Edc 2257
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Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/edc/2257
DOI : 10.4000/edc.2257
ISSN : 2101-0366
Éditeur
Université de Lille
Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2010
Pagination : 13-30
ISBN : 978-2-917562-04-8
ISSN : 1270-6841
Référence électronique
Stéphane Chaudiron et Madjid Ihadjadene, « De la recherche de l’information aux pratiques
informationnelles », Études de communication [En ligne], 35 | 2010, mis en ligne le 01 décembre 2012,
consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/edc/2257 ; DOI : https://doi.org/
10.4000/edc.2257
mesure, scandinaves, peuvent être regroupés sous différents labels tels que les besoins
d’information et d’usage (information need), les usagers (users studies), les modalités d’accès
et d’usage de l’information (information seeking and use), les comportements
informationnels (information behavior ou human information behavior) et, plus récemment,
les pratiques informationnelles (information practices).
7 Un premier problème terminologique est la traduction en français de termes qui
s’inscrivent dans des espaces notionnels différents. Ainsi, en raison de la connotation
« behavioriste », beaucoup plus négativement marquée en français qu’en anglais, le
terme « information behavior » est fréquemment traduit par « pratiques
informationnelles ». Un ouvrage de l’ASIST (American society for information science and
technology) qui présente 72 modèles différents des « comportements » informationnels
n’hésite en effet pas à porter le titre de Theories of Information Behavior (Fischer, 2005). Ces
auteurs intègrent dans ce courant de recherche aussi bien les travaux sur les stratégies et
les tactiques de recherche d’information (information searching behavior) que sur les
modalités d’accès et d’usage de l’information (information seeking and use). Pour éviter de
recourir au terme « comportement informationnel », nous avons suggéré d’utiliser celui
de « pratiques informationnelles », mais dans une acception plus large, puisqu’il désigne
la manière dont un ensemble de dispositifs, de sources formelles ou non, d’outils, de
compétences cognitives sont effectivement mobilisés, par un individu ou un groupe
d’individus, dans les différentes situations de production, de recherche, d’organisation,
de traitement, d’usage, de partage et de communication de l’information. Nous englobons
dans ce terme de « pratique » aussi bien les comportements, les représentations que les
attitudes informationnelles de l’humain (individuel ou collectif) associés à ces situations
(Ihadjadene et Chaudiron, 2008). Cette acception intègre donc, mais excède, la définition
traditionnellement donnée à la notion de « information practice » dans le contexte de la
recherche d’information par des auteurs tels que Pamela McKenzie (2003) qui a élaboré
un modèle des pratiques informationnelles visant à rendre compte de la recherche
d’information « dans la vie de tous les jours » (everyday-life information seeking), ou Sanna
Talja et Preben Hansen qui la définissent comme les « practices of information seeking,
retrieval, filtering and synthesis » (Talja et Hansen, 2005, 113).
8 Sur le plan conceptuel, il convient également de distinguer les notions de « pratique » et
« usage ». Alors que le terme « utilisation » renvoie donc à la manière dont un
utilisateur particulier, dans sa singularité propre, découvre, appréhende et manipule un
dispositif (comme un moteur de recherche par exemple), la notion d’usage a un sens plus
large. Selon Philippe Breton et Serge Proulx (2006), il est employé dans une perspective
sociologique pour décrire le cadre social large qui englobe les interactions entre les
humains et les machines. Comme le précise Rémy Rieffel (2005), c’est au début des
années 1980 que les premiers travaux portant sur les usages « orientés-usager »
des TIC apparaissent. Les chercheurs parlent alors « d’usagers » et non
« d’utilisateurs ». On assiste ainsi à une modification de perspective et à un glissement de
cadre théorique dans la mesure où les travaux sur l’usager portent non plus sur la seule
dimension cognitive de l’interaction personne-système mais sur ses dimensions sociale et
symbolique. Comme le souligne Joëlle Le Marec (2001, 146), « le cumul des recherches
menées [...] a permis de dégager progressivement la notion d’usage de sa référence
implicite à la maîtrise du fonctionnement des objets techniques ».
9 Néanmoins, les usages ne peuvent pas être pensés indépendamment des interactions
entre des individus, socialement et cognitivement situés, et des dispositifs qui sont
organisées dans le cadre d’un contrat de communication qui, tel un contrat de lecture,
fixe une série de règles a priori indiquant les possibles et les impossibles. En ce sens, les
usages sont envisagés comme l’expression d’un processus constitué d’interactions
complexes mettant en relation un individu et un dispositif qui peut être, ou non, un
artefact technique. Une caractéristique de la dimension d’usage est donc sa (relative)
stabilité, à la fois diachronique et synchronique. Diachronique, dans la mesure où l’usage
est ancré dans un cadre socio-technique de référence (Flichy, 1995) et synchronique parce
qu’il est observable collectivement à un moment donné. C’est ainsi que l’on peut parler
des usages de l’internet (Guichard, 2001) ou des usages avancés des téléphones mobiles
(Licoppe et Zouinar, 2009). Nous rejoignons en ce sens Jacques Perriault (1989) selon
lequel l’usage est une « utilisation stabilisée d’un objet, d’un outil, pour obtenir un
effet ».
10 Pour Josiane Jouët (1993), la notion de pratique est plus élaborée que celle d’usage car elle
prend en compte l’utilisation des techniques, mais également les comportements, les
attitudes, les représentations de ceux qui y ont recours. Contrairement à elle, il ne nous
semble pas qu’il y ait un enchâssement de l’une dans l’autre, mais qu’il s’agit de deux
notions qui permettent d’appréhender la réalité selon deux angles différents et
complémentaires. La distinction que nous proposons suggère de réserver le terme d’usage
pour désigner les travaux portant sur les dispositifs, techniques ou non, et leurs
interactions avec les usagers ; le terme de pratique sera réservé pour caractériser les
approches centrées sur le « comportement composite » à l’œuvre dans les différentes
sphères, informationnelles, culturelles, journalistiques, etc. L’observation des pratiques,
qu’elles soient individuelles ou collectives, nécessite alors d’adopter une approche de
l’action envisagée comme un processus en tension entre les savoirs mobilisables, les
compétences immédiates, les habitus, les arts de faire, les désirs d’agir, etc.
11 On parlera donc des usages des moteurs de recherche ou des téléphones portables, des
usages de l’internet ou des usages des bibliothèques numériques pour désigner la façon
dont on utilise le dispositif en tenant compte du cadre socio-professionnel, culturel,
politique, économique... Les usages des dispositifs techniques s’inscrivent en ce sens dans
différents contextes, professionnel, privé, familial... À l’inverse, nous parlerons de
pratiques pour désigner les études qui sont centrées sur l’humain (individuel ou collectif)
et qui analyse ses modalités d’action (ou d’inaction), ses représentations, ses attitudes. Le
terme de pratique est habituellement utilisé dans les champs professionnels mais peut
l’être également dans des contextes autres tels que le grand public. On peut ainsi
s’intéresser aux pratiques quotidiennes de recherche d’information pour résoudre des
problèmes de la vie courante non reliés au contexte de travail (comme les pages jaunes,
l’horaire des trains, l’information médicale...), domaine que les anglo-saxons nomment
ELIS (everyday-life information seeking), développé notamment par Pamela McKenzie (2003)
ou Reijo Savolainen (1995 et 2008).
12 On parlera alors de pratiques informationnelles pour désigner la manière dont l’ensemble
de dispositifs, des sources, des outils, des compétences cognitives sont effectivement
mobilisés dans les différentes situations de production, de recherche, traitement de
l’information.
d’élaborer une théorie générale avec une logique explicative unique de l’ensemble des
pratiques informationnelles. Une telle démarche conduit souvent, pour rester fidèle au
cadre interprétatif, à avancer des analyses réductrices de nombre de comportements,
d’attitudes, de stratégies de recherche.
(Intranet, réseaux sociaux, etc.). Les individus sont aussi des acteurs dans la production
de leur réputation numérique, de la valorisation de leurs images, de l’impact de leurs
participation à des réseaux sociaux sur leur vie privée ou professionnelles bref de la
gestion de leurs identités numériques (Georges, 2010).
28 Une piste de recherche qui nous semble stimulante et mobilisatrice est d’étudier les
pratiques informationnelles sous l’angle de la médiation. En effet, dans une institution
culturelle ou dans une organisation (notamment pour la gestion de leur contenu
informationnel), le choix des normes et standards, les politiques d’indexation et de
classement, les opérations d’inventaire et de constitution de collection ne sont pas
neutres mais sont médiés par des logiques sociales. Selon Bernadette Dufrene (2007), ces
opérations ne sont pas « indépendantes du cadre dans lesquels elles s’élaborent ; leur
sens est relatif à des conditions d’énonciation propres à des types d’institutions et à des
situations historiques ». L’intérêt d’une approche sous l’angle de la médiation est
d’amorcer une critique des conditions dans lesquelles les textes, les données, les
dispositifs sont produits afin de mieux cerner leur interprétation. (Jeanneret, 2009).
Chaque médiation conditionne les pratiques même si, selon Jean Davallon (1999, 78), « le
guidage de la réception reste probabiliste ».
29 Enfin, nous pensons que d’autres considérations, négligées auparavant, interviennent
désormais dans toute étude sur les usages des dispositifs d’accès à l’information : la
question éthique (avec la traçabilité des usagers, l’échange, la conservation et la
commercialisation des données personnelles), la question économique (publicité en ligne,
marchandisation accrue du lien social, monétisation du contexte via le géo-
référencement, etc.), la question identitaire (création de communautés en ligne,
redéfinition des identités, etc.), la question politique (la censure dans l’indexation des
sites par les moteurs, le respect de la diversité culturelle, etc.), les enjeux juridiques (la
mise en ligne d’œuvres protégées, l’accès à des contenus illicites via des moteurs
spécialisés...). La mise en évidence de ces enjeux socio-politiques au niveau de l’individu,
d’une organisation ou de la société permet de refléter des rapports de pouvoir issus de la
généralisation des dispositifs d’accès et de diffusion de l’information.
30 Une piste de recherche est d’enrichir et de renouveler les modèles informationnels à
l’aune de ces apports. Il s’agirait alors pour nous de proposer une approche info-
communicationnelle des dispositifs d’accès et de diffusion de l’information.
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RÉSUMÉS
Cet article introduit le concept de « pratique informationnelle ». Après l’avoir défini par rapport
aux concepts d’« usage » et de « comportement », nous proposons une analyse de son évolution à
travers les différents champs scientifiques tels que l’informatique sociale, les sciences de
l’information et la sociologie des usages qui contribué à sa définition. L’article conclut sur les
apports possibles des sciences de la communication pour le renouvellement des modèles
informationnels.
This article introduces the concept of information practice. After analysing it, in relation to the
notions of « information seeking and use » and « information behaviour », it offers a reviewing of
its evolution through the different scientific trends, such as social informatics, library and
information science and sociology of use, which have contributed to its elaboration. Lastly, the
paper discusses the possible contribution of communication science in renewing information
models.
INDEX
Mots-clés : pratique informationnelle, usage, recherche d’informations, comportement,
sociologie des usages
Keywords : information practice, information behaviour, information seeking and use,
communication science
AUTEURS
STÉPHANE CHAUDIRON
Laboratoire GERiiCO – Université de Lille 3
Stéphane Chaudiron est professeur en Sciences de l’information et de la communication à
l’université de Lille 3. Il est membre du laboratoire GERiiCO dont il est actuellement le directeur.
Ses travaux portent sur : l’évaluation des systèmes de traitement avancé de l’information et
leurs usages, l’analyse des pratiques informationnelles, l’organisation des connaissances et
l’épistémologie des SIC. Adresse électronique : [email protected].
MADJID IHADJADENE
Laboratoire Paragraphe – Université de Paris VIII
Madjid Ihadjadene est professeur en Sciences de l’information et de la communication à
l’université de Paris 8. Il est membre du laboratoire Paragraphe et responsable de l’équipe INDEX
(INformation Documents et contEXtes). Ses domaines de recherche sont: l’épistémologie des SIC,
l’analyse des pratiques informationnelles, les bibliothèques numériques, l’usage des dispositifs de