Guérin 1997

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ARTICLE

Repenser les rôles des professionnels


en ressources humaines

Gilles Guérin et Thierry Wils

Depuis la révolution industrielle, la façon par Galambaud 1) mais il est rassurant rendement moyen peut être garanti grâce
de gérer les employés s’est modifiée sous d’avoir un bon salaire, une sécurité à toute une armée de cadres, de contre-
l’emprise du taylorisme avec l’apparition d’emploi blindée et des avantages maîtres et de spécialistes qui planifient et
de nouvelles techniques de gestion accordés selon l’ancienneté. Quant aux contrôlent la production. Les organi-
(sélection, rémunération, etc.) tout en employeurs, plusieurs n’aiment pas trop sations du XXI e siècle peuvent-elles se
s’adaptant aux nouvelles données de les syndicats et les rigidités qui limitent permettre un tel gaspillage de talents?
l’environnement (apparition des syn- leur sphère d’influence, mais il est rassu- Bien sûr que non parce que l’envi-
dicats, arrivée de lois du travail, etc.). rant pour eux d’avoir des interlocuteurs ronnement d’aujourd’hui est différent.
Avec le temps, ces différentes forces ont bien identifiés, de savoir que ces derniers Depuis quelques années, l’environne-
contribué à forger un modèle de gestion ont du pouvoir sur les employés et qu’ils ment se déstabilise, le travail s’intellec-
«traditionnel» qui, dans l’ensemble, a jouent selon les mêmes règles. Bref, il est tualise, les risques se multiplient et les
relativement bien fonctionné. Certes, rassurant d’opérer à l’intérieur d’un ressources se raréfient. La question est
plusieurs employés n’aiment pas se faire système stable et prévisible où la loyauté donc de savoir si le modèle traditionnel
traiter comme des enfants (par le biais de des employés se mesure en fonction de est capable de se réformer en ayant, en
relations hiérarchiques «infantilisantes» leur obéissance et de leur respect de ligne de mire, l’objectif d’inciter les
pour reprendre une expression utilisée l’autorité. Finalement, tout le monde y employés à mettre toutes leurs énergies
trouve son compte! et tout leur potentiel au service de l’orga-
LES AUTEURS En filigrane du modèle traditionnel se nisation pour réussir à survivre dans cet
dégage une constante, à savoir le recours environnement plus hostile.
à l’autorité pour contrôler les employés.
La quête de contrôle est tellement un
trait dominant du modèle traditionnel L’essoufflement du modèle
que plusieurs auteurs n’hésitent pas à traditionnel
parler de modèle axé sur le contrôle 2.
Gilles Guérin est pro- Ainsi, pour se mettre en symbiose avec ce Le modèle traditionnel a commencé à
fesseur à l’École des mode de gestion traditionnel, les montrer des signes de dysfonctionne-
relations industrielles employés ont appris à être passifs... dans ment quand l’environnement a changé.
de l’Université de l’attente des ordres : ils se limitent à faire Sont alors apparues des difficultés
Montréal.
ce qu’on leur demande. Une expression d’adaptation tant pour les employés que
imagée décrit bien cette situation : les pour les employeurs. Par exemple, des
employés se sont mis en mode de «pilo- employés plus qualifiés supportent de
tage automatique», ce qui leur permet de moins en moins d’être traités comme des
se désengager émotivement et de limiter enfants et sont suffisamment instruits
leurs énergies à faire le minimum exigé, pour porter un jugement sur les actes
Thierry Wils est
sans plus. Tant que l’environnement est posés par la haute direction et les ges-
professeur au dépar- stable, que la concurrence n’est pas trop tionnaires. Quant aux employeurs, ils
tement de relations vive et que les ressources sont abon- subissent l’assaut d’une concurrence de
industrielles de dantes, un rendement moyen de la part plus en plus féroce qui les amène à être
l’Université du des employés est suffisant. De plus, tant moins généreux, voire à se départir
Québec à Hull.
que le travail n’est pas intellectuel, ce d’employés en surplus. Qui plus est, les

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restructurations semblent rimer avec des à une démobilisation générale du tion. Le climat de travail était acceptable,
augmentations des profits à court terme personnel. les relations de travail étaient relative-
et une rémunération élevée des hauts Dans un tel contexte, certains cadres ment saines et de nombreux employés
dirigeants. Il n’en fallait pas plus pour soumis à un stress extrême deviennent, faisaient preuve de dévouement. De leur
qu’une fracture psychologique se pro- en effet, brutaux. Cette brutalité au tra- côté, les supérieurs ne méprisaient pas
duise et que les intérêts des employés et vail n’est hélas pas ou peu contrée par leurs employés et les respectaient. La
des employeurs divergent de plus en plus. l’intervention des professionnels en venue des changements a bouleversé cet
L’équilibre du modèle traditionnel est ressources humaines, qu’ils soient équilibre avec, pour conséquence, des
alors rompu puisque des notions-clés spécialistes ou amateurs, bâillonnés par mises à pied massives d’employés soi-
comme la survie de l’entreprise, la les technocrates au pouvoir. Depuis ces disant moins bons, le départ d’employés
sécurité d’emploi et de bons salaires sont dernières années, nous avions remarqué compétents et une démobilisation géné-
remises en question. Bref, le modèle l’apparition de cette nouvelle race de rale de ceux qui restent. Cette démobili-
traditionnel ne fonctionne plus dans les technocrates que nous avons appelés des sation peut se manifester par l’apparition
pays occidentaux pour les organisations Rambos parce que ces personnes utilisent de comportements contre-productifs,
qui comptent sur la mobilisation de leurs leur pouvoir pour écraser les autres 3. mais demeure souvent à l’état larvé sous
employés pour contrer la turbulence de D’autres auteurs ont également constaté forme d’une indifférence accrue des
l’environnement, et il faut réagir. Pour les le même phénomène, mais ont été employés6. Ce qui est grave pour l’orga-
dirigeants qui s’inquiètent, le défi est de beaucoup moins tendres à leur égard en nisation, ce n’est pas le départ des moins
retrouver rapidement un nouvel équi- les qualifiant de «salauds efficaces» 4 . bons, mais le départ des meilleurs
libre qui va permettre de survivre. Étant donné que ces observations étaient employés et la démobilisation des survi-
D’aucuns estiment qu’il suffit de basées sur des cas particuliers, il était vants. Les Rambos peuvent minimiser, à
réformer le modèle traditionnel alors possible de mettre en doute leur tort, le départ des employés compétents
que d’autres commencent à se tourner crédibilité en prétextant que le en disant qu’on va trouver mieux sur le
vers un nouveau modèle de gestion. phénomène n’était pas si généralisé. marché du travail, ce qui est en accord
Pourtant, une recherche récente faite aux avec l’idéologie véhiculée par le modèle
États-Unis confirme malheureusement traditionnel. Pourtant, ils doivent
Le modèle traditionnel : cette tendance5. L’étude, qui a duré huit souvent se résigner à réembaucher ces
une réforme avortée? ans et qui a porté sur près de un millier employés compétents7 tout en étant tou-
de travailleurs, constitue une preuve jours aux prises avec à un autre problème
Ceux qui croient toujours aux bienfaits solide. Les résultats de l’enquête sont bien réel, celui de la démobilisation des
du modèle traditionnel ou qui ont peur même inquiétants : les comportements employés restants.
d’envisager un changement trop radical abusifs des supérieurs sont à la hausse La démobilisation des employés est
essaient de colmater les brèches ouvertes depuis les années 90 et environ 20 % des symptomatique d’un dysfonctionnement
par les changements de l’environnement. employés sont victimes de ces abus organisationnel. Mais quelles sont les
C’est en quelque sorte le changement chaque jour. Il ne s’agit pas ici de supé- manifestations de ce mal qui fait tant de
dans la continuité. On réduit les effectifs, rieurs exigeants ou durs, mais bien de ravage dans les organisations? Pour
on demande des concessions salariales et supérieurs qui utilisent leur pouvoir répondre à cette question, nous avons
surtout on profite de la récession écono- pour écraser les employés. Toujours fait un sondage exploratoire auprès de 91
mique pour reprendre du pouvoir et selon cette recherche, ces Rambos se professionnels en ressources humaines8.
contrôler davantage. En fait, les change- servent de différentes tactiques : humilier Pour ces répondants, la démobilisation se
ments servent de prétexte pour justifier les employés en public, appeler les manifeste quand les employés vont au
une centralisation accrue. Qui plus est, employés par des surnoms péjoratifs, travail juste pour la paie, en font le moins
personne n’est épargné, surtout pas les lancer des documents à la tête des possible, mais juste assez pour continuer
cadres «trop mous» qui n’arrivent pas à employés, déchirer des lettres faites par à garder leur emploi et leur salaire, ne
se faire obéir des employés et à atteindre les employés et les jeter ostensiblement à s’investissent plus dans leur travail, se
des objectifs de plus en plus élevés. la poubelle, dire du mal des employés, replient sur eux, sont passifs, ont un
Inutile de dire que les cadres épargnés leur mentir, les mépriser, les manipuler, esprit négatif et résistent à tout change-
par les restructurations subissent de etc. En bref, le modèle «se bonifie» en ment. Généralement, leur rendement
fortes pressions. Pour réussir à atteindre faveur d’un contrôle accru pour les laisse à désirer (par exemple, dossiers en
leurs objectifs ambitieux, les cadres ont supérieurs. On ne peut toutefois pas retard, erreurs) et leur absentéisme aug-
besoin de la collaboration d’employés parler d’amélioration pour les employés mente. D’autres caractéristiques de la
mobilisés; en fait, on assiste au phéno- maltraités qui éprouvent de nombreux démobilisation peuvent également appa-
mène inverse – le modèle traditionnel symptômes tels que stress excessif, raître : méfiance, frustration, cynisme,
dégénère en affrontements et frustrations insomnie, maux d’estomac, dépression, hargne, résignation, etc. Bref, comme le
de toutes sortes. Cette option de réfor- etc. Quant à l’organisation, elle n’est pas disait un répondant, «l’entreprise cesse
mer le modèle traditionnel se heurte à un gagnante à long terme puisque le rende- de progresser parce que ses employés ont
problème de taille : les brèches s’agran- ment des employés n’est certainement débarqué». De plus, la majorité des
dissent au lieu d’être colmatées. Les pas amélioré. répondants de notre sondage révèle que
recherches commencent à documenter Dans le modèle traditionnel, les la tendance à la démobilisation est à la
cet échec avec l’apparition, chez certains employés placés sous «pilotage auto- hausse.
cadres, de comportements que l’on peut matique» ne se faisaient pas mourir à la Si le tableau n’est guère reluisant, il ne
qualifier de brutaux et qui conduisent tâche, mais ils appréciaient leur organisa- faut surtout pas accuser les employés. Il

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serait tentant pour les défenseurs du gestion apparaît de plus en plus comme gence et leurs énergies au service de
modèle traditionnel de rejeter la faute la seule voie de sortie. Dans un environ- l’organisation.
sur les autres, qu’il s’agisse des employés, nement plus turbulent, plus compétitif, Les résultats de plusieurs recherches
des syndicats ou du climat économique plus difficile, la contribution de tous les commencent d’ailleurs à montrer la
morose. En vérité, la démobilisation des employés devient essentielle et exige un supériorité du modèle renouvelé sur le
employés est un mécanisme d’auto- nouveau style de gestion dont l’objectif modèle traditionnel. L’étude de Zeffane
défense qui leur permet de contrer les ultime n’est plus le contrôle, mais le par- (1994) montre que l’attachement organi-
abus des Rambos. Les résultats de notre tenariat et la mobilisation des employés. sationnel est plus élevé lorsque le style de
sondage confirment qu’une cause impor- C’est la remise des cerveaux en marche, gestion des supérieurs est plus ouvert, ce
tante du problème a trait au style de comme l’écrivait Serieyx (1987), par une qui est une caractéristique de l’approche
gestion inadéquat des gestionnaires. Près gestion de type anthropogène (et non renouvelée. Les recherches sur les
de 90 % des répondants soulignent des pas anthropophage!) qui clarifie les rôles, comportements positifs11 montrent que
problèmes de gestion : manque de com- organise la délégation, aménage la les individus réagissent favorablement
munication, manque de respect envers communication, favorise l’ouverture sur dans les organisations qui se soucient de
les employés, arbitraire des décisions, l’extérieur, exalte la créativité interne, leurs employés et qui les traitent comme
favoritisme, manque de reconnaissance assure la sanction des mérites et répond une ressource à développer. Enfin, Becker
des efforts fournis par les employés, par le fait même aux besoins qu’ont les et Gerhart (1996) soulignent que plu-
pseudo-consultation, manque de respon- employés de participer, de prendre des sieurs recherches empiriques ont réussi à
sabilisation, supérieur trop autoritaire, responsabilités, de communiquer, de mettre en évidence l’impact positif de la
gestion tatillonne, obsession du contrôle, s’ouvrir au monde, de construire et de gestion des ressources humaines (par
etc. Et la haute direction n’est pas épar- s’assumer. Il faut remarquer que ces exemple, pratiques de ressources
gnée non plus : manque de vision, facteurs d’insertion des énergies humaines renouvelées) sur la perfor-
manque de leadership, manque de humaines dans les enjeux économiques mance organisationnelle. Hannon et
transparence, apathie, volonté douteuse ne sont pas d’ordre pécuniaire et Milkovich (1996) vont jusqu’à trouver
de changer le mode de gestion auto- diffèrent des moyens (rémunération, un lien entre la manière dont une
cratique, écart entre le discours et les amélioration des conditions de travail, entreprise considère et traite sa ressource
actes, etc. Ces résultats nous portent à réduction des horaires) utilisés humaine et la valeur de son action. À
croire qu’il ne faut pas blâmer les traditionnellement par les dirigeants l’inverse, les études sur les comporte-
employés démobilisés, car les comporte- pour motiver leur personnel. C’est le ments contre-productifs12 indiquent que
ments des Rambos ne constituent pas la High Involvement Management de le manque de reconnaissance ou le
bonne réponse au problème (en plus Lawler 10 et la théorie des «quatre par- manque de développement sont à l’ori-
d’être inacceptables moralement) et tages» qui devient de plus en plus le gine de plusieurs problèmes comme le
représentent un fléau pour les organi- credo du nouveau management. À la détachement ou le faible attachement
sations. Des recherches commencent à base bien sûr, nous trouvons le partage organisationnel. De plus, il faut s’attendre
faire apparaître les coûts cachés des du pouvoir et la responsabilisation sous à ce que ces dysfonctionnements s’ampli-
rationalisations faites sans vision9. Les toutes ses formes, mais ce partage n’a fient avec la dégénérescence du modèle
abus des Rambos ne conduisent pas à une aucun sens s’il n’est pas accompagné, en traditionnel, ce qui est confirmé par la
véritable réforme du modèle tradi- amont, de deux autres partages : le montée du cynisme chez les employés13.
tionnel, mais contribuent plutôt à sa partage de l’information et le partage des À la source de tous ces problèmes, se
dégénérescence. Dans un tel contexte, les connaissances et, en aval, d’un dernier trouve un style de gestion inapproprié.
réactions des employés – qu’on les partage, celui des récompenses sans Les cadres de la vieille école se trouvent
qualifie de malsaines ou non – laissent à lequel l’élan mobilisateur ne serait pas coincés entre un modèle traditionnel qui
penser que la réforme du modèle tra- entretenu et retomberait de lui-même. Le démobilise et un nouveau modèle qui
ditionnel a échoué. Les difficultés à partage du pouvoir montre l’importance leur fait perdre du pouvoir. Aussi n’est-il
s’adapter au nouvel environnement ont des efforts de restructuration du travail : pas étonnant de constater une recru-
entraîné un gaspillage de la ressource cercle de qualité, groupes semi- descence du malaise des cadres14. Mais il
humaine. Cette gabegie fournit un socle autonomes, enrichissement, redesign des est de plus en plus clair que le modèle
à une attaque en règle contre le modèle emplois, alors que le partage de l’infor- renouvelé exige de nouveaux compor-
traditionnel, introduit un doute chez mation et des connaissances mettent tements de la part des cadres. Ils doivent
plusieurs décideurs quant aux chances de l’accent sur la communication, la forma- devenir une courroie de transmission qui
réussir une véritable réforme et incite tion, le développement continu des coordonne le travail de différentes
encore plus vigoureusement à envisager compétences. Pour sa part, le dernier équipes de travail au lieu d’entraver leur
«l’autre façon» de gérer les ressources partage peut être à caractère monétaire fonctionnement par des contrôles
humaines. (primes, partages de gain), mais il inclut tatillons et bureaucratiques. Ces gestion-
bien plus souvent des facteurs non naires doivent avoir moins recours à
pécuniaires à base de valorisation, de l’autorité formelle et doivent faire davan-
Le modèle renouvelé : une vision reconnaissance, voire d’aménagements, tage appel à leur propre compétence
toujours d’actualité d’autonomie ou de responsabilités pour conseiller et aider leurs employés15.
accrues qui sanctionnent la réussite. Contrôler ce que font des employés
Face au changement et aux impasses Dans un tel cadre, il est rare que les compétents devient superflu, démontrer
auxquelles conduit le modèle tradi- employés ne «craquent» pas les uns après une haute compétence pour aider à
tionnel, le renouvellement des modes de les autres et ne remettent pas leur intelli- résoudre des problèmes complexes

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rencontrés par les employés devient une est plus facile d’obtenir la mobilisation et changement. C’est aussi un peu l’échec
nécessité. l’adhésion d’employés sur des projets ou de la gestion des ressources humaines et
changements auxquels ils ont participé. Il de sa capacité à modifier les compor-
peut également aider l’unité de travail à tements au travail.
Le professionnel en ressources se situer en comparant sa performance à
humaines : un agent de celle d’autres départements. Persuadé
changement que la compétence est un prérequis Le professionnel en ressources
essentiel au succès des demandes de humaines : un partenaire d’affaires
Le nouveau mode de gestion, nous responsabilisation des employés, il peut
l’avons vu, repose sur les cadres et il exige également montrer au cadre les Ce rôle de sensibilisation, d’éducateur,
des efforts considérables de leur part. nombreuses manières d’augmenter les d’agent de changement 16 doit se jouer
Avoir une vision, la partager, commu- connaissances des employés sans débour- «en douceur» et s’inscrire en filigrane
niquer, s’intéresser au développement ser le moindre dollar : mentoring, d’un autre nouveau rôle beaucoup plus
continu de ses subordonnés, reconnaître autoformation, rotation d’emplois, visible et encore plus apprécié des
leurs bons coups, les valoriser en public jumelage avec un aîné, enrichissement employés opérationnels, celui de «par-
sont des nouveaux comportements que progressif de l’emploi, utilisation des tenaire d’affaires». Le professionnel des
le cadre traditionnel a du mal à adopter. ressources internes comme formateurs, ressources humaines sera tourné vers la
Comme l’écrivait Patrel (1991) à propos etc. Lors des inévitables restructurations réalisation des objectifs d’affaires :
des gestionnaires français : du travail, le professionnel en ressources marchés à conquérir, clients à satisfaire,
«Mobilisation des hommes et dyna- humaines peut présenter les différents qualité à garantir, innovations à déve-
misation des équipes sont au centre du scénarios, l’intérêt d’inclure les employés lopper, technologie à maîtriser, livraison
management moderne. Mais il faut dans la résolution des problèmes (car ils à accélérer, coûts à comprimer, etc.17 Il y a
bien se rendre à l’évidence, peu de connaissent de nombreux détails sur leur là une rupture complète avec les rôles
cadres, anciens ou frais émoulus des emploi ou leur environnement de tra- traditionnels de fournisseur de services
écoles, sont (suffisamment) préparés à vail), les effets bénéfiques de la partici- et d’agent de contrôle et de rationali-
cette nouvelle dimension de leur rôle pation des employés à la fixation des sation qu’ont assuré historiquement les
qui vient non pas se substituer aux objectifs, à la répartition des charges de professionnels en ressources humaines.
autres mais s’y ajoute avec les consé- travail ou au recrutement des nouveaux Le premier rôle visait à fournir des ser-
quences qu’on imagine. “Non seule- employés. De plus en plus souvent il vices fonctionnels par le biais d’activités
ment on ne sait pas très bien comment devrait aussi montrer au cadre comment de recrutement, de formation, de rému-
faire, mais en plus on n’a pas le participer à l’évaluation et au counselling nération ou d’évaluation du rendement,
temps”; cette petite phrase maintes de carrière. Bâtir des formulaires par exemple, c’est-à-dire que tout «bon»
fois répétée n’est pas qu’un prétexte. d’évaluation ou de plan de carrière, c’est service de ressources humaines doit
Elle traduit parfois un réel désarroi.» bien, mais apprendre au cadre à mener fournir. En outre, le bon sens laisserait à
N’est-il pas naturel que ce soit le pro- un entretien de carrière, à écouter, à don- penser que ces services sont utiles à
fessionnel en ressources humaines ner du feed-back, à conseiller et surtout à l’organisation (en augmentant notam-
– celui-là même dont la compétence est poser des gestes concrets allant dans le ment la productivité et la satisfaction).
centrée sur la connaissance de la res- sens des plans élaborés, c’est mieux. Certains services comme le passage de
source humaine – qui aide les cadres à Finalement, le professionnel en res- tests de sélection, la paie, les cours de
prendre ce virage? Lawler et Mohrman sources humaines a un énorme travail formation technique ou les relations avec
(1989), qui soutiennent ce point de vue, pour apprendre au cadre à récompenser les syndicats sont bien sûr appréciés des
recensent les aides considérables que le de la bonne manière et au bon moment. cadres mais ces derniers peuvent avoir du
professionnel en ressources humaines Éducateur discret, il doit lui montrer mal à faire les liens entre d’autres acti-
peut apporter. Ne lui revient-il pas de l’intérêt qu’il y a à «reconnaître» la vités spécialisées (évaluations, plani-
convaincre les cadres des bienfaits de la contribution des employés en utilisant fication de carrière, équité, équilibre
communication, du partage avec les d’une manière appropriée toute la travail-famille, restructuration du tra-
employés des informations sur les pro- gamme des moyens disponibles : remer- vail) et leurs besoins. Il n’est pas toujours
jets, les occasions d’affaires, les obstacles, ciements, reconnaissances officielles, évident pour les cadres que les objectifs
les risques, les succès? N’est-il pas de son gratifications monétaires voire aménage- intermédiaires (ceux des ressources
ressort de montrer le lien qui existe entre ments personnalisés, actions de forma- humaines) sur lesquels se concentrent
d’une part cette communication sans tion ou responsabilités accrues. ces activités sous-tendent les objectifs
arrière-pensée de l’information et En résumé, les professionnels en res- d’affaires qui les préoccupent18.
d’autre part les initiatives et la créativité sources humaines peuvent faire beau- De plus, au fil du temps, avec l’aug-
qu’exige toute responsabilisation supplé- coup pour aider les cadres à prendre le mentation de la taille de l’entreprise et la
mentaire des employés? Il peut lui-même virage du nouveau management et à professionnalisation accrue du service de
contribuer à la diffusion de cette infor- mettre le cap sur le renouvellement de la ressources humaines, de nombreuses
mation par exemple en se proposant fonction ressources humaines. Lorsque contraintes se sont ajoutées aux services
pour expliquer un nouveau mode de les cadres s’enlisent dans une gestion rendus : des normes à respecter, des pro-
rémunération ou une nouvelle forme autoritaire, c’est que les professionnels en cédures à appliquer, des formulaires à
d’évaluation. Il peut aussi encourager le ressources humaines n’ont pas su (faute remplir, des entrevues à réaliser, des
cadre à recueillir les avis et à favoriser de connaissances!) ou n’ont pas pu (faute politiques à implanter. Certes, la ratio-
l’expression en lui montrant combien il de pouvoir!) faire leur travail d’agent de nalisation peut être utile en permettant

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notamment des économies d’échelle et humaines» perd de la crédibilité parce couronnée de succès, il restera vraisem-
une amélioration de la qualité mais elle que la haute direction a perdu confiance blablement dans l’ombre du cadre.
instaure une bureaucratie supplémen- en ses professionnels en ressources Néanmoins, il verra son image d’expert
taire là où le cadre a besoin de service humaines. Pourtant, depuis quelques efficace se développer, sera considéré
personnalisé, flexible et rapide. Combien années, nous assistons à des changements comme un membre à part entière de
de fois n’avons-nous pas entendu des à la tête des directions de ressources «l’équipe» et verra les autres cadres faire
cadres se plaindre de leur service du humaines qui sont encourageants : des de plus en plus appel à ses services. Car
personnel et affirmer que leur travail dirigeants réussissent à trouver des l’efficacité du travail du professionnel en
– par exemple en ce qui a trait au professionnels en ressources humaines ressources humaines est plus liée à sa
recrutement – serait tellement plus facile capables de jouer le rôle de partenaire capacité à apprendre aux cadres à
s’il n’y avait pas ces spécialistes en d’affaires. résoudre leurs problèmes ressources
ressources humaines pour leur mettre Dans le nouveau rôle de partenaire humaines qu’à sa capacité à faire le
continuellement les bâtons dans les d’affaires, on ne part plus des activités en travail lui-même.
roues? Combien de partages de responsa- espérant que les efforts séparés des uns et Ce partenariat a d’autant plus de
bilité tarabiscotés entre les employés des autres permettront d’atteindre les chance d’être accepté qu’il survient à
opérationnels et les employés fonc- résultats souhaités (souvent liés à des point nommé pour le cadre dont le
tionnels des ressources humaines sur des visions différentes de la réalité), mais on désarroi est grand – nous l’avons vu –
sujets comme le recrutement, l’éva- part des problèmes concrets (straté- face aux nouvelles exigences du manage-
luation des employés ou la gestion des giques ou opérationnels!) et on remonte ment et dont les bases du pouvoir ne
mouvements d’emplois sont contre- ensemble aux activités nécessaires à la reposent plus sur la hiérarchie mais sur la
productifs! Certes, la délégation d’auto- résolution des problèmes identifiés22. Le capacité à trouver de bonnes idées, à
rité a facilité le développement de la professionnel en ressources humaines ne déterminer les collaborations essentielles
professionnalisation en ressources parle plus son langage ésotérique de et à obtenir les ressources nécessaires à
humaines mais elle n’a pas favorisé le spécialiste mais il parle le langage du leur exploitation. Projets inter-fonctions,
rapprochement avec le cadre ni l’inté- cadre, se met dans ses souliers, met ses projets à risques partagés entre unités,
gration dans l’entreprise 19. Le profes- connaissances en ressources humaines à recherche des dénominateurs communs,
sionnel en ressources humaines est resté son service et tente de résoudre, avec lui, partenariats : ce sont autant de chevau-
un agent de contrôle, à la périphérie de ses problèmes. Ce faisant, il devient un chements sur l’organigramme tradi-
l’organisation, quand il n’est pas vu véritable partenaire, un membre de tionnel de l’entreprise, d’initiatives qui
comme le porte-parole des syndicats ou l’équipe, ce qu’il n’avait jamais vraiment ignorent la chaîne de commandement.
le champion exclusif des employés20. été auparavant. Il ne fait pas ses activités Pour obtenir du pouvoir, il faut réussir, et
En ce sens, les professionnels en res- seul de son côté en espérant que cela sera pour réussir ce n’est plus l’autorité qui
sources humaines qui ne possèdent pas utile à l’organisation et aux cadres en compte, mais la collaboration, la capacité
certaines habiletés nécessaires pour général, mais il travaille avec des cadres de convaincre, la capacité de mobiliser les
assumer le rôle de partenaire d’affaires particuliers sur des problèmes précis en réseaux organisationnels qui se substi-
constituent sans doute le plus important tentant de leur transmettre suffisamment tuent de plus en plus à la structure
obstacle à la transformation de la fonc- de connaissances en matière de gestion hiérarchique comme source de pouvoir25.
tion «ressources humaines» 21 . Cette des ressources humaines pour que ces «Dans l’entreprise nouvelle version, les
question des habiletés sera abordée plus derniers puissent apprendre à se passer managers produisent de la valeur ajoutée
loin dans le texte. Un autre obstacle de lui et à gérer seuls leurs ressources en passant des accords et en assurant des
majeur à l’épanouissement du rôle de humaines; ce qui est d’ailleurs une de médiations plus qu’en régnant sur leur
partenaire d’affaires provient de la haute leurs responsabilités essentielles, qu’ils empire personnel.»26
direction elle-même. La crédibilité de la avaient un peu trop négligée dans le
fonction «ressources humaines» est passé ou déléguée trop facilement aux
remise en question chaque fois que les employés fonctionnels des ressources Les impacts des nouveaux rôles
dirigeants n’obtiennent pas ce qu’ils humaines.
désirent. D’une part, ceux qui entre- Ce nouveau rôle de partenaire Quels sont les impacts de cette évolution
voient exactement tout le potentiel à d’affaires qu’on peut aussi assimiler à des rôles que doit jouer la fonction
retirer du rôle de partenaire d’affaires ont celui de consultant interne23 est exigeant, ressources humaines? Nous en rapporte-
de très fortes attentes de changement et insécurisant, stressant, mais il est utile et rons trois qui concernent successivement
peuvent être déçus de voir que leur nécessaire. Contrairement aux rôles le service des ressources humaines, le
fonction n’est pas toujours à la hauteur traditionnels, ce nouveau rôle permet au professionnel en ressources humaines et
de la tâche. D’autre part, il y a les diri- professionnel en ressources humaines la formation universitaire en gestion des
geants irréalistes, c’est-à-dire ceux qui d’apporter une contribution tangible à ressources humaines (voir le schéma 1).
s’attendent à ce que leur fonction soit l’atteinte des objectifs organisationnels, il
plus stratégique sans en comprendre ajoute de la valeur, selon l’expression à la Impacts sur les services de ressources
humaines
réellement les implications. Ils mettent mode24. Ce rôle est aussi ingrat, car si le
alors des bâtons dans les roues quand ils problème n’est pas ou est mal résolu, le Les services de ressources humaines
s’aperçoivent que les changements sont professionnel en ressources humaines devront se restructurer pour assumer ces
plus radicaux qu’ils ne le pensaient au portera le blâme plus souvent qu’à son nouveaux rôles d’agent de changement et
début de leur engouement. Dans les deux tour et il verra sa «clientèle interne» se de partenaire d’affaires. Règle générale, il
cas de figure, la fonction «ressources rétrécir. Par contre, si l’intervention est faudra se rapprocher du client 27 et les

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SCHÉMA 1
Tableau synoptique des idées-maîtresses du processus de changement auquel font face les professionnels en RH

Management Fonction RH Nouvel Management Fonction RH


traditionnel traditionnelle environnement renouvelé renouvelée

+ attitudes + cadres + concurrence + attitudes + cadres qui


négatives désintéressés RH favorables réinvestissent
vis-à-vis RH (➔ délégations) + incertitude à la RH RH

+ division du + professionnels + risque + pouvoir réparti + professionnnels


travail «périphériques» RH au coeur des
(standardisation, réagissant aux + turbulence + anthropogène préoccupations
formalisation...) pressions organisationnelles
externes + main-d’oeuvre + consensus
+ contrôle éduquée (unitarisme) Impact 1 + visibilité
+ nouveaux rôles Service des RH + structures éclatées
+ autorité liée + rôles + intégration • agent de (décentralisation)
au rang traditionnels changement + structuration, interne par
• services • partenaire projet, région, client...
+ division entre • contrôle d’affaires + généralistes
planification et • administration
exécution de la
Impact 2 + connaissances de l’organisation
convention + activités RH
Exigences + connaissances fonctionnelles
collective comme stratégie,
professionnelles + habiletés à gérer le changement
restructuration,
et à résoudre les problèmes
développement,
+ activités RH communication
Impact 3 + formation continue, autoformation
comme analyse
Développement + développement par l’expérience
de poste,
professionnel + plans de carrière diversifiées
recrutement,
• spécialiste RH
rémunération,
• généraliste RH
formation
• généraliste du management

Impact 4 + concentré en management et RH


Formation + 2e cycle
universitaire + plus de cours
• management
• comportement organisationnels
rigidités Nécessité de se bâtir • GRH
+ cas, simulations, jeux de rôle,
coûts élevés des atouts
résolution de problèmes
manque d’innovation • coûts
+ travail en entreprise (stage, été,
et d’adaptation • qualité
temps partiel)
nombreux défauts... • innovation
• flexibilité...

Gestion, volume 22, numéro 2, été 1997


directions ressources humaines devraient dans les services de ressources humaines professionnels développent des habiletés
éclater, certaines unités continuant à et les tensions risquent de se multiplier nouvelles directement liées aux nou-
oeuvrer au niveau intermédiaire, d’autres entre généralistes du management, géné- veaux rôles : capacité à écouter, capacité à
oeuvrant sur le plan stratégique, d’autres, ralistes en ressources humaines et spécia- diagnostiquer, capacité à bâtir des
encore plus nombreuses, se rapprochant listes en ressources humaines. Est notam- réseaux, capacité à articuler une vision,
des opérations et concrétisant un vaste ment préoccupante la question de savoir capacité à vendre une solution, capacité à
mouvement de décentralisation de la qui doit diriger la fonction ressources construire un consensus, capacité à
fonction28. À ce dernier niveau, certains humaines : faut-il choisir un profession- passer à l’action. Toutes ces habiletés
professionnels en ressources humaines nel du management dont la crédibilité pouvaient être utiles dans les rôles tradi-
peuvent même passer directement sous est assurée «à l’externe» ou un profes- tionnels, mais elles deviennent cruciales
les ordres des employés opérationnels, sionnel en ressources humaines qui sera pour le succès des démarches de change-
responsables régionaux ou directeurs certainement mieux accepté «à l’interne»? ment ou de résolution de problèmes.
d’usine. Ulrich et coll. (1989) évaluent même à
Il est clair également que la demande Impacts sur les professionnels
en ressources humaines
partir d’un échantillon de 10 300 répon-
pour des généralistes en ressources dants (dont presque la moitié était des
humaines va aller en augmentant, la Pour les professionnels en ressources partenaires des autres fonctions) que ces
résolution de problèmes exigeant des humaines qui doivent assumer les habiletés contribuent de deux à trois fois
connaissances variées dans les différents nouveaux rôles, de nouvelles exigences plus au succès du professionnel en res-
sous-champs de la gestion des ressources cognitives et comportementales sur- sources humaines que les connaissances
humaines et les cadres préférant interagir gissent. Premièrement, les connaissances générales sur le fonctionnement de
avec un généraliste polyvalent plutôt fonctionnelles restent toujours impor- l’organisation ou les connaissances
qu’avec une multitude de spécialistes. tantes sinon plus, puisque le nouveau fonctionnelles en ressources humaines.
Néanmoins certains spécialistes (en pouvoir des professionnels en ressources Pour certains professionnels en res-
rémunération ou en développement par humaines repose sur le fait qu’ils sont sources humaines, la marche est haute, ce
exemple29) seront toujours nécessaires et réputés comprendre mieux que les autres qui fait dire à Walker (1994) qu’une forte
seront localisés aux niveaux centraux de la ressource stratégique «qui fait la proportion de professionnels en res-
la structure; outre la fourniture de ser- différence», soit la ressource humaine. sources humaines 31 pourraient devoir
vices spécialisés, ils pourront conseiller Que leurs connaissances soient super- quitter la fonction à cause de ces change-
les généralistes sur tout sujet se rappor- ficielles, trop partielles ou déconnectées
ments. Les autres devront bien sûr
tant à leur domaine de compétences. Se de la réalité, et tous les espoirs mis en eux
profiter de toutes les possibilités de déve-
pose aussi la question de savoir si les s’envoleront – le partenariat n’aura été
loppement formel que leur offrent leur
nouveaux rôles s’ajouteront ou se substi- qu’une mode de plus dans le champ de la
organisation, leur association profes-
tueront aux rôles traditionnels. Il est gestion des ressources humaines. Il faut
sionnelle ou le monde de l’éducation
probable que certains services adminis- aussi noter que les exigences de poly-
tratifs (par exemple gestion des dossiers valence obligent les professionnels à mais cela ne suffira pas, il faudra aussi
ou paie) seront de plus en plus automa- étendre horizontalement leur champ de apprendre en faisant, sur le tas. Encore
tisés ou sous-traités alors que certaines connaissances spécialisées et à avoir une faut-il que ces expériences soient fruc-
activités fonctionnelles (recrutement, maîtrise suffisante des différentes acti- tueuses. Comme le prouve l’expérience
gestion de carrière, développement) vités de base de la gestion des ressources des cadres à succès32, il leur faudra donc
seront informatisées et transférées aux humaines. À cet égard, Ulrich et coll. le plus possible accepter des emplois dans
employés opérationnels 30, ce qui per- (1989) notent que les compétences les des nouveaux champs de compétence,
mettra de dégager du temps pour assu- plus appréciées par les cadres sont rela- être aussi généraliste que possible, se
mer les rôles plus cruciaux d’agent de tives à la communication, à l’évaluation construire des réseaux, prendre des
changement et de partenaire d’affaires. du rendement, à la dotation et au design risques, innover, éviter de prêcher, parler
Ces tendances sont déjà observées par organisationnel. Deuxièmement, les «affaires», réaliser ce que l’on dit ou écrit,
Mohrman et coll. (1996) dans un professionnels en ressources humaines, passer à l’action, prendre de nouvelles
échantillon de 130 grandes entreprises s’ils veulent être crédibles et respectés, responsabilités, être exemplaire, avoir
américaines, mais il semble qu’il existera doivent avoir une bonne connaissance de une expérience de cadre hiérarchique,
toujours un minimum d’activités fonc- l’organisation, ce qui n’a pas toujours été etc. Tout ceci ne pourra manquer d’in-
tionnelles traditionnelles qu’il faudra le cas dans le passé. Ils doivent fluencer les plans de carrière et comme le
accomplir quels que soient les niveaux comprendre comment l’organisation montre Walker (1989), ceux-ci vont se
d’acceptation des nouveaux rôles. fonctionne, quelles sont ses capacités diversifier, certains professionnels en res-
Au fur et à mesure que cette évolution financières et technologiques, quelle est sources humaines restant dans une filière
se concrétisera, les modes de structura- la vision d’affaires, les principaux spécialisée (par exemple en avantages
tion interne pourraient passer du mode produits, clients, marchés, etc. Avec une sociaux ou développement), d’autres
fonctionnel aux modes plus intégrés (par connaissance exclusive de la gestion des choisissant la nouvelle filière de géné-
région, par client, par projet). Pour assu- ressources humaines ou des relations de raliste en ressources humaines (qui peut
rer la crédibilité du service vis-à-vis des travail, le professionnel en ressources les conduire à la tête de la fonction res-
employés opérationnels et mieux jouer le humaines ne pourra jamais s’imposer sources humaines), d’autres sortant de la
rôle de partenaire d’affaires, des généra- auprès des cadres et jouer les rôles fonction et adoptant la filière de généra-
listes du management occuperont de d’agent de changement ou de partenaire liste du management (qui peut les
plus en plus fréquemment des emplois d’affaires. Troisièmement, il faut que ces conduire à la tête de leur organisation).

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Impacts sur la formation universitaire mieux les étudiants à la réalité du monde des pressions qu’ils exercent sur les unités
du travail et aux nouveaux rôles qu’ils fonctionnelles pour qu’elles se restruc-
Finalement, de tels changements obligent doivent y jouer. turent et se rapprochent des clients
à réfléchir à la formation qui est donnée À cet égard, un enseignement de fin internes33, les nouveaux rôles placent les
aux futurs professionnels en ressources d’études, au niveau du baccalauréat, professionnels en ressources humaines
humaines. Comme le vérifie Kaufman centré sur la résolution de problèmes devant de nouvelles exigences cognitives
(1994), cette formation est de plus en concrets et réels, en collaboration avec et comportementales qui incluent une
plus concentrée dans les programmes des professionnels actifs sur le marché du meilleure connaissance de l’organisation
d’administration des affaires et de travail, s’avère une nécessité. S’appuyant et des autres fonctions ainsi qu’une plus
relations industrielles. Les premiers sur les connaissances théoriques et grande capacité à gérer le changement.
devraient s’ouvrir davantage aux diverses techniques apprises dans les premiers S’ils veulent jouer un rôle actif dans les
spécialités de la gestion des ressources cours, cet enseignement permettrait à organisations, les professionnels devront
humaines, au droit du travail, à la l’étudiant de mieux comprendre les nou- s’attacher à montrer qu’ils sont en
psychologie et à l’économie alors que les veaux rôles qu’il doit jouer sur le marché mesure d’assumer ces deux nouveaux
seconds devraient plus lorgner du côté du travail et d’aborder ses premiers rôles, car leur rôle traditionnel axé sur la
du management et ajouter les éléments stages ou expériences de travail avec un fourniture de services fonctionnels
de connaissances en marketing, finances, minimum de réalisme et d’efficacité. apparaît de plus en plus menacé par la
comptabilité et droit des affaires qui sont sous-traitance, l’informatisation et la
essentiels au futur partenaire d’affaires. responsabilisation accrue des employés
L’extension du champ de connaissances Conclusion opérationnels en matière de gestion des
plaide aussi pour une formation plus ressources humaines. Ils devront donc
longue, incluant de plus en plus fré- En résumé, il est clair que le renou- veiller à exploiter au maximum les
quemment un second cycle que Kaufman vellement des modes de gestion des res- chances que leur offre leur milieu de
(1994) ne voit pas dans le prolongement sources humaines est toujours un travail pour développer les capacités en
direct de la formation de premier cycle prérequis aussi essentiel au succès des demande et faire l’apprentissage de
(par exemple un second cycle en gestion démarches de changement que les entre- nouveaux rôles.
des ressources humaines ou en relations prises doivent entreprendre pour s’adap- À cet égard, l’enseignement de la
industrielles pourrait s’articuler sur un ter aux nouvelles exigences de coûts, de gestion des ressources humaines devrait
baccalauréat en management, psycho- qualité, d’innovation et de flexibilité être revu pour être systématiquement axé
logie ou économie). Le management qu’impose un environnement en pleine sur la résolution de problèmes et le déve-
étant tout autant un art qu’une science et mutation. Ramené à ses dimensions les loppement des attitudes et comporte-
l’aspect comportemental étant aussi plus essentielles, ce renouvellement prend ments appropriés au nouveau contexte.
important (sinon plus) que l’aspect la forme d’une gestion plus ouverte, plus Mettre le cap sur le renouvellement de la
cognitif, l’apprentissage par l’action est sensible qui mobilise des énergies fonction «ressources humaines» ne sera
aussi essentiel au succès que la formation supplémentaires et les canalise vers les pas facile. Les professionnels en res-
formelle. Le travail sous toutes ses formes défis d’affaires. Des études montrent de sources humaines vont devoir apprendre
(stages, emploi d’été, à temps partiel plus en plus l’efficacité d’une telle à vivre avec l’ambiguïté qui, selon toute
pendant l’année scolaire, entre le 1er cycle stratégie de renouvellement et l’échec de vraisemblance, va s’intensifier, car il est
et le 2e, etc.) doit donc être encouragé et ceux qui veulent l’éviter. Une telle bien possible qu’on ne pourra accomplir
intégré aux périodes de formation stratégie met en lumière le rôle-clé des les deux nouveaux rôles d’agent de
formelle. cadres et leur nécessaire évolution vers de changement et de partenaire d’affaires
Mais il y a plus : il faut changer la nouvelles attitudes et de nouveaux sans continuer d’assumer certains anciens
manière d’enseigner. Études de cas, comportements à l’égard des ressources rôles comme celui fondamental de se
simulations, jeux de rôle, exercices de humaines. Ils doivent notamment préoccuper des intérêts des employés34.
résolution de problèmes devraient être apprendre à partager avec les autres
plus nombreux et favoriser le déve- employés l’information, la réingénierie, Notes
loppement des comportements profes- les connaissances, le pouvoir et les 1 Cité dans Wils, Le Louarn et Guérin, 1991 : viii.
sionnels et l’utilisation des connaissances récompenses. Confrontés à ces défis 2 Voir Arthur, 1994.
accumulées. Ce serait aussi le moyen de difficiles, les cadres devraient pouvoir 3 Voir Wils et Beaufils, 1995.
réaliser cette intégration des disciplines compter sur l’aide des professionnels en 4 Voir Galambaud, 1994.
de base (sur lesquelles repose la gestion ressources humaines pour leur montrer 5 Voir Hornstein, 1996.
des ressources humaines) qui est exigée des moyens concrets de réaliser cette 6 Voir Joinson, 1996.
des professionnels en ressources humaines évolution dans le cadre même des défis 7 Voir Cyr,1996.
mais qui est loin d’être réalisée dans d’affaires qui sont leur raison d’être. 8 Voir Wils, Labelle, Guérin et Tremblay, 1996.
l’enseignement. En partant du thème, du Ces deux rôles intimement liés d’agent 9 Voir Pitcher, 1993.
problème, de l’objectif et en allant de changement et de partenaire d’affaires 10 Voir Lawler et Mohrman, 1989.
chercher les outils et moyens pertinents à ajoutent une nouvelle dimension au 11 Voir Organ et Konovsky, 1989.
leur analyse, résolution ou atteinte, nous travail du professionnel en ressources 12 Voir Guérin, Wils et Lemire, 1995; 1996.
transformerions non seulement le humaines et lui donnent aussi un sens 13 Voir Mirvis et Kanter, 1989.
champ d’études de la gestion des res- nouveau qui rapproche ce professionnel 14 Naulleau et Mendoza, 1993; Stroh, Brett et Reilly, 1994.
sources humaines en une véritable des cadres et le place au coeur des pré- 15 Voir Benoit, 1996; Gutteridge et coll., 1993; Hamel et
discipline mais préparerions beaucoup occupations organisationnelles. En plus Prahalad, 1996; Quinn et coll., 1996.

50 Gestion, volume 22, numéro 2, été 1997


16 Voir London, 1988. Guérin, G., Wils, T. et Lemire, L., «Le malaise Human Ressources Professionals, 3(4), 1991,
17 Voir Summers, 1984; Walker, 1994. professionnel : nature et mesure du concept», p. 13-18.
18 Voir Schaefer et Cohen, 1991. Relations industrielles, 50(1), 1996, p. 59-93. Serieyx, H., Mobiliser l’intelligence de l’entre-
19 Voir Baird et Meshoulam, 1986. Gutteridge, T.G., Leibowitz, Z. B. et Shore, J., «A prise, Entreprise moderne d’édition, 1987.
20 Voir Conner et Ulrich, 1996. new look at organizational career develop- Spencer, L., Reengineering Human Ressources,
21 Voir Veer, 1997. ment», Human Resource Planning, 16 (2), North brook : Brace-Park, 1996.
22 Voir Schaefer et Cohen, 1991. 1993, p. 69-86. Stroh, L. K., Brett, J. M. et Reilly, A. H., «A
23 Voir Morrison, 1988. Hamel, G. et Prahalad, C. K., «Competing in the decade of change: manager’s attachment to
24 Voir Yeung et coll., 1994; Conner et Ulrich, 1996. new economy: managing out of bounds», their organizations and theirs jobs», Human
25 Voir Drucker, 1988. Strategic Management Journal, 17 (3), 1996, Resource Management, 33 (4), 1994, p. 531-
26 Voir Kanter, 1991. p. 237-242. 548.
27 Voir Labelle et Wils, à paraître en 1997. Hannon, J. M. et Milkovich, G. T., «The effect of Summers, D., «Human resource specialists:
28 Voir Wils, Saint-Onge et Labelle, 1994. human ressource reputation signals on share working with management improve pro-
29 Surtout en développement comme le montre l’accrois- prices: an event study», Human Resource ductivity», Personnel, 61(5), 1984, p. 43-52.
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30 Voir Spencer, 1996.
31 Qu’il évalue à un tiers. Joinson, C., «Re-creating the indifferent Walker, J., «Human resource roles for the 90s»,
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32 Voir Mc Call et coll., 1988.
80. 61.
33 Voir Labelle et Wils, 1995.
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