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Fabien Beaurieux,
professeur au lycée Doisneau de Corbeil-Essonnes

Tocqueville, De la démocratie en Amérique II


Explication du chapitre II de la 2° partie :
« De l’individualisme dans les pays démocratiques »

Plan du chapitre :
- §§2-8 : définition de l’individualisme, distingué de l’égoïsme
- §§9-13 : explication de l’absence d’individualisme dans les sociétés
aristocratiques
- §§14-18 : explication de l’origine démocratique de l’individualisme

La définition de l’individualisme
Si l’individualisme est un phénomène récent, c’est que son origine est
démocratique. Telle est l’idée principale de ce chapitre. Pour définir
l’individualisme, Tocqueville le distingue de l’égoïsme (tout en considérant qu’il
peut devenir égoïsme).
L’égoïsme est une caractéristique anthropologique et morale : il caractérise
l’homme ou la nature humaine, et il est un vice. L’individualisme est une
caractéristique politique et sociale : il caractérise le citoyen dans ses rapports
avec la société, et ne concerne que les sociétés démocratiques. Alors que
l’égoïsme est engendré par une nature humaine déchue, l’individualisme est
engendré par un certain type de société. Entrons dans le détail.
L’égoïsme ressemble assez à l’amour-propre décrit par les moralistes
classiques. La Rochefoucauld considère l’amour-propre comme une puissance du
mal inscrite dans la nature de l’homme déchu : « Dieu a permis, pour punir
l’homme du péché originel, qu’il se fît un dieu de son amour-propre pour en être
tourmenté dans toutes les actions de sa vie » (maxime 20 non publiée). Dire que
l’homme est par nature égoïste, c’est dire que l’égoïsme ou amour-propre est un
vice universel, conséquence du péché originel. Tocqueville évoque bien l’homme
(et non le citoyen), il écrit que « l’égoïsme est un vice aussi ancien que le
monde » (§7) : ce vice date de la création du monde et de l’homme, de l’épisode
du serpent et de la chute ; bref, Tocqueville rapporte l’égoïsme à une origine
mythique, fondatrice d’une anthropologie, à la manière de l’auteur des Maximes.
Si l’homme est par nature égoïste, il est alors condamné à ce vice, comme à
un châtiment, et ne peut aisément s’en libérer. Voilà pourquoi Tocqueville
analyse l’égoïsme en termes de passion (« un amour passionné »-§3) et
d’ « instinct » (§5) : l’instinct désigne cette force d’une nature qui produit des
comportements irréfléchis (il est « aveugle ») ; la passion, c’est la passivité
fondamentale, la soumission à une force irrépressible.
La Rochefoucauld définit ainsi l’amour-propre (maxime 1 supprimé) :
« L’amour-propre est l’amour de soi-même, et de toutes choses pour soi ; il rend
les hommes idolâtres d’eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres si la
fortune leur en donnait les moyens ». Tocqueville s’inspire du moraliste :
l’amour-propre ou égoïsme est cette volonté de puissance qui pousse chaque moi
à s’affirmer, à faire triompher son intérêt, à marquer sa supériorité, et cela
inévitablement au détriments des autres. « Se préférer à tout »(§3) :
l’expression de Tocqueville inscrit bien l’égoïsme dans un rapport de soi aux
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autres, où le moi doit s’affirmer. L’égoïsme n’est donc pas un simple rapport de
soi à soi, où l’homme ne songe qu’à lui, dans la contemplation de sa propre
image, sans songer au monde extérieur ni aux autres. L’égoïsme est bien plutôt
l’affirmation d’une supériorité de soi sur les autres et le monde : ceux-ci doivent
me servir, servir mon intérêt et me renvoyer une image de ma suprématie.
Quand La Rochefoucauld définit l’amitié « un commerce où l’amour-propre se
propose toujours quelque chose à gagner » (maxime 83), il envisage bien
l’amour-propre comme l’affirmation d’un ego vainqueur, dominant.
On comprend ainsi pourquoi l’égoïsme est a-social. La passion de la
domination dans laquelle l’ego s’affirme et satisfait ses intérêts engendre entre
les hommes, tous par nature égoïstes, des rapports de force violents. L’égoïsme,
comme caractéristique de la nature humaine, nourrit un état de nature où
chaque ego ne peut finalement s’affirmer que dans la destruction de l’autre.
L’égoïsme menace toute société, par sa violence belliqueuse. Sans doute
Tocqueville se rappelle-t-il Hobbes. Il distingue l’égoïsme de l’individualisme
comme sentiment « paisible »(§4) : cela confirme que l’égoïsme est une passion
belliqueuse source de conflits entre les hommes. Il est le mal radical, car, pour
parvenir à ses fins, l’égoïste est prêt à tout, au meurtre même. Voilà pourquoi il
« dessèche le germe de toutes les vertus »(§6).

L’individualisme n’est pas l’égoïsme. Si l’égoïsme est une caractéristique


naturelle, l’individualisme est un phénomène social. Il serait insensé de
prétendre que l’homme est par nature individualiste ; seul l’homme d’une société
démocratique l’est. L’individualisme est donc une catégorie politique, ou
sociologique, alors que l’égoïsme est une notion morale indissociable d’une
théologie de la chute.
Si l’individualisme n’est pas de nature, alors il n’est pas instinct, mais
« sentiment réfléchi »(§4), c’est-à-dire fondé sur un calcul réfléchi d’intérêt (un
« jugement » -§5- Tocqueville le dit « erroné » car il expliquera plus loin dans
l’œuvre que ce n’est pas en s’isolant que l’homme de la démocratie satisfait au
mieux ses intérêts : ce sera la doctrine de l’intérêt bien entendu exposée au
chapitre VIII). L’individu juge qu’il satisfera mieux ses intérêts en songeant
d’abord à lui plutôt qu’à la société. L’individu, c’est une partie indivisible du tout
social ; et l’individualisme consiste à penser que l’individu satisfait mieux ses
intérêts en se désintéressant du tout social, car l’intérêt pour le tout passe
parfois par le sacrifice de l’intérêt particulier. L’individu devient alors un tout pour
lui-même, il se crée « une petite société à son usage », c’est-à-dire dans son
intérêt (§4).
Le « jugement » ou calcul d’intérêt d’où procède l’individualisme conduit à se
désintéresser du sort de la collectivité, mais non de celui des autres hommes, à
son profit. L’individualisme n’est donc pas essentiellement a-social : il n’est pas
l’affirmation de l’ego solitaire en conflit avec tous les autres. L’individu se crée
« une petite société à son usage » (§4) : sa famille et ses amis. Il peut s’oublier
et sacrifier son intérêt pour ses proches ; il refuse seulement de sacrifier son
intérêt au profit d’un intérêt général. Du coup, l’individualisme n’est pas, à la
différence de l’égoïsme, un mal radical : il n’est pas un vice moral universel, mais
un vice politique limité aux démocraties. Il « ne tarit d’abord que la source des
vertus publiques » (§6), ces vertus politiques liées à l’exercice de la citoyenneté
où l’individu s’oublie comme particulier.
Ainsi, parce qu’il n’est pas a-social, l’individualisme ne menace pas l’ordre
social. L’individu ne détruit pas la société, il s’en désintéresse ; « s’isoler », « se
retirer à l’écart » (§4) : voilà ce que ne fait pas l’égoïste qui veut s’imposer aux
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autres et s’admirer dans sa domination. L’individu ne pourrait de toute façon pas


l’emporter par sa puissance sur la société tout entière, il l’ « abandonne » donc à
elle-même (§4). Cet abandon n’a rien à voir avec l’affirmation égoïste d’un
pouvoir. On peut déjà déduire de cette analyse que l’individualisme favorise le
despotisme : se désintéresser de la vie politique, c’est laisser le pouvoir au
despote ; abandonner la société à elle-même, c’est plutôt l’abandonner au
pouvoir du despote. Si l’égoïsme produit l’anarchie, au sens courant d’un
désordre a-social, l’individualisme produit le despotisme, au sens d’un ordre
politique imposé par un seul.

L’absence d’individualisme dans les sociétés aristocratiques


Afin d’expliquer pourquoi l’individualisme est une caractéristique des sociétés
démocratiques, Tocqueville analyse d’abord les raisons pour lesquelles il est
absent des sociétés aristocratiques (§9 à §13).
Une société aristocratique est constituée de rangs, de classes, d’ordres, de
castes, fixes dans le temps, car liés à une naissance. Cela signifie simplement
qu’on naît noble ou roturier, et qu’on le reste. Cette immobilité sociale (les
classes sont « distinctes et immobiles », §11) est fondée sur l’hérédité, la qualité
d’un sang : la fixité de caractéristiques biologiques. Par sa naissance, un homme
appartient à un corps, et l’esprit de corps, au sens quasi biologique de ce terme,
explique pourquoi l’individualisme n’existe pas. On comprend déjà la 3° partie de
ce chapitre : quand, avec la démocratie, les corps disparaissent et l’égalité des
conditions apparaît, l’individualisme peut naître. L’homme devient individu quand
il ne se définit plus par son appartenance à un corps. Lorsque la société dans
laquelle il vit n’est plus pour lui un corps dont il est membre, recevant du corps
sa vie et faisant à son tour vivre le corps, alors l’homme peut vivre en se
désintéressant de la société : c’est l’individualisme démocratique.
Tocqueville distingue ici trois corps imbriqués : la famille, la classe, la société
tout entière conçue comme organisme.
Le premier lien de sang est celui qui crée le corps familial (§9). Par sa
naissance, l’homme appartient à une famille, il en est un membre. Ce corps
engendre une solidarité entre ses membres qui vivent ensemble (« dans un
même lieu » -l’éloignement géographique disloquerait le corps dont les parties
seraient les membra disjecta d’une famille désormais éclatée : ce serait là le
propre de la société démocratique). La famille désigne une identité géographique
et temporelle ou historique : le lien de sang crée une continuité temporelle, un
passé et un avenir communs. Ainsi, lorsqu’un homme se définit par son
appartenance familiale, il ne se pense pas comme individu, mais comme partie
d’un tout : il doit sa vie à sa famille et contribue à la vie de sa famille. Il respecte
ses « aïeux » : le tout l’a fait naître, et ce respect est la reconnaissance d’un
passé auquel sa vie est rattaché. Il aime déjà ses « arrière-petits-fils » : cet
amour est le désir de collaborer à l’avenir du tout familial. L’homme est bien
membre d’un corps, entendu comme totalité organique. Respect et amour :
telles sont les vertus familiales dans l’exercice desquelles l’homme se pense
comme membre, et non comme individu, songeant à l’intérêt du corps, et non
d’abord au sien propre.
La classe sociale constitue un second corps qui englobe le premier (§§10-11).
Dans une société aristocratique, l’appartenance sociale définit l’homme, dans la
mesure où elle est définitive : il ne peut changer de rang (les classes sont
« immobiles », §11). Il s’agit moins d’une société que d’une pluralité de sociétés,
de classes. L’homme se pense non comme individu, mais comme membre d’une
classe : il en partage définitivement les mœurs et les valeurs. Dans L’Ancien
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régime et la révolution (livre II, chap. 9), Tocqueville écrit : « Nos pères
n’avaient pas le mot d’individualisme, que nous avons forgé pour notre usage,
parce que, de leur temps, il n’y avait pas en effet d’individu qui n’appartînt à un
groupe et qui pût se considérer absolument seul ; mais chacun des mille petits
groupes dont la société française se composaient ne songeait qu’à lui-même.
C’était, si je puis m’exprimer ainsi, une sorte d’individualisme collectif (…) ».
L’individu, ce n’est pas l’homme, c’est le groupe : le groupe est indivisible,
chaque partie en est un membre qui l’aime et le fait vivre (« une sorte de petite
patrie, plus visible et plus chère que la grande », §11). Notons que dans le texte
de L’Ancien régime et la révolution , Tocqueville décrit la société aristocratique
en train de mourir : chaque groupe ne songe qu’à lui, et cet individualisme
collectif prépare l’individualisme démocratique ; en revanche, dans notre chapitre
de La Démocratie en Amérique, Tocqueville analyse l’aristocratie dans sa pureté,
sans élément démocratique : certes l’individu est le groupe, la classe, au sens où
un corps est un individu, mais chaque classe se pense aussi comme partie d’un
plus grand tout, la société tout entière.
La société est un corps qui fait vivre chaque classe ; chaque classe à son tour
contribue à la vie du corps social (§§12-13). La société aristocratique est un
système organique de collaboration réciproque : un système de besoins
réciproques (« protection », « concours », §12), qu’il faut satisfaire pour assurer
la vie du tout. Ainsi, la hiérarchie sociale n’est pas une division, elle n’isole pas,
mais suscite une collaboration –chaque classe ayant, comme les organes d’un
corps, une fonction. Les fonctions diffèrent, et ces différences créent l’unité. Par
son appartenance sociale, chaque homme a donc des devoirs envers les
membres des autres classes. Ces devoirs sociaux sont les fonctions que les
organes d’un corps remplissent. « S’oublier » soi-même (§13), c’est effectuer
l’un de ces devoirs. Il ne s’agit pas de s’oublier pour se consacrer aux autres en
général (au non du respect de l’humain en chaque homme, du semblable en
autrui, indépendamment de son appartenance sociale), mais pour se consacrer,
par sa fonction sociale, aux membres de telle classe (« certains hommes », §13),
comme le seigneur a des devoirs envers ses vassaux. Le semblable, l’humain en
autrui : voilà des notions d’une morale universelle. La morale aristocratique est
fondée, non sur le semblable, mais sur la différence organique –l’unité d’un corps
complexe s’appuie sur une différenciation organique. Pour cette morale sociale,
l’idée d’un genre humain n’a pas de sens, puisque le genre (le genus), c’est
l’engendrement, la naissance, et qu’être engendré, c’est appartenir à une classe
et se définir par cette appartenance.

L’origine démocratique de l’individualisme


Dans la dernière partie du chapitre (§14 à §18), Tocqueville démontre que
l’égalité des conditions, propre de la démocratie, ruine les corps constitutifs de
l’aristocratie, et engendre ainsi l’individualisme.
La démocratie, comme type de société, c’est l’absence d’une hiérarchie
sociale immuable, d’une échelle fixe. Cela n’a rien à voir avec une absence de
classes. Il s’agit plutôt de l’absence d’une appartenance sociale définitive qui
définit chacun. Dans le chapitre I, Tocqueville a expliqué cet amour pour l’égalité
des conditions chez les peuples démocratiques. S’il n’y a pas de système
organique, il n’y pas non plus de devoirs sociaux liés à la fonction qu’on occupe
dans le corps social. Ainsi, la morale devient une morale universelle du devoir :
tout homme a droit au respect de son humanité. Cette morale universelle,
relative à l’émergence de la société démocratique, s’avère une morale abstraite :
un principe, et non plus l’effectuation réelle de devoirs imposés par le corps
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social. Se soucier de tout homme, cela revient à ne se soucier d’aucun : d’où


l’individualisme. L’individualisme sourd de la morale démocratique universelle,
dès lors que l’universalité est toujours une catégorie abstraite, une idée formelle.
L’absence d’appartenance sociale débouche sur l’absence d’appartenance
familiale. La famille ne subsiste pas dans la durée, car l’égalisation des conditions
crée une mixité sociale –les familles apparaissent et s’évanouissent au gré des
unions entre individus de classes différentes. On l’a vu, il n’y a de corps familial
que dans un passé et un avenir commun ; or, la mixité sociale dans les mariages
démultiplie tellement les appartenances qu’elle détruit finalement toute
appartenance.
La société démocratique n’est plus un corps, une totalité organique, une
échelle naturelle, un système de collaboration réciproque, car les classes n’étant
plus fixes, les conditions s’égalisent, et la société n’est plus constituée de
membres d’un organisme. De là l’individualisme : l’individu désigne un homme
qui ne vit aucun sentiment d’appartenance. On en déduit que la catégorie de
l’humain, du semblable, ne peut constituer une classe, et que le sentiment
d’appartenir à une communauté du genre humain ne peut exister (le semblable,
parce qu’il nie la différence, ne peut susciter un sentiment d’appartenance : il n’y
a de corps que démarqué des autres corps). D’où l’indifférence de l’homme
démocratique à l’égard des autres qui lui apparaissent comme des étrangers
(§16) : le semblable m’est étranger, car il n’est personne en particulier que je
puisse situer dans un ordre différentiel et avec lequel je partage le statue de
membre d’un corps. Etre « à part », c’est ne plus appartenir. La « chaîne »
désigne le modèle organique de la société ; briser la chaîne, c’est créer une
société comme totalité additive où le tout se réduit à la simple juxtaposition des
parties, indifférentes les unes aux autres, et au tout, car sans différence
organique, car semblables entre elles. La démocratie, en détruisant les corps,
fabrique des individus : l’individu n’est plus membre d’un tout, mais il est à lui-
même un tout (« ils s’habituent à se considérer toujours isolément », §17).
L’individu apparaît quand, avec l’égalité des conditions et la disparition des corps,
le système de besoin réciproque est anéanti («(…) pouvoir se suffire à eux-
mêmes. Ceux-là ne doivent rien à personne ; ils n’attendent pour ainsi dire rien
de personne », §17). Ne devoir rien à personne : c’est la disparition de la morale
sociale aristocratique, et peut-être de toute morale, puisque la morale
démocratique universelle n’est qu’un principe abstrait.
On comprend ainsi comment l’individualisme peut « enfin s’absorber dans
l’égoïsme » (§6). Etre enfermé « tout entier dans la solitude de son propre
cœur » (§18), cela ne conduit-il pas à l’égoïsme ? Certes, on l’a vu, Tocqueville
s’est employé à distinguer individualisme et égoïsme ; mais cette distinction
n’interdit pas de penser que l’individualisme spécifiquement démocratique
exacerbe la nature égoïste en tout homme. En effet, si les vertus publiques sont
les seules vertus effectives, si la morale universelle n’est qu’un principe abstrait,
s’il n’y a donc de morale que sociale ou politique, entendue comme ensemble de
devoirs dictés par l’appartenance à un corps, alors la démocratie est amorale.
Cela signifie que l’individualisme excite l’égoïsme. La société démocratique porte
ainsi les germes d’un état de nature ; elle devra mettre en œuvre les moyens
d’éviter cette menace (par l’exercice de la liberté politique, étudié dans le
chapitre IV ; par les associations, évoqués dans les chapitres V à VII ; et par
l’élaboration d’une morale adaptée à l’individualisme : la doctrine de l’intérêt bien
entendu, analysé dans le chapitre VIII).
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Pour conclure, on peut se contenter de formuler le problème que finalement


pose ce chapitre II : qu’est-ce que la fraternité dans une société démocratique ?
Autrement dit : la fraternité est-elle compatible avec l’égalité, telle que
Tocqueville l’entend ? Dans le chapitre I (« Pourquoi les peuples démocratiques
montrent un amour plus ardent et plus durable pour l’égalité que pour la
liberté »), Tocqueville a expliqué en quel sens l’égalité peut se passer de la
liberté. Dans ce chapitre II, il explique que l’égalité rend impossible la fraternité,
entendue comme sentiment d’appartenance à un corps, familial et social. Bref, la
société démocratique prend le risque de rendre vaines, car incompatibles, les
valeurs d’une République.

[Sur ce chapitre II et l’individualisme, on pourra en particulier lire, pour d’autres


perspectives, et pour approfondir l’explication :
Agnès Antoine, L’Impensé de la démocratie, Paris, Fayard, 2003, p. 37-42 (où
l’on pourra discuter de l’usage que fait l’auteur du concept psychanalytique de
narcissisme).
Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, Paris, Julliard, 1982 ;
rééd. Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2006, chap.II, p. 46-49 (sur l’état de nature
et la démocratie) et chap.VI. ]

Fabien Beaurieux,
professeur au lycée Doisneau de Corbeil-Essonnes

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