Jeanne Alexandre
Jeanne Alexandre
Jeanne Alexandre
Jeanne Alexandre
Une pacifiste intégrale
Françoise Thébaud
Présidente de l'Association Mnémosyne
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Un grand merci à celles et ceux qui m’ont aidé au cours de mes
recherches : Christine Bard de l’université d’Angers, Mme Blet et
Adolphe Rossille de la bibliothèque municipale de Nîmes, Françoise
Blum du Centre d’histoire sociale, Emmanuel Blondel et Robert
Bourgne de l’Institut Alain, Emmanuelle Carle-Pelletier de
l’Université Mc Gill de Montréal, Valérie Daly, Catherine Guimont
du musée Alain de Mortagne, Nicole Racine-Furlaud du CEVIPOF.
Une gratitude toute particulière à Mmes Lise Halbwachs-
Mecarelli et Françoise Jean-Paul Léon, et MM. Jean-Pierre
Halbwachs, Philippe Léon et Bertrand Saint-Sernin, proches de
Jeanne Alexandre.
Abréviations
LP Libres propos.
11
INTRODUCTION
14
C’est peut-être là le principal point de divergence entre Jeanne
Alexandre et les mouvements suffragistes des années vingt.
***
L’entre-deux-guerres est marqué par le choc des années 1914-
1918 : elles « ont pesé à la façon d’un traumatisme profond sur le
souvenir et la conscience des générations qui les ont vécues
directement, aussi bien que de celles qui leur ont été immédiatement
postérieures1 ». Cela explique en grande partie le pacifisme massif
des années vingt et trente. Cependant, ce premier conflit avait déjà
ses opposants, et le pacifisme de Jeanne Alexandre est antérieur à ce
choc caractéristique; il brille, au contraire, par sa constance et son
intangibilité. Rares sont ceux qui, comme elle, ont combattu la
guerre avec cette inébranlable fermeté. Elle est aussi, par cette
permanence, une figure irréprochable du pacifisme intégral,
durablement accusé d’aveuglement, sinon de défaitisme ayant mené
à la collaboration. Cependant, cette charge n’est-elle pas en partie
excessive2 ?
La justice et l’humanité sont les maîtres mots autour desquels
gravite la pensée de Jeanne Alexandre. Elles fixent ses convictions et
inspirent ses actes. Pas un article qui ne les évoque, pas une idée qui
ne veuille les défendre, les reconnaître, les encourager. Aussi n’est-ce
pas une vaine entreprise que d’essayer de déterminer quel rôle cet
idéal internationaliste a pu jouer dans la radicalisation d’un certain
nombre de pacifistes, dont la pensée de Jeanne Alexandre est
particulièrement représentative. Le pacifisme jusqu’au-boutiste
frappe autant par sa lucidité depuis le traité de Versailles que par sa
mauvaise appréciation des périls. A ce propos, l’attitude à l’égard de
l’Allemagne nazie inspire ces mots à Michel Bilis :
15
« Toute une génération de militants engagés depuis 1919 dans une
lutte noble et passionnée contre les « iniquités » du traité de
Versailles et contre la politique de Poincaré et du Bloc national à
l’égard de l’Allemagne dans les années vingt, pouvait-elle être munie,
dans le feu même des événements, des éléments d’appréciation
nécessaires pour opérer, le cas échéant, des revirements
indispensables1 ? »
***
Cependant, le pacifisme intégral n’est pas une constante dans
l’entre-deux-guerres. Il ne se démarque que dans la seconde moitié
des années 1930. Auparavant, la France, durablement choquée par la
Grande Guerre, se distingue par la multiplicité et l’antagonisme de
ses forces de paix. Si son pacifisme diffère de celui des Anglais par
son caractère « politique », tel que l’a souligné Pierre Cot2, il est
aussi différent par son hétérogénéité : « The French peace
movement of the interwar period was a lively and probably
numerically significant force, but it was also a balkanized, splintered
movement3 », écrit Norman Ingram. Et comme le souligne Jean-
Pierre Biondi : « le pacifisme n'a pas été paisible. Il a été davantage
une expérience conflictuelle qu'une démarche œcuménique, le reflet
d'antagonismes idéologiques que l'expression d'un consensus4 ». En
1932, André Tardieu répertorie cinquante organisations pacifistes
en France, dans son relevé des organisations franco-allemande pour
la paix, ainsi que dix-sept groupes sympathisants5. Quatre ans plus
16
tard, ce sont deux cents organisations qui apparaissent dans
l’annuaire de la paix du Centre international de documentation anti-
guerrière1. Mais ce qui frappe Norman Ingram, hormis l’extrême
diversité des hommes, des femmes et des organisations pacifistes,
c’est leur isolement dans une lutte dont le pacifisme n’est pas
toujours une exclusivité : « For many, it’s clear that peace was not
their primary reason for being »2. Par ailleurs, tous ne s’entendent
pas sur le sens qu’ils donnent à la paix : « le but des communistes
diffèr[e] à l'évidence de celui de Briand, et Henri Massis, admirateur
de Mussolini, n'[est] pas sur la même longueur d'onde que Victor
Basch, président de la Ligue des droits de l'homme3 », prévient
Jean-Pierre Biondi. Comment réunir, du reste, les féministes, les
anciens combattants, les communistes, les mouvements paysans, les
anarchistes, les syndicalistes, les intellectuels internationalistes?
C’est dans ces eaux agitées qu’évolue le petit groupe des aliniens,
dont le combat pour la paix complète une volonté permanente de
justice sociale. Jeanne Alexandre, par le biais de ses critiques
littéraires, en souligne l’importance dans une Europe aux
républiques aussi jeunes que fragiles, en proie à tous les
déséquilibres. Quête décisive, préoccupation de chaque instant,
qu’elle partage de façon privilégiée avec Alain, son maître à penser,
dont on perçoit, en filigrane, la souveraine influence, toujours
lointaine cependant, mais suffisamment puissante pour imposer la
liberté. Cet attachement prééminent pour la justice, pour toutes les
causes sociales et révolutionnaires ne fait-il pas autorité sur son
pacifisme? N’explique-t-il pas son caractère radical, c’est-à-dire
fondamental, la justice refusant tout compromis? L’étude des Libres
propos, qui constitue le gros de son "œuvre" écrite, donne sur ce
point un éclairage particulièrement intéressant.
***
A notre connaissance, il n’existe pas d’étude approfondie sur les
Libres propos, qui, en dépit de leur faible tirage, constituent une
prodigieuse aventure intellectuelle et politique, d’une part en vertu
de la contribution d’Alain, d’autre part pour l’impressionnant travail
1. Ibid.
2. N. INGRAM, The Politics of dissent, Pacifism in France (1919-1939), op. cit., p. 3.
3. J-P. BIONDI, op. cit., p. 25.
17
journalistique et analytique des rédacteurs qui, pendant près de
quatorze ans, décortiquant les journaux de tous les horizons,
analysant l’essentiel de la littérature de l’entre-deux-guerres, ont
réagi abondamment sur tous les événements majeurs de la fin de la
IIIe République et de l’actualité internationale. Seule Jeanne
Alexandre en a exécuté l’« esquisse » historique, selon ses propres
termes, offrant un remarquable outil d’approche pour qui souhaite
travailler sur le Journal d’Alain et ses divers collaborateurs, parmi
lesquels Raymond Aron, Simone Weil, Georges Bénézé, Georges
Canguilhem, Charles Gide, Léon Emery, Alfred Fabre-Luce, Jean
Prevost, Félicien Challaye, Maurice Savin, René Gérin, Georges
Demartial, Jacques Ganuchaud. Il n’existe pas non plus de travaux
spécifiques sur Jeanne Alexandre. Elle apparaît dans tous les
ouvrages traitant du pacifisme, du socialisme et du féminisme de
l’entre-deux-guerres, mais très souvent de façon succincte, s’effaçant
rapidement au profit de Gabrielle Duchêne — avec laquelle elle initie
le mouvement pacifiste féminin en 1915 — ou de son époux, Michel
Alexandre, disciple d’Alain, rédacteur en chef des Libres propos,
membre influent, sinon considéré, de la Ligue des droits de
l’homme, puis du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes
(CVIA).
***
Les sources dont nous disposons sont publiques pour une grande
part et relativement abondantes. La bibliothèque municipale de
Nîmes, aujourd’hui bibliothèque Carré d’Art, place de la Maison
Carrée, possède le fonds le plus important d’archives personnelles,
déposées en 1976 par Jeanne Alexandre, puis en 1983 par M. Jean-
Paul Léon (neveu de Michel Alexandre) et Mme Marie-Jeanne
Flamand (ancienne élève et amie de Jeanne Alexandre). M. Jean-
Paul Léon a également remis des documents, dont certaines copies,
à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine
(BDIC), à la bibliothèque féministe Marguerite Durand, à Paris, ainsi
qu’à la bibliothèque municipale de Chaumont.
Néanmoins, l’importance des sources reste à relativiser, la
plupart d’entre elles concernant en priorité Michel Alexandre.
Certes, une grande partie de la correspondance adressée à Michel
Alexandre n’est pas sans concerner Jeanne Alexandre. Cependant,
en règle générale, ces sources l’éclairent moins que son mari. A
Nîmes, en dehors d’une riche correspondance, sept classeurs
18
regroupent l’intégralité des articles de Jeanne Alexandre publiés
dans le Journal d’Alain; s’y trouvent également son Esquisse de
l’histoire des Libres propos écrite en 1967, ainsi qu’une biographie
inachevée, complétée par Marie-Jeanne Flamand en 1981, intitulée
En souvenir de Michel Alexandre1. La bibliothèque possède, entre
autres, la correspondance de leur rencontre, entre septembre 1915 et
août 1916, période qui précède leur mariage.
La bibliothèque municipale de Chaumont détient, quant à elle,
une copie dactylographiée des lettres envoyées par Michel Alexandre
à son père entre 1913 et 1916, ainsi qu’un petit nombre de brochures
et autres coupures de presse.
Le fonds Alexandre de la BDIC est plus fourni. En dehors de la
copie d’un certain nombre de documents disponibles à Nîmes, il est
le seul à réunir les articles écrits par Jeanne Alexandre au Populaire
du centre entre 1916 et 1917. La collection est incomplète, mais ce
dossier a l’avantage — par rapport aux coupures originales,
également disponibles à la BDIC — de fournir le contenu des articles
qui ont été censurés. Le reste du fonds comprend beaucoup de
brouillons, de notes et de coupures de presse, allemandes, anglaises
et françaises. On y trouve également des brochures de la section
française de l’Internationale ouvrière (SFIO), de la Société d’études
documentaires et critiques sur la guerre, du Comité international des
femmes pour une paix permanente (CIFPP) et du CVIA. Le fonds
Gabrielle Duchêne de la BDIC est beaucoup plus impressionnant2.
Malheureusement, à l’exception des années 1935 à 1936, l’absence de
Jeanne Alexandre des papiers de Gabrielle Duchêne est
particulièrement criante. La bibliothèque possède également une
collection incomplète des Libres propos sur laquelle nous avons
travaillé pour les années 1927-1935. Elle ne possède que deux
numéros de la première série allant de 1921 à 1924; les classeurs de
la bibliothèque de Nîmes nous ont permis d’y remédier pour ce qui
concerne les articles de Jeanne Alexandre.
Quant à la bibliothèque Marguerite Durand, elle offre la copie
d’un certain nombre de documents rassemblés à Nîmes, mais assez
1. Cet ouvrage inédit est différent de celui paru sous le même titre au Mercure de
France, en 1956.
2. Cf. M. DREYFUS, « Le fonds féministe à la BDIC », in Matériaux pour l’histoire de
notre temps, Paris, Association des amis de la BDIC, janvier-mars 1985, pp. 21-23.
19
peu de pièces originales, en dehors d’une lettre adressée à Gabrielle
Duchêne, seul et unique vestige d’une improbable correspondance
entre les deux femmes.
Pour terminer avec les sources publiques, mentionnons les
Archives nationales de France qui ont accumulé d’importants
dossiers de la préfecture de Police sur les mouvements pacifistes
pendant la Première Guerre mondiale, et qui mettent à disposition,
avec dérogation, les dossiers personnels des enseignants de la
fonction publique. Malheureusement et pour une raison
inexpliquée, le dossier de Jeanne Alexandre ne commence qu’à
partir de 1927.
Les sources privées sont moins abondantes, mais non moins
riches. Le musée Alain de Mortagne, pour commencer, situé dans la
Maison des comtes du Perche, possède quelques dossiers sur Jeanne
et Michel Alexandre dans le vaste ensemble de leurs archives
aliniennes. L’institut Alain, à Paris, possède la collection complète
des Libres propos, ainsi que celle du Bulletin des amis d’Alain. Il
existe également une très intéressante interview de Jeanne
Alexandre, réalisée par son neveu, Francis Halbwachs, en 1978.
L’original est en possession de Françoise Basch, mais une copie
numérique et un utile résumé ont été réalisés par Lise Halbwachs-
Mecarelli. Par ailleurs, l’Institut mémoires de l’édition
contemporaine (IMEC) gère l’important fonds du frère de Jeanne
Alexandre, le sociologue Maurice Halbwachs.
A propos de ces sources, une première observation s’impose :
elles privilégient en grande partie la période que nous choisissons
d’étudier, de 1914 à 1939. Passé la Seconde Guerre mondiale, Jeanne
Alexandre ne semble plus s’engager politiquement.
***
Au vu de ces éléments, nous avons choisi d’articuler notre étude
en deux parties. La première (1890-1920), après une présentation
rapide des origines et de la jeunesse de Jeanne Halbwachs, montre
quelle réaction elle oppose à l’entrée de la France dans la Première
Guerre mondiale et quelles sont les grandes étapes de son
engagement en faveur de la paix, en dépit de l’isolement et de la
censure. Cette partie, dans un troisième temps, explore le contenu de
ses articles publiés entre 1916 et 1917 au Populaire du Centre,
20
révélant, en plus des qualités humaines et intellectuelles de la
philosophe, la teneur d’un pacifisme d’ores et déjà radical.
Dans une seconde partie (1921-1939), nous nous attacherons à
donner un aperçu de l’entreprise journalistique des Libres propos,
Journal d’Alain, aventure qui, pour bien des raisons, constitue
l’essentiel du militantisme pacifiste de l’entre-deux-guerres de
Jeanne Alexandre, quel que soit son engagement auprès des
femmes, sur lequel nous nous arrêterons brièvement. Par-delà la
continuité perceptible de son pacifisme entre 1914 et 1939, nous
verrons l’importance qu’elle accorde à la question sociale, la
permanence de son humanisme, et essaierons de montrer dans
quelle mesure ils sont à rapprocher de la conduite radicale de son
combat pour la paix.
21
« Socrate : Donc, ce n’est pas de murs, ce n’est pas non
plus de trières, pas d’avantage d’arsenaux, que les Etats
ont besoin s’ils veulent être heureux, Alcibiade, ni non
plus d’une nombreuse population et d’un vaste territoire,
quand c’est la vertu qui leur fait défaut1. »
Platon
La naissance d’une
intellectuelle engagée
« Il me semble qu’un peuple pacifique, comme nous
sommes, deviendra guerrier du jour au lendemain, et pour
longtemps, sans changer beaucoup, par l’imitation des
mouvements, par la contagion des colères, par le
changement soudain des conditions, par les plaisirs
nouveaux qui en résulteront, par les habitudes nouvelles
bientôt prises. La guerre durera si elle commence1. »
Alain, le 8 février 1911.
L’appel du socialisme
1. ALAIN, « Propos 139 », in Propos II, Gallimard, coll. Pléiade, 1970, p. 192.
2. Les parents de Jeanne Halbwachs étaient catholiques. Entretien réalisé en 1978 par
M. et Mme Francis Halbwachs (neveu de Jeanne Halbwachs-Alexandre).
3. Carnets de M. HALBWACHS, IMEC, HBW2.BA-01.1.
4. Belfort est restée française en 1870.
mœurs1, qui disparaît alors qu’elle n’a pas cinq ans. Elle grandit avec
sa mère et reçoit une éducation religieuse. Très bonne élève, elle se
distingue vite par ses dons d’écriture et nourrit une passion durable
pour la lecture. D’un grand charme, mais « sans le sou »2, elle
rencontre le père de Jeanne Halbwachs à l’âge de 17 ans, tandis
qu’elle prépare le brevet supérieur. Celui-ci, Gustave Halbwachs, est
né à Sélestat, en 1845, dans une famille de forgerons. Elève boursier,
il fait de brillantes études à Paris, qui le destinent à l’agrégation des
lettres, mais il est surpris en 1868 dans une manifestation contre
l’Empereur3. En 1870, alors qu’il est élève à l’Ecole normale
supérieure, il opte pour la France contre l’avis de sa famille — qui
demeure en terre alsacienne. En 1876, il est reçu premier à
l’agrégation d’Allemand. Il professe d’abord à Reims, ville d’accueil
pour de nombreux Alsaciens demeurés français, puis à Paris. Son
passage à Reims laisse d’ailleurs le témoignage peu flatteur d’un
proviseur :
30
en 1879. C'est à cette époque que Gustave Halbwachs contracte une
maladie grave qui le mène progressivement à la paralysie. La cause
exacte est incertaine, pathologie héréditaire, maladie vénérienne ou
encore résultat d'une chute qu'aurait fait autrefois cet alpiniste
accompli. Cette maladie, déclarée incurable, immobilise peu à peu
ses membres inférieurs. Pour faire face aux contraintes nouvelles, les
enfants doivent s’éloigner1 ; les deux garçons vont en pension à
Vanves, et Marcelle grandit chez sa grand-mère maternelle. Jeanne
Halbwachs, née le 14 février 1890, aura seize ans en 1906, année de
la disparition de son père, professeur au lycée Saint-Louis2. La
famille quitte bientôt la rue Gay-Lussac, pour s'installer rue
Herschel, toujours dans le Quartier latin, à deux pas du jardin du
Luxembourg. Elle gardera un très bon souvenir de son enfance, gâtée
et couvée par une mère qui découvre avec elle le sentiment
maternel3. La passion de Jeanne Halbwachs pour sa mère est telle
qu'elle s'interdira d'abord toute idée de mariage4.
Son frère, Maurice Halbwachs, écrit dans l’un de ses carnets de
jeunesse : « Jeannette est une petite nerveuse que ses parents, gens
plutôt surexcités, détraquent sans bien s’en rendre compte5 ».
Songeant à la liste des livres qu'on lui donnait à lire lorsqu'elle avait
dix ans, il ajoute : ce « serait un document curieux pour un historien
de l’éducation des jeunes filles au XIXe siècle ». De fait, elle se
passionne très tôt pour la lecture, montrant peu d’ardeur à l’école,
fermement hostile à l’arithmétique6. Maurice Halbwachs, après des
études à Henri IV, puis à l’Ecole normale supérieure, est reçu
troisième à l’agrégation de philosophie, en 1901, l’année de son
premier mariage7. Il enseigne principalement à Reims, puis à Tours,
et enfin à Nancy dès l’automne 1914. Il deviendra le sociologue
réputé des Annales et de la Sorbonne. Il semble, à l’époque,
entretenir d’excellentes relations avec sa jeune sœur. Ce même
carnet fait allusion à leur visite, en octobre 1899, de l’Exposition
1. Ibid.
2. N. RACINE, « Halbwachs Jeanne », in Dictionnaire biographique du mouvement
ouvrier français (DBMOF), vol. 31, p.201.
3. Entretien réalisé en 1978, op. cit.
4. Ibid.
5. Carnets de M. Halbwachs, IMEC, HBW2.BA-01.1.
6. Entretien réalisé en 1978, op. cit.
7. Ibid.
31
Internationale et Universelle de Paris qui se prépare au Champ de
Mars. Maurice Halbwachs semble avoir conservé quelques
attachements pour sa région natale et « le fait que l'Alsace soit la
terre de ses ancêtres, sa petite patrie, tient un rôle important dans la
définition et la mise en œuvre du patriotisme de sa famille, comme
du sien1 ». Le patriotisme, nous le verrons, sera une notion
totalement étrangère à Jeanne Halbwachs, et deviendra même
pendant quelque temps une source de discorde avec son frère.
La gêne financière, rendue plus évidente après la mort de son
père, les amène à déménager boulevard Arago. Elle bénéficie alors
d’une « liberté totale2 » qui lui permet de fréquenter plus
assidûment les milieux révolutionnaires, qu’elle côtoie depuis l’âge
de 15 ans3.
32
des jeunes filles, de leur vie propre, de leurs aspirations, il n’[est]
guère question. [...] C’[est] pour le contentement des maris
républicains, donc pour la stabilité du régime, que l’instruction
secondaire des filles [a] fini par sembler urgente à la majorité laïque
du palais Bourbon1 ». Ainsi le Collège Sévigné2, fondé par la Société
pour la propagation de l'instruction parmi les femmes3, choisit-il,
dès 1880, de dispenser un enseignement secondaire que les lycées
continuent de refuser aux jeunes filles, enseignement sanctionné par
le baccalauréat des garçons et qui ouvre, par conséquent, les portes
de l’université, « délibérément interdites aux lycéennes voulues par
le législateur4 ».
C’est bouleverser les consciences par-delà les traditions, et
Jeanne Halbwachs profite de ces changements comme tant d’autres
futures intellectuelles de ce début de siècle. Pour elle et sa grande
amie, Yvonne Basch, rencontrée en terminale au lycée Fénelon, il
n’est pas question d’aller « s’abrutir5 » à Sèvres6 ; l’éloignement et la
fatuité des élèves participent de cette décision. Elle fait sa khâgne à
Fénelon, quand son amie a déjà rejoint le Collège Sévigné. En effet,
Mathilde Salomon, alors directrice du collège, y a créé des cours du
soir pour permettre aux étudiantes, qui « par malchance ou
délibérément7 » n’étaient pas entrées à l’Ecole normale de Sèvres, de
se présenter directement à la nécessaire agrégation. Les aptitudes de
Jeanne Halbwachs pour les lettres se révèlent en khâgne. L’année
suivante, en 1909, elle rejoint son amie à Sévigné et y prépare le
Certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire, puis l’Agrégation.
33
une quarantaine de filles de dix-huit à vingt-cinq ans s’entassaient
parmi le désordre des pupitres. Cours de bout de journée, de cinq à
sept, nombre de celles qui préparaient les concours de
l’enseignement secondaire devant gagner leur vie1. »
Ce qui fait dire à Louise Weiss que « la voix [est] étroite, étroite et
rude2 ». Admissible au Capes en 1911, sa timidité la sanctionne à
l’oral3. L’année suivante, elle est première à l’écrit et troisième à
l’oral. Dès lors, plus rien ne la retient, et elle est reçue première à
l’agrégation des lettres de 1913.
***
L’éveil alinien — Jeanne Halbwachs prépare son agrégation dans
la classe d’Emile Chartier4, plus connu sous le nom d’Alain. Si les
hommages des jeunes filles qu'il eut pour élèves révèlent toujours
une admiration teintée de reconnaissance, certains témoignent aussi
d'une légère amertume :
34
préconçues, à la différence de tant d’autres élèves d’Alain, je n’ai de la
première classe qu’un souvenir indistinct : surprise peut-être devant
ce grand gaillard à l’allure jeune, moins universitaire que militaire ou
boulevardière. En quelques pas combien de fois ai-je pu l’observer
par la suite — il gagnait la chaire, s’asseyait de côté, ne nous livrant
que son profil; ses grandes jambes tenaient sans doute mal sous le
bureau, mais nous avions aussi le sentiment qu’il nous tournait
délibérément le dos1. »
« Cette illumination, tous les vrais élèves d’Alain l’ont connue, peu ou
beaucoup, et peu ou beaucoup elle les a changés. Un mot suffisait,
inoubliable et irréfutable, on ne savait pourquoi, à créer ces
retournements intérieurs, ces purifications de la sottise qui sont les
vrais événements d’une vie d’homme4. »
35
une réalité que les femmes étaient encore loin de l’égalité dans la
formation?
***
Une conscience politique précoce — Jeanne Halbwachs n’a pas
encore dix ans quand elle est « effleurée par les passions politiques
de l’Affaire Dreyfus1 », et s’enthousiasme dès quinze ans pour la
Révolution russe de 1905. Assez mauvaise élève durant sa scolarité et
totalement libre de ses mouvements après la mort de son père,
profitant de la confiance aveugle que lui porte sa mère, Jeanne
Halbwachs fréquente les étudiants révolutionnaires, qu’elle retrouve
au café Rostand. « Si seulement on était russe! [...] La vie aurait un
sens! On irait jeter des bombes2 ! » se disent-ils dans l’exaltation de
leur jeunesse. Passion naissante qui l’oriente politiquement :
36
compter sur l’hostilité de cette fière prolétaire pour toute forme de
bourgeoisie socialiste1.
Cet échec ne l’arrête pas en si bon chemin. Son agrégation de
lettres2 en poche, elle refuse un poste en province pour demeurer à
Paris près de sa mère et préparer une licence de philosophie3 :
« C'était afin de conquérir à la Sorbonne quelques autres diplômes,
mais plus délibérément pour continuer l'enivrante action politique,
pour la justice. C'est-à-dire de plus en plus clairement pour la
paix4 ».
37
des écrits presque toujours dirigés contre l’ordre établi1 ». Dès ses
dix-huit ans, décidée à se faire entendre parmi les hommes, et
refusant de limiter son combat aux revendications féministes — qui
n’étaient pour elle qu’un des aspects du combat à mener — elle est,
tel qu’elle l’écrit, « l’une des premières, avec Marie-Hélène Latrilhe
(devenue Mme Meyerson) et Jeanne Daste2 à forcer l’entrée du
groupe des Etudiants socialistes révolutionnaires, où se trouv[ent]
alors Jean Texcier [militant des Jeunesses socialistes], Henri
Laugier, Ignace Meyerson, Marcel Prenant3, André Blumel4 ». Ainsi,
au-delà du combat pour le droit au suffrage pour les femmes,
« l’inévitable débat est entre Jauréssistes et Guesdistes5 », mais le
groupe participe « de plus en plus activement à l’agitation du
Quartier latin — contre l’Action française (l’affaire Thalamas6 à la
Sorbonne) — et plus dramatiquement, contre la guerre dont la
menace grandit chaque jour »7. C’est, en effet, vers 1912-1913,
« l’ensemble de l’élite intellectuelle (littéraire surtout) [...] qui est
traversé par le renouveau patriotique, voire nationaliste, et
religieux8 ».
***
Un féminisme mesuré, à l’aune du combat pour la paix —
A propos de la bataille contre la loi du 7 août 1913 qui porte la durée
du service militaire à trois ans au lieu de deux, Jeanne Alexandre se
souvient « avec étonnement » être allée jusqu'à soutenir les
38
Radicaux qui proposaient le service militaire des femmes1 ! Mais sa
pensée politique ne tarde pas à se préciser. En 1914, elle adhère au
Parti socialiste, décidée à associer la lutte pour le suffrage des
femmes à celle, prioritaire entre toutes, pour la paix. Elle n’hésite pas
à intervenir et à rassembler, « s’essaya[nt], bien que novice, à
réveiller la flamme pacifiste au cœur des militants chevronnés de la
XIIIe section ». Mais si elle se lance dans le combat féministe, elle le
considère déjà comme « secondaire, auxiliaire, puisque le
socialisme, voire l’Humanisme, rassemblent en eux toutes les justes
revendications » : « contre la guerre faire feu de tout bois »2. Cette
réflexion, datant de 1979, peut sembler rétrospective; elle n’en est
pas moins l’expression d’une conviction précoce. Son militantisme
féministe, c’est-à-dire exclusivement suffragiste, n’a qu’un objectif,
donner à la paix un nouvel et puissant électorat.
Ainsi rejoint-elle la Ligue des femmes pour le droit des femmes
(LFDF), animée par Maria Vérone3, « esprit de courage et
d’invention4 », afin de combattre l’exclusion des femmes des
élections « capitales » d’avril 1914. S’il le faut, les femmes y
participeront de force, « en demandant partout leur inscription sur
les listes électorales ». La stratégie est simple : tout commence aux
portes des mairies. Un petit groupe de femmes se mêle aux files
d’attente, certaines le panier de la ménagère au bras, et attend que le
maire, « gardien de l’ordre », veuille bien leur « signifier son refus ».
La seconde opération consiste alors à charger la Ligue de citer le
maire en justice « par l’une des manifestantes et au nom de toutes ».
S’en suit une plaidoirie publique de Maître Lhermitte, le mari de
Maria Vérone, défendant vigoureusement la cause des femmes et
« accessoirement » celle de la paix, adverbe augurant les divisions
prochaines. Le succès de ces provocations politiques n’est pas
négligeable, et, « dans le XIIIe arrondissement, proche du quartier
des Ecoles, l’auditoire [est] nombreux et les journalistes [se sont]
dérangés5 ». Dans le journal radical, Le Rappel, du 19 février 1914,
une caricature montre un ivrogne au pied d’un réverbère; une jeune
personne, une serviette sous le bras, passe en disant : « Il l’a, lui, le
39
droit de vote! », et en épigraphe, est écrit : « Mlle H est agrégée des
Lettres ».
Avec la même ardeur, elle lutte pour une autre action également
défendue par la LFDF, obtenir le droit à la parole dans les réunions
électorales de tous les partis, « afin d’exiger du candidat
l’engagement de réclamer le droit de vote pour les femmes1 » :
1. Ibid.
2. J. ALEXANDRE, manuscrit remis à Nicole Racine, op. cit., p. 3.
3. Ibid.
4. J. Alexandre parle de la revue Les Femmes socialistes de Marianne Rauze dans le
manuscrit remis à Nicole Racine (op. cit.) qui reprend cette information dans le
DBMOF. Christine Bard, dans sa thèse (cf. chapitre des biographies, in Les
Féminismes en France (1914-1940)), parle quant à elle de La Femme socialiste en
l’attribuant toujours à Marianne Rauze. Or, il semble bien que la seule revue dirigée
par Marianne Rauze soit L’Equité, et que la revue La Femme socialiste (au singulier)
soit celle de Louise Saumoneau. Quant à la participation de J. Halbwachs à L’Equité,
aucun des numéros disponibles à la BDIC ne mentionne sa signature (du reste, très
peu d’articles sont signés). Et J. Halbwachs ne collaborera pas directement avec
Louise Saumoneau, comme nous l’avons déjà souligné.
5. J. Alexandre, ici, fait allusion au conflit qui opposa, en 1911, l’Italie à la Turquie, et
qui aboutit l’année suivante à la reconnaissance de la souveraineté italienne sur
Tripoli.
6. J. ALEXANDRE, manuscrit remis à Nicole Racine, op. cit., p. 3.
40
rencontre des révolutionnaires de passage, des réfugiés russes
traditionnels et d’autres grands voyageurs. Quelques rumeurs lui
parviennent sur la résistance en Allemagne, sur Karl Liebknecht et
Rosa Luxembourg1. En France, l’adhésion des femmes à l’Union
sacrée est massive. Julie Siegfried et d’Adrienne Avril de Sainte-
Croix en expriment l’intensité dans un discours prononcé pour le
Comité national des femmes françaises (CNFF), le 25 août 1914 :
41
« la première affaire portée au compte du pacifisme1 », écrit-il. A
partir du mois de décembre, deux quotidiens socialistes de province,
Le Midi socialiste et Le Populaire du Centre, développent une
« ligne assez différente de L’Humanité »2. Il semble y avoir
« coïncidence entre le moment où l’opposition à la guerre commence
à se manifester et la fin de la guerre dite de mouvement ». La
lourdeur des pertes de 1915 ne sera pas un facteur plus déterminant
pour l’opinion, gagnée par l’indifférence3.
Bien que cinq cent mille parisiens aient pris la fuite, le 29 août, à
l’annonce de la situation de la Somme au Vosges, et bien que le
gouvernement soit parti s’installer à Bordeaux dès le 2 septembre, il
n’est pas question pour Jeanne Halbwachs de se retirer en province
à la rentrée d’octobre4.
***
Une pacifiste au Contentieux — Tout d’abord, il lui est impossible
de quitter sa mère. Ensuite, la lutte pour la paix va certainement
s’organiser à Paris. A la rentrée 1915, elle n’enseigne plus à Sévigné et
ne dispose alors d’aucun revenu. Mais son amitié avec Yvonne
Basch, devenue entre temps Mme Maurice Halbwachs, l’intègre à la
famille de l’intellectuel Victor Basch5 qui n’est pas insensible à sa
personnalité6. Aussi lui propose-t-il un emploi rémunéré par la
Ligue des droits de l’homme, le matin comme sa secrétaire
particulière et l’après-midi comme directrice du service des
contentieux. Jeanne Halbwachs accepte sans hésiter, jusqu’au jour
où il lui propose de l’accompagner aux États-Unis. Ne partageant
pas, entre autres, ses opinions sur la guerre, elle décline l’invitation,
mais conserve son mi-temps au contentieux. Néanmoins, la
divergence des idées et des volontés finit par délier ce nœud familial,
et c’est un autre cercle qui ouvre ses bras à Jeanne Halbwachs.
1. Ibid., p. 76.
2. Ibid.
3. Ibid., 92.
4. J. ALEXANDRE, manuscrit remis à Nicole Racine, op. cit., p. 3.
5. Alors vice-président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Victor Basch, à
l’instar d’une grande majorité de la ligue, approuve l’Union sacrée et la guerre du droit
(cf. C. PROCHASSON, « Basch, V. », in Dictionnaire des intellectuels, op. cit.,
pp. 138-139).
6. Entretien réalisé en 1978, op. cit. Par ailleurs, Maurice Halbwachs a épousé Yvonne
Basch en mai 1913.
42
Dès octobre 1915, elle s’aperçoit que la Ligue des droits de
l’homme — du moins le grand bureau du contentieux — dans lequel
travaillent également « Escaffier, Marie Guérin1, Marc Nez2, déjà
convertis à la paix — est un lieu idéal de rencontre et de « vague
conspiration » : Rosmer est souvent là, parlant de Merrheim et de
Marcel Martinet »3. En 1914, tous ces syndicalistes révolutionnaires
de La Vie ouvrière4, se réunissent également à la Librairie du
Travail, cet « îlot5 » de résistance dont parle Alfred Rosmer. Mais si
le bureau du contentieux devient un centre de liaisons, « si difficiles
à établir », si Mathias Morhardt6 y travaille « en cachette » pour la
minorité pacifiste qu’il constitue, si les séances de la Société d’études
documentaires et critiques sur la guerre s’y préparent — et si les
contentieux en pâtissent quelque peu —, c’est aussi grâce à Jeanne
Halbwachs qui s’arrange pour « rapprocher, [...] rassembler les
différents opposants à la censure et à la guerre »7. Sa
correspondance avec Michel Alexandre, qu’elle épouse en août 1916,
donne une assez bonne idée de son dynamisme, multipliant les
articles et les interventions, prenant les contacts importants, bravant
sa timidité dans les joutes oratoires :
« Imaginez que j'ai livré hier soir une bataille formidable à la 13e
section. Compte rendu du congrès fédéral et vote sur les trois
motions. [...] Je m'attendais, en regardant les faces héroïques et les
regards clairs de tant de vieux ouvriers, à ce que notre thèse soit
43
défendue rigoureusement. Silence. Seuls les professionnels du parti
se lèvent pour soutenir la proposition. J'ai demandé alors la parole
après un de ces coups intérieurs dont on finit par prendre l'habitude.
Je vois lever les yeux au ciel d'un air excédé en se disant : voilà une
femme qui va se payer une crise de nerfs à propos de la paix1. »
***
Ce premier chapitre nous permet de distinguer, parmi les traits
majeurs de la personnalité de Jeanne Halbwachs, l’exceptionnelle
exigence de liberté dont elle fait preuve dès son plus jeune âge, son
goût pour la littérature et sa détermination pour défendre sans
relâche toutes les causes qui lui paraissent justes. Liberté d’action et
de pensée nourrie au contact d’Alain pour lequel, par-delà l’amitié,
elle éprouvera une constante admiration. La Grande Guerre dans
laquelle toutes les jeunesses viennent buter, semble alors sceller son
destin.
44
C HAPITRE II
Août 1914
« En tout égoïsme, je me jette dans une action qui prend tout mon
temps. Je te griffonne ces quelques mots dans mon lit avant de
repartir. Ici, nous voyons monter la marée de la misère, les femmes
jetées à la rue par l'arrêt de la vie économique, l'Association des
étudiantes a fondé une sorte de bureau de placement. Nous pensions
d'abord n'avoir affaire qu'à des volontaires qui venaient offrir
gratuitement leurs services et nous avons vu arriver l'immense armée
des sans-travail. [...] On en voit des misères à vous dégoûter de vivre
et de respirer. [...] Je file aux quatre coins de Paris en démarches
multiples, abracadabrantes et variées. Depuis hier on s'occupe,
devant la marée menaçante de la misère, d'organiser une soupe
populaire avec ouvroir de couture. Il faut trouver de la galette et tout
de suite5. »
46
« Que faites-vous pour les soldats fut bientôt la question de tous à
tous, de chacun à chacun. Très vite les "œuvres" de guerre ont pullulé,
depuis les colis aux poilus jusqu’au Théâtre aux Armées. Elan de
désespoir, de charité, de patriotisme, sincère, irrésistible; activité
contagieuse et sans nul doute utile. Toutes les femmes tricotaient
pour les soldats, beaucoup d’enfants, comme le raconte Simone Weil,
prélevaient pour eux une part de friandises. Plus utilement encore et
selon une nécessité, les hommes et tant de femmes remplaçaient, tel
Michel Alexandre à Chaumont, les combattants arrachés à leur tâche.
Servir les soldats, de loin les aider, les encourager à se battre et à
mourir. Inconscience et frivolité; la vogue était aux infirmières1. »
***
Les scrupules des non-combattants — Si tous les conscrits ne
partent pas « la fleur au fusil », comme l’a démontré Jean-Jacques
Becker2, on note, en revanche, une frustration chez certains non
mobilisés, restés à l’arrière, "exclus" d’une guerre qu’ils présument
héroïque. Sur ce point, l’incompréhension est grande entre Jeanne
Halbwachs et son frère, germanophile convaincu, mais désolé
d’échapper au feu. De la même façon peut-on s’interroger sur
l’engagement volontaire d’Alain à quarante-six ans, alors qu’il n’est
plus mobilisable. Le 27 mars 1915, il écrit à son amie Marie Salomon,
alors codirectrice du Collège Sévigné :
« Songez que s’il [Alain] n’était pas parti joyeusement, le chœur des
vieillards, des impotents et des femmes lui aurait infligé une punition
plus terrible que la mort. Quoi de pire que d'être méprisé par les
faibles? Aussi, dans le premier départ, personne n'hésite et tout le
monde est courageux. [...] Dès qu'une guerre est imminente, tout le
monde y pousse, si ce n'est un noble Jaurès, qui s'est mis au-dessus
du mépris; pour moi, je l'ai bien osé aussi, mais non pas assez; je
n'aurais pas pu; et même ce n'était pas sage. Jaurès plus jeune, et
47
après tout cet effort prodigieux, seul exemple que je connaisse du pur
courage, aurait pris les armes aussi1. »
1. Cité par A. SERNIN, Un sage dans la cité, Robert Laffont, 1985, p. 170.
2. Ibid., p. 152.
3. Cité par A. BECKER, in Maurice Halbwachs, Ed. Agnès Viénot, 2003, p. 38. IMEC,
HBW2 A1.O1.5, notes, 5 août 1914.
4. Ibid., p. 45-46. IMEC, HBW2 A1.O1.7, lettre à sa femme, 19 août 1914.
5. Ibid., p. 45. IMEC, HBW2 A1.O1.6, du 21 au 30 août 1914.
6. Ibid., P. 38.
7. Ibid., P. 48. IMEC, HBW2 A1.O1.7, lettre à sa femme, 12, 13, 31 août 1914.
48
des siens une pacifiste comme Jeanne Halbwachs, mais aussi de ses
familles politique et spirituelle; au début de la guerre, elle ignore
encore pourquoi Alain s’est engagé, et les féministes, ses compagnes
de lutte, se sont ralliées en majorité à l’Union sacrée. On prend
davantage conscience, s’il en était besoin, de l’écart entre les
mentalités, lorsqu’on apprend la « fascination [de Maurice
Halbwachs] pour la guerre et les progrès dans la guerre1 » :
Le choix de la rupture
1. Ibid., P. 56.
2. Ibid., p. 56. IMEC, HBW2 A1.O1.7, lettre à sa femme, 11 octobre 1914, écrite à la
suite d’une projection au ministère de l’Armement, chez son ami Albert Thomas, dans
le cabinet duquel il travaille.
3. A. BECKER, Maurice Halbwachs..., lettre de Jeanne à Yvonne Halbwachs, samedi
8 août 1914, op. cit., pp. 42-43.
4. Dirigeants respectifs de la SFIO et de la CGT en 1914, convertis à l’Union sacrée (cf.
J. RAYMOND, « Renaudel, Pierre », in DBMOF, op. cit., vol. 15, pp. 29-30).
49
définitives. Il s’agit de rester fidèle à ses convictions — quitte à subir
ce qu’Annette Becker appelle l’« exil social des pacifistes intégraux »
— et de refuser à chaque instant l’idée de vivre normalement un
temps anormal. La lettre du 8 août 1914 adressée à Yvonne Basch-
Halbwachs évoque l’étendue de son désarroi :
50
d'organiser tout cela autour de ses idées. Au fond, c'est dans ces crises
que la force de pensée s'éprouve : il faut mettre l'ordre dans le chaos
des impressions, des expériences, sans se trop soucier de rattacher
logiquement notre pensée actuelle à celle d'hier, mais en restant,
aujourd'hui comme hier, au-dessus de ce que nous ordonnons, au
lieu d'en adopter le mouvement1. »
En 1917, une autre lettre fait référence cette fois à une discussion
contradictoire entre le frère et la sœur, au cours de laquelle Jeanne
Halbwachs aurait eu des « paroles extrêmement violentes et injustes
à l'égard de Thomas, Renaudel, et les autres ». Maurice Halbwachs
se serait « mis en colère, et [aurait] répondu par des plaisanteries
d'ailleurs peu fines sur le compte des minoritaires, qui n'[auraient]
pas contribué à la calmer2 ».
***
Du « bruit avec l'épée des autres » — Ou de la facilité d’admettre
la mort d’autrui lorsqu’on est à l’abri. Accusation qui aura longue vie
après la guerre, mais que les pacifistes minoritaires formulent de
longue date, employant, à cet effet, de multiples expressions pour
désigner les « Importants » ou les « embusqués », le « chœur des
vieillards »3, les hommes du gouvernement et de l’Etat Major
accusés de faire allégrement la guerre « avec le sang des autres ».
Thème récurrent chez Alain qui n’accepte le bellicisme que de ceux
qui se battent en première ligne, ce qui, de fait, en limite le nombre.
Ainsi, dans Mars ou la guerre jugée : « Le moins que l’on puisse
demander à ceux qui n’offriront pas leur vie, et d’abord à toutes les
femmes, est de ne point tant se plaire à des maximes qui tuent4 »,
c’est-à-dire, justement, à ne pas faire de « bruit avec l’épée des
autres5 ». Quant à « l’intrépide commandement », Alain ne le voit
qu’enterré dans un trou à deux cents mètres derrière la ligne et
n’obéissant qu’aux ordres de l’Etat Major6. Et de songer à Napoléon,
51
Turenne et Condé qui eux risquaient leur vie, quand ils ne la
perdaient pas :
1. Ibid., p. 49.
2. Lettre d’Alain à Michel Alexandre, citée par A. SERNIN, op. cit., 2 août 1915.
3. « Discours de Séverine à la LDH », in LP, mai 1929, p. 232.
4. BMD, dossier J. Alexandre, « Lettre aux femmes de La Haye », cote DOS ALE.
5. J. ALEXANDRE, critique de La Carrière Beauchamp de G. Meredith, in LP,
juin 1929, pp. 293-295.
6. BDIC, fonds Alexandre, FURes 101.
7. F-G DREYFUS, « Le Pacifisme en France (1930-1940) », in M. VAISSE (dir.), Le
Pacifisme en Europe, des années 1920 aux années 1950, Bruxelles, Bruylant, 1993.
8. J. ALEXANDRE, « J. Giono, Le Grand Troupeau », in LP, décembre 1931.
52
qu’il serait « puéril de blâmer ou de s’étonner », car si l’on accueille
la guerre, il faut en accepter les injustices et les atrocités. Moins
convainquant sera le propos d’André Maginot, ministre de la Guerre,
le 7 juin 1931, à l’occasion d’un discours aux Invalides : « Ah!
Messieurs : qu'il était plus facile d'exposer comme autrefois sa
propre vie! Mais ne risquer que celle des autres, quelle épreuve pour
un soldat, pour un chef qui aime et admire ceux qu'il commande1 ! ».
***
De Genève à La Haye — Il est intéressant de constater la fragilité
des pacifistes les plus entreprenants, et d’apprécier le caractère
salvateur et récurrent d’actes isolés, ainsi que leur impact sur les
volontés indécises ou ébranlées par la violence des événements;
L’Appel aux femmes socialistes de tous les pays de Clara Zetkin
constitue la « planche de salut3 » de Louise Saumoneau; une lettre
d’Alain « sauve » Michel Alexandre4 en l’arrachant à un bellicisme
indécis. L’article de Romain Rolland a une même incidence sur
Jeanne Halbwachs. Celui-là est en Suisse lorsque survient la guerre.
Dégagé de ses obligations militaires, il prend le parti de défendre la
paix par tous les moyens et écrit, le 22 septembre 1914, un article au
53
Journal de Genève, intitulé « Au-dessus de la mêlée1 » qui lui met à
dos la majeure partie d’une France acquise à la guerre. Le 22 mai
1915, Jeanne Halbwachs lui adresse une lettre passionnée qui illustre
bien les conséquences dynamiques de certaines actions
individuelles :
54
est adressée en France à toutes les associations pour le suffrage des
femmes, précise que les frais seront pris en charge par les Anglaises,
les Hollandaises et les Allemandes1. Seules les femmes sont invitées
à participer aux discussions qui porteront sur la responsabilité
relative des nations dans l'origine et la conduite de la guerre2.
La LFDF, comme toutes les associations pour le suffrage des
femmes, après avoir consulté ses adhérentes, refuse de participer au
congrès. Pour les partisanes de l’Union sacrée, l’idée d’une rencontre
avec les femmes allemandes, devenues ennemies de fait, implique
l’abstention. Maître Lhermitte qui préside la séance élude
rapidement la question en la soumettant au vote à main levée : le
« non » est unanime, mais par souci de rectitude, on s’enquiert des
avis contraires. Jeanne Halbwachs est la seule à lever la main3,
provoquant l’« indignation muette » de l’assemblée qui la laisse
néanmoins s’expliquer. Cet incident est à l’origine d’une rencontre
décisive, car, dès le lendemain, « l’hérétique4 » reçoit la visite de
Gabrielle Duchêne5 : « J’étais là, et avec vous! », lui aurait-elle
confié. La décision de répondre favorablement au Congrès est prise
immédiatement. Une lettre de « fervente adhésion et d’espérance »
est adressée à La Haye, signée de quatre ou cinq noms. Quelques
semaines plus tard, le congrès annonce la création du Comité
international des femmes pour la paix permanente (CIFPP) et prend
les devants en mettant sur pied une section française composée des
signataires de la lettre d’avril : « Etrange naissance par la force de
l’idée — qui étonn[e] et combl[e] ce petit noyau initial, grossi de
quelques autres hérétiques, dont Séverine6 ». Acte fondateur par
excellence, qui provoque la réaction simultanée de deux grandes voix
pour la paix, celle du canonnier téléphoniste Alain, prudente, mais
légitimée par l’action, et celle surgie de Genève, en la personne de
Romain Rolland. Pour ces trois pôles de résistance, c’est se donner
55
un territoire et continuer d’espérer. Une copie de la lettre au Congrès
de La Haye est « timidement » envoyée à Romain Rolland, avec la
lettre du 22 mai, dont la réponse, le 28 mai 1915, « passionnément
généreuse [est] l’acte de naissance véritable de la petite équipe1 » :
1. Ibid.
56
Pour Annette Becker, « Romain Rolland va se poser en chef de
file virtuel des exilés du pacifisme1 ».
***
L’influence d’Alain — Cependant, celui qui rassemble dans
l’action les forces dispersées par la tempête reste Alain — bien qu’il
juge « mieux que personne ce qu'il y [a] de dérisoire, de désespéré
[...] dans la résistance pacifiste2 ». Du front, où, tel Socrate à Potidée,
il s’entretient de la sagesse avec ses compagnons d’armes, il confie à
Michel Alexandre, le 21 juin 1915 :
2. Lettre se trouvant dans le fonds de la BDIC, GFURes. 99-103, dossier 333. Une
copie existe également à la bibliothèque Marguerite Durand (BMD, fonds cité). Ces
extraits sont reproduits dans l’ouvrage d’A. BECKER, Maurice Halbwachs..., op. cit.,
p. 95.
1. A. BECKER, op. cit., p.98.
2. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, Association des amis
d’Alain, 1967, p. 15.
3. Lettre d’Alain à Michel Alexandre, Bibliothèque municipale de Nîmes, cote MS
801.II.
4. J. ALEXANDRE, En souvenir de Michel Alexandre, op. cit., p.56.
57
trace une ligne d’action et l’appelle à l’audace, écrivant à Marie
Salomon :
***
Michel Alexandre, sauvé des eaux — L’arrivée de Michel
Alexandre sur le devant de la scène est précédée de doutes et de
58
douloureuses introspections. Cet ancien normalien, agrégé de
philosophie en 1912, est issu d’une famille de hauts fonctionnaires
qui ont des « liens avec la sphère gouvernante1 ». Son père, Paul
Alexandre (1847-1921), est ingénieur des Ponts-et-Chaussées; son
beau-frère, Paul Léon, directeur des Beaux-arts; l’un de ses oncles
attaché au grand Etat Major. Ainsi, lorsque la France s’engage dans
la guerre, l’approbation est sa première intuition : « mêlé aux
groupes rassemblés devant les affiches de la mobilisation, il perçoit
de la "grandeur" dans la passivité et le silence »2. A la Toussaint
1914, il révèle à son père l’inscription qu’il a composée pour le
compte du groupe socialiste de Chaumont, destinée à accompagner
une couronne commémorative : « A nos frères morts pour la
Défense de la Nation et pour l’Emancipation des Peuples3 ». Bien
loin des idées de Jeanne Halbwachs, mais combien proche de
l’opinion du socialiste Félicien Challaye4 et de nombreux pacifistes
en devenir, Michel Alexandre croit mesurer la portée véritable du
conflit en l’assimilant à « une guerre internationale dont l’issue doit
entraîner, dans l’Europe entière et spécialement dans les rapports
entre Nations, une transformation aussi vaste, une révolution aussi
profonde que la crise de 1789 au sein de la Nation : un droit
international nouveau, une diplomatie nouvelle5 ». L’un de ses
carnets de notes mentionne : « Prise de Mulhouse. Joie, passive6. »
En 1921, il rabaissera son attitude durant la guerre au niveau du
« conformisme » : « Comme vous, mais moins excusable, j’ai vécu
dans les lieux communs belliqueux. Trop longtemps. Mais il est sans
doute bon d’avoir passé par là pour n’être pas injuste. »7
Pour Christophe Prochasson8, c’est la déclaration de Liebknecht
— le seul social-démocrate au Reichstag à avoir refusé de voter de
nouveaux crédits de guerre (décembre 1914) — qui est à la base du
pacifisme de Michel Alexandre : « C'est la première voix qui s'élève
59
là-bas avec une audace héroïque contre la folie et l'égarement de tout
un peuple1 ». Mais Michel Alexandre y voit surtout le signe d’une
« transformation profonde dans l’état d’âme du peuple allemand2 ».
Dès janvier 1915, les lettres adressées à son père3 témoignent d’une
germanophilie d’autant plus nette qu’elle s’accompagne d’une
critique régulière des civils. Tandis qu’il se « tu[e] au travail4 » en
multipliant les activités à Chaumont — inspecteur du primaire,
professeur de philosophie au lycée, université populaire5 et ouvroir
— il revient militer avec d’autant plus d’ardeur à la LDH, à partir de
mai 19156, qu’une étude du président de la ligue, Victor Basch, vient
de conclure à la responsabilité de l’Allemagne et de l’Autriche dans le
conflit.
A partir de l’année 1916, Michel Alexandre est favorable à l'arrêt
immédiat du conflit. Les lettres qu’il envoie à son père dénoncent
« l’horrible boucherie » (mi-avril 1916), « l’enfer sans nom » de
Verdun (8 mai 1916), « les sottises officielles dont les journaux sont
pleins » (16 juin 1916), « la monstruosité absolue de ce qui
s’accomplit » dans la Somme (6 juillet 1916). En revanche, pas un
mot sur Alain, ni sur la Société d’études; seule la LDH est évoquée;
pas un mot sur sa rencontre avec Jeanne Halbwachs. Sa
correspondance s’arrêtant en juillet 1916, il est impossible de savoir
s’il lui annonce son mariage, en août 1916.
Mais les doutes de Michel Alexandre sont également nourris par
l’énigme que pose la participation d’Alain au massacre. Il faut la
lettre du 21 juin 1915, dans laquelle il approuve l’article de Romain
Rolland et l’action des féministes, pour les lever : « Ces quelques
mots ont un effet foudroyant sur Michel Alexandre, et achèvent de
faire de lui le militant pacifiste — plus pacifiste encore que son
maître — qu'il sera jusqu'à son dernier souffle7 ». La réponse de
Michel Alexandre est prudemment détruite par Alain qui rapporte à
Marie Salomon ce qu’il y a lu : « Vous m’avez sauvé!8 ». Dès lors,
1. Lettre de Michel Alexandre à son père (13 décembre 1914), Bibliothèque municipale
de Chaumont, cote 27040 3.N.1 ae.
2. Ibid.
3. La mère de Michel Alexandre, Jeanne Lévy, née en 1856, était morte en 1913.
4. Entretien réalisé en 1978, op. cit.
5. Il l’avait créée au début de l’année 1915 (cf. C. PROCHASSON, op. cit., p. 132).
6. C. PROCHASSON, op. cit., p. 132.
7. A. SERNIN, op. cit., p. 173.
60
pour reprendre la formule d’André Sernin : « la paix sera son seul
dieu, et Alain sera son seul prophète ». Moins de deux mois plus
tard, Michel Alexandre reçoit les premières consignes, en dépit de la
censure :
8. Ibid., p. 173.
1. Lettre d’Alain à M. Alexandre du 10 août 1915, Bibliothèque municipale de Nîmes,
cote MS 801.II.
2. J. ALEXANDRE, En souvenir de Michel Alexandre, op. cit., p. 56.
3. Dans la première lettre (15 juin 1915).
61
procure « un sentiment nouveau d’assurance » : « Le primat de la
paix, l’impératif de l’action pour la paix, il les fai[t] siens dans
l'instant, par la souveraineté de la parole d’Alain, mais presque
autant sans doute parce qu’il les port[e] en lui depuis le premier jour
de la guerre »1.
62
quai Debilly) et officiellement, deux fois par semaine, au 32 de la rue
Fondary1. La police ne dénombre, tout au plus, que 15 à 20 membres
réguliers. Seule l'Assemblée générale du 14 novembre 1915 attire une
assistance d'une soixantaine de personnes2. De juin à décembre
1915, Gabrielle Duchêne se rend à Londres et en Suisse, prenant
contact avec la section allemande et le groupe de Romain Rolland.
De ses voyages, elle rapporte tracts, articles, brochures de
propagande qu'elle s'emploie ensuite à répandre en France3. En
effet, « les articles de Romain Rolland qui parviennent tant bien que
mal en France, par voie clandestine, déformés par la censure, sont
accueillis avec ferveur par les petits groupes d'opposition à la
guerre4 ». Le noyau d’hérétiques se concentre déjà davantage autour
de Gabrielle Duchêne qui diffuse des textes pacifistes — de Louise
Saumoneau (le Manifeste des femmes socialistes), de Pierre
Monatte5 et d’Alphonse Merrheim (CGT) — et édite, par ses propres
moyens, 2000 exemplaires d'une petite brochure de propagande
contenant les statuts du comité, précédés d'un appel aux femmes
françaises.
Cependant, en dehors du souhait d’un rapprochement entre les
femmes allemandes, austro-hongroises et françaises, l’activité du
comité de la rue Fondary n’est pas très offensive. Sur la suggestion
d’Alain, la section française publie, en septembre 1915, vingt et un
propos écrits avant la guerre et « convenant à la situation
présente6 ». La mince brochure réalisée sans visa de censure
s'intitule : Vingt et un Propos : Méditations à l'usage des non-
combattants. Seule une mention d’éditeur précise leur antériorité
dans la Dépêche de Rouen et leur réimpression par les soins d’un
5. Archives BDIC, fonds Alexandre, CIFPP (section française), FURes 334. Etaient
agrégées au Comité central : Suzanne Duchêne (secrétaire adjointe), C. Mulond et
M. Rolland.
1. V. DALY, Gabrielle Duchêne ou la bourgeoisie impossible, mémoire de maîtrise,
Nanterre, 1985, p. 49 (la pagination utilisée est celle de l’exemplaire déposé à
Nanterre).
2. Ibid., p. 49.
3. Ibid., p. 48.
4. N. RACINE, citée par V. DALY, ibid, p. 53.
5. Fondateur en 1909 de La Vie ouvrière (cf. DBMOF, op. cit., vol. 14, pp. 117-123).
6. Cité par A. SERNIN, op. cit., p. 176.
63
groupe d’anciens lecteurs1. Imprimée à 2000 ou 3000 exemplaires,
la brochure n'a aucun retentissement immédiat2.
***
La « petite barque de la paix » ou le scandale de la rue Fondary
— De quelle sorte de vigueur veut parler Alain lorsqu’il leur envoie
un homme comme Michel Alexandre, tout de « simplicité et de
discrétion3 » ? Jeanne Halbwachs trouve la réponse en observant
que grâce à lui la « vraie pensée répan[d] sa lumière » :
Cette évidence leur saute si bien aux yeux que les auteurs se
dispensent de soumettre le texte à la censure. Ils préfèrent
s’interroger librement sur « la nécessité de subir docilement la
guerre5 » comme une « épreuve naturelle » : « Cinq millions de
morts [...] plus de 600000 des nôtres [...] les meilleurs d’entre
nous6 ». Quant aux dépenses de guerre, elles sont évaluées à « 100
millions par jour [...], 5 milliards tous les cinquante jours7 ». En
conclusion, l’appel aux femmes se veut clair : « La paix ne viendra
pas d'elle-même, il faut la préparer8 ».
1. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 12.
2. Ibid.
3. J. ALEXANDRE, En souvenir de Michel Alexandre, op. cit., p. 57.
4. Ibid. (id. pour la citation intermédiaire).
5. BMD, dossier Jeanne Alexandre, op. cit., Un devoir urgent pour les femmes, p. 1.
6. Ibid, p. 2.
7. Ibid.
8. Ibid., p. 8.
64
La brochure, présentée à la Chambre des députés, en novembre
19151, par Gabrielle Duchêne et Jeanne Halbwachs, est lue devant les
parlementaires : Jean Longuet2, Pierre Brizon3, Joseph Caillaux4 et
Victor Dalbiez5 donneront « leur complète approbation6 ». Dix mille
exemplaires, imprimés à L’Emancipatrice, d’une brochure de onze
pages (non signée, mais publiée sous l’égide du CIFPP), intitulée Un
devoir urgent pour les femmes, sont alors distribués
« ouvertement » ou envoyés à des enseignantes et des employées,
par le biais de l’annuaire, sans oublier les sénateurs, les députés et les
ministres7. Jeanne Alexandre relativisera néanmoins la portée de ce
texte et la valeur de son contenu :
65
démesurée qu’inespérée ». La police « se déchaîn[e] » et dénonce
comme agents de la propagande ennemie celles que la « presse
ameutée » appelle désormais « les femmes de la rue Fondary »1.
66
« Trahison! Cet odieux pamphlet est payé par l'argent allemand1 ! ».
Le 10 décembre 1915, un rapport de police mentionne que « le 3
décembre 1915, quatre perquisitions [ont été] opérées à l’imprimerie
L’Emancipatrice, au domicile de Mme Duchêne, au bureau de la
Ligue pour la paix permanente, 32 rue Fondary, et à l’Entr’aide2. Un
certain nombre d’exemplaires de la brochure Un devoir urgent pour
les femmes sont saisis, ainsi qu’une volumineuse correspondance se
rapportant à la propagande pacifiste3 ». Le 9 décembre, le ministère
de la Guerre ordonne de nouvelles perquisitions, faisant saisir le
stock restant de la brochure incriminée et d'autres pièces de
propagande4. La revue féministe socialiste La Vague, dans l’un de
ses portraits hebdomadaires de mai 1919, consacré pour l’occasion à
Gabrielle Duchêne, parle du « scandale des femmes boches de la rue
Fondary » et Le Petit Journal du 2 décembre 1915 de « brochure
immonde », « de trahison répugnante » et « d’œuvre infâme »5.
La section française sort affaiblie de la crise. Un rapport de police
du 10 mars 1916 stipule qu’elle rassemble une centaine d’adhérents,
dont quelques nouvelles têtes : Mme Filloux, Marguerite Thévenet,
jeune socialiste et future compagne d’Alfred Rosmer, Marthe Bigot,
militante socialiste dans l'enseignement, Alfred Rosmer. A partir de
cette date, « la propagande du groupe se trouve presque
complètement arrêtée et son recrutement tari6 ». C’est, en effet, vers
la nouvelle Société d’études critiques et documentaires sur la guerre,
présidée par Mathias Morhardt, rédacteur du Temps et membre du
Comité directeur de la LDH, que leurs principaux membres se
tourneront. « Scandale bref, mais sans mesure, comme tout en ce
temps-là; menaces judiciaires et policières, calomnies de presse,
insultes spontanées de la foule, affirmations loyalistes et
belliqueuses des autres femmes7 », écrira Jeanne Alexandre. Ce fut
aussi l’occasion d’une belle rencontre, puisque Séverine vient leur
apporter son soutien : « je ne vous connais pas, mais vous êtes
attaquées. Me voilà8 ! ». Pour l’ancienne secrétaire de la petite
1. La Voix des femmes, 19 janvier 1931. Cité par V. DALY, op. cit., p. 51.
2. Coopérative de lingères fondée en 1908 par Gabrielle Duchêne.
3. AN, F7 13371, dans la chemise IV (documents pacifistes émanant de l’Etranger).
4. V. DALY, op. cit., p. 52.
5. Cité par V. DALY, Ibid.
6. M. DREYFUS, N. RACINE, « Gabrielle Duchêne », in DBMOF, op. cit., p 84.
7. J. ALEXANDRE, « Séverine », in LP, mai 1929, p. 228.
67
section française, l’affaire Fondary était « la première mission
politique pensante [et contenait] tout l’essentiel de celles qui
suivront. En sa nouveauté conquérante, elle en donn[ait] sans doute
l’image la plus vraie1. »
68
***
De la recherche de la vérité à l’opposition — Le 19 décembre 1915,
à l’occasion d’une réunion privée de la 3e section de la LDH, Michel
Alexandre prononce un discours remarqué par la police pour sa
« précision » et sa « clarté »1. Il réclame à la majorité, qui souhaite la
paix par la victoire, la nomination d’une commission d’arbitrage,
afin d’entamer des pourparlers avec les ressortissants de tous les
pays belligérants et hâter la fin de la guerre. Le président et membre
fondateur de la ligue, Ferdinand Buisson, accepte de se rallier à
Michel Alexandre, mais ne voit pas la possibilité de trouver des
arbitres. Aussi juge-t-il préférable de reporter la Constitution des
fédérations nationales après la victoire. En somme, la réunion ne
donne pas de grands résultats.
Mais au cours d’une « discussion informelle » entre Mathias
Morhardt, Charles Gide, Georges Demartial, Michel Alexandre et
Jeanne Halbwachs, écrit Emmanuel Naquet, naît l’idée « d’un centre
de culture entre les différentes minorités refusant la guerre,
socialiste et/ou syndicaliste, intellectuelle ou confessionnelle » et
s’élabore le projet de la Société d’études2. C’est au courage de Charles
Gide3, nous dit Jeanne Alexandre, que la Société d’études doit son
existence « précaire et contestée » ; en acceptant de la présider4, il
lui apporte « sa caution de grand économiste et son rayonnement
d’homme juste »5.
Le 13 janvier 1916, la police intercepte une lettre de Marie
Schappler (pacifiste notoire, employée au ministère du Travail et
membre du groupe des Etudiants socialistes révolutionnaires),
69
adressée à Jeanne Halbwachs, fournissant une liste de personnalités
françaises et étrangères susceptibles de participer à la campagne
pacifiste1. Difficile ensuite d’établir avec certitude la date fondatrice
de la Société d’études. Selon Jeanne Alexandre, la première réunion
a lieu le 18 janvier à l’hôtel des Sociétés savantes2, tandis que la
préfecture de Police parle d’inauguration le 23 janvier et que les
papiers de la Société mentionnent une « première réunion
hebdomadaire » le 5 février3. La police note la présence à
l’inauguration d’Alphonse Merrheim, de Jean Longuet et de Léon
Accambray, ce dernier étant favorable à la poursuite des hostilités.
Jean Longuet fait allusion à la liberté de parole qui existe en
Angleterre et Alphonse Merrheim déclare qu’il ne rendra jamais le
peuple allemand responsable de la guerre. La réunion suivante a lieu
le 19 mars 1916. Le nombre d’auditeurs, déjà passé de 50 à 32, est
maintenant de 22. Georges Demartial rend l’Angleterre responsable,
en partie, de la violation de la neutralité belge. La réunion suivante a
lieu selon Jeanne Alexandre le 20 février, opposant Charles
Seignobos4, « l’éminent et populaire historien de gauche et tenant de
la guerre du droit » à Georges Demartial5. Un rapport de police6 date
ce rendez-vous du 2 avril 1916. Pour le 20 février, il signale une
réunion rue Edouard Manet, comprenant une soixantaine de
personnes7, dont une vingtaine de femmes et cinq militaires. Parmi
les femmes, Marcelle Capy8 et Hélène Brion ont fait leur apparition.
Quant à la première réunion avec Victor Basch, à l’hôtel des
Sociétés savantes, Jeanne Alexandre la fixe au 20 avril9, quand un
compte rendu de la Société d’études parle du 14 avril10 et un rapport
de police du 16 avril. Un « public passionné » d’une soixantaine de
70
personnes y assiste1. Marcel Martinet s’enthousiasme dans ses
carnets : « Demartial parle avec une habileté, une intelligence, une
précision extrême des origines de la guerre. Basch répond et danse
sur la corde raide. Séance des plus remarquables et dont je voudrais
avoir le temps de fixer le détail2 ». Jeanne Alexandre relève une
autre note de Marcel Martinet, à propos de la réunion du 24 mai3 :
« Demartial élève le débat dans la vraie réalité de la vie et de la mort.
C’est une hauteur où Basch n’a plus cours4 ». Le président de la LDH
se fait plus rare à mesure que l’opposition se précise; la police
rapporte une autre rencontre5, le 30 avril, qui s’achève sur le statu
quo. Victor Basch se serait indigné de la « sensibilité et du parti pris
préventif de beaucoup de membres de cette Société, [jugeant] leur
état d’esprit irraisonné, irraisonnable et incapable de juste
discussion6 ». La rencontre suivante, répertoriée par les services de
police de la préfecture, a lieu le 21 mai, en privé, devant quarante-
cinq personnes. Charles Gide dirige et fait son exposé sur les
dépenses militaires des belligérants, démontrant que les dépenses
de la France et des alliés en général ont été proportionnellement plus
fortes que celles de l’Allemagne et des Empires centraux, apportant
par là un démenti catégorique à la thèse officielle. Il semble qu’à
partir de juin 1916 les rencontres se soient interrompues.
Jeanne Halbwachs et Michel Alexandre se marient en août 1916.
Alain et Romain Rolland saluent cette union avec ferveur. L’Etat les
congratule par une mutation, censée les isoler des régions ouvrières,
plus réceptives aux thèses pacifistes et révolutionnaires. Le couple
est nommé au lycée du Puy pour la rentrée d’octobre7. Cela ne
parvient pas à les museler — on relève néanmoins le remplacement
de Jeanne Halbwachs par Marguerite Thévenet au secrétariat de la
Société, à l’occasion de la réunion du 24 septembre 1916, et leur
absence à la réunion du 12 novembre8. Mais, comme l’écrit
71
Emmanuel Naquet, « les conférences se font écho et répètent à
l’infini les mêmes thèmes : la situation internationale passée et
présente, les impérialismes anglais et russe, les méthodes et dogmes
diplomatiques1 ». La LDH, quant à elle, accueille toujours de beaux
débats, « comme à la Société d’études, mais de plus ample
audience2 » :
72
En 1919, la « bête noire du gouvernement », comme l’appelle
Charles Gide1, finit par se fondre dans d’autres mouvements
pacifistes et par disparaître, sans que, pour autant, la contestation
s’interrompe à la Ligue des droits de l’homme.
***
La surveillance militaire et policière — La liberté d’expression
revendiquée par Alain en échange de son obéissance corporelle
n’échappe pas à la loi martiale. Dès le 9 août 1915, une lettre du
canonnier de la Woëvre à Marie Salomon la met en garde contre
l’ouverture du courrier et le durcissement de la censure2. C’est
pourtant du front que parviennent aux pacifistes les réalités d’une
guerre censurée. A cet égard, Jeanne Halbwachs profite également
des témoignages de Marc Nez, enrôlé dès 1916. Parmi les critères de
surveillance, le nom des destinataires est un bon premier indice de
suspicion. Maurice Halbwachs écrit en décembre 1917 : « Je vois que
l’on s’intéresse à ce que j’écris. Ce que c’est d’avoir un nom boche...
Evidemment, la censure, même à Nancy, n’est pas convaincue que
les Alsaciens ne soient pas des boches ». Mais au-delà du dernier
gendarme3, il y a les services de la préfecture de Police qui
soupçonnent Jeanne Halbwachs et Michel Alexandre depuis le
scandale de la rue Fondary (novembre 1915) et surveillent leur
courrier4. Si bien qu’il est parfois difficile de donner du sens aux
échanges épistolaires qui précédent leur mariage. Dans une lettre, se
sentant menacée par une enquête administrative, voire une
arrestation, elle lui écrit :
6. BDIC, fonds Alexandre, FURes102-1. La lettre finit par accuser la LDH d’être « un
agent de liaison au service de la défense nationale, trahissant ainsi la haute et sereine
idée de justice qu’ils ont le grand honneur de représenter ».
1. Cité par J. ALEXANDRE, « Gustave Dupin », in LP, novembre 1933.
2. A. SERNIN, op. cit., p. 176.
3. « Le front commence au dernier gendarme », ironise Alain (cf. A. SERNIN, op. cit.,
p. 182).
4. AN, F7 13086. C. Prochasson parle aussi de leur téléphone (op. cit., p. 109).
5. BDIC, fonds Alexandre, GFURes 100, lettre de J. Halbwachs à M. Alexandre, 1916
(s.d.).
73
La police parle alors de la « bande Alexandre », et une formule
plaisante circule dans les couloirs de la préfecture : « Ils sont
dangereux, parce qu’ils sont honnêtes »1. Marcel Martinet décrit,
dans ses carnets, l’atmosphère subversive qui règne aux premières
heures de la Société d’études :
1. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 14.
2. Cité par J. ALEXANDRE, En souvenir de Michel Alexandre, op. cit., p. 59.
3. AN, F7 13086.
4. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 16.
5. C. PROCHASSON, op. cit., p. 132.
74
« En dépit de la surveillance policière et du climat de suspicion, les
civils pouvaient encore s’informer s’ils le désiraient et s’exprimer, —
et protester contre la censure. On a oublié que le Canard a eu pour
précurseur dès les premiers mois de la guerre le journal de
Clemenceau, L’Homme enchaîné. Si consentants qu’ils fussent et
asservis au prestige de l’opinion belliqueuse, les civils étaient
demeurés les citoyens d’une démocratie1. »
«Il faut préparer la paix et non la guerre et les femmes peuvent tout.
Mais oseront-elles ce qu'il faut : 1) priver les héros de toute espèce
d'admiration et de louanges; 2) refuser leurs soins aux blessés. [...]
Elles ont trop de plaisir à être secourables. L'amour et la guerre se
tiennent par la main2. »
75
notre volonté d'efforts. Il y a des risques constants d'échec. Tâchons
d'être forts... Il faut arriver avec un programme ferme et même déjà
une quelconque réalisation [...]. Il y a des gens de foi parmi nous. À
nous de les cultiver et de ne pas les décevoir. J'ai espoir. La vérité est
plus forte qu'eux tous et elle les entraîne bien au-delà de leur
volonté1. »
***
Le rôle des femmes — Pour peu que leur voix ait un jour la faveur
de la République, les femmes peuvent par leur nature offrir une
garantie à la paix. Telle est la conviction de Jeanne Alexandre qui ne
veut pas prendre le ralliement des femmes à l’Union sacrée pour
argent comptant. La lettre aux organisatrices du Congrès
international de La Haye, de ce point de vue, est assez explicite :
1. Lettre de J. Halbwachs à M. Alexandre, BDIC, fonds Alexandre, op. cit., s.d. (1916).
2. Cité par A. BECKER, op. cit., pp. 127-128.
3. Ibid.
4. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 10.
76
silence une obligation sacrée. Est-il vrai que la passivité puisse
devenir un devoir, qu'il y ait des moments où il faille cesser de penser
et de dire ce qu'on pense? Il ne faudrait pas que le silence des
féministes parût comme un reniement. Les femmes veulent la paix
pour l'affranchissement de l'humanité1. »
1. BMD, dossier Jeanne Alexandre, Lettre aux femmes de La Haye, op. cit.
2. Ibid.
3. C. BARD, op. cit., p. 52.
4. Cité par C. BARD, ibid.
5. A. BECKER, op. cit., p. 122.
77
à la haine, et qui, lorsqu'ils souffrent, ne sait plus distinguer entre ses
frères ennemis1. »
***
Les prémisses d’une littérature refuge — On peut penser qu’il est
dans la nature des hommes, a fortiori des intellectuels, d’accorder à
la littérature une place prépondérante. Jeanne Alexandre, en accord
avec les règles qu’Alain s’impose à lui-même, nourrit cette même
exigence de consécration des très grands auteurs. Cette évasion
qu’offrent les monuments de la pensée humaine leur est sans doute
un refuge essentiel, l’espérance d’une humanité survivante. Autour
d’eux, le monde s’écroule dans le chaos. Mais la sagesse, la vérité, les
trésors d’humanité subsistent dans les œuvres majeures des siècles
passés. Leur correspondance s’inspire souvent de leurs lectures.
Ainsi Jeanne Halbwachs cite-t-elle Amiel dans une lettre à Michel
Alexandre :
« Je n'ai point d'ami contre qui je ne sois prêt d'écrire, si, venant à
changer, il se déclarait contre quelque vérité importante à la religion;
je n'ai point d'ennemi personnel dont je ne sois prêt à entreprendre la
défense, si j'y vois de la justice3. »
1. R. ROLLAND, L’Antigone éternelle, article écrit en mai 1915 et paru au mois d’août
de la même année, dans la revue Jus Suffragii (cf. A. BECKER, op. cit., p. 98).
2. Lettre de J. Halbwachs à M. Alexandre, BDIC, fonds Alexandre, op. cit., s.d. (1916).
3. Ibid.
78
***
Finalement, la mutation au lycée du Puy est ressentie avec
soulagement. En accord constant avec Alain, ils le sont également
sur la question de l’autorité :
79
C HAPITRE III
82
de ses articles, et nous le retrouverons dans ses écrits ultérieurs. Il
est, en effet, la juste expression de son pacifisme.
83
n’y avait pourtant « pas de foule à émouvoir », « pas de soldats au
bord de la mort qu’il [eût fallu] exalter ». En voici l’explication :
84
Dutch-Shell européenne à la Standard Oil Company) et le « super-
Etat de l’acier », (opposant Stinnes pour l’Allemagne à Wendel pour
la France)1.
85
« [...] admettre qu'il soit permis de dire oui en même temps que
l'ennemi, ce serait juger froidement, par la raison, en arbitre. Ce
jugement impartial tuerait la passion et fonderait l'accord. La guerre
s'arrêterait. Mais la guerre veut vivre et la passion nous emporte loin
de l'accord. [...] C'est pourquoi, la paix n'est qu'une trêve, la
vengeance et la revanche veillent1. »
1. Ibid.
2. Ibid.
3. J. HALBWACHS, « Le mot prestigieux », in Le Populaire du Centre, 28 mai 1916.
4. Biographe danois et illustre critique littéraire, Georg Brandes (1842-1927) fut l'un
des chefs de file du courant naturaliste de la littérature scandinave de la seconde
moitié du XIXe siècle.
86
Brandes pense que « ces tortures, ce mal, ce désespoir peuvent
cesser, à l’instant, par la paix », ce qui déclenche la colère du
patriote :
87
trouvait que la guerre piétinait, préparait avec les Alliés une grande
offensive pour le printemps 1917.
***
Aller jusqu’au bout pour tout justifier — En 1916, plus le nombre
des victimes s’accroît, plus le coût de la guerre augmente, et plus il
devient difficile d’admettre une paix sans victoire. Jeanne
Halbwachs le constate amèrement dès avril :
88
criminelle, c’est nous tous. J’ai perdu mon fils, mon mari, mon
bonheur est brisé, ma fortune anéantie. Que cela serve1. » Logique
de guerre partagée par le philosophe Théodore Ruyssen, que Jeanne
Alexandre retrouvera à ses côtés dans l’entre-deux-guerres, mais
qui, en ces instants, s’oppose aux pacifistes radicaux :
1. Ibid.
2. T. RUYSSEN, cité par J. Halbwachs, ibid.
3. J. HALBWACHS, « Le respect de la vie », in Le Populaire du Centre, 14 mai 1916.
4. Cité par A. BECKER, op. cit., p. 100.
89
La propagande sur tous les fronts : le « bourrage de crâne »
La guerre du droit
***
Culpabilité allemande — Le « bourrage de crâne », pour
employer l’expression rendue célèbre par le Canard enchaîné4,
consiste donc à justifier la guerre et à légitimer sa poursuite sur la
base de l’idéal républicain menacé par la barbarie pangermaniste.
« Etrange idéal à réaliser : faire la bonne guerre, la guerre légale, la
90
guerre polie, civilisée, décente, honnête, cruelle juste ce qu'il faut.
MM. Barrès, Clemenceau ou Renaudel vous diront le mot : la guerre
française1 ». Jeanne Halbwachs s’appuie souvent sur les grandes
lignes de la propagande pour développer ses articles. Ainsi, dans
« Guerre de religion », elle cite Raymond Poincaré :
91
l’amène, avec toujours plus de cynisme, à évoquer la chance
inestimable qu’offre aux démocraties la coupable responsabilité
allemande :
***
La paix sacrilège — Souvenons-nous de quelle manière le
Congrès international des femmes, qui s’est tenu à La Haye en avril
1915, a été accueilli et interprété en France. La presse officielle l’a
dénoncé comme une « manœuvre allemande » destinée, avec la
complicité des neutres, à orienter l’opinion vers une paix
prématurée. Un an plus tard, Jeanne Halbwachs montre la façon
dont les pacifistes sont désormais perçus :
En mai 1916, elle est censurée pour avoir écrit : « Il suffit. Nous ne
voulons pas la paix. Méfions-nous. La paix, mot allemand4 ». Le
mois suivant, elle récidive en dévoilant ce que les partisans de la
guerre attendent de la paix :
1. Ibid.
2. Cf. J. RAYMOND, « Hervé, Gustave », in DBMOF, op. cit., vol. 13, pp. 47-53.
3. J. HALBWACHS, « Le cri de la bête », in Le Populaire du Centre, 20 février 1916.
4. J. HALBWACHS, « Le mot prestigieux », ibid., 28 mai 1916. Un original non
censuré se trouve dans les archives déposées à la BDIC, fonds Alexandre, FURes 99.
92
« Les purs qui repoussent les Allemands comme immondes, jusqu'à
la dernière génération, se refusent à admettre que même la douce
paix puisse relâcher la tension de leur haine. Une paix qui rendrait
heureux tous les peuples serait impie. Ils veulent une paix imposée à
l'ennemi et qui le laisse grimaçant de colère et pâle d'humiliation. Il
n'y a, et plus jamais il n'y aura, rien de commun entre les Allemands
et nous1. »
« Les hommes ne s'enfuient pas devant le mal parce qu'il n'y a pas
entre eux la brutale confrontation imaginée par la légende. Le mal les
enveloppe dès la naissance. Ils poussent ensemble. [...] Les hommes
acceptent le mal, la misère, ils acceptent le riche et le pauvre, parce
qu'ils les ont toujours vus là, dès l'époque de leur ignorance et de leur
impuissance, avant qu'ils ne sachent penser4. »
93
L’enfant ne peut ni imaginer, ni penser la guerre, car il naît
guerrier : « Il a sincèrement, éperdument, une vision héroïque et
éclatante de la guerre. Il ne souffre pas de la guerre, il en jouit ».
Son article s’achève sur l’histoire d’un enfant de trois ans autour
duquel l’assistance se presse :
***
Préparer l’avenir — La guerre à la guerre; expression récurrente
qui soulage les consciences, sinon réconforte les esprits. Alain
l’emploie le 24 août 1914, dans l’un de ses derniers Propos d’un
Normand, juste avant de partir pour le front :
« Cette guerre est pour la paix et pour une république allemande avec
laquelle nous aurons une amitié durable. Il le faut; cette guerre ne
peut finir autrement, sans quoi d’autres guerres suivront [sic]. [...]
Cette guerre que nous faisons n’est pas l’ancienne guerre; c'est la
guerre à la guerre2. »
1. Ibid.
2. Cité par A. SERNIN, op. cit., p 142.
3. Cité par A. BECKER, op. cit., p. 80.
94
Et de rejoindre la cause commune, la cause sacrée : « Laissons [la
guerre] se développer jusqu’au bout, puisque nous ne l’avons point
provoquée, et puisqu’il faut, dans l'intérêt de la démocratie, écraser
le militarisme prussien1 ».
Préparer l’avenir? Si la question n’est pas vaine, encore faut-il la
considérer correctement. Pour Jeanne Halbwachs, préparer l’avenir,
c’est avant tout avoir conscience du présent. Elle le démontre en
conclusion d’un article de février 1916 :
« Cette paix présente, que nous voyons, que nous touchons, qui
frémit entre nos mains, elle partirait de la situation actuelle, confuse,
incertaine, elle serait faite par les hommes que nous connaissons,
débiles et sans génie. Je ne veux pas de cette paix. Je la repousse de
toutes mes forces. De ma table de travail, je rêve d’une paix mieux
construite, plus solide, plus belle3. »
1. Ibid., p. 81.
2. J. HALBWACHS, extrait daté du 12 fév. 1916, BDIC, in Populaire du Centre, fonds
Alexandre, op. cit.
3. J. HALBWACHS, « L’ami de la paix », in Le Populaire du Centre, 4 juillet 1916.
95
« Attendez que la guerre, et la mort, et le désespoir aient parfait leur
besogne et soudain un grand miracle de lumière et de justice fera de
nos diplomates des génies. [...] Le grand effort pour arriver au grand
repos. Peinons dur pour faire fortune, nous jouirons de la paix
comme d'une rente1. »
***
De la déconsidération... — Avant la guerre, « il y avait déjà les
Boches — on disait Alboches — les pesants barbares aux yeux
masqués par leurs lunettes de Hansi [...]. Industriels et
commerçants mettaient le peuple français en garde contre la
camelote allemande, tandis que nos académiciens et nos belliqueux
universitaires lui dénonçaient la kultur. Tout était pareil avant la
guerre, jusqu'aux socialistes allemands que l'on découvrait
impérialistes2 ». L’arrivée des zeppelins sur Paris, en février 1916,
offre l’occasion de dénoncer la lâcheté du peuple allemand et de
protester contre son « odieuse et inutile cruauté » :
1. Ibid.
2. J. HALBWACHS, « Les gardiens du tombeau », in Le Populaire du Centre, 2 avril
1916.
3. J. HALBWACHS, « Cruauté inutile », in Le Populaire du Centre, 6 février 1916.
96
« Prenons garde que notre indignation est vide de sens. La guerre use
de tous les moyens, elle l’a toujours fait et le fera toujours. La violence
nie la loi. Les conventions de guerre n’ont jamais été que d’illusoires
concessions faites aux pudeurs de gens bien élevés que la guerre
toute nue effarouche. Toute terreur est bonne, si elle rend plus
fort1. »
« Qu'est-ce que la vie des hommes, de leurs hommes, pour ces chefs
de massacre, qui ne voient dans la vie qu'une organisation de meurtre
universel? D'un œil morne, ils regardent tomber les sombres files, et
tombent à leur tour, dans leur morgue de stupidité3. »
4. ALAIN, « Propos » du 24 août 1914 (cité par A. SERNIN, op. cit., p. 142.)
1. J. HALBWACHS, « Cruauté inutile », op. cit.
2. Ibid.
3. Cité par J. HALBWACHS, « Sales boches », in Le Populaire du Centre, 18 mars
1916.
97
reste encore? Il nous semble chanceler dans un cauchemar
d'assassin, comme Macbeth qui toujours et toujours voit surgir près
de lui de nouvelles victimes1. »
***
... à la déshumanisation — Cette déshumanisation est vivement
dénoncée à partir du 18 mars 1916, dans un article plein d’ironie, où
Jeanne Halbwachs s’applique à opposer l’"héroïsme" et la
"grandeur" des poilus à la "répugnante bassesse", à l’"ignominie" des
soldats allemands. Quand les premiers sont transcendés par le
"miracle de la guerre", donnant à voir leur noblesse de cœur :
98
Les seconds, qui n’échappent pas à la transparence des choses,
laissent leur vraie nature éclater au grand jour :
1. Ibid.
2. Ibid.
99
fabriquez, pareil à celui où dorment vos enfants; ce paysan qui
pousse sa charrue dans la même terre, d’où monte, au soir, la même
odeur puissante, il faut les tuer. Faites de cette chair créatrice,
pareille à la vôtre, une charogne. La femme pareille à votre femme,
demeurera seule avec les petits qui ont faim, elle vous haïra, et les
petits pousseront dans la vengeance1. »
Mais les deux puissances n’ont-elles pas toujours fait jeu égal, et
sur bien des plans? N’y a-t-il pas quelque hypocrisie à ne voir de la
barbarie qu’Outre-Rhin? La suite de l’article l’exprimerait si elle
n’était entièrement censurée, soulignant l’indifférence de la France
pour l’éventualité d’une Allemagne libérée de son joug par la
révolution :
100
« Prenez modèle sur nous. Nous sommes les justes, les pacifistes. [...]
Vous savez bien que seule en Europe l'Allemagne impuissante à la
révolution et à la démocratie, avait des canons, une flotte, des
espions. Seule elle rêvait les vastes colonies. Seule elle cherchait à
vendre au loin ce que produisent ses usines. Dans l’ombre de sa
diplomatie, la vie et la mort des peuples se décidaient; chez nous,
dans le pays de la révolution, tout est en pleine lumière et en
éclatante justice. [...] Nous vous apporterons la République dans nos
fourgons que nous ramènerons ensuite lourds du butin que notre
armée triomphante aura pris chez vous. [...] Nous sommes la liberté,
et nous vous forcerons bien, par la violence, à être libres. [...] Pendant
que vous déserterez les usines pour aller lancer vers le grand ciel, là-
haut, entre les murs noirs de la ville, votre cri impérieux, nous
resterons appliqués à notre tâche, les canons et les obus sortiront de
nos mains [...]. Le grondement de votre révolte [...] viendra à nous
comme le premier murmure joyeux de la victoire. Nos soldats
courront au combat et ils tireront sur votre foule révoltée1. »
1. Ibid. (censuré).
2. Le 15 avril, dans l’article « Sauvés de la guerre », op. cit., elle parle déjà de « la
légende criminelle des petits bras aux moignons saignants ».
3. J. HALBWACHS, « Le berceau », in Le Populaire du Centre, s.d. Nous n’avons pas
retrouvé cet article dans les archives du Populaire du Centre. Présent dans le fonds
Alexandre, il se peut qu’il ait été censuré. Signé Halbwachs, il devrait être postérieur
à mai 1916.
101
de l'enfant un homme. Elles savent que les Allemands sont pareils à
nos hommes parce qu'il a fallu la même somme d'amour pour les
créer que pour créer les nôtres, et que toutes les mères sont pareilles.
[...] Vous mentez, il n'y a pas de boches, il n'y a pas sous le ciel, de
berceau teinté de sang1. »
***
Témoignages contradictoires — A l’inverse, quelles que puissent
être les exactions propres à la guerre, les Allemands semblent
donner une image différente de celle propagée par la presse. Ainsi,
dans une lettre à son père de décembre 1914, Michel Alexandre
constate : « Aucune haine, aucune parole insultante contre les
Français. De l’étonnement et de l’indignation en lisant les articles
d’outrages grossiers du Matin et des autres journaux aboyeurs de
Paris ». En revanche, il note de leur part « une haine violente,
enragée contre les Anglais » qui seraient responsables de tout, et
« du mépris et de la crainte à l’égard des « sauvages » Russes ». Il
remarque également un « commencement d’inquiétude et de
découragement depuis la bataille d’Ypres2 seulement (la Marne a
passé inaperçue) ».
Témoignage intéressant qui semble opposer les impressions du
front, relevant d’observations objectives, à la propagande de haine,
ancrée à l’arrière. Jeanne Halbwachs, dans un article de janvier 1916,
« Invincible fraternité », intégralement censuré, décrit avec
tendresse et poésie la rencontre entre les permissionnaires et leurs
proches galvanisés par la haine :
1. Ibid.
2. Il s’agit de la première bataille, du 30 octobre au 24 novembre 1914, à la suite de
laquelle les belligérants allaient établir des positions militaires fixes annonçant la
guerre des tranchées.
102
mal, et qu'il faut détruire, et qu'on souhaiterait torturer. Les
permissionnaires semblent ne pas comprendre. « Les Boches? Ils
sont comme nous, les pauvres diables! » Et parfois ils essayent de
nous expliquer, doucement, comme à des enfants. Ils nous
emmènent, par leurs récits, jusqu'à cette zone étroite, où la terre
meurtrie, convulsée, gorgée de sang et de cadavres, ne nourrit plus
un arbre, ne porte plus une maison. Dans des trous noirs où l'eau
clapote, des hommes sont enfermés, disputant chaque minute de
repos à la vermine et aux rats. En face d'eux, à quelques mètres, dans
des trous pareils, d'autres hommes, aux uniformes gris et aux
casques à pointe, subissent la même vie1. »
103
vies. [...] Si le soldat qui a tué notre fils ou notre mari souffre et meurt
à son tour, comme nous le souhaitons, une pauvre femme, toute
pareille à nous, qui a mis toute sa force à soutenir son soldat, sentira
la vie, brusquement, se retirer d'elle. Et la douleur de cette femme
ajoutera tout son poids à notre propre douleur, car cette femme, cette
femme allemande, est notre sœur1. »
***
L’Union sacrée : la "trahison" socialiste — Jeanne Halbwachs ne
pardonnera jamais ce reniement unanime. Elle l’écrit aussitôt à
Yvonne Halbwachs, au lendemain de la mobilisation générale :
1. Ibid.
2. Sur la question polémique de l’Internationale comme « instrument de paix ne
pouvant fonctionner que dans une situation de paix », voir A. PANACCIONE,
« La mue de l’internationalisme avant et pendant la Première Guerre mondiale », in
Le Mouvement social, n° 147, avril-juin 1989, Les Editions ouvrières, pp. 105-116. A
propos des « discours mythiques sur la trahison », voir R. GALLISSOT, R. PARIS et
C. WEILL, « L’Internationale et la guerre : le partage d’août 1914 », ibid., pp. 3-9.
3. A. BECKER, op. cit., Carnets, p. 46.
104
nous allons faire la république allemande, j'entends bien les types de
la section affirmer avec une énergie obstinée : c'est la dernière
guerre! Mais c'est l'ivresse des grands mots et des grandes illusions
qu'on se verse avant de mourir1. »
1. A. BECKER, op. cit., pp. 92-93, IMEC HBW2 A1.01.6, lettre de Jeanne à Yvonne
Halbwachs, samedi 8 août 1914.
2. Cf. J. RAYMOND, « Milhaud, Edgar », in DBMOF, op. cit., vol. 14, pp. 92-96.
3. J. HALBWACHS, article sans titre, in Le Populaire du Centre, 29 janvier 1916.
4. J-J BECKER, S. BERSTEIN, Victoire et frustrations..., op. cit., p. 16.
5. M. WINOCK, op. cit., p. 168.
6. J. HALBWACHS, « Le cri de la bête », in Le Populaire du Centre, 20 février 1916.
105
En avril 1916, dans « Les gardiens du tombeau », elle écrit des
socialistes qu’ils ont « donné leur âme », et cite le mot d’un neutre :
« Les socialistes français n'ont certes pas été achetés par le
gouvernement. Ajoutez à leur faiblesse la sottise d'avoir fait réaliser
une économie à celui-ci ». Jeanne Halbwachs préférerait une
« abjuration publique » :
106
« Les socialistes accoururent un bon sourire aux lèvres, les bras levés
pour montrer qu’ils n’avaient point d’armes : nous les
internationalistes différents de vous, opposés à vous? Erreur. Nous
sommes pareils. Vive l’armée! Vive la France! [...] Encore tout
essoufflés de leur rapide volte-face, [ils] goûtèrent sans doute un
bonheur profond et sincère à voir les visages hargneux s’éclairer et ils
crurent accomplir le grand devoir1. »
107
« Il nous a été donné d'entendre le groupe socialiste au parlement
réclamer, après avoir voté un quelconque douzième, la justice fiscale.
On ne lui a même pas répondu, tant c'était verbiage d'apparat. Puis la
voix de Renaudel s'éleva pour dire que la conférence des Alliés avait
eu grand tort de ne pas proclamer les principes de justice et de droit
qui mènent les alliés à la victoire. [...] Les propositions des socialistes
sont toutes repoussées avec un geste indifférent. [...] Vous n'êtes plus
rien. Vous avez tout donné, puisque vous avez donné
l'Internationale. [...] Des dupes lamentables, des repentis, des
défroqués, ils donnent en spectacle la gaucherie bougonnante1. »
« Halte là, camarade, lui crie Renaudel. Très bien votre manifeste,
félicitations, nous sommes contents de vous. Peut-être parviendrez-
vous un jour à nous rejoindre sur nos cimes. Mais gardez les
distances. La guerre est criminelle et mensonge en Allemagne. En
France, en Angleterre, en Italie, en Russie, elle est justice et lumière.
Nous gardons notre vérité française. Il n'est pas de devoir commun
qui nous unisse. Votre devoir est la paix, le nôtre, la guerre. »
1. Ibid.
2. J. HALBWACHS, « La vérité allemande », in Le Populaire du Centre, juin 1916.
108
Et avec la bataille de Verdun qui se prolonge, l’amertume ne peut
qu’augmenter. Fin juillet 1916, dans « Guerre courte », elle revient à
la charge, toujours effarée que la gauche ait osé associer guerre et
socialisme, « sacrifiant » par là, « anéantissant le socialisme »1. Elle
s’insurge contre leur constance à se réclamer de Jaurès : « Vous
portez mon image en médaille, vous m'adorez, mais c'est votre
lâcheté d'il y a deux ans et votre faiblesse d'aujourd'hui que vous
adorez. [...] Vous vous abritez derrière mon cadavre pour ne rien
voir2. »
« Entendez Renaudel nous lire pieusement, béatement, quelques
pages de Jaurès, au Trocadéro. Il flatte, sans ménagement, les
passions du moment 3 », ajoute-t-elle en août 1916 :
« Jaurès vous avait dit de vous méfier des Allemands, Jaurès vous
ordonne de mépriser et de haïr les hommes qui ont refusé l’arbitrage.
Jaurès vous demande de continuer la guerre pour le salut de la
République, en France et en Allemagne4. »
109
liquider toutes les questions qui, dans le passé, furent cause de
l'instabilité de l'équilibre européen1 ».
Deux mois plus tard, Jeanne Halbwachs évoque avec émotion la
beauté de la révolution russe, « en ce mois de mai où le jeune soleil
fait ruisseler la pourpre des premiers drapeaux rouges en Russie
[...]», et avec euphorie sa grandeur : « La Révolution! La
Révolution! C’est elle qui emplit le monde. Elle déborde le présent
qui avait désespéré d’elle. La Révolution et l’Internationale, car c’est
par l’idée internationale que la Révolution s’est faite et s’épanouit.
Résurrection? Réveil? Eveil? Elle est là. »2 Jules Guesde et les siens
s’acharnent à ne pas y croire et à l’ignorer. N’a-t-il pas proclamé,
rappelle Jeanne Halbwachs, en transposant librement son discours
du Congrès de Noël 1916 :
110
« La révolution russe? Aussi impossible que les velléités de paix
séparée dont on voudrait salir notre noble et fidèle allié, le tsar. Ne
détournons pas nos pensées de l’offensive du printemps, si
joyeusement consentie, la plus libre puisqu’elle est la première après
notre refus de l’indigne paix allemande1. »
1. Ibid.
2. Il sera des quarante élus qui protesteront contre l’adhésion à la conférence de
Stockholm, donnée le 27 mai 1917, au lendemain de cet article, par le Conseil national
du Parti socialiste (cf. J. RAYMOND, « Varenne, Alexandre », in DBMOF, op. cit.
vol. 15, pp. 287-289).
3. J. HALBWACHS, « Volonté d’impuissance », in Le Populaire du Centre, 26 mai
1917.
4. Ibid.
111
voyage à Lourdes1. » L’Internationale a au moins le mérite de
réconcilier les pays ennemis dans une même « inquiétude
patriotique ». Qu’est-ce qu’une Internationale « squelettique »,
disait Jules Guesde en déc. 1916? Que pourrait une Internationale
aux « cadres brisés », demande aujourd’hui Alexandre Varenne?
***
Les femmes dénaturées — Pour Jeanne Halbwachs, la
participation massive des femmes à l’effort de guerre, leur adhésion
à l’Union sacrée, leurs discours patriotes, leur haine prononcée pour
l’ennemi, leurs encouragements passionnés et la sécheresse de leurs
larmes, sont autant de résolutions scandaleuses. Faut-il que la faute
1. Ibid.
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Militant socialiste (cf. DBMOF, op. cit., vol. 31, pp. 349-350, et vol. 15, pp. 96-97).
5. Ibid.
112
en incombe au seul patriotisme? N’est-ce pas au féminisme lui-
même, à la tête duquel bataille une élite bourgeoise et intellectuelle,
que revient le plus grand tort, celui d’avoir profité de la guerre pour
asseoir ses ambitions citoyennes? Pour la secrétaire générale de la
section française du CIFPP, il n’y a pas d’autre combat à mener avant
celui de la paix. Le suffragisme vient après. Il ne vaut que s’il vient
renforcer l’entente entre les peuples. Sa raison d’être, ce doit être la
paix.
Le premier article de Jeanne Halbwachs, confirmant le
préambule de la rédaction, s’adresse exclusivement aux femmes.
Intitulé « Les privilégiées », il reconnaît leur souffrance, l’inquiétude
« perpétuelle », les privations, la solitude et les faiblesses
consécutives, mais il s’interdit toute comparaison avec ce qui est
infligé aux soldats : « Nous restons seules, mais nous restons. Et
toutes nos épreuves ne pèsent rien, ne sont rien, à côté de la douleur
des hommes. »
113
laissent, et que tant d’autres avant eux nous ont laissée. [...] Chaque
dimanche nous nous retrouverons1. »
1. Ibid.
2. « Est-ce que les femmes ne riaient pas aux hommes qui allaient mourir? »
(cf. ALAIN, « Que chacun s’accuse », in Propos I, NRF, coll. Pléiade, p. 421).
3. J. HALBWACHS, « Les femmes en deuil », in Le Populaire du Centre, 16 janvier
1916.
4. J. HALBWACHS, « Le culte des morts », in Le Populaire du Centre, 15 février 1916.
5. J. HALBWACHS, « Les femmes en deuil », in Le Populaire du Centre, 16 janvier
1916.
6. BDIC, in Le Journal, 18 octobre 1915, GFP 18 (7979-12493).
7. J. HALBWACHS, « Les femmes en deuil », op. cit.
114
annoncer, « dans un élan de foi, ce que l’avènement politique des
femmes apporterait à l’humanité » :
115
pour nous le tournoi de la guerre. Notre mission de paix? Ecoutez le
« Chant du départ » :
***
De la participation à l’insouciance
« Les femmes remplacent les hommes auprès du feu d’où sortent les
armes, elles tournent les obus à l’usine proche. A travers les flots
bleus de la mer et les risques mortels, des hommes apportent le
charbon qui va s’engouffrer dans les hauts fourneaux. La neige des
montagnes fond au soleil, délivrant l’herbe neuve, torrents et chutes
d’eau s’enflent sous les sapins aux pointes tendres; leur force se
retrouve dans le canon, à Verdun4. »
1. Ibid.
2. Poète imagiste et novelliste britannique (1892-1962), cf. www.imagists.org/
aldington.
3. J. ALEXANDRE, « R. Aldington : Vie et mort d’un héros », in LP, septembre 1931.
4. J. HALBWACHS, « Le mot prestigieux », in Le Populaire du Centre, 28 mai 1916.
5. J. HALBWACHS, sans titre, in Le Populaire du Centre, (date manuscrite du 3 sept.
1916).
116
« personne ne se demande en donnant ses deux sous à une femme
dans le tramway ce qu’est devenu l’homme dont elle porte la
casquette et la sacoche ».
« Place pour la vie dans la guerre! Etirons-nous. Il fait trop bon dans
la douce lumière revenue pour croire au mal et à la douleur. [...] Dans
la tiédeur de la chambre où tout est sec, où tout est propre, où le corps
transi se dilate, nous ignorons que nos hommes sont pris dans la
nature hostile, dans la pluie, dans la neige, dans le vent qui gerce le
visage et met des larmes aux paupières, dans la nuit. [...] Quand notre
lit s'ouvre, le soir, nous ne sentons pas l'horreur des vêtements qui
restent attachés aux membres las, dans la sueur et la poussière, des
sommeils où le corps torturé cherche en vain le repos. Sommeil de
bête traquée que l'alerte interrompt4 [...] »
Les civils auraient-ils oublié ceux qu’ils aiment? Ils « les ont
laissés partir [et] se sont habitués à vivre sans eux, consentant
d’avance à leur mort ». La mort? Dans l’« aventure » de Verdun? Ils
en parlent beaucoup, ils n’y pensent jamais.
117
un objet très précieux, digne de tous les soins et de tous les
amours1. »
1. Ibid.
2. Ibid.
3. J. HALBWACHS, « Jeu de Princes », in Le Populaire du Centre, 23 avril 1916.
118
« La foule indifférente et lente charrie les mutilés anxieux des
regards qui les frôlent, les femmes en deuil, et les morts de demain,
le bracelet d'identité au bras, comme autrefois la chaîne des esclaves.
Des remous aux devantures. Les cloches revenues de Rome, les œufs
de Pâques, symbole millénaire, sont là, pour la convoitise des petits.
Il y a vingt ans, il y a dix ans, la même éclosion merveilleuse avait
éveillé la convoitise d'autres petits, dont la chair est mêlée
aujourd'hui à la terre tiède d'avril1. »
***
La vie sacrée des civils — « Il n'est pas naturel que la population
d'un pays se sépare en deux races, et que l'une se sacrifie pour
l'autre3 ». Pour Jeanne Halbwachs, il est également anormal, alors
que la guerre gronde à cent kilomètres, de se voir interdire le
meurtre par le code civil, de s’entendre prêcher les dix
commandements, de laisser les enfants « ânonner » le catéchisme et
« acquiescer à la floraison naïve et pacifique de mai4 ». La vie des
civils ne sera jamais plus sacrée que celle des soldats :
119
sommes des civils, nous voulons qu'on respecte notre vie, car nous
savons que la vie est sacrée. Au nom des droits de l'homme et du libre
citoyen, nous voulons voyager tranquilles. Nous voulons bien
manger, boire frais, jouir d'une conversation aimable, dans les salons
du paquebot, au milieu de l'élégance des femmes et de la musique.
Sensibles et vertueux, nous savons nous indigner contre le crime.
Une ville flottante riche de mille, de deux milles hommes erre dans la
nuit, tous ses feux éteints. Elle s'enfonce dans l'abîme. L'eau monte
noire et froide. Les agonies sont silencieuses. L'immense cercueil de
fer retient les cadavres de ces hommes rassemblés en une unité de
combat. Ce n'est pas un crime, c'est la guerre. [...] Quelle est donc
cette étrange hypocrisie qui nous fait réserver toute notre pitié pour
ceux qui ne font pas la guerre, pour ceux que la guerre ne menace
pas? [...] Nous consentons à injurier la guerre de loin, de très loin,
quand nous sommes bien sûrs qu'elle n'entendra pas. Dès qu'elle se
rapproche nous fuyons, et soyez sûr que si les zeppelins venaient tous
les jours bombarder Paris, nous prouverions vite que c'est là une
nécessité de la guerre1. »
1. Ibid.
2. Bibliothèque de Chaumont, lettre de M. Alexandre à son père (janvier 1915).
120
1916. En Allemagne, « la guerre[...] ne moralise pas1 » : à Lille, les
Allemands, qui ont réquisitionné des Françaises pour le travail forcé,
ont essuyé une pluie d’injures. Ainsi, après Louvain2, Gerbevillers, le
Lusitania, Miss Cavell3, les « barbares » se distinguent une nouvelle
fois avec « Les esclaves de Lille », passant de tortionnaires et
d’assassins à « trafiquants de chair humaine »4. Les femmes de tous
les pays alliés ont donc « plaint leurs sœurs [et] maudit le peuple qui
inflige de telles souffrances » ; mais ce sont les mêmes qui ont
applaudi la mobilisation de 500.000 Roumains5 :
«Le beau départ pour la défense du droit! Pas de larmes dans les
maisons, ni de regrets chez ceux qui partent. les wagons à bestiaux
sont ornés de fleurs. Le soleil brille, l’air est léger. [...] La chair de
femmes souffre-t-elle plus de la douleur, de la maladie, de la fatigue
que la chair des hommes? Leur âme, de l’angoisse et du désespoir?
Non, certes, nous les femmes, nous savons bien que non6. »
« De qui se moque-t-on? demande Alain [...] Il n’est pas vrai que vous
soyez des leurs. Ils vous nomment embusqués — entre eux et vous la
121
différence est infinie. Votre dette envers eux, si vous pensez en
homme, hors du troupeau, c’est les sauver de la mort. Non pas Union,
mais division des tâches. Aux soldats de faire la guerre, assurément;
aux civils, à nous tous de préparer sans relâche le retour de la paix1. »
«Les civils continuent à pas tranquilles leur route dans la vie, vers la
vie. Ils vont à leurs affaires, et, bons patriotes, lisent le communiqué,
injurient les Allemands. Cela leur suffit. Ils oublient leur fonction
dans la guerre. Ils trahissent la foi des soldats en refusant de
l'accomplir5. »
1. Ibid., p. 54.
2. « L’armée est bien dite la grande Muette » (cf. ibid., p. 53).
3. J. HALBWACHS, article du Populaire du Centre archivé sans date, BDIC, fonds
Alexandre, FURes 99.
4. J. HALBWACHS, « La vérité allemande », in Le Populaire du Centre, juin 1916.
122
Et pourtant, « c'est à eux qu'appartient la conduite pacifique de la
guerre1 ».
***
Le soutien des vieilles forces spirituelles — L’exaltation
patriotique de la guerre par un petit bataillon d’intellectuels, trop
âgés pour s’illustrer au combat, sera durablement critiquée après la
guerre, notamment par Jean Guéhenno, en 1934, qui comparera « la
République des lettres » d’alors à « une profitable entreprise de
pompes funèbres », avec Maurice Barrès comme « maître des
cérémonies »2. « Nous étions le chœur des vieillards », écrira Paul
Desjardins une dizaine d’années après, « dont l’office [était] de
compatir et, à l’occasion, de diagnostiquer, d’arbitrer3 ». Jeanne
Halbwachs ne témoignera pas autrement : « En août 1914, toutes les
églises, dans les deux camps, avaient trahi Dieu et justifié la Force.
[...] Quant à l’élite consacrée de la pensée française, elle s’était
presque en son entier précipitée dans la servitude et engagée au
service du Moral des armées4. »
Au Populaire du Centre, elle veille à dénoncer régulièrement
Maurice Barrès, qui à la Une de l’Echos de Paris, entretient
quotidiennement le moral des Français, respectant par là son
« engagement » patriotique d’août 1914. Henry de Montherlant y
verra la vanité d’un homme5, critique que Jeanne Alexandre ne
manquera pas d’approuver en janvier 1928 dans sa chronique
littéraire6. Mais en 1916, l’engagement patriotique de celui que le
Canard enchaîné appelle « le grand Sachem de la tribu des
bourreurs de crânes », ne l’a pas surprise. L’homme est fidèle à ses
idées. La "trahison" viendrait davantage d’un intellectuel comme
Maurice Maeterlinck dont Jeanne Halbwachs reproduit en partie un
123
discours prononcé à l’occasion d’une manifestation organisée par la
Ligue des droits de l’homme au Trocadéro, le 7 janvier 1917 :
124
ont été victimes d’une « odieuse agression », leur conscience s’étale
sur tant de pages, elle est vierge de toute volonté, de toute velléité
guerrière. Voilà des chiffres, voilà des dates, heure par heure, voilà
des textes : « Folie pangermaniste, exaltation de la haine et du
meurtre. » Voilà histoire, philosophie, ethnographie, démographie,
psychologie individuelle et collective, paléontologie, voilà des
preuves. Et les alliés, la voie une fois ouverte par cette armée de
belliqueux pédagogues, s’avancent eux aussi : Voyez, jugez! nous
sommes innocents, nous les très purs, les très doux, les très justes1. »
***
Cette courte, mais intense participation au Populaire du Centre,
de janvier 1916 à mai 1917, tient une place considérable dans la vie de
Jeanne Alexandre. L’ensemble de ses articles fixe son pacifisme de
manière définitive, et ses positions tout au long de l’entre-deux-
guerres le prouveront. L’ironie, la provocation, l’insolence de Jeanne
Halbwachs n’ont pas trop souffert de la censure, tant que n’ont pas
été abordés les thèmes de la fraternité entre les peuples et les accords
de paix sans victoire. Sa brève participation au Populaire du
Centre n’aura pas été inutile. Une lettre d’un professeur du lycée de
Limoges, qui a perdu ses enfants à la guerre, en porte un témoignage
touchant :
« [...] Dans les jours sombres qui suivirent [la mort de leurs enfants],
elle [sa femme] lut avec une émotion reconnaissante vos articles. [...]
Dans le flot sans cesse grossi d'ineptie et de haine dont nous inondait
— et nous inonde encore — la presse, toute la presse, quelques rares
voix, la vôtre surtout, si simplement humaine, lui allaient au cœur.
Tout ce que vous écriviez, elle le pensait — nous le pensions pourrais-
je dire, car nous n'avions à nous deux qu'une seule pensée — et elle
était heureuse de la voir exprimée par vous avec tant de conviction et
de force. [...] C'est le témoignage [...] d'une de ces mères, plus
nombreuses que ne le croyait le général Gallieni « qui pleurent leurs
enfants et ne veulent pas qu'on les venge », qui les pleurent jusqu'à
en mourir2 [...] »
125
recensé, intitulé « Le pèlerin mutilé », date du 1er mai 1918 et se
résume à deux colonnes blanchies.
Les groupes auxquels ont appartenu Jeanne et Michel Alexandre
ont montré leurs limites par leurs divisions et leur inertie. Fin 1917,
la rupture semble consommée : le couple s’est éloigné de la Ligue des
droits de l’homme et a quitté la SFIO, jugeant les pacifistes
minoritaires « trop falots1 ». Jeanne Alexandre continue à adhérer à
ce qui deviendra la LIFPL2, mais sans y tenir de grande
responsabilité. On note donc, avec la fin de la guerre, en plus d’un
certain découragement, une volonté de s’isoler. Pour Christophe
Prochasson, ce comportement n'est pas propre à Jeanne et Michel
Alexandre :
126
Deuxième partie
130
coopérative La Laborieuse et, qui plus est, « admirateur chaleureux
de la pensée d’Alain »1. La mise en route est difficile, et il ne faut pas
moins de trois mois pour lancer le premier exemplaire, le 10 avril
1921. La correspondance entre Mme Morre-Lambelin et les
Alexandre est quasi quotidienne. C’est avec elle que sont prises
toutes les décisions techniques, et c’est elle qui tient la comptabilité
« rigoureuse » des Libres propos : « elle a été pour nous un
auxiliaire sans nulle défaillance2 », écrira Jeanne Alexandre.
Mais outre cette aide précieuse, les Alexandre ont l’ensemble de
la publication et toutes les annexes à organiser, c’est-à-dire six pages
par semaine sur les vingt que compte la revue en 1921. Michel
Alexandre s’occupe principalement de réagir sur les événements et
les idées politiques qui font l’actualité, la chronologie du mois « dont
la courbe perm[et] de mesurer [sa] fatigue3 ». Jeanne Alexandre
s’occupe de la partie culturelle de la revue. Cette répartition des rôles
ne varie pas tout au long de l’histoire des Libres propos. Alain a peu
de contacts avec eux. Il écrit chez lui et envoie ses papiers par
l’intermédiaire de Monique Morre-Lambelin : « Pour suffire à tout,
vous ferez très bien d’abord4 », leur écrit-il pour commencer. Ce qui
est largement préjuger de leurs forces. Du reste préjuge-t-il aussi des
siennes. Dès avril 1922, la revue ne paraît plus que deux fois par
mois. Cette seconde année attire aussi de nouveaux collaborateurs;
bonne nouvelle, en soi, car la venue au pouvoir de Raymond
Poincaré, nommé par Alexandre Millerand, sonne le branle-bas de
combat, et l’actualité politique ne leur laisse plus aucun répit. Les
pages de couverture sont désormais au nombre de 16 pour 15 propos.
Le labeur s’accélère, épuisant la petite équipe. En février 1923, une
lettre de Roger Martin du Gard rend hommage au travail effectué par
Michel Alexandre entre le 15 décembre et le 15 janvier :
1. Ibid., p. 18.
2. Ibid., p. 20.
3. Ibid., p. 47.
4. Ibid., p. 22.
5. Précision apportée par J. Alexandre dans Esquisse..., op. cit., p. 64.
131
ouverts, — cribler, filtrer à mesure tout ce qu'il faut retenir de ce
torrent boueux, cela me semble la tâche la plus difficile que l'on
puisse se donner. J'aime surtout quand votre passion secrète vibre en
dessous et ne s'exprime pas1. »
132
Une jeunesse au contact des grands
1. Ibid., p. 22.
2. Ibid., p. 45.
3. Ibid., p. 71.
133
[devient] son troisième allié, le plus proche de lui et peut-être le plus
sûr »1. Aussi demande-t-il à Michel Alexandre de ne pas les
« décourager » pendant une année et de les accueillir sans
restriction. Il fait même de lui « le chef de tous ces jeunes2 », quand
Michel Alexandre attend pour sa part de l’aide et un partage du
travail3. En 1932, nommé en classe d’hypokhâgne à Henri IV, il
confie d’ailleurs une grande partie des annexes au « dévouement
inépuisable » de Georges Canguilhem. En 1934, absorbée par la
montée du fascisme et « détournée par la propagande », l’équipe
« plie sous un travail inhumain, et ce malgré le renfort de jeunes :
Ulm, normaliens de Saint-Cloud, avec Georges Lamizet et un
vigoureux et virulent afflux de Sévriennes animées par Suzanne
Vayssac »4.
1. Ibid., p. 74.
2. ALAIN, lettre à Michel Alexandre d’avril 1927, Bibliothèque de Nîmes.
3. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 73.
4. Ibid., p. 127.
5. Ibid., p. 47.
134
Petit à petit, et à mesure que l’équipe se renforce, diverses
chroniques viennent se glisser entre ces grandes parties, certaines
s’intégrant à la seconde ou à la troisième, les autres prenant leur
autonomie. Ainsi, un « Sottisier », placé en fin de volume, d’abord
inspiré par le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, prend vite
un « tour polémique très positif et [sert] évidemment de pilori ». La
chronique tenue par Monique Morre-Lambelin, « Le Ciel », et qui
décrit la carte céleste, invite elle aussi à sa manière « à méditer loin
de la bagarre1 ». Mais, dans l’ensemble, en dépit d’une volonté
d’échapper au temporel par quelques libertés spirituelles, la
politique est au cœur des Libres propos qui sont, « de bout en bout,
la guerre jugée2 », rassemblant tous les écrits d’Alain sur la guerre,
pour qui « le journalisme [est] une obligation jurée3 ». N’a-t-il pas
écrit en février 1924 : « Tout est politique dans ces feuilles malgré
l'apparence4 ». Ce qu’exprime autrement un propos antérieur :
1. Ibid. p. 47.
2. Ibid., p. 26.
3. Ibid., p. 54.
4. ALAIN, « Propos CL », in LP, février 1924.
5. ALAIN, « Propos CXC », in LP, 2 octobre 1921.
6. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 73.
7. Ibid., p. 19.
135
espérances »1. Elle éclaire la volonté proprement alinienne de
« rester seul et [de] se vouloir plusieurs, [de] se vouloir tous2 ».
L’ombre d’Alain
Nous l’avons dit, Alain travaille chez lui, au Vésinet, protégé dans
sa solitude par son égérie, et « refus[e] le plus souvent de donner des
conseils », si bien que ses collaborateurs renoncent vite à le
consulter4. L’appartenance politique d’Alain est difficile à définir.
Elle est du reste incompatible avec ses idées. Il se dit radical, mais
n’adhère à aucune force politique. Plus exactement, il se vante d’être
« le seul représentant » du « Combisme intégral »5. Il est, en
revanche, assez critique à l’égard des socialistes qu’il juge « sots » et
trop facilement tyranniques. Michel Alexandre se souviendra de sa
première rencontre en 1908 : « On m’a dit que vous étiez socialiste?
A votre âge?... Alors déjà idiot6 ? ». Mais la Première Guerre a
éloigné les Alexandre des partis et des groupes, et sur ce plan, ils
s’accordent avec leur maître : « La sottise des cercles, qui passe
toujours l’attente, vient de cette politesse agréable pour tous, car il
est aisé de ne pas dire beaucoup7 ». En revanche, la victoire du Cartel
des gauches, en 1924, qui unit socialistes et radicaux contre le Bloc
national, rend Alain parfaitement heureux. Si bien qu’il leur écrit :
1. Ibid., p. 65.
2. Ibid., p. 29.
3. Ibid., p. 130.
4. Ibid., p. 37.
5. ALAIN, « Propos LXVII », in LP, 1er juin 1921, p. 133 : « Le Combisme n’est autre
chose que l’action permanente de l’électeur sur l’élu ».
6. ALAIN, cité par M. ALEXANDRE, Hommage à Alain, op. cit., pp. 100-101.
7. ALAIN, « Propos XXIX », in LP, 24 avril 1921, p. 54.
136
« Nous serons Combistes ensemble, comme nous le fûmes et même
à l'aile gauche1 »!
A de rares occasions, le « maître » impose ses vues, mais toujours
avec une certaine dérision. Ainsi cette lettre du 10 novembre 1931, à
propos d’un ouvrage de Sergio Solmi qui lui est consacré :
1. Lettre d’Alain à J. et M. Alexandre du 18 mai 1924, Nîmes, op. cit., MS 801 II.
2. Note à l’attention de l’équipe des Libres propos, et peut-être spécifiquement à
J. Alexandre qui s’occupait de la rubrique des livres. Nîmes, op. cit., MS 801 II.
3. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 19.
4. Ibid., p. 100.
137
prêté aux anciens des Libres propos l’honneur immérité d’avoir
provoqué cet éveil1. »
L’idée de liberté
1. Cité par J. Alexandre, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., pp. 81-82.
2. Cf. P. MERCIER, « Thibaudet A. », in Dictionnaire des intellectuels français,
op. cit., p. 1347.
3. Grasset, 1927.
4. Cité par J. Alexandre, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p 70.
5. ALAIN, « Propos XXII », in LP, 30 avril 1921, pp. 43-44.
138
Logique radicale qui le sépare de Jeanne Alexandre sur le terrain
de l’objection de conscience. S’il se réjouit « de voir un nombre
toujours plus élevé d'élèves maîtres refuser de participer à la
préparation militaire supérieure1 », il le fait en vertu de son hostilité
à la hiérarchie, et non pour juger un service imposé par la nation :
139
Un combat permanent entre pertes et profits
Dans une lettre du 5 août 1920, Elie Halévy lui écrit : « Si tous les
partis te considèrent, te tolèrent, te respectent, c'est que tu es une
énigme pour tous6 ». Le retour de Raymond Poincaré au pouvoir, en
janvier 1922, celui qu’Alain appelle sans précaution « l’homme
trompette » ou « l’homme sanglant », qu’il déteste et pique de son
« coupe choux », met le feu aux poudres7. A la rentrée d’octobre,
Michel Alexandre est convoqué en tant que rédacteur en chef et
gérant des Libres propos, par le recteur de Montpellier, « pour
s’entendre dire que la position d’Alain et la sienne [sont]
inadmissibles et qu’il [faut] changer ». Le professeur promet de
communiquer sa réponse après avoir consulté son maître. Jeanne
Alexandre, à son tour, reçoit la visite dans sa classe de l’inspecteur de
7. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 141.
1. Signé le 28 juin 1919.
2. Ibid., p. 39.
3. Ibid.
4. Ibid.
5. A. SERNIN, op. cit., p. 223.
6. E. HALÉVY, « Lettre du 5 août 1920 », in Correspondance avec Elie et Florence
Halévy, op. cit., p. 265.
7. ALAIN, « Propos XLI », in LP, 24 juin 1922.
140
l’Académie de Nîmes, qui l’enjoint paternellement de modérer son
mari. La réponse d’Alain est immédiate : « nous obéirons dans
l’instant. Nos cahiers ne paraîtront plus. A une seule condition :
qu’on nous en donne l’ordre écrit1 ». Refus des autorités qui jugent
l’acte trop « antilibéral »2. Le propos du 11 novembre 1922 confirme
sa décision : « Je repousse les menaces, et j’attends les ordres3 ».
Cependant, la vraie fragilité de l’entreprise tient surtout à sa
trésorerie et au nombre insuffisant d’abonnés et de ventes. Alain, dès
la deuxième année, « [peut] mesurer les limites de l’instrument :
celle de [leur] force de travail4, de [leur] sens pratique aussi! Les
abonnés [viennent] lentement5 [...]». Mais ne pas être lu est aussi
une garantie de liberté, et donc de qualité : « [...] profitons, mes
amis, de ce temps où nous n’avons pas de lecteurs. Et puisse-t-il
durer6 ». Avant d’ajouter dans une lettre à Jeanne et Michel
Alexandre : « Il faut prévoir un désabonnement général, suivi de
trois ans d'insuccès. Il faut que nous puissions en rire. [...] Il est
agréable d’être libre7 ». Les abonnés sont principalement des amis et
des élèves : 45 abonnés seulement au démarrage de la revue en avril
19218. Mais la règle est stricte : « il n’est fait aucun service à titre
gracieux, l’œuvre se passant de critiques9 ». Un premier appel aux
lecteurs apparaît alors dans le numéro du 11 novembre 1922 : « [...]
comme il est clair qu’ici les moyens habituels de publicité ne sont pas
acceptables, c’est aux lecteurs eux-mêmes qu’il appartiendrait
d’entreprendre une propagande10 [...]». Et certains de constater
amèrement, tel Romain Rolland, qu’Alain écrit « pour vingt
personnes11 ». Une fois lancée, la seconde série comptera au
maximum 1000 abonnés12.
1. Cité par J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 44.
2. Ibid.
3. ALAIN, « Propos CXI », in LP, 11 novembre 1922.
4. Celle de Jeanne et Michel Alexandre, en l’occurrence.
5. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 40.
6. ALAIN, « Propos XXIX », in Libres propos, 24 avril 1921.
7. Lettre d’Alain à J. et M. Alexandre, Nîmes, op. cit., 28 juin 1921.
8. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 21.
9. Ibid.
10. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 45.
11. Ibid., p. 28.
141
Au rythme des affaires : scandales et irréductibilités
***
Une révolution scientifique diversement appréciée — Alain est
hostile aux sciences qui ne vont pas dans le sens du progrès social.
Ainsi en est-il de la psychologie qui est contemplation de soi, ce qui
est « sottise que l’on contemple », c’est-à-dire « esclavage »2. De
même des statistiques et de l’industrie lorsqu’elles s’accordent à
penser que la vie humaine peut entrer dans un projet « à la manière
du fer, du bois et de la pierre3 ». D’où l’on comprend que son
opposition au progrès tient plus généralement à son refus de
l’injustice. Ainsi en est-il de l’électricité qui fait trop oublier quelle
main-d’œuvre laborieuse elle présuppose, et de tous les conforts qui
semblent tombés du ciel, mais qui ont leur source dans la souffrance
humaine. Et les aliniens d’opposer, par exemple, au culte de la
vitesse celui du bon sens partagé :
12. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 141. Selon
J. Alexandre, il n’existe aucune archive des comptes de l’entreprise, les papiers du
trésorier René Monnot et la liste des abonnés ayant disparu pendant la guerre (ibid.,
p. 42).
1. Ibid., p. 12.
2. ALAIN, « Propos 138 », in Propos II, Gallimard, op. cit., 190.
3. Ibid.
4. ALAIN, « Contre les nouveautés », in Propos I, Gallimard, op. cit., p. 1301.
142
son hostilité aux théories d’Einstein, comme une réfutation d’ordre
moral, dans le souci de préserver les sciences premières, accessibles
à tous et par là plus vraies, c’est-à-dire plus justes.
Jeanne Alexandre, convaincue, s’attaque aussi, au fil de ses
critiques littéraires, à ces sciences nouvelles qui, comme en témoigne
leur fréquence au sein des Libres propos, sont au cœur des débats de
l’entre-deux-guerres. Parmi elles, la psychologie et la psychanalyse
ont les faveurs de sa chronique. Ainsi, le livre de Charles Blondel, La
Psychanalyse, présenté dans un numéro de juin 1924, est apprécié
pour le résumé critique qu’il fait de cette science « à la mode1 » :
5. Ibid., p. 1302.
1. J. ALEXANDRE, « C. Blondel, La Psychanalyse (Alcan, 1924) », in LP, 15 juin 1924,
pp. 43-44 (IV).
2. Ibid.
3. Ibid.
4. J. ALEXANDRE, « J. Rostand, Deux angoisses : la mort, l’amour (Charpentier,
1924) », in LP, 15 juillet 1924, p. 49 (IV).
5. J. ALEXANDRE, « P. Valéry, Regards sur le monde actuel (Stock, 1931) », in LP,
juillet 1931, pp. 320-321.
143
prétention scientifique », un reproche « d’inhumanité »1 :
« L’espoir... Dans tous vos livres de psychologie ou de psychopathie,
il ne me semble pas qu’il en soit question2. » Aussi Jeanne Alexandre
préfère-t-elle les récits qui comme Un conte de bonnes femmes
d’Arnold Bennett, « cour[ent] à raz de terre et se préserv[ent] de la
trivialité des petites choses et des prétentions myopes de la
psychologie3 ».
Quant à la science historique, le problème est inverse, et la
critique alinienne semble encourager la révolution que des
historiens modernes comme Marc Bloch et Lucien Febvre
inaugurent dans les Annales, en 1929. Alain, dès 1907, quelques
années avant Fernand Braudel4, soulevait déjà la question du
climat :
1. J. ALEXANDRE, « P. Valéry, L’idée fixe ou Deux hommes à la mer (Edité par les
Laboratoires Martinet en 1932, et Paris, NRF, 1934) », in LP, mars 1934, pp. 159-161.
2. P. VALERY, Cité par J. ALEXANDRE, ibid.
3. J. ALEXANDRE, « A. Bennett, Un conte de bonnes femmes (NRF, 1931) », in LP,
septembre 1931, pp. 427-428.
4. F. BRAUDEL, « L’Histoire, mesure du monde », in Les Ambitions de l’Histoire (II),
Ed. de Fallois, 1997 (écrit entre 1940 et 1945), pp. 13-83.
5. ALAIN, « Propos 22 », in Propos II, Gallimard, op. cit., 19 mai 1907, pp. 27-28.
6. A. PROST, Douze leçons sur l’histoire, Le Seuil, 1996, p. 76.
144
monde actuel, qui poursuit cette « fausse science », la « harcèle à
toute occasion, [la] frappe à mort comme une nouvelle et meurtrière
scolastique1 ». Ce qui nous renvoie au débat sur l’histoire dans les
manuels scolaires, appliquée à attiser les haines et à exalter la patrie.
Cette question de l’épistémologie historique est relativement
récurrente chez Jeanne Alexandre. Ainsi en novembre 1932,
l’« offense » faite à Jean Prévost, dans la critique de son Histoire de
France depuis la guerre, est l’occasion de remettre en cause
l’impartialité en histoire :
***
Les objections au militarisme — Les affaires relatives à l’armée
nourrissent le scandale, si cher à Jeanne Alexandre, et les Libres
propos s’associent aussi bien aux objecteurs de conscience qu’aux
145
déserteurs exilés. Après le déclenchement des houleuses et
interminables discussions autour du projet de loi Paul-Boncour de
mars 1927, relatif à la mobilisation "totale" en cas de guerre "totale",
le premier grand scandale part du refus de participation de quelques
normaliens à l’exercice de l’autorité. En octobre 1927, ils font
paraître dans la revue de l’établissement un conte drolatique qui ne
ménage pas les officiers. L’outrage est jugé au sein de l’institution :
blâmes et sanctions sont distribués. Nous avons dit quelles
suspicions pèsent sur Alain. Lui-même n’a-t-il pas lancé « tout
pouvoir corrompt », lorsqu’on lui proposait, pendant la guerre, de
devenir officier? En effet, le problème du Chef, selon lui, est « au
centre de la notion même de guerre1 » :
1. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 74.
2. J. ALEXANDRE, En souvenir de Michel Alexandre, op. cit., p. 61.
3. Ibid., p. 79.
4. ALAIN, « Propos CLXXIX », in LP, décembre 1928.
146
Challaye — signée, entre autres, par Alain et Romain Rolland —,
enjoignant au président de l’association de ne plus parler en son nom
personnel. Ce dernier démissionne en décembre 1929. Pour Jeanne
Alexandre, les Libres propos confirment leur statut de « tribune de
l’Hérésie1 ». Mais la « caporalisation des intellectuels » ne s’arrête
pas là, et se propage, s’associant au scandale des objecteurs de
conscience, représentés, entre autres, par Jean Bernamont, ancien
normalien. De telles affaires, qui peuvent sembler insolites à l’heure
du pacte Briand-Kellogg (février 1928) rendant la guerre hors-la-loi,
n’illustrent-elles pas le caractère symbolique de l’accord
international? Jeanne Alexandre est particulièrement sensible à la
question de l’objection de conscience et du désarmement, à l’instar
de l’ensemble des mouvements pacifistes. En 1932, Madeleine
Vernet intervient dans les Libres propos pour dénoncer l’injustice
qui vient de punir de prison l’ouvrier Fontaine, sans inquiéter le
professeur Gérin2, et proteste contre le silence des intellectuels sur la
question de l’objection de conscience. Quelques mois plus tôt,
Jeanne Alexandre avait répondu à un autre appel, en participant, à
Paris, à la conférence libre du désarmement, présidée par Félicien
Challaye, du 23 au 24 avril 1932. Selon elle, « l’objection est une
doctrine qui suit la profonde tradition et du christianisme et du
socialisme3 ».
Les exercices obligatoires de défense passive en cas d’attaque
chimique sont un autre sujet d’objection et de mobilisation des
énergies pacifistes. En novembre 1933, vingt-trois ouvriers des
abattoirs Lyon refusent de se plier à ces exercices, et le maire de la
ville, Edouard Herriot, radical et membre de la Ligue des droits de
l’homme, décide de les sanctionner4. Michel Alexandre et Léon
Emery, pour le compte des pacifistes radicaux, décident de les
soutenir : « Si l'on ne veut plus de guerre, il faut la tuer dans l'œuf et
s'opposer [...] aux mesures qui la préparent. A toute demande de
collaboration de ce genre, c'est par un non qu'il faut répondre5 ».
Cette décision cautionnée par la Ligue séparera définitivement les
Alexandre de la LDH. Devenu coprésident du Comité de vigilance
1. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 85.
2. M. VERNET, « Protestation », in LP, septembre 1932, p. 487.
3. J. ALEXANDRE, « Conscription et conscience », in LP, juillet 1935, pp. 326-328.
4. A. BECKER, op. cit., p. 252.
5. Cite par A. BECKER, Ibid.
147
des intellectuels antifascistes (CVIA), Alain écrit que l’autoritarisme
du gouvernement participe de l’idée du fascisme européen :
« [...] il s’est formé une coalition des pensants, qui sont disposés à
remettre le peuple en esclavage, pour son bien naturellement. Cette
disposition définit le Fascisme, qui n’est qu’une manière de
gouverner au civil d’après le modèle militaire. [...] Les modérés de
gauche doivent repousser [...] la loi Pétain1 comme ils ont repoussé la
loi Boncour, dès qu’ils comprendront que ce qu’on leur enlève de
droits enlève aussi tout l’intérêt de vivre. Et, en peu de mots, il faut
d’abord sauver la liberté, sans quoi on ne verra plus rien au monde
qui mérite d’être défendu2. »
***
Prix et politique littéraires — Si Jeanne Alexandre ne se
manifeste pas directement au sein des Libres propos sur les affaires
que nous venons d’évoquer, cela ne préjuge pas du soutien qu’elle
leur apporte, ni de l’importance que le « temporel » prend sur sa
chronique plus « spirituelle ». Car les livres sont son domaine de
prédilection, et leur analyse le moyen de développer et d’exposer sa
pensée. Ses critiques qui donnent, nous l’avons dit, un aperçu de la
vie littéraire de l’entre-deux-guerres, lui permettent également de
dénoncer une politique jugée souvent clientéliste et trop
exclusivement financière. Les prix littéraires sont ainsi
particulièrement propices à l’engagement des hostilités. Comme
Alain, elle ne goûte ni les honneurs, ni les récompenses. Mais son
rôle ne l’oblige-t-il pas à les considérer? Ainsi, 5% de ses critiques
ont trait aux prix littéraires. Le prix Fémina — créé en 1904, par des
femmes de lettres, pour faire contrepoids à la « misogynie » de
l’académie Goncourt —, est de loin le plus apprécié. En 1922, si
1. Tombé en juin 1934, ce projet de loi portait obligation pour toute la population civile
de se prêter, sous peine de sanction, aux manœuvres contre la guerre des gaz et des
bombardements aériens.
2. ALAIN, « Propos L », in LP, juin 1934, pp. 297-298.
3. « Alerte aux masques à gaz », in LP, août 1934, p. 417.
148
Silbermann1, de Jacques de Lacretelle, est justement salué par le
Fémina, Vitriol de lune, d’Henri Béraud2, est « en passe de
déshonorer » l'Académie Goncourt : « Récit ennuyé et ennuyeux. La
vie, la vérité, le respect de soi et de l'art, autant de dieux ignorés »3.
Dès lors, ce prix d’« Académie » n’aura de cesse d’être malmené,
quand le Femina sera fidèlement célébré. En décembre 1927, le
Goncourt revient à Maurice Bedel pour Jérôme, 60° latitude Nord :
« Ce roman pour bibliothèque de gare, comme l’a si bien dit, et le
premier, Gabriel Marcel [...] ne se distingue que par l’excès de
l’insignifiance [...] L’auteur a dû être le premier surpris de
l’importance soudaine — et Dieu merci, éphémère! — conférée à son
livre4 ». Le Fémina, en revanche, est salué pour « avoir rempli
honnêtement sa fonction, si celle-ci est bien d’encourager les
débutants de valeur5 ». Elle est sans égard non plus pour L’ordre de
Marcel Arland, Goncourt 1929, « livre de vieillard » pour qui
« l’ordre moral, c’est la providence et c’est la police »6, mais elle
acclame le Fémina de Georges Bernanos : La Joie7. Et quels sont ses
hochements de têtes quand le Goncourt 1931 oppose Le Mal
d’amour de Jean Fayard, « excellent feuilleton pour Le Petit Echo de
la Mode ou La Femme chez elle8 », au Fémina d’Antoine de Saint-
Exupéry pour Vol de nuit9. Enfin Les Loups de Guy Mazeline,
Goncourt 1932, lui inspire cette saillie :
149
page 100 (et il y en a 622). Conclusion (jusqu'à nouvelle épreuve) :
Les Loups dévorent leurs lecteurs1. »
1. J. ALEXANDRE, « G. Mazeline, Les Loups (NRF, 1932) », in LP, fév. 1933, p. 108.
2. C. AUBEY-BERTHELOT, « Académie française », in Le Dictionnaire des
intellectuels français, op. cit., p. 36.
3. J. ALEXANDRE, « Prix d’Académie », in LP, juillet 1927, p. 213.
4. Grand prix de littérature de l’Académie française : « Cette récompense couronnait
un écrivain qui donnait, dans une œuvre résonnant parfois d’accents virgiliens, ses
lettres de noblesse à la littérature régionaliste » (cf. le site www.academie-
francaise.fr).
5. J. ALEXANDRE, « J. Kessel, Les Cœurs purs (NRF, 1927) », in LP, juillet 1927,
p. 213.
6. J. ALEXANDRE, « Prix Flaubert », in LP, juin 1923, p. 29 (III).
7. Pierre Mille avec le cycle des Barnavaux participe de cette littérature engagée
contre le colonialisme (cf. B. DROZ, « Colonisation sous la IIIe République »,
Le Dictionnaire des intellectuels français, op. cit., pp. 342-345).
150
Livre d'académie en somme et couronné par une académie; il en est
de toutes les farines, mais toutes participent du même être1. »
D’autres récompenses essuient quelques tirs nourris, mais au-
delà des prix, c’est plus généralement la politique littéraire qui a le
don de la fâcher, dans sa volonté délibérée d’attirer le lecteur comme
un marchand le chaland. Et quand un ouvrage, « bien loin des
romans "vient de paraître" » sort des sentiers battus, même s’il est
imprimé à cent exemplaires et à compte d’auteur, comme La
Revanche du Bourgeois de Gaston Le Révérend, elle se précipite
pour en vanter les mérites :
« [...] une pensée pour soi, pour la joie de juger. [...] Pensée
indépendante, triviale, souvent étroite et bougonne, mais parfois
pleine et drue, et que discipline vigoureusement la brièveté. [...] On
souhaiterait que quelqu’un de ceux qui, comme Daniel Halévy2,
semblent en quête de penseurs ignorés, aille un jour regarder par
là3. »
151
1931-1932, pour la traduction d’un ouvrage de Rudyard Kipling,
Puck, lutin de la Colline1, et égale colère, en 1933, pour l’accueil fait
au livre d’Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes, ce « miracle [...]
que la critique française paraît jusqu'à présent traiter de haut,
comme une quelconque boutade contre le monde moderne2 ». Tout
est donc « affaire de commerce », comme le succès programmé, en
1929, du « pauvre » livre de Ludwig Renn, Guerre Krieg, lancé « à
grande réclame sur les traces d'A l'Ouest3, au risque [...] d'en
atténuer le puissant effet! »4.
***
La « redoutable entreprise » de la biographie — La biographie
des grands hommes est un exercice "sacré" pour Jeanne Alexandre.
Si bien que certaines d’entre elles font l’objet d’impitoyables
critiques. Après avoir commencé par vanter les mérites de La Vie de
Nietzsche de Daniel Halévy, elle s’insurge contre « la mystique du
nationalisme français » qu’elle entrevoit dans la biographie suivante
consacrée à Vauban : « À côté de Vauban, derrière lui et parfois
même en lui, un autre personnage apparaît, c’est l’auteur »5. Et ce ne
serait pas un reproche s’il ne sacrifiait pas à ses idées « la hardiesse
sociale [du personnage], la libre critique, la passion du juste ». Mais
l’impartialité, qu’elle dit nécessaire à cette discipline, a un prix : « le
respect scrupuleux du héros et le refus incessant de se servir de lui
pour s’exprimer soi-même6 ».
Dès le début de la deuxième série des Libres propos, de 1927 à
1936, les pages de la chronique littéraire accueillent quelques
polémiques « à rallonge7 ». L’une d’elle oppose, en 1929, Jeanne
152
Alexandre à Daniel Halévy qui, avec Louis Guilloux, a rassemblé et
commenté les Lettres de P-J Proudhon. L’objet du débat tient à
« l’impartialité » dans le choix des lettres et à l’insuffisance de la part
réservée à la pensée et à l’action politique du jeune théoricien (de
1837 à 1848). « Cette vie de Proudhon répand un vague parfum
d'Anti-révolution1 », s’insurge-t-elle. S’en suit une longue
controverse, épistolaire, mais reproduite dans la revue, qui vaut à
Jeanne Alexandre, à l’occasion d’une visite au Pouldu2, une peinture
d’Alain, ravi sans doute qu’on malmène son « vieil ennemi intime3 ».
La Vie d’Auguste Comte d’Henri Gouhier4 permet à notre
alinienne5 de défendre, en cinq pages, une autre grande figure de son
Panthéon littéraire. L’attaque a lieu en novembre 1931 : « Contre ce
que je jugeai un parti pris de moquerie offensante à l'égard d'un de
nos Saints Patrons, je partis en guerre avec une intempérance dont je
rougis encore6 », avouera-t-elle.
153
c'est la science; il ne fournira que les faits « positifs » de la vie, il
s'interdira scrupuleusement tout jugement personnel ». Mais le
lecteur non averti, « avide de mettre quelque réalité sous un nom
connu », résistera-t-il à cette « interprétation tendancieuse »?
« Tout ce qui est vrai d’une époque ou d’un personnage ne sert pas
toujours à les mieux connaître. Nul n’est identique au total exact de
ses apparences... Un visage faisant la grimace, si on le photographie
dans cet instant, c’est un événement irrécusable. Mais montrez-le
aux amis du saisi, ils n’y reconnaissent personne3. »
1. Ibid.
2. Ibid.
3. Cité par J et M. ALEXANDRE, « Auguste Comte et Basile », in LP, janvier 1932,
pp. 49-56.
154
dans cet exercice « l’une des entreprises les plus redoutables »,
relevant directement de la poésie : « Le ciel nous préserve des
biographes non inspirés »1. Cette nécessité, la valeur des grands
hommes la rend impérieuse : « La biographie [...], c'est parmi les
œuvres humaines une des plus difficiles, et, malgré l'apparence,
œuvre de vocation comme la poésie même. Les géants ne portent
pas, ils écrasent2 ».
Un succès mitigé
Bien sûr, il n’est pas question d’apprécier cette réussite sur le plan
économique : le déficit était « institutionnel3 ». Les papiers de la
comptabilité tenue par René Monnot4 de 1927 à 1936 disparaîtront
après la guerre, avec la liste des abonnés dont le nombre, nous
l’avons dit, est incertain (entre 800 et 1200) : « On était si content de
ne jamais se poser la question, sincèrement5 », avouera Jeanne
Alexandre. En revanche, il n’est fait aucun commentaire, dans
l’Esquisse de l’histoire des Libres propos, sur d’éventuelles
difficultés ou aides financières. On note une constante collaboration
avec L’Emancipation de Charles Gide. Peut-être ont-ils des facilités
avec l’imprimerie La Laborieuse de Claude Gignoux, mais ce ne sont
là que suppositions. La question économique intéresse si peu le
Journal qu’il a toujours déclaré libres les droits de reproduction et
de traduction pour tous les pays. Ce qui représente davantage qu’une
simple indifférence à l’argent.
Ceci n’interdit pas néanmoins quelques rêves à long terme.
Monique Morre-Lambelin, qu’Alain surnomme aussi la Sibylle de
Cumes, a le pressentiment, en mars 1921, que « les Libres propos
seront un jour une grande chose européenne, internationale6 ».
4. Les travaux d’André Maurois se distinguent peut-être par leur démarche créatrice
(cf. A. MAUROIS, Aspect de la biographie, Grasset, 1930, écrit en 1928).
1. J. ALEXANDRE, « A. Maurois, Aspects de la biographie (Au sans-pareil, 1928) »,
in LP, décembre 1928, p. 579.
2. Ibid.
3. J. ALEXANDRE, « Hommage à René Monnot (1890-1964) », in Bulletin n° 21,
Association des amis d’Alain, juin 1965, p. 47.
4. Elève de Khâgne à Henri IV en 1912, disciple d’Alain, il fut de la génération fauchée
par la Grande Guerre, celle de l’« an de malheur » disait Alain.
5. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 141.
6. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 18.
155
Certes, de ce point de vue, l’échec est patent, mais comment ne pas
constater les vraies réussites de l’entreprise : « C'est un petit journal
bien peu lu, mais libre, qui est de toutes mes œuvres la préférée. Je
n'irai point à la mangeoire d'or1 », écrit Alain. C’est aussi ce que
retiendra Jeanne Alexandre. Et paradoxalement, le nouveau départ
des Libres propos en 1927 peut aussi s’interpréter comme une
précaution d’Alain contre le succès, alors que plusieurs tribunes
s’offrent à lui, après l’avoir négligé aux lendemains de la guerre. C’est
du moins, selon Jeanne Alexandre, ce qui ressort d’une interview
accordée à Frédéric Lefèvre, dans Les Nouvelles littéraires, le
18 février 19282.
Mais la réussite la plus indiscutable, c’est sans doute la
reconnaissance du lectorat, si faible soit-il. Celle de Roger Martin du
Gard, en tout premier lieu, qui dès le 8 août 1922 envoie ses
félicitations à Jeanne Alexandre :
1. Cité par J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 71.
2. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 70.
3. R. MARTIN DU GARD, « Lettre à J. Alexandre du 8 août 1922 », Correspondance
générale (III), 1919-1925, NRF, 1986, pp. 172-173.
156
nombre respectable d'écrivains et de lettrés, et où il a été plusieurs
fois question des Libres propos comme d'une entreprise d'une
importance exceptionnelle, classique et incontestée. [...] La pensée
d'Alain et de son groupe travaille plus ou moins secrètement, et
ensemence un grand nombre d'esprits, parmi les meilleurs. Cela ne
fait aucun doute pour moi1. »
157
Alexandre. Ainsi en est-il de Julien Benda1 qui la félicite pour sa
prise de position dans la polémique qui l’oppose à Daniel Halévy :
« Permettez-moi de vous dire mon admiration pour vos deux lettres
des derniers Libres propos, relativement à Proudhon d’après la
Correspondance2 ». Et d’André Malraux qui fait une remarque tout
aussi laconique, en février 1931: « Il est arrivé à un écrivain, même
d’être compris. Mais comme ça arrive assez rarement, j’y prends un
certain plaisir, et suis heureux de vous en remercier3 ». Puis de
Romain Rolland à Michel Alexandre : « Bravo à Jeanne pour son
excellent article sur Eux et nous de Gorki4 ». Jusqu’à Jean-Richard
Bloch qui, à défaut de participer à la rédaction, offre son aide à la
diffusion d’une brochure qu’il juge « entièrement admirable et
capitale5 ». Quant aux critiques qui trouvent les Libres propos
« frénétiques6 » ou qui parlent « d’enfantillage » ou
« d’outrecuidance », faisant sans doute référence au dynamisme que
la jeunesse apporte au Journal d’Alain, Jeanne Alexandre écrira :
***
L’aventure s’arrête en septembre 1935 pour les pages de
« couverture ». Alain continue à publier ses propos jusqu’en mai
1936, par le biais des Feuilles Libres de la Quinzaine, revue « fondée
par Léon Emery8 et aussi, nominalement du moins, par Michel
Alexandre9 » :
1. J. Benda, tout comme J-R Bloch, Marcel Martinet, André Philip, André Chamson,
Jean Guéhenno, Jean Giono, André Gide, André Malraux... font partie des proches qui
ne collaboreront pas malgré leur attachement à Alain (cf. J. ALEXANDRE, Esquisse
d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 82).
2. BMD, dossier J. Alexandre, lettre de J. Benda (copie) du 11 août 1929.
3. Bibliothèque de Nîmes, lettre déchiffrée du 19 février 1931, cote MS801 V (4-5).
4. Bibliothèque de Nîmes, lettre de R. Rolland à J. Alexandre (post. à mars 1932).
5. BMD, lettre de J-R. Bloch à Michel Alexandre du 21 ou 23 juin 1934.
6. E. HALEVY, dans une lettre à Michel Alexandre.
7. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 74.
8. Cf. M. MOISSONNIER, « Emery L. », in DBMOF, vol. 27, pp. 31-33.
9. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 128.
158
« [..] située à la pointe du combat pacifiste, l'entreprise a été portée et
dirigée par la volonté et le désintéressement d'Emery et son
inlassable travail. Imprimée à Lyon, la revue avait des assises
provinciales et une vaste audience chez les instituteurs1. »
1. Ibid.
2. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 111.
3. Deux collections intégrales, complétées par quelques fascicules indépendants, sont
encore à acquérir. Entretien avec Robert Bourgne, directeur de l’Institut Alain, 2004.
159
C HAPITRE V
1. ALAIN, « Propos 595 », in Propos II, Gallimard, op. cit., 1er mars 1934.
2. J-J BECKER et S. BERSTEIN, Victoire et frustrations, op. cit., p. 374.
3. Sauf exceptions : dans ce cas, c’est au moins l’un de ses dérivés que nous
retrouvons.
politique vise le pouvoir et par là condamne la pensée. La Carrière
Beauchamp du poète et romancier britannique George Meredith1
permet à Jeanne Alexandre de témoigner de l’"ambition" politique
qui caractérise Alain et quelques-uns de ses fidèles disciples :
162
sera en voie de s’améliorer1 ? ». Jeanne et Michel Alexandre l’ont
sans doute jugé comme Alcibiade : « au moins probable ». Mais plus
encore, Romain Rolland y voit une passion humaniste :
1. PLATON, Alcibiade, Gallimard, coll. Pléiade, 1950, p. 244 (trad. fr. L. Robin).
2. Bibliothèque de Nîmes, lettre de R. Rolland à J. Alexandre, 29 août 1916.
3. A. SERNIN, op. cit., p. 221.
4. N. RACINE, « Alexandre Michel », in DBMOF, op. cit., vol. 17, p. 73.
5. M. ALEXANDRE, Par la pensée, Lyon, Audin, 1973, p. 27.
163
Aussi, à la mort de son père, en janvier 1921, il décide avec sa
femme, « selon leurs convictions socialistes », de « restituer [cet
héritage] à la communauté1 », en le consacrant à relancer l’œuvre
quotidienne d’Alain, interrompue par la guerre. Cette indifférence
pour l’argent est donc nourrie de convictions socialistes, et la
décision de laisser libres les droits de reproduction et de traduction
participe de cette volonté de ne pas donner de prix à la pensée.
Pour Christophe Prochasson, « le socialisme intellectuel de
Michel Alexandre ne diffère en rien [en 1909] de celui qui habite la
plupart des intellectuels socialistes, y compris ceux qui ont accepté
de s'engager dans la SFIO2 ». C’est « par haine d’une bourgeoisie
jugée archaïque, immorale et inapte à la réflexion » qu’il serait entré
en socialisme, menant davantage une critique du jugement qu’une
critique sociale. Mais c’est aussi en digne héritier du dreyfusisme,
qu’il est attentif à la « redistribution du savoir illégitimement
accaparé par une élite »3. Quant à Jeanne Alexandre, ses lointaines
origines prolétaires et la relative pauvreté de son enfance ne la
prédisposent pas à négliger la critique sociale, et l’on peut supposer,
étant donné son influence, que le socialisme bourgeois de Michel
Alexandre s’en est inspiré.
En mars 1923, le livre de Valéry Larbaud4, A. O. Barnabooth,
journal intime excite sa curiosité. Elle va enfin savoir « comment
sentent, comment pensent les riches5 ? ». Malheureusement,
l’homme est mis à la torture par l’ennui et le dégoût de soi : « Aussi
a-t-on souvent envie de lui indiquer naïvement le remède à tous ses
maux : se délivrer de ses richesses, alors qu’on ne saurait offrir au
pauvre, malheureux, d’abandonner sa pauvreté6 ». Façon de
suggérer à l’auteur qu’il n’a pas su triompher de son sujet :
164
pénétrer trop avant, de se mettre à débrouiller l'homme comme à un
travail d'importance. Sorte de pédantisme à rebours qui ne permet de
penser que par allusion et en courant1. »
***
Au-delà des préjugés : la question coloniale — L’anti-
colonialisme est faiblement défendu jusqu’à la fin de la Première
Guerre mondiale. Les années 1920 voient la SFIO séduite par « les
vertus de l’assimilation », et le parti communiste connaître « des
accommodements tactiques »6. C’est donc « en marge des grands
1. Ibid.
2. Biologiste, humaniste, moraliste et vulgarisateur des sciences de la vie (1894-1977).
A « milité pour la vérité intellectuelle et pour celle du cœur » (cf. J-L FISCHER,
« Rostand, Jean », in Dictionnaire des intellectuels français, op. cit., pp. 1226-1227).
3. J. ALEXANDRE, « J. Rostand, La Loi des riches (Grasset 1920) », in LP, 21 mars
1923, p. 18.
4. Elle a connu cette situation chez ses parents, malgré leur peu de fortune
(cf. entretien réalisé en 1978, op. cit.).
5. J. ALEXANDRE, « J. Rostand, La Loi des riches (Grasset 1920) », in LP, 21 mars
1923, p. 18.
165
partis, dans l’intelligentsia de gauche, qu’il faut chercher les
contributions les plus critiques1 » : le groupe Clarté, le journal
Monde (tous deux animés par Henri Barbusse) et les surréalistes
(qui parlent du « brigandage colonial ») sont les principaux acteurs
de ce mouvement contestataire. Les Libres propos y participent tout
en apportant certaines réflexions contradictoires, notamment, dans
le cadre d’un manifeste d’Henri Barbusse, sur le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes, dont Alain souligne le danger pour les
sociétés inorganisées, encore privées en elles-mêmes de droits
réels2. Décolonisées, ne seraient-elles pas aussitôt les proies de
« quelques individus entreprenants »? Ce serait « sacrifier toute
liberté pour sauver la liberté »3. Nous verrons que Jeanne Alexandre
tiendra un discours analogue. Mais la différence entre une pensée
moderne et une pensée classique ne passe-t-elle pas aussi par le
langage? Maurice Halbwachs, pendant la Première Guerre
mondiale, en faisant référence aux soldats coloniaux, trouvait
« effarant cette invasion d'hommes de races inférieures » et
s’inquiétait des naissances illégitimes qu’elle entraînait : « Notre
peuple est-il à ce point vidé, diminué, à bout, qu'il lui faille remplir
ses intervalles de cette matière humaine de second ordre », écrivait-
il à sa femme en 19174. Romain Rolland lui-même ne distingue-t-il
pas, dans « Au-dessus de la mêlée », les peuples "inférieurs" des
peuples européens "supérieurs"5, lorsqu’il reproche « aux gardiens
de la civilisation » de faire appel « à tous les barbares de l’univers »,
« à ces hordes sauvages »6. Si ce classement des peuples est « banal
pour l’époque7 », force est de constater qu’il n’apparaît jamais chez
Jeanne Alexandre8. Il n’est pas moins intéressant d’observer le
166
parallèle qu’elle établit entre cette discrimination et celle qui touche
les femmes lorsque le Sénat aborde la question du suffrage féminin :
167
reprenant les mots de Lucie Couturier : « Ils nous ont fait crédit
d'une tendresse immense, dont la dette nous semble lourde à l'égard
du monde, depuis qu'ils sont morts1 ».
« Comprendre les âmes », saisir « l’insaisissable objet
humain »2, cette nécessité vaut aussi au-delà des frontières, et Léon
Werth s’y emploie dans Cochinchine. « Révolte d'individu, blessé
dans l’instant, en son être à lui, par l'injure faite à un autre être de
même forme », écrit Jeanne Alexandre, en l’opposant à la Route
Mandarine de Roland Dorgelès « qui s'indigne en socialiste contre la
mainmise capitaliste sur les richesses du pays, mais trouve « très
drôle d'être traîné par un pousse aux pieds cornés »»3. Aussi, « la
laideur des maîtres, les forts, les riches, infatués, durs, grossiers, et la
beauté des esclaves, fruit de pauvreté, de dignité et de souffrances »
semblent inverser les valeurs si communément admises : « Les
Annamites sont-ils donc supérieurs aux Européens colonisants, par
leur distinction, leur réserve, leur mystère, par l'harmonie paisible et
la grâce de leur être? ». La question qui prévaudra à la fin des années
trente se pose alors d’elle-même : « Comment songer à comprendre
les autres, surtout "humiliés et offensés", si l'on ne commence par se
donner tort à soi-même, comme la politesse l'exige, Geste
chevaleresque, mais aussi condition de la connaissance des
hommes4 ».
Autre preuve d’un changement des mentalités, le Voyage au
Congo d’André Gide, au cours duquel « la quête du pittoresque [fait]
place au sentiment de l'humanité5 ». Il est chaleureusement salué
par Jeanne Alexandre qui s’étonne néanmoins qu’il ait fallu, à
l’auteur, voir « des hommes tout nus pour découvrir les stigmates de
la misère, de la maladie, de la faim, et les cicatrices des coups6 ! » :
168
s'apercevoir que le luxe des riches est acheté par les injustes
souffrances des esclaves1 ! »
1. Ibid.
2. « Je ne pouvais prévoir que ces questions sociales angoissantes, que je ne faisais
qu’entrevoir, de nos rapports avec les indigènes, m’occuperaient bientôt, jusqu’à
devenir le principal intérêt de mon voyage, et que je trouverais dans leur étude ma
raison d’être dans ce pays. » (cité par J. Alexandre, ibid.).
3. J. ALEXANDRE, ibid.
4. « Partisan résolu des entreprises coloniales de la France » (cf. M. MARTIN,
« Le Temps », in Dictionnaire historique de la vie politique française au XXe siècle,
sous la dir. de J-F SIRINELLI, PUF, 1995, p. 1190).
5. J. ALEXANDRE, « A. Gide, Voyage au Congo », in LP, août 1927.
6. J. ALEXANDRE, « A. Gide, Le Retour du Tchad (NRF, 1928) », in LP, juin 1928,
pp. 287-289.
7. Ibid.
8. Ibid.
169
En juillet 1929, elle salue Jean-Richard Bloch, dans Cacahouètes
et bananes : « un des rares écrivains de ce temps qui savent aimer les
hommes, les aimer tels qu'ils sont et de toutes couleurs, sans
illusions, sans airs blasés, sans vantardise non plus de n'être pas
blasé1 ». Vient ensuite le « beau livre » d’Edward Morgan Forster,
Routes des Indes, dévoilant l'injustice quotidienne qui oppose des
« hommes supérieurs, les occupants, les blancs, les Anglais » à des
« hommes de seconde qualité » : « Le préjugé de race, la seule forme
vraiment vivante de la vanité nobiliaire est étalée là en toute sa
cruauté insultante et sa sottise »2.
1930 est « l’année coloniale », « non certes par les fêtes du
Centenaire algérien qui n'ont intéressé personne, mais par la révolte
de l'Inde, par les émeutes d'Indochine3 ». Et à l’instar de Charles
Renouvier4, Jeanne Alexandre veut dénoncer « l'hypocrisie qui
prétend confondre devoir et intérêt » :
« [...] si les Blancs sont les tuteurs des peuples encore enfants, qu'ils
colonisent alors pour les indigènes et non pour eux. Si au contraire
les colonies sont les dernières terres de cocagne [...] où l'on peut
s'enrichir vite [...], il faut oser se réclamer de la violence. [...] Force et
intérêt, ou bien devoir et droit, il faut choisir5. »
170
toute faite aux pays des Merveilles », qu’elle est « nourrie de chair
humaine, livre pour livre »1. Récit d’atrocités qui fait dire à Jeanne
Alexandre qu’il « n'est assurément qu'une atrocité, toujours la
même, qui est de faire de l'homme un instrument, chair à travail,
chair à plaisir, chair à canon » :
« Dès qu'on veut user d'un homme comme d'un animal, il faut le
traiter plus mal que l'animal, en marchandise inférieure aisément
renouvelable. [...] C'est ainsi que certains entrepreneurs décident
d'user à mort leurs coolies durant les trois ans du contrat.
Vérification nouvelle, s'il en était besoin, de l'axiome politique de
Jean-Jacques : dès qu'on admet le moindre degré d'inégalité entre les
hommes — et c'est bien là l'essence du colonialisme — il n'y a bientôt
plus aucune mesure commune entre le maître et l'abject matériel
humain2. »
171
En 1931 paraissent les reportages de Louis Roubaud, Vietnam, la
tragédie indochinoise, et d’Andrée Viollis, L'Inde contre les Anglais,
qui « comptent parmi les rares journalistes qui savent remplir leur
mission1 ». « Tous deux, au même moment, en face de la même
tragédie, mais sur deux théâtres différents, [...] ont été pénétrés par
[...] la gêne d'être pris pour des colons par les indigènes ». Andrée
Viollis, à Bombay, prise pour une anglaise et menacée d'être jetée à
l'eau par les nationalistes, s’écrie : « Comme je les comprenais! ».
Cependant, la question sur le droit des peuples reste entière :
« Qu'arriverait-il, demande Andrée Viollis, si l'Inde, clef de voûte de
l'édifice britannique, se détachait? Ne serait-ce pas l'Asie, l'Europe,
le monde entier en mouvement et en conflit? Qu'arriverait-il,
demande Louis Roubaud, si la France quittait l'Indochine? Quelle
ruée de convoitises, quel déplacement de peuples2 ! ».
***
Pour un retour aux valeurs simples et fondamentales — Parmi
les tendances autour desquelles s’organise la littérature d’après-
guerre3, symptomatiques le plus souvent d’une volonté d’échapper
au monde réel, la littérature d’évasion, en dehors des romans
d’aventure4, s’inspire volontiers du monde paysan et ouvrier. Un
univers représentant 8% des critiques de Jeanne Alexandre et qui
n’est pas sans l’attirer les premières années. Si ce choix de livres est
le résultat d’une hostilité relative au capitalisme, il semble aussi
dériver de l’idée que la pauvreté peut « change[r] et amplifi[er] la
résonance humaine d’une œuvre5 ».
« L'amour de la civilisation paysanne traditionnelle et la
certitude de sa permanence à travers les générations sont parmi les
constantes de l'idéal politique et moral d'Alain6 » écrit André Sernin.
Et peut-être que l’influence du "maître" n’est pas étrangère à la
172
sensibilité citadine de Jeanne Alexandre pour le monde paysan.
Néanmoins, au-delà du principe d’évasion, cette littérature est aussi
le moyen de souligner les injustices, a fortiori dans un pays de forte
ruralité1. Dès le mois d’août 1921, « la vie paysanne et la misère »
qu’Ernest Pérochon dépeint dans Les Creux-de-Maisons2, la
« secoue d'une révolte personnelle » :
173
« [...] c’est la matière même de l’œuvre qui s’attache ainsi à nous; des
mots qui s’efforcent, en artisans, vers les choses, et qui gardent
souvent la couleur et l’odeur du marais; mots techniques, mots
populaires, dialectique briéron; des ciselures cachées, récompense
du regard qui s’attarde; de courts tableaux achevés jusqu’au
cadre1 [...] »
174
Jean Giono, La Table-aux-Crevés1 de Marcel Aymé, Vieille France2
de Roger Martin du Gard. De fait, elle n’y trouve pas l’humanité
espérée, et l’exercice cesse de l’intéresser à partir de 1933.
De la même façon, les romans populistes n’auront pas ses
faveurs. Elle fait de cette école littéraire — fondée en 1929 par Léon
Lemonnier et André Thérive — « le revenant du naturalisme : furtif
et sans couleur, en tant que revenant, bâtard de l'art et de la science
en tant que naturalisme ». Dans Hôtel du Nord et Petit-Louis
d’Eugène Dabit, « ces êtres poussés comme des choses, sans pensée,
ni vers eux-mêmes, ni vers le monde » manquent manifestement
d’humanité3 :
175
Martin Maurice ne fait pas mieux, dans Heureux ceux qui ont faim,
développant une « banale critique de la société, adoratrice du veau
d’or1 ». Et pourtant, « le travail et les travailleurs, quels objets pour
la pensée2 ! ». C’est pourquoi, elle applaudit, en 1935, Les Damnés de
la terre d’Henri Poulaille, non seulement parce que ses héros ont
enfin une âme et se détachent de la foule, mais aussi parce qu’une
question fondamentale vient d’être posée :
176
suite apparue [à Maurice de Vlaminck] comme la déchéance de
l'individu, le signe de la richesse retranchée en sa souveraine
paresse1 » : « Tournant dangereux pour ce qu'il faut bien appeler
civilisation. Trop vite! Le mouvement vous emporte qui n'est
qu'essentielle passivité2 ! ». C’est aussi ce que Jules Romains
exprime dans Le Dieu des corps, nous montrant des hommes
étourdis et stupéfaits par les objets de la science3, ou ce que Marc
Elmer dénonce « avec pathétique », en introduction à La Machine4
de Rabindranath Tagore : le péril du machinisme universel qui
préparerait sinon la fin du monde, du moins la fin de l'humanité5.
Mais quand Un philosophe dans les bois est traduit en 1930, elle
n’approuve pas qu’Henry D. Thoreau rompe ainsi avec l’humanité.
S’il y a de l’optimisme chez lui, elle voit autant de misanthropie :
177
Les affres de la condition humaine
178
« Enfants knoutés, femmes piétinées, battues à mort, haine
meurtrière entre enfants et parents, entre compagnons de travail,
eau-de-vie, vermine, maladies, injures, vices, et à travers tout cela,
les petits toujours humiliés, méconnus, repoussés1. »
179
Français », et qui, comme Léonid Andreïev et Maxime Gorki, décrit,
dans Les Moujiks, cette « même misère séculaire, arrêtée et fixée [...]
au comble d'elle-même » : « Condamnation de la vieille société aussi
péremptoire que les Tragiques de Gorki »1. Celui-là même dont
« toute la pensée et l'œuvre [sont] incessante méditation sur le
miracle de sa propre évasion de la misère2 ». En gagnant mon pain
prolonge ce voyage commencé dans l’adversité3 et inspire à Jeanne
Alexandre cette conclusion laconique : « Tous les autres maux
seraient vite guéris si les hommes ne se piétinaient pas les uns les
autres ». Et comme la jeunesse prépare l’avenir, elle conseille aux
enfants Le Rosier d’Hermina zur Mühlen, en 1932, afin qu’ils ne
parlent pas des pauvres « comme d’une espèce créée tout exprès,
comme le chien ou le cheval4 » et recommande aux plus riches
d’entre eux l’appel Au secours de Marc Bernard : « livre précieux
pour [leur] apprendre la misère, moins difficile d'accès que Pierre
Hamp, moins atroce que Neel Doff »5.
Neel Doff est l’auteur d’Angelinette qui montre « la vie misérable
d’une petite fille d’Amsterdam que la faim pousse à la
prostitution6 » :
180
d’Eugène Le Roy dont elle ne fait que suggérer la lecture. Tous deux
navrent et secouent, mais la première affuble la misère d’inutiles
habits de hasards1. La misère peut se passer du romanesque, écrit
Jeanne Alexandre. C’est aussi ce qu’elle reproche à Emile Burnet,
dans Loin des icônes, qui aborde « avec véracité et humanité » le
« grand sujet » des émigrés; celle de la colonie russe débarquée à
Tunis sur quelques épaves de la flotte de Wrangel, le chef de
l’ancienne armée blanche. Mais son roman s’alourdit d’une
« psychologie convenue » et d’un drame d’amour « sans imprévu » :
181
Clairvaux, la Maison des morts [de Dostoïevski] semble presque
tolérable et accueillante1. »
182
Maxime Gorki, son œuvre faisant foi, est, pour Jeanne Alexandre,
le seul homme digne de confiance, susceptible de fixer l’opinion.
Aussi a-t-il donné, pour beaucoup, « une sorte de droit d'humanité à
la révolution », en se ralliant au bolchevisme vers novembre 1918.
Malheureusement, si en octobre 1917, il lui reprochait de précipiter
les choses, de négliger la fragilité d’un peuple au « passé de servitude
et d’obéissance », encore inapte à la « science de l’occident », ses
écrits n’apportent aucune explication sur son revirement subit de
1918. L’admiratrice suppose que son rôle de Cassandre a dû
s’incliner devant le parti d’agir, de construire et de croire1.
Néanmoins, un doute subsiste en filigrane, et les « hésitations » de
Jeanne Alexandre le poursuivent dans sa retraite sorrentine.
Du reste, « le parti pris des adversaires et des partisans du
bolchevisme favorise presque également la crédulité », écrit-elle à
propos des livres d’André Morizet, Chez Lénine et Trotsky, et
d’Odette Keun, Sous Lénine. Le premier fait l’apologie du
communisme, mais c’est « l’enquête d’un communiste guidé par des
communistes » : « Le plan de la société russe s'y dessine tel qu'il est
conçu par les chefs »2. Malgré tout, le livre « instruit » et permet à
Jeanne Alexandre, qui souligne les « velléités de libres critiques »
consenties par l’auteur, de « réaliser ce que chacun sent
confusément » : « les organismes sociaux fonctionnent en Russie
comme partout et [...] les ressemblances avec les sociétés non
communistes l'emportent sans doute sur les différences ». Odette
Keun est plus critique, même si elle n’accuse pas directement le
bolchevisme, « sauf aux instants de frénésie anti-policière ». Et si
Jeanne Alexandre émet des doutes sur ses capacités à sonder
l’opinion sans parler le russe, elle reconnaît la force de son portrait
des « multitudes épuisées »3.
Sans qu’elle prenne clairement position, le début des années 1920
la montre plutôt favorable aux bolcheviques, et les « invectives
contre Lénine et Gorki » de Léonid Andreïev dans les fragments de
son journal semblent l’irriter, sinon l’attrister : « nous n[’en]
saurions tirer aucune aide pour comprendre la Révolution russe4 ».
1. Ibid.
2. J. ALEXANDRE, « A. Morizet, Chez Lénine et Trotsky (La Renaissance du livre,
1922), et O. Keun, Sous Lénine (Flammarion, 1922) », in Libres Propos, 24 juin 1922,
pp. 23-24 (II).
3. Ibid.
183
Le portrait qu’elle fait de Gorki, à l’occasion de la parution de Ses
Souvenirs, dont une part est consacrée à Léonid Andreïev, nous
instruit sur le degré de son attachement :
184
proche de l’opposition trotskyste, malgré la prison et les peines qui le
menacent1.
***
L’espoir persistant — Lénine est mort, en janvier 1924, l’année de
la fin de la première série des Libres propos. A la reprise du Journal,
en 1927, sait-on si le régime s’est durci en Union soviétique, et
comment Staline, secrétaire général du parti, impose ses vues? Le
regard de Jeanne Alexandre continue de scruter en direction de
l’Est : « Quels sont les Français pour qui la Russie ne se dérobe pas
en un mystère redoutable et séduisant, où se complaît la paresse de
pensée », écrit-elle à l’occasion de la lecture de La Porte du Sauveur
d’Etienne Burnet. La société russe « en formation » qu’il lui donne à
voir lui paraît déjà « chancelante ou éphémère »2. Mais il lui reste
toujours un fond d’espérance qui l’oblige à protester du « vague
relent de propagande anti-révolutionnaire » qu’elle décèle dans les
écrits de Joseph Kessel sur la Russie, alléguant que « jamais [Gorki]
n'a pu être utilisé à la propagande par aucun gouvernement, même
communiste »3.
Les choses se précisent en 1928, avec le retour d’URSS d’Andrée
Viollis, de Luc Durtain et de Jacques Lyon. Jeanne Alexandre
rappelle, en introduction, « qu’on n’a pas le droit de détourner
indéfiniment sa pensée de la Russie. D’autant moins que la
déclaration d’ignorance : « Nul ne sait ce qui se passe en Russie », si
commode et d’allure honorable, n’est plus permise »4. Et de
l’accumulation des témoignages « commence à poindre quelque
incontestable réalité. » Seule en Russie d’Andrée Viollis reste
« l’introduction la plus directe au nouveau monde russe » : « vue
d’ensemble, vue rapide, mais singulièrement nette et vivante. On en
a plein les yeux et le cœur »5. Luc Durtain, dans L’Autre Europe,
185
balance entre « le juge et le témoin », « et sa voix se nuance parfois
d’enthousiasme et de colère »1. La Russie soviétique de Jacques
Lyon, « sévère comme une planche d’anatomie », étudie, quant à
elle, les différentes classes de la société. Finalement, les trois
s’accordent sur la plupart des points :
« Partis « pour voir » non sans défiance, soucieux de rester sur leurs
gardes, allant droit aux plaies du régime — censure, guépéou, enfants
errants, enseignement d’Etat, etc. — et multipliant les critiques, ils
n’en sont pas moins « pris aux entrailles » par le spectacle d’un
peuple œuvrant sous le signe de la justice. La sympathie s’éveille en
eux, mieux, le respect. Ils reconnaissent dans le bolchevisme
« criminel » une religion nouvelle qui une fois encore s’efforce de
changer le monde2. »
186
serait qu’une caricature de l’industrialisme des États-Unis » : « un
des visages du capitalisme poussé à bout »1.
Quant au Voyage en Russie de Georges Duhamel, auquel répond
Russie 1927, c’est un témoignage qu’elle juge sans grand intérêt,
d’« une indulgence coupable2 » à l’égard du régime. Ainsi, comme
on le voit, outre le récit du prince de Rohan, Moskau, qu’elle propose
chaleureusement à la traduction, pour ses « esquisses [...]
étrangement serrées et précises »3, elle adopte plus volontiers les
conclusions qui entretiennent l’espérance. Ce choix la démarque
d’Alain, qui certes « se garde de juger la République des Soviets4 »,
mais qui n’y place aucune espérance : « L’esprit ne vaut rien et ne
peut rien en ces tragiques abstractions. [...] Toute révolution dissipe
un trésor de sagesse et de volonté ».
Dès lors se succèdent des témoignages contradictoires qui
n’altèrent que difficilement l’optimisme de Jeanne Alexandre. Seul
Maxime Gorki, dont l’« œuvre n'est qu'un acte de foi dans le peuple,
un sacre du peuple5 », pourrait la désolidariser de la cause
bolchevique : « On dit qu'il va séjourner en Russie, afin d'observer et
de décrire l'ordre nouveau. Attente émouvante, car c'est lui le vrai
juge, s'il en est [...] C'est l'homme libre, imprenable6 », écrit-elle à
l’occasion de son analyse des Cafards. C’est en vain qu’elle attendra,
mais sans que son jugement ne s’émousse pour autant. Ainsi
attaque-t-elle les Faits divers d’Henri Barbusse qui « s’efforc[e] de
prouver la vérité du communisme par les martyrs rouges » : « toute
secte a naïvement et vainement usé de ce moyen [...] ou faut-il dire
comme Bossuet que les martyrs chrétiens prouvent la vérité du
Christ, et les martyrs protestants leur propre et damnable
obstination? »7.
187
Le premier écrivain à jeter le trouble est Fédor Gladkov, écrivain
prolétaire et bolcheviste. Le Ciment1 décrit la Russie nouvelle, en sa
vie quotidienne, dans une ville au bord de la Mer Noire : « l’usine en
ruine et le cœur de la ville arrêté, [...] le peuple qui croupit oisif et
misérable dans l’ordure, dans la maladie [...] malheureux, déçu,
ulcéré de méfiance [...] »2. Premier livre qui offre à Jeanne
Alexandre de voir « à cru la contradiction essentielle du régime qui
proclame la dictature du prolétariat, la prééminence des masses, et
qui ne subsiste que par l'action souveraine des individus ».
Néanmoins, « surprise agréable », cette publication « témoigne que
la censure soviétique est bien moins intolérante qu'on ne croyait »3.
Constatation qu’elle réitère en février 1931, à l’occasion de Terre
russe d’Albert Rhyss Williams. Quant au « livre de furieux, qui se
contente de sonner la charge » de Panaït Istrati, Vers l'autre flamme,
Jeanne Alexandre n’y voit que « de beaux cris, d'aigres racontars,
beaucoup de boniments »4 qui la confortent dans une confiante
expectative :
188
« Staline c'est la partie lourde de la révolution, qui assure le retour en
arrière, permet le sommeil, l'arrêt, premières conditions pour bâtir
peut-être; Trotsky c'est la torche dans le vent, secouant, répandant
ses flammes. Qu'arriverait-il si on laissait la torche brûler jusqu'au
bout1 ? »
189
« trompe-l'œil » : « Le peuple russe a fait mentir bien des prophètes.
Ceux qui prétendent l’expliquer ou le guider sont vite réduits à
balbutier »1. C’est pourquoi, elle choisit de « reprend[re] foi en la
grande aventure de justice » en lisant les auteurs russes,
malheureusement trop rarement traduits, mais dont elle connaît « la
loyauté et véracité des témoignages »2. Ainsi se plonge-t-elle avec
bonheur dans La Communauté des gueux de Fedor Panferov, dans
Cavalerie rouge d’Issak Babel, dans le Journal de Kostia Riabtzev
de Nicolas Ognev, qui mêlent l’espoir à la souffrance d’une voix
égale3. Et d’autres lectures de s’offrir au jugement, parmi lesquelles
celle de Rhyss Williams, A travers la révolution russe, une apologie
qui ne la convainc guère, ou L’An I de la Révolution Russe de Victor
Serge, livre d’histoire, « un peu sec et froid », jusqu’aux Artamov de
Maxime Gorki qui offre là, par sa représentation de la bourgeoisie,
« de quoi justifier la révolution »4.
En octobre 1931, à la lecture du livre de Gina Lombroso5,
Industrialisme et syndicalisme : La Rançon du machinisme, dont
elle regrette la « négation un peu trop radicale de la tentative
[communiste de] créer un autre monde économique »6, elle salue la
« pensée forte [...] libre » et explosive, « qui donne du pied dans tous
les dogmes et toutes les routines »7. Le doute prend alors le pas sur
l’espoir persistant, dès 1932, dernière année consacrée à la
révolution, avec un ultime coup de grâce en 1935.
190
***
Le communisme redouté — Applaudi par Romain Rolland,
Maxime Gorki franchit le pas et confirme avec Eux et Nous qu’il
« s’est enrôlé dans la révolution1 ». Alors qu’il n’avait rien publié sur
la nouvelle Russie, ce que Jeanne Alexandre interprétait comme un
acte d’honnêteté intellectuelle, il revient, « sans l'ombre d'une
réserve », célébrer le gouvernement actuel de la Russie et l'œuvre du
plan quinquennal :
191
En octobre 1932 lui parvient le témoignage « sans prétention
prêcheuse, [ni] servilité de propagande » de Léonid Léonov, Les
Blaireaux, qui montre une Russie délivrée, mais toujours sombre, en
proie à ses éternels démons1. Quant à Klimt l’enfant, de Maxime
Gorki, il déçoit ceux qui attendent de lui la révélation de « la qualité
humaine de la Russie nouvelle »2 :
« Nous avons tout conquis et tout s'est dérobé à notre prise. Nous
avons conquis le pain et c'est la famine. Nous avons déclaré la paix à
l'univers las de la guerre, et la guerre s'est installée dans chaque
maison. Nous avons proclamé la libération des hommes, et il nous
faut des prisons, une discipline de « fer » [...] et nous sommes des
porteurs de dictature. [...] Nous avons fondé la République du Travail
et les usines meurent, l’herbe y croit dans les cours. Nous voulons que
chacun donne selon ses forces et reçoive selon ses besoins; et nous
voici privilégiés au sein de la misère générale, puisque nous avons
moins faim que d’autres6. »
192
peloton d'exécution », Jeanne Alexandre se croit « reporté[e] au
temps de l’homme au couteau entre les dents » et n’y voit qu’un
« refus de comprendre »1. Lorsqu’il « vante la liberté de l'individu en
régime capitaliste », elle lui rétorque que c’est avec « la servitude et
la misère d’autres individus » qu’on la paye2. L’on peut douter du
communisme, mais sans forfanterie.
Victor Serge, de nouveau arrêté le 8 mars 19333, les Libres propos
participent activement au comité de soutien organisé par
Magdeleine Paz4. Ses dernières illusions s’envolent sans doute à
cette occasion, et elle n’abordera plus la question, sinon en 1935,
avec Les cloches de Bâle de Louis Aragon, n’y voyant qu’un écrit de
propagande5.
L’idée d’Alfred Fabre-Luce selon laquelle le bolchevisme ne serait
qu’une « caricature de l’industrialisme des États-Unis » s’est
répandue. Pierre Drieu La Rochelle la reprend en 1928, dans Moscou
ou Genève. Pour lui, « la Russie [...] ne serait plus européenne. Elle
aurait vidé, puis rejeté l'utopie communiste, née en Europe au XIXe
siècle, et elle s'efforcerait vers une forme sociale nouvelle qui serait
au fond calquée sur les Etats-Unis6 ».
193
que Jeanne Alexandre accueille les œuvres critiques ou
apologétiques de cette nouvelle puissance mondiale.
***
Le culte de l’argent — Nous savons la méfiance que les Alexandre,
à l’instar d’Alain, nourrissent pour l’argent. Le modèle américain, tel
qu’il est véhiculé dans les années 1920, assimile au contraire la
réussite à la fortune. C’est du moins ce qu’inspire à Jeanne
Alexandre la sortie médiatisée en librairie des œuvres1 de Jack
London, parmi lesquelles Croc-Blanc et L’Amour de la vie :
***
194
Pièges et attraits de la civilisation industrielle — Comme pour la
révolution bolchevique, c’est par la lecture des témoignages et des
études ramenées de Etats-Unis que Jeanne Alexandre veut se forger
une opinion. Dès 1928, elle trouve dans Les Etats-Unis
d'aujourd'hui d’André Siegfried, matière à réflexion, ce livre faisant
« écho à l’un des grands débats de cette fin des années 1920 et du
début des années 1930 sur la portée du nouvel industrialisme et du
machinisme face aux valeurs traditionnelles1 ». L’histoire des Etats-
Unis ou « l’impossible expérience sociologique2 », écrit Jeanne
Alexandre :
« [...] pays neuf, peuple neuf [dont] l’avènement a coïncidé avec celui
de l’âge positif, science et machinisme; ils ont tout fait eux-mêmes,
sans mystères, presque sans tâtonnement, leurs routes et leurs
temples, leurs lois et leur société même. [...] Ce monde humain [...]
est-il supérieur à la vieille bâtisse européenne, née de ruines
innombrables et fabuleuses, pétrie d’erreurs? Doit-il devenir un
modèle3 ? »
195
messages de paix de Wilson et l’idée de la guerre hors la loi »1, ce
« nouvel évangile2 », écrivait-elle un an plus tôt.
Le problème ouvrier aux Etats-Unis d’André Philip, économiste
et intellectuel socialiste3, secoue plus vigoureusement ce « dogme de
la science appliqué impérieusement à la vie4 ». Le machinisme,
produit de science, serait donc proposé par les Américains comme
un absolu, servant également de barrage à l’immigration. Mais
l’accusation principale porte sur le taylorisme qui mettrait en « péril
l’indépendance et la personnalité des travailleurs », leur ôtant
« l’initiative » et « les connaissances techniques qui faisaient leur
fierté » :
196
77,22 fois plus de chance de devenir millionnaires que les fils des
autres familles » ? Jeanne Alexandre veut croire que toutes ces
données sont grossies par l’indignation du socialiste chrétien, et elle
place ses espoirs entre les mains des Hobos, ces travailleurs libres
« dont beaucoup ont lu Thoreau et Whitman », qui sont une
« protestation vivante contre le Dieu confort » et qui « rassurent sur
l'identité humaine en ce monde ». Même impression de caricature,
de réalité défigurée, à la lecture des deux ouvrages critiques de Luc
Durtain, Quarantième étage et Hollywood dépassé, qui viennent
compléter, par l’étude du loisir et du plaisir en Californie, le travail
d’André Philip1.
Mais inversement, elle n’est pas plus crédule au témoignage
d’Henri Dubreuil, Le Travail américain vu par un ouvrier français,
mécanicien et fonctionnaire CGT « revenu tout exprès des Etats-
Unis » pour « prêcher un nouvel Evangile, de confiance absolue dans
le progrès scientifique, industriel et social » :
197
tête le récit d’un étudiant ouvrier de la banlieue parisienne, Arnold
Brémond, qui décrit dans Une explication du monde ouvrier, l’enfer
industriel auquel l’ouvrier français est lui-même exposé :
Car, après tout, « qui donc est sûr [...] de résister à des tentations
placées si bas — avoir chaud, aller vite — qu’on se craindrait ridicule
d’y résister? ». Et Jeanne Alexandre de s’interroger sur la réalité
même du mal : « Est-il bien vrai que les Américains soient un peuple
d'automates, hantés par la seule idée de leur propre perfection [...] ?
La civilisation et l'humanité sont-elles menacées de sombrer dans un
gouffre mécanique3 ? ». La réponse se trouve dans Babbit de Sinclair
Lewis, et dans le succès colossal de « ce livre standard d’un peuple
standardisé », car « si les Américains se reconnaissent en cette
peinture, c’est qu’ils se connaissent, c’est qu’ils ne sont pas cette
198
humanité nouvelle, marquée au signe du contentement de soi1 [...] ».
Et la confiance retrouvée, elle peut alors écrire :
***
Les grands créateurs
1. J. ALEXANDRE, « S. Lewis, Babbit (Stock, 1930) », in LP, nov. 1930, pp. 532-533.
2. Ibid.
3. J. ALEXANDRE, « A. Huxley, Le Meilleur des mondes », in LP, juin 1933, op. cit.
4. J. ALEXANDRE, « Auguste Comte et Basile », in LP, novembre 1931, pp. 530-535.
199
par Auguste Comte, aidera Alain à supporter l'humanité réelle1 »
écrit André Sernin, et ce qui est vrai pour Alain est souvent vrai pour
Jeanne Alexandre. Ainsi ce culte est-il célébré au fil des Libres
propos dans la rubrique « Anniversaire », inaugurée le 23 avril 1921.
Mais la célébration des grands hommes étant aussi l’affaire des
biographes, Jeanne Alexandre est attentive à leurs travaux, tout en
leur réservant ses plus vives critiques. L’hommage à Proust en 1923,
publié par la NRF juste après la mort de l’écrivain, soulève pour la
première fois la question de l’impudeur. Car passé la joie de la
lecture, Jeanne Alexandre garde « un arrière-goût de tristesse, un
regret de curiosité satisfaite » :
200
l’occasion, pour Jeanne Alexandre, de redéfinir sa conception de la
biographie, en insistant sur cette idée que trop souvent « le
biographe sépare intentionnellement la vie de l’œuvre ». Ce qui est
privilégier le commun aux dépens de la grandeur :
201
collectivité, de l’initiative personnelle et de la nécessité sociale1 »? Et
Jeanne Alexandre de poursuivre : « Que savez-vous d'un homme, de
cet homme dont vous parlez plus sûrement que de vous-même, ô
romancier biographe2 ». Mais les bonnes intentions ne suffisent pas,
comme elle l’écrivait l’année précédente, et Lucien Febvre « est resté
pris » dans « l’appareil historique qu’il a essayé d'ébranler » :
« Et c'est Henri Lavedan qui nous raconte cette vie-là. Il faut les voir
face à face, le rude apôtre, destructeur de toute hypocrisie, et le vieil
202
académicien repenti et confit. [...] Oui, ce livre nous apprend à mieux
connaître l'esprit d'académie et de sacristie! Grâces fleuries du style,
chatteries et homélies dévotes, rhétorique douceâtre, flatteuse, qui
bat l'eau pour empêcher de voir au fond et rompre toute pensée, quel
art d'envelopper, d'amortir le scandale! [...] Rien qui puisse donner à
penser que la charité à la Saint-Vincent-de-Paul ouvre la route de la
justice, et que le vrai révolutionnaire de son temps, c'était lui1. »
203
***
Les romans de voyage et d’aventure — Si la littérature d’évasion
proprement dite est moins sujette à polémique, elle n’en demeure
pas moins l’une des plus lues, et constitue, par excellence, le
« refuge » d’un public désireux d’échapper au quotidien. Sa part
d’humanité, du reste, et les valeurs universelles qu’elle recèle la
rendent non moins propre à l’exercice du jugement. En décembre
1922, Jeanne Alexandre salue les Romans de la Table Ronde en leur
nouveau rédacteur, Jacques Boulenger1. Le mois suivant, c’est Lord
Jim de Joseph Conrad qui sollicite sa pensée :
204
« Conrad est à l'opposé de Luc Durtain et de Pierre Hamp, qui
acceptent passionnément le monde actuel, et s'y veulent homme. De
quel côté est l'artifice? Pour notre malheur peut-être faut-il répondre
que c'est du côté de Conrad, et c'est en quoi son œuvre nourrit notre
faim d'aventure. Les aventures de notre temps, elles sont au
battement d'ailes des voiles d'Alain Gerbault, plus qu'au ronflement
mécanique de l'avion1. »
***
Pensée et poésie — Pour Jeanne Alexandre, en dehors d’Alain,
qu’il lui est "interdit" de louer dans les Libres propos, Paul Valéry est
ce « poète philosophe », cette « sagesse artiste » qui alimente sa
pensée. Eupalinos ou l'architecte est un « monde de lumière et de
silence, de précision et de rigueur où l'esprit célèbre ses fêtes. [...]
Nulle autre fin que de penser et toutes les joies rassemblées là. C'est
dire la distance [...] entre un tel livre et la littérature ambiante et
quotidienne2 ». Mais, contrairement à Alain, Paul Valéry ne sera pas
à l’abri de la critique. A propos de cet ouvrage, elle avoue sa gêne
« d'entendre Socrate s'exprimer par un autre que Platon, et même se
renier », et dans Variété, elle lui reproche d’accepter par instant
« une différence d'essence entre les hommes d'une part, les savants
et les penseurs de l'autre3 ».
Parmi les penseurs qu’elle estime, certains ont marqué l’entre-
deux-guerres, comme Albert Thibaudet avec La République des
professeurs, dont elle apprécie « le ton si alerte qu’il en est parfois
sautillant » :
205
morale et valeur spirituelle à cette idéologie républicaine que, depuis
vingt ans, tout écrivain convenable aurait rougi de ne pas tenir pour
morte et enterrée. Signe neuf1. »
206
simples citoyens, pour qui ce livre fut écrit, savent assez obstinément
se le passer de main en main1 ». D’où l’on voit le caractère toujours
social de la pensée, même la plus élevée. Ainsi en est-il de La
conspiration au grand jour d’Herbert George Wells dont « le
détour par l’imagination n'a finalement été qu'un moyen de se faire
la main et l'esprit, pour le travail réel, pressant, travail de prolétaire
et, si l'on veut, de socialiste : changer le monde où nous sommes,
l'homme que nous sommes2 ».
1. Ibid.
2. J. ALEXANDRE, « H. G. Wells, La conspiration au grand jour (Editions
Montaigne, 1929) », in LP, mars 1929, pp. 145-148.
3. Ibid.
4. cf. J-J BECKER, S. BERSTEIN, Victoire et frustrations, op. cit., p. 377.
5. J. ALEXANDRE, « Romans français récents », in LP, septembre 1929, pp. 442-448.
6. Ibid., p. 443.
207
joyeusement, le vrai de l'homme ou des choses — surprise que ne
réservent jamais Giraudoux ou P. Morand1. »
208
« Par filiation ou par rencontre, Virginia Woolf se trouve être comme
un exemplaire féminin de Marcel Proust. Avec des différences; plus
de simplicité, une entière propreté, mais de la mièvrerie, mais une
évidente complaisance à la confusion d'idées et une naïve fatuité à
faire de la paresse d'esprit la condition de toute grandeur de
sentiment1. »
Ce qui lui fait « redouter d’avance ses disciples, s’il en doit être! ».
Mais pour Jeanne Alexandre, la référence Outre-Manche reste, sans
conteste, le poète et romancier George Meredith (1828-1909) dont
les œuvres « égalent Stendhal, Balzac, Tolstoï », écrit-elle à propos
de Diane, de la Croisée-des-chemins2. Un attachement
compréhensible lorsqu’on sait la perspicacité de l’auteur dans la
compréhension de la psychologie humaine, vertu recherchée,
attendue, espérée par Jeanne Alexandre, à chaque lecture.
***
Ses analyses embrassent une grande partie du paysage littéraire
de l’entre-deux-guerres, et il serait fastidieux d’en donner ici un
développement exhaustif. Notons néanmoins, dans la multitude de
ses choix, l’absence d’ouvrages et d’auteurs passés à la postérité.
Certes, certains collaborateurs la suppléent, de 1927 à 1935, dans sa
redoutable entreprise critique; ainsi Thomas Mann est-il placé en
d’autres mains. Néanmoins, le gros des critiques porte sa signature,
et l’on peut légitimement s’interroger, par exemple, sur l’absence de
Stefan Zweig, de Raymond Radiguet, de Roger Vitrac, d’André
Breton et du mouvement surréaliste en général, à l’exception de l’un
de ses pionniers, Philippe Soupault, dont deux livres sont présentés
en mai 1924, Le Bon apôtre et A la dérive. Jeanne Alexandre en
souligne, à cette époque, la « jeunesse au paroxysme » :
209
homme, tant il a honte de l’ignorance et de la verte nouveauté de son
âge; revenu de tout avant d’avoir été nulle part. [...] L’action? La
pensée? Pour qui nous prenez-vous? Point de jugement; le oui ou le
non nous engage : le crime égale ce qu’on appelle la vertu, et il ne vaut
pas plus. [...] L’amour est curieusement absent de ces pages; et voilà
comment le jeune éphèbe se trouve délivré de la pornographie1 ! »
210
C HAPITRE VI
Guerre et littérature
***
Témoignages, entre l’outrance d’une réalité et le mensonge — Si
la littérature de guerre est nécessaire pour tenir les consciences
1. Cité par ALAIN, « Paix sur la terre », in Propos I, Gallimard, op. cit., p. 464.
éveillées, elle a un devoir de justesse et de sobriété que sert le
documentaire, mais qu’un roman peut facilement outrepasser.
Jeanne Alexandre sait gré ainsi à Jeanne Galzy d'avoir résisté à la
tentation du roman pour raconter la vie des malades dans Les
Allongés1. En mars 1931, Du témoignage de Norton Cru, réduction
de Témoins qui a déjà soulevé la tempête en 1929, répète « aux
patriotes, aux pacifistes, aux anciens combattants que leur vérité sur
la guerre [est] un mensonge » :
« Il a eu contre lui ceux qui aiment la guerre, mais plus encore ceux
qui la haïssent, et qui ont éprouvé comme une injure qu'on veuille
imposer des limites à l'expression de cette haine. [...] Cette outrance,
il la poursuit non parce qu'elle rend injuste, mais parce qu'elle ôte de
la force contre la guerre. [...] Sa devise est, on le sait : si vis pacem
para veritatem2. »
212
d’Henri Barbusse, malgré « son idée admirable de comparer la
vision d’une offensive de l’Etat Major à celle d’un planton », donne
pourtant raison à Norton Cru :
***
Une propagande pour la paix — Les ouvrages inspirés de la
Grande Guerre sont très nombreux tout au long des années vingt et
trente. On relève deux temps forts dans les choix de Jeanne
213
Alexandre, l’un au début de l’année 1924, juste avant la victoire du
Cartel des gauches, et l’autre en 1931, année de l’entrée dans la crise
et du gouvernement de Pierre Laval qui travaillera au
rapprochement franco-allemand1. Cette profusion de livres, dont
nous ne donnerons qu’un aperçu, participe de la propagande
pacifiste, à l’instar du Valet de gloire de Joseph Jolinon qui écrit là
« le livre du simple soldat [...] non volontaire [...] pacifique par tout
son corps2 », du Chef de René Lalou qui va « là où [la guerre] est la
plus abstraite, dans la pensée [de] ce tragique bourreau [qui]
prétend porter en [lui] toute l'humanité3 », des Sept dernières plaies
de Georges Duhamel qui par le biais d’une salle d’hôpital montre « la
vérité sur la guerre4 », des « pages terribles » de Jean Schlumberger
dans Les Yeux de dix-huit ans où l’on trouve « l’un des meilleurs
commentaires aux chapitres de Mars sur l'inhumanité essentielle au
système militaire »5. Propagande utile et toujours insuffisante,
commente Jeanne Alexandre à l’occasion de la sortie de A l'Ouest
rien de nouveau d’Erich Maria Remarque :
214
En juillet 1930, profitant de la sortie de La Paix inconnue et
dolente1 de Georges Pioch qui « à côté de Romain Rolland, et parmi
quelques autres, Séverine, Charles Gide, Merrheim, Martinet,
Ermenonville [a été] à l'extrême pointe de ce combat pour la paix »,
elle évoque les poésies et les pamphlets qui ont fleuri dans l’ombre de
la guerre. A la fin de l’année suivante, parmi les livres de guerre qui
continuent à passer par « la trouée que le succès d’A l'Ouest a
ouverte », Jeanne Alexandre note l’efficacité d’Après, du même
Erich Maria Remarque, qui reprend le sujet de Clarté de Henri
Barbusse, à dix ans d’intervalle, tout en soulevant l’« intolérable
scandale du tombeau sous l'Arc de Triomphe2 ».
Les femmes s’emploient également à renouveler l'acte
d'accusation, en la personne de la Britannique Helen Zenna Smith
qui dans Pas si calme offre un « Jugement cruel de femme à femmes
[...] qui cingle comme un fouet3 ».
En 1932, Les secrets de la censure pendant la guerre de Marcel
Berger et Paul Allard témoignent des vertus du « mensonge officiel »
en temps de guerre : « résistances individuelles ou collectives,
émeutes de femmes, trains de munitions renversés, tentatives de
grève, erreurs, légèretés, fautes des chefs — tout cela étouffé,
aboli4 ». Et le même Paul Allard de présenter Les dessous de la
guerre, révélés par les comités secrets, laissant le lecteur découvrir
« le ridicule shakespearien d'hommes qui supportaient de
s'assembler gravement pour organiser la folie5 ». En août 1934, alors
que l’affaire des masques à gaz bat son plein, Julien Gonnet
rassemble dans Gonnet déserteur « tout ce qui fait la guerre contre-
nature et contre raison6 ». Espoirs de Léo Ferrero est le dernier livre
à être évoqué par Jeanne Alexandre au sein des Libres propos. Livre
d’amour décrivant l’entrée de l’Italie dans la Première Guerre
215
mondiale, il prend, en août 1935, alors que le pacte franco-soviétique
de février vient d’ébranler la paix, une couleur particulière,
exprimant « avec une déchirante sincérité le sentiment d’un destin
trop lourd et trop sévère1 » pour la jeunesse.
***
Dissonances — Mais parmi la soixantaine d’ouvrages sur la
guerre présentés par Jeanne Alexandre, certains, en dépit de leurs
qualités, ne sonnent pas comme elle voudrait. Ainsi de Georges
Gaudy, dans Verdun et le Chemin des Dames, qui conçoit la guerre et
la célèbre comme « l’expression même du devoir »2, ou de Joseph
Kessel dont le héros principal des Captifs regrette la guerre, « parce
qu'alors, sans paradoxe, vivre était facile » :
Le rapprochement franco-allemand
216
rapprochement entre les peuples. Peu de temps après Erich Maria
Remarque, dont nous avons déjà évoqué le succès, elle découvre avec
enthousiasme Classe 22 d’Ernst Glaeser, qui révèle les similitudes
entre les peuples lancés en guerre :
217
Parmi les « trop rares témoignages de femmes contre la guerre »,
Adrienne Thomas donne, avec Catherine Soldat, un roman « assez
banal », mais un livre de guerre « indigné » et « accusateur », qui
comme Classe 22 montre que, dans les deux pays, « la guerre a été la
même horreur et la même sottise »1. En revanche, lorsque l’éditeur
"supplie" le lecteur, dans son avertissement, de « ne pas prendre
ombrage à voir traiter trop librement la question des origines de la
guerre », Jeanne Alexandre, ébahie, s’interroge : « En l’an de grâce
1933! N’ont-ils pas lu le livre qu’ils publient? ou bien si, l’ayant lu, ils
en restent à la doctrine de la Sorbonne et du Kaiser à pendre, à quoi
bon le publier2 ? ».
***
Pour une bonne intelligence du problème franco-allemand —
Déjà en 1910, dans La Grande illusion, Norman Angell s’appliquait à
démontrer « que le travestissement du voisin en étranger et en
ennemi » était l’illusion première : « Pensée [...] bafouée et comme
ensevelie dans l’orage » à laquelle ont succédé « quatre années d'une
guerre sauvage et bientôt quatre années d'une fausse paix,
presqu'aussi meurtrière pour les populations d'Europe. Guerre
stérile, paix stérile, toutes deux dominées par la même grande
illusion », écrit Jeanne Alexandre en janvier 1922. La même année,
comme en préface à l’expédition de la Ruhr, Henri Lichtenberger,
professeur d’histoire à la Sorbonne, écrit L'Allemagne d'aujourd'hui
dans ses relations avec la France. Au travers de son « tableau
contrasté des opinions moyennes et des croyances en France et en
Allemagne », il apparaît que « refuser confiance et respect à
l’adversaire, refuser de confronter son opinion avec la sienne, c’est
peut-être bien renoncer du même coup à la vérité. A la paix en tout
cas »3. Cri d’alarme couvert quelques semaines plus tard par « les
clairons de l’armée franco-belge de "stationnement" »4.
Le Dieu est-il Français? de Friedrich Sieburg illustre
parfaitement la difficile réconciliation franco-allemande et la
218
nécessaire confrontation des opinions. C’est la traditionnelle
prétention française de se mettre « à la tête de la République
Occidentale », de l’avis d’Auguste Comte lui-même, qui inspire « le
conseil de savoir-vivre » que Sieburg tente de donner, « avec mille
détours de courtoisie » :
219
Européens, on en éprouve la même stupeur qu'à la négation de
l'évidence. A voir les tentatives en partie réussies des conservateurs
et des nationalistes pour ruiner l'œuvre entreprise, et la vigoureuse
défense des démocrates allemands, la stupeur se change en honte et
en remords. [...] Puisse ce remords ne pas se pétrifier en vain regret
sur l'occasion perdue1 ! »
1. Ibid.
2. J-F Sirinelli évoquera sa « précoce reconversion » (cf. J-F SIRINELLI,
« Les disciples d’Alain en guerre mondiale », in Génération intellectuelle..., op. cit.,
pp. 590-632).
3. J. ALEXANDRE, « France-Allemagne », in LP, novembre 1931, pp. 511.
4. J. ALEXANDRE, « P. Viénot, Incertitudes allemandes (Valois, 1931) », in LP,
novembre 1931, pp. 511-513.
5. Cité par P. VIÉNOT, ibid.
6. Inaugurée en mai 1931 par Gaston Doumergue.
220
si incertain, qu’il faudrait tout faire pour éclaircir en priorité les
problèmes franco-allemands. Les Libres propos s’y consacrent sans
relâche depuis le premier succès de Hitler aux élections législatives
de septembre 1930, informés régulièrement de la situation par leurs
"envoyés spéciaux" : Raymond Aron, mais également Simone Weil
qui livrera ses « impressions », tout au moins, jusqu’en 1933. Cette
volonté de dialogue, qui est aussi respect et amitié, les pacifistes
intégraux la réclament depuis le traité de Versailles, dont ils ont
toujours demandé la révision. Cette volonté est le fondement même
de la paix durable, tant promise par la guerre. C’est pour l’avoir
dédaignée que la France s’expose de nouveau à l’Allemagne qui
s’avance. Dès lors, pourquoi les pacifistes intégraux changeraient-ils
d’opinion vis-à-vis de l’Allemagne et de la guerre quand ceux-ci sont
le fruit d’une erreur dénoncée durant vingt ans? Pourquoi la raison
se soumettrait-elle quand l’arrogance n’a jamais fléchi? Leur
obstination à refuser la guerre est aussi celle qui s’est épuisée à
l’annoncer.
Préparer la paix
« Le malheur est que la guerre est la seule action politique qui soit
faite virilement. Tout ce qu'on fait pour la paix, on veut le faire couché
ou abrité. Il y avait des risques à occuper la Ruhr. Il y a des risques à
221
déclarer la paix; on ne le fait point. [...] Qui osera faire la paix comme
on fait la guerre? Regardons bien. L’homme de la guerre n’obéit pas
aux situations, mais plutôt il les force, obéissant à lui-même. Au
contraire, l’homme de la paix obéit aux situations, il n’ose point
risquer quelque chose; il oublie ses serments; il dit seulement qu’il
aurait bien voulu et qu’il n’a point pu. [...] D’où vient cela? Sans
doute, de ce que personne ne croit qu’on puisse faire l’œuvre de paix
sans courage1. »
222
qui, en 1914, avait déjà déclaré : « tout était prêt pour la guerre... rien
pour la paix1 ». Erreur qui ne semble pas trouver d’alternative avec le
temps, comme le pressent Jean Guéhenno, le 15 avril 1935, dans
Europe : « Commettrons-nous la même faute que nos aînés? La
faute des hommes de quarante ans en 1914 n'est pas d'avoir voulu la
guerre, mais de ne pas avoir voulu la paix2 ».
Mais si l’effort des pouvoirs publics est insuffisant, y a-t-il une
action propre aux pacifistes, susceptible de les entraîner, de les
pousser à l’action? En juillet 1935, les Libres propos reproduisent un
article de François Crucy paru à L’Information sociale. L’exemple à
suivre ne viendrait-il pas d’Angleterre où les pacifistes ont réussi à
organiser, en 1935, un scrutin pour la paix : le « peace ballot »? C’est
le conservateur Lord Robert Cecil, l’ardent animateur de l’Union des
associations britanniques et futur président avec Pierre Cot du
Rassemblement universel pour la paix (RUP, septembre 1935), qui
est à l’initiative de ce projet de référendum, portant sur cinq
questions relatives à l’action pour la paix3. Là encore, n’est-ce pas le
signe d’une action contre l’inertie des hommes et des institutions qui
ont en charge le maintien de la paix? Malgré l’opposition de la
chambre des Communes qui y voit une manœuvre pour lancer
prématurément la campagne électorale, le référendum a lieu, grâce
au zèle de six cent mille volontaires, de quatre grands journaux et de
trente-huit sociétés4. Les résultats sont annoncés le 27 juin 1935, où
l’on apprend que le scrutin a réuni plus de 11,6 millions de suffrages,
soit « l’immense majorité de la population adulte en Grande-
Bretagne5 ». Mais l’action pour la paix, ce n’est pas uniquement
réagir efficacement face au danger, chose que l’on aurait pu attendre
d’une Société des nations. Il est essentiel de préparer
convenablement l’avenir, et cela ramène en partie à la question du
traité de Versailles.
1. JOUVENEL, cité par P. Cot, lui-même cité par N. Ingram, « L'envers de l'entre-
deux-guerres en France...», in M. Vaisse (dir.), Le pacifisme en Europe, op. cit., p.36.
2. J. GUEHENNO, cité par J. Alexandre, Esquisse..., op. cit., p. 122.
3. F. CRUCY, « Le scrutin de la paix », in LP, juillet 1935. 1) Faut-il rester membre de
la SDN. 2) Êtes-vous pour au contre une réduction des armement par accord
international, 3) l’abolition de l’aviation militaire, 4) le trafic d’armes, 5) une action
internationale contre un agresseur.
4. C. DREVET, in L’Ecole Emancipatrice, article du 20 juillet 1935. Cité par F. Crucy.
5. F. CRUCY, « Le scrutin de la paix », in LP, juillet 1935.
223
En France, résume Jean-Pierre Biondi, la « dénonciation »
constitue l’action privilégiée des pacifistes français : « tribune
parlementaire, brochures, conférences, chroniques, mémoires,
dessins et photographies, représentations artistiques, films,
causeries ou débats radiophoniques, aucun lieu, aucune technique
de communication n'a été [...] négligée »1.
***
L’enfance et l’éducation — Les pacifistes, pendant la Grande
Guerre, dénonçaient déjà les dangers des tendances bellicistes dans
l’éducation des enfants. Les livres de classes n’en ont pas moins été,
à l’issue des hostilités, « pétris de violence et de haine », écrit Jeanne
Alexandre dans un article intitulé « Pour la Paix par l'Ecole », à
l’occasion d’une « campagne pour le rapprochement des peuples par
les livres scolaires »2. Et si l’enquête de la dotation Carnégie,
appuyant certains instituteurs, a contribué, en 1921, à faire avancer
la réflexion, Jeanne Alexandre insiste pour que chacun médite sur la
lutte menée par quelques instituteurs « de la hardie Fédération
unitaire de l'enseignement laïque », laquelle groupe à peine le
douzième des maîtres. Jules Prudhommeaux, président de La Paix
par le Droit, s’applique à raconter, dans une brochure, l’histoire de
ce combat « contre le gouvernement et l’opinion ». « Las de gémir
contre un régime », ces mêmes instituteurs se sont avisés, vers 1923-
1924, qu’ils en étaient les responsables3. Ils décident alors de choisir
librement les livres scolaires qu’ils jugent convenables, et ce en vertu
de l’arrêté du 18 janvier 1887. Attitude pleinement en accord avec les
principes de la philosophe alinienne : « A moi la faute! telle est
l'étincelle initiale de toute action4 ». Une liste de livres est ainsi mise
à l’index, et de nouveaux ouvrages sont mis en chantier. Par exemple,
une Nouvelle histoire de France, écrite par un groupe de professeurs
et d'instituteurs de la Fédération de l'enseignement, paraît en 1927
aux éditions de L'Ecole émancipée; Jeanne Alexandre note son
impartialité pour l’exposé des grands faits, mais aussi ses
compléments sur des points « souvent négligés : le prix des guerres,
les conditions du travail, les grandes espérances des masses...». Si
1. J-P BIONDI, La Mêlée des pacifistes (1914-45), M. & Larose, 2000, p. 60.
2. J. ALEXANDRE, « Pour la Paix par l’Ecole », in LP, octobre 1928, pp. 474-478.
3. Ibid.
4. Ibid.
224
bien que « l'enfant est amené à réfléchir bien plus souvent qu'il n'est
catéchisé ». Les éditeurs, de leurs côtés, sensibles au boycott
annoncé, s’accordent pour collaborer à la refonte. L’opération porte
ses fruits. M. Charrier, inspecteur du primaire, se dit prêt à
s’amender si son éditeur y consent, reconnaissant que « quelques-
unes des lectures de [ses] livres ne sont plus "à la page"1 ».
De son côté, le puissant Syndicat national des instituteurs2 (SNI)
décide de faire jouer à son tour les lois de l’économie, sur lesquelles
les maisons d’éditions fondent pragmatiquement leur politique :
« Achetez mon papier, j'y imprime ce que vous voulez. Achetez mon
acier, rail ou obus, que m'importe! Ô consommateur responsable et
souverain3 ! ». Dès lors, en août 1926, au congrès de Strasbourg, le
SNI adopte le rapport Lapierre qui jette l’interdit sur vingt-six livres
scolaires; le 25 juin dernier, l’accord avait été conclu sur le plan
international avec l’Association générale des instituteurs allemands.
La Fédération internationale des instituteurs est née à cette
occasion, à Amsterdam, rappelle Jeanne Alexandre :
1. Ibid.
2. Ce syndicat comptera 100000 membres en 1937 (cf. J-P BIONDI, La Mêlée des
pacifistes (1914-1945), op. cit., p. 108).
3. J. ALEXANDRE, « Pour la Paix par l’Ecole », in LP, octobre 1928, op. cit.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. L’Ecole Emancipée, citée par J. Alexandre, ibid.
225
Mme Dès (Nathan). En revanche, des livres écartés jusqu'à présent
comme trop pacifistes sont de plus en plus en usage. Mais le résultat
le plus important, pour Jeanne Alexandre — « signe d'un
changement d'autant plus profond qu'il est inavoué » — ce sont les
nouvelles éditions expurgées :
226
qui dans son ébauche de programme d’éducation ouvrière prend le
parti de l’enfant et du peuple1, et signale L'aventure de Pierrot au
pays des génies de Roger Pillet, œuvre inachevée, mais dans laquelle
« l'enfant et le maître y trouveront vivante matière, pensée d’homme
et bonne volonté d'homme2 ». La même année, c’est le Projet de
bibliothèque par âge qui est évoqué avec la publication, par L'Ecole
émancipée, d’une liste d'ouvrages pour la jeunesse, « précieuse bien
qu'imparfaite », mais qui vient compléter celle d’Albert Thierry.
Quelques années plus tard, après l’interruption des Libres propos,
Le Rameau d'Olivier, contes pour la paix3 de Madeleine Vernet est
vivement recommandé, bien qu’il soit aussi un livre sur la guerre :
227
continuité, a rarement été découverte et chantée avec tant de force
enthousiaste1. »
1. J. ALEXANDRE, « R. Kipling, Puck, lutin de la Colline », in LP, février 1932, op. cit.
2. J. ALEXANDRE, « H. zur Mühlen, Le Rosier », in LP, février 1932, op. cit.
3. J. ALEXANDRE, « F. Challaye, Contes et légende du Japon (Nathan, 1931) », in LP,
fév. 1932, p. 118.
4. Editions de la Mère Educatrice, 1933.
5. J. ALEXANDRE, « Livres d’étrennes », in LP, décembre 1933, p. 659.
228
d’autre que la paix, ce qui la distingue sans doute de la majorité des
féministes pour qui le suffrage apporte, avant tout, l’égalité des
droits. Rares sont les associations féministes, telle la LIFPL, qui
n’ont que la paix pour objectif. Déjà en 1915, la Lettre aux femmes de
La Haye précisait : « Les femmes se sont groupées pour réclamer
leurs droits, mais leurs revendications s'inspirent d'une idée plus
désintéressée, la raison profonde du féminisme c'est la volonté de
faire, en empêchant la guerre, une humanité juste et meilleure1 ».
Pour Jeanne Alexandre, nous l’avons dit, si les femmes n’amènent
pas la paix avec leurs bulletins, le suffrage perd sa raison d’être :
229
« Le dogme de l’infériorité de la femme par rapport à l’homme a été
brillamment affirmé au cours des récents débats du Sénat sur le droit
de suffrage. Adversaires et partisans du vote des femmes ont été
unanimes pour reconnaître qu’avant toute chose il faut prouver que
les femmes sont capables d’exercer un contrôle politique1. »
***
De la nature des femmes — Evoquant les articles du Populaire du
Centre, Christophe Prochasson présente Jeanne Alexandre comme
totalement privée de « sensibilité féministe ou de sensiblerie
féminine3 ». Elle a néanmoins, malgré le bellicisme des féministes
pendant la Grande Guerre, la conviction que la nature des femmes
est incompatible avec la guerre. Madeleine Vernet, avec qui elle
partage bien des combats, offre, à cet égard, « l’archétype de la
pacifiste "biologiste" »4, écrit Françoise Blum. Et si Marcelle Capy et
Jeanne Mélin, « à un degré moins systématique », partagent aussi
cette idée que « l’expérience maternelle amène naturellement au
pacifisme », Jeanne Alexandre, quant à elle, a un « discours plus
subtil, plus nuancé »5. Elle admet l’importance de la nature
féminine, mais elle voit aussi la paix comme le fruit de l’égalité et de
la justice : « Combien de croyances meurtrières viennent de ce qu’on
oppose encore les deux moitiés de l’humanité, selon un rapport de
supérieur et d’inférieur. Il n’est d’humanité que double6 », écrit-elle,
en 1927, à l’occasion de son analyse des Femmes en guerre de
Fernand Corcos qui s’interroge sur la nature « pacifique ou
belliqueuse » des femmes et sur « leur avènement à la politique »
comme « gage de paix? ».
230
« L'image de la femme en guerre paraît et se dérobe, équivoque,
grimaçante et grimacière, confuse surtout. Mais en cette confusion,
c'est la faiblesse qui se montre, l'entraînement, la soumission, la
passion, la sottise. Vision tragique et grotesque. L'angoisse sert la
gorge devant les petites oies qui partent en croisade pour débaptiser
l'eau de Cologne en eau de Louvain, devant les furies qui refusent du
lait aux enfants allemands; sans parler des "héroïnes" qui mirent la
main à tuer des hommes. Séverine a reproché à Fernand Corcos
d'avoir trop mollement signalé les tentatives de quelques femmes
françaises pour résister à la guerre. Y insister n'eut fait qu'assombrir
encore le tableau en permettant de mesurer combien les femmes
pacifistes ont été pauvres, non seulement en nombre, mais même en
courage et en foi. Oui, ce livre porte un témoignage écrasant contre
les femmes, et on aurait bien souvent envie de souscrire au jugement
si sévère de Charles Gide, tel qu'il est rapporté à la fin du volume :
« Non, je ne crois pas que le pacifisme ait rien à attendre de la
participation des femmes aux gouvernements. [...] Ce sont les
passions beaucoup plus que les intérêts qui déclenchent les guerres :
les femmes plus encore que les hommes subissent l'impulsion des
passions. Durant la dernière guerre, elles ont été les plus empressées
à accueillir de part et d'autre les imputations les plus atroces contre
l'ennemi, et les dernières à accepter la reprise des relations avec l'ex-
ennemi »1. »
1. Ibid.
2. Ibid.
231
Ainsi, « plus qu’en une nature féminine », c’est bien au « devenir
d’un genre humain qui saura reconnaître et admettre sa part
féminine »1 qu’elle veut également croire. Quant aux articles de
Jeanne Alexandre, du Populaire du Centre aux Libres propos, il est
frappant d’en constater la masculinité, sinon la neutralité de genre.
Rien qui ne permette d’attribuer son discours à une femme plutôt
qu’à un homme. Et il serait certainement intéressant d’en
déterminer l’exception ou la généralité, dans le cercle de la
« génération intellectuelle » féminine de l’époque. Du reste, la part
accordée à la littérature féminine est assez faible dans l’ensemble :
9% des analyses de Jeanne Alexandre concernent des auteurs
féminins, dont une petite moitié de Françaises. Cela reflète-t-il
uniquement le déséquilibre de la production littéraire de l’époque?
Certains ouvrages ne sont pas même cités, comme Mon voyage
aventureux en Russie soviétique (1922) et La Femme vierge (1933)
de Madeleine Pelletier (1922) ou Le Code de la femme (1926)
d’Yvonne Netter. La lecture comparative de ses critiques montre, à
n’en pas douter, une préférence pour les ouvrages masculins, certes
plus nombreux, mais aussi plus largement analysés. Ce sont souvent
de courtes présentations qui accompagnent ses commentaires des
ouvrages "féminins", et rares sont les femmes dont les livres
suscitent chez elle un enthousiasme propre à inspirer de larges
commentaires. Marie Lenéru2 et Lucie Couturier3 paraissent
privilégiées en 1921-1922, la première voyant son Journal placé
entre celui du marquis de Vauvenargues et celui de Henri Frédéric
Amiel. Mais la modernité de Virginia Woolf, dont elle reconnaît la
force, lui inspire toujours quelques courtes réserves, que cela soit
avec Mrs Dalloway4, La Promenade du phare5 ou Orlando6.
Jugement réservé pour Les Allongés de Jeanne Galzy, dont elle salue
l’intérêt, mais regrette les « esquisses légères aux traits déliés, au lieu
232
de l'écrasante cathédrale qu'il faudrait à l'expression de la douleur
nue1 ». Excellentes, mais très brèves critiques pour l’Hiver de
Camille Mayran2 et L'Age heureux de la norvégienne Sigrid Undset,
premier prix Nobel féminin, dont les personnages féminins font la
plupart des œuvres3. Fugitive découverte de Poussière de la jeune
britannique Rosamond Lehmann4, ou de David Golder d’Irène
Nemirovsky5, adapté l’année suivante par Julien Duvivier. Très
critique à l’égard de romancières britanniques comme Mary Webb
ou Clemence Dane, dont elle ne goûte pas l’antiféminisme6, mais
pleine d’admiration pour l’antiféministe Gina Lambroso lorsqu’elle
s’attaque à la civilisation industrielle. Peut-être n’est-ce qu’une
question de sujets. Colette elle-même peine à la séduire; les héros de
La Chatte « ne [l’]intéressent ni ne [l’]émeuvent » : « Ils ne sont trop
visiblement qu'un prétexte pour exprimer l'immense, l'insondable
misanthropie de Colette »7. A laquelle elle préfère Marcelle
Sauvageot, qui, dans Commentaires, a même le privilège d’évoquer
« la funèbre réalité du sanatorium [...] avec plus de force et de
cruauté » que Thomas Mann. Où l’on voit que la pensée de Jeanne
Alexandre est tout entière à la souffrance des hommes. Néanmoins,
l’idée de la connaissance des femmes ne lui est pas indifférente, et
bien que consciente qu’« il faudrait quelque Platon femelle, pour [...]
décrire suffisamment cet autre thorax, mieux lié au ventre, cet autre
honneur, cette autre pudeur, et cette autre mathématique8 », elle
n’est pas sans curiosité critique pour l’« Antigone éternelle » de
Romain Rolland qu’elle retrouve dans L’Âme enchantée9, pour la
Diane10 de George Meredith, la femme « moralement aussi bien que
233
physiquement mère des temps à venir »1 de Herbert George Wells,
ou la Lise des Hauts Ponts de Jacques de Lacretelle, dure et
indifférente à l’amour2. Le particularisme du "féminisme" de Jeanne
Alexandre n’est pas étranger à son parcours au sein de la section
française de la Ligue internationale de femmes pour la paix et la
liberté3 (LIFPL).
***
L’expérience de la LIFPL — On se souvient de la rencontre en
1915 entre Jeanne Alexandre et Gabrielle Duchêne4. Les deux
femmes avaient été désignées par les femmes du Congrès
international de La Haye à la tête de la section française du Comité
international des femmes pour la paix permanente (CIFPP). C’est en
agissant au nom de ce comité qu’elles avaient provoqué le scandale
de la rue Fondary, à l’issu duquel la petite section, dont Jeanne
Alexandre était la secrétaire générale, s’était endormie en attendant
des jours meilleurs. Parallèlement à la conférence, qui s’ouvre à Paris
en janvier 1919, chargée d’élaborer les traités de paix, le CIFPP
décide d’organiser un premier congrès. Par nécessité, la réunion
pacifiste est convoquée à Zurich du 12 au 17 mai 1919, peu avant la
signature du traité de Versailles. Le Congrès, toujours présidé par
Jane Addams, rassemble des femmes de seize pays. Gabrielle
Duchêne se voyant refuser son passeport, c'est Andrée Jouve5 et
Jeanne Mélin qui y représentent la France6. Le CIFPP se transforme
à cette occasion en LIFPL. Gabrielle Duchêne devient vice-
présidente de la ligue et assure la présidence de la section française.
Jeanne Alexandre, nommée à Nîmes avec son mari pour la rentrée
1919, serait demeurée secrétaire générale, aidée d’Andrée Jouve et
234
de Jeanne Mélin1 selon Christine Bard. On notera néanmoins
l’absence de Jeanne Alexandre dans les papiers de Gabrielle
Duchêne, que cela soit à la BDIC ou à la BHVP. De son côté, la notice
du DBMOF précise que Gabrielle Duchêne est secrétaire générale de
la section française dès 19192. Quant à Norman Ingram, il ne l’inclut
pas dans le comité directeur de 1919, composé selon lui de Gabrielle
Duchêne, Camille Drevet, Andrée Jouve, Léo Wanner et Madeleine
Rolland3. L’absence de sources claires sur ce point ne nous permet
pas d’affirmer avec certitude l’implication de Jeanne Alexandre aux
premières heures de la LIFPL. Seule une lettre adressée à Gabrielle
Duchêne, du 6 juillet 1919, fait allusion à des « malentendus [...] dus
à la difficulté de se comprendre et de s’entendre de loin4 », s’agissant
d’un texte de protestation au traité de paix qu’elle aurait critiqué
assez vivement. Elle y fait également allusion à la constitution du
groupe et à sa survie :
1. Ibid.
2. M. DREYFUS et N. RACINE, « Duchêne G. », in DBMOF, op. cit., pp. 84-86.
3. N. INGRAM, op. cit., p. 251.
4. En juillet 1919, période de vacances scolaires, Jeanne et Michel Alexandre ont dû
quitter Lons-le-Saunier et s’apprêtent à rejoindre Nîmes, ville de leur nouvelle
affectation.
5. BMD, dossier J. Alexandre, lettre originale de J. Alexandre à G. Duchêne du 6 juillet
1919. Il est un fait que la section française ne brillera jamais par le nombre de ses
membres : 500 dans les années 1920, contre 5000 en Allemagne, 4000 en Grande-
Bretagne, 8000 au États-Unis et 10000 au Danemark, et qu’elle n’excédera pas 1700
membres en 1936 (cf. N. INGRAM, op. cit., p. 253).
235
partir de 1928, apparaît davantage sur les brochures de La Volonté
de Paix de Madeleine Vernet. Il est possible que la forte personnalité
de Gabrielle Duchêne l’ait dissuadée de trop s’impliquer au sein de la
ligue, à l’instar de Jeanne Mélin. Le silence de Jeanne Alexandre est
peut-être imputable en priorité à ses activités au sein des Libres
propos. Il est vrai que sa réapparition, en été 1935, coïncide avec la
fin de la « couverture » du Journal d’Alain.
En revanche, la ligne communiste de la politique de Gabrielle
Duchêne est sans doute la cause principale du retour de Jeanne
Alexandre sur le devant de la scène de la section française de la
LIFPL. La présidente, très active depuis 1919, revient en 1927 d’un
voyage en URSS qui amorce son virage politique. Dès lors se lie-t-elle
à des organisations nourrissant quelques sympathies pour le Parti
communiste français, comme le Cercle de la Russie neuve, la Ligue
contre l’impérialisme et l’oppression coloniale ou la Société des amis
de l’URSS1. Ses articles publiés, de 1929 à 1934, dans SOS, le bulletin
de la section française de la LIFPL, « ne laissent aucun doute sur son
orientation2 ». A la suite des événements du 6 février 1934, elle
engage alors de plus en plus délibérément la section française sur le
chemin de ses convictions communistes et antifascistes. A la suite du
pacte franco-soviétique de février 1935, à l’assemblée générale de
juillet, Jeanne Alexandre s’oppose, avec le groupe de Lyon, à la
politique du Front populaire :
236
trotskyste Berthe Joly, qui insiste pour défendre « les principes de la
ligue : contre toute Union sacrée, contre toute guerre1 [...] ».
Gabrielle Duchêne, consciente de l’enjeu2 et des désaccords
fondamentaux qui opposent les deux partis, menace d’exclusion le
bureau lyonnais le 26 février 19363. Menaces mises à exécution dès
le mois de juin, et confirmées par un vote peu orthodoxe, dont le
groupe lyonnais refuse le verdict. L’affrontement dure jusqu’au mois
de novembre 1937 qui voit une commission d’enquête, dont fait
partie Jeanne Alexandre, démontrer « l’illégalité du coup de force
réalisé par l’exécutif et sa secrétaire générale4 ». Mais malgré le
soutien des groupes de Rouen, de La Rochelle, de Nîmes, de
Montpellier et d’Arles, et malgré les conclusions de la commission
d’enquête, les exclusions sont maintenues. La faible section
française de la LIFPL perd ainsi près de la moitié de ses effectifs.
Jeanne Alexandre, fortement impliquée dans le conflit, tels que
l’attestent les procès verbaux des assemblées générales entre 1935 et
1937, devient, au sein de la ligue, l’une des principales
représentantes de la minorité pacifiste, dont elle rassemble les
membres, à l’occasion de l’assemblée générale du 9 et 10 juillet 1938,
pour former, en septembre 1938, la Ligue des femmes pour la paix :
5. 300 membres sur 1400, en 1936 (cf. V. DALY, op. cit., p. 120).
1. M. DREYFUS, « Des femmes trotskystes et pacifistes...», op. cit., p. 55.
2. M. Dreyfus souligne, dans son article, la correspondance entre cette « chasse aux
oppositionnels » à l’intérieur de la section française de la LIFPL et les grands procès
de Moscou qui s’ouvrent la même année (ibid., p. 60).
3. Ibid.
4. Ibid., p. 58.
5. En Vigie (1935-1939) devient le bulletin de la section française de la LIFPL, après
SOS (1930-1934) qui existait grâce au concours matériel d’une militante lyonnaise,
Léo Wanner.
6. M. DREYFUS, « Des femmes pacifistes durant les années trente », op. cit., p. 34.
237
rassemblant les anciens membres de la LIFPL opposés à Gabrielle
Duchêne : Magdeleine Paz, Renée Martinet, Thérèse Emery, Jeanne
Challaye1, parmi d’autres. Le groupe publie alors une brochure
dirigée contre la préparation des civils à la guerre des gaz, intitulée
La Mort masquée et « largement illustrée », laissant Paul Langevin2
contrôler la partie scientifique du texte3. Il ne semble pas exister
d’autres sources permettant d’en savoir davantage sur les activités
de la nouvelle ligue jusqu’à la guerre, ni à Paris, ni à Nîmes.
L’échec de la lucidité
238
L’année suivante, elle pense qu’« un redressement économique
rapide » pourrait pousser la bourgeoisie à se débarrasser de Hitler1.
Jeanne Alexandre, de son côté, essaye d’entrevoir l’Allemagne
par le biais de ce « jeune justicier de L’Affaire Maurizius2 », Etel
Andergast, que Jacob Wassermann fait réapparaître en 1929, à
vingt-deux ans, montrant, dans un livre « lourd de pensée et
d’angoisse », une « jeunesse allemande, affamée, oisive, vacillant
entre la débauche, le suicide et le crime »3. Moins pessimiste peut-
être, le livre de Vicki Baum, Lohwinckel en folie, qui dresse un
« tableau menu et attendri de l'Allemagne d'aujourd'hui, partagé
entre ses classes et ses castes, entre la tradition et l'intempérante
invention, résignée et tourmentée4 ». Des hommes donc, démunis,
désespérés, qu’elle regrette de voir méjugés dans L’Année des
vaincus d’André Chamson, qui semble concéder, en 1934, que « les
Allemands ne sont plus des gens comme nous », et envisager,
comme une « consolation désespérée, qui a trop servi il y a vingt
ans! », de sacrifier le présent au profit d'un « avenir sauvé »5.
Membre du Comité de vigilance des intellectuels antifasciste (CVIA),
aux côtés des aliniens, il fait partie de ceux qui s’opposent au
pacifisme intégral et provoquent l’éclatement du CVIA en 1936 :
« Partisan d’une intervention en Espagne, Chamson y effectue un
voyage en juillet 1937 [...] et en ramène un témoignage sur la guerre
où il pressent les risques de la généralisation du conflit6 ».
Quant au nazisme, Le Troisième Reich de Moeller van den Bruck
en donne la "philosophie" dans un livre « profond, confus, où se
mêlent la politique et la mystique, l'analyse conceptuelle et le
sentiment »7. Le dogme du National-socialisme semble être la
condamnation de la Social-démocratie qui a « trahi son pays à
Versailles et [...] ainsi gâché la révolution en Allemagne ». Si « la
239
pensée de Moeller van den Bruck [...] est celle de tout fasciste » —
« L'ordre par la révolution, l'avenir par le passé, la dignité par la
servitude [...] » — Le livre n’en demeure pas moins « fort, dense et
non méprisable »1. En revanche, de Mein Kampf, dont l’éditeur
allemand et Hitler n’auraient pas autorisé la traduction, seuls
quelques exemplaires d’une publication interrompue, nous dit
Jeanne Alexandre, auraient franchi les frontières2. Dans Hitler par
lui-même, d'après son livre Mein Kampf, Charles Appuhn donne un
résumé qui laisse une « impression apaisante, réconfortante
presque » :
1. Ibid.
2. J. ALEXANDRE, « C. Appuhn, Hitler par lui-même, d'après son livre Mein Kampf
(J. Haumont, 1933) », in LP, mai 1934, pp. 271-272.
3. Ibid.
4. Série de textes allemands (Librairie des Champs-Elysées, 1934).
5. H. Mann, La Haine : histoire contemporaine d'Allemagne, NRF, 1933.
6. J. ALEXANDRE, « C. Appuhn, Hitler par lui-même...», op. cit. Peut-être a-t-elle
déjà en tête le mot de Paul Valéry qu’elle citera en juillet 1935 : « Le complément
nécessaire d'un monstre, c'est un cerveau d'enfant ».
7. C. HAPPUHN, cité par J. Alexandre, ibid.
8. J. ALEXANDRE, ibid.
240
Pour Jeanne Alexandre, ce n’est que l’histoire qui se répète, dont
il suffit d’éviter les écueils : « Vieille histoire, celle du sauveur,
conquérant de son peuple et qui lui conquiert l'univers. Chacun
connaît la fin de l'une et de l'autre, de Pichrochole à Napoléon, et
peut se rassurer1 ». Et de saluer Le Temps du mépris d’André
Malraux qui, par son impartialité, en dépit de l’odieuse réalité des
camps de concentration, ne participe pas à « cette guerre d'opinion »
risquant « d'étayer, autant et plus que d'ébranler, le tyran ennemi de
l'humanité »2 ? « Quel profit les anti-dreyfusards n'auraient-ils pas
tiré de meetings tenus en Allemagne contre la barbarie de l'Etat-
major français! », continue Jeanne Alexandre. André Malraux
« décrit le juste », l’écrivain communiste, « mais ne veut pas décrire
le bourreau ». C’est, par la vérité, servir la justice3.
***
"Que chacun balaie devant sa porte" — En 1922, Jeanne
Alexandre présente Comment on mobilisa les consciences de
Georges Demartial, « histoire de la pensée commune, officielle,
nationale4 » :
1. Ibid.
2. J. ALEXANDRE, « A. Malraux, Le Temps du mépris (NRF, 1935) », in LP,
juillet 1935, pp. 310-314.
3. Ibid.
4. J. ALEXANDRE, « G. Demartial, Comment on mobilisa les consciences (Rieder,
1922) », in LP, 14 octobre 1922, pp. 36-39 (II).
5. Ibid.
6. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 60.
241
jusqu'à quand laisserons-nous à Hitler ce terrible avantage d'avoir
raison 1? ». Mais avec les années 1930 et à partir des émeutes du 6
février 1934, les Libres propos éprouvent comme un « immense
soulagement » : l’occasion est enfin donnée de « combattre
librement le fascisme, chez soi »2. « Que chacun balaie devant sa
porte » reprendront-ils en chœur, l’heure n’est définitivement plus à
accuser l’Allemagne. Hélas, c’est aussi, pour la petite équipe du
Journal, « dire adieu à la solitude, faire phalange, s'enfoncer dans la
foule, dans la mêlée »3. Petit à petit, les Libres propos deviennent
l’auxiliaire de Vigilance, l’organe du CVIA4. Jeanne Alexandre,
entraînée par le courant, présente, en novembre 1934, Demain la
France de Robert Francis, Thierry Maulnier et Jean-Pierre Maxence,
dans un article consacré aux doctrines du fascisme français. Après
leur avoir trouvé quelque talent à mordre l’Etat, la SDN et la morale
de Sorbonne, elle leur reproche de ne pas oser dire, comme Calliclès
ou Nietzsche, « la justice nous gêne »5 :
« Livre tapageur et, en fin de compte, livre cafard. [...] Ils nous
trompent sur la marchandise, laquelle n'est point neuve, mais très
vieille. Qu'ils aient le courage de dire "Hier la France" — la France
dont Maurras et Bainville administrent la momie. [...] En dépit de
l'appareil savant et du ton dogmatique, ces jeunes théoriciens du
fascisme français font penser aux marquis de Molière6. »
1. Le Temps du 29 oct. 1933, cité par Michel Alexandre, in LP, oct. 1933, p. 520 (n. 1).
2. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 109.
3. Ibid.
4. L’histoire de ce comité concerne en priorité Alain et Michel Alexandre, et il ne
semble pas que Jeanne Alexandre y ait participé de façon significative. Elle n’a pris
« d’initiative et de responsabilité que la dernière année [1939], et en marge », écrit-
elle dans le manuscrit remis à N. Racine. Sur le sujet, nous renverrons donc à
N. RACINE, « Le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (1934-1939).
Antifascisme et pacifisme », in Le Mouvement social, n° 101, oct. 1977, pp. 87-113.
5. J. ALEXANDRE, « R. Francis, T. Maulnier, J-P Maxence, Demain la France
(Grasset, 1934) », in LP, septembre 1934, pp. 470-475.
6. Ibid.
242
mal1 », formé par « cette innombrable classe moyenne, rurale,
terrienne, commerçante [...] à laquelle le publiciste Alain attache [...]
tant de prix »2. Mais « l’ours radical et républicain n’est pas encore
tué », proclame Jeanne Alexandre en réaction aux Heures héroïques
du Cartel de Georges Suarez, qui « se dépense, se prodigue,
s'épanouit au service de Tardieu », en « flatterie et [...] servilité
[...]»3.
A l’égard du fascisme, la double attitude d’Alain fait figure de
modèle. En avril 1931, après l’avènement de la République
espagnole, il s’interroge sur l’indivisibilité de la guerre et du
fascisme, nous raconte Jeanne Alexandre dans son Esquisse. A
l’égard du fascisme étranger, il préconise de « retenir les passions et
[de] chercher l’identité de toute dictature, de tout nationalisme4 » :
« [Le peuple allemand] a ses Barrès et Déroulède, sa Ligue des
patriotes5 [...] ». Quant au « fascisme chez soi, lutte sans merci6 » :
« [...] cet œil de l’homme libre n’est pas tendre, ni peureux, ni
tellement pacifique. Qu’on se le dise7 ». Ainsi, pour Jeanne
Alexandre, la défense contre le fascisme est-elle la même que celle
contre la guerre : « Que chacun veille là où il est »8. Et, en tenant
compte du recul dont nous disposons, toute l’ambiguïté du pacifisme
intégral repose sur ce constat que « beaucoup sont disposés à juger
[...] l’hitlérien » de la même façon que « l’hitlérien repousse le juif et
le met hors de l’humanité9 » : « Si les fautes de l'autre nous
autorisent à en commettre de pareilles, d'aussi injustes, d'aussi
folles, alors c'est la guerre10 [...] ». Ainsi convient-il, pour Alain, de
négocier avec Hitler, d’« amorcer la discussion sur tous les
points11 ».
243
Les « illuminés de la paix »
244
souffre alors de voir Gandhi « se durcir lui aussi dans l'attitude
éternelle du chef » et écrire : « Que chacun regarde la pendaison
comme une affaire ordinaire de la vie ». A la résistance passive,
Jeanne Alexandre oppose la foi de Jésus et, avec elle, l’idéal du
pacifisme intégral :
« La foi nouvelle, n'est-ce pas plutôt celle de Jésus, qui ne veut pas de
sacrifice sanglant, qui va jusqu'à repousser toute révolte temporelle,
source inévitable de violence et de meurtre, mais qui révèle au plus
humble sa puissance invincible par l'Esprit [...]. Oui, coopération à
tout prix, n'importe où, avec n'importe qui, tout de suite; l'effort
patient pour changer petitement, lentement, ce qui est, pour vivre
enfin et donner aux autres la permission de vivre. On peut bafouer cet
idéal épicier, ces hommes sans drapeaux, vomir les tièdes, les
modérés d'Irlande et des Indes, comme on vomissait hier les
modérés d'Alsace-Lorraine ou de Pologne. Mais la vraie foi n'est pas
fanatisme; et c'est elle la vraiment nouvelle doctrine : foi immédiate
en l'homme, sans épreuve sanglante, sans bouleversement extérieur,
foi en sa puissance réformatrice, foi en sa volonté tenace, artisane,
sans cri : foi en la vie. Même avec Gandhi n'en sommes-nous pas
toujours à l'âge théologique qui est l'âge de la guerre1 ? »
1. Ibid.
2. J. ALEXANDRE, « Coopération/non-coopération », in LP, 22 mars 1924, p. 429.
3. Ibid.
245
« La victoire de Gandhi signifie peut-être que quelque chose est
changé dans les rapports de peuple à gouvernements. La vraie
résistance à la guerre, les hommes d'Occident ne l'apprendront-ils
pas de ces foules sans armes qui, sous le grand soleil, se laissent ici
frapper, là mitrailler1 ? »
1. J. ALEXANDRE, « A. Viollis, L’Inde contre les Anglais », in LP, mars 1931, op. cit.
2. J. ALEXANDRE, « M. Gandhi, Ma vie (Rieder, 1931) », in LP, juillet 1931, p. 319.
3. Ibid.
4. N. INGRAM, The politics of dissent, op. cit., p. 318.
5. J. ALEXANDRE, « G. Dupin », in LP, novembre 1933, pp. 568-570.
6. « En juillet 1939, Michel Alexandre se retire de toute action militante », écrit M.-
J. Flamand (cf. M.-J. FLAMAND, En souvenir de Michel Alexandre, op. cit., p. 107).
246
« Les Alexandre sont encore absents de Paris. Il a trop mauvais
caractère lui [sic], pour que je me passe de leur autorisation. Il ne
sera pas question d’eux, tant pis. Giroux et le secrétaire d’Alexandre
au Comité de Vigilance prennent la responsabilité de les engager
malgré tout1. »
« [...] Ramenés soudain à Paris par une aventure odieuse (où la police
joue un rôle balzacien, du fait d’un tract dont on nous avait rendus
cosignataires sans nous consulter, ni même nous prévenir). D’où [...]
une période de trois semaines proprement infernale, non seulement
par la persécution effective (perquisitions, comparution et autres
éventualités quotidiennes), mais par le tourment d’avoir à refuser
des solidarités sympathiques, mais inadmissibles quand elles sont
forcées2. »
***
Sur les « 31 irréductibles », seul Louis Lecoin est arrêté3.
L’affaire, tel un ultime fiasco, sonne le glas de l’action politique des
principaux promoteurs du pacifisme alinien. Alain, satisfait de la
défaite en tant qu’Européen, se mure également dans une solitude
rendue plus profonde par sa paralysie4. La voix de Michel Alexandre,
son porte-parole depuis 1934, s’éteignant, celle d’Alain
s’accommodera de ce silence. Quant à Jeanne Alexandre, l’entrée en
guerre signe aussitôt la fin de sa vie militante.
7. Alain, Victor Margueritte, Marcel Déat, Germaine Decaris, Félicien Challaye, Vigne,
Georges Dumoulin, Georges Pioch, Lucien Jacques, Thyde Monnier, Giroux, Lecoin,
Charlotte Bonnin, Yvon et Roger Hagnauer, Vives, Marie Lenglois, Robert Tourly,
René Gérin, Maurice Wultens, Henri Poulaille, Marceau Pivert, Zoretti, Georges
Yvetot, Jeanne et Michel Alexandre, Robert Louzon, Hélène Laguerre, Léon Emery,
Henri Jeanson, Jean Giono (cf. BDIC, cote O Pièce 342 Rés).
1. L. LECOIN, cité par A. SERNIN, Un sage dans la cité, op. cit., p. 407.
2. M. ALEXANDRE, lettre du 21 octobre 1939 citée par A. SERNIN sans précision du
destinataire, ibid.
3. A. BECKER, Maurice Halbwachs..., op. cit., p. 335.
4. Terriblement affaibli depuis le milieu des années 1930, il a perdu l’usage de ses
jambes en 1938 (cf. A. SERNIN, op. cit., p. 186).
247
E PILOGUE
1939-1980
1. A. SERNIN, ibid.
2. Archives nationales, dossier personnel de Jeanne Alexandre, AJ 16 5831.
3. Papier sans signature et d’une écriture incertaine (proche de Michel Alexandre),
glissé dans la correspondance avec Henri Bouché. Nîmes, MS 801 V-1.
4. Les deux hommes ont eu une grande correspondance de 1923 à 1951 : plus de 230
pièces sont disponibles à Nîmes. Henri Bouché est « l’aviateur » des Propos d’Alain.
5. Lettre de M. Alexandre à H. Bouché. Nîmes, MS 801 V-1.
6. Ibid.
250
Quelques jours plus tard, Alain lui écrit : « [...] pratiquez
l’économie de mouvements selon Fontenelle, qui considérait que tel
est le moyen d’échapper aux diverses Morts. Excellent programme.
[...] Il s’agit de durer1 ! ». Il est assez étonnant de constater avec
quelle liberté, ou inconscience, Michel Alexandre entretient sa
correspondance, usant certes de quelques précautions élémentaires,
comme le défaut de signature, mais n’hésitant pas à mettre l’adresse
de l’hôtel en en-tête de ses lettres. On sent, par ailleurs, malgré le
confort relatif de sa retraite, que sa position reste fragile. Il l’exprime
à mots couverts, dans une lettre du 20 novembre 1942 :
251
du fonds Alexandre conservés à la BDIC. Condamné, entre autres, à
cinq ans d’emprisonnement, Léon Emery est libéré en mars 19461.
Dans le même temps, Michel Alexandre témoigne en faveur de
Félicien Challaye; le 12 juillet 1945, il adresse une lettre au Président
de la première Chambre civique devant laquelle son ami doit
comparaître2. « Nous sommes un peu comme les débris d’une volée
de perdreaux qui se rappellent, le soir, après l’ouverture3 », leur écrit
René Château en septembre 1945, après avoir été lui-même
malmené à la libération. La fin de la guerre est l’heure de tous les
bilans. Et le plus tragique pour Jeanne Alexandre reste la
disparition, le 16 mars 19454, de Maurice Halbwachs, arrêté en
représailles des activités de résistance de son fils Pierre, puis déporté
à Buchenwald le 15 août 19445 dans des conditions de
"concentration" sur lesquelles Georges Semprún portera
témoignage6.
En 1946, Jeanne Alexandre réintègre le lycée Victor Hugo. Elle
est nommée quatre ans plus tard au lycée Victor Duruy, un an avant
la mort d’Alain, le 2 juin 1951. Les douze « apôtres7 » auxquels
l’Homme8 a confié le soin de son œuvre fondent dès le 22 juin 1950
ce qui deviendra le 14 juin 1953, l’Association des amis d’Alain9. La
mort de Michel Alexandre10, six mois plus tôt, est l’ultime conclusion
d’une époque; et chose d’autant plus cruelle, elle est aussi, pour
Jeanne Alexandre, la fin d’une carrière à laquelle elle est très
attachée, comme en témoigne son dossier administratif11. Peut-être
est-ce la raison pour laquelle elle demande, le 22 décembre 1952, une
prolongation de deux ans. Elle prend définitivement sa retraite en
1955, après 38 ans d’activités. L’Association des amis d’Alain lui
apporte alors un soutien de taille, mais la volonté dont elle fait son
252
instinct est sans doute sa plus belle arme. L’hommage de Marie-
Jeanne Flamand1 dit bien de quelle énergie elle peuple sa solitude :
« [...] c’est alors que vint à elle toute une cohorte d’amis qu’elle
n’aurait pas nommés disciples. Déchiffrant les cahiers d’élèves,
renouant avec les absents, réveillant les endormis, passant au crible
leur provende, choisissant les compétences, elle put ainsi — comme
on lance une bouteille à la mer, disait-elle — offrir trois livres au
grand public : En souvenir de Michel Alexandre, Lecture de Platon,
Lecture de Kant. Suivis plus tard d’autres travaux : la publication de
la brochure Par la pensée, la préparation de l’Exposition Michel
Alexandre à Nîmes, et tout ce qu’en secret elle n’a cessé d’écrire et de
mettre à jour jusqu’à son dernier souffle4. »
253
Jeanne Alexandre habite le petit village de Veneux, près de
Fontainebleau, lorsqu’elle ferme les yeux sur sa thébaïde, le
14 novembre 1980. Quelques mois plus tôt, elle écrivait : « Je suis
toujours dans le même bonheur, le grand beau temps de ces derniers
jours a fait épanouir le printemps, « mes » arbres et « ma » forêt de
lilas qui semblent entrer par les fenêtres ouvertes composent des
tableaux admirables, et je me nourris de beauté1. »
1. Ibid., p. 12.
254
C ONCLUSION
256
« Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par
l’obéissance, il assure l’ordre; par la résistance, il assure la liberté1 ».
En revanche, la pensée doit, pour profiter de la liberté, s’exercer en
solitude, d’où l’isolement caractéristique des aliniens et leur fragilité,
en dépit d’un jugement solide. Le retrait de Jeanne Alexandre au sein
de la LIFPL s’explique aussi par là. Seules l’injustice pressentie
autour de l’exclusion lyonnaise et la "dérive" communiste de
Gabrielle Duchêne semblent provoquer sa réapparition dans les
papiers de la ligue. La Seconde Guerre mondiale et l’après-guerre,
suivie de la disparition d’Alain et de Michel Alexandre l’éloignent
définitivement de la politique.
Quant à la question de savoir si l’aveuglement est bien la raison à
invoquer dans le "procès" du pacifisme intégral, nous laisserons le
dernier mot à Jeanne Alexandre et au doute l’impossibilité de
trancher :
1. ALAIN, « Propos 189 », in Propos II, Gallimard, op. cit., pp. 265-266.
2. J. ALEXANDRE, Esquisse d’une histoire des Libres propos, op. cit., p. 143.
3. F. BRAUDEL, « Histoire des civilisations », in Les Ambitions de l’histoire, Paris,
Ed. de Fallois, 1997, p. 242.
257
Chronologie de Clara Zetkin. Il n'y a pas de
délégation française; Louise
Saumoneau y assiste à titre
personnel.
17-19 avril : Ellinor Fell, délé-
1890 guée du Comité anglais pour le
congrès de La Haye, rencontre
14 février : naissance de Jeanne des féministes françaises à
Halbwachs à Paris. Paris : refus unanime de partici-
per au congrès.
1906
20 avril : le CNFF adresse un
Mort de Gustave Halbwachs. Manifeste aux femmes des pays
neutres et alliés.
1914 28 avril : congrès international
des femmes à La Haye, présidé
19 février 1914 : caricature de par Jane Addams.
Jeanne Halbwachs dans Le Rap- 30 avril : le congrès de La Haye
pel. décide de fonder le Comité inter-
31 juillet : assassinat de Jaurès. national des femmes pour une
3 août : l’Allemagne déclare la paix permanente (CIFPP).
guerre à la France. 18 mai : Albert Thomas devient
26 août : gouvernement d’Union sous-secrétaire d’Etat à l’Artille-
sacrée. rie et à l’Équipement militaire.
22-23 septembre : Au-dessus de 5-8 septembre : Conférence in-
la mêlée de Romain Rolland ternationale socialiste de Zim-
dans Le Journal de Genève. merwald.
Novembre : Un devoir urgent
1915 pour les femmes.
Janvier : Louise Saumoneau dif- 1916
fuse en France L'Appel aux fem-
mes socialistes de Clara Zetkin. Janvier : création du Comité
22 mars : la LFDF prend posi- pour la reprise des relations in-
tion contre la paix, sauf évacua- ternationales, par des socialistes
tion préalable de la France et de et des syndicalistes pacifistes,
la Belgique, et adresse cette mo- auquel participent des pacifistes
tion aux Hollandaises. féministes.
26 mars : conférence Janvier-septembre : Jeanne
internationale des femmes Halbwachs écrit au Populaire du
socialistes à Berne, à l'initiative Centre.
Marcelle Capy, Une voix de 1918
femme dans la mêlée, préfacée
8 janvier : dans un message au
par Romain Rolland.
Congrès le président Wilson dé-
20-24 avril : Conférence de
finit les buts de guerre des Etats-
Kienthal.
Unis dans les 14 points.
5 juillet : lancement du Canard
3 mars : signature du traité de
enchaîné.
Brest-Litovsk.
3 août : Le Feu d’Henri Barbusse
6-9 octobre : Congrès du Parti
commence à être publié en
socialiste. La « minorité » prend
feuilleton dans L’Œuvre.
la direction du parti.
9 novembre : Abdication de
1917 l’Empereur Guillaume II.
Proclamation de la République
31 Janvier : annonce par les allemande.
Allemands de la guerre sous- 9 novembre : grâce à Louis
marine totale. Marin, le Sénat nomme une
Mars-mai : 3 articles de Jeanne commission examinant la
Alexandre au Populaire du question du vote des femmes.
Centre, signés Jeanne 11 novembre : l’Allemagne signe
Halbwachs. l’armistice.
8-12 mars : première Révolution
russe. 1919
15 mars : abdication de Nicolas
II.
10 février : ouverture de la Con-
Avril 1917 : Jeanne et Michel férence des femmes interalliées.
Alexandre quittent le Parti Elle se réunit pendant toute la
socialiste. durée de la Conférence de la
2 avril : entrée en guerre des paix.
Etats-Unis.
16 février : G. Clemenceau,
16 avril : Lénine, venant de après R. Poincaré, reçoit une
Suisse, arrive en Russie. délégation suffragiste.
17 avril : prémices des grandes 14 avril, une délégation
mutineries de mai et juin dans féministe est reçue par la
l’armée française. commission de la Ligue des
6 novembre : les Bolcheviks nations, présidée par Wilson.
s’emparent du pouvoir. 8 mai : ouverture pour la pre-
15 décembre : signature de mière fois à la Chambre d'un dé-
l’armistice de Brest-Litovsk. bat sur le vote des femmes.
260
12-20 mai : le congrès 1922
constitutif de la LIFPL, présidée
par Jane Addams, se tient à 4 novembre : le député Justin
Zurich. Gabrielle Duchêne Godart formule une nouvelle
préside la section française. proposition suffragiste limitée
20 mai : la Chambre accorde aux aux femmes de plus de trente
femmes la totalité des droits po- ans.
litiques. 7 novembre : le Sénat ouvre la
28 juin : signature du Traité de discussion sur le droit de vote
Versailles et création de la SDN. après 3 ans et demi de
15 juillet : le pape Benoît XV se manœuvres de retardement.
prononce en faveur du droit de 21 novembre : le Sénat rejette la
vote des femmes. proposition par 156 voix contre
134.
25 novembre : Mussolini reçoit
1920
les pleins pouvoirs par un vote
25-29 février : Le congrès de la Chambre.
socialiste de Strasbourg rompt
avec la IIe Internationale. 1923
20-26 décembre : Congrès
socialiste de Tours et scission 11 janvier : les troupes françaises
communiste (les féministes occupent la Ruhr.
membres de la SFIO choisissent Décembre : mort de Maurice
le Parti communiste). Barrès.
1921 1924
261
1925 27 août : ratification du pacte
Briand-Kellogg.
7 avril : les députés adoptent le
suffrage local par 390 voix 1929
contre 183.
16 octobre : Signature du Pacte Mars-juin : Jeanne et Michel
de Locarno. Alexandre font partie du comité
Adolf Hitler : Mein Kampf. exécutif de La Volonté de Paix de
Madeleine Vernet.
1926 24 avril : mort de Séverine à
Pierrefonds.
8 septembre : entrée de
27 mai : grand meeting, salle
l’Allemagne à la SDN.
Wagram, présidé par Maria
10 décembre : Aristide Briand Vérone pour presser le Sénat qui
prix Nobel de la paix (avec refuse depuis dix ans de ratifier
Austen Chamberlain et Gustav la loi votée par la Chambre en
Stresemann). 1919.
31 mai : Signature du Plan
1927
Young sur les réparations.
Mars : évacuation de la Sarre 24 octobre : Krach de Wall
par les troupes françaises. Street.
Mai : les féministes et les
pacifistes protestent contre le 1931
projet Paul-Boncour de Georges Pioch et Victor Méric
mobilisation des femmes. fondent la Ligue internationale
Madeleine Vernet fonde La Vo- des combattants de la paix, avec
lonté de paix. Madeleine Vernet, Marcelle
Ferdinand Buisson : prix Nobel Capy, Camille Drevet, Jeanne
de la paix. Humbert.
1928 1932
16 mars : une douzaine de Février : la Chambre adopte le
féministes envahissent le Sénat suffrage intégral des femmes.
et lancent des tracts : elles sont 23 février : après quatre refus de
arrêtées et admonestées. 1928 à 1931, le Sénat inscrit la
28 juin : une cinquantaine de proposition de la Chambre à
suffragistes manifestent devant l'ordre du jour.
le Sénat.
262
24 février : échec de la Novembre : Jeanne et Michel
conférence de Genève sur le Alexandre quittent la LDH.
désarmement. 14 décembre : le Congrès des
Février-mars : plusieurs maires de France demande le
manifestations féministes ont suffrage et l'éligibilité des
lieu devant le Sénat. femmes pour les élections
3 mars : le sénateur Duplantier municipales dès 1935.
prononce un discours misogyne
et antiféministe lors de la dis- 1934
cussion sur l'accès des femmes 3 mars : création du CVIA.
aux professions de notaire,
avoué, huissier. 1935
23 avril : Madeleine Vernet
organise à Paris la Conférence Juin : création du RUP.
libre pour le désarmement. Jean Giraudoux : La Guerre de
23 juin : la discussion sur le suf- Troie n’aura pas lieu.
frage est ouverte au Sénat; le Boris Souvarine : Staline.
1er juillet, la demande d'urgence Andrée Viollis : Indochine SOS.
est rejetée.
1936
Ouverture de la bibliothèque
Marguerite Durand, place du 4 juin : gouvernement du Front
Panthéon. Populaire.
18 juillet : putsch franquiste en
1933 Espagne.
30 janvier : Hitler, chancelier Roger Martin du Gard : L’Eté 14.
d’Allemagne. Léon Blum nomme trois
14 octobre : l’Allemagne quitte la femmes sous-secrétaires d'Etat :
SDN. Cécile Brunschvicg, Irène Joliot-
Mai-septembre, toutes les asso- Curie et Suzanne Lacore.
ciations féministes allemandes Août : La Voix des femmes, la
disparaissent : certaines déci- LIFPL, le Comité mondial des
dent leur dissolution, d'autres femmes protestent contre la
sont interdites. non-intervention en Espagne.
4-6 août, Rassemblement 28 octobre : les manifestations
mondial des femmes contre la pour obtenir l'accord du Sénat se
guerre et le fascisme à Paris. soldent par un échec.
5 octobre : Louise Weiss inaugu- Création du Rassemblement
re son association suffragiste, La universel pour la paix (RUP),
Femme nouvelle.
263
attirant de nombreux groupes 10 juillet : 569 députés contre
féministes. 80 votent les pleins pouvoirs à
Philippe Pétain.
1937
1944
14 juin : appel de Léon Blum à
l’Allemagne en faveur de la paix. 21 avril : ordonnance du Comité
Octobre : Roger Martin du Gard français de libération nationale
prix Nobel de littérature. (article 17) reconnaissant le
Léon Trotsky : La Révolution droit de vote et d'éligibilité des
trahie. femmes.
25 août : libération de Paris.
1938
1945
12 mars : Annexion de l’Autriche
par l’Allemagne. 4-11 Février : conférence de
22 septembre : Jeanne Yalta.
Alexandre fonde la Ligue des 20 avril : à l'occasion des
femmes pour la paix. élections municipales, les
29-30 septembre : les accords femmes françaises votent pour
de Munich rassurent la plupart la première fois.
des féministes. 30 avril : suicide d’Hitler.
1939 1951
264
Sources
Aide à la recherche
Archives nationales
Préfecture de police
Dossiers personnels
1. Dossier France :
◆ GFURés. 101,1914-1918, Texte rendant compte de l'opinion
publique, 128 pièces.
◆ GFURés. 102/1-2, Pacifisme.
◆ GFURés. 103/1-2. Coupures, 1914-18.
266
◆ GFURés. 333, 1914-1918, Textes.
◆ GFURés. 335, Prisonniers de guerre allemands 1945.
◆ GFURés. 337, CVIA.
◆ GFURés. 348. Epuration.
2. Dossier SFIO :
◆ GFURés. 95, Correspondance.
◆ GFURés. 98,1914-17, Vie intérieure, 23 pièces.
◆ GFURés. 99,1914-18, Articles de Jeanne Halbwachs dans le
Populaire du centre.
◆ GFURés. 100, Correspondance Jeanne-Michel Alexandre,
action pacifiste.
3. Divers :
◆ GFURés. 96, Grande-Bretagne, Londres, 14-18, 113 pièces.
◆ GFURés. 97, Procès Moscou, 1936-37.
◆ GFURés. 332, Pacifisme, 1913-1952, lettres adressées à
M. Alexandre.
◆ GFURés. 334, Dossier pacifisme femme.
◆ GFURés. 4627, George Clemenceau (crise de Verdun).
267
III-IV. Témoignages
1. Lettres de condoléances - 9 p. dactylographiées, 35 pièces.
2. Par la pensée - 13 pages dactylographiées, 24 pièces.
3. La presse et M. Alexandre.
V - Correspondance
1. Lettres de M. Alexandre à Jean Laubier (1921-1952) -
231 pièces + 5 de J. Laubier.
2. Correspondance M. Alexandre - H. Bouché (1935-1951) -
93 pièces.
3. Lettres de M. Morre-Lambelin à Michel et Jeanne Alexandre
(1916-1940) - 99 pièces.
4. Correspondances diverses.
VI. Carnets et éphémérides de Michel Alexandre
VII. Documents relatifs à la vie et a l'action de M. Alexandre
1. La Loi de trois ans. 1913.
2. Extraits de lettres de M. Alexandre à son père (1913) et pièces
diverses - photocopies.
3. Extraits de lettres de M. Alexandre à son père Paul Alexandre
(1917-1918) et pièces diverses - photocopies.
4. Extraits de lettres de M. Alexandre à son père Paul Alexandre
(1919 -1920) - photocopies.
VIII. Photographies
IX. Les Libres propos
1. Lettres de Madame Morre-Lambelin à Michel et Jeanne
Alexandre (9 + un extrait copié de la main de J. Alexandre et
une carte inachevée de Michel Alexandre à "Tante
Monique").
2. Lettres diverses (Doyen, Baudran, Mondor...).
3. Lettre de Michel Alexandre à Souday (Le Temps) sur Alain.
X. Charles Gide
XI. Lectures de Jeanne Alexandre
◆ Copie dactylographiée par M.-J. Flamand des critiques parues
dans les Libres propos (7 classeurs).
268
Bibliothèque historique de la ville de Paris — Fonds Bouglé
Articles de presse
269
— « Pourquoi dois-tu en tant que femme, combattre la guerre? »,
in Ligue Internationale des Mères et des Educatrices pour la
Paix, n° 7, juin 1932.
270
— « Un héros de l'humilité : Maurice Maeterlinck », ibid., s.d.
(1916).
— « Profitons-en! », ibid., 4 mars 1917.
— « Leur choix », ibid., 10 mai 1917.
— « Volonté d'impuissance », ibid., 26 mai 1917.
— « Jeanne d’Arc - quelques oeuvres récentes », in Europe,
janvier 1926, pp. 98-104.
Les témoins
Correspondance
271
MARTIN du GARD Roger, Correspondance générale (III), 1919-
1925, Paris, Gallimard, 1986, 515 p.
Interview
Œuvres
272
— « La crise de la Ligue des Droits de l'Homme », in La Grande
revue, novembre 1937, pp. 77-97.
273
Bibliographie
Ouvrages généraux
Pacifisme
276
DREYFUS Michel, « Pacifistes socialistes et humanistes dans les années
trente », in Revue d'histoire moderne et contemporaine,1988, III,
pp. 452-469.
— « Pacifisme et pacifistes sous le front populaire », in Matériaux
pour l'histoire de notre temps, N°6, 1986, pp. 15-16.
— « La Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté »,
in Les Cahiers du féminisme,12 / 1981, pp. 47-50.
FAUCIER Nicolas, Pacifisme et antimilitarisme dans l'entre-deux-
guerres (1919-1939), Ed. Spartacus, Paris, 1983, 206 p.
GALLISSOT René, PARIS Robert et WEILL Claudie, « L’Internationale
et la guerre : le partage d’août 1914 », in Le Mouvement social, n° 147,
avril-juin 1989, Les Editions ouvrières, pp. 3-9.
GORGUET Ilde, Les Mouvements pacifistes et la réconciliation franco-
allemande dans les années 20 (1919-1931), Berne, Peter Lang, 1999,
331 p.
KRIEGEL Annie, Aux origines du communisme français (1914-1920),
Mouton, 1964, 2 vol., 995 p.
INGRAM Norman, The politics of dissent - Pacifism in France 1919-
1939, Oxford, Clarendon Press, 1991, 366 p.
LORRAIN Sophie, Des pacifistes français et allemands pionniers de
l'entente franco-allemande (1871-1925), Paris, L'Harmattan, 1999,
297 p.
OFFENSTADT Nicolas, « Le Pacifisme extrême à la conquête des
masses : la Ligue Internationale des Combattants de la paix (1931-1939)
et la propagande », in Matériaux pour l'histoire de notre temps, janvier-
mars 1993, n° 30, pp. 35-39.
— Histoire de la Ligue Internationale des combattants de la paix
1931-1939, mémoire de maîtrise, Université de Paris I, 1989, 336 p.
— Victor Méric, de "La Guerre sociale" au pacifisme intégral, DEA,
Institut d'études politiques de Paris, 1990, 243 p.
PANACCIONE Andréa, « La mue de l’internationalisme avant et
pendant la Première Guerre mondiale », in Le Mouvement social,
n° 147, avril-juin 1989, Les Editions ouvrières, pp. 105-116.
277
PROCHASSON Christophe, Les intellectuels, le socialisme et la guerre :
1900-1938, Paris, Ed. du Seuil, 1993, 354 p.
RACINE Nicole, « Le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes
(1934-1939). Antifascisme et pacifisme. », in Le Mouvement social,
n° 101, octobre-décembre 1977, pp. 87-113.
SIRINELLI Jean-François, Génération intellectuelle, khâgneux et
normaliens dans l'entre-deux-guerres, Paris, PUF, 1994, 720 p.
— La France de 1914 à nos jours, Paris, PUF, 2004, 544 p.
VAÏSSE Maurice (dir.), Le Pacifisme en Europe, des années 1920 aux
années 1950, Bruxelles, Bruylant, 1993, 455 p.
Femmes et féminisme
278
BUSSEY Gertrude et TIMS Margaret, Women's International League
for Peace and Freedom (1915-1965), London, 1972, 256 p.
CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, Hommes et femmes dans la
France en guerre (1914-1945), Paris, Payot, 2003, 362 p.
DALY Valérie, Gabrielle Duchêne ou « la bourgeoisie impossible »,
mémoire de maîtrise, Université de Paris X, 1985, 184 p.
DREYFUS Michel, « Des femmes pacifistes durant la décennie des
années trente », in Matériaux pour l'histoire de notre temps, N° 30,
janvier-mars 1993, pp. 32-34.
— « Des femmes pacifistes et trotskistes sous le Front populaire »,
in Cahiers Léon Trotsky, n° 9, janvier 1982, pp. 53-60.
— « La Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté »,
in Cahiers du féminisme, n° 18, déc. 1981 – janv. 1982, pp. 47-50.
RACINE Nicole, Intellectuelles, Paris, Ed. Complexe, Coll. Histoire du
temps présent, 2004
SOWERWINE Charles, Les femmes et le socialisme (1871-1921), Presses
de la Fondation nationale des Sciences politiques, Paris, 1978, 286 p.
THIBAULT Odette, Féminisme et pacifisme : même combat, Les lettres
libres, Paris, 1985
WEISS Louise, « Combat pour les femmes (1934-1939) », in Mémoire
d'une Européenne, t. III, Paris, Albin Michel, 1980.
Biographies
279
SERNIN André, Alain un sage dans la cité, Paris, R. Laffont, 1985,
478 p.
Dictionnaires
280
Index BASCH, (Françoise) 20
BASCH, (Victor) 17, 42, 60, 68, 70, 71,
162
BASCH, (Yvonne) 33, 42, 46, 50, 53,
A1 269
BAUM, (Vicki) 239
ACCAMBRAY, (Léon) 70
BAZIN, (René) 173
ADDAMS, (Jane) 54, 234
BECKER, (Annette) 30, 32, 46, 48, 49,
ALDINGTON, (Richard) 116
50, 53, 57, 75, 77, 78, 89, 90, 94,
ALEXANDRE, (Paul) 59
104, 105, 147, 166, 247, 249, 252
ALLARD, (Paul) 215
BECKER, (Jean-Jacques) 41, 43, 47,
ALPHONSE XIII 115 65, 81, 105, 110, 161, 166, 172, 173,
AMIEL, (Henri Frédéric) 78, 232 207, 244
ANDREÏEV, (Léonid) 180, 183, 184 BEDEL, (Maurice) 149
ANGELL, (Norman) 218 BENDA, (Julien) 145, 158, 178, 206,
APPUHN, (Charles) 240 272
ARAGON, (Louis) 193 BÉNÉZÉ, (Georges) 18, 133
ARC, (Jeanne d’) 200 BENNETT, (Arnold) 144
ARCHIMÈDE 142 BENOÎT XV 260
ARISTOTE 162 BENOÎT, (Pierre) 205
ARLAND, (Marcel) 149 BÉRAUD, (Henri) 149
ARNAULD, (Antoine) 78 BERGER, (Marcel) 215
ARON, (Raymond) 15, 18, 220, 221 BERGERY, (Gaston) 250
AUBEY-BERTHELOT, (Catherine) 150 BERGSON, (Henri) 207
AVRIL DE SAINTE-CROIX, (Adrienne) BERNAMONT, (Jean) 147
41, 115 BERNANOS, (Georges) 149, 208
AYMÉ, (Marcel) 175 BERNARD, (Marc) 180
BERSTEIN, (Serge) 65, 105, 110, 161,
B 172, 173, 207
BABEL, (Issak) 190 BIGOT, (Marthe) 67, 105
BABSON, (Roger) 196 BILIS, (Michel) 15, 16
BAINVILLE, (Jacques) 242 BIONDI, (Jean-Pierre) 16, 224, 225
BALZAC, (Honoré de ) 175, 209, 253, BLOCH, (Jean-Richard) 72, 158, 170,
255 208, 220, 272
BARBUSSE, (Henri) 166, 187, 212, 213, BLOCH, (Marc) 144
215, 259, 272 BLONDEL, (Charles) 143
BARD, (Christine) 39, 40, 41, 62, 77, BLUM, (Françoise) 230, 232, 265
190, 229, 234, 235 BLUM, (Léon) 50, 263
BARRÈS, (Maurice) 91, 107, 123, 240, BLUMEL, (André) 38
243, 261 BONNARD, (Abel) 200
BONNIN, (Charlotte) 247
BOSSUET, (Jacques Bénigne) 187
1. Nous n’avons pas intégré les noms BOUCHÉ, (Henri) 249, 250, 251, 253
d’Alain, de Jeanne et Michel Alexandre, BOUDDHA, (Sakyamuni) 93
étant donné leur fréquence.
BOUGLÉ, (Marie-Louise) 55, 85, 226, CHAPUIS, (G.) 14
235 CHARDONNE, (Jacques) 208
BOULANGER, (général) 240 CHÂTEAU, (René) 146, 250, 252
BOULENGER, (Jacques) 204 CHATEAUBRIANT, (Alphonse de) 173,
BOUSSINOT, (Charles) 171 174
BRANDES, (Georg) 86, 87, 100 CHESTERTON, (Gilbert Keith) 203
BRAUDEL, (Fernand) 144, 257 CHEVALLIER, (Gabriel) 213
BRÉMOND, (Arnold) 198 CHOPIN, (Frédéric) 201
BRETON, (André) 261 CLAR, (Fanny) 81, 269
BRIAND, (Aristide) 17, 66, 81, 87, 147, CLEMENCEAU, (Georges) 66, 75, 91,
191, 196, 222, 261, 262 92, 97, 112, 260, 267
BRION, (Hélène) 70, 105, 269 CLERC, (Félicie) 29
BRIZON, (Pierre) 65, 105, 115 COBBET, (William) 203
BRUCK, (Moeller van den) 239 COLETTE 233
BRUNSCHVICG, (Cécile) 77, 263 COMTE, (Auguste) 153, 154, 167, 199,
BRUYÈRE, (Jean) 145 200, 219, 227, 256
BUFFARD, (André) 133, 250 CONDÉ, (prince de) 52
BUISSON, (Ferdinand) 69, 261 CONRAD, (Joseph) 204
BURNET, (Emile) 181 CORCOS, (Fernand) 196, 230, 231, 273
BURNET, (Etienne) 185 COT, (Pierre) 16, 222, 223
BYRON, (Lord) 203 COUTURIER, (Lucie) 167, 168, 232
CRU, (Norton) 212
C CRUCY, (François) 223
CAILLAUX, (Joseph) 65
CALLICLÈS 242
D
CANDAR, (Gilles) 65, 81 DABIT, (Eugène) 175
CANETTI, (Elias) 238 DALBIEZ, (Victor) 65
CANGUILHEM, (Georges) 133, 134 DALY, (Valérie) 63, 65, 67
CAPY, (Marcelle) 70, 81, 230, 259, 262, DANE, (Clémence) 233
272 DASTE, (Jeanne) 38
CARLISLE, (Helen Grace) 194, 203 DÉAT, (Marcel) 247
CARLYLE, (Thomas) 145 DECARIS, (Germaine) 247
CAVELL, (Edith) 121 DELAISI, (Francis) 84
CAZIN, (Paul) 212 DEMARTIAL, (Georges) 18, 68, 69, 70,
CECIL, (Lord Robert) 223 71, 72, 74, 241, 273
CÉLINE, (Louis-Ferdinand) 213, 216 DENYS, (tyran) 257
CHADOURNE, (Marc) 192 DÉROULÈDE, (Paul) 240, 243
CHALLAYE, (Félicien) 18, 59, 79, 146, DÈS, (Mme) 226
147, 167, 227, 228, 238, 244, 246, DESANTI, (Jean-Toussaint) 15
247, 252, 273 DESCARTES, (René) 142, 162
CHALLAYE, (Jeanne) 238 DESJARDINS, (Paul) 123, 156, 204, 217
CHAMBELLAND, (Colette) 265 DOFF, (Neel) 180
CHAMBERLAIN, (Austen) 261 DOMINIQUE, (Pierre) 189
CHAMSON, (André) 158, 174, 228, 239 DORGELÈS, (Roland) 168
282
DOSTOÏEVSKI, (Fédor) 182, 184, 188 FEBVRE, (Lucien) 144, 201, 202
DOUMERGUE, (Gaston) 220 FEIL, (Ellinor) 259
DOYEN, (Pierre) 146 FERRERO, (Léo) 215, 216
DREVET, (Camille) 223, 235, 262 FERRY, (Jules) 32
DREYFUS, (François-Georges) 52 FEYLER, (colonel) 114
DREYFUS, (l’affaire) 36 FILLOUX, (Mme) 67
DREYFUS, (Michel) 36, 55, 67, 178, FISCHER, (Jean-Louis) 165
185, 193, 234, 235, 236, 237, 265 FLAMAND, (Marie-Jeanne) 18, 19, 47,
DRIEU LA ROCHELLE, (Pierre) 193 246, 253, 269
DROZ, (Bernard) 150, 166 FLAUBERT, (Gustave) 135, 175
DROZDOWIEZ, (Sophie) 62 FOCH, (Ferdinand) 219
DUBIEF, (Henri) 43 FONTENELLE, (Bernard le Bovier de)
DUBREUIL, (Henri) 197 251
DUBY, (Georges) 32 FORD, (Gerald Rudolph) 115
DUCHÊNE, (Gabrielle) 18, 19, 20, 55, FORSTER, (Edward Morgan) 170
62, 63, 65, 67, 85, 226, 234, 235, FRANCE, (Anatole) 69
236, 237, 238, 257, 260 FRANCIS, (Robert) 242
DUCHÊNE, (Suzanne) 63 FRANCO, (général) 263
DUHAMEL, (Georges) 187, 198, 214, FREAT, (I) 182
228 FREUD, (Sigmund) 207
DUMONT, (Marguerite) 84
DUMOULIN, (Georges) 247 G
DUPIN, (Gustave) 73, 246 GALILÉE 142
DUPLANTIER, (Sénateur) 262 GALLIENI, (général) 125
DURAND, (Marguerite) 11, 18, 19, 57, GALLISSOT, (René) 104
262
GALZY, (Jeanne) 212, 232, 233
DURTAIN, (Luc) 171, 185, 189, 193, 197,
GANDHI, (Mohandas) 153, 244, 245
205
GANUCHAUD, (Jacques) 18
DUVIVIER, (Julien) 233
GAUDY, (Georges) 216
E GÉDALGE, (éditeur) 225
GENIAUX, (Claire) 270
EINSTEIN, (Albert) 143 GEORGES, (Lloyd) 88
ELMER, (Marc) 177
GERBAULT, (Alain) 205
EMERY, (Léon) 79, 147, 158, 159, 246,
GÉRIN, (René) 18, 246, 247
247, 249, 251
GIDE, (André) 156, 158, 168, 169, 184,
EMERY, (Thérèse) 238
208
EPICTÈTE 245 GIDE, (Charles) 69, 71, 72, 73, 133, 155,
ERMENONVILLE (alias Gustave DU- 215, 231, 270
PIN) 215 GIGNOUX, (Claude) 130, 155
ESCAFFIER 43
GIONO, (Jean) 52, 158, 175, 177, 247
GIRAUDOUX, (Jean) 208, 263
F
GIROUX 247
FABRE-LUCE, (Alfred) 186, 193, 241 GLADKOV, (Fédor) 188
FAYARD, (Jean) 149 GLAESER, (Ernst) 217
283
GODART, (Justin) 261 243, 261, 262, 263
GONNET, (Julien) 182, 215 HOWARD-Bury, (Charles Kenneth) 204
GORKI, (Maxime) 175, 177, 178, 179, HUGO, (Victor) 175
180, 182, 183, 184, 185, 187, 188, HUMBERT, (Jeanne) 262
190, 191, 192, 200, 256 HUXLEY, (Aldous) 152, 199
GOUHIER, (Henri) 153, 154, 199
GRASSET, (Bernard) 219 I
GROUSSIER, (Arthur) 111 INGRAM, (Norman) 16, 222, 223, 234,
GUÉHENNO, (Jean) 123, 158, 206, 235, 246
207, 223, 253 ISTRATI, (Panaït) 188, 189
GUÉHENNO, (Jeanne) 181
GUÉRIN, (Marie) 43 J
GUESDE, (Jules) 38, 105, 109, 110, 111,
JACQUES, (Lucien) 247
112
JAURÈS, (Jean) 40, 45, 46, 47, 53, 105,
GUILLAUME II 260
109, 145, 259, 261
GUILLOUX, (Louis) 153
JEANSON, (Henri) 247
H JOFFRE, (Joseph) 219
JOLINON, (Joseph) 214
HAGNAUER, (Roger) 247 JOLIOT-CURIE, (Irène) 263
HAGNAUER, (Yvon) 247 JOLY, (Berthe) 237
HALBWACHS, (Gustave) 30, 259, 269 JOUHAUX, (Léon) 49, 107
HALBWACHS, (Maurice) 252 JOUVE, (Andrée) 234
HALBWACHS, (Pierre) 252 JOUVENEL, (Bertrand de) 222
HALBWACHS, (Félicie) 126 JOYCE, (James) 207
HALBWACHS, (Francis) 20, 29 JUVENAL 138
HALBWACHS, (Marcelle) 30
HALBWACHS, (Maurice) 20, 29, 31, 42, K
48, 50, 73, 84, 90, 94, 104, 133, 166,
KANT, (Emmanuel) 162, 253, 255, 272
247
KELLOGG, (Franck B.) 147, 196, 222,
HALBWACHS, (Yvonne) 104, 105
262
HALBWACHS-MECARELLI, (Lise) 20
KESSEL, (Joseph) 150, 185, 216
HALÉVY, (Daniel) 151, 152, 153, 158,
KEUN, (Odette) 183
173, 242
KIPLING, (Rudyard) 152, 227
HALÉVY, (Elie) 129, 133, 140, 158, 253
KLEJMAN, (Laurence) 41
HALÉVY, (Florence) 129, 140
HAMP, (Pierre) 145, 175, 177, 178, 179,
L
180, 205
HARDY, (Thomas) 175 LA BRUYÈRE, (Jean de) 143, 208
HEGEL, (Georg Wilhelm Friedrich) 162 LA ROCHEFOUCAULD, (François, duc
HÉMON, (Louis) 205 de) 143
HENDERSON 88 LACOMBE, (Paul) 144, 174
HERRIOT, (Edouard) 14, 147, 225, 261 LACRETELLE, (Jacques de) 149, 234
HERVÉ, (Gustave) 92, 105, 106 LAEORE, (Suzanne) 263
HITLER, (Adolf) 221, 239, 240, 241, LAGUERRE, (Hélène) 247
LALOU, (René) 214
284
LAMBROSO, (Gina) 233 M
LAMIZET, (Georges) 134
MAC ORLAN, (Pierre) 205
LANGEVIN, (Paul) 148, 238
MAETERLINCK, (Maurice) 123, 124
LANGOIS, (Charles-Victor) 144
MAGINOT, (André) 53
LAPIERRE, (G.) 225
MALRAUX, (André) 158, 241, 263
LARBAUD, (Valéry) 164
MANN, (Heinrich) 240
LATRILHE, (Marie-Hélène) 38
MANN, (Thomas) 82, 209, 233
LAUBIER, (Jean) 133, 251, 268
MARC AURÈLE 153, 177, 211
LAUGIER, (Henri) 38
MARCEL, (Gabriel) 149
LAURAT, (Lucien) 189
MARÉCHAL, (Maurice) 90
LAVAL, (Pierre) 214
MARGUERITTE, (Victor) 247
LAVEDAN, (Henri) 202, 203
MARIN, (Louis) 260
LE FRANC, (Marie) 149
MARTIN DU GARD, (Roger) 15, 45, 131,
LE MANER, (Yves) 43
132, 151, 156, 157, 175, 208, 244,
LE RÉVÉREND, (Gaston) 151
263, 272, 273
LE ROY, (Eugène) 181 MARTIN, (Marc) 169
LECOIN, (Louis) 246, 247, 263
MARTINET, (Marcel) 41, 43, 71, 74, 79,
LEFÈVRE, (Frédéric) 156 158, 215, 227
LEHMANN, (Rosamond) 233 MARTINET, (Renée) 238
LEMONNIER, (Léon) 175 MARX, (Karl) 170
LENÉRU, (Marie) 232 MASSIS, (Henri) 17
LENGLOIS, (Marie) 247 MAULNIER, (Thierry) 242
LÉNINE 140, 183, 185, 189, 260 MAURAT, (Lucien) 190
LÉON, (Jean-Paul) 18, 267 MAURIAC, (François) 208
LÉON, (Paul) 59 MAURICE, (Martin) 176
LÉON, (Xavier) 66 MAUROIS, (André) 133, 154, 155, 200,
LÉONOV, (Léonid) 192 202, 203, 228
LEROY, (Maxime) 84 MAURRAS, (Charles) 242
LETELLIER, (Léon) 204, 226 MAXENCE, (Jean-Pierre) 242
LÉVY, (Jeanne) 60 MAYER, (Emile, colonel) 132
LEWIS, (Sinclair) 198 MAYRAN, (Camille) 233
LHERMITTE, (Georges) 39, 55 MAZELINE, (Guy) 149
LICHTENBERGER, (Henri) 218 MC KAY, (Claude) 182
LIEBKNECHT, (Karl) 41, 59 MÉLIN, (Jeanne) 62, 81, 105, 230, 234,
LISZT, (Franz) 200 235, 236
LOMBROSO, (Gina) 190 MENUHIN, (Yehudi) 255
LONDON, (Jack) 194, 204 MERCIER, (Pascal) 138
LONDRES, (Albert) 181 MEREDITH, (George) 52, 151, 162, 209,
LONGUET, (Jean) 65, 70, 110 233
LOUCHEUR, (Louis) 84 MÉRIC, (Victor) 262
LOUZON, (Robert) 247 MERRHEIM, (Alphonse) 43, 63, 70, 72,
LUTHER, (Martin) 201, 202 105, 215
LUXEMBOURG, (Rosa) 41 MEYER, (Arno) 14
LYON, (Jacques) 185, 186 MEYERSON, (Ignace) 38, 79
285
MEYERSON, (Mme) 38 PANACCIONE, (Andréa) 104
MILHAUD, (Edgar) 105 PANFEROV, (Fedor) 190
MILLE, (Pierre) 150 PARIS, (Robert) 104
MILLERAND, (Alexandre) 66, 131 PASCAL, (Blaise) 34, 78, 213
MOISSONNIER, (M.) 158, 249, 252 PASSY, (Frédéric) 33
MOLIÈRE 242 PAUL-BONCOUR, (Joseph) 146, 148,
MONATTE, (Pierre) 63 229, 261
MONCHABLON, (Alain) 238 PAZ, (Maurice) 79
MONDOR, (Henri) 257, 268 PAZ, (Magdeleine) 193, 194, 238
MONET, (Paul) 170, 171 PÉCAUT, (Félix) 41
MONNIE, (Thyde) 247 PELLETIER, (Madeleine) 232, 271
MONNOT, (René) 142, 155 PENIN, (Marc) 69
MONTAIGNE, (Michel Eyquem de) 176 PÉROCHON, (Ernest) 173
MONTHERLANT, (Henry de) 123, 216 PESQUIDOUX, (Joseph de) 150, 173
MORAND, (Paul) 208 PÉTAIN, (Philippe) 148, 263
MORHARDT, (Matthias) 43, 67, 68, 69, PHILIP, (André) 158, 196, 197
72, 74 PICARD, (Emile) 146
MORIZET, (André) 183 PILLET, (Roger) 227
MORRE-LAMBELIN, (Monique) 34, 61, PIOCH, (Georges) 215, 247, 262
62, 129, 130, 131, 135, 137, 155, 159, PIVERT, (Marceau) 247
268 PLATON 23, 162, 163, 165, 205, 253,
MOUTET, (Marius) 66 257, 272
MÜHLEN, (Hermina zur) 180, 228 POINCARÉ, (Raymond) 83, 91, 100,
MULOND, (C.) 63 131, 140, 189, 219, 260, 261
MUSSOLINI, (Benito) 17, 189, 261 POJER, (John) 179
POULAILLE, (Henri) 175, 176, 178, 247
N POURTALÈS, (Guy de) 200, 201
NAPOLÉON Ier 51, 241 PRENANT, (Marcel) 38
NAQUET, (Emmanuel) 68, 69, 70, 72 PRÉVOST, (Jean) 133, 145
NEMIROVSKY, (Irène) 233 PROCHASSON, (Christophe) 33, 41, 42,
NETTER, (Yvonne) 232 59, 60, 73, 74, 84, 125, 126, 164, 230
NEZ, (Marc) 43, 73 PROST, (Antoine) 144
NICOLAS II 260 PROUDHON, (Pierre Joseph) 153, 158,
NIETZSCHE, (Friedrich Wilhelm) 152, 200, 256
242 PROUST, (Marcel) 200, 209
PRUDHOMMEAUX, (Jules) 224, 226
O PRUGNOT, (Jean) 43, 193
OGNEV, (Nicolas) 190
R
ORY, (Pascal) 123, 149, 178
OTLET, (Paul) 72 RACINE, (Nicole) 31, 36, 37, 38, 39, 40,
42, 43, 46, 54, 55, 59, 63, 67, 68, 82,
P 163, 193, 230, 235, 236, 237, 238,
242
PAINLEVÉ, (Paul) 66
RAMUZ, (Ferdinand) 174
PALLU, (Jean) 175
286
RAUH, (Frédéric) 34 SAUMONEAU, (Louise) 36, 40, 53, 54,
RAUZE, (Marianne) 40 63, 259, 271
RAYMOND, (Jean) 38, 49, 70, 92, 105, SAUVAGEOT, (Marcelle) 233
111 SAVIN, (Maurice) 18, 253
REBOUL, (Olivier) 253 SCHAPPLER, (Marie) 69
RÉGNIER, (Henri de) 101 SCHLUMBERGER, (Jean) 214, 220
REMARQUE, (Erich Maria) 152, 212, SCHOELL, (Franck) 174
214, 215, 217 SÉE, (Camille) 32
RENAUDEL, (Pierre) 49, 51, 91, 108, SEIGNOBOS, (Charles) 70, 144
109, 122 SEMBAT, (Marcel) 50, 106
RENN, (Ludwig) 152 SEMPRÚN, (Georges) 252
RENOUVIER, (Charles) 170 SERGE, (Victor) 176, 181, 184, 190, 192,
REYMONT, (Wladyslaw Stanislaw) 174 193
RIBOT, (Alexandre) 112 SERNIN, (André) 34, 48, 52, 61, 62, 63,
RIEUNEAU, (Maurice) 244 66, 73, 94, 97, 140, 153, 162, 163,
ROBINSON, (Judith) 253 172, 200, 247, 249, 250, 252
ROCHEFORT, (Florence) 41 SÉVERINE 41, 46, 52, 55, 67, 72, 81,
ROHAN, (prince de) 187 215, 231, 235, 262
ROLLAND, (Romain) 37, 41, 53, 55, 57, SHAW, (Bernard) 200
60, 61, 62, 63, 66, 71, 77, 78, 81, 141, SHELLEY, (Percy Bysshe) 200
147, 158, 163, 166, 172, 189, 191, 215, SIEBURG, (Friedrich) 218, 220
233, 244, 253, 259, 271, 273 SIEGFRIED, (André) 41, 195
ROLLAND, (Madeleine) 63, 235 SIRINELLI, (Jean-François) 15, 123,
ROMAINS, (Jules) 177, 208 149, 169, 178, 220
ROQUE, (colonel de la) 240 SMITH, (Helen Zenna) 215
ROSMER, (Alfred) 41, 43, 67, 79, 273 SOCRATE 13, 23, 57, 153, 205
ROSTAND, (Jean) 143, 165 SOLMI, (Sergio) 137
ROUBAUD, (Louis) 170, 172, 181 SOLON 137
ROUGER, (Hubert) 112 SOUPAULT, (Philippe) 209
ROUSSEAU, (Jean-Jacques) 171, 255 SOUVARINE, (Boris) 263
ROUSSEL, (Nelly) 271 SOWERWINE, (Charles) 36, 37, 53
ROUSSELIER, (Nicolas) 195 SPINOZA, (Baruch) 162
RUSSELL, (Bertrand) 244 STALINE, (Joseph) 185, 189
RUYSSEN, (Theodore) 89 STENDHAL 200, 209, 253, 255
STRESEMANN, (Gustav) 261
S SUAREZ, (Georges) 243
SACCO et VANZETTI 181
SAINT-EXUPÉRY, (Antoine de) 149, 214
T
SALOMON, (Marie) 47, 57, 58, 60, 62, TACITE 145
73, 75, 253 TAGORE, (Rabindranath) 177, 244
SALOMON, (Mathilde) 33, 57 TARDIEU, (André) 16, 189, 197, 243
SAND, (Georges) 81 TCHEKHOV, (Anton) 179, 180
SANGNIER, (Marc) 36 TERRON, (René) 133
SAPIRO, (Gisèle) 239 TEXCIER, (Jean) 38
287
THALAMAS, (Augustin) 38 VIGNE 247
THALÈS 153 VINCI, (Léonard de) 154
THARAUD, (Jean & Jérôme) 205 VIOLLIS, (Andrée) 172, 185, 189, 245,
THÉRIVE, (André) 175, 216 263
THÉVENET, (Marguerite) 67, 71 VIOYX, (marcelle) 180
THIBAUDET, (Albert) 138, 205, 273 VIVES 247
THIERRY, (Albert) 226, 227 VLAMINCK, (Maurice de) 177
THIESSE, (Anne-Marie) 173 VOLTAIRE 34, 153, 158
THOMAS, (Adrienne) 218 VULLIOD, (Amédée) 219
THOMAS, (Albert) 49, 51, 83, 84, 89,
259 W
THOREAU, (Henry David) 197 WALEFFE, (Maurice de) 117
THOREAU, (Henry David) 176, 177 WANNER, (Léo) 235, 237
TOLSTOÏ, (Léon) 101, 151, 153, 182, WASSERMANN, (Jacob) 239
209, 256 WEBB, (Mary) 233
TOURLY, (Robert) 247 WEBER, (Eugène Joseph) 38
TREBITSCH, (Michel) 230 WEIL, (Simone) 18, 47, 71, 221, 238
TROTSKY, (Léon) 43, 183, 188, 189, WEILL, (Claudie) 104
192, 263 WEISS, (André) 105
TURENNE, (Henri, vicomte de) 52 WEISS, (Louise) 32, 34, 262, 273
WELLS, (Herbert George) 207, 234
U
WERTH, (Léon) 168, 171
UNDSET, (Sigrid) 233 WHITMAN, (Walt) 197
WILLIAMS, (Albert Rhyss) 188, 190
V WILSON, (Thomas Woodrow) 86, 87,
VAILLANT-COUTURIER, (Paul) 182 88, 115, 196, 260
VAISSE, (Maurice) 52, 223 WINOCK, (Michel) 15, 38, 105, 123
VALÉRY, (Paul) 143, 144, 154, 205, WOOLF, (Virginia) 207, 208, 209, 232
240, 253, 256 WRANGEL, (Petr Nikolaïevitch, baron
VANDERVELDE, (Emile) 106 de) 181
VARENNE, (Alexandre) 111, 112 WULTENS, (Maurice) 247
VATH 52
VAUBAN, (Sébastien le Prestre de) 152 Y
VAUVENARGUES, (marquis de) 45, 99, YOUNG, (Owen D.) 262
143, 214, 232 YVETOT, (Georges) 247
VAVASSEUR-DESPERRIERS, (Jean)
214 Z
VAYSSAC, (Suzanne) 134
ZETKIN, (Clara) 53, 259, 271
VERCEL, (Roger) 216
ZOLA, (Emile) 145
VERDÈS-LEROUX, (Jeannine) 38
ZORETTI, (Ludovic) 247
VERNET, (Madeleine) 147, 227, 228,
ZWEIG, (Arnold) 217
230, 236, 261, 262, 271
ZWEIG, (Stefan) 273
VÉRONE, (Maria) 39, 49, 72
VIÉNOT, (Pierre) 220, 238
288
Table des matières
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Août 1914 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
La participation à l’effort de guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Le choix de la rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
290
Sociétés nouvelles et modèles de sociétés . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
Comprendre la révolution russe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
L’émergence du modèle américain . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
Une société refuge : le monde des lettres . . . . . . . . . . . . 199
Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .259
Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .265
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
291
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