Se Donner Toutes Les Chances - Natacha Calestrémé

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VOUS POUVEZ RETROUVER NATACHA CALESTRÉMÉ SUR :

Youtube : @natachacalestreme3242/videos
Instagram : @natachacalestreme
Facebook : Natacha Calestrémé

© Éditions Albin Michel et éditions Plon, 2023.

ISBN : 978-2-226-48236-5

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Le mot des éditeurs

Natacha Calestrémé se passionne depuis toujours pour l’environnement


et la santé. Conceptrice et réalisatrice de la série « Les héros de la nature »
pour France Télévisions, elle a également réalisé des documentaires sur
l’autisme, le réchauffement climatique et les dégâts des pesticides sur notre
bien-être. Journaliste, elle a signé de nombreux articles traitant des
perturbateurs endocriniens, des dangers des édulcorants artificiels ou de
l’impact de certaines maladies du bétail sur notre alimentation… Natacha
Calestrémé est en outre l’auteure de plusieurs romans psychologiques dans
lesquels elle sensibilise le lecteur à des questions sanitaires et
environnementales majeures.
Depuis plusieurs années, à travers ses voyages, ses rencontres et ses
expériences personnelles, Natacha Calestrémé s’intéresse aux techniques
des médecines complémentaires ; elle y a consacré plusieurs ouvrages, tous
devenus de grand succès. Aujourd’hui, elle explore les questions de fond
que posent toutes ces approches, qu’elles soient conventionnelles ou non.
Pour cet ouvrage, Natacha Calestrémé a choisi de donner la parole à
d’éminents médecins ou chercheurs connus et reconnus dans leur domaine.
Elle a veillé à ce que ce texte soit accessible à tous. Ce livre, né d’une
démarche d’ouverture, œuvre pour réconcilier les médecines dans un seul
but : le bénéfice du patient.
Préface du Professeur Patrice Queneau

Membre de l’Académie de médecine

À une époque où des millions de personnes recherchent dans les


« médecines complémentaires » les bénéfices que ne leur offre pas la
« médecine conventionnelle », n’est-il pas l’heure de tenter de réconcilier
ces approches ?
Souffle de liberté, d’émotion, de vérité, ce livre apporte à cette question
une réponse pleine d’espoir, celle d’une pratique médicale profondément
ancrée dans la science et simultanément « médecine de la personne » au
sens le plus noble du terme.
Se donner toutes les chances : quel titre prometteur pour ce livre pensé
et coordonné avec talent par la journaliste Natacha Calestrémé, entourée de
quatre éminents experts du monde médical et scientifique : Isabelle
Mansuy, Jacques Besson, Thierry Janssen et Gérard Ostermann ! Leur but
est d’allier les « thérapeutiques complémentaires » à la médecine
conventionnelle, qui « n’est pas optionnelle et doit être sollicitée en premier
lieu ».
Et quel bonheur de lire, preuves à l’appui, que nos sécrétions de
cortisol, de dopamine et d’endomorphine, de même que nos mécanismes
immunologiques, et même… nos gènes sont directement influencés par
notre histoire, notre environnement, notre mode de vie, nos émotions ! Avec
comme finalité, l’invitation à mieux considérer les autres approches
thérapeutiques authentiques.
Le progrès de la science médicale est stupéfiant depuis un siècle. Mais
comment accepter que celle-ci ferme la porte à ces approches sans leur
offrir l’opportunité d’être évaluées rigoureusement ? La recherche ne
supporte ni discriminations ni préjugés. La science médicale est humaniste.
Son but est d’apaiser la souffrance humaine en recherchant une meilleure
relation avec le malade, pour plus de confiance. En outre, – et j’y tiens
beaucoup – seule l’observation scrupuleuse et honnête de toute donnée
nouvelle permettra d’éviter les dérives vers le charlatanisme. La qualité des
soins est à ce prix. Et n’oublions pas qu’exclure certains traitements utiles,
par principe, parce qu’ils ne sont pas validés scientifiquement, est
dommageable pour le patient.
Ce livre, plein de richesses et de faits révélés avec un jugement très sûr,
va conforter le lecteur dans d’indéniables certitudes : le patient peut devenir
davantage un « acteur responsable et responsabilisé » (Thierry Janssen)
pour accéder à une authentique et précieuse « autonomie relationnelle »
(Gérard Ostermann) intégrant, aux côtés de l’hérédité génétique,
l’« hérédité épigénétique » (Isabelle Mansuy) et « l’hérédité émotionnelle »
(Natacha Calestrémé), ainsi que la soif intime de spiritualité, sans laquelle
prolifèrent ces « névroses de civilisation [s’exprimant] sous la forme de
dépressions, d’agressivité et d’addictions » (Jacques Besson). Ainsi
impliqué et éclairé, le patient ne sera pas relégué au rang de « malade
imaginaire », comme s’il « avait raté son examen de vrai malade ».
Ayant souvent défendu « ce coin de ciel bleu chargé d’espoir 1 », je
souscris pleinement, presque mot à mot, à l’esprit et à la forme de ce livre,
indispensable à la compréhension d’une médecine holistique, intégrative et
réconciliée, seule capable d’offrir au malade toutes ses chances.
Professeur Patrice Queneau
Membre des Académies nationales de médecine et de pharmacie
Doyen honoraire de la Faculté de médecine de Saint-Étienne
Membre du Collège universitaire des médecines intégratives
et complémentaires (CUMIC)
Médecines plurielles

« Pour atteindre la vérité, il faut une fois dans la vie se défaire de


toutes les opinions qu’on a reçues, et reconstruire de nouveau tout le
système de ses connaissances. »
René Descartes

Ce livre est né d’une envie de réconcilier les médecines


conventionnelles et non conventionnelles, grâce à l’aide d’éminents experts
du monde médical et scientifique, et, sous la forme de longues ou de plus
courtes rencontres, de vous offrir un espace de réflexion.

Depuis 2020 et la pandémie vécue sur le plan mondial, nous avons


expérimenté le fait que, plus nous craignions pour notre vie, et moins le
système de santé semblait en mesure de nous rassurer. Durant deux années,
la médecine de référence est devenue une médecine d’urgence. Et c’est
encore le cas dans certaines villes. Nous avons dû faire face à nos
problèmes, le plus souvent, seuls et pleins de peurs. Notre rapport à la santé
a donc changé. Nous avons perdu en sérénité.

Déboussolés par les avis tranchés « pour ou contre » les médecines


complémentaires, qui alimentent une polémique plus qu’un débat
constructif, nous ne savons plus comment gérer nos problèmes de santé ou
notre mal-être, ni vers qui nous tourner. Or, nous sommes en droit d’obtenir
des informations objectives, scientifiques et documentées, nous permettant
de nous faire notre propre avis.

Pour tous ceux qui se questionnent légitimement sur la valeur des


approches non conventionnelles, il est vrai qu’elles font l’objet de peu
d’études – les expériences restant individuelles – et que, même si tant de
personnes dans le monde peuvent attester de leurs bienfaits, ces expériences
sont difficilement reproductibles, ce qui les prive d’une validation
scientifique. Autre point, et non des moindres, l’être humain étant d’une
complexité infinie, nul ne peut garantir à 100 % que « telle technique et
uniquement celle-là » (conventionnelle ou non) lui a permis de venir à bout
de ses problèmes de santé.

C’est pourquoi ce livre donne la parole à des personnalités reconnues


pour leur savoir, leur démarche scientifique rigoureuse et leur connaissance
des médecines conventionnelles et non conventionnelles. Cette précision est
importante car, bien souvent, ceux qui présentent un jugement catégorique
et négatif sur le sérieux des médecines complémentaires ne se sont pas
donné la peine d’y porter un regard approfondi et curieux, ni d’interroger
ceux qui les ont expérimentées avec succès.

Pour le patient qui existe en chacun de nous, il m’a paru important de


nous intéresser aux origines potentielles de la maladie, aux leviers qui
favorisent la guérison et aux moyens de nous impliquer dans ce processus.
Car, nous le verrons, notre rôle de « patient » est loin d’être minime. Pour
tenter de répondre à cet objectif, je me suis appuyée sur les références, les
études et les avancées scientifiques, telles que la psycho-neuro-endocrino-
immunologie et l’épigénétique, mises en valeur par les experts que j’ai
sollicités.
Au terme de mes lectures d’ouvrages et d’études publiées, de mes
rencontres avec ces scientifiques, il me semble qu’une médecine intégrative
qui rassemble toutes les ressources, celles des médecines conventionnelles
et des médecines non conventionnelles, sans oublier celles du patient, est
parfaitement envisageable. Proposer un livre qui ouvre à la connaissance de
ces autres approches, en soulignant que beaucoup de médecins y sont déjà
ouverts ou les utilisent en complément de leur pratique, me paraît
indispensable pour que chacun puisse se faire son propre avis et, face à la
maladie, se donner toutes les chances.
Les experts

Thierry Janssen, docteur en médecine, a été chirurgien urologue à


l’Université libre de Bruxelles, chercheur sur l’influence des hormones et
des facteurs de croissance dans le cancer de la prostate, psychothérapeute
spécialisé dans l’accompagnement des patients atteints de maladies
physiques et enseignant à la Sigmund Freud University (SFU) à Paris.
Convaincu de l’intérêt des médecines non conventionnelles, il s’est formé à
la Gestalt-thérapie, à la psychanalyse bioénergétique et il pratique la
méditation, le yoga et le qi gong. Il est également diplômé en thérapies
énergétiques et approches psychocorporelles de la Barbara Brennan School
of Healing de Miami. En 2015, Thierry Janssen a fondé l’École de la
posture juste (EDLPJ), à Bruxelles, qui forme thérapeutes et professionnels
de santé à la relation d’aide et de soin. Cet ardent défenseur d’une médecine
intégrative est l’auteur de nombreux articles scientifiques et d’ouvrages,
dont La Solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de
l’esprit, qui a connu un grand succès.

Gérard Ostermann est docteur en médecine, spécialisé en cardiologie


et angiologie, psychothérapeute-analyste, professeur de thérapeutique. Cet
ancien chef de clinique en cardiologie et responsable d’une unité de soins
intensifs s’est formé à la pharmacologie et à la rythmologie avec les
professeurs Patrick Attuel et Philippe Coumel au CHU Lariboisière à Paris.
Agrégé de médecine en thérapeutique option médecine interne, il a créé le
diplôme d’université de Pathologie de l’oralité à l’université de Bordeaux-
II. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la douleur, en collaboration avec le
professeur Patrice Queneau, et sur la résilience et le bonheur, avec le
neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Homme de sciences ouvert, il s’est formé
en EMDR *1 et il est membre du Collège universitaire de médecines
intégratives et complémentaires (CUMIC).

Isabelle Mansuy est docteure en neurobiologie et professeure en


neuroépigénétique à l’université et à l’École polytechnique fédérale de
Zurich en Suisse. Pionnière en hérédité épigénétique, elle fait de la
recherche fondamentale sur le sujet depuis plus de vingt ans et continue de
mener des études en épigénétique avec une équipe de chercheurs qu’elle
dirige. Comme nombre de scientifiques aujourd’hui, Isabelle Mansuy est
ouverte aux pratiques non conventionnelles pourtant non encore validées
par la science et elle en a expérimenté certaines, dans le cadre d’une
démarche scientifique afin d’apporter un complément de réflexion sur sa
discipline. Elle est membre de l’Académie suisse des sciences médicales et
de l’Académie européenne des sciences. Elle est aussi l’auteure principale
de Reprenez le contrôle de vos gènes, paru en 2019 aux éditions Larousse.

Jacques Besson est docteur en médecine, psychiatre, psychothérapeute


et professeur honoraire de psychiatrie à la faculté de biologie et de
médecine de l’université de Lausanne (UNIL) en Suisse. Ancien chef du
service de psychiatrie communautaire du Centre hospitalier universitaire
vaudois (CHUV) à Lausanne, il a été l’invité académique du Massachusetts
General Hospital, Harvard Medical School, s’est intéressé aux
neurosciences, à l’imagerie fonctionnelle cérébrale et est spécialiste
d’addictologie. Ancien membre du Sénat de l’Académie suisse des sciences
médicales et du Conseil de fondation du Fonds national suisse de la
recherche scientifique, il a développé la recherche interdisciplinaire. Il est
l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Addiction et spiritualité, publié en 2017
aux éditions Érès.

Grâce à leur contribution, la visualisation d’une médecine intégrative


est devenue tangible et je les en remercie chaleureusement.
PREMIÈRE PARTIE

REPRENDRE CONFIANCE
Comprendre la maladie et les enjeux du soin
CHAPITRE 1

Sommes-nous en bonne santé ?

Natacha Calestrémé : Comment savoir si l’on est en « bonne santé » ?


Gérard Ostermann : Le terme « santé » est difficile à définir. L’OMS *1
la décrit comme « un parfait état de bien-être physique, moral et social ».
Ceux qui ont perdu leur emploi, qui sont au chômage, souffrent, c’est
indéniable. Considérer le patient sur un plan organique et existentiel est en
effet une nécessité, mais pourquoi, le plus souvent, ne prend-on en compte
que la dimension corporelle ? Le médecin et philosophe français Georges
Canguilhem, en écrivant que « la santé est la capacité de tomber malade et
de s’en relever 1 », donne une définition plus dynamique de la santé, qui
n’est pas un état statique ; c’est le premier point. Le second point concerne
la forme. On peut avoir une maladie et être en forme. Et, inversement, on
peut apparemment avoir tous les critères de bonne santé (physiquement,
moralement et socialement) et ne pas être en forme. On a tous entendu ce
genre d’échanges :
« Tu ne dis rien, ça ne va pas ?
– Si, si, tout va bien, mais je ne suis pas en forme. »
Qu’est-ce qu’une maladie ?
N. C. : La notion de maladie étant subjective, comment peut-on la
définir au mieux ?
Thierry Janssen : « La maladie est une tentative de l’organisme de
retrouver un équilibre dans une situation perturbée. » Cette définition
proposée par Georges Canguilhem, dans sa thèse intitulée Le Normal et le
Pathologique, me paraît très pertinente. Si nous n’avons pas conscience
qu’il existe une « situation perturbée » à l’origine de la maladie, nous
passons à côté de la possibilité de prévenir ses symptômes, mais aussi de
guérir ses causes profondes.
Il me paraît également important de faire la distinction entre les notions
de « bonne santé » et de « mauvaise santé ». Ce n’est pas parce que l’on est
malade que l’on est en mauvaise santé. Si on a retrouvé un équilibre une
fois la maladie traitée, alors on a recouvré une bonne santé. Ainsi, on
peut avoir une maladie et être en bonne santé. Prenons l’exemple du
diabète : si la personne qui en est atteinte est bien traitée, elle retrouve la
capacité de s’adapter aux perturbations de l’existence. Il est donc important
que cette personne arrête de se considérer comme malade. Cela me paraît
essentiel car, dans le cas du diabète et de nombreuses autres pathologies qui
s’inscrivent dans la durée (ce que l’on appelle les « maladies chroniques »),
le fait de ne plus se considérer comme malade permet d’éviter de broyer des
idées noires et d’être traversé par des émotions désagréables qui fragilisent
l’état de bonne santé.

N. C. : Quelles formes peut prendre la maladie ?


T. J. : Nous sommes des êtres vivants, or la vie est complexe,
multidimensionnelle ; la maladie étant une expression du vivant est un
phénomène complexe et multidimensionnel. La langue anglaise – très
précise et adaptée au langage scientifique – utilise trois mots différents pour
qualifier la maladie :
– Disease : la perte de ease, c’est la perte de fluidité, d’équilibre et
d’harmonie. La maladie est envisagée en tant que phénomène physique,
biologique, qui est facilement objectivable et quantifiable par la médecine
conventionnelle.
– Illness : le mal-être qui accompagne les symptômes physiques ; la
détresse psychologique que le patient exprime à l’occasion de sa maladie et
qui n’est pas forcément à l’origine de celle-ci ; une difficulté émotionnelle
liée à une épreuve qui est parfois antérieure à l’apparition de la maladie. Ce
mal-être est pris en charge par les médecines et thérapies qui s’intéressent
aux souffrances psychiques.
– Sickness : la maladie vue en tant que phénomène social qui demande
une réponse de l’ensemble de la communauté au sein de laquelle elle
apparaît. Par exemple, en Occident, on observe une augmentation
indéniable du nombre de cancers, notamment chez les jeunes. Certains
cancers plus que d’autres et dans certaines régions plus que d’autres… – ce
qui pose la question de l’environnement ou des modes de vie par rapport à
l’émergence de ces maladies. Toute la société devrait se demander comment
faire pour qu’il y ait moins de cancers, notamment chez les enfants.

Exprimer notre douleur est complexe


N. C. : La douleur est-elle difficile à qualifier ?
Gérard Ostermann : Oui. Prenons quelqu’un qui a une inflammation,
une importante douleur au genou. D’abord, il va dire : « Ça fait mal. » (une
douleur aiguë). Ensuite : « J’ai mal. » (une douleur qui persiste ou qui se
répète). Et enfin : « Je vais mal. » ou « Je suis mal. » (une souffrance
morale). Et ce dernier point est tout aussi réel et parfois plus douloureux
pour le patient que s’il s’agissait de lésions tissulaires. Voici un autre
exemple, une personne pourrait dire : « Je vais mal. » parce qu’elle souffre
de se sentir vieillir. Et pourtant, très souvent, elle ne va pas s’exprimer ainsi
car il est plus facile de dire « J’ai mal. » que « Je vais mal. » « Je vais
mal. » peut être considéré comme un aveu de faiblesse. Ensuite, l’approche
médicale étant plus attentive à la douleur physique qu’à la douleur
psychique, le patient s’est adapté à cette vision des choses. C’est donc au
thérapeute, quel qu’il soit, d’entendre le niveau de cette douleur… de
cette souffrance… afin d’évaluer l’état de santé de la personne. J’ai publié
récemment un article 2, dans lequel je précise que la douleur est le premier
symptôme de consultation en médecine en France et en Europe. C’est le
premier niveau de plainte !

N. C. : La douleur, lorsqu’elle ne part pas, ne devrait-elle pas nous


inciter, nous patients, à chercher une autre voie, plus psychologique ?
G. O. : Si quelqu’un a des douleurs répétitives, qu’on qualifierait de
« chroniques », et s’il n’arrive pas à s’en débarrasser, on peut se demander
en effet quelle est la fonction de cette douleur. À quoi sert-elle ? Qui sert-
elle à l’intérieur ? Je n’aime pas trop le terme psychanalytique de « bénéfice
secondaire », mais on peut considérer que la douleur est souvent un point
d’ancrage de quelque chose de plus profond. La douleur est une sensation,
une émotion, une cognition, un comportement… Donc, quand quelqu’un dit
« J’ai mal. », on pose des questions simples : « Où avez-vous mal ? Depuis
combien de temps avez-vous mal ? » Mais on n’est pas plus avancé car il
faut essayer de comprendre quelle est la racine de la douleur, d’où elle sort,
ce qu’elle permet, quelle est sa fonction. Parfois, la douleur physique a
une mission anti-souffrance morale.

N. C. : Une douleur physique peut naître d’une souffrance morale ?


G. O. : La douleur, quand elle devient chronique, permet parfois
d’éviter la rencontre avec une souffrance qui serait beaucoup plus
destructrice. Imaginons un individu qui considère que sa vie est nulle, que
sa vie professionnelle est ratée et qu’il n’est pas heureux dans son couple.
Et soudain, il développe des douleurs dans le dos, au genou, sur le plan
abdominal. Tant que cette douleur considérée comme somatique est
présente, on s’occupe de lui, on tente de le soigner physiquement et il ne va
pas voir ce qui se passe au niveau profond de son mal-être. Bien entendu,
on ne peut pas appliquer ce principe à toutes les maladies, mais j’insiste sur
l’intérêt d’éviter de faire un focus systématique sur la douleur… sans penser
à ouvrir le diaphragme sur l’ensemble de la personne. Autrement dit, on
l’interroge sur ses valeurs et ce qui est important pour elle. Et cette valeur
blessée va parler à un moment : « J’ai mal partout, docteur. »
Si on traite le « J’ai mal partout » seulement avec des médicaments
antalgiques *2, le résultat ne va pas être terrible. Peut-être que la douleur va
un peu se calmer, mais elle peut revenir et parfois plus fort. Le problème est
qu’on laisse croire à la personne qu’on a un traitement pour elle. Il serait
préférable de lui annoncer qu’on va essayer de l’aider à soulager la
douleur, mais que cela ne résoudra pas la cause de la douleur, ni même la
totalité de la sensation douloureuse. Il faut avoir l’honnêteté de le dire. Et
dans ce cas, ce qui va l’aider à résoudre sa douleur, c’est qu’on puisse
accéder à ce que le patient est vraiment, dans le cadre d’une alliance
thérapeutique : « Je vais essayer de vous aider, je vais faire le maximum
pour vous aider, mais j’ai besoin que vous m’aidiez à vous aider. Et pour
cela, j’ai besoin d’en savoir davantage sur votre vie, sur votre histoire,
et en particulier sur votre enfance, votre adolescence, et tous les
moments où vos valeurs ont été blessées. » Donc en effet, parfois, la
douleur protège. C’est délicat de dire cela, mais il est important de se poser
ces questions. Parce que le piège, ce serait de mettre immédiatement la
personne dans une case, un tiroir : « Ça, ça veut dire ça, et c’est égal à
ça. » Avec des certitudes, on ne creuse pas les choses. Poser un diagnostic,
oui, mais pas trop vite… sauf si c’est une urgence ou qu’il y a un arrêt
cardiaque. J’ai fait de la réanimation pendant une dizaine d’années, donc
je sais que parfois il faut agir vite, bien sûr. Mais quand les gens viennent
en médecine interne, en psychothérapie, il n’y a pas d’urgence, sauf s’ils
sont suicidaires. Et même s’ils sont suicidaires, il faut prendre le temps de
l’écoute.
CHAPITRE 2

Faire face à la douleur

Natacha Calestrémé : La douleur qui accompagne la maladie est


subjective. Dès lors, peut-on la mesurer ?
Gérard Ostermann : On peut évaluer la douleur avec une échelle
visuelle analogique (« Sur une échelle de 1 à 10… où se situe votre
douleur ? »), mais il faut être très prudent avec cela, parce que son
utilisation à outrance nous donne l’illusion de croire qu’on a vraiment
compris à quel niveau la personne a mal, ce qui n’est pas toujours vrai. Cela
a néanmoins un intérêt parce que cela permet de rendre visible l’invisible,
ou de le manifester. On demande :
« Madame, vous avez mal à la tête ? C’est peut-être une migraine. Sur
la réglette, là, à combien l’évaluez-vous ? 0, vous n’avez pas mal du tout ;
10, c’est intolérable. Vous êtes où ?
– Oh, je suis plutôt là. »
Plus tard, quand on repose la question, on constate l’évolution, c’est
productif, cela a une certaine valeur. On poursuit le test avec les
médicaments.
« Hier, vous me disiez que vous aviez mal, vous étiez à 8, et avec ce
qu’on vous a donné ?
– Ah non, maintenant je suis plutôt à 5. »
C’est intéressant, mais le danger est de croire que, parce qu’on a évalué
les choses, on a soigné l’individu alors qu’on ne l’a pas véritablement
accompagné dans la gestion de sa douleur. À l’hôpital, lorsque le personnel
de santé visite les patients : « Alors, madame, vous êtes à combien ? 5…
ou 4 ? 3… Bon, c’est supportable, on passe au suivant. » Et pourtant la
personne n’a rien dit d’elle. Son niveau de souffrance est un indice, une
évaluation parmi d’autres, mais cela ne nous renseigne en rien sur ce qu’elle
vit globalement.

L’intérêt d’apaiser la douleur


N. C. : L’apaisement de la douleur aide-t-il à lutter contre la maladie
elle-même ?
G. O. : Oui, parce que la douleur fatigue, elle épuise et déprime. Quand
on a mal en permanence, notre immunité en est altérée… Or, en cas de
maladie, on doit se défendre contre quelque chose, ce qui suppose un
mécanisme de combat. Si nos ressources sont parasitées par la douleur,
notre engagement vers la guérison sera moindre.
N. C. : D’où le rôle et la force de la médecine conventionnelle qui sait
calmer la douleur.
G. O. : Absolument. Si on est malade, le fait d’avoir moins mal va nous
redonner confiance et stimuler notre immunité même dans des aspects que
l’on ne connaît pas encore. L’espoir revient et cela fait intervenir une
dimension résiliente très forte.

Les différences entre douleur aiguë


et douleur chronique
N. C. : Dans l’un de vos articles scientifiques 3, vous avez écrit qu’une
douleur aiguë génère une pulsion vers l’autre : on cherche une solution à
l’extérieur de soi, par exemple un thérapeute, mais que, si cette douleur
devient chronique, elle crée au contraire un repli sur soi-même, un arrêt de
toute activité. L’intensité de la douleur, et surtout son aspect chronique,
induirait en nous des comportements différents ?
G. O. : Oui, il faut distinguer la douleur centrifuge, qui éloigne de soi,
et la douleur centripète, qui ramène à soi. Il existe une pensée slogan qui
l’évoque parfaitement : la douleur aiguë alarme, la douleur chronique
désarme. Lorsque la douleur aiguë alarme, très vite on se met en quête de
solution. On a tendance à se tourner vers l’extérieur pour trouver quelqu’un
qui soit capable de résoudre notre problème. Quant à la douleur chronique,
elle nous renvoie à une position de repli, on revient vers soi et on essaie de
comprendre ce qui nous arrive. Si elle est trop forte, elle nous pousse à
l’isolement et à une forme de dépersonnalisation, à une forme d’« arrêt de
vie ».

Distinguer douleur et souffrance


N. C. : Quelle différence faites-vous entre douleur et souffrance ?
Thierry Janssen : Réduire la douleur, c’est empêcher la souffrance de
s’immiscer en nous. Il est important de faire la distinction entre la notion de
douleur et celle de souffrance. Pourtant ce n’est pas facile car les points de
vue neurologique, psychologique, anthropologique et philosophique peinent
à se rejoindre sur le sujet. Personnellement, je pense que l’on peut dire que
la souffrance éprouvée à l’occasion d’une perception douloureuse (que
celle-ci soit physique ou psychologique ou, bien souvent, les deux en même
temps) dépend beaucoup de notre seuil de sensibilité, de notre
conditionnement culturel, de la valeur symbolique que nous attachons à la
douleur, et de notre identification à ce que nous percevons. Si nous
construisons notre identité en tant que personne qui a mal, notre douleur
peut créer une détresse psychologique qui peut devenir une réelle
souffrance. C’est la raison pour laquelle les bouddhistes et les stoïciens
insistent sur le fait que l’on peut réduire la souffrance en apprenant
simplement à constater la douleur sans ajouter trop d’affect à notre
perception. Par ailleurs, les recherches sur l’hypnose montrent que l’on peut
opérer une dissociation entre les stimuli douloureux et notre expérience
subjective de la douleur.
CHAPITRE 3

Qu’attendons-nous de notre médecin ?

Natacha Calestrémé : Qu’espère le patient d’un thérapeute quand il lui


dit « J’ai mal. » ?
Thierry Janssen : Qu’on s’intéresse à lui, à ce qu’il vit, pas à lui en tant
que personne mais à son vécu particulier. Il attend qu’on s’occupe de son
problème, qu’on y porte de l’intérêt et qu’on l’aide à trouver une solution à
cette douleur ou à ce mal-être, parce que ce n’est pas forcément physique.
Parfois, certaines personnes se plaignent de douleurs physiques alors qu’en
définitive leur plainte est avant tout la traduction d’un profond mal-être
psychologique.

N. C. : Le thérapeute peut-il savoir assez vite s’il s’agit d’une douleur


physique : « J’ai mal. » ou d’une douleur psychologique : « Je vais mal. » ?
T. J. : Je pense que oui, mais il faut se méfier de ne pas projeter notre
propre vécu sur les patients. Dans une relation quelle qu’elle soit, a fortiori
thérapeutique, il y a des phénomènes de transfert et de contre-transfert.
C’est-à-dire qu’on ne voit pas forcément l’autre comme il est vraiment,
mais plutôt en fonction des références que l’on a dans notre bibliothèque
mémorielle, dans nos souvenirs. Si le patient nous évoque un proche qui
nous mentait ou qui exagérait, on peut très vite coller sur la personne en
face de nous des intentions de mensonge ou d’exagération… alors que ce
n’est pas forcément le cas. Tout thérapeute se doit d’être conscient de ce
piège. Il faut rester dans l’ouverture, disponible à ce que le patient exprime
et être à l’écoute des informations perçues. Si l’on est présent – il s’agit
d’une vraie présence à l’autre –, on devient attentif à des signes que l’on va
peut-être pouvoir analyser objectivement (une tension visible sur le visage,
par exemple), ainsi qu’à d’autres signes que l’on capte de manière non
consciente. Ces informations nourrissent ce que j’appelle « l’intuition ».
Notre cerveau de thérapeute, de soignant perçoit une multitude de petits
indices, dont l’analyse non consciente génère une impression, des émotions
qui constituent notre intuition. Celle-ci oriente les questions que l’on pose
au patient et, en fonction des réponses obtenues, on peut se faire une idée de
l’importance et de la gravité de ce qu’il exprime.
TRANSFERT ET CONTRE-TRANSFERT
(THIERRY JANSSEN)

Les transferts et les contre-transferts sont omniprésents dans les relations


humaines. Nous croyons vivre en contact avec la réalité et, en fait, nous la voyons
à travers le prisme de nos anciennes expériences. Chaque fois que nous
rencontrons une personne, en particulier lorsque c’est la première fois, nous
avons tendance à projeter sur elle des a priori liés à ce que l’on a déjà vécu
auprès d’autres personnes que l’on estime similaires. Cette projection est un
« transfert » du passé sur le présent. Lorsque la personne que nous rencontrons
nous rappelle quelqu’un avec qui nous avons eu une expérience agréable, le
transfert est positif. Si l’expérience avait été désagréable, le transfert serait
négatif. Tout cela n’est pas conscient. Notre attitude, plus ou moins positive à
l’égard de la personne que nous rencontrons, engendre chez elle un « contre-
transfert » plus ou moins positif en fonction de qui nous lui rappelons parmi les
gens de son passé. Ce phénomène se produit dans toutes les relations humaines.
Lors des rencontres entre soignant et soigné, il est essentiel d’éviter de tomber
dans le piège de ces transferts. Un transfert positif non conscientisé, et du coup
non maîtrisé, peut transformer la relation en un jeu de séduction, de pouvoir ou de
soumission. Un transfert négatif peut engendrer de la méfiance et une distance
qui nuira à la confiance. Tout l’art est d’apprendre à rencontrer autrui au-delà des
transferts positifs et négatifs pour découvrir qui est vraiment le patient.

La rencontre entre le patient


et son médecin
N. C. : J’ai découvert qu’une étude 4 portant sur l’analyse des pratiques
médicales dans le monde montrait que la durée moyenne des consultations
en médecine générale est de cinq minutes. En France, les consultations
durent trois fois plus longtemps, puisqu’une autre étude 5 indique qu’elles
sont de seize minutes en moyenne. Quoi qu’il en soit, l’association La
Prévention médicale ajoute que « le savoir-faire et l’efficacité dans une
consultation ne sont que très partiellement liés à la durée réelle de cette
consultation 6 ». Notons que, dans l’Hexagone, les médecins généralistes
assurent deux millions de consultations chaque jour et travaillent en
moyenne cinquante heures par semaine 7. Est-ce que la pression, générée par
une demande de rendez-vous croissante et le fait que le nombre de
généralistes diminue chaque année 8, peut impacter la qualité de la rencontre
entre le patient et son médecin ?
Gérard Ostermann : Je me souviens d’anciennes études qui avaient mis
en évidence que, dans la moitié des consultations, le patient a le sentiment
de ne pas avoir été écouté 9 et qu’un malade qui expose son problème à un
médecin est en moyenne interrompu au bout de dix-huit secondes 10. Ces
données, confirmées par une étude américaine, portaient le temps de parole
du patient à seulement vingt-trois secondes avant qu’il ne soit arrêté par son
médecin 11. Et pourtant, si le patient a tout loisir de s’exprimer en finissant
par : « Qu’en pensez-vous, docteur ? », son temps de parole ne dépasse pas
une minute trente-deux en moyenne. Seuls 2 % d’entre eux dépassent cinq
minutes 12. J’ignore où nous en sommes aujourd’hui – les données
manquent –, mais la pénurie de professionnels de santé a forcément un
impact sur la manière d’agir de ceux-ci et l’on peut se demander s’ils ont
matériellement le temps d’aller à la « rencontre » du malade. C’est pourtant
indispensable.
On recommande au professionnel de santé de faire « l’anamnèse » du
patient, c’est-à-dire d’obtenir le récit des antécédents du malade. Ce mot,
issu du grec, signifie « faire remonter la mémoire de bas en haut ». Mais
l’anamnèse consiste en une rencontre et ne doit pas être un interrogatoire. Si
je demande : « Natacha, vous souffrez depuis quand ? Quels médicaments
avez-vous pris ? Et qu’est-ce qui n’a pas marché… ? », je vous enfonce
dans votre mal-être. Imaginons que vous veniez pour un problème
d’obésité : « Si je comprends bien, vous êtes en surpoids. Quel est votre
poids ? Votre taille ? Et vous ne faites pas de sport ? Vous avez suivi
combien de régimes ? » On évoque uniquement vos échecs ! L’anamnèse
devrait être un véritable entretien, comme le ferait un journaliste
d’investigation, quelqu’un qui a une curiosité empathique. Car dans le mot
« curiosité », il y a « cure », du latin cura, le soin.

N. C. : Pour sortir de l’interrogatoire et aller vers la rencontre, que


faudrait-il faire ?
G. O. : En séance, je fais comme si la personne venait d’un pays
lointain. Vous arrivez dans mon cabinet, vous avez des problèmes et je vais
agir comme si vous aviez une langue différente, un langage différent, des
représentations différentes. Vous m’intéressez, je voudrais comprendre
comment cela fonctionne dans votre cœur, dans votre tête, dans votre corps.
Une curiosité empathique.

Notre premier besoin


N. C. : Idéalement, comment le médecin devrait-il accueillir le patient ?
Thierry Janssen : En lui posant des questions ouvertes, en réalisant une
anamnèse, comme on dit en médecine, pour qu’il se révèle à lui-même et
que ses réponses offrent au médecin des informations qui, peut-être, seront
utiles à la compréhension de son problème. Il est très important de
s’intéresser au contexte dans lequel vit le patient, son alimentation, son
mode de vie, ses éventuelles difficultés professionnelles, personnelles,
sentimentales, la qualité de son sommeil, ses centres d’intérêt, ses
croyances… Tout cela peut intervenir dans la perception qu’il a de son
problème de santé et, éventuellement, cela peut avoir participé à son
apparition ou à son aggravation.
Prenons l’exemple de douleurs dorsales en lien avec une hernie discale.
Celles-ci surviennent souvent à la suite d’une trop grande tension installée
dans la durée, une trop grande poussée ou un effort ponctuel trop important,
souvent dans un contexte de mauvaises habitudes dans le maintien postural.
Le praticien pourrait alors demander au patient s’il se sent tendu. Si oui,
depuis quand ? S’il se souvient d’avoir fait un effort inconsidéré ? S’il a
l’habitude de mal se tenir ? S’il serre les poings ou les mâchoires de façon
chronique ? S’il marche penché en avant ? Quelle position adopte-t-il la
nuit ? Identifie-t-il des raisons d’être sous tension ? Est-il préoccupé,
insatisfait ? Si quelque chose pouvait changer ou s’améliorer dans son
existence, qu’est-ce que ce serait et qu’est-ce qui se passerait ? Qu’est-ce
qui devrait changer pour qu’il se sente moins tendu ? Et ainsi commence le
travail psychologique, en complément de la prise en charge physique. Le
praticien devrait être un accoucheur, il devrait aider le patient à trouver le
sens qu’il souhaite attacher à son expérience et éviter de lui imposer ses
propres projections. Parfois les théories du praticien concordent avec le sens
qui émerge de l’interrogatoire, parfois non. J’ai ainsi vu des praticiens qui
cherchaient à convaincre le patient que leur explication était la bonne.
D’autres devinent ou flairent la problématique du patient avant même que
celui-ci ait pu faire le chemin qui lui aurait permis de l’identifier et de se
l’approprier. On devrait se retenir d’aller trop vite dans le processus. Si on
laisse le temps au patient de s’explorer plus en profondeur, ce dernier
finit par trouver bien plus que ce que le thérapeute pourrait lui
suggérer.

N. C. : Donc, dans l’approche du patient, il est essentiel de poser des


questions et d’éviter des explications toutes faites…
T. J. : Oui, cela me paraît très important. Il y a quelques années, j’ai
accompagné des personnes qui avaient bénéficié de séances de rebirth (re-
naissance), une approche thérapeutique qui, par le souffle et des respirations
intenses, déclenche des décharges émotionnelles parfois spectaculaires,
accompagnées de prises de conscience souvent salutaires. L’une d’entre
elles avait consulté un thérapeute qui, à la fin de la séance, lui avait annoncé
que son problème était lié à une vie antérieure du temps de la Rome
impériale. Ces faits – impossibles à prouver par le patient et par le
thérapeute – ont généré beaucoup de confusion chez ce monsieur et l’ont
surtout empêché d’accéder à d’autres prises de conscience plus profondes et
en lien avec des faits bien réels. Pour le thérapeute, c’était sans doute un
moyen de se rassurer lui-même et, malheureusement, une façon (pas
forcément voulue) de prendre le pouvoir ! De nombreux soignants ne sont
pas du tout conscients du sauveur qui est en eux. Ce sauveur – une part
insécurisée de leur personnalité – cherche la reconnaissance en voulant
« trouver des solutions à tout prix ». L’ennui est qu’ils prennent le contrôle
de la vie de leurs patients. Cela peut aider ces patients dans un premier
temps, mais cela finit toujours par les enfermer dans une vision restreinte
d’eux-mêmes et, souvent, cela les rend très dépendants du soignant.
LA VALEUR AJOUTÉE DU MÉDECIN ET LES LIMITES
DE L’AUTOMÉDICATION

Nous sommes parfois tentés de reprendre d’anciens médicaments pour des


affections que nous estimons identiques à celles déjà vécues. Or le rôle du
médecin est de poser un diagnostic, éventuellement de repérer des éléments
cliniques nouveaux, de proposer une médication appropriée qui tienne compte de
l’historique du patient, mais aussi d’intégrer les risques de résistance au
médicament qui pourrait le rendre inefficace, voire dangereux. D’autre part,
comme l’explique très bien Patrice Queneau, professeur doyen honoraire de la
faculté de médecine de Saint-Étienne, et Damien Mascret, médecin journaliste,
« l’automédication apporte souvent un soulagement facile à nos petits maux
quotidiens : maux de tête, douleurs vertébrales ou des membres… Mais il est une
recommandation forte à ne pas se “bourrer” d’antalgiques pendant des mois et
des mois sans consulter, surtout quand les douleurs empirent et que bientôt rien
n’y fait. […] L’abus d’antalgiques pris en automédication trop longtemps ne
fait qu’aggraver les choses en masquant les douleurs révélatrices de
maladies 13. » Les docteurs Queneau et Mascret recommandent aux patients de
préciser, systématiquement, à leur médecin (traitant ou spécialiste) le nombre de
médicaments (antalgiques compris) avalés quotidiennement en indiquant depuis
combien de temps, afin d’éviter les contre-indications, l’inefficacité d’un autre
traitement – ou l’accoutumance. Tout médicament est potentiellement dangereux.
Enfin, l’automédication, parce qu’elle nous prive d’un rendez-vous chez le
médecin, « peut générer un retard de diagnostic, un délai supplémentaire dans la
prise en charge de la maladie et de la prescription d’un traitement efficace et, par
là même, provoquer une aggravation de l’état de santé du patient. Les risques
d’interactions médicamenteuses sont fréquents, notamment chez les personnes
âgées 14. »
CHAPITRE 4

La maladie a-t-elle toujours une cause ?

Natacha Calestrémé : Vous dîtes : « S’il suffisait de la présence de virus,


de bactéries et de microbes, nous serions tous malades tout le temps. » Pour
vous, qui êtes médecin, psychiatre et psychothérapeute, qu’est-ce qui fait
que l’on tombe malade ?
Jacques Besson : Évidemment, ce qui fait la maladie, ce n’est pas
uniquement le microbe, c’est bien plus complexe. Et c’est grâce à une
nouvelle science interdisciplinaire, la psycho-neuro-immunologie (une
discipline qui considère que l’état psychologique et neurologique d’un
individu affecte le fonctionnement de son système immunitaire), que l’on
peut aujourd’hui montrer les passerelles qui existent non seulement entre le
psychologique et le neurologique – cela, on le savait –, mais aussi entre le
neurologique et l’immunologique. Les premières données scientifiques dans
ce domaine remontent à plus de vingt ans. C’est encore en développement,
mais on dispose de bons arguments pour montrer la cohérence du tout.
N. C. : Les médecins de famille voient leurs patients pour une
lombalgie, une inflammation, une migraine, une cystite ou un eczéma… et
se désolent de les revoir trois mois ou un an après pour la même affection.
Est-ce que cela signifierait que l’on n’a pas trouvé la cause ?
Gérard Ostermann : La causalité en médecine est l’un des concepts les
plus malmenés aujourd’hui. Alors que l’on pensait avant qu’il n’y avait
qu’une seule cause : une infection = un streptocoque ou un staphylocoque,
par exemple… on sait aujourd’hui que c’est multi-causal. Pourquoi le
streptocoque est-il là ? Je pense que la médecine devrait davantage
s’intéresser au terrain et à cette notion de « pourquoi ça arrive ? » Ce qui a
fait que l’immunité du patient a chuté et qu’il a attrapé le streptocoque, par
exemple. Qu’est-ce qu’elle veut nous dire, cette inflammation ? Cela paraît
étrange de se poser cette question, mais interrogez les patients… Ils
commencent par ouvrir de grands yeux, mais cela finit par interpeller même
les très cartésiens. Il ne s’agit pas de demander : « Pourquoi faites-vous cet
eczéma ? », ce qui pourrait signifier : « Vous êtes responsable de ce
phénomène. » et induire une culpabilité alors que la personne subit
l’eczéma, mais de dire, par exemple :
« D’après vous, qu’est-ce qu’il veut nous dire, cet eczéma ?
– Je ne sais pas trop, ma mère en faisait, mon père aussi…
– Oui, il peut y avoir un facteur génétique, bien sûr, mais est-ce que
vous n’auriez pas vécu… autre chose ?
– Ben, je viens de divorcer…… » (ou « On vient de me priver de la
garde de mes enfants… » ou « Je viens de perdre mon travail, je me sens
abandonné de tous… »)
Le seul fait de se poser la question – attention, on ne donne pas la
réponse – permet au patient de prendre un peu de recul par rapport à
l’envahissement du symptôme et cela ouvre un espace de réflexion et de
possibles prises de conscience.

Chercher les causes, oui, mais jusqu’où ?


N. C. : Trouver la ou les causes profondes d’une maladie est un fameux
défi. Jusqu’où faut-il pousser les investigations ?
Thierry Janssen : Certains thérapeutes s’intéressent aux aspects
transgénérationnels, ils essaient d’identifier les causes psychologiques et les
habitudes comportementales à l’origine des maladies en examinant les
événements de la petite enfance et les croyances familiales, les loyautés aux
ancêtres, les héritages toxiques. Plus on explore le champ
transgénérationnel, plus on est impressionné par les répétitions
d’événements et de maladies, d’une génération à l’autre, parfois selon une
chronologie précise, comme s’il existait un calendrier inconscient au sein
des familles. Cela peut être destiné à révéler des souffrances inscrites dans
un lointain passé. C’est une très bonne voie d’exploration.
Cependant, cela ne devrait pas nous faire oublier qu’au-delà de notre
histoire familiale et personnelle, nous vivons dans un monde, une société,
avec des pollutions et des modes de vie qui perturbent l’équilibre dont parle
Georges Canguilhem. Alors, remonter dans notre histoire, oui, mais plutôt
que de creuser dans une seule direction, ouvrons un maximum de pistes.

N. C. : Simplifier les choses serait un piège ?


T. J. : Oui, malheureusement simplifier est souvent notre principale
manière de considérer la réalité. La plupart du temps, nous cherchons une
seule cause pour expliquer un symptôme et, souvent, nous envisageons un
seul traitement pour apporter une solution. Ce que je dis vaut pour toutes les
médecines, même alternatives ou complémentaires. Il faut éviter de
considérer que s’il y a eu guérison, c’est grâce à un seul traitement car,
on le sait, l’être humain est complexe. Nos protocoles scientifiques fondés
sur le découpage de l’organisme en morceaux et l’analyse réductionniste de
la réalité nous rendent très démunis pour évaluer l’effet de plusieurs causes
en même temps. C’est la raison pour laquelle il est très difficile de
comprendre ce qui intervient dans les guérisons obtenues grâce aux
pratiques thérapeutiques complémentaires ou alternatives. En effet,
contrairement aux traitements de la médecine conventionnelle, la plupart de
ces autres approches agissent à différents niveaux du vivant (physique,
psychique, énergétique et spirituel) et tiennent compte de la
multidimensionnalité de l’être humain.

Les dangers d’une surinterprétation


T. J. : Lorsque j’ai écrit en 2008 La maladie a-t-elle un sens ? Enquête
au-delà des croyances 15, j’étais un peu agacé par toutes ces sortes de
théories qui prétendaient que, si l’on tombe malade, c’était toujours en
raison d’une cause psychologique… et que le simple fait de trouver cette
cause permettait d’obtenir la guérison et que, par conséquent, on pouvait
arrêter tout autre traitement. Cette approche, qui a été sévèrement critiquée,
était le point de vue du médecin allemand Ryke Geerd Hamer et de ses
disciples et héritiers. Ils l’ont baptisée la « biologie totale » et je l’appelle la
« biologie totalitaire », parce qu’elle recommande aux patients de se
focaliser sur le conflit psychique à l’origine de la maladie et d’abandonner
tout autre traitement. Je trouve que cette façon d’aborder la maladie révèle
un manque de nuance et une ignorance de ce qu’est la vie, qui est d’une
grande complexité.

N. C. : Pourrait-on considérer les symptômes comme des messages


porteurs de sens ?
Jacques Besson : Il faut faire très attention de ne pas tout surinterpréter.
Il y a eu des abus d’une certaine médecine psychosomatique, qui
interprétait tout et rejetait tout le reste. La manière dont cela était présenté
culpabilisait les patients. C’est important de ne pas tomber dans ce
précipice-là : « Je suis malade parce que j’ai mal fait cela ou parce que j’ai
tout faux. » Non, on est malade parce qu’on est malade, d’abord. Cela, c’est
clair. Cependant, la corniche est étroite, si j’ose dire, et il ne faudrait pas
tomber de l’autre côté du précipice, en refusant de voir que la maladie peut
être porteuse de sens. Dans le manque, dans les confrontations aux
épreuves, il y a du sens à retrouver. Beaucoup de patients viennent me voir
parce qu’ils sont en dépression dans le cas de conflits conjugaux, par
exemple… Et ces patients vont faire un « saut quantique » quand ils vont
comprendre qu’ils sont dans les répétitions. Quelque chose se rejoue. Dans
ces cas-là, la dépression peut parfois devenir le symptôme de quelque chose
qui ne fonctionne pas dans la relation. La dépression n’est pas une punition,
elle ouvre une voie vers un changement…
CHAPITRE 5

Faut-il uniquement se fier


aux symptômes ?

Natacha Calestrémé : À quoi s’intéresse la médecine conventionnelle


en priorité ?
Thierry Janssen : Je constate que la médecine conventionnelle
s’intéresse avant tout aux symptômes. Les étudiants en médecine sont
formés pour obtenir des informations objectives, tangibles, palpables.
Comment éviter les projections et les transferts, comment développer une
présence à soi et à l’autre, comment exploiter de façon positive le
phénomène de l’intuition, tout cela n’est pas enseigné sur les bancs des
écoles de médecine. On passe ainsi à côté de la capacité de prendre en
compte une foule d’informations. Je dirais même que cela s’aggrave
actuellement à cause de la manière d’interroger les étudiants en médecine
lors des évaluations ou des examens. Ils doivent répondre à des
questionnaires à choix multiples (QCM) et ne rencontrent presque plus
l’examinateur ou le professeur en présentiel. Le facteur humain, le contact
visuel et physique ne sont plus là lors de l’évaluation de l’étudiant. La
même chose se produit entre le médecin et son patient. Et pourtant ces
contacts permettent d’obtenir des informations très importantes : la chaleur
qui se dégage du corps du patient, la moiteur de sa peau, mais aussi la
qualité de sa présence, les mouvements de son corps, sa manière de se
déplacer ou encore le champ d’énergie qui émane de son corps. Il y a peu
d’études conduites dans ce domaine parce que l’on n’a pas les moyens de
les faire, ou peut-être pas encore les outils pour mener à bien les
investigations, mais il y a beaucoup d’indices qui montrent qu’une personne
dégage un champ d’énergie, et qui dit énergie dit information. Tout cela
n’est absolument pas abordé dans le cursus médical, donc les praticiens de
la médecine conventionnelle sont comme amputés, privés de la capacité de
percevoir la réalité de manière élargie. Alors ils vont majoritairement
s’intéresser aux symptômes et recourir à une série d’examens pour
objectiver leur existence et quantifier leur importance. Et si l’on ne trouve
pas un substrat physique pour l’expliquer, on aura tendance à le nier.

N. C. : C’est-à-dire ?
T. J. : Lorsque je pratiquais à l’université la chirurgie urologique – la
chirurgie des voies urinaires –, beaucoup de femmes consultaient pour des
symptômes tels que des envies fréquentes d’uriner et une sensation de
brûlure lors de la miction *1. Le diagnostic de cystite était posé. Cette
inflammation de la vessie est très souvent due à une infection, à la présence
d’une bactérie. Mais parfois, à l’examen des urines, il n’y a pas de trace
d’infection. On parle alors de « cystite interstitielle ». Certains médecins
étaient décontenancés face à ces cas sans cause objectivable. Beaucoup
disaient : « C’est dans la tête, elles sont stressées, mais il n’y a rien, on va
leur prescrire un anxiolytique. » Pourtant, lorsque je réalisais un examen
endoscopique de la vessie de ces patientes, je constatais que le revêtement
interne de l’organe présentait des signes évidents d’inflammation. Je leur
prescrivais donc un médicament pour réduire l’inflammation, mais
j’essayais aussi de comprendre ce qui l’avait provoquée. Je leur posais des
questions. Le plus souvent, ces patientes constataient un lien entre certains
événements stressants et douloureux de leur vie et leurs crises de cystite. Il
y avait un rapport évident entre leur vécu émotionnel et les symptômes
inflammatoires dont elles souffraient. Il était donc important de les soulager
en traitant l’inflammation vésicale tout en leur proposant en même temps de
réduire leur stress, par exemple en pratiquant du sport, de la relaxation, de
la méditation, du yoga, du taï-chi ou du qi gong et, éventuellement, en
entamant une psychothérapie afin de les aider à comprendre ce qui les avait
perturbées.

N. C. : Cette recherche des symptômes est néanmoins essentielle…


T. J. : S’intéresser aux symptômes est important, mais, avant de
chercher à les supprimer, il faudrait essayer de comprendre pourquoi ils se
sont manifestés afin de pouvoir agir sur leurs causes profondes. Ici aussi, la
complexité est au rendez-vous. Quand j’étudiais en médecine, on
m’enseignait le poumon et ses maladies d’un côté… puis le système digestif
et ses maladies d’un autre…, etc. Aujourd’hui on essaie de créer des
passerelles en voyant par exemple pourquoi et comment, si l’on développe
une maladie au niveau du poumon, on peut avoir des symptômes qui se
déclarent ailleurs dans le corps. Mieux encore, la psycho-neuro-endocrino-
immunologie (PNEI) – une approche pluridisciplinaire encore trop peu
enseignée à l’université – nous permet de comprendre pourquoi et comment
nos pensées et nos émotions (notre psychisme) influencent le
fonctionnement de notre système nerveux et, de là, la production et la
sécrétion d’hormones ainsi que nos défenses immunitaires et les
mécanismes de réparation de notre organisme. C’est une voie royale pour
comprendre la pluridimensionnalité et la plurifactorialité de la maladie et de
sa guérison.
Il n’est pas nécessaire de posséder de grandes connaissances
scientifiques pour comprendre de quoi il s’agit ; tout est là, dans nos
expériences au quotidien. Qui n’a pas eu un bouton de fièvre après une
grande fatigue, une déconvenue personnelle ou un choc psychologique ?
Qui n’a pas constaté que sa peau était plus ou moins lumineuse, plus ou
moins grasse, plus ou moins couverte de boutons en fonction des
événements de sa vie ? Certains vont dire : « Il a des boutons parce qu’il
mange trop gras. » Soit, mais pourquoi mange-t-il trop gras ? Parce qu’il est
stressé et qu’il tente inconsciemment de réprimer des émotions
douloureuses, un mal-être, en anesthésiant son organisme avec une
nourriture lente à digérer. Au lieu de seulement proposer une crème contre
les boutons ou de prescrire des hormones destinées à modifier le
métabolisme, on pourrait aussi inciter le patient à s’alimenter autrement et,
le cas échéant, lui proposer d’entreprendre une démarche
psychothérapeutique pour l’aider à résoudre quelques conflits intérieurs à
l’origine de son stress.

La souffrance sans symptôme :


une maladie imaginaire ?
N. C. : Quand un médecin dit à un patient : « C’est dans la tête. », ou
« Ce n’est rien, c’est nerveux. », qu’est-ce qu’il veut dire ?
T. J. : Que si le symptôme n’est pas objectivable, palpable, quantifiable,
il n’existe pas. Pourtant, lorsqu’un soignant dit : « C’est nerveux. », il dit
quand même qu’il y a une raison ; « C’est nerveux. », sous-entendu « C’est
psychologique. ». Malheureusement, le manque de compétences
psychothérapeutiques de la plupart des soignants les rend impuissants face
aux difficultés d’ordre psychologique. Cela amène de nombreux soignants à
minimiser ces difficultés, voire à les nier, tout simplement.

N. C. : C’est aussi simple ?


T. J. : C’est tellement humain. Nous faisons cela tout le temps, moi le
premier. Dans ma propre vie, il y a plein de choses que je nie ou que je ne
veux pas regarder en face parce que je ne les comprends pas, parce qu’elles
me dépassent. J’ai alors tendance à dire : « Ce n’est rien. » et si j’identifie
une cause face à laquelle je me sens inefficace, je peux me comporter
comme si cette cause n’existait pas. Nous nions souvent une partie de la
réalité.
Les soignants formés à la médecine conventionnelle (mais pas
seulement eux) sont généralement peu préparés à accueillir la souffrance
psychique. La multidimensionnalité de la maladie, son aspect
psychologique, l’influence des pensées et des émotions sur la biologie, tout
cela est rarement abordé et peu exploré sur les bancs des facultés de
médecine. Aucune vision d’ensemble de la maladie, de la guérison et de la
bonne santé n’est enseignée. La médecine est tellement sectorisée ! Dès
qu’un problème mental est suspecté, on envoie la personne consulter un
psychiatre qui, souvent, se contente de prescrire un médicament. Prescrire
des médicaments pour ce mal-être ne suffit pas, il faut aussi comprendre
comment nos souffrances psychiques influencent le fonctionnement du
corps et l’aider à se détendre, à retrouver un équilibre et une bonne vitalité.

Le risque de ne s’intéresser qu’aux


symptômes
N. C. : En quoi se focaliser sur les symptômes est-il potentiellement
dommageable ?
T. J. : Si nous n’avons pas conscience qu’il existe une « situation
perturbée » à l’origine de la maladie, nous passons à côté de la possibilité
de prévenir ses symptômes, mais aussi de guérir ses causes profondes. Par
exemple, imaginons qu’un nuage de fumée toxique soit diffusé dans la
pièce où nous nous trouvons. Je vais me mettre à tousser. La toux est un
symptôme. Il est très heureux que j’aie ce symptôme parce qu’il est là pour
protéger mes muqueuses de cette fumée potentiellement dangereuse. La
médecine conventionnelle va tout de suite objectiver le symptôme et donner
un médicament pour supprimer la toux alors que la fumée continue d’être
là. Imaginez maintenant que la fumée augmente et que je tousse
énormément. Si j’avais un cœur fragile, dans ces efforts de toux, je pourrais
faire un infarctus et mourir. On dirait : « On aurait dû supprimer cette toux
beaucoup plus tôt ! » Mais non, on aurait dû empêcher la fumée de
continuer à se répandre. En se focalisant sur le symptôme (la toux) et en
voulant le supprimer rapidement sans en chercher la cause, on peut
favoriser l’apparition d’ennuis plus importants par la suite. Certes,
réduire l’intensité du symptôme est essentiel parce qu’en le canalisant, on
évite qu’il n’entraîne des complications potentiellement graves. Dans mon
exemple, un épuisement engendré par une toux trop forte pourrait mettre en
danger un cœur fragile. Mais cela ne devrait pas nous dispenser
d’écouter ce que le symptôme a à nous dire à propos des causes qui
l’ont fait apparaître et, plus important encore, de remédier à ces causes.

Comment la médecine considère


nos problèmes de santé
N. C. : Pourquoi la médecine conventionnelle s’intéresse-t-elle
essentiellement au corps ?
Gérard Ostermann : C’est le Dr Antonio Damasio, professeur de
neurologie, qui a mis en évidence la grande erreur de Descartes 16 : séparer
le corps et le psychisme (même si Descartes, à qui l’on associe ce dualisme,
a lui-même rejeté cette représentation à la fin de sa vie). Cette vision
simpliste divise l’humain en deux : la douleur physique, d’une part, la
souffrance morale, de l’autre. Or, l’humain est un être vivant complexe,
avec une histoire, une culture, des croyances, un langage, une famille, des
relations, des comportements et des émotions qui lui sont propres. Et
considérer « la douleur physique, biologique » séparément de « la douleur
morale, mentale, psychique » revient à couper l’humain en deux. Hélas,
certains scientifiques se sont nourris de ce dualisme. Et pourtant, lorsque je
vous parle et que vous m’écoutez, c’est générateur d’ambiance pour les
neuromédiateurs de votre cerveau, la représentation que vous vous faites en
m’écoutant génère un peu plus de sérotonine ; s’il y a un peu de plaisir, ce
sera de la dopamine ; s’il y a un peu d’affectif, ce sera de l’ocytocine. Le
cerveau qui questionne, qui décide et qui agit physiquement est le même
cerveau qui éprouve de la joie, du plaisir, de la tristesse ou une douleur
psychique. Psychisme et corps sont tellement indissociables que certaines
maladies, comme la fibromyalgie *2, sont dues au fait que les deux ne
fonctionnent plus ensemble. Tous les praticiens qui ont une expérience
clinique, ou qui prennent le temps d’écouter le patient, arrivent à la
conclusion que le soin ne peut se restreindre à guérir le symptôme.
D’ailleurs, de plus en plus de médecins refusent de devenir de simples
« techniciens du corps ».
CHAPITRE 6

Une médecine ultra-spécialisée

Natacha Calestrémé : Pourquoi la médecine conventionnelle envisage-


t-elle le patient par « morceaux » ?
Thierry Janssen : La science réductionniste et la médecine
conventionnelle qui en résulte sont profondément imprégnées de la vision
des Grecs anciens. Il est important de comprendre l’héritage historique du
monde de pensée dans lequel nous vivons. Au Ve siècle avant J.-C. il s’est
produit ce que l’on a appelé le « miracle grec ». À cette époque, à Athènes,
des philosophes se sont mis à penser le monde. C’est le début de la
civilisation grecque dite « classique ». Jusqu’alors, dans les grandes
civilisations traditionnelles de la Chine, de l’Inde, de l’Égypte et de la
Grèce antique, les êtres humains écoutaient le vivant : ils contemplaient la
nature et, intuitivement, ils en comprenaient le fonctionnement. Cela leur
permettait de comprendre comment respecter les équilibres qui font la
santé.
À l’inverse, les penseurs grecs ont considéré que l’être humain devait
utiliser son intelligence pour contrôler, dominer et influencer le monde. La
science occidentale s’est développée à partir de ce principe et a tout
découpé et analysé dans les moindres détails. Cela a donné naissance à la
science réductionniste et analytique. Au siècle des Lumières (XVIIIe siècle),
la tendance réductionniste s’est accentuée. Cette sorte de suprématie de
l’intellect, à force de tout couper en morceaux, nous a fait perdre la vision
de l’ensemble ainsi que la conscience de ce qu’est réellement le vivant. Car
le monde n’est pas constitué d’éléments séparés les uns des autres, il est
fait de liens et il est animé d’interactions. La méconnaissance de ces liens
– qui sont l’essence même du vivant – est à l’origine de toutes les grandes
crises écologiques, économiques et sociétales qui se profilent à l’horizon de
notre civilisation. Au XXe siècle, on a ainsi été capables d’annoncer et de
croire que « oui, il y a eu une explosion à Tchernobyl mais le nuage
radioactif va s’arrêter aux frontières de la France ». Parce que nous sommes
imprégnés d’une vision qui segmente tout, on ne se rend pas compte que
lorsqu’on pollue à Tokyo, il y aura des répercussions à Milan ou à Paris…
La médecine dite « scientifique » est le produit de cette pensée
réductionniste. Elle coupe l’être humain en morceaux et elle le soigne en
pièces détachées.

N. C. : D’où une valorisation des spécialistes…


T. J. : Oui, on regorge de médecins spécialistes et l’on a de moins en
moins de médecins généralistes ! Je me souviens que, sur les bancs de
l’université, la plupart des étudiants en médecine étaient fascinés par ces
professeurs qui nous parlaient de leur spécialité, et nous avions envie d’être
comme eux. Le métier de médecin généraliste était moins considéré. C’est
bien dommage car le médecin généraliste est celui qui peut tenir compte des
liens qui existent entre le psychisme et la santé du corps, entre la qualité de
l’environnement familial ou professionnel et les pathologies exprimées par
le patient. Malheureusement, étant souvent débordé, il se réfère à des
spécialistes et il prescrit une multitude d’examens qui lui font perdre sa
vision d’ensemble et le déconnectent de la connaissance de ce qui fait le
vivant. De la même manière, nos hôpitaux sont constitués de services
« médico-techniques » qui ne communiquent pas entre eux. Nous avons
développé une médecine morcelée qui s’adresse à un individu morcelé
et que l’on traite de façon morcelée. C’est très dommageable. Cette
médecine qui oublie les liens et les interactions est une médecine coupée de
la vie.
Cette tendance est probablement renforcée par le fait que les moyens
thérapeutiques, toujours plus sophistiqués, participent à la logique
consumériste sur laquelle notre économie s’est développée et continue de
prospérer. On parle d’un « système de santé » mais, en réalité, il s’agit
d’un « système de maladie », un système qui est en bonne santé… tant
qu’il y a des malades à soigner. Philosophiquement, c’est très perturbant
parce que cela signifie que, sans maladie, notre système dit « de santé »
s’effondrerait. Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il y a des gens
qui ont décidé cela. Cette logique de la maladie est structurelle, elle est liée
à notre manière de penser le monde. Dans ce système, l’augmentation des
dépenses consacrées aux soins et à l’administration participe à la croissance
économique. Le problème est que nous risquons alors de voir apparaître une
médecine à deux vitesses. Certaines personnes auront accès à des remèdes
et à des traitements de plus en plus sophistiqués et spécialisés. D’autres,
faute de pouvoir payer, ne pourront pas en bénéficier. Cette situation existe
déjà dans de nombreux endroits sur notre planète.

N. C. : Au sujet de la « sectorisation » du traitement de la maladie, la


mère d’une de mes amies a été traitée à l’hôpital, en cardiologie, pour une
« fuite mitrale » (un problème cardiaque). Par ailleurs, elle se plaignait
d’une boule et d’une douleur à l’abdomen et on lui répondait : « Oh là !
Mais on est ici pour votre cœur ! » Une fois soignée pour son cœur, elle est
rentrée chez elle et, quinze jours plus tard, elle est repartie aux urgences et
on lui a diagnostiqué une occlusion intestinale. En chirurgie viscérale, elle a
dû demander ses médicaments pour le cœur parce que personne n’avait
pensé à lui donner ses traitements alors qu’ils avaient son dossier médical,
puisque c’est dans cet hôpital que l’on avait traité son problème cardiaque.
Grâce à l’intervention de sa mère et malgré cette prise en charge
« morcelée », mon amie admet néanmoins que le personnel hospitalier a
sauvé la vie de sa maman. Reconnaissante, elle ajoute : « À la décharge des
médecins et infirmiers hospitaliers, ils sont tellement submergés et en sous-
effectifs, qu’ils font ce qu’ils peuvent. » Pendant la première
hospitalisation, elle a vécu une autre expérience significative : le vendredi,
la famille a été alertée par le médecin de l’existence d’une infection très
grave qui pourrait avoir de lourdes conséquences si elle n’était pas stoppée
pendant le week-end. Heureusement, la fièvre a diminué. Le lundi, mon
amie, très inquiète, a demandé au médecin alors présent (différent de celui
du vendredi) ce qu’il en était de l’infection. Il ignorait qu’elle avait eu une
infection ! Stupéfaite, et après plusieurs semaines passées dans les services,
mon amie s’est rendu compte que pour gagner du temps, les équipes
débordées n’échangent que sur ce qui ne va pas. Les bonnes nouvelles, on
n’en parle pas. Cela rejoint votre analyse d’un système orienté « maladie »
plutôt qu’un système de « bonne santé » qui s’explique, là, par un réel
problème de temps et d’effectifs. D’autant que le nombre de lits disponibles
à l’hôpital dépend aussi de la présence du personnel soignant, des
infirmières et infirmiers en premier lieu, dont la situation est terriblement
tendue.
T. J. : Bien sûr. Ceux qui œuvrent en hôpital ou en clinique savent que
ces structures sont en crise et qu’elles doivent être repensées avant que la
majorité des soignants soient victimes de surmenage. Le problème ne se
résume pas seulement au manque de personnel soignant, il est aussi lié à
l’organisation de notre système de santé. Dans les hôpitaux, ces vingt
dernières années, la proportion de personnel administratif a
considérablement augmenté et les soignants sont obligés de se consacrer à
des tâches administratives, à des procédures de contrôle prétendument dans
l’intérêt des malades. Mais finalement, ils sont moins disponibles pour
soigner et cela peut mettre les patients en réel danger. La direction des
institutions hospitalières devrait être confiée à ceux qui connaissent le
métier médical. Or, les hôpitaux sont gérés comme des entreprises et, avec
la sophistication croissante des moyens diagnostiques et des traitements
proposés, les coûts augmentent, ce qui oblige les dirigeants à accroître la
pression sur les soignants… Il ne faudrait pas oublier que, sans ces derniers,
il n’y a plus de médecine… Et, à force de malmener le personnel de santé,
plus personne ne voudra travailler dans les hôpitaux.

N. C. : Est-ce que le fait de considérer le corps humain par


« morceaux » est accentué par le fait que les étudiants en médecine
apprennent sur des corps sans vie ?
T. J. : Cela y participe. J’ai effectivement appris l’anatomie du corps
humain sur des cadavres qu’on disséquait. Ce n’était pas très heureux
comme expérience, cela sentait très mauvais, c’était sinistre et macabre, très
loin de la vie. Aujourd’hui, on remplace les cadavres par des images 3D ou
des mannequins en silicone. Il est alarmant de constater à quel point la
pratique de la médecine s’apprend loin des patients. Je me souviens une fois
aux urgences de l’hôpital universitaire où je travaillais, un jeune médecin a
mis un gant pour serrer la main d’une personne qui n’était pourtant pas sale.
C’est dommage car il se privait de tant d’informations dans ce contact.
Lorsque j’étais étudiant en médecine, on nous apprenait à percevoir la
chaleur et la moiteur des corps. Le toucher était au centre de notre
apprentissage. Nous apprenions à estimer la grosseur du cœur à travers la
palpation minutieuse de la poitrine. Qui fait encore cela aujourd’hui ? Dès
que l’on veut connaître la taille du cœur, on prescrit une échographie
cardiaque. Les examens techniques ont du bon, mais il est dommage qu’ils
nous éloignent des patients et nous rendent dépendants d’une
surconsommation technologique. Ce n’est pas comme cela que l’on va
arriver à maîtriser les dépenses de notre système malade.
N. C. : Une radiologue m’a un jour raconté que sa direction lui
demandait de faire x radiographies par jour, en ajoutant : « Si vous parlez
aux patients, vous ne ferez pas vos quotas. » Elle était la seule parmi ses
collègues à continuer à échanger avec les malades, au mépris des consignes.
T. J. : C’est terrible. À force de jouer ce jeu-là, la médecine
conventionnelle court après la maladie et ne la rattrapera jamais…

Peut-on soigner le corps sans tenir compte


des états d’âme ?
N. C. : Mais le patient s’y retrouve quand même, non ?
T. J. : Croyez-vous ? Qui a envie d’être soigné comme un objet sans
âme ? Plongés dans un univers technologique, privés de contacts sincères
avec les soignants, les patients ne sont malheureusement plus reliés à eux-
mêmes. Ils sont comme hypnotisés par une certaine vision d’eux-mêmes et
du monde et ne sont plus connectés à leur corps. Si on leur dit quelque
chose, ils le croient, ils ne le sentent pas. Ils perçoivent difficilement ce qui
se passe en eux et ont de plus en plus de mal à parler de ce qu’ils vivent.
Lorsqu’ils sollicitent les soignants, les patients rencontrent des êtres
épuisés qui, eux aussi, sont très peu en contact avec eux-mêmes, qui ne
perçoivent plus grand-chose et sont coupés de leur intuition, ce phénomène
émotionnel – et donc corporel – qui se produit grâce à l’analyse non
conscientisée d’un grand nombre d’informations. Beaucoup de soignants
n’y ont plus accès. Car il faut de l’espace et du temps pour écouter ce qui se
passe en soi et pouvoir faire appel à son intuition. On se retrouve comme
dans une mauvaise pièce de théâtre où tous les acteurs sont déconnectés
d’eux-mêmes et agissent sans trop réfléchir, sans trop sentir. Face à ce
constat, je comprends que certains envisagent une médecine dans laquelle
les soignants seront remplacés par des ordinateurs et des robots.
Personnellement, je trouve cela effrayant !
CHAPITRE 7

Les différences entre soin et traitement

Natacha Calestrémé : On connaît l’adage « Quand on cherche, on


trouve ». Il arrive que les professionnels de santé cherchent… et trouvent
finalement une « anomalie » qui ne s’exprimait pourtant pas en maladie.
Thierry Janssen : Tout à fait. Un bon exemple est celui de l’antigène
prostatique spécifique (PSA). Lorsque j’exerçais comme chirurgien
urologue, dans les années 1990, le PSA s’est révélé être un marqueur
biologique dont l’augmentation permettait de suspecter la présence d’un
cancer de la prostate. On conseillait alors à tous les hommes de plus de
50 ans de se soumettre régulièrement à un dosage sanguin du PSA. Si celui-
ci se révélait supérieur à un taux considéré comme normal, on effectuait une
échographie de la prostate au cours de laquelle on pratiquait des biopsies au
niveau des zones qui apparaissaient hétérogènes. Si on ne trouvait aucune
trace de cancer, on pratiquait d’autres biopsies car on voulait à tout prix
trouver le cancer suspecté. À force, on finissait parfois par découvrir de
petits foyers de cancer et on proposait alors aux patients une opération qui
consistait en l’ablation de la prostate dans son entièreté. Cette intervention
étant bien maîtrisée, on a assisté à une nette augmentation du nombre de
patients opérés. À l’époque, la carte de répartition du nombre de ces
prostatectomies radicales totales pratiquées aux États-Unis montrait une
nette prépondérance sur les côtes est et ouest, là où il y avait la plus forte
concentration de chirurgiens urologues. À tel point que ceux-ci ont été
suspectés de pousser leurs patients à se faire opérer pour une maladie qui,
dans un bon nombre de cas, ne leur causerait jamais de problème. C’est
particulièrement vrai pour les hommes d’un âge très avancé. D’ailleurs,
lorsqu’on examine cette catégorie de personnes après leur décès, leurs
autopsies révèlent souvent des foyers de cancer de la prostate totalement
asymptomatiques. On s’est alors demandé s’il fallait dépister le cancer de la
prostate avec autant d’acharnement et si, en cas de découverte de tout petits
foyers de la maladie, il était justifié de proposer un traitement aussi lourd et
parfois invalidant que l’ablation totale de la glande.

Comment prendre soin ?


N. C. : Quel est le meilleur moyen de prendre soin du patient ?
Gérard Ostermann : Le soin, c’est être à l’écoute des besoins de l’autre,
redoubler d’attention dans l’accompagnement. Alors qu’un traitement, c’est
essentiellement apporter une réponse à un diagnostic qui a été établi. Cette
réponse peut être médicamenteuse, chirurgicale ou bien une rééducation
fonctionnelle… Il y a de nombreuses voies thérapeutiques possibles. On va
donc supposer que quelque chose peut permettre un soulagement, voire une
guérison.
Or, la guérison ne nous appartient pas, même dans le cadre d’un
traitement médicamenteux. Qu’est-ce qui fait que quelqu’un retrouve une
bonne santé ? On ne le sait pas, parce que l’ensemble des paramètres nous
échappent. Et je me méfierais de quelqu’un qui prétendrait : « Ce
médicament va vous guérir. » ou « Je vais vous guérir. » On peut
éventuellement observer une efficacité immédiate, mais, sur le long terme,
le thérapeute qui s’exprime ainsi n’a pas permis à la personne de retrouver
son autonomie relationnelle. Parce que la guérison nous échappe toujours,
même avec des médicaments très efficaces. Par exemple, on a découvert
qu’une bactérie, Helicobacter pylori, est présente dans le cas d’ulcères de
l’estomac qui peuvent dégénérer en cancer. Et pourtant, si on traite cette
bactérie avec un médicament qui a fait ses preuves, il y a toujours des
personnes pour lesquelles le traitement ne marche pas. Le pourcentage de
succès thérapeutiques est limité. Pourquoi ? On l’ignore. Et à l’inverse,
pourquoi des médicaments que l’on peut considérer comme de purs
placebos (c’est-à-dire sans substance médicamenteuse) donnent-ils des
résultats étonnants sur le plan thérapeutique ? On ne sait pas non plus. Il se
passe pourtant quelque chose qui fait que ça marche. Je pense que le soin
fonctionne d’autant mieux qu’il y a un véritable accompagnement. Une
relation transférentielle et contre-transférentielle *1 est nécessaire, au sens où
elle permet : premièrement, une vraie présence dans la relation ;
deuxièmement, une sécurité intérieure ; troisièmement, une attente positive.
Alors quelque chose s’ouvre… comme un coffre-fort dont on aurait trouvé
la bonne combinaison. Et à l’inverse, un bon médicament peut devenir un
pur poison si la relation transférentielle et contre-transférentielle n’est pas
bonne.

S’adapter à chaque patient


G. O. : Prendre soin, soigner, c’est accompagner. Traiter, on l’a vu, c’est
autre chose : on essaie d’agir sur des mécanismes qu’on a identifiés. Les
deux approches sont compatibles. Il faut nous servir de l’accompagnement
psychologique mais également recourir à différents traitements, de
différents secteurs, pour faire en sorte que la guérison soit à l’œuvre. Mais,
encore une fois, la guérison nous échappe en tant que telle. Je pense que la
formule du chirurgien Ambroise Paré « Je le pansai, Dieu le guérit. » est
une manière élégante de dire que le processus de guérison en lui-même
nous échappe. Et, même en psychanalyse, Jacques Lacan a eu cette belle
formule : « La guérison survient de surcroît. »… C’est assez parlant : j’ai
beau essayer de défaire les liens névrotiques de quelqu’un, ce qui fait que la
personne va retrouver un espace de liberté et de pleine santé nous échappe.
L’important est de faire en sorte, dans les différentes étapes
préliminaires de traitement ou d’accompagnement, que quelque chose
puisse être mis en place qui fasse que la guérison sera possible. Sinon, on
tombe dans la toute-puissance de la médecine. On l’a été à un certain
moment, quand on a développé ce que j’appellerais la « médecine du
biomédical ». On avait des causes, des symptômes, des diagnostics
différentiels et un traitement potentiel. La médecine se croyait infaillible.
Or, on sait aujourd’hui, comme pour toute thérapie, qu’il y a des limites. Et
ces limites nous questionnent et nous renvoient à cette idée de la complexité
qui fait la richesse de l’individu. Difficile de tout expliquer. À un moment
on est à la limite des choses, et c’est là que vont fuser de nouvelles
hypothèses. Avec tout ce qui s’est développé au niveau des médecines
complémentaires, il faut bien reconnaître que nous avons changé notre
manière de concevoir le soin. La question n’est pas d’opposer une méthode
à une autre, c’est de les apposer. Et, face à la problématique d’une
personne, d’utiliser différents outils dans le puzzle de sa vie pour
permettre que des facteurs de guérison se mettent en place.
L’épigénétique vient à l’appui de cette vision des choses. On a tous des
déterminants génétiques… mais ces déterminants peuvent être modulés par
nos expériences de vie. L’environnement émotionnel, affectif, relationnel
dans lequel nous vivons va déclencher potentiellement des facteurs de
guérison, appelons-les des « facteurs de grande santé ». J’aime bien ce
terme parce que « la grande santé », c’est le fait de retrouver cet espace de
liberté en soi que l’on connaît ou dont on prend conscience, ainsi que toutes
les ressources qui existent en nous. C’était l’idée du psychiatre et
psychologue Milton Erickson : l’inconscient n’est pas malveillant, il est un
« lieu » (on devrait parler de « réseau neuronal étendu ») qui a un potentiel
de ressources, et qu’il nous importe, à nous, en tant que soignants, d’activer.
Et lorsqu’on voit des personnes sortir de leur prison du passé (un
traumatisme), de leurs névroses ou de leur dépression, on ne peut qu’être
émerveillé devant la puissance de l’être. Beaucoup de névroses aujourd’hui
ne sont plus tout à fait ce qu’observait Sigmund Freud ; ce sont davantage
des névroses existentielles. J’ai eu un patient infirmier l’autre jour qui m’a
dit : « Docteur, donnez-moi une bonne raison de vivre. » Sa femme l’a
quitté, son métier est dur, et en plus il a fait un Covid-19 long, donc il est
très fatigué et réfléchit à l’intérêt de son existence. Cela arrive souvent,
aujourd’hui. Et le danger, c’est qu’il y ait quelqu’un qui s’approche en
sauveur et qui lui dise : « On a la solution pour vous. » Alors que la
solution, c’est qu’il descende en lui-même et qu’il active des ressources
présentes en lui grâce à une relation aidante, un thérapeute, son entourage,
ou même pourquoi pas un animal de compagnie, dans le cas de personnes
isolées ou démunies.
Alors, en tant que thérapeute, ma question est : « Comment m’accorder
à cette personne qui a mal ? » Puis : « Qu’est-ce que je perçois de cette
personne qui a mal ? » Aujourd’hui, on vit dans un monde de la
communication, mais la communication peut être l’ennemie de la relation.
CHAPITRE 8

Pour une alliance thérapeutique

Natacha Calestrémé : En quoi la communication entre soigné et


soignant est-elle si importante ?
Gérard Ostermann : Dès l’instant où l’on naît, s’instaure une relation
avec soi, avec l’entourage et notre environnement. La communication, c’est
un outil de langage que l’on met en commun pour essayer à peu près de
s’entendre, mais est-ce le gage absolu de la relation ? Certainement pas.
Nous ne sommes pas reliés. La plupart des patients, on les croise, on ne les
rencontre pas. La rencontre est la clé de la thérapie, pourtant. C’est la
clé du soin, et même de la guérison. Quand je lis des articles qui disent
qu’il faudrait humaniser le soin, je me dis qu’on ne voit pas que c’est un
pléonasme. Parce que le soin implique par essence d’être relié à l’autre. On
l’a vu, le soin et le traitement, ce n’est pas la même chose. « On prend soin
de moi. » ou « On me donne un traitement. » On ne me porte pas la même
attention. Certaines médecines ne donnent que des traitements et oublient le
soin. Et cela pose question. Finalement, qu’est-ce qui fait que la personne
s’est sentie véritablement écoutée ? Écouter, c’est faire en sorte que l’autre
s’entende. On peut, par exemple, reformuler : « Si je comprends bien…
Votre préoccupation… Vous avez dit… Je m’interroge sur… Est-ce que j’ai
bien compris… ? Corrigez-moi si je me trompe… » de manière à s’accorder
à l’autre comme deux instruments de musique. Souvent, en fin de
consultation, je demande : « Vous êtes-vous senti écouté, entendu ? » Je
complète parfois par :
« Sur une échelle de 0 à 10, à combien estimeriez-vous que vous avez
été entendu ?
– 6.
– Qu’aurait-il fallu pour que vous vous sentiez entendu à 10 ?
– Que vous me demandiez ceci… »
Et l’on obtient des informations très intéressantes. On va aussi percevoir
d’autres choses à travers cette écoute. Le regard, la présence corporelle, la
gestuelle, c’est important, fondamental même. Lors d’une psychothérapie –
dans le soin tel que je le comprends aujourd’hui –, les techniques ne
représentent qu’une petite partie de l’efficacité. La motivation de la
personne compte pour beaucoup plus, c’est-à-dire son envie d’aller mieux
et les moyens qu’elle se donne pour y arriver. D’après moi, le thérapeute a
un trousseau de clés et le patient se sert de la bonne clé, au moment où il est
prêt. Quant à l’alliance thérapeutique, elle est essentielle et dépend de la
présence thérapeutique, que l’on pourrait définir comme étant la
participation active d’un thérapeute, empathique et chaleureux, bienveillant
dans son écoute, attentif sans être intrusif ni agressif. L’alliance
thérapeutique, c’est une aventure collaborative, un travail d’équipe,
l’ingrédient qui fait que « la thérapie prend ». Cette expression « alliance
thérapeutique » recouvre trois aspects : la collaboration entre le patient et
le thérapeute ; le lien affectif entre eux ; et leur aptitude à se mettre
d’accord sur des objectifs de traitement et sur les tâches à accomplir. Et
ainsi on se donne une chance que les croyances d’attente chez le patient et
le thérapeute (c’est-à-dire l’effet dit « placebo *1 ») entrent en jeu. Les
« croyances d’attente » désignent la confiance et l’espoir que le patient
place dans le thérapeute et le traitement ou le soin proposé, mais
également la confiance que le soignant met dans le traitement qu’il
prescrit et dans les ressources de son patient.
Pour le thérapeute, il est difficile de se positionner ni trop près ni trop
loin. Il faut trouver le bon dosage. Voilà une notion largement développée
dans tous les manuels de psychothérapie : « Il faut garder la bonne
distance. » Ce genre de phrase ne veut rien dire. La bonne distance, pour
certaines personnes, c’est d’avoir votre main sur leur main, après avoir
demandé l’autorisation ; c’est parfois une distance physique suffisante parce
que la personne a été agressée dans son enfance et qu’elle ne supporte pas
le moindre contact… Il n’y a pas de loi. En revanche, ce qui est très
important, c’est d’être distinct. C’est-à-dire, ce qu’elle vit en elle, ce que je
peux capter en elle, là, tout de suite, je sais intérieurement que c’est à elle et
pas à moi. C’est parce que c’est bien distinct que je ne vais pas m’empâter
dans l’empathie, que je ne vais pas être parasité par ce qu’elle me dit. Parce
que, dans la relation – nous l’avons vu –, il y a un transfert et un contre-
transfert. J’emprunte cette image au poète surréaliste André Breton qui
écrivait : « Cette personne est venue me voir, je ne la connaissais pas, et elle
m’a donné de mes nouvelles. » C’est ça, le contre-transfert. La blessure du
patient vient me toucher là où je suis déjà blessé. À un moment, dans son
regard, dans ses gestes, dans sa parole, dans sa voix, quelque chose est venu
me toucher. Et là, le travail, l’accordage, l’assentiment peut se faire à
condition que le thérapeute en soit conscient et qu’il garde cette distance
dont on vient de parler. On voit bien que c’est au-delà des mots, c’est plus
profond, plus intérieur. Donc, en premier lieu, on accueille l’autre
inconditionnellement. En deuxième lieu, on fait preuve de curiosité
empathique, on accède un peu au monde de l’autre par l’empathie
émotionnelle et l’empathie cognitive. Ensuite, on est attentif à la
congruence, c’est-à-dire au fait que ma parole soit ajustée à mon langage
corporel. Parce que si je vous dis : « Rassurez-vous, madame Calestrémé,
ça va bien se passer. » et qu’en réalité ma mimique, mes froncements de
sourcils vous indiquent exactement l’inverse, vous allez vous inquiéter. Le
psychologue Carl Rogers a défini ces trois éléments : l’accueil
inconditionnel, l’empathie, la congruence. Oui, c’est fondamental, mais il y
a une quatrième dimension qui est beaucoup plus importante et qui englobe
les trois premières, c’est la présence. Être véritablement présent à l’autre.

Le « délégué narcissique »
N. C. : Donc, la bonne posture pour le soignant, ce serait une présence
et une écoute ?
G. O. : Une posture d’écoute, mais active quand même. Permettre à la
personne d’accéder à ses ressources et lui permettre de les visualiser. C’est
pour cela qu’il faut créer un climat écosystémique où, si j’ose dire, on « fait
venir du monde dans la pièce ». En consultation, en alcoologie, pour les
addictions, il y a du monde dans la pièce ! Je fais intervenir des témoins
extérieurs, ils ne sont pas là, ce sont des témoins imaginaires, mais les gens
adorent jouer. Je fais entrer quelqu’un – le problème de la personne – et j’en
fais une créature narrative. Parfois, je la leur fais décrire pour que la
personne, progressivement, se désassocie de ce qui l’enfermait, de ce qui la
cuirassait complètement, de ce qui l’empêchait de respirer. Je vois des gens
qui me disent : « Ce que vous m’avez dit la semaine dernière, docteur, ça
m’a beaucoup aidé. » alors que je n’ai rien dit du tout. Pour ne pas gêner la
personne, je réponds : « Je trouve intéressant que vous ayez entendu ça. »
Ce qui se passe, je ne le contrôle pas.
Ensuite, pour l’aider, très souvent, je me sers d’un délégué narcissique,
la créature narrative évoquée précédemment : « Vous me faites penser à
Julie qui m’a raconté une histoire tout à fait comparable, et, en parlant avec
Julie, je me suis aperçu que… » On raconte une autre histoire, qui peut être
arrangée, peu importe, et qui permet à la personne de se décoller d’elle-
même, d’entendre l’histoire de Julie, et que cette dernière va s’en sortir. Et
comment s’en est-elle sortie ? Parce qu’elle a pu accéder à elle-même par le
biais de telle ou telle technique, telle ou telle approche. Cela ne tombe
jamais dans l’oreille d’un sourd. D’ailleurs, généralement, on me demande
toujours : « Vous avez des nouvelles de Julie, au fait ? » Le personnage est
entré en eux, ils s’y identifient. Et cela évite de rester piégé dans le
symptôme.

Nous considérer autrement


N. C. : Dans un article écrit avec le médecin Joseph Breuer, Freud note :
« À notre très grande surprise, nous découvrîmes, en effet, que chacun des
symptômes hystériques disparaissait immédiatement et sans retour quand
on réussissait à mettre en pleine lumière le souvenir de l’incident
déclenchant, à éveiller l’affect lié à ce dernier et quand, ensuite, le malade
décrivait ce qui lui était arrivé de façon fort détaillée et en donnant à son
émotion une expression verbale 17. » Le soignant doit-il s’intéresser aux
épreuves du passé pour aider le patient à guérir une maladie du présent ?
G. O. : Je précise que c’est le présent qui nous éclaire sur la manière
dont on a vécu le passé et non l’inverse. Ce qui importe, c’est la façon dont
la personne considère aujourd’hui son passé. Sinon, on induit que chaque
point du passé va impacter le patient et on le transforme ainsi en victime
passive de tous les événements douloureux qu’il a vécus. Or, certaines
épreuves anciennes ne provoqueront jamais de problème de santé. Cela
étant précisé, je vais citer le psychiatre et psychanalyste français d’origine
argentine Juan David Nasio : « La douleur n’est pas neuve, elle est en
quelque sorte la répétition d’une douleur ancienne, originelle, que nous
avons vécue mais dont nous avons oublié l’expérience 18. » Il y a toujours
une première douleur quelque part, une trace, ne serait-ce que dans notre
venue au monde. La vie est un empilement de traces douloureuses, si j’ose
dire. Le fait de se parler, d’échanger et de se regarder modifie l’ambiance
des neuromédiateurs et de tout ce qui se passe neurologiquement. À partir
du moment où il arrive quelque chose dans la vie psychique, l’inconscient
n’oublie rien, il reste toujours des traces. Cela n’en fait pas obligatoirement
un souvenir. Pour qu’il y ait souvenir, il faut qu’il y ait conscience.
Autrement dit, ce qui m’a piégé (un traumatisme, un vécu très difficile),
dans lequel je me suis englué, le seul fait d’en faire un récit et de le raconter
à quelqu’un, la façon dont je m’y prends fait qu’il y a une transformation de
la blessure psychique en une possible expression somatique, dans un bain
de neuromédiateurs très différents. Du coup, je ne le vis plus de la même
manière. Cela a beau être le même traumatisme, la façon dont je vais le
rejouer autrement à travers le récit le transforme. Et cela peut avoir un
effet positif sur le corps. Mais là encore, on est victime de cette pensée
réductrice qui place d’un côté le corps et de l’autre côté l’esprit et qui veut
que cet impact du psychisme sur la biologie, que nous observons tous, serait
impossible. Et pourtant tout est lié. Par exemple, beaucoup de personnes qui
se sont blessées, soi-disant « sans le faire exprès », peuvent prendre
conscience qu’elles pensaient à quelque chose qui les tourmentait
précisément à ce moment-là.
On évoque le corps, mais ne pourrait-on pas parler de « climats de
corps » ? Le premier climat de corps peut être l’hérédité. J’hérite de gènes,
donc je suis. Si je suis dans un climat de corps qui est mon estomac, ce qui
m’importe, c’est de manger. On peut avoir un climat de corps de pulsion,
d’attirance, de répulsion, puis un climat de corps de désir, de pensée, un
climat de corps de sentiments… On voit bien que tout cela n’est pas la
même chose. Donc quand on dit « corps », qu’est-ce qu’on dit ? Au fond,
un corps, c’est comme une maison. La plupart des gens que l’on rencontre
n’habitent principalement qu’une pièce de leur habitat. Je me sers très
souvent de cette métaphore pour entreprendre une psychothérapie. Je dis au
patient : « Nos maisons sont construites comme notre inconscient, donc si je
veux essayer de faire un petit voyage avec vous, essayer de comprendre ce
qui vous arrive, on va visiter toutes les pièces de votre maison. Alors, il y a
la façade, comment ça se présente (le paraître), il y a le hall d’entrée
(l’accueil), après il y a la cuisine (le lieu des transformations), le salon (le
lieu de vie), les toilettes (là où l’on se vide), la salle de bains (l’endroit où
l’on prend soin de soi). Il ne faut pas oublier la chambre à coucher
(l’intimité, le sommeil), la chambre d’amis (l’accueil de ses proches), le
grenier (la mémoire), la cave (les réserves, les pulsions), le jardin (notre
relation à l’environnement). » Les gens comprennent très bien. Et souvent
d’une séance à l’autre, ils reprennent d’eux-mêmes la métaphore : « On n’a
pas encore fait la chambre d’amis. » ou « On n’a pas fait la chambre à
coucher. » C’est un moyen métaphorique très sain pour commencer une
psychothérapie et cela rejoint ce que vous dites dans votre ouvrage Trouver
ma place 19. Comprendre nos difficultés en se penchant sur l’aspect de notre
maison, pièce par pièce.

N. C. : Le psychologue clinicien et psychothérapeute Nicolas Dumont


m’a en effet expliqué qu’il existerait un aspect « psychosomatique en circuit
externe », c’est-à-dire une relation entre soi, nos ressentis, notre vie, notre
corps et tout ce que nous investissons de notre affection (notre habitat, notre
véhicule ou même notre animal de compagnie) grâce à ce qu’il appelle une
« intrication psychique ». Cela peut-il aider à mettre en lumière quelques-
unes de nos problématiques inconscientes ?
G. O. : Prenons le temps d’observer nos proches ! Certaines personnes
sont constamment dans la cuisine, d’autres dans la salle de bains, quand
d’autres vivent 90 % de leur temps dans leur bureau, leur atelier ou leur
chambre ! N’est-ce pas révélateur de quelque chose ? Prenons un exemple :
si vous boudez votre cuisine au point de ne jamais vous préparer de repas,
cela peut dans certains cas indiquer une forme de rejet pour tout ce qui
permet de se transformer, d’évoluer, de changer.
Mettre une distance avec la maladie
N. C. : En utilisant des images qui nous aident à voir les choses
autrement, les thérapies narratives peuvent-elles nous aider à soulager une
maladie physique ?
G. O. : Oui. Si je vous reçois en séance de psychothérapie et que vous
me dites par exemple : « J’ai mal au ventre. », je vais vous demander :
« Quelle image pourriez-vous donner à ce mal de ventre ? Si c’était un
animal, un matériau… parce que je ne comprends pas très bien ce que vous
voulez dire…
– Mais vous êtes médecin… ?
– Oui, mais expliquez-moi vraiment ce que vous vivez… »
D’abord, on valide qu’on a compris le questionnement de la personne
qui vient consulter, son mal-être, en disant que l’on peut parfaitement
l’entendre, mais en même temps – dans les thérapies narratives – on va
essayer d’entrer dans une sorte de dialogue avec elle et avec son
inconscient. Son problème existentiel, on le transforme en créature
narrative, et on lui montre qu’elle est prisonnière de cette créature narrative.
Ce tout premier pas nous permet un petit décalage. Et là, la personne
prend la mesure de ce qui est advenu dans son esprit. Elle en était
imprégnée, mais en même temps ce n’était pas elle. Et tout ce travail libère
quelque chose qui active des ressources personnelles. On le sait depuis
Freud, sur le plan analytique, le « moi » n’est pas le « je ». « Le “moi” est
une croyance qui dépend de l’imaginaire », disait Lacan. Jung n’a pas dit
autre chose. Le moi, c’est ce que je crois être, et quand le moi est englué
dans quelque chose qui est un peu déprimé, pessimiste, le patient adhère à
cette vision de lui-même. À travers la pensée du suicide ou l’idée de
prendre un sac à dos et de dire « Je m’en vais ailleurs, je fuis cette ville. »,
idées qui paraissent être les seules à nous soulager… je crois que ce que
l’on cherche à éviter avant tout, c’est la rencontre avec la part d’inconnu qui
existe en nous. Cela fait peur, parce qu’on ne sait pas très bien qui on est.

N. C. : Quand on va mal, on chercherait à se déconnecter de soi ?


G. O. : Oui, je pense. Parce que se regarder en face, cela demande un
effort, mais aussi du courage et de la lucidité. Et effectivement c’est
difficile et c’est pour cela qu’on a besoin d’un accompagnement. Grâce à
cette « créature narrative », à ce décalage, on permet aux gens de sortir des
signifiants médicaux qu’ils croient connaître. La plupart des gens arrivent
avec un langage appris. Ils ont vu je ne sais combien de médecins, ils sont
dans une sorte de « nomadisme médical », on leur a collé une ou des
maladies sur le front et ils sont parfois même devenus la maladie. Alors, si
l’on ne démonte pas cela, si l’on ne déconstruit pas le vocabulaire, on
pourra difficilement les aider. J’entends souvent : « Docteur, je viens vous
voir parce que j’ai une fibromyalgie. » Peut-être que le patient a
l’impression qu’en ayant dit ce mot, on va le croire, le comprendre et le
soigner. Je lui réponds : « Écoutez, une fibromyalgie, je ne sais pas, mais
j’ai envie qu’on comprenne ensemble ce que ça veut dire. Comment ça
résonne pour vous ? Et qui vous l’a appris, comment c’est venu à vous ? »
Après, je personnalise, parce que le problème est le problème, l’individu est
l’individu, mais le problème n’est pas l’individu ! Il faut à tout prix éviter
une représentation identitaire. Je lui demande donc de définir son mal avec
une métaphore : « Et si c’était un animal… ? » Il va me parler d’un
personnage, d’une ombre, d’un monstre… Je poursuis : « Et qu’est-ce qu’il
veut, le monstre, pour vous ? Qu’est-ce qu’il vous souffle à l’oreille ? » On
le fait entrer dans la pièce, et soudain, la fibromyalgie n’est plus à
l’intérieur de la personne, elle est sur ce tabouret à côté, et on est en train de
parler avec la fibromyalgie et avec la personne…

N. C. : Comme si on la désassociait de sa maladie ?


G. O. : Exactement. Il faut désassocier pour réassocier autrement. Je
vous donne un autre exemple. Imaginons qu’on me dise : « Docteur, je
viens vous voir parce que j’ai une douleur chronique.
– Pour vous, qu’est-ce que le mot “chronique” veut dire ? »
Imaginons que vous êtes la patiente…
N. C. : Une douleur qui revient sans arrêt.
G. O. : Et cela veut dire que vous pourrez un jour revenir comme avant
ou pas ? Si c’est chronique ?
N. C. : Cela veut dire que j’ai constamment mal…
G. O. : C’est à vie, alors, si c’est chronique ?
N. C. : Non, j’aimerais bien m’en sortir…
G. O. : Si j’ai bien compris, quand vous me dites : « J’ai une douleur
chronique. », cela veut dire, madame, que vous avez une douleur qui se
répète tous les jours, c’est cela ?
N. C. : Non, non, pas tout le temps.
G. O. : Souvent ?
N. C. : Souvent.
G. O. : J’utilise un autre signifiant pour dire que cela se répète… et
vous-même vous venez d’introduire la possibilité d’une sortie de la
maladie, en disant : « Pas tout le temps. » Cela prouve qu’il y a des
intervalles, donc des exceptions. Et s’il y a des exceptions, qu’est-ce qui a
permis ces exceptions ? Et on va travailler sur l’exception. Et pour que
l’exception ne soit pas un hasard, je demande : « Est-ce qu’il y a eu un autre
exemple dans votre vie où vous aviez constaté que quelque chose se
répétait ? Précisez-moi ce qui a permis que cela cesse de se répéter. »
En lui montrant qu’elle a déjà connu une situation qui se répétait… et
qu’elle est arrivée à s’en défaire grâce à un contexte, on attire l’attention de
la personne sur une expérience douloureuse qui a connu une résolution et
qu’elle peut reproduire. Par exemple : « J’ai eu moins mal parce que j’étais
entourée… » Évaluer et comprendre la vie émotionnelle du patient qui
se plaint de douleurs chroniques permet d’intervenir et de traiter son
problème avec plus de succès. Dès lors, on entre en contact avec les
ressources inconscientes de la personne. C’est un travail sur les mots
employés, un travail de perception et un travail métaphorique. Vous avez
raison quand vous dites « Il faut désassocier. » On vient avec un problème,
mais si on est LE problème, on est prisonnier de sa propre croyance.
Supposons que vous arriviez en disant : « Je viens vous voir parce que je
souffre d’anxiété. » Imaginez maintenant que vous disiez : « Je viens vous
voir parce que je suis une anxieuse. » Ce n’est pas tout à fait pareil sur le
plan identitaire. Et pire encore, si vous annoncez : « Oh ! vous savez,
docteur, je ne suis qu’une anxieuse. »
La réduction identitaire est totale ! Se définir par sa maladie, c’est une
vraie « fausse identité », c’est un vrai « faux passeport ».

N. C. : Cela me fait penser à la manière dont le personnel soignant


s’exprime dans les centres hospitaliers : « la pneumonie de la chambre 12 »,
« le cancer de la prostate en salle de soin »…
G. O. : On n’a plus qu’à sortir de l’hôpital avec une pancarte : « Je suis
fibromyalgique ! » Comment guérir si l’on est réduit à sa maladie ? Il y a
même un risque que l’on ne veuille pas guérir – inconsciemment – pour
continuer à être considéré de la même manière par son entourage, si l’on
s’est défini par cette maladie depuis longtemps et qu’on reçoit ainsi de
l’attention. Quelle est la sortie pour cette personne ? Il faut lui permettre de
travailler sur sa relation identitaire, « moi et le monde », « moi et l’autre »,
« moi et moi », pour qu’elle sente que son identité n’est pas ce qu’elle en a
fait, ni ce que la médecine en a fait en la désignant comme « cancéreuse »
ou « migraineuse ».
Il existe néanmoins une exception. Parfois, le fait d’appartenir à un
groupe de malades aide à mieux faire face à la maladie. Et s’identifier à la
maladie peut être justifié : l’union faisant la force, cette appartenance peut
générer un gain d’énergie ou de combativité face à la maladie.
Mais, le plus souvent, cette identification risque d’enfermer la personne
dans son problème de santé. Un jour, une femme est venue me consulter.
Elle a une trentaine d’années et une anorexie évidente. Je lui demande :
« Qu’est-ce qui vous amène ? » (C’est la question habituelle pour
attester qu’il y a eu un effort de sa part, pour venir.)
– Je suis… anorexique.
– Je ne comprends rien à ce que vous dites…
– Sur Internet, j’ai vu que vous soigniez les troubles alimentaires et
l’anorexie…
– Que vous souffriez d’anorexie, c’est évident, mais qui vous êtes, je
n’en sais toujours rien. »
Rien que cela, cela crée un décalage, cela l’a désassociée de sa maladie.
Elle a tout de suite compris qu’elle se saisissait de l’anorexie pour en faire
une identité. C’est la même chose pour les fibromyalgies, les endométrioses
et beaucoup d’autres pathologies. Bon, ce n’est pas toujours aussi simple.
Parfois ces personnes portent le symptôme d’un arbre familial malade,
néanmoins l’important est de ne pas entretenir cela, de ne pas les laisser
dans leur fausse identité.

N. C. : Le symptôme d’un arbre familial malade… c’est-à-dire ?


G. O. : Reprenons le cas de cette jeune femme atteinte d’anorexie.
Imaginons qu’elle a une mère toxique, ou hyper-protectrice, un père
préoccupé par l’image corporelle ou une grand-mère tyrannique… Il y a
plusieurs cas de figure possibles. La jeune fille veut sortir des névroses
familiales en se disant : « Je ne veux pas de ce que vous me donnez, je ne
veux pas avaler de cette nourriture-là. » Ce qu’elle veut, c’est de l’amour,
un véritable amour.
N. C. : La personne refuserait, d’une certaine manière, d’adhérer au
schéma familial ?
G. O. : Absolument, comme dans le cas d’une grève de la faim, mais
inconsciemment. On refuse les diktats de la société, on se met à manifester,
puis à faire la grève de la faim. Sauf que, dans le cas de l’anorexie, c’est
plus subi que choisi, mais il n’empêche que, quand ces jeunes filles font un
mètre soixante-quinze et trente-cinq kilos, on se demande comment elles
tiennent debout. Comme je l’ai écrit dans un article, elles sont si maigres
qu’elles sont thanatophores, c’est-à-dire qu’elles portent la mort. Mais la
mort de quoi ou de qui ? On entre dans l’anamnèse et on fait remonter la
mémoire. « Est-ce que, Pauline, quand vous étiez enfant, un deuil vous
aurait touchée ? Ça peut être un chat, une grand-mère, un oncle… »
D’autres fois, c’est le couple parental qui est mort, ou l’idée qu’elle se
faisait d’une autorité parentale ou de la représentation du couple, parce que
la jeune fille a vécu un traumatisme (inceste, viol, a vu un de ses parents
tromper l’autre…). Dans ce cas, elle maintient inconsciemment cette figure
de la mort pour afficher, en quelque sorte, ce déséquilibre nié par la famille.
Ma prescription médicale sera de recevoir avec elle les parents, sinon ce
n’est pas juste et je pourrais alimenter sa peur d’être jugée. Pauline est là,
les parents sont là et ils ont tellement peur, une peur contagieuse qu’elle
meure, qu’elle fasse un acte suicidaire. Je leur propose une tâche
thérapeutique : « Vous allez partir, samedi soir par exemple. Vous sortez,
monsieur avec madame, au restaurant, au cinéma, où vous voulez, et vous
laissez un mot à votre fille : “Tu as ce qu’il faut pour manger, si tu veux. Tu
fais ce que tu veux.” » Grosso modo : « On vit notre vie. » Et la jeune fille
sourit, elle va mieux. Pourquoi ? Parce que le couple revit, d’une certaine
façon. Et si le couple est mort, alors il faut avoir le courage de se séparer.
Combien de fois j’ai vu des problèmes d’alcool ou d’addiction parce que
l’ensemble de la famille reposait sur un couple d’apparence solide mais qui
en réalité était sans amour ni tendresse véritable ! C’est pour cela qu’il est
important de ne pas généraliser et d’être attentif à ne pas désigner la
personne qui vient comme la personne à soigner, sans avoir une vision
écosystémique, une vision d’ensemble.

N. C. : Écouter, pour ne pas coller une idée toute faite sur la personne ?
G. O. : Oui. Il faut éviter l’interrogatoire sans écoute véritable, où l’on
pose des questions prévisibles et où l’on se sert des réponses pour cocher
des cases, comme le ferait un robot.

S’intéresser avant tout à notre partie saine


N. C. : Se désidentifier de notre maladie serait donc la clé ?
G. O. : Je le fais pour beaucoup de personnes anorexiques, par exemple,
parce qu’elles savent implicitement – même si ce n’est pas nommé –
qu’elles appartiennent à une forme de secte, la « secte anorexique ». « Et
qu’est-ce qu’il vous dit, le gourou de votre secte ? Qu’est-ce qu’il vous
enjoint de faire ? » Et celles qui vivent cela le comprennent. Je n’ai pas vu
grand monde, chez ces jeunes filles atteintes d’anorexie, qui ne comprenne
pas qu’elles répondent à une sorte d’injonction qui ne leur appartient pas.
L’une d’elles s’était scarifiée le long des jambes. Je lui demande :
« Jane, pourquoi vous faites ça ?
– Ça me soulage, je souffre moins.
– C’est intéressant. Et ça marche ?
– Oui.
– Alors, si ça marche, je vais vous le faire…
– Non, mais jamais de la vie ! »
Elle a besoin de rester le chef d’orchestre. Dans son automutilation,
c’est elle qui agit. Il y a un endroit d’elle-même où elle contrôle. Et si je le
lui fais, évidemment ça ne marche pas. Cette mutilation, qui est une
tentative d’autotraitement, reste pour autant, un leurre.

N. C. : Pour les individus qui se sont « déconnectés » de leur corps


après un traumatisme – ceux qui ont vécu une dissociation, ce terme
psychiatrique par lequel on dit qu’ils se sont protégés d’une réalité trop dure
à vivre en se détachant de leur ressenti (après un viol, un deuil, un
accident…) –, cela peut également être un moyen inconscient de chercher à
recréer un contact avec eux-mêmes, une manière de sentir leur corps, de le
ré-habiter.
G. O. : Tout à fait. Dans tous les cas, c’est intéressant de repérer et de
comprendre que la personne trouve de fausses solutions pour de vrais
problèmes. C’est pareil pour l’alcool. Si l’on dit à quelqu’un : « L’alcool,
ce n’est pas bien. », on ne l’aide pas, on est dans le discours moralisateur
habituel, on ignore son vrai problème. Mais si on lui dit : « Bravo, madame,
ça a marché pendant dix ans, vous vous rendez compte ? Boire vous a
permis de tenir, de survivre. », alors là, elle comprend, on voit son regard
qui s’allume : « Pour une fois, on ne me dit pas que c’est mal, on ne me
culpabilise pas. »

N. C. : Quelle est la solution pour éviter de les conforter dans leur


addiction ?
G. O. : D’abord, on valide ce qu’a fait la personne jusqu’à présent pour
s’en sortir… Ensuite, on valorise sa nouvelle démarche : « Et vous vous
apercevez aujourd’hui que c’est une solution… qui pose problème. Parce
que si vous venez me voir, c’est pour vous libérer de cette prison que
représente l’alcool. Comment faire ? » On y va progressivement. Alors que
si je dis d’emblée : « L’alcool, le tabac, ce n’est pas bien. », les gens
culpabilisent. Comme ils n’arrivent pas à arrêter, ils se trouvent nuls, donc
autant continuer à fumer ou à boire puisque cela n’avance à rien.
L’important est de restaurer un narcissisme suffisant, car on ne traite les
gens qu’à partir de leur partie saine. Or, la médecine conventionnelle est
centrée sur la partie malade. On s’attaque aux cellules cancéreuses, on va
les éliminer… Le langage médical est un langage militaire : on dit les
« stratégies » médicamenteuses, les « armes » thérapeutiques, la « cible »
thérapeutique, le traitement « offensif, invasif, ou ciblé ». C’est intéressant :
une partie est malade, on va essayer d’atteindre la cible définie. Parfait,
mais on ne prend pas en compte la partie saine, et cela, c’est ennuyeux.

N. C. : Pourquoi ? Parce que le traitement risque d’impacter la partie


saine ou parce qu’à travers cette stratégie, on réduit la personne à sa partie
malade ?
G. O. : Les deux. D’abord, tout traitement a son revers. Un médicament,
même très efficace, comporte des effets indésirables : les « effets
secondaires ». Ensuite, on réduit le patient à sa partie malade : « Je suis
diabétique. » ou « Je suis obèse. » Le discours ambiant est centré là-dessus.
Les gens s’enfoncent dans le fauteuil au fil de l’entretien, parce qu’ils
voient bien que leur vie n’est qu’une succession d’écueils. On les ramène à
une identité d’échec. Et parfois, on les culpabilise encore davantage :
« Monsieur, vous reviendrez me voir quand vous aurez perdu vingt kilos. »

N. C. : Le patient espérait de l’aide et on l’en prive en l’humiliant et en


le punissant par un refus de soins…
G. O. : La nouvelle médecine doit changer de paradigme, c’est-à-dire
changer de regard et de manière de s’exprimer. C’est un apprentissage de la
posture, comme le dit très bien Thierry Janssen 20, un apprentissage de la
présence. Sinon, on n’a qu’un regard parcellaire sur la souffrance de la
personne. La personne a tel symptôme, telle douleur, et l’on doit faire
attention à ne pas se laisser hypnotiser, captiver par la plainte
exclusivement. Il y a autre chose. Comment vais-je réussir à voir la
personne derrière sa maladie ? Comment puis-je lui permettre d’apparaître
pour éviter qu’elle ne soit réduite à un symptôme ?
UN DIAGNOSTIC QUI PEUT FLUCTUER SELON L’HUMEUR
DU MÉDECIN

Dans son célèbre ouvrage Le corps n’oublie rien, Bessel van der Kolk, professeur
de psychiatrie américain, spécialiste du syndrome de stress post-traumatique,
enseignant à l’université de Boston, explique que, dans le domaine psychiatrique,
le traitement proposé au malade dépend très souvent de l’état d’esprit du praticien
au moment où une personne vient le consulter. « Si son psychiatre se focalise sur
ses changements d’humeur, il la jugera bipolaire et lui donnera du lithium ou du
valproate. S’il est plus touché par son désespoir, il dira qu’elle souffre d’une
dépression majeure et la mettra sous antidépresseurs. S’il se concentre sur son
agitation et son manque d’attention, il pourra lui attribuer un trouble du déficit de
l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et lui prescrire de la Ritaline ou
d’autres stimulants. Enfin, s’il lui suppose un passé traumatique et que le discours
[du patient] semble le confirmer, il pourra lui diagnostiquer un syndrome de stress
post-traumatique. Aucun de ces diagnostics ne sera totalement faux, mais aucun
n’expliquera non plus qui est exactement cette personne et ce dont elle
souffre. […] Comprendre ce qui « ne va pas » chez un patient dépend plus de
la mentalité du praticien (et dans certains pays, de ce que paieront les
assurances) que de faits objectifs vérifiables 21. »
De fait, concernant son « mal de vivre », il n’est pas rare que le patient reçoive
quatre ou cinq diagnostics différents et autant de traitements… qui peuvent
soulager, un temps, les désordres de ses comportements mais qui n’agissent en
rien sur l’origine de sa souffrance. Prenons l’exemple d’une peur viscérale d’être
violenté sexuellement ou d’être abandonné, aucun de ces médicaments ne va
guérir cet inceste ou cette blessure d’abandon si c’est ce qui s’est produit.
Autre point : un diagnostic peut être perçu comme une étiquette collée sur le
front (vous êtes « hyperactif », « haut potentiel »…) et influencer les
comportements de l’individu et la manière dont il se définira, jusqu’à la fin de ses
jours. On voit bien que les mots du médecin, son diagnostic autant que ses
recommandations, ont un impact considérable sur le malade.
Les mots du médecin : une prescription
médicale
N. C. : Concernant l’impact du discours du médecin, je me souviens
d’avoir lu dans votre livre, La Solution intérieure. Vers une nouvelle
médecine du corps et de l’esprit 22, une étude sur l’effet placebo *2 qui
montrait que la conviction du médecin en l’efficacité du traitement qu’il
propose au patient influence beaucoup la guérison de celui-ci…
Thierry Janssen : Dans une approche matérialiste du vivant, tout ce qui
favorise la guérison du malade mais qui n’est pas mesurable et objectivable
par la science devient embarrassant. À l’université, nous étudiions et
testions l’efficacité de nos traitements médicaux ou chirurgicaux en
cherchant à prouver que nos résultats n’étaient pas uniquement dus à l’effet
placebo. C’était absurde car, sans remettre en cause l’effet bénéfique de
certaines molécules ou de certaines techniques chirurgicales, l’effet placebo
devrait être considéré comme un atout supplémentaire dans le soin.
À l’époque, en tant que chirurgien, j’avais été impressionné par une
étude réalisée auprès de patients qui souffraient d’arthrite au genou. Cette
étude comparait l’efficacité d’un geste chirurgical réel qui consistait à
retirer le cartilage abîmé et celle d’une simple incision cutanée qui laissait
croire aux patients que l’opération avait été effectuée. De manière très
surprenante, il n’y avait pas de différence significative entre les résultats
obtenus dans le groupe de patients réellement opérés et ceux du groupe
placebo, ni en termes de soulagement de la douleur ni en termes de mobilité
du genou. D’autres études réalisées auprès de patients opérés du cœur ou
ayant bénéficié de l’implantation de cellules souches au niveau du cerveau
pour traiter la maladie de Parkinson ont montré la même absence de
différence entre les résultats des groupes traités et ceux des groupes
placebo 23. Cela pose beaucoup de questions. Au lieu d’opposer l’effet d’un
médicament ou d’une technique chirurgicale à l’effet placebo, il serait
beaucoup plus utile d’essayer de comprendre comment la molécule ou
le geste chirurgical agit de concert avec les ressources propres du
patient, des ressources où le sens attribué au traitement proposé et la
conviction de son efficacité jouent un rôle essentiel. C’est d’autant plus
important que l’effet placebo a son contraire : l’effet nocebo, qui est
l’impact négatif des mots du thérapeute sur la santé du patient. La première
fois que j’en ai pris réellement conscience, ce fut grâce à l’expérience
malheureuse d’une dame soignée par chimiothérapie et radiothérapie pour
un cancer du sein. Après de longs mois de traitement, sa tumeur n’était plus
détectable. Son médecin lui dit : « Vous savez, ça va très probablement
revenir. » Elle me téléphone en colère et me dit : « J’étais tellement
heureuse de m’être débarrassée de cette tumeur, après tout ce que j’ai subi
pour y arriver ! Et ce médecin me casse le moral en me disant que ça va
revenir ! » Je la réconforte, non pas en la coupant de la réalité en prétendant
que cela ne reviendra jamais, car on sait que l’on peut observer des
récidives, mais en l’encourageant à se réjouir du présent, en profitant de ces
émotions agréables, de ces pensées positives, pour stimuler le système
immunitaire et conforter cette guérison et en tout cas cette rémission.
Quand elle revoit son médecin, celui-ci insiste : « Non, moi je suis sûr que
ça va revenir parce que j’ai eu plusieurs cas qui ressemblent au vôtre et ils
ont tous récidivé, donc on va refaire un traitement. » La peur s’est installée
en elle, et, le lendemain, elle a fait une pneumonie.

N. C. : Dans l’un de vos livres, il me semble que vous racontez que ce


docteur avait perdu sa femme d’un cancer du sein…
T. J. : Absolument ! Lorsque je l’ai appelé pour lui demander s’il se
rendait compte de sa responsabilité dans ce qui s’était passé avec cette
patiente, il m’a répondu : « Comment veux-tu que je croie que cette femme
va guérir, puisque mon épouse est décédée de la même maladie ? » Voilà un
cas typique de ce contre-transfert déjà évoqué *3. Tant que les soignants ne
sont pas conscients de la force de la relation thérapeutique, ils s’amputent
d’une aide considérable. Les mots employés par le médecin font partie
intégrante du processus de guérison. On sait comment ceux-ci agissent au
niveau de nos émotions et, au-delà, sur la qualité de nos défenses
immunitaires et sur les mécanismes réparateurs de notre organisme. Il est
donc important que les soignants apprennent à se connaître eux-mêmes,
qu’ils prennent soin de leurs propres peurs et souffrances afin d’éviter de les
projeter sur leurs patients et, ainsi, de nuire à leur bonne santé.

N. C. : La parole donne une responsabilité à celui qui s’exprime…


T. J. : Oui, en particulier au soignant parce que la personne malade est
souvent désemparée et cherche à être rassurée. Il peut même se produire
une forme de régression, comme si le patient redevenait enfant. Le soignant
représente alors une figure parentale dans laquelle le patient investit sa
confiance. Quel que soit le métier que l’on exerce en tant que soignant, il
me semble important d’être curieux des autres approches thérapeutiques
afin de pouvoir informer le patient de tout ce qui est à sa portée pour guérir,
avec le moins d’a priori et le plus de connaissances possible. Cela
l’encouragera à devenir acteur de son processus de guérison en combinant
différents traitements. Il faut néanmoins éviter de tomber dans le piège de la
surconsommation de soins. Il arrive que certaines personnes, inquiètes de
l’absence d’évolution de leur maladie, s’épuisent à chercher sans cesse de
nouvelles solutions. Ce n’est plus de l’implication, c’est de la frénésie.
Lorsque je rencontre de tels patients, je les invite à identifier leur angoisse
et à se poser la question de ce qui pourrait les rassurer. Les solutions
viennent généralement d’un profond travail intérieur. Respirer, méditer,
apaiser le mental, examiner ses peurs et constater qu’elles ne sont pas
forcément fondées, vivre dans le présent, essayer de ne pas se projeter dans
un futur angoissant… Apprendre à faire confiance à une stratégie
thérapeutique, lui laisser le temps d’agir, se détendre et, au lieu de
surconsommer des soins, prendre le temps de mettre de la vie dans notre
existence, du lien, de la créativité, de la joie… Tout cela aide au processus
de guérison, bien plus que l’accumulation de consultations simplement
destinées à calmer des craintes, à obtenir de l’attention ou à combler des
manques.
DEUXIÈME PARTIE

SE DONNER TOUTES
LES CHANCES
S’ouvrir à d’autres thérapies
CHAPITRE 9

L’impact des émotions

Natacha Calestrémé : Il semble que le stress soit à l’origine de


nombreux problèmes de santé 1. Comment peut-on l’expliquer ?
Thierry Janssen : Dans les années 1970, Martin Seligman, professeur et
chercheur en psychologie à l’université de Pennsylvanie, a mené des
expériences sur des rats que l’on stressait avec des décharges électriques
dans une cage fermée. Les rats cherchaient à s’enfuir, mais, comme ils ne le
pouvaient pas, ils géraient leur stress en mordant un morceau de bois, ce qui
leur permettait d’évacuer leur tension. Lorsque le morceau de bois était
retiré, les rats finissaient par se tapir dans un coin de la cage et ne
bougeaient plus malgré de nouvelles décharges. Des tests sanguins ont
permis de constater une élévation importante du taux de cortisol et une nette
diminution des défenses immunitaires. Lorsqu’on a greffé des cellules
cancéreuses sous la peau de ces rats immunodéprimés, elles se sont
rapidement multipliées et une tumeur s’est développée, jusqu’à tuer ces
animaux. Seligman en a conclu que les rats qui ne pouvaient atténuer leur
stress allaient vers la dépression psychique et physique. Il a cru que le
sentiment d’impuissance prévalait. Mais, en poursuivant ses recherches 2, il
a constaté qu’après avoir ouvert la cage, les rats, malgré d’autres décharges
électriques, ne cherchaient plus à s’enfuir. Le chercheur a compris que, plus
qu’un sentiment d’impuissance, c’était la résignation qui était un facteur de
dépression. Il n’existe pas de sentiments plus néfastes pour notre santé que
la résignation et le désespoir.

N. C. : Le stress est un fléau. Sait-on comment en minimiser l’impact


sur notre santé ?
Jacques Besson : Ce sont les études sur le stress qui ont permis de relier
la psychologie à la neurologie, à l’endocrinologie et à l’immunologie. La
biologie du stress commence à être mieux connue depuis les années 1980.
Beaucoup d’études montrent que la réduction du stress renforce l’immunité.
On sait que la méditation, notamment de pleine conscience, diminue le
stress et qu’au contraire lorsque l’on est stressé, le risque de contracter des
maladies virales augmente. Quarante ans plus tard, des chercheurs
travaillent sur l’innervation du thymus, les liens entre les neurones et les
lymphocytes. On sait que les cytokines sont connectées aux lymphocytes,
qu’il existe un dialogue entre les cellules immunitaires et les neurones… Il
devient de plus en plus évident que tout est lié. Le stress représente la
conjonction entre toutes les médecines. Si vous ne comprenez pas votre
entourage ni comment marche le monde, si vous ne savez pas gérer vos
problèmes de travail, si vous n’arrivez pas à donner un sens à votre vie,
vous n’avez pas de cohérence, et vous finirez par être déprimé. En
psychiatrie très matérialiste, on vous prescrira des anxiolytiques ou des
antidépresseurs. Mais est-ce que le médicament redonnera un sens à votre
vie ? J’en doute. Voilà pourquoi il est intéressant de s’ouvrir à d’autres
perspectives thérapeutiques.
LA VÉRITÉ SUR LES ANTIDÉPRESSEURS
Le psychiatre Patrick Lemoine, grand spécialiste du sommeil et de la dépression 3,
m’a expliqué que « plusieurs dizaines de millions de personnes souffrent de
dépression ou de stress dans le monde ». Selon l’OMS, la dépression est en
passe de devenir la première cause de handicap 4. Le plus souvent, la réponse du
corps médical est de prescrire des antidépresseurs ou des anxiolytiques en
masse. Ces médicaments sont généralement conçus pour corriger un déficit en
sérotonine. Or, de nombreuses études 5 récentes démontrent que la dépression
peut avoir de multiples causes et que certaines formes de dépression ne
répondent pas aux médicaments ciblant la sérotonine. Patrick Lemoine ajoute :
« Cette découverte remet ainsi en cause l’efficacité de nombreux antidépresseurs
qui d’ailleurs très souvent ne marchent pas, ou alors pas très bien, ou alors
qu’une seule fois. De plus, cette approche “cérébrale” traitée par médicaments
n’intègre pas le rôle pourtant essentiel du microbiote intestinal et sa dimension
inflammatoire dans l’émergence et la persistance de la dépression. Enfin, il faut
savoir que si les antidépresseurs obtiennent des résultats pour des dépressions,
c’est essentiellement dans le cas de formes sévères, suicidaires, car dans les
formes dites modérées, ils ne fonctionnent que très peu ou très mal,
contrairement aux plantes, comme cela a été démontré pour le safran ou le
millepertuis 6. »
Joanna Moncrieff, psychiatre et universitaire britannique, professeure de
psychiatrie critique et sociale à l’University College de Londres, auteure principale
de cette nouvelle étude, ajoute : « Les personnes prennent des
antidépresseurs parce qu’elles ont été amenées à croire que leur dépression
a une cause biochimique. Il est grand temps d’informer le public que cette
croyance n’est pas fondée sur des preuves scientifiques. » L’efficacité de ces
médicaments serait due à un effet placebo – le patient, convaincu que le médecin
a trouvé l’origine de ses troubles, serait également persuadé que ce médicament
va le guérir, favorisant ainsi une amélioration de son état de santé. Mais sauf dans
les cas où une pathologie (nécessitant un tel remède) aurait été diagnostiquée, on
aurait pu se reposer sur l’effet placebo : un comprimé de sucre portant le même
nom que le médicament et donné par ce même médecin aurait eu le même
résultat… sans les effets secondaires (somnolence, perte de mémoire, vertiges,
constipation, baisse de tension et de la libido…). D’ailleurs, dès 2002, une étude 7
montrait par imagerie fonctionnelle cérébrale qu’un groupe de patients ayant pris
un antidépresseur (Prozac®) et un second groupe un placebo (gélule d’apparence
identique au médicament mais contenant du sucre) ont vu leur état de santé
s’améliorer de manière semblable. Informer le grand public est une chose, mais
espérons que le médecin qui prescrit un anxiolytique pour aider un patient à
mieux vivre son stress – parce qu’il pense n’avoir rien d’autre à proposer et qu’il
veut le soulager – puisse lui aussi recevoir l’information et qu’elle se propage
jusqu’aux bancs de la faculté de médecine.

La solution par le corps


N. C. : Nos émotions peuvent-elles impacter notre santé ?
Gérard Ostermann : Clairement… Et vous l’avez très bien exprimé dans
votre ouvrage, La Clé de votre énergie 8 : pour retrouver notre énergie,
l’émotion, c’est un peu la clé. D’ailleurs, on ne parle jamais d’émotion
« négative » mais d’une émotion « douloureuse », car toute émotion est un
signal positif, donné au sujet pour lui dire : « Là, il se passe quelque chose
qui mérite mon attention. » Que dit cette émotion de moi ? La question
contient en germe quelque chose qui me met en chemin vers la guérison.
Encore faut-il que la démarche vienne de moi, de mes profondeurs. Ensuite
je vais être à l’écoute de mon corps et essayer de percevoir les choses.
Aujourd’hui, on a presque trop exploité le champ émotionnel en oubliant le
champ de la perception et de la sensation. C’est un problème. Qu’est-ce qui
fait qu’on est dans l’addiction, la dépression ou un sentiment
d’impuissance ? C’est parce qu’on est coupé de notre corps. Je n’emploie
pas le mot « dissociation » parce que c’est, pour moi, une évocation
psychotique ou psychiatrique lourde, mais on peut employer le mot
« désassocié », autrement dit « je ne suis pas associé » avec moi-même, « je
ne suis pas en relation » avec mon corps. Or, l’émotion s’exprime s’il y a
une sensation physique. Comment perçoit-on une peur ? Pourquoi peut-on
dire que l’on éprouve de la tristesse, de la colère, ou que l’on ressent telle
émotion ? Parce qu’on en a une perception au niveau de notre corps et
qu’on la décode instantanément. Par exemple, notre pouls s’accélère, nos
jambes flageolent (peur), nos poings se serrent, nos mâchoires se crispent
(colère), nos larmes coulent, on a le souffle coupé (tristesse)… Donc
prendre soin de soi commence en accédant à nos perceptions physiques,
car l’émotion arrive seulement dans un deuxième temps… puisque c’est
une lecture immédiate de ces perceptions physiques. Le problème est que,
pour traiter l’émotion, le plus souvent, on va prescrire un anxiolytique.
Or, s’il y a une perception physique de l’émotion – une prise de
conscience qu’il se passe quelque chose sur le plan corporel –, cela peut
suffire à modifier l’émotion et à la réguler. Ce principe est parfaitement mis
en évidence par la méthode Tipi® *1 inventée par Luc Nicon 9. Il propose un
revécu sensoriel de nos émotions. Il y a cette idée que pour réguler une
émotion – et une émotion peut en cacher une autre –, il faut aller dans le
champ de la perception. Et si on fait cet exercice de descente en soi lors
d’une émotion douloureuse, alors notre propre posture change et quelques
instants suffisent. C’est parfois étonnant, même quand il s’agit d’une
émotion très forte. Parce qu’il y a cette espèce de présence à soi-même, on
accepte de devenir l’observateur d’une émotion qui est un signal donné par
le corps. On peut prendre n’importe quelle émotion, faites l’expérience !

N. C. : Je connais le travail de Luc Nicon, je l’avais interviewé pour un


magazine 10 et je me suis formée par la suite à son outil pédagogique qui
permet de dépasser certains blocages, les phobies en particulier. D’ailleurs,
le nombre de praticiens dans le monde qui l’utilisent (après une formation
et une certification) ne cesse d’augmenter. J’ai récemment découvert une
étude 11 qui relatait la situation clinique de deux femmes ayant développé
une obésité après le décès d’un proche, et leur incapacité à perdre cet excès
de poids. Les patientes exprimaient que leur comportement alimentaire était
induit par la recherche d’un réconfort, ce que les médecins de l’étude
décrivaient comme une « alimentation émotionnelle » qui induisait une
résistance à la perte de poids. Ils précisaient que c’était « un neuroticisme
(une névrose), une impulsivité et une sensibilité à la récompense considérés
comme des facteurs de risque de la prise de poids et de l’addiction
alimentaire ». Les auteurs ont analysé l’impact de séances Tipi® sur le
comportement alimentaire et le poids de ces femmes et, même s’ils
précisent que l’efficacité à moyen et long terme de cet outil n’est pas encore
prouvée, ils concluent que « les données obtenues chez ces femmes
suggèrent que l’alimentation émotionnelle peut être avantageusement traitée
par cette nouvelle approche thérapeutique, à la fois brève et spécifique ».

RÉGULER UNE ÉMOTION DOULOUREUSE AU MOMENT


OÙ ON LA RESSENT

MÉTHODE TIPI®

Pour une émotion qui n’est plus active mais qui reste un souvenir douloureux, ou
pour une phobie, sollicitez un thérapeute formé, pour une séance. Cet
accompagnement se fait en cabinet, en visioconférence ou par téléphone.
Mais on peut utiliser cette méthode pour soi-même, par soi-même, à l’instant où
l’on ressent une émotion. Voici les différentes étapes :
1. Je prends conscience d’une émotion (n’importe laquelle) que je suis en train
de vivre, à l’instant.
2. Je ferme les yeux.
3. Je porte mon attention sur les sensations « physiques » présentes n’importe
où dans mon corps (si j’ai trois sensations, c’est parfait !).
4. Je laisse ces sensations évoluer ensemble, à leur guise, en accueillant tout
ce qui se présente comme évolution. Le processus est très rapide (entre dix
secondes et une minute au maximum).
5. Je ré-ouvre les yeux quand les sensations ont disparu et que je me sens
calme.
6. Je repense à ce qui a provoqué mon émotion : et, étonnamment, je suis
plus tranquille.

N. B. : Cette méthode fait actuellement l’objet d’une étude menée par le CHU de
Montpellier 12.
G. O. : Ramener le patient à son corps est essentiel. Je demande souvent
aux patients de me montrer où est leur ressenti, pour les reconnecter et les
réassocier à leur corps.
« Je suis en colère, ça me serre au niveau de la gorge.
– Montrez-moi où avec votre main. »
Le seul fait d’avoir fait cela les réassocie à leur corps. Je leur fais
évaluer l’émotion au début, à titre indicatif :
« La colère telle que vous me la décrivez, ce serait à combien sur une
échelle de 1 à 10 ?
– Le curseur est à 5. »
Puis, après la séance Tipi®, les gens disent d’eux-mêmes : « C’est à 1,
ou à 0, je n’ai plus rien. » Je leur demande ce qu’ils en déduisent. Ils sont
un peu surpris : « C’est bizarre, c’est un peu magique quand même. » Ce à
quoi je réponds : « Ce n’est pas magique du tout. Vous descendez dans
votre corps, vous observez ce qui se passe en vous et cela se modifie. Cela
vous a appris que votre conscience vous permet de modifier vos émotions et
votre ressenti. »
CHAPITRE 10

Un miracle au cœur de nos cellules

Natacha Calestrémé : L’épigénétique suscite beaucoup d’intérêt, tant


cette discipline démontre, d’un point de vue scientifique, les liens étroits qui
existent entre les émotions et le corps, ainsi qu’entre l’environnement
social, spatial, familial, culturel et notre corps… et par conséquent l’impact
de ces facteurs émotionnels et environnementaux sur notre santé.
Les implications de ces découvertes sont phénoménales : elles justifient
à elles seules la nécessité d’une médecine qui considère le patient, non pas
par morceaux, mais dans sa globalité.

Qu’est-ce que l’épigénétique ?


N. C. : En quoi consistent les mécanismes épigénétiques ?
Isabelle Mansuy : Pour comprendre les mécanismes épigénétiques, il
faut entrer au cœur de la cellule. Dans une cellule, il y a un noyau et, dans
ce noyau, les chromosomes. Ces derniers sont faits chacun d’un long
filament d’ADN enroulé autour de protéines (que l’on appelle « histones »),
et qui forment une « séquence » unique dont une petite fraction constitue les
gènes. Imaginez une pelote de laine dont le brin est une succession de
quatre minuscules morceaux différents mis bout à bout en une séquence
définie, et qui entoure des perles. Ces quatre petits morceaux représentent
les quatre bases de l’ADN, c’est-à-dire l’adénine, la thymine, la cytosine et
la guanine. Et le tout est compacté. Il est coutumier de parler de « gènes »
pour désigner le code génétique qui nous définit, mais en réalité le
terme adéquat est « génome *1 ». Les gènes ne représentent qu’une toute
petite partie de la séquence d’ADN qui existe dans chaque cellule.
Ce génome est notre bagage génétique, la part d’inné en nous, notre
disque dur en quelque sorte. Mais pour être utile, le génome doit être utilisé
et « fonctionner », c’est-à-dire être activé ou inactivé selon les besoins.
Lorsqu’ils sont activés, les gènes permettent la fabrication de protéines
nécessaires au développement et au fonctionnement des cellules. Par
exemple, un gène nécessaire à la formation de l’embryon n’est pas utile
chez l’adulte et doit être inactivé. De même, un gène nécessaire au
fonctionnement des cellules du foie sera inactivé dans les cellules du
cerveau. Ainsi, l’activité du génome est sous contrôle permanent.
Cependant, elle est soumise à des changements et évolue en fonction de
l’environnement, des facteurs extérieurs (alimentation, médicaments,
pollution…) et émotionnels (événements de la vie). Tous ces facteurs
peuvent – selon la manière dont réagit notre organisme – modifier
l’activité de notre génome et l’expression des gènes et potentiellement
façonner notre individualité, notre sensibilité aux maladies, notre santé
et même notre longévité.
L’épigénome est l’ensemble des « facteurs et mécanismes
épigénétiques » existant sur l’ADN et autour de l’ADN qui contrôlent et
modifient l’activité du génome. L’épigénétique est aussi le nom de la
discipline qui étudie ces facteurs et mécanismes, les interactions entre le
génome et l’« environnement ».
DE LA DÉCOUVERTE DE L’ADN AUX MÉCANISMES
ÉPIGÉNÉTIQUES

De l’ouvrage Reprenez le contrôle de vos gènes 13 de la professeure Isabelle


Mansuy, de ses conférences 14 et de nos entretiens, j’ai retenu un certain nombre
de données. Après qu’en 1953, la Britannique Rosalind Franklin découvre la
structure de l’ADN – découverte reprise par James Watson et Francis Crick (qui
leur vaudra un prix Nobel) –, de nombreux biologistes ont pensé qu’il suffirait de
décrypter le code contenu dans l’ADN pour comprendre le fonctionnement de
l’être humain. Mais ce n’était pas aussi simple. En 2003, on arrive à séquencer la
majeure partie de l’ADN humain, c’est-à-dire à lire l’ensemble du code génétique
d’une personne. On savait que chaque personne possède un ADN unique, et que
cet ADN unique est présent dans chacune de ses cellules.
Parce que l’ADN confère des caractéristiques propres aux individus, on a
longtemps pensé qu’il était aussi responsable des maladies, y compris les
maladies les plus complexes telles que la dépression, la schizophrénie et les
maladies auto-immunes. On a cherché le ou les gènes en cause, avec la
conviction que ces maladies étaient génétiques. Mais malgré de nombreuses
études génétiques conduites pendant des dizaines d’années, cela n’a pas été
trouvé. On sait désormais que la plupart des maladies ne sont pas dues à des
mutations dans des gènes spécifiques, mais à une combinaison de
changements génétiques (dans les gènes et hors des gènes) et de facteurs
environnementaux. Leurs causes sont donc plus complexes et ne peuvent
pas uniquement être résumées à un problème génétique.
À la naissance, chaque individu hérite d’un mélange d’ADN maternel et paternel.
De la conception et jusqu’à la fin de notre vie, nous sommes une combinaison de
séquences géniques influencées par les facteurs « environnementaux » :
alimentation, pollution, stress, épreuves de vie, drogues, médicaments… De fait,
l’épigénome *2 d’un individu à la naissance est différent de celui qu’il aura à la fin
de sa vie.
Dans le corps, chaque cellule a son rôle. En fonction de sa mission (constituer la
peau, nourrir un muscle, combattre une infection…), l’information contenue dans
les séquences d’ADN sera utilisée pour fabriquer les protéines nécessaires à
cette cellule. Notre organisme est constitué de milliards de cellules qui fabriquent
des protéines, dont certaines se renouvellent sans arrêt. Si l’on se blesse à la
main, certains gènes vont s’activer et déclencher la synthèse de protéines
nécessaires au contrôle de l’inflammation et à la réparation de la peau.
Pour ce faire, dans chaque cellule, les régions contenant les gènes à activer
doivent être décompactées, déroulées, lues et recopiées en un ARN dit
« messager ». L’ARN messager est fabriqué dans le noyau où réside l’ADN, mais
il va sortir du noyau vers le cytoplasme où il sera lui-même décrypté ou « traduit »
pour produire la nouvelle protéine correspondante. Ce processus de
« transcription » de la séquence ADN des gènes en ARN messager est enclenché
lorsque les marqueurs épigénétiques et les protéines régulatrices nécessaires
sont présents sur ou autour des régions de l’ADN en question. Mais si ces
marqueurs ne sont pas au complet, les gènes ne seront pas correctement activés
et aucune protéine ne sera créée. Lorsque ce processus est détraqué ou mal
régulé, cela peut avoir un impact sur la santé. Dans certains cancers, le bagage
épigénétique qui devrait être actif devient inactif et, inversement, ce qui était
normalement inactif est rendu actif.
Tout ce qui compose notre génome peut ainsi être contrôlé, activé ou inactivé par
des processus biochimiques, que l’on appelle des « mécanismes épigénétiques ».
Trois d’entre eux, les plus importants et les mieux connus, sont :
1. La méthylation de l’ADN, qui, selon l’endroit où elle se trouve, provoque, le
plus souvent, une sorte de blocage qui rend le gène inactif ou silencieux.
2. La modification des protéines histones, qui peut favoriser l’activation ou
l’inactivation des gènes selon leur nature, leur localisation, leur
combinaison.
3. Les ARN non codants : ces molécules fabriquées à partir de l’ADN sont
présentes en grande quantité dans toutes les cellules et contribuent à
rendre les gènes actifs ou inactifs.
Ces facteurs interagissent continuellement et, ensemble, apportent une très
grande diversité à chaque cellule. Une de leurs fantastiques propriétés est qu’ils
sont dynamiques et sont modifiés de façon réversible par l’environnement,
contrairement à l’ADN qui est plutôt fixe et dont la réparation est limitée s’il est
endommagé. Toutes nos fonctions biologiques sont dirigées par la combinaison
entre la génétique et l’épigénétique.

Les recherches d’une pionnière


N. C. : Pourquoi vous êtes-vous intéressée à l’épigénétique ?
I. M. : J’ai eu la chance d’être étudiante au moment où la biologie
moléculaire et le génie génétique (on l’appelait ainsi à l’époque) se
développaient. J’ai donc suivi ce cursus à Strasbourg, dans une nouvelle
école d’ingénieurs, à la fin des années 1980. Comme on en était aux
balbutiements de ces disciplines, il n’y avait pas d’idées préconçues, pas de
dogme. Ayant toujours été attirée par les choses nouvelles, je me suis
orientée vers la transgenèse, une nouvelle technique moléculaire qui permet
de manipuler le code génétique. Avec cette approche, tout était nouveau et
possible, avec quantité de développements potentiels et des outils
incroyables pour la recherche. Bien des années plus tard, mon travail
moléculaire m’a amenée à m’intéresser à l’épigénétique, qui complémente
la génétique, et tout particulièrement à la possibilité qu’elle intervienne
dans l’hérédité. La notion d’hérédité épigénétique propose une vision
différente de celle classique d’hérédité génétique. La vision classique est
que l’humain est défini uniquement par son génome (la totalité de la
séquence ADN), et rien d’autre. Ce modèle a été enseigné pendant des
décennies et a construit le mode de pensée des généticiens et de nombreux
biologistes. Il leur est donc difficile de s’en défaire. Ou alors cela nécessite
une profonde réflexion. La plupart des scientifiques qui sont résistants à la
notion d’hérédité épigénétique sont justement des généticiens, parce que,
pour eux, l’hérédité est génétique et ne peut pas être épigénétique (la
dynamique de l’activité du génome dépend pourtant de facteurs internes et
externes au corps). Personnellement, j’ai toujours essayé de garder l’esprit
ouvert, d’une manière générale et dans ma recherche, en m’intéressant aux
limites de la connaissance, aux choses méconnues, exploratoires.
N. C. : On peut dire que vous êtes une pionnière de l’épigénétique ?
I. M. : Pas de l’épigénétique, mais de l’hérédité épigénétique, oui. J’ai
commencé au début des années 2000 ; à l’époque, le concept n’était pas
encore posé. On a d’abord constaté que les expériences de vie, surtout
extrêmes et négatives, comme l’exposition à un stress intense ou chronique
chez la souris de laboratoire, pouvaient modifier certaines caractéristiques.
Puis on a observé que le stress vécu juste après la naissance conduisait
à des changements de l’expression de certains gènes qui persistaient
jusqu’à l’âge adulte. Ceci était surprenant et inexpliqué ! L’étape
suivante a été de découvrir que ces symptômes liés au stress ainsi que les
changements de l’expression des gènes pouvaient être transmis à la
génération suivante, ce qui était totalement inattendu. Cela nous a orientés
vers l’idée que les caractéristiques acquises tout au long de la vie
pouvaient être transmissibles et qu’il existait donc une forme
d’hérédité non déterminée génétiquement, car induite par l’expérience.
Cette forme d’hérédité devait être épigénétique, car les animaux étaient tous
semblables génétiquement ! On a ensuite montré que la transmission des
changements de caractéristiques impliquait les cellules reproductrices, en
l’occurrence les spermatozoïdes, et après des années d’expérimentations et
d’essais contrôles pour exclure d’autres facteurs tels que les soins
maternels, nous avons pu prouver que tout se passait dans ces cellules
reproductrices. Puis il a fallu se demander : « Quels sont les mécanismes ? »
N. C. : Peut-on dire que l’épigénétique est ce qui permet de comprendre
ce que la génétique ne peut pas expliquer ?
I. M. : Oui, on peut dire cela.

La mission de l’épigénétique
N. C. : L’ADN reste complexe pour le non-initié. Plus simplement, en
quoi l’épigénétique concerne-t-elle notre santé ?
I. M. : Il est admis que l’inné (le génome) peut se transmettre de
génération en génération. Reste à savoir si nos acquis (l’incidence des
expériences de vie et de l’environnement) peuvent également être transmis.
Par exemple, si une femme a subi une agression sexuelle qui a provoqué de
possibles altérations de son état psychique (dépression, peur des hommes,
culpabilité de n’avoir pas su se défendre, troubles de l’alimentation…),
peut-elle transmettre sa peur, sa culpabilité, ses désordres psychologiques
ou alimentaires à sa descendance… biologiquement… sans que cette
transmission ne soit due à un comportement dysfonctionnel ?
Il est connu et admis en psychiatrie clinique que les désordres
psychiques affectent souvent les familles sur plusieurs générations. Mais les
mécanismes biologiques en jeu dans cette transmission restent flous.
Comprendre les processus à l’œuvre est la mission des recherches sur
l’hérédité épigénétique.
LA TRANSMISSION DES EFFETS DE NOS ÉPREUVES
SUR NOTRE DESCENDANCE

Après les attaques du 11 septembre 2001, l’Américaine Rachel Yehuda,


professeure de psychiatrie et de neurosciences à l’université Mount Sinai à
New York, découvre que de nombreuses femmes enceintes ayant été directement
exposées au drame – en évacuant précipitamment les Twin Towers – ont
développé un syndrome de stress post-traumatique : tremblements, anxiété, perte
de sommeil, stress, cauchemars 15. Lorsqu’on a évalué le taux d’hormones de
stress présent dans leur sang, on a constaté qu’il était élevé. Leurs enfants âgés
de 1 an (qui avaient vécu le drame à l’état de fœtus dans le ventre de leur mère)
présentaient également un taux d’hormones de stress élevé, bien plus que celui
de la moyenne des enfants non exposés. Les études évoquent une « transmission
intergénérationnelle du stress ». La conclusion est forte mais équivoque, car les
fœtus ont vécu le stress de la mère et ont été directement exposés. Ils ont été en
contact avec le flot d’hormones de stress présentes chez leur mère et en ont très
probablement subi les effets directs. Pour arriver à la conclusion d’une
transmission intergénérationnelle cellulaire, c’est-à-dire par le biais de la cellule
reproductrice (l’ovule), il aurait fallu étudier des femmes traumatisées par les
attentats qui auraient donné leurs ovules à des mères porteuses non
traumatisées. Ainsi, seuls les ovules auraient été impactés par le stress… Et si on
avait observé des symptômes de stress chez les enfants issus de ces ovules,
alors on aurait pu dire que les symptômes étaient transmis par l’ovule. La même
étude aurait pu être menée chez les hommes exposés au drame, en analysant
leurs spermatozoïdes. Nos vies sont complexes, nos interactions sont multiples et
on ne peut isoler les membres d’une famille pendant des années pour les besoins
d’une étude en épigénétique. Néanmoins, celle de Rachel Yehuda a l’immense
mérite de montrer que si la transmission à la descendance n’est pas prouvée
sur le plan cellulaire, elle a été démontrée sur le plan comportemental : un
stress vécu par un parent peut avoir des conséquences sur sa
descendance !

Dans les années 2000-2010, d’autres études sont menées sur des femmes d’une
soixantaine d’années qui ont connu la famine aux Pays-Bas en 1944 alors qu’elles
étaient enceintes. Cette privation alimentaire a affecté leur santé, celle de leurs
enfants à venir, mais aussi celle de leurs petits-enfants. Les auteurs d’une de ces
études 16 ont observé chez ces milliers de personnes une augmentation des
maladies cardiovasculaires, du diabète et de l’obésité. Que la première et la
deuxième génération soient touchées (parce qu’elles ont subi la famine en tant
qu’adultes ou dans le ventre de leur mère) est intéressant et attendu, mais que la
troisième génération (qui n’a jamais connu la famine) le soit également, est plus
frappant car cela suggère que les cellules reproductrices du premier bébé ont
elles aussi été touchées. Là encore, l’influence « négative » des conditions de vie
(famine) à travers les générations paraît confirmée sur le plan biologique. Et
nombre d’articles titrent à l’époque : « La troisième génération a été marquée
avant de voir le jour ! »

Isabelle Mansuy attire à nouveau mon attention sur le fait que ces études
évoquent de façon trop catégorique une transmission épigénétique. Car
l’implication des facteurs épigénétiques dans la transmission des effets
d’expériences de vie n’a pas encore été confirmée chez l’être humain. On ne peut
écarter le fait que le « comportement » des mères qui ont vécu le traumatisme
suffise à induire des modifications biologiques et comportementales chez leur
descendance, sans que cela implique les cellules reproductrices. D’autant que le
comportement des pères peut aussi intervenir. Plusieurs voies de transmission
peuvent exister. Par exemple, si la grand-mère touchée par la famine est devenue
obèse par compensation des carences liées à ses privations, elle a pu à travers
sa boulimie donner des habitudes alimentaires à sa descendance. Pour que la
transmission soit considérée comme « épigénétique », il aurait fallu étudier des
enfants de la troisième génération qui auraient grandi dans une autre famille avec
des habitudes alimentaires saines dès la naissance, pour qu’aucun comportement
alimentaire éventuellement pathologique de ses parents ou grands-parents
n’influence sa manière de se nourrir. Ce genre d’expériences est difficile à mener
chez l’être humain. Ce que démontrent ces études est tout de même
remarquable : sur le plan des symptômes, il est désormais établi qu’une
épreuve vécue par un parent peut avoir des effets sur trois générations : le
parent, ses enfants et ses petits-enfants.

Notre vécu impacte le corps


N. C. : Existe-t-il d’autres observations chez l’être humain qui montrent
cette transmission d’une génération à une autre ?
I. M. : De nombreuses études 17 menées sur les effets à long terme de la
maltraitance infantile montrent que les traumatismes vécus pendant
l’enfance et l’adolescence (abus, abandon, deuil, accident, violence morale,
physique, sexuelle) peuvent conduire à des désordres psychiques
(dépression, troubles de la personnalité, suicide, addiction…) et
métaboliques affectant la personne tout au long de sa vie… et que, dans
certains cas, les symptômes se manifestent chez les enfants des personnes
maltraitées 18. Et même si, là encore, on ne peut exclure que la transmission
soit liée aux comportements parentaux (une attitude dysfonctionnelle qui
reproduit des conditions de stress), ces études ont montré que des facteurs
psychologiques – nos émotions – peuvent altérer notre épigénome, et
ceci, dans de nombreuses cellules, y compris les cellules
reproductrices ! On pensait que c’était le cas de l’alimentation et des
perturbateurs endocriniens, mais on sait désormais que nos états d’âme
doivent également être pris en compte.
N. C. : Voilà de quoi considérer nos émotions d’un nouvel œil !
Comprendre que notre vécu a un réel impact sur notre biologie, c’est
en quelque sorte faire entrer la notion de souffrance dans une équation
mathématique. C’est également induire que notre santé ne peut pas être
confiée exclusivement à un robot, au risque de passer à côté de l’essentiel :
le vécu émotionnel et son lot de dénis ou d’amnésies traumatiques. Les
médecines qui ne s’intéressent qu’à la biologie, sans tenir compte de l’état
psychique du patient, se priveraient donc d’informations cruciales qui
peuvent aider à la guérison.
Comment une émotion douloureuse peut-elle changer l’expression des
gènes ?
I. M. : Une émotion douloureuse agit physiologiquement comme le fait
un stress. Si tout à coup vous apprenez une nouvelle catastrophique, le
cerveau va enclencher toute une cascade endocrine conduisant à la
libération d’hormones de stress dans le sang.
N. C. : Du cortisol ?
I. M. : Entre autres, mais il y a aussi l’adrénaline. Cette cascade de
phénomènes biologiques va aboutir à la libération de cortisol et
d’adrénaline qui vont générer des conséquences mentales et physiques : on
va sentir un mal de ventre parce que le nerf vagal et le système
parasympathique liés au système digestif vont être stimulés. Le rythme
cardiaque augmentera, on va peut-être transpirer. On aura l’impression
qu’on se vide de son sang. On connaît tous ces symptômes qui
accompagnent un choc émotionnel. Chacun réagit de manière différente
selon l’événement et son importance. Si l’on apprend que l’on a perdu son
travail, on va réagir d’une certaine façon, si l’on découvre qu’un proche est
mort, cela va être autre chose. Ce qui se passe dans le corps n’est pas
anodin ; il y a les effets immédiats causés par le choc lui-même, et les effets
à long terme. Si la situation de stress perdure parce qu’on a eu un grave
accident ou vécu un deuil très douloureux, ces états physiologiques et
pathologiques vont persister. Si on ne s’en libère pas, ils peuvent conduire à
des dommages importants sur les organes, le cerveau, le système
immunitaire, le système métabolique et parfois même causer des cancers 19.

N. C. : Et en quoi ces phénomènes physiologiques peuvent-ils aller


jusqu’à modifier l’expression du génome ?
I. M. : Parce que, entre autres, le cortisol émis lors d’un stress ou même
l’adrénaline sont des facteurs qui vont réagir avec des récepteurs à la
surface ou à l’intérieur des cellules et qui vont activer ou désactiver
l’activité de certains gènes. Le stress modifie l’activité du génome. Cela a
été étudié et montré chez les rats de laboratoires et chez l’humain. Un stress
aigu ou un stress chronique aura toujours un effet, et il sera différent
selon le type de stress et selon la personne.
Un bond en avant grâce aux dernières
études
Il est désormais documenté qu’une épreuve, un simple stress, dans la
vie d’une personne peut modifier l’activité de son génome et, par
conséquent, avoir des effets sur sa santé. Ce processus peut-il s’inverser ?
S’il y a eu une modification au niveau du génome par le biais de facteurs
épigénétiques, peut-elle être transmise aux générations suivantes ? Si oui,
peut-elle être rétablie ? Ce sont toutes ces questions que nous allons aborder
maintenant.

N. C. : Quelles études avez-vous menées pour comprendre les processus


à l’œuvre ?
I. M. : L’hypothèse que les épreuves de la vie puissent altérer les
comportements et que les altérations puissent être transmises aux
descendants par le biais de modifications épigénétiques est difficilement
testable chez l’humain. En revanche, la souris ou le rat de laboratoire est un
excellent modèle expérimental qui permet d’obtenir des générations
successives d’animaux et de tester les effets du stress et leur
reproductibilité. Des études chez ces rongeurs ont permis de constater qu’un
stress chronique induit des symptômes dépressifs, des comportements à
risque et des déficits cognitifs, par exemple, qui peuvent aussi affecter les
descendants lorsque le stress est très intense et survient tôt dans la vie (telle
une séparation aléatoire quotidienne des souriceaux de leur mère, également
stressée). Or, même les petits des arrière-petits qui n’ont pas été en contact
avec des congénères stressés et n’ont pas été stressés eux-mêmes ont des
symptômes semblables. Cela suggère que, chez les mammifères, des
symptômes causés par un stress chronique tôt dans la vie peuvent être
transmis au moins jusqu’à la quatrième génération.
N. C. : Comment prouver que c’est épigénétique ?
I. M. : Nous savons que la génétique, c’est-à-dire la séquence de
l’ADN, n’est pas responsable de la transmission des effets du stress car les
souris que nous utilisons ont toutes le même ADN. Ce code génétique n’est
en principe pas changé, ni muté par le stress, seuls les substances
cancérigènes, les UV ou les rayons X peuvent modifier l’ADN de façon
conséquente. Ceci est un premier élément qui exclut a priori la génétique et
qui oriente donc vers l’épigénétique. Mais pour établir que la transmission
est réellement épigénétique, il faut une preuve de cause à effet. Nous avons
démontré un de ces liens chez la souris, en prouvant que l’ARN extrait des
spermatozoïdes de mâles stressés est suffisant pour causer des symptômes
de stress chez la progéniture. Lorsque cet ARN est injecté sous microscope
dans des ovules fécondés de femelles non stressées et que ces ovules
injectés sont ensuite transplantés par chirurgie dans une « femelle
contrôle », les petits qui sont nés, et les suivants, une fois devenus adultes
ont eux-mêmes des symptômes de stress. L’ARN peut donc être un
vecteur de transmission des effets du stress entre les générations. Il peut
en partie expliquer pourquoi les descendants de mâles exposés à un stress
traumatique ont des comportements inadaptés alors qu’ils n’ont pas vécu
eux-mêmes de traumatisme.

N. C. : Nous l’avons vu, un stress suffit pour altérer l’épigénome. Ces


modifications sont-elles réversibles ?
I. M. : Oui, il est fort probable qu’elles soient réversibles, en tout cas en
partie ; et nous avons observé que cela pouvait être le cas chez la souris.
Ceci est dû à l’une des propriétés incroyables de l’épigénome qui est d’être
dynamique et malléable. Dans une étude pilote, on a vu que si l’on plaçait
des souris « traumatisées par un stress précoce » dans un environnement
enrichi fait d’une cage spacieuse avec des objets, un tunnel, un labyrinthe,
des roues d’exercice et en compagnie de congénères, certaines des
altérations épigénétiques induites par le stress étaient corrigées, ainsi que
les troubles comportementaux. Et le plus intéressant est que, lorsque ces
souris dont l’épigénome et les symptômes de stress ont été corrigés ont des
petits, ceux-ci sont normaux. Ces modifications semblent donc réversibles.
Mais je précise que nous n’avons pas encore examiné si tous les facteurs
endommagés pouvaient être corrigés… ni si la correction de l’épigénome
était systématiquement suivie d’une amélioration des symptômes… ni si
une amélioration avait systématiquement un effet positif sur la descendance.
Mais – et c’est encourageant pour ceux qui ont vécu de sévères
épreuves – une autre de nos récentes études a montré que lors d’une
situation de challenge, les animaux stressés ont une flexibilité
comportementale supérieure aux autres : ils comprennent mieux les règles
d’une tâche complexe qui changent tout le temps, ils sont plus alertes,
plus attentifs et mieux préparés à des situations difficiles qui mettent en
jeu la survie.

Les perspectives pour l’être humain


N. C. : Pour l’être humain, en est-on à un état d’extrapolation ou
d’hypothèse ?
I. M. : Les deux. L’être humain est difficile à étudier. Chez la souris, on
peut contrôler la plupart des facteurs. On prend des souriceaux, ils sont
génétiquement identiques, ont exactement le même mode de vie, le même
type de cage, ils sont en nombre équivalent dans les cages, ils ont la même
nourriture, le même environnement, ils respirent le même air : tout est
semblable. On va soumettre certains à un stress, on note la situation, puis on
va les croiser avec des « animaux contrôles » pour obtenir une progéniture.
Donc si des symptômes de stress sont visibles à la deuxième génération, on
peut en déduire qu’ils sont causés par le fait que l’un des parents a été
exposé au stress, et de même si des symptômes sont visibles à la troisième
génération, ils proviennent du grand-parent exposé. Chez l’être humain, on
ne peut pas raisonner ainsi. Imaginons un adolescent dépressif. Sa mère ou
son grand-père ont pu l’être aussi. À quoi était due cette dépression ? Quel
était leur mode de vie ? Quelles sont les interférences avec l’entourage et
l’extérieur ? Le grand-père est déprimé, l’adolescent est déprimé, on ne peut
rien dire de plus. Est-ce dû à un transfert par les cellules reproductrices ou
au fait que l’un des deux parents était défaillant, maltraitant ou alcoolique,
ou au fait que l’enfant ait subi des violences à l’école ? La notion d’hérédité
épigénétique chez l’être humain est pour le moment spéculative.
La seule chose que l’on puisse affirmer aujourd’hui est que, si l’on
prend des hommes traumatisés pendant l’enfance, et qu’ils ont des
pathologies mentales ou physiques, on peut trouver dans leur sperme
les mêmes changements de certains ARN non codants que ceux observés
sur des souris mâles traumatisées. Chez la souris, la transmission des
effets des traumas à travers les générations est prouvée. On a donc une
équivalence des phénomènes observés. On ne peut rien dire de plus, mais
c’est déjà un grand pas.

N. C. : Imaginons une personne qui a vécu de sévères épreuves. Les


marqueurs épigénétiques qui ont modifié l’activité de son génome vont
peut-être s’exprimer à un moment donné dans son corps. Cela peut-il
influencer l’hérédité épigénétique de son enfant ?
I. M. : Si une personne vit une situation stressante, cela modifie sa
physiologie et peut-être qu’ensuite cela va créer des angoisses, la personne
mange moins, se met à fumer, à boire… et évidemment cela peut avoir des
tas de conséquences. Tout ce qui est mental, même une simple mauvaise
nouvelle, peut modifier le fonctionnement de notre corps. Ceci est
relativement bien connu. Et si l’on extrapole les données constatées sur les
mammifères, l’enfant de cette personne pourrait en effet hériter
d’altérations des marques épigénétiques dans son corps, mais sans qu’elles
aient d’effets visibles quand il est petit… et ces altérations pourraient
éventuellement l’affecter à l’adolescence ou à l’âge adulte. Mais ce n’est
pas systématique. Néanmoins, on l’a vu chez la souris, sur le plan
comportemental, cette transmission héréditaire sur plusieurs générations est
démontrée.

N. C. : Et, comme pour les animaux, si on a vécu de nombreuses


épreuves, cela peut donner des prédispositions pour mieux réagir dans le
futur…
I. M. : Oui, sur le plan comportemental, cela a été mis en évidence par
de nombreux psychiatres, psychologues et psychanalystes. Le fait d’avoir
été soumis à un stress sans conséquence grave pendant l’enfance peut en
effet parfois créer une sorte d’insensibilité ou des aptitudes à mieux réagir
face à l’adversité. Il est connu que des enfants soumis à des stress précoces
et chroniques peuvent, plus tard dans leur vie, exprimer une certaine force
et une résistance au stress, par un phénomène de résilience. Si une
personne est arrivée à surmonter un traumatisme d’enfance, elle est
potentiellement à même de réagir « moins mal » face à de nouvelles
épreuves. Par exemple, si des personnes ont été maltraitées pendant une
partie de leur jeunesse, mais qu’ensuite elles ont eu une vie équilibrée,
aimante, dans un environnement rassurant, on observera sans doute les
mêmes phénomènes de réversibilité. Surtout si la personne prend soin
d’elle, si elle suit une psychothérapie… C’est connu sur le plan
« clinique » : plus tôt un enfant martyrisé est placé dans un environnement
sécurisant et est pris en charge par une thérapie, plus il aura de chances de
surmonter ce drame. Cela reste à démontrer, mais il est possible que les
bienfaits de toutes les thérapies complémentaires qui favorisent un mieux-
être sur le plan psychique engagent des mécanismes épigénétiques.

N. C. : En conclusion, il est prouvé que :


1. Notre génome est défini, mais pas son fonctionnement qui change de
façon dynamique.
2. L’expression des gènes peut être perturbée, trop ou mal activée, ou
freinée voire stoppée par les événements douloureux de la vie : stress,
mauvaise alimentation ou pollutions chimiques. Ces altérations du génome
peuvent s’exprimer dans le corps. Ce n’est pas systématique, cela dépend de
la nature, de la force, de la répétition de l’exposition et de la réaction de
l’organisme de la personne. Et si l’activité du génome est fortement
perturbée pendant longtemps dans les cellules, cela peut générer un
problème de santé. Mais là encore, ce n’est pas systématique.
3. Ce que nos parents et grands-parents ont vécu, subi, respiré et mangé
peut modifier leur schéma comportemental, mais aussi leur bagage
épigénétique dans toutes les cellules de leur corps, y compris leurs cellules
reproductrices. L’une et/ou l’autre de ces altérations comportementales et
épigénétiques peut affecter les descendants.
4. Cette transmission a été documentée sur le plan comportemental chez
l’être humain sur trois générations dans certains cas, et chez la souris de
laboratoire sur au moins cinq générations.
5. Ces altérations éventuellement transmises à nos descendants (ce n’est
pas systématique) peuvent donc leur causer des symptômes de stress, même
s’ils n’ont pas subi de traumatisme.
6. Les altérations causées par le stress sont potentiellement réversibles :
sur le plan psychique, on parle de « résilience »… et sur le plan corporel,
de « guérison ».
CHAPITRE 11

Répète-t-on sans le savoir les schémas


familiaux ?

Natacha Calestrémé : Le fait d’avoir démontré que les épreuves des


membres de notre famille ont créé des modifications de leur schéma
comportemental 20 et que cela nous est potentiellement transmis, est, à lui
seul, un changement de paradigme. Cela mérite un chapitre dédié à ce que
cela implique, d’autant que le sujet de l’hérédité émotionnelle, comme on
pourrait l’appeler, est questionné depuis près de cent ans par des
professionnels de santé de renom et a beaucoup été étudié sur le plan
clinique.
L’ÉVOLUTION DE LA PSYCHOGÉNÉALOGIE DEPUIS
UN SIÈCLE :

SE SOUVENIR POUR OUBLIER !


Nombreux sont ceux qui se sont penchés sur les vicissitudes de l’âme et ont fait
un lien entre ce qui nous perturbe dans le présent et ce qui a été vécu par nos
ancêtres. Sigmund Freud (1856-1939) écrit : « un sentiment se transmettrait de
génération à génération se rattachant à une faute dont les hommes n’ont plus
conscience et le moindre souvenir 21. » Carl Gustav Jung (1875-1961) annonce,
lui, que « l’homme mérite qu’il se soucie de lui-même car il porte dans son âme
les germes de son devenir » et que « la clarté ne naît pas de ce qu’on imagine le
clair, mais de ce qu’on prend conscience de l’obscur ». Il parle d’un inconscient
collectif qui nous travaille, inconscient transmis de génération en génération, et
introduit les notions de « synchronies » familiales et de « coïncidences de dates ».
Le psychiatre américain Jacob Levy Moreno (1889-1974), pionnier de certaines
approches psychiatriques, va beaucoup plus loin en concevant le
« génosociogramme » (arbre généalogique sur cinq à sept générations qui
mentionne les faits importants de la vie). Il propose la notion de « co-inconscient
familial et groupal 22 » qui transmet les non-dits et les secrets par le biais de
nouveaux événements. Il invite à « traquer les loyautés invisibles qui nous
obligent à payer les dettes de nos ancêtres », en étant attentifs aux « tâches
interrompues » de notre famille dont il faut « boucler la boucle pour échapper à
ces répétitions ». Les faits mentionnés sur cet arbre généalogique concernent les
relations de la personne avec sa famille en répondant à ces questions : qui
travaille, qui vit ensemble, qui a été exclu, qui élève les enfants, qui naît, qui
meurt, qui remplace qui, qui hérite de quoi, qui vit des injustices, qui est favorisé
ou défavorisé, qui fuit, qui entre dans la famille…
Le psychanalyste américain d’origine hongroise Iván Böszörményi-Nagy (1920-
2007) développe le concept de « loyauté inconsciente » sur les « mythes
familiaux » 23. Par exemple, si justice n’est pas faite dans une famille, la
descendance peut subir et faire subir des épreuves symboliques où la mauvaise
foi, la vengeance, la colère et l’injustice prévalent. Françoise Dolto (1908-1988)
constate également ces récurrences et dira : « Ce qui est tu à la première
génération, la deuxième le porte dans son corps 24. »
Mais c’est la Française Anne Ancelin Schützenberger (1919-2018) qui donne
ses lettres de noblesse à la dimension transgénérationnelle, en amenant la
psychogénéalogie à l’université à travers de remarquables travaux de synthèse et
vingt ans d’études cliniques dédiées au sujet. Psychothérapeute de renommée
internationale, professeure émérite des universités et directrice du laboratoire de
psychologie sociale et clinique à l’université de Nice, elle a partagé ses
découvertes dans un livre assez technique qui n’en est pas moins devenu un
best-seller 25.

En travaillant auprès de malades du cancer notamment – alliant médecine


classique et suivi psychothérapeutique –, la psychologue découvre de
surprenants phénomènes de répétition. Sa rencontre avec une Suédoise de
35 ans condamnée par la médecine qui lui a diagnostiqué un grave cancer est
déterminante. Au-dessus du lit de la patiente, le portrait de sa mère, morte du
même cancer… à 35 ans. Anne Ancelin Schützenberger émet l’hypothèse d’une
identification inconsciente de la jeune femme à sa mère, au point de répéter son
destin tragique. Ce rapprochement des faits – une révélation pour la patiente – a
changé la vie de celle-ci (elle n’est pas décédée) et celle de la chercheuse. Selon
elle, « prendre conscience des répétitions peut parfois suffire à créer une
émotion assez forte pour libérer la personne du poids de ses loyautés
familiales inconscientes 26. »
Pendant vingt ans, dans son laboratoire de psychologie sociale et clinique,
engagée dans une indéfectible démarche scientifique, Anne Ancelin
Schützenberger demande à ses patients de noter sur un arbre généalogique
inspiré de celui de Moreno les événements marquants (positifs ou négatifs) de
leur famille afin de constater ce qui se rejoue, jusqu’à certaines « dates
anniversaires ». « Nous sommes moins libres que nous ne le croyons, mais nous
avons la possibilité de conquérir notre liberté et de sortir du destin familial
répétitif de notre histoire en comprenant les liens complexes qui se sont
tissés dans notre famille, et en éclairant les drames secrets, les non-dits et
deuils inachevés 27 », disait-elle en 2000. D’après elle, ouvrir les yeux sur le fait
que nos troubles actuels sont potentiellement liés à des traumatismes familiaux, à
des secrets dont on peut enfin faire le deuil, serait une des étapes décisives pour
s’en libérer : « Recadrer la maladie gravissime dans un ensemble familial
répétitif lui donne un sens et change souvent le déroulement de la
maladie 28. »

L’histoire du patient au cœur de sa santé


Natacha Calestrémé : Si l’histoire affective, sociale, culturelle et
environnementale de notre famille peut avoir un impact sur notre santé,
n’est-il pas intéressant d’écouter le vécu du patient et de sa famille pour
l’aider à avancer vers sa guérison ?
Gérard Ostermann : D’après moi, c’est fondamental. Je ne dis pas qu’il
faut le faire immédiatement, c’est pour cela que le soin demande du temps.
Mais l’histoire du malade est fondamentale parce que nous sommes tous
imprégnés de croyances et de préjugés qui sont liés à la façon dont nous
nous sommes construits à partir de notre vécu familial et culturel. Et tant
que l’on n’a pas critiqué, ou émis notre propre pensée, quelque part, on est
sous influence. On vit tous sous influence, mais parfois on l’est un peu plus,
ou un peu trop. Combien de fois ai-je vu des patients qui répétaient un
symptôme pour ne pas être déloyaux à un schéma familial !
Je me souviens d’Alain, que je vois pour une dépression. Il va mal car il
considère qu’il a raté sa vie. Chaque fois qu’il rencontre une femme dont il
est très amoureux, cela finit en rupture. Il en est à six histoires équivalentes.
Je me renseigne, au début, pour savoir s’il n’y a pas un type psychologique
chez ces femmes en particulier, un dénominateur commun, puis je lui
demande de quel niveau social elles étaient. C’étaient plutôt des
bourgeoises, des femmes qui avaient assez bien réussi socialement. Lui était
d’un milieu qui bannissait le pouvoir de l’argent : fils de communiste, petit-
fils de communiste, communiste lui-même. Il a eu un éclair de lucidité. « Je
réalise que si je m’étais mis en couple durablement avec une de ces
femmes-là, d’une certaine manière j’aurais trahi la lignée communiste
familiale. », m’a-t-il dit. En reprenant les histoires les unes après les autres,
il a compris qu’il était en définitive à l’origine de ces ruptures (par ses
remarques désobligeantes, notamment sur l’argent), alors qu’il avait vécu
ces séparations comme un abandon.

N. C. : Une sorte d’autosabotage…


G. O. : C’est exactement le terme qu’il a employé. Je lui ai dit : « Alain,
si vous voulez une vie affective, relationnelle, émotionnelle et sexuelle
réussie, il serait peut-être bon que vous arriviez à transgresser les idées de
votre lignée puisque vous êtes attiré par des femmes bourgeoises. » Il
n’avait pas mesuré à quel point la loyauté aux idées de sa famille impactait
sa vie. Sans se pencher sur l’histoire familiale et la manière dont notre
psychisme s’est structuré, on peut se voir comme une victime et passer à
côté de l’opportunité de se reconstruire autrement.

L’HÉRÉDITÉ ÉMOTIONNELLE ET SES « RÉPLIQUES » DANS


NOTRE VIE

Dans leur livre Soulager la douleur, le doyen de la faculté de médecine de Saint-


Étienne Patrice Queneau et Gérard Ostermann relatent l’histoire d’une jeune
femme dont le pied a été écrasé par le chargement d’un camion. Aucun
antalgique ne la soulage. Lorsque cette personne réalise qu’elle a, durant son
enfance, été violentée par son père… camionneur et qu’elle verbalise ce nouvel
éclairage, les antalgiques deviennent tout à coup efficaces. Les auteurs ajoutent :
« Il n’y a pas pire souffrance que celle à laquelle on ne peut donner un sens.
Tel cet homme de 50 ans qui souffre depuis dix ans d’une migraine sévère et qui,
soudain, voit le lien qui existe entre sa souffrance après la mort de son père et…
les migraines dont son père se plaignait. En découvrant ce lien psychologique,
ses migraines se sont aussitôt atténuées, devenant épisodiques. Le rôle du
médecin est ici de permettre au patient de pouvoir changer lui-même de
niveau de compréhension. D’une certaine manière, c’est lui permettre
d’interpréter sa douleur autrement qu’en langage purement mécanique 29. »
Parfois les problèmes de santé ou les épreuves déjà vécues dans la famille se
jouent, voire se rejouent plusieurs fois dans notre vie… comme pour attirer notre
attention. Cette « réplique » de phénomènes au sein d’une même existence
n’est-elle pas l’indice d’une « hérédité émotionnelle » ?
Découvrir les répétitions et agir sur le plan
thérapeutique
N. C. : Anne Ancelin Schützenberger l’admettait volontiers : la prise de
conscience de ces répétitions à travers l’histoire familiale peut parfois
suffire à résoudre le problème de santé… D’autres fois, cela ne change rien
ou ne fait qu’atténuer le symptôme… ou bien elle facilite l’action d’un
médicament… Précisons que certaines approches thérapeutiques proposent
d’explorer cette voie psychogénéalogique afin d’aider le patient à se libérer
de ces répliques. Un certain nombre d’approches se penchent sur cette
« hérédité émotionnelle », est-ce le cas de la médecine conventionnelle ?
Isabelle Mansuy : Je pense que les psychiatres et les médecins
s’intéressent de plus en plus aux approches complémentaires dont les
principes explorent la psychogénéalogie. Un être humain n’est jamais
seul, il fait partie d’une famille avec un passé, un comportement, le
comportement familial, sa culture, sa transmission orale… Et les
médecins ou psychiatres qui considèrent cet environnement social et
émotionnel en abordant les patients dans leur entièreté sont
formidables. La recherche en hérédité épigénétique apporte un mécanisme
et des éléments pour permettre de concevoir comment cela se passe au
niveau des cellules.

N. C. : Le fait qu’on ne puisse expliquer le fonctionnement des


approches transgénérationnelles est-elle une raison pour les nier ?
Thierry Janssen : Il serait dommage de nous priver de certains ressorts
thérapeutiques au motif que l’on ne peut pas expliquer leur mode d’action.
Dans le domaine des sciences, expliquer est important mais les faits
comptent tout autant. D’un point de vue scientifique, les approches
thérapeutiques comme la psychogénéalogie méritent toute notre attention.
Car on l’a constaté : on peut effectivement identifier dans l’arbre
généalogique de chaque individu des événements qui se répètent en dates
anniversaires, des loyautés aux ancêtres, des « fantômes » (comme les
appelle Anne Ancelin Schützenberger), qui favorisent la perpétuation de
croyances et de comportements dans une même lignée. C’est assez
stupéfiant. Et on ne peut contester le fait qu’identifier cette logique
transgénérationnelle peut aider certaines personnes réceptives à ces
approches à vivre mieux, à se soulager du poids du passé de leurs ancêtres,
à se sentir libres de redéfinir leur projet personnel, et même à déclencher
des processus d’autoguérison.
Les transformations qui émergent après ces prises de conscience
transgénérationnelles sont sans doute dues à la détente corporelle, aux
pensées positives et aux émotions agréables qui se produisent alors. On peut
aussi évoquer l’importance du sens retrouvé et la remoralisation de
l’histoire jusqu’alors vécue comme une fatalité. Toutefois, il reste à
expliquer comment se font le stockage et la transmission de l’information
d’une génération à l’autre. La psychanalyse a introduit le concept
d’inconscient, mais qu’est-ce que l’inconscient ? Les informations sont-
elles uniquement stockées dans l’ADN ? N’existe-t-il pas un champ
d’énergie autour de nos gènes qui contiendrait ces informations ? Nous ne
devrions pas nous contenter de réponses toutes faites à ces questions.
L’Univers n’est-il pas constitué de matière, d’énergie et d’information, trois
composants absolument indissociables les uns des autres ? La science va
devoir inventer de nouvelles représentations afin d’apporter de nouvelles
explications à ces faits encore mal compris.

Le risque de conclusions hâtives


N. C. : J’ai rencontré beaucoup de personnes qui se sentaient invisibles
ou non valorisées dans leur travail. Quand je leur ai conseillé d’observer les
générations précédentes, il est apparu que le grand-père avait dû se cacher
pour survivre pendant la guerre, la grand-mère avait subi un inceste et se
rendre invisible était un moyen d’avoir la paix, ou la mère avait un mari
violent et être invisible lui permettait de ne plus recevoir de coups. Les
circonstances étaient différentes mais, chaque fois, une forme d’invisibilité
avait apporté un mieux-être ou la survie chez les parents de ces personnes.
Pourquoi certaines épreuves de nos ancêtres semblent-elles peser sur la
descendance ?
T. J. : Il faut se méfier de conclure qu’une souffrance ancestrale est
forcément à l’origine de la nôtre. J’invite à la plus grande prudence : on ne
peut affirmer qu’une seule cause explique un effet. Cela étant dit, si un
symptôme réapparaît et persiste, c’est pour tenter d’apporter de la guérison.
On l’a vu, « la maladie est une tentative de l’organisme de retrouver un
équilibre dans une situation perturbée ». Dans l’exemple d’une personne qui
se sent non valorisée ou invisible, celle-ci peut s’adresser à différents
thérapeutes. Chacun aura sa façon d’apporter du sens au vécu du patient. Si
ce sens est en cohérence avec les croyances et la culture du patient, il peut
avoir un effet très bénéfique sur l’amélioration de la situation.
Imaginons que la personne rencontre un spécialiste du
transgénérationnel qui lui propose d’établir son arbre généalogique et que
l’on y découvre un ancêtre qui a souffert de non-reconnaissance ou
d’invisibilité. La personne va peut-être prendre conscience qu’elle est
l’héritière du même problème et qu’elle n’est plus obligée de subir la même
situation. Le thérapeute pourra l’inviter à effectuer un acte « psycho-
magique » pour qu’elle puisse se libérer du poids du passé, en allant par
exemple sur la tombe de l’ancêtre concerné afin de lui rendre ce qui lui
appartient. Cette prise de conscience d’une problématique
transgénérationnelle l’aura donc aidée à donner un sens à son histoire, à se
la réapproprier et à ne plus la considérer comme une fatalité, c’est
absolument thérapeutique. Imaginons que la même personne rencontre un
guérisseur traditionnel auquel elle attribue une grande crédibilité et que
celui-ci, percevant chez elle de la timidité et une tendance à s’effacer, lui
explique que c’est dû à un sort qui lui a été jeté et lui prescrive dans la
foulée un rituel spécifique destiné à conjurer cette façon de se rendre
invisible. Le sens attribué à ce rituel traditionnel aura un effet aussi
bénéfique que celui obtenu par l’acte psycho-magique prescrit par le
spécialiste du transgénérationnel. Imaginons enfin que cette personne
consulte un psychothérapeute en qui elle a une grande confiance et que ce
dernier l’encourage à explorer sa petite enfance. Elle va peut-être se
souvenir que ses parents ne l’écoutaient jamais, et que le seul moyen d’être
acceptée par eux avait été de ne pas s’exprimer. En apprenant à ne plus se
taire et à oser dire sa vérité, le patient entrera probablement à nouveau en
contact avec sa rage de vivre, la flamme de sa vitalité. Ainsi, quelle que soit
la voie empruntée par cette personne, le sens qui aura été donné à sa
souffrance l’aidera à mobiliser ses forces de guérison. L’important est
d’emprunter une voie cohérente par rapport à la culture dans laquelle on
évolue, car les représentations utilisées pour identifier la problématique
dépendent beaucoup de l’imaginaire d’une culture particulière. Sans cette
cohérence, il est très difficile pour la personne en souffrance de s’approprier
le sens évoqué. L’anthropologie médicale nous apprend que la
« reconstruction narrative » peut donner du sens et aider au processus de
guérison mais, de mon point de vue de thérapeute et de médecin, en aucun
cas elle ne peut servir de base pour établir avec certitude un lien de cause à
effet entre l’explication qui donne du sens et la souffrance mise en
évidence. Il est important de ne pas enfermer les gens dans une
compréhension restreinte de la réalité parce que la réalité est beaucoup plus
vaste que cela.
Se méfier des pièges de nos représentations
mentales
N. C. : On l’a dit, la première attitude face à un problème de santé est de
consulter un médecin, mais pour ceux qui veulent, en complément, explorer
d’autres voies et donner un sens à ce qu’ils vivent, comment agir ? Doit-on
se questionner ?
Gérard Ostermann : Que cela vienne d’un thérapeute ou de nous-
mêmes, peu importe, l’important est de se mettre en état de répondre.
D’ailleurs à ce moment-là, étrangement, la question disparaît et cela nous
met dans un état différent. J’ai un exemple très précis là-dessus. Une très
belle femme vient me consulter. Elle est sortie d’une anorexie mais ses
cheveux sont cassants, fourchus et elle en perd beaucoup. À force de
réinterroger son histoire, progressivement, une information se fait jour.
Derrière ce problème de cheveux, il se cachait autre chose. Le fait que j’ai
posé des questions (sans y apporter de réponse) l’a amenée à se souvenir
que lorsqu’elle était petite, sa mère… un peu toxique, lui tirait les cheveux.
Elle exprimait sa jalousie envers sa fille en s’attaquant à sa chevelure.

N. C. : Au moment où elle vous consulte, ne plus avoir de beaux


cheveux ni même de cheveux, inconsciemment, pouvait être un moyen de
trouver la paix avec sa mère…
G. O. : Oui. En plus, sa mère était tombée malade. Donc en régressant
dans sa chevelure, dans sa beauté, c’est comme si elle s’effaçait face à sa
mère, qu’elle sortait de la compétition… mais c’était totalement inconscient
et elle souffrait beaucoup de son apparence. Dans son cas, le seul fait de
faire le lien lui a permis de retrouver la qualité de sa chevelure. Mais la
complexité du corps humain est telle, que l’on ne peut jamais prétendre
connaître tous les facteurs de la maladie en question ni garantir que cela va
tout résoudre. Cela nous force à beaucoup d’humilité. On peut simplement
dire que connaître un des liens potentiels entre la maladie et notre
histoire familiale est un des facteurs favorisant la guérison.
CHAPITRE 12

Intégrer la dimension spirituelle au soin ?

Natacha Calestrémé : Malgré les progrès de la science, les problèmes


de santé mentale ont pris une telle ampleur qu’ils sont devenus une priorité
de l’Organisation mondiale de la santé. N’est-on pas passés à côté de
solutions à notre portée et ne faudrait-il pas imaginer d’autres manières
d’aborder la maladie ?
Jacques Besson : Cela fait des années que je travaille pour montrer la
légitimité scientifique de concevoir la médecine en trois ordres : somatique,
psychique mais aussi spirituel. Un ordre permet de donner une cohérence à
l’intérieur d’un système. Le premier ordre de la santé est biomédical,
moléculaire et correspond aux médecines conventionnelles,
médicamenteuses et chirurgicales. Le deuxième ordre est psychique et
concerne les disciplines qui traitent les comportements, les maladies
psychosomatiques et mentales. Et il existe un troisième ordre bien connu,
en Orient notamment : la santé spirituelle, qui aborde la question du sens et
de ce qui nous relie à plus grand que nous. C’est ce que le professeur de
neurologie et de psychiatrie Viktor Frankl appelle « l’auto-distanciation » et
« l’auto-transcendance ». Il s’agit de notre capacité à nous désassocier de
notre maladie et à accéder à notre pouvoir d’autoguérison en élargissant
notre conscience sur un plan transpersonnel (qui dépasse notre moi, notre
ego). La maladie – et j’évoque là toutes les maladies – est presque
systématiquement multifactorielle. Et dans ce champ des possibles, elle est
alors l’expression des liens avec quelque chose qui nous dépasse, d’autant
plus que nous n’en sommes pas conscients. Et cet ordre spirituel,
totalement compatible avec l’ordre psychique et l’ordre biomédical, est
souvent occulté.
Le Dalaï-Lama, que j’ai interrogé sur cette vision des choses, m’a dit :
« La santé spirituelle devrait être une priorité pour l’Occident, mais il n’est
pas nécessaire de se convertir au bouddhisme parce qu’en Occident vous
avez tout ce qu’il faut dans vos racines, votre histoire pour développer la
santé spirituelle à partir de votre patrimoine le plus profond. »

N. C. : Que signifie le terme de « santé spirituelle » pour nous,


Occidentaux ?
J. B. : La « spiritualité », ce sont toutes les pensées qui nous éloignent
de la matière. Ce sont les croyances qui nous relient à plus grand que nous,
l’Univers pour certains, la nature, la lumière, ou une déité pour d’autres. La
santé spirituelle, ce sont donc les forces de vie auxquelles on se connecte
pour le salut de notre âme. Si vous me permettez une parenthèse historique,
j’aimerais rappeler qu’en 1948 l’OMS a défini la santé comme « un état
complet de bien-être physique, psychique et social ». Ce que les gens
ignorent, c’est qu’il était prévu d’y ajouter une quatrième dimension qui
était le bien-être spirituel. Mais l’URSS, à l’époque, s’y était violemment
opposée et l’OMS n’a pas pu valider cette quatrième dimension. Il a fallu
attendre la déclaration de Bangkok, en 2005, pour faire reconnaître – et
c’est peu connu – la dimension spirituelle de la santé.

La santé spirituelle : un plus dans


la thérapie
N. C. : En quoi la spiritualité peut-elle avoir une incidence sur la santé,
et notamment sur la santé psychique ?
J. B. : Avant de vous répondre formellement, je précise, en tant que
psychiatre, que l’Association américaine de psychiatrie, qui a défini en
2013 les critères pour établir un diagnostic psychiatrique (le fameux DSM-
5), recommande de faire l’anamnèse (le recueil des antécédents du malade)
culturelle et spirituelle des patients. J’attire votre attention sur le fait qu’une
recommandation aux États-Unis, ce n’est pas anodin : si vous ne vous y
soumettez pas, vous êtes condamnable en justice. J’ai dirigé pendant
plusieurs années la commission Révision des pratiques cliniques
psychiatriques en Suisse romande et j’ai vu des situations où un défaut
d’anamnèse spirituelle a provoqué la mort de patients. Je me souviens d’un
jeune homme schizophrène, en très mauvais état, qui avait été hospitalisé. Il
s’était rétabli progressivement à l’hôpital en faisant ce qu’il appelait des
« purifications bouddhistes ». L’équipe médicale était très heureuse, le
jeune homme allait beaucoup mieux, il se purifiait, se purifiait… Jusqu’au
jour où il s’est jeté dans le lac Léman, et il en est mort. J’ai consulté le
dossier sous un angle extrajudiciaire pour voir si l’hôpital avait fauté. Et je
me suis rendu compte que personne ne s’était inquiété de savoir ce que
représentait cette purification chez ce jeune homme. Il se prétendait
bouddhiste, il faisait des purifications, il allait mieux, alors tout allait bien.
On ne peut pas leur jeter la pierre. Il y avait une « incompétence
spirituelle ». Car ce que le jeune homme faisait n’avait rien à voir avec le
bouddhisme ni avec des purifications, c’était une aberration théologique.
Dans sa logique, la mort était probablement la purification ultime. Il aurait
fallu l’interroger. J’ai édité un rapport qui a valeur de jurisprudence en
Suisse, et qui exige de faire l’anamnèse spirituelle des patients pour savoir
si leur vision spirituelle est pondérée, mystique ou délirante.

N. C. : Si je comprends bien, il est recommandé aux thérapeutes,


psychiatres et médecins suisses d’établir quelles sont les croyances
spirituelles du patient ? C’est cela ?
J. B. : Oui. Interroger le patient sur sa dimension spirituelle permet
d’écarter d’éventuels désordres psychiques dans le cas de pathologies et
surtout de profiter d’un effet de levier concernant sa guérison en
utilisant le bénéfice de ses croyances sur sa santé. Comment le patient
parle-t-il de ses croyances, de sa vie spirituelle ? Est-ce sous une forme
aberrante ou viable ? Lui permettent-elles d’éveiller sa conscience,
d’accroître sa foi en lui et en la vie ou, au contraire, sont-elles morbides ou
mortifères ? Se poser la question est essentiel pour donner au patient la
chance de mieux s’investir dans l’acte de guérison. C’est l’une des choses
que nous faisons dans le cadre du Spiritual Care [accompagnement
spirituel]. Depuis 2019, l’obtention d’un certificat de spécialisation en
accompagnement spirituel est même proposée au CHUV. Nous avons
intégré un questionnaire nord-américain appelé HOPE, composé de quatre
questions qui permettent, au lit du malade, que ce soit en ambulatoire ou à
l’hôpital, d’aborder la dimension spirituelle :
– H [sources of Hope] : Est-ce que vous avez une espérance en quelque
chose de plus grand que vous ? une croyance en une conscience universelle,
des forces qui dépassent l’ego ou la volonté ? Cela donne une idée de la
dimension de la transcendance du patient.
– O [Organized religion] : Est-ce que vous pratiquez une religion :
chrétienne, musulmane, juive, bouddhiste, etc. ?
– P [Personal spirituality] : Que faites-vous personnellement ? Quelles
sont vos pratiques ? Et là, on obtient des indications très intéressantes parce
qu’on est au-delà de la pensée, on est dans la description de ce que la
personne fait concrètement : méditation, prière, qui elle prie, comment elle
prie, les rituels qu’elle peut avoir.
– E [Effects on medical care and end-of-life decisions] : Une question
d’ordre éthique : seriez-vous d’accord pour intégrer cette dimension à votre
traitement et, notamment, rencontrer un professionnel de
l’accompagnement spirituel ?
En Suisse, nous avons des accompagnateurs spirituels dans les
hôpitaux. Autrefois, on les appelait des aumôniers, mais aujourd’hui ils sont
ouverts à toutes les spiritualités. Ils ont lâché leur obédience parce que les
durées de séjour en milieu hospitalier sont courtes et qu’il faut pouvoir
aider tout le monde. Le patient a peut-être un cancer, une maladie grave,
une maladie chronique et on lui propose un accompagnement spirituel qui
consiste en l’apport de prestations spirituelles complémentaires à son
traitement médical, par du personnel formé dans le champ spirituel au lit du
malade, indépendamment des religions et des confessions. Les patients
disent oui ou non. Et c’est tout à fait intéressant parce que certains sont très
croyants mais ne veulent pas parler de leur foi ; d’autres ont recours à des
rituels mais n’ont pas de théologie particulière, d’autres encore font partie
d’une secte, ils le revendiquent, ils pratiquent mais ne veulent rien en dire.
Mener des investigations de manière systématique a fait l’objet en 2001
d’un article expertisé par le Journal of Family Practice 30, une source
reconnue scientifiquement. Des études ont été menées au Canada pour
savoir si les patients voulaient que la spiritualité soit intégrée à leur
traitement, et 80 % des patients le souhaitaient… Mais 80 % des médecins
ne le souhaitaient pas… Une enquête 31 a également montré que la prise en
compte des besoins spirituels est perçue par les patients comme innovante
et nécessaire à cause de la maladie et de tout ce qu’elle bouleverse dans la
vie d’une personne. Précisons que la spiritualité, à la différence de la
religion, se réfère « à des pratiques non organisées ou structurées qui
peuvent faire partie de l’expérience personnelle sans forcément signifier
une appartenance à un quelconque groupe religieux ».

N. C. : Si le patient est demandeur, pourquoi tant de résistances ?


J. B. : Par méconnaissance du sujet, probablement. Je suppose qu’ils
résumaient la spiritualité à la religion et, dans un État laïque, c’est d’autant
plus tabou. Alors qu’il s’agit simplement d’un système de pensée qui nous
relie à des forces qui nous dépassent – et chacun y met le sens qu’il veut :
les forces de la nature, de la lumière, d’un dieu… Alors, oui, ce point est
complètement occulté par la médecine officielle. Et pourtant, la spiritualité
est naturelle et universelle. Les humains, depuis toujours, ont un besoin de
lien et de sens. Dès qu’il y a eu un humain debout, il y a eu une
orientation à prendre, des besoins de cohésion, de se regrouper et ces
besoins naturels et universels peuvent se transformer en religion, en
rituel, en tradition, en culture…
Et puis, dans le système de pensée occidentale, certains considèrent
qu’être scientifique et spirituel, ce n’est pas compatible. La perspective que
l’humain ait une âme qui soit en relation avec une force supérieure… ce ne
serait pas conciliable avec une vision scientifique.

N. C. : Est-ce que, finalement, s’ouvrir aux trois ordres – physique,


psychique et spirituel – serait une manière de nous relier davantage à notre
pouvoir d’autoguérison ?
J. B. : Oui, je pense que cet ordre médical, la santé spirituelle, permet
de retrouver du pouvoir sur soi, de redevenir le capitaine de son âme.
C’est un moyen de retrouver de la liberté, de la créativité, de la
responsabilité, ce qui, dans le fond, est un moyen de mieux vivre.

Les différentes dimensions de la santé


N. C. : Vous voulez dire que la médecine telle qu’elle est pratiquée
généralement se prive d’une dimension qui aiderait à la guérison parce
qu’elle occulte la spiritualité du patient ?
J. B. : Exactement. Cela fait trente-six ans que je travaille sur cette
question, et j’ai la chance, en tant que psychiatre et addictologue, d’avoir
beaucoup de données cliniques (un très grand nombre de patients). Certes,
on peut expliquer l’addiction sur le plan biologique : si vous buvez
beaucoup d’alcool, cela risque d’altérer certaines fonctions du cerveau
(atrophie de l’hippocampe, du cervelet, etc.), mais comment expliquez-
vous que quelqu’un qui se rend aux Alcooliques anonymes et qui récite
la « prière de la sérénité 32 » arrête l’alcool du jour au lendemain ?
Grâce à ce mouvement spirituel non religieux, plusieurs millions
d’adeptes font confiance à « l’Univers », ils se sont remis à « plus grand
que soi » pour aller mieux. De nombreuses études ont montré les effets
positifs de la prière quelle que soit sa forme 33. Il y a des domaines où la
médecine est démunie. La schizophrénie, l’autisme, les addictions… Il est
important d’utiliser tout ce qui est à notre disposition pour venir au secours
de cette population très nombreuse et abandonnée par la médecine, d’une
certaine manière.
J’avoue avoir découvert l’importance de la spiritualité en étudiant les
addictions. Cette pathologie illustre parfaitement l’intérêt de s’ouvrir aux
trois ordres. Les drogues ont un impact sur le corps, l’ordre biologique et
médical, et elles touchent aux circuits entre le cerveau d’en bas (qui est le
cerveau archaïque, opérationnel) et le cerveau d’en haut (qui touche à la
conscience des choses). Le fait de continuer à consommer malgré les
conséquences négatives – l’autodestruction – nous mène vers le deuxième
ordre, la dimension psychologique et psychosociale. La plupart des
toxicomanes ont été maltraités, abusés ou abandonnés. Au sein de la
Harvard Medical School, à Boston, dans les années 1990, nous avons
développé des instruments de rétablissement autour de l’analyse de la
psychotraumatologie dans les addictions – et nous avons introduit au Centre
hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne un plan de
rétablissement en quatre étapes qui tient compte de la
psychotraumatologie :
1. L’alliance : on va chercher les gens là où ils sont ; hélas, en général
dans la rue.
2. La stabilisation : cela signifie qu’on leur apporte le minimum vital.
J’ai été médecin de l’Armée du salut pendant cinq ans ; les 3 S de l’Armée
du salut sont « soupe, savon, salut ». La stabilisation commence par un
logement, de quoi manger, un petit revenu avec une activité de base et
éventuellement un substitut de la drogue. Une fois que les patients sont
stabilisés, on peut aborder la question psychothérapeutique.
3. L’intégration : elle consiste à aider ces personnes à retrouver une
place dans la communauté.
4. La reconnexion : c’est le fait de s’intéresser aux antécédents
traumatiques du patient : « Qu’est-ce qui vous est arrivé ? » Et à partir du
moment où le patient a le moyen de se poser la question « Qu’est-ce qui
m’est arrivé ? », il peut s’interroger sur son devenir. C’est bouleversant et
cela avance très vite.

Concrètement, quand j’avais un toxicomane qui débarquait couvert


d’abcès sur les bras, avec des conduites suicidaires implicites, du désespoir,
de la violence, je commençais par m’occuper de son corps. C’est la base :
soigner les abcès, donner à manger, lui trouver un lit, une douche, des habits
propres. Ça, c’est le premier ordre. Ensuite, on a le deuxième ordre : être à
l’écoute. Vraiment à son écoute, sans calquer des vérités toutes faites. Lao
Tseu disait : « C’est dans le silence qu’on écoute le mieux. » Le troisième
ordre vient plus tard. Quand le patient a le ventre plein, qu’il est un peu
moins triste, alors il est en capacité de se poser la question : « Et moi dans
tout ça ? Quel est le sens de ma vie ? Qu’est-ce que je veux faire du
temps qu’il me reste ? » J’ai eu la chance de diriger un service qui
proposait cinq cents places de réhabilitation. On a inventé de nouvelles
professions pour ces personnes : « réparateur d’ordinateurs », « ingénieur
du paysage » – cela veut dire ramasser les déchets dans les forêts…
N. C. : C’est magnifique de valoriser ainsi de telles réalisations… Cela
me rappelle la « pyramide des besoins » de Maslow : d’abord satisfaire nos
besoins physiologiques (faim, soif, sommeil), puis répondre à nos besoins
de sécurité (un toit, un environnement stable, sans anxiété), ensuite
assouvir notre besoin d’appartenance (amour et affection de l’entourage),
qui aide au besoin d’estime (confiance et estime de soi, respect et
reconnaissance des autres) et qui permet d’accéder au besoin
d’accomplissement (notre mission de vie). Certaines personnes que vous
rencontrez sont dans l’addiction parce que tout s’est effondré. Et vous les
aidez à se stabiliser et à se reconstruire…
J. B. : Je suis convaincu que la psychotraumatologie est une clé de
voûte de l’addictologie… Et grâce aux Alcooliques anonymes et aux
Narcotiques anonymes, j’ai aussi découvert le troisième ordre : la puissance
de la spiritualité et l’importance du lâcher-prise dans le processus de
rétablissement. Il y a plus grand que nous, il existe une puissance supérieure
et des valeurs essentielles comme le pardon, le partage, l’amour dans les
relations, la réparation… Cette ouverture à ces valeurs s’acquiert grâce à
des psychothérapies qui agissent en profondeur et qui œuvrent sur cette
dimension de la personne qu’en Occident on a cessé de considérer –
l’âme – qui est centrale pour les médecines traditionnelles. Ce qui
correspond tout à fait à ce que vous appelez dans vos vidéos et dans vos
livres « le recouvrement d’âme ».

N. C. : À ce propos, après le rapport Stratégie de l’OMS 2014-2023


pour la médecine traditionnelle et complémentaire 34 et le Congrès mondial
de médecine et de santé intégrative d’avril 2017, plusieurs organisations 35
ont publié en français, en 2019, « l’Engagement de Berlin pour une
médecine intégrative 36 ». Celui-ci reconnaît l’importance des médecines
traditionnelles dans le monde et recommande de développer de
meilleures pratiques de ces approches, de soutenir leur utilisation sûre et
efficace et de faciliter leur intégration dans les pratiques biomédicales
courantes.
J. B. : C’est essentiel. D’ailleurs, à Lausanne, nous avons créé un
Centre de médecine intégrative et complémentaire attaché au Centre
hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et à la faculté de biologie et de
médecine. On y conduit actuellement des recherches sur ces questions.
CHAPITRE 13

Réconcilier les médecines

Natacha Calestrémé : Comment les gens perçoivent-ils l’offre de santé,


aujourd’hui ?
Gérard Ostermann : Globalement, le grand public est convaincu que la
médecine conventionnelle apporte des solutions techniquement fiables dans
le cas de maladies graves ou les situations d’urgence. En ce qui concerne les
maladies chroniques (dépression, migraine, douleurs au dos, insomnies,
colopathie…), c’est un peu différent. Et même si la médecine
conventionnelle s’évertue à chercher de nouvelles voies d’exploration, les
malades ne sont pas pleinement satisfaits par les résultats ni par la relation
soignant/soigné. Ils craignent les effets secondaires des médicaments pris
sur le long terme et, pour ces raisons, ils se tournent vers les médecines
complémentaires qui – c’est un problème pour certains – ne sont pas
validées par la science. Quoi qu’il en soit, ces pratiques ne doivent pas
remplacer la médecine conventionnelle.

Vouloir tout expliquer par la science


N. C. : Est-ce que la science peut tout expliquer en matière de guérison
ou de médecine ?
G. O. : La science ne peut pas tout expliquer, surtout en matière de
guérison. La guérison échappe même à l’explication en tant que telle
puisqu’elle est tributaire de facteurs multiples, complexes, et en particulier
de la singularité du patient et de son histoire personnelle. Je dirais même
que la science est devenue aujourd’hui un mythe moderne. Il y a une sorte
d’attente du « tout expliqué par la science ». C’est un peu dommage parce
que ce n’est pas sa finalité. Le but de la science est de rendre
objectivables un certain nombre de choses, d’avoir l’idée de
reproductibilité dans une expérience, de formuler des hypothèses, mais
en aucun cas de prétendre pouvoir tout expliquer. Aucun scientifique
digne de ce nom ne peut revendiquer une chose pareille. Et comme on ne
peut pas tout expliquer par la science, alors il faut faire la différence entre
« soigner » et « traiter » – ce n’est pas la même chose. On l’a vu, prendre
soin ne se résume pas à s’occuper de la maladie ; prendre soin, c’est
accompagner. Et c’est extrêmement important parce qu’au fond les
processus de guérison sont aussi à l’intérieur de la personne. Ils ne nous
appartiennent pas à nous scientifiques. On peut tenter de les activer, mais on
n’est pas détenteurs du processus de guérison, qui nous échappe d’une
certaine manière. Qu’est-ce qui fait que l’un va guérir d’un cancer et pas un
autre ? Il y a encore beaucoup d’inconnues à ce niveau-là.

N. C. : L’inexplicable est une notion difficile à envisager car la science


ne reconnaît que les traitements aux résultats objectivables, reproductibles
et quantifiables.
G. O. : La médecine n’est pas une science exacte, elle est un art. Un art
qui positionne des êtres humains différents, avec des maladies et des
émotions différentes, face à des soignants différents, et le tout crée une
relation unique, une œuvre unique. Et les domaines pour lesquels la
médecine évolue le plus lentement sont la santé des enfants et celle des
personnes âgées parce que le sens critique leur fait défaut et qu’ils peuvent
plus difficilement préciser leur pensée. Quant à la science, elle peut se
tromper, commettre des erreurs et elle évolue tout le temps. La prestigieuse
revue médicale The Lancet a indiqué que de très nombreuses études dites
« scientifiques » étaient fondées sur des données parfois douteuses et non
reproductibles, et qu’elle-même avait (sans le savoir, probablement) publié
certaines de ces études aux résultats arrangés. Ce constat n’est pas le fait de
la science, qui est neutre et qui n’est qu’un outil, c’est le résultat
d’observations travesties par certains auteurs. Et je crois que Jung avait
raison quand il disait : « Un moyen juste, chez un homme juste, donne un
résultat juste ; un moyen juste, chez un homme de travers, donnera un
résultat de travers. » Donc, au fond, la vraie question est de savoir quelle est
notre intentionnalité : permettre et favoriser la rencontre entre le patient et
le thérapeute sans se limiter à ce qui a été validé par la science.

Les limites de la médecine conventionnelle


N. C. : La médecine conventionnelle peut-elle apporter une solution à
toutes les maladies et nous permettre de gagner en longévité ?
Thierry Janssen : On l’a vu, la médecine conventionnelle est une
médecine fondée sur la méthode scientifique réductionniste qui découpe la
réalité en morceaux et tente de la comprendre dans ses moindres détails,
avec l’espoir de pouvoir la contrôler, la dominer, l’influencer. Cette
médecine dresse son bilan en mettant en avant l’allongement du temps de
vie d’un nombre croissant de gens. C’est un fait. Il y a toujours eu des
individus qui vivaient longtemps, mais il est indéniable que, de nos jours,
leur nombre est plus important. Cependant, si l’on s’intéresse aux raisons
qui ont permis l’allongement du temps de vie, on constate que celui-ci est
essentiellement dû aux progrès de la chirurgie, qui répare les corps
malformés, cassés et usés, à l’introduction de mesures d’hygiène, à la
découverte des antibiotiques et à l’invention de vaccins qui ont permis de
réduire la mortalité due aux infections. Pour le reste, la médecine demeure
très démunie et, face à toutes sortes de maladies chroniques, elle se
contente de proposer des solutions visant à réduire les symptômes mais
aucunement à soigner le mal en profondeur et encore moins à empêcher son
apparition. Pour ces pathologies, d’autres approches, alternatives ou
complémentaires, sont plus efficaces car elles agissent sur la
multidimensionnalité de l’être et cherchent à supprimer les causes des
déséquilibres à l’origine des symptômes dangereux ou invalidants.

Les « autres » médecines


N. C. : Quel terme utiliser pour nommer l’ensemble de ces approches ?
T. J. : Si on les qualifie de « médecines parallèles », on suppose qu’elles
ne convergeront jamais les unes vers les autres, et ce serait une erreur.
Toutes ces approches font partie du patrimoine thérapeutique de l’humanité.
Utiliser le meilleur de chacune d’elles et apprendre à les combiner entre
elles permettrait d’aider au mieux les malades. On parle aussi de
« médecines douces ». Mais ce n’est pas forcément le cas, il y en a même
qui sont assez dures – je pense à certaines pratiques qui font vomir ou
imposent des lavements. La médecine conventionnelle est parfois jugée
agressive, pourtant elle anesthésie les gens lorsqu’elle recourt à des
traitements inconfortables ou douloureux. Elle peut donc se révéler douce
malgré la lourdeur de certains traitements. Les adjectifs
« complémentaires » et « alternatives » conviennent bien car ils décrivent
deux options possibles : dans certains cas, ces médecines différentes
devraient être utilisées en complément de la médecine conventionnelle ;
dans d’autres, elles pourraient la remplacer. Mais le mieux est de les
qualifier de « non conventionnelles », par opposition à la médecine
conventionnelle – la médecine académique enseignée à la faculté. C’est
d’ailleurs sous l’appellation de « médecines non conventionnelles
alternatives et/ou complémentaires » qu’elles sont désignées par l’OMS.

L’intérêt des médecines


non conventionnelles
N. C. : Est-ce que la prudence qui consisterait à écarter les médecines
non conventionnelles, au prétexte qu’elles ne sont pas scientifiquement
prouvées, vous semble justifiée ?
T. J. : Non, je pense qu’en médecine il faut être pragmatique et utiliser
ce qui fonctionne. Les patients ne s’y trompent pas, ils recourent à de
nombreuses thérapies non conventionnelles, bien qu’elles ne soient pas
remboursées. Et même si certaines ne font qu’apporter un mieux-être, c’est
en soi une précieuse ressource sur le chemin de la guérison.

N. C. : Concernant l’ensemble des approches thérapeutiques, la bonne


attitude serait-elle de s’interroger sur la nuisance potentielle du traitement
proposé ?
T. J. : C’est souvent la crainte de médecins conventionnels face aux
thérapies complémentaires choisies par leurs patients, notamment lorsque
ceux-ci sont atteints d’un cancer. Ces traitements non conventionnels
peuvent-ils nuire ? Je comprends que l’on puisse se poser la question car il
existe des contre-indications à utiliser certaines plantes ou substances en
complément de la chimiothérapie. Le problème, c’est que ces contre-
indications sont rarement étudiées ou identifiées. Alors, par prudence, les
oncologues *1 ont tendance à déconseiller d’utiliser ces plantes ou ces
substances.
Il est urgent qu’une véritable collaboration ou coopération s’installe
entre les praticiens de la médecine conventionnelle et ceux des approches
non conventionnelles, tant au niveau de la recherche que de la pratique. Il
me paraît très important d’écouter les patients, de leur demander s’ils
recourent à des thérapies non conventionnelles sans les juger et de les
interroger avec une réelle curiosité et ouverture d’esprit sur les
bienfaits qu’ils en tirent. Plusieurs études ont montré que les patients
n’osent pas dire à leur médecin qu’ils font appel à des praticiens non
conventionnels car ils sont persuadés que cela leur attirera des critiques ou
des moqueries. C’est dommage car la première chose qui compte dans une
relation thérapeutique, c’est la confiance. Celle-ci s’installe dans le respect,
la compréhension et le dialogue. Les personnes malades, souvent
dépossédées de tout pouvoir, de toute initiative, ont pourtant un instinct, une
sagesse, du bon sens et, depuis la généralisation de l’accès à Internet, des
connaissances qui peuvent faire d’eux des acteurs de leur guérison et des
alliés indispensables.

Recommander des thérapies non validées


par la science ?
N. C. : En tant que médecin, avez-vous déjà recommandé à des patients
des pratiques complémentaires, dont les modes d’action et les résultats ne
sont pourtant expliqués par la science ?
Gérard Ostermann : Oui, par exemple, ce qu’on appelle les « barreurs
ou coupeurs de feu » dans le cas de brûlure ou un problème de zona. Bien
entendu, il faut se méfier des charlatans. Mais pourquoi ne pas
recommander des personnes en qui l’on a confiance si l’on constate une
certaine efficacité et que l’on a vérifié qu’ils ne nuisaient ni à la santé ni au
porte-monnaie ? Aujourd’hui, de plus en plus d’hôpitaux, en Belgique, en
Suisse et même en France, sollicitent des barreurs de feu qu’on appelle
aussi des « magnétiseurs », pour des brûlures ou pour atténuer les effets
secondaires de la radiothérapie. Au départ, le personnel médical est souvent
réfractaire. Il rencontre le magnétiseur par le biais des patients, puis
lorsqu’il constate que les résultats sur les brûlures sont supérieurs à tous les
traitements, au point que les cicatrices disparaissent, il s’interroge et mène
l’enquête. L’attitude est saine. Alors, dans l’intérêt du patient, et parce que
c’est cela seul qui prime, il finit par le proposer à d’autres. Au fond, il faut
qu’on ait une perméabilité à d’autres champs, être davantage dans le
transdisciplinaire. Quelle est la logique d’un barreur de feu ? Comment
fonctionne-t-il ? Ce sont des questions intéressantes qui nous amènent à
nous interroger : est-ce une énergie qui émane de la personne ? ou des
croyances d’attente *2 de l’un et de l’autre ? Tout est envisageable. Si un
patient me dit « J’ai un zona. » et qu’il me demande « Docteur, connaissez-
vous quelqu’un qui pourrait éventuellement me soulager ? », je n’hésite pas
à donner l’adresse de quelqu’un en qui j’ai toute confiance. Pourquoi ?
Parce que je sais que la croyance d’attente de l’efficacité va jouer dans la
guérison, et également parce que j’ai vérifié que la pratique en question ne
peut pas faire de mal. La croyance d’attente, c’est très important. Alors si
en plus il y a une action énergétique que je ne peux pas évaluer, pas
prouver, que je ne maîtrise pas, que je ne connais pas, mais qui a son
utilité… pourquoi s’en priver ?

N. C. : D’autant que des expériences ont été menées sur des animaux et
que l’aspect psychologique n’entrerait pas en ligne de compte.
G. O. : Je ne vois pas les choses ainsi. Pour moi, l’animal n’est pas une
machine, à l’inverse de ce que prétendait à tort Descartes. Donc, si ce n’est
pas une machine, il a aussi une dimension émotionnelle. Je l’ai bien vu en
soignant des chevaux ou des animaux d’une façon générale. La façon dont
on s’occupe d’eux, je dirais émotionnellement et affectivement, va jouer un
rôle. Il n’y a pas si longtemps, au XIXe siècle, l’animal était considéré
comme un meuble, une chose. Or, c’est un être sensible. Et dans la mesure
où il existe une sensibilité, l’effet placebo, autrement dit l’effet d’attente
qu’on prenne soin d’eux, peut jouer, bien évidemment.

N. C. : Je me souviens d’avoir filmé, pour un documentaire, le cas d’un


nourrisson sévèrement brûlé et dont on ne pouvait pas dire qu’il avait
conscience qu’un barreur de feu travaillait sur lui. On ne pouvait même pas
parler d’un transfert d’énergie puisqu’il s’est arrêté de pleurer
immédiatement, à l’instant où l’homme agissait, alors qu’ils se trouvaient à
plus de six mille kilomètres l’un de l’autre.
G. O. : Mais la personne qui s’occupe de cet enfant est au courant que
quelqu’un intervient. Et qu’est-ce qui se passe dans le lien entre cette
personne et le bébé ? C’est cela qui est compliqué à évaluer. Nous sommes
tous dans un réseau d’influences, et cette manière d’influencer peut être liée
à une croyance d’attente. Mais, après tout, peu importe. On a là un élément
agissant, on ignore comment il agit, mais ce serait cruel de le balayer au
prétexte qu’on ne l’explique pas, parce qu’il ne faut pas oublier que
l’intérêt du patient prime. Je peux comprendre que, sur un plan
scientifique – la recherche d’objectivité, de validation –, on puisse
légitimement se poser la question : qu’est-ce qui agit dans un cas comme
celui-ci ? Est-ce que c’est une influence énergétique qui arrive à faire six
mille kilomètres voire plus, ou est-ce que c’est une mise en réseau de
plusieurs personnes, à un niveau presque archaïque, limbique, qui
fonctionne ? Personnellement, je serais plus enclin à penser que l’action est
liée au fait que l’on met en relation. Il y a quelque chose de la relation qui
agit. Mais ce n’est qu’une hypothèse. On ne peut pas le prouver.
En matière de guérison, on ne sait pas grand-chose, en réalité. Mais
c’est très important de préciser que, dans la relation thérapeutique, nous
devons mettre en œuvre nos moyens au service du patient, sans nous
substituer pour autant à son intention de guérison. Il faut écouter ce
que veut le patient, pas ce que nous voulons pour lui. Sinon, c’est
dangereux : ce serait une façon de prendre le pouvoir, on outrepasserait
notre fonction. Par exemple, si un patient me consulte pour un problème
d’alcool, je dois me méfier de mon intention, de mon désir de le voir arrêter
de boire, parce qu’il n’est peut-être pas prêt pour cela ou qu’il a d’autres
problèmes à régler avant. Et ce sont parfois les écueils que l’on observe
chez certains thérapeutes non conventionnels.

N. C. : Vous avez mené des recherches sur l’exercice illégal de la


médecine…
G. O. : Mon premier travail de doctorat de thèse de médecine à Tours
était en effet dédié à l’aspect juridique et technique de l’exercice illégal de
la médecine en France. Et ma conclusion était qu’en médecine
complémentaire, il y avait des charlatans et même des escrocs, mais que les
escrocs étaient moins dangereux parce qu’ils savaient s’arrêter quand ils
allaient trop loin. Le crédule qui croit en sa méthode, qui va aller jusqu’au
bout et va dire à la personne : « Arrêtez tous les traitements
conventionnels. » est très dangereux. L’escroc ne fera jamais cela. Il va
penser : « Elle, je vais l’exploiter pendant quelques séances. » et, s’il voit
qu’il dépasse les limites, il sort du champ. Pour les besoins de cette thèse,
j’ai rencontré Maurice Mességué, considéré comme un ténor chez les
guérisseurs. J’avais 21 ans et je me souviens d’un procès où le juge lui dit :
« J’entends beaucoup de gens témoigner en votre faveur, mais on vous
reproche de ne pas être médecin. », et Mességué de répondre : « Monsieur
le juge, on me reproche peut-être de ne pas être médecin, mais moi je
reproche aux médecins de ne pas être assez guérisseurs. » C’est-à-dire de ne
pas avoir le souci d’aider vraiment les gens. J’ai souvent été tenté de
ramener le résultat thérapeutique de ces guérisseurs à de l’effet placebo, tant
je n’avais (et je n’en ai toujours pas) d’explication rationnelle à donner.
Alors, certes, les évaluations sont nécessaires, mais ce n’est pas parce que
nous ne comprenons pas un phénomène qu’il n’existe pas.
J’ai l’honneur d’être membre du Collège universitaire de médecines
intégratives et complémentaires (CUMIC) et je constate qu’on est beaucoup
moins dans des oppositions manichéennes. Au lieu de dire : « Ça ne vaut
rien. », de plus en plus d’universitaires disent : « Il faut les intégrer. » Il y a
certains groupes d’universitaires, des professeurs de médecine qui sont
d’accord pour arrêter de créer des oppositions entre médecine
conventionnelle et médecine non conventionnelle, dans l’intérêt du patient.
N. C. : Certains définissent la médecine conventionnelle comme une
médecine d’urgence, en l’opposant aux médecines non conventionnelles qui
agiraient sur le long terme…
G. O. : Non, parce qu’il y a des tas de pathologies chroniques, comme le
diabète et l’hypertension, où l’apport de la médecine conventionnelle est
indiscutable. En revanche, les approches des médecines complémentaires,
que ce soit par la stimulation des défenses immunitaires ou par l’éducation
à la prise en compte de notre propre santé en étant responsables viennent
apporter un plus dans cette dynamique. Je ne pense pas qu’il faille les
opposer en termes d’urgence. D’ailleurs, certaines médecines
complémentaires – on évoquait les barreurs de feu – sont des médecines
d’urgence. Évitons de créer une dualité entre les différentes médecines.
Restons dans un état d’esprit prêt à appréhender la complexité d’une façon
générale.

N. C. : L’absence de preuves autour de ces pratiques pose néanmoins un


problème à certains scientifiques…
G. O. : Un vrai scientifique est ouvert à toutes les hypothèses. Un vrai
chercheur ne ferme pas une option au prétexte qu’il n’en maîtrise pas
l’explication. Ça n’aurait aucun sens. Il m’arrive de discuter avec
d’éminents chercheurs en neurosciences, notamment, et ils sont tout à fait
ouverts. Ces scientifiques ne ferment pas la porte au prétexte qu’on a dit
« magnétisme » ou « guérisseur ». Pas du tout ! Au contraire, ils sont
perméables à toutes les autres hypothèses, quitte à ce que cela les fasse eux-
mêmes changer de paradigme. On le sait, l’absence de preuves n’est pas la
preuve de l’absence. Des évaluations pour les médecines complémentaires
restent à inventer, elles émergeront avec le temps – je l’espère –, comme en
témoigne une évaluation de l’acupuncture – longtemps considérée comme
une placebo-thérapie ou une pseudoscience – et dont on vient de démontrer,
avec le label scientifique qui convient, la réalité de son efficacité 37.
L’UTILISATION DES PRATIQUES COMPLÉMENTAIRES
PAR LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

L’université Paul-Valéry de Montpellier rapporte que plus de 100 millions


d’Européens ont recours aux médecines douces et qu’environ 150 000 médecins
et 178 000 professionnels du secteur paramédical utilisent les pratiques non
conventionnelles 38. En France, en juillet 2015, le Conseil national de l’ordre des
médecins indique que, parmi les milliers de médecins qui utilisent ces pratiques
complémentaires ou alternatives, 1 sur 5 exerce à l’hôpital 39. Les professionnels
de santé qui se sont formés à ces méthodes complémentaires auraient des
honoraires plus élevés, mais ils prescriraient beaucoup moins de médicaments
que les autres. Les patients estiment que la relation thérapeutique est meilleure
auprès de ces praticiens et qu’ils subissent moins d’effets secondaires liés aux
traitements. 40 % des Français y font appel, 78 % jugent ces médecines
alternatives et complémentaires (MAC) efficaces en prévention, et 72 % les
évaluent comme importantes en complément des traitements conventionnels,
même dans le cas de cancers 40. La Mayo Clinic, une fédération hospitalo-
universitaire et de recherche américaine dans l’État du Minnesota, classée
meilleur hôpital des États-Unis 41, a mené des recherches durant huit ans sur
l’intérêt du corps médical pour les médecines complémentaires. Cette étude a
montré que, au fil des ans, les médecins préconisent davantage de pratiques
alternatives (en complément de leur travail) à leurs patients (44 % en 2004 et
71 % en 2012), en particulier aux femmes d’âge moyen, d’un niveau social
élevé et qui prennent soin d’elles. Les médecins sont également plus nombreux
à considérer que la satisfaction du patient est supérieure s’ils préconisent
l’intégration de ces méthodes en complément de leurs soins (57 % en 2004 et
77 % en 2012). D’autres données collectées en 2017 par le Comité pour le
développement durable en santé (C2DS) auprès d’instituts de santé ayant recours
aux médecines complémentaires montrent, chez les professionnels de santé, un
regain de motivation dans leur travail, un relationnel personnel/direction et
soignant/soigné de meilleure qualité, liés à leur perception de l’utilité de ces
méthodes. Ces chiffres ne suffisent pas à démontrer les bénéfices des
médecines alternatives et complémentaires pour notre système de santé global,
mais indiquent un changement des mentalités à l’égard des médecines non
conventionnelles, par le corps médical lui-même.
L’intérêt de la médecine conventionnelle
pour les pratiques complémentaires
N. C. : Dans quel état d’esprit sont aujourd’hui les étudiants en
médecine vis-à-vis des pratiques complémentaires ?
Thierry Janssen : Ma réponse va être biaisée par le fait qu’à l’École de
la posture juste, je rencontre beaucoup d’étudiants en médecine ouverts aux
pratiques non conventionnelles. Je constate que la plupart de ces étudiants
ont grandi dans des familles où les parents recouraient à l’ostéopathie,
parfois à l’homéopathie, avaient un attrait pour le yoga ou la sophrologie.
Ils ont donc baigné dans cette culture de médecines alternatives et
complémentaires. C’est très différent de ce que j’ai vécu lorsque j’étais à
leur place sur les bancs de la faculté de médecine. Il semble que de plus en
plus d’étudiants ne se reconnaissent plus dans le mode de fonctionnement
de la médecine conventionnelle, de l’hôpital en particulier, et dans le rôle
qu’on leur demande de jouer dans ce système. Ils sont écartelés entre deux
philosophies, deux visions du monde. Une, très réductionniste, matérialiste
et consumériste, et une autre qui tient compte de toutes les dimensions de
l’être, émotionnelles et corporelles, en lien avec les préoccupations
écologiques de notre temps. Je trouve cela très rassurant car, j’ai déjà eu
l’occasion de le dire, la vie est faite de liens et on est en bonne santé quand
ces liens sont harmonieux, sains et générateurs de vie. De plus en plus
d’étudiants en médecine se rendent compte que l’être humain est un
individu indivisible, qu’il n’est pas seulement un corps et que ses pensées et
ses émotions agissent sur sa physiologie. Ils se rendent compte aussi que
notre santé dépend de notre relation à notre environnement. Oui, tout est lié,
relié et en interaction. Je pense que l’on peut dire que « la médecine de
demain sera une médecine des liens, ou ne sera pas ».
N. C. : Avez-vous le sentiment que les professionnels de santé en
général et les hôpitaux s’ouvrent aux médecines non conventionnelles ?
T. J. : Oui, cela a évolué. En 2006, dans La Solution intérieure 42, j’avais
présenté plus de sept cents références scientifiques qui montraient l’intérêt
de nous pencher sur les médecines non conventionnelles afin d’élargir notre
vision de la santé, de la maladie et des moyens d’apporter la guérison. À
l’époque, de nombreux confrères m’ont invité à prendre la parole, jusque
sur les bancs des universités. J’ai alors constaté leur difficulté à intégrer
toutes ces informations proposant une vision unifiée de l’être humain. Il
faut du temps pour que nos représentations de nous-mêmes et de la réalité
évoluent. Quinze ans plus tard, je constate que les mentalités commencent à
changer. J’en veux pour preuve la création de nombreuses maisons de soins
complémentaires affiliées aux hôpitaux. C’est encourageant. La plupart du
temps, ce genre de projets naissent d’initiatives individuelles, en particulier
dans le secteur de la cancérologie, où le besoin de créer une approche
multidisciplinaire est de plus en plus évident.
CHAPITRE 14

Les approches complémentaires


et alternatives

Natacha Calestrémé : La médecine conventionnelle n’est pas


optionnelle. Elle doit être sollicitée en premier lieu. Mais n’est-il pas
réducteur de qualifier les autres pratiques de pseudoscience ou de
charlatanisme simplement parce que l’on ne parvient pas à en expliquer
scientifiquement les fondements ou que l’on a constaté des dérives chez
l’un de leurs représentants ? À ce sujet, il faut rappeler que les personnes
défaillantes ou les arnaques existent dans tous les corps de métiers et que la
médecine conventionnelle, malgré de nombreuses condamnations pénales
(erreurs médicales, abus de faiblesse, conflits d’intérêts, viols ou même
homicides), demeure sérieuse et légitime. Pourquoi réserver un autre sort
aux approches complémentaires ou alternatives ?

Face aux risques de dérives, comment


agir ?
N. C. : À force d’avoir habitué le patient à ne s’intéresser qu’aux
symptômes, celui-ci ne prend bien souvent soin de lui que lorsqu’il est
malade… Sans médecin traitant, il court aux urgences pour une simple
angine ou une douleur au pied. Dans les cas de maladies chroniques, de
mal-être (dépression, mal de vivre, angoisses), ou en l’absence de cause
organique objectivable, la médecine conventionnelle reste parfois
impuissante et le patient ne sait plus vers qui se tourner ou qui consulter…
Le risque est alors de courir vers des thérapeutes aux pratiques douteuses,
voire dangereuses, qui peuvent constituer une « perte de chance » si elles
remplacent les traitements de référence. Pourquoi de plus en plus de
personnes délaissent-elles les professions de santé pourtant reconnues par la
science et remboursées par la Sécurité sociale ?
Depuis la pandémie de Covid-19, à force de se diviser par médias
interposés, la médecine conventionnelle a perdu une partie de sa crédibilité.
En outre, dans certaines régions, nous faisons face à un désert médical
inquiétant, à des hôpitaux et des cliniques en crise, à des services d’urgence
dépassés et à des médecins surmenés 43. Une situation qui ne peut que
s’aggraver si l’on prend en considération le fait que 30 % des médecins
français ont plus de 63 ans 44. Le Dr François Arnault, président du Conseil
national de l’Ordre des médecins, résume l’enjeu : « Aujourd’hui, alors que
notre système de santé est en grande difficulté, que plusieurs millions de
nos concitoyens n’ont pas de médecin traitant et que l’hôpital traverse une
crise sans précédent, nous ne pouvons accepter que s’installent des
pratiques, déconnectées de la science et de tout encadrement structuré. »
Il est vrai que certains thérapeutes autoproclamés ont compris comment
tirer avantage de la détresse humaine en exploitant la crédulité et en se
prétendant « chamane » ou « thérapeute quantique ». Dans ce cas, comment
évaluer si une personne est digne de confiance ? Se fier au bouche-à-oreille
est un bon début, mais personne n’est à l’abri d’un dérapage. Même un
soignant qualifié peut perdre pied à cause d’un sentiment de toute-
puissance. Difficile d’y voir clair ! L’ambiguïté est renforcée par le fait
qu’on associe presque systématiquement les approches « non scientifiques »
à des « dérives sectaires ». Les pratiques de « bien-être » sont même
souvent considérées comme « faisant du mal », alors que 78 % de ceux qui
les ont expérimentées les jugent efficaces 45. Et, nous l’avons vu, nombre de
médecins eux-mêmes, se forment et proposent – en plus de leur pratique –
d’autres moyens thérapeutiques pour que la personne aille mieux. Pourtant,
patients, comme médecins, rechignent à l’évoquer de peur d’être ridiculisés
et discrédités.
Ne serait-il pas salutaire de considérer qu’une pratique de bien-être qui
ne se substitue pas à la médecine conventionnelle peut être une valeur
ajoutée pour le soin ? Et, à l’instar de la médecine traditionnelle chinoise,
proposer, lorsque c’est possible, des moyens de se prémunir de la maladie
ou d’un certain mal-être ?
LA LIMITE À NE PAS FRANCHIR ENTRE SANTÉ ET BIEN-
ÊTRE

Dans le Bulletin de l’Ordre national des médecins paru fin 2022, le Pr Bruno
Falissard, psychiatre, professeur de santé publique et directeur du Centre de
recherche en épidémiologie et santé des populations à l’Inserm, indique :
« Efficaces ou non, ces soins complémentaires ont trouvé une place dans le
monde de la médecine académique. Les patients y recourent largement. […] En
tant que psychiatre, je suis enclin à une vision assez pragmatique : voyons ce qui
est dangereux, ce qui est tolérable. La plupart de ces soins non
conventionnels s’exercent à la lisière de la maladie, dans une zone qui ne
relève pas nécessairement de la médecine. Tant que ces pratiques ne
prétendent pas se substituer à celle-ci, elles ont sans doute leur place 46. »
Le Dr Claire Siret, médecin généraliste et présidente de la section Santé publique
du Conseil national de l’Ordre des médecins, ajoute : « Où s’arrête le bien-être, où
commence la santé ? […] C’est d’abord une question de langage. Si je
recommande à un patient atteint d’un cancer d’aller faire des promenades en forêt
ou de pratiquer le yoga, je peux effectivement lui faire du bien. Si je lui propose la
même chose en substitution à sa chimiothérapie, je le condamne. Ce n’est ni le
yoga ni la balade en forêt qui constituent une dérive, mais bien la place
qu’on leur donne, le pouvoir qu’on leur attribue. 47 »
On le voit, faire la part des choses reste subtil. Et comme ces pratiques ne sont
pas encadrées, on abandonne le patient à sa navigation sur Internet. Livré à lui-
même, il n’a personne à qui se référer. Le médecin est le premier (et parfois le
seul) à pouvoir alarmer le malade sur un soin qui ne serait pas adapté, à identifier
une dérive sectaire ou une emprise. Pour qu’un tel conseil puisse être apporté, le
patient doit avoir confiance en son médecin et le sentir suffisamment ouvert pour
se confier sans craindre d’être jugé. Ainsi, Chantal Gatignol, conseillère santé à la
Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives
sectaires), indique : « Le fait que les médecins soient plus ouverts aux pratiques
non conventionnelles à visée thérapeutique, leur permet de maintenir le dialogue
avec les patients et d’être mieux à même d’identifier les dérives 48. »
C’est donc en s’y intéressant et non en les rejetant de manière globale et
arbitraire que l’on peut éviter les dérives. Comme l’écrit le Pr Daniel Bontoux *1
en 2013 dans un rapport de l’Académie nationale de médecine : « On ne peut
tolérer une situation où le public se passionne et s’interroge sur ces
pratiques pendant que le corps médical s’en désintéresse ou se borne à les
mépriser. Pour bien conseiller le malade qui l’interroge, le médecin doit en savoir
plus long que lui sur la question 49. »
En résumé, si les pratiques non scientifiques ne se substituent pas à la médecine
conventionnelle, si on les étudie, si l’on note les résultats de leurs bienfaits, si l’on
instaure une relation d’écoute et d’alliance thérapeutique, n’aurait-on pas plus de
chance d’aller mieux ?

Le classement des médecines


traditionnelles et complémentaires
N. C. : L’OMS a recensé plus de quatre cents médecines
complémentaires ou alternatives 50, difficiles à classer dans la mesure où
certaines d’entre elles cumulent les approches (biologiques, énergétiques,
traditionnelles…). Néanmoins, L’OMS, l’Inserm et le National Center for
Complementary and Alternative Medicine proposent de les ordonner en
quatre domaines, ainsi résumés :

1. Les approches qui interrogent la psyché (l’âme en grec ancien) et qui sont
sollicitées le plus souvent dans la recherche d’un mieux-être psychologique et
social et dont certaines peuvent œuvrer à la disparition d’une douleur physique :
les psychothérapies, l’hypnose, la sophrologie, les thérapies
transgénérationnelles, l’EMDR, l’EFT (Emotional Freedom Techniques), les
thérapies cognitivo-comportementales, la méditation…

N. C. : Quel point commun ont ces thérapies ?


Thierry Janssen : Il est important d’avoir à l’esprit le sens profond du
mot « thérapie », dérivé du verbe grec therapéuô : « servir, prendre soin,
soigner ». Le thérapeute est celui qui prend soin en mettant en place les
circonstances qui vont permettre à l’autre de se questionner, de se sentir, de
se percevoir, de se comprendre et de laisser émerger des réponses. La
connexion avec soi peut s’établir à différents niveaux : mental, émotionnel
et physique. Sur le plan mental, nous pouvons nous raconter beaucoup
d’histoires… et c’est sans doute la raison pour laquelle le processus
enclenché par la psychanalyse peut prendre de longues années avant que
l’on comprenne qui l’on est vraiment. Personnellement, je pense que les
thérapies psychocorporelles permettent d’avancer plus vite dans les prises
de conscience, car si le mental peut mentir, le corps, lui, ne ment jamais.
Les thérapies cognitivo-comportementales ont pour intérêt de se référer
au fonctionnement du cerveau. Elles permettent de comprendre que nos
comportements sont le résultat d’apprentissages et de conditionnements
souvent très anciens, parfois déjà imprimés dans nos circuits cérébraux dès
la naissance et même avant la naissance, hérités du passé parce que, de
génération en génération, certains comportements se sont avérés efficaces
pour survivre. La force de ces thérapies, c’est de mettre en lumière ces
comportements et d’identifier les représentations mentales et les croyances
qui sont à l’origine de leur mise en place. En changeant ces représentations,
en faisant évoluer ces croyances, on « reprogramme » en quelque sorte nos
conditionnements et cela permet d’abandonner les comportements qu’ils
engendraient.

2. Les thérapies manuelles, qui font appel aux mains du thérapeute d’une
manière non invasive, généralement dans la recherche de la disparition d’une
douleur physique et qui peuvent amener un bien-être psychologique :
l’ostéopathie, le massage, la chiropractie, la kinésithérapie, la réflexologie, le
shiatsu…
N. C. : On pourrait considérer davantage le massage comme un confort
que l’apport d’un bien-être. Et pourtant, en 2002, après l’effondrement du
World Trade Center, une enquête 51 du psychiatre Spencer Eth a mis en
évidence que ce qui avait aidé deux cent vingt-cinq rescapés à surmonter le
drame était, en priorité et dans cet ordre : l’acupuncture, les massages, le
yoga et l’EMDR. Pourquoi ?
T. J. : Au sujet des thérapies manuelles, le simple fait de toucher le
corps d’une personne avec une intention bienveillante induit un relâchement
musculaire et stimule la branche parasympathique du système nerveux
autonome. Cela réduit considérablement le niveau de stress, le taux de
cortisol. Les défenses immunitaires sont stimulées, la production de facteurs
de croissance augmente, les mécanismes réparateurs de l’organisme sont
activés.

3. Les approches biologiques, dont les éléments actifs peuvent contenir des
composés végétaux, animaux, minéraux et qui sont utilisées pour un apaisement,
un mieux-être de l’humeur et dont certaines sont sollicitées pour un gain en
immunité ou pour leurs qualités antibiotiques, anti-inflammatoires ou antivirales :
la phytothérapie, l’aromathérapie, les élixirs floraux…

4. Les médecines dites « complètes », traditionnelles et énergétiques, dont


certaines sont plus anciennes que notre médecine conventionnelle et qui
constituent des « systèmes complets » fondés sur des concepts culturels et
philosophiques qui leur sont propres et qui traitent l’humain dans sa globalité et
évoquent souvent l’importance de l’énergie et des liens entre toutes choses :
l’ayurvéda, la médecine traditionnelle chinoise, l’homéopathie.
N. C. : L’OMS définit la médecine traditionnelle « comme la somme de
toutes les connaissances, compétences et pratiques reposant sur les théories,
croyances et expériences propres à différentes cultures, qu’elles soient
explicables ou non, et qui sont utilisées dans la préservation de la santé,
ainsi que dans la prévention, le diagnostic, l’amélioration ou le traitement
de maladies physiques ou mentales 52 ». D’après cette institution, les
médecines traditionnelles représentent 80 % des systèmes de soin dans le
monde… Sur quels principes reposent ces approches ?
T. J. : Certaines pratiques placent l’énergie au cœur de leurs
représentations du vivant. Je pense à la médecine ayurvédique – ayur véda
signifiant « la science de la vie » en sanskrit – et à la médecine
traditionnelle chinoise, dans lesquelles le concept d’énergie est central.
Energeia, en grec, signifie « la potentialité d’une action ». Le concept
d’énergie permet de faire le lien et le continuum entre les dimensions
corporelle, émotionnelle et intellectuelle. Et ces médecines, qui considèrent
l’énergie sous toutes ses formes, prennent généralement en compte les
différentes dimensions de l’être humain : physique (les états du corps),
psychologique (les émotions, les sentiments, les pensées, les croyances) et
même spirituelle (le sens, l’appartenance à plus grand que soi, la
transcendance, le monde invisible), ainsi que notre environnement. Leur
approche est globale.

N. C. : La formule d’Einstein E = mc2 montre à elle seule que la matière


(la masse) et l’énergie sont indissociables. Dans le corps, on appelle les
mitochondries, ces organites présents dans chacune de nos cellules, des
« centrales énergétiques ». Pourquoi le pouvoir de cette énergie, sur laquelle
reposent bien des approches complémentaires, reste-t-il nié ou occulté par
certains professionnels de santé ?
T. J. : Dans la culture traditionnelle de la Chine ou de l’Inde, la notion
d’énergie est au centre des représentations, ce qui correspond à leur vision
de l’ensemble du vivant et des liens qui le constituent. Mais, nous l’avons
vu, notre représentation occidentale de la réalité est plus morcelée. Dès lors,
il n’est pas étonnant que le concept d’énergie n’ait pas été suffisamment
exploré. En médecine, l’énergie est principalement abordée dans ses aspects
mécaniques et caloriques. Si seulement nous avions l’humilité de nous
pencher sur les découvertes d’autres cultures, parfois très anciennes, nous
acquerrions une connaissance plus fine de nous-mêmes.

N. C. : Il est probable que ces réticences soient dues à l’image


sulfureuse qui accompagne parfois certaines pratiques. Les guérisseurs et
les magnétiseurs sont particulièrement touchés à cause des dérives de
quelques-uns.
T. J. : J’ai rencontré beaucoup de guérisseurs. Certains étaient très
puissants. D’autres l’avaient été mais ne l’étaient plus. Souvent, leur don
s’était manifesté alors qu’ils n’avaient aucune attente particulière. La
plupart des grands guérisseurs se réfèrent à un élément extérieur, Dieu, un
ange, un guide, une entité qui agirait à travers eux. Cela leur permet de ne
pas engager leur ego dans le processus. Ainsi, ils restent dans l’humilité de
celui qui n’attend rien et ils accueillent ce qui vient. C’est probablement
dans ce champ de vacuité que tous les possibles peuvent se manifester…
Cela demanderait un livre entier pour émettre des hypothèses et tenter
d’expliquer de tels phénomènes. Malheureusement certains guérisseurs, à
force d’être sollicités, commencent à avoir des attentes et leur impératif de
performance empêche la guérison de se manifester.
N. C. : Et cela peut mener au charlatanisme ?
T. J. : Oui, mais il est important de préciser que les charlatans n’abusent
pas toujours les gens intentionnellement. Ce sont souvent des praticiens trop
peu formés, mal informés, ou totalement aveuglés par leurs croyances et qui
ne considèrent la maladie qu’à travers le prisme de leur pratique, ce qui est
très réducteur. J’ai rencontré des charlatans dans le monde des médecines
complémentaires mais aussi dans les couloirs de grands hôpitaux
universitaires. Un bon moyen de les repérer est de détecter en eux un
manque de questionnement, des certitudes affirmées sans humilité, une
tendance à exclure toute autre possibilité de guérir en dehors de la voie
thérapeutique qu’ils proposent.
TROISIÈME PARTIE

NOTRE PROPRE RÔLE DANS


LA GUÉRISON
L’importance du patient dans la thérapie
CHAPITRE 15

Autoguérison et pouvoir du mental

Natacha Calestrémé : Chaque patient avance vers sa guérison avec le


thérapeute qui lui convient, en fonction de sa sensibilité et de ce à quoi il
croit. Faut-il qu’une thérapie nous parle pour devenir agissante ?
Thierry Janssen : La psycho-neuro-endocrino-immunologie aide à
répondre à cette question. Une thérapie qui propose des références en
cohérence avec la culture dans laquelle évolue le patient emporte plus
facilement l’adhésion de celui-ci. Il a alors des pensées positives à l’égard
de la proposition thérapeutique, cela génère des émotions agréables et une
confiance qui favorise le bon fonctionnement des défenses immunitaires et
des mécanismes réparateurs de l’organisme.
Il y a quelques années, j’ai lu Guérisons remarquables, un livre écrit par
deux journalistes américains 1. Les deux hommes ont recensé un grand
nombre de cas de maladies graves : cancers avec des métastases, maladies
neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer et la maladie de
Parkinson, pour lesquelles la médecine conventionnelle n’avait aucun
traitement efficace à proposer et dont ces patients avaient, malgré cela,
guéri.
L’originalité de cette enquête est que tous les cas recensés avaient été
publiés dans la littérature médicale scientifique avec la preuve de leur
diagnostic et l’attestation de leur guérison… et que les deux journalistes
avaient demandé à ces personnes guéries de manière inespérée à quoi elles
attribuaient leur guérison. L’une évoquait l’intervention d’un guérisseur
philippin, une autre la prescription d’un régime macrobiotique suivi à la
lettre, une troisième les bienfaits d’une psychothérapie qui lui avait permis
de se libérer de ses émotions douloureuses et de résoudre des conflits du
passé, une quatrième la pratique intensive du yoga. Au bout du compte,
elles avaient toutes guéri grâce à des moyens différents ! Alors était-ce le
moyen identifié qui les avait guéries ou quelque chose qui s’était produit à
l’occasion de l’utilisation de ce moyen ? La question mérite d’être posée,
non pas pour mettre en doute l’efficacité de ces différentes approches
thérapeutiques mais pour comprendre si, en plus du mécanisme d’action
propre à chacune, il n’y a pas quelque chose de plus profond qui, en
remettant une cohérence dans l’être, en alignant les pensées, les émotions et
les réactions du corps, lui a permis de retrouver l’équilibre nécessaire à la
mise en route des mécanismes d’autoguérison.

N. C. : Est-ce important de savoir comment ça marche pour que ça


marche ?
T. J. : Pour le praticien et le patient, non, mais pour la science, oui.
Néanmoins, dans notre culture dont les représentations se basent sur la
démonstration scientifique, le fait d’apporter une explication scientifique à
l’efficacité d’un traitement permet d’accroître la confiance vis-à-vis de ce
traitement. Cela mobilise l’effet placebo, que l’on appelle aussi l’« effet du
sens ».
L’INCROYABLE HISTOIRE DE L’EFFET PLACEBO
La première description scientifique de l’effet placebo a été documentée pendant
la Seconde Guerre mondiale. Sur le front italien, des centaines de victimes de
bombardements arrivent à l’hôpital de campagne où officie l’anesthésiste
américain Henry Knowles Beecher. À court de morphine et voulant soulager les
soldats qui hurlent de douleur, le médecin leur injecte une solution saline (sans
aucune efficacité pharmaceutique) en leur précisant que cette dose de
« morphine » va leur permettre de ne plus rien ressentir. Et de nombreux blessés
cessent de souffrir ! Devenu professeur à la Harvard Medical School, il publie une
importante étude 2 révélant que 35 % des patients répondent positivement à ce
leurre, que l’on appelle un « placebo ». Les effets vont de 10 à 70 % pour la
migraine ou la dépression selon les patients, 90 % pour l’arthrite.
Mais comment ça marche ? Comment le cerveau, ainsi trompé, peut-il induire un
tel arrêt de la douleur ? Ce n’est qu’en 1978, à partir d’une étude sur les douleurs
dentaires, que le professeur et rhumatologiste Jon Levine, du département de
médecine de l’université de Californie, montre que le seul fait d’être convaincu de
prendre un traitement efficace agit sur la sécrétion d’une hormone : l’endorphine.
Libérée par le cerveau (l’hypothalamus et l’hypophyse), cette substance naturelle
présente des propriétés analgésiques très proches de la morphine. De très
nombreuses études ont depuis validé le rôle de l’endorphine pour expliquer
certains effets placebo, notamment dans les années 1990, grâce à l’imagerie
fonctionnelle cérébrale. Il a en effet été démontré que l’effet placebo est induit par
le cortex cingulaire antérieur grâce à un signal d’ordre émotionnel. Donc si l’on est
sûr d’avoir reçu un traitement efficace, on commence à penser au soulagement
que l’on va bientôt ressentir… L’endorphine, avec sa structure proche de la
morphine, entre en action… et la douleur s’atténue. Une autre hormone, la
dopamine, renforce cet effet car elle est émise dès que notre cerveau estime
qu’une expérience va être plaisante ou bénéfique. Une étude 3 rapporte que plus
les participants sont persuadés de l’intensité des effets de l’antidouleur (factice), et
plus leur cerveau sécrète de la dopamine. Notre cerveau, si nous sommes
convaincus que nous allons guérir, est donc capable d’induire un
mécanisme biologique qui peut favoriser la guérison.

Ces études scientifiques prouvent qu’il existe un procédé biochimique qui, à partir
d’une croyance de guérison, peut intervenir sur la douleur… mais rien n’explique
le miracle de ses effets sur l’arthrite, la dépression ou la guérison de maladies
complexes. L’effet placebo et les ressources d’autoguérison qui l’accompagnent
restent encore à ce jour un mystère.
Effet placebo, pouvoir du mental
et autoguérison
N. C. : On a tendance à évaluer les bienfaits des médecines non
conventionnelles en se fiant exclusivement à leur valeur scientifique…
qu’elles ne peuvent apporter. Puisque cet effet placebo montre qu’on ne
peut pas tout expliquer, ne devrait-on pas prêter davantage attention aux
témoignages de leur efficacité ?
T. J. : Certaines pratiques ne sont accompagnées, en effet, d’aucune
explication scientifique en l’état actuel des connaissances. J’ai
personnellement été témoin de guérisons que l’on peut qualifier de
miraculeuses. Celles-ci seront probablement expliquées par la science, un
jour, lorsque nous aurons davantage de compréhension du vivant. En
attendant, il serait dommage de nier leur existence. Les constatations et les
faits devraient toujours primer sur la démonstration scientifique. En ce
qui concerne les guérisons miraculeuses, mon analyse est que celles-ci se
produisent souvent, peut-être toujours, lorsque le malade a une confiance
absolue en ce qui est censé apporter la guérison : la vie, Dieu, son médecin,
le traitement. Cette confiance s’appelle la foi. Mais ce n’est pas parce que la
foi est présente que la guérison se produit forcément. C’est probablement la
conjonction de plusieurs facteurs qui peut expliquer l’inexplicable.

S’impliquer, choisir son traitement


et l’accepter
N. C. : Le patient doit-il s’impliquer pour œuvrer dans sa guérison ?
T. J. : S’impliquer, c’est permettre l’émergence d’une cohérence en soi,
une confiance retrouvée, la foi en la vie. Et cela émerge en nous lorsque
nous éprouvons de la paix ou de la joie au fond de nous malgré tout, envers
et contre tout. C’est ce que m’ont montré beaucoup de patients. Je me
souviens d’un homme atteint du sida à qui l’infectiologue avait
recommandé de commencer une trithérapie. Beaucoup redoutaient les effets
secondaires de ce traitement relativement nouveau à l’époque et ce patient y
était en effet totalement réfractaire. Son médecin lui assène alors : « Vous
n’avez pas le choix : sans ce traitement, vous allez mourir. Dans deux mois,
vous ne serez plus là. » L’homme, inquiet et très en colère que son médecin
l’ait, d’une certaine manière, menacé de mort, voulait connaître mon avis.
De mon point de vue, cet infectiologue s’était comporté comme un sorcier
jetant un mauvais sort. Qui peut prétendre savoir si un patient va mourir
dans deux jours, deux mois ou six ans ? Mais j’ai néanmoins confirmé à ce
patient que les études montraient des résultats favorables concernant cette
trithérapie et que la décision lui revenait. Il a finalement décidé de ne pas
prendre ce traitement, d’approfondir sa pratique du yoga, de changer de
régime alimentaire et de mettre de l’ordre dans sa vie sentimentale, source
d’un grand stress pour lui. Après quelques mois, sa charge virale est
devenue non détectable. La confiance et la foi – ce mystère qui n’est jamais
pris en compte dans l’explication des guérisons – l’avaient aidé à stimuler
son système immunitaire contre les agresseurs extérieurs.
Plus tard, j’ai reçu un ami de cet homme, lui aussi atteint du sida.
D’emblée, je perçois chez ce dernier un autre raisonnement : il craint de ne
pas obtenir un aussi bon résultat que son ami s’il se passe du traitement.
« Tant pis pour les effets secondaires, je vais continuer à prendre les
médicaments prescrits. », me dit-il. Je lui ai alors recommandé de
considérer ce traitement médicamenteux autrement, en étant joyeux de
le prendre, de ne pas le vivre comme une obligation, et d’être dans
l’acceptation. Quand le patient adhère au traitement proposé, les effets
secondaires sont beaucoup moins importants et surtout moins pénibles à
supporter. Chacun de ces deux hommes avait trouvé la cohérence interne
qui lui permettait d’adhérer ou non au traitement proposé. La mission du
soignant est d’accompagner le patient… et accompagner autrui, ce n’est pas
l’emmener où l’on souhaite, c’est envisager tous les chemins possibles et
aller avec lui là où il peut se rendre. Ces deux hommes atteints du sida, l’un
ayant refusé de prendre le traitement proposé et l’autre le prenant, sont
toujours en vie plus de vingt ans après le diagnostic de leur maladie. Cela
interpelle. J’espère que la recherche médicale permettra de mieux identifier
les différents facteurs qui permettent la guérison et, surtout, de comprendre
la synergie qui existe entre eux.

N. C. : Et si une personne prend une décision radicale et ne s’en relève


pas ?
T. J. : Lorsque je pratiquais l’accompagnement psychologique de
personnes malades physiquement, je recevais des patients envoyés par mes
anciens confrères de l’hôpital. Certaines personnes atteintes de cancer ne
voulaient pas se faire soigner par la chirurgie, la chimiothérapie ou la
radiothérapie. Lorsque j’essayais de comprendre pourquoi, je constatais
souvent que c’était la peur de ces traitements qui motivait leur choix et non
une profonde conviction de pouvoir guérir autrement. Je leur proposais
alors d’explorer les racines de cette peur et d’évaluer si leurs craintes
étaient réellement justifiées, auquel cas nous pouvions entamer un travail
psychologique pour diminuer les peurs et revenir à une attitude plus
raisonnable. Quinze ans de pratique de la chirurgie et dix ans
d’accompagnement psychologique de patients atteints de maladies
physiques graves m’ont amené – dans le cas du cancer – à considérer les
approches psychothérapeutiques et les médecines non conventionnelles en
complément des traitements médicaux conventionnels, jamais en
remplacement. Mais le patient reste maître de sa décision. J’ai connu une
femme atteinte d’un cancer qui avait refusé de recourir aux traitements
conventionnels classiques que sont la chirurgie, la radiothérapie et la
chimiothérapie, tout simplement parce qu’elle avait rencontré un thérapeute
qui prétendait qu’elle guérirait dès qu’elle aurait cerné le conflit émotionnel
en lien avec sa maladie. Je n’ai jamais pu la convaincre de changer
d’attitude, mais je l’ai accompagnée jusqu’à la fin de sa vie. Sur son lit
d’hôpital, quelques heures avant de mourir, elle m’a dit regretter de ne pas
avoir suivi mon conseil, avant d’ajouter que, malgré cela, elle restait
convaincue qu’elle aurait pu guérir si elle avait compris le conflit psychique
qu’elle soupçonnait d’être à l’origine de sa maladie. Il faut beaucoup
d’humilité et d’amour face à l’être humain et à ses convictions profondes.

Le paradoxe de l’évaluation scientifique


N. C. : Certaines approches complémentaires ne sont pas prises en
considération sous prétexte que leurs techniques ne sont pas étudiées. Est-ce
la technique ou la façon dont le soignant l’utilise qui compte ?
Gérard Ostermann : Qu’est-ce qui agit en nous ? Qu’est-ce qui fait que
l’on va guérir ? Cela n’appartient pas au thérapeute, c’est dans l’invisible
des choses que cela se passe… Je suis absolument convaincu que ce ne sont
pas les soignants qui guérissent. Je l’ai toujours pensé, même au début de
mes études de médecine.

N. C. : Vous enseignez ces notions-là en cours de médecine ?


G. O. : Bien sûr. Un jour, à la faculté de médecine de Reims, j’ai dit que
la science était validée par de la magie. J’ai été convoqué par le doyen, un
homme extrêmement intelligent, qui m’a dit : « Explique-moi. » Je lui ai
répondu : « C’est très simple. On prend une substance neutre, du sucre en
poudre par exemple, on la met dans une gélule et on la donne au patient en
lui disant que ce médicament va le soigner, ça s’appelle comment ? Un
placebo, c’est-à-dire un produit neutre, vide… mais pas vide de sens
puisqu’il y a une croyance d’attente qui peut contribuer à la guérison. Il
s’agit de la croyance du patient et celle du médecin lui-même, s’il est
convaincu que c’est un vrai médicament. Et cette gélule vide, ce placebo, va
agir de façon positive sur le malade dans environ 30 % des cas (voire
beaucoup plus dans le cas de dépression), sans substance chimique… et
donc de manière apparemment magique. »
Et comment fait la médecine aujourd’hui pour valider l’efficacité d’un
nouveau médicament ? On le compare au placebo. On crée deux groupes
équivalents : le premier prend le placebo, la substance neutre ; le second
prend le traitement. Et si on constate que ce médicament-là agit de façon
positive dans 60 % des cas, par exemple, alors que le placebo agit
favorablement dans environ 30 % des cas, et si c’est statistiquement
significatif, c’est un médicament intéressant. C’est ainsi que la science est
validée par un remède imaginaire, un remède que l’on peut qualifier de
« magique ». Si on n’avait pas le placebo, comment dirait-on que le
médicament est efficace ? Le médicament, en Occident, est estampillé
« scientifique » parce qu’il est le seul à pouvoir être évalué. Il est à la base
du traitement d’un grand nombre d’affections, y compris psychiatriques.
L’ennui est qu’aujourd’hui les médecines dites « complémentaires » (y
compris les psychothérapies) doivent désormais montrer leur efficacité à
travers l’essai clinique randomisé (ECR). Or, ces thérapeutiques complexes,
qui ne peuvent être évaluées par une technique créée pour le médicament,
sont d’emblée discréditées par la science.

N. C. : En effet, comme si on cherchait à peser la force du vent avec une


balance. Ce n’est pas conçu pour. J’y vois, en outre, quelque chose de très
paradoxal : on évalue un médicament d’après une gélule vide (un placebo)
plutôt que de le comparer à une « absence de traitement ». Cela indique de
manière implicite que la science admet l’existence d’un mécanisme
émotionnel « psycho-physiologique » (le placebo) comme étant supérieur
au « rien ». Ce qui, au passage, définit le placebo comme un traitement
thérapeutique. Et le paradoxe, c’est que le médicament jouit d’une aura
scientifique alors qu’il est évalué d’après un étalon psychologique –
dont on ignore en grande partie les processus –, tandis qu’on discrédite
le « miracle émotionnel » (servant d’étalon pour mesurer l’efficacité du
médicament) du patient qui s’est guéri autrement… parce qu’il ne peut être
évalué. Donc l’efficacité d’un médicament est admise scientifiquement en
la comparant à un effet placebo qui n’est autre que…
G. O. : … quelque chose qui témoigne d’une bonne relation entre
soignant et soigné. Si la relation est bonne, quelque chose s’est passé dans
le lien thérapeutique, et l’on aura un effet positif. Cela s’appelle l’effet
placebo. Si la relation n’est pas bonne, on peut observer un effet nocebo,
c’est-à-dire que cela va nuire à la santé de la personne.
On l’a vu, la science est née de la séparation du corps et de l’esprit. Si
on garde un point de vue positif, cette séparation a permis de poser un
certain nombre de critères pour garder une objectivité lors d’une évaluation,
des médicaments notamment. On interprète des données mathématiques et
physiques. Mais l’humain ne peut pas être réduit à des formules. Cette
démarche scientifique ne tient pas compte du patient. On a perdu de vue le
sujet, la personne dans sa complexité. Là-dessus, arrivent la mécanique
ondulatoire, la physique quantique, et on s’aperçoit que le sujet modifie la
chose observée, et qu’en fonction de l’observateur il n’y a plus les mêmes
résultats. Ah ! donc la personne compte énormément, finalement. C’est
ennuyeux, la science avait sorti l’individu de l’équation. Et le problème,
aujourd’hui, est que tout est considéré à l’aune de la science, elle domine
tout le reste : « Est-ce que c’est scientifiquement prouvé, ce que vous
dites ? » Il y a une forme d’inquisition derrière cela. On est en train de
perdre de vue une certaine dimension de l’humain, et pas n’importe
laquelle : le patient dans son entièreté et sa complexité.
N. C. : En tant que patient, dans quel état d’esprit pouvons-nous nous
placer pour augmenter la portée de la médecine conventionnelle ou non
conventionnelle ?
G. O. : L’important est d’avoir confiance en nos propres ressources car
l’inconscient est un immense réservoir de capacité et d’apprentissage,
même si nous ne connaissons pas tout notre potentiel.
N. C. : Ces ressources, nous les aborderons dans le chapitre suivant.
CHAPITRE 16

Nos attracteurs de bien-être

Natacha Calestrémé : Le fait de pouvoir attribuer un sens à ce qui nous


arrive permet-il de réduire notre stress ou de favoriser la guérison ?
Thierry Janssen : Absolument, le besoin de sens est un besoin
biologique. En l’absence de sens face aux aléas de l’existence, nous
éprouverions un tel stress que nous ne pourrions pas rester en vie. Quant au
stress, c’est un phénomène de mise en tension physique et psychique qui
intervient chaque fois que nous sommes confrontés à une situation difficile
à laquelle on a le sentiment de ne pas pouvoir échapper. Le corps produit
alors toutes sortes de substances, notamment des hormones – de
l’adrénaline, pour s’enfuir ou combattre et du cortisol, pour stimuler les
défenses immunitaires. Le stress est bénéfique de manière ponctuelle et sur
une courte durée. Il est délétère quand il perdure dans le temps et devient
chronique (si on ne trouve pas la solution au problème ou si on est
continuellement confronté à des situations trop intenses ou menaçantes).
Dans ce cas, l’organisme s’épuise, il brûle ses réserves d’énergie,
l’adrénaline en trop grande quantité finit par abîmer les vaisseaux sanguins
et le cœur, le cortisol présent à des taux trop élevés sur des périodes
prolongées finit par affaiblir et dérégler les défenses immunitaires au lieu de
les potentialiser.
N. C. : Lorsqu’on se positionne dans cette quête de sens, en quoi le
travail auprès d’un thérapeute est-il essentiel ?
T. J. : Nous savons tous que notre existence a un début et une fin et
notre mental essaie de nous protéger, de nous rassurer en permanence à
propos de la pérennité de notre identité. Le mental sélectionne dans notre
mémoire des événements du passé afin de reconstruire une histoire qui
donne une signification à notre existence. Il imagine alors des scénarios qui
permettent d’envisager une direction pour notre existence dans le futur. À
travers cette recherche de signification et de direction, notre mental est un
créateur de sens. Peu lui importe que celui-ci soit relié à une réalité
objective, ce qui compte, c’est que notre existence paraisse avoir un sens.
Et ce besoin de sens est absolument vital car, sans signification et sans
direction, notre vie devient trop angoissante, trop stressante. Nous ne
pourrions pas survivre car le stress engendré par l’absence de sens nous
fragiliserait trop, à la fois psychiquement et physiquement. L’enjeu de la
thérapie est de permettre à autrui de retrouver un équilibre dans une
situation perturbée et, à partir de cet endroit de sécurité et de paix, de l’aider
à exprimer ce qu’il y a de meilleur en lui. Face au besoin de sens, le
thérapeute permet souvent de « remoraliser une histoire démoralisée *1 »,
comme disait l’anthropologue Claude Lévi-Strauss. Cela produit un effet
bénéfique à la fois sur la santé psychologique des personnes en souffrance
et sur leur santé physique.

Trouver du sens
N. C. : Peut-on dire que l’on vient plus facilement à bout de l’épreuve
ou de la maladie dès lors qu’on lui a donné un sens ?
Jacques Besson : Je vais vous répondre par deux exemples historiques.
Le premier concerne Aaron Antonovsky (1923-1994), un sociologue
américano-israélien qui a étudié après-guerre des femmes israéliennes
rescapées des camps de concentration nazis. Il a utilisé ses compétences
médico-sociales pour analyser ce qui s’était passé dans ces camps. Et il est
arrivé à la conclusion que pour survivre, il faut être doué de cohérence,
c’est-à-dire :
– premièrement, être capable de comprendre ce qu’il se passe dans le
monde ;
– deuxièmement, avoir suffisamment confiance en soi pour savoir que
l’on peut gérer sa vie (avec l’aide d’un tiers ou pas), en intégrant la
confiance en plus grand que soi ;
– troisièmement, avoir la certitude que ce qui arrive a du sens.
Si vous pouvez répondre positivement à ces trois notions, vous êtes en
cohérence, alors vous êtes capable de salutogenèse, du latin salus (qui
désigne à la fois la santé et le salut : la libération). La salutogenèse
recherche ce qui pourrait nous libérer – ce qui amène la santé –,
contrairement à la pathogenèse, qui recherche les causes de la maladie.
Cette manière de voir les choses fait toute la différence. La médecine qui ne
s’appuie que sur la science est obnubilée par la pathogenèse (le symptôme)
et elle y répond avec la biologie moléculaire, la chirurgie, la génétique, etc.
La médecine qui s’intéresse uniquement à l’aspect psychique va elle aussi
chercher l’origine du pathos, les blessures de la petite enfance, etc. Tout
cela est formidable, mais il ne suffit pas d’expliquer notre
dysfonctionnement biologique et/ou notre passé pour aller mieux. La
salutogenèse, c’est chercher dans l’avenir du patient des attracteurs de
sens.
Et pourtant notre médecine s’est construite en étant tournée vers le
passé. Je suis un spécialiste des maladies du désespoir : la schizophrénie,
l’héroïnomanie, la clochardisation. Et j’ai bien vu que l’enjeu, pour aider
le patient à guérir, est de chercher des attracteurs de bien-être dans son
avenir. Freud disait : « le but de la psychanalyse, c’est de permettre au
patient de retrouver sa capacité d’aimer ». L’idée n’est pas de le changer,
c’est d’aider l’individu à aller vers lui-même. Je demande souvent à mes
patients :
« Sur une échelle de 0 à 10, quel est votre niveau de bien-être ?
– Zéro…
– Qu’est-ce qu’il vous faudrait pour aller à 1 ? »
Et ainsi de suite.
Souvent en psychiatrie, une fois qu’on a guéri les symptômes, le patient
sort de l’hôpital ; on le renvoie à « son désert de pierre et de glace »,
comme disait le pasteur et psychanalyste suisse Oskar Pfister (1873-1956).
Or, le patient mérite mieux. La salutogenèse, c’est aussi faire preuve d’un
peu d’humilité quand on est soignant. En ce qui me concerne, j’ai assez vite
renoncé à vouloir guérir le patient parce que je me considère comme un
simple accompagnateur et que sa guérison ne m’appartient pas.
N. C. : Voulez-vous dire par là que le soignant doit éviter de se placer
dans la toute-puissance ?
J. B. : Oui, mais pas seulement. Traiter la maladie est une chose, mais
permettre à la personne de redonner un sens à sa vie, cela dépasse le
processus de guérison. Quand un patient a plaisir à suivre un cours de
guitare parce qu’il a appris à jouer trois notes, je suis heureux. Quand un
autre ne gagnera plus d’argent – cela, je le sais, parce qu’il n’en est plus
capable – mais qu’il prend plaisir à nettoyer la forêt… on a redonné un sens
à sa vie.

N. C. : C’est émouvant. Je pense à toutes ces personnes âgées, seules,


qui se sentent inutiles et pour lesquelles « tomber malade » est le seul
moyen de voir du monde : un médecin, un membre de leur famille… On
voit bien que soigner le symptôme ne suffit pas.
J. B. : Certaines personnes ont encore parfois un peu de mal avec ces
notions qui me sont chères : la recherche des attracteurs de bien-être et de
sens. C’est parce qu’elles se focalisent sur l’expression de la maladie. Mais
comme j’ai travaillé en neurosciences, en imagerie fonctionnelle cérébrale,
je suis allé à la Harvard Medical School, j’ai été vice-recteur de recherche,
puis sénateur de l’Académie suisse des sciences médicales… cela a donné
du crédit à ma vision des choses. J’ai alors obtenu des financements pour
créer un nouveau pôle de recherche interdisciplinaire au Fonds national
suisse de la recherche scientifique. J’ai pu développer beaucoup de sujets de
recherche notamment sur l’addictologie et on a avancé très fort. Durant dix
ans, je me suis occupé d’autisme. Là aussi j’ai vu des choses incroyables.
Grâce à des ingénieurs, on a créé des logiciels pour voir avec les yeux des
patients atteints d’autisme ; cela a permis plus de rétablissements mais aussi
d’éviter de nombreuses mesures de contention (mesures qui enfreignent la
liberté de mouvement des patients) et de lutter contre la violence dans les
hôpitaux. Avec les ingénieurs de l’École polytechnique fédérale de
Lausanne (EPFL), on a équipé les personnes atteintes d’autisme d’habits de
pilotes de Formule 1 pour capter leur rythme cardiaque, leur fréquence
respiratoire… Grâce à ces mesures, les patients qui étaient dans des
conditions épouvantables ont retrouvé un peu de liberté et de bien-être dans
leur quotidien.

Donner du sens à l’épreuve : un facteur


clé de la guérison
N. C. : Vous évoquiez deux exemples historiques concernant le sens de
l’épreuve…
J. B. : En effet, pendant la Seconde Guerre mondiale, contrairement à
Freud qui s’est fait exfiltrer à Londres, le psychiatre autrichien Viktor
Frankl (1905-1997), par loyauté envers sa femme enceinte, son frère, sa
sœur et ses deux parents, s’est laissé déporter à Auschwitz. Le drame est
qu’ils sont tous morts gazés, sauf lui. Il a résulté en lui une souffrance
épouvantable et il s’est consacré à l’analyse de la vie dans les camps. Il en
est ressorti des livres majeurs qui, dans les années 1950, lui ont conféré une
renommée internationale.
Dans ses ouvrages les plus connus, Nos raisons de vivre 4 et
Le thérapeute et le soin de l’âme 5, il montre qu’il n’y a pas seulement
l’inconscient sexuel (la notion de plaisir, de type freudien) mais aussi un
inconscient spirituel qui, s’il n’est pas assouvi, s’accompagne de névroses
noogènes : des frustrations liées à l’absence de sens de la vie, au point d’en
tomber malade. Et en effet, dans les camps de concentration, les plus
résistants face à l’ignominie étaient ceux qui gardaient une raison de vivre :
l’espoir, une fois libérés, de retrouver un être cher, de rejouer d’un
instrument de musique, de reprendre leur profession… Bien souvent l’être
humain l’ignore : il a besoin de donner un sens à sa vie. Et si ce besoin
de sens n’est pas satisfait, cela produit des névroses, non pas
individuelles mais collectives, ce que Frankl appelle « une névrose de
civilisation ». Et si on suit Frankl, ce refoulement du sens de la vie, cet
aspect spirituel qui disparaît de nos sociétés, cela produit des névroses
de civilisation qui créent un vide existentiel. Et ce symptôme de vide
existentiel s’exprime sous la forme de dépressions, d’agressivité et
d’addictions. Or, il suffit d’ouvrir un journal ou de regarder les réseaux
sociaux pour constater que ce sont des phénomènes récurrents de notre
société.
Quand Frankl sort du camp de concentration, il crée la logothérapie (du
grec logos, le discours, la parole), fondée sur le besoin de donner un sens
aux événements et qui permet, par la parole, de poser un autre regard sur
soi, de faire une autodistanciation, un autodépassement et une
autotranscendance : c’est-à-dire donner du sens aux événements en se
reliant à plus grand que soi, croire en notre faculté de nous dépasser, et
intégrer que nous pouvons surmonter nos difficultés. En Suisse, la
logothérapie est proposée dans le cas de maladies chroniques et dans le
cadre de soins palliatifs, parce que, même sur son lit de mort, le patient peut
encore faire une autodistanciation et porter un nouveau regard sur sa vie.
On peut encore « se sauver » par le regard porté sur soi et/ou par le
rattachement à plus grand que soi. Cette thérapie crée une passerelle entre la
science et la spiritualité.

L’intérêt de se projeter dans le futur


N. C. : Avez-vous une méthode thérapeutique qui pourrait aider le
patient désespéré par une absence d’évolution de sa maladie, afin de
favoriser sa guérison ?
Gérard Ostermann : Je peux partager avec vous une pratique, en effet.
Revenons au début d’une séance. La première chose que le malade cherche,
c’est la légitimité : que son mal-être soit reconnu. À moins que la personne
soit perverse et manipulatrice – cela peut arriver dans les expertises médico-
légales –, mais dans les consultations habituelles, les gens espèrent avant
tout être entendus. C’est important de dire à un individu qui vient nous voir,
qui a mal partout et pour lequel on n’a « rien trouvé », de lui faire sentir
qu’on le croit. Si on lui annonce : « C’est dans la tête. », sous-entendu
« Vous êtes un malade imaginaire. », c’est comme s’il avait raté son examen
de vrai malade, que sa douleur et son mal-être n’étaient pas reconnus par la
science. Et d’ailleurs, on va lui proposer d’autres examens. Un
« repêchage ». Et si on ne trouve toujours rien, l’échec est total.
Il est important de rappeler que le corps est influencé par notre
psychisme et les difficultés de notre vie affective. La personne a entendu la
sagesse populaire dire que le mal au dos a peut-être quelque chose à voir
avec « J’en ai plein le dos. », et le mal de tête avec « Je me prends trop la
tête. » Ça lui parle. Mais le patient ne dit rien de ce qu’il vit, de peur qu’on
balaye son mal-être d’un « Ce n’est rien, c’est nerveux. » Alors, il court
vers les médecines complémentaires ! Il ne s’agit pas simplement de lui
répondre : « Je vous comprends. » mais de créer les conditions d’une
alliance thérapeutique en le questionnant tout en étant dans une écoute
active. Écouter, c’est prêter ses oreilles pour que l’autre s’entende.
Notamment en reformulant ses propos. Par exemple :
« Si j’ai bien compris, madame, vous venez de me dire que cela fait
maintenant presque six mois que vous avez une douleur. J’ai bien entendu
quand vous avez dit « J’ai mal partout. » que cette douleur vous empêche de
vivre. « Je ne vis plus. », « Ça me fatigue. », « Ça me déprime. », c’est
cela ?
– Oui, exactement.
– Et en même temps, vous m’avez dit que pour l’instant on n’a pas
trouvé de solution, c’est bien cela ? »
On reformule ce qu’on a entendu, simplement. Ensuite, il faut toujours
laisser un temps de silence. Le silence est fondamental. Il faut donner un
peu de temps pour que la personne juge qu’on a bien compris la situation,
qu’elle reprenne éventuellement nos paroles et qu’elle commence à
mouliner avec. Et on poursuit :
« Écoutez, je vais essayer de faire le maximum pour vous aider, mais
j’ai besoin que vous m’aidiez à vous aider. »
On est dans le questionnaire d’alliance. Ce n’est pas le patient et
moi, c’est le patient avec moi, c’est le lien qui compte : la clé est là. On
peut alors poursuivre :
« Êtes-vous d’accord avec ça ?
– Oui, oui, je suis prête à faire n’importe quoi pour ne plus avoir mal…
– Ma manière de travailler est de vous poser certaines questions. Êtes-
vous d’accord pour que je prenne des notes quand je vous parle ? [Car cela
appartient à l’intimité de la personne.]
– Oui, tout à fait.
Puis je lève la main et je poursuis :
– Très bien… Regardez ma main, là, comme si c’était un écran de
télévision. Si on pouvait imaginer la douleur, que verriez-vous sur cet
écran ? Un personnage, un animal ?
– Je ne sais pas…
– Laissez aller votre imaginaire… »
La personne peut citer un fantôme, un monstre, une bête, un crabe… On
la lui fait décrire avec un luxe de détails… et ainsi on a fait de la douleur
une « créature narrative »… qui existe en dehors d’elle. Au moment où elle
fait cela, c’est troublant, elle a déjà moins mal. Et là, on va poser des
questions dites « paradoxales » : « Qu’est-ce qu’elle vous empêche de faire,
cette douleur ? » Que l’on fait suivre par : « Qu’est-ce qu’elle vous a permis
aussi de faire ? »
Par exemple, la maladie nous permet de rester près de notre maman
quand on est petit. Devenu adulte, de ne pas aller au travail parce qu’on s’y
sent mal, de susciter l’intérêt de nos proches quand on est âgé et isolé, ou de
voir notre médecin qui est le seul qui s’intéresse à nous… Ainsi, avec ces
questions « ce que m’empêche » et « ce que me permet » de faire la
maladie, on attire l’attention de la personne sur le fait que rien n’est
totalement d’un côté ou totalement de l’autre. Puis on passe à la dernière
étape, à la question miracle dans le sens où c’est elle qui va réellement
permettre d’avancer autrement. On dit :
« Je vais vous poser une question étrange. Est-ce que vous êtes
d’accord ?
– Oui… »
On place la personne dans un état de confusion, et c’est cela qui lui
permet de se détacher de son identification à sa douleur.
– Je vous invite à fermer les yeux et à être avec cette douleur. Imaginez
que la nuit prochaine, pendant que vous dormez, un ange gardien ou un
guérisseur céleste – appelez ça comme vous voulez – fait quelque chose
pour vous soigner, vous êtes guérie, totalement guérie. Vous vous réveillez
le lendemain matin, vous ne savez pas que ce guérisseur céleste est passé…
À quoi allez-vous vous apercevoir que vous êtes guérie ? Comment
allez-vous vous en apercevoir ?
– Je n’aurai plus mal.
– Dans quelle partie du corps vous n’aurez plus mal ? »
Après je demande :
« Qui va s’apercevoir autour de vous que vous n’avez plus mal ?
Qu’est-ce qu’on va dire de vous qui n’avez plus mal ? »

N. C. : Vous la placez déjà dans la guérison ?


G. O. : Dans la guérison, absolument.
N. C. : Et elle commence à se visualiser dans cet état…
G. O. : Pour toute pathologie, c’est essentiel. Si on veut aider quelqu’un
qui souffre d’un cancer, faisons-le penser au moment où il sera sorti du
cancer et de ce qu’il pourra faire… Quand les gens viennent avec une
dépression, je ne prononce jamais le mot « dépression ». Eux disent : « Je
suis dépressif, je suis déprimé, je suis en grosse dépression, docteur. » Je les
reprends : « Si je comprends bien, vous êtes dans un courant dépressif ? »
On sort l’individu d’un point A et on l’amène à un point B. Juste ça. Le
langage est métaphorique, il transforme déjà le réel. Puis vient la question
miracle dont on vient de parler : « OK, vous êtes guéri de cet état dépressif,
et qu’est-ce qui se passe ? » Ceux qui répondent : « Ah ben, ça va mieux. »,
ils n’ont rien dit. Il est où, le « ça va mieux » ? Ils répondent machinalement
et ne parlent pas d’eux. Et cela signifie que le symptôme (la douleur) leur
permet d’éviter quelque chose. Ils sont probablement un peu éclatés en eux-
mêmes, dés-unifiés…
N. C. : Votre visualisation de la guérison, cette projection dans l’avenir,
rejoint tout à fait les propos de votre confrère, le professeur de psychiatrie
Jacques Besson, qui préconise de chercher dans l’avenir du patient des
attracteurs de sens, et ceux du Pr Patrice Queneau, qui élargit ce principe
aux cas les plus sérieux : « Toute annonce d’une maladie grave doit être
accompagnée d’un contrat d’avenir même dans les cas extrêmes 6. » Cette
question : « Comment verrez-vous que vous allez mieux ? » permet au
cerveau du patient d’ancrer une guérison parfaitement imaginée… dans une
réalité future. C’est l’imagination qui servirait de catalyseur…
G. O. : Totalement ! L’imagination a une fonction thérapeutique. Et
grâce à cette induction positive, à l’intérieur de soi, le corps va émettre des
neuromédiateurs qui sont des « générateurs d’ambiance », telles la
dopamine, la sérotonine, ces hormones qui favorisent le bien-être et qui
indiquent, une fois de plus, les liens qui existent entre le corps et l’esprit.

L’imagination est-elle salutaire ?


N. C. : Quelle est la place de l’imagination, de la visualisation dans le
processus de guérison ?
Thierry Janssen : Nous l’avons vu, imaginer positivement des choses et
nous visualiser en bonne santé génère des émotions agréables et de la
détente, de la confiance et du courage qui participent positivement au
processus de guérison. Cela stimule les défenses immunitaires et les
mécanismes réparateurs de l’organisme. Des études ont montré que le
simple fait de nous imaginer en train de mobiliser nos muscles, sans
réellement faire d’exercices physiques, augmente le tonus et la force de
ceux-ci. Cela nous indique à quel point la pensée mobilise le cerveau et
combien elle peut agir sur les structures corporelles que le mental met en
action. C’est précieux pour qui souhaite récupérer ou rééduquer des
fonctions physiques endommagées.

N. C. : Prendre conscience de tout cela serait un moyen de sortir d’un


certain fatalisme ?
T. J. : Beaucoup de patients, très anxieux en attendant le résultat de
leurs examens de contrôle après un traitement contre le cancer, ne
s’autorisent pas à vivre pleinement alors qu’ils sont en forme et se
sentent bien. Les résultats d’examens sont bien sûr très importants, mais la
manière dont les patients perçoivent leur corps et ce qu’ils ressentent l’est
plus encore. Réjouissons-nous de nous sentir vivants.
La vitalité fait la bonne santé. En disant cela, je me rappelle le jour où,
alors que j’étais en train de procéder à l’ablation d’une vessie chez un
patient qui présentait une volumineuse tumeur cancéreuse, l’assistant qui
m’aidait dans cette opération m’a interpellé en disant : « C’est tout de
même une drôle de maladie, le cancer, elle est tellement vivante. » Ce jeune
chirurgien venait du Cameroun où son père était un guérisseur traditionnel.
Il avait raison : le cancer est une maladie extrêmement vivante. Des cellules
se dédifférencient et retrouvent la vitalité des cellules embryonnaires, elles
se multiplient en grand nombre et, si on ne parvient pas à arrêter leur
prolifération, elles finissent par envahir l’ensemble du corps, au risque de
tuer l’organisme auquel elles appartiennent. Mon jeune assistant a ajouté :
« Peut-être que pour guérir du cancer il faudrait être plus vivant que lui. » Il
est vrai qu’en plus d’éliminer les cellules cancéreuses à l’aide de la
chirurgie, de la radiothérapie, des chimiothérapies et de l’immunothérapie,
il est important de stimuler au maximum la vitalité des patients avec une
alimentation saine et équilibrée, suffisamment de sommeil, un apaisement
mental, par exemple via la méditation, et un bon moral car, nous l’avons vu,
les pensées positives et les émotions agréables sont très importantes.
Empreint de la sagesse de sa culture africaine, mon assistant a osé une
métaphore qui m’a semblé très à propos : « L’être humain aussi prolifère de
façon exponentielle au point d’envahir et d’abîmer le lieu où il vit. Peut-être
que nous sommes le cancer de la Terre. » Comme la plupart des maladies, le
cancer est une maladie multifactorielle. Peut-être vient-il nous montrer qu’à
force de polluer et de nous imposer des modes de vie qui ne respectent pas
ce qui est vraiment essentiel, nous ne sommes plus assez vivants.

N. C. : Peut-être en est-il ainsi de toutes les maladies ? Cela invite à la


réflexion. En tout cas, de cet échange, je retiens que perdre notre vitalité
engendre une mauvaise santé et nous expose à la maladie, tandis que
prendre soin de notre vitalité génère de la bonne santé et peut nous aider à
guérir.
CHAPITRE 17

L’importance de ce qui « environne »


notre vie

Natacha Calestrémé : À travers le résultat de vos études menées en


épigénétique, quels facteurs peuvent influencer notre santé ?
Isabelle Mansuy : L’épigénétique nous éclaire sur la complexité de
l’interrelation entre nos cellules et ce qui nous entoure. On commence à
comprendre que si une personne est porteuse de telle séquence génétique
modifiée, ce n’est pas pour cela qu’elle va tomber malade… tout
simplement parce que cette modification seule n’est pas suffisante pour
favoriser ou empêcher une maladie de se manifester. C’est seulement en
combinaison avec certains facteurs environnementaux non favorables que
cette caractéristique génétique peut déclencher une maladie. De même, une
personne portant un gène sain peut développer une maladie si son
environnement est mauvais.

N. C. : En effet, on l’a vu, l’expression du génome peut être mal activée,


freinée ou même stoppée par les événements douloureux de la vie, du
stress, une mauvaise alimentation ou des pollutions chimiques : ces
« facteurs environnementaux » semblent déterminants pour notre santé.
Mais ces modifications, si elles s’expriment dans nos cellules, sont
potentiellement réversibles. Vous évoquez ce point à travers plusieurs
exemples dans votre ouvrage Reprenez le contrôle de vos gènes 7. Quelles
habitudes de vie permettent de modifier favorablement notre génome pour
être en bonne santé ?
I. M. : On a toujours su qu’une bonne alimentation (d’autant plus si
elle est sans pesticides) a un impact favorable sur la santé. La nouveauté,
c’est qu’avec l’épigénétique, on sait pourquoi et comment cela fonctionne
dans les cellules.
Je ne vais rien vous apprendre en évoquant les effets du sport sur le
bien-être général, et notamment sur la régulation de l’anxiété, de l’appétit et
du sommeil. Ensuite, la méditation de pleine conscience est une activité
très intéressante puisqu’elle permettrait la modification de l’expression de
gènes liés à une activité pro-inflammatoire 8. Les bienfaits des
psychothérapies sur nos « cicatrices émotionnelles » sont également
reconnus, tout comme l’efficacité des « psychologies énergétiques ou
psychocorporelles », comme l’EFT (Emotional Freedom Techniques) dont
les effets sur le syndrome de stress post-traumatique, par exemple, ont été
évalués auprès de 764 militaires en service actif et d’anciens combattants.
Une étude a démontré de réelles réductions de leurs troubles de l’anxiété et
de la dépression grâce à l’EFT 9. Pour finir, les approches
transgénérationnelles permettent de nous pencher sur l’histoire familiale, de
comprendre les comportements des membres de notre famille, leur impact
sur nos propres comportements (troubles alimentaires, dépression,
addiction, tristesse…) et, de fait, sur notre santé.
LES ALIMENTS FAVORABLES
Comme Isabelle Mansuy le mentionne dans son ouvrage 10, les phyto-nutriments
(anthocyanine, composés phénoliques, lycopène, bêtacarotène, lutéine, indole…)
contenus dans les pigments naturels des végétaux sont très bénéfiques pour
réguler notre épigénome. On les trouve dans les fruits et légumes : violines
(oignon rouge, fruits des bois, betterave, raisin, aubergine…), verts (haricot,
poivron, concombre, poireau, épinard…), orangés (patate douce, melon, abricot,
carotte, courge…), rouges (cerise, tomate…). Plus on mélange les couleurs des
fruits et légumes (si possible bio) dans notre assiette, mieux c’est. S’ils
constituent, plus qu’un accompagnement, l’essentiel de notre repas, on augmente
nos chances d’améliorer notre état de santé.

Elle précise également que les acides aminés présents dans les protéines
animales et végétales modulent les effets de méthylation de l’ADN *1… mais qu’il
faut éviter les excès. Les valeurs nutritionnelles quotidiennes indiquées varient en
fonction de la personne, de son poids et de son activité mais l’on ne devrait pas
dépasser 90 grammes de protéines (animales et/ou végétales) par jour pour une
personne de 90 kilos, 50 grammes pour une personne de 50 kilos 11.

Les graines, fruits secs, huiles, ails et épices boostent les défenses immunitaires
et sont favorables à l’équilibre nerveux. Le thé, vert en particulier, a une action
anti-inflammatoire qui a été prouvée 12.

Agir pour notre propre bien


N. C. : Vous dites qu’une part de nous n’est pas déterminée, qu’elle peut
être modifiée ou corrigée.
I. M. : Oui, la plupart des facteurs épigénétiques des cellules du corps
qui sont influencées par les facteurs extérieurs peuvent évoluer. Prenons une
personne qui s’est mal alimentée pendant longtemps : son bagage
épigénétique est altéré par la mauvaise alimentation. Mais les altérations
épigénétiques peuvent être corrigées par une meilleure alimentation.
Les cicatrices émotionnelles peuvent également être corrigées. Il existe
quelques études sur les animaux. Comme je l’ai dit, nous avons montré que
si des souris adultes traumatisées de façon répétée (durant deux semaines,
dès la naissance) sont placées dans un environnement enrichi (avec d’autres
compères, dans de grandes cages où elles peuvent courir et aller dans un
labyrinthe…), leur descendance ne manifeste pas les mêmes symptômes de
stress, contrairement à la descendance de souris adultes qui n’ont pas eu
droit à ces meilleures conditions de vie.

L’intérêt d’un nouveau regard sur notre


rapport à la maladie
N. C. : Que faut-il faire pour être en bonne santé ?
Jacques Besson : On l’a vu, la santé est une construction à trois étages :
biologique, psychique et spirituel. On peut donc se représenter la maladie
comme un désordre sur ces trois plans : on est coupé de soi-même sur le
plan biologique, coupé de soi-même sur le plan psychique, coupé de soi-
même sur le plan spirituel. Pour aller vers un rétablissement complet et
durable du malade, la solution pourrait être de faire appel à une médecine
intégrative : une médecine scientifique et biologique qui s’appuie sur la
psychiatrie et la psychothérapie et qui prend en compte toutes les
dimensions de l’être, la dimension spirituelle notamment.
Certains courants ésotériques rejettent la médecine officielle et
conventionnelle, ce qui est plus qu’une erreur, c’est criminel, car celle-ci est
indispensable en tout premier lieu. La psychiatrie et la psychothérapie sont
également très utiles car il y a des histoires privées qui ont une signification
forte, et il faut rétablir les gens dans leur parcours de vie. Et les anamnèses
personnelles, familiales, culturelles sont essentielles. On peut également
faire appel à d’autres pratiques cognitivo-comportementales – loin de moi
l’idée de nier la puissance de ce deuxième ordre psychique. Mais quelle
tristesse de se priver du troisième ordre, l’ordre spirituel ! Quel est le sens
de la maladie ? Quelle signification pourrais-je donner à ce qui m’arrive ?
Si vous vous cassez la jambe, vous allez voir un médecin puis un
orthopédiste. Si vous avez un infarctus du myocarde, vous allez voir un
urgentiste puis un cardiologue. Si vous faites une dépression majeure, vous
allez voir un psychiatre. Mais si vous n’arrêtez pas de vous casser la
jambe, que c’est la troisième fois que vous faites un infarctus ou que,
malgré les antidépresseurs, vous êtes toujours dans un vide existentiel,
que faites-vous ? Vous attendez la quatrième fois sans broncher, dans une
sorte de fatalité ? Et si cette répétition était l’opportunité de regarder la
guérison et la vie autrement ? Quelle posture adopter ? Comment aller à la
rencontre de soi-même ? Comment trouver ces attracteurs de liens, de sens
et de bonne santé ? Ce troisième ordre de la médecine est, je crois, aussi
indispensable que les deux premiers et c’est ce à quoi nous invitent les
médecines traditionnelles, ancestrales (le chamane rencontre l’âme de son
patient), ainsi que toutes les médecines complémentaires qui intègrent dans
leur approche notre relation au monde, à la spiritualité, à plus grand que soi.
Si vous vous désespérez de ne pouvoir changer une situation (maladie,
épreuve…), vous avez le pouvoir de changer de point de vue pour y
faire face, en considérant la maladie autrement. Les ressources médico-
psychologiques (les médecines scientifiques et psychologiques) ne cessent
de se développer, de s’améliorer… et pourtant les problèmes de santé
mentale ont pris une telle ampleur qu’ils sont devenus une priorité de
l’OMS. Cela veut sans doute dire que l’on est passé à côté de quelque
chose, non ? Alors, pour éviter que le public ne sache pas vers qui se
tourner et prenne des risques, cessons de stigmatiser tout ce qui n’est pas
expliqué par la science, ouvrons le débat avec intelligence sur ces pratiques
et collaborons.

La fonction initiatique de la maladie pour


« renaître » à soi-même
N. C. : N’aurait-on pas intérêt à envisager la maladie autrement ?
Gérard Ostermann : Il existe des degrés dans la lecture des choses. Je
crois que c’est juste de dire que la maladie a une fonction initiatique, au
sens où elle ouvre à quelque chose… « Le monde n’est pas malade, il
enfante », dit l’auteur Xavier Sallantin. Nous sommes dans un monde
matriciel où l’on étouffe, que ce soit sur le plan climatologique ou sociétal.
Il va falloir qu’il y ait une mutation. Mais l’être humain ne change que s’il
est en danger de mort. Il se raconte qu’il change, mais pas du tout ! C’est
comme les résolutions du nouvel an : on en fait tous et aucune n’aboutit, et
ce pour une raison très simple, on n’est pas à l’article de la mort. Et l’envie
de vivre autrement n’y est pas. Il faut être en danger, véritablement, qu’il
y ait une menace, pour que l’homme se décide à muter. Et je suis
convaincu que la maladie a un peu cette fonction-là. Combien de fois ai-
je entendu des personnes sorties du cancer me dire : « Docteur, je suis re-né
à la vie » ! « Renaître » ! Ça veut dire quelque chose, quand même… Ça
veut dire que la maladie a une fonction de prise de conscience, sûrement,
d’un mode de vie qui, peut-être, doit évoluer. Mais c’est plus que ça. Il y a
un mystère dans la maladie pour moi. Pourquoi elle me frappe, moi, et pas
l’autre ? Pourquoi maintenant, et pas plus tard ? Il faut accepter qu’il y ait
une certaine dose de mystère. Peut-être qu’on comprendra mieux les causes
– sûrement y a-t-il des déterminants génétiques – mais là, je rejoindrai le
psychologue Tobie Nathan : ce qui va nous permettre de sortir de cela, c’est
d’avoir une vision globale des choses, une vision holistique de nos corps
comme de nos sociétés… Or, on a pris l’habitude de tout séparer, de
fractionner le corps en petits morceaux et on consacre notre temps à
chercher un coupable, le fauteur de troubles, l’agent pathogène…

N. C. : Et on s’égare en allant chercher un phénomène extérieur à soi ?


G. O. : Bien sûr, et pourtant on en est tous là : « Qu’est-ce que j’ai fait
pour mériter ça ? », « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour vivre ça ? »
Le mystère de la maladie nous enjoint à une réflexion. Pas au sens de la
culpabilité mais plutôt au sens de se demander : « Qu’est-ce qui n’est pas
dans l’axe de moi-même ? En termes de tête/cœur/corps, qu’est-ce qui s’est
désaxé, qu’est-ce qui n’est pas aligné ? Est-ce que je peux, en changeant de
posture, me remettre dans l’axe du vivant ? » Au fond, on a mal parce que
la vie ne s’écoule plus. « Comment puis-je faire pour qu’elle s’écoule à
nouveau ? » La fonction du thérapeute, c’est d’inviter le patient à retrouver
ses propres ressources, lui permettre de muter dans ses modes de vie et ses
pensées.

N. C. : Lorsque vous évoquez cet alignement, ce réajustement, cela me


rappelle le point de vue de la médecine traditionnelle chinoise et celle des
chamanes, qui considèrent que l’on tombe malade quand on est dés-
harmonisé, fractionné à l’intérieur de soi…
G. O. : Oui, mais quelle est l’utilité de ce fractionnement ? Au fond, je
survis. Et cette situation, cette faille en moi m’oblige à réagir. Et à ce
niveau-là, la maladie a quelque chose d’initiatique. Elle nous invite à y
réfléchir. C’est à nous-même d’en trouver le sens. Rétrospectivement, on se
dira : « Aujourd’hui ça a du sens, je peux comprendre ce qui m’est arrivé. »
D’ailleurs, souvent les gens le disent après. Mais sur le moment ils sont
comme sous un éboulement de pierres, ils cherchent l’issue, plus que le
sens.
Être généreux envers les autres pour être
plus heureux
N. C. : En quoi la pensée positive pourrait-elle agir sur notre éventuel
mal-être et notre santé ?
Jacques Besson : C’est un sujet scientifique très intéressant.
Historiquement, nous partons de la méthode Coué. Cette méthode paraît
simpliste, pourtant, elle est le point de départ de ce que l’on appelle
aujourd’hui la « psychologie positive ». Cela nous ramène aux effets
placebo et nocebo dont nous avons déjà parlé : un discours optimiste libère,
un discours pessimiste enferme dans la maladie. L’effet est en lien avec nos
attentes. Je vais prendre un exemple. Chaque année, une agence de l’ONU
publie un rapport, le World Happiness Report, qui classe cent cinquante
pays en fonction du bonheur global ressenti. Les experts se fondent sur le
niveau de PIB, l’espérance de vie, ainsi que sur le passé, la manière dont les
populations et les pays s’en sortent face au Covid-19, enfin l’évolution de la
science du bien-être et les actes de bonté : l’aide aux étrangers, le bénévolat
et les dons. Dans ce rapport, un chapitre sur les neurosciences du bonheur 13
présente les quatre déterminants qui font le bonheur :
1. Favoriser les pensées positives.
2. Guérir les pensées négatives, pardonner en considérant que chacun
fait du mieux qu’il peut.
3. Cultiver l’altruisme, la gentillesse et la générosité.
4. Être dans l’empathie : être capable de transformer la vue d’images
négatives (la détresse humaine, par exemple) en compassion – sans être
dans la sympathie (je souffre en même temps que l’autre souffre) –, c’est-à-
dire qu’on comprend la douleur de l’autre mais on ne la vit pas. Ceux qui ne
savent pas faire ce pas de côté prennent la souffrance de l’autre de plein
fouet et vont mal également. Alors que ceux qui ont ce mental, cette
capacité d’empathie, peuvent aider autrui à aller dans le sens de la guérison.
N. C. : Donc la pensée positive, d’une certaine manière, c’est un
premier pas pour être plus heureux…
J. B. : C’est une dynamique existentielle qui s’affranchit des attentes
des autres et des diktats de quelques-uns, un rapport guérisseur au monde,
vers sa lumière. C’est cela, le but de l’existence, parce que la lumière, c’est
d’embellir le monde par la sagesse et la compassion…
N. C. : Je trouve fort intéressant de constater que prendre soin des
autres, être altruiste, favorise notre propre félicité.
J. B. : Le bonheur naît de la relation et de la compassion.

PRATIQUE QUOTIDIENNE POUR RÉDUIRE LE STRESS


Lors d’un stress, le cerveau (l’hypothalamus) stimule certaines glandes
endocrines qui libèrent dans le sang l’hormone d’adaptation au stress : le cortisol.
Pourtant, parfois, même quand l’événement douloureux ou anxiogène est passé,
on continue à y penser avant de se coucher, en se levant, en conduisant… À
chaque nouvelle pensée stressante, le corps produit à nouveau du cortisol. Or,
l’exposition prolongée à cette hormone peut devenir nocive en affaiblissant notre
organisme ou en déréglant notre système nerveux autonome. « Voilà pourquoi un
taux de cortisol élevé nous rendra à terme davantage vulnérable aux agents
infectieux (virus, bactéries, parasites, etc.) », précise Michel Le Van Quyen 14,
chercheur à l’Inserm.
À l’inverse, les chercheurs ont révélé qu’au moindre échange émotionnel, nos
rencontres avec autrui provoquent une incroyable cascade de réactions
biologiques dans notre système nerveux central. L’auteur donne à ce sujet un
précieux conseil : « Il suffit de sourire à quelqu’un, même de manière forcée,
pendant soixante secondes, pour que notre cerveau reçoive un message
positif et déclenche une baisse du cortisol. […] Lorsque nous rions de bon
cœur, les effets biologiques sont encore plus intenses et le cerveau produit en
outre des endorphines, cette morphine naturelle qui a un effet calmant et apaisant.
Efficaces contre l’anxiété, elles permettent également de réduire la douleur 15. » À
pratiquer au quotidien pour en constater les bénéfices 16.
CHAPITRE 18

La médecine de demain

Natacha Calestrémé : D’après vous, quelle serait la médecine idéale,


celle de demain ?
Thierry Janssen : Ce serait une médecine intégrative dans laquelle le
meilleur des ressources thérapeutiques serait utilisé au service du malade.
Une médecine au centre de laquelle le patient serait un acteur responsable et
responsabilisé. Cela demanderait que l’on sensibilise les enfants dès leur
plus jeune âge à prendre soin de leur santé. Une médecine où les praticiens
conventionnels et non conventionnels s’intéresseraient aux pratiques des
uns et des autres, valoriseraient ce qui les rapproche et comprendraient
qu’ils parlent souvent de la même chose en des termes différents, propres à
leur culture thérapeutique. Une médecine où les chercheurs tenteraient
d’élucider les mécanismes qui font l’efficacité de certains traitements même
si ceux-ci ne peuvent pas faire l’objet d’un commerce par la suite. Une
médecine des liens qui s’adresserait à la globalité de la personne, sans
négliger les aspects sociologiques et écologiques de la vie. Une médecine
qui éviterait de tomber dans le piège de l’hyperproduction et de la
surconsommation de remèdes et de traitements et qui veillerait à rester
accessible au plus grand nombre. Une médecine qui serait scientifique mais
aussi spirituelle, dans le sens où elle s’intéresserait à comprendre l’esprit de
la vie.
Je l’ai précisé plus haut (p. 25), la maladie devrait également être
abordée en tant que phénomène social, c’est-à-dire en lui apportant une
réponse de la part de l’ensemble de la communauté au sein de laquelle elle
apparaît. L’augmentation indéniable du nombre de certains cancers dans
certaines régions plus que d’autres… pose la question du rôle de
l’environnement ou des habitudes de vie sur l’émergence de ces maladies.
Toute la société devrait se demander comment faire pour qu’il y ait moins
de cancers, notamment chez les jeunes. Au lieu de cela – et les médias en
sont très grandement responsables, même s’ils ne font que relayer
l’idéologie et la philosophie ambiantes –, on s’intéresse aux mutations des
gènes qui prédisposent au cancer, aux nouvelles méthodes de traitement, à
une technologie diagnostique et thérapeutique de plus en plus
sophistiquée… et on omet d’évoquer l’impact des pollutions
environnementales comme les pesticides, des modes de production
alimentaire, du stress et de toutes sortes de facteurs qui participent à
l’émergence des cancers. La même chose peut être dite à propos de
nombreuses maladies de plus en plus fréquentes : burn-out *1, dépression,
maladies dégénératives comme la maladie d’Alzheimer ou les maladies
auto-immunes.

Relation soignant/soigné : pour


une autonomie relationnelle
N. C. : Si l’on devait résumer, quel enjeu repose sur le thérapeute pour
aider au mieux le patient ?
Gérard Ostermann : Le vrai thérapeute est celui qui permet à la
personne d’accéder à un questionnement vivant sur elle-même pour
l’aider à être dans une autonomie relationnelle. Le point clé est d’être
autonome tout en étant en relation. Si je suis autonome mais pas en relation,
je suis dans l’abandon et c’est épouvantable à vivre. Par contre, si je suis en
relation et autonome, il y a quelque chose qui émerge, qui se dégage, qui
s’ouvre. La science ne peut pas aborder cela, ce n’est pas de son domaine.
La science est là pour rendre compte d’un certain nombre de phénomènes
de manière rationnelle, mais elle n’a pas la prétention d’expliquer tous les
phénomènes du vivant, heureusement d’ailleurs. La médecine
conventionnelle – il faut lui rendre grâce – s’est appuyée pendant des
décennies, voire des siècles, sur la preuve expérimentale, sur le fait de
valider, d’avoir une reproductibilité, d’être soumise à une réfutabilité, pour
pouvoir dire : « Telle action thérapeutique ou tel médicament est validé et
on peut s’appuyer dessus, c’est efficace. » Mais elle ne peut pas dire que
telle ou telle action psychologique est supérieure ou inférieure à telle autre.
C’est impossible parce qu’il faut tenir compte de la subjectivité de la
personne. D’ailleurs, toute la difficulté aujourd’hui, c’est l’évaluation des
pratiques dites « complémentaires ». Est-ce que cette difficulté à expliquer
les fondements de ces approches implique qu’il faille s’en priver ? Non.
Mais il faut probablement inventer ou imaginer d’autres types
d’évaluations beaucoup plus centrées sur ce qu’elles apportent en
termes de qualité de vie, d’écoute, et même de résultats, que sur une
démonstration scientifique et objective.

La prévention et le bon sens


N. C. : Qu’en est-il de la prévention ?
Thierry Janssen : Prenons l’exemple du cancer du sein : je rencontre de
plus en plus de femmes qui se posent la question de savoir si elles doivent
se faire ôter les deux seins sous prétexte qu’elles sont porteuses d’une ou
plusieurs mutations de gènes qui prédisposent au cancer. Je comprends leur
questionnement car ces mesures dites « préventives » sont radicales et
invasives. Certaines de ces patientes me demandent s’il n’existe pas
d’autres moyens de réduire le risque de développer un cancer malgré la
présence de ces mutations. Je leur réponds invariablement que, pour le
moment, nous ne disposons pas d’un nombre suffisant d’études ayant mené
des investigations sur ces moyens. J’espère que le traitement préventif qui
consiste à réaliser une ablation des deux seins n’empêchera pas de continuer
les recherches qui pourraient nous permettre de comprendre comment
mieux lutter contre les effets de ces mutations et compenser l’activité des
gènes mutés. Le jour où l’on aura la réponse à ces questions, une chirurgie
aussi radicale ne sera probablement plus recommandée à toutes les femmes
porteuses des mutations de ces gènes.

N. C. : D’autant qu’il existe énormément de facteurs qui activent ou


inactivent les gènes et qu’on ne sait jamais à l’avance ce qu’il va se
passer…
T. J. : Cela montre à quel point l’humilité est nécessaire lorsqu’on
s’intéresse à la bonne santé. La maladie est un phénomène extrêmement
complexe, tout comme la guérison. On invoque souvent un remède pour
expliquer la guérison, mais que sait-on vraiment des différents facteurs qui
interagissent pour aider au rétablissement d’une bonne santé ? Nous
aimerions tout comprendre pour tout contrôler, mais cela risque de nous
placer dans l’illusion de la toute-puissance. La médecine conventionnelle
tombe souvent dans ce travers. Cela explique qu’elle privilégie des moyens
thérapeutiques ou préventifs lourds et radicaux, au lieu de chercher à agir en
stimulant les ressources naturelles de l’organisme du patient. Si nous avions
un vrai système de santé, nous concentrerions la majeure partie de nos
efforts, du temps, de l’argent et de l’énergie à développer des moyens de
prévention pour changer nos modes de vie pathogènes. Lorsque je tiens de
tels propos, on me répond souvent : « Mais on fait de la prévention
notamment en incitant au dépistage précoce des cancers. » Prévenir une
maladie, ce n’est pas la dépister une fois qu’elle est installée, c’est
mettre en place les conditions qui empêchent son apparition !

N. C. : Peut-on agir pour empêcher la maladie d’apparaître ?


Gérard Ostermann : On a tous entendu parler d’individus qui avaient
une hygiène de vie avec une alimentation équilibrée, bio, un peu de sport,
un mode de fonctionnement qui comprenait la méditation, la prière, et où
a priori tout est orienté favorablement… Et un jour, on apprend qu’ils ont
un cancer. Pourquoi ? Parce qu’il existe aussi des facteurs
environnementaux : les produits toxiques, les perturbateurs endocriniens,
les pesticides dans l’agriculture et notamment dans les vignobles… avec
une omerta derrière, il faut bien le dire. Mais l’environnement, c’est aussi le
climat émotionnel, familial et sociétal dans lequel évolue la personne. Est-
elle dans un état de stress continu à son travail, dans sa vie de couple, dans
sa relation avec ses enfants ou même dans l’angoisse permanente d’être en
bonne santé ? Le stress, lorsqu’il est chronique, a des effets délétères sur
notre système immunitaire. Alors, oui, plus on a conscience de ce que l’on
fait, de ce que l’on vit, de ce que l’on mange, et plus les conditions pour
empêcher une dégénérescence, un cancer, une maladie cardiovasculaire sont
favorables. C’est du bon sens. Mais on ne peut pas en faire une règle d’or
absolue en prétendant que cela nous met à l’abri de toute maladie, parce que
l’environnement chimique et émotionnel de la personne compte.

Imaginer la guérison
N. C. : Quels seraient vos conseils à une personne qui a envie de se
donner toutes les chances d’être en bonne santé ?
G. O. : C’est connu depuis Hippocrate, l’alimentation est la première
médecine. Le sommeil semble très important aussi, voire primordial, car on
peut se priver d’une bonne alimentation mais pas d’une bonne qualité de
sommeil pour avoir une santé acceptable. Le lieu où je vis, la qualité de
l’air que je respire sont également importants pour ma santé. Ensuite, les
liens affectifs que j’établis avec les autres, l’attachement que j’ai pour eux,
mes émotions à leur contact sont prépondérants. S’il y a des soucis sur ce
point, une psychothérapie, une technique psycho-comportementale 17…
celle qui parle au patient, peut aider. Ces points constituent mon
environnement et ils vont avoir un impact, favorable ou pas, sur mon
immunité.
Considérons maintenant que je suis malade. Je vais aller voir un
médecin pour stopper la prolifération des éléments pathogènes s’il y en a ;
je le consulte aussi pour ne plus souffrir, puisque, on l’a vu, la douleur
fatigue, épuise et déprime. Puis je me poserai la question miracle déjà
évoquée : « D’après moi, quelle sera, dans les yeux de mes proches, la
représentation de ce que serait ma guérison et qu’est-ce que cette dernière
me permettra de faire ? » J’essaierai de me projeter dans un futur où le
problème n’existe plus. À nouveau, imaginons un individu qui vient
d’apprendre qu’il a un cancer. Il est un peu sidéré et une fois qu’il a passé le
choc traumatique, il a très envie de guérir. Grâce à la question miracle, il
imagine qu’un grand guérisseur céleste, pendant la nuit, est venu le guérir
complètement. Il se lève le matin et il ne sait pas qu’il est guéri. À quoi va-
t-il s’apercevoir qu’il est guéri ? Qu’est-ce que ça va changer dans sa vie ?
Qui va s’en apercevoir en premier ? À qui il va l’annoncer ? Qu’est-ce qu’il
va jeter ? Qu’est-ce qu’il va acheter pour fêter ça ? Il est important de
développer une scénographie de la guérison. Il faut que l’image de la
guérison soit suffisamment prégnante pour qu’elle devienne tangible,
qu’elle le rejoigne. Sans une scénographie, c’est difficile. Les sportifs qui
font le Tour de France… un alpiniste… ils se représentent tous au sommet !
Ils ont vu tout le déroulé de l’ascension avant de se lancer. Ils ont peut-être
même prévu des retards ou certains incidents. Ils imaginent l’ensemble du
parcours et le visualisent ; comme pour la voltige aérienne, les gestes sont
répétés cent fois, c’est intégré en eux.
C’est sur ce processus de guérison que je vais m’appuyer. Je deviens le
metteur en scène de ma propre guérison. Alors, attention, ce n’est pas parce
qu’on visualise notre guérison que tout rentre dans l’ordre, mais cela permet
d’ancrer à l’intérieur de soi un résultat qui nous relie à l’espoir. Cela ne se
substitue pas à une démarche médicale classique, mais cela favorise tous les
processus déjà évoqués et que l’on n’explique pas, mais qui peuvent très
certainement aider à la guérison.
N. C. : L’espoir serait-il générateur de guérison ?
G. O. : Oui. Je pense que l’espoir est créateur de guérison. Mais, en
tant que médecins, la guérison ne nous appartient pas.
N. C. : Elle appartient au patient ?
G. O. : Oui, mais pas seulement… Selon moi, elle appartient à cette
alchimie qui associe : le désir de guérir du patient, son implication, son
rôle, sa manière de se projeter dans le futur ; l’écoute du soignant qui
permet une alliance thérapeutique, une confiance qui favorise une voie
thérapeutique adaptée ; et aussi l’œuvre de l’invisible liée au mystère de
la vie, à la complexité du vivant. À partir de là tout est possible. Voilà
pourquoi il faut rester humble en matière de guérison.
Conclusion

Le monde a changé radicalement. Continuer à considérer la santé


exactement de la même manière qu’avant mars 2020, tenir le même
discours qu’avant les crises sanitaires et environnementales, c’est nier les
signaux d’alerte que notre société tout entière nous envoie. Le récent
dérèglement immunitaire de millions de personnes dans le monde est un
plaidoyer pour agir et parler autrement de la santé.

Depuis la pandémie de Covid-19 et les épidémies (grippes,


bronchiolites…) qui ont suivi, on a vu que la concertation et la coopération,
dans l’intérêt du patient, ont permis de résoudre certaines urgences
médicales, les pénuries de matériels, de médicaments et de lits médicalisés
notamment, mais aussi l’absence de personnels soignants. C’est bien
connu : l’union fait la force. Séparer les médecines – conventionnelles ou
non conventionnelles –, les comparer pour mieux les opposer n’est donc
plus adapté à notre époque.

Découvrons avec objectivité la richesse des approches d’une médecine


plurielle. Je vous propose de tenir un carnet personnel pour vous aider à
avancer vers la guérison et vous donner toutes les chances.
MON CARNET

Pour me donner toutes les chances


Éclairés par les propos des experts, nous pouvons établir une synthèse.
Je suis malade : quelles étapes franchir pour me donner toutes les
chances ?

RÉAGIR

COMMENCER : Je prends rendez-vous chez le médecin.

NOTER : J’écris sur un papier où j’ai mal (les ressentis de mon


corps), ce qui m’inquiète (mon état émotionnel), ce que j’ai envie de
résoudre, ainsi que tous les médicaments que je prends actuellement,
même ceux que j’estime « banals », comme le paracétamol.

EXPRIMER : La relation thérapeutique est une alliance entre le


praticien et moi-même qui commence par une écoute « présente » de
mon mal-être. Je confie l’objet de ma visite au médecin, la nature de
ma douleur physique (j’ai mal) ou de ma souffrance émotionnelle (je
vais mal) ou les deux, en vérifiant sur ma note que je n’ai rien omis.

QUESTIONNER : Si un traitement (médicaments) s’avère nécessaire


et que j’éprouve de la résistance, de la peur à son égard, je demande
qu’on m’en explique le bénéfice, car, en étant convaincu de ses effets
positifs, j’augmente considérablement son efficacité.
RELATIVISER

PENSER AUTREMENT : Une fois chez moi, je considère la maladie


autrement. Qu’est-ce que je décide de changer (activités, alimentation,
sommeil, environnement social, amical, professionnel, habitat…) pour
retrouver ma vitalité ? Je ne suis pas défini par cette maladie : je ne la
laisse pas occuper tout l’espace de ma vie.

SE RASSURER : Rien n’est immuable. La majeure partie des cellules


de mon corps sont en perpétuel remplacement.

POSITIVER : J’envisage la situation sous un angle positif parce que


le pouvoir de ma pensée influence mon système immunitaire.
J’accepte que cette maladie soit une « possibilité » de me soigner sur
différents niveaux (pas seulement sur le plan biologique, mais aussi sur
le plan environnemental, émotionnel, alimentaire, familial, social). Je
me questionne : quel sens donner à ma maladie ?
S’ENGAGER

S’INVESTIR SUR LE LONG TERME : J’élargis mon regard sur


mon projet thérapeutique. J’évite de m’enfermer dans un système
unilatéral où « seule la médecine conventionnelle compte » ou « seules
les thérapies alternatives peuvent m’aider ». Au lieu de cela, je profite
de tout ce qui est à ma disposition pour avoir le meilleur résultat
possible. La maladie est complexe, multifactorielle. Je ne me limite
pas à une seule vision conditionnée par ma culture ou par mes
habitudes.

AVANCER AUTREMENT : Je prends conscience de ma fatigue, de


mes tensions, de mes idées noires ou de mes blocages. Tout ce qui est
« non dit » peut créer une tension en moi et avoir des effets délétères
sur mon corps. Quand je me sens prêt, je me tourne vers un praticien
qui m’aide à comprendre le sens de la maladie pour rétablir mon
équilibre sur le long terme et gagner en sérénité.

PRENDRE SOIN DE SOI : Je peux aussi intégrer une nouvelle


activité pour être attentif à mon corps et à mon esprit : yoga, qi gong,
sport, jardinage, voyage, marche… et/ou travailler sur moi pour me
libérer de ce qui me pèse : en participant à un atelier en développement
personnel, à une formation thérapeutique, en lisant des ouvrages qui
m’aident à prendre soin de moi.
APPROFONDIR

S’IMPLIQUER : Quel que soit le praticien que je consulte, je sors de


l’idée : « Voilà mon problème, débarrassez-m’en (et en attendant je
m’occupe d’autre chose). » Il ne s’agit pas de s’automédicamenter,
mais de cheminer sur ce que cette maladie dit de moi, sur ce qui est
« perturbé » en moi. Pas à cause de ce que j’aurais fait ou non, mais en
raison de ma souffrance actuelle ou passée, ou encore « héritée » : un
fardeau émotionnel pèse peut-être sur ma vie et je peux m’en libérer.

SE SOUVENIR : Je mène un travail d’introspection personnel et


familial. Je contextualise ma maladie en notant les émotions
douloureuses : qui ai-je rencontré ? Que m’a-t-on reproché ? Quels
événements difficiles ai-je vécus avant de tomber malade ? S’il n’y a
rien de flagrant, je remonte dans ma petite enfance ou dans les
histoires familiales pour mettre au jour les possibles secrets, les
blessures anciennes et identifier ce qui fait écho à mon vécu. Je me fais
éventuellement aider par des médecins ou des praticiens qui proposent
des thérapies transgénérationnelles tout en restant attentif au principe
de vigilance.
ÊTRE VIGILANT

S’INFORMER : Pour éviter certaines dérives sectaires ou le


charlatanisme, je me fie au bouche-à-oreille, je m’informe sur les
profils des personnes soignées en n’oubliant pas que ce qui a
fonctionné pour l’un ne fonctionne pas toujours pour un autre. Je ne
laisse personne décider pour moi. J’écoute mon ressenti : y a-t-il
quelque chose qui me dérange ? Si oui, je l’exprime et si la réponse ne
me rassure pas, je mets fin à la consultation.

SE SÉCURISER : Si un thérapeute autre qu’un médecin me conseille


d’arrêter mon traitement médical, je le considère comme dangereux et
je cesse de le consulter. Si le coût des prestations est excessif, que des
propos inquiétants sont énoncés (sur mon entourage, sur la société), si
le thérapeute insiste pour que je prenne un nouveau rendez-vous alors
que je n’en ressens pas le besoin, s’il prétend qu’il est le seul à pouvoir
me guérir, si, depuis que je le consulte, je me suis éloigné de mes
proches… je cesse tout contact car cela correspond à des dérives
sectaires.

GARDER LA TÊTE SUR LES ÉPAULES : Je suis attentif aux


vérités assénées que je ne peux vérifier : « Vous êtes la réincarnation
de… », « Une mémoire karmique pèse sur votre vie. », « Vous êtes
dépendant affectif. », « Votre maladie va récidiver. », « Telle thérapie
n’aura aucun effet sur vous. », « Vous avez de la magie noire sur
vous. »… Ces démarches cultivent la peur et le stress. Je me fie à mes
ressentis et je dialogue à ce sujet avec d’autres personnes (mon
médecin, notamment) pour prendre de la distance.

S’AFFIRMER : Quel que soit le thérapeute, je suis attentif à mon état


d’esprit. Si l’anxiété domine après le rendez-vous qui est censé me
rassurer ou me prodiguer un soin, je dois me questionner. Si je suis en
désaccord avec ce qui m’est proposé, je l’exprime. Si je ne le fais pas,
je me prive de ce merveilleux outil : la confiance, l’alliée de ma
guérison.
AVOIR LES BONS RÉFLEXES

SE PROJETER : Je songe à mon futur et je note tout ce qu’il se


passera lorsque je serai totalement guéri : qui s’en rendra compte en
premier ? Que me dira-t-on ? Comment le fêterai-je ? Qu’est-ce que
j’arrêterai de faire ? Qu’est-ce que je pourrai enfin faire ? Je prends
conscience que, même dans les cas de maladies graves, il reste
toujours une chance que je m’en sorte complètement.

VIDER LE TROP-PLEIN : Je me confie à un ami, à un thérapeute, à


un journal intime. Je peux même pousser un grand cri en pleine nature
pour évacuer un trop-plein de colère ou d’angoisse. Une étude
universitaire 1 a montré que ceux qui livrent régulièrement leurs soucis
à leurs proches ont une meilleure santé et sont d’humeur plus joyeuse.

PRIVILÉGIER : Je favorise les activités et les rencontres positives


car je me souviens de l’influence majeure de mes pensées et de mes
émotions sur mon corps et mon système immunitaire.

SE RÉJOUIR : Tous les jours, ou chaque fois que nécessaire, je ris de


bon cœur ou je me force à sourire pendant 60 secondes pour faire
baisser le taux de cortisol, pour aider à évacuer cette hormone de
gestion du stress.
DONNER : Je pense intérêt collectif, je donne de mon temps, j’aide
une personne qui en a besoin car il a été démontré 2 que se tourner vers
les autres est un facteur favorisant l’estime de soi et un certain bien-
être. C’est également un merveilleux moyen de penser à autre chose
qu’à la maladie.
Remerciements

Je remercie sincèrement tous ceux, nombreux, qui ont rendu possible


l’écriture de ce livre et en particulier Stéphane Allix, mon mari, qui m’en a
suggéré l’idée. Jamais je n’ai ressenti un tel enthousiasme de la part de tous
ceux qui ont œuvré à mes côtés. Merci. Merci. Merci.

Natacha Calestrémé – A. L.
Notes

Préface du Professeur Patrice Queneau


1. Ivan Illich, Nemesis médical. L’expropriation de la santé, Paris, Le Seuil, 1975.

Première partie – Reprendre Confiance


1. Georges Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, [1966], Paris, PUF, 2013.
2. Gérard Ostermann, « Une psychologie de la douleur », ONKO+, vol. 13, no 112, Paris,
décembre 2021.
3. Gérard Ostermann, « Une psychologie de la douleur », ONKO+, vol. 13, no 112, Paris,
décembre 2021, p. 156-157.
4. Greg Irving, Ana Luisa Neves, Hajira Dambha-Miller et al., « International variations in
primary care physician consultation time: a systematic review of 67 countries », British
Medical Journal, juillet 2017.
5. Ministère de la Santé et des Solidarités, Direction de la recherche, des études et de
l’évaluation statistiques (Drees), « La durée des séances des médecins généralistes », Enquêtes
et résultats, no 481, avril 2006.
6. Pr René Amalberti, « La durée de consultation en médecine générale – de 48 secondes au
Bangladesh à 22 minutes en Suède : où est le juste milieu ? », site La Prévention médicale,
27 décembre 2017.
7. Étude réalisée par Doctolib auprès de 2 480 médecins généralistes en avril 2017. Voir
Sophie Martos, « 22 consultations par jour de 17 minutes en moyenne : comment travaillent
les généralistes », site Le Quotidien du médecin, 2 mai 2017.
8. Louis Mollier-Sabet « D’où vient le fameux numerus clausus qui limite le nombre de
médecins depuis cinquante ans ? », site Public Sénat, 6 janvier 2023.
9. Jacques Glowinski et Gérard Danou, « Communication et douleur », Synoviale, no 15,
Paris, novembre 1992, p. 3-4.
10. Michael Simpson, Robert Buckman, Moira Stewart, Peter Maguire, Mack Lipkin, Dennis
Novack et James Till, « Doctor-patient communication: the Toronto consensus statement »,
British Medical Journal, vol. 303, no 6814, Londres, novembre 1991, p. 1385-1387.
11. M. Kim Marvel, Ronald M. Epstein, Kristine Flowers et Howard B. Beckman, « Soliciting
the patient’s agenda: have we improved? », Journal of the American Medical Association,
vol. 281, no 3, février 1999.
12. Ibidem.
13. Patrice Queneau et Damien Mascret, Le malade n’est pas un numéro !, Paris, Odile Jacob,
2004, p. 77.
14. Christelle Vicat Pignorel, Automédication et effets indésirables : étude transversale
descriptive auprès de 666 personnes consultant dans le quart Nord-Ouest de l’île de la
Réunion entre septembre 2013 et mai 2014, mémoire, faculté de médecine de Bordeaux, 2014.
15. Thierry Janssen, La maladie a-t-elle un sens ? Enquête au-delà des croyances, Paris,
Fayard, 2008.
16. Antonio R. Damasio, L’Erreur de Descartes [1995], Paris, Odile Jacob, 2021. Antonio
Damasio est un médecin d’origine portugaise, professeur de neurologie, de neurosciences et de
psychologie.
17. Sigmund Freud et Joseph Breuer, Études sur l’hystérie [1895], traduit de l’allemand par
Anne Berman, Paris, PUF, 2002, p. 4.
18. Juan David Nasio, La Douleur physique, Paris, Payot, 2006, p. 89.
19. Natacha Calestrémé, Trouver ma place. 22 protocoles pour accéder au bonheur, Paris,
Albin Michel, 2021.
20. Thierry Janssen a publié La Posture juste (L’Iconoclaste, 2020) et a fondé l’École de la
posture juste à Bruxelles.
21. Bessel van der Kolk, Le corps n’oublie rien [2014], traduit de l’anglais par Aline Weil,
Paris, Albin Michel, 2020, p. 191-192.
22. Thierry Janssen, La Solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit
[2006], Paris, Fayard, Pocket, 2011.
23. Roger L. Albin, « Sham surgery controls: intracerebral grafting of fetal tissue for
Parkinson’s disease and proposed criteria for use of sham surgery controls », Journal of
Medical Ethics, vol. 28, no 5, 4 mars 2002.

Deuxième partie – Se donner toutes les chances


1. Voir le projet de recherche Stress, de la Hochschulmedizin de Zürich :
https://www.stressnetwork.ch/news/start-of-the-stress-project-in-zurich.
2. Christopher Peterson, Steven F. Maier et Martin Seligman, Learned Helplessness: A Theory
for the Age of Personal Control, New York, Oxford University Press, 1993.
3. Patrick Lemoine, Docteur, j’ai mal à mon sommeil, Paris, Odile Jacob, 2021 ; Soigner sa
tête sans médicaments… ou presque, Paris, Robert Laffont, 2014.
4. OMS, « La dépression : parlons-en », communiqué de presse, 30 mars 2017.
https://www.who.int/fr/news/item/30-03-2017--depression-let-s-talk-says-who-as-depression-
tops-list-of-causes-of-ill-health
5. Dix-sept études ont été publiées dans la revue Molecular Psychiatry, dont : Joanna
Moncrieff, Ruth E. Cooper, Tom Stockmann et al., « The serotonin theory of depression: a
systematic umbrella review of evidence », Molecular Psychiatry, vol. 27, no 7, juillet 2020.
6. Voir notamment : Adrian L. Lopresti et Peter D. Drummond, « Saffron (Crocus sativus) for
depression: a systematic review of clinical studies and examination of underlying
antidepressant mechanisms of action », Human Psychopharmacology, vol. 29, no 6, novembre
2014, p. 517-527.
7. Helen S. Mayberg, J. Arturo Sila, Steven K. Brannan, Janet L. Tekell, Roderick K.
Mahurin, Scott McGinnis et Paul A. Jerabek, « The functional neuroanatomy of the placebo
effect », The American Journal of Psychiatry, vol. 159, no 5, mai 2002.
8. Natacha Calestrémé, La Clé de votre énergie. 22 protocoles pour vous libérer
émotionnellement, Paris, Albin Michel, 2020.
9. Luc Nicon, Revivre sensoriellement, Montpellier, Éditions Émotion forte, 2013.
10. « Sur les chemins de la santé », INREES TV, 2017.
11. Éric Bertin, Marion Barrois, Farid Benzerouk, Antoine Pierre et Xavier de la Tribonnière,
« Intérêt d’une thérapie brève basée sur l’acceptation sensorielle des émotions pour
l’alimentation émotionnelle dans l’obésité », Cahiers de nutrition et de diététique, vol. 56,
no 2, avril 2021.
12. L’étude a été lancée par Patrick Favenec, de la direction santé prévoyance des assurances
MAAF, MMA et GMF, auprès du personnel soignant et des enseignants. Menée
principalement par le Dr Xavier de la Tribonnière (Hôpital La Colombière-CHU de
Montpellier), elle a porté sur les résultats obtenus par 456 personnes qui se sont formées à la
régulation émotionnelle Tipi®. À l’hôpital La Colombière-CHU de Montpellier, les autres
intervenants sont : Dr Marie-Christine Picot, responsable de l’unité de recherche clinique et
épidémiologie, Valérie Macioce, rédactrice scientifique de l’unité de recherche clinique et
épidémiologie, Dr Pascale Clément, psychiatre, Marie Pommier, psychologue et formatrice
Tipi® et Luc Nicon, président de l’Association Tipi®.
13. Isabelle Mansuy, Jean-Michel Gurret et Alix Lefief-Delcourt, Reprenez le contrôle de vos
gènes. Améliorez votre vie et celle de vos descendants avec l’épigénétique, Paris, Larousse,
2019.
14. Par exemple « Traumatismes en héritage », conférence issue du cycle « Traces de vie »
donnée à la Cité des sciences et de l’industrie, Paris, novembre-décembre 2014 (disponible sur
Youtube).
15. Rachel Yehuda, Stephanie Mulherin Engel, Sarah R. Brand, Jonathan Seckl, Sue M.
Marcus et Gertrud S. Berkowitz, « Transgenerational effects of posttraumatic stress disorder in
babies of mothers exposed to the World Trade Center attacks during pregnancy », The Journal
of Clinical Endocrinology and Metabolism, vol. 90, no 7, juillet 2005.
16. Govert E. Bijwaard, Gabriella Conti, Peter Ekamper, Lambert Lumey et Stavros Poupakis,
« Severe prenatal shocks and adolescent health: evidence from the Dutch hunger winter »,
Institute for fiscal studies, octobre 2021.
17. Sur les maladies mentales : Titik Juwariah, Fendy Suhariadi, Oedojo Soedirham et al.,
« Childhood adversities and mental health problems: a systematic review », Journal of Public
Health Research, vol. 11, no 3, juillet 2022 ; sur les désordres métaboliques : Mika Kivimäki,
Alessandro Bartolomucci et Ichiro Kawachi, « The multiple roles of life stress in metabolic
disorders », Nature Reviews Endocrinology, vol. 19, no 1, janvier 2023.
18. Ali Jawaid, Katherina-Lynn Jehle, Isabelle M. Mansuy, « Impact of parental exposure on
offspring health in humans », Trends in Genetics, vol. 37, no 4, avril 2021.
19. Shirui Dai, Yongshen Mo, Yumin Wang et al., « Chronic stress promotes cancer
development », Frontiers in Oncology, vol. 10, 19 août 2020.
Hong Hanqing, Ji Min et Lai Dongmei, « Chronic Stress Effects on Tumor: Pathway and
Mechanism », Frontiers in Oncology, vol. 11, 20 décembre 2021.
20. Govert E. Bijwaard, Gabriella Conti, Peter Ekamper, Lambert Lumey et Stavros Poupakis,
« Severe prenatal shocks and adolescent health: evidence from the Dutch hunger winter »,
Institute for fiscal studies, octobre 2021.
21. Sigmund Freud, Totem et Tabou [1913], traduit de l’allemand par Samuel Jankélévitch,
Paris, Payot, 2021.
22. Jacob Levy Moreno, Psychothérapie de groupe et psychodrame. Introduction clinique à la
sociométrie [1965], traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Ancelin Schützenberger, Paris,
PUF, 2007.
23. Ivan Böszörményi-Nagy et Geraldine M. Spark, Invisible Loyalties: Reciprocity in
Intergenerational Family Therapy, New York, Brunner Mazel, 1973.
24. In Anne Ancelin Schützenberger, Aïe, mes aïeux ! [1993], Paris, Desclée de Brouwer,
2015, p. 28.
25. Anne Ancelin Schützenberger, op. cit., p. 147.
26. Anne Ancelin Schützenberger, op. cit., p. 145.
27. Citée dans « Psychogénéalogie : portrait d’Anne-Ancelin Schützenberger », site du
magazine Inexploré, 23 avril 2018.
28. Anne Ancelin Schützenberger, Aïe, mes aïeux !, op. cit., p. 145.
29. Gérard Ostermann et Patrice Queneau, Soulager la douleur, Paris, Odile Jacob, 1998,
p. 40.
30. Gowri Anandarajah et Ellen Hight, « Spirituality and medical practice: using the HOPE
questions as a practical tool for spiritual assessment », American Family Physician, vol. 63,
no 1, janvier 2001, p. 81-88.
31. Rose-Anna Foley, « L’accompagnement spirituel : entre dispositif de prise en charge et
absence de discours », InfoKara, vol. 21, p. 109-113, mars 2006.
32. La prière de la sérénité des Alcooliques anonymes est la suivante : « Que Dieu m’accorde
la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer celles que
je peux changer, la sagesse de faire la différence. »
33. John A. Astin, Elaine F. Harkness et Edzard Ernst, « The efficacy of “distant healing”: a
systematic review of randomized trials », Annals of Internal Medicine, vol. 132, no 11,
juillet 2000 ; Kevin S. Masters et Glen I. Spielmans, « Prayer and health: review, meta-
analysis, and research agenda », Journal of Behavorial Medicine, vol. 30, no 5, octobre 2007.
34. Disponible en ligne : www.who.int/fr/publications-detail/9789241506096
35. Notamment : le CUMIC (Collège universitaire de médecines intégratives et
complémentaires), qui regroupe des universitaires, des responsables d’enseignements et des
chercheurs ; le GETCOP (Groupe d’évaluation des thérapies complémentaires personnalisées),
qui rassemble des universitaires, des chercheurs, des médecins, des pharmaciens, des
paramédicaux, des praticiens de thérapies complémentaires et des représentants des usagers ;
l’OMNC (Observatoire des médecines non conventionnelles), qui réunit des professionnels
soignants et des spécialistes des sciences sociales pour observer les pratiques non
conventionnelles plébiscitées par les patients, favoriser leur étude, leur évaluation, et leur
intégration dans les formations universitaires ; le C2DS (Comité pour le développement
durable en santé), qui fédère plus de cinq cents organisations, CHU, CH, cliniques et EHPAD,
autour d’une démarche de développement durable pour une meilleure santé.
36. Disponible sur la plateforme CEPS, plateforme universitaire collaborative d’évaluation
des programmes de prévention et de soins de support de l’université Paul-Valéry de
Montpellier : https://plateformeceps.www.univ-montp3.fr/fr/actualités/appel. La plateforme
CEPS travaille sur les méthodologies d’évaluation des indications non médicamenteuses.
37. 13 000 essais cliniques d’après protocoles randomisés ont expertisés par l’équipe du
Pr Bruno Falissard. Cette étude a conclu à un haut niveau de preuves pour les céphalées,
migraines, douleurs articulaires, nausées, vomissements (notamment ceux liés à la
chimiothérapie) et certaines allergies. L’acupuncture est désormais présente dans les nouvelles
recommandations 2021 de la Société française d’études des migraines et céphalées et offre un
complément intéressant à la médecine conventionnelle.
38. https://plateformeceps.www.univ-montp3.fr/fr/nos-services/classificationinm
39. Étude Odoxa citée dans le dossier « Médecines alternatives », Science & Vie, no 1168,
janvier 2015.
40. Étude Odoxa publiée dans Science & Vie, no 11868, janvier 2015.
41. Classée meilleur hôpital des États-Unis toutes spécialités confondues par le magazine U.S.
News & World Report en 2020-2021. Dietlind L. Wahner-Roedler, Mark C. Lee, Tony Y. Chon
et al., « Physicians’ attitudes toward complementary and alternative medicine and their
knowledge of specific therapies: 8-year follow-up at an academic medical center »,
Complementary Therapies in Clinical Practices, vol. 20, no 1, février 2014, p. 54-60.
42. Thierry Janssen, La Solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de
l’esprit, Paris, Fayard, 2006.
43. Fanny Napolier, « Stress, fatigue, surmenage : la santé des médecins à la loupe »,
Médecins. Le Bulletin de l’Ordre national des médecins, no 82, novembre-décembre 2022.
44. « La crise du système de santé en France et en Europe », émission L’esprit d’équipe, par le
journaliste Brice Couturier, invité de Patrick Cohen, France Culture, 1er janvier 2023.
45. « Des médecines alternatives et complémentaires » (MAC), site caducée.net,
27 septembre.
46. « Dérives thérapeutiques : la santé en danger », Médecins. Le Bulletin de l’Ordre national
des médecins, no 82, novembre-décembre 2022, p. 16-22.
47. Ibid.
48. Ibid.
49. Daniel Bontoux, Daniel Couturier et Charles-Joël Menkès, « Thérapies complémentaires
(acupuncture, hypnose, ostéopathie, tai-chi). Leur place parmi les ressources de
soins », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, vol. 197, no 3, mars 2013, p. 717-757.
50. Organisation mondiale de la santé, Stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle
pour 2014-2023, 2013.
51. In Bessel van der Kolk, Le corps n’oublie rien, op. cit., chapitre 14.
52. OMS, Stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023, op. cit.

Troisième partie – Notre propre rôle dans la guérison

1. Caryle Hirshberg et Marc Ian Barasch, Guérisons remarquables [1995], traduit de l’anglais
(États-Unis) par Claude Farny, Paris, Robert Laffont, 1996.
2. Henry K. Beecher, « The powerful placebo », Journal of the American Medical
Association, vol. 159, no 17, 24 décembre 1955, p. 1602-1606.
3. David J. Scott, Christian S. Stohler, Christine M. Egnatuk et al., « Individual differences in
reward responding explain placebo-induced expectations and effects », Neuron, vol. 55, no 2,
juillet 2007.
4. Viktor Frankl, Nos raisons de vivre [1988], traduit de l’anglais par Georges-Elia Sarfati,
Paris, InterÉditions, 2009.
5. Id., Le Thérapeute et le Soin de l’âme [1955], traduit de l’anglais par Georges-Elia Sarfati,
Paris, InterÉditions, 2019.
6. Patrice Queneau et Damien Mascret, Le malade n’est pas un numéro !, Paris, Odile Jacob,
2004.
7. Isabelle Mansuy, Jean-Michel Gurret et Alix Lefief-Delcourt, Reprenez le contrôle de vos
gènes. Améliorez votre vie et celle de vos descendants avec l’épigénétique, Paris, Larousse,
2019.
8. Perla Kaliman, María Jesus Alvarez-López, Marta Cosin-Tomas et al., « Rapid changes in
histone deacetylases and inflammatory gene expression in expert meditators »,
Psychoneuroendocrinology, vol. 40, février 2014.
9. Dawson Church, Garrett Yount, Kenneth Rachlin et al., « Epigenetic effects of PTSD
remediation in veterans using clinical emotional freedom techniques: a randomized controlled
pilot study », American Journal of Health Promotion, vol. 32, no 1, janvier 2018.
10. Isabelle Mansuy, op. cit.
11. Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), « Les valeurs nutritionnelles de
référence », août 2022 : – https://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/dietary-reference-values
12. Ibidem.
13. Rédigé par John Helliwell, professeur à l’University of British Columbia et rédacteur en
chef du World Happiness Report [Rapport mondial sur le bonheur].
14. Michel Le Van Quyen, Les Pouvoirs de l’esprit, Paris, Flammarion, 2015.
15. Ibid.
16. Stanislas Deve, « Se forcer à sourire nous rendrait plus heureux », site pourquoidocteur.fr,
22 octobre 2022.
17. Techniques psycho-comportementales comme l’EFT (Emotional Freedom Techniques),
l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing, c’est-à-dire désensibilisation et
retraitement par les mouvements oculaires) ou encore la méthode Tipi® (acronyme de
Technique d’identification des peurs inconscientes).

Mon carnet pour me donner toutes les chances

1. James W. Pennebaker, Opening up. The Healing Power of Confiding in Others, New York,
William Morrow and Company, 1990.
2. Par John Helliwell, professeur à l’University of British Columbia et rédacteur en chef du
World Happiness Report [Rapport mondial sur le bonheur].
DE LA MÊME AUTEURE

Aux éditions Albin Michel


Mon cahier d’énergie.
Rituels inédits et jeux pour prendre soin de moi, 2022.
Trouver ma place.
22 protocoles pour accéder au bonheur, 2021.
La Clé de votre énergie.
22 protocoles pour vous libérer émotionnellement, 2020.

Romans

Les Blessures du silence, 2018.


Les Racines du sang, 2016.
Le Voile des apparences, 2015.
Le Testament des abeilles, 2011.

Ces quatre ouvrages sont aussi disponibles au Livre de Poche dans la


collection « Les Polars guérisseurs de Natacha Calestrémé », 2022.

Aux éditions Robert Laffont


Les Héros de la nature, 2005.
Carnets afghans, coécrit avec Stéphane Allix, 2002.
TABLE DES MATIÈRES
Titre

Copyright

Le mot des éditeurs

Préface du Professeur Patrice Queneau

Médecines plurielles

Les experts

Première partie. Reprendre confiance

Chapitre 1. Sommes-nous en bonne santé ?

Qu’est-ce qu’une maladie ?

Exprimer notre douleur est complexe

Chapitre 2. Faire face à la douleur

L’intérêt d’apaiser la douleur

Les différences entre douleur aiguë et douleur chronique


Distinguer douleur et souffrance

Chapitre 3. Qu’attendons-nous de notre médecin ?

Transfert et contre-transfert

La rencontre entre le patient et son médecin

Notre premier besoin

La valeur ajoutée du médecin et les limites de l’automédication


Chapitre 4. La maladie a-t-elle toujours une cause ?
Chercher les causes, oui, mais jusqu’où ?

Les dangers d’une surinterprétation

Chapitre 5. Faut-il uniquement se fier aux symptômes ?

La souffrance sans symptôme : une maladie imaginaire ?

Le risque de ne s’intéresser qu’aux symptômes


Comment la médecine considère nos problèmes de santé

Chapitre 6. Une médecine ultra-spécialisée

Peut-on soigner le corps sans tenir compte des états d’âme ?

Chapitre 7. Les différences entre soin et traitement

Comment prendre soin ?

S’adapter à chaque patient

Chapitre 8. Pour une alliance thérapeutique


Le « délégué narcissique »

Nous considérer autrement

Mettre une distance avec la maladie

S’intéresser avant tout à notre partie saine

Un diagnostic qui peut fluctuer selon l’humeur du médecin

Les mots du médecin : une prescription médicale

Deuxième partie. Se donner toutes les chances


Chapitre 9. L’impact des émotions
La vérité sur les antidépresseurs

La solution par le corps

Réguler une émotion douloureuse au moment où on la ressent

Chapitre 10. Un miracle au cœur de nos cellules


Qu’est-ce que l’épigénétique ?

De la découverte de l’ADN aux mécanismes épigénétiques


Les recherches d’une pionnière

La mission de l’épigénétique
La transmission des effets de nos épreuves sur notre descendance
Notre vécu impacte le corps
Un bond en avant grâce aux dernières études

Les perspectives pour l’être humain


Chapitre 11. Répète-t-on sans le savoir les schémas familiaux ?

L’évolution de la psychogénéalogie depuis un siècle : se souvenir pour oublier !


L’histoire du patient au cœur de sa santé

L’hérédité émotionnelle et ses « répliques » dans notre vie

Découvrir les répétitions et agir sur le plan thérapeutique


Le risque de conclusions hâtives

Se méfier des pièges de nos représentations mentales


Chapitre 12. Intégrer la dimension spirituelle au soin ?

La santé spirituelle : un plus dans la thérapie

Les différentes dimensions de la santé

Chapitre 13. Réconcilier les médecines


Vouloir tout expliquer par la science
Les limites de la médecine conventionnelle

Les « autres » médecines

L’intérêt des médecines non conventionnelles

Recommander des thérapies non validées par la science ?


L’utilisation des pratiques complémentaires par les professionnels de santé

L’intérêt de la médecine conventionnelle pour les pratiques complémentaires


Chapitre 14. Les approches complémentaires et alternatives

Face aux risques de dérives, comment agir ?

La limite à ne pas franchir entre santé et bien-être


Le classement des médecines traditionnelles et complémentaires

Troisième partie. Notre propre rôle dans la guérison

Chapitre 15. Autoguérison et pouvoir du mental


L’incroyable histoire de l’effet placebo

Effet placebo, pouvoir du mental et autoguérison


S’impliquer, choisir son traitement et l’accepter

Le paradoxe de l’évaluation scientifique


Chapitre 16. Nos attracteurs de bien-être

Trouver du sens

Donner du sens à l’épreuve : un facteur clé de la guérison


L’intérêt de se projeter dans le futur

L’imagination est-elle salutaire ?

Chapitre 17. L’importance de ce qui « environne » notre vie

Les aliments favorables

Agir pour notre propre bien


L’intérêt d’un nouveau regard sur notre rapport à la maladie

La fonction initiatique de la maladie pour « renaître » à soi-même


Être généreux envers les autres pour être plus heureux

Pratique quotidienne pour réduire le stress

Chapitre 18. La médecine de demain


Relation soignant/soigné : pour une autonomie relationnelle

La prévention et le bon sens


Imaginer la guérison

Conclusion

Mon carnet pour me donner toutes les chances

Remerciements

Notes
*1. Eye Movement Desensitization and Reprocessing, c’est-à-dire désensibilisation et
retraitement par les mouvements oculaires.
*1. Organisation mondiale de la santé.
*2. Antidouleurs tels que l’aspirine, le paracétamol et autres…
*1. Miction : le fait d’uriner.
*2. Fibromyalgie : maladie caractérisée par des douleurs diffuses dans tout le corps (« J’ai mal
partout. »), associées à une grande fatigue.
*1. Voir l’encadré « Transfert et contre-transfert ».
*1. Voir l’encadré « L’incroyable histoire de l’effet placebo ».
*2. Voir l’encadré « L’incroyable histoire de l’effet placebo ».
*3. Voir l’encadré « Transfert et contre-transfert ».
*1. Tipi est l’acronyme de Technique d’identification des peurs inconscientes.
*1. Le génome humain est composé d’environ 20 000 gènes (dont le code est lu pour
synthétiser des protéines) qui représentent seulement 1 à 2 % de l’ADN, et de « longues
séquences entre les gènes » qui représentent les 98-99 % restants de l’ADN, et dont on parle si
peu, et qui permettent de réguler le génome.
*2. L’épigénome est un complément du génome qui peut être modifié ou qui peut « muter » à
cause de facteurs environnementaux.
*1. Oncologues : médecins spécialistes des tumeurs et des cancers.
*2. Croyance d’attente : voir chapitre 8.
*1. Pr Daniel Bontoux : doyen de la Faculté de médecine et de pharmacie de Poitiers et
membre de l’Académie nationale de médecine.
*1. « Histoire démoralisée » signifie ici une histoire qui paraît ne pas avoir de sens.
*1. Méthylation de l’ADN : voir encadré .
*1. Burn-out (de l’anglais) : surmenage, syndrome d’épuisement professionnel.

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