Note CSEN 2021 03
Note CSEN 2021 03
Note CSEN 2021 03
de l’éducation nationale
Note du CSEN
2021 – 03
Résumé
Depuis 2018, tous les élèves de CP bénéficient d’évaluations nationales qui mesurent leurs
compétences en langage, en mathématiques et leur évolution jusqu’au début du CE1 : c’est le
programme EvalAide, « Évaluer pour mieux aider ». L’objectif est d’identifier les besoins précis de
chaque élève afin d’intervenir le plus tôt possible pour compenser une éventuelle difficulté ou un
retard, et ainsi prévenir l’installation d’un déficit ou d’un découragement.
Nous partageons ici les résultats d’analyses réalisées à partir de ces données. Ces résultats confirment
que les évaluations sont à la fois sensibles et utiles : sensibles, parce qu’elles détectent des effets
extrêmement fins, comme l’augmentation systématique des performances avec l’âge des élèves, mois
après mois ; utiles, parce toutes les mesures effectuées en début de CP permettent d’anticiper sur le
développement ultérieur du langage et des mathématiques de l’élève, et suggèrent ainsi à l’enseignant
des priorités d’intervention.
L’école joue son rôle en réduisant l’écart entre les établissements et les catégories sociales à mi-CP,
avec un effet renforcé pour ceux qui bénéficient des réseaux d’éducation prioritaires (REP ou REP+).
En revanche, ces écarts réapparaissent en partie en début de CE1 : les élèves de milieu favorisé
consolident leurs acquis à travers l’été, ce qui n’est pas le cas des élèves de milieu défavorisé.
Enfin, en mathématiques, aucune différence entre filles et garçons n’existe en début de CP.
Cependant, quelques mois de scolarisation suffisent pour qu’un avantage apparaisse en faveur des
garçons et croisse au cours de l’année. L’analyse montre que c’est bien la scolarisation, et non l’âge,
qui cause cet écart. Nous proposons des pistes pour contrecarrer ce biais de genre.
1
Pauline Martinot et Cassandra Potier-Watkins, membres de l’unité de neuroimagerie cognitive à NeuroSpin ; Stanislas Dehaene,
président du CSEN ; Liliane Sprenger-Charolles et Johannes Ziegler, membres du CSEN. Remerciements aux équipes de la DEPP pour le
développement d’EvalAide ainsi qu’à Bénédicte Colnet, Raphaël Veil, Julie Josse et Gaël Varoquaux pour leur aide dans le traitement,
l’analyse des données et leur interprétation.
Introduction
Les enquêtes PISA et TIMMS pointent régulièrement les difficultés de certains élèves scolarisés en
France en lecture et en mathématiques. Cependant, ces enquêtes internationales, menées
respectivement à 15 ans et 9 ans, ont lieu à un âge trop tardif pour optimiser l’efficacité des
interventions.
Le dispositif EvalAide (« Évaluer pour mieux aider », évaluations nationales en CP et en CE1) a été
conçu dans le but de fournir, le plus tôt possible, une aide aux élèves qui risqueraient de développer
des difficultés en lecture et en mathématiques. L’idée est de permettre aux enseignants d’évaluer les
acquis et les besoins de chacun de leurs élèves, tôt, plusieurs fois dans l’année, et de manière précise,
afin d’être en mesure d’apporter à chacun l’aide dont il a besoin.
Des dispositifs comparables ont été mis en place dans plusieurs pays qui ont d’excellents résultats, par
exemple la Suède avec les « projets individuels d’amélioration » (appelés « IUP ») pour leurs élèves en
difficulté et ceux à risque de développer des difficultés, la Finlande avec les ALLU tests suivis
d’accompagnement personnalisé du progrès des élèves, le Royaume Uni qui a permis à ses jeunes de
passer de 58% de réussite en lecture de mots en fin de CP en 2012 à 82 % en 2019 avec le « phonics
check », ou encore Singapour avec le programme quotidien d’aide individualisée en petits groupes2.
Dès la maternelle, la recherche suggère que doter les enseignants d’outils plus précis d’évaluation
facilite les progrès des élèves (Raudenbush et al., 2020).
Depuis 2018, en France, tous les élèves qui sont entrés en CP ont donc passé des exercices en langage
et en mathématiques à trois moments de leur scolarité : au tout début du CP, en milieu de CP, ainsi
qu’en début de CE1.
• En début de CP (T1) : la compréhension orale des mots, des phrases et des textes ; la
manipulation des phonèmes et des syllabes ; les associations graphème-phonème ; la
reconnaissance des lettres et des suites de lettres.
• En milieu de CP (T2) : la compréhension orale des phrases ; la lecture de mots, de phrases et
de textes ; la manipulation des phonèmes et de syllabes ; les associations graphème-
phonème ; l’écriture de mots ; et (depuis 2019) la compréhension des phrases lues par l’élève.
• En début de CE1 (T3) : la compréhension orale des mots et des phrases ; la lecture de mots et
de textes ; la manipulation des syllabes ; l’écriture de mots ; la compréhension de phrases et
de textes lus par l’élève.
2
Suède : https://www.skolverket.se/regler-och-ansvar/ansvar-i-skolfragor/individuella-utvecklingsplanen-iup ; Finlande : Three Studies on
Learning to Learn in Finland Anti-Flynn Effects 2001-2017 ; R-U : https://www.gov.uk/government/collections/statistics-key-stage-1 ;
Singapour : The Singapore Reading and English Acquisition program
2
• En début de CE1 (T3) : l’écriture et la lecture de nombres ; la ligne numérique ; la résolution
de problèmes mathématiques ; la comparaison des grandeurs de deux nombres ; l’association
d’une quantité à un nombre ; l’addition et la soustraction ; le calcul mental ; et la reproduction
d’un assemblage géométrique.
Ces informations précises permettent de repérer le plus tôt possible les élèves qui sont les plus à risque
de développer des difficultés, ou qui pourraient présenter des troubles de l’apprentissage (dyslexie,
dysgraphie, dyscalculie, dysorthographie ...).
En 2018, une enquête de satisfaction auprès d’un échantillon représentatif d’enseignants a montré
que, selon 60% d’entre eux, le dispositif EvalAide a permis de déceler ou de confirmer les difficultés
de certains de leurs élèves. 37% des enseignants ont déclaré que ces évaluations pouvaient influencer
leur pratique. Ces chiffres sont en augmentation : en 2020, ils sont respectivement montés à 83% et
47% des enseignants3.
L’objectif d’EvalAide est d’aider chaque enseignant à faire progresser chaque élève selon ses besoins.
Pour ce faire, il est essentiel de bien comprendre ce que mesurent ces données, et comment elles
éclairent les facteurs de progrès des élèves. Dans la présente note, nous partageons les résultats
obtenus grâce à ces données.
Comment rapporter les résultats ? Nous aurions pu rapporter simplement le taux moyen de réussite
des élèves à chaque épreuve. Cependant, les exercices changent entre le début de CP (que nous
appellerons T1), le milieu du CP (T2) et le début du CE1 (T3). En effet, à chaque temps, EvalAide propose
des exercices adaptés au niveau attendu des élèves. Cela n’aurait aucun sens, par exemple, d’évaluer
la fluence de lecture à l’entrée en CP, avant que les élèves n’apprennent à lire, ni de leur demander de
réaliser des soustractions avant qu’ils n’aient maîtrisé les bases de l’arithmétique.
Comme les exercices sont différents d’une période à l’autre, on ne peut pas comparer directement
leurs scores absolus. Pour les rendre plus comparables, nous les avons transformés en « rang dans la
population ». Ce rang indique la position des résultats d’un élève par rapport à tous les élèves de
France au même moment de l’année et sur le même test. La note de chaque élève est exprimée en
percentile, et varie donc entre 0 (le plus faible résultat français) et 100 (le meilleur résultat français).
Le rang est utile car il permet d’évaluer les progrès relatifs des élèves, c’est-à-dire, la manière dont un
élève progresse comparativement au reste du groupe.
Ne soyez cependant pas surpris : certaines courbes donnent l’impression que certains élèves
régressent, car leur rang diminue. En réalité, tous les élèves progressent au fil du temps : s’ils passaient
deux fois le même test, on verrait que leurs scores absolus s’améliorent. Cependant, leurs positions
relatives peuvent changer. Un élève peut être le premier de la classe en début d’année, et le dixième
en fin d’année, tout en ayant bien progressé – c’est simplement le reste de la classe qui a progressé
plus vite que lui !
Une fois cette mise au point effectuée, examinons les principaux résultats ensemble.
3
L’âge a un effet important
En France, les élèves entrent normalement en CP l’année de leurs 6 ans. Or, certains sont nés en début
d’année, et d’autres en fin d’année. Il y a donc, parmi les élèves qui ne sont ni en avance ni en retard,
jusqu’à 12 mois d’écart entre les élèves d’une même classe. Les évaluations montrent que cette
différence d’âge a un très fort impact sur leurs résultats : quelques mois de plus ou de moins ont un
fort impact sur les résultats en mathématiques et en langage, et ce, quelles que soient les catégories
d’établissement.
Cet effet majeur se retrouve dans toutes les catégories sociales d’établissement, en CP comme en CE1.
Parmi les élèves plus jeunes et qui ont bénéficié d’une dérogation (le groupe en bleu clair), les résultats
sont plus élevés que la moyenne, indépendamment de l’âge précis des élèves. Ici, notre système
d’éducation nationale semble trop conservateur : il ne laisse entrer en CP, avant l’âge, que de rares
élèves dont le développement cognitif est manifestement très avancé (il atteint, voire dépasse celui
de leurs camarades qui ont un an de plus), et qui conservent d’ailleurs leur avance en CE1.
A l’opposé, parmi les élèves d’âge élevé (le groupe en bleu foncé), les résultats sont cette fois inférieurs
à la moyenne, et là encore, indépendamment de l’âge précis des élèves. Cette catégorie regroupe
vraisemblablement des situations très diverses et dont nous ignorons la nature : redoublements,
élèves allophones, situations de handicap ? Ces élèves sont nettement en retard, non seulement par
rapport aux élèves d’âge comparable, mais également par rapport aux élèves d’un an de moins.
Ainsi, grâce aux évaluations, plusieurs groupes à besoins se dessinent, notamment selon l’âge des
enfants dans une même classe.
La figure 2 montre l’effet des différences sociales selon l’établissement scolaire de l’élève. Nous avons
séparé les résultats en fonction du type d’établissement scolaire fréquenté par les élèves : école privée
4
ou école publique, en divisant ces dernières en réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+), réseau
d’éducation prioritaire standard (REP), et école publique hors réseau prioritaire (ici dénoté « public »).
Figure 2. Effet des catégories d’établissement scolaire et du niveau social sur les résultats en mathématiques en
début, milieu et fin de CP en 2018. Dans la légende, pour chaque catégorie sociale, l’IPS moyen de la catégorie
est précisé entre parenthèses. Chaque année, parmi environ 700 000 élèves représentés, approximativement
72% sont inscrits dans les écoles publiques hors REP, 12% en privé, 10% en REP, et 6% en REP+.
Au sein de chacune de ces catégories, nous avons séparé les écoles en fonction de l’indice de position
sociale4 (IPS) de leur secteur scolaire, qui varie d’environ 50 (le plus bas) à 150 (le plus élevé). Ainsi,
nous avons divisé les écoles publiques hors REP en quatre niveaux d’IPS, et les autres établissements
en deux niveaux d’IPS. En définitive, les 10 points de couleurs différentes montrent les performances
de 10 catégories d’écoles, de la plus favorisée (avec un IPS dit « haut »), à la plus défavorisée (avec un
IPS dit « bas »). Le graphe donne le rang moyen des élèves en maths, mais les résultats sont similaires
en français.
Les différences sociales sont clairement majeures dès l’entrée au CP (à T1). Cependant, à mi-CP (T2),
les points se resserrent. Nous observons ces résultats dans les domaines de mathématiques (Figure 2)
mais également dans les domaines du langage (résultats non présentés ici). Ainsi, en quelques mois,
l’école réduit les écarts de niveaux des élèves de catégories sociales différentes, en langage comme
en mathématiques.5 Ces résultats vont dans le sens des travaux en cours des experts de la DEPP sur
l’effet spécifique de la réduction des classes de CP et de CE1 en REP/REP+, qui montrent un impact
significatif et positif des classes dédoublées sur les acquis des élèves en langage et en
mathématiques.
Hélas, les écarts réaugmentent en début de CE1. Cet effet est probablement lié aux vacances d’été.
En effet, de nombreuses études suggèrent que l’absence d’école pendant l’été exerce une influence
considérable sur les élèves de milieu défavorisé : leurs compétences en langage et en mathématiques
progressent peu ou pas pendant les vacances, voire régressent. Ces données justifient d’intervenir par
4
Pour plus de détails sur la construction de l’IPS, voir l’article « Rocher T., 2016, Construction de l’IPS des élèves, Education Formations »
5
Le graphe peut donner l’impression que les bons élèves baissent entre T1 et T2, un « nivellement par le bas » ! Soulignons à nouveau que
ce n’est pas la bonne interprétation. En fait, tout le monde progresse, mais comme les élèves de REP et REP+ progressent plus, leur rang
remonte et, de ce fait, le rang des autres ne peut que descendre.
5
des dispositifs tels que les « vacances apprenantes », et indiquent qu’EvalAide fournit un excellent
outil pour en évaluer l’impact.
Ces données soulignent donc l’impact positif des mesures d’éducation prioritaire, et notamment le
dédoublement des classes, qui permettent une meilleure personnalisation des apprentissages.
L’ensemble de ces résultats est confirmé par d’autres techniques d’analyse, notamment des modèles
de régression linéaire qui permettent d’estimer la part des résultats en mathématiques qui est
expliquée par l’âge, le genre, et la catégorie sociale de l’école de l’élève (« pourcentage de
variance expliquée » : 7,9% à T1 ; 5,8% à T2 ; et 8,8% en T3). En particulier, la part due à la catégorie
sociale d’établissement chute nettement entre T1 et T2, mais remonte à T3 (5,2% à T1 ; 3,8% à T2 et
5,5% à T3).
La figure 3 démontre la robustesse de cet effet. Nous avons d’abord, comme précédemment, subdivisé
les classes en 10 catégories selon leur type d’établissement et l’indice de position sociale de l’école. A
l’intérieur de ces 10 types d’écoles, nous avons ensuite séparé les élèves selon leur âge (12 mois de
naissance). Dans chacun de ces 120 jeux de données, les garçons démarrent à égalité, mais finissent
6
avec de meilleurs résultats que les filles. Cet effet se creuse tout au long du CP/CE1, et ne dépend ni
du type d’école, ni de la position sociale, ni de l’âge des élèves.
En effet, la figure 4 montre l’écart de rang entre les garçons et les filles en mathématiques, en fonction
de l’âge de l’élève en mois au moment du test. On voit que l’âge n’exerce pratiquement aucune
influence sur ce biais. Ce faible effet de l’âge va également dans le sens de ce que dit la littérature
internationale sur les différences entre les filles et les garçons, à savoir qu’elles ne sont pas dues à une
supposée différence de « maturité cérébrale » entre les deux sexes.
Prenez par exemple le point à 85 mois : les élèves des courbes bleu clair et bleu foncé ont le même
âge, mais l’unique différence entre eux, est qu’ils ont reçu une durée d’exposition à l’école
différente. Ceux qui sont en milieu de CP (à T2) ont été exposés à environ 5 mois d’école, alors que
pour ceux qui sont en début de CE1 (à T3), cela fait 12 mois qu’ils sont entrés à l’école – et l’avantage
des garçons sur les filles en mathématiques est bien plus grand dans le second cas.
Ce résultat n’est pas non plus lié au changement d’exercices entre les trois temps de mesure. En effet,
on retrouve l’émergence rapide, en moins d’un an d’un biais en faveur des garçons, même dans les
exercices qui ont été répétés trois fois en début de CP, à mi-CP et en début de CE1 (avec des variantes) :
la résolution de problèmes arithmétiques et le placement d’un nombre sur la ligne numérique.
Nous en concluons que les écarts se creusent en faveur des garçons en mathématiques au cours de
l’année de CP en France.
Cette conclusion va dans le sens des dernières recherches internationales. En effet, dans les premières
années de vie, alors que les bébés possèdent un « sens des nombres », il n’existe aucune différence
entre garçons et filles. Même par la suite, les résultats internationaux de TIMSS et de PISA, auxquels la
France participe, montrent que la différence entre garçons et filles en mathématiques n’est pas
constante à travers tous les pays et varie selon les mesures de politique scolaire mises en oeuvre
(Mullis et al. 2012). En effet, ces données indiquent que (1) les garçons obtiennent de meilleurs
résultats que les filles dans 32 pays, notamment en Colombie, en Argentine, au Costa Rica, en Italie et
au Pérou où les écarts sont très marqués ; (2) les filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons
dans 14 pays ; (3) il n’existe aucune différence significative entre les garçons et les filles dans les autres
7
pays de l’OCDE (OCDE, 2020). Par ailleurs, les derniers résultats PISA de 2018 montrent que de
nombreux pays ont réussi à réduire, voire à combler, les écarts entre les sexes en mathématiques (36
pays et 21 pays respectivement). Ces résultats suggèrent que ces différences entre sexes ne sont ni
innées ni inévitables (OCDE, 2020).
Comment ces différences garçon-fille apparaissent-elles ? La recherche suggère que ces différences
s’expliqueraient en partie par les stéréotypes de genre que possèdent les adultes qui entourent l’élève
à l’école. Le simple fait de croire que les garçons et les filles ont des intérêts et des capacités différentes
peut renforcer les disparités entre les sexes (Hadjar et al., 2014). Les enseignants, en particulier,
interagissent différemment avec les garçons et avec les filles, entrainant des disparités dans leurs
résultats en mathématiques (Nollenberger et al., 2017). Cette perception stéréotypée, qui fait des
mathématiques un territoire essentiellement masculin, affecte ensuite de manière drastique les choix
d'orientation des élèves à l'adolescence (Carlana et al. 2019). Ces croyances varient d'un pays à l'autre,
en fonction des normes sociales et des conditions économiques qui prévalent à une époque donnée.
Ainsi, une analyse à long terme a montré qu'une plus grande participation des femmes au marché du
travail était associée à de meilleurs résultats scolaires chez les filles (Van Hek et al., 2016).
C’est toutefois, à notre connaissance, la première fois qu’on démontre l’apparition aussi soudaine d’un
biais de genre en mathématiques, en moins d’un an, et en lien direct avec la scolarisation. Si les
stéréotypes liés au genre sont présents dans toute la société, notamment dans le milieu familial, nos
résultats suggèrent que l’entrée à l’école joue le rôle d’un facteur déclenchant de leur internalisation
chez l’élève.
Nous nous sommes concentrés sur les résultats de mathématiques, car pour les exercices de langage,
l’évolution du biais de genre est très différente. Il existe un avantage pour les filles en début de CP,
qui se réduit après 6 mois d’école, et qui réapparait dans une moindre mesure après l’été, en début
de CE1, toujours en faveur des filles. Ainsi, dans le cas du langage, il semblerait que l’école permette
de réduire les écarts entre les filles et les garçons. Mais ces résultats suggèrent également qu’en
moyenne, dans ses enseignements fondamentaux, l’école profite plus aux garçons.
Ce constat préoccupant invite à collaborer bien plus avec nos enseignants dans le domaine de la
stéréotypie de genre afin de mettre en œuvre des gestes professionnels susceptibles d’en neutraliser
les effets. Certains gestes simples peuvent être utilisés : par exemple, dès la première année d’école,
interroger aussi souvent et aussi longtemps les filles que les garçons durant la leçon de
mathématiques. Une autre piste, sur un registre différent, est d’exposer les élèves régulièrement à des
modèles aussi bien féminins que masculins de réussite en mathématiques et en sciences, auxquels
filles et garçons peuvent facilement s’identifier. Par ailleurs, en intervenant également auprès des
parents, l’école peut devenir un des leviers essentiels pour diminuer l’impact de ce biais la réussite
ultérieure des élèves.
La figure 5 représente la trajectoire des 700 000 élèves entrés en CP en 2018 en langage et en
mathématiques. A chaque temps (T1, T2 et T3), les élèves ont été classés en 5 niveaux selon leur rang
8
parmi la population française. Le 1er quintile représente les 20% d’élèves avec les meilleurs résultats,
et le 5ème quintile les 20% d‘élèves avec les moins bons résultats parmi les 700 000 élèves en CP. Les
couleurs indiquent le niveau à l’entrée au CP, et permettent de suivre le devenir des élèves à mi-CP et
au CE1.
On constate que même si les résultats sont partiellement prévisibles, les trajectoires se croisent : les
tests de début de CP sont un signal d’alerte, sans pour autant indiquer un déterminisme. Le
diagramme souligne le potentiel de progrès que recèlent des interventions appropriées.
Figure 5. Trajectoire des rangs en mathématiques de 700 000 élèves entrés au CP en 2018.
La figure 6 ci-contre permet de se concentrer sur les élèves dont les résultats aux évaluations
nationales, en début de CP,
suggèrent des besoins
importants. On voit
qu’hélas, cette anticipation
est vraie : près de la moitié
d’entre eux resteront dans
le bas du tableau à T2 et T3.
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Gardons bien en tête la limite que représente l’analyse utilisée en percentiles ici : En effet, lorsque
certains progressent en rang, d’autres régressent de rang, et nous aurons ainsi toujours 20% des élèves
dans le 5ème quintile. En revanche, cette analyse permet de s’apercevoir que parmi les 20% des élèves
les moins bien classés en début de CP, certains parviennent à décoller de leur rang initial et à rattraper
les autres mieux classés.
Ces résultats sont confirmés par des modèles de régression linéaire, qui évaluent à quel point chaque
exercice de début de CP et chaque caractéristique de l’élève (son âge, son genre, sa catégorie sociale
de classe) prédisent ses résultats en milieu de CP et en début de CE1.
Pour chaque modèle, on obtient un score appelé « R² », entre 0 et 100%, qui représente la part des
résultats de l’élève qui s’explique par une caractéristique ou par un exercice donné (le « pourcentage
de variance » expliqué). Si tout était prévisible, le R² serait de 100%. Or, près de la moitié de la variance
en mathématiques en début de CE1 (T3) est expliquée par les résultats aux exercices de
mathématiques en tout début de CP (R2 = 44%). Ce chiffre monte à 57,1% si l’on inclut les résultats de
mathématiques à T1 et à T2. Le langage est également important en mathématiques : on parvient à
expliquer 61% de la variance en mathématiques à T3 à partir des résultats des exercices de
mathématiques et de langage à T1 et à T2.
Deux conclusions s’imposent. D’une part, il est utile de s’appuyer sur les résultats des évaluations
nationales pour adapter sa pédagogie car chacun des exercices proposés en début de CP, sans
exception, est un prédicteur significatif de la réussite en début de CE1. D’autre part, ces résultats
montrent que, bien entendu, tout n'est pas joué dès le début de CP. L’école parvient à faire
progresser de nombreux élèves initialement en difficulté, et comme les exercices d’Evalaide
permettent d’identifier les élèves qui ont des besoins spécifiques, utilisons les pour augmenter les
chances de progrès de chaque élève.
Autrement dit, ces exercices ont été bien choisis : chacun mesure une compétence spécifique et
permet d’anticiper d’éventuelles difficultés des élèves. En mathématiques, l’exercice de « ligne
numérique », où l’on demande de placer un nombre sur un segment, est l’un de ceux qui prédit le
mieux les compétences des élèves en mathématiques plus tard. En effet, il permet de voir si l’élève a
développé des intuitions sur les grandeurs des nombres, ainsi que sur leur capacité de mesurer les
longueurs et d’autres quantités. La ligne numérique et le sens de la mesure sont des outils essentiels
pour comprendre, plus tard, les additions, les soustractions, ensuite les nombres négatifs, les fractions,
les nombres réels, les graphes mathématiques, etc.
En résumé, les exercices d’EvalAide mesurent des compétences qui, si elles sont affaiblies et que l’on
n’intervient pas, risquent d’impacter les résultats ultérieurs des élèves en français et en
mathématiques. Les exercices d’Evalaide arrivent à un moment où il est tout à fait possible d’intervenir
pour infléchir la trajectoire des élèves. Cette trajectoire n’est pas figée ni déterministe, elle dépend au
contraire des compétences et des outils que les enseignants transmettent à leurs élèves.
Soulignons enfin que si, par souci de brièveté, nous n’avons présenté que les résultats d’une cohorte
(2018-2019) et insisté sur les résultats en maths, des résultats et des graphes très similaires ont été
obtenus dans la cohorte suivante (2019-2020) et dans les différents exercices de maths et de langage.
Tous les résultats, y compris l’émergence soudaine d’un biais de genre en mathématiques, sont donc
répliqués dans un second groupe d’environ 700 000 élèves.
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Ce qu’il faut retenir
• Les élèves entrent à l’école avec d’importantes différences de compétence, notamment liées à
l’âge et au milieu social, qu’EvalAide permet de détecter ;
• L'école réduit les différences entre catégories sociales d’établissement ;
• C’est au sein des REP et REP+ que les enfants progressent le plus en langage et en
mathématiques ;
• En mathématiques, un écart important en faveur des garçons apparait en moins d’un an, et ce
dans tous les domaines, particulièrement la résolution de problèmes et la ligne numérique ;
• En langage, l’école compense partiellement les écarts entre garçons et filles qui sont présents
dès l’entrée en CP ;
• Dans ses enseignements fondamentaux, la classe de CP profite plus aux garçons, que ce soit en
langage ou en mathématiques ;
• Tous les tests d’Evalaide sont utiles pour que les enseignants identifient, le plus tôt possible les
élèves à risque de développer des difficultés d’apprentissage et puissent suivre leurs progrès.
Pour les anglophones – des synthèses et traductions en français des articles ci-dessous sont en train d’être
réalisés par les scientifiques du CSEN
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