Beyrouth, Grand Beyrouth
Beyrouth, Grand Beyrouth
Beyrouth, Grand Beyrouth
DOI : 10.4000/books.ifpo.3219
Éditeur : Presses de l’Ifpo
Lieu d’édition : Beyrouth
Année d’édition : 1996
Date de mise en ligne : 16 janvier 2013
Collection : Cahiers du Cermoc (1991-2001)
EAN électronique : 9782531594463
https://books.openedition.org
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 1996
EAN (Édition imprimée) : 9782905465108
Nombre de pages : 230
Référence électronique
ARNAUD, Jean-Luc (dir.). Beyrouth, Grand Beyrouth. Nouvelle édition [en ligne]. Beyrouth : Presses de
l’Ifpo, 1996 (généré le 14 juin 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/ifpo/
3219>. ISBN : 9782531594463. DOI : https://doi.org/10.4000/books.ifpo.3219.
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Beyrouth, Grand-Beyrouth. Derrière le titre pour le moins laconique de ce livre, il n'est pas
seulement question de la taille de l'agglomération beyrouthine. Pour rendre compte des débats et
des prises de position -implicites ou non - relatifs au développement de l'urbanisation de
Beyrouth depuis le milieu du XIXe siècle, on a plus fortement mobilisé la notion de limite et celle
d'étendue ; celles de territoire et d'hinterland ont aussi été mises à contribution. A travers les
treize articles réunis dans ce livre, les auteurs tentent de mieux comprendre comment Beyrouth,
simple port de cabotage comptant seulement quelques milliers d'habitants au milieu du XIXe
siècle, en regroupe actuellement plus d'un million et s'étend sur plusieurs dizaines de kilomètres
carrés. Il s'agit donc d'un travail en histoire, mais pas seulement. Après dix-sept ans d'une guerre
qui l'a particulièrement touchée, la capitale libanaise est en cours de reconstruction. Au-delà de
l'espace urbain, cette reconstruction s'inscrit dans des enjeux qui ne peuvent être saisis que dans
une analyse des territoires de Beyrouth et du Liban qui s'étendent depuis les proches banlieues
jusqu'aux confins de la plaine syrienne. Si les travaux des historiens constituent la première
partie de la publication, ce sont des géographes, des anthropologues, des architectes et des
urbanistes qui ont alimenté les autres. Au-delà de l'accroissement du volume des connaissances,
le fait que les auteurs soient pour la plupart de jeunes chercheurs - moins marqués que leurs
aînés par les difficultés d'exercice de la recherche durant la guerre - contribue aussi, à sa
manière, au renouvellement des paradigmes de la recherche urbaine au Liban.
2
SOMMAIRE
Préface
Jean Hannoyer
Introduction
Jean-Luc Arnaud
Construction
Recompositions
Architecture et marché foncier
Dire et voir
Introduction
Raoul Assaf
Introduction
Jean-Charles Depaule
Introduction
Jean-Luc Arnaud
Types architecturaux et marché foncier dans le Metn durant les trente dernières années
Christian Darles
Mutation des types architecturaux
Sources documentaires
Évolution conjointe des parcelles et des types architecturaux
Réglementation et transformations des villages
De la maison (de paysan) à l’immeuble (de rapport)
Edification de l’immeuble
Evolution de l’habitat
Modifier la réglementation ?
Introduction
Jean Métral
La constitution d’une identité urbaine dans les espaces périphériques de Beyrouth, entre
Antélias et Qornet al-Hamra
Frédéric Durand
NOTE DE L’ÉDITEUR
Ouvrage mis en ligne avec le soutien du CNL.
6
Préface
Jean Hannoyer
1 Le colloque dont les actes sont publiés aujourd’hui a été organisé par le CERMOC et son
Observatoire de recherche sur Beyrouth et sa reconstruction (ORBR). Cet ouvrage rejoint
la collection des études urbaines initiée par l’Observatoire.
2 La vie du CERMOC est de fait associée à celle de la ville de Beyrouth dans une relation
ancienne et complexe à la fois. Dès son ouverture en 1977, le CERMOC avait été sollicité
pour participer aux études et réflexions menées pour la reconstruction du centre-ville
après la guerre dite « des deux ans », en 1975-1976. Nous fûmes quelques-uns à proposer à
l’époque de faire de cette question l’axe de recherche principal du CERMOC. Le projet en
fut vite abandonné. Pour la raison, sans doute, qu’il ne paraissait pas suffisamment
central dans la problématique du Liban en débat à cette époque. Peut-être aussi, et la
contradiction, rétrospectivement, ne doit pas surprendre, une recherche critique sur le
centre-ville était-elle perçue comme un risque de prolongement de la guerre. La ville ne
devint objet spécifique de recherche au CERMOC qu’à partir des années 1983-1984.
Migrations rurales, mobilisations communautaires, violences urbaines, faisaient de
Beyrouth le triste laboratoire d’une sociologie libanaise à la recherche d’elle-même.
3 À partir de 1990, le CERMOC s’est entêté à revenir à Beyrouth qu’il avait fuie, et à travailler
sur Beyrouth. L’idée d’un observatoire y a pris forme sur quelques évidences et beaucoup
d’urgences qui restent d’actualité. L’actualité en souligne les enjeux, mais aussi les
difficultés à en traiter scientifiquement.
4 L’importance de la place de Beyrouth au Liban est aussi indéniable que l’ampleur des
destructions dont la ville fut le théâtre. La centralité de Beyrouth ne fait plus de doute
pour la compréhension de questions qui traversent la société libanaise tout entière. La
reconstruction de la ville concerne, par conséquent, l’avenir du Liban dans son ensemble
et le processus même de la réconciliation nationale.
5 Quelle ville, quelle reconstruction ? Sitôt posée, en effet, l’évidence se heurte à la difficile
articulation entre questions de société et questions de connaissance. Le débat est lancé au
début des années quatre-vingt-dix par les intellectuels libanais et la mobilisation
d’associations et de corps professionnels sur le statut même et les procédures de la
7
AUTEUR
JEAN HANNOYER
Anthropologue, directeur du CERMOC
9
Introduction
Jean-Luc Arnaud
remontée dans le temps. À travers trois échelles d’approche, de la plus fine (l’habitat)
jusqu’à la plus large (les lieux de la diaspora), ce programme avait pour objectif la
constitution d’une meilleure connaissance des mutations qui ont animé la société
beyrouthine au cours des cent cinquante dernières années en les référant de manière
systématique aux lieux où elles se sont développées. Ce programme se proposait d’étudier
les transformations par lesquelles cette ville, simple port de cabotage ne comptant que
quelques milliers d’habitants au milieu du XIXe siècle, en regroupe actuellement plus d’un
million et s’étend sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés. Il s’agissait donc d’un
travail dans le temps mais pas seulement ; après dix-sept ans d’une guerre qui l’a
particulièrement touchée, la capitale libanaise était déjà en cours de reconstruction. Au-
delà de l’espace urbain, cette reconstruction s’inscrit dans des enjeux qui ne peuvent être
saisis que dans une analyse des territoires de Beyrouth et du Liban ; territoires qui, depuis
les proches banlieues jusqu’aux confins de la plaine syrienne s’étendent aussi, par
l’intermédiaire des migrations, aux cinq continents3.
3 On l’a compris, suivant la voie ouverte par Marcel Roncayolo4, ce programme avait
l’ambition d’associer étroitement les approches de l’historien avec celles du géographe.
En outre, même s’il n’a jamais été question de traiter l’ensemble de la période considérée
dans l’ensemble de l’espace correspondant, mais plutôt d’identifier des moments clés et
des lieux déterminants, l’ambition du projet tenait aussi à l’étendue de l’espace à étudier
et à sa durée. Les disponibilités des chercheurs, l’absence d’économiste notamment, en
ont décidé autrement. Les défections des uns – les deux années de travail en commun et
les trente-huit séances de séminaire, qui ont précédé et préparé la rencontre, ont permis
d’effectuer un tamisage des participants5 – et l’intérêt des autres ont contribué à
recentrer les travaux dans un cadre géographique plus étroit, celui de la capitale libanaise
et, plus souvent qu’on ne l’aurait souhaité a priori, sur ses quartiers centraux. Cependant,
même si leur objet est souvent plus restreint, c’est à l’échelle de l’ensemble de la ville que
la plupart des contributions font référence.
4 Ce projet, n’avait pas seulement pour objectif l’accroissement du volume des
connaissances, mais, plus fondamentalement, il avait aussi pour ambition de contribuer
au renouvellement des paradigmes qui animent la recherche urbaine au Liban depuis une
dizaine d’années. Les travaux ayant pour objet la ville, conduits depuis le début des
années quatre-vingt, étaient fortement marqués par des questions, voire des points de
vue idéologiques, influencés par les situations locale et régionale. La bibliographie des
travaux universitaires, produits durant une dizaine d’année à la suite de l’invasion
israélienne, le révèle6. Quels que soient les idéologies et les partis pris – chacun légitime
dans son contexte – les recherches de cette période ne sont pas seulement partiales, elles
sont aussi partielles ; le découpage territorial qu’elles opèrent à travers la construction de
leurs objets d’études exprime bien la fragmentation de la ville et celle des universités
libanaises. L’agglomération beyrouthine semble alors constituée comme un puzzle dont
les pièces ne s’assemblent pas. La plus grande part des chercheurs, considérant leurs
terrains d’études suivant des limites étroites, semblent avoir oublié que l’ensemble de la
ville peut aussi constituer une unité pertinente. Chaque partie, chaque quartier, est
analysé en soi, comme un isolat, sans considération pour le fait qu’il est aussi une
composante d’une entité plus vaste et avec les autres parties de laquelle il est
nécessairement en interrelation, même si les liaisons sont fortement atténuées par les
multiples lignes de démarcation ou bien revêtent la forme du conflit, qu’il soit ouvert ou
latent. Dans ce contexte, il m’est apparu préférable d’associer au programme en gestation
11
de jeunes chercheurs, voire des chercheurs en formation, moins marqués que leurs aînés,
ou en tout cas plus motivés, pour élargir le champ de leurs investigations. On comprend
ainsi comment deux années et de nombreuses rencontres ont été nécessaires pour
élaborer le programme de ce colloque. Il ne s’est pas seulement agit de l’organiser, la plus
importante part de sa préparation a consisté à repérer et à mettre au travail les
contributeurs. On comprend aussi toutes les déperditions, voire les déceptions, qui n’ont
pas manqué durant cette phase. Mais le vivier est vaste et le séminaire a constitué une
bonne manière d’y pêcher.
5 Derrière le titre pour le moins laconique de ce livre – Beyrouth, Grand-Beyrouth –, il n’est
pas seulement question de taille. Il en est d’ailleurs peu question. Par contre, on a plus
fortement mobilisé la notion de limite et celle d’étendue ; celle de territoire – à l’origine
du programme fondateur – et d’hinterland ont aussi été mises à contribution.
6 La rencontre a été partagée en quatre ateliers. Si l’Histoire a été laissée aux historiens
(première partie) et l’architecture aux architectes (troisième partie), les questions de
recomposition (seconde partie) et de représentation (dernière partie), ont été traitées à la
fois par des géographes et des anthropologues.
Construction
7 Les trois contributions de la première partie ont posé les grandes lignes du tableau. Elles
traitent, sur la longue durée, des relations entre la ville et ses environs à différentes
échelles, entre les faubourgs et l’hinterland en passant par la Montagne. Christine
Babikian établit un parallèle entre le développement du port de Beyrouth et ses
territoires lointains. Elle montre comment la ville se construit en étendant son emprise
économique, à la faveur de l’établissement des routes puis des chemins de fer, vers
l’intérieur. Elle note aussi que cette construction s’effectue dans le cadre de décalages
systématiques entre offre et demande. C’est-à-dire que l’entraînement d’un
développement sur l’autre est toujours à double sens ; les extensions successives du port
répondent à une demande de l’hinterland, elles induisent aussi de nouvelles offres de
services. Ainsi, l’équilibre semble une situation d’exception. Le port de Beyrouth et
l’ensemble de la ville sont à fois réceptacle et centre de redistribution, pas seulement
pour les marchandises, mais aussi pour la population d’origine rurale et migrant vers
Beyrouth au cours du XIXe siècle. La contribution de Caria Eddé, qui traite de la
démographie des maronites durant cette période, éclaire ce double rôle de la ville à partir
des années 1880. Elle montre aussi, contre les idées généralement admises, que la
population maronite ne s’est pas urbanisée aussi tard qu’on le pense. La croissance des
années vingt-quarante en cache une, plus ancienne, datant de la seconde moitié du XIXe
siècle. L’auteur distingue deux catégories parmi les maronites arrivés en ville durant
cette période. D’une part, les réfugiés issus des régions d’affrontement avec les druzes et,
d’autre part, les migrants qui, tout aussi nombreux, ont pour origine les autres régions du
Mont-Liban. Le centre de la ville – Bayrut al-qadima – est un point de passage obligé pour
ces arrivants, mais C. Eddé montre aussi qu’il existe des relations privilégiées entre
certains quartiers de la ville (hors les murs) et les régions d’origine de la population
récemment urbanisée. Cependant, si elle note une tendance au regroupement par origine
commune, ce n’est jamais systématiquement le cas. Les relations entre la ville intra-muros
et les environs proches sont aussi traités par Jihane Sfeir à partir des actes du tribunal de
Beyrouth datant du début des années 1840. Ces actes permettent de compléter les
12
Recompositions
8 La seconde partie est consacrée aux mutations plus récentes de plusieurs quartiers. Les
auteurs rendent compte de ces mutations à partir de notions telles que la centralité, la
mixité, la « citadinité » et, pour le dernier qui s’intéresse plus particulièrement aux rôles
des acteurs, la médiation. A partir de l’exemple des activités commerciales de la rue
Hamra, Guillaume Boudisseau s’interroge sur les attributs de la centralité. Il montre
comment, dans le cadre du renouvellement permanent de la ville sur elle-même, la
concurrence entre des quartiers pouvant prétendre au rôle de centre commercial donne
lieu à un cycle de substitution dans lequel le nouveau devient ancien lorsque l’ancien est
rénové. L’auteur remarque aussi le poids de l’histoire dans ce phénomène. Hamra y a
trouvé sa place grâce à son ancienneté tandis que les nouveaux centres commerciaux,
directement issus des césures de la guerre, ont moins résisté à l’ouverture de la ville et à
la concurrence qui s’en est suivie. Cependant, à l’instar de C. Babikian, il note aussi des
décalages et des ajustements permanents qui, s’ils tendent vers un équilibre, l’atteignent
rarement. C’est aussi à partir d’une analyse des activités commerciales que Tristan Khayat
aborde la constitution du quartier Getaoui. Qualifié de caisse de résonance des mutations
urbaines, Getaoui, espace relais pour les commerçants qui, avant la guerre, tentent de
s’installer au centre-ville, devient durant le conflit un lieu de replis. Le rapport entre les
quartiers de commerce et le centre-ville, exprimé par G. Boudisseau en termes de
centralités concurrentes, est exposé par T. Khayat en termes de « citadinité » et
d’appartenance communautaire. Deux expressions de l’identité dont les relations relèvent
aussi d’une concurrence variant en fonction de l’échelle – au sens géographique – de
référence des locuteurs (entre le quartier et l’ensemble de la ville). Les recompositions
provoquées par la guerre ont suivi des modalités très différentes en fonction des
quartiers et des rapports de forces en présence (habitants/milices). Pour traiter celles qui
ont touché le quartier Mousaytbé, Marie-Claire Fattore s’est particulièrement intéressée
aux points de vue des habitants. A partir d’un travail sur l’expression des désirs de retour
de ceux qui sont partis durant la guerre, l’auteur note les déceptions des résultats du
confessionalisme. Il ne constitue plus le seul déterminant des localisations. Le quartier
Mousaytbé, quartier de passage comme Getaoui, est souvent caractérisé par sa mixité. M.-
Cl. Fattore s’interroge sur le, ou les, sens de cette qualité. Elle montre que si le fait de
13
résider, ou de convoiter une résidence, dans un quartier dit mixte peut être considéré
comme valorisant et comme symbole de citadinité, voire de modernité, il n’en reste pas
moins que les replis communautaires restent très déterminants des relations de
voisinage. La mixité ne semble pas recouvrir les mêmes valeurs dans les discours relatifs à
la localisation du lieu de résidence et dans les faits exprimés par ces relations de
voisinage. Pour leur part, les chiites d’Afrique sont aussi en quête de modernité. Marie-
Claude Souaid remarque qu’ils confient leurs intérêts à une famille se présentant comme
vecteur de cette modernité. L’auteur s’est intéressé aux réseaux de drainage de
l’investissement chiite dans les secteurs foncier et immobilier à Beyrouth entre 1940 et
1960. Elle montre comment, par ce drainage, la famille Beydoun organise ses relations sur
le mode de la médiation entre des citadins qui ont un accès privilégié au marché et aux
informations et les détenteurs des capitaux. C’est en terme d’apprentissage de la ville que
M.-Cl. Souaid rend compte du rôle intégrateur, auprès d’une population d’origine rurale,
joué par les Beydoun. Elle inscrit l’évolution des formes de cette médiation dans les
transformations du marché et celles de la demande des investisseurs qui deviennent de
moins en moins dépendants du monopole des Beydoun avec le temps. En une vingtaine
d’années, la relation avec les « clients » est passée de rapports très personnalisés, où
l’interconnaissance, le lien communautaire et la bienfaisance étaient déterminants, à une
relation d’affaires commandée exclusivement par les intérêts économiques.
Dire et voir
10 Les cinq contributions de la dernière partie sont consacrées aux discours sur la ville et
plus particulièrement à ceux qui traitent de son organisation sociale et spatiale. L’analyse
de ces discours, de périodes et d’origines différentes, révèle que Beyrouth, peut-être plus
que les autres villes de la région, est le lieu d’un imaginaire dont les référents présentent,
entre l’apologétique et l’apocalyptique, une très forte variété. À partir d’un annuaire du
début des années vingt, suivant l’hypothèse que la manière de classer est un révélateur
du point de vue de ceux qui classent, Chawqi Douayhi traite de l’organisation et de la
désignation des objets, des activités et de l’espace. Puis, de manière plus générale, à
14
11 Cette présentation montre que les contributions réunies dans cette publication, si elles
abordent de nombreux aspects de l’agglomération de Beyrouth, sont loin de prétendre à
l’exhaustivité ; en outre, ces textes présentent parfois des hypothèses de travail plutôt
que de résultats définitifs. Cependant, et les débats l’ont montré, au moins une partie du
pari a été tenue. Le travail avec des jeunes chercheurs, sur des questions jusqu’alors peu
abordées, a permis de se démarquer des polémiques qui, trop souvent au Liban,
continuent de peser lourdement sur les débats académiques. En outre, les questions
soulevées, malgré leur caractère souvent très précis, constituent, sinon un début de
renouvellement de la recherche urbaine au Liban, pour le moins, quelques pistes qui
méritent d’être suivies.
NOTES
1. La société OGER préparait un rapport sur l’assainissement et la réhabilitation des écoles
publiques, la Lyonnaise des eaux était chargée de restaurer l’adduction en eau, l’ IAURIF et la
SOFRETU préparaient un nouveau plan de transport...
2. Une des principales difficultés dans la préparation de cette rencontre a été d’échapper à son
instrumentalisation par des chercheurs dont l’engagement dans l’opposition ou bien au service
exclusif d’une cause pèse fortement sur les fondements et les résultats des travaux.
3. Pour de plus amples développements sur ce programme, voir la publication de son texte
fondateur ; J.-L. Arnaud, 1993, « Beyrouth et ses territoires », Annales de géographie (université
Saint-Joseph), 14, p. 1-20.
4. M. Roncayolo, 1990, La Ville et ses territoires, Paris, Gallimard.
5. On trouvera la liste des séances du séminaire « Beyrouth – espaces et société » dans les Lettres
d’information 1 à 6, mars 1994 à septembre 1996.
6. G. Boudisseau, 1996, Bibliographie de Beyrouth, supplément à la Lettre d’information n° 4, Beyrouth,
CERMOC.
16
Introduction
Raoul Assaf
1 Les interventions de Christine Babikian à propos du port de Beyrouth, celle de Caria Eddé
sur la démographie des maronites et celle de Jihane Sfeir à propos de la naissance de la
ville comme centre administratif, s’inscrivent dans le cadre de leurs travaux quant au
développement de Beyrouth aux XIXe et XXe siècles. Ces recherches s’intègrent dans le
cadre plus large de l’entreprise « histoire de Beyrouth » engagée par le département
d’histoire de l’université Saint-Joseph au début des années quatre-vingt. En effet, à ce
moment-là, le département d’histoire a choisi de privilégier les recherches devant aboutir
à des mémoires de maîtrise ou à des thèses de doctorat et portant sur des sujets relatifs à
la ville de Beyrouth. Cette initiative, déclenchée au moment où la capitale libanaise qui
subissait des bombardements réguliers perdait de son importance locale, régionale et
internationale, correspondait probablement une sorte de réaction de défense, imprégnée
de nostalgie et de révolte, face à la destruction graduelle du cadre de vie de la plupart des
chercheurs. Mais elle représentait surtout le besoin d’un rééquilibrage de
l’historiographie du Liban contemporain, qui, traditionnellement, escamote le rôle de la
ville de Beyrouth, en réagissant seulement aux données historiques issues du Mont-Liban
alors qu’il est évident que le pays vit depuis le XIXe siècle au rythme de la ville qui est
devenue sa capitale. Avec les années quatre-vingt-dix, la paix retrouvée et la mise en
place des projets de reconstruction du centre-ville, ces travaux pionniers ont pris une
importance considérable et déclenché d’autres recherches de plus en plus précises,
s’organisant comme un énorme puzzle tant au niveau des archives que des approches, le
tout devant aboutir à une refonte complète de l’histoire de Beyrouth, voire de celle du
Liban.
2 Dès le début, ces recherches ont été organisées selon les principes de la « nouvelle
histoire ». Dépassant le cadre de l’histoire chronologique et événementielle, elles se sont
très vite adaptées aux principes de l’histoire économique, sociale, démographique, etc.,
en utilisant les méthodes de l’histoire quantitative et sérielle. Ce choix délibéré a
rapidement donné lieu à des résultats originaux et bousculé nombre d’idées reçues quant
à la perception de la ville par l’histoire traditionnelle. On s’éloignait lentement de
l’histoire-idéologie et de l’histoire-spéculation. Ainsi, les résultats obtenus par Christine
18
AUTEUR
RAOUL ASSAF
Historien, professeur, chef du département d’histoire de l’université Saint-Joseph
19
privilégié sur les voies du trafic maritime international, et aux villes côtières un rôle
prépondérant dans les échanges entre l’Europe et l’Orient.
5 C’est en 1887 que la construction et l’exploitation d’un port à Beyrouth sont concédées
par les autorités ottomanes à un de leurs sujets. Ce dernier revend la concession à un
groupe français qui n’est autre que le groupe de la route de Beyrouth à Damas. La
construction du port s’achève en 1894 ; il comprend un bassin, une traverse où les eaux
profondes permettent aux navires d’accoster directement à quai, une jetée et des terre-
pleins gagnés sur la mer. Comment, à partir de cette date, le port se développe-t-il en
liaison avec son hinterland ? Nous exposerons dans un premier temps les facteurs qui ont
déterminé le développement du port puis nous décrirons la réalité de cette extension sur
le terrain.
Le port en 1903 (d’après document d’archives). Ce plan est reproduit à la même échelle que les
trois suivants.
Développement du port
8 Nous suivrons les étapes du développement des installations portuaires dans un ordre
chronologique correspondant aux bouleversements politiques et économiques qu’ont
connus la ville de Beyrouth et le Liban. Nous distinguerons ainsi trois grands moments : la
période allant jusqu’à la Première Guerre mondiale, que nous intitulerons « ottomane »,
la période de l’entre-deux-guerres, que nous appellerons « Mandat », et la période allant
de l’Indépendance, en 1943, à nos jours.
Période ottomane
9 Beyrouth est, depuis 1888, la capitale de la wilaya ottomane portant le même nom. A ce
moment-là, l’évolution du trafic du port est étroitement liée à l’établissement d’un réseau
ferré reliant Beyrouth à l’hinterland et aux besoins croissants de la ville qui connaît alors
une importante extension. Dès 1895, la Compagnie de la route de Beyrouth à Damas
décide de construire une voie ferrée entre ces deux villes afin de remplacer la route
22
devenue insuffisante. La voie relie Beyrouth, Damas, et Mzérib dans la riche région
céréalière du Hauran. Les liaisons entre Beyrouth et son arrière-pays deviennent ainsi
plus rapides. Le réseau du DHP est ensuite complété par la construction d’un réseau dans
le nord syrien : la ligne Rayack-Hamah est construite en 1902 ; elle est reliée à Alep en
1906. En 1911, l’embranchement Homs-Tripoli est établi. Afin d’attirer le trafic, en
particulier celui des céréales du nord syrien, et d’éviter les frais de transbordement et les
ruptures de charges, la Compagnie décide de construire des voies de quai et un
raccordement entre ces voies et la gare de Beyrouth en 1903. L’établissement du
raccordement ayant favorisé le trafic des céréales, la Compagnie élargit la chaussée de la
traverse l’année suivante afin d’y construire des entrepôts supplémentaires.
10 Cependant, les installations portuaires, la traverse et les hangars douaniers en particulier,
s’avèrent insuffisantes dès 1904, le trafic continuant à progresser à cause de l’extension
de Beyrouth et, par conséquent, de ses besoins croissants. Malgré les difficultés de
l’exploitation et les plaintes des commerçants, la Compagnie n’investit plus dans ses
installations. Elle adopte une politique de gestion prudente, prélevant de fortes sommes
pour ses réserves ; c’est seulement en 1913 qu’elle procède à l’agrandissement des locaux
douaniers et à l’acquisition de matériel de manutention perfectionné. Par ailleurs, durant
cette période, le port de Beyrouth ne constitue pas l’enjeu d’une politique économique.
Pour les autorités ottomanes, il ne représente qu’une concession parmi celles qu’elles ont
accordées à des groupes européens au sein de l’Empire.
Période du Mandat
12 Pour sa part, la Compagnie fait preuve d’un certain dynamisme au cours des années 1922
à 1929, investissant dans l’amélioration et l’extension de ses installations. En 1923, elle
établit des magasins généraux (où les marchandises sous douane ou déjà dédouanées
peuvent séjourner plus longtemps que dans les hangars douaniers), elle construit des
entrepôts frigorifiques et une usine à glace ainsi qu’un parc et un port à pétroles, où ils
sont débarqués par pipe-line. Mais, les travaux les plus importants concernent
l’élargissement de la traverse et son aménagement entre 1924 et 1927. Les installations
sont alors parfaitement adaptées au trafic croissant que le port manipule grâce au
développement de la ville et aux nouveaux débouchés offerts à l’Irak, en particulier, et à
la Perse, attirés par le port de Beyrouth.
13 À partir des années trente, la Compagnie connaît des difficultés dues à la perte de
plusieurs procès. Par ailleurs, la crise économique s’est aggravée et le port de Haïffa,
agrandi et aménagé en 1932, constitue une menace pour Beyrouth qui était jusque-là le
seul port moderne de la côte orientale de la Méditerranée. La concurrence de Haïffa
s’exerce notamment dans le transit avec l’Irak et la Perse. En 1934, sous la pression des
organismes économiques locaux, les autorités décident de créer une zone franche dans le
port de Beyrouth. La Compagnie obtient le privilège de son exploitation et le Haut
Commissariat décide l’extension du port par la construction d’un deuxième bassin avec
un objectif précis : il s’agit d’attirer le trafic et de faire face à la concurrence de Haïffa. Le
trafic connaîtra effectivement une forte progression en 1938 et 1939 grâce à la zone
franche, à l’agrandissement du port et aux troubles de Palestine, mais aussi grâce aux
besoins accrus de la ville de Beyrouth. Même si le déclenchement de la Seconde Guerre
mondiale ne permet pas de présumer de manière précise de l’impact de l’extension des
installations portuaires sur le trafic, cet élargissement a préparé le port à la très forte
expansion de l’après-guerre.
24
14 Sur le plan du commerce international, le protectionnisme qui avait entravé les échanges
durant l’entre-deux-guerres fait place à une libéralisation de ces échanges qui se
développent de manière importante à partir des années cinquante. Sur le plan régional, le
Moyen-Orient est le théâtre de bouleversements importants : politiquement, avec la
création de l’Etat d’Israël en 1948, et avec une instabilité liée à la monté du nationalisme
arabe et des mouvements d’émancipation nationale. Economiquement, les pays de la
région connaissent un développement sans précédent dû à l’augmentation de la
production et de la rente pétrolières ainsi qu’à la mise en valeur de nouvelles ressources,
comme les phosphates en Jordanie ou l’extension donnée à la culture du coton en Syrie,
grâce à l’irrigation de vastes contrées agricoles. Par ailleurs, même si ces pays ne
possèdent pas de pétrole, ils perçoivent des redevances sur les oléoducs qui traversent
leurs territoires, provoquant une forte augmentation du pouvoir d’achat de l’hinterland.
15 Le port de Haïffa ayant été fermé au commerce arabe en 1948, cet hinterland est
principalement desservi par le port de Beyrouth qui demeure le seul port moderne
jusqu’en 1957. Le port et la ville sont favorisés par la politique économique libérale
adoptée au Liban et par sa stabilité politique relative face aux politiques économiques de
plus en plus restrictives des pays voisins et à leur instabilité politique croissante. Le Liban
et sa capitale connaissent alors un essor économique important, attirant capitaux et
talents des pays voisins ; l’hinterland de Beyrouth s’élargit aux pays de la péninsule
arabique et du golfe persique, notamment à partir des années soixante lorsque les
prélèvements de l’OPEP accroissent encore la richesse pétrolière. Effectivement, le port
de Beyrouth reste le chemin le plus court et le plus économique pour les marchandises
destinées à ces pays, elles évitent ainsi le passage par le canal de Suez et le
contournement de la péninsule arabique. L’hinterland desservi par le port comprend
alors la Syrie, la Jordanie, l’Irak, l’Iran, le Koweit et l’Arabie séoudite. Le trafic passant par
le port connaît donc une très forte progression à partir des années cinquante, même s’il
diminue quelque peu dans les années 1958 à 1963, il augmentera à nouveau à partir de
1964. Face à cette croissance et à celle des marchandises passant par le port de Beyrouth,
malgré la construction du deuxième bassin achevée en 1938, les installations portuaires
se trouvent rapidement débordées. Or, la politique économique de l’autorité libanaise,
mise à part la parenthèse des années 1958 à 1964 qui correspondent au mandat du
président Fouad Chéhab, se caractérise par l’absence de tout plan de développement et
par un laisser-faire et un laisser-aller poussés à l’extrême.
25
réception des matières premières. Parallèlement, l’Etat continue à hésiter devant une
nouvelle extension, estimant que la réouverture du canal de Suez (qui n’interviendra
qu’en 1975) risque de faire baisser le trafic. En 1972, la décision de construire le quatrième
bassin est finalement prise, mais, avec le délai caractérisant l’administration et le temps
que les adjudications soient lancées, les travaux sont à peine entamés lorsque les
événements de 1975 se déclenchent au Liban.
18 La guerre de 1975 à 1990 entraîne la destruction de l’infrastructure du port. Elle retarde
les travaux de reconstruction et de développement des installations tout en augmentant
leur coût ; elle conduit finalement à l’inadaptation du port aux nouvelles données du
trafic maritime international, notamment au trafic par conteneurs. Depuis 1990, date de
l’expiration de la concession accordée à la société de gestion, l’Etat gère directement le
port. Il a décidé d’acheter le matériel nécessaire et de procéder aux premiers travaux
d’extension. Mais des interrogations demeurent, tout d’abord au niveau des incidences
d’une éventuelle paix arabo-israélienne et de la réouverture subséquente du port de
Haïffa, ensuite au niveau de la question de l’extension du port de Beyrouth ou de celle
d’autres ports libanais, Saïda en particulier.
19 En conclusion, bien que de cet article soit centré sur l’importance de l’hinterland dans le
développement du port de Beyrouth, l’étude des chiffres du tonnage commercial passé
par le port démontre que le rôle du transit dans le trafic n’est pas celui qu’on a coutume
de lui accorder. Ainsi, pour la période allant de 1944 à 19751, le trafic de transit a atteint
durant deux années uniquement (1968 et 1975) un maximum de 34 % du trafic total. C’est
cependant essentiellement en fonction de la croissance des besoins du pays que le trafic
du port a progressé. Les activités liées au commerce triangulaire et au transit avec
l’hinterland, grâce à la politique économique libérale et au capital humain, ont joué un
rôle primordial dans la croissance économique de Beyrouth et du Liban et, par
conséquent, dans le développement du port.
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NOTES
*. Historienne, chargée de cours à l’université Saint-Joseph.
1. Le Liban et la Syrie étant unis sur le plan monétaire et douanier durant la période du Mandat,
le tonnage en transit vers la Syrie est alors comptabilisé dans la rubrique « importations » et non
dans celle du « transit ». La rupture de l’union douanière entre les deux pays intervient en 1952.
Par conséquent, ce n’est qu’à partir de cette date que les statistiques de la Compagnie fournissent
le tonnage des marchandises transitant vers la Syrie.
29
Carla Eddé
6 Les maronites migrant à Beyrouth au XIXe siècle sont, dans l’écrasante majorité des cas,
originaires du Mont-Liban voisin. Cette constatation, prévisible d’ailleurs, s’explique par
le fait que ce territoire constitue le foyer traditionnel des maronites18. Elle s’explique
aussi par la proximité de la ville, à laquelle la lie une route carossable depuis 1863.
L’amélioration du réseau routier et des moyens de transport facilite certainement les
déplacements des hommes.
7 Le recrutement est très diversifié : plus de trois cents villages et localités du Mont-Liban
sont représentés. Les districts nord, à prédominance chrétienne (Bcharré/Zgharta,
Batroun, Jbeil et Kesrouan), fournissent autant si ce n’est plus d’hommes que les districts
mixtes (Metn, Chouf, Aley et Jezzine). Il semble donc que les zones « épargnées » par les
affrontements intercommunautaires sont aussi touchées par l’émigration que les districts
où se déroulent les combats. C’est le Kesrouan, terrain privilégié des dissenssions entre
les moukataajis – les Khazen et les Hobeich en particulier – et les paysans, soutenus par le
patriarche Boulos Massaad, qui, pour l’ensemble du XIXe siècle et les années 1840-1860 en
particulier, fournit le plus de migrants à Beyrouth. On peut y voir un indicateur de la
gravité des crises sociales qui agitent ce district, gravité souvent occultée par la
dimension confessionnelle qu’elles revêtent dans les régions mixtes. Selon D. Chevallier,
le Mont-Liban atteint vers la fin des années 1830 la saturation démographique et la
pression sur la terre y est particulièrement forte19 ; l’émigration urbaine constitue alors
une solution pour un grand nombre. Effectivement, les districts qui connaissent les
densités les plus élevées – selon V. Cuinet, le Chouf (Chouf et Aley réunis), le Metn et le
Kesrouan20– fournissent le plus grand nombre de migrants. Le recrutement à partir des
autres régions de l’actuel Liban est relativement négligeable. Outre qu’elles ne
constituent pas des zones de forte implantation maronite, ces régions comportent des
villes, notamment Tripoli, Zahlé et Saïda, qui drainent leurs surplus démographiques.
Pour leur part, les principales villes syriennes, palestiniennes et égyptiennes fournissent
un très faible nombre de migrants, leurs proportions respectives ne dépassent pas 1 % du
total. On retrouve ainsi le schéma classique du recrutement par cercles concentriques 21
concernant tout d’abord les régions les plus proches ; la proportion décroît avec
l’éloignement de la ville, mis à part le cas d’Alep qui fournit bien plus d’hommes que le
Akkar, par exemple.
8 Ces tendances, dégagées à travers l’étude des registres de l’état-civil du diocèse maronite
de Beyrouth, ne correspondent pas forcément aux informations rapportées par d’autres
sources. Ainsi, par exemple, dans une liste intitulée « Les réfugiés maronites de la ville de
Beyrouth »22, probablement incomplète, indiquant l’origine de quelques 2 526 réfugiés
maronites à Beyrouth en 1860, seuls les districts mixtes sont cités, le Chouf représentant à
lui seul 80 % des cas, Hasbaya-Rachaya et la Bekaa les 20 % restants. Les districts à
prédominance chrétienne du Mont-Liban n’y sont guère représentés ; les migrants qui en
sont originaires ne sont sans doute pas assimilés à des « réfugiés » et échappent, par
conséquent, aux dénombrements effectués par les comités de soutien locaux ou
étrangers. Ainsi, le migrant n’est pas forcément assimilable à un réfugié et un réfugié ne
devient pas forcément un immigré. Et, si un grand nombre de personnes qui ont fui les
zones de troubles demeurent à Beyrouth une fois l’ordre rétabli après 1861, une part non
négligeable de réfugiés auraient repris le chemin de leur village d’origine23.
32
Evolution démographique
Les réfugiés maronites en 1860 selon leur origine géographique, (source : L. Fawaz, 1983, p. 54-55).
10 L’immigration maronite à Beyrouth revêt des aspects très divers. Cependant, on constate
que l’installation en ville est continue, voire définitive, pour la majorité des migrants
présents en ville avant 1860 (ils semblent d’ailleurs intégrés, leur origine est souvent
assimilée à Beyrouth dans les archives diocésaines), alors qu’elle est plus fréquemment
passagère après les années 1880. Il faut sans doute y voir, d’une part, les conséquences
bénéfiques de l’instauration du régime de la moutassarifiyya qui a rétabli le calme dans le
33
Mont-Liban et, d’autre part, les effets d’un optimum démographique que la ville ne
parvient pas encore à dépasser. Beyrouth, de but de l’émigration, devient alors un centre
de redistribution, un simple relais vers de nouveaux départs, plus lointains.
11 La communauté maronite tire avantage de sa situation à cheval entre deux territoires
administratifs, Beyrouth et le Mont-Liban, et profite des atouts administratifs,
économiques, etc. que peuvent lui offrir ces deux zones d’implantation ; quelques
exemples permettent de s’en faire une meilleure idée. Après 1880, les petits garçons sont
fréquemment baptisés hors des limites de la ville – c’est-à-dire hors du territoire placé
sous administration ottomane directe – pour éviter d’être soumis à la taxe d’exemption
du service militaire, le badal askariyya, ou d’assurer le service à partir de 1908. En effet, les
jabalis (montagnards) résidant en ville, ne sont astreints à cette taxe qu’à la deuxième
génération. Un immigré ne paye pas le badal ; son fils, né en ville, y sera soumis 31. Le sous-
enregistrement des garçons serait surtout le fait des nouveaux venus qui auraient ainsi
voulu soustraire leurs enfants à l’obligation du service militaire, mais aussi asseoir leur
identité originelle. En effet, de retour au village, un émigré peut espérer y acquérir une
notabilité à laquelle il lui est plus difficile d’accéder en ville. De plus, les émigrés sont
souvent enterrés dans leur village d’origine. La coutume est déjà fort répandue au XIXe
siècle, le curé notera sur le registre paroissial que le décédé a été enterré dans « le caveau
de ses ancêtres, dans son village d’origine ».
12 Par ailleurs, le nombre moyen d’enfants par ménage – de l’ordre de 2,5 –, calculé pour la
population maronite de Beyrouth, est largement en deça des données généralement
obtenues dans une société traditionnelle32. En fait, ce nombre est peu significatif, il
résulte de la moyenne entre deux situations opposées, un nombre d’enfants supérieur à la
moyenne calculé pour les ménages installés de manière continue en ville et un nombre
inférieur pour les ménages dont l’installation est passagère. Enfin, l’estimation du
nombre de maronites imposables suscite immanquablement des heurts entre le wali et
l’évêque maronite de Beyrouth, chargé de percevoir l’impôt. Ce dernier estime
systématiquement que les chiffres avancés par l’autorité civile sont exagérés, vu qu’un
nombre important de maronites sont « partis pour d’autres destinations » demeurent
« introuvables », « inconnus », etc. Les chiffres sont « négociés » différemment selon les
circonstances ; par exemple, l’évêque, qui réclame en 1910 une meilleure représentation
de la communauté au sein des différents conseils urbains, avance le chiffre de 40 000
maronites beyrouthins33, alors qu’il n’en avait reconnu que le quart lors de la fixation de
l’impôt deux ans auparavant34.
34
Début du XIXe.
Entre 1755 et 1855, l’église Saint-Georges est l’unique paroisse urbaine ; l’église Saint-Michel,
reconstruite en 1832, ne semble pas encore fonctionner en paroisse.
Milieu du XIXe.
Au cours des années 1850, trois nouvelles paroisses sont fondées : Notre-Dame en 1851, Saint-Elie en
1854, mais elle ne sera officiellement inaugurée qu’en 1861, tandis que Saint-Michel est constituée en
paroisse officielle en 1855.
35
Fin du XIXe.
Vers 1880, les deux nouvelles églises, Saint-Maron et Saint-Joseph, fonctionnent en paroisses
autonomes (elles ne seront constituées en paroisses officielles qu’au cours du siècle suivant).
Localisations intra-urbaines
13 Nous tenterons dans cette partie de suivre le parcours de l’immigré en ville afin de
déterminer les stratégies de l’implantation urbaine et les formes de regroupement
adoptées par la population observée.
L’installation en ville
15 Après l’arrivée en ville, la seconde étape est une redistribution sur l’ensemble du
territoire urbain et une sortie du balad vers les nouveaux quartiers, cela après
l’écoulement d’un temps très variable selon les cas, d’une à plusieurs années, voire la
durée d’une génération. Les familles se répartissent dans l’ensemble du territoire urbain
au fur et à mesure de son expansion. Elles essaiment dans les différents quartiers
orientaux, à La Quarantaine, Nahr, Rmeileh, Ghabeh, Achrafiyyé ; à l’ouest, à Kantari,
Zouqaq al-Blat, Bachoura, Ras Beyrouth : vers le sud, à Ras al-Nab’, Dahdah, Mazraa al-
Arab et Mousaytbé. Vers 1880, plus de la moitié des naissances enregistrées au sein de la
population maronite à Beyrouth sont comptabilisées dans les paroisses qui gèrent les
quartiers périphériques (contre 13 % vers 1860).
16 A première vue, la répartition de la population maronite dans l’espace urbain semble tout
à fait aléatoire. Mais, au-delà des choix individuels, nous pouvons retrouver quelques
tendances générales, communes à certaines catégories d’immigrés, qui structurent ou
dirigent leur choix. Le premier critère retenu est l’ancienneté de l’installation en ville. On
ne retrouve pas de quartier réservé aux « vieux citadins » et d’autres qui seraient propres
aux migrants. Toutefois, les familles maronites installées à Beyrouth avant 1840, si elles
sont dispersées entre les différents secteurs, sont encore démographiquement plus
marquantes au centre vers 1920. Les vieux quartiers sont plus fréquemment adoptés par
les migrants installés relativement tard, après les années 1880. Ces données, en apparence
contradictoires, reflètent l’évolution de l’espace urbain à la fin du XIXe siècle :
l’embourgeoisement crée un mouvement de sortie des plus nantis de Bayrut al-qadima vers
les nouveaux quartiers résidentiels cossus, à Qirat35 par exemple, tandis que les nouveaux
venus se concentrent au balad, du moins au premier temps de leur installation.
17 La répartition des migrants est quelquefois guidée par l’appartenance commune, mais
nous ne retrouvons pas systématiquement cette logique. Les migrants originaires du
Mont-Liban semblent distribués de manière relativement équilibrée entre les différents
quartiers. Des relations « privilégiées » existent quand même entre certaines zones
d’installation et des points de départ particuliers ; par exemple, le quartier Rmeileh est
plus souvent choisi par les personnes originaires de Jbeil, Ras al-Nab’ par les personnes
émigrées de Aley, du Metn (Sud) et de Hasbaya/Rachaya, les quartiers du centre par les
personnes originaires de Bcharré/Zgharta. Les originaires des districts à prédominance
chrétienne du Mont-Liban se retrouvent dans les différents quartiers, avec une légère
inclinaison en faveur du balad. Le regroupement est plus marqué pour les personnes
originaires des districts mixtes du Mont-Liban qui sont enregistrées dans les quartiers
périphériques dans plus d’un cas sur deux, avec une très nette prédilection pour Ras al-
Nab’ et les quartiers sud de la ville36, surtout dans les cas de Aley et du Metn. La
répartition est relativement équilibrée pour les personnes originaires de la Bekaa, du
nord et du sud du Liban actuel et des autres villes de la région (Alep, Damas, Akka, etc.) ;
les fréquences notées sont d’ailleurs trop faibles pour être réellement significatives.
18 La concentration par origine commune, attestée dans quelques cas, n’est toutefois jamais
exclusive ; elle constitue une tendance générale plutôt qu’une règle systématique.
Effectivement, les différentes origines sont représentées de manière relativement
équilibrée dans tous les quartiers de la ville, à une ou deux exceptions près. Si l’hypothèse
d’une logique de réseaux entre points de départ et points d’arrivée est à retenir, elle ne
37
Mobilité intra-urbaine
19 La répartition observée n’est pas immuable, la mobilité géographique entre quartiers est
fréquente ; elle reflète probablement la mobilité sociale40. Même au niveau individuel, le
choix du quartier de résidence n’est pas toujours définitif, ce qui complique la mise en
évidence des logiques d’implantation urbaine des migrants. Les déménagements sont peu
pratiqués avant les années 1860 quand la ville est encore repliée dans ses murailles. La
mobilité d’un point de la ville à un autre est plus fréquente pendant les années 1860-1900,
signe du développement progressif des nouveaux quartiers et du mouvement de sortie du
balad puisque les déplacements des individus se font, dans un cas sur deux, du centre vers
les nouveaux quartiers. Mais le mouvement inverse est également attesté, surtout
pendant les années 1890, ainsi que les déplacements entre les nouveaux quartiers.
Vérifiées sur un petit échantillon, ces tendances doivent être affinées mais elles reflètent
la complexité et la diversité des voies que suit le migrant de l’installation à l’intégration
en ville.
Migration et intégration
20 Il est encore prématuré de soulever la question de l’intégration des migrants, mais on
peut avancer quelques éléments de réponse. L’afflux massif des migrants au XIXe siècle
modifie le paysage et l’équilibre urbain.
Au niveau de l’urbanisation
s’opère progressivement du balad vers les nouveaux quartiers desservis. Les différentes
paroisses urbaines constituent donc un réseau dont les ramifications s’étendent sur
l’ensemble du territoire urbain au fur et à mesure de son développement, auquel se
superposent les institutions et confréries paroissiales qui encadrent la population.
24 Caractérisée par un dynamisme migratoire considérable et une forte mobilité – celle des
familles qui sont là une année et disparaissent ensuite pendant des périodes plus ou
moins longues ; celle qui mène les hommes des villes et des villages vers Beyrouth, et d’un
point de la ville à un autre ; ou encore la mobilité sociale –, la communauté maronite de
Beyrouth se dérobe à toute classification hâtive, voire réductrice. Les maronites immigrés
en ville sont-ils des « ruraux », des « néo-urbains »50 ou bien des « citadins » ? D’ailleurs,
si on perçoit encore mal les divisions au sein de la communauté maronite de Beyrouth
dans la seconde moitié du XIXe siècle, il semble peu pertinent de la considérer comme une
entité homogène, rassemblant des individus aux intérêts toujours convergents. Les cas de
figures sont très divers entre le notable « qui appuie l’Empire mais revendique la
décentralisation et les réformes »51 et le jabali qui choisit de faire baptiser son fils au
village.
25 Le flux des hommes est permanent entre Beyrouth et le Mont-Liban52 ; il s’effectue dans
les deux sens (et se double de mouvements vers de nouvelles destinations en fin de
période) ; les relations entre ces deux territoires semblent loin d’être univoques. Si les
migrations sont nombreuses, elles se font souvent à courte distance, le migrant résidant
en ville ne coupe vraisemblablement pas les attaches avec sa région où est restée une
partie de sa famille et où il peut toujours se réfugier en cas de nécessité – il choisira
parfois de s’y faire enregistrer dans le cadre de la redéfinition de l’état-civil en 1932 53.
Importants en nombre, ces émigrants le seront aussi quand ils retourneront s’installer
dans leur village après avoir fait fortune. La complexité des relations de la ville la
Montagne, amplement soulignée par les chercheurs et auteurs contemporains54, est une
fois de plus mise en relief. Progressivement, Beyrouth se taille un arrière-pays 55, incluant
le Mont-Liban, qui devient de plus en plus dépendant de la ville pour sa survie
économique et sa stabilité politique. La séparation administrative n’a pas empêché la
circulation des choses, des hommes et des idées. Selon L. Fawaz, Beyrouth au XIXe siècle,
ce sont les « marchands » et les « migrants ». Ils vont contribuer à la mise en place de
réseaux de plus en plus ramifiés qui comprennent le Mont-Liban, mais aussi les
principales villes syriennes56 et même des régions beaucoup plus lointaines, par le biais
des migrations et du commerce, les deux étant, souvent combinés. Par exemple,
l’installation d’un membre de la famille en Egypte permet la mise en place de contacts
commerciaux accrus entre les deux régions. La superposition de réseaux divers,
impliquant des acteurs sociaux différents et des espaces complémentaires, et leur
imbrication dans des combinaisons complexes et rentables vont faire de Beyrouth une
plaque tournante, le Mont-Liban en constituant un des multiples relais vers l’intérieur.
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8. L. Fawaz, 1983, p. VIII ; K. Salibi, 1988, p. 11 et suiv.
42
9. Les maronites constituent une des millat-s qui bénéficient d’une autonomie administrative,
législative et judiciaire (à l’exception des affaires criminelles qui relèvent du qadi local) sous
l’autorité de leurs chefs religieux ; E. Rabbath, 1973, p. 81.
10. K. Salibi, 1988, p. 95 et suiv.
11. L. Cheikho, 1986, p. 119 et suiv ; P. Dib, 1962, p. 73, 115 et 146 ; L. Fawaz, 1983, p. 44 et suiv ; K.
Salibi, 1988, p. 23.
12. C. Allard, 1864, p. 66 et suiv. ; P. Chauvierre, 1883, p. 242 ; J. Ducret, 1864, p. 364.
13. P. Dumont, 1989, p. 486-487.
14. B. Labaki, 1984.
15. Dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, nous avons étudié la démographie des maronites à
Beyrouth au XIXe siècle en nous basant sur des registres paroissiaux ainsi que des documents
divers conservés à l’archevêché maronite de Beyrouth ; C. Eddé, 1996.
16. D. Chevallier, 1971, p. 28 et suiv.
17. P. Guillaume et J.-P. Poussou, 1970, p. 14-15.
18. Cette situation est à l’opposé de celle de la communauté orthodoxe de Beyrouth dont la
croissance démographique du XIXe siècle est due à de nouvelles familles qui sont « en majorité
originaires de Syrie, beaucoup plus que du Mont-Liban » ; M. Davie, 1987, p. 49.
19. D. Chevallier, 1971, p. 48.
20. V. Cuinet, 1896, p. 211.
21. J.-P. Poussou. 1979, p. 176-177.
22. Cité par L. Fawaz, 1983, p. 54-55.
23. K. Salibi, 1988, p. 158 et suiv.
24. En l’absence de recensements ou même de simples comptages réguliers et fiables (Y.
Courbage et P. Fargues, 1974, p. 9 et suiv.), les chiffres avancés sont des ordres de grandeur et
non des valeurs précises ; C. Eddé, 1996, p. 109 et suiv.
25. M. Daher, 1986, p. 316 et suiv. ; C. Issawi, 1988, p. 20. L’émigration vers l’Egypte et le Soudan
daterait du début du XIXe siècle ; S. Longrigg, 1963, p. 108. Une pétition en faveur de Mgr. Debs est
signée par « les fils de la nation Maronite du diocèse de Beyrouth résidant à Alexandrie » ; de
nombreuses familles « beyrouthines » (bien représentées dans les registres paroissiaux) y
figurent tels les Asfar, Boueri, Farès, Hneineh, Khadra, Malhamé, Marza, Naccache, Sourati,
Tabet, Zeenni, etc. ; C. Eddé, 1996, p. 21.
26. N. Verney et G. Dambmann. 1900, p. 148 ; D. Chevallier, 1971, p. 292 ; C. Issawi, 1988, p. 71 ; K.
Salibi, 1988, p. 211.
27. La construction ou l’agrandissement des églises desservant ces quartiers seraient-ils des
indicateurs de l’augmentation de leur population ? Une étude sur le développement de ces zones
permettrait d’éclairer ce point. A titre d’exemple, l’église paroissiale de Chiyah est agrandie vers
la fin du XIXe siècle ; Y. Debs, 1978, p. 388.
28. Sur le malaise en ville durant cette période voir M. Davie, 1993, p. 304 et suiv.
29. N. Beyhum, 1991, p. 69.
30. L. H. De Bar, 1983, p. 107 et suiv.
31. M. Davie, 1993, p. 71.
32. P. Guillaume et J.-P. Poussou, 1970, p. 177 ; L. Henry et A. Blum, 1988, p. 96 et suiv.
33. Lettre adressée au wali datant de 1910, document conservé à l’archevêché maronite de
Beyrouth.
34. Salnamé wilaya bayrut, 1326 H [1908], p. 425.
35. Ibid., p. 66 et 80.
36. Un comportement similaire est également constaté pour les grecs-orthodoxes originaires du
Mont-Liban qui se concentrent à Ras al-Nab’ et à Mousaytbé ; ibid., p. 47 et 81.
37. L’existence d’institutions particulières dont le but est « d’assister chacune les pauvres de la
région dont ses membres sont originaires » n’est d’ailleurs attestée que tardivement, après 1930 ;
43
Rapport sur le diocèse maronite de Beyrouth présenté au Saint-Siège en 1930, p. 12, document conservé à
l’archevêché maronite de Beyrouth.
38. Déjà en 1843, les actes du tribunal sharü de Beyrouth mentionnent des familles maronites
résidant à Nahr, La Quarantaine, Qirat, Sayfi, Ras al-Nab’, Kantari et Ras Beyrouth ; H. Hallak,
1987. À Saïda également, les chrétiens se répartissent de manière équilibrée dans l’ensemble de
l’espace urbain ; A. Abdel Nour, 1982.
39. N. Beyhum, 1991, p. 96 et figure 2.g.
40. M. F. Davie, 1984, p. 72.
41. Ibid., p. 47.
42. M. F. Davie, 1984, p. 69 et suiv.
43. A. Tohmé, 1986, p. 46.
44. P. Dumont, 1989, p. 483 et suiv.
45. C. Eddé, 1996, p. 130 et suiv.
46. Lettre adressée au gouverneur en 1912, document conservé à l’archevêché maronite de
Beyrouth.
47. L’évêque maronite de Beyrouth tente de créer un organisme pour porter secours (et
assistance militaire) aux maronites du Mont-Liban lors des affrontements des années 1858-1860 ;
K. Salibi, 1988, p. 169 et suiv. Mais son action a peu de succès au sein de la communauté urbaine
qui ne se mobilise pas ; C. Eddé, 1996, p. 130 et suiv.
48. Selon M. Davie, on ne relève pas de conflits entre les communautés orthodoxe et maronite de
Beyrouth ; M. Davie, 1993, p. 138 et suiv. Mgr. Debs échoue d’ailleurs dans sa tentative de faire
voter par le Conseil communautaire la construction d’un hôpital pour éviter aux « pauvres de
notre communauté de continuer à subir les vexations des grecs-orthodoxes » ; Y. Debs, 1887, p.
96.
49. Selon une étude des habitudes de fiançailles de la communauté grecque-orthodoxe
beyrouthine, les mariages entre maronites et grecs-orthodoxes sont rares entre les années 1870
et les années 1900 ; M. Nammour, 1989, p. 57.
50. N. Beyhum, 1991, p. 88 et suiv.
51. M. Davie, 1993, p. 306.
52. C. Allard, qui visite Beyrouth vers 1855, mentionne « les visites incessantes des maronites de
la Montagne » ; C. Allard, 1864, p. 66.
53. Beaucoup de maronites résidant à Beyrouth préférent alors se faire enregistrer dans leur
district d’origine – actuellement, le nombre de maronites qui votent à Beyrouth est de l’ordre de
30 000 personnes (selon le ministère de l’Intérieur, L’Orient-Le Jour, 14.07.1995), chiffre largement
inférieur à celui des maronites qui y résident.
54. M. Davie, 1993, p. 344-346 ; N. Beyhum, 1991, p. 54 et 63.
55. Selon A. Abdel Nour, « plus que des fluctuations du commerce international, le destin des
villes dépend de leurs territoires, de leurs fortunes et de leurs populations ; bref, de leurs
paysans », A. Abdel Nour, 1982, p. 270.
56. Beyrouth au XIXe siècle a développé un réseau intense de contacts avec les villes de la Syrie du
sud surtout avec Damas ; M. Davie, 1993, p. 290-291.
44
cabotage. Elle est divisée en quartiers caractérisés par une appellation religieuse (hayy al-
nassara, quartier des chrétiens), professionnelle (hayy al-assakifa, quartier des
cordonniers), ou nationale (hayy al-maghariba, quartier des marocains). La population
beyrouthine est, comme aujourd’hui, pluri-confessionnelle. Au-delà du mur d’enceinte,
Beyrouth étend son autorité juridique sur ses environs agricoles ; ils se délimitent à l’est
par le nahr Beyrouth et Karantina, à l’ouest par Ras Beyrouth et au sud par Bir Hassan et
le village de Choueifat (voir carte 1).
5 Entre 1831 et 1840, les égyptiens occupent les provinces syriennes de l’Empire, ils sont
soutenus par Béchir II, prince chéhabi de la montagne libanaise qui les fournit en soldats
et en munitions dans leur campagne contre les Turcs. Sous l’occupation égyptienne,
plusieurs mesures sanitaires sont adoptées3. La fondation de La Quarantaine dans la
banlieue, en 1834, va jouer un rôle significatif dans le développement économique de la
ville et de son port. Lorsqu’en 1840, les Ottomans, aidés par les puissances européennes,
reprennent la situation en mains, ils réorganisent l’administration du Mont-Liban en
créant deux districts, l’un maronite, au nord et l’autre druze, au sud. Par ailleurs, l’année
suivante, les troubles opposant druzes et maronites contribuent à l’expansion de la ville.
En effet, les tensions et conflits dans la Montagne entraînent la fuite d’une partie de la
population vers le littoral. En l’espace de vingt ans, la population beyrouthine double ; de
6 000 habitants en 1823, elle passe à 12 000 en 1843.
6 L’abolition du gouvernement princier dans la Montagne en 1843 permet aux autorités
ottomanes d’établir un contrôle plus rigoureux et plus direct qu’auparavant sur la région
et cela par l’intermédiaire de Beyrouth et de Damas. Beyrouth commence à acquérir un
certain intérêt politique et administratif et à occuper une place importante dans les
affaires ottomanes, les puissances européennes vont désormais s’intéresser de près à son
sort. En 1843, après une période semée de troubles internes et d’interventions étrangères,
la ville se réorganise ; sa situation politique est favorable au changement, tandis que sa
situation économique devient de plus en plus florissante. Beyrouth grandit et s’ouvre sur
le monde extérieur. Durant cette période, on note simultanément le déclin de Saïda,
d’Acre et de Tripoli qui, auparavant, étaient les principaux ports de la région.
Un centre juridique
7 Le territoire relève d’abord de la géographie politique et de l’institution. C’est l’étendue
de terre qui dépend d’un empire, d’une province, d’une ville ou d’une juridiction4. Le
territoire beyrouthin dépend de l’Empire ottoman, de la province de Saïda et de la ville de
Beyrouth ; en ce qui concerne le droit civil et pénal il dépend du tribunal hanéfite de la
ville. Afin de bien préciser les limites de ce territoire, il est indispensable d’avoir recours
aux registres fonciers. C’est ce que nous avons fait pour l’année 1843.
8 À ce moment-là, le « régime juridique » char’i de la Syrie est intégré dans le système
juridique ottoman. Le tribunal joue ainsi un rôle considérable dans l’organisation de la
ville. Pratiquement toutes les affaires concernant la population, dans tous les domaines,
peuvent être évoquées devant cette cour. Le tribunal devient, par conséquent, un
médiateur entre les familles beyrouthines de différentes confessions. Les registres
révèlent que le Tribunal de Beyrouth ne règle pas uniquement les affaires de la ville. Au
total, Beyrouth inclus, vingt-sept régions sont signalées. Il serait intéressant de savoir
quelles sont les régions qui dépendent directement de l’autorité judiciaire de Beyrouth et
46
celles qui ont le choix entre Beyrouth et une autre juridiction. Les actes relatifs aux
villages du Mont-Liban et les villes comme Saïda, Damas ou Tripoli sont écartés de cette
analyse. Les familles d’origine beyrouthine, signalées dans ces actes, préfèrent régler
leurs affaires foncières outre-territoire sans se déplacer alors que les villages du Mont-
Liban, Saïda, Damas et Tripoli ne sont pas du ressort du tribunal beyrouthin. Par contre,
la campagne des environs de la ville et le village de Choueifat semblent en dépendre
directement. A part cette dernière localité, ces environs sont situés à l’intérieur des
limites administratives du Beyrouth actuel. En 1843, il s’agit de petits quartiers
périphériques, de lieux-dits ou de petits villages. Bien que Choueifat dépende alors de
l’autorité du Mont-Liban, une grande partie de ses affaires foncières se règle à Beyrouth
(onze actes pour l’année 1843). Les personnes citées dans les actes sont, pour la plupart,
originaires de ce village. L’autorité juridique de la ville s’étend donc à cette région ; cela
suppose qu’elle fait partie de son territoire. Une dernière remarque relative à l’espace de
pouvoir du tribunal est à noter, elle se rapporte à un ordre du wali de Saïda. Le
gouverneur As’ad Bacha ordonne au prince Haydar Abi Lama’, chef du district chrétien du
Mont-Liban, de renvoyer une affaire de règlement de dettes, soumise auparavant au
tribunal maronite de Ghazir, au mahkama char’iyya de Beyrouth. Le pouvoir judiciaire
beyrouthin s’étend alors sur le Mont-Liban qui représente indirectement le wali de Saïda.
Les registres indiquent donc que le tribunal règle toutes les affaires de la ville de toutes
les communautés. Son espace de pouvoir est assez vaste, il couvre de larges environs, le
village de Choueifat et s’étend éventuellement au Mont-Liban au gré des ordres des
représentants de La Porte. Beyrouth est ainsi un intermédiaire direct entre l’autorité
ottomane et le gouvernement princier de la Montagne ; son importance politique est liée
à l’étendue de son autorité judiciaire.
quartier. Il est également notable que la plus grande mosquée (jami’ al-Amir Mansour
‘Assaf), est également connue sous la désignation : de « Mosquée du Sérail » à cause de sa
proximité avec le palais.
11 Outre les trois grandes mosquées intra-muros, une quatrième, localisée dans la région de
Karantina à l’est de la ville, est aussi mentionnée. Il s’agit de jami’ al-Khodr, une ancienne
église, vouée au culte musulman en 1661, par le gouverneur Ali Bacha.
12 A côté des mosquées se trouvent aussi les zawiya-s, lieux de culte sunnites, abritant les
activités des différentes confréries religieuses5. Il existe une dizaine de zawiya-s à
Beyrouth à cette époque (zawiya al-Qassar, al-Majzoub, al-Hamra) ; ces édifices, construits
aux alentours des mosquées, sont affiliés à d’anciennes familles beyrouthines. Par
exemple, zawiya al-Qassar est construite par la famille du même nom.
13 La ville comporte également une cathédrale grecque-orthodoxe dédiée à Saint Georges.
Désignée dans les actes comme kanissat al-roum, elle est située dans le quartier sud-est de
la ville. Cette cathédrale représente un deuxième pôle administratif et religieux, elle
regroupe la majeure partie de la communauté orthodoxe. C’est dans ce secteur qu’étaient
concentrés les lieux de culte et les équipements urbains de la communauté6. Les familles
citées dans les actes relatifs à cette cathédrale sont les suivantes : Saïkali, Wehbé, Zahhar,
Smat et Mikhaïl elles sont toutes orthodoxes, aucun musulman n’est impliqué. Cela
traduit-il un cloisonnement communautaire ? Y aurait-il à Beyrouth un secteur
proprement chrétien ?
14 Beyrouth n’est pas organisée autour d’un seul pôle administratif mais de plusieurs. A côté
du Palais, on trouve la mosquée du Vendredi/ jami’ al-’Omari et la cathédrale Saint-
Georges. Ces deux noms désignent, en fait, des ensembles urbains comprenant, mis à part
le lieu de prière, la résidence du chef religieux, des bâtiments annexes pour le gîte,
l’hospice, l’école et le marché.
Un centre économique
15 Comment définit-on l’espace économique beyrouthin et quelle est sa fonction ? Quelles
sont ses composantes ? Telles sont les interrogations qui occupent cette partie. D’après A.
Raymond, l’élément fondamental dans l’organisation des villes arabes est le rôle
déterminant des fonctions économiques et en particulier commerciales. Il cite L.
Massignon selon lequel « Les souks (...) sont en définitive la principale raison d’être de
l’agglomération. », il poursuit en se référant aussi à J. Sauvaget qui dit, à propos de la
zone des souks de Damas, qu’« elle est la partie essentielle de la ville, ‘la Cité’ (el-Mdiné),
par opposition aux quartiers d’habitations (el-balad) »7. Au milieu du XIXe siècle, Beyrouth
compte une vingtaine de marchés que l’on identifie par leur activité commerciale (souk
mizan al-harir, marché de la soie), artisanale (souk al-haddadin, marché des forgerons, souk
al-assakifa, marché des cordonniers) et professionnelle 8 (souk al-’attarin, marché des
parfumeurs). Les cartes de l’époque présentent les souks9 sous forme de structures
économiques ayant une forte spécialisation. La première chose que l’on remarque, c’est le
rassemblement des souks dans le secteur des mosquées (voir carte 3). Les marchés se
regroupent autour d’une région centrale et se répartissent, suivant leurs activités, dans
des zones économiques spécifiques à la manière des villes syriennes de l’époque 10. La ville
compte également des qaysariyyas ou des marchés couverts. Pour H. Hallaq, les
qaysariyya-s sont des espaces couverts faisant partie d’un marché 11. A Alep, selon J.-Cl.
David, les qaysariyyas, « sont des logements temporaires destinés aux commerçants et
voyageurs, ils servaient d’entrepôts et d’ateliers pour diverses activités de fabrication » 12.
A. Raymond considère ces espaces commerciaux comme étant le deuxième point central
de la zone économique de la ville, après les souks. Selon lui, la qaysariyya est une
« construction fermée par des portes où étaient vendues les marchandises les plus
précieuses (en particulier les étoffes) »13. A Beyrouth, ces espaces commerciaux sont
composés de deux étages ; le plus bas sert au dépôt et à la vente des marchandises, ils sont
situés dans des marchés, à l’intérieur de la zone des khans et sont destinés au stockage et à
la vente des produits liés au commerce régional et international (soies, épices...).
16 Outre les souks et les qaysariyyas, la ville comporte aussi des khans, ou caravansérails, qui
servent essentiellement au grand commerce, au commerce de gros et aux échanges à
longue distance. Ces caranvansérails regroupent les entrepôts, les écuries, les bureaux des
commerçants grossistes et les bureaux et logements des commerçants étrangers14, (khan
al-Jadid, khan Bir Hassan). Khans et qaysariyyas, sont souvent liés aux souks contigus par
une complémentarité des activités ; ils sont consacrés à la fabrication, à la
commercialisation en gros et en détail d’un même type de produits15. L’acte 64 des
registres beyrouthins vient confirmer la définition que J.-Cl., David donne pour Alep : « le
Hajj ‘Abdel Rahman Tabbarah vend la propriété des filles du feu ‘Othman Mohamed al-
Barbîr. La vente comprend trois dépôts dans le khan al-Jadid ainsi que trois entrepôts
dans la qaysariyya al-’Atiqa ». Ces établissements se trouvent sur les quais et sont
probablement destinés à recevoir la marchandise du port.
17 L’unité de base des marchés reste cependant la boutique. Dans un grand nombre de cas
(Alep, Le Caire, Damas, Baghdad...), le souk n’est que la simple juxtaposition de boutiques
construites le long d’une rue ou à un carrefour16. Ce sont des locaux exigus, avec un
plancher surélevé par rapport au niveau de la rue17. D’autre part, le lieu de commerce est
étroitement lié au lieu de résidence. Les boutiques, souvent localisées dans un marché,
49
sont parfois situées à proximité du lieu de résidence du commerçant. Nous déduisons par
là qu’il n’existe pas à Beyrouth de cloisonnement entre la mdiné et le balad. L’analyse
révèle que les espaces commerçants sont également des lieux de résidence et, dans
certains cas, correspondent aux espaces communautaires de la ville.
18 A côté de ces boutiques, on trouve des petits dépôts (bayka-s) et des entrepôts (makhzan-s).
La bayka, comme la définit A. Abdel Nour, est une sorte de grange-entrepôt, située
généralement dans un khan ou une qaysariyya18. Les bayka-s font partie de la ville et sont
souvent situées à l’intérieur des souks ou des qaysariyya-s. D’après A. Raymond, les
commerçants ne mettent dans leur boutique que les marchandises dont ils ont besoin
pour la vente immédiate. Très souvent, ils disposent d’un magasin dans un caravansérail
voisin où ils entreposent le reste de leur stock19. Ces bayka-s sont destinées à stocker la
marchandise des petits commerçants. Les makhzans sont des entrepôts situés
principalement au port. Par conséquent, ils sont destinés à recevoir la marchandise
régionale et internationale. Cinq makhzan-s sont signalés, ils sont localisés sur les quais,
trois d’entre eux font partie d’une qaysariyya.
19 Le port est désigné par l’appellation askila al-madina, l’échelle de la ville. Le mot askila,
d’origine turque, est emprunté à l’italien scala, échelle, qui, par extension, désigne le port
20
. A aucun endroit, le mot al-mina (port) n’est utilisé. Situé au nord de la ville, le port est
un modeste bassin hérité des croisés s’étendant sur cent cinquante mètres de long et cent
de large21. Quatre actes mentionnent la vente de maisons ou de dépôts dans le quartier du
port (fi-al-askila). Les actes 50 et 68 concernent la vente de maisons de Beyrouthins
notables. La première appartient au chef des commerçants (‘umda al-tujjar) et la seconde à
‘Omar Agha Mohammed Ramadan, le prix de chaque maison est évalué à 8 000 piastres.
Nous pouvons dire alors que le quartier du port, outre qu’il est un lieu d’échange et de
commerce, est également un lieu de résidence de riches commerçants de la ville.
50
20 D’après C. Douaihi22, Beyrouth était caractérisée avant la guerre par ses cafés ; cette
remarque est aussi valable pour le XIXe siècle. Quatre cafés sont signalés par les registres
de 1843. Trois d’entre eux font partie de la ville et un se trouve à l’extérieur de la
muraille, à Bir Hassan plus exactement. D’après la localisation de ces établissements et
leurs appellations, les premiers sont liés aux espaces économiques et religieux de la ville.
Qahwa al-kabira, d’après son appellation est le Grand café, il se situe en face de la mosquée
al-’Omari, qahwa al-assakifa, se situe à l’intérieur du souk du même nom, le marché des
cordonniers, quand à qahwa al-ma’laqa, il se trouve en face de l’église grecque orthodoxe.
Ces espaces à vocation commerçante sont également des lieux de loisir et de convivialité.
Le café est alors un lieu de frontière et de rencontre à la limite des zones économiques et
des zones religieuses. Ceci n’est pas valable pour le café de Bir Hassan, appelé qahwa al-
na’oura, probablement à cause de la présence d’une noria à proximité. La localisation de
ce café est liée à l’activité agricole de la région.
21 À côté de ses activités commerciales, la ville compte aussi plusieurs manufactures lui
permettant d’assurer une partie de son ravitaillement. Beyrouth est célèbre durant la
période ottomane pour ses pressoirs spécialisés dans la fabrication de la tahina et du
halawa à partir des graines de sésame. On trouve également des pressoirs d’olives pour la
production d’huile23, parmi ceux mentionnés à l’intérieur de la ville : ma’sara Bani Dandan
24
et ma’sara Bani al-Sablini25. Les actes signalent également un moulin à céréales (jarina al-
honta) ; sa localisation sur les quais du port pourrait signifier que la ville s’approvisionnait
en céréales par son port, cela n’excluerait pas toutefois la possibilité que l’arrière-pays
constitue une autre source d’approvisionnement. Une savonnerie est située à l’intérieur
de la ville ; les registres mentionnent également la présence de plusieurs fours.
22 La campagne était composée de vergers, de vignes et de terrains vagues, ce sont
généralement des boustân-s26, des karm-s27 ou des ‘aoudat-s28.
51
BIBLIOGRAPHIE
Références citées
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52
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NOTES
*. Doctorante en histoire à l’université Saint-Joseph.
1. H. Hallaq, 1987.
2. B. Labaki, 1984, p. 81.
3. L. Fawaz, 1983, p. 33.
4. M. Roncayolo, 1990, p. 181.
5. A. Abdel Nour, 1982, p. 410.
6. M. Davie, 1993, p. 32.
7. A. Raymond, 1984, p. 168-169.
8. M. Davie, 1992, p. 14-15.
9. M. F. Davie, 1984, p. 37-82.
10. A. Raymond, 1984, p. 169.
11. H. Hallaq, 1987, p. 231.
12. J.-Cl. David, 1984, p. 14.
13. A. Raymond, 1986, p. 235.
14. J.-Cl. David, 1984, p. 6.
15. Ibid.
16. A. Raymond, 1986, p. 242.
17. Ibid, p. 239.
18. A. Abdel Nour, 1984, p. 406.
19. A. Raymond, 1984, p. 240.
20. H. Hallaq, 1987, p. 79.
21. L. Fawaz, 1983, p. 72.
22. C. Douaihi, 1994, p. 71.
23. H. Hallaq, 1987, p. 99.
53
Introduction
Jean-Charles Depaule
1 Voici en quatre approches, dessinant des topographies en mouvement, les éléments d’un
portrait de Beyrouth et de ses recompositions en cours.
2 L’un des thèmes majeurs traités par les auteurs est la relation existant entre la ville et ses
territoires, analysée, du moins pour trois d’entre eux, à partir d’études qui s’attachent à
l’échelle locale, mais en référant toujours celle-ci, sinon à la globalité de l’agglomération,
du moins à un plus grand espace, ou à des polarités structurantes, dans une ville dont la
guerre a détruit le centre.
3 Tristan Khayat suggère que la rue Getaoui, à l’est, est à son niveau une caisse de
résonance des mutations de Beyrouth. La question de la représentativité d’un quartier, du
point de vue de sa composition confessionnelle, est explicitement posée par Marie-Claire
Fattore à propos de Mousaytbé, situé au centre ouest, qu’une grande diversité
caractérisait avant la guerre et dont l’évolution participe ensuite, avec le départ d’une
partie des chrétiens, à une tendance à l’homogénéisation qui affecte, d’une façon
générale, les différentes parties de Beyrouth. On rencontre une semblable interrogation
au sujet de la situation, inverse, de Hamra, redevenant progressivement un lieu de mixité,
ainsi que le montre Guillaume Boudisseau.
4 Celui-ci met également en lumière la manière dont avant 1975 Hamra, à l’ouest, en
affichant un style et une culture propres, marquait son indépendance à l’égard du centre
qu’elle concurrençait, et, à travers lui, à l’égard de la ville, avant de profiter du
polycentrisme induit par la guerre (le centre est détruit), jusqu’à l’arrivée massive de
réfugiés en 1984. Après la guerre, Hamra a retrouvé une place stratégique, jusqu’à
devenir, comme Guillaume Boudisseau le suggère, un « nouveau centre ancien », qui
aurait l’avantage, au moins symbolique, de posséder une stratification historique sur celui
(re)construit par Solidere ?
5 Si Marie-Claire Fattore décèle les traits d’une certaine centralité dans le quartier de
Mousaytbé, Tristan Khayat, pour sa part, en étudiant la rue Getaoui, constate la
formation, pendant la guerre, de micro-centralités à l’est, dont la logique n’a cessé depuis
de se développer. Auparavant, cette rue était, pour les commerçants, un espace-relais par
56
rapport au centre, c’est-à-dire aux souks (qui constituaient l’horizon des nouveaux
citadins). Désormais, rue Getaoui deux systèmes coexistent : les anciens types de
commerce et ceux apparus après 1975.
6 Les acteurs sociaux et leurs stratégies vis-à-vis de l’espace urbain sont présents dans les
différentes études. Ce sont les commerçants de la rue Getawi mais aussi les milices qui y
ont un temps exercé leur contrôle. Ce sont les habitants de Mousaytbé dont il est possible
d’interpréter le maintien, l’arrivée ou le départ, notamment en termes de trajectoire
sociale.
7 Ce sont ceux qui ont structuré et fait fonctionner des réseaux chiites, canalisant les flux et
assurant le mouvement des capitaux et des individus. À la différence des trois autres
intervenants, Marie-Claude Souaid ne circonscrit pas son analyse à un territoire
particulier, mais considère les stratégies foncières et immobilières d’une communauté qui
a accédé tard à Beyrouth. Elle identifie deux périodes : d’une part, celle où prévalent les
rapports personnels, la personnalité et l’honorabilité des médiateurs dont la légitimité
citadine est établie, et, d’autre part, celle où les échanges sont devenus purement
économiques, dans le cadre d’institutions bancaires ou de sociétés foncières. L’étude de
Marie-Claude Souaid suscite une interrogation : l’évolution qu’elle décrit caractérise-t-
elle la seule communauté chiite ? On manque des éléments de comparaison que des
recherches sur d’autres groupes seraient capables de fournir.
AUTEUR
JEAN-CHARLES DEPAULE
Sociologue, directeur de recherche au CNRS-IREMAM
57
Hamra en 1975
6 L’émergence de Hamra résulte de la croissance de la ville vers l’ouest. Son développement
récent et rapide est indissociable de la présence de l’université américaine à Ras Beyrouth
4. Il y a cinquante ans, Hamra était encore un espace agricole 5 ; c’est à partir des années
cinquante que le quartier est touché par un fort développement résidentiel et commercial
6. En 1975, la renommée du quartier était étroitement associée aux activités touristiques,
Situation de Hamra.
7 La population de Hamra était constituée par les catégories sociales moyennes et aisées.
Les actifs étaient surtout issus des nouvelles professions libérales, des cadres moyens et
des étudiants. A cette diversité sociale s’ajoutait la mixité confessionnelle ; Hamra était
un espace confessionnel hétérogène8.
8 Le développement de Hamra a profité, sans aucun doute, de celui de nouveaux modes de
consommation importés d’Occident9. A la fin des années soixante, le centre-ville n’avait
plus les capacités de se restructurer pour accueillir de nouvelles pratiques commerciales
et de nouvelles fonctions urbaines. Hamra est alors devenu une vitrine du monde
occidental et un exemple d’implantation du système capitaliste. On y retrouvait une
ambiance « à l’occidentale » qui contrastait avec celle des autres rues commerçantes de la
ville. Le centre-ville ne répondait plus à l’attente d’une partie de la population à la fois
jeune, étrangère et aisée. De ce fait, le succès économique de Hamra a été le fruit d’une
émancipation, à la fois culturelle et sociale, d’une partie des Beyrouthins. S’y côtoyaient,
les intellectuels, les artistes, les politiques, les étrangers, les journalistes et les acteurs 10.
Hamra s’est constitué non pas pour supplanter le centre-ville, mais en réponse à une
nouvelle idéologie urbaine.
9 Dans un premier temps, Hamra s’est développé en concurrence avec le centre-ville11 ; par
la suite, sa spécialisation a plutôt donné lieu à une certaine complémentarité avec ce
dernier. Chacun s’adressant à une clientèle et à des modes de consommation différents.
Ainsi, les cinémas du centre-ville et de Hamra se sont toujours adressés à des clientèles
différentes, et l’émergence d’agences bancaires à Hamra n’a jamais menacé l’hyper-pôle
financier de Riad el-Solh12. Haut lieu de modernité13, le quartier Hamra était, pour les
classes moyennes et aisées, le théâtre et l’espace de représentation de la réussite d’une
économie capitaliste et occidentale, et, pour les classes pauvres, au-delà d’un nouvel
espace public, une vitrine d’un monde socialement et économiquement inaccessible.
60
Rue Hamra. Cette rue représente l’emblème commercial du quartier. La diversité des activités, des
services et la multitude des enseignes en constituent la vitrine (cliché de l’auteur).
pas eu une baisse, mais plutôt une modification sociale et communautaire de la clientèle 19
.
12 De 1975 à 1990, l’essaimage des espaces commerçants a entraîné un phénomène de
concurrence entre leurs multiples implantations dans l’agglomération. Les commerces les
plus récents, et par conséquent les plus modernes, se sont imposés plus facilement auprès
de la population. Cette concurrence n’a pas été favorable à Hamra. Par exemple, l’exode
des activités ludiques (restaurants et cinémas) en périphérie de Beyrouth, donc loin des
zones de front, a connu un franc succès. La construction d’immeubles d’activités
tertiaires modernes et de centres commerciaux à Zalqa, Mar Elias, Dbayeh et Jounieh a
dévalorisé le quartier Hamra où, durant seize années, très peu de centres commerciaux
ont été construits. Avec la guerre, Hamra a perdu le monopole de la modernité
commerciale. A Beyrouth-Ouest, les rues Mar Elias ou Verdun et les quartiers Barbour ou
Bir el-Abed ont profité de cette dévalorisalisation progressive pour s’imposer dans les
pratiques commerciales des habitants.
Espace commercial
14 Le quartier est constitué non seulement par la rue Hamra, mais aussi de nombreuses rues
commerçantes parallèles et perpendiculaires20. Plusieurs rues se sont spécialisées dans
une même activité. La rue Makdissi est réputée pour ses boutiques d’habillement. Les
magasins de chaussures sont concentrés dans la rue Ibrahim Abdel-Aal 21, tandis que les
bijouteries22 occupent plutôt la rue Hamra. Ces spécialisations sont anciennes et n’ont fait
que se renforcer durant la guerre. De plus, certaines activités plus spécifiques sont
concentrées dans différentes rues23. La rue Jeanne d’Arc est connue pour ses fleuristes.
Les rues Bliss et Jeanne d’Arc (à proximité de l’entrée de l’université américaine)
regroupent des librairies-papeteries. Des marchands de meubles sont concentrés à
l’intersection des rues Makdissi et Abdel-Aal. Les opticiens sont plutôt installés le long de
la rue Abdel-Aziz (à proximité de l’hôpital américain) et les boutiques de souvenirs le long
de la rue de Baalbeck (à proximité des hôtels). Au-delà de ces spécialisations
commerciales, certains sous-quartiers de Hamra touchent une clientèle essentiellement
aisée à travers des boutiques de luxe24.
62
Rue Makdissi. Parallèle à la rue Hamra, cette rue est à la fois commerciale et résidentielle. Elle est
spécialisée dans le commerce de luxe et les secteurs financiers et hôteliers (cliché de l’auteur).
Espace financier
16 Depuis une dizaine d’années, le développement des nouveaux espaces de loisir au nord de
l’agglomération, à Kaslik, Jounieh et Maameltein (six complexes de cinémas, huit hôtels,
salles de jeux vidéos, restaurants et discothèques)28 a mis fin au monopole de Hamra,
Raouché et ‘Ayn el-Mreissé dans ce domaine. Néanmoins, Hamra demeure un quartier
touristique et de divertissement. On y dénombre toujours autant d’hôtels, d’appartements
meublés, de salles de jeux, de cinémas et de pub-restaurants. L’activité hôtelière – dix-
neuf hôtels – reste l’un de ses principaux atouts touristiques. Parmi les plus connus et les
plus anciens, nous retrouvons Le Bristol, Le Cavalier, Le Commodore29 et Le May Flower.
Les agences de voyages et les bureaux des compagnies aériennes ont toujours été
présentes dans le quartiers ; ils sont regroupées dans le centre Gefinor et le long de la rue
63
Hamra. Le quartier comporte aussi deux sous-espaces de loisir : les rues Bliss-Makhoul et
le centre Concorde. Le premier est localisé à proximité de l’entrée de l’université
américaine. La rue Bliss concentre des snacks, des glaciers, des fast-food, des pubs-
restaurants, et la rue Makhoul est renommée pour ses restaurants et ses pubs. Le centre
Concorde regroupe dans un même espace, trois salles de cinémas, des salles de jeux et un
pub-restaurant30. Si les cinémas ont fait durant les années soixante-dix la fierté et la
renommée de Hamra, ils sont aujourd’hui dégradés – à l’exception du Concorde –, non
entretenus et donc très peu fréquentés31.
17 Centre Gefinor. Construit à la fin des années soixante, la plus grande part de ce centre,
constitué de quatre immeubles de quinze étages chacun, est occupé par des activités du
secteur tertiaire. Il regroupe des cabinets médicaux, des représentations de compagnies
aériennes, des agences de voyage et bancaires. Malgré des formes architecturales
anciennes et considérées comme dépassées, ce centre reste le plus haut lieu de
regroupement d’agences de voyages du Liban (cliché de l’auteur).
Espace public
18 Au-delà de son poids commercial et tertiaire, le quartier Hamra est un des rares espaces
publics de Beyrouth. Les cafés-trottoirs de Hamra – Le Modca, Le Café de Paris et Le City
Café – sont autant des lieux publics et privés où les Beyrouthins peuvent se rencontrer,
discuter et s’exprimer. Même si l’ambiance et le paysage de Hamra ont changé, c’est
aujourd’hui un lieu de promenade, de flânerie et de détente. L’afflux de Beyrouthins, non-
résidents à Hamra, les dimanches ou les jours fériés, en est la preuve32. Malgré la présence
de façades d’immeubles encore dégradées après le départ des populations réfugiées en
199333, Hamra reste un pôle d’attraction. Par sa position géographique, il se trouve entre
les trois principaux espaces publics de Beyrouth : le jardin Sanayeh34, les corniches de
Raouché et de Ras Beyrouth. Chaque années, les commerçants du quartier Hamra
organisent un festival. C’est l’occasion de défilés, de spectacles de rues et de concerts qui
drainent une foule importante. Ainsi, par la variété de ses commerces de détail et par
64
l’espace public qu’il représente, toutes les classes sociales, toutes les confessions et tous
les âges peuvent se côtoyer et se croiser à Hamra.
19 Dans l’attente de la reconstruction du centre-ville, le quartier Hamra, par la variété de ses
commerces, l’importance de ses activités tertiaires et de services, la mixité sociale et
communautaire de sa clientèle, est, au contraire des centralités mono-fonctionnelles et
mono-confessionnelles issues de la guerre, sans doute le nouveau centre de Beyrouth au
même titre que pouvait l’être le centre-ville de 1975. Le quartier Hamra en 1996 présente
de nombreuses similitudes avec le centre-ville d’avant-guerre ; la spécialisation de
certaines rues n’est pas sans rappeler les souks détruits en 1975.
21 L’histoire d’un quartier, surtout commerçant, est souvent prise dans un mouvement –
naissance, apogée, déclin, décrépitude puis, à nouveau, renaissance, croissance, etc. Le
centre-ville de Beyrouth fut à son apogée au cours des années cinquante – soixante ; vers
1970, certaines activités se sont exilées vers l’ouest en direction de Hamra ; à partir de
1975, il fut le théâtre de la guerre civile libanaise ; ce n’est que depuis 1994-1995 que sa
reconstruction est entreprise. Actuellement, et depuis trois ou quatre ans, la rue Riad el-
Solh est à nouveau en fonction ; des banques sont rouvertes, la poste centrale
refonctionne, le centre Azarieh et des immeubles de la place Riad el-Solh36 sont en cours
de rénovation, la restauration des immeubles du quartier Foch-Allenby est en cours
d’achèvement. Dans quelques années, un certain nombre d’activités commerciales seront
en place dans le centre-ville. La société Solidere a dressé un projet de reconstruction à la
fois ambitieux et moderne37. Selon cette société, le centre-ville doit devenir un espace
plurifonctionnel, moderne et attractif. Un changement d’image, d’échelle et d’esthétique
est attendu grâce au renouvellement des formes et des fonctions38. D’importants
complexes financiers et d’affaires doivent être construits. Les activités commerciales
seront regroupées dans différentes pôles en plus des anciennes rues marchandes 39. Des
quartiers de loisir seront aménagés à proximité du front de mer avec des restaurants, des
cafés et des complexes de cinémas. La construction d’hôtels et d’équipements de loisir est
envisagée afin de doter ce centre d’activités touristiques et de divertissement. On peut
ainsi se demander si cette reconstruction n’a pas les mêmes enjeux que les opérations
d’aménagement et de réhabilitation de certains quartiers centraux des villes du Monde
arabe où la régénération et la revitalisation des anciens centres passent par des phases de
restauration et de réhabilitation40.
65
Hamra Square. Localisé au milieu de la rue Hamra, ce centre est le plus récent du quartier. Le Hamra
Square associe des bureaux pour des cabinets médicaux et d’avocats, une agence bancaire et deux
niveaux de galeries commerciales (cliché de l’auteur).
BIBLIOGRAPHIE
Références citées
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convivialité », in Eléments sur les centres-villes dans le Monde Arabe, Tours, URBAMA, p. 205-215.
BOUDISSEAU G., 1993 (a), L’Evolution fonctionnelle de la rue Hamra de 1975 d 1992, mémoire de
maîtrise de géographie, ss. la dir. de M. F. Davie, Tours, université François Rabelais.
BOUDISSEAU G., 1993 (b), « Les Transformations du centre moderne de Beyrouth, étude de
l’évolution des commerces de la rue Hamra de 1975 à 1992 », Annales de géographie, (université
Saint-Joseph), 14, p. 33-42.
BOURGEY A., 1988, « Les Transformations du centre de Beyrouth depuis 1975 », in Eléments sur les
centres-villes dans le Monde arabe, Tours, URBAMA, p. 119-127.
CHARARA M., 1994, « Beyrouth, le choix d’un centre », Maghreb-Machrek, 143, p. 174-185.
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espaces et valeurs du politique au Proche-Orient, Les Cahiers du CERMOC, 8, Beyrouth, p. 71-76.
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Joseph), 16, p. 37-73.
KHALAF S., KONGSTAD P., 1973, Hamra of Beirut, a case of rapid urbanization, Leiden, Brill.
TROIN J.-F. (ss. la dir. de), 1985, Le Maghreb. Hommes et espaces, Paris, Armand Colin.
TROIN J.-F., 1994, « L’Evolution des mégapoles arabes à l’horizon 2000 », communication au
colloque Sciences sociales et phénomènes urbains dans le monde arabe, Casablanca, du 30/11 au 2/12.
NOTES
*. Géographe, doctorant à l’université de Tours, URBAMA.
1. A. Bourgey, 1977, p. 7.
2. A. Bourgey, 1979, p. 99 ; voir aussi la contribution de L. Combes et E. Verdeil.
3. A partir de septembre 1975, les combats vont se dérouler dans le centre-ville, les souks vont
être pillés, saccagés et incendiés. De 1975 à 1977, leur destruction a été évaluée à 80 % ; A.
Bourgey, 1977, p. 11.
68
4. L’université américaine a été fondée en 1866 à Ras Beyrouth. La présence de cet établissement
a été déterminante pour la croissance de l’urbanisation de la partie occidentale de la ville entre
les deux guerres.
5. S. Khalaf, P. Kongstad, 1973, p. 21.
6. Le développement des commerces a été favorisé par l’installation de commerçants d’origine
palestienne (en 1948, après la proclamation de l’Etat d’Israël) et par le retour des Libanais
d’Egypte (en 1954, après l’arrivée au pouvoir de Nasser) ; A. Bourgey, 1988, p. 123.
7. La plupart des cafés-trottoirs étaient accolés aux cinémas dont parfois ils reprenaient les
noms. L’Express, le Horse Shoe, le Café de Paris, le Wimpy, l’Eldorado et le Strand côtoyaient les
cinémas Etoile, Al-Hamra, Piccadilly, Eldorado et Strand.
8. La répartition confessionnelle des commerçants était, elle aussi, mixte.
9. La présence à Hamra de supermarchés, entraînant une nouvelle pratique commerciale, est le
parfait exemple de ces nouveaux modes de consommation.
10. C. Douayhi, 1994, p. 72.
11. Le développement de Hamra a entraîné le dédoublement et parfois la délocalisation de
certains commerces du centre-ville (commerce de luxe, librairies, boutiques d’habillement, etc.).
12. En 1975, 93 % des banques beyrouthines étaient présentes dans le centre-ville contre 36 %
seulement à Hamra.
13. C. Douayhi, 1994, p. 72.
14. A partir de 1975, les milices ont pris le pouvoir dans la ville. Leur logique territoriale et
confessionnelle a entraîné – à Hamra – l’exode des commerçants chrétiens vers l’est de la capitale
ou l’étranger. Dans leurs départs précipités, ces commerçants vendaient le plus souvent leur
fonds de commerce ou mettaient fin à leur contrat de location au profit de nouveaux
commerçants musulmans ayant fui l’est de Beyrouth ou le centre-ville. Hamra a ainsi été le siège
d’une sorte de chassé-croisé.
15. Après la destruction des souks, de nombreux commerçants du centre-ville ont cherché à ré-
excercer leur activité de manière provisoire. Dès 1975, la rue Hamra fut prise d’assaut par des
vendeurs ambulants qui étalaient leurs marchandises de toute nature sur les trottoirs et les
capots des voitures. Ce secteur informel s’est maintenu jusqu’en 1993.
16. E. Gebrane-Badlissi, 1994, p. 187.
17. G. Boudisseau, 1993 (b), p. 39.
18. A. Bourgey, 1988, p. 126.
19. La mise en place d’une ligne de démarcation, divisant Beyrouth en deux secteurs, a réduit la
centralité commerciale de Hamra. La clientèle chrétienne a déserté le quartier. Ainsi, durant la
guerre, la clientèle de Hamra était essentiellement musulmane.
20. Le quartier Hamra est délimité à l’ouest par la rue Sadat, au nord par les rues Bliss et
Clémenceau, au sud par la rue Madame Curie et à l’est par la Banque du Liban ; cf. G. Boudisseau,
1993 (a).
21. Cette rue est plus connue comme la rue Pavillon ; suivant le nom du centre commercial où
sont regroupés les magasins de chaussures.
22. Les bijouteries sont surtout concentrées à la fin de la rue Hamra au niveau des anciens hôtels
Napoli et Plaza.
23. Dans ces cas précis, il ne s’agit pas de spécialisations, car ces activités ne sont pas majoritaires
dans la rue où elles sont localisées. Néanmoins, nous considérons la présence de trois ou quatre
boutiques dans un espace réduit comme un indicateur suffisant.
24. Les commerces de luxe sont concentrés dans les rues Madame Curi . Makdissi, Souraty (à la
fin de la rue) et dans la région dite de Wardieh (intersection des rues Clemenceau et de Rome).
25. L’activité des banques de la rue Riad el-Solh a réussi à se maintenir jusqu’en 1982 en fonction
de la temporalité des trêves. Ce n’est qu’à partir de l’invasion israélienne que la plupart des
sièges ont fui le centre-ville pour s’établir dans d’autres quartiers.
69
26. On dénombre 25 sièges de banques dans le quartier Hamra. Parmi les nouveaux pôles
bancaires, nés de la décentralisation des activités de la rue Riad el-Solh, après Hamra, les
activités financières de décision se localisent le long du boulevard Malek (ex-Fouad Chehab) : 11
sièges, à Dora avec 9 sièges, à Verdun : 6 sièges, autour de la place Sassine : 5 sièges et, à Sin el-
Fil : 4 sièges.
27. La bourse de Beyrouth a rouvert en 1996.
28. Parmi les autres centres de loisirs de Beyrouth, il faut mentionner l’apparition de salles de
cinémas, de restaurants et de pub-restaurants dans certains quartiers de Beyrouth-Est (Furn al-
Hayek, Sassine, Sursock) et le développement des activités touristiques et de restauration à
Broumana et Beit Meri.
29. Après avoir été fortement endommagé durant la guerre, l’hôtel Commodore a rouvert en
1996.
30. Le centre Concorde date du début des années soixante-dix. Si le cinéma a toujours existé, ce
n’est qu’après de coûteux aménagements qu’une galerie commerçante, des salles de jeux et un
Hard rock café ont ouvert en 1996. Pour des raisons qui nous échappent, le centre Concorde, nous
semble, à tort, perçu comme faisant partie de la rue Verdun. Situé à 700 mètres de la rue Verdun
mais à 200 de la rue Hamra, nous considérons que le centre Concorde appartient
géographiquement plus à l’espace commercial de Hamra qu’à celui de Verdun.
31. La faible fréquentation des cinémas de Hamra – Al-Hamra, Colisée ou Eldorado – s’explique
par l’attitude délibérée des propriétaires qui, ayant investi – avec succès – durant la guerre dans
d’autres salles, ne veulent pas les rénover. La fréquentation des salles à Hamra en 1995-96 ne
représente que 5 % des entrées à Beyrouth (le cinéma Concorde n’étant pas encore rouvert). De
plus, les nouvelles salles de cinémas intégrées dans des complexes commerciaux modernes (Sofil,
Espace 2000, Zouk, Kaslik) se sont imposées au détriment des anciennes salles de Hamra.
Néanmoins, certaines salles (Sarroulla, Estral, Broadway et Montréal) fonctionnent grâce au
théâtre, à des spectacles pour enfants et à la projection de films arabes (très peu de films arabes
sont projetés à Beyrouth, le marché étant sous l’emprise des productions américaines).
32. Par exemple, pendant le Ramadan, la rue Hamra et ses environs constituent un lieu de
promenade pour de nombreuses familles. On met à profit les longues soirées de cette période
pour sortir femmes et enfants, le plus souvent sans quitter la voiture, et leur faire admirer les
vitrines et leurs illuminations. Sur cette question, voir M. Berriane, 1988, p. 208.
33. Les squatters du centre Broadway et de l’immeuble Al-Hamra ont été évacués par la force à la
fin de l’année 1993 ; cf. E. Gebrane-Badlissi, 1994, p. 189.
34. Le parc Sanayeh est le plus ancien jardin public de la capitale. Il est très fréquenté des
Beyrouthins qui s’y promènent en famille.
35. La reconstruction et le réaménagement du centre-ville de Beyrouth ont été confiés à la
société SOLIDERE (Société libanaise pour le développement et la reconstruction du centre-ville) qui
a été constituée en mai 1995 en tant que société privée regroupant des ayants-droits (les anciens
propriétaires) et des investisseurs.
36. Par exemple, l’immeuble Esseily et le Commercial building.
37. Le projet de Solidere prévoit 4 690 000 m 2 de surface totale de plancher : le résidentiel
représente 1 959 000 m2, les bureaux 1 582 000 m2, les commerces 563 000 m2, les équipements
culturels et les administrations publiques 386 000 m2 et les hôtels 200 000 m 2 (Source : brochure
d’information de SOLIDERE, 1996).
38. M. Charara, 1994, p. 185.
39. Un important pôle commercial est prévu au niveau des anciens souks Tawilé, Iyas et al-Jamil.
Ce complexe sera équipé de boutiques spécialisées, d’un souk des bijoutiers, de cafés, de
restaurants et, comme « locomotive », d’une grande surface (Source : brochure d’information de
SOLIDERE, 1996).
40. J.-F. Troin (ss. la dir. de), 1985, p. 130 et J.-F. Troin, 1994.
70
La rue Getaoui
4 Située au nord-est d’Achrafiyyé, la rue Getaoui rejoint la première pente au flanc de la
colline. La portion qui nous concerne, longue de 850 mètres, est comprise entre les deux
hôpitaux Saint-Georges des orthodoxes et Getaoui. Son tracé recouvre celui d’un ancien
chemin qui joignait à la ville ses marges rurales. Le site s’est urbanisé en deux phases,
correspondant à deux vagues de peuplement, qui ont submergé et intégré une ancienne
occupation rurale dont il reste encore quelques traces3. Concertée et organisée,
l’émigration à Getaoui découle des bouleversements internationaux de l’après-Première
Guerre mondiale.
72
Le peuplement arménien
5 Arrivés en plusieurs vagues de 1915 à 1922, les réfugiés arméniens fuyant le génocide turc
sont installés par les autorités mandataires françaises à l’emplacement de l’ancien
lazaret, à La Quarantaine, au nord de notre quartier. Très vite, quelques familles
s’installent sur le flanc de la colline d’Achrafiyyé, en particulier dans la partie orientale de
la rue Getaoui. Ils y construisent une chapelle grégorienne (qui deviendra l’église Surp
Hagop) et une école arménienne. Le mouvement s’est amplifié en 1933, après l’incendie
du camp de La Quarantaine qui entraîna l’urbanisation de Burj-Hammoud4 sur la rive
droite du fleuve de Beyrouth. Entérinant le mouvement, le patriarcat arménien-
catholique quitte la montagne du Haut-Kesrouan pour s’installer à Beyrouth, rue Getaoui,
en 19345. Les arméniens fondent quelques institutions : un club de pensée proche du parti
Tachnak (l’Azadamard, l’homme libre) est chargé de gérer l’église Surp Hagop ainsi que
l’école primaire attenante, il organise aussi un certain nombre d’activités et de
commémorations. Deux collèges arméniens-catholiques, Sainte-Suzanne et Saint-
Grégoire, dépendent du patriarcat qui organise ses propres activités et cérémonies.
Le peuplement maronite
Enseignements
12 Ces constats conduisent à une série d’interrogations successives. Nous avons d’abord
constaté la coexistence de plusieurs systèmes commerciaux, possédant chacun leur
référence spatiale et sociale. Il s’est avéré que ces systèmes ne s’interpénétraient
quasiment pas, s’adressant chacun à une clientèle particulière, dans un bassin de
chalandise spécifique. Concevant le commerce comme une vitrine partielle des réalités
sociales et économiques de l’espace, nous pouvons nous demander si ces faits révèlent
une situation sociale particulière dans les quartiers de Beyrouth durant la guerre. La
question serait : le système de guerre a-t-il monopolisé les structures urbaines ou s’est-il
surimposé à ces structures en les amputant de leur dynamisme propre et en leur
imposant le sien sans les faire systématiquement disparaître ? En d’autres termes, les
territoires miliciens recouvraient-ils l’ensemble de la ville ou ne s’agissait-il que d’un
maillage parasitaire surajouté à l’espace urbain ? Cette question nous semble centrale
pour envisager la situation actuelle en analysant les types de stratégie qui ont été
favorisés par la guerre.
75
BIBLIOGRAPHIE
Références citées
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Habitants, commerçants et miliciens », Maghreb-Machrek, 125, juil.-sept. 1989, p. 100-116.
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XVII, 1982-1984, p. 23-44.
BOURGEY A., PHARES J., 1973, « Les Bidonvilles de l’agglomération de Beyrouth », Revue de
géographie de Lyon, vol. XLVIII, 2, p. 107-139.
NOTES
*. Doctorant en géographie à l’université de Tours, URBAMA.
1. N. Beyhum, 1991.
2. T. Khayat, Espaces et territoires communautaires à Achrafieh et dans la proche banlieue orientale de
Beyrouth, thèse de géographie en cours.
3. On peut voir un bloc de maisonnettes rurales au sud de l’hôpital orthodoxe.
4. A. Bourgey, J. Pharès, 1973.
5. A. Boudjikanian, 1984.
6. La période d’avant-guerre génère une grande nostalgie chez les anciens habitants, en
particulier ceux qui sont originaires de Qartaba. Les Kataëb ne s’y sont pas trompé : leur
première action de guerre dans la rue est l’occupation des locaux de l’association en vue d’en
faire une caserne. Symbole d’un changement d’époque et de domination.
7. Pour une différenciation de ces centralités, voir la contribution de G. Boudisseau.
8. N. Beyhum, 1989.
77
Situation du quartier Mousaytbé en 1919 (d’après, Beirut Town, 1919, Cairo, Survey of Egypt).
Fonctions et habitat
11 La présence de nombreux commerces, complétés par ceux de la rue Mar Elias (surtout
pour les vêtements), représente, pour la plupart des personnes interrogées, un avantage
non négligeable. Si l’on ajoute à cela la proximité des écoles pour les enfants (la plupart
des personnes interrogées qui ont des enfants les envoient dans des écoles situées à
proximité), ainsi que, pour bon nombre de cas, du lieu de travail (marbrerie, écoles,
cabinet pour profession libérale, commerce...), on se rend compte que le quartier
constitue un pôle de centralité, attirant non seulement ses habitants, mais également une
population venant de quartiers limitrophes. Ce dernier phénomène est d’ailleurs
diversement apprécié par les habitants, certains y voyant avant tout l’augmentation des
nuisances, en particulier des embouteillages, autour des écoles et des commerces.
12 Concernant l’habitat, il s’agissait, dès les années cinquante-soixante, d’une zone très
dense, dont les premiers immeubles, comportant en moyenne six étages avec trois ou
quatre appartements par étage, étaient destinés plus à la location qu’à la vente. Les
appartements, composés généralement de quatre pièces, correspondaient à la petite
bourgeoisie ou la classe moyenne (fonctionnaires, employés ou artisans), qui étaient, de
fait, la composante principale du quartier6. À cette époque, il comptait encore de
nombreuses maisons traditionnelles, dotées d’un jardin, donnant au quartier un charme
et une douceur de vivre citée par tous ses anciens habitants qui restent très nostalgiques.
13 À partir des années soixante-dix, commence la construction d’immeubles de luxe, souvent
occupés par leurs propriétaires. Ils ont permis l’installation d’une catégorie sociale aisée,
plutôt musulmane. Il s’agissait d’immeubles comptant souvent huit à dix étages, avec
seulement deux appartements par étages, pour des surface allant de 150 à 200 mètres
carrés environ, et presque toujours destinés à la vente. Cette tendance s’est accentuée
pendant la guerre avec la vente de la plupart des maisons qui étaient alors
systématiquement détruites et remplacées par des immeubles élevés.
14 Aujourd’hui, depuis deux ou trois ans, le marché foncier semble marquer une certaine
stagnation ; cependant les prix restent élevés car il existe toujours une demande émanant
de personnes ayant fait fortune à l’extérieur (notamment en Afrique) et qui souhaitent
investir dans ce quartier. De plus, la demande est forte pour des appartements de trois ou
quatre pièces (souvent des nouveaux mariés) aux alentours de 40 000 à 60 000 dollars,
alors que les offres commencent à 80 000 dollars et atteignent quelques centaines de
millier de dollars7. En 1973, un appartement de 250 mètres carrés situé dans un immeuble
de bon standing de la rue Mousaytbé avait été acheté 145 000 livres libanaises.
82
Ph. 1: rue Mousaytbé, une des plus anciennes maisons du quartier, encore habitée, que le propriétaire
cherche à vendre pour rejoindre Achrafiyyé.
15 Cette évolution du marché foncier – avec le départ d’une partie des anciens habitants au
profit d’une catégorie nantie, mais pas forcément intégrée – et la disparition de l’habitat
traditionnel pour l’édification d’un autre type d’immeubles, participent également à la
recomposition sociale et spatiale du quartier. Nous assistons à la destruction du tissu
urbain traditionnel qui, en modifiant la forme et l’occupation du quartier, provoque la
dégradation des liens sociaux établis de longue date et une ambiance qui l’ont longtemps
caractérisé. Ceci ne peut, d’ailleurs, qu’accentuer la tendance à la vente, les anciens
habitants perdant peu à peu leurs repères préfèrent quitter un lieu qui ne correspond
plus à leurs représentations.
L’image du quartier
16 Rappelons tout d’abord que notre enquête a porté sur un secteur relativement restreint
où l’installation de réfugiés n’a pas été massive ; aussi, la comparaison se fait-elle souvent
avec d’autres zones, également incluses dans l’aire administrative de Mousaytbé, comme
Hay Lija par exemple, et véhiculant une image fortement négative. Ceci nous ramène à
l’importance de la perception par les habitants de ce qu’ils identifient comme « leur
quartier ».
17 Pour ceux qui l’habitent (et dont la plupart souhaitent y rester), leur quartier est
unanimement considéré comme agréable, jouissant d’une relative tranquillité, de la
possibilité d’y trouver à peu près tout ce dont on a besoin, de bon voisinage en général.
Pour une grande partie, la mixité communautaire est avancée comme un des arguments
principaux du choix et de l’appréciation de Mousaytbé. Cette insistance sur la mixité peut
également nous amener à penser qu’elle correspond à l’image que ces personnes veulent
donner d’elles-mêmes, c’est-à-dire celle d’être ouverts ; elle explique aussi, en partie, le
discours de leur attachement au quartier. Bien entendu, les témoignages varient en
fonction de la catégorie sociale, de l’âge et de la situation des personnes interrogées. Pour
83
certains, habitant le quartier depuis les années soixante, celui-ci s’est quelque peu
dégradé avec les changements intervenus pendant et depuis la guerre, mais pas au point
de les pousser au départ.
18 Parmi ceux qui ont quitté Mousaytbé, il faut distinguer ceux qui sont partis contraints et
forcés (généralement des chrétiens), et ceux qui en ont fait le choix. Les premiers l’ont
fait parce qu’ils étaient menacés de voir leur maison occupée de force par des miliciens ou
bien parce qu’un membre de leur famille avait trouvé la mort. Ces personnes ne seraient
pas parties si elles ne s’étaient pas senties directement menacées. Parmi elles, l’image du
quartier varie aussi selon la catégorie sociale. Deux exemples sont particulièrement
éloquents : le premier est celui d’un homme, appartenant à une grande famille orthodoxe,
pour qui le quartier a toujours été ressenti comme populaire ; cette personne étant de
vieille souche originaire de Gemmayzé, ne souhaite en aucun cas réintégrer Mousaytbé
(elle vit maintenant à Jal al-Dib), qu’elle dit trouver trop dense, devenu invivable. Ces
propos doivent cependant être nuancés par la prise en compte des importantes pertes
financières subies par cette personne durant la guerre, et qui peuvent expliquer son
amertume. Le deuxième exemple émane d’une famille partie vers Sin el-Fil (Sabtiyyé),
dont les membres disent regretter Mousaytbé car leur nouveau lieu de résidence manque
trop de convivialité, leur famille y est éclatée. De plus, les déplacements qu’ils sont
obligés d’effectuer quotidiennement pour se rendre sur leur lieu de travail resté à
Mousaytbé, pour faire leurs courses, se rendre visite, etc., représentent une contrainte
qu’ils vivent assez mal. S’ils avaient la possibilité de revenir, ils le feraient sans hésiter,
mais leurs moyens financiers ne le leur permettent pas.
19 Ce dernier témoignage met en relief un élément essentiel dans la compréhension de
l’évolution sociale du quartier Mousaytbé. En effet, divers témoignages confirment le fait
que nombre de ceux qui sont partis le regrettent et seraient heureux de pouvoir revenir,
mais la flambée des prix fait qu’ils n’ont plus les moyens d’acheter. Une première analyse
de ce phénomène tend à démontrer que l’on doit chercher, au-delà des appartenances
confessionnelles, l’identification à un quartier. Malgré leur installation dans des zones
occupées uniquement par des chrétiens, les dernières personnes citées ne s’y sentent pas
intégrées (bien qu’y vivant depuis plus de dix ans) et souhaitent revenir vers Mousaytbé,
qui est pourtant aujourd’hui à majorité musulmane.
20 Enfin, il y a ceux qui ont quitté le quartier car celui-ci ne correspondait plus à ce qu’il
était lorsqu’ils s’y sont installés. Souvent appartenant a des catégories sociales élevées,
ces personnes se sont généralement déplacées vers un quartier plus valorisant (Verdun
ou Ras Beyrouth) ; mais, si dans un cas il s’agit de pure ascension sociale (vers Verdun),
dans l’autre, la personne dit avoir quitté Mousaytbé parce que devenu trop dense et ayant
perdu l’image de « village convivial » qu’il avait dans le passé. Il est ici intéressant de
mentionner que le déménagement vers Ras Beyrouth, secteur considéré comme multi-
confessionel, révèle la recherche d’une certaine image au-delà même de l’ascension
sociale. D’ailleurs, le choix est motivé en disant « je retrouve un peu l’ambiance de ce
qu’était Mousaytbé à Ras Beyrouth », l’idée d’ouverture revient souvent dans le discours.
De même, ceux qui ont quitté Hamra pour Mousaytbé insistent souvent sur l’idée de
mélange confessionnel.
84
Ph. 2 : rue Michel Abi Chahla : immeuble des années cinquante dont la plupart des habitants sont
locataires, d’un même propriétaire, depuis sa construction.
important dans le centre-ville ancien où l’organisation des souks était marquée par une
interdépendance des commerçants, basée sur la spécialisation professionnelle 10.
23 Il apparaît donc que le facteur religieux n’empêche pas les relations de s’établir ni les
échanges de se faire. Cependant, il s’agit d’un type bien particulier et bien délimité de
relations, basé sur des intérêts communs. Cela va-t-il au-delà ? Quelles sont les limites de
cette mixité ? Peut-on envisager, par exemple, des mariages mixtes ? Cela paraît difficile
comme le montre l’exemple d’une famille chrétienne qui, selon un témoignage, a préféré
déménager plutôt que de laisser sa fille épouser un musulman. L’image de mixité ne
serait-elle pas utilisée (plus ou moins consciemment) par certains habitants pour asseoir,
par leur lieu de résidence, leur image d’ouverture et d’intégration à la ville dont le centre,
lieu d’échange et de rencontres, véhiculait l’image la plus forte ? Pourtant, il est certain
qu’il n’y a pas de refus de l’autre, au contraire, les relations établies au fil du temps entre
les habitants du quartier semblent être appréciées de tous. Il faut cependant préciser que
cette forme de relation ne semble pas avoir pu être conduite avec les habitants arrivés
pendant la guerre. Ce sont donc bien les situations particulières (comme la guerre) qui
révèlent les différences et modifient la hiérarchie des niveaux de sociabilité.
BIBLIOGRAPHIE
Références citées
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habitants, commerçants et miliciens », Liban les défis du quotidien, Maghreb-Machrek, 125, p.
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CHBAROU B., CHARARA W., 1985, « Une Mosquée de Beyrouth aujourd’hui : unité de la
communauté et diversité des croyants », Mouvements communautaires et espaces urbains au Machrek,
Beyrouth, CERMOC, p. 21-43.
DAVIE M., 1991, « Le Cloisonnement confessionnel d’une ville : le modèle beyrouthin », Mappe
Monde, 4-1991, p. 8 à 11.
NOTES
*. Doctorante en géographie à l’université de Tours, URBAMA.
86
1. Nous avons procédé par enquête auprès d’une vingtaine de familles, sur la base de
questionnaires directifs et d’entretiens libres.
2. N. Beyhum, 1989, p. 102.
3. Voir sur ce sujet, B. Chbarou et W. Charara, 1985, p. 22.
4. Voir sur ce sujet, A. Bourgey, 1989, p. 101-102.
5. Ras Beyrouth / Le Port / La Gare / St Elie / Les Pins / Nahr Beyrouth, 1/5 000 e, Paris, bureau
topographique de l’Armée française du Levant, Service géographique de l’Armée, 1920.
6. N. Beyhum, 1989, p. 103.
7. Informations recueillies auprès d’un courtier s’occupant de transactions (locations et ventes)
et travaillant dans le quartier depuis une dizaine d’années.
8. Voir sur ce sujet, M. Davie, 1991, p. 8-11.
10. Voir sur ce sujet, N. Beyhum, 1990-91, p. 123-127.
87
avec leurs médiateurs, d’autant plus que ces derniers transmettent une image de
respectabilité et de pouvoir. La respectabilité leur offre la possibilité de s’identifier à un
groupe reconnu socialement et d’accéder à leur propre reconnaissance sociale. Le pouvoir
autorise l’accomplissement de leur désir de participation à l’action collective dans leur
pays d’origine et ouvre la voie de leur intégration à la ville d’où ils étaient précédemment
exclus.
4 Dans un deuxième temps, les transactions foncières et immobilières s’inscrivent dans des
structures institutionnelles : compagnies d’investissements fonciers et immobiliers,
sociétés foncières, banques. Cette institutionnalisation conduit à la rationalisation des
rapports sociaux ; ils interviennent entre les intermédiaires et les émigrés en parallèle
avec les évolutions des besoins d’appropriation du foncier. À la trajectoire spatiale des
émigrés, s’ajoute leur revendication d’une appropriation d’espaces centraux dans la ville
dont la possession traduit, au niveau symbolique, l’expression du pouvoir économique et
celle de la reconnaissance de leur position sociale par la communauté. La possibilité de
faire accéder les émigrés à la centralité devient alors le révélateur de la fiabilité du réseau
et des personnes en charge de sa gestion.
5 L’étude de ce type de réseau s’inscrit dans l’histoire de la formation des communautés
urbaines par le flux des capitaux et le mouvement des personnes ; elle s’inscrit également
dans l’histoire sociale et politique de la ville. Les enjeux locaux participent d’un processus
global de changement social et spatial. La première partie de cet article est consacrée à
l’influence de l’émigration en Afrique sur l’émergence de pratiques urbaines dans la
communauté chiite libanaise. Ensuite, on verra la naissance d’une notabilité chiite à
Beyrouth autour de la famille Beydoun. La deuxième partie porte sur la création,
l’organisation et le fonctionnement de la filière d’investissements ouverte par la famille
Beydoun pour drainer les capitaux des émigrés. En conclusion, à partir de cette étude de
cas, je m’interrogerai sur son utilité pour la compréhension des réseaux
d’investissements à l’œuvre à Beyrouth aujourd’hui.
avec celles-ci pour leurs affaires commerciales. Ces nouvelles conditions de vie
conduisent les migrants à entretenir des rapports sociaux hors de leurs circuits familiaux
traditionnels et à constituer, aux côtés de leurs filières familiales ou communautaires, des
structures lâches basées sur les rapports de travail.
7 Ces évolutions s’accompagnent d’un changement dans les modalités des envois de
capitaux vers le Liban. Dans les années vingt, les premiers envois sont effectués à travers
les filières familiales pour soutenir ceux restés au pays, mais avec l’exigence qu’une partie
des sommes envoyées soit investie dans le foncier rural. A partir des années quarante,
sous l’impulsion des Beydoun, les filières familiales sont progressivement remplacées par
des réseaux non familiaux. Le flux des capitaux s’oriente vers le foncier urbain de
Beyrouth : la capitale du nouvel Etat-nation libanais présente, dès 1920, de nouveaux
enjeux économiques et politiques auxquels sont sensibles les Beydoun.
les pratiques. Leurs rapports d’allégeance aux leaders de leur région d’origine, avec
lesquels ils n’ont pas encore coupé les liens, se transforment en clientélisme envers les
Beydoun qui fondent des associations caritatives et créent des écoles pour les plus
démunis. Ce souci permanent de l’éducation distingue en priorité la notabilité des
Beydoun de celle des leaders ruraux et leur confère une modernité qui faisait défaut à la
majorité de leurs contemporains. Par ailleurs, la modernité constitue le mythe fondateur
de l’exode de la famille vers Beyrouth, dont les récits imputent le départ de Damas à un
litige survenu entre Hajj Youssef et ses pairs concernant la fondation d’une école de filles,
fait encore inadmissible à l’époque. Dans leur mission éducatrice, les Beydoun sont
toutefois soutenus par le grand uléma, chef spirituel de la communauté chiite du Liban et
de Syrie, Sayyed Mohsen El-Amine, auteur d’ouvrages éducatifs et fondateur des
premières écoles de Jabal Amel.
10 Forts de l’appui de la hiérarchie religieuse, désormais intégrés à Beyrouth où ils font
partie de la notabilité urbaine, les Beydoun préparent leur ascension politique que
réalisera Rachid, le troisième fils du Hajj, à partir de 1923. Les premières activités
politiques de Rachid Beydoun durant la période du mandat français au Liban (1920-1943)
s’inscrivent dans le Liban-Sud, région à majorité chiite et réservoir démographique de
l’exode rural vers Beyrouth et de l’émigration vers l’Afrique. Rachid Beydoun est élu
député du Sud en 1937. Cette élection consacre ses activités sociales qui débutent avec la
fondation, en 1923 à Beyrouth, de l’Association islamique de bienfaisance ‘Amiliyyé pour
l’entraide et l’éducation des membres de la communauté chiite. L’organisation, dont le
nom signifie l’appartenance à Jabal Amel, connaît entre 1923 et 1961 une période
d’expansion importante au cours de laquelle sont créés des établissements scolaires à
Beyrouth et dans les villages du Sud, des écoles techniques, des dispensaires et une
mosquée, ainsi que des clubs sportifs et des organisations de scoutisme pour
l’encadrement des jeunes chiites de la capitale. À mesure qu’elle grandit, l’association
s’ancre dans le paysage urbain et donne son nom au quartier de Beyrouth où elle est
implantée. Cette expansion s’accompagne d’une augmentation de ses effectifs et de sa
reconnaissance par l’État libanais au même titre que les associations caritatives et
éducatives antérieures des communautés sunnites et grecques-orthodoxes. Financée dans
un premier temps par la famille Beydoun et par des dons de chiites de Beyrouth,
l’association est ensuite soutenue par les ulémas de la communauté et par les dons de
chiites d’Afrique. Devenue l’institution-phare de la notabilité de ses fondateurs, ‘Amiliyyé
contracte des accords de collaboration technique avec des universités en Iran, en France
et surtout en Allemagne.
11 Les rapports de clientélisme qu’entretiennent les Beydoun avec les membres de leur
communauté connaissent une tentative d’évolution vers des relations partisanes. Le 21
juin 1944, Rachid Beydoun crée Al-tala’ (les pionniers), formation chiite dans la mouvance
de l’émergence des partis du Liban indépendant4. Le parti indique clairement dans ses
statuts, la nécessité de la collaboration entre les Libanais résidents et les émigrés. A
l’exemple des formations politiques issues des autres communautés libanaises, au sein
desquelles se trouve une forte proportion d’émigrés, les Al-tala’ sont sensibles au potentiel
de l’émigration comme facteur de développement communautaire. Ceci étant, à l’aube du
Liban indépendant, les Beydoun reflètent dans le paysage politico-social communautaire
libanais une image d’urbanité, de savoir-faire dans les affaires et dans la politique qui va
séduire les émigrés auxquels ils s’adressent pour une collecte de dons en vue de
l’expansion de l’école Amiliyyé. En 1938, Rachid Beydoun entreprend un premier voyage
91
Cependant, ces derniers, à mesure que leurs intermédiaires mettent en place une
organisation exclusivement axée sur les échanges économiques, font passer en second
plan les rapports de médiation personnalisés et intégrés dans l’idée d’une action
collective, au profit de rapports conditionnés par la finalité de l’échange. Alors que les
activités du « bureau » semblaient s’articuler autour d’un projet politique et social, la
constitution de la banque conforte l’institution dans la seule dimension des affaires.
22 La Mebco se trouve concurrencée par les banques en mesure d’assurer des services à
l’intérieur de l’espace triangulaire constitué par l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient
dans lequel évolue l’élite libanaise de l’émigration à partir des années soixante. De plus,
les émigrés, à nouveau familiarisés avec le marché libanais, amorcent à la même période
la diversification de leurs filières d’investissements au Liban ; ils contribuent à la création
de nouvelles institutions financières et se transforment en entrepreneurs et en
bâtisseurs. Dans ce contexte, les intentions des Beydoun de poursuivre la pratique des
services personnalisés à une clientèle dont le besoin d’intermédiation reste entier,
subsistent. Malgré cela, ils accusent un net recul dans leurs affaires avec les émigrés
d’Afrique. Il semble que ces derniers, n’ayant pas eu accès à un partenariat économique
avec leurs médiateurs, se détournent de la filière.
23 Cependant, c’est dans la situation politico-sociale du pays qu’il faut aussi rechercher
l’explication du déclin du réseau Beydoun. À partir des années soixante, d’autres acteurs
sociaux, plus influents, émergent dans la communauté chiite. En 1969, la constitution du
Conseil supérieur chiite, sous l’impulsion de l’imam Moussa Sadr, fait franchir à cette
communauté le seuil de sa reconnaissance politique à l’échelle nationale. L’institution,
garante des intérêts et des projets communautaires, contribue à intensifier les rapports
entre les membres de la communauté et l’Etat libanais. L’imam entreprend plusieurs
voyages en Afrique. De 1975 à 1990, la communauté chiite libanaise, encadrée par ses
formations militaires, confirme son implantation dans la capitale par des acquis
politiques à l’échelle nationale. Les Beydoun demeurent à l’écart de la violence et
maintiennent par leur modération leur place sur l’échiquier politique. Depuis 1990, la
filière Beydoun semble connaître un regain d’activité par le biais de la présence d’un
membre de la famille au conseil d’administration de la société Solidere, chargée de la
reconstruction du centre-ville. Cette présence classe les Beydoun parmi les grands
propriétaires du centre-ville et indique la reconnaissance, par la société foncière, de la
tradition de médiation de la famille pour la canalisation des investissements. Toutefois, la
logique d’investissement des réseaux en œuvre dans le centre-ville, dont la
reconstruction apparaît comme l’élément majeur des recompositions spatiales d’après-
guerre, semble totalement distincte de celle de la filière Beydoun des années quarante.
BIBLIOGRAPHIE
Références citées
AHMAD ISSA G., 1990, Mounazamat al-tala‘ fi lubnan [L’Organisation des Al-tala‘ au Liban], maîtrise
d’histoire, Beyrouth, université libanaise, faculté des lettres et des sciences humaines.
97
DIMICOLI Y., 1993, « Rente foncière et croissance financière, deux obstacles à lever pour une
nouvelle maîtrise foncière », La Maîtrise du foncier, Paris, Conseil national des villes et du
développement social urbain, p. 27-32.
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Minuit, p. 209-253.
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national des villes et du développement social urbain, p. 21-25.
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Annales de la recherche urbaine, 59-60, juin-sept. 1993, p. 50-59.
NOTES
*. Doctorante et chargée de cours en anthropologie à l’université Saint-Joseph.
1. Je tiens à remercier les membres de la famille Beydoun qui ont collaboré à la réalisation de cet
article ; Imad pour le temps accordé aux entretiens, Maher pour l’intérêt qu’il a porté au travail
et Hala pour m’avoir introduite auprès de la famille.
2. M.A. Roumani, 1993, p. 135.
3. Jabal Amel : (montagne de Amel) collines formant le prolongement sud du Mont-Liban. La
région du Liban-Sud était connue sous ce nom avant 1920. Les habitants de cette région, les
amélites, se référent à Jabal Amel pour se distinguer des populations du Mont-Liban.
4. G. Ahmad Issa, 1991, p. 40.
98
Introduction
Jean-Luc Arnaud
1 Inviter des architectes à participer à une rencontre consacrée aux questions relatives à
l’ensemble d’une agglomération comptant plus d’un million d’habitants, questions qui
s’expriment plutôt à l’échelle du géographe qu’à celle de la construction, peut paraître
étonnant. Derrière cette participation, se profile cependant une interrogation qui la
justifie pleinement. Dans quelle mesure une étude de l’architecture domestique peut-elle
rendre compte de l’avancée de l’urbanisation dans les environs de l’agglomération ?
2 Depuis le début de ce siècle, l’architecture domestique libanaise connaît un
renouvellement important par la généralisation d’un nouveau type architectural :
l’immeuble. Les participants à cet atelier devaient s’interroger sur les relations qui
associent les mutations des types architecturaux avec le dynamisme du marché foncier,
non seulement pour la production du début du siècle, mais aussi pour la plus récente,
celle des dernières décennies. En d’autres termes, le passage de la maison individuelle à
l’habitat collectif, qui a eu lieu à proximité du centre de Beyrouth au cours des années
vingt et qui, depuis cette date, s’est développé dans des quartiers puis des banlieues et
enfin des villages périphériques toujours plus éloignés de ce centre, constitue l’indicateur
principal retenu pour mettre en évidence la relation entre la production architecturale et
le marché. C’est donc une instrumentalisation des études de typologie architecturale –
dans une réflexion à l’échelle du géographe et dans le temps de l’historien – qui a été
tentée au cours de cette rencontre. On pourrait en résumer la problématique par une
question. Qui construit quoi, quand et où ?
3 La question des limites de l’agglomération, ou plutôt de l’intégration des périphéries
successives au marché foncier de la capitale a trouvé des réponses pour les trente
dernières années avec la contribution de Christian Darles. Il montre comment la hauteur
des bâtiments, leur relation à l’espace public, la densité d’occupation des terrains, le
principe de distribution des édifices, ou encore la taille des logements, constituent autant
de révélateurs d’une adaptation de la production du bâti à la solvabilité de la clientèle et
donc au marché. Suivant cette approche, les transformations de l’espace de l’habitat sont
considérées comme des résultats de celles du marché. La relation entre ces deux données
n’est cependant pas univoque ; ce ne sont pas tant des relations de cause à effet qui ont
100
été mises en exergue que les variations induites par les mutations du cadre de production
de la construction et plus particulièrement celles du jeux des acteurs au sein des réseaux
dans lesquels ils s’inscrivent entre l’acquisition des terrains et la vente des logements. Les
intermédiaires sont plus ou moins nombreux, ils jouent en général de relations de
complémentarité dont les rôles ne sont pas toujours faciles à définir.
4 Suivant le travail minutieux de Ch. Darles et de ses étudiants de l’école d’architecture de
Toulouse, les formes de l’architecture domestique des trente dernières années résultent
de l’ajustement de plusieurs temporalités qui trouvent leurs origines dans les premières
décennies du siècle. Tout d’abord, la mise en place de l’habitat collectif dont les
logements individuels superposés entretiennent un nouveau rapport avec l’extérieur,
plus tard, au cours des années cinquante, la séparation de l’appartement en deux zones –
jour et nuit – avec l’introduction des lieux de distribution (les couloirs) permettant ce
découpage, constituent des étapes importantes qui s’inscrivent dans un temps long, semi-
séculaire. Ensuite, dans un temps plus court, plus conjoncturel, la législation a joué sur la
forme générale des constructions dans la mesure où le volume construit a une forte
tendance à optimiser les capacités réglementaires de chaque unité de terrain. Enfin,
suivant une autre conjoncture, celle des aléas du développement du commerce à longue
distance des matériaux pondéreux, les techniques de construction et les matériaux – la
tuile à la fin du XIXe siècle, les poutres métalliques quelques années plus tard et le béton
armé depuis environ cinquante ans – ont aussi joué un rôle important dans les
transformations de l’habitat. Depuis moins longtemps, de nouveaux matériaux, de second
œuvre plutôt – faux-plafonds, profilés en aluminium, tuyauterie en PVC... –, ont aussi
contribué à l’évolution des formes et des dispositions. Cette conjoncture, pas toujours
déterminée par les intérêts économiques, semble avoir parfois pris le pas sur la longue
durée des savoir-faire. En architecte praticien, Christian Darles a su faire parler ses
collègues libanais sur les motivations de leurs choix de tel ou tel mode de construction.
5 Pour leurs parts, Robert Saliba et Robert Fayad, ont, à partir d’une abondante
iconographie de qualité, présenté l’architecture domestique et ses évolutions de la fin du
XIXe siècle aux années quarante1. Ils ont centré leurs exposés sur l’organisation et le décor
des façades. R. Saliba, en particulier, a longuement discuté de la composition des façades
des « belles » maisons dites ocres2. Si ces deux présentations ont comblé les historiens de
l’art et les défenseurs du patrimoine architectural, la constitution du corpus suivant des
critères plus esthétiques que morphologiques n’a pas permis aux auteurs de dresser une
géographie de la répartition des types dans le temps et dans l’espace urbain. On le
regrettera d’autant plus que les matériaux nécessaires à une telle réflexion ont été
patiemment réunis au cours de plusieurs années de travail par les auteurs. Dans ce
contexte, malgré l’intérêt de ces deux contributions, il était difficilement envisageable de
les intégrer à ce livre sans s’exposer au risque de la dispersion et à sa critique. Pour cette
raison, j’ai préféré retenir seulement la contribution de Ch. Darles, plus proche des
questions abordées par les autres participants à la rencontre, dont le volume important et
la richesse de l’iconographie, sans compenser l’absence de travaux sur les zones plus
centrales de l’agglomération, offre un vaste panorama de la production d’architecture
domestique contemporaine.
101
NOTES
1. R. Fayad, Morphogenèse et marché foncier d Wadi Abou Jmil ; R. Saliba, Types architecturaux et
marché foncier d Beyrouth entre les deux guerres.
2. Une étude de ces maisons, engagée par Mona Charara au début des années quatre-vingt-dix,
était malheureusement inachevée lors de son décès. On trouvera cependant une publication de
ses premières hypothèses dans « Elles sont repérées à leur teinte ocre », Méditerranéens, 5, 1993,
p. 71-77.
102
2. comprendre les mutations des types d’habitat des banlieues de la capitale libanaise et des
villages qui lui sont associés par l’analyse de l’organisation des logements et de
l’implantation des bâtiments sur leurs parcelles ;
3. évaluer les transformations subies par le foncier et apprécier leur incidence sur le
phénomène d’intégration urbaine ;
4. déduire de l’évolution de l’architecture domestique urbaine – plus particulièrement de
l’immeuble – les hiérarchies entre Beyrouth3, ses franges et les villages de la montagne.
4 Notre réflexion porte sur le cœur d’un territoire dont la transformation se caractérise par
sa rapidité4 et où, en moins de trente ans, les mutations sont semblables à ce qui a pu se
passer ailleurs en un siècle ou parfois plus. Le choix du Metn parait être un des plus
pertinent. Il correspond non seulement à une zone en complète mutation, mais encore
plusieurs municipalités, comme Antelias, Jal al-Dib, Zalka ou, plus haut dans la montagne,
celles de Beit Chabab et d’Ayntoura, s’intéressent à ce travail et le soutiennent. Le Metn
est voué à la villégiature et à la colonisation urbaine ; le Kesrouan est en proie à
l’urbanisation sauvage sur la route d’Ajaltoun, mince ruban desservant des localités dites
« américanisées », tandis que le reste de la montagne, hormis les établissements
touristiques d’hiver et d’estivage, se vide, en particulier les caza-s de Jbeil et du Mont-
Liban.
5 Ce travail est limité dans le temps, aux trente dernières années, et, dans l’espace, au Metn
5. Les édifices étudiés sont des immeubles d’architecture domestique de moins de deux
Sources documentaires
6 Un travail sur les archives des municipalités et des constructeurs privés, complété par un
travail de terrain, a permis de répertorier un certain nombre de bâtiments qui
permettent la constitution d’un corpus représentatif. Des fiches ont été élaborées en
insistant plus particulièrement sur le traitement de la mitoyenneté et des vis-à-vis, les
systèmes d’accès et de distribution des immeubles et sur la distribution interne des
logements. Ce travail n’a pas seulement envisagé les constructions neuves de chaque
époque, mais aussi l’ensemble des travaux d’actualisation des logements et des édifices,
de telle manière que les dates de réalisation, celles de surélévation, de mutation ou de
rénovation, indiquent bien que les transformations ont été progressives. Les usages se
sont modifiés et l’évolution du mobilier, comme celle de l’équipement des pièces d’eau
par exemple, n’y est pas étranger. L’apparition des éléments de cuisine et celle de la
télévision, ainsi que les difficultés d’approvisionnement en eau et en électricité durant la
guerre, ont fait surgir de nouveaux comportements quotidiens. Le travail de terrain a
aussi permis l’étude en profondeur de plusieurs agglomérations : Beit Chabab, Ayntoura
et, pour établir une comparaison entre plusieurs modes de gestion et plusieurs types de
développement de l’urbanisation, Majdel Tarchich6.
des terrains agricoles, situés sur des pentes souvent importantes dont le sous-sol calcaire
ne se laisse pas terrasser sans mal, a amené la création de nouveaux types d’édifices qui
s’appuient sur une histoire locale souvent mouvementée. Elle a donné lieu à la création
d’une nouvelle forme de découpage parcellaire.
8 Il est difficile de comparer l’évolution du parcellaire d’Antélias avec celui de Ayntoura,
ces deux agglomérations sont trop éloignées et trop différentes. Si la première fait partie
intégrante de la banlieue de Beyrouth, l’autre n’est que le dernier gros bourg de la haute
montagne du Metn sur la route de Zahlé à ce titre, il ne subit pas les mêmes influences de
la capitale. Nous nous bornerons donc à rechercher quelques principes généraux à partir
de l’étude des territoires fonciers de Beit Chabab et de Qornet al-Hamra, deux villages
importants (à vocation résidentielle), situés en contre-bas de la route de Bikfaya. Les
mutations des types architecturaux se ressemblent cependant : à Ayntoura, il existe
aujourd’hui 35% d’anciennes maisons, 25 % d’édifices surélevés, 10 à 15 % de bâtiments
qui ont subi une ou plusieurs extensions, et 25 à 30 % de bâtiments neufs. Il s’agit, en ce
qui concerne ces derniers, de bâtiments extrêmement récents ou en cours de
construction. A Beit Chabab, village s’étageant entre 550 et 750 mètres d’altitude au-
dessus des gorges du nahr al-kalb, les proportions sont étrangement semblables 7.
Fig. 1 à 11. L’implantation des édifices sur des terrains en pente nécessite la mise en oeuvre de
terrasses et de murs de soutènement. En général, l’implantation dépend des reculs obligatoires par
rapport aux limites séparatives et aux bâtiments existants. Un large champ de vision doit être assuré
pour les pièces importantes du logement. Les murs de soutènement ne peuvent dépasser 3,50
mètres de hauteur, exception faite des murs mitoyens qui doivent être inférieurs à deux mètres. Dans
le cas de terrains ayant un sol aménagé ou de terrains naturels surélevés, pour que le sous-sol ne soit
pas pris en compte dans le calcul du coefficient d’exploitation, on peut appliquer les dispositions
présentées par les figures 1 à 11.
105
Fig. 1. Les murs de pourtour du sous-sol doivent être fermés sur toute leur hauteur jusqu’à un mètre
au-dessous du plancher et cela sur une distance de 3,50 mètre par rapport à la terrasse (doc. S.
Jabre).
Fig. 2 et 3. Si le remblai est en dénivelé, sa hauteur ne peut excéder le cinquième de la distance entre
le bâtiment et le mur de soutènement. La largeur des remblais correspond à la distance entre la face
des murs de soutènements et le sommet des terres rapportées (doc. S. Jabre).
106
Fig. 4. Si le remblai est en dénivelé, sa hauteur ne peut excéder le cinquième de la distance entre le
bâtiment et le mur de soutènement. La largeur des remblais correspond à la distance entre la face des
murs de soutènements et le sommet des terres rapportées (doc. S. Jabre).
108
Fig. 5 et 6. Le recul exigé est mesuré, soit par rapport à la route, soit par rapport à tout autre
alignement de fait ; il ne s’applique pas quand le sol du terrain est plus bas que la route (fig. 5) (doc. S.
Jabre).
Fig. 7. Le recul exigé est mesuré, soit par rapport à la route, soit par rapport à tout autre alignement de
fait (doc. S. Jabre).
Fig. 8. Le recul n’est pas exigé pour les sous-sols (doc. S. Jabre).
111
Fig. 9. Quand le niveau du sol naturel est situé au-dessus de celui de la route, la même règle s’applique
avec une exception pour les sous-sols qui n’émergent pas de plus d’un mètre au-dessus du niveau de
la chaussée (doc. S. Jabre).
13 Ces réglementations sont hiérarchisées. La législation du bâtiment est imposée à tous les
projets de construction et représente le contour général dans lequel s’insèrent les quatre
autres réglementations. Selon l’affectation du bâtiment projeté et son importance, les
accords ne sont pas tous donnés par un seul organisme et, dans certains cas, les demandes
d’autorisation doivent être multipliées. Cette situation n’est pas sans conséquence sur les
mutations de l’espace des villages des environs de Beyrouth.
14 L’imbrication des réglementations applicables aux bâtiments avec celles relatives à
l’utilisation des terrains est très étroite. Nous ne prendrons que le cas d’une parcelle en
pente, en étudiant la rencontre des règles régissant le coefficient d’exploitation avec
celles qui s’appliquent à l’implantation des bâtiments. L’application de ces règles est
d’autant plus délicate que la quasi-totalité des terrains constructibles sont en pente. Il
n’existe que des cas particuliers et les législateurs ont mis en place une réglementation
générale. En conséquence, le premier souci des constructeurs est de chercher les failles
dans l’enchevêtrement des contraintes, afin de rentabiliser au maximum leurs terrains et
d’en tirer le meilleur rendement. La réglementation sur le calcul des hauteurs et sur la
définition des surfaces qui entrent dans le calcul du coefficient d’occupation peut être
contournée ou interprétée. Aux quelques étages réglementaires, sont venus s’ajouter
plusieurs niveaux, considérés par la loi comme des sous-sols, mais constituant, en fait, des
appartements à « cour anglaise » (interdits depuis 1985). Pour que l’étage de sous-sol que
l’on destine à l’habitation ne soit pas compté dans le calcul du coefficient d’occupation, il
suffit d’appliquer certaines règles. Ainsi, les étages construits dans un remblai nécessaire
pour rendre le terrain « aménageable » ne sont pas comptabilisés pour le calcul du COS, il
suffit que les murs du pourtour soient fermés sur toute leur hauteur, jusqu’à un mètre en-
dessous du plancher considéré comme le niveau zéro de l’édifice (fig. 1 à 9) 9. Les rampes
112
d’accès de véhicules sont autorisés pour les sous-sol destinés au stationnement, à travers
le sol naturel ou les remblais. Un sous-sol ne sera pas comptabilisé si son plafond ne
dépasse pas un mètre au-dessus de la chaussée, dans le cas d’un édifice implanté à
l’alignement de cette voie. Cette dernière règle donne la possibilité de créer deux étages
de sous-sol dont les surfaces ne comptent pas dans le calcul du COS. Dans le cas de trous
et de perturbations importantes du terrain, la définition du sol naturel (fig. 10 et 11)
permet aussi la récupération de volumes pour la construction.
Fig. 10. Quand le sol présente des irrégularités, le niveau du sol naturel est considéré au niveau du
point de terrain le plus bas dans les alentours directs des « trous » (doc. S. Jabre).
113
Fig. 11. Le terrain entre deux routes est exploitable directement (a) ou bien il est possible de modifier
le sol (b) (doc. S. Jabre).
Fig. 12. Coupe de principe du village de Beit Chabab indiquant le réseau des escaliers qui desservent
l’arrière des maisons (doc. M. Duaue-Perez)
15 Plusieurs règles, interprétables localement car souvent inadaptées au lieu où elle sont
mises en application10, sont respectées dans la mesure où elles entravent peu la
réalisation d’une surface habitable supérieure à celle qui, en principe, aurait dû être
réalisée. A l’origine, les constructions s’alignaient le long des chemins et des petites
routes en se dégageant au maximum de l’espace cultivable ; aujourd’hui, l’application des
règles portant sur les reculs amène à la réalisation d’édifices installés au milieu de
terrains remodelés à l’horizontale et nécessitant une voie d’accès située, en général, en
contrebas de la route. Un mitage, d’où le mitoyen est banni, se développe et définit une
nouvelle morphologie urbaine. La distance entre les constructions s’est considérablement
modifiée. On assiste à la mise en place d’un type d’urbanisation proche du
114
Pl. 1. Cet édifice d’Ayntoura date de 1890, à l’origine couvert par une toiture terrasse, puis par une
toiture à quatre pentes en tuiles rouges, incendiée en 1976, il a été surélevé en 1993. Composé de trois
trois logements ce bâtiment compte trois niveaux. Le premier, voûté, est consacré aux réserves, les
deux autres sont réservés à l’habitation. Un des logements est en duplex (C. Triay, O. Sanchez, 1996).
16 Les villages situés dans l’aire d’influence de Beyrouth, mais éloignés d’elle par les
nombreuses heures d’encombrements que subissent les automobilistes, se transforment
en petites villes. A l’origine orienté vers ses vergers et ses champs, le village se tourne
maintenant vers la route remplaçant l’ancien chemin qui le traversait. Les changements
de la configuration de l’agglomération et l’évolution des types architecturaux continuent
de s’effectuer par palier mais le type urbain s’impose contre l’habitation paysanne. La
création de cette architecture urbaine est financée par l’argent des expatriés, vecteurs de
diffusion des influences étrangères11. De lieu de villégiature qui conservait des
caractéristiques d’habitat temporaire (rythme long), le village est devenu un lieu de
fixation permanent que les migrations quotidiennes (rythme court) transforment
partiellement en dortoir. Les agriculteurs, devenus minoritaires, ont cédé la place à
d’autres catégories d’habitants, celles liées aux services et aux commerces notamment.
Les comportements des anciens villageois se modifient et certains pensent renoncer à
habiter sur leur lieu de naissance – en louant ou en vendant – afin de se rapprocher de la
capitale. Ainsi, à Antélias par exemple, se logent de nombreux originaires des villages du
Metn. Parallèlement, les prix des habitations qui montent à Beyrouth et dans la proche
banlieue-nord (Zalka, Antélias, Jal al-Dib) poussent de nombreuses familles à retourner
dans leur village où les prix demeurent plus abordables. Ces gens-là ne reviennent pas à la
terre, mais continuent de travailler à Beyrouth ou dans sa banlieue immédiate ; leur
présence dans des villages qui constituent les franges de l’agglomération renforce le
phénomène d’intégration urbaine. Il reste à étudier l’impact de certains services (publics
115
Pl. 2. Immeuble de six niveaux achevé en juin 1994. Les deux premiers étages sur rue sont consacrés
à des boutiques et des stockages. L’implantation en aval de la route puis la mise en place d’un remblai
ont permis de rendre habitable les deux niveaux situés en sous-sol. Dans les deux étages, les
logements sont pourvus de deux salons (été et hiver), dispositif souvent rencontré dans des
logements plus anciens (C. Triay, O. Sanchez, 1996).
17 Les agglomérations sont généralement situées sur des terrains dont la pente varie entre
20 et 40 %. Aussi, pendant longtemps, un double réseau de circulation existait : un
premier ensemble, destiné aux carrioles et aux animaux, comportait des voies dont la
pente n’excédait pas 8 à 10 % et suivait grossièrement les courbes de niveaux. Un
deuxième, entièrement destiné aux piétons, était constitué par une suite d’escaliers
perpendiculaires à ces courbes de niveaux. Plus la pente était forte, plus les voies étaient
rapprochées en plan ; ainsi, à Beit Chabab, certaines maisons de plus de quatre étages
116
donnent sur deux voies. Dans le cas de pentes plus faibles, les escaliers permettaient de
desservir l’intérieur des îlots qui étaient alors plus épais (fig. 12).
18 La nouvelle forme de développement de ces villages est liée à celui de l’automobile qui
« doit » aller partout et qui « doit » être stationnée à proximité du lieu de résidence. Les
premiers aménagements réalisés à Beit Chabab, entre 1960 et 1965, ont recalibré les
routes et adouci les virages en épingle à cheveux. Ces travaux, qui privilégiaient la voiture
plutôt que les piétons, ont provoqué la disparition d’escaliers extérieurs d’accès aux
maisons, trop en saillie13. Dans un premier temps, le développement du bâti s’est fait par
densification le long des voies de communication. On a comblé les parcelles vides, soit par
adjonction d’extensions bâties à des édifices existants, soit par création de nouveaux
édifices qui, en général, comportent chacun un rez-dechaussée destiné aux services
(garages) ou au commerce. Les propriétaires peu fortunés, ne possédant qu’une maison
modeste, parfois encore couverte en terrasse, au centre du village, ne peuvent se payer
les terrassements complexes que leur petit terrain nécessiterait s’il fallait le densifier.
Alors, ils rénovent leur habitation pour la faire évoluer dans le « sens du progrès » ; ils
peuvent aussi, dans un second temps, surélever pour fournir à la famille d’un de leurs
enfants un logement qu’ils estiment « digne ». On rencontre ainsi des édifices qui ont été
surélevés deux fois en trente ans après une première transformation lourde (pl. 4),
chaque phase étant caractéristique des procédés de construction et des modes en vigueur
à l’époque. On passe ainsi du village nucléaire à l’agglomération en grappe dense puis au
village-rue aux limites incertaines.
19 Le terrain agricole ayant de plus en plus de valeur, on se contente d’évaluer son
patrimoine en fonction des réserves foncières familiales, du coup, on constate
l’apparition de friches non entretenues qui ont surtout tendance à se transformer en
dépotoir. Ces lieux peuvent parfois servir de parc de stationnement sauvage.
Actuellement, dans les centres des villages les plus denses, on n’hésite plus à démolir, soit
pour agrandir une assiette foncière, soit quand la réunion ou la rénovation de deux
édifices anciens et insalubres coûterait trop cher. Dans ce contexte, la réfection et la
réhabilitation de luxe est un phénomène de mode et de snobisme tout à fait marginal qui
ne correspond pas du tout à l’esprit général du développement de l’urbanisation.
117
Pl. 3. Ayntoura : bâtiment terminé en 1994. Implanté en amont de la route, il comporte quatre
logements de 170 m2 chacun, destinés aux membres d’une même famille. Une grande excavation a
été nécessaire pour sa construction. Le rez-de-chaussée est consacré au stationnement, à des
bureaux et au logement du concierge. La construction ne comporte qu’un appartement par niveau
avec une division pour-nuit. Aucune salle de bain ne donne sur l’exterieur (C. Triay, O. Sanchez, 1996).
20 Hors des zones les plus denses, on ne rencontre que des immeubles cubiques de plus de
quinze mètres de côté. Les façades sont sans hiérarchie et semblables à celles des
immeubles de la plaine côtière. Au milieu d’une parcelle horizontale, aménagée sous une
forme résiduelle par de vagues espaces verts non entretenus, les immeubles remplacent
les pommiers sur des plates-formes disproportionnées. Les terrassements atteignent dans
certains cas 50 % du montant total des travaux, ils résultent des reculs imposés, des
impératifs de stationnement et de toutes les normes et règlements en vigueur. Les
sommes investies pour la construction de l’édifice proprement dit (300 à 350 dollars par
mètre carré) paraissent ridicules, en rapport à celles consacrées à l’aménagement du
terrain14. Sur la côte, c’est le foncier qui représente la plus grande part du prix de revient
d’une opération ; à partir de trois cents mètres d’altitude, ce sont les travaux de
terrassement.
à peu, remplacent le liwan antérieur. Alors qu’elle était couverte d’une terrasse, cette
maison se recouvre, à la fin du XIXe siècle, d’un toit à quatre pentes en tuile et à la
charpente médiocre qui ne permet en aucune manière de récupérer de l’espace habitable.
Un religieux originaire de Beit Chabab, Tobia Anassi, qui revient en 1890 d’un séjour
d’une dizaine d’années au Vatican, s’étonne de retrouver une ville (de plus de dix mille
habitants) aux toits de tuiles rouges alors qu’il a quitté un village aux nombreuses
toitures en terrasse15. Cette maison, construite sur la pente, comporte deux parties
accessibles séparément. Le niveau inférieur est destiné au stockage du matériel agricole,
des denrées ou des animaux au-dessus, le ou les étages sont affectés à l’habitation 16. On
atteint le niveau supérieur par une petite passerelle qui permet le passage entre le mur de
soutènement et la maison. L’absence de remblais dans cet interstice évite à l’humidité du
sol et des parois de pénétrer dans la construction. Cette maison, à la toiture de tuiles,
jouxte parfois un bâtiment à toiture terrasse17 (ph. 3).
Pl. 4. Jal al-Dib : édifice familial. Cette maison a été surélevée en deux temps, par la même famille,
pour loger les enfants. La maison initiale en rez-de-chaussée a été construite en 1925. Organisé
suivant une distribution centrale, ce niveau a été abandonné. Le premier étage, construit sur les deux
tiers de la surface seulement, date de 1945, il est aussi distribué par une pièce centrale largement
ouverte sur l’extérieur. Trente an plus tard, la construction du tiers restant a permis d’étendre
largement la partie séjour de l’appartement (S. Jabre, 1995).
119
Ph. 1. Maison à Beit Chabab. L’édifice du début des années soixante reprend de nombreux caractères
des maisons dites libanaises. Il a été prévu pour une surélévation qui tarde à venir (cliché de l’auteur).
22 La phase suivante d’évolution correspond à une période située entre 1930 et les années
cinquante. La maison est toujours localisée près d’une route carrossable, mais elle est soit
surélevée soit étendue en surface18. En général, le toit de tuiles est arraché pour laisser
place à un étage où le béton fait son apparition. Les fers à béton verticaux restent en
attente sur une terrasse où s’entassent les différents réservoirs et quelques matériaux de
construction en réserve (ph. 1). Tout est prêt pour surélever la construction en fonction
d’éventuels moyens financiers. A cette époque, une des extensions les plus fréquentes
consiste en la création d’une pièce, véritable bow-window, en prolongement du dar
traversant19 (ph. 2, pl. 1 et pl. 11). Cet édicule, en général sur pilotis, car installé en saillie
sur la façade qui fait face à la pente, est construit sur la base d’un système poteaux-
poutres en béton armé. Largement vitrée vers l’ouest, la pièce ainsi créée devient un
nouveau lieu de séjour qui renoue avec la tradition du liwan, des baies à trois arcades et de
la galerie. Très souvent, l’espace délimité par les poteaux à l’étage inférieur est cloisonné
et permet l’agrandissement des pièces destinées à l’usage agricole. Il s’agit toujours d’une
maison unifamiliale qui peut comporter deux appartements (chuqa) au maximum et qui
conserve une stricte hiérarchie des façades. La troisième étape consiste à réaliser sur la
base du type précédent une maison comportant un empilement de plusieurs
appartements desservis par une seule cage d’escalier. Même quand l’un de ces
appartements est destiné à un membre de la famille installé à l’étranger, la maison reste
unifamiliale. Ce nouveau type peut être construit en réhabilitant un édifice existant, mais,
le plus souvent, il s’agit d’un immeuble neuf où le béton armé permet tous les porte-à-
faux voulus et où la pierre de taille n’est plus qu’un parement. Le balcon fait alors son
apparition ; à l’intérieur, la distribution par la pièce centrale perd de son sens et la
division entre une partie jour et une partie nuit constitue une séparation liée à la
différence entre les activités quotidiennes et les pièces résidentielles, plus privatives. Ce
bâtiment, quand il est une création nouvelle, s’installe différemment sur la parcelle. On
commence à tourner le dos aux champs et aux vergers pour regarder la route depuis le
120
terrain que l’on rend accessible aux véhicules. Cependant, les abords de l’immeuble
restent encore consacrés au verger et au potager.
Pl. 5. Immeuble de 1 490 m2 habitables. On ne compte qu’un seul appartement, de 350 m2, par étage
avec une partie jour ouverte sur trois façades. Il faut noter l’existence d’un accès indépendant à la
cuisine et aux services annexes depuis la cage d’escalier. La distribution de la partie nuit se fait à
travers une pièce de séjour (S. Jabre, 1995).
Ph. 2. Beit Chabab, édifice du début du siècle entièrement réhabilité en 1975 auquel de nombreuses
loggias ont été rapportées (cliché de l’auteur).
121
Pl. 6. Immeuble de trois niveaux, construit en 1988, comportant un appartement de 150 m2 par étage.
La forme de l’immeuble est directement issue de celle de la parcelle par le respect des prospects
réglementaires. La division jour-nuit est sans ambiguïté ; la distribution de la partie nuit se fait par un
long couloir non éclairé naturellement alors que toutes les salles de bain sont disposées en façade (S.
Jabre, 1995).
Ph. 3. Maison traditionnelle de Beit Chabab qui a subi, non pas une surélévation, mais une adjonction
en terrasse (cliché de l’auteur).
122
Pl. 7. Immeuble de quatre niveaux, construit en 1988, comportant un appartement de 190 m2 par
étage. Dans chaque logement, un hall distribue quatre zones distinctes : la partie nuit, la cuisine et ses
lieux de service, un salon indépendant et une partie séjour (S. Jabre, 1995).
123
Ph. 4. Extension contemporaine d’une maison de Beit Chabab qui cherche à retrouver les canons
d’une ancienne maison détruite dans sa quasi-totalité afin de mieux répondre à la gestion d’espaces
intérieurs « ouverts » (cliché de l’auteur).
Edification de l’immeuble
24 La construction des immeubles constitue l’impact le plus décisif sur la transformation du
paysage. Elle réside dans la modification systématique du terrain et du niveau du sol
naturel, même s’il est délicat de donner une définition abrupte et sentencieuse de cette
notion. La culture en terrasse, pour des raisons d’irrigation et de retenue des terres, n’a-t-
elle pas aussi durablement modifié le paysage ?
124
Pl. 8. Immeuble de quatre niveaux, construit en 1988, comportant deux appartements de 90 m2 par
étage. Il s’agit donc de logements modestes. La salle de bain et les toilettes sont ventilées par une
gaine aérienne. On ne note pas de hiérarchie entre les deux chambres à coucher (S. Jabre, 1995).
Ph. 5. Immeubles en cours de construction sur le bord de la route de Qartaba, au-dessus du nahr
Ibrahim. Cet exemple, situé dans un site isolé du Kesrouan, exprime bien la dispersion des immeubles
urbains. Le terrain, en forte déclivité, est aménagé afin de recréer les conditions d’implantation d’un
terrain plat. L’application habile de la réglementation permet de comptabiliser en surface habitable
moins de 60 % de la surface effectivement construite (cliché de l’auteur).
25 Dans un premier temps, on a étanché les voies ; ce fut un grand progrès d’éviter la boue et
de permettre la circulation sans subir le ruissellement des eaux de pluies. Cependant, la
125
solution retenue a reporté le problème de l’accumulation des eaux un peu plus bas, sur
d’autres terrains, en le rendant plus dangereux. Chaque voie en pente devient un exutoire
pour les eaux de pluie et, lors des grands orages, il arrive que la pression de l’eau soulève
des plaques d’asphalte qui se désagrègent en détruisant la route. Tous les anciens réseaux
de canalisation, constitués de petites rigoles avec leurs vannes de répartition et leurs
passages sous les chaussées, tous ce savoir-faire pour la récupération des eaux, leur
stockage et leur distribution dans les parcelles les moins avantagées, a disparu.
Aujourd’hui, on évacue les eaux de pluie, comme les eaux usées, dans les terrains situés
en contrebas. Le résultat réside en l’extrême pollution des fleuves.
26 L’arrivée des routes a permis de faire parvenir dans les lieux les plus reculés et les plus
isolés, outre les derniers produits à la mode de la capitale, des engins de terrassement qui
créent leur propre passage au milieu des champs. Avec l’aide d’une réglementation trop
vague et trop générale sur la gestion des sols, on crée de nouvelles voies de desserte pour
les parcelles enclavées ; les terrains qui perdent ainsi leur vocation agricole prennent de
la valeur. Cette réalité correspond à un des premiers signes de l’intégration des environs
des villages au marché foncier urbain23. Les terrains situés près des voies prennent une
plus-value immédiate, les autres, suivant leur éloignement ou leur accessibilité, entrent
dans une bourse aux valeurs qui oriente le développement de l’urbanisation. Une
nouvelle hiérarchie des richesses se met en place. Ce processus, développé dans le cadre
de l’anarchie réglementaire liée à plus de quinze ans de guerre, est trop récent pour être
sans conséquence sur le devenir des villages situés aux portes de Beyrouth24. Les terrains
plats des communes du littoral de la banlieue-nord ont connu et continuent de connaître
126
ce même phénomène25 qui, au fur et à mesure de la rareté des réserves foncières, remonte
progressivement dans la montagne en suivant les grands axes de circulation.
Pl. 9. Edifice construit en 1992 et composé d’une série d’immeubles juxtaposés en ligne. Chaque cage
d’escalier dessert quatre logements par étage. Tous les appartements sont identiques, ils mesurent
140 m2 et comptent deux chambres. La cuisine est accessible à travers un séjour et il n’y a pas de
véritable entrée. Les logements situés aux extrémités de l’alignement ne profitent pas de la double
orientation dont ils auraient pu bénéficier, leurs salles de bain ne sont donc pas éclairées alors qu’elles
sont situées derrière une façade (S. Jabre, 1995).
Evolution de l’habitat
27 La transformation des types architecturaux s’est réalisée par étapes clairement
perceptibles. Il en émerge un grand nombre de résistances et d’abandons dont nous
pouvons affirmer qu’ils correspondent à des stratégies beaucoup plus complexes que la
simple loi du profit ou de la mode.
28 L’approche technique et architecturale d’un chantier en cours permet de percevoir une
modification radicale du comportement des petits entrepreneurs-constructeurs durant
les dernières années. Auparavant, les entrepreneurs bâtissaient pour eux ou pour un
particulier. Aujourd’hui, le phénomène de la vente ou de la location des logements a
amené de nombreux entrepreneurs à devenir promoteurs et des personnes non
spécialisées dans l’économie ou les techniques du bâtiment à devenir promoteur puis, par
facilité, entrepreneurs. Ainsi, toute une tradition constructive et architectonique se
trouve noyée dans un bricolage opportuniste au jour le jour. Si certains savoir-faire
perdurent, la façon de poser un carrelage ou celle de réaliser soi-même les ferraillages des
poutres par exemple, l’arrivée de nouveaux matériaux et de nouveaux procédés de
construction, choisis généralement pour des raisons économiques et qui ne sont pas
techniquement les plus performants, influencent la tenue du chantier, sa durée, ainsi que
la finition des logements. L’exemple le plus ordinaire, outre celui du béton armé, est
127
Pl. 10. Immeuble construit en 1955 à Ayn al-Rommané. La cage d’escalier extérieure, mais
encloisonnée, distribue quatre appartements de 200 m2 par étage. La distribution se fait par un
couloir qui mène à un séjour ; seules les toilettes, la cuisine et la salle à manger ouvrent directement
sur ce couloir. Il est remarquable que dans les deux appartements relevés, ces deux dernières
ouvertures ont été condamnées de telle manière que le couloir ne distribue directement que les
toilettes (S. Jabre, 1995).
Modifier la réglementation ?
30 Toute proposition de modification de la réglementation en vigueur doit tenir compte de
la réalité du financement de la construction. Seules existent les initiatives privées. Au
conservatisme, s’oppose une minorité d’individus (architectes, élus ou promoteurs) qui
pensent à la possibilité de modifier les règles d’implantation des édifices. Cela pourrait
permettre, sans faire perdre de plus-value à l’investisseur, qui est souvent le promoteur
et parfois le constructeur, de mieux respecter le paysage. La réglementation, initialement
prévue pour la gestion des parcelles horizontales des zones côtières proches de Beyrouth,
ne peut plus être appliquée dans la montagne sans modification. Certains professionnels
proposent l’augmentation du coefficient d’emprise, celle du coefficient d’occupation du
sol, ainsi que la diminution des hauteurs des édifices. La nécessité de respecter le terrain
naturel (souvent les anciennes terrasses des vergers) pourrait permettre d’éviter le
mitage28.
31 Dans les vingt-cinq prochaines années, la poussée démographique va provoquer le
doublement de la surface construite. Il n’est pas seulement question de reconstruction du
centre-ville, il s’agit d’envisager une nouvelle gestion du territoire. Le foncier ne sera pas
seulement destiné à la construction de l’habitat. La constitution de réserves pour la mise
en place des infrastructures nécessaires ne peut se faire qu’avec l’argent de l’État et ne
peut passer que par la mise en place d’une véritable politique locale (redonner du pouvoir
aux municipalités, par exemple). Il n’y a aucune raison de voir le marché foncier
péricliter dans les années et décennies à venir; les propriétaires, qui en seront les acteurs
privilégiés29, devront rejoindre les rares investisseurs, architectes et promoteurs
d’aujourd’hui, qui commencent à se poser la question de la qualité de l’architecture en
termes d’esthétique, de fonctionnalité et de construction. Il n’est pas impossible de voir
arriver, au cours des années à venir, un courant patrimonial qui revendique les valeurs
dites traditionnelles de l’architecture libanaise, c’est peut-être un passage obligé. Même si
nous pensons avec J.-Ch. Depaule qu’un élargissement de la pensée est en train de naître
et qu’un nouveau regard se construit30.
129
Pl. 11. Pour mémoire, maison dite « libanaise » construite en 1955 à Qornet al-Hamra. Elle est
constituée de deux niveaux de 100 m2 chacun. Les chambres sont distribuées par une pièce centrale
largement ouverte sur l’extérieur par l’intermédiaire d’une loggia orientée vers l’ouest. Ce modèle,
traditionnel, a perduré jusqu’à une période assez récente alors que des immeubles de plus de six
niveaux commençaient à se construire dans la même commune (S. Jabre, 1995).
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CERMOC.
NOTES
*. Architecte, professeur à l'école d'architecture de Toulouse.
131
appartements. En septembre 1996, il a repris la construction sur les bases du projet initial. Entre-
temps, cet édifice a été utilisé comme lieu de stockage pour ses activités commerciales annexes.
9. Plusieurs solutions existent en fonction de la déclivité des remblais et de la présence d’une
route. Le calcul peut être fait à partir du recul exigé, mais des configurations particulières
permettent de ne pas appliquer une règle par rapport au sommet du terrain et, plus
généralement, quand la parcelle est située en contrebas de la voie publique.
10. Les règles d’urbanisme et de construction qui s’appliquent à Ayntoura sont presque les
mêmes que celles qui s’appliquent dans les municipalités de la côte comme Zalka ou Antélias.
11. L’influence des réseaux fondés sur des filières issues de communautés familiales ou
villageoises est permanente même si ces structures naissent puis meurent ou se transforment
régulièrement. Voir la contribution de M.-Cl. Souaid.
12. La structuration traditionnelle de la montagne maronite par les monastères se retrouve
aujourd’hui partiellement dans la répartition des nombreux établissements d’enseignement.
13. Ces escaliers extérieurs furent démolis sans réticence, les gens préférant un escalier intérieur
pour réunir deux niveaux dont le plus bas venait de se voir conférer le statut d’habitation en
remplacement de son rôle agricole.
14. Le gros-œuvre s’estime au prix du mètre cube du béton mis en œuvre (100 à 110 dollars le
mètre cube), à cette somme se rajoute 150 dollars maximum pour le second œuvre et les finitions.
Prix du terrain : Hamra – AUB, en 1995 : 4 000 dollars ; Zaarour, en 1990 : 5 dollars et en 1995 : 25
dollars ; Antélias – autoroute, en 1995 : 2 000 dollars ; Antélias – intérieur, en 1995 : 1 250 dollars.
A Zaarour, le prix de revient de l’opération au mètre carré est de 450 dollars pour un prix de
vente qui tourne autour de 950 dollars. Ce montant comprend l’achat du terrain, la construction
et les infrastructures. Il faut rajouter 7 % d’honoraires d’études, 7 % pour la tenue du chantier et
les frais de publicité et de commercialisation.
15. Anecdote rapportée par le maire de Beit Chabab lors d’une interview, le 10 avril 1996.
16. P. Mayla, 1985, p. 73-76 ; M. Féghali, 1985, p. 77-93.
17. La maison libanaise a été étudiée par F. Ragette (1974). Ses relevés apparaissent aujourd’hui
excessivement graphiques et ses conclusions particulièrement hâtives. P. Panerai (1982)
démontre fort justement que les comparaisons formelles sont parfois abusives et que les
principes de distribution, les dispositifs d’accès ou l’attention apportée aux phénomènes de
croissance, rapproche la maison dite libanaise beaucoup plus de la Turquie que de Venise. De
plus, nous noterons que le rapprochement que fait P. Panerai avec la masia catalane constitue une
référence vernaculaire importante pour l’architecture du Mont-Liban.
18. Les deux transformations peuvent se suivre en peu d’années.
19. Cette saillie, à l’ossature maçonnée et non en encorbellement, n’est pas sans rappeler les
kiosques (kushk) que l’on retrouve en Syrie et en Egypte. Le mot est détourné de son sens
d’origine (turc) mais cette forme architecturale est attestée dès le XVIIe siècle. J.-Ch. Depaule,
1985 ; J.-C. David, D. Hubert, 1982.
20. La notion de chambre à coucher est relativement récente. M. Féghali, 1985, p. 82.
21. Les espaces de réception des logements étudiés ne présentent pas les mêmes caractéristiques
qu’au Maroc ou en Turquie. Par contre, les relevés effectués à Saïda permettent des comparaisons
avec les habitations cairotes. Au Maroc, le m’rah est une pièce centrale où l’on se tient et qui
distribue, on le rencontre fréquemment dans l’habitat populaire des maisons « ordinaires » ou
dans les immeubles de rapport. D. Pinson, M. Zakrani, 1987, p. 104-111.
22. A Saïda, à la même époque, apparaît le manwar qui permet de placer les pièces de service au
centre de la construction sans ventilation mécanique. Ce puits de jour se retrouve également
dans l’architecture domestique de Sanaa au Yémen. J.-L. Arnaud, 1994.
23. L’échelle d’intervention a considérablement changé, notamment par l’apparition de
nouveaux acteurs qui se substituent aux résidents habituels, les paysans.
24. Le processus existait à Beyrouth à l’époque du Mandat.
133
Introduction
Jean Métral
ou « déplacées » qui élaborent à leurs manières des formes urbaines, des codes de
sociabilité, des types de centralités particulières, éclatées, désaccordées.
13 Mona Harb el-Kak, en banlieue-sud, et Frédéric Durand, en périphérie nord-est, nous
décrivent précisément les dispositifs en projet ou en place qui, dans l’esprit des acteurs,
devraient accélérer le passage aux citadinités dominantes de la modernité...
14 L’atelier Dire et voir la ville a donc démontré la nécessité et la fécondité des regards et des
lectures multiples de Beyrouth. Pour terminer, je souhaiterais que ne soit pas oublié que
Beyrouth rassemble la moitié de la population du Liban. Peut-on regarder et lire la ville
sans en même temps regarder et lire le pays dont elle est la capitale. Leurs avenirs ne
sont-ils pas indissociables ? Comme devraient l’être citadinité et citoyenneté ?
NOTES
1. Sennett R., 1990, La Ville à vue d’œil, Plon.
2. Hannerz U., 1982, Explorer la ville, Ed. de Minuit.
3. Nous donnant à voir la ville de très haut.
AUTEUR
JEAN MÉTRAL
Anthropologue, professeur à l’université de Lyon II
138
Nomenclature professionnelle et
désignation de l’espace à Beyrouth dans
les années vingt
Chawqi Douayhi
temps. Cette affirmation qu’il ne faut pas perdre de vue ne nous empêche cependant pas
d’étudier un document en faisant abstraction de la durée dans laquelle il s’inscrit. A ce
propos, je m’adresse à ceux – ils sont nombreux dans le petit monde de notre société
intellectuelle – qui taxent de formaliste ou d’a-historique toute recherche qui a pour seul
objet d’étude la façon dont une société classe, joint ou oppose les choses et les objets du
monde qui l’entoure, pour leur dire, après tant d’autres, que c’est dans une sociologique
que réside le fondement de la sociologie. Cette remarque répond aux critiques qui m’ont
été adressées lors de la publication de deux petits essais consacrés au mode
d’identification des personnes dans les textes des tribunaux religieux de la wilaya de
Tripoli au XVIIIe siècle et sur la désignation des terres agricoles dans ces mêmes textes 5.
7 Les quatre grandes catégories, ou plutôt les cinq si on leur ajoute l’etc., sont subdivisées en
cent douze entrées. Si l’on cherche les critères généralement retenus pour l’établissement
des annuaires, il s’avère que celui des Gédéon n’est régi par aucune logique. Une partie
des entrées est classée par professions, l’autre par les produits et articles. Par exemple,
juste après les ferblantiers, vient la fourrure ; après les abattoirs, les réparateurs de
piano ; après les commerçants de bière, les bicyclettes. L’ordre alphabétique est
systématiquement négligé, autant pour les entrées que pour les noms des propriétaires
ou la localisation des établissements. De plus, les entrées ne sont ordonnées, ni en
fonction de leur emplacement, ni, par conséquent, en raison de leur proximité spatiale, ni
par leur importance (on peut en juger par une comparaison avec d’autres sources).
L’annuaire des Gédéon ne se présente donc, ni dans l’ordre de la langue et de la lecture, ni
dans celui de l’espace, ni en termes de hiérarchie, mais comme un assemblage arbitraire
que rien ne justifie (peut-être un esprit moins paresseux que le mien pourra-t-il y trouver
une logique).
8 Ceci dit, qu’est-ce qui a conditionné le choix de ces cent douze entrées ? Pourquoi les
auteurs ont-ils mis l’accent sur certains établissements, produits ou articles, et pourquoi
en ont-ils oublié d’autres ? Commençons par cela. En lisant l’annuaire, on a l’impression
que Beyrouth était une ville sans restaurants. Ce qui n’est pas vrai. Il suffit à ce propos
d’ouvrir n’importe quel quotidien de l’époque et de regarder les annonces pour se
convaincre du contraire. De tous les métiers artisanaux, les auteurs n’ont consigné que les
sculpteurs sur bois, les carreleurs et les ferblantiers. Pourquoi seuls les couturiers pour
femmes et pas ceux pour hommes ? J’en passe.
9 L’ignorance de certains produits, articles ou professions exprime en fait le choix des
auteurs. Ils ont préféré s’en tenir à ceux qu’ils jugeaient les plus importants. Pourquoi
deux entrées pour les chapeaux, chapeaux pour femmes et chapeaux pour hommes, alors
que, de manière générale, ils étaient vendus dans les mêmes établissements ? Pourquoi
seules les boulangeries franques et non les baladi-s ? Pourquoi une entrée pour les
bicyclettes, une pour le caoutchouc, une pour la fourrure, une pour le lait stérilisé, une
pour les coffres-forts, etc. ? La seule hypothèse que l’on puisse avancer concernant ces
focalisations/omissions ou ces évaluations/dévaluations est que, chaque fois qu’il s’agit
de produits ou d’articles d’origine allogène, le champ de la taxinomie s’étend ; par contre,
pour les produits et articles d’origine locale, la nomenclature s’appauvrit. À l’opposition
allogène/local s’en ajoute une autre qui, elle aussi, pèse sur le choix des entrées ; relative
à la fréquence de consommation des produits, elle oppose la consommation courante à
celle qui est plus exceptionnelle. Pour chacune de ces deux catégories, il semble exister
un opérateur particulier de classification. Celui de la consommation courante est
beaucoup moins nuancé que celui de la consommation non courante. J’en veux pour
preuve le regroupement des magasins de mughaziyyat-s (ce qui nourrit) sous une même
étiquette, ou les cent soixante-dix magasins du mal al-qubban (produits vendus au poids)
en une seule entrée, sans tenir compte, ni de leur emplacement, ni des noms de leur
propriétaire. Ignorer certains produits ou articles, comme en privilégier d’autres, ne
relève pas uniquement des oppositions allogène/local et consommation courante/non
courante. Un autre facteur, non moins important, entre en jeu. Tout annuaire s’adresse à
une clientèle et répond, d’une manière ou d’une autre, par son organisation et sa
conception, à ses exigences. S’il est clair que l’annuaire de Beadeker, dans ses versions
française ou anglaise, s’adressait aux étrangers installés ou de passage, celui des Gédéon,
écrit en arabe, s’adresse essentiellement aux autochtones et, en principe, à tous ceux qui
141
lisent cette langue. Mais de quels autochtones s’agit-il ? En le comparant aux annuaires
qui l’ont précédé, nous avons souligné que celui des Gédéon est le plus complet. Or, cette
exhaustivité se manifeste par la manière dont cet annuaire consigne, tant bien que mal,
les articles, les produits et les professions qui répondent aux besoins des différentes
couches sociales.
coup sûr le passage d’un état d’esprit à un autre. En ce qui concerne le rapport entre
forme de propriété et type de magasin, j’avoue que je n’ai trouvé aucune correspondance
significative. Tout ce que je peux dire à ce propos, peut-être en tirant les choses par les
cheveux, c’est que le mal al-qubban correspond plutôt à une propriété de type familial.
13 Parmi les souks et les rues spécialisées, s’il ne faut pas nier que certains étaient vraiment
spécialisés – tel le souk Hani al-Raad (sagha, orfèvrerie), le souk al-Bayatira, vétérinaires, le
souk Sursok (mobilier-manufactures), le souk Ayas (soierie-coton), le souk al-Bazirkan
(vêtements) et la rue Saïd Aqel (mobilier)7, par contre, les autres étaient polyvalents. Ceci
nous conduit à une interrogation soulevée par les historiens et les sociologues qui ont
travaillé sur la ville arabe. Pourquoi cette forme de concentration n’a-t-elle touché que
ces produits ? Est-elle due à une loi qui organisait les corporations et leur implantation
dans l’espace urbain ? Si oui, alors pourquoi cette loi ne fut-elle pas appliquée à toutes les
professions ? Dans ses Grandes villes arabes à l’époque ottomane, André Raymond ne traite
pas cette question8. Au contraire de la spécialisation de certaines professions, d’autres
manifestent une grande dispersion. Par exemple, presque chaque quartier avait son
médecin. Ceci nous conduit à nous demander pourquoi une telle dispersion n’a pas
touché, par exemple, les avocats qui sont concentrés autour de ce « lieu et/ou lien fort »
qu’est le Palais de Justice ? Pourquoi ce « lieu fort » qu’est l’hôpital n’a-t-il pas provoqué
un phénomène similaire avec les médecins ?
14 Sur le rapport entre confession et profession, je dirai que les avocats, les ingénieurs, les
médecins, les fabriques et les marchands de nouveautés étaient tous chrétiens. Pour leur
part, les musulmans tenaient tout ce qui touche à l’alimentation. Le monopole des
sunnites dans ce domaine, au-delà de tout ce qui touche le halal et le haram (le licite et
l’illicite), relève d’un enjeu politique, celui du contrôle de la ville. L’expression : « celui
qui contrôle souk al-Nouriyyé contrôle Beyrouth » est connue. Ce n’est donc pas par
hasard que les grandes manifestations, les grèves qu’a connu la ville durant le Mandat,
puis, plus tard, surtout durant la présidence de C. Chamoun, avaient pour origine le
marché des légumes, celui de la viande et les magasins de mal al-qubban.
15 En ce qui concerne les enseignes, à part les cinémas, les loukanda-s (gargotes), et la plus
grande part des cafés, tous les autres établissements étaient désignés par les noms de
leurs propriétaires. Il serait intéressant de savoir à partir de quand certains
établissements ont commencé à porter des noms différents et quels sont ceux qui ont le
mieux résisté à ce changement. Il me semble à ce propos que tout ce qui touche à
l’alimentation ne change pas d’enseigne du jour au lendemain. Ne dit-on pas que l’on
mange un nom ; je pense ici particulièrement aux pâtisseries arabes. Revenons aux
cinémas et aux loukanda-s ; la logique qui régit le choix de leurs noms est connue. Pour les
cinémas il y a un registre bien déterminé tiré de celui des cinémas français : Gaumont,
Peugeot, Central, Pathé... Pour les loukanda-s c’est la région d’origine de la clientèle qui
détermine chaque nom : loukanda Alep, Damas, Jérusalem, Istanbul... Ce qui fait vraiment
problème, ce sont les noms donnés aux cafés. Pourquoi, parmi tous les établissements, les
cafés sont-ils les seuls à porter des noms d’ordre anonyme : Etoile de l’Orient, Etoile de
l’Occident, Le Paradis, La Bourse, La jumhuriyya (République), La Foire... Tous ceux qui
portaient ces noms étaient installés sur la place de l’Union. Avancer que c’est cette
localisation qui imposait un nom anonyme au café ne nous fournit qu’une partie de la
réponse tant que le problème des autres établissements, qui se trouvaient eux aussi sur
cette place, et portaient des noms renvoyant à des personnes – notamment des
établissements qui n’ont aucun rapport avec l’alimentation –, ne sera pas résolu.
143
Désignation de l’espace
16 Pour désigner l’espace, l’annuaire emploie les mots suivants :
1. Saha (place) : parmi toutes les saha-s de la ville, seules deux étaient désignées par ce mot ;
saha al-ittihad (place de l’Union) et saha al-samak (place des Poissons). Les autres, telles celles
des Halles et Dabbas, bien que plus grandes que celle des Poissons (il suffit de regarder la
carte de 1920 pour saisir cette différence9), étaient désignées par chari’ (rue). Il se peut que
ces deux places, situées aux confins du centre-ville, dans cet espace que je désigne par
l’entre-deux, c’est-à-dire qui se trouve entre les places et les quartiers, n’aient pas été
promues au titre de saha. Ce n’est donc pas toujours la forme et la dimension d’un endroit
qui lui confèrent son nom mais bien, parfois, sa situation dans l’espace urbain.
2. Souk : deux remarques s’imposent. Tout d’abord, en dehors du centre-ville il n’y a pas de
souk, ensuite, si le mot souk désigne tout lieu où un type de produit est commercialisé de
manière préférentielle, plusieurs endroits ayant ce profil devaient, en principe, porter ce
nom. Ce n’est pas toujours le cas ; là aussi, c’est l’emplacement qui est déterminant. À titre
d’exemple, l’endroit où se concentre le commerce et la fabrique du mobilier à Gemmayzé, au
nord de la place de l’Union, porte le nom chari’. Dernière remarque, contrairement à ceux de
Tripoli qui sont désignées par les noms des professions qui s’y trouvent, les souks de
Beyrouth portent généralement des noms de famille. C’est un détail auquel il faut réfléchir.
3. Chari’ : en dehors du centre-ville il n’y a pas de chari’.
4. Jada (avenue) : une seule rue de Beyrouth portait ce nom ; jada al-ifransiyyin (avenue des
Français). La jada se trouve en dehors du centre-ville ; quand on le quitte, deux autres
désignations apparaissent : tariq et hayy. Les voies qui conduisent vers l’extérieur de la ville
sont désignées par tariq (tariq al-Nahr, tariq Saïda, tariq al-Cham...). Quant au mot hayy, cité
d’ailleurs une seule fois, il semble que malgré son usage encore timide, il fut adopté à partir
des années vingt. J’en veux pour preuve la répartition des circonscriptions électorales et des
lieux de naissance à Beyrouth, deux informations inscrites dans le maillage des hayy à partir
de cette décennie. Ce mot, qui appartenait auparavant au langage vernaculaire, fut alors
intégré au langage courant savant. Il en découle que les deux mots hara et mahalla – utilisés
dans les registres des tribunaux et que je m’attendais à trouver dans l’annuaire –, mots
déchus si j’ose dire, ne sont utilisés que dans des circonstances bien déterminées. Jusqu’au
début des années soixante, mahalla n’était utilisé que dans son acception politique : chabab
al-mahalla (les jeunes du quartier). Durant la dernière guerre l’expression s’est évaporée, et
pour cause. Les milices se sont substituées aux chabab. Quant au mot hara, il n’est utilisé que
quand on parle des enfants de la hara. C’est peut-être là que réside la différence entre awlad
al-chari’ (enfants de la rue), expression qui porte une connotation péjorative, et awlad al-hara
(enfants du quartier) qui, par contre, est très valorisante. N’oublions pas que la chari’ relève
du centre-ville, espace suspect par excellence. Tout ce qui vient d’être dit nous conduit à un
constat ; plus on s’éloigne du centre-ville, plus les mots de l’espace se raréfient et sont
remplacés par la toponymie. Autrement dit, avec l’augmentation de la distance au centre, la
classification se transforme en nomination.
17 Dans l’annuaire, la ville n’est pas lue uniquement à travers les mots que je viens
d’évoquer. D’autres établissements et bâtiments, tels la wikala, le khan, le port, le cinéma
et la douane, en furent aussi des points de repère. Mais les auteurs ne mentionnent jamais
leurs localisations ; ils semblent tellement connus que la mention des rues, des souks et
des hara-s où ils se trouvent n’est pas jugée nécessaire. Pour terminer, je rappelle que
beaucoup de questions sont restées sans réponse. D’ailleurs, si l’annuaire a une
quelconque utilité, je crois qu’elle réside essentiellement dans le fait de poser des
144
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NOTES
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4. Le premier annuaire publié en Egypte date de 1868 ; M.J. Millie, 1868.
5. Le premier a été présenté au colloque organisé en 1991 par l’association des historiens libanais
ottomanistes, le second a été publié dans le quotidien Al-hayat en 1992.
6. Voir à ce propos C. Dubar et S. Nasr, 1976.
7. Il arrive parfois que le nom du souk ne traduise pas ce qu’on s’y trouve. Ce qui nous laisse
supposer que, dans de tels cas, le souk a conservé son nom malgré le changement de nature des
marchandises qui s’y trouvent.
8. A. Raymond, 1985.
9. Ras Beyrouth / Le Port / La Gare / St Elie / Les Pins / Nahr Beyrouth, Paris, Bureau topographique de
l’A.F.L., Service géographique de l’Armée, 1920, 1/5 000e, 6 feuilles, couleurs.
145
œuvre dans le discours des sciences sociales sur la ville à cette époque. En somme, avant
d’interroger le texte de H. Ruppert en tant que source, il faut se demander : en 1967,
quelles questions se pose-t-on à propos de Beyrouth, quelles méthodes emploie-t-on et
sur quels faits se fonde-t-on, quels concepts utilise-t-on pour l’interprétation de ces faits ?
Et, dans la mesure où le discours qui se constitue ainsi est daté, il est nécessaire de
remettre en contexte, avant de les discuter, la démarche et les problématiques proposées
par H. Ruppert.
4 Le travail de H. Ruppert a été dirigé par Eugen Wirth, alors professeur de géographie à
Erlangen en Allemagne. Eugen Wirth est particulièrement connu pour ses nombreux
travaux sur la ville orientale. On peut notamment citer, en ce qui concerne Beyrouth :
Damas, Alep, Beyrouth. Une comparaison géographique de trois villes moyen-orientales au miroir
de leurs élites sociales et économiques4. Dans cette brève mais remarquable étude, E. Wirth
s’attache à analyser les fondements économiques de la prospérité beyrouthine, en
montrant sa singularité dans le contexte régional. Centré sur la ville, ce travail marque un
tournant dans son œuvre qui sera de plus en plus orientée vers la compréhension du fait
urbain au Proche-Orient, d’abord sur le plan économique et social, puis sur celui des
formes urbaines. Rompant avec les postulats de la recherche « orientaliste » qui
privilégiaient comme facteur interprétatif le fait islamique, le groupe des géographes
allemands réunis autour de E. Wirth, dont H. Ruppert est un représentant, s’est, au
contraire, efforcé de dégager les spécificités géographiques de l’organisation urbaine des
pays de la région. H. Ruppert s’inscrit donc dans le courant d’une géographie qui a
profondément transformé le regard porté sur les villes proche-orientales5.
5 Le thème du regard appelle une dernière remarque : cette étude est celle d’un homme de
terrain qui regarde et retient des détails, des couleurs, des scènes de rues. H. Ruppert
décrit Beyrouth comme un spectacle et livre des observations au sens premier du mot.
Cette importance du terrain et de l’observation minutieuse, par des croquis ou des
photographies, est la marque d’une attache disciplinaire précise : la géographie. Il ne faut,
certes, pas réduire la méthode géographique à ces caractéristiques ; l’œil n’est pas le seul
outil de H. Ruppert. Mais une des originalités de son ouvrage réside dans cet aspect
empirique qui a notamment pour fonction de pallier l’absence de sources détaillées.
6 Deux orientations structurent cette présentation. Il s’agit d’abord de situer les objectifs,
les thèmes de recherche et surtout la méthode de H. Ruppert. Quelques-uns de ces
résultats sont ensuite interrogés, non pas pour les critiquer ou les valider sur le plan
factuel, mais plutôt pour comprendre l’articulation entre une méthode et une approche
conceptuelle.
fonction de centrer l’analyse sur le passage d’un modèle à l’autre, et d’insister sur des
recompositions et des transitions. Ainsi les deux modèles, oriental et occidental, sont à la
fois des modèles statiques pour la description et des modèles dynamiques pour
comprendre les processus d’évolution.
8 Le modèle oriental tel que le présente H. Ruppert se définit de la manière suivante :
• sur le plan social, la population a tendance à se grouper en quartiers confessionnellement
homogènes. La hiérarchie sociale dans le quartier est très fortement marquée, mais des
mécanismes de régulation, religieux ou économiques, limitent l’exclusion des membres de la
communauté. Un lieu de culte occupe une place centrale dans le quartier ;
• sur le plan économique, le modèle traditionnel se caractérise par la concentration de
l’activité dans le souk, les quartiers périphériques ayant essentiellement une fonction
résidentielle.
9 Pour sa part, le modèle occidental présente les caractères suivants :
• sur le plan social, la structuration résidentielle est marquée par une différenciation des
quartiers en fonction du niveau de revenu sur le plan économique, l’organisation spatiale se
distingue par une spécialisation fonctionnelle de l’espace (séparation des activités de vente
et de fabrication), ce qui n’exclut pas une hiérarchisation des centres d’activités ;
• sur le plan architectural, l’occidentalisation est signalée par l’apparition d’immeubles
modernes.
10 La thèse de H. Ruppert consiste à démontrer que Beyrouth est un cas particulier où le
modèle oriental, qui continue d’exercer sa marque sur la ville, cède progressivement la
place au modèle occidental. Deux thèmes principaux structurent son approche et
appuient sa démonstration.
11 Beyrouth est définie comme une ville-pont entre l’Orient et l’Occident. Cela se traduit de
plusieurs manières. Sur le plan social, la coexistence traditionnelle de plusieurs groupes
confessionnels ou de minorités (arméniens, kurdes...) est doublée par une présence
occidentale ancienne, dont le mode de vie et la culture sont parés de prestige et modèlent
de plus en plus les comportements. Le cosmopolitisme constitue ainsi un fait marquant
dans la cité. En outre, la présence de communautés chrétiennes plus importantes en
nombre que dans d’autres villes de la région, et en particulier des maronites,
historiquement plus réceptifs à l’influence occidentale, constitue un élément déterminant
pour analyser la mutation du modèle oriental. Sur le plan économique, Beyrouth apparaît
comme la tête de pont des investissements occidentaux au Moyen-Orient. Les savoir-faire
financiers et les techniques commerciales de l’Occident transforment le comportement
des acteurs économiques beyrouthins. Beyrouth constitue donc un laboratoire privilégié
pour analyser la confrontation des deux modèles.
12 Un deuxième objet central dans l’étude de H. Ruppert est le centre-ville. La définition
cartographique7 qu’il en donne englobe les deux places des Martyrs et de l’Etoile (carte 1).
Sa limite au nord est constituée par le port, et elle se prolonge à l’est jusqu’au début des
rues Gouraud et Pasteur, avant de traverser le secteur Sayfi jusqu’à la place Debbas. Au-
delà du Ring, le périmètre inclut une pointe autour des rues de Damas et Bechara al-
Khoury, avant de longer l’immeuble ‘Azariyyé, puis de contourner le Sérail. Avant de
rejoindre la mer, une dernière extension englobe la rue G. Picot (aujourd’hui rue Daouk)
jusqu’au Starco. L’unité de cet ensemble paraît à première vue évidente : c’est l’espace des
souks. Mais les extensions sud et est, ainsi que l’appendice ouest vers le centre Starco,
sont plus étonnants, sauf si l’on songe qu’on a ici à faire à des espaces commerciaux et de
148
main. Science empirique, attachant beaucoup à la description des faits et au relevé des
signes topographiques, la géographie n’a jamais caché son intérêt pour les genres de vie
et l’habitat considérés sous l’angle le plus large. La citation suivante montre que H.
Ruppert ne renie pas cette filiation :
« Pour pouvoir analyser avec précision les quartiers résidentiels et leur population,
on doit prendre en considération les différents groupes confessionnels et les
catégories de revenus. Il suffit souvent, pour saisir les variantes particulières de
leur mode de vie et de leur comportement résidentiel, de reconnaître l’apparence
des maisons, leur style architectural, la propreté ou la saleté du quartier, les
voitures en stationnement, la présence de lieux de culte ou d’activités économiques.
Ces éléments, en relation avec l’âge des bâtiments, leur état de conservation, la
densité du bâti et le régime de la propriété, livrent suffisamment d’indices pour
définir une typologie des quartiers résidentiels beyrouthins » 10.
15 Le premier résultat de cette enquête consiste en un ouvrage très vivant, riche de scènes
de rues, de descriptions de bâtiments ou d’inventaires des étals du souk. Cette restitution,
en apparence très complète du paysage urbain, trouve notamment son application dans
un chapitre consacré à une typologie de l’architecture beyrouthine. L’auteur choisit le
quartier Rmeil11 comme espace de référence de la diversité architecturale de la ville.
Considérant l’urbanisation de ce quartier sur une période de cent cinquante ans, H.
Ruppert retrace l’histoire des transformations de son architecture. Pour les mesurer, il a
recours à de multiples indicateurs par lesquels il met en évidence les changements de
matériaux de construction (décrits avec une réelle précision), l’évolution de la forme
bâtie (apparition et développement des balcons, des toits de tuile...), mais aussi et surtout
le lien entre la forme et la fonction du bâtiment. Rmeil est d’abord un quartier où sont
construites des maisons de campagne de plain-pied en pierre comprenant un jardin, puis
ensuite des villas jusqu’au début du XXe siècle ; les disponibilités foncières restent alors
importantes. Durant le Mandat, Rmeil devient un quartier résidentiel à part entière avec
des immeubles de deux à quatre étages. Après la Seconde Guerre mondiale, le quartier
connaît une réelle densification et l’optimisation de ses disponibilités foncières. H.
Ruppert livre ainsi une typologie de l’architecture beyrouthine qui montre la
juxtaposition et la diversité des produits architecturaux à la fin des années soixante. Au
terme de cette description, on peut regretter que soient laissées de côté d’autres variables
que les modifications architecturales des bâtiments. H. Ruppert ne s’intéresse pas au
découpage parcellaire et à ses mutations12, alors qu’elles auraient également pu
constituer un excellent indicateur du degré et de la nature des transformations de
Beyrouth. Il ne développe pas, non plus, les relations existant entre le bâti, la rue, les
places et les autres espaces publics. A une plus petite échelle, il n’étudie pas la trame
viaire alors qu’elle constitue souvent un élément central de l’organisation urbaine, dans
le contexte de la transformation des tracés qui reflètent tant l’influence des idéologies
urbanistiques occidentales que le développement du véhicule particulier après la Seconde
Guerre mondiale. A cet égard, on ne trouve qu’une brève interrogation sur l’impact de la
réalisation du Ring Fouad Chehab alors en construction13.
150
16 Ces lacunes, à vrai dire, ne doivent pas étonner. L’intérêt pour la morphologie urbaine et
le parcellaire, qui s’est développé en Italie dans les années soixante-soixante-dix, n’était
vraisemblablement pas connu de H. Ruppert à l’époque de son étude sur Beyrouth14. En
fait, ces concepts n’étaient pas mobilisables pour l’analyse des mutations de la capitale
libanaise, d’autant qu’au départ, leurs promoteurs les ont surtout appliqués aux quartiers
historiques des grandes villes européennes. Pour lacunaires qu’elles soient, ces
descriptions du paysage urbain permettent, et c’est leur objet essentiel, de mettre en
évidence les influences rencontrées par la ville et les bouleversements qu’elles induisent.
Pour H. Ruppert, les mutations de l’architecture beyrouthine confirment la relative
précocité du processus d’occidentalisation de la ville.
La structure résidentielle
17 Après avoir mis en évidence la démarche de H. Ruppert et les critères sur lesquels est
bâtie son analyse, la suite de cet article s’attache à mettre en question les concepts-clés de
son interprétation. En ce sens, ce sont les représentations scientifiques relatives à
l’évolution de la ville qui nous intéressent ici.
18 En ce qui concerne d’abord l’étude de la structure résidentielle, les catégories utilisées
par H. Ruppert ne sont pas exposées d’une manière systématique. Selon une méthode
proche de l’écologie urbaine de l’Ecole de Chicago, il cherche à mettre en évidence les
principes de structuration des quartiers beyrouthins en proposant une typologie qu’on
peut synthétiser de la manière suivante. On trouve, d’un côté, des quartiers caractérisés
par leur homogénéité confessionnelle et leur hétérogénéité sociale. Ils se divisent entre
quartiers chrétiens et musulmans et se subdivisent selon les rites de ces religions. Ce
critère est parfois redoublé par celui de la nationalité ou celui de l’ethnie. L’appartenance
151
géographique peut être un facteur supplémentaire de cette typologie (par exemple les
chiites du Liban-Sud). Nous appelons cette première grande catégorie : type 1. D’un autre
côté, certains quartiers se caractérisent par des niveaux de revenus homogènes et une
mixité confessionnelle. Ces quartiers se subdivisent en deux ou trois sous-catégories :
riches, classes moyennes, pauvres (type 2). Enfin, entre ces deux types, H. Ruppert
identifie une gamme de situations intermédiaires.
19 La carte de la structure de la population des quartiers d’habitation selon l’appartenance
religieuse et le niveau de revenu tente de retranscrire cette situation15. Chaque quartier
est représenté selon le mode de structuration dominant. Pour simplifier, on peut dire que
le type 1 est représentatif de la structuration de la ville selon un modèle oriental ou
traditionnel, alors que le type 2 est représentatif d’une évolution vers le modèle
occidental. Ce processus d’occidentalisation est le cœur de la thèse de H. Ruppert. Afin de
mieux mettre en évidence cette transition, il ajoute deux autres catégories à sa légende :
quartiers dynamiques, quartiers traditionnels. Les quartiers dynamiques sont pour lui,
essentiellement, ceux où la population exprime son ouverture à l’Occident par l’adoption
de nouveaux comportements, non seulement en matière résidentielle, mais aussi de
mœurs, de pratiques commerciales ou professionnelles. On constate dans ces groupes un
détachement ou un moindre attachement aux appartenances traditionnelles (religieuses,
ethniques, géographiques) et une mobilité plus grande. Ces quartiers dynamiques sont
opposés aux quartiers traditionnels qui ont des caractéristiques inverses et où coexistent
dans la longue durée des groupes sociaux d’une même communauté religieuse aux profils
de revenus contrastés.
20 Néanmoins, on observe sur la carte que cette dernière opposition ne s’applique pas à
l’ensemble de la ville. En particulier, on remarque que les quartiers structurés
principalement par le niveau de revenu (et donc confessionnellement mixtes) sont, sans
exception, des quartiers riches ou de classes moyennes supérieures, considérés comme
dynamiques (Raouché, Ras Beyrouth, Badaro, par exemple). On ne saurait s’en étonner :
ce sont les lieux où l’occidentalisation est la plus avancée. Par contre, certains quartiers
pauvres, voire de bidonvilles (Medawar, La Quarantaine), habités de populations
confessionnellement mêlées, échappent tant à la qualification de traditionnels que de
dynamiques. La création de ces quartiers résulte pourtant bien, et H. Ruppert le montre,
de l’occidentalisation de la ville, de son ouverture économique et de son développement
qui attire de nouvelles couches de migrants16. À travers cette représentation
cartographique, on peut relever que la notion d’occidentalisation reste étroitement
associée, pour H. Ruppert, au progrès social et au dynamisme économique (à travers les
manifestations physiques que sont les nouveaux commerces ou les nouveaux immeubles).
Il n’analyse pas son impact sur l’ensemble de la société urbaine et, en particulier, sur la
mise en place d’une ségrégation fondée non plus sur l’appartenance religieuse, mais sur le
niveau de revenu. Ségrégation qu’on peut qualifier de « face noire » du processus
d’occidentalisation.
21 Deux remarques permettent de conclure sur ce point :
1. On peut penser qu’une partie des ambiguïtés de la notion d’occidentalisation est liée à
l’insuffisante précision de la mesure de ces ségrégations et donc, inversement, de la mixité
sociale (considérée d’un point de vue religieux comme de celui de la richesse). Le jeu des
échelles (du quartier à la rue) est, en particulier, susceptible de modifier le résultat de
l’analyse.
152
ville. Il y a là, nous semble-t-il, une démarche innovatrice pour saisir l’organisation
économique d’un espace urbain.
25 L’analyse du passage d’un modèle de structuration économique à l’autre se fait
principalement par la prise en considération des modifications de la hiérarchie des
centres d’affaires, dans la nature de leurs activités et dans leur organisation spatiale. Le
commerce et les services, plus que l’industrie ou l’artisanat, sont les marqueurs
privilégiés retenus par H. Ruppert pour analyser le passage d’un modèle oriental à un
modèle occidental. Cela s’explique d’abord par leur prépondérance dans l’organisation
économique de Beyrouth et aussi par le fait qu’il a défini la spécificité de la ville orientale
par sa structure commerciale.
26 Sur le plan spatial, H. Ruppert distingue deux types d’espaces dont il étudie les relations
et les mutations internes :
• le centre-ville et les souks : zone en restructuration interne ;
• les nouveaux espaces d’activités et de commerce tels que Hamra ou Furn ach-Chebbak,
espaces linéaires qui « s’épaississent » progressivement et entrent en concurrence avec le
centre-ville.
27 Sans disposer de sources statistiques étendues, H. Ruppert mène une enquête, là encore
souvent sensitive (ambiances), mais extrêmement fine et systématique, sur l’offre
153
BIBLIOGRAPHIE
Références citées
BERRY B., 1967, Geography of Market Centers and Retail Distribution, Englewood Cliffs (N. J.), Prentice
Hall.
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Sud], Iena, Fischer.
DETTMANN K., 1969, Damaskus. Eine orientalische Stadt zwischen Tradition und Moderne [Damas, une
ville orientale entre tradition et modernité], Erlanger Geographische Arbeiten, n° 26, Erlangen,
Selbstverlag der Frankischen Geographischen Gesellschaft, Palm & Enke.
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récentes », in J.-L., Hervé, J.-C. Biget (coord.), Panoramas urbains, situation de l’histoire des villes,
Fontenay/St-Cloud, E.N.S. Editions, p. 309-336.
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marquée par l’Occident], Erlanger Geographische Arbeiten, n° 27, Erlangen, Selbstverlag der
Frankischen Geographischen Gesellschaft.
SCHWEIZER G., 1993, « Concepts et méthodes des recherches allemandes de géographie urbaine
au Proche-Orient », in J.-F. Troin (coord.), Recherches urbaines dans le monde arabo-musulman,
Tours, Urbama, p. 195-202.
WIRTH E., 1966, « Damaskus, Aleppo, Beirut. Ein geographischer Vergleich dreier nahöstlicher
Städte im Spiegel ihrer sozial und wirtschaftlichen tonangebenden Schichten », [Damas, Alep,
Beyrouth. Une comparaison géographique de trois villes moyen-orientales au miroir de leurs
élites sociales et économiques], in Die Erde, heft 2 & 3.
NOTES
1. H. Ruppert, 1969.
2. La traduction de l’ouvrage est actuellement en cours par nos soins.
3. Nous remercions ici E. Wirth pour sa relecture et les précisions dont il a bien voulu nous faire
part.
4. E. Wirth, 1966.
5. A. Raymond, 1995, p. 309-336; voir aussi G. Schweizer, 1993, p. 195-202.
6. Cette opposition est notamment introduite par la référence au travail de Klaus Dettmann,
collègue de H. Ruppert, qui publie en 1969 une thèse dans la même collection sur Damas.
7. H. Ruppert, 1969, p. 56.
155
8. Le souk est, selon E. Wirth, « the only and fundamental criterion for the Near Eastern City
which can be considered as Islamic cultural heritage ». E. Wirth suggère d’ailleurs « to renounce
the term ‘Islamic City’ and to prefer the more général ‘Oriental City’... Islam seems to be more the
inhabitant or occupant of Middle Eastern urban systems than the architect », E. Wirth, 1982,
« The Middle Eastern City : Islamic City ? Oriental City ? Arabian City ? », Lecture given at Harvard
University, p. 9. Cité par A. Raymond, 1995, p. 309-336.
9. Colloque Urban core and Inner city, 11 septembre 1966, proceedings of the internal study week,
Amsterdam, E. G. Brill.
10. D’après H. Ruppert, 1969, p. 37, trad. des auteurs.
11. Rmeil est un quartier résidentiel situé dans la partie orientale de Beyrouth.
12. Il semble que l’auteur se soit heurté à un problème d’accès aux sources cadastrales.
13. Ce boulevard passe au sud du centre-ville et permet son contournement.
14. A titre d’exemple, les premiers séminaires de Carlo Aymonino ont été publiés à Venise en
1965. La première traduction allemande de L’Architecture de la Cité de Aldo Rossi date de 1973. En
France, Formes urbaines : de l’îlot d la barre, par l’équipe de Philippe Panerai, ne paraît qu’en 1977.
15. H. Ruppert, 1969, p. 133.
16. Ruppert écrit avant 1968, donc avant la plupart des bouleversements politiques qui causeront
l’exode des réfugiés du Sud-Liban, la population de ce qu’on appellera après lui la ceinture de
misère se compose, par conséquent, principalement de migrants économiques.
17. Le terme de City, désignant à l’origine le quartier de Londres où se sont installées les
fonctions financières de la capitale britannique, peut être transposé tel quel, en français ou en
allemand. Toutefois, dans le cas du centre-ville et de Hamra, dont les activités sont plus larges
que la simple fonction financière, nous traduisons par centre d’affaires la notion de CBD. Cette
traduction provient de G. Chabot et al., 1970, p. 18.
18. W. Christaller, 1933 ; B. Berry, 1967.
19. A ce sujet, voir la contribution de G. Boudisseau.
AUTEURS
LAURENT COMBES
Urbaniste, coopérant du service national au CERMOC
ERIC VERDEIL
Agrégé de géographie, coopérant du service national à l’Institut d’urbanisme de L’ALBA
156
7 Parmi ces nouvelles formes d’accès à la propriété, on peut citer les coopératives de futurs
propriétaires qui se développent depuis peu au Liban. Il s’agit de structures, déclarées
auprès des services de l’Etat, ayant pour but la construction d’un immeuble. Les
personnes constituant cette coopérative se partagent l’immeuble en logements. Cette
forme de regroupement permet de négocier plus facilement des prêts auprès de la banque
de l’habitat et d’autres organismes financiers, de définir plus précisément l’architecture
intérieure et extérieure de l’immeuble et de négocier en position de force avec le
constructeur qui devient ainsi un simple exécutant et perd son rôle de promoteur5. Ce
fonctionnement en coopératives, encore très récent, semble se développer dans la région
d’Antélias et de Qornet al-Hamra. Mais, au-delà des conséquences que la généralisation de
ce type de pratiques pourrait avoir sur l’organisation et le fonctionnement du marché
foncier et immobilier, je pense que leur existence tend à renforcer l’impression de
volonté forte affichée dans les moyens mis en œuvre pour acquérir un logement. On peut
alors se demander si l’accès d la propriété, dans les espaces périphériques décrits, ne constitue
pas le plus haut degré des stratégies développées par les habitants pour acquérir un droit à la
Ville ?
159
9 On peut donc affirmer qu’il existe dans notre zone d’étude un double sentiment
d’appartenance, suivant que l’on se situe sur la plaine côtière ou dans la montagne, et
suivant l’ancienneté de l’installation. Les personnes installées avant ou après la guerre
ont une image de l’espace liée à leur expérience plus ou moins longue, tandis que les
personnes installées pendant la guerre, de par le caractère souvent forcé de leur arrivée
et suivant leur niveau d’intégration, ont une image peut-être plus floue et plus
globalisante. En tout cas, la période de la guerre, et plus particulièrement à partir de
1982-1983 avec le développement des migrations forcées, peut être présentée comme une
coupure dans les processus de formation d’une identité propre à la région.
10 La deuxième remarque se rapporte aux représentations que se font de cet espace les
futurs habitants encore non-emménagés. Il s’agit en fait d’analyser très rapidement le
discours généralement avancé par ces personnes pour justifier leur choix d’implantation.
Dans ce discours, quel que soit le lieu de résidence, les valeurs environnementales
reviennent sans cesse. On parle de nature, de cadre de vie, de calme et de tranquillité, de
convivialité, etc. Or, même s’il reste encore quelques pins dans cette région, la plus
grande part de l’espace est totalement mitée par des immeubles d’environ cinq étages.
Pourtant, cette image – rurale – reste omniprésente et constitue un des critères
qualitatifs les plus souvent avancés. On retrouve ici un discours presque « banlieusard »,
très citadin par rapport aux valeurs représentées, et où le choix d’implantation semble
bien réfléchi et dicté par des notions d’attractivité pondérées par des critères financiers.
11 Ces quelques remarques permettent de reprendre mon questionnement en envisageant
désormais les espaces périphériques comme des espaces attractifs, où l’arrivée de
nouveaux habitants correspond à un choix et une volonté d’accéder, à travers la
propriété, à la Ville. Il existe ainsi une citadinité propre aux espaces périphériques qui s’inscrit,
au-delà des pratiques et des modes de vie, en s’appuyant sur un double sentiment d’appartenance
(à la fois à l’agglomération beyrouthine et à la montagne) et sur un degré satisfaisant d’accession à
la Ville. Il s’agit d’une citadinité incomplète et individualiste ; une citadinité de
161
NOTES
*. Doctorant en géographie, à l’université de Tours.
1. Voir la contribution de C. Eddé.
2. Voir la contribution de M.-C. Souaid.
3. Voir la contribution de T. Khayat.
4. Sur ce sujet, voir : Signoles P., « Acteurs publics et acteurs privés dans le développement des
villes du Monde arabe », communication au colloque Villes et sociétés urbaines dans le Monde arabe :
transformations, enjeux, perspectives, Turin, Fondation Giovanni Agnelli, 12-13 déc. 1994.
5. Voir la contribution de Ch. Darles.
162
9 habité par des « mustad’afin » [affaiblis] 10, déplacés de Baalbek et du Liban-Sud, lieu
« non-civilisé », lieu de « misère »11 où les habitants vivent une situation « tragique » 12,
espace « sous-équipé »13... Globalement, qu’ils soient produits ou rapportés par la presse,
ces discours se réfèrent à la banlieue-sud comme un espace anarchique habité par des
chiites pauvres dirigés et/ou manipulés par le Hizballah, parti intégriste pro-iranien qui
vise à établir une république islamique au Liban14. Ces représentations ne sont que
partiellement correctes.
4 D’une part, la banlieue-sud n’est pas un espace homogène mais un espace partagé en
plusieurs territoires que gèrent différents acteurs ; le Hizballah n’en est donc pas
l’intervenant unique. De nombreux habitants ne sont ni proches du Hizballah ni d’Amal. À
titre d’exemple, les femmes qui ne portent pas le foulard sont (au moins) aussi
nombreuses que celles qui le revêtent. Le marquage territorial du Hizballah (par des
inscriptions à la gloire des dirigeants de l’Iran ou des « martyrs » de la résistance
islamique au Liban-Sud) côtoie des boutiques aux noms occidentaux, qui présentent « la
dernière mode de Paris » et des écoles privées aux noms de saints chrétiens 15. Par ailleurs,
les services et les équipements proposés par le Hizballah (distribution gratuite d’eau
potable, aides financières diverses, écoles, dispensaires, supermarchés, etc.) se
distinguent par l’efficacité de leur organisation ainsi que par leur caractère professionnel
et technique « moderne »16. On voit donc que l’intégrisme et le sous-développement de la
dahiya doivent être nuancés.
5 D’autre part, la banlieue-sud n’est pas un espace totalement pauvre, sous-équipé et
illégal. Plusieurs quartiers sont habités par des populations aisées et ressemblent, à s’y
méprendre, à d’autres parties de la ville. On y retrouve les mêmes signes extérieurs de
richesse : façades d’immeubles en marbre et pierre, présence de voitures de marque, etc.
La présence ou l’absence d’équipements est fonction de la situation socio-économique du
quartier. Quant à l’illégalité, qui n’est pas toujours foncière, elle varie considérablement
d’un lieu à l’autre ; elle concerne le plus souvent le code de construction et rejoint ainsi
l’illégalité des autres banlieues de Beyrouth (Aramoun, Bchamoun, Mkalles, Mansourieh,
Zalka, etc.). Ces quelques faits montrent que les réalités sociales et politiques de la
banlieue-sud sont beaucoup plus complexes que les représentations largement répandues
et propagées par la presse. La banlieue-sud n’est pas un espace de misère qu’il faut éviter
ou une anarchie urbaine à organiser, c’est tout simplement une des multiples
composantes de l’agglomération beyrouthine. C’est pourquoi il faudrait réfléchir à
d’autres désignations pour cet espace17 ; comme cette question nécessite une étude plus
complète, nous nous contenterons ici du terme peu satisfaisant de « banlieue-sud ».
Elissar
9 Elissar est un établissement public qui a pour objet le réaménagement et la
restructuration de la partie ouest de la banlieue-sud. Cette zone est limitée par le
boulevard de l’Aéroport à l’est, la limite sud de Beyrouth-municipe au nord, la mer à
l’ouest, et l’Aéroport au sud. La surface totale du projet est de 560 ha dont 230 de
constructions réglementaires et de bâtiments religieux et sociaux sont exemptés de
démolition. Les 330 ha restants sont mis sous étude : les quartiers non-réglementaires 23 de
Jnah, Ouzaï, Horch al-Qatil, Sabra et Chatila qui se démarquent par leur forte densité et
leur irrégularité par rapport à Bir Hassan, Ramlet al-Bayda et de la zone qui borde le
boulevard de l’Aéroport, vont être détruits et reconstruits selon des règlements
d’urbanisme à préciser dans les plans directeurs. Le littoral qu’ils occupent sera alors
165
libéré et pourra être revalorisé dans le cadre d’une zone touristique. Les habitants
déplacés seront relogés dans 7 500 logements sociaux qui doivent être construits à
proximité du boulevard de l’Aéroport24. Les commerces et les petites industries qui font
actuellement partie des quartiers non-réglementaires seront relocalisés dans des zones
industrielles situées à proximité des quartiers d’habitation.
10 Elissar est le résultat d’une équation qui met en relation des paramètres foncier,
économique et urbain. La zone que couvre le projet est en majorité formée de larges
parcelles non-loties, et de muchaa’25, dont une grande partie appartient au domaine public
et aux municipalités. Le caractère public et le statut foncier confus des terrains ont
d’ailleurs permis aux secteurs non-réglementaires de s’établir et de s’étendre sans
difficultés majeures. Situés le long de la côte, ces terrains peuvent donner lieu à
d’importantes plus-values foncières, aujourd’hui paralysées par l’urbanisation illégale.
Par les procédures d’expropriation, de remembrement et de lotissement, Elissar compte
se réapproprier ces terrains et récupérer ces plus-values26. Les bénéfices seront assez
larges pour financer la construction de logements sociaux permettant de loger près de
deux-tiers des habitants en situation non-réglementaire27. La commission d’Elissar
étudiera le cas de chacun et attribuera des appartements en pleine propriété28. Il semble
qu’il lui coûtera davantage d’équiper la zone en infrastructures29.
166
l’habitant reconnaisse son chez-soi »31. L’introduction de rez-de-jardin permet à ceux qui
ont déjà un jardin de retrouver leur mode de vie qarawi [villageois] 32. Les immeubles sont
séparés par un vide de trente-cinq mètres de largeur pour permettre l’accès au soleil et à
l’air dans les appartements et empêche les vis-à-vis gênants. Les routes, de douze mètres
de largeur, facilitent les déplacements et ouvrent des perspectives vers la mer. Les sous-
sols sont bannis car, d’après les études comparatives avec les HLM en France, ce sont des
lieux où se développent crimes et vols. C’est aussi la raison pour laquelle il n’y a pas plus
de deux appartements par étage. Les espaces publics seront contrôlés par les habitants et
les autorités municipales tandis que les aires de stationnement feront office d’espaces
verts aux heures creuses. Enfin, la spécialisation fonctionnelle des espaces est de rigueur :
les zones industrielles sont isolées des résidentielles, les zones de services sociaux sont
regroupées en cœur d’îlot.
(l’adduction d’eau, la connexion électrique, l’égout dans la rue...) ; une fois ces besoins
acquis, « ils pourront évoluer » et les responsables pourront les aider à « s’instruire » 47.
18 Le Hizballah semble adhérer plus facilement qu’Amal aux principes de base d’Elissar. Les
proches du Hizballah pensent qu’il n’y aura pas de ghetto chiite puisque « l’argent n’a pas
de religion » et qu’Elissar attirera des investisseurs de toutes les confessions 48. Pour un
responsable au CCED, ce projet donnera aux gens le « sens urbain » [hiss madini] qui leur
manque ; « la vie dans des immeubles avive des sentiments d’appartenance commune, de
responsabilités partagées, de voisinage... introuvables dans les pratiques actuelles des
gens dominées par les soucis quotidiens d’accès aux services »49. Leur hiss fardi [sens
individualiste] deviendra hiss madini ; ils pourront devenir « productifs » grâce à l’espace
« bien aménagé » dans lequel ils vivront50. Le Hizballah et Amal se rapprochent quand il
s’agit du suivi de l’Etat, « condition essentielle pour la réussite du projet et pour
l’intégration des habitants à la société »51. Ils hésitent cependant à croire en la capacité et
la détermination des pouvoirs publics à prendre en main leurs responsabilités. Les
proches du Hizballah ont élaboré une théorie du complot [khitta ihmal] pour expliquer le
retrait éventuel, mais supposé, des pouvoirs publics. Selon eux, l’Etat n’a ni l’intention ni
la volonté de réaménager la banlieue-sud et ne cherche pas à intégrer ses habitants à
Beyrouth52 ; l’Etat ne veut pas que la banlieue-sud se développe, au contraire il cherche
sciemment à l’abandonner ; les excuses qu’il avance pour expliquer son inaction ou ses
erreurs ne sont que des prétextes. Pour eux, Elissar est un projet dont l’objectif principal,
voire unique, est économique : libérer le littoral et débloquer l’extension de la ville vers le
sud. Il ne s’intéresse pas aux habitants qui ont obtenu finalement gain de cause grâce aux
forces locales.
19 Les responsables du Hizballah et d’Amal tiennent des discours à peu près identiques dans
leurs lectures du projet et dans leurs visions de l’urbanisme et de son rôle. Leurs
stratégies socio-politiques divergentes ne produisent pas des représentations urbaines
différentes. Tous deux s’approprient ce qu’ils considèrent comme les points positifs
d’Elissar (le plan et le dessin) et s’excluent déjà de l’éventuel échec de l’opération en
170
Un même discours ?
20 Deux idées de base sous-tendent les discours tenus par les trois acteurs : l’une prétend
que la forme crée l’usage et l’autre que l’aménagement de l’espace est capable de
réformer la société. Les propos des représentants de l’Etat proches de R. Hariri, d’Amal et
du Hizballah varient, s’opposent ou s’élaborent autour de ces deux principes. Ces
variations discursives ne sont cependant pas structurelles puisqu’elles gravitent toujours
autour d’une même idéologie, qui n’est autre que celle de l’urbanisme moderne :
l’urbanisme est présenté comme une science qui veut remédier aux dysfonctionnements
de la ville53, il est le vecteur de la modernisation sociale et politique. Dans ce contexte, les
problèmes urbains sont exclusivement pris en charge par les corps professionnels alliés
aux pouvoirs publics.
21 Nous aurions pu nous attendre à des propos antagonistes de la part d’acteurs qui ne
s’accordent pas sur les plans politique ou social. Mais Amal ne s’interroge presque pas sur
les représentations urbaines que propose Elissar, il les accepte telles quelles et
considèrent qu’elles pavent la voie du développement, de la « citadinisation » [tamaddun].
Pour sa part, le Hizballah partage et souligne les qualités des conceptions urbaines du
projet Elissar. Les objections que nous avons notées de la part d’Amal ou du Hizballah ne
visent pas l’idéologie générale qui préside au projet. Dans ce contexte, les aménageurs et
les technocrates de la réforme sont seuls maîtres des décisions et soumettent à leur
pouvoir les trois acteurs. Nul ne semble autorisé à contester leurs visions : « qui peut
mieux que les urbanistes savoir ce qu’il faut faire, même moi qui suis ingénieur civil ne
peut penser en terme d’aménagement, qu’en serait-il du Hizballah et d’Amal ? »54. Ainsi,
les urbanistes sont les experts et Elissar ne peut être que la solution urbaine adéquate.
171
Conceptualisation par le dessin informatisé : les façades des logements à Maramel-Elissar (source :
Dar al-Handawssah, 1/400e).
22 Cependant, les trois acteurs semblent totalement ignorer les échecs qu’a connu
l’application des méthodes du zonage, principe de base de l’urbanisme moderne,
notamment dans les pays occidentaux55. Le zonage a pour vocation principale de
spécialiser l’espace et de faciliter la gestion dans le temps de la réalisation du projet ; ces
arguments fonctionnalistes et techniques excluent toute dimension sociale à l’espace
aménagé. Nous n’allons pas reprendre ici les démonstrations bien connues de F. Choay ou
de G. Dupuy qui ont bien montré les contresens et les illusions de ces utopies urbaines 56.
Par contre, il n’est pas inutile de montrer comment les principes de « mise en ordre » de
l’étalement urbain par le zonage se retrouvent dans le projet Elissar. Commençons par la
division de l’espace en zones dissociées qui n’intègrent pas la mixité existante des
fonctions, que ce soit à l’échelle de l’espace privé ou à celle de l’espace public.
Poursuivons par le modelage dans les espaces publics qui se fait par les vides au lieu des
pleins. Notons aussi la suppression des rues, fonctionnant aujourd’hui comme des lieux
de sociabilité, qui s’effectue en faveur des axes de circulation ponctués d’espaces verts,
voulus « actifs »57.
23 La mise en ordre s’exprime aussi à travers l’approche hygiéniste qui vise à « nettoyer »,
l’espace en le rasant58. Mais, comme il est difficile de la mettre en œuvre, notamment
dans la partie orientale de la banlieue-sud, certaines propositions visent à l’isoler
visuellement en modifiant, par exemple, l’accès à l’Aéroport de manière à ce que les
touristes évitent cette image peu décente de la ville59. La relocalisation des habitants
d’Elissar dans des îlots de logements sociaux vient compléter cette approche : d’abord,
cette population ne sera plus différenciée par son bâti60, ensuite elle ne représentera plus
de menace d’explosion sociale car elle aura accès à un niveau de vie supérieur, enfin elle
172
Principe de mise en ordre de l’espace : plan masse des logements à Maramel-Elissar (source : Dar al-
Handassah). Cent unités d’habitation s’organisent en quinze blocs, chaque bloc étant une
composition élaborée à partir de cinq unités de base (à droite du dessin).
24 Le caractère rétrograde des trois acteurs, aussi bien ceux qui se prétendent
« professionnels » (les proches de R. Hariri) que ceux qui sont présentés comme
représentants la population, apparaît à travers leurs discours sur l’aménagement de
l’espace. Aucun ne doute de la teneur des propos des urbanistes qui, même s’ils ont raison
d’un point de vue technique, menacent les lieux de la sociabilité. Aucun ne remet en cause
leur idéologie qui reproduit, dans l’organisation de l’espace, une représentation de la
société, des besoins et des aspirations, soi-disant de l’ensemble de la population, mais qui
est en fait la leur62.
25 Il est vrai que les habitants non-réglementaires de la zone d’Elissar ne vivent pas dans des
conditions urbaines idéales ; il est vrai aussi que le potentiel foncier, donc économique, de
cet espace jouxtant Beyrouth est considérable et ne peut être immobilisé à long terme.
Cependant, il nous semble grave que seules les considérations économiques déterminent
cette opération d’aménagement et qu’aucun débat sur les choix urbains et sociaux du
projet n’ait été initié. Amal et le Hizballah, tout comme R. Hariri, ne semblent être
concernés que par les enjeux financiers ou, au mieux, politiques d’Elissar. Pourtant, les
projets de logements sociaux sont une forme de régulation de l’espace, largement
expérimentée dans des villes du Maroc, de Tunisie, d’Algérie, d’Egypte... qui a eu de
graves retombées politiques et économiques sur ces Etats ainsi que des conséquences
« inadaptées socialement aux bénéficiaires »63. Alors que ces pays sont engagés depuis
plusieurs années dans une logique de reconnaissance et de régularisation des espaces
urbains non-réglementaires, certes sous la pression des bailleurs de fonds internationaux,
173
BIBLIOGRAPHIE
Références citées
CHARAFEDDINE W., 1987, « L’Illégalité dans une ville en guerre : le cas des quartiers ‘illégaux’ de
la banlieue-sud de Beyrouth », in S. Nasr et T. Hanf (ed.), Urban crisis and social movements,
Beyrouth, Euro-Arab social group, p. 175-191.
1987, La Banlieue-sud de Beyrouth ; structure urbaine et économique, thèse d’aménagement, ss. la dir.
de X. de Planhol, Paris, université de Paris 4.
DUPUY G., 1991, L’Urbanisme des réseaux, théories et méthodes, Paris, A. Colin.
HARB-EL-KAK M., 1996, Politiques urbaines dans la banlieue-sud de Beyrouth Beyrouth, CERMOC.
TEBBAL F., 1994, « Habitat insalubre : thématique et rôle des différents acteurs », in Habitat
insalubre et stratégies d’intervention, Meknès, Anhi, Usaid.
NOTES
*. Architecte et urbaniste, doctorante en sciences politiques à l’université de Montpellier.
1. La désignation « bureau privé » est utilisée par M. Kodeih, responsable des relations publiques
du bureau en question. Ce bureau dépend directement de R. Hariri ; il dispose donc de larges
moyens financiers et d’une marge de manœuvre considérable. Il est totalement indépendant du
gouvernement. D’après M. Kodeih, il aurait été formé en 1992 dans un but de « coordination des
différents travaux » d’aménagement urbain et serait seulement consultatif. Des équipes, assistées
d’une trentaine d’employés, se divisent les secteurs affectés par l’aménagement. Le bureau est
chargé d’effectuer des recherches puis d’élaborer des projets qui sont présentés aux organismes
de l’Etat « qui peuvent les accepter ou les refuser » ; entretien avec M. Kodeih, 20/10/1994.
2. « Lifting total en deux ans sous l’égide d’Elissar », Magazine du 23/06/1995; Al-’amal, le 21
février 1995.
3. Al-safir, le 18 août 1994.
4. « Lifting total », 1995, op.cit. ; L’Orient-Le Jour, le 9 octobre 1996.
5. « Lifting total », 1995, op.cit. ; Al-nahar, le 28 juin 1995.
6. Les qualificatifs « intégriste » ou « islamiste » ponctuent les dépêches sur le parti de Dieu dans
le quotidien L’Orient-Le Jour ; voir par exemple celui du 9 décembre 1996.
7. Al-safir, le 16 août 1994 ; Al-nahar, le 28 juin 1995.
8. Responsable du mouvement Amal.
9. Le qualificatif « anarchique » est présent dans les propos d’un responsable au Centre
consultatif d’études et de documentation (CCED), proche du Hizballah, ainsi que dans ceux de
Bassem Sabeh, député du Metn-sud, dans un entretien télévisé, le 22/08/1996.
10. Diverses brochures d’associations du Hizballah et d’associations iraniennes.
11. La « misère » est très souvent citée : on la retrouve par exemple dans les propos d’un
responsable à Al-mabarrat, association proche du Hizballah et chez Bassem Sabeh, dans un
entretien télévisé, le 22/08/1996.
12. Ibid.
13. Responsable au bureau privé de R. Hariri ; Bassem Sabeh dans un entretien télévisé, le 22/
08/1996.
14. Le slogan du parti de Dieu est « la révolution islamique au Liban ». Cependant, les ambitions
« islamiques » du Hizballah sont de plus en plus nuancées par leurs dirigeants et par des articles
qui discutent la « libanisation » du Hizballah ; Al-hayat, le 2 juillet 1996 ; Al-nahar, le 5 juillet 1996 ;
entretien télévisé avec Sayyid Fadlallah, le 28/12/1995.
15. Ces observations sont tirées de nos nombreuses visites en banlieue-sud.
16. M. Harb el-Kak, 1996. p. 51-59.
17. Bassem el-Sabeh, député du Metn-sud, représentant les « anciens » notables et proche de R.
Hariri, utilise la désignation « littoral du Metn-sud » ou sahel janubi [littoral sud].
18. W. Charafeddine, 1987.
19. Ibid., p. 1-17.
20. Projet de développement des banlieues et de construction d’autoroutes (loi n° 246) ; plan de
développement pour améliorer les services dans les banlieues de Beyrouth, le niveau de vie de ses habitants
et les accès à la capitale, Beyrouth, le 12/08/1994.
21. La ligne de partage entre les deux opérations est le boulevard de l’Aéroport (voir carte).
22. Ceci a été révélé par la mise en place de la commission chargée du projet Elissar qui a
nécessité de longues négociations. Elle a été formée le 14/07/1995. Présidée par J. Hélou,
ingénieur proche de R. Hariri, elle regroupe six membres : deux représentent Amal et Hizballah,
respectivement : l’avocat A. el-Khalil, député du Liban-Sud, et l’ingénieur agricole N. Krayyem ;
175
les quatre autres sont considérés comme étant proches de R. Hariri : A. Andraos, député ; W.
Saab, politologue ; E. Sehnaoui, ingénieur et hommes d’affaires ; S. Khaled, directeur général de
l’urbanisme.
23. Le terme « non-réglementaire » nous semble plus adéquat pour désigner des quartiers
communément qualifiés d’« illégaux » (W. Charafeddine, 1991 ; L’Orient-Le Jour, le 9 octobre 1996),
car moins chargé d’idéologie et de connotations morales ; P. Signoles, 1994, « Acteurs publics et
acteurs privés dans le développement des villes du monde arabe », communication non publiée
au colloque Villes et sociétés urbaines dans le Monde Arabe : transformations, enjeux, perspectives, Turin,
Fondation Giovanni Agnelli, 12-13 décembre 1994.
24. La densité globale annoncée était de 110 hab. /ha, elle atteint actuellement 700 hab./ha ;
entretien avec J. Hélou, président de la commission d’Elissar, 29/05/1996.
25. Le muchaa’ groupe « les terroirs au parcellement d’origine communautaire » ; à l’origine, c’est
« un genre particulier de propriété collective : celle qu’exerce sur l’ensemble du territoire qu’elle
cultive l’ensemble d’une communauté villageoise » ; J. Weulersse, 1946, p. 98-101.
26. L’expropriation a déjà commencé dans la région de Jnah avec le passage d’une autoroute. Les
expropriés ont été remboursés sur la base de 800 $ par mètre carré alors qu’à quelques centaines
de mètres (à Ramlet al-Bayda), le mètre carré ne se vend pas à moins de 3 000 $ ; entretien avec A.
el-Khalil, membre de la commission d’Elissar et responsable à Amal, 17/05/1996.
27. En effet, les 7 500 logements qui seront construits ne peuvent reloger tous les habitants des
13 000 constructions recensées. Quelques cinq mille ménages – dont 2 600 sont locataires – seront
donc indemnisés soit par Elissar, soit par le ministère des Déplacés, soit par le ministère de
l’Habitat. Ceci contrairement aux déclarations initiales qui affirmaient qu’il n’y aura pas recours
à l’indemnisation ; entretien avec J. Hélou, président de la commission d’Elissar, 29/05/1996 ;
entretien avec N. Krayyem, membre de la commission et responsable au Hizballah, 17/12/1996.
28. En principe, l’attribution d’un logement vient en échange de celui qui a été détruit et se fait
donc gratuitement. Mais, sur le terrain, les choses sont plus compliquées ; à titre d’exemples :
l’habitant d’un deux-pièces auquel sera attribué un trois-pièces devra payer la différence ; le
propriétaire d’un immeuble de trois étages ainsi que d’un appartement aura accès à un logement
ainsi qu’à une propriété équivalente à son bien ; entretien avec N. Krayyem, membre de la
commission d’Elissar et responsable au Hizballah, 17/12/1996.
29. Ibid.
30. Entretien avec J. Hélou, président de la commission d’Elissar, 29/05/1996.
31. Ibid.
32. Ibid.
33. M. Harb el-Kak, 1996, p. 35-44.
34. J. Hélou utilise le terme de fawda.
35. J. Hélou utilise le terme madaniyyin.
36. Une enquête a été menée en collaboration avec le Hizballah et Amal dans les quartiers
illégaux d’Elissar à partir de laquelle les différentes décisions ont été adoptées (nombre de pièces,
addition de balcons, de la salle d’eau équipée à la turque, etc.). Les résultats de cette enquête ne
nous ont pas été transmis.
37. Entretien avec J. Hélou, président de la commission d’Elissar, 29/05/1996.
38. Ibid. J. Hélou utilise le terme tatawwur.
39. Ibid.
40. Ibid. Il poursuit en disant que ce sont les enfants qui pourront « sortir » et « s’intégrer » au
reste de la ville (c’est-à-dire à la ville légale).
41. Ibid.
42. Ibid.
43. Entretien avec le directeur du CCED, 22/05/1996.
176
villes du monde, loin derrière sa voisine, Damas, la capitale de la Syrie, qui comptait
1 900 000 habitants en 1990, derrière Amman aussi qui en comptait 1 575 000 à la même
date, et comparable à Alep (1 370 000)5. Les exemples de ces trois agglomérations, choisis
à dessein parmi les plus proches du Liban, montrent que Beyrouth ne constitue en aucun
cas une exception par sa taille ; elle ne l’est pas non plus par la vitesse de sa croissance,
qui, quels que soient les chiffres adoptés parmi les estimations, est inférieure à celle des
trois exemples précédents6.
5 Un second motif de dénonciation du développement urbain et des désordres qu’il
engendre est plus généralement avancé par les résidents des régions chrétiennes.
Considérant, d’une part, que la croissance urbaine des deux dernières décennies provient
principalement des déplacements de population provoqués par les multiples épisodes de
la guerre – ce qui est en partie vérifié – et, d’autre part, que l’origine de la guerre incombe
aux « autres » – de manière générale, ces « autres » ne sont pas identifiés ou désignés de
manière précise, ils sont opposés à « nous », on en déduit que les « autres » portent la
responsabilité des problèmes engendrés par le développement de l’urbanisation. Par
déduction, on légitime sa dénonciation au nom d’une rupture, provoquée par ces
« autres », de la tradition (je reviendrai sur ce mot). Cette construction trouve d’autant
plus d’écho qu’elle permet de rendre compte, non sans une certaine facilité, de nombreux
problèmes en évitant de poser des questions qui pourraient déranger et mettre en cause
des « avantages acquis » à la faveur de la guerre.
Le mot
6 Avant de poursuivre, il n’est pas inutile de s’interroger sur les conditions dans lesquelles
l’expression Grand-Beyrouth a émergé. Il semble que c’est au géographe allemand,
Helmut Ruppert, que l’on doit la première mention de Grand-Beyrouth (Gross-Beirut) dans
un livre publié à la fin des années soixante et consacré à l’organisation des espaces et de
la société dans la capitale libanaise7. La formulation en langue allemande n’est peut-être
pas anodine, elle n’est pas sans rappeler Gross-Berlin. De prime abord, cette unité
administrative, fondée en 1920 pour gérer l’ensemble d’une agglomération déjà
tétramillionnaire et qui occupe un territoire de pratiquement neuf cent kilomètres
carrés, semble difficilement comparable avec Beyrouth. Cependant, à la suite de la
division de l’ancienne capitale du IIIe Reich en plusieurs secteurs d’occupation à l’issue de
la Seconde Guerre mondiale et, a fortiori, après 1961 – date de la construction du Mur –
Gross-Berlin continue de désigner l’ensemble de l’agglomération berlinoise. Au moment où
Ruppert publie son livre, si Beyrouth n’est pas encore coupée en deux zones
pratiquement étanches, comme elle le fut par moments au cours des années de guerre qui
suivirent, il n’en reste pas moins que les événements de 1958 sont alors récents et que,
durant ce court conflit, la rue de Damas avait déjà cristallisé un découpage de la ville en
deux zones8. C’est dans ce contexte que Gross-Beirut n’est peut-être pas sans lien avec
Gross-Berlin. Cette référence à une notion d’origine allemande est confirmée par l’usage
local. A Beyrouth, en 1969, la désignation adoptée par Ruppert ne semble utilisée ni par
l’administration ni par les chercheurs9. A ce moment-là, et pour dix ans encore, les
documents officiels et les travaux universitaires traitent de Beyrouth et de ses banlieues.
Il est cependant intéressant de noter une rupture au cours des années soixante. Au début
de la décennie, plusieurs rapports d’urbanisme ont pour titre « Beyrouth et sa banlieue »,
en 1964, avec la publication du plan Ecochard, il s’agit de « Beyrouth et ses banlieues » 10.
179
Les environs de la ville sont devenus pluriels, l’agglomération n’est plus considérée
comme une addition de deux parties : un centre et une périphérie assez homogène pour
être saisie au singulier, mais on y identifie plusieurs entités et des différences assez fortes
pour justifier l’emploi du pluriel. Revenons à Grand-Beyrouth et à son usage local. Suivant
M. Davie, cette désignation trouverait son origine dans la définition du territoire des
environs de la ville contrôlé par l’armée libanaise au début des années quatre-vingt 11,
mais sa première occurrence dans les documents officiels est pratiquement simultanée,
on la trouve en 1983 dans un rapport de la Direction générale de l’urbanisme consacré
aux propriétés de l’Etat12. Dans le contexte de la relative accalmie des hostilités qui suit le
retrait israélien de Beyrouth, l’année 1983 est aussi celle de l’élaboration d’un schéma
directeur par la Mission franco-libanaise d’urbanisme. Dans ce cadre, les experts sont
confrontés, à la définition d’un périmètre pertinent pour l’élaboration de leurs projets. Ils
sont conduits à définir une entité administrative, qui dépasse largement le périmètre de
la municipalité, nommée Région métropolitaine de Beyrouth (RMB)13. Si les deux
désignations Grand-Beyrouth, d’une part, et Région métropolitaine de Beyrouth, d’autre
part, sont contemporaines, l’usage qui en est fait correspond à deux registres différents
des discours sur la ville. La première est surtout employée par les médias et peu dans les
documents officiels tandis que c’est le contraire pour la seconde, ce qui correspond bien à
son statut administratif. Au-delà, les différences de ces contextes d’usage révèlent la
différence des réalités dont ces deux expressions rendent compte. La RMB est une unité
administrative d’intervention des édiles et des planificateurs tandis que le Grand-
Beyrouth, qui n’est pas défini par l’administration ni doté de limites précises, est une
désignation plus floue. Dans son utilisation récente, elle semble rendre compte d’une
prise de conscience. Celle du dépassement des limites municipales par l’agglomération
bien entendu. Celle aussi du fait que cette agglomération n’est pas seulement une
addition d’entités indépendantes, mais qu’il existe bien un ensemble urbanisé dont on
peut rendre compte par un seul nom14. Enfin, le fait que cet ensemble est sans ambiguïté,
comme son nom l’indique, rattaché à Beyrouth. On a choisi Grand-Beyrouth et non pas
Grand-Hazmiyyé par exemple, qui présente pourtant l’avantage d’être mieux centré dans
l’agglomération. Enfin, au contraire de l’agglomération française Lille-Roubaix-Tourcoing
pour laquelle on a composé avec trois référents, Grand-Beyrouth, à l’instar de
Communauté urbaine de Bordeaux ou de Grand-Caire, renvoie à un seul toponyme, à un
seul centre symbolique.
180
Les espaces
7 Les différences de ces deux désignations ne sont pas seulement administratives et
symboliques, elles correspondent aussi à des espaces distincts dont les définitions
renvoient à la question de la délimitation de l’agglomération. Cette question n’est pas
nouvelle, elle a surtout mobilisé les géographes. Ainsi, dès 1970, face au caractère déjà
très discontinu du développement de l’urbanisation, A. Bourgey proposait de construire
une définition à partir du tracé des lignes des taxis-services15. Cette méthode, qui
privilégiait les flux et non pas les stocks, alors novatrice, est toujours d’actualité 16 ; il
serait sans aucun doute intéressant d’actualiser le travail proposé par A. Bourgey. C’est au
même auteur que nous devons aussi la notion de banlieue-accordéon qui permet de rendre
compte, de manière efficace, des migrations estivales des Beyrouthins vers les villages
proches du Mont-Liban17. Pour sa part, dans un travail plus récent, L. Barakat préfère s’en
tenir à Beyrouth et « sa périphérie urbaine »18. Ainsi, à chaque auteur, à chaque
occurrence, on peut se demander de quelle ville il est question.
Délimiter l’agglomération
une faible correspondance avec la réalité de l’urbanisation, est la plus critiquée. Elle passe
au cœur du continuum urbain entre ‘Ayn Saadé et Beit Meri ou encore entre Roumié et
Broumana alors même que, dès le début des années soixante, le périmètre morphologique
de l’agglomération englobait l’ensemble de ces municipalités19. La limite nord est
susceptible d’une autre forme de critique, c’est son principe fondamental qui est
discutable. Car, si le nahr al-Kalb, par sa vallée très encaissée, donne lieu à une coupure
difficilement franchissable20, il n’en demeure pas moins que des centaines d’hectares
urbanisés, étroitement liés à l’agglomération beyrouthine de nombreux points de vue,
dont l’emploi et l’économique21, se développent immédiatement au nord de cette vallée
sur une dizaine de kilomètres dans cette direction et suivant une épaisseur variable, mais
toujours conséquente, vers l’intérieur. Dans un article récent, M. Davie montre que la
RMB ne correspond pas à une unité pertinente d’un point de vue géographique22 et, s’il
est certain que sa définition peut être qualifiée de malthusienne, pour reprendre
l’expression retenue par E. Verdeil au sujet de la délimitation de l’agglomération
parisienne en 196023, l’histoire de l’élaboration de ce tracé reste à écrire. Selon S. Feghali,
urbaniste au Conseil de la reconstruction et du développement qui a participé à son
élaboration, les considérations politiques sont parfois passées avant celles relatives à la
morphologie et au bon fonctionnement. Certaines municipalités auraient refusé leur
intégration dans le périmètre de la région métropolitaine24.
Tab. 1. Surfaces des grandes zones agglomérées de la région de Beyrouth (d’après la fig. 1).
Densité et continuum
urbain côtier, notamment à Jounieh, à Kaslik et à Zouk où les espaces libres et ceux
urbanisés suivant une faible densité (seuil entre 100 et 200 m.) sont rares. Il semble aussi
que cet ensemble ne s’effiloche pas vers le nord le long de la route de Tripoli, mais, qu’au
contraire, il s’arrête assez nettement, bien avant le retour de la baie et le casino du Liban.
De la même manière, le long des routes perpendiculaires à la côte – celle de Bikfaya au
sud du nahr al-Kalb et celle de Faraya au nord –, le développement urbain est organisé
autour des centres des villages anciens. Il suit de manière privilégiée les routes
principales, mais ces axes ne semblent pas constituer des supports indépendants du
développement. Loin des centres des villages, ils ne sont pas l’objet d’une urbanisation
linéaire systématique comme c’est souvent le cas actuellement. Dans la montagne, le
tracé de deux périmètres suivant des seuils différents montre que les villages – Ajaltoun
et Rayfoun en particulier – comportent, au contraire de la région de Jounieh, de larges
périphéries occupées de manière extensive qui relèvent parfois du mitage généralisé plus
que de l’urbanisation stricto sensu. Par exemple, c’est seulement suivant le seuil à deux
cent mètres que les villages de Qornet el-Hamra, Beit Chebab, Bikfaya et Bharsaf ne
constituent qu’une seule entité morphologique.
13 Ainsi, la délimitation morphologique, suivant un seuil variable, révèle des discontinuités
spatiales entre des zones de densités différentes. Ces différences et leurs seuils ne sont
pas sans incidence sur les comportements des habitants. C. Baumont et J.-M. Huriot ont
montré dans un article récent que « des seuils peuvent apparaître, au-delà desquels la
densité est ressentie différemment et entraîne des effets différents. En-dessous d’un
certain seuil de densité, les interactions produites peuvent difficilement créer les valeurs
humaines, culturelles ou économiques propres à la ville »36. Qu’en est-il de Beyrouth ? Il
serait intéressant de regarder les franges de l’agglomération suivant ce point de vue ; le
travail reste à faire.
Discours
14 La représentation du périmètre morphologique de l’agglomération, telle qu’elle est
reproduite ici, donne une image étonnante de Beyrouth et de ses environs ; c’est la
première fois que cette méthode est appliquée, de manière homogène et sur un aussi
vaste espace, à la capitale libanaise. Au-delà du détail des informations qu’elle offre, cette
image présente un intérêt particulier ; elle montre comment, dès 1962, pas un seul des
villages situé à une distance inférieure à vingt-cinq kilomètres de Beyrouth vers le nord
et quinze à vingt kilomètres vers le sud et l’est, n’avait échappé à la suburbanisation.
Autour des centres anciens denses, de manière préférentielle le long des principaux axes
de communication, s’étendaient de vastes zones, peu denses, occupées par un habitat
résidentiel situé dans un milieu de grands jardins ou de terrains agricoles (des terrasses
plantées d’arbres fruitiers notamment). Ces zones constituaient déjà un vaste continuum
urbanisé dont le périmètre, très découpé, s’étendait non seulement le long de la côte,
mais aussi par de longues tentacules perpendiculaires au bord de mer et séparées par des
vallées profondes et abruptes. Cette situation a un intérêt d’autant plus important qu’elle
ne correspond pas vraiment au discours dominant. Selon lui, avant la guerre, les environs
montagneux de Beyrouth étaient occupés par des villages, qualifiés de « traditionnels »,
loin de toute urbanisation nouvelle et de toute spéculation. Ce serait la guerre,
notamment par le déplacement des populations qu’elle a provoqué, qui serait à l’origine
de l’urbanisation des environs de ces villages. Or, le plan montre plutôt le contraire ; si la
185
guerre a certainement accéléré le processus, si les villas ont cédé leur place à des
immeubles – comme ce fut le cas à Achrafiyyé et à Gémmayzé durant les premières
décennies de ce siècle – la montagne était fortement pénétrée par l’urbanisation, bien
avant le début des hostilités. Un examen attentif des cartes postales de la baie de Saint-
Georges, montrant, à la fin des années soixante, la montagne vierge de toute
construction, indique qu’elles ont été retouchées (fig. 3). Le discours sur le caractère
« traditionnel » d’une montagne présentée comme un conservatoire des traditions, en
opposition au milieu urbain, ne semble donc pas nouveau. La guerre lui a donné un
argument de poids que la cartographie a permis de débusquer.
15 Ce discours sur la montagne, qui avait en fait pour objet la ville par un refus de prendre
acte de ses extensions et du développement de l’urbanisation, s’est modifié. On ne
retouche plus les cartes postales. Avec les faits – l’urbanisation de masse des environs de
la ville – et l’argument fourni par la guerre – la faute des autres –, on est passé d’une
situation de refus à la dénonciation. Dénonciation à laquelle je fais allusion plus haut. La
boucle serait bouclée si le fait d’imputer tous les maux de la société et de son
fonctionnement à la taille d’une ville, somme toute pas très grande, ne suscitait pas
quelques réflexions. Derrière la dénonciation de la croissance de Beyrouth, il me semble
qu’on peut lire deux choses.
Peur et nostalgie
16 Tout d’abord, cette dénonciation exprime une peur : la peur de la grande ville. Ce propos
est exprimé par la presse notamment. Un numéro récent de L’Orient-Express n’a-t-il pas
été consacré au trop grand Beyrouth, l’éditorialiste y parle d’une « immense cité-État », il
ne manque pas non plus de reprendre le paradigme le plus récurent : la mise en cause de
la guerre37. De manière à peine moins explicite, la presse quotidienne, à travers les
discours dont elle rend compte ou ceux qu’elle produit, par ses enquêtes notamment, se
fait aussi le porte parole de cette peur. On y note la fréquence de quelques formules
révélatrices. C’est la pauvreté, associée à l’idée de ceinture, qui constitue l’expression la
plus fréquente des descriptions de la société urbaine des environs de la ville 38. Si certains
signataires sont bien les porte-parole de la population pauvre, on peut le plus souvent se
demander si ces textes n’expriment pas tout d’abord la peur de leurs auteurs39. La
médiocrité récurrente des enquêtes en constitue la preuve. Par exemple, lorsqu’un
journaliste qualifie la banlieue-sud de « cité de la misère, de la surpopulation et des
constructions illicites », définition pour le moins contradictoire avec la situation comme
le montre le livre récent de M. Harb el-Kak, on peut douter de la réalité d’une enquête sur
les lieux40. Suivant ces auteurs, cette ceinture de misère qui entoure la ville fait peur ; on
peut se demander à qui elle fait peur. Qui se sent cerné par la misère, qui craint la révolte
sociale, qui dénonce la démesure de la ville ? M. Perrot, auteur de plusieurs travaux sur
ces questions pour la France du XIXe siècle, rappelle que si la grande ville fait peur, elle ne
fait pas peur à tout le monde ; « ce sont les nantis qui ont peur (...) les classes ouvrières
ont toujours apprécié la grande ville et les lieux de liberté qu’elle offre41 ». Pour sa part, J.
M. Merriman, qui travaille sur les faubourgs des villes de France à la même période,
montre des phénomènes comparables, il explique aussi que les peurs ne trouvent pas
toujours leur origine dans la lutte des classes, mais aussi, parfois, au sein des classes
laborieuses, dans des allégeances communautaires divergentes. Les clivages peuvent être
de nature religieuse, il évoque les conflits entre les catholiques et les protestants de
186
Fig. 3. Vue de la baie de Saint-Georges dans les années soixante, (carte postale retouchée, coll. J.-L.
Arnaud).
19 Rêver d’un Beyrouth, ou de toute partie de Beyrouth, sans décalage, sans tiraillement,
relève aussi de l’utopie. Lors d’une récente table ronde, A. Zouki a montré que, même
dans le cadre d’une communauté aussi restreinte que celle des adventistes de Sabtiyyé,
les velléités de contrôle de l’urbanisation et des règles de voisinage ont échoué à moyen
terme55. Aussi, il semble que la dénonciation du développement de l’urbanisation comme
la cause de ses dysfonctionnements est un leurre. Suivant, encore une fois, l’expression de
M. Roncayolo, je préfère considérer que « la ville est en décalage avec elle-même » 56 et
postuler que, par nature, la grande ville dysfonctionne toujours, en retenant le fait que
cette qualité peut être plus ou moins marquée.
20 Au Liban, les services publics, assurés par l’Etat ou bien par les collectivités locales, sont
le plus souvent tout à fait dérisoires ; les premiers équipements que sont les routes, les
188
adductions en eau et en électricité sont loin d’être assurés de manière satisfaisante ; pour
leur part, l’administration57 et la santé publique58, domaines fondamentaux d’exercice de
l’autorité publique, sont pourvus de moyens largement en-deçà des besoins minimum.
Dans ce contexte, seuls les principes d’auto-organisation peuvent pallier les carences des
pouvoirs publics et permettre à la ville de fonctionner. Ces principes, où le contrôle social
et l’interconnaissance entre les personnes jouent des rôles fondamentaux, trouvent leurs
limites d’application dans la taille des organismes urbains à gérer et surtout dans la
vitesse du renouvellement de la résidence de la population. Comment, dans une ville de
plus d’un million d’habitants, dont une grande part a été déplacée au cours des vingt
dernières années, les modèles d’auto-organisation urbaine sont-ils généralisables 59 ? Si
pour certaines activités, l’enseignement notamment, le secteur privé et/ou
communautaire assure tant bien que mal le relais, il est des domaines pour lesquels
l’intervention des services publics est nécessaire, pour l’établissement et l’entretien du
réseau routier, pour l’adduction en eau et pour le drainage en particulier. Face au
désengagement de l’Etat dans ces domaines, face à l’absence de services édilitaires et, de
manière plus générale, de politique et de planification urbaine, Beyrouth est peut-être
une ville trop grande. Cependant, ce n’est pas tant la taille de l’agglomération que
l’absence généralisée de volonté publique et des replis communautaires60 d’en faire une
ville qui semblent en cause.
BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
*. Architecte-historien, chargé de recherche au CNRS – IREMAM
*. D’après Ghazir / Sarba / Bikfaya / Beyrouth / Ash Shwayr / Aaley / Bhamdoun, s.l., armée
libanaise, direction des affaires géographiques, 1/20 000 e, 7 feuilles, couleurs, 84×53 cm pour
Beyrouth et Aley, 65×53 cm pour les autres ; documents établis d’après la couverture aérienne au
1/25 000e de 1962, publiés entre 1963 et 1973.
1. La chronologie des événements relatifs aux questions d’urbanisation, dressée et publiée par
l’Observatoire urbain de Beyrouth depuis 1994, ne manque pas de très nombreux exemples. Lettre
d’information... 1 à 5, 1994-1996.
2. Urbanisation et environnement, colloque organisé par le département de géographie de la faculté
des lettres et des sciences humaines de l’université libanaise, du 2 au 4 novembre 1995. Voir le
compte rendu de ce colloque dans la Lettre d’information..., 5, mars 1996.
3. À ce propos, l’exemple exposé par M.-Cl. Fattore, au sujet de la population chiite arrivée dans
le quartier Mousaytbé à la fin des années quatre-vingt, est probant ; voir sa contribution dans ce
livre.
4. Exactement 1 086 000 en 1990, selon Géopolis, 1 200 000, pour la région métropolitaine de
Beyrouth, suivant une enquête de 1995. F. Moriconi-Ebrard, 1994, p. 334 ; M. Belliot, T. Nakkash,
1995.
5. Suivant les données de Géopolis ; F. Moriconi-Ebrard, 1994, p. 332-333.
6. Par contre, il est une donnée suivant laquelle l’agglomération beyrouthine est effectivement
exceptionelle ; le Liban présente une forte hypertrophie qui correspond mal à la hiérarchie
habituelle du réseau urbain d’un pays (loi rang-taille). Mais, on sait que cette loi rend mal compte
de la partie haute de la courbe (d’après D. Pumain, citée par B. Lepetit, 1988, p. 177). D’autre part,
l’hypertrophie des villes primatiales est d’autant plus forte que les pays sont petits. Même pour
les plus petits pays, la capitale regroupe tous les services administratifs nécessaires au
fonctionnement d’un Etat, on assiste à une diséconomie d’échelle qui croît avec la baisse de la
surface du territoire. Enfin, plus les Etats sont de faible surface, plus ils sont conduits à
fonctionner en réseau. Sur cette base, si on considère le Liban non plus isolément, mais avec
l’arrière pays, avec lequel les échanges, pas seulement politiques, mais aussi économiques sont
191
nombreux, Beyrouth occupe une place tout à fait conforme à la loi rang-taille, derrière Damas, au
second rang avec Alep.
7. Si, page 20, Ruppert emploie cette désignation dans une expression sans ambiguité : « wird zu
einem Gross-Beirut », ce n’est pas toujours le cas ; quelques pages plus loin (p. 26), c’est la
locution en français « Beyrouth et sa banlieue » qu’il traduit par Gross-Beirut. H. Ruppert, 1969 ;
voir la contribution de L. Combes et E. Verdeil au sujet de ce livre.
8. Sur ces événements, voir E. Picard, 1988, p. 120-126.
9. Les informations et les références bibliographiques qui suivent sont extraites de G. Boudisseau,
1996.
10. Ibid., notice n° 10. Durant plusieurs années, les désignations de la banlieue sont soit au
singulier, soit au pluriel, celui-ci ne semble définitivement acquis qu’au début des années
soixante-dix.
11. M. Davie, s.d. On notera aussi que, dès 1985, S. Nasr, sociologue, utilise la désignation Grand-
Beyrouth dans le titre d’un article scientifique. S. Nasr, 1985.
12. G. Boudisseau, 1996, notice n° 96.
13. Ibid., notice n° 92.
14. A cet égard, il n’est pas sans intérêt de noter que les multiples réponses que j’ai obtenu à la
question des limites du Grand-Beyrouth, montrent que, en fonction des locuteurs, l’espace
représenté par cette désignation varie fortement. Dans ce contexte, il serait intéressant
d’identifier le « noyau dûr » que tous les locuteurs considèrent comme partie intégrante du
Grand-Beyrouth.
15. A. Bourgey, 1970.
16. M.-H. Massot, J.-P. Orfeuil, 1995.
17. A. Bourgey, 1970.
18. L. Barakat, 1987.
19. Suivant un travail effectué à partir des cartes d’état-major de 1962, voir les notes 26 et 29.
20. Par exemple, les villages situés dans de relatives proximités à vol d’oiseau, de part et d’autre
de la vallée, sont très éloignés par la route. Il faut ainsi parcourir plus de treize kilomètres pour
aller de Qornet el-Hamra à Jita alors que ces deux villages ne sont effectivement distants que d’un
kilomètre.
21. Les embouteillages quotidiens, provoqués par le rétrécissement de la voie sous le tunnel du
nahr al-Kalb, en constituent la preuve la plus évidente.
22. M. Davie, s.d.
23. Il sagit du Plan d’aménagement et d’organisation générale de la région parisienne ( PADOG), E.
Verdeil, 1995, p. 68.
24. Communication orale, séminaire Beyrouth – espaces et société, CERMOC, séance du 17 nov.
1994.
25. Ce travail, engagé en 1995 par M. Abou Rahal, architecte, dans le cadre de la préparation d’un
DESS d’urbanisme et F. Derais, étudiante en maîtrise d’aménagement, dans le cadre de son stage
de fin d’études, a été repris et complété l’année suivante avec la collaboration de L. Itani,
architecte, vacataire au CERMOC.
26. Les limites ont été fixées suivant un périmètre à l’intérieur duquel les constructions sont
espacées de moins de 200 mètres conformément aux recommandations de l ’ONU (1978), F.
Moriconi-Ebrard, 1994, p. 58. D’autre part, le choix de l’année 1962 ne doit rien à un calcul, c’est
celle de la publication de la dernière carte d’état major disponible au Liban. Si, depuis cette date,
de nombreux documents cartographiques représentant Beyrouth ont été dressés, ils sont tous
partiels, de date et de code de représentation différents, ils ne permettent en aucun cas de
dresser une base fiable suivant un périmètre aussi étendu que celui qui a été retenu. Voir
Cartographie de Beyrouth, 1995.
27. Pour une synthèse de ces méthodes, voir Y. Blayo, 1993.
192
28. Les enquêtes, chacune conduite par un organisme différent, présentent des différences telles,
tant en ce qui concerne les catégories de saisie de la réalité que le découpage de l’espace adopté,
qu’elles ne sont pratiquement jamais comparables dans le temps ou compilables dans l’espace.
Seule, l’enquête ménage, conduite en 1994 dans le cadre de l’établissement du plan de transport
de Beyrouth par L’IAURIF et TEAM , constitue une exception à cette règle ; elle est fondée sur le
même découpage de l’espace que l’enquête « ménages-activités » effectuée aussi par L’IAURIF en
1983 ; M. Belliot, T. Nakkash, 1995.
29. Les cartes-sources sont homogènes et assez détaillées pour permettre de déterminer avec
précision le périmètre morphologique des zones agglomérées. Cependant, elles n’indiquent en
aucun cas l’affectation des bâtiments représentés, aussi, le périmètre défini peut inclure des
édifices à usage industriel ou agricole pourvus qu’ils soient séparés par un espace non bâti
inférieur à 200 mètres.
30. En tout état de cause, ce tableau indique seulement la surface des sept grandes zones
continues. La réalisation d’un total, quelles que soient les unités retenues, nécessiterait l’ajout de
nombreuses zones intersticielles.
31. E. De Vaumas, 1946.
32. Voir la contribution de C. Darles, ph. 5.
33. C. Triay, O. Sanchez, 1996.
34. Ibid.
35. E. Verdeil, 1995, p. 11.
36. C. Baumont, J.-M. Huriot, 1996, p. 10.
37. « Grand-Beyrouth, trop grand Beyrouth », L’Orient-Express, 4, mars 1996, dossier, p. 34-45.
38. Je n’ai retenu que deux exemples. Face au projet de création d’un souk populaire place de
l’horloge el-Abed et pour s’y opposer les habitants du quartier mettent l’Etat en garde contre la
mise en place d’une « ceinture de misère », Al-nahar, le 30 septembre 1994. Plus récemment, un
journaliste comparait la « ceinture de pauvreté » de Beyrouth avec celle de Sarajevo ; Al-safir, le 7
octobre 1995.
39. L’exemple de personnalités qui avertissent le Premier ministre du risque d’une révolte sociale
et attirent l’attention sur une explosion sociale latente dans les quartiers pauvres, est
particulièrement représentatif de cette ambiguïté ; Al-hayat, le 7 septembre 1995.
40. Al-nahar, le 28 juin 1995 ; M. Harb El-Kak, 1996.
41. M. Perrot, 1991, p. 73.
42. J.M. Merriman, 1994 ; pour Nîmes : p. 195-222 ; pour Perpignan : p. 143-194.
43. Suivant le témoignage de A. Tohmé, doctorante en anthropologie à l’université Saint-Joseph,
lors d’une séance du séminaire Beyrouth – espaces et société du CERMOC, le 9 février 1996.
44. Il est remarquable que cet équilibre de l’avant-guerre est souvent exprimé par des personnes
qui avaient moins de dix ans en 1975. Dans ce contexte, leurs propos tiennent plus du discours
(entendu et repris) que du témoignage.
45. Je pense en particulier au travail de M. Davie pour le XIXe siècle. Sa description du rôle de la
millat orthodoxe et la notion déclatement quelle emploie érigent la ville de la fin du XIXe siècle en
une sorte de situation idéale ; M. Davie, 1994 ; et, pour la période plus récente, à celui de N.
Beyhum, sur les espaces publics en particulier ; N. Beyhum, 1991.
46. A. Raymond, 1974, p. 790-806 ; R. Ilbert, 1987 ; M. Seurat, 1985.
47. La destruction de l’ancien centre-ville et du quartier Wadi Abou-Jmil par la société Solidere
constitue l’exemple le plus caricatural des méthodes d’intervention légitimées par une prétendue
urgence et efficacité du processus de reconstruction.
48. Paradigme fondateur de l’urbanisme comme science et de ses précurseurs depuis la première
moitié du XIXe siècle ; F. Choay, 1965 ; F. Paul-Levy, M. Segaud, 1983, p. 245-246.
49. Voir la contribution de M. Harb el-Kak.
193
50. Je pense en particulier aux communications consacrées aux régions libanaises du colloque
cité note 2, journée du 3 novembre.
51. M. Roncayolo, 1990, p. 143.
52. Ibid.
53. J.-Ch. Depaule, 1987, p. 10-11.
54. B. Lepetit, 1988, p. 154-158 et 221.
55. A. Zouki, 1996.
56. M. Roncayolo, 1983, p. 80-86.
57. C. Engels, 1994.
58. Mohanna K., Gahowjy F., 1993.
59. Par exemple, B. Chbarou et de W. Charara montrent bien comment la gestion de la mosquée
de Mousaytbé, par un groupe de sunnites anciennement installés dans ce quartier, est fortement
troublée et remise en cause à la suite de l’arrivée de migrants, d’origine kurde notamment. B.
Chbarou, W. Charara, 1985, p. 27 sq.
60. Les replis communautaires ne s’expriment pas seulement par la localisation de la population,
ils sont aussi à l’origine d’une territorialisation des ressources, de l’eau notamment. Par exemple,
l’organisation de l’adduction d’eau de nombreux villages, notamment dans la région mixte de
Qartaba, en conformité avec le découpage communautaire (le captage et le lieu de distribution
sont sur un même territoire), donne lieu à de nombreuses complications du réseau et des
déperditions importantes. D’autre part, Il a aussi été avancé que la canalisation d’eau issue du
captage situé dans l’Iqlim (région à dominante sunnite) devait traverser la banlieue-sud sans
prélèvement car il n’est pas question que de l’eau d’origine « sunnite » alimente des quartiers
chiites. Selon un ingénieur consultant, préférant conserver l’anonymat, chargé de la
réorganisation du réseau d’adduction en eau au Conseil du développement et de la
reconstruction.