans le premier cercle du pouvoir, certains s’amusaient
ainsi de son penchant marqué pour la fréquentation des journalistes. Rien de
bien méchant. Personne n’avait diagnostiqué la véritable addiction dont il
était victime. De mon poste, je la voyais grandir de jour en jour. Deux
journalistes du Monde l’ont perçue, encouragée, exploitée jusqu’à jouer un
rôle qu’ils n’auraient jamais dû avoir à la fin de la pièce. J’en ai été une
victime collatérale.
Note
1. Jean-François Copé sera finalement innocenté par la justice dans cette affaire.
15
Ségolène en majesté !
Cette facétie à BpiFrance n’était qu’un tour de chauffe. Son grand retour
au gouvernement a donné des ailes à Ségolène. Et un culot décuplé. Je suis
donc chargé de déployer toute la diplomatie dont je suis capable pour
calmer la ministre dans ses ardeurs, tout en faisant comprendre à ses
collègues, souvent excédés, qu’elle n’est pas n’importe qui, mais la seule
femme finaliste d’une élection présidentielle en France. Un équilibre
difficile à tenir. Le Premier ministre, Manuel Valls, n’en peut plus qu’elle le
court-circuite pour obtenir ce qu’elle veut à l’Élysée. Même Michel Sapin,
qui comme moi la connaît depuis l’ENA, perd patience. À Bercy, il est
comptable des finances publiques. Et Ségolène tire sur la corde pour avoir
des crédits supplémentaires, des arbitrages budgétaires qui lui soient
favorables. « On ne peut pas toujours faire des dérogations pour la même,
seule et unique ministre », s’emporte-t-il un jour. Matignon m’appelle au
secours : « Il faut que tu la calmes, on ne peut pas passer notre temps à
gérer ses caprices. » Du coup, c’est moi qui y consacre une bonne partie du
mien !
Quand elle envisage de se rendre à Notre-Dame-des-Landes, sur le site
prévu pour construire un aéroport très controversé, c’est le branle-bas de
combat. Quelle annonce va-t-elle faire ? Franchira-t-elle la ligne rouge ?
Rien ne saurait la décourager. À chaque dîner d’État organisé à l’Élysée
en l’honneur d’un chef d’État ou d’une tête couronnée, l’ombrageuse
ministre me rappelle à mon devoir : « Tu veilleras bien à ce que je sois à la
table de François ! » Le ton employé n’admet pas la moindre objection. Je
dois donc affronter le service du protocole, où l’on me réplique d’un ton las
que c’est le Président qui compose sa table, pas le secrétaire général…
Alors qu’approche la date de la COP 21, qui doit se tenir à Paris du
30 novembre au 12 décembre 2015, l’ambiance se tend entre elle et Laurent
Fabius. Le ministre des Affaires étrangères est président de cet événement
planétaire. Mais la ministre de l’Environnement veut sa part de lumière.
Elle me demande de faire le maximum pour qu’elle soit à la table
d’honneur, lors du déjeuner qui réunit les chefs d’État et de gouvernement
autour de François Hollande. Mission impossible, seul Laurent Fabius y a
sa place. Ségolène Royal doit, comme Manuel Valls, se contenter de
présider une table, ce qui n’est déjà pas si mal. Elle gagne aussi le droit
d’intervenir en séance plénière au même titre que Laurent Fabius. Pour
parvenir à ce compromis, j’ai pu compter sur l’aide de Nicolas Hulot, qui
appuie ma demande. Les chamailleries reprennent quand Laurent Fabius
quitte le Quai d’Orsay pour le Conseil constitutionnel, en février 2016. Il
souhaite garder, jusqu’à la COP suivante qui se tient au Maroc, son titre de
président. Ségolène ne l’entend pas de cette oreille. Elle obtient gain de
cause, comme souvent…
Comment Emmanuel a-t-il pu croire un instant qu’il saurait neutraliser
cette infatigable guerrière ? Il l’a vue à l’œuvre quand il était d’abord à
l’Élysée puis au gouvernement. Il ne pouvait ignorer qu’elle ne se
contenterait pas longtemps du poste d’ambassadrice des pôles, mais qu’elle
l’utiliserait comme marchepied, comme base arrière pour se propulser vers
un avenir meilleur. Elle a toujours agi ainsi. Les flatteries médiatiques
qu’elle distribuait à propos du jeune Président, au début de son
quinquennat, n’étaient pas gratuites. Elles devaient être payées de retour.
Emmanuel Macron ne l’a pas compris, ou n’a pas voulu le comprendre.
Après deux années de paroles aimables, puis de silence, le ton a subitement
changé à propos du chef de l’État. Les critiques ont fusé, acerbes. Je
connais Ségolène depuis plus de quarante ans. Elle est comme cela. Elle l’a
toujours été. Pragmatique, ambitieuse et impitoyable. Elle n’a pas été
considérée comme elle l’espérait. Elle a riposté. Elle n’a peur de rien ni de
personne.
Même pas du Président.
16
Notes
1. J’y étais alors ambassadeur de France.
2. Ce qui explique, hors crise du Covid-19, le taux d’abstention record aux dernières élections
municipales.
17
Les énarques ont toujours été en majorité engagés en politique, c’est une
qualité, la plupart à droite, les autres dans la gauche modérée, avec un tiers
de neutres. La droite dure a toujours été très minoritaire à l’ENA (Florian
Philippot est un de ses rares représentants). Pour autant, ces hauts
fonctionnaires ont toujours témoigné, à l’exception de quelques-uns
(François, Michel Sapin, Jean-Maurice Ripert), d’un certain pragmatisme
politique, y compris Ségolène lors des deux premières années du mandat
d’Emmanuel Macron. J’en suis l’illustration la plus marquée puisque j’ai
servi sans états d’âme Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.
Même ma très chère amie, séductrice, séduisante et égérie de notre
promotion, Sophie-Caroline de Margerie, aujourd’hui au Conseil d’État,
rejoignit François Mitterrand et Dieu sait si ni durant notre stage commun
d’un an à Lille, en 1978, ni à l’ENA, ni après 1997 elle ne me parut à
gauche. Elle a même soutenu très brièvement la très à droite Christine
Boutin. Durant nos études, elle s’affichait pleinement catholique, ce qui me
convenait, attachée aux traditions, ce qui ne me déplaisait pas, et d’un
libéralisme modéré, ce que je regrettais parfois. Toutefois, elle séduisit
naturellement François Mitterrand qui retrouvait avec elle, dans ses marches
à Paris ou près du lac de Maastricht, le grand charme d’une droite d’avant-
guerre. Pour un homme qui aime les femmes, comment ne pas considérer
une promenade avec Sophie-Caroline comme le plus doux des moments,
accompagné de conversations romantiques ou littéraires ?
Note
1. Thierry Breton était ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.
18
La frivolité, c’est une des modes qui dominent mes années passées sur les
bancs de l’ENA, en compagnie de François et de Ségolène. Certes,
quelques-uns d’entre nous doivent travailler beaucoup – c’est mon cas ! –,
avec l’objectif de sortir dans les premiers rangs, afin de rejoindre les grands
corps et d’échapper ainsi au destin d’obscur rond-de-cuir à vie.
Très vite, je me lie avec François, le plus grand coup de foudre amical de
mon existence. Dès 1977, je suis tombé sous son charme. J’ai des relations
plus distantes avec Ségolène, plus laborieuse et moins encline à la dérision.
Mais nous apprenons à nous connaître et à nous apprécier dès que, entre elle
et François, « c’est du sérieux ». Je le comprends pendant l’été 1980, alors
que nous passons des vacances en Corse en compagnie d’une amie
commune, visiblement très amoureuse de François. Nous allons d’hôtel en
hôtel tous les quatre et je constate au fil des jours qu’elle voit ses espoirs
déçus. Je comprends que Ségolène, pour ce séducteur-né, n’est pas une
conquête parmi d’autres. D’ailleurs, l’année suivante, nous repartons en
Corse, et Ségolène est de la partie. Chaque été, ensuite, nous passerons nos
vacances ensemble. En Bulgarie, au Club Méditerranée, alors que François
est le directeur de cabinet de Max Gallo, porte-parole du gouvernement.
Ségolène est enceinte de leur fils aîné, Thomas. Elle se repose tandis que
nous jouons au tennis comme des oligarques soviétiques. François anime
les repas, où nous croisons des « GM » de toutes sortes. Il les fait parler de
leur vie. Face à un couple de charcutiers qui explique, débonnaire, les
avantages d’être payé le plus souvent en liquide, il oppose une mine grave
et ironique tout à la fois :
– Là, pardon, mais vous ne savez pas à qui vous vous adressez.
Il me désigne du regard :
– Vous voyez ce monsieur. Je dois vous dire qu’il est inspecteur des
impôts…
Nos amis d’un jour pâlissent. Ségolène essaie d’arranger la situation.
J’explique pour ma part que je suis inspecteur des Finances, ce qui n’est pas
la même chose. Derrière son air sérieux et ses lunettes, je distingue les yeux
rieurs de mon ami…
À cette époque, Ségolène et François apparaissent déjà comme un couple
d’ambition. Toutefois, personne n’imagine un instant que Ségolène puisse
un jour être finaliste d’une élection présidentielle. En revanche, je répète à
qui veut l’entendre que François sera un jour à l’Élysée. J’ai longtemps été
moqué pour cette prophétie avant que les faits me donnent raison…
Tous deux entrent en même temps à la présidence, par la petite porte,
comme conseillers officieux après l’élection de François Mitterrand. En juin
1981, François se lance dans le combat pour les législatives. Il n’est pas
investi dans une circonscription facile puisqu’il affronte Jacques Chirac sur
ses terres corréziennes. Et il ne lui manque que 350 voix pour le mettre en
ballottage. Cette défaite annonce dans l’esprit de son entourage de futures
victoires…
Puis chacun retourne vaquer à ses occupations de conseiller ou de haut
fonctionnaire à Bercy.
En 1984, je suis nommé à la coordination de la Législation fiscale. Un
poste très sensible, dont le titulaire est le réceptacle de toutes les demandes
d’exemption, de dérogation, d’exonération, les trois mots magiques en
France quand il s’agit d’impôt. Pendant près de quatre ans, dont deux de
cohabitation, j’apprends à bien connaître le monde parlementaire, à
apprécier les va-et-vient de la fiscalité française et à respecter les
spécificités dont bénéficient l’agriculture et la culture, deux mondes où les
passe-droits l’emportent souvent sur les règles.
Chargé de participer à l’élaboration et au vote des recettes fiscales, je
passe des jours et des nuits à l’Assemblée nationale et au Sénat, assis sur les
bancs du gouvernement, juste derrière le ministre, d’abord Henri
Emmanuelli puis Alain Juppé. Nous sommes occupés à faire et à défaire
l’impôt sur les grandes fortunes, ancêtre de l’ISF, à supprimer et à rétablir
l’anonymat sur l’or, à répondre à toutes sortes d’amendements dont les plus
répétitifs, quels que soient l’exécutif et la majorité en place, concernent… le
rétablissement du privilège de bouilleur de cru ! Je ne suis pas le dernier à
fréquenter les buvettes, où je découvre que ministres, parlementaires et
fonctionnaires dialoguent sereinement, voire amicalement, quelle qu’ait pu
être la vigueur des débats les opposant dans l’hémicycle.
Pour un serviteur de l’État, autant la politique domine sans surprise les
discussions à l’Assemblée nationale, autant la technicité pointue est la
marque de fabrique du Sénat, qui m’impressionne pour longtemps.
J’ai l’occasion d’en parler avec mes amis François et Ségolène, et c’est à
elle que je dois l’un des souvenirs les plus forts de cette période. Un jour,
elle me convoque à l’Élysée sans autre forme de procédé. Conseillère
auprès de François Mitterrand, elle souhaite me faire rencontrer Coluche,
qui est en train de fonder les Restos du cœur. Quand j’arrive dans son
bureau, une soupente au dernier étage du Palais, l’humoriste préféré des
Français est déjà là, accompagné d’un autre visiteur. Nous nous serrons un
peu pour parler fiscalité. Je m’attends à une discussion très générale sur les
crédits d’impôts ou les exonérations fiscales qui peuvent s’appliquer aux
dons. Quelle n’est pas ma surprise de découvrir que Coluche est venu
accompagné d’un conseiller très affûté ! La réunion dure plus de deux
heures, durant lesquelles je dois jongler avec les aides fiscales, les taux
d’exemption, les mesures prévues pour les donateurs les plus défavorisés et
j’en passe. Ségolène n’est pas la moins pugnace. Elle forme avec Coluche
un drôle de duo, dont l’expertise et la détermination m’impressionnent.
Cette même année 1984, le couple Hollande-Royal habite rue de Rennes.
Depuis les fenêtres de l’appartement, où nous nous retrouvons souvent,
nous entendons passer les manifestations monstres pour l’école privée. Je
suis de tout cœur avec ses participants. Ségolène aussi, j’en suis sûr, mais
elle travaille à l’Élysée, et défend avant toute chose la ligne du parti et du
gouvernement. Elle hausse les épaules avec dédain envers « tous ces types
qui défilent ».
Note
1. Frédérique Bredin, énarque de la promotion Voltaire comme nous, inspectrice des Finances
comme moi, était la conseillère culture de François Mitterrand, qui lui a proposé la 9e circonscription
de Seine-Maritime. Élue, elle est devenue la benjamine de l’Assemblée nationale en 1988.
19
Note
1. Grand serviteur de l’État remercié brutalement par le Président comme bouc émissaire payant
les défaillances de l’État durant la crise sanitaire.
20
La grande dame
qui ne voulait pas des 35 heures
Martine et moi, nous sommes tant aimés. D’amitié, bien entendu, en tout
bien tout honneur ! Elle est la femme politique avec laquelle j’ai le plus ri,
et de loin. Mais la vie et les jalousies politiques nous ont éloignés.
Comment rester complices alors qu’elle me sait proche de François
Hollande, son rival, sa bête noire presque, depuis le début des
années 2000 ?
C’est plus fort qu’elle, Martine adore détester, mépriser, ridiculiser. Un
soir du printemps 2000, nous la recevons à dîner dans notre appartement, en
compagnie de son directeur de cabinet Dominique Marcel. Je lui dis
combien sa nouvelle ministre déléguée à la Famille, Ségolène Royal, est
une personnalité pragmatique, qui connaît bien ce domaine et fera des
merveilles dans ses nouvelles fonctions. Martine est alors numéro deux du
gouvernement, à la tête d’un immense ministère de l’Emploi et de la
Solidarité, qui va de la politique de la ville à la santé, en passant par la
formation professionnelle et la famille. Mais elle ne peut supporter le
moindre compliment adressé à autrui, fût-il une amabilité de pure forme
pour engager la conversation. Elle se tait, regarde la fenêtre de la salle à
manger et déclare, glaciale : « Je vais vous dire. Au moins j’aurai une
mission pour elle, c’est de lui faire choisir les rideaux pour son bureau ! »
Il y a deux Martine Aubry dans ma vie. Celle d’avant 2002 et celle
d’après. Celle qui veut faire avancer les idées de la « deuxième gauche »,
qui se voit comme une héritière du réformisme porté par son père, Jacques
Delors. Et celle qui a mis la barre à gauche toute, parce qu’elle voyait là le
seul créneau possible pour accéder à la fonction suprême. Car l’histoire de
Martine Aubry est tout sauf linéaire. Affublée, à vie, du surnom de « dame
des 35 heures », elle se souvient, j’espère, de ce que je suis un des seuls à
savoir : les 35 heures, elle y était farouchement opposée !
Notes
1. Lionel Jospin consacrera un long passage de son discours à la question, annonçant une loi-cadre
ramenant la durée légale du travail à 35 heures avant la fin de la législature.
2. Philippe Alexandre, Béatrix de L’Aulnoit, La Dame des 35 heures, Robert Laffont, 2002.
21
J’ai tout vécu ou presque avec Martine. Y compris, en coulisse, l’un des
moments politiques qui ont marqué la mémoire collective. En décembre
1994, son père, Jacques Delors, est l’homme providentiel de la gauche. Le
seul qui semble en mesure de l’emporter face au favori du moment,
Édouard Balladur.
À l’époque, il est président de la Commission européenne, à laquelle il a
su donner une dimension politique qui ne lui a pas survécu, jusqu’à
l’arrivée d’Ursula von der Leyen. Grâce à sa fille, je suis devenu le numéro
deux de son cabinet en 1991. Outre une vision politique, économique,
sociale, diplomatique exceptionnelle de l’Union, je découvre à son contact
l’amour du travail.
Pour survivre à ses côtés, il convient d’être très organisé sur le plan
professionnel et de ne pas lambiner. Jacques Delors, comme son directeur
de cabinet Pascal Lamy, exige que chacun soit concis dans ses notes et ses
explications, et sache diriger une réunion avec pour chacune d’entre elles
une conclusion consensuelle entre les différents cabinets et directions. Il a
su instaurer de vrais débats dans les réunions qu’il préside tous les
mercredis, alors qu’au fil des ans ces conférences au sommet sont
davantage devenues des chambres d’enregistrement des décisions prises par
les directions. Le principal enseignement dispensé par Jacques Delors est la
ponctualité. Pascal Lamy y veille scrupuleusement !
J’ai le souvenir cuisant d’une réunion de cabinet que je présidais après le
déjeuner. Elle est fixée à 15 heures et pour tout fonctionnaire ou dirigeant
public français qui se respecte, la commencer à 15 h 10 ou 15 h 15 signifie,
surtout sous la règle de François Mitterrand, retardataire d’anthologie, être
parfaitement exact. Imprégné de cette culture franco-française, j’arrive pétri
de mon exactitude pour ouvrir les débats à 15 h 15. Un collègue danois
m’arrête alors et soulève une sorte de question préalable ainsi formulée :
« Monsieur, vous avez tous les droits. Vous pouvez fixer une réunion le jour
qui vous convient à l’heure qui vous est agréable : 8 heures du matin (ce
n’était pas et ce n’est toujours pas mon inclination), midi, 17 heures ou
même 20 heures. Aujourd’hui mardi, vous l’avez fixée à 15 heures. Sachez
que nous nous sommes organisés en conséquence. Veuillez donc considérer
que 15 heures c’est 15 heures. Sinon, vous changez les horaires. » J’en suis
resté sans voix mais ai retenu la leçon à vie.
Jacques Delors, mon maître en cette matière comme en d’autres, avait
trouvé plus fort que lui avec Édouard Balladur, alors Premier ministre 1. Un
jour que nous arrivons ensemble à Matignon – j’ai pris la succession de
Pascal Lamy à la tête de son cabinet en 1994 –, il m’avertit : « Nous avons
rendez-vous avec le Premier ministre à 15 heures et pour lui c’est vraiment
15 heures. Ce n’est ni 14 h 55, ni 15 h 01, ni 15 h 02. » Effectivement,
Édouard Balladur apparut à 15 heures pile !
Hors cette rectitude, je retiens de Jacques Delors l’image d’un bon vivant
ouvert, toujours prêt à débattre autour d’un agréable déjeuner accompagné
parfois de quelques liqueurs.
Lors des réunions politiques que nous organisons ces années-là à Lorient
autour des Transcourants qu’animent François et Jean-Yves, nous finissons
toujours la soirée par quelque dégustation gastronomique, même si avec
Jean-Yves Le Drian, nous devons accompagner le lendemain Jacques
Delors à la messe la plus matinale. En ces occasions, foi et récupération
font, comme souvent dans le monde catholique, bon ménage.
Après le départ de Pascal Lamy, j’accompagne le président de l’Union
européenne partout dans ses déplacements politiques et institutionnels, en
France comme en Europe. Nous passons aussi des nuits entières à bâtir le
budget européen et à négocier la répartition des fonds entre les États
membres. Les plus résistants, whisky oblige, sont les Britanniques et les
Irlandais !
Jacques Delors, en raison de sa popularité et de sa vision très large, est
alors considéré par beaucoup, à gauche et au centre, comme le successeur
naturel de François Mitterrand à la présidence de la République. Depuis
l’été 1994 jusqu’à l’émission « Sept sur sept », animée par Anne Sinclair,
sur TF1, où il doit faire connaître sa décision tant attendue en décembre
1994, tout le monde dans le microcosme est persuadé qu’il sera candidat en
1995. Et, surtout, élu ! Plus les semaines passent, plus la tension monte. Au
congrès de Liévin, dans le Pas-de-Calais, en novembre, le premier
secrétaire du PS Henri Emmanuelli, avec lequel, jeune fonctionnaire aux
Finances, j’ai travaillé quand il était ministre du Budget, dix ans auparavant,
lance un appel pour que Jacques Delors se déclare sous les acclamations de
la foule. En vain.
Les centristes François Bayrou et Jacques Barrot font, chacun, le voyage
jusqu’à Bruxelles pour le convaincre, arguant que les centristes voteront
pour lui avec enthousiasme dès le premier tour. François Mitterrand en
personne le reçoit à deux reprises pour lui faire valoir son rendez-vous avec
l’Histoire, probablement victorieux compte tenu de la division de la droite,
déchirée entre Jacques Chirac et Édouard Balladur. François me sollicite
presque chaque semaine pour connaître la date à laquelle mon patron
annoncera sa candidature.
Plus les semaines passent, plus l’incertitude grandit : pourquoi le favori
du scrutin ne se déclare-t-il pas ? Le suspense dure jusqu’à la dernière
minute. Jack Lang et Henri Emmanuelli, qui doivent intervenir dans les
journaux télévisés après l’émission, diffusée en direct le dimanche en fin de
journée, m’appellent dans l’après-midi pour que je leur confirme les
intentions de Jacques Delors. Et, comme cela m’est arrivé souvent, je dois
jouer « l’idiot du village ». Je sais en effet depuis un moment que Jacques
Delors refusera le rôle d’homme providentiel qu’on veut lui attribuer.
Avant l’émission, dans la loge où il se fait maquiller, il vend la mèche à
Anne Sinclair, elle aussi dans l’expectative : il n’ira pas. La célèbre
journaliste lui demande d’annoncer sa décision après la coupure publicitaire
pour que les téléspectateurs restent devant leur téléviseur. Puis ils s’en vont
vers le plateau. Je reste dans la loge, assis entre Martine Aubry et Pascal
Lamy. Pendant la première partie de l’émission, il se comporte en véritable
candidat et brosse un vaste tableau de la société française. Au point que sa
fille, elle aussi dans la confidence, nous dit pendant les publicités : « Mais
ce n’est pas possible, il va vraiment y aller ! » Quelques minutes plus tard,
il indique, à la surprise et au regret général, qu’il ne sera pas candidat.
Pour me remettre de mes émotions, je me rends chez François et
Ségolène après l’émission. Je suis accueilli par le père de François, dont le
cœur ne penche pourtant pas à gauche, mais qui s’écrie, furieux : « C’est
pas vrai d’être aussi con ! »
Ainsi Jacques Delors avait-il raison. L’Union européenne telle que nous
l’avons connue est moribonde. C’est à nos dirigeants d’en construire une
nouvelle, plus humaine et plus solidaire ! Ils ont commencé à s’atteler à
l’ouvrage et c’est encourageant. Il leur faudra puiser des trésors dans une
matière rare et précieuse : la persévérance.
Certes, nous vivons comme à d’autres époques de notre grande histoire
une période de pessimisme, qu’éprouve avec force la majorité de nos
concitoyens. « Temps de douleur et de tentation, Âge de pleurs, d’angoisse
et de tourment, Temps de langueur et de damnation… », écrivait au
e
XIV siècle le poète Eustache Deschamps. Nos responsables politiques
devraient se réciter ces vers, et se souvenir de cette sage maxime du
e
XIV siècle : « La frivolité est un état violent. »
Notes
1. Et jadis conseiller du président Pompidou quand Jacques Delors se trouvait au cabinet du
Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Les deux hommes se connaissaient donc de longue date.
2. Jean-Paul Delors a été emporté par une leucémie en 1982, à l’âge de 29 ans, alors que son père
était ministre de l’Économie et des Finances.
3. Aux Éditions Odile Jacob.
22
L’épreuve de vérité
Au lendemain du premier tour des municipales, qui s’est tenu dans des
circonstances pour le moins controversées, le 15 mars 2020, le président de
la République doit parler aux Français à 20 heures. Dans l’après-midi,
j’échange quelques impressions au téléphone avec François. Il vient de
s’entretenir avec Emmanuel Macron. Il lui a indiqué qu’il était favorable à
un report du second tour à une date ultérieure, impossible à fixer au vu de
l’étendue plus importante que prévu de l’épidémie. Il lui a fait aussi
quelques remarques sur la conduite de la crise. Pourquoi un tel retard pour
prendre des mesures drastiques, alors que le précédent italien témoignait de
la multiplication inéluctable des personnes infectées ? Quelle curieuse
stratégie de communication se dissimule derrière l’étrange partage de la
scène audiovisuelle entre le chef de l’État et le Premier ministre ? La
séquence lui semble surprenante, pour ne pas dire incompréhensible, et il
l’a dit à son successeur.
Celui-ci s’est déjà adressé très solennellement aux Français le 12 mars à
20 heures, pour la première fois depuis le début de la crise. Il a annoncé,
entre autres, la fermeture des crèches, des établissements scolaires et
universitaires. Le lendemain, Édouard Philippe était l’invité du 13 heures de
TF1. Il a durci les règles des rassemblements, limitant leur taille à 100 et
non plus à 1 000 personnes. Puis il s’est de nouveau exprimé le samedi soir,
pour ordonner la fermeture des bars, restaurants et commerces « non
essentiels ». Son intervention a marqué le début d’un confinement qui ne dit
pas son nom. François s’est étonné auprès de son successeur de cette
chronologie improbable, qui laisse le Premier ministre modifier la donne
fixée par le Président un peu plus tôt.
De son entretien avec Emmanuel Macron, ce 16 mars 2020, François
Hollande retient une hésitation perceptible sur la nature et la portée des
décisions qu’il s’apprête à annoncer le soir même. Il attribue en partie ce
flottement aux résultats du premier tour des municipales, désastreux pour le
« nouveau monde ». Gérard Collomb est en quatrième position à Lyon ;
Agnès Buzyn se trouve largement distancée par ses deux adversaires de
droite et de gauche à Paris ; à Marseille, le candidat LREM est carrément
privé de second tour avec moins de 10 % des suffrages ; au Havre, Édouard
Philippe perd dix points par rapport à 2014. Au gouvernement, il n’y a
guère que Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu pour sauver l’honneur,
grâce à leur réélection à Tourcoing et à Vernon. Mais ces deux personnalités
prometteuses ne viennent-elles pas de la droite, donc de l’ancien monde ?
Trois jours plus tard, j’ai une nouvelle conversation avec mon ami sur la
gestion de la lutte contre le Covid-19. La critique est aisée mais l’art (de la
guerre) est difficile. Nous en sommes tous les deux très conscients. La
conversation toutefois tourne autour de trois points : le manque
d’anticipation sur les tests de dépistage ; la pénurie de masques de
protection ; l’absence de confinement d’urgence, en amont, dans les deux
zones les plus touchées – le Grand Est, à la suite d’une retraite évangélique
réunissant deux milliers de fidèles, et le département de l’Oise, où le virus
s’est répandu via des militaires français revenus de Chine lors d’une
mission de rapatriement de compatriotes vers le territoire national. L’ex-
chef de l’État est perplexe car il sait que l’Élysée a été prévenu dès le début
de l’épidémie de ce qui se pratiquait en matière de tests préventifs en Corée
par un télégramme de l’ambassadeur de France à Séoul.
Il s’inquiète aussi des injonctions contradictoires adressées aux
Françaises et aux Français : « On demande aux salariés de se soumettre au
confinement généralisé et en même temps d’aller travailler dans certains
secteurs. Cela risque de ne pas être compris », me dit-il. Autre sujet de
préoccupation pour l’ancien Président : le dérapage financier hors norme
auquel l’État va devoir faire face puisque Bruno Le Maire ne demande
aucune contribution spécifique aux entreprises. Au bout du compte, nous
nous retrouvons avec plus de 220 milliards d’euros de déficit budgétaire,
52 milliards de déficit de la Sécurité sociale, plus de 120 % de dette par
rapport à la richesse nationale, une impasse financière jamais rencontrée
depuis 1945. Ce qui, d’une manière ou d’une autre, pèsera sur l’économie
française, n’améliorera pas la situation de l’emploi et, dans les deux ans à
venir, imposera quoi qu’on en dise des dispositions d’assainissement
demandées par nos partenaires européens. Angela Merkel se trouve en
position de force et voudra laisser un bilan sans tache avant les élections de
2021. Si bien que le président de la République, en France, risque de se
trouver pris dans les contradictions entre trois de ses engagements : fonder
une Europe nouvelle et solidaire (malgré tous les progrès accomplis par la
Commission et par la BCE, il est certain que les marchés et plusieurs
partenaires du nord de l’Europe exigeront avant 2022 des dispositifs de
redressement des comptes), ne pas imposer de limitation aux dépenses
publiques pour faire face à la crise, ne pas augmenter les impôts, en
particulier ne pas revenir sur la très symbolique suppression de l’impôt de
solidarité sur la fortune (ISF).
Nous évoquons, avec François Hollande, toutes ces perspectives alors
que le président de la République se prépare à sonner l’heure du
confinement. Il est difficile, concluons-nous, de se projeter dans l’avenir
pour envisager les conséquences de cette fuite en avant budgétaire.
Inévitable, peut-être, mais quand on se fait champion de la rigueur, quand
on réduit le budget des hôpitaux, quand tout le monde dit qu’il faut soutenir
les marchés, le commerce international, les entrepreneurs, il convient aussi
de penser aux salariés du bâtiment, aux caissières de supermarché –
Alexandre Bompard est le premier dirigeant de grande surface à leur
promettre à la télévision une prime de 1 000 euros –, aux livreurs, aux
enseignants, aux infirmières, aux aides-soignantes… Quand les gens vont
travailler pour le service de la France, il faut les récompenser. Je veux que
l’argent soit dépensé justement, pas seulement au profit des marchés, des
actionnaires et du commerce international.
Sur le plan politique, la crise économique et financière sans précédent qui
résulte de l’épidémie remet en cause la stratégie d’assainissement des
finances publiques élaborée par Emmanuel Macron et mise en œuvre par
Bruno Le Maire. Celle-ci devait marquer une rupture notable avec les
gestions précédentes, celle de François Hollande mais aussi celle de Nicolas
Sarkozy, après le trou d’air provoqué par la grande crise financière de 2008.
Seule demeure la suppression de l’ISF, un impôt qui aurait pu en toute
justice fournir les recettes supplémentaires dont la France a plus besoin que
jamais.
On ne peut blâmer bien sûr le Président d’avoir voulu consacrer tous les
moyens publics, « quoi qu’il en coûte », à traverser la période de
confinement et sauver les acteurs économiques de la catastrophe. Mais est-il
bien sûr d’avoir mesuré l’impact du « quoi qu’il en coûte » ?
Personne, au cours de cette longue crise sanitaire, ne peut prétendre qu’il
ne s’est jamais trompé dans ses anticipations. Ni les médecins, ni les
épidémiologistes, ni les économistes, ni les politiques… En revanche, tout
le monde doit avoir à l’esprit le caractère inégalitaire de ce sauvetage
économique et financier.
e
Chacun le sait depuis le XVIII siècle, depuis Law, Calonne et Necker,
rien ne protège mieux les privilèges et leurs titulaires que l’emprunt, la dette
et la liquidité monétaire, au détriment d’une répartition juste des
contributions. Pendant les périodes d’union nationale, les gouvernements
déclarent la main sur le cœur que tout cet argent déversé sert également tous
les citoyens. Je suis bien placé pour savoir que le principal objectif consiste
à protéger le système bancaire et financier français, de plus en plus affaibli
face aux États-Unis, à la Chine et aux économies émergentes d’Asie.
Aucune inégalité n’est réduite à l’issue des crises. Ce sont les plus
modestes, les plus fragiles qui perdent le plus, sans espoir de récupérer le
manque à gagner. À l’issue de la Première Guerre mondiale, les différents
gouvernements français qui se sont succédé avaient créé des mécanismes
qui permettaient à chacun, entrepreneur ou salarié, investisseur ou
agriculteur, de récupérer ce qu’il avait perdu pendant le conflit. Ces fonds
de solidarité, financés par de l’argent public, n’ont toutefois pas permis de
réduire les inégalités. Quand est survenue la crise de 1929, les mesures
prises pour soutenir les entreprises ont renforcé les écarts de destin entre
riches et pauvres dans l’ensemble des pays européens, conduisant en France
à l’événement du Front populaire, et à l’émergence du fascisme et du
nazisme ailleurs sur le continent.
2020 ne fait pas exception à cette règle historique. L’argent de la Banque
centrale européenne comme celui qui sort des caisses de l’État français vont
directement dans celles des entreprises et des investisseurs. Les marchés,
d’ailleurs, ne s’y sont pas trompés qui ont fini par remonter à la suite de ces
injections massives. Les personnes qui se sont trouvées en chômage partiel,
outre les quelques démarches administratives à accomplir, ne retrouveront
pas momentanément leur revenu habituel. Quant à celles et ceux qui ont
continué de travailler, malgré le manque de tests et de masques, et sont
souvent les plus défavorisés, chauffeurs routiers, personnels du BTP, de
l’énergie, des grandes surfaces, demeurés au front pendant toute la durée de
la pandémie, ils ont dans le meilleur des cas perçu une prime défiscalisée.
Ne doit-on pas y voir une contradiction ou, plus grave, un renforcement
des inégalités ? Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France,
a compris parmi les premiers. Le 23 mars, au micro de France Inter, il
insiste pour que ceux qui ont travaillé « physiquement » perçoivent une
« prime de reconnaissance ». Et d’ajouter, avec raison : « On n’aura pas
intérêt à avoir la mémoire courte. » Sur ces milliers de milliards d’euros, en
effet, il ne semble pas surhumain de trouver des indemnités dignes de ce
nom pour tous ces travailleurs qui ont permis à la France de vivre, au péril
de leur propre santé parfois, pendant toute la période du confinement. Sans
aucun doute, les mesures financières d’urgence prises à l’échelon de la
France comme de la zone euro s’imposaient pour éviter des faillites en
série, lesquelles auraient entraîné un déclin plus structurel. Mais à quoi bon,
alors, avoir pendant trois ans de règne nié les spécificités du service public
au moment où on en avait besoin ?
Qu’on le veuille ou non, la France n’est pas et ne sera jamais anglo-
saxonne ou germanique. Le mandat devait être marqué par la rupture au
profit de la « mondialisation heureuse ». Il n’est devenu qu’une pâle
répétition des après-guerres et des après-crises de toute notre histoire.
Coronavirus oblige, la réforme des retraites, symbole du quinquennat,
revient sur le devant de la scène : mais que deviendra-t-elle dans une France
en récession pour longtemps ?
L’obsession de réduire la dépense publique, y compris dans le secteur de
la santé en général et des hôpitaux en particulier, les a rendus moins
performants et plus débordés qu’il y a dix ou quinze ans, comme me le fit
remarquer un grand professeur de médecine au moment de la crise sanitaire.
Après trois plans destinés à renflouer les hôpitaux, tous trois considérés
comme indigents par les intéressés, la ministre de la Santé a préféré fuir sa
mission pour partir à la conquête de la mairie de Paris. Et c’est elle, membre
du gouvernement un mois auparavant, tête de liste de la majorité
présidentielle dans la capitale, qui a été la première, le 17 mars, à critiquer
sans ménagement l’action gouvernementale mise en œuvre pour contrer
l’épidémie virale. L’Élysée n’a pas besoin d’ennemis si ses anciens adeptes
deviennent ses pires contempteurs !
Personne n’a mieux résumé les failles du totem macroniste « en même
temps » mises en lumière par Agnès Buzyn que l’ex-directeur de la
rédaction de Libération Laurent Joffrin : « Après le dégagisme, le post-
dégagisme. La politique est aussi un métier qui exige une maîtrise hors du
commun. Certains éloges de l’amateurisme, certaines apologies de la
nouveauté et de la mise au rencart de l’expérience ne sont décidément plus
de saison », écrivait-il le 18 mars 2020.
Dans le « nouveau monde » comme dans l’ancien, quand tout part à vau-
l’eau, l’Élysée incrimine le Premier ministre. Cela n’a pas manqué dans
cette crise, durant laquelle le Président n’a pas épargné son chef du
gouvernement, sachant pertinemment qu’un tel caractère n’allait pas quitter
le navire malgré les provocations voire les humiliations.
Quand on connaît bien la Normandie et la Seine-Maritime, on ne peut
résumer le caractère d’Édouard Philippe à celui d’un conseiller d’État,
Premier ministre « techno » doté de peu de sens politique ! Il faut me croire,
être rouennais de naissance et d’éducation, puis devenir député-maire du
Havre représente un exploit électoral unique, tant la rivalité entre ces deux
grandes cités s’inscrit dans l’Histoire et demeure.
Plus profondément, ses qualités humaines lui ont permis de se faire
apprécier de personnalités telles qu’Alain Juppé ou Antoine Rufenacht, son
prédécesseur au Havre, mais aussi d’élus de gauche comme Bernard
Cazeneuve, son presque voisin de Cherbourg, dans la Manche, ou Jérôme
Guedj, qui fut l’un des frondeurs les plus séduisants et les plus habiles
durant la présidence de François Hollande.
Chacun reconnaît à Édouard Philippe son sens de l’humour, des
responsabilités, ainsi qu’une fidélité et une loyauté hors pair. Mais ce qui le
distingue le plus nettement des autres personnages politiques qui exercent
des responsabilités de très haut niveau, c’est la séparation absolue qu’il
maintient entre sa vie publique et sa vie privée. À l’inverse du Président, il
n’a jamais ouvert les portes de son intimité aux médias, même en période
électorale. Je connais son épouse Édith depuis longtemps. Elle était
l’adjointe du directeur de Sciences Po Richard Descoings quand celui-ci
m’a demandé, au milieu des années 2000, de créer dans son institution une
école de droit et de politique internationale. Sa soif de discrétion, déjà
perceptible à l’époque, ne s’est pas démentie tant que son mari était à
Matignon, où elle se rendait très peu. Alors que je suis ambassadeur à
Londres, fin 2017, j’apprends que le Premier ministre, son épouse et leurs
enfants s’y rendent pour une circonstance familiale. Je propose évidemment
qu’ils viennent habiter à la Résidence de France, comme c’est l’usage. La
famille Philippe m’en a remercié mais a préféré séjourner dans un
appartement réservé par ses soins et payé par ses deniers… Des principes
e
que tout le monde ne respecte pas avec les mêmes scrupules sous la V
République.
Emmanuel a choisi en 2017 cet inconnu comme Premier ministre.
Édouard Philippe n’est pourtant pas le premier à le rallier à droite. Bruno Le
Maire et François Bayrou l’ont rejoint publiquement bien plus tôt. Mais le
nouveau Président se méfie du premier, dont les ambitions sont
transparentes. Il considère que le second, déjà ministre dans le
gouvernement d’Édouard Balladur, entre 1993 et 1995, trois fois candidat à
la présidentielle, risque de donner au pays une impression de déjà-vu.
Xavier Bertrand, autre très bon choix, aurait peut-être répondu présent s’il
avait été appelé par le chef de l’État en personne, et non par son
collaborateur, Alexis Kohler, ce qui est vexant.
Il est certain que la faible notoriété d’Édouard Philippe en 2017 joua en
sa faveur, car Emmanuel Macron, en vrai Jupiter, ne souhaitait pas qu’on lui
fasse de l’ombre. Mais l’harmonie n’a jamais vraiment été au rendez-vous.
Avant la crise des Gilets jaunes, leurs rencontres en tête à tête étaient loin
d’être aussi régulières et informelles que celles que d’autres Présidents
pouvaient avoir avec leurs Premiers ministres. Il est certain aussi que la
première mesure défendue personnellement par Édouard Philippe fut la
limitation à 80 km/heure de la vitesse sur toutes les routes de France. Loin
de renforcer la popularité de l’exécutif, cet oukase braqua de nombreux
Français, notamment dans les territoires où l’usage de la voiture est
incontournable. Le Président Macron s’empressa d’ailleurs de prendre ses
distances et de faire savoir qu’il n’était en rien à l’origine de cette mesure
très, trop rigoureuse !
Mais à la suite de différentes crises d’inégale ampleur, Gilets jaunes,
réforme des retraites, coronavirus, l’ancien maire du Havre est devenu de
plus en plus présent. Dans la crise sanitaire inédite qui a secoué le monde en
général et la France en particulier, reconnaissons à Édouard Philippe d’avoir
toujours été le plus concret, n’hésitant pas à détailler le plan sanitaire dans
ses différentes étapes. Cela n’est pas allé sans frictions avec le Président,
notamment à propos du premier tour des élections municipales.
En 2020, la popularité du Premier ministre aura, sur la durée, dépassé
sensiblement celle du Président. Une fâcheuse performance, qui explique au
moins en partie son départ de Matignon !
De fait, sur la réforme des retraites, il a fallu attendre la déclaration
d’Édouard Philippe en décembre 2019 pour savoir où nous en étions. Il a
géré personnellement les relations avec les partenaires sociaux, n’ayant pas,
en dépit des apparences, de si mauvaises relations avec le secrétaire général
de la CGT (« Au moins, avec Martinez, c’est clair » est une phrase que l’on
entend souvent dans la bouche de ses proches, plus embarrassés par les
subtilités de la « deuxième gauche » qu’incarne par exemple le secrétaire
général de la CFDT Laurent Berger).
Dans la crise, le Président davantage que le Premier ministre est apparu
responsable des couacs gouvernementaux et de l’incompréhension des
Français sur la nature et l’agenda des mesures prises. Le manque
d’expérience en matière de procédures ou de coordination administrative
leur a nui. C’est le paradoxe de Macron : grâce à lui, l’administration
française a réalisé son rêve, gouverner elle-même le pays sans prendre la
peine de mettre en application les longs discours politiques, parfois
hermétiques, du chef de l’État. À Bercy, le Trésor, l’agence de la dette, les
administrations financières s’alignent avec délices sur les positions de la
noblesse de robe économique, financière et sanitaire. La Place Beauvau et
le ministère des Armées s’empressent de faire de même.
Les hauts fonctionnaires sont tellement livrés à eux-mêmes que le préfet
de police de Paris, Didier Lallement, peut proférer les pires énormités sans
être relevé de ses fonctions. Vendredi 3 avril 2020, au premier jour des
vacances de Pâques, cet ancien disciple de Jean-Pierre Chevènement
reconverti dans le tout-sécuritaire veille en personne aux contrôles des
forces de l’ordre pour verrouiller les sorties de la capitale vers la province.
Il s’essaie à la pédagogie : « Ceux qui sont aujourd’hui hospitalisés, ceux
qu’on trouve dans les réanimations, ce sont ceux qui au départ du
confinement ne l’ont pas respecté. » Sur le fond, c’est une ânerie. Compte
tenu de la durée d’incubation de la maladie et du délai au bout duquel l’état
des patients s’aggrave, la plupart de ceux qui se trouvent en réanimation, ce
3 avril, ont été infectés avant le début du confinement, le 17 février. Sur la
forme, ce parallèle est une faute grave de communication. En cette période
où les PV pleuvent plus vite que les masques, un peu d’humilité serait de
rigueur. Mais rien ne se passe. Le préfet de police est tout juste prié de
s’excuser publiquement. Il conserve son poste. En 1940, le général Gamelin
défendait sa ligne Maginot avec le succès que l’on sait. En 2020, ses
lointains successeurs peuvent s’en prendre aux soignants qui ont contracté
le virus dans l’exercice de leurs fonctions sans prendre la porte !
« Nous sommes en guerre », nous dit-on, alors que nous sommes
consignés chez nous, mais on cherche le général en chef, celui qui dit
beaucoup en très peu de mots. Veni vidi vici. Sans remonter à César,
souvenons-nous du Général qui, en quelques phrases, moins de trois
minutes, pulvérise un coup d’État en Algérie, et plus tard, le psychodrame
chaotique d’un long mois de mai. Une phrase, un acte. Pas un mot de trop,
et chaque mot à sa place. Comme la reine d’Angleterre, quatre minutes.
Imperatoria brevitas. Autorité et brièveté sont synonymes. Or, les discours
du Président se sont, au fil du temps, transformés en fourre-tout de
généralités, voire de distanciation à l’égard des Français. « Pendant les
vacances, cultivez-vous, lisez, au lieu de voyager. » Durant quinze jours,
son principal centre d’intérêt tournait apparemment autour de l’installation
d’un camp militaire d’urgence à Colmar pour vingt malades (alors que
beaucoup étaient traités en Allemagne). Il trouvait, comme la ministre des
Armées, que cette installation en trois semaines relevait d’un exploit
phénoménal ! Un historien mettra demain en regard la dilution de la
puissance publique, sur un demi-siècle, et le délayage des allocutions
officielles. « Moins ça peut, plus ça cause », écrit Régis Debray dans un
texte publié par Gallimard en plein cœur de l’épidémie 1.
Reconnaissons qu’Édouard Philippe fut toujours plus concret
qu’Emmanuel Macron, n’hésitant pas à détailler le plan sanitaire et à
préciser dans le temps les modalités du déconfinement. Il dut, en plus, gérer
les désaccords avec le Président, qui ne semblait pas apprécier qu’au fil des
semaines son Premier ministre inspire davantage confiance que lui. Il lui a
d’ailleurs in fine fait payer cette situation en le remplaçant par un autre haut
fonctionnaire : mais Jean Castex a le triple avantage d’avoir été sarkozyste,
d’avoir l’accent du Sud-Ouest et d’appartenir à ces réseaux puissants que
j’ai si souvent croisés…
C’était la guerre, donc, comme les plus hautes autorités de l’État nous en
avaient prévenus. Mais hélas nous partions sans munitions pour les troupes.
En me risquant à l’humour marseillais, je dirais qu’il n’encaquait plus que
Pierre Mondy, Jean Lefebvre et Aldo Maccione au gouvernement pour
e
savoir où était passée la « 7 Compagnie 2 », celle des masques, des tests et
des respirateurs !
Notes
1. Régis Debray, Le Dire et le Faire, Gallimard, « Tract de », no 44, 11 avril 2020.
2. Trilogie de films français de Robert Lamoureux, sortis en 1973, 1975 et 1977, sur la déroute de
1940.
23
Notes
1. Nous n’avons jamais vu dans l’Histoire de création monétaire massive ne pas être réduite, que
ce soit par des autorités nationales, européennes, ou par les marchés, dans une période de deux à trois
ans.
2. Interview au Figaro, 8 avril 2020.
24
La tyrannie administrative
Note
1. Pourtant devenue une école de référence internationale comme j’ai pu l’observer au Royaume-
Uni.
25
Silence, je démissionne !
Notes
1. Major de la promotion de l’ENA « Liberté, Égalité, Fraternité », Nicolas Théry est devenu en
2016 président de la confédération nationale du Crédit mutuel.
2. Major de la promotion « Denis Diderot » de l’ENA, Frédéric Lavenir a quitté en 2018 la
direction générale de CNP Assurances et préside l’Association pour le droit à l’initiative
économique.
26
Note
1. La formule revient à Jean-Maurice Ripert.
27
L’Élysée crépusculaire
Notes
1. Voir la Lettre de l’Expansion du 8 juin 2020.
2. Cet arrêté sera annulé par le Conseil d’État en janvier 2018.
28
Ici Londres !
Notes
1. Élus sous l’étiquette du DUP, Democratic Unionist Party.
2. Partisans de la sortie de l’Union européenne, conformément au résultat du référendum de 2016.
3. Avocats du maintien dans l’Union européenne ou de l’organisation d’un second référendum.
4. Parmi lesquelles l’organisation d’élections anticipées qui lui ont fait perdre sa majorité à la
Chambre des communes.
Conclusion
Comme nous, l’État vieillit. Mais peut-être, à notre insu, vieillit-il plus
vite que nous. C’est une leçon apprise par la crise du coronavirus. La
puissance publique qui, dans les démocraties occidentales, apparaissait
comme un atout et qui pour certains observateurs étrangers résumait la
France s’est montrée affaiblie.
Au nom du libéralisme, leur nouvelle religion, les dirigeants politiques
avaient voulu réduire très fortement le périmètre de l’État en France,
essentiellement au profit du secteur privé. Il suffit de relire les programmes
présidentiels de François Fillon et d’Emmanuel Macron pour se le rappeler.
Mais pour quel dessein ? Ne convient-il pas de réfléchir d’abord à un
paradoxe tenace ? L’État, en France, ne sait pas ou ne sait plus faire face à
une crise malgré un taux de dépenses publiques et de prélèvements fiscaux
de plus de 55 % du PIB, un des plus élevés d’Europe. Il a fallu une
épidémie ravageuse pour découvrir que l’administration de la santé, par
exemple, qui apparaissait jusqu’alors comme exemplaire, n’était tout
simplement pas gérée. L’art de l’exécution jacobine s’est perdu dans les
méandres des réformes à moitié faites, des lourdeurs et des rivalités
administratives jamais corrigées. François Bayrou, qui n’est pas connu
comme un farouche opposant au pouvoir actuel, a fort bien résumé la
situation : « Si on avait attendu l’État pour avoir des masques, on n’en
aurait pas aujourd’hui 1. »
Dans le même temps, les élus locaux et les collectivités territoriales, qui
n’étaient plus considérés, ont fait montre d’une agilité qui devrait inciter les
cabinets ministériels et les directions d’administration centrale à la
modestie.
Le haut fonctionnaire que je suis n’aurait jamais imaginé que l’État était
vermoulu à ce point. Il apparaissait pérenne, indestructible. Il a pourtant
suffi de quelques coups de pioche dans un mur pour faire s’écrouler ce
colosse aux pieds d’argile.
La France est souvent comparée, à juste titre, à une monarchie
républicaine. Mais au moins l’associait-on jusqu’alors au règne de
Louis XIV. Désormais, c’est celui de Louis XVI qui vient à l’esprit.
Le jacobinisme semble terriblement démodé. En l’espace de vingt ans, le
fédéralisme allemand nous a dépassés et l’écart risque de se creuser
davantage. Il faut en tirer les leçons, vite et fort, pour une décentralisation
qui ne soit pas seulement cosmétique.
Car la situation actuelle est absurde : entre une multiplicité de ministres
totalement inconnus, une rupture structurelle entre les politiques et les
fonctionnaires, un éloignement croissant entre administrations et une
dissociation désormais visible entre le temps politique et le calendrier
administratif, la France est au bord de l’éclatement.
L’État doit savoir s’adapter aux contraintes du quinquennat, si le
politique se montre incapable de proposer un autre calendrier. Cela impose
une plus grande réactivité administrative. Ce fut encore le cas durant
l’épidémie pour l’adoption d’un taux de TVA à 5,5 % sur tous les
équipements de protection. Si un arrêté a bien été publié au Journal officiel
dans un délai raisonnable pour les masques et les gels, les utilisateurs
attendaient toujours mi-juin celui qui concernait les blouses et les gants.
On a voulu, en quelque sorte, construire le « nouveau monde » avec une
monarchie d’Ancien Régime. Il ne s’agit pas de condamner l’État, mais au
contraire de souligner l’urgence qu’il y a à le réformer… pour le sauver.
Comme on aime une famille, de ses grands-parents à ses petits-enfants,
malgré leurs défauts et leurs insuffisances, j’aime cet État. J’ai adoré
consacrer ma vie à l’intérêt général, ma curiosité à la politique. J’y ai noué
des amitiés indéfectibles, vécu des confrontations et des débats
passionnants. J’ai pu aussi dialoguer avec mes concitoyens de toutes
conditions, le plus souvent en Normandie ou à Paris, mais aussi sur tous nos
territoires, de Crozon à Hendaye, de Lille à Toulon, en passant par l’Alsace
et le Massif central, un grand Tour de France, riche en responsabilités
variées et passionnantes. Loin d’être une rente, comme d’aucuns le
prétendent, le service public demeure une formidable aventure au service de
la France… de ma France !
Note
1. Sur BFMTV, le 24 mai 2020.
Remerciements
Ma gratitude va d’abord à ma femme Brigitte qui, depuis longtemps, a deviné que toutes ces notes
accumulées au fil des ans déboucheraient un jour sur un livre. Projet qu’elle a eu la générosité
d’encourager à sa façon, c’est-à-dire en augmentant le niveau de jeu – comme disent les footballeurs
– tout en me mettant suffisamment en garde contre le côté excessivement spontané de mon caractère.
Aucun mot ne rendra justice à son intelligence, je veux dire à son courage et à son intelligence de la
vie. Tout est dit et le reste ne regarde que nous.
Celui que j’appelle, dans le livre, François, c’est bien sûr François Hollande, que je connais depuis
quarante-trois ans et dont la personnalité exceptionnelle lui a ouvert les portes de l’Élysée. Nos liens
d’amitié sont très étroits et nous avons beaucoup plus en commun que l’amour du foot, nous
partageons l’amour de la vie. Habités lui et moi par la mélancolie, le rire, la tendresse, notre affection
a dépassé nos divergences d’idées. Il ne sera pas toujours d’accord avec ce que j’ai écrit, mais il ne
s’en formalisera pas. Une force pour lui, une chance pour moi.
Pour qu’une telle aventure éditoriale soit une réussite, il est nécessaire de s’appuyer sur un
personnage que le grand public connaît peu : l’éditeur. Alexandre Wickham a rempli ce rôle chez
Albin Michel avec conviction, je dirais volontiers avec talent, si son caractère superstitieux ne m’en
empêchait. Toujours est-il que du début à la fin de cette traversée au long cours il a été là, énergique,
enthousiaste, avec ce qu’il faut de mauvais esprit. Son nom s’était donc imposé dès le début pour
m’accompagner dans ce qui pour moi est à la fois un accomplissement et un défi. Qu’il en soit aussi
remercié comme il le mérite.
J’ai aussi une amicale pensée pour mon ami Alexandre Bompard, le meilleur d’entre nous, dont je
n’oublie pas la fidélité constante tant à Roger Federer qu’à mon égard !
Je remercie les responsables qui ont fait ce qu’on pourrait appeler mon éducation politique. Je
songe particulièrement à ce titre à Roger Fauroux, l’ancien ministre, qui m’a donné le goût de
l’industrie et de l’Europe. Et je pense aussi avec beaucoup d’affection à Bernard Cazeneuve, avocat,
ancien ministre de l’Intérieur et ancien Premier ministre.
J’ai une pensée très chère pour notre regretté Henri Weber qui, avec humour et discernement, sut si
bien décrire dans son dernier essai le macronisme.
Je tiens bien sûr à remercier mes assistantes, collaborateurs(trices) qui m’ont accompagné dans les
postes les plus difficiles tout en m’éclairant souvent de leurs avis.
Enfin, ce livre doit beaucoup à une journaliste réputée, digne de confiance, Sophie Coignard, par
ailleurs chroniqueuse et auteure elle-même de nombreux ouvrages à succès. Elle m’a aidé à mettre de
l’ordre dans ces fameux carnets presque illisibles que j’avais au fil des ans dispersés dans la maison.
Mieux encore, elle m’a poussé à m’interroger sur le sens de ce que j’avais écrit, dans le but de toute
cette entreprise. En m’écoutant, en m’incitant à clarifier ma pensée, mes pensées, parfois mes arrière-
pensées, elle a contribué à faire exister ce livre qui se cachait au milieu de toute cette documentation
classée de manière anarchique, si j’ose dire, une de mes spécialités d’ailleurs.
Que ma famille soit louée pour sa patience, même si, comme le sait très bien mon ami Sébastien
Lecornu, je suis moins politique que mon frère Michel et mon père.
Index
Alexandre, Philippe 1 2
Allègre, Claude 1 2 3 4
Amade, Louis 1
André, Antonin 1
Angot, Christine 1
Aragon, Louis 1
Araud, Gérard 1
Arditi, Pierre 1
Armand, Loïc 1 2
Arnault, Bernard 1 2 3 4 5 6 7 8
Arthuis, Jean 1
Assaf, Samir 1 2
Attal, Gabriel 1
Attali, Jacques 1 2 3
Attias, Cécilia 1 2 3 4 5
Aubry, Martine 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
32 33
Augier, Jean-Jacques 1 2
Aurillac, Michel 1
Auriol, Vincent 1 2
Axionov, Vassili 1
Ayrault, Jean-Marc 1 2 3 4 5
Bachelot, Roselyne 1 2
Bailly, Maud 1
Bajolet, Bernard 1 2
Balladur, Édouard 1 2 3 4 5
Barbara 1
Barnier, Michel 1
Baroin, François 1
Barrot, Jacques 1 2
Bas, Philippe 1
Bassères, Jean 1
Batho, Delphine 1
Bauer, Alain 1
Baylet, Jean-Michel 1
Bayrou, François 1 2 3 4
Beaufret, Jean-Pascal 1 2 3 4
Bébéar, Claude 1
Bécaud, Gilbert 1 2
Bédague, Véronique 1 2 3 4
Beffa, Jean-Louis 1 2
Beigbeder, Jean-Michel 1
Bellucci, Monica 1
Ben Ali, Zine el-Abidine 1
Benalla, Alexandre 1 2 3
Benassayag, Maurice 1
Bérard, Marguerite 1 2 3 4
Bérard, Marie-Hélène 1
Bercoff, André 1 2
Bérégovoy, Pierre 1 2 3 4
Berger, Laurent 1
Berléand, François 1
Berlusconi, Silvio 1
Bertrand, Xavier 1 2 3 4 5 6
Besson, Éric 1
Bianco, Jean-Louis 1
Bio-Farina, Éric 1
Blayau, Pierre 1 2 3 4 5 6
Bloch-Lainé, François 1
Bolloré, Vincent 1 2 3 4
Bompard, Alexandre 1 2 3 4 5 6
Bonnet, Bernard 1
Boone, Laurence 1
Borloo, Jean-Louis 1
Borne, Élisabeth 1 2
Boutin, Christine 1
Bouton, Daniel 1
Bouygues, Martin 1 2 3 4 5 6 7
Bredin, Frédérique 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Breton, Thierry 1 2 3 4
Brimo, Nicolas 1
Brown, Gordon 1
Bruni, Carla 1
Burelle, Laurent 1
Bush, George W. 1
Bussereau, Dominique 1
Buzyn, Agnès 1 2 3 4 5
Cabrel, Francis 1
Cahuzac, Jérôme 1 2 3 4
Caillaux, Joseph 1 2
Calonne, Charles-Alexandre de 1
Calvar, Patrick 1
Camus, Albert 1
Capuçon, Renaud 1
Cardinale, Claudia 1 2
Careil, Patrick 1
Castries, Henri de 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Caton, voir Bercoff, André 1 2
Cazenave, Thomas 1
Cazeneuve, Bernard 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Chaban-Delmas, Jacques 1 2
Chabre, Édith 1
Charasse, Michel 1
Chatel, Luc 1 2
Chazal, Claire 1
Chertok, Grégoire 1 2
Chevènement, Jean-Pierre 1 2 3 4 5 6 7
Chevigné, Pierre de 1
Chirac, Bernadette 1 2 3 4
Chirac, Claude 1
Chirac, Jacques 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
32 33 34 35 36 37 38
Christnacht, Alain 1
Chtchoukine, Sergueï 1
Churchill, Winston 1
Ciotti, Éric 1
Clerc, Julien 1 2
Cluzet, François 1
Colas, Antoine 1
Colbert, Stephen 1 2
Colette 1
Collomb, Gérard 1 2
Colombani, Jean-Marie 1
Coluche 1 2 3
Copé, Jean-François 1 2 3 4
Corbyn, Jeremy 1
Coste, Olivier 1
Cottin, Bernard 1 2 3 4 5 6
Coty, René 1
Cresson, Édith 1 2 3
Cunéo, Pierre 1
Darcos, Laure 1 2
Darcos, Xavier 1 2
Darmanin, Gérald 1 2 3 4 5 6
Dati, Rachida 1 2 3 4
Dati, Zohra 1
Davet, Gérard 1 2 3 4 5 6 7
Debray, Régis 1 2
Delanoë, Bertrand 1
Delanoë, Pierre 1
Delevoye, Jean-Paul 1
Delors, Jacques 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
Delpech, Michel 1
Deneuve, Catherine 1
Depardieu, Gérard 1
Deschamps, Eustache 1
Descoings, Richard 1
Destans, Jean-Louis 1
Dethomas, Bruno 1
Djokovic, Novak 1
Dostoïevski, Fiodor 1
Drahi, Patrick 1 2 3
Dray, Julien 1 2 3 4
Dufoix, Georgina 1
Dufourcq, Nicolas 1 2
Duhamel, Nicolas 1 2
Duquesne, Pierre 1
Durand, Claude 1
Dussopt, Olivier 1
Eckert, Christian 1 2
El Assad, Bachar 1
Élisabeth II d’Angleterre 1 2 3
Elkabbach, Jean-Pierre 1
El Khomri, Myriam 1 2 3
Elkrief, Ruth 1 2
Emmanuelli, Henri 1 2 3 4 5 6
Érignac, Claude 1
Estrosi, Christian 1 2 3
Fabius, Laurent 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
32
Falorni, Olivier 1 2
Fau, Michel 1 2
Fauroux, Roger 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Federer, Roger 1
Feltesse, Vincent 1 2 3 4
Fernandez, Ramon 1 2 3
Ferracci, Marc 1
Ferrat, Jean 1
Filippetti, Aurélie 1 2
Filippi, Charles-Henri 1 2 3 4 5 6
Fillon, François 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
32 33 34
Fillon, Penelope 1
Fouché, Joseph 1
Fouks, Stéphane 1
Fourquet, Jérôme 1
François, pape 1
François, Sylvie 1
Frère, Albert 1
Frot, Catherine 1
Gaillard, Jean-Michel 1
Gall, Hugues 1
Gallienne, Guillaume 1 2 3 4
Gallo, Max 1
Gandois, Jean 1 2 3
Gantzer, Gaspard 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Gaulle, Charles de 1 2 3 4 5
Gayet, Julie 1 2 3 4 5 6 7 8
Gehry, Frank 1
Giesbert, Franz-Olivier 1 2
Girier, Jean-Marie 1
Giscard d’Estaing, Valéry 1 2
Glavany, Jean 1 2
Goldman, Jean-Jacques 1
Gosset-Grainville, Antoine 1 2 3
Grangeon, Philippe 1 2 3 4 5 6
Grapinet, Gilles 1
Gravoin, Anne 1
Griveaux, Benjamin 1 2
Guéant, Claude 1 2 3 4 5
Guedj, Jérôme 1
Guigou, Élisabeth 1
Guillaume, Didier 1
Guillaume, Marc 1
Hallyday, Johnny 1
Hamon, Benoît 1 2 3 4 5 6 7
Hariri, Rafic 1 2 3
Hariri, Saad 1
Hermelin, Paul 1
Hirsch, Martin 1 2 3
Holder, Françoise 1
Hollande, François 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62
63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94
95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119
120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142
143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165
166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188
189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211
212 213 214 215
Hollande, Thomas 1
Horel, Colette 1 2
Houellebecq, Michel 1
Hubac, Sylvie 1 2 3 4 5 6 7
Hugues, Jean-Pierre 1
Hulot, Nicolas 1 2
Iannetta, Nathalie 1
Janaillac, Jean-Marc 1
Jean-Ortiz, Paul 1
Joffrin, Laurent 1 2 3 4 5 6
Joffrin, Sylvie 1 2 3
Johnson, Boris 1 2 3 4 5
Jospin, Lionel 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43
Jouyet, Jérôme 1 2
Jouyet, Michel 1
JR 1
Jugnot, Gérard 1
Juncker, Jean-Claude 1 2
Juppé, Alain 1 2 3 4 5
Karoutchi, Roger 1
Keïta, Stéphane 1 2 3
Kessler, David 1 2
Kessler, Denis 1
Kocher, Isabelle 1
Kohler, Alexis 1 2 3
Korsia, Haïm 1
Kosciusko-Morizet, Nathalie 1
Kouachi, frères 1
Kouchner, Bernard 1 2 3 4 5 6 7 8
La Chapelle-Bizot, Benoît de 1
Ladreit de Lacharrière, Marc 1 2
Lagarde, Christine 1 2 3 4 5
Lagardère, Arnaud 1
Lagayette, Philippe 1
Laine, Mathieu 1
Lallement, Didier 1
Lambert, Jean-Michel 1
Lambert, Thierry 1
Lamdaoui, Faouzi 1
Lamy, Pascal 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Lang, Jack 1 2 3 4 5
Lapix, Anne-Sophie 1
Lataste, Thierry 1 2
Lauvergeon, Anne 1
Lavenir, Frédéric 1 2
Law, John 1
Lecanuet, Jean 1
Lecornu, Sébastien 1 2 3 4 5 6
Le Drian, Jean-Yves 1 2 3 4 5 6 7
Lefebvre, Jean 1
Le Foll, Stéphane 1 2
Le Forestier, Maxime 1
Legrand, Michel 1 2
Lemaire, Axelle 1
Le Maire, Bruno 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Lemas, Pierre-René 1 2 3 4 5 6 7
Lemierre, Jean 1 2 3 4 5
Lemoine, Frédéric 1
Le Pen, famille 1
Le Pen, Marine 1 2
Le Roux, Bruno 1
Lévy, Maurice 1
Lewandowski, Dominique 1 2
Leyen, Ursula von der 1
Lhomme, Fabrice 1 2 3 4 5 6 7
Lindon, Vincent 1
Lion, Robert 1
Longuet, Gérard 1
Loubet, Émile 1
Louis, Émile 1
Louis XIV 1
Louis XVI 1
Luchini, Fabrice 1 2
Lyon-Caen, Antoine 1 2
Lyon-Caen, Olivier 1 2 3 4 5 6
Maccione, Aldo 1
Macron, Brigitte 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
Macron, Emmanuel 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29
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94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107
Madoff, Bernard 1 2
Mailhot, Jacques 1
Malleray, Pierre-Alain de 1
Malraux, André 1
Marcel, Dominique 1 2 3
Margerie, Christophe de 1 2 3 4
Margerie, Diane de 1
Margerie, Sophie-Caroline de 1
Martinez, Philippe 1
Martinon, David 1
Mauroy, Pierre 1 2 3
May, Theresa 1 2 3 4
Mayer, Francis 1
Méaux, Anne 1
Mélenchon, Jean-Luc 1
Mer, Francis 1 2 3 4 5 6
Merah, Mohammed 1
Merkel, Angela 1 2 3 4
Mermaz, Louis 1
Mestrallet, Gérard 1
Mexandeau, Louis 1
Michel, Louise 1
Migaud, Didier 1 2
Mignard, Jean-Pierre 1
Minc, Alain 1 2 3 4 5 6 7 8
Mion, Frédéric 1
Mitterrand, François 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
Monchalin, Amélie de 1
Mondy, Pierre 1
Monet, Claude 1 2
Monnet, Jean 1
Montebourg, Arnaud 1 2 3 4 5 6 7
Morelle, Aquilino 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Morin, Hervé 1 2
Moscovici, Pierre 1 2
Moulin, Emmanuel 1 2 3
Mouskouri, Nana 1
Moussa, Pierre 1
Musca, Xavier 1 2 3 4 5
Naouri, Jean-Charles 1 2
Necker, Jacques 1
Nicolas, Jean-Baptiste 1 2
Normand, Thibaud 1
Notat, Nicole 1
Obama, Barack 1
Obama, Michelle 1
Pannier-Runacher, Agnès 1 2
Papon, Maurice 1
Parent, Bruno 1 2 3
Parly, Florence 1 2 3 4 5 6 7 8
Pasqua, Charles 1
Pébereau, Michel 1 2 3 4 5 6 7
Pécresse, Valérie 1 2
Pégard, Catherine 1 2 3 4
Pellerin, Fleur 1
Pépy, Guillaume 1
Pernot, Louis 1
Pérol, François 1 2 3 4
Peyrefitte, Alain 1
Philippe, d’Édimbourg 1
Philippe, Édouard 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Philippot, Florian 1
Pierret, Christian 1
Pinault, François 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Pinault, Maryvonne 1
Pinel, Sylvia 1
Pistre, Robert 1 2
Placé, Jean-Vincent 1
Podalydès, Denis 1 2
Poivre d’Arvor, Patrick 1
Pompidou, Georges 1 2 3 4 5
Poutine, Vladimir 1 2
Pouyanné, Patrick 1
Prot, Baudouin 1
Proto, Sébastien 1 2 3 4
Quatrehomme, Sophie 1 2 3
Raffarin, Jean-Pierre 1 2 3 4 5
Rebsamen, François 1
Renaud, Line 1
Revel, Nicolas 1 2 3 4
Reynaert, François 1
Richard, Alain 1
Richard, Évelyne 1
Richard, Stéphane 1
Riester, Franck 1
Ripert, Claudine 1
Ripert, Jean-Maurice 1 2 3 4 5 6 7
Rissouli, Karim 1
Rocard, Michel 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Roger, Bruno 1 2
Romanet, Antoine de 1
Romanet, Augustin de 1 2 3
Rothschild, David de 1 2 3 4 5 6 7
Rothschild, Guy de 1
Rousseau, Aurélien 1
Rousseau, Jean-Jacques 1
Roux, Caroline 1
Royal, Ségolène 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
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Rufenacht, Antoine 1
Rufo, Alice 1
Salomon, Jérôme 1 2
Salvador, Henri 1
Sapin, Michel 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Sarkozy, Cécilia, voir Attias, Cécilia 1 2
Sarkozy, Nicolas 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62
63 64 65 66 67 68 69 70
Savary, Gilles 1
Schrameck, Olivier 1 2 3 4 5 6
Schweitzer, Louis 1
Simenon, Georges 1
Sinclair, Anne 1 2 3 4
Solly, Laurent 1 2
Soulages, Pierre 1
Spencer, Diana 1
Spitz, Bernard 1
Stendhal 1
Strauss-Kahn, Dominique 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25
Taittinger-Jouyet, Brigitte 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
Tapie, Bernard 1 2 3
Taubira, Christiane 1 2 3
Tessier, Xavier 1
Théry, Nicolas 1 2
Thiriez, Frédéric 1
Thomas, Patrick 1
Tibéri, Jean 1
Tibéri, Xavière 1
Tissier, Marie-Solange 1
Tolstoï, Léon 1
Tomasini, René 1
Touraine, Marisol 1
Trichet, Jean-Claude 1 2
Trierweiler, Valérie 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Trump, Donald 1 2 3
Tsipras, Alexis 1 2
Tynianov, Iouri 1
Vallaud, Boris 1 2
Vallaud-Belkacem, Najat 1 2 3
Valls, Manuel 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
Valter, Clotilde 1 2
Van Rompuy, Herman 1
Varda, Agnès 1
Vartan, Sylvie 1 2
Védrine, Hubert 1 2 3 4
Veil, Jean 1
Véran, Olivier 1
Vestager, Margrethe 1
Vial, Martin 1
Vicherat, Mathias 1
Vidalies, Alain 1
Villemin, Grégory 1
Villepin, Dominique de 1 2 3 4 5
Villeroy de Galhau, François 1 2 3 4 5 6 7 8
Voltaire 1 2 3 4 5 6 7
Wahl, Philippe 1
Warren, Bérénice de 1
Wauquiez, Laurent 1 2
Weinberg, Serge 1 2 3
Woerth, Éric 1
Yade, Rama 1 2
Zarader, Robert 1 2
Zimet, Joseph 1