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Études de communication

langages, information, médiations


35 | 2010
Pratiques informationnelles : Questions de modèles et
de méthodes

De la recherche de l’information aux pratiques


informationnelles
From Information Seeking to Information Practices

Stéphane Chaudiron et Madjid Ihadjadene

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/edc/2257
DOI : 10.4000/edc.2257
ISSN : 2101-0366

Éditeur
Université de Lille

Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2010
Pagination : 13-30
ISBN : 978-2-917562-04-8
ISSN : 1270-6841

Référence électronique
Stéphane Chaudiron et Madjid Ihadjadene, « De la recherche de l’information aux pratiques
informationnelles », Études de communication [En ligne], 35 | 2010, mis en ligne le 01 décembre 2012,
consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/edc/2257 ; DOI : https://doi.org/
10.4000/edc.2257

Ce document a été généré automatiquement le 10 décembre 2020.

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De la recherche de l’information aux pratiques informationnelles 1

De la recherche de l’information aux


pratiques informationnelles
From Information Seeking to Information Practices

Stéphane Chaudiron et Madjid Ihadjadene

1 La question des pratiques informationnelles est à la confluence de questionnements


scientifiques dont les origines sont multiples. Cette question s’inscrit d’abord dans
l’évolution des modalités d’analyse des dispositifs d’accès à l’information ; d’abord
centrées sur l’aspect technique des dispositifs, les analyses se sont ensuite
progressivement intéressées à la manière dont ils étaient effectivement utilisés. Elle
s’inscrit ensuite dans l’évolution et des méthodes utilisés pour étudier ces usages, issues
de disciplines différentes et, au sein même des disciplines, de traditions épistémologiques
et culturelles différentes. Elle trouve son origine enfin dans les interrogations de nature
plus conceptuelle qui concernent en particulier les notions de « dispositif »,
d’« interaction », d’« usage », d’« appropriation » et bien sûr de « pratiques ».
2 L’analyse des dispositifs d’accès à l’information a longtemps été abordée à travers le
prisme du paradigme dit « système » (Ellis, 1992) dont les fondements sont empruntés
aux sciences physiques. Dans cette approche, l’information et les systèmes qui la gèrent y
sont présentés comme des éléments extérieurs à l’usager. Les premières études portant
sur les dispositifs d’accès à l’information et plus précisément sur les systèmes de
recherche d’information (SRI), datent des années 1950 et ont d’abord privilégié une
approche technique, essentiellement dans le cadre de campagnes d’évaluation
comparative (Chaudiron, 2001). Se démarquant progressivement de cette approche
techno-centrée, différentes courants, réunis sous le terme générique de paradigme
« usager », se sont ensuite attachés à étudier les « information behaviors » en prenant
progressivement en considération l’usager dans ses différentes dimensions, cognitive,
psychologique, affective voire communicationnelle. Plus récemment, l’émergence de ce
que A. Halavais nomme la « search engine society » (Halavais, 2009) a conduit un troisième
courant de recherches à intégrer dans son analyse le rôle de l’environnement
socioéconomique dans l’accès et la maîtrise de l’information, notamment les dimensions

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De la recherche de l’information aux pratiques informationnelles 2

linguistiques et culturelles, la question des inégalités face à l’information (en particulier


la fracture numérique), l’impact des stratégies de référencement ou la publicité en ligne...
3 Questionner les pratiques informationnelles nécessite d’étudier les modalités
d’inscription de ce concept dans les différentes champs disciplinaires qui en font usage,
au premier rang desquels les sciences de l’information (library and information science) et
les sciences de la communication (media and communication studies). Mais il s’agit
également d’intégrer dans la réflexion les mutations techniques des dispositifs de
production, de recherche, de partage et de diffusion de l’information qui induisent des
transformations organisationnelles en déplaçant par exemple les frontières
professionnelles dans le cycle du traitement de l’information. Plusieurs exemples
illustrent parfaitement ces mutations : l’émergence du data journalism place ainsi les
journalistes au cœur des fonctions documentaires avec la nécessité de maîtriser le Web
sémantique, la fouille de données (dataminig) ou la sémiologie visuelle. Un autre exemple
est celui du Web 2.0 et des réseaux sociaux (Facebook, Twitter...) qui remettent en cause
la fonction traditionnelle de gatekeeper du journaliste en donnant la possibilité aux
internautes d’être des producteurs et des éditeurs de contenu. Un dernier exemple
concerne l’évolution du métier de veilleur et plus particulièrement sa fonction de
diffusion de l’information ; bien que depuis longtemps intégrée dans la veille, cette
fonction évolue grâce aux nouveaux outils (Content management systems, réseaux sociaux,
agrégateurs de presse, logiciels de filtrage et d’analyse de contenu...) et amplifie ainsi le
rôle de médiation informationnelle.
4 Ces quelques exemples montrent que nous assistons à l’émergence d’un nouvel
écosystème informationnel qui décloisonne et modifie les pratiques informationnelles en
banalisant l’accès aux dispositifs de médiation, en réduisant la distance entre expert/
professionnel et novice/amateur, et en déplaçant les frontières professionnelles
traditionnelles.
5 Dans cet article, nous tentons de cerner le concept de « pratique informationnelle ».
Dans la première partie, nous essayons de le clarifier en le situant par rapport à d’autres
termes voisins tels que « usage et ‘comportement’ » ; puis, dans une deuxième partie,
nous essayons d’en montrer la genèse en le situant dans l’évolution des courants
scientifiques depuis la fin des années 1950. Enfin, dans la dernière partie, nous proposons
de renouveler les modèles informationnels à l’aide des apports des sciences de la
communication et nous concluons en nous interrogeant sur la pertinence du concept de
« pratique info-communicationnelle ».

De l’usage aux pratiques informationnelles :


essais de clarification conceptuelle
6 L’étude des dispositifs d’accès à l’information, et plus généralement des dispositifs
techniques de médiation de l’information, pose un problème terminologique et
conceptuel. Comme nous l’avons montré (Ihadjadene et Chaudiron, 2008), les chercheurs
s’intéressant à ces objets d’études utilisent une terminologie à la fois diverse et
polysémique. On constate ainsi que les termes tels que « utilisation », « usage »,
« recherche », « besoin », « pratiques » sont employés en références à des cadres
théoriques différents et correspondent à des réalités diverses. Ainsi, ces travaux, qui sont
très majoritairement d’origine nord-américaines, britanniques et, mais dans une moindre

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De la recherche de l’information aux pratiques informationnelles 3

mesure, scandinaves, peuvent être regroupés sous différents labels tels que les besoins
d’information et d’usage (information need), les usagers (users studies), les modalités d’accès
et d’usage de l’information (information seeking and use), les comportements
informationnels (information behavior ou human information behavior) et, plus récemment,
les pratiques informationnelles (information practices).
7 Un premier problème terminologique est la traduction en français de termes qui
s’inscrivent dans des espaces notionnels différents. Ainsi, en raison de la connotation
« behavioriste », beaucoup plus négativement marquée en français qu’en anglais, le
terme « information behavior » est fréquemment traduit par « pratiques
informationnelles ». Un ouvrage de l’ASIST (American society for information science and
technology) qui présente 72 modèles différents des « comportements » informationnels
n’hésite en effet pas à porter le titre de Theories of Information Behavior (Fischer, 2005). Ces
auteurs intègrent dans ce courant de recherche aussi bien les travaux sur les stratégies et
les tactiques de recherche d’information (information searching behavior) que sur les
modalités d’accès et d’usage de l’information (information seeking and use). Pour éviter de
recourir au terme « comportement informationnel », nous avons suggéré d’utiliser celui
de « pratiques informationnelles », mais dans une acception plus large, puisqu’il désigne
la manière dont un ensemble de dispositifs, de sources formelles ou non, d’outils, de
compétences cognitives sont effectivement mobilisés, par un individu ou un groupe
d’individus, dans les différentes situations de production, de recherche, d’organisation,
de traitement, d’usage, de partage et de communication de l’information. Nous englobons
dans ce terme de « pratique » aussi bien les comportements, les représentations que les
attitudes informationnelles de l’humain (individuel ou collectif) associés à ces situations
(Ihadjadene et Chaudiron, 2008). Cette acception intègre donc, mais excède, la définition
traditionnellement donnée à la notion de « information practice » dans le contexte de la
recherche d’information par des auteurs tels que Pamela McKenzie (2003) qui a élaboré
un modèle des pratiques informationnelles visant à rendre compte de la recherche
d’information « dans la vie de tous les jours » (everyday-life information seeking), ou Sanna
Talja et Preben Hansen qui la définissent comme les « practices of information seeking,
retrieval, filtering and synthesis » (Talja et Hansen, 2005, 113).
8 Sur le plan conceptuel, il convient également de distinguer les notions de « pratique » et
« usage ». Alors que le terme « utilisation » renvoie donc à la manière dont un
utilisateur particulier, dans sa singularité propre, découvre, appréhende et manipule un
dispositif (comme un moteur de recherche par exemple), la notion d’usage a un sens plus
large. Selon Philippe Breton et Serge Proulx (2006), il est employé dans une perspective
sociologique pour décrire le cadre social large qui englobe les interactions entre les
humains et les machines. Comme le précise Rémy Rieffel (2005), c’est au début des
années 1980 que les premiers travaux portant sur les usages « orientés-usager »
des TIC apparaissent. Les chercheurs parlent alors « d’usagers » et non
« d’utilisateurs ». On assiste ainsi à une modification de perspective et à un glissement de
cadre théorique dans la mesure où les travaux sur l’usager portent non plus sur la seule
dimension cognitive de l’interaction personne-système mais sur ses dimensions sociale et
symbolique. Comme le souligne Joëlle Le Marec (2001, 146), « le cumul des recherches
menées [...] a permis de dégager progressivement la notion d’usage de sa référence
implicite à la maîtrise du fonctionnement des objets techniques ».
9 Néanmoins, les usages ne peuvent pas être pensés indépendamment des interactions
entre des individus, socialement et cognitivement situés, et des dispositifs qui sont

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organisées dans le cadre d’un contrat de communication qui, tel un contrat de lecture,
fixe une série de règles a priori indiquant les possibles et les impossibles. En ce sens, les
usages sont envisagés comme l’expression d’un processus constitué d’interactions
complexes mettant en relation un individu et un dispositif qui peut être, ou non, un
artefact technique. Une caractéristique de la dimension d’usage est donc sa (relative)
stabilité, à la fois diachronique et synchronique. Diachronique, dans la mesure où l’usage
est ancré dans un cadre socio-technique de référence (Flichy, 1995) et synchronique parce
qu’il est observable collectivement à un moment donné. C’est ainsi que l’on peut parler
des usages de l’internet (Guichard, 2001) ou des usages avancés des téléphones mobiles
(Licoppe et Zouinar, 2009). Nous rejoignons en ce sens Jacques Perriault (1989) selon
lequel l’usage est une « utilisation stabilisée d’un objet, d’un outil, pour obtenir un
effet ».
10 Pour Josiane Jouët (1993), la notion de pratique est plus élaborée que celle d’usage car elle
prend en compte l’utilisation des techniques, mais également les comportements, les
attitudes, les représentations de ceux qui y ont recours. Contrairement à elle, il ne nous
semble pas qu’il y ait un enchâssement de l’une dans l’autre, mais qu’il s’agit de deux
notions qui permettent d’appréhender la réalité selon deux angles différents et
complémentaires. La distinction que nous proposons suggère de réserver le terme d’usage
pour désigner les travaux portant sur les dispositifs, techniques ou non, et leurs
interactions avec les usagers ; le terme de pratique sera réservé pour caractériser les
approches centrées sur le « comportement composite » à l’œuvre dans les différentes
sphères, informationnelles, culturelles, journalistiques, etc. L’observation des pratiques,
qu’elles soient individuelles ou collectives, nécessite alors d’adopter une approche de
l’action envisagée comme un processus en tension entre les savoirs mobilisables, les
compétences immédiates, les habitus, les arts de faire, les désirs d’agir, etc.
11 On parlera donc des usages des moteurs de recherche ou des téléphones portables, des
usages de l’internet ou des usages des bibliothèques numériques pour désigner la façon
dont on utilise le dispositif en tenant compte du cadre socio-professionnel, culturel,
politique, économique... Les usages des dispositifs techniques s’inscrivent en ce sens dans
différents contextes, professionnel, privé, familial... À l’inverse, nous parlerons de
pratiques pour désigner les études qui sont centrées sur l’humain (individuel ou collectif)
et qui analyse ses modalités d’action (ou d’inaction), ses représentations, ses attitudes. Le
terme de pratique est habituellement utilisé dans les champs professionnels mais peut
l’être également dans des contextes autres tels que le grand public. On peut ainsi
s’intéresser aux pratiques quotidiennes de recherche d’information pour résoudre des
problèmes de la vie courante non reliés au contexte de travail (comme les pages jaunes,
l’horaire des trains, l’information médicale...), domaine que les anglo-saxons nomment
ELIS (everyday-life information seeking), développé notamment par Pamela McKenzie (2003)
ou Reijo Savolainen (1995 et 2008).
12 On parlera alors de pratiques informationnelles pour désigner la manière dont l’ensemble
de dispositifs, des sources, des outils, des compétences cognitives sont effectivement
mobilisés dans les différentes situations de production, de recherche, traitement de
l’information.

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De la recherche de l’information aux pratiques informationnelles 5

De la recherche à l’usage de l’information


13 À l’inverse de l’approche orientée système, le paradigme « usager » considère donc que
l’attention doit être davantage portée sur les besoins réels de l’usager et son
environnement. Ce paradigme s’inscrit dans une perspective constructiviste dans laquelle
la démarche de repérage et de traitement de l’information par l’usager ne peut faire
abstraction d’un ensemble de facteurs tant individuels que situationnels. Les deux
approches relèvent de communautés différentes même si plusieurs chercheurs tentent
depuis la fin des années 1990, d’établir des ponts entre les deux approches. Saracevic
(1997), Ingwersen et Järvelin (2005), Belkin (2008) ont proposé d’associer les deux
paradigmes en une théorie unifiée de la recherche d’information (unified theory of
information seeking and retrieval). Cette théorie, ou tout au moins ce programme de travail,
se construit sur un certain nombre de considérations mettant l’accent sur le rôle du
contexte, de l’émotion, de l’incertitude et des interactions entre le système et l’usager
dans l’élaboration des processus cognitifs. Dans cette perspective, de nombreux
chercheurs se sont penchés sur la modélisation des pratiques de recherche d’information.
14 Un premier courant regroupe les travaux qui concernent directement les interactions de
l’usager avec le SRI en privilégiant certains facteurs ou dimensions comme la définition
et l’analyse du besoin informationnel, notamment (Taylor, 1968) (Belkin, 1980) ou
(Dervin, 1992), la prise en compte des tâche dans l’interaction, (Vakkari, 2003),
(Marchionini, 1995), (Byström-Jãrvelin, 1995), la description des stratégies et des
tactiques (Bates, 1989) ou la modélisation de l’interaction, (Spink, 1997), (Bates, 1989),
(Saracevic, 1996), (Belkin, 1995). D’autres auteurs comme Peter Ingwersen (1996) ou Jean-
François Rouet et André Tricot (1998) ont privilégié la dimension cognitive.
15 De très nombreux travaux, principalement d’origine nord-américaine, britannique et
scandinave, ont ainsi été développés depuis les années 1980 pour expliciter les pratiques
d’accès à l’information, terme qui traduit ici l’expression anglaise de « information seeking
behavior » et qui englobe aussi bien le besoin que l’usage de l’information. Ce courant de
recherche vise à mieux préciser les processus d’accès aux sources formelles (Ellis, 1997),
la dimension affective de l’accès à l’information (Khulthau, 1993), le contexte
professionnel (Leckie et al., 1996), (Thivant et Bouzidi, 2005), la description des situations
(Cheuk Wai-Yi, 1998) et enfin l’usage de l’information, (Taylor, 1991), (Kari, 2010). Dans
cette perspective, différents terrains sont étudiées : celui de la formation (collégiens,
lycéens, étudiants), de l’activité professionnelle (médecins, juristes, chercheurs,
ingénieurs...) ou celui de la vie quotidienne comme les pratiques d’accès des
consommateurs, des citoyens, des militants...
16 Les travaux sur les pratiques d’accès à l’information négligent souvent d’analyser l’impact
de l’information recherchée. Néanmoins, un auteur comme R. Taylor (1991) a proposé un
modèle permettant d’identifier les différentes catégories d’utilisation de l’information. Il
suggère en particulier que le contexte de l’utilisation de l’information est un facteur
déterminant pour comprendre la diversité des comportements informationnels. Il
propose donc un modèle appelé Information Use Environment qui définit cet environnement
comme un ensemble d’éléments qui exercent une influence sur la circulation de
l’information entre individus ou groupes d’individus et qui, de ce fait, constituent des
critères permettant de juger de la valeur de l’information dans un contexte précis. Taylor
identifie trois types principaux d’environnements d’utilisation de l’information :

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l’environnement géographique (le pays), l’environnement organisationnel (l’entreprise)


et enfin l’environnement social/intellectuel/culturel, représenté par des groupes de
personnes partageant des valeurs et des intérêts communs. En s’appuyant sur ces
travaux, H. Rosenbaum (1996) propose une modélisation du contexte d’usage de
l’information dans les organisations. Il présente un modèle dans lequel les règles
techniques et procédurales jouent un rôle dominant dans la définition des pratiques
informationnelles et qui évoluent en fonction du contexte technologique et humain. Le
second élément structurel concerne les ressources utilisées, en particulier les dispositifs
technologiques ainsi que les produits informationnels. Les deux dernières composantes
du modèle de H. Rosenbaum ont trait aux problèmes et à la résolution de problèmes dans
l’environnement d’utilisation de l’information.
17 Toutefois, il manque des travaux pour appréhender le rôle de l’information dans le
changement des comportements des individus ou d’une organisation. Quelle est
l’influence des sources d’information sur l’action des individus ? Comment transformer
les informations collectées en prise de décision, qu’elle soit économique, sociale, ou
culturelle ? Or, si des progrès sont réalisés dans la connaissance des pratiques d’accès à
l’information, les travaux portant sur la réception et l’utilisation de l’information en
contexte sont relativement peu nombreux. Les rares travaux d’organismes comme
l’UNESCO (Correra et al., 1997) sur la diffusion de l’information en milieu rural ou médical
nous renseignent d’abord sur l’insuffisance d’une analyse essentiellement centrée sur
l’accès et la recherche, et sur l’inadéquation des modèles pour appréhender les autres
aspects des pratiques informationnelles.
18 Un dernier ensemble de travaux, qui s’inscrit dans une approche que l’on qualifiera
d’holistique, ne s’intéresse plus à l’utilisateur comme individu isolé face à un dispositif
mais comme un usager situé dans son contexte social, culturel et linguistique. L’impact
des dynamiques interpersonnelles et sociales est alors intégré dans l’analyse des
pratiques informationnelles. Plusieurs auteurs se sont attachés à intégrer les variables
sociales dans leur modélisation des pratiques.
19 Tom Wilson fut ainsi l’un des premiers à proposer en 1981 (Wilson, 1981) un modèle
fondé sur l’hypothèse que les besoins informationnels exprimés par les usagers des
systèmes de recherche d’information étaient issus de besoins plus fondamentaux, d’ordre
physiologique, cognitif ou affectif, liés au contexte personnel ou social de l’individu et à
son environnement (politique, économique, technologique...). Il suggérait que les
obstacles à surmonter pour accéder à l’information souhaitée provenaient de ce contexte
ou de cet environnement. Un second modèle, plus général, élargit le premier en
substituant la notion d’« intervening variables » à celle de « barrière » pour souligner qu’il
existe des facteurs extérieurs à l’individu qui facilitent ou au contraire freinent l’accès à
l’information (Wilson, 1996).
20 De son côté, Elfreda Chatman (1999) a souligné l’importance de l’environnement et du
capital social dans les pratiques informationnelles. L’observation au milieu des
années 1980 des minorités noires et économiquement pauvres aux États-Unis, a mené
Chatman à intégrer dans sa réflexion la théorie de l’aliénation inspirée des travaux de
Merton, de Durkheim et de Weber. Comme les normes sociales traduisent les valeurs et
les idéaux dominants de la société ou du groupe, elle estime qu’elles régissant aussi le
comportement informationnel.
21 C. Choo (2000) propose pour sa part un modèle intégré (« Human Information Seeking : an
Integrated Model ») et généraliste où l’on retrouve à la fois la manifestation du besoin

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d’information, la recherche de l’information et l’utilisation de l’information. Pour


C. Choo, il est nécessaire de considérer l’information non comme un objet, mais plutôt
comme le résultat d’une construction subjective ; à ce niveau, les facteurs cognitifs,
affectifs et situationnels jouent un rôle déterminant mais sont à considérer dans le cadre
de l’organisation.
22 Un dernier exemple peut être celui de R. Savolainen (2008) qui montre également que les
normes et les règles du groupe, de la profession ou de l’organisation ont aussi un impact
sur le traitement et l’utilisation de l’information par les individus. Le monde social, de
l’entreprise par exemple, est ainsi constitué d’acquis dont l’intégration est implicite dans
les actions et les intentionnalités pratiques. La connaissance n’est plus individuelle mais
située socialement. Pour comprendre la complexité des pratiques informationnelles, il est
donc important de décrire le champ dans lequel évolue l’usager c’est-à-dire son
environnement, la position qu’il occupe au sein de ce champ, l’ensemble des compétences
qu’il mobilise et les mécanismes d’interprétation de l’information.
23 Ces différents exemples illustrent la pluralité d’approches qui caractérise l’observation
des pratiques informationnelles. Le cumul des recherches menées au cas par cas depuis
plus de quarante ans, par delà la variété extrême des terrains, des méthodes et des
théories, a permis de construire un champ de recherche en le dégageant de l’emprise
techniciste. Le recueil régulier de données variées sur les interactions des usagers avec les
dispositifs d’accès à l’information (notamment avec les moteurs de recherche) et leur
exploitation quantitative et qualitative ont également permis de cumuler des résultats
significatifs aboutissant à une amélioration de ces dispositifs. Toutefois, plusieurs
interrogations demeurent. D’abord, l’analyse de ces modèles révèle une grande diversité
dans les niveaux d’analyse : les différences individuelles, l’activité, les groupes
professionnels, le style cognitif, l’organisation, le secteur d’activité, la tâche, le dispositif
d’accès, l’interface homme-machine, etc. Il est difficile dans ces conditions d’établir une
taxonomie fiable.
24 Par ailleurs, ces modèles ne font pas intervenir la dimension réflexive de l’usager qui se
traduit pas des activités métacognitives ; ils supposent pour la plupart une interaction
continue avec le système d’information et ne rendent pas compte des ruptures en cours
de processus, occasionnées par exemple soit par une interaction entre pairs, soit par la
consultation d’une autre source (expert, base de données, etc.). En conséquence, le
caractère opérationnel des modèles n’est pas toujours établi : la modélisation devrait
permettre de déterminer avec précision les variables qui interviennent dans le
comportement ainsi que le rôle de ces différentes variables mais c’est rarement le cas. Se
pose ainsi la question de la pondération des variables et des mesures afférentes. La
variation des niveaux d’analyse pose des problèmes d’interprétation des résultats qui
engage un glissement et une re-formalisation des concepts qui n’ont en principe leur
pertinence qu’à un niveau particulier. Cette complexité n’a néanmoins pas entravé la
diffusion des modèles informationnels qui ont, de ce fait, beaucoup influencé le
développement de la culture numérique ainsi que la maîtrise de l’information en
améliorant les dispositifs de formations (information literacy). On peut toutefois
s’interroger à propos de la pertinence des modèles théoriques qui visent à modéliser le
comportement informationnel des usagers et des tâches qu’ils accomplissent. Il est en
effet souvent difficile de faire un lien opérationnel entre le cadre et les finalités
méthodologiques des études et les cadres théoriques portés par les modèles de l’usage qui
sont proposés en sciences de l’information. Il n’est pas certain qu’il soit encore possible

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d’élaborer une théorie générale avec une logique explicative unique de l’ensemble des
pratiques informationnelles. Une telle démarche conduit souvent, pour rester fidèle au
cadre interprétatif, à avancer des analyses réductrices de nombre de comportements,
d’attitudes, de stratégies de recherche.

Vers une analyse des pratiques « info-


communicationnelles » ?
25 Les études en sciences de la communication ont décrit et analysé depuis presque trente
ans les réactions des destinataires des programmes face aux offres qui leur étaient
adressées. Ces travaux (études de réception, sociologie de la culture et des pratiques
culturelles, sociologie des usages, analyse des médiations, théorie critique, etc...)
constituent un apport majeur pour une meilleure compréhension et modélisations des
pratiques informationnelles. Mais, du fait que les deux champs scientifiques, sciences de
l’information et sciences de la communication sont distincts dans les pays anglo-saxons et
encore souvent déconnectés en France, la majorité des travaux sur les pratiques
informationnelles, principalement issus de la library and information science, ne font pas
référence à ces courants théoriques. Ainsi, pendant longtemps, les études sur
l’information ont été pensées en excluant de prendre en compte les phénomènes de
communication qui l’accompagnent (Fondin, 2006). C’est probablement l’une des raisons
pour lesquelles la majorité des modèles informationnels minorent les activités de partage
et de communication de l’information et privilégient l’activité d’accès et de recherche.
26 Pourtant, les mutations techniques des dispositifs de production, de recherche, de
partage et de diffusion de l’information qui induisent des transformations
organisationnelles, en favorisant l’émergence d’un nouvel écosystème informationnel,
constituent un terrain privilégié pour renouveler les approches sur les pratiques
informationnelles. Ces nouveaux dispositifs (Web 2.0, réseaux sociaux, CMS, logiciels de
filtrage...) banalisent les modalités de production de l’information et fusionnent les
fonctionnalités de recherche et d’édition. En ce sens, les dispositifs d’accès à l’information
actuels (notamment les moteurs de recherche) présentent les caractéristiques d’un
nouveau média (plutôt d’un web-media). Jean-Michel Salaun (2006) et Alexander Halavais
(2009) soulignent que le monde du web emprunte le modèle économique à la radio-
télévision car il est fondé sur une économie de l’attention mais qu’il emprunte aussi au
modèle de la bibliothèque par le partage et la mise en commun des connaissances. Ces
dispositifs sont des médias c’est-à-dire des objets qui, pour reprendre Yves Jeanneret
(2009), ne font pas que s’associer à du social, mais qui en produisent via notamment des
médiations symboliques et représentationnelles. De même, la numérisation accrue des
activités humaines, marchandes ou non, et l’évolution des métiers rendent
progressivement inopérante l’opposition entre l’information grand public produite par
les organes de presse et l’information scientifique et technique (Polity, 2000). La jonction
avec les approches communicationnelles peut mettre en évidence des enjeux liés à la
médiation des savoirs, à la gestion de l’identité numérique et à la question des pouvoirs.
27 Dépassant leur statut de simples récepteurs, les usagers jouent désormais un rôle actif
dans la production, le classement, l’évaluation de l’information. Les individus, mais aussi
les organisations, mettent aussi en œuvre des stratégies ou des politiques pour faciliter
l’échange d’information et sa communication via des plateformes d’intermédiation

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De la recherche de l’information aux pratiques informationnelles 9

(Intranet, réseaux sociaux, etc.). Les individus sont aussi des acteurs dans la production
de leur réputation numérique, de la valorisation de leurs images, de l’impact de leurs
participation à des réseaux sociaux sur leur vie privée ou professionnelles bref de la
gestion de leurs identités numériques (Georges, 2010).
28 Une piste de recherche qui nous semble stimulante et mobilisatrice est d’étudier les
pratiques informationnelles sous l’angle de la médiation. En effet, dans une institution
culturelle ou dans une organisation (notamment pour la gestion de leur contenu
informationnel), le choix des normes et standards, les politiques d’indexation et de
classement, les opérations d’inventaire et de constitution de collection ne sont pas
neutres mais sont médiés par des logiques sociales. Selon Bernadette Dufrene (2007), ces
opérations ne sont pas « indépendantes du cadre dans lesquels elles s’élaborent ; leur
sens est relatif à des conditions d’énonciation propres à des types d’institutions et à des
situations historiques ». L’intérêt d’une approche sous l’angle de la médiation est
d’amorcer une critique des conditions dans lesquelles les textes, les données, les
dispositifs sont produits afin de mieux cerner leur interprétation. (Jeanneret, 2009).
Chaque médiation conditionne les pratiques même si, selon Jean Davallon (1999, 78), « le
guidage de la réception reste probabiliste ».
29 Enfin, nous pensons que d’autres considérations, négligées auparavant, interviennent
désormais dans toute étude sur les usages des dispositifs d’accès à l’information : la
question éthique (avec la traçabilité des usagers, l’échange, la conservation et la
commercialisation des données personnelles), la question économique (publicité en ligne,
marchandisation accrue du lien social, monétisation du contexte via le géo-
référencement, etc.), la question identitaire (création de communautés en ligne,
redéfinition des identités, etc.), la question politique (la censure dans l’indexation des
sites par les moteurs, le respect de la diversité culturelle, etc.), les enjeux juridiques (la
mise en ligne d’œuvres protégées, l’accès à des contenus illicites via des moteurs
spécialisés...). La mise en évidence de ces enjeux socio-politiques au niveau de l’individu,
d’une organisation ou de la société permet de refléter des rapports de pouvoir issus de la
généralisation des dispositifs d’accès et de diffusion de l’information.
30 Une piste de recherche est d’enrichir et de renouveler les modèles informationnels à
l’aune de ces apports. Il s’agirait alors pour nous de proposer une approche info-
communicationnelle des dispositifs d’accès et de diffusion de l’information.

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RÉSUMÉS
Cet article introduit le concept de « pratique informationnelle ». Après l’avoir défini par rapport
aux concepts d’« usage » et de « comportement », nous proposons une analyse de son évolution à
travers les différents champs scientifiques tels que l’informatique sociale, les sciences de
l’information et la sociologie des usages qui contribué à sa définition. L’article conclut sur les
apports possibles des sciences de la communication pour le renouvellement des modèles
informationnels.

This article introduces the concept of information practice. After analysing it, in relation to the
notions of « information seeking and use » and « information behaviour », it offers a reviewing of
its evolution through the different scientific trends, such as social informatics, library and
information science and sociology of use, which have contributed to its elaboration. Lastly, the
paper discusses the possible contribution of communication science in renewing information
models.

INDEX
Mots-clés : pratique informationnelle, usage, recherche d’informations, comportement,
sociologie des usages
Keywords : information practice, information behaviour, information seeking and use,
communication science

AUTEURS
STÉPHANE CHAUDIRON
Laboratoire GERiiCO – Université de Lille 3
Stéphane Chaudiron est professeur en Sciences de l’information et de la communication à
l’université de Lille 3. Il est membre du laboratoire GERiiCO dont il est actuellement le directeur.
Ses travaux portent sur : l’évaluation des systèmes de traitement avancé de l’information et
leurs usages, l’analyse des pratiques informationnelles, l’organisation des connaissances et
l’épistémologie des SIC. Adresse électronique : [email protected].

MADJID IHADJADENE
Laboratoire Paragraphe – Université de Paris VIII
Madjid Ihadjadene est professeur en Sciences de l’information et de la communication à
l’université de Paris 8. Il est membre du laboratoire Paragraphe et responsable de l’équipe INDEX
(INformation Documents et contEXtes). Ses domaines de recherche sont: l’épistémologie des SIC,
l’analyse des pratiques informationnelles, les bibliothèques numériques, l’usage des dispositifs de

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médiation et d’accès à l’information, l’organisation des connaissances. Adresse électronique :


[email protected].

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