Malaise Dans La Culture
Malaise Dans La Culture
Malaise Dans La Culture
Freud nous prend à témoin : nous avons tous un jour ressenti cette pulsion de violence,
cette envie de détruire autrui dès lors qu’il s’oppose à nous, à la satisfaction de nos
besoins, voire à notre existence ou à celle de nos proches. Cela doit nous conduire à
supposer qu’elle est innée chez l’être humain donc commune à tous, indépendamment de
notre culture, de notre sexe, de notre âge. De sorte que toute société, pour garantir sa
conservation, doit inclure dans la culture qu’elle transmet à chacun de ses membres, les
moyens de contrer l’expression de cette agressivité.
Quelle que soit la forme qu’elle prend, l’agressivité, cette « hostilité des hommes les uns
envers les autres », induit dès lors qu’elle peut s’exprimer l’injustice puisqu’elle permet
d’imposer ses désirs, ses points de vue, ses intérêts personnels par la force, en niant ceux
d’autrui. Elle en traîne rancœur, haine, peur, et désir de vengeance, tous ces sentiments
négatifs (ces « passions tristes » comme les nomme Spinoza) qui sont sources de conflits
et menacent donc la société de « désagrégation ».
« Il faut que la culture mette tout en œuvre pour assigner des limites aux pulsions
d’agression des hommes. » Puisque c’est la condition pour qu’une société perdure, il
incombe à toute culture de commencer par réguler l’expression de l’agressivité. Ce qui
passe par des règles de comportement qui vont être intériorisées dans cette « instance
psychique » que Freud nomme le « Surmoi » dont le travail consiste à censurer
l’expression spontanée de nos pulsions (le « Ça »). Il ne s’agit pas d’interdire absolument
l’expression de pulsions, ce qui entraînerait des frustrations dont le retour pourrait prendre
des formes pathologiques plus dangeureuses encore que leur expression directe, mais de
leur « assigner des limites ». La violence sera tolérée dans un cadre légal : on pourrait
ainsi considérer que certains sports (boxe, arts martiaux, lutte mais éventuellement aussi
rugby) constituent des soupapes à l’agressivité que la société propose à ses membres. De
même, on trouve dans de nombreuses sociétés primitives des danses guerrière où la
violence est mise en scène, réglée par une chorégraphie qui l’ampute de toutes ses
conséquences néfastes.
Toute les sociétés régulent par des lois la vie sexuelle, interdisant (en général) le viol.
Mais plus subtilement, les cultures transmettent des règles dans le jeu de la séduction,
règles qui contraignent à emprunter des procédures comportant des étapes convenues,
distribuent les rôles que chacun reconnaît. Ces règles constituent, de fait, des
« restrictions de la vie sexuelle » qu’il faut lever progressivement, évitant ainsi l’expression
violente du besoin sexuel. Enfin, la maxime chrétienne « aime ton prochain comme toi-
même », que Freud qualifie de « commandement de l’idéal », implique de ne pas faire
subir à autrui ce que l’on ne voudrait pas qu’il nous fasse subir. Ce que l’on souhaite pour
soi, on doit le souhaiter pour les autres. Et puisque nous ne voulons pas souffrir, nous ne
devons pas faire souffrir autrui. Ce commandement s’oppose donc frontalement à cette
part de la nature humaine qui menace constamment la société, l’agressivité.