Theorie Generale
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2024 15:18
L'Actualité économique
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INFLATION, CHÔMAGE ET LA
PLANIFICATION DES RÉCESSIONS:
LA «THÉORIE GÉNÉRALE» DE KEYNES
ET APRÈS*
Marc L A V O I E
Département de Science économique
Université d'Ottawa
L'objectif de cet article est de sortir de l'ombre la théorie des prix et de l'inflation
qui se trouve contenue dans la Théorie générale de Keynes. Il est montré que Keynes
faisait une distinction entre les forces inflationnistes institutionnelles et l'inflation
par la demande. Même si Keynes a surtout consacré ses efforts à la résorption du
second type d'inflation, ce sont les forces inflationnistes institutionnelles qui le
préocuppaient vraiment. Keynes était tout à fait conscient de l'instabilité à la
hausse des prix, dans un cadre institutionnel où le plein emploi est une politique
gouvernementale assurée. En partie parce qu'il croyait que les hausses de prix
n'étaient habituellement pas la conséquence d'une forme de rareté, Keynes reje-
tait les récessions planifiées comme moyen de combattre l'inflation. Il se serait
donc opposé aux politiques économiques prônées par les gouvernements actuels.
Mais il n'a pas vraiment proposé de solution alternative.
* Je veux remercier tout particulièrement le professeur Frédéric Poulon pour ses très
nombreuses remarques et critiques formulées dans le cadre de son séminaire Decta III de
l'Université de Bordeaux-1. J'ai aussi bénéficié des commentaires des professeurs Jean
Denizet (Université de Paris-2), Jan Kregel (Université de Gôppingen), Jean-Guy Loranger
(Université de Montréal), John McCallum (Université du Québec à Montréal) et Mario
Seccareccia (Université d'Ottawa), ainsi que des remarques des lecteurs anonymes de la
revue.
172 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
1. INTRODUCTION
Malgré l'expérience contemporaine de la « stagflation », l'association
des deux termes, inflation et chômage, a longtemps rendu mal à l'aise
beaucoup d'économistes. Prétendre présenter une analyse de l'inflation
de sous-emploi qui soit fondée sur la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt
et de la monnaie de John Maynard Keynes apparaît encore plus contradic-
toire. Les économistes keynésiens ont en effet longuement évacué cette
éventualité de leur système d'analyse. Pendant vingt ans les keynésiens
cambridgiens ont négligé l'analyse de l'inflation, tandis que les keynésiens
néo-classiques ne concevaient qu'une économie avec chômage mais sans
inflation, ou une économie de plein emploi sujette à l'inflation. Vers la fin
des années cinquante, il s'est déclenché un vaste programme de réflexion
sur les liens entre emploi et inflation, mouvement auquel ont participé à la
fois les keynésiens cambridgiens et néo-classiques. Par la suite, les écono-
mistes monétaristes ont relancé la discussion. Malgré cela, l'analyse des
prix contenue dans la Théorie générale est restée passablement ignorée de
la majorité des économistes.
Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, le chapitre 21, « la théorie
des prix», où Keynes traite du problème des prix et de l'inflation, est un
chapitre court, qui termine en quelque sorte la Théorie générale. Sa place,
après le récapitulatif des idées majeures de la Théorie générale, et juste
avant diverses notes succinctes plus ou moins philosophiques, en a fait un
chapitre de peu d'importance et donc souvent omis par ses lecteurs.
Deuxièmement, il est clair que toute analyse économique dont l'ambition
est d'offrir des recommandations de politique économique est nécesssai-
rement influencée par le contexte et l'environnement économiques de
l'époque à laquelle elle a été formulée. Keynes, s'il a connu les grandes
périodes d'hyperinflation en Allemagne et en Autriche, n'a pas vécu une
importante période de stagflation. Son message se rapporte à une époque
où certains des mécanismes de régulation différaient de ceux d'aujour-
d'hui, ou à tout le moins à une époque où les mécanismes actuels de
régulation avaient une importance moindre 1 . Troisièmement, bien que
l'inflation préoccupe Keynes, celui-ci n'apporte qu'une certaine gamme
de solutions pour l'empêcher d'apparaître, et il ne présente guère de
moyens pour contenir la hausse des prix une fois le processus inflation-
niste déclenché. En fait, les politiques prônées par Keynes dans ce do-
maine se rapportent principalement à une économie de guerre opérant
au niveau du plein emploi 2 . Elles ne peuvent donc avoir qu'un intérêt
indirect pour la situation économique contemporaine.
1. Dans les premiers plans de la Théorie générale, datant de 1932, Keynes projette de
consacrer quatre chapitres aux prix [JMK xxix, p. 49]. Ceci nous amène à notre troisième
explication de l'oubli de la Théorie générale par les spécialistes de l'inflation : peut-être Keynes
s'est-il lui-même rendu compte qu'il n'avait pas beaucoup à en dire.
2. Ces recommandations de politique sont discutées en particulier dans les volumes ix,
xxi, xxiv, xxvi et xxvii des oeuvres complètes de Keynes (que nous identifierons désormais
par JMK ix, JMK xxi, JMK xxiv, etc.).
INFLATION, CHÔMAGE... 173
3. C'est en particulier l'opinion de Nicholas Kaldor [1983]. Selon celui-ci, les failles de
l'analyse de Keynes sont dues aux difficultés qu'il a rencontrées pour se désengager de l'étau
de la théorie traditionnelle de son époque. Keynes lui-même l'a aussitôt reconnu puisqu'il
écrivait dans sa préface cette phrase fameuse : « La difficulté n'est pas de comprendre les
idées nouvelles, elle est d'échapper aux idées anciennes» [JMK vii, p. viii; v.f., p. H ] . Or
nous savons que Keynes avait initialement été un féroce défenseur de l'orthodoxie quantita-
tive [Kahn 1978, pp. 546-7].
INFLATION, CHÔMAGE... 175
4. Keynes identifie une quatrième circonstance, celle conduisant à une hausse secto-
rielle des prix. Keynes s'y réfère à deux reprises, en particulier lorsqu'il cherche à aller
au-delà du multiplicateur de revenu d'équilibre. Keynes considère le cas où : [L'augmenta-
tion] de l'emploi dans les industries produisant les biens de capital est si complètement
imprévue qu'il n'y a tout d'abord aucun accroissement dans la production des biens de
consommation. Dans ce cas, les efforts des individus nouvellement employés dans les
industries produisant les biens de capital pour consommer une certaine proportion de leurs
revenus supplémentaires feront monter les prix des biens de consommation...» [JMK vii,
p. 123; v.f., p. 139].
On reconnaît là les idées du Treatise on Money [JMK v], en particulier les équations dites
fondamentales, où le niveau des prix des biens de consommation est une fonction de l'écart
entre investissement et épargne. Si l'investissement s'est accru de façon indépendante,
c'est-à-dire si la production des biens de consommation est momentanément fixe et si ceux
qui touchent des revenus issus du secteur des biens en capital ne les épargnent pas, les prix
du secteur consommation seront plus élevés. Keynes décrit là une hausse de prix due à un
déséquilibre structurel, ou à un manque d'information ou de prévision. Pour Keynes
cependant, un tel déséquilibre ne peut être que temporaire, et il ne peut être responsable
d'une hausse continue des prix [JMK vii, p. 289]. Sitôt l'excès de demande résorbé par
l'ajustement à la hausse de la production des biens de consommation, ces biens ne bénéficie-
ront plus d'une prime de rareté.
5. Cette idée avait été introduite et défendue avec succès par Richard Kahn [1931]. Ce
n'est qu'après la Théorie générale que Keynes se référera à Kahn [JMK vii, p. 400 n. I].
6. Keynes n'a donc rien retenu des contributions alors récentes de Sraffa [1926]. La
raison en est sans doute que Keynes n'avait reçu qu'une formation très rudimentaire en
microéconomie et qu'il ne s'y était jamais trop intéressé par la suite. Selon Joan Robinson,
Keynes n'a jamais consacré plus que quelques minutes aux fondements de la théorie de la
valeur. Ceci explique aussi que Keynes préfère s'en remettre au modèle marshallien tradi-
tionnel de l'entreprise.
176 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
7. C'est d'ailleurs ce que postule aussi Malinvaud [1980, p. 96] pour éviter les défi-
ciences de l'analyse en termes de fonction de production.
INFLATION, CHÔMAGE... 177
2(b) La semi-inflation
La semi-inflation est pour Keynes la seconde phase du processus
historique de hausse des prix. Lors de la première phase les prix augmen-
tent à cause des «rendements décroissants ». Dans la seconde, les taux de
rémunération des facteurs de production, en particulier les salaires,
augmentent aussi. Pourvu que les entrepreneurs fixent les prix selon les
coûts marginaux, la hausse du taux de salaire entraîne nécessairement
une hausse subséquente des prix. C'est ce que Keynes appelle la semi-
inflation. Pour Keynes, ces hausses de salaire et de prix ne constituent pas
une véritable inflation, car elles s'accompagnent d'un accroissement de la
production. La véritable inflation, comme nous le préciserons plus loin,
est une hausse de la demande qui ne povoque qu'une hausse des prix
[JMK xxi, pp. 404-5].
Dans la Théorie générale, et immédiatement après, la semi-inflation est
surtout présentée comme étant la résultante de l'enchaînement dû à une
activité accrue, à des coûts marginaux croissants et aux augmentations de
prix subséquentes à ces derniers. La semi-inflation de Keynes comporte
donc des éléments de spirale prix/salaires. Ceci est particulièrement clair
dans deux lettres de Keynes datées du printemps 1936:
" .. .According to my theory, the rise of priées during a boom is due partly to the rise in the
wage unit and partly to.. .decreasing returns and the employment ofless efficient factors "
JMK, xxix, p. 223].
" I hâve picked out thèse two factors, namely the tendency of wages to rise and the
non-homogeneity of resources, as my sole explanation of rising priées during a boom
prior to true inflation " JMK xxix, p. 228].
c o n s i d è r e c o m m e u n p r o b l è m e i d e n t i q u e à celui d u d i l e m m e d u prison-
nier:
« Bien que la compétition des individus ou des groupes d'individus autour des
salaires nominaux soit souvent censée déterminer le niveau général des sa-
laires réels, en fait cette compétition a un autre objet... Tout individu ou
groupe d'individus qui consent à une réduction de ses salaires nominaux par
rapport à ceux des autres individus ou groupe d'individus subit une réduction
relative de salaire réel, qui suffit à justifier sa résistance...
En d'autres termes, la compétition autour des salaires nominaux influe sur-
tout sur la répartition du salaire réel global entre les groupes de travailleurs et
non sur son montant moyen par unité de travail, lequel dépend... d'une autre
série de facteurs. La coalition entre les travailleurs d'un certain groupe a pour
effet de protéger leur salaire réel relatif. Quant au niveau général des salaires
réels, il dépend des autres forces du système économique» [JMK vii, pp. 13-
14; v.f., pp. 39-40].
« Le fait que l'unité de salaire puisse accuser une tendance à la hausse avant
que le plein emploi soit atteint n'appelle pas beaucoup de commentaires ou
d'explications. Puisque chaque groupe de travailleurs tire avantage, toutes
choses restant égales, d'une hausse de ses propres salaires, il s'exerce naturel-
lement, de la part de la main-d'oeuvre dans son ensemble, une pression dans le
sens de la hausse, à laquelle les entrepreneurs cèdent plus volontiers lorsqu'ils
font de meilleures affaires» [JMK vii, p. 301 ; v.f. p. 301].
" If the trade union leaders now in authority were to agrée to divest themselves of the
power to demand higher wages, an agitation would arise to replace them by others not
thus restricted » [JMK xxii, p. 228].
10. Keynes a d'ailleurs tendance à inclure dans le mot salaires l'ensemble des rémuné-
rations versées aux ménages (cf. JMK xx, p. 45). NeIl [1978] a donné une excellente analyse
graphique des implications de la citation qui suit.
INFLATION, CHÔMAGE... 181
3. LA P O L I T I Q U E É C O N O M I Q U E A N T I - I N F L A T I O N N I S T E DE KEYNES
11. C'est le début des débats entre partisans du cost-push et partisans du demand-pull (cf.
JMK vii, p. 289).
182 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
12. Ces lettres au Times sont le sujet d'un virulent débat entre T.W. Hutchinson [1977]
et R. Kahn, le premier y voyant là l'ébauche d'une politique «anti-keynésienne», défavo-
rable au plein emploi. Les contre-arguments de Kahn sont repris et développés dans un
article [Kahn 1978, pp. 553-7].
INFLATION, CHÔMAGE... 183
De même que les hausses de prix passent par des phases différentes,
les inquiétudes de Keynes vis-à-vis l'existence d'un engrenage inflation-
niste se concentrent sur des aspects différents du problème. Comme nous
l'avons signalé dans la section 2(c), Keynes s'est rapidement persuadé que
la régulation de la demande effective pouvait se faire avec beaucoup de
succès, à la hausse ou à la baisse, si le gouvernement n'hésitait pas à
planifier l'investissement public (JMK xxi, p. 394], à utiliser et à modifier
le système d'imposition [JMK xxii, p. 227], et à contrôler l'investissement
13. Alain Parguez [1981] analyse les différents points de désaccord entre Hayek et
Keynes et il en montre l'enjeu pour la théorie et la politique macroéconomiques contempo-
raines.
184 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
" S orne people over hère are accustomed to argue that thefear of unemployment and the
récurrent expérience of it are the only means by which, in past practice, Trade Unions
hâve been preventedfrom overdoing their wage-raising pressure. I hope this is not true...
My own preliminary view is that more reasonable, less punitive measures must befound »
JMK xxvif p. 36, 37-8].
Là-dessus, les opinions de Keynes n'ont pas changé au cours des vingt
dernières années de sa vie. Dès 1925, dans The Economie Conséquences of
Mr. Churchill QMK ix, chap. 5], Keynes s'était opposé à une politique
déflationniste poursuivie par la Banque d'Angleterre, dont l'objectif était
de diminuer les prix et les salaires monétaires afin d'ajuster ceux-ci à la
valeur externe de la livre. La Banque d'Angleterre espérait y arriver en
restreignant la masse monétaire et le crédit, et en fixant des taux d'intérêt
élevés. Keynes s'y oppose car de telles politiques ne conduisent pas à la
baisse «automatique» des prix et des salaires. Bien au contraire, ces
politiques de restrictions monétaires ont, selon lui, pour objectif délibéré
l'accroissement du chômage.
" The object of crédit restriction... is to withdraw from employers thefinancial means to
employ labour at the existing level ofpriées and wages. Thepolicy can only attain its end
by intensifying unemployment without limit, untïl the workers are ready to accept the
necessary réduction ofmoney wages under the pressure ofhardfacts. This is the so-called
'sound' policy... from which any humane or judicious person must shrink" JMK ix,
p. 218].
" I expert that both ofour countries incline to under-estimate the difficulté of stabilising
incomes... One is also, simply because one knows no solution, inclined to turn a blind eye
to the wages problem in a full employaient economy" [JMK xxvii, p. 385].
17. Cette fascination s'exerce principalement sur les jeunes et brillants finissants de
doctorat, comme le révèlent plusieurs des entrevues réalisées par Klamer [1984] auprès des
plus connus des keynésiens et des nouveaux classiques.
18. Il existe une autre réponse à cette question. Les prétentions des keynésiens des
années soixante-dix étaient trop grandes. Ils affirmaient pouvoir tout stabiliser avec les
politiques macroéconomiques habituelles. La citation qui suit n'est qu'un exemple.
« Il faut faire preuve d'une singulière suffisance historique, ou simplement d'incompé-
tence professionnelle, pour affirmer sans nuances que la stagflation récente est un
problème nouveau en Occident et que les outils traditionnels de la science économique
sont impuissants à la comprendre. Le remède à la stagflation...: il s'agit simplement
d'orienter la politique monétaire vers la stabilisation des prix intérieurs ou du taux de
change, et la politique fiscale vers la réalisation du plein emploi» [Fortin 1978, p. 56].
INFLATION, CHÔMAGE... 191
est très claire. Face aux défis des monétaristes, les économistes ortho-
doxes n'ont pas porté la bataille sur le bon terrain. Ces derniers ont
complètement omis les arguments fondés sur les causalités strictement
macroéconomiques, en particulier la relation investissement/épargne et
la relation revenu/monnaie. Au contraire, les keynésiens néo-classiques
ont tenté d'expliquer simultanément l'emploi et l'inflation par des consi-
dérations d'ordre microéconomique 19 .
19. Selon Eatwell et Milgate [1983, ch. 1], les économistes devraient procéder comme
le propose Keynes: «La division correcte, à notre avis, range d'un côté la théorie de
l'Entreprise ou de l'Industrie individuelle ainsi que des rémunérations et de la répartition
entre les différents usages d'une quantité donnée de ressources et de l'autre la Théorie de la
Production et de l'Emploi dans leur ensemble» (JMK vii, p. 293; v.f., p. 294]. Eatwell et
Milgate affirment que l'utilisation de la théorie de l'emploi néo-classique est illicite puis-
qu'elle est inséparable de sa théorie de la valeur. Or la controverse du capital a montré que la
version macroéconomique de la théorie des prix néo-classique n'était valable que dans un cas
très particulier.
192 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
Les principaux éléments identifiés par Keynes dans son analyse des
salaires et des prix se retrouvent chez les auteurs post-keynésiens. Comme
Keynes, les auteurs post-keynésiens (par exemple Weintraub [1961, ch.
3], mais aussi des keynésiens «éclectiques» comme Dornbusch étal. [1983,
ch. 11] aiment simplifier en supposant que les hausses de prix sont
proportionnelles aux hausses de salaire, même si ce n'est pas nécessaire-
ment vrai à court terme. Cette insistance sur la relation directe salaires/
prix a d'ailleurs conduit les post-keynésiens à identifier les salaires
comme la variable cruciale dans le processus inflationniste, comme l'avait
fait Keynes pour le terme long. Plus précisément, la généralisation des
luttes pour le partage du revenu national à la répartition du revenu entre
salariés a amené certains post-keynésiens à parler de spirale salaire/
salaire [Wood 1978, p. 20]. Celle-ci serait l'équivalent de la semi-inflation
de Keynes. Elle serait due au manque de consensus social quant à la
s t r u c t u r e s a l a r i a l e équitable (Hicks [1974, p . 7 1 ] , G o l d t h o r p e
[1978]), l'équité étant mesurée par le salaire relatif d'un groupe social (ou
d'un groupement syndical) par rapport à son statut hiérarchique et par le
taux d'accroissement du pouvoir d'achat dans le passé. La prétendue
illusion monétaire des travailleurs est causée par la comparaison inces-
sante des revenus relatifs et par le « rattrapage » interminable qui s'ensuit.
Les prix étant déterminés par les coûts, en particulier les coûts en salaires,
la spirale salaire/salaire entraîne une hausse continue des prix. La spirale
inflationniste est d'autant plus étourdissante que les divers secteurs de
l'économie connaissent des taux de progrès technique différents. Comme
Keynes l'affirmait lorsqu'il se départissait des postulats (néo)classiques,
les travailleurs ne sont pas tous rémunérés en fonction de leur producti-
vité mais en fonction de leurs unités d'efforts (heures de travail)20. Ceci
découle du principe d'équité: tous y compris les employés du secteur
public, veulent bénéficier de la hausse de pouvoir d'achat engendré par le
progrès technique, même si leur secteur n'y a aucunement contribué
(Hicks [1974, p. 71], Scitovsky [1978, p. 226]). C'est la fameuse inflation
de productivité.
20. C'est là l'une des implications des modèles à la Sraffa, tel celui de Pasinetti [1981].
21. Sur celles-ci, voir les excellentes études critiques de J. Addison et J. Burton [1977 ;
1984].
INFLATION, CHÔMAGE... 193
5. CONCLUSION
22. À partir du moment où l'on postule que les entreprises ont le pouvoir de fixer les
prix, on ne voit pas ce qui les empêcherait d'aller au-delà des revendications salariales en
augmentant les prix plus rapidement que les rémunérations consenties, surtout si le gouver-
nement s'est engagé à garantir le plein emploi, par l'expansion de ses dépenses publiques si
nécessaire. Même si les entreprises fixent leurs prix selon leurs coûts de production (en y
incorporant toujours le même taux de profit sur le capital), ces prix peuvent varier grande-
ment en raison de l'existence des provisions financières pour amortissement. La valeur de
celles-ci «est en partie conventionnelle et psychologique» |JMK vii, p. 58; v.f., p. 78]. En
augmentant ce que Keynes appelle le coût d'usage (ou parfois le coût supplémentaire), les
entreprises espèrent récupérer les pertes subies suite à des méventes ou suite à une désué-
tude imprévue de leur équipement. Ce faisant, les entreprises diminuent le salaire réel des
travailleurs en augmentant leur marge de profit brut. La hausse de l'indice des prix et la
baisse du pouvoir d'achat des ménages entraînent la baisse de la demande effective et la
stagnation de l'économie en même temps qu'elles justifient des revendications salariales
inflationnistes [Poulon 1982, pp. 441-3]. On a bien là une inflation de sous-emploi.
23. « Pour atteindre le plein emploi, une politique salariale est toute aussi importante
qu'une politique d'investissement ; ni l'une ni l'autre ne peut réussir seule ou être laissée au
marché» [Kregel 1979a, p. 237]. On peut en lire la démonstration dans l'article de Mario
Seccareccia [1984].
INFLATION, CHÔMAGE... 195
BIBLIOGRAPHIE
24. Sur les coûts sociaux du chômage, voir le livre de Diane Bellemare et Lise Poulin
[1983, ch. 4].
25. Si les économistes post-keynésiens hésitent sur la politique à adopter, il est clair
que certains keynésiens néo-classiques ne savent plus à quelle théorie se vouer. Un récent
article de Richard Lipsey [ 1984] en est un exemple révélateur. Lipsey espère que l'inflation est
due à des imperfections du marché, mais il semble croire que l'expérience va démontrer que
les thèses post-keynésiennes sont fondées. Partisan du libre marché, le keynésien Lipsey en
est réduit à recommander des récessions planifiées.
196 L'ACTUALITÉ É C O N O M I Q U E