Gérald Pollack - Le Quatrième État de L'eau
Gérald Pollack - Le Quatrième État de L'eau
Gérald Pollack - Le Quatrième État de L'eau
solide, liquide
ou vapeur
Gerald Pollack est docteur en
ingénierie biomédicale, professeur et
chercheur universitaire à Seattle,
fondateur et rédacteur en chef de la
revue Water. Il a reçu de très
nombreuses récompenses internatie
nales dont la médaille Prigogine, un
doctorat honoris causa de l'université
d'état Ural de Ekaterinburg (Russie),
une chaire honoraire de professeur à
l'académie des sciences de Russie,
ainsi que la plus haute distinction de
l'Université de Washington, le Faculty
Lecturer Award et le Transformative
R01 Award des mains du directeur du
National Health lnstitute américain. Il
est membre de nombreuses sociétés
savantes comme la Srpska Academy,
l'American lnstitute of Medical and
Biological Engineering, l'American
Heart Association et la Biomedical
Engineering Society.
Amené à étudier l'eau via la biochimie,
ses découvertes sont révolutionnaires
car elles expliquent enfin bon nombre
de mécanismes de l'eau jusqu'ici
ignorés, survolés, ou mal compris.
Le quatrième état de l'eau est son
troisième livre (chacun ayant été
primé), et son premier publié en
français.
Ce qu'ils en disent
« Le livre de science le plus intéressant que j'aie jamais lu. Cela m'a
montré qu'il est encore possible d'établir quelque chose de vraiment
nouveau dans la science. »
- Zhiliang Gong, Université de Chicago.
« Einstein n'a rien de plus que Pollack. Pollack possède une habileté
étrange pour identifier les bonnes questions et saisir des idées simples. »
- Cap. T.C. Randol/, auteur, Forbidden Healing
«C'est comme avoir de nouvelles lunettes! La clarté est stupéfiante. »
- Charles Cushing, scientifique
«Imprescriptible. »
- Nigel Dyer, Université de Warwick, Royaume-Uni.
Au-delà de l'état
solide, liquide ou vapeur
GERALD H. POLLACK
préface de Marc Henry
Collection « Recherches» dirigée par Médéric Degoy
Publié par les Éditions Extraordinaires, Place Ramon Lull 66500 Prades, France
www.editionsextraordinaires.fr- +33 (0)977400595 - [email protected]
Edition de octobre 2019; dépôt légal octobre 2019
Achevé d'imprimer Par Spektar en août 2019 ; imprimé en Europe, distribué par
Pollen.
ISBN 978-2-490769-04-9
Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée
dans un système de recherche documentaire ou transmise sous quelque forme ou par
quelque moyen que ce soit, électronique, mécanique, photocopie, enregistrement ou autre,
sans le consentement écrit préalable de l'éditeur.
À Gilbert Ling
X
La seconde personne est un artiste, mon fils Ethan Pollack. Dessinant déjà
à l'âge de quatre ans, Ethan a poursuivi dans cette voie en étudiant la sculpture
à l'Université de Syracuse puis il a profité d'un séjour à Florence pour développer
son talent; Ethan a également étudié à New York auprès de Jeff Kaons, un artiste
de classe mondiale, avant de finalement retourner vivre à Seattle. Travailler à
ses côtés a été un pur délice. Ethan a montré une grande compréhension des
concepts scientifiques évoqués, une grande sensibilité, une créativité inhabituelle
et une aptitude particulière à prêter attention aux détails, et il n'a cessé de se
dévouer à la réussite de ce projet. Si vous trouvez que les concepts abordés dans
ce livre sont clairs et agréablement illustrés, c'est Ethan que vous devez remercier.
Enfin, j'aimerais exprimer mes remerciements à mon éditeur, Don Scott. Don
est sans conteste l'une des personnes qui s'expriment le mieux dans mon entou-
rage. Philosophe par éducation et avocat de formation, Don a un goût particulier
pour les mots. Sans réellement comprendre comment il faisait, il a toujours su
deviner ce que j'essayais maladroitement d'exprimer, et m'a aidé à reformuler les
phrases lourdes que j'avais tenté de rédiger. Don a montré une faculté troublante
à saisir la logique dans des domaines qui n'appartiennent pas à son champ
d'expertise. Si vous jugez qu'il demeure des points obscurs dans ce livre, c'est
probablement à cause de mon entêtement à ne pas tenir compte de ses conseils.
En plus de ces principaux contributeurs, j'ai bénéficié des avis de trois
cohortes de relecteurs dont l'une se composait de mes propres collègues de labo-
ratoire. Ces derniers ne se sont jamais gênés pour me montrer les parties du livre
avec lesquelles ils n'étaient pas d'accord. Plusieurs d'entre eux ayant manifesté un
certain embarras vis-à-vis de conclusions qui leur paraissaient peu orthodoxes,
j'ai voulu être clair sur le fait que cette responsabilité m'incombait totalement.
Les commentaires incisifs qu'ils ont exprimés lors de pauses déjeuners ainsi que
leurs annotations m'ont aidé à affiner la version finale, notamment plusieurs des
chapitres les plus difficiles. Il va sans dire que leurs nombreuses contributions
expérimentales forment le squelette de ce livre.
Certains étudiants se sont également révélés précieux. Mon laboratoire attire
un groupe assez considérable de chercheurs bénévoles encore étudiants. Pour
nombre d'entre eux, l'expérimentation ressemble davantage à un jeu qu'à du tra-
vail : nous fournissons les jouets, et ils se servent de leur imagination pour réaliser
des expériences que les scientifiques « adultes » n'oseraient peut-être même pas
imaginer. Les étudiants adorent ces expériences, et plusieurs d'entre eux ont
obtenu des résultats totalement inattendus, parfois même fondamentaux. Ce
livre présente ces découvertes en détail. En plus de leurs contributions expéri-
mentales, de nombreux étudiants ont pris la peine de lire et critiquer des versions
successives de ce texte, et je leur adresse mes plus sincères remerciements.
xi
Outre ces deux groupes de relecteurs, un grand nombre de collègues à travers
le monde ont lu les premières ébauches de ce livre. Ces collègues sont chimistes,
physiciens, ingénieurs ou biologistes et certains même non-scientifiques ; beau-
coup y ont consacré des heures. Leurs conseils collectifs m'ont évité de m'égarer
trop loin ; ils m'ont également aidé à structurer cet ouvrage, une tâche moins
simple qu'il n'y paraît. Certains m'ont dit que l'objectif de ne faire qu'un seul livre
pour expliquer la totalité de la science de l'eau était impossible : chaque chapitre
pourrait faire l'objet d'un livre entier, et trouver un juste équilibre entre lisibilité et
longueur s'est avéré particulièrement difficile.
Je tiens à remercier les membres de ma famille pour tout un tas de raisons
différentes. À ma partenaire dans la vie, Emily Freedman, je dois faire des excuses
publiques: je n'ai pas tenu la promesse que j'avais faite dans mon précédent livre,
à savoir que le suivant serait plus court et qu'il prendrait moins de mon temps.
Ce livre est plus long, et d'autres sont déjà en cours. Emi s'est montrée excep-
tionnellement compréhensive face aux exigences d'un projet de cette ampleur,
et elle a montré la patience d'un ange. Les autres membres de ma famille m'ont
également apporté leur soutien : Mia, qui s'est pratiquement fait un devoir de
détacher son père d'un ordinateur parfois hypnotique ; Ethan, qui a toujours
gracieusement accepté de retoucher ses dessins à chaque fois que je le lui ai
demandé sans jamais se départir de sa bonne humeur; et Seth, qui s'est amusé de
me voir répondre à toutes ses questions par cette réponse:« eau structurée». Je
ne vois pas comment ma famille aurait pu m'encourager davantage durant cette
longue aventure.
J'ai évoqué plus haut ces cohortes de relecteurs, et j'aimerais dresser la liste
de ceux qui m'ont aidé à rédiger le présent livre : étudiants, chercheurs, scien-
tifiques et profanes. L'.aide qu'ils m'ont apportée dépasse souvent leur statut
académique ; je vais donc citer ces contributeurs par ordre alphabétique, et s'il
m'arrivait d'omettre un nom, que l'on veuille bien m'en excuser.
Je remercie les personnes suivantes : Peter Allen, Brandon Bowman, Brian
Biccum, Frank Borg, Binghua Chai, Ruying Chen, Daniel Chiang, Chi Chuang, Cara
Comfort, Charles Cushing, Ronnie Das, Ken Davidson, James deMeo, Aparajeeta
Duttchoudhury, Nigel Dyer, Collin Eddington, Xavier Figueroa, Herb Fleschner, Ben
Flowers, Emily Freedman, Gonzalo Garcia, Karl Gatterer, Matthew Gel ber, Krystal
Ginter, Matias Gonzalez, Ron Griffin, John Grigg, Zhanna Grigoryan, Emmanuel
Haven, Mae-Wan Ho, Arie Horowitz, Linda Hufnagel, Breanna Huschka, John
Hwang, Federico lenna, Hiromasa lshiwatari, Tengiz Jaliashvili, Mana! Jmaileh,
Konstantin Korotkov, Ethan Kung, Kurt Kung, Victor Kuz, Alysia Letourneau,
Zheng Li, Molly McGee, Lior Miller, Francesco Musumeci, Kylie van Nguyen, Derek
Nhan, Gabriela Patilea, Bernard Pennock, Ari Penttila, Orion Polinsky, Ethan Pol-
lack, Seth Pollack, Sylvia Pollack, Leo Ramakers, Randy Randall, Sudeshna Sawoo,
xii
Rainer Stahlberg, Clint Stevenson, Heather Swain, Masaaki Takarada, Shrutee
Tandon, Yolene Thomas, Tony Thomson, Merry Toh, Gerard Trimberger, Karoly
Trombitas, Outi Villet, Vladimir Voeikov, Jacob Waller, Jeff Yang, Hyok Yoo, et
Rolf Ypma. Trois d'entre eux, Cara Comfort, Charles Cushing et Rolf Ypma, y ont
consacré un temps et des efforts considérables.
Enfin, je remercie Amanda Fredericks pour sa créativité et le soin qu'elle a
porté aux détails.
La réalisation de ce livre a nécessité les efforts combinés d'une vaste commu-
nauté d'individus consciencieux et réfléchis, et j'aimerais remercier tous ceux qui
y ont participé.
xiii
Préface
xiv
toulousaines de l'eau de septembre 2009. Les plus scientifiques pourront quant à
eux consulter le chapitre 2 de mon livre intitulé « L'eau et la physique quantique »
(Dong/es, 2016).
1. Pression des échanges à travers les membranes cellulaires; ici,« faible» indique une
pression de quelques atmosphères seulement, soit quelques fois plus que la pression
ambiante normale
2. solubilité de 832 g·L- 1
3. voisine de 966 atmosphères, soit près de 1000 fois plus que la pression ambiante normale
4. parfois aussi élevée que 172 atmosphères
XV
d'eau « liée » par opposition à l'eau « libre » que l'on trouve dans les vacuoles des
cellules végétales.
Mais l'affaire se corse en 1930 lorsque Je prix Nobel de médecine (1922)
Archibald Vivian Hill démontre de manière « définitive », à J'aide d'expériences
sur des muscles de grenouilles, que /'existence d'une eau intracellulaire ayant des
propriétés différentes de l'eau liquide était en fait une chimère. En fait, lorsque
les mêmes mesures furent refaites en 1970 par Gilbert N. Ling sur toute la gamme
d'activité de J'eau 5, ce dernier trouva en fait qu'il n'y avait nulle trace d'eau
liquide dans le muscle. Le drame fut que 40 années s'étaient écoulées depuis
les expériences " définitives » de A. V. Hill, durant lesquelles toute une nouvelle
génération de biologistes était apparue, acceptant le dogme du petit sac d'eau
liquide délimité par une membrane semi-perméable obéissant à la rassurante
équation de van't Hoff. Un tel dogme a bien évidemment très vite rendu obligatoire
dès 1941 la notion de pompes ioniques fonctionnant 24h sur 24 au moyen d'ATP
et assurant le passage des ions à travers la membrane : il se trouve que le milieu
intracellulaire est riche en ions potassium6 et pauvre en ions sodium ou chlorure,
alors que le milieu extracellulaire est au contraire pauvre en ions potassium 7 et
riche en ions sodium ou chlorure. Le problème soulevé à l'époque par Gilbert Ling
est que si l'on compare l'énergie disponible en ATP dans la cellule et le travail
nécessaire pour pomper les ions sodium contre le potentiel membranaire, on
constate des déficits énergétiques compris entre 1500 et 3000%. Des mesures
indépendantes faites concernant le transfert du potassium ont confirmé que le
coût de fonctionnement d'une pompe ionique était démesuré, compte tenu des
capacités de production d'ATP de la cellule.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette violation flagrante du premier
principe de la thermodynamique par la cellule n'est évoquée et discutée en France
que dans le livre de Pascale Mentré et dans les livres de Gilbert N. Ling et de Gerald
H. Pollack aux USA. En fait la solution à ce paradoxe est extrêmement simple et
repose sur le fait que l'eau intracellulaire est structurée en multicouches et
ne se comporte donc pas du tout comme l'eau liquide que nous connaissons
tous. L'ion sodium se trouve spontanément exclu du milieu intracellulaire: pour y
pénétrer, cela supposerait qu'il perde sa première couche d'hydratation fortement
liée. À J'inverse pour l'ion potassium, sa première couche d'hydratation étant
beaucoup plus labile, il peut se frayer un chemin dans l'eau interfaciale polarisée
en multicouches pour venir s'adsorber sur les sites chargés des résidus glutamate
et aspartate des protéines. Dans cette optique, les pompes ioniques, véritables
5. 0,043 ~ aw ~ 0,996
6. ions potassium 140 mM; ions sodium 5 mM; ions chlorure 5-15 mM
7. ions potassium 5-15 mM, ions sodium 145 mM, ions chlorure 110 mM
xvi
démons de Maxwell de la cellule, sont donc parfaitement inutiles : la membrane
n'est pas là pour empêcher la fuite du potassium vers le milieu extracellulaire
mais simplement pour définir des véritables postes frontière (protéines inter-
membranaires) destinés à contrôler et réguler le passage des électrolytes. Cette
vision des choses est cohérente avec l'expérience du muscle coupé de Gilbert N.
Ling qui montre que le potassium reste dans le milieu intracellulaire même si l'on
retire la membrane cellulaire.
C'est dans ce contexte que Gerald Pollack et son équipe de recherche vont
étudier les propriétés de l'eau interfaciale, rebaptisée« El-water» dès 2010 suite
à /'observation au microscope optique d'une zone d'eau au voisinage de polymères
hydrophiles excluant de manière systématique les col/aides et les sels. Jerry est
très intrigué par ce phénomène inexplicable dans Je cadre d'une chimie colloïdale
conventionnelle qui prévoit qu'une telle zone d'exclusion devrait s'étendre sur
quelques couches moléculaires tout au plus. Or il observe dans son microscope
des zones faisant au moins un quart de millimètre d'épaisseur, correspondant
donc à plusieurs centaines de milliers de couches moléculaires. Pollack et ses
collègues vont ainsi éliminer une à une toutes explications conventionnelles. Ils
démontrent aussi que /'El-water (eau-lE en français) présente un maximum
d'absorption de la lumière à une longueur d'onde de 270 nanomètres et émet
moins de radiations infrarouge que l'eau normale. Cette eau possède aussi une
viscosité plus élevée ainsi qu'un plus fort indice de réfraction et présente un
pH acide, signe de /'existence de protons en excès venant contrebalancer une
charge négative intrinsèque. Pour Jerry, toutes ces expériences l'amènent à la
conclusion que la zone d'exclusion contient de l'eau sous la forme d'un cristal
liquide constitué de feuillets hexagonaux de molécules d'eau empilés les uns
sur les autres et présentant un rapport oxygène sur hydrogène de 2:3. Par des
expériences très ingénieuses, Jerry et son équipe montrent que la séparation de
charge est provoquée par des rayonnements infrarouges (la zone d'exclusion
disparaît dès que /'échantillon est protégé des radiations extérieures).
Tout ceci est très bien expliqué dans ce livre et permet à Jerry de réexaminer
à la lumière de sa nouvelle théorie des faits que l'on croyait bien compris comme
la formation des nuages, l'action capillaire, la formation de givre ou de bulles, le
mouvement Brownien ou encore la tension superficielle. Le lecteur trouvera dans
ce livre des explications nouvelles et très originales de tous ces phénomènes et de
bien d'autres qui pourraient sembler extraordinaires voire inexplicables. Toutes
les nouvelles explications avancées par Jerry ont le mérite de ne pas faire appel à
des forces supernaturel/es ou paranormales. La question se pose donc de savoir
pourquoi ce quatrième état de l'eau reste ignoré de la plupart des scientifiques.
La raison semble tenir au fait que si la théorie de Jerry s'avère exacte, alors il
xvii
convient de réhabiliter des scientifiques vilipendés dans le passé pour avoir
suggéré que l'eau pouvait exister dans un état différent de ceux reconnus
conventionnement (vapeur, liquide ou solide). Il conviendrait donc de réhabiliter
les travaux de Nika/ai Fedyakin et Boris Oerjaguin dans les années 1960 sur
l'eau polymérisée, ou encore ceux de Jacques Benvéniste dans les années 1980
suggérant que l'eau pourrait bien avoir une mémoire. Ce livre contribue donc à un
changement de paradigme considérable qui pourrait révolutionner la biologie
cellulaire, la physiologie des plantes, la signalisation chimique et bien sûr la
médecine telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui. En effet, même si Jerry ne le
mentionne pas explicitement, le nouveau paradigme sous-tendu par ce livre est
que toute matière hydratée possède de manière intrinsèque une certaine forme
de« conscience», ce qui nous renvoie à une vision chamanique et holistique du
monde que l'on croyait avoir définitivement vaincue et éradiquée au dix-septième
siècle avec /'avènement de la science moderne. Pour une grande majorité des
scientifiques (dont je ne fait pas partie évidemment) un tel retour en arrière
vers une vision animiste du monde est non seulement insupportable mais aussi
inacceptable.
xviii
xix
Sommaire
Remerciements X
Préface xiv
Préambule xxiii
Bestiaire xxxii
Références 342
Crédits photos 349
Glossaire 350
Préambule
Un lauréat du Nobel était assis dans mon salon. Il semblait mal à l'aise et
j'étais moi-même intimidé, une situation parfaite pour créer un certain embarras ;
c'était un peu comme essayer de parler de la pluie et du beau temps avec Einstein.
Qu'auriez-vous fait?
Sir Andrew Huxley était un Nobel parmi les Nobel. Il avait effectué des travaux
sur les membranes cellulaires, et lorsqu'eut lieu notre entrevue, il était devenu
la référence dans le domaine de la contraction musculaire. Sir Huxley avait de
nombreux titres et il était notamment président de la Royal Society et doyen du
Trinity College de Cambridge; en outre, la reine d'Angleterre l'avait élevé à l'ordre
du Mérite. Il était également membre de la prestigieuse famille Huxley, une famille
qui a vu naître le fameux biologiste Thomas Henry Huxley (« le bouledogue de
Darwin » ), et !'écrivain visionnaire Aldous Huxley. Et c'était chez moi, dans mon
humble salon, qu'était assis cet imposant aristocrate scientifique.
Aucun d'entre nous n'osa aborder de front la question qui fâchait pendant
ce moment embarrassant : nos résultats expérimentaux obtenus en laboratoire
démontraient que la théorie de mon invité était peut-être erronée, et lui-même
était venu vérifier nos travaux réalisés plus tôt dans nos installations. Ainsi, alors
que nous bavardions dans mon salon, nous évitions d'évoquer ce sujet épineux
pour parler du temps qu'il faisait et d'autres banalités. Même après quelques
verres de sherry à fin de lubrification sociale, il était vraiment difficile de se lan-
cer; après tout, Huxley était un oracle scientifique, presque une divinité.
Des personnages imposants comme Huxley sont toujours intimidants ; tou-
tefois, il ne faut pas oublier que même les scientifiques les plus renommés restent
des êtres humains: ils mangent les mêmes choses que nous, partagent les mêmes
passions, et sont sujets aux mêmes manies. Nous pouvons nous émerveiller de
leur perspicacité et de leurs contributions, mais nous ne devons pas nous sentir
obligés de considérer leurs travaux comme dénués d'erreur ou absolus; il est rare
qu'un énoncé scientifique soit sacré.
Considérer un énoncé scientifique comme sacré est une grave erreur. Un cadre
de référence doit reposer sur de solides fondations basées sur des observations
expérimentales plutôt que sur des énoncés sacrés, faute de quoi le produit fini
pourrait bien ressembler aux subtiles impossibilités de Maurits Cornelis Escher,
quelque chose que personne ne souhaite. Même les modèles qui existent depuis
xxiii
longtemps restent vulnérables s'ils ne parviennent pas à apporter une compré-
hension simple et satisfaisante des phénomènes observés. L.'.histoire de Galilée
nous enseigne que lorsqu'un modèle bien établi a besoin du soutien d'« épicyles »
élaborés pour s'accorder aux observations empiriques, il est temps de chercher
un modèle plus simple.
Ce livre a pour objectif d'élaborer une base solide pour une nouvelle science
de l'eau, qui tire son origine de récentes découvertes. Ces nouvelles conceptions
permettent de proposer un cadre de référence doté d'un fort pouvoir prédictif :
les phénomènes de tous les jours deviennent parfaitement explicables sans avoir
recours à des tours de passe-passe. Mais ce n'est pas tout : en élaborant ce
nouveau cadre, nous avons établi quatre nouveaux principes scientifiques qui
ne s'appliqueront peut-être pas seulement à l'eau mais aussi à l'ensemble de la
nature.
L.'.approche que je propose ici n'est donc pas une approche conventionnelle.
Elle n'est pas construite selon les principes de « l'opinion dominante » ; elle n'ac-
cepte pas non plus aveuglément tous les principes fondamentaux actuels comme
intrinsèquement valides. Au lieu de cela, elle revient aux sources de la science et
repose sur des observations, une logique simple, et les principes chimiques et
physiques les plus élémentaires. Un exemple : lorsque vous observez la vapeur
qui s'élève de votre tasse de café, vous pouvez réellement voir les volutes de
vapeur. Que cela vous dit-il à propos de la nature du processus d'évaporation ?
Les principes fondamentaux actuels suffisent-ils à expliquer ce que vous voyez?
Ou doit-on commencer à chercher ailleurs? (Vous comprendrez de quoi je parle
en lisant le chapitre 15).
Certains pourront trouver cette approche quelque peu irrévérencieuse du fait
qu'elle ne rend pas hommage aux« dieux» de la science; pour ma part, je pense
qu'elle constitue la meilleure voie pour une compréhension intuitive de la nature,
une compréhension que même les profanes pourront apprécier.
Je ne suis pas né avec une mentalité de révolutionnaire; en fait, j'étais même
quelqu'un de très conventionnel. Lorsque j'étudiais le génie électrique, je prenais
soin de venir habillé correctement en cours et veillais à me montrer toujours
respectueux des autres. Lorsqu'il y avait une fête, je portais une cravate et une
veste, comme mes pairs. Nous ressemblions autant à des révolutionnaires qu'à
des membres d'un club de couture pour grand-mères.
C'est seulement lorsque j'ai fréquenté l'Université de Pennsylvanie que
quelqu'un a planté en moi les graines de la révolution. À l'époque, mes études
portaient sur la bio-ingénierie. Si je trouvais la composante ingénierie plutôt
rébarbative, la partie biologie apportait une bouffée d'air bienvenue. Celle-ci me
paraissait prometteuse : une science très dynamique et pleine de promesses pour
xxiv
l'avenir. Néanmoins, aucun de mes professeurs de biologie ne nous a jamais laissé
entendre que des étudiants comme nous pourraient un jour être à l'origine de
découvertes majeures ; notre rôle allait consister à ajouter de la chair fraîche sur
un squelette déjà existant.
Je pensais donc que faire de la science consistait à annexer des morceaux
de chair de temps à autre, jusqu'à ce qu'un collègue déclenche un voyant rouge.
Tatsuo lwazumi est arrivé à l'Université de Pennsylvanie peu de temps avant que
j'obtienne mon doctorat. J'avais réalisé une simulation grossière de la contraction
cardiaque sur ordinateur en me basant sur le modèle d'Huxley, et lwazumi devait
continuer mes travaux. « Impossible ! » me dit-il. Manquant de la déférence si
caractéristique de la plupart des Japonais que je connaissais, lwazumi me déclara
sans détour que ma simulation ne servait à rien : étant donné qu'elle reposait
sur la théorie acceptée de la contraction musculaire, le mécanisme théorique ne
pouvait pas fonctionner. «Ce mécanisme est intrinsèquement instable, continua-
t-il, si un muscle fonctionnait réellement de cette manière, il s'envolerait lors de
sa toute première contraction. »
Waouh ! Remettre en question la théorie du muscle d'Andrew Huxley ?
Impensable.
Bien que (feu) lwazumi fut un étudiant brillant dans tous les domaines et
qu'il arrivait avec des références impeccables de l'Université de Tokyo et du MIT,
il n'était manifestement pas d'accord avec le légendaire Sir Andrew Huxley. Com-
ment un prix Nobel si distingué aurait-il pu se tromper? On nous avait appris que
les mécanismes scientifiques énoncés par ces sages étaient des vérités aussi bien
théoriques que pratiques, et voilà que ce jeune étudiant japonais effronté me
disait que cette vérité particulière était non seulement erronée, mais impossible.
Malgré ma réticence, il me fallut bien admettre que l'argument d'lwazumi était
plutôt convaincant: clair, logique et simple. Pour autant que je le sache, personne
ne l'a contesté à ce jour. Ceux qui découvrent cet argument pour la première fois
en saisissent rapidement la logique, et nombreux sont ceux qui s'avouent surpris
par sa simplicité.
Pour moi, cette rencontre a constitué un tournant dans ma vie. Elle m'a mon-
tré qu'un argument logique pouvait l'emporter sur un système de croyance ancien
suivi par une armée de fidèles. Une fois réfutée, une théorie est morte, finie ;
le système de croyance s'effondre pour toujours. Adhérer éternellement à une
idée s'apparente à de la doctrine religieuse, non à de la science. Ma rencontre
avec lwazumi m'a aussi appris que réfléchir par soi-même n'était pas qu'un cliché ;
c'est un ingrédient nécessaire dans la recherche de la vérité. Et c'est précisément
cet ingrédient qui m'a amené à rencontrer Sir Andrew Huxley au sujet de notre
désaccord sur la contraction musculaire (question qui n'a jamais été résolue).
XXV
S'attaquer aux dogmes n'est pas une partie de plaisir, je suis bien placé pour
le savoir. On pourrait penser que les membres de l'establishment scientifique
accueillent chaudement toute nouvelle approche apportant un éclairage iné-
dit sur un sujet ancien, mais la plupart du temps il n'en est rien. Les nouvelles
approches dérangent l'opinion dominante. Les scientifiques conventionnels vont
se mettre sur la défensive à chaque fois qu'une initiative de ce genre menacera
leur réputation. Par conséquent, la route du trublion se révélera traîtresse, pleine
de virages dangereux et d'obstacles formidables.
J'ai réussi à survivre à ces premières années malgré ces obstacles. En équi-
librant savamment irrévérence et science conventionnelle, et en y ajoutant même
une certaine mesure d'obéissance, j'ai pu avancer et m'en sortir indemne. Même si
nos intentions étaient parfaitement claires, nous avons inauguré des techniques
qui se sont avérées suffisamment étonnantes pour permettre à mes étudiants
de dénicher de bons postes à travers le monde entier, certains d'entre eux se
hissant aux plus hauts niveaux académiques. C'est en acquérant une certaine
respectabilité que j'ai survécu au destin funeste que connaissent la plupart des
perturbateurs.
Mes centres d'intérêt ont commencé à s'élargir lorsque je suis arrivé au milieu
de ma carrière. Je me suis mis à ratisser plus large dans différents domaines scien-
tifiques, et j'ai constaté que les contradictions abondaient. Certaines des remises
en question que d'autres chercheurs soulevaient dans leur spécialité semblaient
aussi importantes que celle de la contraction musculaire.
L'un de ces défis concernait l'eau, le sujet de ce livre, et l'agitateur le plus
illustre de l'époque était Gilbert Ling. Ling avait inventé des micro-électrodes en
verre qui ont révolutionné l'électrophysiologie cellulaire. Cette contribution aurait
dû lui valoir un prix Nobel, mais Ling a commencé à avoir des ennuis quand les
résultats de ses travaux lui ont fait dire que les molécules d'eau au sein de la
cellule étaient alignées de façon ordonnée. Il était inenvisageable d'admettre
l'existence d'un tel alignement pour la majorité des biologistes et des physiciens.
Ling ne s'est pas montré avare dans le partage de ses conclusions, en particulier
avec les chercheurs susceptibles de penser différemment.
Ainsi, pour cet affront et d'autres hérésies annoncées avec force, Ling est
tombé en disgrâce. Les scientifiques les plus conservateurs l'ont qualifié de pro-
vocateur, mais moi, j'ai pensé autrement. J'ai trouvé que ses propos sur la cellule
étaient aussi cohérents que les idées d'lwazumi sur la contraction musculaire.
Il restait des points à éclaircir, mais dans l'ensemble, sa théorie paraissait fon-
dée sur des données factuelles, logiques, et il se pouvait qu'elle ait un jour une
grande portée. Je me souviens avoir invité Ling à venir faire une conférence à mon
université. Un collègue plus âgé m'a demandé d'y réfléchir à nouveau ; prenant
xxvi
une attitude très paternaliste, il m'a averti que si j'apportais mon soutien à une
figure aussi controversée, cela risquait de compromettre irrémédiablement ma
propre réputation. J'ai décidé de prendre le risque, même si cette mise en garde
m'a tracassé un bon moment.
Le cas de Ling m'a ouvert les yeux. J'ai commencé à saisir pourquoi les gens
de son espèce connaissaient tous le même destin : à chaque fois, les idées qu'ils
apportaient provoquaient un certain embarras parmi les partisans de la science
orthodoxe, et ces derniers allaient à leur tour lui causer des problèmes. J'ai aussi
pris conscience que ces remises en question étaient plus fréquentes que ce que
l'on pense généralement. Non seulement l'eau et la contraction musculaire étaient
en crise, mais on pouvait également entendre des voix dissidentes s'élever dans
des domaines très divers s'étendant de la neurotransmission à la gravitation cos-
mique. Plus je cherchais, et plus j'en trouvais. Et je ne parle pas de contestations
douteuses émises par des illuminés en quête de renommée, mais de désaccords
rationnels exprimés par des scientifiques sensés et professionnels.
Ce type de remises en questions sérieuses abondent dans la science. Il est
fort possible que vous n'en entendiez jamais parler, tout comme ce fut le cas pour
moi jusqu'à une époque assez récente, pour la bonne raison que ces discussions
passent le plus souvent inaperçues. L.'.establishment n'a pas intérêt à laisser voir
qu'il y a un défaut dans la cuirasse, et c'est pourquoi ces controverses ne sont
jamais médiatisées; il se peut même que les jeunes scientifiques débutant dans
leurs domaines respectifs ne sachent pas que leur spécialité est l'objet de pro-
fonds désaccords.
Les contestations suivent un schéma prévisible. Troublé par la complexité
d'une théorie qui s'avérerait en outre en désaccord avec ses propres observations,
un scientifique se lève pour signaler qu'il a constaté un problème, et il propose
souvent une théorie de remplacement. L.'.establishment réagit généralement en
ignorant l'intéressé. Ce procédé condamne la plupart des nouveaux modèles à
disparaître dans les ténèbres. Les quelques discussions qui connaîtront une suite
seront le plus souvent traitées avec brutalité : l'establishment écartera le trublion
avec mépris, l'accusant souvent d'avoir perdu la raison.
Il est facile de prévoir la suite: la science maintiendra le statu quo, et l'affaire
s'arrêtera là ; le cancer n'est pas guéri. La science continuera à se développer
sur des fondations de moins en moins sûres, parfois même branlantes, ainsi qu'à
produire des modèles laborieux et des manuels toujours plus lourds et bourrés
de détails parfois dénués de tout intérêt. Certains domaines sont à présent si
complexes qu'ils en sont devenus pratiquement incompréhensibles. De nombreux
scientifiques assurent que c'est ainsi que doit être la science moderne : compli-
quée, isolée et séparée de l'expérience humaine. Pour eux, le très simple lien de
xxvii
cause à effet est une caractéristique appartenant au passé qu'il faut rejeter en
faveur des corrélations statistiques complexes et modernes.
J'ai appris beaucoup à propos de notre complaisance envers la complexité
scientifique en lisant QED, le livre de Richard Feynman sur l'électrodynamique
quantique. Nombreux sont ceux qui considèrent Feynman, une figure légendaire
de la physique, comme le Einstein de la fin du 2oème siècle. Dans l'introduction de
l'édition anglaise de 2006, un physicien de premier plan écrit que le lecteur ne
comprendra probablement pas de quoi il est question dans ce livre mais qu'il faut
tout de même le lire car cela est important. J'ai trouvé cette remarque quelque
peu décourageante, mais finalement pas aussi décourageante que ce que déclare
Feynman dans sa propre introduction : « C'est mon rôle de vous convaincre de ne
pas vous détourner de ce livre parce que vous ne le comprenez pas. Vous savez,
mes étudiants en physique ne le comprennent pas non plus. Cela parce que je ne
le comprends pas moi-même. Ni personne. »
Le livre que vous tenez entre les mains propose une approche qui réfute l'idée
que la science moderne doit se situer au-delà de la compréhension humaine.
Nous nous sommes efforcés de rester le plus simple possible. S'il s'avère que les
principes actuellement acceptés par la science orthodoxe sont incapables d'ex-
pliquer facilement des observations que nous faisons tous les jours, je déclare
qu'il est temps que les masques tombent, car il se peut que ces principes soient
inadaptés. Même si nous avons parfois hérité ces principes fondamentaux de
grands noms de la science, nous ne devons pas écarter la possibilité que de nou-
veaux concepts pourraient nous aider à mieux comprendre le fonctionnement de
ces phénomènes.
Notre objectif premier est de comprendre l'eau. Pour le moment, l'eau semble
être quelque chose de compliqué. La compréhension des phénomènes du quo-
tidien nécessite souvent des entorses complexes aux grands principes et des
explications contre-intuitives, et, malgré cela, nous ne parvenons toujours pas à
en obtenir une compréhension satisfaisante. Il est possible que l'origine de cette
complexité insatisfaisante soit la base sur laquelle repose actuellement la science,
à savoir un assemblage ad hoc de vieux principes émanant de divers champs
d'études. On pourrait penser qu'une base plus judicieuse, élaborée directement
à partir de l'étude de l'eau, permettrait d'en obtenir une compréhension plus
simple : telle est la direction que nous avons choisie de suivre.
Vous n'avez aucunement besoin d'être un scientifique vous-même pour lire ce
livre; il a été écrit de manière à pouvoir être lu par quiconque possède les connais-
sances scientifiques les plus basiques. Si vous comprenez le fait que le positif
attire le négatif et si vous avez déjà entendu parler de la table périodique des
éléments, vous devriez en saisir le message. En revanche, ceux qui ont l'habitude
xxviii
de tourner en dérision tout ce qui remet en question les dogmes actuels trouve-
ront certainement notre approche agaçante en cela qu'elle pose de nombreuses
questions pertinentes. Cet ouvrage est un livre atypique, une saga présentant de
nombreux problèmes auxquels nous apportons des solutions que vous trouverez,
je l'espère, satisfaisantes, et peut-être même amusantes, à lire.
Je me suis limité à citer les sources lorsque cela me paraissait absolument
nécessaire, et lorsqu'un fait est généralement connu ou facilement vérifiable, je
les ai volontairement omises, l'objectif étant de fluidifier le texte pour en faciliter
la lecture.
Enfin, j'avoue ne pas me faire d'illusion sur le fait que parmi les idées présen-
tées dans ce livre, toutes ne seront pas nécessairement des vérités de demain,
certaines d'entre elles n'étant que des spéculations. J'ai voulu écrire un livre de
science, pas de science fiction, mais comme vous le savez, une simple observation
peut parfois suffire à démolir la plus belle des théories. En rédigeant cet ouvrage,
j'ai fait tout mon possible pour assembler honnêtement les données actuellement
disponibles pour en faire un cadre de référence interprétatif. Il ne s'agit pas d'un
cadre conventionnel, et je sais déjà que certains scientifiques ne sont pas d'ac-
cord avec tout ce que j'énonce, mais mon objectif premier n'a jamais été autre
chose que de créer de la compréhension là où il y en a si peu.
Maintenant, le temps est venu de plonger dans ces eaux troubles et de voir si
nous réussirons à en extraire quelque lumière.
GHP
xxix
« Découvrir consiste à voir ce que tout le monde avait vu
et à penser ce que personne n'avait pensé. »
Albert Szent-Gyorgyi,
Prix Nobel (1893-1986)
GrnoE TOURISTIQUE SUR LE S E SPÈCE S TAPIES
DANS LES RECOINS DU MYSTÈRIEUX MONDE DE L 'EAU.
-- -~- ..
eau en vrac
xxxii
É LECTRON E T PROTON
La molécule d'eau est neutre. Son oxy- Un proton (c'est à dire, un atome
gène porte deux charges négatives, d'hydrogène privé de son électron)
s'accroche à une molécule d'eau pour
tandis que ses deux atomes d'hy-
former un ion hydronium. Imaginez
drogène portent chacun une charge une molécule d'eau chargée positive-
positive. ment : vous avez un ion hydronium.
Les espèces chargées comme les
ions hydronium sont très mobiles et
peuvent faire beaucoup de ravages. ~
xxxiii
B ATIERIB JNTERFACIALE É NERGIB RAYONNANTE
~!q;;._ :+
1
T -,
-1·:1 Î+ 1
•+ +
+
+
+
+
........................................................................................................................r··················································· .. ····································································•
xxxiv
G OUTl'E BULLE
- -~ . .;;. -
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111+ + + -
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-+ + + + + + +_
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,_ + + + + + + +-
- + + + +-
-: + + + -
~ +++++_-
.,, _._ --
VÉSICULE
Étant donné que les gouttes et les bulles sont structurées sur le
même modèle, nous introduisons le terme générique de vésicule.
Une vésicule pourra désigner une goutte ou une bulle selon l'état
de l'eau qui se trouve à l'intérieur. Une goutte qui absorbe suffi-
samment d'énergie peut se transformer en bulle.
XXXV
' .
1ere partie
3
C>D1:>1·1·111 S
5
- qui n'est pas sans rappeler un miracle biblique? (Li-
sez le chapitre 16.)
• Nuages isolés. De la vapeur d'eau s'élève des
immenses étendues ininterrompues des océans.
Cette vapeur devrait être partout ; pourtant, des
nuages blancs floconneux formeront souvent des
entités séparées qui ponctueront un ciel par ailleurs
bleu (Fig. 1.2). Quelle force dirige la vapeur qui s'élève
de manière diffuse vers ces sites spécifiques ? (Les
chapitres 8 et 13 abordent cette question.)
• Articulations qui grincent. Généralement, les
profondes révérences ne provoquent pas de grince-
ment, ceci parce que l'eau assure une excellente lu-
brification entre les os (en réalité, entre les couches
Fig. 1.2 Qu'est-ce qui dirige
de cartilage qui recouvrent les os.) Comment et par
la vapeur qui s'élève des
quelle caractéristique l'eau permet-elle de diminuer
océans vers des endroits
les frictions? (Voyez le chapitre 12.)
précis?
• Flottaison de la glace. La plupart des subs-
tances se contractent en refroidissant. t..'.eau se
contracte également, jusqu'à 4°C ; en-dessous de
cette température critique, l'eau entre en expansion,
et d'autant plus lorsqu'elle se transforme en glace.
C'est la raison qui fait que la glace flotte. Qu'a donc
de spécial cette température de 4°C, et pourquoi la
glace est-elle à ce point moins dense que l'eau ? (Le
chapitre 17 répond à ces questions.)
• Consistance du yaourt. Pour quelles rai-
sons les yaourts restent-ils aussi fermes ?
(Dévorez le chapitre 8.)
6
1) Le mystère des microbilles migratrices
Ces étudiants venaient d'effectuer une expérience simple. Ils avaient déversé
une grande quantité de petites billes (que l'on nomme « microbilles ») dans un
bécher rempli d'eau, agité le récipient pour s'assurer que le mélange se fasse cor-
rectement, couvert le bécher pour minimiser l'évaporation, avant de rentrer chez
eux passer une bonne nuit de sommeil. Le lendemain matin, ils étaient revenus
examiner le résultat.
Selon la pensée dominante, il n'aurait rien dû se produire de plus qu'un pos-
sible dépôt au fond du bécher. Les microbilles en suspension aurait dû donner
une eau uniformément trouble, un peu comme si on avait versé quelques gouttes
de lait dans de l'eau avant de secouer le tout vigoureusement.
L'eau semblait en effet uniformément trouble ... dans sa plus grande partie,
car au centre du bécher (en regardant par le dessus), on pouvait voir un cylindre
d'eau claire inexplicable allant du sommet au fond du récipient (Fig. 1.3). La
limpidité de ce cylindre signifiait que l'eau le composant était dépourvue de
microbilles : une force mystérieuse avait écarté les microbilles en dehors d'une
colonne centrale vers les bords du récipient. Si vous avez vu 2007, L'Odyssée de
/'Espace et l'étonnement des hommes-singes lorsqu'ils voient pour la première fois
le monolithe aux lignes parfaites, vous pouvez vous faire une idée de la manière
dont nos mâchoires se sont décrochées ; c'était vraiment quelque chose à voir.
Ces cylindres sont apparus aussi longtemps que les conditions initiales sont
restées dans une fenêtre bien définie, et nous avons pu en produire à volonté2.
Question : qu'est-ce qui provoque la migration contre-intuitive centrifuge de ces
microbilles? (Le chapitre 9 l'explique.)
7
2) Le pont d'eau
Le « pont d'eau » est un autre phénomène curieux
obtenu en laboratoire par lequel on peut voir de l'eau
relier deux béchers séparés l'un de l'autre. Bien que
le pont d'eau soit une curiosité qui a aujourd'hui plus
d'un siècle, Elmar Fuchs et ses collègues ont réalisé
des travaux au retentissement mondial.
Fig. 1.4 Le pont d'eau. Un
La démonstration débute en remplissant d'eau
pont fait d'eau couvre la dis- deux béchers pratiquement jusqu'en haut puis en les
tance qui sépare deux béchers plaçant côte à côte, les bords en contact. Une élec-
remplis d'eau. Qu'est-ce qui trode plongée dans chacun des béchers créera une
soutient ce pont ? différence de potentiel de l'ordre de 10 kV; immédia-
tement, l'eau de l'un des béchers va sauter par-dessus
son rebord pour rejoindre l'autre bécher. Une fois le pont formé, il est possible
d'éloigner lentement les deux béchers ; le pont ne se rompra pas, il continuera
à s'allonger et à couvrir la distance qui sépare les deux récipients même lorsque
leurs bords seront éloignés de plusieurs centimètres (Fig. 1.4).
Étonnamment, le pont d'eau a du mal à s'affaisser et présente une solidité
qui rappelle celle de la glace, même lorsque l'expérience a lieu à température
ambiante.
Je vous conseille de résister à la tentation de reproduire cette expérience à
haute tension sauf si vous pensez être immunisé contre les électrocutions ; il est
plus sage de regarder une vidéo de ce phénomène époustouflant.w1 Question :
Comment ce pont uniquement constitué d'eau tient-il ? (Voyez le chapitre 17.)
Enfin, la Fig. 1.6 nous décrit une observation qui donne de quoi se gratter la
tête. De l'eau provenant d'une bouteille renversée ou d'un robinet ordinaire est
répartie entre deux tuyaux. Des gouttes tombent de chacun de ces tuyaux, passent
à travers des anneaux en métal, puis retombent dans des récipients métalliques.
Des fils électriques assurent une connexion croisée entre les anneaux et les réci-
pients comme on peut le voir sur le dessin. Des sphères métalliques reliées aux
récipients en métal se font face avec un vide de plusieurs millimètres entre elles.
Initialement conçue par Lord Kelvin, cette expérience produit un résultat sur-
prenant. Une fois que suffisamment de gouttes sont tombées, on commence à
entendre un crépitement, puis, peu après, on observe un flash de décharge dans
le vide accompagné d'un craquement audible.
9
Une décharge électrique ne peut se produire que s'il y a une grande différence
de potentiel électrique entre les deux récipients ; cette différence de potentiel
peut aisément nécessiter 100 000 volts suivant la longueur du vide. Pourtant, le
grand écart de charge électrique nécessaire pour créer cette différence de poten-
tiel provient d'une unique source d'eau.
Il est possible de construire l'un de ces appareils exotiques à la maisonw2 ;
néanmoins, cela reste beaucoup plus simple de regarder la décharge obtenue en
vidéo. Un bel exemple est celui du professeur Walter Lewinw3 qui effectue une
démonstration devant une classe pleine d'étudiants de première année du MIT
stupéfaits; il invite ensuite ces étudiants à expliquer ce phénomène en guise de
devoir à la maison. Pouvez-vous expliquer pourquoi une simple source d'eau peut
provoquer un écart de charge si important? (Lisez le chapitre 15.)
10
Le prochain chapitre se révélera particulièrement utile : il revient sur ce que
nous connaissons déjà sur le comportement social de l'eau tout en se penchant
sur ce que nous ne savons pas, mais il expose surtout les raisons surprenantes
qui font que nous en savons si peu sur la substance la plus abondante sur Terre.
11
2 Le comportement social de Hp
La vision classique des interactions eau-eau est le modèle dit des «grappes
vacillantes » introduit en 1957 par Frank et Wen. Dans ce modèle, des grappes de
molécules d'eau se formeraient à partir de l'eau environnante. Un rétroaction po-
sitive ferait grossir les grappes jusqu'à une taille critique où elles finiraient par se
14
disperser spontanément. Tout ceci se passerait sur une échelle de temps allant de
m-10 à m- 11 secondes, ce qui explique le « vacillement » des grappes. Bien qu'elle
soit obsolète, cette théorie figure encore dans de nombreux manuels.
• Martin Chaplin, de l'Université de South Bank de Londres en Angleterre,
défend un modèle légèrement mieux organisé. Chaplin suggère que l'eau liquide
se composerait de deux types de nanograppes combinées : l'une vide, comme
une coquille, et plus ou moins effondrée; l'autre plus solide et plus régulièrement
structurée. Les molécules d'eau passeraient rapidement d'un état à l'autre, mais
sous certaines conditions, le nombre moyen de molécules de chaque catégorie
restant le même. Ceux que ce modèle intéresse trouveront davantage de préci-
sions, et beaucoup d'autres informations sur l'eau, sur le site très intéressant de
Chaplin.w1
· Une vision bien différente ressort des travaux d'Anders Nillson de l'Uni-
versité de Stanford et de Lars Petterson de l'Université de Stockholm. Leur mo-
dèle repose également sur le postulat qu'il existerait deux types d'eau coexistant :
des chaînes organisées comme la glace qui contiendraient jusqu'à une centaine
de molécules, et une forme désorganisée enveloppant ces amas. Les auteurs
évoquent une sorte de mer désorganisée qui contiendrait des anneaux et des
chaînes d'atomes d'hydrogène et d'oxygène.
• Le modèle de l'Université de Milan se caractérise par des grappes bien plus
grandes. En s'appuyant sur la théorie quantique des champs, del Giudice propose
l'existence de liaisons submicroniques dans l'eau, chacune pouvant impliquer plu-
sieurs millions de molécules. Ces liaisons entre les molécules d'eau pourraient
être vues comme des antennes qui recevraient de l'énergie électromagnétique
extérieure, grâce à laquelle elles pourraient libérer des électrons, rendant ainsi
possibles des réactions chimiques.
· Gene Stanley, de l'Université de Boston, a conçu un modèle populaire à
partir des associations inhérentes à tous les modèles précédents. Stanley suggère
que l'eau aurait deux états distincts, l'un avec une densité basse et l'autre avec
une densité haute. Cette distinction apparaîtrait plus clairement avec de l'eau en
surfusion. leau à basse densité présente une structure tétraédrique ouverte, tan-
dis que l'eau à haute densité montre une structure plus compacte. leau passerait
dynamiquement d'un état à l'autre.
• Un autre modèle à deux états insiste sur l'existence possible des molécules
d'eau sous la forme d'images en miroir; autrement dit, une partie des molécules
d'eau serait dite gauchère, l'autre droitière. Les principaux partisans de ce mo-
dèle sont Sergueï Pershin de Russie, Meir Shinitzky et Yosi Scolnik d'Israël. Ils ex-
pliquent que les proportions relatives de ces deux types de molécules pourraient
expliquer différentes caractéristiques de l'eau.
15
• Le modèle le plus structurellement complexe, mis en avant par Rustum Roy,
ce regretté pionnier de la science des matériaux, souligne l'hétérogénéité de la
structure de l'eau, mais également la facilité qu'ont les molécules d'eau d'échan-
ger entre elles, celle-ci ne requérant que très peu d'énergie. La Figure 2.3 est un
dessin de structures représentatives.
16
Pourquoi nous en savons si peu
Peut-être trouverez-vous cela difficile à croire, mais peu de scientifiques étu-
dient l'eau. Comme les profanes, la plupart des chercheurs présument que l'on
doit déjà tout savoir sur ce corps chimique si courant et qu'il n'y a plus aucun défi
scientifique à relever ; c'est pourquoi ils estiment qu'il est préférable de faire des
recherches en biologie moléculaire ou dans le domaine des nanosciences que de
plonger dans des eaux qui promettent de se révéler ennuyeuses.
Les scientifiques rechignent à étudier l'eau aussi pour une seconde raison.
L'eau semble parfois avoir un caractère presque mystique, et les gourous des
anciennes religions pensaient que l'eau renfermait des pouvoirs de guérison
extraordinaire; songez à « l'eau bénite». Ce côté mystique des choses rend les
recherches sur l'eau quelque peu risquées : toute découverte anormale pourrait
être perçue comme l'œuvre du diable plutôt que de la science, et il n'est jamais
bon de se retrouver confronté à ce type d'accusations.
Malgré ces deux obstacles, l'eau a autrefois occupé une position centrale
dans la recherche scientifique. La science avait des priorités différentes à celles
d'aujourd'hui durant la première moitié du 20•m• siècle : plutôt que d'amasser des
connaissances toujours plus approfondies dans des champs d'études étroits, les
scientifiques cherchaient à découvrir des principes généraux applicables à l'en-
semble de la nature. L'ensemble revêtait plus d'importance que ses composantes
moléculaires, et cet ensemble devait inclure l'eau puisqu'elle est virtuellement
partout.
C'était aussi une époque où les chercheurs s'intéressaient beaucoup aux col-
loïdes, ces particules submicroscopiques en suspension dans un liquide. Convain-
cus que les colloïdes étaient à la base de la vie, un grand nombre de scientifiques
pensaient que l'on pourrait mieux comprendre la chimie propre à la vie en perçant
les mystères des interactions entre l'eau et les colloïdes. Cette focalisation sur
les colloïdes, associée à une approche holistique, plaçait l'eau au centre de la
recherche scientifique.
Mais, au milieu du 20•m• siècle, deux choses ont fortement compromis une
moisson qui s'annonçait prometteuse. La première est une évolution vers la spé-
cialisation de la recherche ; cette tendance a poussé les scientifiques à s'intéres-
ser davantage aux molécules, reléguant l'eau à un rôle secondaire. Les molécules
étaient alors très en vogue et apparemment, mieux on comprenait une molécule,
plus on s'approchait de la vérité scientifique. Fatalement, les recherches sur l'eau
ont fini par paraître désuètes et ont progressivement perdu de leur importance.
L'autre cause qui a conduit les scientifiques à ne plus s'intéresser à l'eau tire
son origine de deux incidents socio-politiques dont chacun s'est traduit par un
terrible coup de frein sur les progrès de notre compréhension de l'eau.
17
Le premier incident, que l'on a appelé « le scandale de l'eau polymérisée », a
commencé durant la Guerre Froide vers la fin des années 1960, lorsque les Russes
ont annoncé avoir fait une découverte extraordinaire; de l'eau enfermée dans des
tubes capillaires très fins semblait se comporter d'une manière différente que de
l'eau en vrac : ses molécules vibraient différemment, sa densité était anormale-
ment élevée, et il était difficile de la faire geler ou s'évaporer. De toute évidence,
on avait ici affaire à une forme exotique d'eau. Comme ses propriétés incluaient
une haute stabilité commune à de nombreux polymères, les chimistes ont pensé
qu'il s'agissait d'une eau-polymère et l'ont donc baptisée du nom funeste d'« eau
polymérisée».
La découverte de l'eau polymérisée a déclenché beaucoup d'enthousiasme
dans la communauté scientifique : rendez-vous compte, une nouvelle phase de
l'eau. Mais cette découverte s'est également heurtée à un certain scepticisme, et
les Russes se sont finalement montrés très embarrassés quand des scientifiques
occidentaux ont constaté la présence d'impuretés. En effet, la prétendue eau
pure qui se trouvait à l'intérieur des tubes capillaires s'est avérée contenir du sel
et de la silice provenant des tubes eux-mêmes, et c'étaient manifestement ces
impuretés qui étaient à l'origine des caractéristiques si particulières que l'on avait
observées. Même Boris Derjaguin, le légendaire chimiste responsable de la plu-
part des études initiales, a dû finalement reconnaître publiquement qu'il y avait
bien présence d'impuretés. Les sceptiques ont pu justifier leur première réaction
en disant qu'ils avaient trouvé l'eau polymérisée« difficile à avaler».
Je reviendrai par la suite sur l'affaire de l'eau polymérisée. J'ajouterai sim-
plement ici que les « contaminants » constituent des menaces dans tous les
domaines de la recherche scientifique. Tout chercheur aimerait travailler avec des
éléments purs, mais il est souvent difficile d'obtenir une pureté absolue. Dans
le cas de l'eau, atteindre la pureté est virtuellement impossible étant donné sa
propension à absorber toutes sortes de molécules étrangères ; l'eau est un sol-
vant naturel pour pratiquement tout. Nous comprendrons donc que l'eau contient
naturellement des contaminants, et que leur présence dans des quantités limitées
n'implique pas qu'il faille rejeter systématiquement une caractéristique particu-
lière observée.
Cependant, le mal était fait. Au début des années 1970, les Russes furent
accusés de mener leurs expériences à la légère. Le préjudice fut disproportionné
par rapport à la portée de l'inculpation, notamment en raison du retentissement
extraordinaire dont l'eau polymérisée avait fait l'objet lorsque la presse s'était
emparée de l'histoire. Pensez-donc, nous suggérait-elle : une seule goutte d'eau
polymérisée jetée dans la mer pouvait agir comme n'importe quel catalyseur poly-
mérique et transformer toute l'eau de la Terre en une seule masse informe, ce qui
aurait signifié la fin de toute vie. Cela semblait en effet dangereux (Fig. 2.4).
18
Le grand public a donc été soulagé d'apprendre
que ces observations n'étaient dues qu'à une simple
contamination de l'eau, tandis que des chercheurs
moins paranoïaques se sont montrés déçus que
cette nouvelle découverte scientifique prometteuse
ne soit rien d'autre qu'une erreur expérimentale.
Dans tous les cas, les spécialistes de l'eau ont été
perçus comme des incompétents.
Il n'est pas difficile de s'imaginer l'impact catas-
trophique qu'a eu cet incident sur toute la recherche
sur l'eau. Si le premier chimiste de Russie pouvait
aussi facilement se laisser induire en erreur, qu'en Fig. 2.4 Le spectre de l'eau
était-il alors des scientifiques ordinaires ? Une polymérisée.
menace de discrédit planait sur les carrières, et de
grands scientifiques qui auraient pu s'intéresser au
domaine de l'eau ont choisi des sujets plus sûrs afin d'éviter toute possibilité de
se retrouver eux-mêmes polymérisés.
C'est ainsi que la recherche sur l'eau s'est arrêtée brutalement, principalement
par peur. Quelques chercheurs courageux ont bien continué, notamment dans le
domaine de la biologie, mais l'élan initial fut définitivement brisé. Les mystères
brumeux de l'eau furent laissés à d'autres, dans un avenir plus ou moins lointain.
19
provoquait la même réaction moléculaire. Il était donc manifeste que l'eau diluée
avait conservé une « mémoire » des molécules avec lesquelles elle était entrée
en contact, puisque seules ces molécules étaient suffisamment spécifiques pour
initier la réaction observée.
« Absurde » se dit Sir John Maddox, le rédacteur en chef de Nature. Comment
diable l'eau pourrait-elle retenir des informations? Mais tout le monde ne fut pas
forcément d'accord avec sa réaction apparemment rationnelle. Les homéopathes
se servent d'un procédé similaire lorsqu'ils préparent leurs remèdes, et certains
membres de la communauté homéopathique se réjouirent qu'un éminent scienti-
fique ait enfin réhabilité leur approche. Ceci dit, Jacques Benveniste s'intéressait
davantage aux sciences qu'à l'homéopathie. Nature ayant vigoureusement rejeté
ses observations, Benveniste riposta en demandant à des collègues travaillant
dans trois autres laboratoires de répéter ses protocoles expérimentaux pour véri-
fier s'ils obtiendraient les mêmes résultats.
Incroyablement, ce fut le cas. Ainsi, Benveniste fit parvenir à Nature un nou-
veau rapport sur ces observations ; le journal réagit de la même façon que la
première fois. Manifestement, quelque soit le nombre de laboratoires obtenant
les mêmes résultats, ces conclusions paraissaient si improbables qu'un troll
devait de toute évidence se dissimuler dans l'eau diluée. Avec l'affaire de l'eau
polymérisée encore présente dans tous les esprits, Nature pensait avoir flairé un
nouveau scandale.
Mis au défi d'agir dans les règles, le journal accepta finalement de publier les
travaux de Jacques Benveniste, mais à une condition: le rédacteur en chef se réser-
vait le droit de constituer une commission d'enquête qui regarderait par-dessus
les épaules des scientifiques français lorsqu'ils effectueraient leurs expériences,
après quoi la commission ferait son rapport aux lecteurs de Nature. Les Français
acceptèrent ces conditions. L'article de Benveniste fut rapidement publié, avec
une mise en garde teintée de scepticisme. Le rédacteur en chef indiquait qu'il
allait lancer une enquête : une commission de scientifiques allait déterminer ce
que les scientifiques français faisaient véritablement.
En réalité, la commission, dirigée par John Maddox en personne, allait se
composer de véritables inquisiteurs plutôt que de scientifiques. Pour ce faire, il
recruta deux autres personnes : Walter Stewart, enquêteur professionnel venu
d'un département spécialement dédié à la révélation des fraudes scientifiques à
l'Institut Américain de la Santé, et James Randi, connu également comme « Randi
le Stupéfiant ». Magicien de renommée mondiale, Randi devint célèbre en révé-
lant les trucs d'autres magiciens, comme lorsque Uri Geller avait prétendu pouvoir
léviter. À en juger par la composition de la commission de «scientifiques>>, il était
clair que Maddox suspectait davantage qu'une erreur innocente.
20
La commission se rendit à Paris pour observer
attentivement les expériences. Les premières séries
d'expériences se déroulèrent bien comme prévu, et
les Français semblèrent dominer les premiers rounds.
Mais lorsque l'un des visiteurs effectua lui-même les
dilutions, les choses ne se passèrent plus aussi bien.
Les visiteurs se concertèrent et arrivèrent rapidement
à la conclusion que si les Français obtenaient les résul-
tats annoncés alors qu'eux-mêmes n'y parvenaient
pas, il devait forcément y avoir un truc. Même si ces
objecteurs professionnels se montrèrent incapables
de déterminer la nature du« truc», le rapport qu'ils
rédigèrent à l'intention de la communauté scienti-
fique déclarait sans ambages que la mémoire de
l'eau relevait du «fantasme».
Cette histoire tumultueuse est pleine
d'anecdotes, et je recommande
deux livres pour ceux qui voudraient
en savoir plus. Le premier est le livre
de Philip Ball cité plus haut1 ; Ball
travaillait à l'époque pour Nature
et était un proche de Maddox. Le second est Memory
of Water4, du regretté physicien Michael Schiff. Celui- Fig. 2.5 La science fran-
ci travaillait pour le laboratoire français au moment de çaise dans l'embarras?
l'affaire. Comme vous pouvez imaginer, ces auteurs ont
des points de vue plutôt divergents. Pour vous faire une
idée juste, vous devriez lire les deux ouvrages.
Suite à ce fiasco, Benveniste subit une véritable humiliation. Celle-ci se tradui-
sit par la perte de budgets, la mise à l'arrêt d'une unité de recherche importante et
productive, des difficultés pour publier d'autres travaux scientifiques, et, comble
de l'ignominie, la double nomination au prix « lg-Nobel », remis par les étudiants
de Harvard pour les recherches improbables. Ce ne fut pas l'époque la plus glo-
rieuse de la science française (Fig. 2.5).
Mais le pire dans tout cela n'est ni la bassesse des méthodes employées, ni le
fait qu'une brillante carrière scientifique ait pris fin de cette manière ; le véritable
problème est l'impact que cette affaire a eu dans le domaine de la recherche sur
l'eau. Cette branche commençait tout juste à se remettre du scandale de l'eau
polymérisée quand elle a dû faire face à cette nouvelle épreuve encore plus
dévastatrice. La mémoire de l'eau est devenue la risée de toute la communauté
21
scientifique : « Vous avez du mal à vous souvenir des noms ? Buvez donc plus
d'eau. (Ha ha ha!) »
Lorsque l'on connaît l'histoire déjà trouble de la recherche sur l'eau, on en
devine les conséquences. Combien de scientifiques sains d'esprit auraient osé
entrer dans un domaine déjà sali par l'affaire de l'eau polymérisée, a fortiori deve-
nu le sujet préféré des plaisanteries scientifiques ? Très peu pour eux. Pourtant,
cette histoire n'est pas dénuée d'une certaine ironie quand on sait que des cher-
cheurs allaient confirmer par la suite les résultats de Benveniste5, et que d'autres,
parmi lesquels le prix Nobel Luc Montagnier, s'appuieraient sur la mémoire de
l'eau pour leurs travaux sur la transmission d'informations stockées dans l'eau. 6
Malgré cela, la mémoire de l'eau reste encore davantage un sujet de plaisanterie
plutôt que d'études scientifiques sérieuses.
Le mystère persiste
Je pense que vous êtes à présent en mesure d'apprécier le paradoxe: comment
se peut-il que nous en sachions si peu sur quelque chose qui nous est si familier?
Deux scandales successifs ont transformé une branche autrefois dynamique en
un domaine sournois que peu de scientifiques ont la témérité d'explorer.
La recherche actuelle sur l'eau tente de renaître des cendres de ces deux
scandales. Il serait très juste de dire qu'il s'agit d'un domaine schizophrénique.
D'un côté, les scientifiques de la pensée dominante ont recours à des simulations
informatiques et à des approches technologiquement sophistiquées pour en
apprendre davantage sur les molécules d'eau et leurs voisines immédiates ; ces
résultats définiront grosso modo le champ d'étude. Optant pour des approches
relativement sûres, ces chercheurs ont obtenu des avancées ayant contribué à
affiner les différents modèles décrits plus haut dans ce chapitre.
D'un autre côté, certains scientifiques explorent les phénomènes qui nous
déroutent, comme ceux que j'ai décrits dans le chapitre précédent. Le simple
fait de mentionner ces phénomènes provoquera souvent un ricanement chez les
scientifiques conventionnels qui considèrent ces observations comme bizarres et
très peu scientifiques ; certains iront même jusqu'à rejeter ces phénomènes en
parlant« d'eau étrange».
Il est rare que les partisans de ces deux points de vue se rencontrent. Les
scientifiques qui étudient les mystères de l'eau admirent la sophistication tech-
nologique des conventionnels mais trouvent souvent leurs approches lourdes
et impénétrables, et ils gardent leurs distances. De leur côté, les conventionnels
fuient les excentriques de l'eau étrange comme la peste, certains transpirant rien
qu'à l'idée d'un nouveau scandale lié à l'eau. Les phénomènes mystérieux de l'eau
se retrouvent donc en marge de la science - avec la fusion froide, les OVNls et
22
les énergies subtiles. Il est préférable de garder vos distances avec ces sujets-là si
vous souhaitez conserver une respectabilité scientifique.
Au vu de l'atmosphère de suspicion régnant dans cette branche, on comprend
que la recherche y est devenue un véritable challenge. Cela revient un peu à cher-
cher des pépites d'or dans la boue : on peut trouver des informations ici ou là,
mais le lent et laborieux travail se déroule dans un climat de suspicion qui interdit
de poser ne serait-ce que les bases d'une nouvelle compréhension.
Les chapitres qui suivent vont contourner ce bourbier trop fréquenté. Nous
tracerons notre propre chemin à partir d'indices ignorés des autres, et nous le par-
courrons pour progresser vers une meilleure compréhension. Nous affirmons que
le comportement social de l'eau ne devrait pas être aussi incompréhensible que
ce que nous pensons actuellement : si la nature elle-même est simple et intuitive
comme beaucoup de scientifiques semblent le penser, nous avons alors l'espoir
que sa composante la plus répandue soit également simple et intuitive.
C'est cette compréhension aisée que nous nous efforcerons de révéler.
23
3 Lénigme de l'eau interfaciale
T oute l'eau qui se trouve dans un verre semble identique. Regarder attentive-
ment dans le verre ne nous aidera pas à savoir si les molécules d'une région
s'arrangent différemment de celles d'une autre région. Après tout, de l'eau, c'est
de l'eau, non?
Les apparences sont parfois trompeuses. C'est seulement au cours de cette
dernière décennie que j'ai appris que les matériaux de surface pouvaient avoir
un impact sur les molécules d'eau à proximité - un impact tel qu'il change radi-
calement presque tout en elles. La quasi totalité des surfaces qui entrent en
contact avec de l'eau engendreront ce genre d'effets : le contenant, les particules
en suspension, et même les molécules dissoutes - des surfaces de toutes sortes
affectant les molécules d'eau à proximité.
J'aurais eu connaissance de cet impact des surfaces si je m'étais donné la
peine de faire des recherches dans la littérature spécialisée : un article de JC Hen-
niker1 vieux de cent ans cite plus d'une centaine de travaux publiés confirmant les
effets sur de longues distances que produisent diverses surfaces sur de nombreux
liquides, dont l'eau. Ces données sont facilement disponibles.
Toutefois, en ce qui me concerne, les effets sur de longues distances étaient
une véritable révélation. Je savais que certaines surfaces affectaient l'eau sur une
dizaine de couches de molécules d'eau, et j'ai même écrit un livre sur la pertinence
biologique d'une telle eau structurée2 . Néanmoins, l'idée d'un impact à véritable-
ment longue distance s'étendant sur des milliers ou même des millions de couches
de molécules était plutôt bouleversante. Si cela était exact, il devenait évident
qu'une si forte influence jouerait un rôle capital dans tous
les phénomènes impliquant de l'eau.
Je vais maintenant vous raconter comment nous
nous sommes d'abord montrés sceptiques à propos de ces
arrangements longue distance, et ce que nous avons fait
pour vérifier si tout cela était vrai. Tout a commencé grâce
à une rencontre fortuite lors d'une conférence scientifique.
Hirai me fit part de leurs observations avec enthousiasme. Je trouvais que ses
travaux sur la circulation du sang étaient intéressants, mais ce qui capta réellement
mon attention était sa description du comportement mystérieux des microbilles :
m'expliquant que les microsphères en circulation avaient évité la zone annulaire
qui longeait l'intérieur de la surface du gel, et qu'elles ne s'étaient déplacées qu'au
centre du tunnel (Fig. 3.2). Hirai ajouta qu'il n'avait pas vraiment prêté attention
à ce phénomène, se disant qu'il devait s'agir d'un effet secondaire. La possible
présence d'une zone d'exclusion près de la surface ne lui avait apparemment pas
traversé l'esprit.
Suite à cette rencontre, Hirai et moi échangeâmes de nombreux emails. M'ef-
forçant de ne pas outrepasser les limites de la bienséance japonaise, j'essayai de
persuader Hirai de publier ses découvertes tout en ayant l'espoir de les mention-
ner dans mon livre à venir. Mais cela n'arriva pas. Hirai se montra
à juste titre de plus en plus froid au fur
eau
26 eau+
microbi/les
et à mesure de mes emails incessants et me proposa
finalement de m'inclure comme coauteur de toute
future publication si je lui permettais de continuer
à son propre rythme.
Je crois savoir que les observations d'Hirai n'ont
jamais été publiées. Toutefois, contre toute attente,
un ancien de ses collègues de recherche qui avait
déménagé à Seattle se présenta à mon laboratoire
pour chercher du travail. J'embauchai aussitôt
Jian-ming Zheng (Fig. 3.3), et nous nous mîmes à
poursuivre les travaux d'Hirai.
J'avais raison de soupçonner que la tendance Fig. 3.3 Jian-ming "Jim" Zheng.
qu'avaient les microbilles à éviter la zone proche
de la surface du gel pouvait avoir une signification
importante. Il semblait possible que la surface du gel structure les molécules d'eau
contiguës ; cette structuration grandissante rejetterait ensuite les microbilles de
la même manière que la glace qui s'étend repousse les débris en suspension . Cette
hypothèse était peu orthodoxe ; cependant, mon livre de 2001 passe en revue de
nombreux indices qui vont clairement dans ce sens.
L'aspect le plus étonnant des observations d'Hirai concernait toutefois
l'échelle de l'expérience. La zone dénuée de microbilles s'étendait jusqu'à environ
un dixième de millimètre depuis la surface du gel, ce qui voulait dire que cet arran-
gement semblait s'appliquer à un empilement de centaines de milliers de molé-
cules d'eau. On pourrait comparer cela à un alignement de billes qui s'étendrait
sur plusieurs dizaines de terrains de foot. Même en tant qu'auteur convaincu de
l'idée que l'eau est structurée à l'intérieur de la cellule 2, j'eus du mal à me repré-
senter cette magnitude colossale : cette distance me paraissait trop importante.
Je me serais probablement montré un tantinet moins sceptique si je m'étais
penché comme je l'aurais dû sur d'anciens travaux scientifiques. Paru il y a plus de
soixante ans et basé sur de nombreuses sources publiées, l'article que j'ai évoqué1
présentait une conclusion similaire : les surfaces exercent une influence à longue
distance sur les liquides contigus en provoquant une importante réorganisation
moléculaire. Ignorant cela, nous continuâmes naïvement à tenter de réinventer la
roue.
Nous commençâmes avec des expériences initiales plus simples que celles
d'Hirai. Utilisant le même type de gel que celui dont il s'était servi, nous en
plaçâmes un morceau dans un récipient et nous le recouvrâmes d'une solution
aqueuse contenant des microbilles en suspension, puis nous regardâmes dans
le microscope pour voir ce qui se passait. Dès que le liquide entra en contact
avec le gel, les microbilles commencèrent à s'éloigner de sa surface en laissant
27
une zone dépourvue de suspensions large d'à peine
moins de 100µm (0.1 mm). Il y avait de l'eau dans
cette zone, mais pas de microbille. Une fois formée,
la zone resta intacte : même après plusieurs heures
d'observation, les microbilles n'y pénétrèrent pas. La
Figure 3.4 montre le développement de cette « zone
d'exclusion » dépourvue de microbilles.
Nos observations révélèrent que la zone dépour-
vue de microbilles constatée par Hirai n'avait pas
pour origine l'hydrodynamique du flux « sanguin » ;
notre dispositif ne comportait aucun écoulement, et
nous avions pourtant obtenu une zone d'exclusion
similaire. Il apparaissait que quelque chose au niveau
de la surface du gel poussait les microbilles à reculer
rapidement, qu'il y ait ou non présence d'un flux. Les
deux scénarios avaient produit le même résultat: une
très nette zone d'exclusion - ou, comme nous allions
la nommer,« ZE ».
28
[ ..,surface chargée
Explication simple ?
Zheng et moi-même avons passé une année entière à chercher une possible
erreurY Nous avons reçu les avis de nombreux collègues qui ne se sont jamais
gênés pour nous dire que des maladresses pouvaient se dissimuler derrière les
interprétations. Parmi les nombreux problèmes soulevés, quatre nous parais-
saient particulièrement embarrassants.
• Le premier portait sur des mouvements de convection qui auraient pu être
générés par de légères différences de température dans différentes régions ; des
écarts de température auraient pu créer des tourbillons fluidiques, susceptibles
d'éloigner les microbilles de la surface. Nous avons observé des mouvements de
convection dans de nombreuses expériences, mais dans d'autres, toutefois, ces
29
mouvements étaient absents, et nous avons pourtant constaté la formation de
zones d'exclusion. Cela nous permet de conclure que les mouvements de convec-
tion ne peuvent servir d'explication générale pour rendre compte de toutes les
zones d'exclusion que nous avons observées.
· Un second problème était l'effet « brosse de polymère» : les gels se compo-
sant de polymères (c'est à dire de grosses molécules constituées de la répétition
d'unités structurales identiques), des chaînes pourraient se projeter au-delà du
gel proprement dit et pénétrer dans la solution environnante, à la manière des
poils d'une brosse. Des chaînes fines et peu nombreuses auraient pu échapper à
la détection microscopique et exclure les microbilles ; toutefois, le déplacement
d'une nanosonde ultrasensible parallèlement à la surface du gel ne révéla aucune
preuve de la présence de telles chaînes. L.'.hypothèse des chaînes de molécules
invisibles semblait donc être une fausse bonne idée.
Des expériences réalisées ultérieurement confirmèrent cette conclusion.
L.'.une de ces expériences mettait en œuvre des monocouches auto-assemblées,
c'est-à-dire des couches d'une seule molécule d'épaisseur fonctionnalisés avec
des groupes de charge. Les monocouches n'entraînent pas de projections de
polymères, mais nous avons pourtant vu se former des zones d'exclusion de
grande taille. 4 Nous avons également constaté la présence de grandes zones d'ex-
clusion à côté de plaquettes de silicium de type n, ainsi qu'à côté de surfaces en
métal, 5 qui, une fois encore, ne projetaient pas de chaînes de molécules. La Figure
3.6 en montre un exemple.
· Une troisième explication simple pour justifier l'exclusion de microbilles
évoquait l'idée d'une répulsion électrostatique. Si le matériau de surface et les
microbilles sont tous deux chargés négativement, ils doivent se repousser ; une
répulsion suffisamment forte pourrait éloigner les microbilles et créer ainsi une
zone d'exclusion. Nous avons envisagé cette hypothèse bien que la théorie de la
double couche prédise que ce type de répulsion est censée se dissiper au-delà de
quelques nanomètres, une distance 100.000 fois in-
férieure à ce que nous avions régulièrement observé.
Le test le plus simple pour vérifier l'hypothèse
de la répulsion fut de substituer des microbilles
chargées négativement par des microbilles chargées
positivement. Selon l'hypothèse électrostatique, des
microsphères chargées positivement auraient dû être
attirées vers la surface chargée négativement. Nous
avons parfois vu les microbilles chargées positivement
rompre la zone d'exclusion ; d'autres fois, la zone
Fig. 3.6 Zone d'exclusion à côté d'exclusion est non seulement restée en place, mais a
d'une surface de zinc (la couleur
verte provient de l'utilisation
d'un filtre vert au niveau du
microscope).
également conservé la taille qu'elle avait lorsque l'on
avait utilisé des microbilles chargées négativement. 3.4
Le résultat fut similaire en inversant la charge de
la surface. Pour ces expériences, nous eûmes recours
à des billes de gel dont la surface sphérique créait
Fig. 3. 7 Exclusion de microbilles
des zones d'exclusion en forme de carapace (Fig.
du voisinage d'une perle de
3.7) . Les microbilles chargées négativement furent
constamment exclues. Le fait que la surface des billes
gel chargée tel qu'observable
avec un microscope optique
contenait des polymères chargés négativement ou
(la couleur verte est due à
positivement ne sembla pas avoir eu d'importance. 6
/'utilisation d'un filtre) . Nous
La simple répulsion électrostatique ne pouvait suffire
avons positionné la perle
à expliquer les résultats observés.
sur une surface de verre sur
· Une quatrième hypothèse évoquait la possi- laquelle nous avons ajouté des
bilité que le gel émette des contaminants : une fuite microbilles en suspension. La ZE
de contaminants aurait pu repousser les microbilles a grossi progressivement pour
et générer une zone d'exclusion visible. Cependant, atteindre la taille vue ici.
les résultats observés lors d'expériences où l'on avait
employé des monocouches contredirent cette hypo-
thèse : ces couches qui n'ont qu'une seule molécule d'épaisseur produisirent d'im-
portantes zones d'exclusion, 4 bien qu'elles soient pourtant si fines que virtuelle-
ment rien ne puisse s'en échapper.
· Nous avons également tenté une autre approche en éliminant toute source
supposée de contaminants ; de puissants flux paral-
lèles aux surfaces de nucléation des zones d'exclu-
sion, quelle que soit leur force, ne purent éliminer les
ZE.7
· Enfin, nous avons observé des zones d'exclu-
sion trop grandes pour être expliquées par des fuites
de contaminants, dans de longs récipients cylin-
driques orientés horizontalement. Fixant un disque
de gel à une extrémité du cylindre avec des clips, nous
avons rempli le récipient avec des microbilles en sus-
pension pour voir ce qui allait se passer. Comme nous
nous y attendions, une zone d'exclusion en forme de
crêpe se forma à côté de la surface du gel et se déve-
loppa pour atteindre une épaisseur de plusieurs cen-
taines de microns. Mais sa projection ne s'arrêta pas
là (Fig. 3.8) : la ZE continua de s'étendre en prenant Fig. 3.8 ZE à longue projection.
une forme de bâton. Se ramifiant parfois, ces ZE en Le gel en forme de disque génère
forme de bâton se prolongent généralement jusqu'à la ZE discoidale qui poursuit
sa progression sous forme d'un
bâton. Une telle projection peut
s'étendre sur un mètre au moins.
atteindre l'autre extrémité de tubes d'un mètre de long. 8 Il est évident qu'une dif-
fusion de contaminants ne saurait expliquer ces zones d'exclusion ultra longues.
Ces vérifications, réalisées pendant une année, nous ont permis d'établir que
les zones d'exclusion observées ne pouvaient s'expliquer par des raisons simples.
À l'heure où j'écris ces lignes, des dizaines de laboratoires ont confirmé l'existence
des ZE. De plus (et pour notre plus grand malheur), il se trouve qu'un article
publié en 1970 et récemment redécouvert décrit dans les grandes lignes les mêmes
observations : des zones d'exclusion de microbilles de plusieurs centaines de
microns d'épaisseur juste à côté de surfaces de gel polymériques et biologiques. 9
Nous voyons donc que l'exclusion des microsphères ne relève pas du hasard ; il se
produit quelque chose qui n'avait pas été prédit et qui éloigne les microbilles de
certains matériaux de surface.
Si les expériences que nous effectuâmes pour détecter un possible artefact
nous prirent une grande partie de notre énergie, elles nous indiquâmes aussi
accidentellement une piste à explorer: nous réalisâmes que ces zones d'exclusion
longues d'un mètre devaient impliquer la présence d'une structure de type cristal,
puisque nous savions que les cristaux atteignent facilement de telles longueurs
(pensez aux stalactites). Les cristaux ont également la propriété de rejeter les
particules en s'étendant. L.'.idée que les ZE pourraient être des matériaux de type
cristal nous intrigua.
Les cristaux se développent généralement à partir de sites de nucléation,
c'est-à-dire de surfaces particulières. Il semblait donc important de déterminer le
type de surfaces qui nucléent des zones d'exclusion.
32
chargés négativement qui font de ce polymère l'un
des plus puissants créateur d'exclusion. Étant donné
les importantes zones d'exclusion produites par le
Nafion et sa facilité d'utilisation, il en sera ultérieure-
ment fréquemment question dans ces pages.
La seule caractéristique étrange que nous obser-
vâmes étaient des brèches, c'est-à-dire des parties
de la surface atypiques qui étaient dépourvues de
ZE. Nous remarquâmes toutefois qu'elles appa-
raissaient régulièrement à côté de certains métaux,
ainsi qu'à côté de membranes polymériques lorsque
ces dernières étaient traversées par des solutions
de différentes concentrations, comme ce fut le cas
lors de nos expériences portant sur le phénomène
de l'osmose (voir chapitre 11). Ces ruptures dans la
zone d'exclusion prenaient la forme de trous dans la
barrière par ailleurs régulière de la ZE.
Les matériaux décrits nucléant des ZE tombent
dans la catégorie des « hydrophiles » (qui aiment
l'eau). Leur amour de l'eau semble suffisamment fort
pour exclure d'autres prétendants ; seule l'eau peut
rester. Les surfaces « hydrophobes » (qui détestent
l'eau) comme le Teflon s'avèrent au contraire inca-
pables de produire des zones d'exclusion. Il apparaît
que le phénomène d'exclusion est propre au groupe
des surfaces hydrophiles.
Cette première généralité établie, nous nous
demandâmes ensuite : qu'exclut la ZE ? N'exclut-elle
que des microbilles? Ou son action peut-elle s'étendre
à d'autres substances ?
Nous découvrîmes ainsi qu'un grand nombre
de substances étaient exclues, de la particule en
suspension aux solutés dissous de petite taille. 3
Des microbilles de toutes les tailles (de 10 µm à 0.1
µm) et de différentes matières furent exclues. Même
des globules rouges, plusieurs souches de bactéries Fig. 3.9 Exemples de zones
et des particules de poussière ordinaire le furent. d'exclusion de microbil/es vues au
Nous observâmes des zones d'exclusion avec la pro- microscope optique. (a) gel acide
téine d'albumine, tout comme avec divers colorants polyacrylique ; (b) muscle ; (c)
présentant des masses moléculaires aussi faibles monocouche auto-assemblée sur
de l'or; (d) polymère de Nafion
avec évolution dans le temps.
que 100 daltons, soit à peine plus qu'une molécule
de chlorure de sodium (sel de table). L'écart entre
les plus petites et les plus grandes des substances
exclues allait de un à mille milliards (Fig. 3.10).
Ces expériences montrèrent que les ZE
excluaient des substances de toutes tailles, de
la très petite à la très grande.
Nous n'avons pas pu tester de manière
catégorique les plus fins des solutés - ce
serait pour plus tard. Néanmoins, nous
pouvions d'ores et déjà conclure le
caractère général du phénomène de
l'exclusion : quasiment toutes les
surfaces hydrophiles peuvent géné-
rer une ZE, et cette ZE exclura pra-
tiquement tout ce qui est en suspension ou dissout
dans l'eau.
Fig. 3.10 Échelle des substances
exclues. Pourquoi les solutés sont-ils exclus ?
Cette vaste faculté d'exclusion laissait penser à
nouveau à une substance de type cristal puisque nous savons que les cristaux
excluent de manière importante. J'ai déjà évoqué une possible structure cristal-
line des zones d'exclusion : la surface hydrophile pousserait les molécules d'eau
se trouvant à proximité à s'aligner comme dans un cristal liquide. À mesure que la
zone structurée se développerait, elle rejetterait les solutés de la même manière
qu'un glacier qui s'étend rejette les pierres sur son chemin.
L'idée d'un tel arrangement moléculaire n'est pas nouvelle. L'article précedem-
ment cité de Henniker (et qui date de 1949) évoquait déjà de nombreux travaux
anciens montrant une importante réorganisation des molécules à proximité d'une
surface. La voix de Henniker ne resta pas perdue dans le désert : l'idée d'une
organisation de l'eau sur de longues distances fut reprise par un grand nombre
d'éminents scientifiques, dont Walter Drost-Hansen, James Clegg, et plus particu-
lièrement Albert Szent-Gyürgyi et Gilbert Ling. Szent-Gyôrgyi (Fig. 3.11) était un
visionnaire qui a remporté le prix Nobel pour sa découverte de la vitamine C. Une
des pierres angulaires de sa pensée était l'arrangement de l'eau sur de longues
distances qu'il considérait comme l'un des principaux piliers de l'édifice de la vie.
Gilbert Ling (Fig. 3.12) agréait. Il souligna le rôle central de l'arrangement de
l'eau dans la fonction cellulaire, forgeant ainsi un cadre révolutionnaire dans le
domaine de la biologie. Il écrivit cinq livres sur le sujet, le dernier en date étant
34
sa monographie de 2001, Life at the Cell and Below-
Cell Level. 1°Ce livre présente l'idée que les surfaces
chargées de la cellule ordonnent les molécules d'eau
situées à proximité, lesquelles vont à leur tour exclure
la plupart des solutés. D'après Ling, cet arrangement
explique précisément pourquoi la plupart des solutés
restent en faible concentration dans la cellule : ils
sont exclus par l'eau structurée de la cellule.
Le décor posé par ces géants, l'idée que des sur-
faces chargées ou hydrophiles puissent ordonner
des molécules d'eau sur des distances appréciables
devint plausible ; nous avions de solides précédents
expérimentaux à notre disposition. D'un autre
côté, l'idée contraire était également plausible : les
chimistes partisans du modèle théorique dominant Fig. 3.11 Albert Szent-Gybrgyi
affirment que ce genre d'arrangement est improbable dans ses dernières années.
puisque les molécules ont une tendance naturelle au
désordre. Néanmoins, certains mécanismes devaient
expliquer les importantes exclusions observées et
l'arrangement de l'eau paraissait une option viable ;
notre laboratoire se mit donc à explorer cette pos-
sibilité.
35
Fig. 3.13a Mesure de l'absorp-
tion de la lumière. Déplacer
le récipient latéralement
nous permit d'examiner l'eau
à différentes distances de la
surface du Nafion.
nous renseigne sur la façon dont les molécules réagissent à l'énergie absorbée.
Nous espérions a minima constater que le spectre d'absortion de la lumière n'était
pas le même pour la ZE et pour l'eau en vrac.
Pour vérifier s'il existait de telles différences, nous réalisâmes l'expérience de
la Fig. 3.13a. Nous fixâmes un feuille de Nafion à l'intérieur d'un récipient translu-
cide standard que nous remplîmes ensuite d'eau. Comme le montre l'illustration,
nous plaçâmes le récipient sur la trajectoire d'une étroite fenêtre de lumière qui
pénétrait dans l'eau avant d'atteindre le spectrophotomètre; déplacer le récipient
permit d'étudier la lumière passant à travers la ZE ou dans des régions au-delà de
laZE.
La Figure 3.13b présente les résultats. Loin de l'interface Nafion-eau (au-des-
sus de 400 µm), le spectre resta plat: les longueurs d'onde absorbées de la lumière
visible ou proches du visible ne différaient pas de celles de l'eau en vrac normale
dénuée de surface créant une zone d'exclusion. Nous nous y attendions. Toutefois,
en déplaçant le récipient, nous notâmes un fort pic d'absorption lorsque la fente
de lumière se rapprocha de l'interface Nafion-eau et se retrouva donc dans la ZE.
La longueur d'onde était approximativement de 270 nm. Ce pic d'absorption à 270
nm s'éleva à mesure que l'on rapprocha la fenêtre de la surface du Nafion pour
finalement dominer le spectre d'absorption. Aucun pic de ce genre n'étant apparu
dans l'eau au-delà de la ZE, il devint évident que les caractéristiques d'absorption
de la ZE différaient grandement de celles du restant de l'eau en vrac.
3
Fig. 3.13b Spectre d'absorption distance:
mesuré à différentes distances du faisceau au Nafion (µm)
37
le cristal, émettent moins d'énergie infrarouge que
les structures désordonnées : la plus grande sta-
bilité de leurs composants moléculaires fait qu'ils
se déplacent moins énergiquement. Ainsi, une plus
faible émission d'énergie infrarouge peut signifier
soit une plus grande stabilité, soit une température
Fig. 3.15 Image de l'émission plus basse.
infrarouge de Nafion se trouvant
Une température plus basse n'explique pas la
dans de l'eau. L'échantillon était
faible émission d'infrarouge de la ZE que l'on observe
stabilisé à température ambiante.
à la Figure 3.15. Nous avons fait la moyenne des
La bande noire qui traverse l'image
mesures prises sur une longue période au cours de
horizontalement en son milieu
l'expérience, aussi toute différence de température
correspond à /'emplacement attendu
entre la zone d'exclusion et le reste de l'eau aurait
de la zone d'exclusion.
dû s'effacer. Une différence d'émissivité semble être
l'explication la plus plausible. La ZE plus sombre
indique une plus faible émissivité ; autrement dit, la ZE est davantage structurée
et cristalline que le reste de l'eau.
(iv) Imagerie par résonance magnétique. L'imagerie par résonance
magnétique (IRM) est une technique utilisée pour obtenir des images de tumeurs.
Raymond Damadian, le pionnier qui a breveté la technique, a basé son invention
sur le principe que l'eau change en fonction de l'environnement où elle se trouve;
c'est précisément cette caractéristique qui permet d'obtenir des images spatiales.
Dans notre expérience avec l'IRM, nous plaçâmes
un gel avec de l'eau dans la zone de test. L'IRM émit
un champ magnétique pulsé qui excita les noyaux
atomiques de l'eau dont les protons retrouvèrent
ensuite leur état initial. Le temps de relaxation
fournit des informations sur le degré de restriction
de mouvement par rapport aux molécules proches.
L'ordinateur de l'IRM exploite ensuite ces données
de restriction pour créer une image.
La Figure 3.16 montre une carte des temps de
relaxation. Les régions les plus sombres indiquent
des temps de relaxation plus courts, ce qui signifie
une plus grande restriction. Une bande sombre
traverse le milieu de l'image, qui coïncide avec la
Fig. 3.16 Illustration des temps de
largeur et l'emplacement de la ZE. Il apparaît donc
relaxation. La partie inférieure d'un
que les molécules au sein de la ZE sont soumises à
tube capillaire est remplie d'un gel
une plus forte restriction que les molécules d'eau se
d'alcool polyvinylique, tandis que la
situant au-delà.
partie supérieure est remplie d'eau.
La bande sombre, qui correspond à
la ZE du gel, indique une plus forte
restriction moléculaire.
1400
Fig. 3.17 Viscosité de fa ZE
1200
(partie ambrée). Nous avons
1000 mesuré fa viscosité de l'eau à
diverses hauteurs au-dessus
Ê
:i 800 d'une surface de Nafion (courbe
.....
:::J
2:::J rouge). Ainsi qu'une expérience
600
L
rel de contrôle (courbe verte) avec
400 une surface montrant peu ou pas
ZE de zone d'exclusion.
200
0
0 5 10 15 20 25
viscosité (g/m · sec)
Cette conclusion n'est pas unique. Une étude plus ancienne signalait égale-
ment le même type de restriction mais sur des distances encore plus longues
avec différents matériaux de surface, 11 et nous constaterons par la suite dans
notre propre laboratoire 12 que l'eau qui se trouve près d'une surface accuse un
«déplacement chimique», terme scientifique désignant l'implication d'une espèce
chimique différente. Les techniques de résonance magnétique révèlent des diffé-
rences marquées entre l'eau de la ZE et le reste de l'eau.
(v) Viscosité. Nous nous intéressâmes également à la viscosité, autrement
dit à la fluidité des zones d'exclusion ; le miel, par exemple, est plus visqueux que
l'eau. Pour déterminer si la viscosité de la ZE différait de celle du reste de l'eau,
nous eûmes recours à une technique appelée « viscosimètre à chute de bille».
Nous recouvrâmes le fond d'un petit récipient avec une feuille de Nafion avant
de le remplir d'eau, puis lâchâmes ensuite des billes en polymère dans celui-ci ;
nous observâmes ces dernières descendre à une vitesse grossièrement constante
avant de ralentir progressivement en entrant dans la zone d'exclusion (Fig. 3.17).
La réduction de vitesse constatée signifie une plus grande viscosité. Cette expé-
rience démontre que l'eau de la ZE est plus visqueuse que le reste de l'eau.
(vi) Caractéristiques optiques. Deux groupes russes ont mesuré indé-
pendamment l'un de l'autre les propriétés réfractives (courbure de la lumière)
de zones d'exclusion. 13•14 Chacun a montré que les ZE présentaient un indice de
réfraction d'environ 10% supérieur à celui du restant de l'eau en vrac. Un indice
de réfraction plus élevé indique généralement une plus forte densité; les résultats
obtenus suggèrent donc que les ZE ont une densité plus élevée que le reste de
l'eau.
!..'.ensemble de ces six expériences 4 a montré que les caractéristiques de l'eau
se situant à /'intérieur des zones d'exclusion diffèrent de celles concernant l'eau
située en dehors de ces zones. Les différences sont notables. !..'.eau des zones
d'exclusion est plus visqueuse et plus stable que le restant de l'eau en vrac ;
les mouvements de ses molécules sont plus restreints ; son spectre d'absorption
de la lumière diffère dans le domaine de la lumière visible, de l'ultraviolet et de
39
l'infrarouge ; enfin, elle a un indice de réfraction plus
élevé. Ces multiples différences montrent que l'eau
des ZE diffère de celle du reste de l'eau, et qu'elle
ressemble finalement peu à de l'eau liquide.
du Nafion. En d'autres termes, l'eau dans la zone d'exclusion est davantage struc-
turée que celle qui se trouve plus loin dans le récipient.
La zone structurée de la Figure 3.20 est énorme par rapport aux dimensions
moléculaires de l'eau ; songez à la taille microscopique d'une molécule d'eau qui
est de l'ordre de 0.25 à 0.3 nanomètre (soit moins d'un millionième de millimètre).
La zone structurée dans l'illustration correspond à un alignement d'approximati-
vement un million de molécules d'eau, ce que l'on pourrait comparer à un aligne-
ment de billes s'étendant sur des dizaines de terrains de football.
Deux articles traitent de la possibilité théorique d'un si long arrangement. On
doit le premier au regretté Rustum Roy, un pionnier de la science des matériaux.
Roy et ses collègues 16 montrèrent que certaines surfaces avaient un effet similaire
à un modèle: les matériaux liquéfiés se structuraient pour former de longs réseaux
cristallins. Utilisé généralement avec des matériaux semi-conducteurs comme le
silicium, ce procédé a rendu possible la fabrication des circuits intégrés modernes,
mais il arrive qu'on l'emploie également avec de l'aluminium en fusion; on observe
un processus similaire lors de la formation de la glace ordinaire. Ces observations
ont conduit Roy et ses collègues à suggérer un arrangement similaire des molé-
cules d'eau ; d'après eux, ce phénomène était inévitable.
Partant des lois de la physique-chimie et après avoir analysé les résultats obte-
nus dans de nombreuses expériences, Ling11 arriva à une conclusion similaire :
de longs arrangements de molécules d'eau générés depuis des surfaces ; et ce,
sur des distances gigantesques dans des conditions idéales. Autrement dit, la
propension à la structuration l'emporterait facilement sur la tendance naturelle
au désordre.
Ces deux articles constituent un support susceptible d'expliquer théori-
quement l'arrangement moléculaire que nous avons observé, et ils permettent
également de contrebalancer l'idée couramment admise de l'impossibilité d'un
arrangement moléculaire sur de longues distances. Malgré tout, il reste des ques-
tions sans réponses ; ni les preuves obtenues expérimentalement ni des consi-
dérations théoriques ne répondent à ces interrogations : comment les molécules
d'eau s'y prennent-elles exactement pour s'auto-ordonner? Les molécules d'eau
s'empilent-elles? Ou y a t-il à l'œuvre un système de réorganisation plus élaboré?
Des réponses à ces questions apparaîtront plus loin dans ce livre.
41
Matière à réflexions
Je reconnais que les lecteurs élevés aux manuels de chimie
moderne trouveront ici peu de choses entrant en résonance avec ce
qu'on leur a enseigné. Les manuels traitent de quelque chose de bien
différent de ce que nous avons observé. Leur attachement à la théorie
de la double couche laisse supposer qu'une structuration des molé-
cules d'eau ne peut dépasser quelques couches le long de surfaces
chargées ; au-delà de ces quelques couches, il ne devrait plus rien se
passer.
Mais parallèlement, des scientifiques ont commencé à admettre
que l'eau avait des propriétés qui n'étaient pas si dénuées d'intérêt. De
nombreux phénomènes liés à l'eau (dont on a vu un certain nombre
dans le premier chapitre de ce livre) résistent aux explications. Étant
donné ces difficultés, des chercheurs acceptent aujourd'hui de s'in-
téresser plus ouvertement aux caractéristiques insoupçonnées de
l'eau ; autrement dit, cette branche commence à se pencher sur les
curieuses découvertes faites récemment, l'une d'elles étant l'arrange-
ment des molécules d'eau sur de longues distances.
À partir des preuves obtenues à propos d'un tel arrangement
longue distance, les chapitres qui suivent vous révéleront une struc-
ture de zone d'exclusion qui ressemble étonnamment à de la glace.
Toutefois, il ne s'agit pas de glace. Cette structure de type glace
s'avère être comme la partie immergée de l'iceberg : il y a quelque
chose de profondément fondamental dans la zone d'exclusion qui
pousse l'eau à s'organiser. Le principe ici à l'œuvre s'avère être basé
sur une forme d'énergie courante dans la vie quotidienne, et suffi-
samment simple pour être compris par tout le monde.
' .
2eme partie
45
Retour sur le scandale de l'eau
polymérisée
Comme nous l'avons dit au chapitre 2, l'histoire
commence quand un obscur scientifique russe du
nom de Nikolaï Fedyakin découvrit que l'eau, sous
certaines conditions, pouvait contre toute attente se
montrer étrangement stable : il devenait difficile de la
geler et tout aussi difficile de la faire s'évaporer; cette
eau semblait en outre plus dense et plus visqueuse
que de l'eau normale. Encouragé par cette stabilité
inhabituelle, Fedyakin fit part de ses observations au
chimiste le plus en vue de l'Union Soviétique, Boris
Fig. 4.1 Boris Derjaguin, un
Derjaguin (Fig 4.1), lequel se montra suffisamment
chimiste russe visionnaire.
impressionné pour mettre ses collaborateurs sur le
dossier.
Derjaguin comprit que les tubes capillaires n'étaient pas le seul matériau
pouvant interagir avec l'eau : tout ce qui entre en contact avec l'eau crée une
interface, depuis le simple verre contenant votre eau de boisson, jusqu'aux aux
protéines se trouvant au sein d'une cellule. Toutes ces interfaces génèrent de l'eau
« interfaciale » ayant des propriétés potentiellement aussi stables que l'eau se
trouvant dans des tubes capillaires. De toute évidence, Derjaguin comprit l'intérêt
de cette découverte: la compréhension de ce seul phénomène lui livrerait des clés
pour percer de nombreux mystères de la nature, et c'est pourquoi il se livra à une
exploration méticuleuse du phénomène. Pour s'assurer que l'eau utilisée dans ses
expériences était pure, il veilla à ce qu'on l'évapore puis qu'on la recondense à
l'intérieur de tubes capillaires scrupuleusement propres; c'est cette eau apparem-
ment pure qui présenta une stabilité si remarquable. Pourtant, c'est précisément
un problème de pureté qui allait finalement causer la perte de Derjaguin.
Bien que les travaux de ce chimiste avaient acquis une certaine notoriété
au sein de la communauté scientifique russe au milieu des années 1960, ce n'est
que plus tard que les chercheurs occidentaux commencèrent à s'y intéresser ;
les Etats-Unis et la Grande-Bretagne furent les premiers à étudier le sujet, puis,
bientôt, le monde entier se passionna pour ce type d'eau particulier.
Même la presse s'empara du sujet. Avec son habituelle tendance au sensa-
tionnel, la presse effraya la population en inventant une théorie selon laquelle une
simple goutte de cette matière jetée dans l'océan pouvait se comporter comme un
germe cristallin et polymériser toute l'eau de la Terre et n'en faire plus qu'une seule
masse difforme impossible à consommer... ce qui ne manquerait pas de causer
notre disparition.
46
Le monde, qui était alors plongé en pleine Guerre Froide, fut soulagé d'ap-
prendre que toute cette affaire d'eau polymérisée n'était due qu'à une bourde
expérimentale. En répétant ces expériences, les scientifiques occidentaux
découvrirent que l'eau contenait des traces de silice provenant probablement du
quartz des parois des tubes capillaires, ce qui voulait dire que l'eau était donc
finalement impure. Bien qu'il soit difficile d'affirmer qu'un grand bécher rempli
d'eau contienne des concentrations significatives du matériau du contenant, les
scientifiques travaillaient ici avec des tubes extrêmement fins présentant des
rapports surface/volume suffisamment élevés pour que la concentration de silice
dans l'eau dépasse le seuil de !'insignifiance ; en effet, cette concentration avait
atteint le seuil de détection. De la silice s'était apparemment dissoute dans l'eau,
et, une fois cette contamination révélée, les Soviétiques furent couverts de ridi-
cule (sinon de silice).
Par la suite, un autre scientifique occidental se fit une joie de signaler que
l'on pouvait observer des caractéristiques du type eau polymérisée lorsque l'on
ajoutait du sel à de l'eau pure, impliquant que les résultats obtenus par les Russes
pouvaient être dus à un simple phénomène de sudation de la part des laboran-
tins. Des rires tonitruants se firent alors entendre à travers toute la planète.
Derjaguin planta lui-même un clou dans le cercueil de l'eau polymérisée
en avouant finalement que son eau était en effet impure. Avec cet aveu public,
on comprit que les réserves d'eau mondiale étaient finalement à l'abri de toute
menace liée à une solidification polymérique. Le dossier était clos. Discréditer
l'eau polymérisé fut la réponse américaine à Spoutnik ; cette fois-ci, c'étaient les
Russes qui se retrouvaient dans le collimateur.
Bien que de nombreux livres décrivent ce célèbre incident, les dessous de
l'affaire méritent d'être racontés, et je vais vous en livrer quelques aperçus signi-
ficatifs. Je me suis récemment rendu en Russie où j'ai eu le plaisir de m'entretenir
avec le directeur d'un célèbre institut de biophysique qui se trouvait avoir été un
grand ami de Derjaguin ; ils avaient même été voisins de palier. Ce biophysicien
m'a raconté que tous les deux avaient l'habitude de discuter presque tous les jours
et m'a assuré que, jusqu'au moment de sa mort, Derjaguin s'est montré convain-
cu que les traces de contamination relevées ne constituaient pas un problème
déterminant malgré son autocritique. Par la suite, j'ai entendu la même histoire
de la bouche d'un autre éminent scientifique russe, l'un des derniers protégés de
Derjaguin. Derjaguin avait publiquement admis son erreur, mais en privé, il était
certain d'avoir été sur la bonne piste.
Pour quelles raisons un scientifique serait-il prêt à avouer une faute qu'il n'a
pas commise ? Le fier gouvernement soviétique fut certainement très contrarié
lorsque le monde accusa l'un de ses principaux scientifiques d'avoir effectué des
travaux bâclés, et cette faute semblait imputable aux Soviétiques. Vivant sous la
47
coupe d'un régime totalitaire, il est probable que Derjaguin subit des pressions
pour se rétracter; cette rétractation eut pour effet de jeter l'opprobre sur l'indivi-
du et non plus sur le régime. Blâmer Derjaguin, pas les Soviétiques.
De toute évidence, une telle pression politique était tout aussi vraie de l'autre
côté. Craignant une domination soviétique suite au lancement de Spoutnik, les
scientifiques occidentaux étaient réellement sur la défensive ; expliquer que de
la sueur avait contaminé l'eau de l'expérience devait être jubilatoire pour ces der-
niers.
Dans son livre Polywater, 1 Felix Franks raconte les événements qui ont entou-
ré cette fameuse affaire. Bien que Franks ne se pose pas la question de savoir si
la rétractation de Derjaguin est sincère ou non, le lecteur peut deviner les machi-
nations en coulisse de la part des forces politiques des deux camps qui ont pu
influencer l'issue de l'affaire. Le contexte politique rend difficile de savoir ce qui
est vrai et ce qui ne l'est pas (Fig. 4.2).
Ma propre intuition dit que les deux camps avaient raison. Au fil de toutes
ces années passées à étudier l'eau, il m'est apparu évident qu'obtenir une pureté
absolue est quasiment impossible : quelles que soient les précautions prises, une
contamination est inévitable du fait que l'eau est un solvant universel ; elle peut
dissoudre pratiquement tout. Leau de Derjaguin contenait probablement des
traces de silice mais peut-être aussi des traces de sel. Quoi qu'il en soit, il est clair
que les critiques atteignirent leur objectif.
Mais il est intéressant de noter que seule la pureté de l'eau est remise en
question dans les expériences de Derjaguin, non l'exactitude des observations
effectuées en utilisant cette eau. Supposons que l'eau de Derjaguin ait été impure;
on peut alors se poser la question suivante : en présence de contaminants, pour-
quoi l'eau prend-t-elle ces intéressantes caractéristiques?
48
Derjaguin, Fedyakin, et même de nombreux scientifiques occidentaux ont
décrit ces caractéristiques dans un grand nombre de travaux publiés. Pourquoi
alors ne pas s'intéresser à celles-ci ? Bien que je ne cautionne pas les expériences
menées à la légère, il faut comprendre que des traces de contaminants sont inévi-
tables et que leur présence n'interdit pas automatiquement de faire des explora-
tions plus approfondies. Pourquoi jeter le bébé avec l'eau du bain ?
Gardons ces considérations à l'esprit lorsque nous nous pencherons sur la
nature de l'eau des zones d'exclusion. L.'.eau de la ZE se situe près de surfaces,
tout comme l'eau polymérisée. Cette similitude pourrait-elle n'être qu'une simple
coïncidence ?
49
Fig. 4.3 Structure de la molécule
d'eau (à gauche) d'après les DIPÔLE
région
manuels ; on peut y voir la région électropositive
é/ectronégative et la région
électropositive créer une forme
tétraédrique. Les deux charges
sont habituellement représentées
sous la forme d'un simple dipôle
(à droite). région
é/ectronégative
Eau cristalline
Un bon moyen de concevoir de possibles structures
est de commencer par chercher des précédents. Si le phé-
nomène de l'exclusion était dû à un arrangement molécu-
laire, une approche logique consisterait à s'intéresser aux
structures connues de l'eau : une variante de l'une d'elles
pourrait suffir à expliquer tout cela.
Nous avons vu que la glace constituait la meilleure
candidate ; sa structure est bien connue, et on sait que la
glace exclut: lorsqu'elle s'étend, elle repousse les molécules
et les particules, créant ainsi un cristal en grande partie
dépourvu d'impuretés. La structure de la glace pouvait-elle
nous donner des indications quant à la structure de la ZE ?
La glace ordinaire est formée d'unités hexagonales
(Fig. 4.5). La répétition de ces unités crée l'habituelle
structure en nids-d'abeilles qui se compose d'oxygène
Fig. 4.5 Modèle structurel de
et d'hydrogène. Les protons (image du bas) relient
la glace ordinaire vu sous deux
chaque couche à celles qui se trouvent au-dessus et
angles différents (les atomes
en-dessous d'elle. Ces protons font la liaison entre les
d'oxygène sont en rouge). Les
atomes d'oxygène et sont à l'origine de la rigidité de
atomes d'hydrogène (qui ne sont
la structure de la glace. Seul un atome d'oxygène sur
pas représentés) se situent à
deux est ainsi relié à un autre ; les atomes restants,
mi-chemin le long des lignes qui
étant électronégatifs, se repoussent l'un l'autre, ce
relient les atomes d'oxygène. Les
qui crée le léger plissement que l'on peut voir sur
protons interplanaires (en bleu
chaque couche.
dans l'image du bas) relient un
La zone d'exclusion n'est quant à elle pas rigide ; atome d'oxygène sur deux avec
elle se comporte plutôt comme un liquide visqueux. le plan adjacent. Ces liaisons
Cela signifie que la structure de la glace ne modélise provoquent un léger plissement
qui rend /'arrangement des
atomes moins plat et davantage
tétraédrique.
pas de manière adéquate la structure de la ZE ; toutefois, un petit ajustement
de la structure de la glace la transforme en candidat possible. La structure de
la ZE exige une certaine fluidité ; les liquides acquièrent leur fluidité lorsque les
couches les composant peuvent glisser les unes sur les autres. Ainsi, pour les
zones d'exclusion, un modèle qui pourrait être prometteur serait un empilement
de couches comme celles de la glace, mais dépourvues de protons interplanaires
venant rigidifier la structure : en l'absence de telles liaisons, les plans peuvent
glisser les uns sur les autres et donc conférer la semi-liquidité recherchée.
Le problème de la charge
C'est alors que se présenta le problème de la charge. La glace a une charge
nette neutre ; passer du modèle basé sur la glace à un modèle basé sur la glace
sans protons rigidifiants soulevait un problème : ce nouveau modèle exigeait que
la ZE possède une charge négative.
Nous avions décidé dès le départ d'éliminer tout modèle présentant une
charge nette car nous ignorions encore la négativité de la ZE. Après tout, une
zone d'exclusion pouvait atteindre jusqu'à un demi-millimètre de large, et il nous
semblait improbable d'obtenir des zones chargées aussi larges. La littérature spé-
cialisée sur l'eau penchait en outre de manière écrasante en faveur d'une charge
neutre, et le modèle dipolaire familier impliquait lui aussi une charge nette à zéro;
toutes nos expériences scientifiques semblaient suggérer qu'il était plus probable
qu'une zone d'exclusion soit non chargée que chargée, et nous pensions ainsi
éliminer facilement ce modèle du type glace ou tout modèle possédant une charge
nette.
Pour informer cette hypothèse, nous conçûmes une expérience simple pour
vérifier cette hypothèse (Fig. 4.6). Nous nous basâmes sur le protocole expéri-
mental de mesure du potentiel électrique des cellules vivantes pour mettre en
place des mesures dans et autour des gels, utilisant pour cela des microélectro-
des. Comme leur nom l'indique, les microélectrodes sont extrêmement petites
et permettent une résolution spatiale à l'échelle du micron. Nous plaçâmes une
microélectrode éloignée pour servir de référence ; un moteur rapprochait pro-
gressivement une autre microélectrode de la surface du gel pour déterminer le
potentiel électrique aux abords de la surface. Nous allions ainsi pouvoir établir si
la zone d'exclusion était chargée.
Et, à notre plus grande surprise, nous découvrîmes que la ZE était effective-
ment chargée - négativement. La Figure 4.7a présente des résultats parlants.
Lélectrode motorisée placée initialement loin de la zone d'exclusion (et donc dans
le restant de l'eau en vrac) indiqua une différence de potentiel nulle; c'était atten-
du. À mesure que l'électrode se rapprocha de l'interface, elle commença à mesurer
52
t Fig. 4.6 Installation expérimen-
tale pour mesurer les propriétés
électriques de la zone d'exclu-
sion. !.:électrode de'référence se
55
glisser l'un sur l'autre en provoquant une légère friction. Cette structure hexa-
gonale, retrouvée fréquemment dans la nature, semblait être une possibilité à
prendre en compte.
Ensuite, les auteurs affirmaient de manière fracassante que la substance en
question n'est pas de l'eau; la substance étudiée est assurément composée d'oxy-
gène et d'hydrogène, mais l'arrangement de ces atomes en un réseau hexagonal
présente peu de ressemblance avec leur arrangement dans une molécule d'eau.
Pour eux, cette nouvelle substance « ne devrait pas être considérée comme de
l'eau, ni même appelée ainsi - pas plus que l'on ne peut relier directement les
propriétés du polyéthylène aux propriétés du gaz éthylène. » De toute évidence,
ils considéraient cette entité comme chimiquement distincte de l'eau.
Un troisième point, qui m'intrigua réellement, était le ratio entre les atomes
d'hydrogène et ceux d'oxygène. Comme chacun le sait, le ratio est de 2 pour 1
dans un volume d'eau, mais dans cette structure plane, le ratio était de 3 pour 2.
Cette caractéristique peut ne pas sauter aux yeux, mais la Figure 4.10 permet de
le vérifier aisément.
56
Ces valeurs sont importantes car la ratio habituel de 2 pour 1 confère une
neutralité. Deux atomes d'hydrogène électropositifs équilibrent un atome d'oxy-
gène électronégatif, et c'est pourquoi une molécule d'eau est neutre. Mais cette
nouvelle structure présente un ratio déséquilibré possédant une charge négative
par unité hexagonale.
Les auteurs de l'article ont rédigé une note spéciale sur cette caractéristique
dans le coin supérieur gauche de l'illustration (voir Fig. 4.9), mais semblaient
n'avoir prêté que peu d'attention à sa signification. De façon pratique, ils ont
présumé que les charges positives logeant entre les plans chargés négativement
neutralisaient la plus grande partie de la charge. Le point essentiel de ce modèle
était que les plans eux-mêmes sont chargés négativement.
Le modèle de l'eau polymérisée de Lippincott est dans les grandes lignes le
même que celui qui est présenté dans ces pages ; le modèle de l'eau polyméri-
sée dérivait de pures réflexions physico-chimiques, tandis que notre modèle tire
principalement son origine de précédents et de déductions logiques. Ces deux
chemins mènent essentiellement aux mêmes résultats : une structure en nids-
d'abeilles avec un ratio hydrogène/oxygène de 3 pour 2.
Ce ratio de 3 pour 2 a déjà été sous-entendu expérimentalement ; un article
dans un prestigieux journal de physique avait fait sensation en décrivant la décou-
verte de ce ratio précis : lorsque les protons et les neutrons rebondissent sur les
molécules d'eau, le motif de diffusion implique que l'on a ici affaire à une molécule
de type H1p, et non Hp, 7.wl (bien entendu, le ratio 1.5 pour 1 est le même que 3
pour 2).
La caractéristique clé de ces deux modèles étant l'arrangement hexagonal des
atomes, cela souleva la question de savoir si ces figures hexamériques (c'est-à-
dire hexagonales), sont observables expérimentalement. La réponse est oui. Des
chercheurs ont identifié des hexamères d'eau à côté de différentes surfaces, dont
des métaux, 8 des sous-unités de protéines, 9 le graphène, 10 et le quartz. 11 Des hexa-
mères ont également été détectés près de la surface dans de l'eau surfondue. 12 Et
de l'eau adsorbée sur du mica a montré une prépondérance d'angles de 120°, ce
qui a été interprété comme une preuve de trame hexagonale. 13 L'eau à proximité
de nombreuses surfaces est manifestement organisée en figures hexamériques, ce
qui s'accorde avec le modèle proposé.
À propos des indices tendant à prouver cette trame hexagonale, une étude
portant sur des gouttes d'eau encapsulées par une protéine mérite d'être com-
mentée.14 La protéine en question est la sous-unité c de l'ATP synthase, une vieille
camarade que l'on retrouve sans cesse en phylogénie. Dans un environnement sec,
cette protéine forme une enveloppe autour de l'eau, empêchant son évaporation.
57
La Fig. 4.11 montre deux exemples de ces
structures protectrices : des capsules sphériques
(illustration a), et des capsules géométriques (illus-
tration b). Les diagrammes de diffraction obtenus à
partir de capsules géométriques montrent que l'eau
qu'elles renferment possède une structure hexa-
gonale (illustration c). De plus, la taille d'une unité
hexagonale, 0.37 nm, est proche de ce que l'on peut
voir à la Figure 4.9. Nous pouvons donc observer un
arrangement hexagonal dans d'importants volumes
d'eau à proximité de surfaces.
Une autre caractéristique attendue de ces
modèles concerne l'absorption de la lumière ultra-
violette : l'absorption se produit à ou aux alentours
d'une longueur d'onde de 270 nm (UV) lorsque les
électrons sont « délocalisés», c'est-à-dire libres de
se déplacer à travers la structure. Cette situation se
rencontre le plus souvent dans des structures dites
aromatiques (anneaux) ou dans les « éthers cou-
ronnes», dont les structures hexagonales contenant
de l'oxygène sont similaires aux structures qui nous
intéressent. Ainsi, l'absorption confirmée des ZE à
270 nm (Fig. 3.13) plaide en faveur d'une structure
hexagonale.
Donc, l'absorption d'UV que l'on attendait fut
confirmée, les hexamères furent expérimentalement
détectables, et des données indépendantes nous
amenèrent au même modèle hexamérique. Ce fais-
ceau d'indices nous poussa à étudier ce modèle plus
sérieusement. Poursuivons donc.
formait la couche initiale de la ZE. Mais commençons par la manière dont les
réseaux moléculaires s'empilent.
Le modèle de superposition le plus simple faisait coïncider les hexagones de
chaque plan : on peut voir à travers l'empilement des couches.
Cet arrangement était d'une simplicité séduisante ... mais impossible. Pour
comprendre pourquoi, regardez l'illustration du haut de la Figure 4.5 qui montre
un exemple de couches alignées. Supposez que vous retiriez les protons se trou-
vant entre ces couches (que l'on peut voir dans l'illustration du bas) ; cela remet
en question la possibilité de cette superposition, car le fait de retirer ces pro-
tons-« colle » entraîne la juxtaposition d'atomes d'oxygène chargés négativement
d'un plan avec ceux, également chargés négativement, du plan adjacent. Cela
créerait un nombre gigantesque de répulsions interplanaires, et une telle structure
s'éparpillerait immédiatement.
Les plans pouvaient s'assembler plus naturellement en décalage (Fig. 4.12).
Si les négatifs d'un plan se lient aux positifs du plan suivant, l'ensemble peut tenir
par attraction électrostatique.
Un tel déplacement est théoriquement réalisable de deux manières, mais seule
l'une d'elles peut aboutir (Fig. 4.13). La première possibilité implique un décalage
perpendiculairement à l'un des côtés de l'hexagone (illustration a) ; la seconde
décale dans l'axe d'un de ses côtés (illustration b). Dans le premier modèle, aucune
longueur de déplacement ne permet de trouver une superposition régulière de
charges opposées, et donc une adhérence suffisante. Dans le second modèle, un
déplacement de la moitié de la distance séparant deux atomes d'oxygène entraîne
la superposition de nombreuses charges opposées ; un tiers de toutes les charges
planaires adhèrent les unes aux autres. Cette forte adhérence confère une forte
cohésion, qui confère à son tour une forte densité à l'ensemble (voir le chapitre 3).
Ce second modèle semble ainsi fonctionner.
(a) (b)
------ 1
couche 0 - - - ..... . .. .. ______ :~;r:e décalage
les couches
Fig. 4.14 Décaler les plans suc- -1 - -
cessifs de 60° permet d'obtenir -2 - - -
une structure hélicoidale.
60
suivant le long d'un côté de l'hexagone, décaler le plan suivant de 60°, et ainsi de
suite ... Le motif hélicoïdal obtenu se compose d'une succession de six plans. De
plus grands motifs sont en théorie possibles, voire même des motifs irréguliers.
Ce type de structures hélicoïdales peut être particulièrement pertinent dans le
domaine de la biologie où l'eau de la ZE se trouve en interface avec des protéines
et des acides nucléiques enroulés en hélice.
En somme, le fait de verser de l'eau sur une surface hydrophile déclenche le
développement d'une ZE. L'eau est le matériau de base à partir duquel se forment
les couches en nids-d'abeilles. Ces couches dans la ZE peuvent glisser les unes sur
les autres si elles sont soumises à une force de cisaillement suffisante, mais les
plans adhèrent généralement les uns aux autres, créant la ZE observée à l'examen
macroscopique (Fig. 4.15).
La couche initiale
Mais comment débute donc le processus de construction de la ZE ? Les sur-
faces hydrophiles contenant généralement des atomes d'oxygène, ceux en surface
pourraient former un schéma moléculaire - une matrice. Si suffisamment de
ceux-ci avaient une position correspondant à celles des atomes d'oxygène de la
structure en nids d'abeille de la ZE, on pourrait alors considérer la surface elle-
même comme le premier plan de la ZE ; les plans supplémentaires viendraient
alors s'empiler aisément sur ce plan-matrice.
Bien entendu, aucun matériau de surface ne fournit une correspondance
parfaite. Les surfaces diffèrent en matière d'arrangement atomique et peuvent
61
présenter d'autres atomes chargés négativement au lieu d'atomes d'oxygène.
Certaines surfaces pourraient donc s'avérer moins adaptées comme point de
départ pour les zones d'exclusion : elles seraient alors considérées comme moins
hydrophiles.
Un implication subtile est que le plan-matrice transmettrait des informations
aux différentes couches de la ZE ; par exemple, s'il manquait de l'oxygène à un
endroit du plan-matrice, cela pourrait se répercuter par une absence correspon-
dante sur la première couche de la ZE, et ainsi de suite. Ainsi, la ZE contiendrait
des informations sur la nature de la surface nucléante; cette information pourrait
être exploitable tant que la ZE reste stable dans le temps.
Une autre implication est que la ZE n'aurait besoin que du plan-matrice pour
se développer, autrement dit d'une simple couche moléculaire. Cela expliquerait
pourquoi les ZE peuvent croître à partir d'une simple monocouche (Fig. 3.9).
Les matériaux de surface dénués de charge devraient en revanche avoir du
mal à amorcer des zones d'exclusion, tout comme les surfaces dont les charges
ne correspondent pas à la structure d'une couche en nids-d'abeilles standard.
Toutes les surfaces de ce genre devraient alors être classées comme hydrophobes
(détestant, ou craignant l'eau); seules les surfaces hydrophiles chargées peuvent
amorcer le développement de la ZE.
Même avec un plan-matrice convenablement chargé, la rugosité de la surface
devrait aussi être un facteur important à prendre en considération pour le déve-
loppement de la ZE. Une légère rugosité ne serait pas un problème: si une surface
n'était que légèrement rugueuse à une échelle moléculaire, la couche initiale de
la ZE devrait s'adapter aux bosses, trous et stries de cette surface ; l'empilement
adopterait une configuration légèrement ondulée. Une rugosité plus prononcée
pourrait introduire des discontinuités : au lieu d'une longue superposition de
plans, on verrait de nombreux mini-empilements se développer à partir de cha-
cune des inclinaisons de la surface ; des problèmes d'ordre stérique compromet-
traient alors le développement de la ZE. Ce genre de plans-matrices ne seraient
pas capables de générer une ZE aussi large que celles issues de surfaces plus
plates. Des constatations préliminaires effectuées dans notre laboratoire vont
dans ce sens.
Le plan-matrice lui-même n'est donc pas le seul agent définissant la taille
de la ZE. Un plan-matrice amorce le développement d'une ZE en fournissant des
correspondances atomiques convenables. Un plan-matrice fortement hydrophile
fournit de meilleures correspondances et initie donc une ZE plus solide ; tou-
tefois, la rugosité des surfaces et d'autres facteurs importants (voir ci-dessous)
influencent la taille finale d'une ZE. Le plan-matrice n'est qu'un des facteurs déter-
minant la taille parmi plusieurs autres.
62
Érosion de la trame et taille de la ZE
Jusqu'ici, tout va bien - mais voici que se présente un problème. Des plans
de ZE identiques devraient produire des potentiels électriques identiques ; en
réalité, le potentiel électrique de la ZE diminue à mesure qu'on s'éloigne de la
surface nucléante (Fig. 4.7). Les plans ne sont donc pas identiques. Pour rendre
compte de cette baisse, la charge planaire doit nécessairement diminuer avec
l'éloignement de la surface nucléante. Cette diminution peut se produire de deux
manières : en retirant de la charge négative ou en ajoutant de la charge positive ;
les deux sont possibles.
Retirer de la charge négative de la structure signifie éliminer des atomes
d'oxygène ; plus on retire d'atomes d'oxygène, moins la charge totale du plan sera
négative. La Fig. 4.16 montre qu'un retrait limité est structurellement tolérable:
tant que le nombre d'atomes d'oxygène enlevé n'est pas excessif, la trame du
plan ne se désintégrera pas. Même la perte d'un atome d'oxygène sur deux ne
compromettrait pas la structure car les attractions interplanaires peuvent assurer
la stabilité de l'ensemble. Si le retrait d'oxygène augmentait avec la distance par
rapport à la surface nucléante, les plans les plus distants deviendraient progressi-
vement moins négatifs.
Lérosion de la trame moléculaire est une façon de comprendre comment
se produit cette perte d'oxygène. Le fait que le réseau moléculaire possède une
charge négative pousse les protons chargés positivement à pénétrer à l'intérieur
de la ZE. En réalité, ce ne sont pas les protons eux-mêmes qui sont ainsi poussés,
car les protons ont une courte durée de vie ; ils viennent immédiatement se gref-
fer à des molécules d'eau pour former des ions hydronium. D'ordinaire, ces ions
hydronium ne peuvent entrer dans la trame de la ZE ; la maille serrée de celle-ci
interdit ce genre de pénétration.
Toutefois, des ouvertures comme celles représentées à la Figure 4.16 consti-
tueraient des sites propices à une invasion, de même que les irrégularités dans le
réseau dues à la rugosité de la surface. Des ions hydronium invasifs, se combinant
63
avec des atomes d'oxygène proches dans la trame, créeraient une molécule d'eau
qui éroderait la trame. L'érosion la plus forte se produirait là où les ions hydro-
nium ont pénétré dans la trame en premier : le plan le plus éloigné de la surface
nucléante verrait donc sa négativité la plus impactée ; cela correspond à ce qui a
été observé expérimentalement.
Des charges positives invasives pourraient également venir se loger dans
l'espace séparant les plans ; en particulier, si un proton se libérait d'un ion hydro-
nium, il pourrait venir lier deux atomes d'oxygène de plans adjacents (voir Figure
4.13b). Une fois encore, cela se produirait principalement là où les protons sont
les plus abondants, vers les plans de la trame les plus éloignés de la surface. En
ajoutant des charges positives, ces protons produiraient le même résultat que
l'érosion provoquée par l'oxygène : la réduction de la charge négative des plans à
mesure que l'on s'éloigne de la surface nucléante.
L'importance de l'érosion de la trame pourrait influencer la taille de la zone
d'exclusion. Les surfaces extrêmement hydrophiles présentant relativement peu
de défauts de trame devraient produire des ZE subissant une érosion limitée. Avec
des surfaces moins hydrophiles comptant davantage de défauts, les ions positifs
pourraient entrer plus facilement dans la trame, l'éroder et finalement limiter la
taille de la ZE. Ceci pourrait expliquer pourquoi les matériaux moins hydrophiles
génèrent de plus petites zones d'exclusion.
La présence de défauts dans la trame n'est pas sans rappeler les semi-conduc-
teurs; des défauts de trame dans des matériaux cristallins produisent des struc-
tures présentant un excès d'électrons ou un excès de« trous», ce que l'on appelle
respectivement des semi-conducteurs de type n ou de type p. La structure de la
ZE ressemble davantage au type n, avec un excès d'électrons transmis par les
atomes d'oxygène. Il serait donc raisonnable de penser que la ZE possèderait des
caractéristiques du type semi-conducteur, et nous verrons par la suite que tel est
bien le cas. Mais pour l'instant, contentons-nous de dire que les défauts de trame
jouent sur la taille de la ZE par le biais d'un phénomène d'érosion.
64
À première vue, cette caractéristique semble
étrange car elle implique la possible existence de
zones d'exclusion chargées positivement; jusqu'à
présent, nous n'avons eu affaire qu'à des zones
d'exclusion négatives. Pourtant, si le modèle
proposé pour la ZE est correct, il faut s'attendre
à trouver également des zones d'exclusion char-
gées positivement ; leurs structures resteraient
la même si ce n'est qu'elles contiendraient moins
d'atomes d'oxygène.
Il se trouve que ce genre de zone d'exclusion
positive existe, bien qu'on les rencontre moins
souvent que les négatives. Nous en avons obser-
vé à côté de certains polymères et de certains
métaux. 15 Les billes de gel à échange d'ions en
fournissent en exemple. Couramment utilisées
pour la séparation physique, ces billes d'un
demi-millimètre de diamètre existent sous deux Fig. 4.17 Une zone d'exclusion
formes : anioniques et cationiques. Toutes deux enveloppe des billes chargées
initient des zones d'exclusion (Fig. 4.17), mais les négativement (haut) et positivement
ZE situées à côté de billes cationiques portent (bas).
une charge nette positive.
La Figure 4.18 nous montre l'existence de cette charge positive. Nous consta-
tons que la distribution spatiale du potentiel électrique à proximité de billes anio-
niques et cationiques sont pratiquement en miroir : l'un des tracés représente le
type négatif standard, l'autre un potentiel positif correspondant. Les régions en
dehors d'une zone d'exclusion chargée positivement présentent un pH plus élevé,
au lieu de l'habituel pH bas observé au-delà d'une ZE négative. 15
150
100
Fig. 4.18 Potentiels électriques
> 50
mesurés à côté de billes
.s cationiques et anioniques.
~
w 0 ·-~~~~:::=111111...........
----- -~ - --- --- - - --
0
CL -50
-100
66
mouvements thermiques limiteront l'arrangement moléculaire observé à quelques
couches seulement, certains chimistes voient le concept d'un arrangement sur de
longues distances comme une ineptie: cela ne peut tout simplement pas avoir lieu.
Toutefois, nous ne sommes pas en train de parler ici d'une structure qui serait
une superposition de dipôles d'eau mais une superposition de plans ; il ne s'agit
pas de la même chose. Les chimistes peuvent concevoir un empilement de dipôles
comme un empilement de briques rendu instable par les effets du mouvement
thermique (Fig. 4.19, gauche) ; comme ces effets perturbateurs sont cumulatifs,
l'empilement ne peut aller bien haut avant de devenir branlant. Il faut impérati-
vement prendre conscience que nous n'avons pas affaire ici à un empilement de
dipôles mais de plans (Fig. 4.19, droite). Chaque plan a une certaine longueur, et
plus la structure sera étendue, moins il y aura d'agitation thermique. Ainsi, un effet
perturbateur devrait être bien moins prononcé dans une superposition de plans
qu'avec un empilement de dipôles. On peut donc espérer que ce modèle planaire
provoquera moins de réactions outragées parmi les chimistes.
Dans un autre ordre d'idées, le modèle planaire nous aide à régler un problème
que les chimistes n'ont jamais résolu : pour quelles raisons les gels retiennent-ils
autant d'eau ? Les gels gardent leur eau. Souvenez-vous que les gels ordinaires ne
fuient pas, même quand la proportion d'eau qui les compose dépasse 99.9 % de
leur masse totale (Fig. 1.1). Nous pouvons à présent nous hasarder à expliquer ce
phénomène. La matrice d'un gel renferme de nombreux éléments hydrophiles dont
les surfaces convertissent l'eau environnante en eau-ZE. Les plans constituant les
ZE adhèrent à ces éléments de départ mais aussi les uns aux autres; c'est comme
cela que la gélatine que vous mangez en dessert reste hydratée. t.:eau d'une ZE ne
goutte pas.
Enfin, la structure proposée explique pourquoi les zones d'exclusion excluent.
Elles excluent car c'est seulement par des ouvertures dans les hexagones que
67
des solutés peuvent pénétrer le réseau moléculaire des ZE ; ces ouvertures sont
étroites. Mais ce n'est pas tout: les plans successifs dans la ZE n'étant pas alignés
les uns au-dessus des autres, les ouvertures exploitables sont encore plus étroites
que les ouvertures hexagonales planaires (Fig 4.16). Le réseau moléculaire est
extrêmement serré, et il est très difficile pour des solutés d'y pénétrer ; seuls les
protons et les plus petites entités sont suffisamment petites pour pouvoir entrer.
Ceci dit, les protons n'existent généralement pas en tant qu'entités distinctes;
ils adhèrent aux molécules d'eau pour former des ions hydronium, qui sont bien
plus volumineux que les protons et sont donc exclus. Par la suite (chapitre 17),
nous verrons comment les protons se libérant de ces molécules d'eau peuvent
pénétrer dans la trame moléculaire de la ZE pour former de la glace.
Mis à part ces protons libérés, il semblerait que tous les solutés seraient
exclus - du moins, dans les régions de la trame moléculaire dépourvues de trous.
!..'.exclusion des ions hydronium pourtant hydrophiles, avec leur charge positive,
assure le maintien de la différence de potentiel électrique entre la ZE et l'eau qui
se situe au-delà; c'est pourquoi nous pouvons mesurer une différence de potentiel
stable sur de longues périodes de temps.
En résumé
68
Dans ce modèle en couches superposées, la charge locale dépend de la den-
sité des atomes d'oxygène électronégatifs. De ce fait, le potentiel électrique local
peut aller de valeurs extrêmement négatives à zéro, et même aux valeurs positives
caractéristiques de certaines zones d'exclusion. Ce cadre structurel de base est
suffisamment versatile pour décrire tous les types de zones d'exclusion.
Les ZE réelles diffèrent des ZE génériques. Les ZE génériques contiennent des
trames moléculaires hexagonales complètes. Les ZE réelles sont moins régulières :
il peut leur manquer des atomes d'oxygène et d'hydrogène à des positions reflé-
tant la distribution de charge de la surface de départ, et elles peuvent subir une
érosion.
Les zones d'exclusion semblent d'une part suffisamment grandes, et d'autre
part suffisamment distinctes, pour qu'on les considère comme un autre état de
l'eau. Nous n'en sommes qu'au début de la reconnaissance de ce « quatrième
état » ; mieux le comprendre promet d'apporter quelque lumière sur ce qui se
produit quand l'eau rentre en contact avec un autre élément, quel qu'il soit.
t-J
0
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69
5 Des batteries à base d'eau
71
Trouver une zone de charge opposée à proximité de la ZE était donc attendu :
une charge négative se formant au sein de la ZE, une zone correspondante de
charge positive devrait se former juste à côté, dans une région qui récupèrerait un
grand nombre de protons. Une haute concentration de protons se distinguant par
un pH bas, nous suspections dès le départ qu'une zone avec un pH faible pouvait
exister dans l'eau extérieure à la ZE.
Pour vérifier cette hypothèse, nous plaçâmes un gel dans un bécher d'eau
et positionnâmes une sonde à pH juste à l'extérieur de la ZE du gel (voir Fig.
4.8). Nous eûmes été ravis de voir le pH chuter d'une unité, ce qui aurait indiqué
une concentration de protons dix fois supérieure ; mais (comme nous l'avons vu
dans le chapitre 4), nous obtenîmes un résultat encore plus spectaculaire : c'est
bien une chute de trois ou quatre unités de pH, et même parfois plus, que nous
observâmes régulièrement à proximité de la ZE d'un gel d'acide polyacrylique ;
l'échelle du pH étant logarithmique, cela impliquait une concentration de protons
dix mille fois plus élevée. Ce résultat nous stupéfia.
Nous découvrîmes que nous pouvions faire varier l'ampleur de la chute de
pH en modifiant l'installation, par exemple en changeant la taille du bécher par
rapport à celle du gel: en utilisant un bécher beaucoup plus grand que le gel, nous
ne mesurâmes qu'une baisse modeste de pH, mais en utilisant un bécher à peine
plus grand que le gel (les protons n'ayant donc pratiquement nulle part d'autre où
aller), nous obtînmes des chutes de pH plus impressionnantes.
Peu de choses dans la chimie classique pouvaient nous aider à comprendre ce
que nous observions. Les résultats étaient si sensationnels que les membres les
plus conservateurs de notre laboratoire commençaient à se montrer mal à l'aise.
Un garçon brillant, très versé en chimie classique, ne pouvant tout simplement
pas croire aux résultats observés, nous demanda à être affecté à un autre projet;
j'avoue ne pas avoir été du tout convaincu moi-même au départ.
Une méchante arrière-pensée nous taraudait: cette accumulation de protons
était-elle réellement une conséquence de la formation de la ZE ? Leur étonnante
accumulation perdrait toute signification si nous découvrions qu'ils s'étaient
simplement échappés du gel. Nous trouvâmes rapidement un solution pour véri-
fier cette hypothèse : si les protons provenaient bien du gel, leur accumulation
ne pourrait excéder certaines valeurs fixes ; après tout, aucun gel n'est capable
de fournir un nombre infini de protons. Le fait de pré-immerger le gel dans une
succession de bains d'eau dans le but d'éliminer tout proton séparable fit peu
de différence : nous observâmes des chutes de pH similaires lors des tests qui
suivirent. Il semblait donc bien que les protons se regroupaient pour former une
zone à part lorsqu'apparaissait la ZE, exactement comme nous l'avions suspecté.
Cette conclusion nous fit autant de bien qu'une boisson rafraîchissante par
une chaude journée d'été. Elle nous rassura également, la preuve d'une forte
72
positivité confirmant la présence d'une forte négativité correspondante au sein
de la ZE. Pour certains physiciens, cette concentration quasi-stable de charges
négatives sortait du cadre habituel et était donc difficile à accepter; découvrir des
charges opposées en un autre endroit nous rassura sur le fait que nous
étions sur la bonne piste.
Accumulation de protons
Pour déterminer la dynamique à l'œuvre dans cette accumulation de lOmm .a.
protons, nous utilisâmes une sonde à pH miniature suffisamment petite
pour mesurer des changements locaux de pH à diverses distances de Smm - •
la ZE (Fig. 5.1, haut). Pour l'échantillon, nous utilisâmes une feuille de lmm - •
Nafion fixée au fond d'un récipient ; nous remplîmes ensuite le récipient
d'eau pour observer le regroupement des protons. Nafion
7
6
Fig. 5.1 Evolution dans le temps
5 du pH après avoir versé de l'eau
4 sur une feuille de Nafion. Nous
:i:
c. mesurâmes à trois endroits
comme indiqué. Les tracés
2
suggèrent une arrivée progressi-
vement croissante de protons.
0
0 20 40 60 80
temps (secondes)
73
la nature physique du système et notamment de l'es-
pace dont disposeront les protons pour se répandre.
(b) +
+
+ + + +
eau ---;.- +eau protonée
pure _ ___,___ + + 75
+ +
+
+ +
Batteries cellulaires : nerfs, douleur et anesthésie
§ 300
·v:;
::;:)
u
X
~ -~
-
200
Lidocaine
IJl
Cl)=
c n:l
2 E
~ ê 100
CJ)-
""O
§ 300
·v;
::i
uX -
~ -83fJ> 200
Bupivacaine
CL>=
c: "'
::a
~
E
g 100
Cl..>-
"'O
Une séparation des charges de type batterie reste apparente même quand
la zone d'exclusion se développe pour prendre des configurations particulières ;
la Figure 5.6 nous en livre un exemple. Cette image provient de la même instal-
lation expérimentale que la Figure 5.3 mais a été prise plus tard. Les « bosses »
dans le Nafion proviennent du fait que l'hydratation
provoque des contraintes, mais cela n'affecte en rien
le résultat. Au moment où nous prîmes cette photo, la
ZE avait commencé à diffuser des projections du type
bâton similaires à celles de la Figure 3.7. Vous noterez
H+ que du rouge entoure chacune de ces projections ;
cette couleur représente la densité des protons à côté
\ des ZE en forme de bâton. Ainsi, nous constatâmes
~ ZE une augmentation du nombre de protons à proximi-
té de ZE non seulement dans le cadre de situations
ordinaires (Fig. 5.3) mais aussi lorsque les ZE se pro-
jetaient loin dans l'eau.
Fig. 5.6 Distribution des En d'autres termes, les charges se séparent là où
protons à un grossissement la ZE est présente. Une séparation des charges du
inférieurpar rapport à la Figure type batterie est le signe de la présence de la ZE.
5.3 et plus tard dans le temps.
Notez comment des zones au pH
bas (rouge) entourent chaque
projection verticale de ZE.
Récupérer l'énergie stockée dans la batterie à ZE
Si les charges séparées des ZE se comportent réellement comme une batterie,
on devrait alors pouvoir exploiter cette énergie électrique : placer une électrode
dans la ZE, une autre dans la zone à protons, et relier ces deux électrodes par une
résistance devrait produire du courant. C'est ce que nous trouvâmes : les charges
stockées créent du courant (Figure 5.7).
Il ressort de cela que ces charges séparées ne sont pas simplement des
sous-produits accidentels de la formation des ZE ; elles peuvent circuler et créer
du courant. Cette description ressemble à celle d'une
batterie ordinaire, mais avec une construction interne
plus simple : ici, une zone d'exclusion possédant une
charge négative se trouve à côté de l'eau en vrac
contenant une charge positive.
Pensez-y : peu après avoir plongé un maté-
riau hydrophile dans de l'eau, la ZE se forme et les
charges se séparent (la séparation des charges n'est
pas gratuite ; nous aborderons bientôt le sujet de
l'énergie nécessaire pour effectuer cette séparation).
Les charges séparées ont une forte propension à se
recombiner, mais elles resteront séparées par la den-
sité du réseau moléculaire de la ZE qui empêchera ces
charges libres de pénétrer dans la ZE de charge oppo-
sée. La séparation observée maintiendra une diffé-
rence de potentiel dont la magnitude n'atteindra que ZE
des valeurs faibles (de 100 à 200 mV seulement) ;
5
néanmoins, les zones respectives étant denses en
charges, l'énergie délivrable est considérable. ~ 4
...... 3
Ce type de batteries à base d'eau existe à c: n:l
chaque fois que des surfaces hydrophiles intera- ::; 0
2
grande densité de matériaux dont les surfaces 0 1OO 200 300 400
80
verrons comment ces forces attractives et répulsives consti-
tuent un moteur primitif du mouvement naturel de l'eau.
En d'autres termes, les électrons de la ZE et les ions
hydronium du restant de l'eau en vrac ont tous un potentiel
considérable pour accomplir du travail : les électrons ont la
capacité de se déplacer à travers le réseau moléculaire de
la ZE pour alimenter des sites contigus gourmands en élec-
trons, tandis que les ions hydronium peuvent générer des cir-
culations de liquide mais aussi des réactions nécessitant des
charges positives. Ainsi, ces deux entités chargées peuvent
délivrer une énergie abondante.
En résumé
Les régions aqueuses situées à côté de surfaces hydrophiles contiennent des
zones d'exclusion. Ces ZE séparent les charges. Les charges séparées constituent
une batterie (Fig. 5.10).
L'une des bornes de la batterie est la ZE, typiquement négative grâce au
grand nombre d'électrons venant de l'oxygène en surnombre qu'elle renferme; le
volume d'eau qui se situe au-delà de la ZE constitue l'autre borne de la batterie
et contient typiquement des ions hydronium positifs (contenant le proton restant
de l'oxygène ayant été privé de son électron) qui peuvent se disperser librement
conformément aux lois de l'électrostatique. Attirés par la négativité, de nombreux
ions hydronium vont s'accumuler à la frontière avec la ZE.
Même si le mécanisme de séparation des charges peut maintenant paraître
évident, son maintien dans le temps ne l'est pas. Tout comme la batterie de votre
téléphone portable, celle de l'eau va lentement s'épuiser à mesure que les charges
opposées vont se recombiner ; la batterie à ZE doit elle aussi être rechargée.
Comme la nature ne dispose pas de chargeur USB, une autre source d'énergie doit
être à l'œuvre.
Cette source nous échappa pendant des années ... jusqu'à ce qu'une décou-
verte fortuite nous mette sur la bonne voie. C'est le sujet du prochain chapitre.
.<t99 .
6 Recharger la batterie à eau
C 'est la nature décontractée et bon enfant de Jim qui nous aida finalement à
trouver la poule aux œufs d'or - ou du moins son équivalent : une source
d'énergie virtuellement gratuite et abondante.
Cela faisait un certain temps que Jim Zheng, mon stagiaire post-doc, et moi-
même cherchions désespérément à découvrir quel type d'énergie permettait de
maintenir la charge dans une zone d'exclusion; nous avions le sentiment que nous
ne trouverions jamais la réponse. Pour commencer, il fallait mettre en place la ZE,
la charger, puis réussir à maintenir sa négativité face à des ions positifs pressés
d'y entrer et de l'annihiler. En effet, de l'énergie est nécessaire non seulement
pour procéder à la séparation des charges initiale, mais aussi pour maintenir cette
séparation malgré une attrition inévitable.
En ce qui concernait la formation de la zone d'exclusion, de vagues soupçons
reposaient sur « l'énergie de surface » qui existe au niveau de toute interface
entre deux matériaux ; mais à la réflexion, ce coupable idéal ne semblait pas
convenir : on pouvait raisonnablement concevoir qu'elle puisse former la couche
la plus proche de la surface, mais les ZE peuvent comporter des centaines de
milliers, voire des millions de couches ou plus encore. Comment cette énergie,
qui ne se trouvait qu'à la surface, aurait-elle pu agir sur une si grande distance?
Quelque chose d'autre devait être à l'origine de cela.
En ce qui concerne le maintien dans le temps, il était évident que de l'énergie
devait faire perdurer la séparation des charges une fois que celle-ci avait eu lieu ;
ce maintien aurait été inexplicable sans un apport continu d'énergie pour contrer
l'usure naturelle. Mais la source de cet apport d'énergie était encore floue, du
moins pour nous.
Jim, succombant à un besoin naturel, allait nous indiquer accidentellement
la voie à suivre. Les laboratoires sont comme tous les autres environnements de
travail sur Terre : le soir approchant, les affres de la faim se faisant sentir, la clo-
che du dîner devient presque audible et il arrive que l'on oublie parfois de ranger
le matériel. C'est ce qui arriva à Jim un soir: il laissa son bécher sur la platine du
microscope, éteignit la lampe de l'instrument, et rentra chez lui pour dîner.
Lorsqu'il revint au travail le lendemain matin, il alluma la lampe du micros-
cope et constata que la zone d'exclusion avait diminué de moitié. Mais en l'espace
d'une ou deux minutes, la ZE reprit sa taille initiale ; c'était comme si la lampe
85
du microscope avait revigoré la zone d'exclusion. La
lumière semblait jouer un rôle (Fig. 6.1) .
Rétrospectivement, le rôle de la lumière aurait dû
nous paraître évident. Un jour où j'avais abordé ce
problème d'énergie lors d'une présentation en classe,
une main s'était levée et, d'une affirmation peu assu-
rée, un étudiant avait laissé échapper : « Et si c'était
la lumière ? » Il était tombé en plein dans le mille.
Dire que la réponse était venue naturellement à cet
étudiant (dont nous n'allions pas tarder à exploiter
Fig. 6.1 Zone d'exclusion les talents dans notre laboratoire) et qu'il nous avait
située Je long d'un morceau de fallu, nous, plusieurs années pour essayer de trouver
Nafion. En haut : contrôle. En la solution !
bas : après plusieurs minutes
Nous avions déjà établi avec une certaine certi-
d'exposition à la lumière.
tude que l'agent responsable était la lumière lorsque
ce cours eut lieu. Il me faut être clair : par « lumière »,
j'entends non seulement la partie visible du spectre
électromagnétique, mais aussi les domaines de l'ultraviolet et de l'infrarouge. L.'.ap-
port d'énergie se faisait par le biais de l'énergie électromagnétique rayonnante
que l'eau absorbe et exploite pour former les ZE et maintenir la séparation des
charges qui lui est associée.
86
Une fois redescendus de notre petit nuage, une question évidente nous appa-
rut : quelles longueurs d'onde lumineuse permettaient de recharger la batterie ?
Les lampes de microscopes ordinaires (ainsi que la lumière solaire) génèrent tout
un éventail de longueurs d'onde qui vont de l'ultraviolet à l'infrarouge en passant
par la lumière visible. Notre question était donc de savoir si certaines longueurs
d'onde étaient plus efficaces que d'autres.
Pour répondre à cela, nous éclairâmes le récipient avec des lumières de lon-
gueurs d'onde différentes. Nous utilisâmes des diodes électroluminescentes (LED)
comme source de lumière, celles-ci émettant de la lumière à des longueurs d'onde
spécifiques, de l'ultraviolet à l'infrarouge en passant par le visible. En utilisant
ces LED une à la fois, nous fûmes en mesure de diriger la lumière produite vers le
récipient où se trouvait une bande de Nafion immergée dans de l'eau contenant
également des microbilles. Nous voulions voir dans quelle mesure l'exposition à
chacune de ces longueurs d'onde pouvait accroître la zone d'exclusion.
Les résultats confirmèrent que la longueur d'onde était importante. 1 La Figure
6.2 montre comment ont évolué des zones d'exclusion après une exposition de
cinq minutes à de la lumière de différentes longueurs d'onde. La lumière incidente
était suffisamment faible pour qu'à la fin de l'exposition, la température du réci-
pient ne se soit jamais élevée de plus d'1°C. L'axe vertical montre l'expansion de la
ZE ; par exemple, un ratio de 2 indique un doublement de taille.
La figure montre que toutes les longueurs d'onde provoquèrent une expan-
sion de la ZE, mais on constate que certaines longueurs d'onde furent plus effi-
caces que d'autres. L'ultraviolet (soit 270 nm) se révéla
la moins efficace, la lumière visible très efficace, et Fig. 6.2 Effets des longueurs
l'infrarouge encore plus, notamment à 3.000 nm, ce d'onde de la lumière incidente
54
sur la croissance des ZE.
'1
I 1 L'ordonnée indique le ratio de
I 1
53
1 la taille que présentait la ZE
1
1
à la fin d'une exposition de
52
1 cinq minutes à la lumière par
1 /
I
LU
N 51 I
1
\/
/ rapport à la taille qu'elle avait
~ /\ I avant cette expérience. Pour des
Q.J
-0 50
.!!:!
I
,,
\ I
raisons techniques, les données
~ du côté droit du graphique ont
3
~ été obtenues avec des sources
Q.J
-0 source lumineuses de faible intensité ;
;
0 2.5
9 )
:.:::;
~ des intensités similaires à celles
que l'on a utilisées pour obtenir
les résultats du côté gauche
1.5
aurait nécessité de modifier
l'échelle du graphique comme
0 200 400 600 800 2,000 3,000 4,000
la courbe en pointillées située
UV visible infrarouge au-dessus nous en livre un
longueur d'onde(nm)
aperçu.
qui nous surprit d'abord. Par la suite, nous réalisâmes que cette longueur d'onde
de 3.000 nm est celle que l'eau absorbe le plus fortement. Il ressort de ces obser-
vations que plus une longueur d'onde sera fortement absorbée, plus la taille de la
ZE augmentera ... une corrélation plutôt honnête.
Nous constatâmes également que des expositions plus longues et à des
intensités plus élevées pouvaient étendre les ZE encore davantage. Les résultats
présentés ci-dessus furent obtenus suite à des expositions de cinq minutes. Avec
des expositions plus longues à la même intensité,
nous avons par exemple pu facilement produire des
expansions de ZE de cinq à dix fois plus importantes;
lorsque nous éteignions la lumière, la ZE retrouvait sa
taille normale en l'espace de dix minutes.
Je vais expliquer la mystérieuse courbe en poin-
tillés que l'on peut voir en haut de la Figure 6.2. Les
sources infrarouges disponibles pour ces expériences
étaient peu puissantes : elles produisaient une inten-
sité 600 fois moindre que la lumière visible ou que
les sources ultraviolettes. Par conséquent, les don-
nées de la partie droite du graphique sont de toute
évidence inférieures aux valeurs qu'elles auraient pu
atteindre si l'on avait utilisé des sources de lumière
infrarouge aussi intenses que la lumière visible; cher-
cher à déterminer à quel point elles sont inférieures
reste hasardeux. La courbe en pointillés tente de
corriger cette disparité en proposant une estimation
réaliste de ces valeurs pour des sources infrarouges
équivalentes.
Il est évident que les longueurs d'onde de l'in-
frarouge sont prédominantes. Lultraviolet ne joue
presque aucun rôle. (Nous verrons plus loin les
conséquences de l'absorption par la ZE de toute cette
énergie ultraviolette.) La lumière visible joue un rôle
modéré dans le phénomène d'expansion, tandis que
les longueurs d'onde infrarouge (IR) sont de loin les
plus efficaces dans le développement des ZE.
Lénergie infrarouge a probablement été le fac-
teur déterminant dans l'expérience imprévue de Jim :
lorsqu'il éteignit la lampe de son microscope à la fin
Fig. 6.3 Réduire le rayonnement de sa journée de travail, Jim diminua le rayonnement
infrarouge incident diminue la infrarouge incident, ce qui à son tour réduisit la taille
taille de la ZE. Lorsque l'on retire
le récipient du vase Dewar, la ZE
retrouve sa taille initiale.
de la zone d'exclusion. Lorsqu'il ralluma la
lampe le lendemain matin et releva ainsi
le niveau d'infrarouge à celui de la veille,
la ZE retrouva rapidement la taille qu'elle
avait eue précédemment.
L'expérience fortuite de Jim nous
conduisit aussi à faire des recherches
plus approfondies sur les réductions de
ZE liées aux infrarouges (Fig. 6.3) en
Fig. 6.4 Même dans le noir, la
plaçant un récipient abritant une ZE totalement
lumière infrarouge est toujours
développée dans un container isolé nommé vase
disponible.
Dewar (récipient conçu pour fournir une très bonne
isolation thermique). De même qu'une bouteille iso-
therme maintiendra des boissons au frais en bloquant le rayonnement infrarouge
incident, les vases Dewar bloquent ce rayonnement avec encore plus d'efficacité.
Lorsque l'on plaçait le récipient 15 minutes dans un vase Dewar, la taille de la ZE
diminuait d'environ de moitié par rapport à sa taille initiale, et lorsqu'on en retirait
le récipient, la ZE retrouvait sa taille normale en l'espace de quelques minutes.
Nous voyons donc que l'infrarouge fonctionne dans les deux sens : augmenter le
rayonnement infrarouge étendra la ZE, tandis que diminuer ce rayonnement en
réduira la taille.
Pensez à ce que cela implique (Fig. 6.4). Sachant que l'énergie infrarouge est
la plus efficace pour former des ZE, et qu'elle est omniprésente, cela signifie que le
carburant pour développer des ZE est toujours disponible; en outre, ce carburant
est gratuit.
Contrairement à la lumière visible qui peut disparaître en actionnant simple-
ment un interrupteur, il est difficile d'éteindre la lumière infrarouge : les caméras
IR peuvent parfaitement filmer des chars en mouvement ou des foules humaines,
ceci même lorsque l'obscurité est totale (Fig. 6.5).
Même la pièce où vous vous trouvez émet des infrarouges. Les murs exté-
rieurs de votre domicile absorbent l'énergie rayonnante du Soleil et la réémet à
différentes longueurs d'onde ; à leur tour, les murs intérieurs vont émettre une
90
La découverte que différents agents avaient la capacité de produire des zones
d'exclusion rendait peu probable le fait que la lumière génère directement des ZE
en séparant les molécules d'eau. Ce type de découpage ne pourrait probablement
avoir lieu qu'avec une valeur précise de longueur d'onde dont l'énergie agiterait les
molécules d'eau par résonance, mais nous observâmes au contraire qu'une vaste
gamme de longueurs d'onde, à la fois à l'intérieur et en dehors du spectre visible,
avait un impact sur ce phénomène. Par ailleurs, les photons dans les fréquences
infrarouges ont moins d'énergie que ceux dans l'ultraviolet, au point que les phy-
siciens considèrent le rayonnement infrarouge comme absolument incapable de
décomposer une molécule d'eau ; pourtant, les expériences montrent que ces
photons infrarouges sont les plus efficaces promoteurs des ZE.
Il apparaît que l'énergie incidente produit un effet plus subtil qu'une simple
décomposition de la molécule d'eau, et il est plus vraisemblable qu'elle la facilite
simplement; la séparation des charges n'aurait alors lieu qu'à une étape ultérieure.
Alors que la nature de cet effet plus subtil demeure encore incertain, on peut
raisonnablement penser que cette énergie sépare les molécules d'eau les unes des
autres (Fig. 6.6), autrement dit que l'énergie absorbée affaiblit les connexions
intermoléculaires. Il me semble inutile de spéculer davantage pour la bonne rai-
son que la structure de l'eau dans le reste du récipient demeure elle-même un
mystère ; nous savons simplement que les
molécules présentes doivent nécessaire-
ment adhérer les unes aux autres - faute de
quoi l'eau serait un gaz plutôt qu'un liquide.
Concernant la manière dont elles adhèrent
entre elles, certains scientifiques évoquent
des liaisons intermoléculaires transitoires
quand d'autres pensent que nous avons
affaire à des grappes ordonnées liées les
unes aux autres par des effets de mécanique
quantique (voir Chapitre 2) ; ces grappes
ordonnées pourraient se réorganiser pour
former les ZE, comme cela fut récemment
suggéré. 3
J)
Nous voyons donc que l'énergie inci-
dente pourrait affaiblir les liaisons entre
les molécules d'eau ou dans les grappes,
libérant ainsi les molécules d'eau pour de Fig. 6.6 Une énergie entrante
nouvelles opportunités « sociales ». Ceci pourrait dissocier les molécules
constituerait la première étape dans le pro- d'eau les unes des autres.
cessus de formation d'une ZE.
Assemblage de la zone d'exclusion
La deuxième étape implique une sorte d'assemblage. Les molécules d'eau,
dissociées les unes des autres, doivent maintenant s'assembler pour former la
structure de la ZE. Supposons que plusieurs couches en forme de nids-d'abeilles
soient déjà en place; demandez-vous alors comment des molécules d'eau fraîche-
ment libérées pourraient s'assembler sur la dernière couche de la ZE pour former
la suivante.
La molécule d'eau possède des pôles négatifs et positifs qui sont légèrement
séparés entre eux ; ces pôles devraient être attirés vers les pôles opposés sur la
surface extérieure de la structure (Fig. 6.7) ; magnétiquement, la molécule vient
s'assembler sur celle-ci. Une par une, les molécules d'eau viennent adhérer de
cette façon et agrandir ainsi la nouvelle couche en nids-d'abeilles.
Ce processus peut paraître simple mais il se présente pourtant un problème:
l'atome d'hydrogène qui pend au-dessus de la structure. La Figure 6.7 nous
montre que l'un des deux atomes d'hydrogène de la molécule d'eau pend libre-
ment une fois que cette dernière a intégré la structure ; la couche suivante ne
pourra pas se former si cet atome d'hydrogène reste en place. Par conséquent, le
développement de la zone d'exclusion ne pourra se poursuivre régulièrement que
si cet atome d'hydrogène inutile se dissocie de la structure; il est nécessaire de se
séparer du proton en question.
Cette séparation pourrait se produire naturellement. Pour comprendre com-
ment, pensez aux nuages d'électrons entourant la molécule d'eau (Fig. 6.8). Les
nuages d'électrons négatifs de l'oxygène sont attirés par la positivité (a). Lors-
qu'une molécule est isolée, ces nuages sont attirés vers le noyau d'hydrogène ;
hydrogène
~ se balançant
Fig. 6.7 Construction de la zone
d'exclusion. Les molécules d'eau
solitaires sont attirées vers la
dernière couche de la ZE car les
charges à sa surface attirent les
charges opposées que renferme
la molécule d'eau. Une fois l'as-
semblage effectué, on constate
qu'un atome d'hydrogène se
retrouve seul.
(a)
nuage
d'électrons
93
l'interface serait engorgée : les molécules du reste de l'eau en vrac ne pourraient
plus accéder à la zone d'exclusion, et celle-ci cesserait rapidement de croître.
Mais ce n'est pas tout. Comme je l'ai dit précédemment, les protons libérés
ont une courte durée de vie. Étant des agents libres porteurs d'une charge posi-
tive, ces protons seront attirés par tout ce qui possède une charge négative aux
environs, un peu comme un adolescent cherchant une fille alentour : presque
toutes les candidates feront l'affaire. Pour les protons porteurs de charges posi-
tives, l'oxygène électronégatif de la molécule d'eau se trouve être l'attracteur le
plus présent ; le proton se fixera sur lui, créant ainsi un ion hydronium Hp·. Cet
ion hydronium n'est rien de plus qu'une molécule d'eau chargée positivement, une
entité avec un potentiel considérable pouvant expliquer tous types de mouve-
ments d'eau, comme je le montrerai.
Ainsi, lorsque nous parlons de la dynamique des protons libérés, nous par-
lons en réalité de la dynamique des ions hydronium libérés. Les ions hydronium
ont une longue durée de vie et sont les entités qui diffusent.
Cependant, il faut comprendre que la séparation du proton d'avec la molécule
d'eau n'est qu'un événement secondaire qui ne se produit que lorsque la molécule
d'eau se fixe sur la structure de la ZE en développement. !..'.énergie rayonnante
absorbée autour de laquelle s'articule tout le processus ne sépare pas directement
le proton de l'eau : celle-ci pourrait simplement affaiblir la structure du restant de
l'eau en vrac, libérant des molécules d'eau individuelles ainsi disponibles pour
le développement de la ZE. C'est le mécanisme de fixation de la molécule d'eau
sur la structure qui va relâcher le proton isolé dans le reste de l'eau en vrac où il
tendra à former un ion hydronium. C'est de cette manière que la zone d'exclusion
continuera de se développer, et que la batterie à eau continuera de se charger.
Une question mérite d'être évoquée : comment une structure chargée néga-
tivement peut-elle continuer à emmagasiner davantage de négativité ? Ajouter
de la négativité à de la négativité semble contre-intuitif; néanmoins, ce n'est pas
tout à fait ce qui se produit. En réalité, les entités qui viennent s'ajouter à la struc-
ture négative sont des molécules d'eau neutre. Une molécule d'eau sera attirée
par le maillage alvéolaire de la ZE quand ses charges négatives et positives s'ap-
procheront de ses charges positives et négatives. Ces charges opposées seront
fortement attirées du fait de leur proximité, si bien que les molécules adhèreront
entre elles. C'est seulement après cela qu'a lieu la libération du proton positif,
suivant un processus énergétiquement favorable, abandonnant une structure
devenue par là-même encore plus négative. En procédant étape par étape, ce
mécanisme permet d'obtenir de fortes concentrations de charges négatives dans
la zone d'exclusion.
Cependant, ce processus de construction ne se poursuivra pas éternellement
et finira par s'arrêter. Certaines projections verticales pourraient continuer à
94
croître depuis la ZE, mais le corps principal de celle-ci atteindra finalement une
taille relativement stable. Ceci soulève une question : pour quelles raisons la ZE
cesse-t-elle de se développer? Et, comment et pourquoi la taille de la ZE diminue-
t-elle lorsque la lumière incidente diminue?
95
et sa tendance naturelle à se décomposer ; lorsque
ces deux processus s'équilibrent, la ZE atteint une
taille stable. Nous avons déjà étudié la croissance
de la zone d'exclusion et les facteurs limitant son
développement comme la rugosité de la surface et
Fig. 6.10 Bords extérieurs irré- le degré d'hydrophilicité ; en revanche, nous n'avons
guliers de la zone d'exclusion. Les fait qu'effleurer le sujet de la décomposition : com-
ions hydronium pénètrent dans ment exactement la ZE s'érode-t-elle?
les creux situés entre les pics en Pour répondre à cette question, il faut nous
raison de l'attraction exercée par pencher sur les bords extérieurs de la zone d'exclu-
les charges négatives. sion, là où doit se produire l'usure. Ici, le potentiel
électrique se rapproche de zéro, ce qui signifie pro-
bablement que quelques protons libérés demeurent
prisonniers de la structure, et/ou que le maillage y
est relativement plus ouvert (Chapitre 4), voir Figure 6.10.
Une structure moins compacte implique une pénétration moléculaire facili-
tée. Les candidats les plus probables à la pénétration sont les ions hydronium,
car la charge positive dont ils sont porteurs les attire inéluctablement vers la forte
négativité qui règne au sein de la zone d'exclusion ; c'est ainsi qu'ils vont se préci-
piter dans ces creux, entre les pics de la ZE.
Cette invasion a des conséquences ; une fois à
Fig. 6.11 Érosion naturelle de l'intérieur de la ZE, ces ions positifs seront rapide-
la zone d'exclusion. La combi- ment capturés par les molécules environnantes char-
naison d'un ion hydronium avec gées négativement. Cela se traduira par la combinai-
une unité structurelle de la ZE son que j'ai évoquée plus haut : un ion hydronium
a pour effet de retrancher cette Hp+ se combinant avec une unité structurelle du
unité du réseau moléculaire et réseau (OH-) conduira à la formation de deux molé-
aboutit à la formation de deux cules d'eau (Fig. 6.11) . Cette action érosive affaiblit
molécules d'eau. le maillage hexamérique de la ZE.
eau
hydronium
+~ ~
96
Nous voici donc revenus à notre point de départ : un élément de la structure
de la ZE est redevenu de l'eau, et le système a fait un pas en arrière. Le système
atteint une taille stable quand les processus de création et de destruction s'équi-
librent, c'est-à-dire lorsque le développement, requérant un apport d'énergie,
s'équilibre avec l'usure naturelle de la ZE.
Cet équilibre se modifie quand les conditions environnantes changent.
Avec de l'eau acide, les nombreux ions hydronium présents dans l'eau en vrac ne
devraient cesser de grignoter la masse de la ZE et donc mener à une ZE plus petite.
Nous l'avons confirmé expérimentalement : un pH suffisamment acide diminue
effectivement la taille de la ZE. Le sel érode la ZE de la même manière. Songez
au chlorure de sodium (NaCI) : tandis que la composante Cl- peut se combiner
avec H30+ dans le restant de l'eau en vrac pour former HCI + Hp, le Na+ positif
peut pénétrer dans la structure négative et y former de l'hydroxide de sodium
(NaOH) en extrayant une unité OH- du maillage moléculaire. Dans ce cas, la zone
d'exclusion va s'éroder en ajoutant une molécule d'eau à l'eau en vrac. Et là où la
structure est ouverte, des ions positifs de toutes sortes peuvent entrer et provo-
quer l'érosion de la ZE.
En somme, nous constatons qu'une zone d'exclusion se rétracte suivant
un processus qui inverse celui de sa formation. Sa structure se développera en
attirant des molécules d'eau et en libérant des protons dont un grand nombre
se transforment aussitôt en ions hydronium ; elle se rétractera lorsque des ions
hydronium entrent par les ouvertures du réseau moléculaire et extraient des uni-
tés de celle-ci pour produire de l'eau. Le point d'équilibre dépendra de la quantité
d'énergie qui entre dans le système : plus l'énergie incidente sera importante et
plus les zones d'exclusion seront grandes, et moins cette énergie sera importante
et plus les zones d'exclusion seront de dimensions réduites.
Radicaux libres
Aucun processus n'est parfait, y compris cette dynamique usure-expansion
des ZE. L.'.unité structurelle OH- est essentielle à cette dynamique. La ZE va
s'agrandir en ajoutant une par une des unités OH- à la structure, et se rétracter en
les relâchant une par une dans le volume d'eau. Ce processus est donc réversible ...
enfin, plus ou moins. li l'est pleinement tant que des ions hydronium sont là pour
absorber chaque OH- libéré et ainsi créer de l'eau ; le système revient alors là où
il avait commencé.
Supposons toutefois que les ions hydronium soient localement en nombre
insuffisant et donc incapables d'effectuer le travail. Cela pourrait arriver si, par
exemple, un site chargé négativement, situé à une distance appréciable de la ZE,
avait déjà attiré à lui tous les ions hydronium. Alors, aucun partenaire n'étant dis-
ponible pour neutraliser l'unité OH- de la structure, le cycle ne serait pas terminé.
97
De même, on peut observer une perturbation dans le cycle si la ZE est elle-même
perturbée : supposons qu'un processus avide d'électrons attire certaines des
charges négatives de la ZE et laisse ainsi les unités libérées de la structure dépour-
vues de leur négativité habituelle; une fois encore, le cycle ne sera pas complet. Il
est possible que des problèmes de cette nature viennent troubler le cycle normal.
Lorsque cela se produit, le cycle réversible décrit ci-dessus ne sera pas aussi
net et régulier. Au lieu de produire de l'eau, on obtiendra la production de diverses
formes d'oxygène alternatives qui iront ensuite rejoindre le restant de l'eau en
vrac. La nature de ces formes d'oxygène alternatives dépendra de la situation.
Ces formes alternatives de l'oxygène sont communément appelées radicaux
libres, ou parfois, du fait de leur forte réactivité, espèces réactives de l'oxygène
(ERO). Le plus courant, l'ion superoxyde, comprend deux atomes d'oxygène avec
une seule charge négative (0 2·) ; un autre, le radical OH, ne possède aucune
charge ; il en existe encore un autre, Hp 2, ou peroxyde d'hydrogène. Tous
contiennent de l'oxygène, et tous peuvent avoir été théoriquement produits par
l'érosion de la zone d'exclusion.
La forte réactivité de ces entités chimiques peut constituer un problème; en
effet, cette forte réactivité entraine des liaisons instantanées avec toutes sortes
de substances, pouvant potentiellement les altérer. Dans les systèmes vivants,
ces réactions peuvent être toxiques : un radical superoxyde peut par exemple
potentiellement tuer des micro-organismes.
Sans surprise, la nature fait tout ce qui est en son pouvoir pour collecter ces
radicaux afin d'éviter ce genre de conséquences ; chaque cellule de notre corps
contient ainsi une enzyme dédiée à cette fonction, la superoxyde dismutase (ou
SOD). Les SOD neutralisent les radicaux superoxydes presque dès leur appari-
tion. L.'.omniprésence de cet enzyme a toujours été quelque peu énigmatique ;
mais si les radicaux libres sont des sous-produits naturels de la dynamique de
la ZE, l'omniprésence de ces enzymes devient alors compréhensible : des zones
d'exclusion se formant pratiquement partout, il est logique que l'on trouve des
SOD également partout.
99
En résumé
La zone d'exclusion se forme à partir d'énergie lumineuse, en particulier de
l'infrarouge. Lénergie infrarouge est disponible même quand les lampes sont
éteintes, et l'énergie acoustique peut également accomplir cette tâche. Il est
plausible que ces énergies séparent les molécules d'eau les unes des autres et
préparent ainsi la voie à la formation de zones d'exclusion. Attirées vers la ZE en
expansion par les charges opposées, les molécules d'eau libérées vont se fixer sur
sa structure. C'est ce phénomène qui est à l'origine du développement de la ZE et
de la séparation des charges qui y est associée, et c'est de cette manière que se
charge la batterie interfaciale.
Le processus d'assemblage de la ZE répond aux interrogations du précédent
chapitre concernant l'étonnante densité de charges au sein des zones d'exclusion.
Les charges négatives se repoussant, la ZE devrait éclater ; cependant, les nuages
d'électrons collent chaque nouvel élément sur la structure en expansion, assurant
ainsi l'intégrité de l'ensemble. Ces nuages d'électrons peuvent se comparer aux
languettes qui maintiennent ensemble les pièces d'un puzzle (Fig. 6.13). Malgré
les problèmes de répulsion, les éléments restent fermement imbriqués les uns
dans les autres.
100
Lorsque les conditions d'une telle inversion ne sont pas satisfaites, on observe
la formation de radicaux libres d'oxygène au lieu de la formation d'eau; ils peuvent
être néfastes. Pour contrer leur pouvoir de destruction, les systèmes biologiques
prennent des mesures spéciales et mettent en œuvre de nombreuses enzymes
pour les absorber aussi vite qu'ils se forment. lauto-préservation semble être
l'une des principales caractéristiques de la nature.
Peut-être vous demandez-vous ce qui arrive à toute cette énergie créée par la
ZE ? Va-t-elle finalement partir en fumée ? Ou quelque chose de plus utile va-t-il
se produire? Le chapitre suivant se penche sur cette question. Nous allons voir si
l'énergie contenue dans un modeste verre d'eau peut servir à quelque chose.
101
. . . ·... .
. .
7 L'eau, moteur de la nature
Mon collègue Vladimir Voeikov nourrit une véritable passion pour l'expéri-
mentation. Le visitant dans sa datcha dans la banlieue de Moscou, Vladimir me
montra fièrement un alignement de béchers remplis d'eau exposés à la lumière sur
un rebord de fenêtre, puis désigna le jardin arrière où une autre expérience était
en cours, celle-ci cette fois par sa femme et ses filles, portant pour l'occasion leurs
plus belles tenues de jardinage.
Le jardinage est une activité relativement nouvelle pour les Voeikov, qui ne
sont propiétaires de leur datcha que depuis peu. Les Russes semblent culturel-
lement passionnés par les légumes, et il tardait aux Voeikov de pouvoir enfin s'y
mettre. Cela faisait des générations que leurs voisins immédiats jardinaient, mais
chacun pouvait aujourd'hui constater que les plantations de Vladimir mesuraient
un bon tiers de plus que les leurs. Cette réussite quelque peu embarrassante ne
reposait sur aucun don particulier ni aucun dévouement hors du commun, les
mains des Voeikov n'étant pas plus vertes que d'autres ; il fallait chercher ailleurs
les raisons de leurs bons résultats.
Vladimir affirme que tout vient de l'eau. Dans le cadre de sa carrière profes-
sionnelle, il avait été amené à chercher et à tester des eaux naturellement« éner-
gisées » dans un rayon de 200 km autour de l'Université de Moscou. Le terme
« eau énergisée » pourra paraître un peu New-Age, mais il faut savoir que celle-ci
est devenue une composante essentielle d'un régime aujourd'hui fort réputé dans
la région de Moscou ; le lecteur ne sera donc pas surpris d'apprendre que c'est
cette eau dont se sert Vladimir pour faire pousser ses cultures.
L'eau peut-elle réellement contenir de l'énergie ?
Les pionniers dans le domaine, parmi lesquels Viktor
Schauberger et Rudolph Steiner, nous ont montré que
l'eau pouvait stocker et délivrer de l'énergie, et les scien-
tifiques contemporains commencent à reconsidérer
cette possibilité. Une idée reçue affirme qu'une bouteille
d'eau fermée sur votre table serait en équilibre avec son
environnement; l'environnement peut bien se réchauffer
et transférer de l'énergie à l'eau, mais à part ce lent pro-
cessus thermique, aucun mécanisme évident ne devrait
permettre à l'eau de recevoir et de stocker de l'énergie
- et encore moins d'en délivrer. Selon cette approche,
l'eau n'est que de l'eau ; elle présente aussi peu d'intérêt
qu'une poignée de porte et il est peu probable qu'elle
puisse stocker une énergie autre qu'une faible chaleur. Fig. 7.1 Vladimir voeikov, dans
Ou alors - le serait-elle? son bureau, en train de réfléchir
à sa prochaine expérience.
~eau comme convertisseur d'énergie
Lorsque l'eau reçoit de la lumière, l'énergie ainsi absorbée va façonner une
structure et initier une séparation des charges. Il est possible d'exploiter l'énergie
potentielle stockée : la séparation des charges peut produire un courant élec-
trique (Chapitre 5), et l'ordre structurel peut stimuler un travail cellulaire. 1 Ces
conversions confirment que l'eau a la capacité de stocker et de délivrer une éner-
gie potentielle.
Mais comment être sûrs du caractère général de cette conversion ? Même
si les chapitres précédents défendent sans ambiguïté la possibilité du stockage
d'énergie et de sa libération dans l'eau, cette affirmation ne repose que sur une
seule étude avec des expériences effectuées au sein d'un seul laboratoire, insuffi-
sante pour établir une généralité. Il est donc nécessaire de chercher de nouvelles
preuves montrant que l'eau absorbe de l'énergie de son environnement et qu'elle
la convertit à des fins utiles. Commençons par nous intéresser aux travaux d'un
prestigieux scientifique italien.
Le marathon de Piccardi
Lors d'un vol passablement ennuyeux entre Seattle et Francfort, je me suis
plongé dans la lecture particulièrement mémorable d'un ouvrage que l'on doit au
distingué chimiste Giorgio Piccardi (Fig. 7.2) . Un collègue m'avait recommandé ce
classique, mais je ne pouvais absolument pas concevoir comment un livre intituté
The Chemical Basis of Medical Climatology (Les bases chimiques de la climatolo-
gie médicale) 2 pouvait traiter du sujet de l'eau et de l'énergie. Cependant, une fois
la lecture entamée, même le ronronnement du réacteur d'avion n'aurait pu m'en
détacher.
Piccardi était intrigué par la variabilité statistique
des résultats qu'il obtenait par l'expérimentation : un
jour, une réaction pouvait prendre deux secondes, le
lendemain 2,5 secondes, le jour suivant 1,8 seconde, et
ainsi de suite. Pour en savoir davantage sur l'origine de
cette variabilité, Piccardi et ses collègues effectuèrent
une série d'expériences quotidiennes finalement
étalées sur une douzaine d'années (avec une courte
pause pendant la Seconde Guerre mondiale), réalisant
près d'un quart de millions de mesures. La question
cruciale était : pour quelles raisons les vitesses de
réaction varient-elles d'un test à l'autre ? Si tous les
expérimentateurs savent que ce phénomène est une
réalité, peu d'entre eux comprennent pourquoi .
105
cruciales car elles laissaient entendre que l'énergie impliquée pouvait provenir du
Soleil mais aussi, peut-être, du rayonnement cosmique.
Les travaux de Piccardi eurent un fort retentissement avec la création d'un
« Piccardi Group » au sein de la société scientifique internationale. Bien que les
membres de ce groupe se soient finalement dispersés, un éminent chercheur
russe poursuivit l'œuvre de Piccardi plus de quatre décennies durant.
106
du spectre de la lumière visible, bloquée par le récipient. Le graphique indique
clairement que cette énergie rayonnante varie avec le cycle diurne, ce qui semble
désigner une influence de l'énergie solaire.
Un autre test allait encore nous en révéler davantage. Dans la Figure 7.3b,
notez la brutale déviation vers le haut au début de la courbe. Pour éliminer la
possibilité d'un pur hasard, Voiekov effectua des recherches et découvrit que cette
hausse soudaine coïncidait exactement avec le début d'une éclipse lunaire locale ;
cela suggérait que l'énergie cosmique pouvait impacter l'émission de lumière ; de
toute évidence, cet impact cosmique était suffisamment fort pour faire de l'ombre
aux fluctuations quotidiennes.
Cette corrélation entre l'éclipse de Lune et l'importante déviation de la courbe
aurait pu être fortuite, mais d'autres caractéristiques du graphique semblent
vouloir dire autre chose : vingt-quatre heures après l'éclipse, on note un début
de baisse modeste ; quarante-huit heures plus tard, une chute très marquée ;
soixante-douze heures plus tard, une nouvelle diminution tout aussi brutale. Si
ces états transitoires ne sont pas facilement explicables, il semble peu probable
que leur propension à se produire suivant un cycle de vingt-quatre heures après
l'éclipse soit due au hasard. Par conséquent, la conclusion ici est la même que celle
que Piccardi et Shnoll ont tirée : le rayonnement incident d'une source cosmique
semble affecter l'eau.
(a) 850
Q) V)
" ' Q)
::J "O
~ § 800
·- u
E °'
::J"'
-•Q) ----
"'
~ -5_ 750
.E:i E
c 0
·-~
700
24 48 72 96 120 144
temps (heures) Fig. 7.3 (a) Mesures d'émission
de lumière à partir d'eau
contenant des ions bicarbonate
(b) 700
et renforcée par du luminol
600 dissous. Notez la variation pério-
Q) V)
"' Q) dique de l'intensité. (b) Mêmes
al~ 500
c 0
·- u mesures que (a) mais durant une
E °'
::J"'
- ---- 400 éclipse de Lune.
~~
.,,_
~ ~ 300
cO
·-~
200
100
24 48 72 96 120 144
107
temps (heures)
Pour résumer, l'eau absorbe de l'énergie de son environnement. Aucune
autre interprétation plausible ne peut expliquer les périodicités observées dans
toutes ces études. Nous venons de voir des travaux expérimentaux confirmant
que l'énergie rayonnante incidente affecte l'eau et ceci vient compléter le chapitre
précédent concernant l'influence de la lumière incidente. Il ressort clairement que
l'énergie rayonnante incidente impacte de nombreuses caractéristiques de l'eau,
de la vitesse de réaction jusqu'à la production de lumière.
Ces résultats montrent sans conteste qu'une bouteille d'eau fermée sur une
table n'est pas un système clos; elle reste sous l'influence de son environnement.
L'.eau se comportera de la même manière qu'une plante placée à côté de cette
bouteille. La plante est un système ouvert utilisant l'énergie radiante qui tombe
incidemment à sa surface. Il se produit la même chose pour la bouteille d'eau.
Cette similarité ne devrait pas nous surprendre quand on se rappelle que les cel-
lules de la plante, après tout, se composent essentiellement d'eau.
108
Fig. 7.5 Les solutions aqueuses
peuvent produire de la lumière
presque éternellement.
110
/
+
+
+
+
ZE eau en vrac
111
Fig. 7. 9 On observe
un flux pratique-
ment incessant à flux continu
travers les tubes
hydrophiles immer-
gés dans l'eau.
112
(a) ,Ç paroi du tube
+ + ~ ZE + Fig. 7.10 Mécanisme de
+ + + +
/'écoulement intratube.
L'élément clé est la formation
(b) d'ions hydronium au sein du
tube puis leur évacuation
++++++++++
+++++++++++ dans l'eau à /'extrémité.
(c)
r
~
7- +
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+ + + + + + + + ++ ++ ++
+ + + ++ + + + + + +
( - + +
114
Conversion d'énergie de type photosynthèse
De toute évidence, l'eau accomplit toutes sortes d'actions - chimiques,
optiques, électriques ou mécaniques. L'énergie potentielle qui permet cela pro-
vient de la séparation des charges, elle-même résultat de l'absorption d'énergie
rayonnante. L'énergie stockée sert d'intermédiaire et peut permettre toutes sortes
d'actions ou d'émissions d'énergie.
Cette chaîne d'événements présente une ressemblance frappante avec la pho-
tosynthèse. Dans le cas de celle-ci, l'énergie solaire rayonnante absorbée permet
des manifestations énergétiques similaires à de celles que nous venons de voir :
de l'énergie chimique (métabolisme) ou mécanique (courbure), un écoulement
(dans le phloème de la plante), et, dans quelques organismes, une production de
lumière. Cet apport d'énergie rayonnante produit différents types d'actions dont
vous pouvez voir des exemples tout autour de vous en observant des plantes
vertes ou des micro-organismes.
La première étape de la photosynthèse est la dissociation de l'eau. Cette
séparation en composantes positives et négatives est arbitrée par les chromo-
phores absorbeurs de lumière se trouvant à côté de l'eau. Ce scénario ressemble
à celui qui nous intéresse : une surface hydrophile touchant l'eau. Dans les deux
cas, la lumière dissocie les molécules d'eau. Il serait donc tentant de penser que la
séparation de l'eau induite par la lumière dans le processus de la photosynthèse
est similaire à celle induite aussi par la lumière dans le cas des zones d'exclusion.
cela signifierait que les chromophores photosynthétiques ne sont que des cas
particuliers de surfaces hydrophiles plus génériques. Dans les deux cas, la lumière
incidente sur les matériaux va produire une séparation de l'eau, avec toutefois
probablement plus d'efficacité pour les chromophores.
Si ces derniers ne sont rien de plus que des manifestations particulières
de matériaux hydrophiles génériques, les centres de réaction photosynthétique
devraient donc présenter le pic d'absorption à 270 nm caractéristique de la pré-
sence de la ZE. Les manuels scolaires parlent des pics d'absorption de la lumière
bleu-violet et rouge, mais les spécialistes de la photosynthèse évoquent également
un pic d'absorption particulièrement large à 280 nm. On élimine généralement
ce pic à 280 nm, le considérant comme une nuisance due à une contamination
de protéines, mais il est permis de se demander si ce pic nominal à 280 nm ne
pourrait pas être la même chose que le pic à 270 nm caractéristique de la ZE ? Si la
réponse à cette question est oui, cela indiquerait fermement la présence d'une eau
de type ZE au sein des centres de réaction photosynthétique. La ZE se situerait
donc à proximité des chromophores, et l'ensemble serait très similaire à ce qui se
passe près des surfaces hydrophiles génériques.
115
Comment photosynthétisez-vous, aujourd'hui?
Les plantes le font, les bactéries le font, différents organismes unicel-
lulaires le font. La photosynthèse est un processus si performant pour les
espèces situées au plus bas de l'arbre phylogénétique que l'on ne peut s'em-
pêcher de se demander si la nature ne l'aurait pas conservé en commençant
à créer des formes de vies plus complexes. Je ne suis pas nécessairement
en train de vous dire que vous réalisez la photosynthèse, car le but ultime
de ce processus biologique reste la production de substance organique; en
ce qui nous concerne, la nourriture nous fournit aisément les substances
dont nous avons besoin. Toutefois, il est possible que votre corps effectue
la première étape de la photosynthèse en exploitant la lumière incidente
pour séparer les charges de l'eau ; celles-ci pourraient être utilisées pour
stimuler divers processus physiologiques.
Lun d'eux pourrait concerner l'écoulement du sang dans les capillaires.
Nous venons de voir que la lumière stimule les flux dans les tubes hydro-
philes ; elle pourrait le faire de même dans vos capillaires superficiels qui
ne sont rien d'autre que des tubes hydrophiles. Une grande quantité de
116
lumière pénètre dans votre corps et pourrait assurer cette fonction, ce que
vous pouvez vérifier en allumant une lampe torche dans la paume de votre
main ; si vous faites cette expérience dans le noir, vous verrez sans peine
la lumière passer de l'autre côté. Il est donc plausible que la pénétration de
lumière dans votre corps contribue à permettre l'écoulement du sang dans
vos capillaires.
Il se peut que le sang exploite tout ce qui est à sa disposition pour
faciliter son écoulement. Chez des adultes en bonne santé, il arrive que
les globules rouges soient plus larges que les capillaires dans lesquelles ils
passent : 6 à 7 µm contre 3 à 5 µm respectivement ; il a été démontré que
ces globules rouges se déformaient pour pouvoir passer.w2 Imaginez-vous
en train de pousser un ballon de foot partiellement dégonflé à travers un
conduit d'évacuation et vous aurez une image de la situation : il faut une
pression considérable, même si la friction est faible. Bien au coutraire, des
mesures régulières montrent qu'il n'y a presque aucune baisse de pression
au niveau des capillaires, celle-ci se produisant plutôt au niveau d'artérioles
relativement plus grosses. Il ressort de ces observations que les capillaires
ne se comportent pas comme des conduits à résistance élevée attendus.
Il se pourrait qu'une forme d'énergie aide le cœur à assurer l'écoulement,
et elle pourrait bien proprovenir de l'énergie rayonnante que votre corps
absorbe.
Ainsi, Mère Nature ne nous aurait pas déçu. Dans sa grande sagesse,
elle a pu conserver un mécanisme servant d'ordinaire aux plantes et bac-
téries et l'adapter aux animaux, leur permettant de convertir la lumière
en force d'écoulement et autres fonctions. La première étape pourrait être
générique : transduction de lumière par une substance hydrophile à côté
d'eau. Même si de nouvelles branches ne poussent jamais de votre corps
et que vous n'avez pas besoin de vous pencher en direction de la lumière,
il est possible que vous exploitiez le même mécanisme de conversion que
celui dont se servent avec tant d'efficacité les plantes de votre rebord de
fenêtre.
117
En somme, la première étape de la photosynthèse pourrait bien être une
manifestation particulière du processus plus général décrit dans ces pages : une
dissociation de l'eau induite par la lumière et une séparation des charges. La sépa-
ration des charges comme au sein d'une zone d'exclusion est peut-être la première
étape générique de la photosynthèse.
L'équilibre de l'énergie
De nombreux exemples montrent que la ZE stocke de l'énergie potentielle pour
une utilisation ultérieure ; cependant, toute celle-ci ne reste pas disponible. Ceci
s'explique par le fait qu'une partie de cette énergie retourne à l'environnement,
dont une fraction sous forme de chaleur ; les caméras infrarouges, et parfois de
simples thermomètres, peuvent la détecter. Ainsi, la conversion ne consiste pas
seulement en travail, mais en travail et en rayonnement d'énergie.
Un bon moyen de résumer ce concept est de l'écrire sous forme d'équation :
apport d'énergie rayonnante
=libération d'énergie ou travail+ émission d'énergie rayonnante (1)
Léquation 1 fait référence à un état stable, et ne s'applique pas aux états
transitoires : par exemple, si l'apport en énergie rayonnante augmente brusque-
ment et commence à étendre la ZE, il serait nécessaire d'introduire un nouveau
terme pour décrire l'énergie stockée provisoirement. Toutefois, pour un état
stable, l'équation 1 devrait suffire.
Léquation exprime l'équilibre énergétique de l'état stable. Elle souligne que
l'efficacité de la conversion est inférieure à 100% puisqu'une partie de l'énergie
absorbée retourne dans l'environnement duquel elle provient ; seule la fraction
qui n'est pas restituée se convertira en énergie utile ou en effet. En revanche, cette
fraction non restituée est fantastiquement versatile : elle fournit de l'énergie pour
un grand nombre de processus.
Résumé et perspectives
Concluons cette partie du livre en réfléchissant aux notions auxquelles les
précédents chapitres nous ont amenés, et jusqu'où les nouvelles caractéristiques
de l'eau pourraient bien nous conduire.
Nous avons d'abord identifié une caractéristique inattendue de l'eau. Nous
avons vu que les molécules d'eau situées à proximité de surfaces hydrophiles
s'organisaient sous la forme de structures de cristal liquide capables de se pro-
jeter étonnamment loin de leur surface de nucléation. Tout comme les cristaux
de glace, ces cristaux liquides excluent de nombreuses substances qui vont de la
taille de particules colloïdales macroscopiques à des solutés submicroscopiques.
118
!..'.importance de cette propriété excluante est à l'origine du surnom de « zones
d'exclusion ».
Celles-ci possèdent généralement une charge négative, tandis que des zones
non identiquement ordonnées (« en vrac») situées plus loin dans le volume d'eau
renferment une charge positive complémentaire. Les deux zones présentent des
caractéristiques différentes : la ZE chargée négativement semble être constituée
d'une structure semi-cristalline constituée d'un empilement de maillages en nids-
d'abeilles, tandis que la zone chargée positivement est plus uniforme et contient
des ions hydronium libres de se disperser ou de former un écoulement en fonction
des caprices de l'électrostatique.
!..'.énergie nécessaire à la construction de la ZE et à la séparation des charges
provient principalement de sources rayonnantes ; la lumière infrarouge semble
particulièrement efficace ; elle est en outre omniprésente et disponible. !..'.énergie
acoustique semble également avoir cette capacité, bien qu'il reste des points à
clarifier. Toutes ces énergies peuvent dissocier les molécules d'eau présentes dans
le volume initial et leur permettre ainsi de venir agrandir les couches existantes de
ZE à la manière de briques que l'on placerait au sommet d'un mur partiellement
construit. Une molécule d'eau adhère naturellement à la structure, et ce faisant,
perd une charge positive dans le restant de l'eau en vrac. C'est de cette façon que
les charges se séparent et que la batterie à eau se charge.
Le flux d'énergie qu'implique ce processus n'est pas conventionnel en ceci
que l'énergie rayonnante absorbée ne se dégrade pas simplement sous forme de
chaleur, comme on le pense généralement (Fig. 7.13). Une partie de cette énergie
est convertie en énergie potentielle ; cette énergie potentielle peut être délivrée
sous différentes formes : chimique, optique, électrique, mécanique et peut-être
d'autres encore. Autrement dit, il existe deux filières énergétiques.
E = Hp (2)
L'équation 2 souligne le fait que l'eau et l'énergie travaillent main dans la main.
Les puristes contesteront la non-concordance des termes de cette équation ; elle
m'est en effet impossible à défendre. Néanmoins, je pense que vous comprenez
ce que je veux dire : l'énergie et l'eau sont étroitement liées. Là où l'eau existe, de
l'énergie est stockée ; cette dernière peut effectuer toutes sortes de tâches.
Réfléchissez à ce que cela signifie. Vous introduisez de l'énergie dans l'eau
et vous obtenez d'autres types d'énergie (Fig. 7.14). L'eau est un convertisseur
d'énergie - une machine liquide si vous préférez.
l'énergie rayonnante
établit de l'ordre et
sépare les charges.
120
Songez que le fonctionnement de cette machine pourrait avoir un impact
sur pratiquement chacune des caractéristiques de l'eau. Prenons par exemple sa
capacité thermique. Celle-ci désigne la quantité de chaleur requise pour augmen-
ter la température d'un corps d'une valeur constante. La capacité thermique de
l'eau est plus grande que ce que prédit la chimie conventionnelle : l'eau chauffe
moins vite que le contenant dans lequel elle se trouve.
Cette grande capacité thermique de l'eau fait l'objet de débats, mais repor-
tez-vous à la Figure 7.13. Il est certain que l'énergie rayonnante élève la tempéra-
ture de l'eau, mais une partie de cette énergie rayonnante est utilisée pour former
une structure ; autrement dit, seule une partie de l'énergie qui arrive contribuera
à chauffer l'eau. De ce fait, l'eau a besoin d'absorber une quantité d'énergie rayon-
nante supérieure à ce qu'on pourrait penser, pour élever sa température.
La capacité thermique n'est qu'un aspect des nombreux problèmes liés
à l'énergie lorsque l'on s'intéresse à l'eau, car d'autres questions se posent, de
l'évaporation de l'eau chaude à la congélation de l'eau froide. Il se peut que vous
pensiez que tous ces phénomènes sont aujourd'hui bien compris, mais ce n'est
pas du tout le cas. Il demeure bon nombre d'anomalies, ce qui revient à dire que
n'avons absolument aucune idée de ce qui se passe réellement. L'eau recèle encore
un grand nombre de mystères.
Pour les résoudre, il faut commencer par chercher à comprendre ce qui se
passe au sein de l'eau lorsqu'on lui ajoute ou qu'on lui retire de l'énergie - et c'est
précisément là où nous emmène la prochaine partie de ce livre.
121
Commençons à nous servir de ce que nous avons appris au sujet
de l'eau pour examiner sous un nouvel éclairage un large spectre de
phénomènes naturels. Notre modèle de la zone d'exclusion nous permet
de revisiter des concepts établis il y a fort longtemps et, comme vous ne
manquerez pas de le noter, modifie radicalement notre compréhension
du monde.
' .
3eme partie
S 'il y a bien une chose fondamentale en science, c'est la notion de charge : les
charges opposées s'attirent, et celles identiques se repoussent ; c'est assez
simple. Mais laissez-moi vous poser une question : supposons que vous retiriez
une particule chargée de votre poche gauche et une particule de même charge de
votre poche droite ; vous placez ces deux particules dans un bécher rempli d'eau
en les positionnant suffisamment près l'une de l'autre pour que chacune « sente»
la charge de l'autre. Que va-t-il se passer en matière de distance entre elles deux?
Lorsque je pose cette question lors de mes conférences, aucune main ne
se lève, en général. Soupçonnant un piège, les élèves craignent de donner une
mauvaise réponse qui aggraverait leur profond manque de confiance. Parfois,
un individu plus courageux que les autres lève la main et lance humblement :
« eh bien ... euh ... les particules de même charge vont évidemment se repousser
et s'éloigner. »
En réalité, elles vont se déplacer l'une vers l'autre.
Ne concluez pas trop rapidement que l'auteur de ce livre a pris de la drogue
et laissez-moi le temps de vous certifier que ce paradoxe n'est pas une halluci-
nation ; ce phénomène est connu depuis plus d'un siècle. Irving Langmuir, une
personnalité suffisamment importante dans le monde de la science pour avoir
donné son nom à un journal de chimie, le connaissait
bien. 1 Le célèbre physicien Richard Feynman a même
proposé par la suite une explication sensée qui ne
remet en question aucun des principes fondamen-
taux de la physique. 2
Alors, pour quelles raisons deux particules de
même charge voudraient-elles se rapprocher l'une
de l'autre ? Et quelles implications de ce phénomène
pour les sciences naturelles dans leur ensemble ?
s'assemble » (dans ses mots, « like likes like » ou « même aime même » ). Une
charge positive intermédiaire rapprochera ainsi deux billes chargées négative-
ment en les attirant (Fig. 8.1)
Nous verrons dans ce chapitre plusieurs exemples que le principe du « même
aime même » fonctionne très bien. Nous aborderons les questions suivantes :
d'où proviennent ces charges contraires? Pourquoi se rassemblent-elles entre des
entités de même charge ? Et, enfin, qu'est-ce qui détermine la fin du processus
d'attraction ? Ce chapitre ne se contentera pas d'apporter des réponses à ces
questions mais montrera aussi que ce principe fournit un modèle simple capable
d'expliquer de nombreux phénomènes paradoxaux.
Si Feynman s'était trouvé dans l'audience lorsque j'avais posé ma question, il
aurait sûrement trouvé la réponse, bien que de manière conjecturale ; à l'époque,
on ne savait que peu de choses sur l'origine de ces charges opposées, et c'est
Norio Ise de l'Université de Kyoto qui allait par la suite confirmer l'intuition de
Feynman.
Ise étudiait les colloïdes. Les colloïdes sont des
mélanges relativement homogènes de particules et
de solvants, comme par exemples les yaourts, le
sang ou le lait (Fig. 8.2). Les particules sont plus
petites que des cailloux mais plus grosses que des
molécules ; généralement, à l'échelle du micron.
On peut détecter leur présence car les particules
dispersent la lumière et rendent donc la suspen-
sion opaque. Un microscope permet d'observer
les particules individuellement ; néanmoins, elles
sont présentes à travers toute la suspension et
épaississent aussi bien le lait que vous buvez que
le sang qui circule dans vos veines.
Ise s'intéressa aux colloïdes constitués de
microbilles et d'eau - le plus simple possible. Il
remarqua que s'il attendait suffisamment long-
temps après avoir mélangé les composants, les
particules se redistribuaient d'elles-mêmes pour
Fig. 8.2 Le lait est un exemple
ordinaire de suspension
colloïdale.
-. "
' •
former ce que l'on appelle des « cristaux colloïdaux » ,. •
..
.. ..J
+
+
+ +
+
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'Cl.l -
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+ +
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-- +
+
+
+
+
+ V)
+ + +
+ + + + +
+ - +
Elle comporte en fait un problème fondamental : en effet, elle prédit une
distribution des charges qui entre en conflit avec les distributions mesurées. La
Figure 8.6b représente une distribution des charges telle que mesurée expéri-
mentalement (voir aussi le chapitre 4) : on peut y voir une vaste zone de charge
qui s'étend de la surface jusqu'à une distance importante dans l'eau ; c'est la
charge de la ZE. La théorie DLVO ne prédit rien de ce genre (Fig. 8.6a) : les contre-
ions recouvrent la surface chargée et ne laissent passer que peu, sinon aucune,
charge nette au-delà de leur masquage. De ce fait, nous constatons que cette
théorie est en désaccord avec ce que l'on mesure en laboratoire.
Les chimistes continuent néanmoins d'adhérer fermement à la théorie DLVO.
Par conséquent, nombreux sont ceux qui doutent de l'existence des attractions
pourtant observées, et certains ont même brandi l'étendard du doute avec une
certaine agressivité. 8 Ise a toujours répondu vigoureusement aux critiques, 9· 10 et,
pour autant que je le sache, personne ne l'a jamais mis en difficulté.
Toutefois, il était tentant de voir si nous pourrions confirmer, et peut-être
même étendre, le phénomène d'attraction mis en évidence par Feynman et Ise ;
pour ce faire, nous procédâmes à des tests expérimentaux. Nous utilisâmes des
billes de gel comme particules; ces billes d'un demi-millimètre de diamètre, dont le
volume est donc des millions de fois supérieur à celui des microbilles généralement
utilisées par Ise ou d'autres chercheurs, constituent des masses monstrueuses, du
point de vue moléculaire. Leur plus grande taille nous aida à mieux observer ce
qui se passait réellement.
Nous plaçâmes deux billes de même charge à quelque distance l'une de l'autre
au fond d'un petit récipient contenant de l'eau pure, puis attendîmes pour voir ce
qu'il se passait. Il arriva que les billes se mettent spontanément à se déplacer
l'une vers l'autre, laissant ainsi entrevoir l'attraction que nous espérions observer;
mais la plupart du temps, elles restaient résolument à leur place. Il nous apparut
que la tendance des billes à adhérer au fond du récipient pouvait dissimuler une
possible attraction : nous introduisîmes dans le protocole un léger tapotement au
fond du récipient pour les en dégager; cette stratégie fonctionna (Fig. 8.7).
Après chaque tapotement, les billes se dégageaient du fond et pouvaient se
déplacer plus librement avant de retomber et d'y adhérer une nouvelle fois. Ce
protocole de tapotements nous permit de suivre l'évolution de la distance qui
séparait les billes.
u
Q) 100
points indiqués sur le graphique c
2 50
en dessous. .!!1
"O
0 ••••
0 10 15 20 25 30
nombres de tapotements
130
+ + +
+ + + + + +
+ + + +
+
ta) + + + + + + + +
+ + + +
+ +
+ + + +
+ +
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+ - + + + +
+
++ + ++++
+ + + ++ + + + +
+
+ + + + +
+ - + + + +
+ + + +
+ +
+ + Fig. 8.10 Distribution attendue
+
+ + des charges entre deux billes
+ + +
+ + + + situées à proximité l'une de
+ + +
+ + +
+ l'autre. Les charges positives
+ + + +
+ + + + se trouvant au milieu ne se
+ + + + + dispersent pas de manière signi-
+ + + + +
+ + + + ficative en raison de /'attraction
+ + + + +
+ exercée par la négativité des
+ + + zones d'exclusion.
+ +
+
+ + +
deux billes chargées négativement, la plus grande
concentration de protons se trouvait entre elles
(a) ; le colorant confirma aussi qu'avec deux billes
chargées positivement, la concentration en OH- (pH
élevé) était plus forte entre elles (b).
Ensuite, nous nous servîmes de fines microélec-
trodes qui, positionnées à divers emplacements à
travers toute la zone entre les billes, confirmèrent ce
que le colorant avait montré: un potentiel électrique
présentant une polarité opposée à celle de la ZE. 11
Ainsi, les charges opposées requises pour
exercer l'attraction sont effectivement présentes.
L'hypothèse de Feynman est validée.
133
dominant, les particules se mélangent simplement
avec l'eau, avant de finir par retomber au fond du
\ _/ ~
hydration récipient.
Toutefois, les particules interagissent bien avec
l'eau : il a été démontré qu'elles formaient des zones
Fig. 8.13 Une hydratation d'exclusion que l'on pourrait qualifier « d'hydrata-
similaire entre la molécule et tion».
la particule implique que la
En ce sens, les particules en suspension se com-
dissolution et la suspension ont
portent comme des solutés dissous (Fig. 8.13). Les
des principes similaires.
mêmes mécanismes peuvent s'appliquer aux deux.
Pour mieux comprendre cette idée, imaginez-vous
une entité dont la taille se situerait à la limite entre
la particule et la molécule. Cette entité serait-t-elle en suspension ou dissoute ?
Quelles règles s'appliqueraient à son propos?
Si ces deux phénomènes dérivent d'un principe unique, les mêmes règles
devraient s'appliquer, et il se pourrait alors que les interprétations officielles
changent ; nous espérons ainsi voir un jour des explications plus simples rempla-
cer ces explications rébarbatives parsemant les manuels de chimie.
Implications
Le principal message de ce chapitre est que tout semble attirer tout. Nous
savions qu'une charge attirait son contraire, et nous venons de voir qu'elle pouvait
également attirer la même. Dans ce dernier cas, il peut être tentant de se souvenir
de la formule « même aime même », mais j'insiste sur le fait que les lois de la
physique conventionnelle demeurent inviolées : la physique fonctionne toujours
comme on vous l'a appris à l'école. lidée est que l'attraction est quasiment univer-
selle; du moins dans l'eau, où tout attire tout.
Toutefois, les mécanismes à l'origine de ces deux types d'attraction diffèrent,
notamment en terme d'énergie. Nous considérons l'attraction des charges de
signe contraire comme axiomatique : jusqu'à présent, rien n'a remis en question
l'idée que le positif attirait le négatif; l'exécution de cette attraction ne demande
aucune énergie. En fait, lorsque des particules de charge opposée s'approchent
l'une de l'autre, elles relâchent l'énergie potentielle associée à la séparation des
charges.
Par contraste, l'attraction « même aime même » est plus subtile. Ici, l'at-
traction provient en fin de compte de l'énergie absorbée : l'énergie rayonnante
absorbée forme des zones d'exclusion et sépare les charges intervenant dans
l'attraction. Plus la lumière absorbée sera intense, plus forte sera l'attraction. 12
L'attraction « même aime même » requiert de l'énergie : aussi longtemps que le
134
Cristaux de sucre candi
135
Quelques exemples :
• Échelle atomique. Prenons l'hydrogène gazeux : deux atomes d'hydro-
gène à proximité partagent des nuages d'électrons pour former le gaz. Ainsi, des
charges négatives se trouvent entre deux noyaux de charge positive.
• Échelle physique. Des billes métalliques de même charge placées sur une
table isolante subissant de légères secousses s'arrangeront bientôt suivant un
ordre à deux dimensions; et bien sûr, des charges opposées sur le support isolant
séparent ces billes métalliques chargées. 14 Cette situation ressemble à un cristal
colloïdal à deux dimensions.
• Échelle biologique. Imaginez des biomolécules fraîchement synthétisées
s'assemblant automatiquement pour former des structures plus grandes com-
prenant filaments et vésicules. Ce mécanisme d'assemblage n'est pas pleinement
compris. Se pourrait-il que le mécanisme « même aime même » les réunissent?
• Échelle de l'organisme. On explique généralement le phénomène des
bancs de poissons en termes d'évolution; toutefois, il se trouve qu'une substance
gélatineuse et visqueuse recouvre la surface de chaque poisson. Les substances
du type gel génèrent des zones d'exclusion impliquant la présence de protons plus
loin. Les poissons ne pourraient-ils pas s'appuyer sur le mécanisme« même aime
même » pour s'organiser plus efficacement?
• Échelle cosmique. Des plasmas chargés sont très fréquents dans les phé-
nomènes cosmiques 15 ; on trouve des plasmas « poussiéreux» dans les anneaux
de Saturne, la queue des comètes, et de nombreux nuages interstellaires rem-
plissant l'espace. Les particules de ces plasmas poussiéreux s'arrangent d'elles-
mêmes pour former des structures ordonnées de type cristal. Ces cristaux de
plasma sont si similaires aux cristaux colloïdaux qu'on les appelle souvent des
« plasmas colloïdaux ».
Ainsi, nous constatons que le principe « même aime même » expliquant le
comportement paradoxal des particules colloïdales dans l'eau pourrait s'appli-
quer de l'échelle atomique à l'échelle cosmique -y compris dans des phénomènes
de tous les jours mais pas vraiment compris, et que nous ne penserions jamais à
expliquer avec le mécanisme du« même aime même».
Deux exemples :
• Les nuages. Imaginez un nuage blanc dans un ciel bleu dégagé (Fig. 1.2).
Les nuages sont constitués de gouttes d'eau. Des gouttes de même charge de-
vraient normalement se disperser, mais elles fusionnent de toute évidence pour
former les nuages individuels que l'on connait. Cette réunion pourrait parfai-
tement résulter du mécanisme « même aime même » où des charges opposées
maintiennent ces gouttes ensembles pour former des nuages compacts.
136
Certains mystères seraient résolus si ces gouttes étaient arrangées de
manière régulière comme dans un cristal colloïdal. Représentez-vous un rayon
de Soleil de fin d'après-midi frappant l'un de ces nuages ; les gouttes le consti-
tuant vont disperser la lumière incidente dans toutes les directions. Si ces gouttes
d'eau occupaient uniformément l'espace, la lumière se disperserait alors selon
des angles précis selon la longueur d'onde, organisée en phase. Le résultat? Un
splendide arc-en-ciel.
• Châteaux de sable. Ces robustes châteaux se dressant contre les flottes
menaçantes (chapitre 1) doivent leur rigidité au mécanisme« même aime même».
Ils ne sont pas constitués de sable uniquement ; ils contiennent également de
l'eau permettant la formation de zones d'exclusion autour de chaque particule de
sable (Fig. 8.14). Ainsi, des molécules d'eau protonée se situent entre les parti-
cules de sable entourées de ZE. Ces charges contraires constituent la glu mainte-
nant debout le château de sable.
1
1
1
1
1
\
\
\
137
nuancé d'interactions entre particules qui inclut des attractions. Si le principe
« même aime même » s'avère plus largement valide, de nombreux présupposés
pourraient bien s'effondrer.
Ne soyez donc pas surpris de voir le principe « même aime même » être fré-
quemment évoqué dans les chapitres qui suivent car ce principe explique bien des
phénomènes autrement incompréhensibles ; le mécanisme " même aime même "
pourrait potentiellement avoir une importance capitale pour toute la nature.
En résumé
<> -
139
~ LA DANSE DE BROWN
9 La danse de Brown :
quand l'énergie produit des mouvements
141
eurent beau se gratter la tête, aucune réponse satisfaisante n'émergea de leur
esprit.
Puis Einstein arriva. Il effectua des travaux révolutionnaires dans trois
domaines pendant l'année phare que fut 1905 : la relativité restreinte, l'effet pho-
toélectrique et le mouvement brownien ; l'année fut bonne pour lui. lexplication
d'Einstein au sujet du mouvement brownien n'exige pas l'apport constant d'une
énergie motrice; au lieu de cela, elle repose sur une énergie interne omniprésente
qui s'exprime sous forme de température.
Einstein considérait que le mouvement brownien était essentiellement le fruit
de deux phénomènes : le frottement et l'osmose, phénomène au cours duquel
l'eau se déplace vers les solutés ou les particules, les concentrations cherchant
toujours à s'équilibrer. Einstein voyait un générateur de mouvement dans cette
faculté qu'ont les molécules d'eau à se déplacer.
Pour mieux comprendre cette idée, représentez-vous des particules en sus-
pension dans l'eau. Une particule individuelle constitue un endroit dépourvu
d'eau ; en vertu de la force osmotique, les molécules d'eau vont chercher à occu-
per cet espace. Il arrivera que des molécules d'eau heurtent la particule, ce qui
provoquera un mouvement.
Un tel mouvement doit vaincre la friction, et Einstein en était conscient. Etant
~ donné la résistance visqueuse, il se servit de l'équa-
I tion habituelle concernant le frottement, connue sous
• • le nom de loi de Stokes. Il établit la force osmotique
---· • /'
"._. • \ motrice égale à la force de résistance du frottement et
établit ainsi ce qui devint la compréhension moderne
du mouvement brownien.
! ,;.-- !
• Ce petit résumé minimise la sophistication de
• l'analyse d'Einstein. Einstein ne traita pas seulement
de l'origine du mouvement mais aussi de sa nature.
............ . Il établit un parallèle entre les mouvements des
molécules d'eau et ceux de celles de gaz. D'après une
\ théorie cinétique bien connue à l'époque, les molé-
•
• •
cules de gaz rebondissent aléatoirement ; on peut
143
physiciens estimaient que les collisions entre les molécules d'eau (semblables à
des moustiques qui s'écrasent) ne produiraient pas suffisamment d'énergie pour
expliquer les mouvements de particules que l'on observait sauf si ces collisions
étaient coordonnées. D'autres scientifiques attirèrent l'attention sur le fait que
des hypothèses s'excluaient mutuellement : la théorie de l'osmose énonçait que
les molécules d'eau s'écrasent à la surface de la particule avant de rebondir,
quand la loi de Stokes énonçait que ces molécules devaient rester adjacentes à
la particule pour créer un frottement. Ces questions déroutèrent les scientifiques
de l'époque.
Brush poursuit son récit en évoquant un autre problème : l'approche générale
d'Einstein. Cette approche reposait sur une forme abstraite de mécanique statis-
tique que certains physiciens trouvent difficile à suivre.
Outre ces difficultés théoriques, certaines observations expérimentales
contredisaient les prédictions d'Einstein. Des contemporains comme Svedberg et
Henri observèrent des déplacements quatre à sept fois plus importants que ce
que prédisait l'hypothèse d'Einstein. Ces scientifiques n'hésitèrent pas à ébruiter
leurs résultats.
Néanmoins, la réputation d'Einstein grandissant, les résistances à sa théorie
s'éteignirent progressivement ; en quelques décennies, son hypothèse fut uni-
versellement admise. Aujourd'hui, le mouvement thermique est considéré comme
l'une des lois fondamentales de la nature. On pense que chaque atome, chaque
molécule et chaque particule effectuent cette danse thermique perpétuelle ; de
ces pas de danse découle notre compréhension moderne de la physique de la
matière condensée. Ce ne serait pas une exagération de dire que le concept de
mouvement thermique est devenu pratiquement aussi fondamental que les lois
du mouvement de Newton, ou que la théorie atomique de la matière.
Problèmes préoccupants
Les réticences des contemporains d'Einstein écartées depuis longtemps,
on pourrait penser que tous les problèmes liés au mouvement brownien ont
aujourd'hui reçu une réponse. Pourtant, tel n'est pas le cas, car la théorie ne cadre
pas avec au moins trois observations expérimentales récentes : (i) lorsque l'on
ajoute du sel dans l'eau; (ii) quand les concentrations de particules sont relati-
vement élevées, et (iii) lorsque la lumière est allumée. Laissez-moi vous exposer
brièvement ces trois scénarios.
À propos du premier cas (i), des chercheurs ont mesuré des excursions
browniennes dans de l'eau pure et dans de l'eau contenant diverses quantités de
sel. 2 Ajouter du sel a pour effet d'augmenter les excursions, c'est-à-dire d'inten-
sifier la nervosité des mouvements. L.'.analyse d'Einstein n'explique aucunement
144
pourquoi la présence de sel provoque une augmentation de la fréquence ou de
l'énergie avec laquelle les molécules d'eau entrent en collision avec les particules.
L'analyse d'Einstein ne prédit pas non plus une influence de la concentration
de particules (ii). À des concentrations élevées, il est fréquent que les mouve-
ments de particules voisines deviennent coopératifs : lorsqu'une molécule se
déplace, celles dans son environnement le font souvent dans la même direction. 3
On observe le même type de comportement synchrone avec les cristaux colloï-
daux4 et dans le cas de fortes concentrations de particules avec ajout de sel. 5
Cette synchronisation représente un problème pour la théorie classique qui prédit
des mouvements aléatoires ; il ne devrait y avoir aucune coordination.
Une solution serait de dire que la théorie classique ne s'applique pas dans les
situations de fortes concentrations : si la concentration de particules augmente
suffisamment pour chasser toute l'eau, on ne devrait trouver aucune molécule
d'eau pour percuter les particules, et l'hypothèse d'Einstein ne pourrait donc plus
s'appliquer. Toutefois, les concentrations de particules ont rarement augmenté
aussi haut dans les études citées ci-dessus : l'espace séparant les particules était
généralement de l'ordre du micron, suffisant pour aligner des milliers de molécules
d'eau; un grand nombre de molécules bondissantes d'énergie étaient donc là pour
faire le travail. La contradiction entre la théorie et l'observation reste probléma-
tique.
Cette synchronisation n'est pas le seul type de comportement non aléatoire
observé ; les chercheurs ont détecté un mouvement « sautillant » à de fortes
concentrations de particules. 6• 7 Une particule s'agite un certain temps dans un
foyer quasi-stationnaire, puis saute à un nouvel emplacement et y effectue à
nouveau des déplacements similaires. C'est comme si ces particules sautaient
d'une cage à une autre. Ce comportement montre un autre écart manifeste par
rapport aux attentes de la théorie qui énonce une proportionnalité directe entre
la moyenne quadratique de la distance parcourue et le temps.
Les effets de la lumière (iii) apportent une autre contradiction. Bien que des
études centenaires de Gouy niaient tout effet de la lumière sur les excursions
browniennes, des instruments plus modernes indiquent maintenant l'existence
d'effets importants et reproductibles; une augmentation même légère de la lumière
diminue les excursions de particules (Fig. 9.4) ; celle-ci, qui dépend de l'intensité
et de la longueur d'onde, peut
120% facilement atteindre 50%. 8
~ 100%
~
~ 80% Fig. 9.4 Déplacements de micro-
ëQ)
E 60%
billes mesurés sur une période de
~ temps déterminée à différentes
-[ 40%
•Q)
-0
intensités de lumière incidente.
20% Les intensités lumineuses les plus
fortes diminuent les déplace-
0 50 100 150 200 250
intensité lumineuse (unités arbitraires)
ments.
On pourrait ignorer ces effets s'ils n'étaient qu'une conséquence indirecte
d'une augmentation de la température induite par la lumière, mais l'élévation
de température dans les expériences dont il est question est restée inférieure à
1°C. En fait, la température ne peut servir d'explication théorique : l'hypothèse
d'Einstein prédit en effet que toute hausse de température devrait renforcer les
excursions de particules ; les observations ont montré que la lumière réduit les
excursions. Les résultats expérimentaux ne vont donc pas dans le sens de la théo-
rie d'Einstein.
Les effets induits par la lumière ne possèdent aucune explication dans le
cadre de compréhension classique, mais sont suffisamment frappants pour méri-
ter une explication ; nous reviendrons bientôt sur le sujet.
Mis à part les contradictions que nous venons d'évoquer, un quatrième pro-
blème se pose à propos de la nature incertaine de la force motrice. Pour Einstein,
l'osmose était le moteur du mouvement brownien ; à son époque, le mouvement
osmotique était présumé être une caractéristique fondamentale de la nature,
au même titre que, disons, l'attraction entre les charges négatives et les charges
positives. Toutefois, les scientifiques aujourd'hui émettent des doutes quant à la
mécanique osmotique et le débat continue; le chapitre 11 présente des éléments
de prouvant que la force osmotique est une conséquence de la séparation des
charges et non une caractéristique fondamentale de la nature comme l'affirme la
théorie classique.
Pour résumer, si la théorie d'Einstein sur le mouvement brownien est large-
ment acceptée et coïncide avec certaines observations expérimentales, il n'en
demeure pas moins qu'elle ne fonctionne pas avec d'autres, passées ou contem-
poraines ; ces échecs signifient au mieux que cette théorie est incomplète. Pour
moi, cette théorie n'est pas seulemènt incomplète mais inadéquate : elle ne tient
pas compte du dynamisme induit par l'énergie rayonnante absorbée qui peut
influencer, ou même provoquer, les mouvements browniens observés.
146
capable de réaliser par la suite de nombreux types d'action. En rendant possible
cette conversion d'énergie, l'eau fonctionne comme tous les moteurs ordinaires :
hors d'équilibre.
Ce déséquilibre caractérise même l'un des mécanismes les plus primitifs liés
à l'eau : la photosynthèse {Fig. 9.5). Dans celle-ci, les photons incidents vont
séparer l'eau et permettre ainsi le bon fonctionnement du métabolisme, la crois-
sance, l'écoulement de flux, etc. L.'.énergie lumineuse absorbée va continuellement
produire différentes actions - en d'autres termes, le système est hors d'équilibre.
147
mouvement pourrait-il persister sans aide extérieure? Ce problème constitue un
défi à la compréhension ordinaire du mouvement brownien.
148
électromagnétique qui doit être dépensée: l'action brownienne serait alors comme
une sorte de soupape, une façon de l'extérioriser. Dit autrement, le mouvement
brownien pourrait être l'expression de l'absorption continuelle d'énergie électro-
magnétique dans l'eau.
Lidée d'une origine électromagnétique du mouvement brownien peut sem-
bler radicale, mais il existe des précédents. Plusieurs physiciens du 19eme siècle
pensaient que l'énergie électromagnétique pouvait provoquer indirectement les
mouvements observés, par production de chaleur. Plus près de nous, Max Planck,
le père de la mécanique quantique, pensa un temps pratiquement la même chose:
les interactions électromagnétiques seraient capables de provoquer des mouve-
ments moléculaires aléatoires. Planck prit finalement une autre direction quand
cette hypothèse ne se montra pas à la hauteur de ses espérances. Néanmoins, il
conserva l'idée de l'origine électromagnétique pendant deux décennies ; celle-ci,
non dénuée de logique, n'est pas aussi radicale qu'on pourrait le penser.
149
inévitablement vers la direction la plus positive. Ici, il se déplacerait vers le coin
supérieur droit.
+
+ + +
Fig. 9.7 Une énergie incidente + + + + +
+ + + + + +
plus intense (du coin supérieur + + + +
+ + +++++
droit) devrait provoquer une + + + +
+ + + +
distribution des charges asymé- + + + + +
+ + + + +
trique. Cette asymétrie génère
+ + +
une force électrostatique nette, +
déplaçant l'objet et sa ZE dans +
la direction de l'énergie incidente + .. +
maximum.
+ + +
+ + +
+ +
(a) temps= o
ruban
tube de Nafion
30
(c)
25
E' 20
2-
c
0 15
·~
a::
•Q) 10
"O
o +-~~~~~~~~~~~~~
0 . 6 8 10 12 14 16 18
temps (minutes)
151
Les particules se déplacent-elles réellement vers la lumière?
153
La pince optique
+ +
+ + Fig. 9.14 Distributions des
+
+ + + charges autour de microbil/es en
+ + + + +
suspension. Les flèches indiquent
la direction attendue des parti-
cules négatives en déplacement
+ + +
+ vers des régions à charge positive
+ +
+ + + maximale. Les directions vont
évoluer continuellement avec le
mouvement des particules.
+ +
+
+ + +++ + '. ::-,._- + + +
+ + + + +
+ +
de fortes concentrations de particules. Ces observations sont conformes à nos
attentes.
La théorie d'Einstein
sur le mouvement brownien
D= -5!_
6Trf}Q
x 2 =2Dt
Implications
Le célèbre poème scientifique que Lucrèce écrivit en 60 avant Jésus-Christ,
De la nature des choses, contient une description mémorable du mouvement
brownien, bien qu'il s'agisse de particules de poussière :
« Regarde, en effet, quand la lumière du Soleil fait pénétrer un faisceau de
rayons dans l'obscurité de nos maisons : tu verras une multitude de corpuscules
s'entremêler de mille façons (... ). [Cette] agitation nous révèle les mouvements
invisibles entraînant les éléments de la matière (... ). Les atomes, en effet, se
meuvent les premiers par eux-mêmes [c'est-à-dire spontanément] ; c'est ensuite
au tour des plus petits corps composés : les plus proches des atomes par leur
force ; sous leurs chocs invisibles ils s'ébranlent, se mettent en marche et eux-
mêmes en viennent à déplacer des corps plus importants. c'est ainsi que part des
atomes le mouvement qui s'élève toujours et parvient peu à peu à nos sens, pour
parvenir enfin à la poussière que nous apercevons dans les rayons du Soleil, alors
même que les chocs qui la mettent en mouvement nous demeurent invisibles. »
Lucrèce nous livre ici une description prophétique de la conception contem-
poraine de l'origine du mouvement brownien. Chaque atome, chaque molécule,
chaque particule et chaque entité de plus grande taille effectue des déplacements
aléatoires : les plus petites vont heurter les plus grandes et les mettre ainsi en
mouvement. Cette action a été joliment décrite voilà deux mille ans, mais jusqu'à
la contribution d'Einstein, personne n'avait réellement compris l'origine de ces
mouvements. Pour Einstein, c'est la chaleur contenue dans le système qui jouait
le rôle de force motrice ; cette chaleur générait un mouvement, qui à son tour
produisait de la chaleur, qui générait un mouvement, etc. .. Ce processus pouvait
se poursuivre éternellement sans intervention extérieure.
À l'époque d'Einstein, les scientifiques étaient incapables de concevoir qu'une
simple suspension aqueuse puisse absorber de l'énergie extérieure au système et
exploiter cette énergie. Même si cela se produit sans cesse dans le monde végétal,
personne ne pouvait imaginer qu'un tel mécanisme puisse se produire dans des
systèmes non vivants, comme un récipient contenant de l'eau. Pourtant, les élé-
ments de preuves présentés plus haut montrent non seulement que c'est possible
mais que c'est précisément ce qui se produit : de l'énergie est continuellement
159
absorbée et dûment exploitée, l'une de ses « fonctions » étant la production de
mouvements browniens.
Si cette nouvelle explication des mouvements browniens s'avérait correcte,
il serait nécessaire de reconsidérer un grand nombre de phénomènes physiques,
dont un particulièrement important : le« mouvement thermique>>, terme habituel-
lement utilisé pour désigner le mouvement brownien. Jusqu'à présent, les scien-
tifiques pensaient que les mouvements thermiques des atomes et des molécules
étaient produits par l'énergie interne ; si, au contraire, c'est une énergie externe
qui produisait ces mouvements, cela impliquerait l'émergence d'un paradigme fort
différent avec des conséquences tout aussi différentes.
Une divergence essentielle entre ces deux approches concerne l'influence
des entités voisines (Fig. 9.16}. Selon Einstein, les mouvements d'une particule
dépendent uniquement des chocs que lui assènent les molécules d'eau situées
à proximité : toute particule se trouvant au-delà de ces molécules compte peu .
La théorie impliquant une zone d'exclusion affirme le contraire : des particules
situées à quelque distance d'une particule génèrent des charges variables pou-
vant influencer les déplacements de celle-ci. Ces effets peuvent se faire sentir sur
de longues distances. Ces deux propositions diffèrent donc fondamentalement,
au sujet de l'origine mécanique ou élettrique du phénomène, et au-delà.
Ainsi, les phénomènes paraissant anormaux d'après le paradigme d'Einstein
deviennent plus compréhensibles avec le modèle basé sur les zones d'exclusion.
J'ai déjà évoqué le couplage des déplacements de particules à proximité l'une de
l'autre et la quasi-absence de déplacements de celles au sein d'un cristal colloïdal.
Aucun de ces phénomènes ne peut s'expliquer avec le paradigme actuel, tandis
que le modèle des ZE fonctionne avec les deux. t.:agitation que provoque l'ajout
de sel ne trouve également aucune explication avec le paradigme classique ; pour
notre nouveau modèle, c'est une simple question de taille : en réduisant la taille
de la zone d'exclusion, 14 le sel diminue effectivement la taille de la particule, ce
qui permettra à l'ensemble des particules de danser plus énergiquement. Ainsi,
(a)
""
de la zone d'exclusion implique
(b)
une influence sur de longues
distances. \
\
)
J
quelques phénomènes difficiles à réconcilier avec le paradigme actuel trouvent
une explication naturelle avec le modèle de la zone d'exclusion.
Que le modèle de la zone d'exclusion explique entièrement toutes les carac-
téristiques du mouvement brownien reste à vérifier, mais je crois en son potentiel
car il incorpore une nouvelle donnée : l'apport d'énergie extérieure. Cette carac-
téristique pourrait nous demander de réévaluer la relation entre la croissance
de la ZE et l'entropie conventionnelle, mais d'un autre côté, elle semble pouvoir
répondre à un grand nombre de mystères irrésolus à propos de la dynamique
brownienne.
Toutefois, avant d'aller plus loin, je me sens le besoin de résoudre quelques
problèmes. Le concept de mouvements induits par la chaleur vous semble-t-il clair
après avoir lu ce chapitre ? J'espère que c'est le cas. Lorsque que l'on m'inculqua
que la chaleur interne produisait les mouvements browniens, j'avoue avoir été un
peu perdu : je ne pouvais pas comprendre comment la chaleur pouvait produire
un mouvement, même si je savais que les physiciens considéraient la chaleur et le
mouvement comme pratiquement synonymes. L'.association était familière, mais
le mécanisme sous-jacent me paraissait plutôt flou.
Chaleur et température sont des termes que nous utilisons librement, mais
j'en vins à penser que leurs significations étaient moins évidentes que ce que l'on
pense généralement. Une compréhension satisfaisante de ces concepts exigeait
une nouvelle réflexion, objectif dont se charge le chapitre qui suit.
En résumé
Selon l'opinion dominante, le mouvement brownien (thermique) dérive de
l'énergie cinétique moléculaire que l'on exprime ordinairement sous forme de
température. On estime que cette énergie déplace les particules indéfiniment
et de manière aléatoire (ou brownienne). Bien que cette théorie du mouvement
brownien soit enseignée universellement, un nombre surprenant d'observations
expérimentales ne rentrent pas dans son cadre.
L'.hypothèse alternative présentée ici suggère que l'énergie rayonnante inci-
dente est à l'origine des mouvements browniens. L'.énergie absorbée forme des
zones d'exclusion autour des particules et sépare ainsi les charges. Les charges
séparées génèrent des forces provoquant le mouvement des particules.
La cohérence de ce modèle alternatif avec l'observation expérimentale lui
confère une certaine consistance. Ce modèle est également facile à comprendre :
un apport d'énergie extérieure produit un travail. Nous voyons que ce modèle, qui
est plutôt simple, pourrait bien apporter des réponses aux nombreux paradoxes
qui entourent la danse brownienne, et permettrait enfin de comprendre pourquoi
ces particules s'agitent sans fin.
161
Chaleur et température:
10 un nouvel éclairage
sur des anomalies thermiques
163
utilisant des termes vaguement définis; cela pourrait nous conduire à penser que
quelque chose devrait s'échauffer quand en fait il se refroidit.
À cause de ce risque, nous éviterons d'utiliser des termes vagues au profit de
termes qui sont plus rigoureusement définis. Lun d'eux: «énergie rayonnante »,
concerne la température et la chaleur, avec l'avantage de ne posséder qu'une
seule définition ; en revanche, certains le trouvent singulier. J'espère que vous
supporterez mon petit « tutoriel » en ouverture de ce chapitre ; un petit effort
peut apporter de grands bénéfices.
\$~~$;
164
--~----
Fig. 10.3 Génération
du mouvement de charges. La Figure 10.3 illustre (simplifiée) d'une onde électro-
cette idée. Imaginez une charge statique positionnée magnétique. Un mouvement de
quelque part dans l'espace (image de gauche). Il se va-et-vient de la charge crée
peut que vous (ou votre détecteur) la ressentiez si un champ électrique oscillant
vous êtes suffisamment près. Si elle se déplace, votre qu'un capteur sera à même de
relation à elle se modifiera alors (image du milieu) ; détecter.
prendre conscience de ce déplacement pourra prendre
quelque temps, selon la vitesse à laquelle l'information
se propage dans le milieu où elle se trouve. De la même manière, un mouvement
de va-et-vient de la charge créera une oscillation du même type (image de droite)
que vous ressentirez là encore après un court laps de temps. Vous êtes à présent
en train de ressentir la propagation d'une onde électromagnétique.
Toute oscillation de charge peut générer une onde. La charge oscillante peut
provenir d'un électron, d'un proton, d'un noyau, ou même d'une plus grosse entité
possédant une charge. Tous remplissent les conditions pour jouer le rôle de géné-
rateur. De même, le déplacement peut-être minuscule, comme dans le cas d'un
atome, ou bien colossal, comme avec une grande antenne émettrice. Toutefois,
le processus de génération d'ondes restera toujours le même: des charges effec-
tuant un mouvement de va-et-vient.
165
intérieur . .. :
• 'Y
extérieur
).
;:···~ ·
...
~ "·
-----. exemple, l'onde pourra se propager plus rapidement
· : ~:· ~ à travers une région qu'une autre, ce qui signifie que
a•
, 1". ,
.. '
l'onde parcourra une distance plus longue dans un
même laps de temps entre deux pics : en d'autres
termes, sa longueur d'onde est plus grande. Une onde
peut donc voir sa longueur d'onde se modifier lors-
Fig. 10.4 Rayonnement qu'elle traverse un matériau.
électromagnétique passant à
Pour finir, l'onde sort du milieu traversé. Les ondes
travers un milieu complexe. Il est
émergentes peuvent différer des ondes incidentes en
possible que les caractéristiques
raison des changements que nous venons d'évoquer.
du rayonnement changent, et
Une onde incidente d'une longueur d'onde de 10 µm
que l'émission d'énergie à la sor-
pourra se propager à travers un milieu, être absor-
tie ne soit pas égale à l'énergie
bée, puis réémise à, par exemple, 5 µm ou 20 µm, en
entrante si le milieu contient de
fonction des caractéristiques du milieu. Les ondes qui
l'énergie et qu'il l'exploite pour
traversent un milieu complexe peuvent être réémises à
produire un travail.
des longueurs d'onde plus longues ou plus courtes (on
parle d'effets Stokes et anti-Stokes) ; voir Figure 10.4.
La fluorescence constitue un exemple de cet effet. La lumière incidente d'une
certaine longueur d'onde amène temporairement les électrons du matériau vers
de plus hauts niveaux d'énergie ; lorsqu'ils retrouvent leur niveau original, ces
électrons émettent à une plus grande longueur d'onde. C'est pourquoi une lumière
incidente bleue pourra faire qu'un matériau réémette une lumière rouge ; on dira
que ce matériau réagit en rouge.
Des changements spectraux se produisent également avec les longueurs
d'onde de l'infrarouge ; votre domicile en est un parfait exemple. La lumière du
soleil frappe les murs extérieurs, qui absorbent l'énergie incidente; ces murs vont
ensuite transmettre une partie de cette énergie aux murs intérieurs, qui vont à
leur tour l'émettre à l'intérieur des pièces, et c'est comme cela que vous sentirez la
chaleur. Les longueurs d'onde et leur amplitude qui émergent des murs intérieurs
peuvent être totalement différentes de celles de la lumière solaire.
Ces exemples illustrent une dynamique fondamentale : un rayonnement
pénétrant dans un système provoque un mouvement de charges, générant des
ondes électromagnétiques, provoquant des mouvements de charges, etc ... Finale-
ment, les ondes vont quitter le système mais seulement après avoir subi de mul-
tiples changements de longueurs d'onde et d'amplitude, et peut-être aussi après
avoir produit un travail (Chapitres 7 et 9). Nous voyons donc que le rayonnement
d'un matériau va dépendre non seulement de ce qui entre dans le système, mais
aussi des caractéristiques du milieu.
166
Rayonnement de
l'eau
En quoi les carac-
téristiques du milieu Fig. 10.5 Mur intérieur d'une
peuvent-elles nous aider à mieux comprendre ce qui pièce située juste à côté d'un
se passe dans l'eau ? couloir. Des photos de ce mur
Le caractère émissif d'un milieu est générale- ont été prises en lumière visible
ment exprimé par le terme « émissivité ». Les objets (gauche) et en lumière infra-
ayant une forte émissivité émettent plus d'énergie et rouge (droite).' L'image IR révèle
paraissent plus dynamiques que les objets présentant plus de détails sur la structure
une émissivité plus faible. Si leur rayonnement entre interne du mur.
dans la gamme de l'infrarouge, les objets à plus forte
émissivité apparaîtront plus brillants à une caméra IR
que leurs voisins présentant une émissivité plus faible.
Contemplez par exemple la Figure 10.5. L'image d'un mur de bureau en
lumière visible ordinaire (gauche) ne révèle que des détails sans intérêt. L'image
infrarouge (droite) nous en apprend davantage sur la structure sous-jacente. Une
partie de la richesse des détails provient des différences d'émissivité.
La Figure 10.6 nous montre une photo de nuages en infrarouge encore plus
frappante. Nous voyons que ces nuages génèrent un important rayonnement
d'énergie. Généralement, on relie directement l'intensité de l'infrarouge à la tem-
pérature (notez l'échelle de température à la droite de l'image). Ainsi, un expert
adhérant à la compréhension admise de ces phénomènes dira que ces nuages
sont plus chauds que le ciel hivernal qui l'entoure ; il pourra aussi dire que ces
nuages gris sont plus chauds que la cheminée qui fume que l'on voit en bas de
l'image. Cela aurait peu de sens ; on voit bien qu'il y a quelque chose qui cloche
avec les interprétations reposant sur la température.
169
efficace pour cela. Ainsi, chaleur n'est pas uniquement synonyme d'absorption
d'IR. Il n'est pas correct non plus d'affirmer que de l'eau chauffée émet seulement
des ondes infrarouges ; en effet, l'eau peut même émettre de l'énergie à des lon-
gueurs d'onde visibles (Chapitre 7).
En raison du lien flou entre énergie rayonnante et chaleur, c'est donc seule-
ment avec la plus grande prudence que nous nous servirons du terme « chaleur»
pour tenter de mieux comprendre ces phénomènes.
Penchons-nous à présent sur la« température». Lorsque l'eau est« réchauf-
fée » par de l'énergie infrarouge ou autre qu'elle absorbe, nous disons que la
température de l'eau augmente. Une fois encore, nous avons besoin de savoir ce
que nous entendons exactement par température.
Malheureusement, il n'existe là non plus aucune définition unique pour
« température» ; elle dépendra de la situation. En voici quelques-unes : degré ou
intensité de la chaleur présente ; capacité d'une substance à transférer de l'éner-
gie thermique à une autre substance ; mesu~e de l'énergie cinétique moyenne des
atomes ou des molécules d'une substance ; reflet d'un mouvement de particule
résultant d'un transfert, d'une vibration, ou d'une excitation au niveau énergé-
tique de l'électron ; et, pour les gaz, distribution de probabilité de l'énergie du
mouvement des particules de gaz.
Même les seuils de températures bien connus ne nous apportent aucun
éclairage. On dit que l'eau gèle à 0°C et entre en ébullition à 100°C. Vous pourriez
penser que ces références constituent des points de repère pour mieux com-
prendre la véritable signification de la température, mais ce n'est pas le cas, car
l'eau pure sous une pression ordinaire peut geler à des températures bien plus
basses que 0°C (en particulier dans des espaces confinés), et elle peut s'évaporer
à des températures supérieures, et parfois inférieures, à 100°C. 2 Nous pourrions
nous contenter de considérer ces différences comme des anomalies, mais peut-
être indiquent-elles une ambiguïté dans notre compréhension. Étant donné la
multiplicité de ses définitions, le terme « température» est tout aussi ambigu que
«chaleur».
Au-delà des questions d'ambiguïté des définitions se pose un problème plus
sérieux avec les systèmes hors d'équilibre, comme pour l'eau. Les thermodynami-
ciens nous enseignent qu'avec de tels systèmes, des mesures empiriques peuvent
diverger pour affirmer lequel entre deux corps est le plus chaud. Traduit en lan-
gage courant, cela veut dire que tout système hors d'équilibre ne possède pas
une température bien définie. C'est un problème grave en ce qui concerne l'eau,
et tant que nous ne l'aurons pas résolu, il ne sera pas possible de connaître la
signification des termes « température » et « chaleur».
Vous comprendrez maintenant pourquoi j'évite d'utiliser le plus possible ces
termes familiers. Dans la vie de tous les jours, « le four est chaud ! » convient.
170
Mais dans un contexte scientifique, des définitions approximatives donnent
inévitablement des résultats approximatifs, voire parfois erronés. Le mouvement
brownien en est un exemple ; les tourbillons, un autre ; dans chacun de ces cas,
nous sommes induits en erreur par le fait que l'on considère la température comme
une variable fondamentale.
En revanche, on peut envisager l'émergence d'une meilleure compréhension
si nous nous en tenons à des termes physiquement définissables, et l'un de ceux-
ci est « énergie rayonnante ». Voyons si celle-ci peut nous apporter quelques
réponses sensées à des questions tenaces.
Leau émet de l'énergie rayonnante. La plus grande partie de cette énergie provient
de l'eau en vrac, mais la zone d'exclusion en émet également, et ses longueurs d'onde
dépendront de sa structure.
Même si les structures de ZE ont un aspect commun {Chapitre 4), on peut prédire
l'existence de variantes. Les zones d'exclusion se formant à partir de surfaces présentant
des distributions de charges spécifiques, ces distributions uniques créeront nécessaire-
ment des variantes de la structure de base. Ainsi, l'énergie émise par une zone d'exclusion
pourrait contenir des informations spécifiques sur la surface nucléante.
Si tel est bien le cas, l'eau dont est formée la ZE pourrait émettre des informations,
comme les antennes de station de télévision émettent des informations. Lénergie émise
pourrait contenir plus que de l'énergie.
Que se passe-t-il lorsque de l'eau absorbe cette énergie émise ? Si celle-ci contient
de l'information, nous pourrions penser que cette information serait floutée, voire per-
due. Toutefois, si des modes vibratoires de cette énergie créaient de nouvelles variantes
structurelles dans les zones d'exclusion, il se pourrait qu'une partie de l'information soit
conservée. Toute mémorisation de ce type ne serait rien de moins qu'une transmission
électromagnétique d'information structurelle - une sorte d'e-mail aqueux.
Si ce genre de communication peut vous troubler, il faut connaitre les travaux éton-
nants du prix Nobel Luc Montagnier leur apportant du crédit {voir figures). Le professeur
Montagnier affirme avoir réussi à transmettre des signaux d'ADN structurel à de l'eau.
Dans son expérience, il a d'abord mis un échantillon d'ADN en suspension dans une
solution aqueuse, ensuite placée dans un récipient étanche à côté d'un second récipient
également étanche contenant de l'eau. Les récipients sont restés à côté l'un de l'autre
une longue période de temps pendant laquelle le professeur les a exposés à une source
d'énergie électromagnétique ordinaire.
Puis il a ajouté à l'eau fraîchement « informée » du second récipient des éléments
nécessaires à la synthèse de l'ADN ; cette opération s'est soldée par la création d'un
nouvel ADN. Des analyses ont montré que la séquence d'ADN ainsi obtenue n'était pas
aléatoire et qu'elle était identique à celle de l'ADN présent dans le premier récipient.
Bien que les deux récipients étaient parfaitement étanches et qu'ils n'aient jamais été en
contact physique, il apparaît de toute évidence que de l'information est passée de l'un
à l'autre. 3.4
Les travaux du professeur Montagnier ont d'abord été accueillis par un profond
scepticisme ; toutefois certains scientifiques, persuadés de la possibilité d'une transmis-
sion électromagnétique par les travaux de Gurwitsch 5 datant de près d'un siècle et ceux
plus récents de Benveniste6 , s'intéressent à ce phénomène. À l'heure où j'écris ces lignes,
deux laboratoires prétendent avoir confirmé les observations de Montagnier, et il sera
intéressant de voir où nous mèneront ces recherches.
i.
main fait grossièrement la même chose : plus
échantillon eau elle serrera fort et plus intense sera la sensation
d'ADN ' pure (autrement dit : l'eau paraîtra plus « chaude » ).
Tous ces modes de perception détectent
l'énergie rayonnante infrarouge, résultant de
vibrations de charge. J'espère que ces explica-
tions vous montreront le lien qui existe entre
ii. l'énergie rayonnante et les concepts plus vague-
ment définis de chaleur ou température.
Poursuivons en nous penchant à présent
sur l'énergie rayonnante; sous celle-ci coexistent
~ A
~ ~ deux phénomènes nous aidant à mieux com-
:::'/. ? \ \ ~
prendre les propriétés de l'eau :
• les protons libérés dans le volume d'eau
électromagnétique au cours de la formation de la zone d'exclusion
échange d'infor- constituent des charges mobiles générant une
mation importante énergie rayonnante ; celle-ci crée la
sensation de chaleur.
correspondance avec
L'affaire de la chaleur suspecte et du
le nouvel ADN EJ volume manquant
Nous observons parfois d'étranges réac-
tions en mélangeant certaines substances avec
de l'eau. Même en s'attendant à ce que rien de
particulièrement intéressant ne se produise à
part la dissolution, un mélange ordinaire peut
avoir de sérieuses conséquences (Fig. 10.Ba).
173
Par exemple, le simple fait d'ajouter quelques gouttes
d'eau à de l'acide sulfurique peut provoquer une
ébullition, des éclaboussures et même parfois une
explosion .
Mais ce n'est pas le seul résultat surprenant
susceptible de découler d'un mélange. Lorsque l'on
mélange des liquides avec de l'eau, le volume final
n'est pas toujours égal à la somme des deux volumes
de départ (Fig. 10.Bb) : il se peut que le volume final
soit plus important, mais il est le plus souvent infé-
rieur. Dans des cas extrêmes, la perte de volume peut
atteindre jusqu'à 20%. Mélanger des solides avec de
l'eau peut produire des résultats similaires: introduire
quelques pastilles d'hydroxide de sodium dans un
récipient d'eau réduira le volume original ; il faudra en
ajouter un grand nombre pour retrouver le volume de
départ.
Vous pouvez vous-même constater ces mys-
tères liés aux volumes en remplissant un verre d'eau
jusqu'au bord puis en y ajoutant du sel. Il ne débor-
dera pas, même si vous en ajoutez jusqu'à ce qu'un
tas s'accumule au fond; c'est comme s'il disparaissait.
Les chimistes connaissent bien ce phénomène.
Fig. 10.8 Mélanger des subs- Selon la théorie dominante, l'explosion de chaleur
tances avec de l'eau peut avoir provoquée par l'ajout d'un peu d'eau à de l'acide sul-
des conséquences inattendues. furique résulte de contributions thermiques de la part
de chacun des processus sous-jacents à la solvata-
tion ; leur somme produit la « chaleur d'hydratation »
qui échauffera l'eau. Le phénomène de changement
de volume a quant à lui une explication différente qui repose sur l'obtention, suite
à un mélange de molécules, d'une meilleure ou moins bonne connexion intermo-
léculaire qu'avant le mélange.
Ces explications paraissent plutôt simples mais il n'est pas facile de vérifier
si elles sont exactes ou erronées. En ce qui concerne le premier phénomène, les
contributions thermiques sont généralement le fruit de suppositions plutôt que
d'observations indépendantes. Pour le second phénomène, réussir à déterminer
comment des molécules s'assemblent à la manière de pièces de puzzle n'est pas
une science exacte, c'est le moins que l'on puisse dire. Nous voyons donc que la
réalité de ces explications demeure incertaine.
174
Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à ces deux phénomènes, j'ai été surpris
d'observer une corrélation insoupçonnée : /'émission de chaleur et le changement
de volume semblaient liés. Lorsque de la chaleur était émise, il semblait se pro-
duire également un rétrécissement ; inversement, lorsqu'il y avait absorption de
chaleur, on notait une expansion. Je me suis alors demandé si les changements
thermiques et de volumes ne pouvaient pas avoir une origine commune.
Le facteur qui n'avait pas été pris en compte jusqu'alors nous est maintenant
familier : la zone d'exclusion. Il me semblait probable que le fait de mélanger un
soluté avec de l'eau affecterait les ZE d'une manière ou d'une autre ; par exemple,
si la substance était initialement déshydratée, ajouter de l'eau favoriserait la for-
mation de ZE puisqu'elle est à la base même de la dissolution (Chapitre 8).
Supposez que l'on observe une augmentation des ZE provoquée par le
mélange d'une substance avec de l'eau; comment cela pourrait-il affecter la« tem-
pérature» et le volume?
• À mesure que se forment les ZE, des protons sont libérés. Les charges de
ces protons se déplacent, générant une énergie rayonnante ; le mélange devrait
donc « chauffer ».
· Parallèlement, le mélange devrait rétrécir pour la bonne raison que la densi-
té de la ZE dépasse la densité de l'eau du reste du volume (voir Chapitres 3 et 4).
Le passage d'une eau en vrac à une eau de type zone d'exclusion entraînera donc
une diminution du volume.
La croissance de la ZE pourrait donc expliquer l'échauffement et la diminution
d'un volume, du moins théoriquement. Nous effectuâmes donc des expériences
pour vérifier si les zones d'exclusion se développaient réellement dans ces circons-
tances.
175
étudié révéla la présence de ce pic, ou proche : on
a pu parfois observer un pic décalé de 10 à 25 nm
dans une direction ou dans l'autre, ou deux sous-
pics à la place d'un pic unique, ou encore des pics
240 250 260 270 280 290 300
plus faibles ou plus forts que d'autres. Mais, dans
longueur d'onde (nm)
tous les cas, nous détectâmes quelque chose de
voisin au pic attendu. La Figure 10.9 nous montre
Fig. 10.9 Spectrophotométrie
un exemple représentatif.
UV-visible d'un mélange moi-
tié-moitié d'acide chlorhydrique et Ces résultats confirmèrent l'existence d'une
d'eau. Un pic apparaît à 278 nm. corrélation chaleur-diminution de volume, et
également la formation de ZE lorsqu'un mélange
provoquait chaleur et diminution de volume. Il
apparaissait que nous étions sur la bonne piste, du moins en ce qui concerne les
mélanges produisant chaleur et perte de volume.
Par contre, un refroidissement accompagné d'une expansion est beaucoup
plus rare. Pour étudier cette variante, nous prîmes un exemple bien connu : le
mélange de persulfate d'ammonium et d'eau. Le persulfate d'ammonium se pré-
sente sous la forme de cristaux en poudre. Lorsque la poudre se mélange avec de
l'eau en parts approximativement égales, le volume augmente plus que la somme
des deux volumes initiaux. Nous confirmâmes l'expansion attendue, bien que des
difficultés techniques nous aient empêchés de la quantifier. En revanche, il fut
facile de suivre l'évolution de la température à l'aide d'un thermomètre ; celle-ci
chuta à 8°C. Ainsi, le mélange se comporta comme prévu, en se refroidissant et
gagnant du volume.
Une question fondamentale était de savoir si ce mélange avait diminué les
ZE. La Figure 10.10 nous le montre: un large pic d'une impressionnante magni-
tude situé approximativement à 270 nm apparut tout d'abord, puis se réduisit
progressivement après chaque dilution.
Pour en comprendre la raison, il est bon de savoir comment les cristaux en
poudre comme le persulfate d'ammonium sont créés. Bien qu'il existe des méthodes
différentes, les cristaux se forment ordinairement à la suite d'une exposition à
<lJ
>
~
Fig. 10.10 Dissolution de ~ 2
c
0
Persulfate d'ammonium dans de
~
l'eau. À mesure que la dilution ès
~ 1
augmente (de la droite vers la "'
gauche), nous voyons la région
sous le pic d'absorption se 0
réduire.
200 300 400
longueur d'onde (nm)
Vodka et Viscosité
Dmitri Mendeleïev, le scientifique russe à l'origine de la table périodique des éléments,
a également étudié le mélange de l'éthanol et de
l'eau. Comme la plupart des mélanges, celle-ci pro-
duit chaleur et diminution du volume. Mendeleïev
a noté une autre caractéristique : une viscosité
trois fois plus importante. La raison en était restée
obscure, mais la forte viscosité des ZE (voir Fig.
3.17) pourrait bien expliquer ce résultat. L.'.éthanol
forme des zones d'exclusion comme l'eau ;7 ainsi, il
se pourrait qu'un mélange d'éthanol et d'eau pro-
duise des ZE entremêlées présentant une viscosité
très élevée.
Bien qu'il ne s'agisse là que de spéculations,
des applications pratiques furent tirées de ce
constat : Mendeleïev ayant établi que l'on obtenait
la plus forte viscosité avec un mélange à 40%
d'éthanol et 60% d'eau, le scientifique qu'il était a
vu là le rapport idéal pour fabriquer de la vodka ;
c'est le rapport toujours utilisé aujourd'hui. Cette Dmitri Mendeleïev 1834-1907
forte viscosité donne un « corps » satisfaisant à la
boisson - peut-être assez pour expliquer pourquoi
les Russes en sont si friands.
une intense énergie rayonnante (chaleur). L.'.énergie rayonnante formant des zones
d'exclusion, nous pouvons supposer que la grande quantité d'infrarouge néces-
saire à la production de ces matériaux génère d'importantes ZE avec présence
de protons autour de chaque molécule. Ces nombreuses attractions-répulsions
ordonnent les molécules qui formeront des cristaux lorsque la solution aura séché
(Chapitre 8, encadré). La poudre de cristaux apparemment sèche ne contient pas
d'eau liquide mais des matériaux de ZE en abondance, ce qui explique le pic d'ab-
sorption étrangement marqué à 270 nm (Fig. 10.10).
Plonger des cristaux de ce type dans de l'eau aura pour effet de diminuer l'ordre
cristallin, l'eau constituant un grand réservoir dans lequel les charges contraires
peuvent se disperser. La dispersion des protons diminuera les interactions entre
ces derniers ; une diminution des mouvements provoquera une réduction du
rayonnement infrarouge: la solution paraîtra plus froide. En même temps, lorsque
l'eau entrera dans la structure, les ZE rétréciront car leurs tailles initialement plus
grandes dépendaient d'un intense rayonnement d'énergie qui n'est plus là. La
diminution des ZE explique le rétrécissement du pic à 270 nm (Fig. 10.10).
177
Béton
Conformément à la méthode habi-
tuelle, on ajoute de l'eau à du ciment
pour fabriquer du béton, on mélange
vigoureusement, verse et le laisse prendre
un jour ou deux ; il finit par se solidifier.
Vous remarquerez que ce dernier émet
de la chaleur en durcissant. Pourquoi ?
Ajouter de l'eau au mélange crée La chaleur est une conséquence pré-
une sorte de pâte travaillable, comme du visible. La formation de la ZE provoque
sable mouillé. Cette consistance proche une libération progressive de protons. En
du mastic provient d'un mécanisme que se déplaçant, ces concentrations de pro-
nous connaissons désormais : des ZE se tons vont générer une abondante énergie
forment autour des particules humides, rayonnante, et c'est ce que l'on ressentira
et des protons libérés sont à l'origine sous la forme de chaleur.
d'une attraction du type « même aime
Cette énergie rayonnante contribue
même » ; les particules vont donc com-
parallèlement à achever le processus en
mencer à adhérer entre elles. Si elles permettant aux ZE de croître, de libérer
adhèrent faiblement au début, avec la davantage de protons, et donc d'obtenir
consistance du mastic, elles le feront de davantage d'attractions fortes ; c'est
plus en plus fermement à mesure que cela qui confère au béton sa solidité uni-
les charges continuent de se former et forme. Ce principe pourrait bien ne pas
que les forces d'attraction gagnent en s'appliquer au seul béton mais avoir une
puissance. portée plus générale.
178
(ii) Tourbillons
0.08
QJ
>
~ 0.06
~ Fig. 10.11 Mesures spectrales
c:
0
d'une eau tourbillonnée. Des
~ 0.04
0 observations préliminaires
"'
.0
En résumé
Les caractéristiques thermiques de l'eau étaient truffées d'anomalies et
de paradoxes. Pour les résoudre, nous fîmes machine arrière et délaissâmes les
explications classiques basées sur les concepts de chaleur et de température pour
revenir à des approches plus fondamentales; nous nous focalisâmes en particulier
sur l'énergie rayonnante.
180
L'énergie rayonnante provient des déplacements de charges. Les mouvements
de va-et-vient de celles-ci génèrent des ondes électromagnétiques se propageant
à travers les matériaux et en émergeant souvent avec des caractéristiques dif-
férentes. Dans le cas de l'eau, ce sont les longueurs d'onde de l'infrarouge qui
sont principalement concernées. L'eau absorbe et émet des quantités importantes
d'énergie infrarouge en raison de la structure atomique de la molécule d'eau. Les
longueurs d'onde infrarouge ont donc une importance particulière, ce qui nous
permit de mieux comprendre comment la chaleur et la température sont liées à
l'énergie rayonnante.
Une seconde caractéristique de notre approche fut de reconnaître la contribu-
tion des zones d'exclusion dans la production d'énergie rayonnante. La formation
de ZE génère des protons, dont les mouvements génèrent beaucoup d'infrarouge.
Nous ressentons cette énergie infrarouge sous la forme de chaleur. Une fois que
la ZE cesse de se développer et d'envoyer des protons dans le reste de l'eau en
vrac, le facteur le plus important devient la partie de l'eau devenue ZE. Une plus
grande part d'eau-ZE implique moins d'émission globale d'infrarouges, ce que l'on
ressent comme du froid.
Ces caractéristiques nous permirent d'expliquer pourquoi le mélange de cer-
taines substances avec de l'eau pouvait conduire à des changements de tempéra-
ture ou de volume. Elles nous ont aidèrent également à résoudre le paradoxe vu au
début de ce chapitre: pourquoi l'eau qui tourbillonne se refroidit.
Toutes ces découvertes furent rendues possibles en nous intéressant à l'éner-
gie rayonnante et en évitant de dépendre de termes vagues comme chaleur et
température. Bien qu'indispensables dans la vie de tous les jours, leur ambiguïté
en font des concepts peu fiables dans le cadre d'une compréhension scientifique
avancée.
Pour atteindre cette compréhension, continuons notre exploration sous l'angle
de l'énergie rayonnante; nous allons maintenant voir comment la notion d'énergie
rayonnante peut nous aider à comprendre les comportements quotidiens de l'eau.
181
11 Osmose et diffusion
ne se réalisent pas toutes seules
U n célèbre dessin nous montre Garfield, le chat obèse, avec une pile de livres
sur la tête, déclarant «J'apprends par osmose». losmose représente ici un
faux espoir de transfert de savoir sans peine où l'information passerait d'un réser-
voir de connaissances vers le cerveau d'un individu.
La véritable osmose à l'origine de cette métaphore est le processus décrivant
le transfert d'eau du milieu le plus dilué vers le milieu le plus concentré. leau
se déplace. Le mouvement osmotique de l'eau joue un rôle central dans la com-
préhension par Einstein du mouvement brownien, et ce chapitre me permettra
de tenir la promesse faite plus haut (Chapitre 9) de reconsidérer le mécanisme
osmotique.
Traiter de l'osmose sans aborder la diffusion peut sembler restrictif, ces phé-
nomènes étant le reflet l'un de l'autre. La diffusion couvre le mouvement de parti-
cules ou de molécules dans un fluide ; l'osmose, celui du fluide vers des particules
ou des molécules (en général à travers une membrane). Pour parler simplement,
on pourrait dire que ces phénomènes sont deux facettes. Tous deux réduisent les
gradients de concentration en déplaçant des substances vers des régions moins
concentrées, et sont les principaux véhicules dont se sert la nature pour déplacer
des choses.
Ce chapitre s'intéresse au fonctionnement de ces processus. Se produisent-ils
spontanément en tant que conséquences de quelque loi fondamentale de la
nature? Ou une énergie sous-jacente en est-elle à l'origine, de même que le vent
faisant tourner l'hélice d'un moulin?
183
Fig. 11.1 Des déplacements
erratiques aboutiront finalement
à une distribution statistique-
ment uniforme à /'intérieur d'un
espace défini.
184
Les divergences entre l'expérimentation et la théorie conduisent souvent à
des échappatoires comme« sous-diffusion» ou «super-diffusion»; par exemple,
on dit que les protéines montrent une sous-diffusion, 2 alors que les particules pré-
sentes dans les étoiles filantes subiraient une super-diffusion. 3 Ces termes ne font
que souligner que la théorie de la diffusion classique n'est pas aussi immuable
qu'on pourrait l'espérer; il est évident qu'il lui manque quelque chose.
Même des phénomènes quotidiens illustrent cette limitation ; par exemple,
lorsque l'eau d'un fleuve se mélange avec celle d'un océan. La théorie de la diffusion
classique prédit que les deux corps aquatiques devraient se mélanger immédia-
tement. Mais cette prédiction théorique ne se confirme pas : à certains endroits,
l'eau salée et l'eau douce peuvent rester séparées quasi indéftniment.w1 Même
deux eaux différemment salées ne se mélangeront
pas aisément : près de la ville balnéaire de Skagen,
au Danemark, où la mer Baltique rencontre la mer du
Nord, la ligne où ces dernières fusionnent reste visible
en permanence.w2 Voyez ci-contre une photo de cette
ligne de séparation.
Curieux de ces écarts bien connus par rapport à
la théorie, nous voulûmes en savoir plus en menant
nos propres expériences. Nous versâmes une solution
saturée en sel dans un bécher complétée ensuite
La fusion entre la mer du Nord
avec de l'eau pure. L'.eau pure située au-dessus
et la mer Baltique crée une ligne
contenait des colorants ou des microbilles pour voir
de séparation permanente.
comment les solutions du haut et du bas allaient se
mélanger. Le mélange ne se produisit pas pendant
un grand nombre d'heures ; il arriva même que des
jours s'écoulent avant que les deux solutions ne se mélangent de manière appré-
ciable. Nous observâmes la même chose avec l'expérience inverse (de l'eau salée
au-dessus d'une eau pure), également sans mélange apparent. Les résultats de
cette dernière expérience indiquent que les différences de densité ne peuvent pas
expliquer la séparation prolongée observée. La diffusion aurait dû déplacer les
molécules et les particules ; celles-ci ne se sont en fait pas mélangées aisément,
exactement comme les eaux des fleuves et des océans ne se mélangent pas faci-
lement.
Nous poursuivîmes nos expériences en injectant une goutte de colorant
dans l'un des angles d'un récipient pour voir comment celle-ci allait se diffuser.
Certaines observations nous choquèrent. Injecté dans un récipient d'eau pure, le
colorant se diffusa plus ou moins comme prédit par l'équation de diffusion : plutôt
lentement (Fig. 11.2, haut). Mais, injectant le même colorant dans une solution
185
EAU
1 seconde
186
Fig. 11.3 Analogie de la
diffusion. Les mouvements de
diffusion sont dirigés par une
énergie externe (haut) et sujets à
des agents détournants (bas).
classique (Chapitre 9). Pour pouvoir faire des prédictions correctes, la théorie
doit tenir compte de l'énergie incidente absorbée, ainsi que de toutes les charges
détournantes susceptibles d'être présentes; c'est seulement sous ces conditions
que la théorie commencerait à refléter la réalité.
Imaginons à quoi devrait ressembler une théorie plus adéquate. Tout d'abord,
elle devrait s'intéresser au rôle central que joue l'énergie externe. L.'.énergie absor-
bée forme des zones d'exclusion autour des particules et des molécules. Ces ZE
séparent les charges, ensuite soumises aux caprices des charges détournantes ;
celles chargées positivement attireront les ZE négatives et tous les groupes OH-
disponibles, tandis que celles chargées négativement attireront les ZE positives
ainsi que les ions hydronium. Une énergie incidente plus élevée intensifiera ces
attractions. Pour faire court, ces attractions dépendantes d'une énergie sont plus
qu'un phénomène secondaire: des forces activées par une énergie et dépendantes
des charges dirigent largement les mouvements de diffusion.
Nous voyons donc que la diffusion d'un soluté s'apparente beaucoup à la
façon dont vont se disperser des matelots ivres : si vous voulez connaître la
187
Pourquoi l'eau pure et l'eau salée ne se mélangent-elles pas
facilement ?
La difficulté qu'a l'eau pure à se
mélanger avec de l'eau salée pourrait être
une conséquence du mécanisme « même
aime même ». Des zones d'exclusion enve- eau
loppent les molécules de sel ;4 lors de leur
formation, ces ZE génèrent des charges de
signe opposé qui vont se séparer, créant
ainsi des attractions du type « même aime ,_ .
même». Lorsque la concentration en sel est
suffisante, ces ZE s'assemblent de manière
à former des réseaux ordonnés comme des
cristaux colloïdaux (voir Chapitre 8). En
effet, de nombreuses preuves basées sur
la dispersion optique confirment que les
molécules de sel dissoutes se regroupent
sous forme d'amas massifs contenant de
l'eau ;5 ceux-ci peuvent rappeler des cristaux
colloïdaux.
L'eau ne peut pas facilement pénétrer
Avec de fortes concentrations de sel, dans un «cristal,, d'eau salée.
l'eau-ZE devrait dominer l'espace structurel. Les ZE excluent pratiquement tout, même l'eau
présente dans le reste du volume (voir Fig. 11.6 plus loin). Ainsi, toute eau se trouvant à
côté du réseau structuré par la présence de sel devrait en rester séparée, même après une
longue période de temps. Une telle persistance dans la séparation expliquerait la difficulté
qu'éprouve l'eau d'un fleuve à se mélanger avec de l'eau salée.
188
•
1
189
d'expliquer l'ensemble du phénomène ; de ce fait, aucune n'a jamais acquis une
reconnaissance universelle. Le résultat est que nous n'avons toujours aucune
explication claire pour rendre compte du phénomène de l'osmose.
190
•
1
1
1
1
I'- +
+
•-· -
0
++
côté d'une membrane en Nafion qui produisit des flux
osmotiques similaires.
Cependant, dans les deux cas, les deux zones
+
<> +
eau salée
0
.-
1
eau
+
++
191
d'énergie. Obtenir quelque chose sans contrepartie est
un expédient que même la nature ne peut accomplir.
192
oc
ià a
0 +
+
Fig. 11.7 Brèches dans
+ + la ZE observées au
0 0
+ + microscope (gauche).
0 +
+
1EZ 0
0
0
I' EZ
+ + +
+
+
Ces brèches se forment
lorsque des charges
um ~ 1 + positives pénètrent
1 50
..~
0 6 1 1
+ + dans la ZE chargée
négativement et qu'elles
microscopique révéla la présence de brèches éton- l'érodent localement
namment grandes. 6 Ces brèches sont des sortes de (droite).
portails à travers lesquels l'eau peut facilement passer,
exactement comme à travers de trous creusés dans
une digue. Le paradoxe était résolu.
Qu'est-ce qui provoquait ces brèches? Les ZE se développant génèrent loca-
lement des protons. Ceux-ci peuvent traverser la membrane au niveau des régions
où des ZE n'ont pas encore commencé à se former pour rejoindre le compartiment
de gauche (Fig. 11.7, droite). Ce flux inhibe la formation de ZE dans ces régions
qui y resteront par conséquent incomplètes, comme observé.
Les brèches dans la zone d'exclusion ne sont pas propres au phénomène
de l'osmose; nous en avons également observées dans des ZE jouxtant certains
métaux (voir Chapitre 12) ; on les présume également autour des cellules, là où les
molécules doivent sortir ou entrer à travers une ZE par ailleurs enveloppante. En
fait, des gradients de charge entre l'intérieur et l'extérieur de la cellule pourraient
diriger un flux comme ils le font pour celui observé au cours de l'osmose.
L'attraction salée
Une autre question concerne le rôle des molécules de sel. Des ZE se forment
autour de celles-ci (ou d'autres solutés), et nous pouvons nous demander le rôle
qu'elles jouent dans l'attraction osmotique.
Considérez la Figure 11.8 Avec des ions hydronium positifs jouxtant la
membrane sur son côté droit, les particules de sel enveloppées de ZE chargées
négativement devraient s'agglomérer sur le côté
gauche ; c'est une simple question d'attraction. Ces + 0
0
+
ZE chargées négativement restent bloquées sur place,
+ 0 +
ne pouvant pas traverser la membrane. Leur présence 'o. q
DIFFUSION
Fig. 11.9 Résumé
des mécanismes de
+
diffusion et d'osmose +
'"'°"'
des solutésde ZE
• fo<m•tioo
) (.
) +
soulignant leurs la charge +
énergie • séparation des charges externe
caractéristiques rayonnante + impacte la
• mouvements browniens dispersion
communes.
+ +
+
OSMOSE
formation de ZE autour
des solutés et des + +
• interfaces )
de la membrane
énergie ) charge t
++ + + laexterne
• séparation des charges (
rayonnante impacte
• un gradient électrique l'accumulation
dirige les ions hydronium +
+
Loeb a établi la présence d'une différence de potentiel électrique d'un côté de la
membrane osmotique par rapport à l'autre.
Malheureusement, cette découverte fondamentale semble être passée ina-
perçue dans l'enthousiasme suscité alors par les expériences à l'échelle molécu-
laire. Cette différence de potentiel électrique est clairement présente : comme
Loeb l'avait pertinemment pressenti en son temps, sa présence joue assurément
un rôle dans le mécanisme de la circulation osmotique.
losmose fonctionne ainsi essentiellement de la même manière que la diffu-
sion (Fig. 11.9). Des gradients de charge gouvernent ces deux types de flux ... et ils
tirent leur origine de l'énergie rayonnante absorbée.
Couches-culottes et gels
losmose se produit dans la vie quotidienne; des exemples ordinaires avec les
gels et les couches-culottes illustrent ces principes tout juste élucidés.
Les gels contiennent d'énormes quantités d'eau. Les desserts à base de géla-
tine se composent à 95% d'eau, et des gels utilisés en laboratoire en renferment
parfois jusqu'à 99.95%. 9 Les couches-culottes présentent des caractéristiques
similaires : elles peuvent absorber plusieurs fois leur poids en eau, et c'est tant
mieux pour des questions de confort. Cette capacité de rétention prend tout son
sens quand on sait que l'eau de type ZE peut s'accrocher aux surfaces hydrophiles
situées à l'intérieur de la couche et que ces ZE peuvent être de très grandes tailles.
linvasion débute lorsque la structure hydrophile et sèche du gel (ou de la
couche) se retrouve exposée à l'eau. leau fait plus que simplement remplir les
espaces vides de la structure ; elle étend cette dernière. En l'espace de quelques
secondes ou minutes, la structure va gonfler pour atteindre parfois des dimen-
sions impressionnantes. losmose est ici de toute évidence à l'œuvre puisque l'on
observe de l'eau s'écouler vers des solides.
Comment ce flux massif se produit-il?
Lorsque le gel sec est plongé dans de l'eau, les couches superficielles de la
structure et les brins de polymères qui dépassent commencent immédiatement à
s'hydrater. Des ZE se forment, et des ions hydronium commencent à s'accumuler
plus loin. Si le maillage possède une charge négative, les ions hydronium commen-
ceront à se déplacer vers l'intérieur, dans la structure proprement dite.
Une charge négative est typique des structures hydrophiles, pour plusieurs
raisons, entre autres car les polymères eux-mêmes sont généralement négative-
ment chargés ; de plus, même des polymères « secs » renferment un peu d'eau-
ZE pratiquement impossible à retirer. Par exemple, le papier (cellulose) contient
195
généralement 7 à 8 % d'eau ; même plusieurs jours de séchage dans un four ne
parviendront pas à l'éliminer. Ainsi, un grand nombre de charges négatives dans la
structure ne manqueront pas d'attirer ces ions hydronium à l'intérieur, entraînant
inévitablement à leur suite les molécules d'eau dipolaires contiguës. La structure
commence ainsi à se remplir d'eau et d'ions hydronium ; c'est un flux osmotique,
les ions hydronium se déplaçant vers les charges négatives.
Imaginez la suite des événements. L'eau qui entre four-
nit les matériaux nécessaires à la construction de nouvelles
couches de ZE ; à mesure qu'elles se forment sous l'action
de l'énergie incidente, elles libèrent des protons ; les molé-
cules d'eau protonées pénètrent plus profondément dans
la structure négative, en y apportant plus d'eau, et ainsi de
suite. Bientôt, tout le gel sera rempli d'eau. Arrivé à ce stade,
toutes les surfaces de la structure possèdent d'importantes
ZE avec des poches intermédiaires remplies d'eau protonée.
Comment l'afflux osmotique prend-il fin ? Certaine-
ment pas par la neutralisation de la charge de la structure,
car même les gels bien pleins restent négativement char-
gés. Des microélectrodes placées sur ces gels révélèrent
des potentiels électriques négatifs (voir l'exemple de la
Fig. 4.7). Par conséquent, même les structures gonflées
devraient conserver leur capacité à attirer de l'eau protonée
à l'intérieur.
Cet argument laisse entendre que le gel pourrait
s'étendre à l'infini ; néanmoins, des contraintes méca-
niques vont limiter son développement. Une structure
élastique pourra accueillir une grande quantité d'eau avant
d'atteindre ses limites d'élasticité et que le flux s'arrête,
une structure rigide atteindra ses limites d'accumulation
plus tôt ; dans tous les cas, lorsque la force de résistance
mécanique entrera en équilibre avec la force de traction
osmotique.
À ce stade, le gel renferme une grande quantité d'eau-
ZE ; les poches entre ces ZE contiennent de l'eau
Fig. 11.10 Gonflement induit protonée. Cette eau protonée va adhérer aux ZE
par hydratation. La structure négatives et restera à l'intérieur du gel jusqu'à ce que
hydrophile est initialement sèche ce dernier subisse une pression. Votre dessert à base
(haut). Le versement d'un peu
d'eau provoque une expansion
(deuxième image). Une fois
le cylindre déroulé, on peut
à présent s'essuyer les mains
(images du bas).
de gélatine se comportera de la même façon, tout comme les couches-culottes de
votre enfant.
Un incident amusant confirma la nature de l'attraction osmotique. Lors d'un
récent séjour à Pise, un collègue m'emmena dans un fameux restaurant local. Une
fois installés, nous pûmes voir la serveuse faire un véritable tour de magie en
plaçant cérémonieusement un petit cylindre blanc dans nos
assiettes (Fig. 11.10, haut). Comme ces choses étaient dans nos
assiettes, je pensai instinctivement qu'elles étaient comestibles
et qu'il s'agissait peut-être de quelque fruit de mer exotique.
Exotiques, elles l'étaient : lorsque la serveuse versa un peu
d'eau dessus, ces derniers s'animèrent comme si on les avait
aspergés d'eau bénite : ils se mirent magiquement à grossir
jusqu'à atteindre cinq fois leur hauteur initiale (Fig. 11.10, deu-
xième illustration).
Ces choses n'étaient finalement pas comestibles ; il s'agis-
sait en fait de rubans fibreux roulés en cylindres étroits et
ramassés. En se déroulant, le ruban hydraté se révéla n'être rien
d'autre qu'un linge humide pour se laver les mains (images du
bas). Ce matériau, rappelant ceux des couches-culottes, avait
été brillamment compressé de manière à former un cylindre
compact, prêt à l'emploi.
Le sujet du maillage revêtait un intérêt particulier car nous
avions récemment commencé à étudier son hydratation à l'aide
d'une caméra infrarouge : plaçant une goutte d'eau sur un tissu
plat ,pendant qu'elle s'étalait, la caméra infrarouge détectait en
permanence une zone « chaude » à sa limite ; autrement dit, le
bord de l'eau générait une grande quantité d'énergie infrarouge
(Fig. 11.11). Cette observation devient finalement logique, les
charges en mouvement générant de l'énergie infrarouge. Les
ions hydronium qui avançaient (les charges en mouvements au
bord de l'eau qui s'étale) étaient les responsables de cette forte
émission d'infrarouges. Ces charges ouvraient la marche.
Ainsi, les charges dirigent la pénétration de l'eau dans des
structures hydrophiles de polymères, comme pour les courants
d'eau vers les solutés. Dans ces deux phénomènes osmotiques,
on retrouve l'idée des ions hydronium attirés vers des charges
négatives. Et tous deux sont alimentés par une éner-
gie externe qui va séparer les charges responsables Fig. 11.11 Séquence d'images
de l'attraction osmotique. infrarouges d'une goutte d'eau
s'étalant sur une serviette;
Je bord extérieur présente
une région « chaude » durant
l'étalement.
Blessure et gonflement
On pensait que le sel exerçait une attraction au cours des phénomènes d'os-
mose. Mais nous avons découvert que tel n'était pas vraiment le cas. Le sel ou
d'autres solutés/particules forment des ZE négatives autour d'eux, attirant ainsi
des ions hydronium positifs ; c'est ce gradient électrique qui va alimenter le flux
osmotique.
Le processus d'osmose est donc une conséquence de l'absorption d'énergie
rayonnante incidente. Cette énergie sépare les charges, ce qui va propulser le flux.
L'osmose n'est pas la force naturelle élémentaire que la théorie conventionnelle
du mouvement brownien prétend (Chapitre 9).
Comme l'osmose, la diffusion est un processus de mélange. La diffusion
concerne un mouvement de solutés plutôt que celui de solvants. La force motrice
à l'œuvre est une fois encore une énergie externe qui sépare les charges, et ce
sont là encore ces charges séparées qui vont propulser les excursions entrainant
le mélange.
On constate donc que les questions de l'osmose et de la diffusion sont simi-
laires : les deux nécessitent de l'énergie, et la séparation des charges produite par
l'énergie est centrale à ces deux types de mouvements. On pourrait voir l'osmose
et la diffusion comme sont des conséquences naturelles de l'énergie solaire.
Si la fréquence d'apparition au fil de ces pages des termes « énergie » et
« charge ,, vous a frappé, c'est que vous avez une bonne perception des choses ;
la partie suivante continuera dans la même veine. Nous commencerons par l'ex-
ploration de phénomènes simples du quotidien, allant de pourquoi la glace est
glissante à pourquoi vos articulations ne grincent pas. La séparation des charges
apportera des réponses étonnamment simples.
199
Cette partie débute par les fondamentaux et les développe afin de
déterminer dans quelle mesure les concepts précédemment établis peuvent
nous aider à mieux comprendre des phénomènes de la vie de tous les jours,
de la puissance de nos piles à la coalescence des bulles.
Si un grand nombre de ces nouvelles conceptions sont bien prouvées,
d'autres pourraient n'être que provisoires car il règne une telle obscurité
sur ces domaines qu'une nouvelle lumière ne saurait éclairer l'ensemble ; je
ne manquerai pas de vous prévenir à chaque fois que nous évoluerons sur
le terrain de la spéculation. Gardez à l'esprit le dessin ci-dessous qui vous
indiquera le niveau spéculatif d'une hypothèse.
pR\SE DE RISQUES
' .
4eme partie
Formes aqueuses
dans la nature
+ +
+
+
+
+ 1- + +
+ + + +
+ +
+
+ + ...
+ +
+
...
+ + +
+
+
+
...
+
+
+ +
12 Le pouvoir de l'eau protonée
A
' moitié assoupi au fond de la salle de chimie, je ne
parvenais pas à comprendre le message. J'étais
alors étudiant, et le sujet était le proton.
Toutes les personnes présentes savaient que les
protons sont des particules de charge positive étroi-
tement regroupées au sein de l'atome, mais le pro-
fesseur se mit à nous dire qu'un proton pouvait être
transmis. « Les acides, dit-il, donnent des protons ».
Ainsi, des protons devaient donc se trouver quelque
part à la périphérie de l'atome, ce qui m'ai lait très bien
si ce n'est que je ne voyais pas comment un proton
positif, qui adhérait déjà à un électron périphérique,
Un don pour la cause.
pouvait être aussi facilement « donné » ; je pensais
que des charges opposées seraient soudées comme
des aimants.
Le professeur poursuivit en décrivant toutes sortes de choses extraordi-
naires que ces protons pouvaient accomplir, allant de la réaction chimique au
fonctionnement d'une batterie, mais je ne pouvais toujours pas saisir la logique.
Manquant de confiance en moi et craignant de divulguer ma stupidité, je pré-
férai garder le silence, me condamnant ainsi à rester dans l'ignorance. Ce qu'un
chimiste ne devrait jamais faire ! Ces protons semblaient doués de toutes sortes
de mystérieux pouvoirs fonctionnels, mais en ce qui me concernait, la nature de
ces pouvoirs restait incompréhensible.
Il me fallut attendre de nombreuses années pour que les graines de la com-
préhension commencent enfin à germer; je vois à présent plus clairement ce qui
donne aux protons ces fameux pouvoirs. La magie repose sur trois caractéris-
tiques simples: tout d'abord, ils sont abondants, et la formation de ZE en génère
un nombre colossal. Ensuite, ces protons se fixent rapidement sur des molé-
cules d'eau, ces fusions moléculaires créant des molécules d'eau chargées qui
débordent d'énergie potentielle. Enfin, ces molécules d'eau à présent chargées
obéissent aux lois de la physique : elles vont se diriger vers les charges négatives
et s'écarter des charges positives.
Les pouvoirs des protons se réduisent en fait aux lois de l'électrostatique.
Celles-ci jouent un rôle clé dans le phénomène de l'osmose (Chapitre 11). Eten-
dons maintenant ce concept électrostatique simple afin de déterminer si une
demi-douzaine de phénomènes de la vie quotidienne résistant à l'explication
203
facile pourraient être compris en termes d'attractions
et de répulsions électrostatiques.
205
Pourquoi vos articulations ne grincent-elles pas ?
Les os exercent une pression mutuelle Pour qu'un tel mécanisme de répulsion
au niveau des articulations ; ils peuvent fonctionne réellement, il faudrait qu'un
également être amenés à faire des rota- barrage interne soit présent pour maintenir
tions lors de génuflexions ou de pompes. les ions hydronium en place, faute de quoi
On pourrait penser qu'une rotation sous la perte de charge compromettrait la lubri-
pression provoquerait une résistance fication. La nature a pensé à ce dispositif
frictionnelle avec moult grincements, mais de sécurité : une structure connue sous le
le frottement au niveau des articulations nom de capsule articulaire enveloppe l'arti-
reste remarquablement limité. Pourquoi ? culation. En restreignant la dispersion des
lextrémité des os est recouverte de ions hydronium, cette encapsulation main-
cartilage, et ce sont ces matériaux carti- tient un frottement faible. C'est pour cette
lagineux qui subissent véritablement la raison que vos articulations ne grincent
pression. Par conséquent, le problème du généralement pas.
frottement des articulations se réduit au
problème des surfaces cartilagineuses et
du liquide synovial qui se situe entre les
deux. Comment ce système se comporte-t-
il lorsqu'il est soumis à une pression?
Le cartilage se compose de matériaux
gélatineux ordinaires :, polymères forte- os
ment chargés et eau ; en d'autres termes,
le cartilage est un gel. Comme la surface capsule
des gels possède des zones d'exclusion, la ~articulaire
surface du cartilage devrait de même en _..P1r-- cartilage
comporter , et générer de nombreux ions liquide synovial
membrane synoviale
hydronium dans le liquide synovial. Ce
liquide lui-même pourrait créer des ions
hydronium supplémentaires à partir des
ZE se trouvant sur les molécules en son
sein. Ainsi, on trouverait de nombreux ions
hydronium entre deux surfaces cartila-
gineuses proches. La force répulsive des
ions hydronium devrait permettre de main-
tenir les surfaces du cartilage écartées, et En enveloppant l'articulation, la capsule empêche
certains scientifiques vont jusqu'à dire que la dispersion des ions hydronium présents dans
ces surfaces ne se touchent jamais. Cette le liquide.
séparation devrait expliquer le faible frot-
tement.
Des travaux modernes sur les polymères ont largement démontré l'efficaci-
té de la lubrification à l'eau. Des substances ordinaires glissant l'une sur l'autre
présentent généralement des coefficients de friction de l'ordre de 1 ; toutefois,
hydratées, ceux de ces surfaces polymériques peuvent descendre aussi bas que
0.00001. 1 L'hydratation peut réduire le frottement de plus de cent mille fois.
La raison de cet extraordinaire pouvoir de lubrification de l'eau était restée
obscure, mais nous pouvons à présent penser que les responsables sont les ions
hydronium : en se repoussant les uns les autres, ces ions positifs écartent les
aspérités entravant le glissement ; par conséquent, les surfaces peuvent glisser
l'une sur l'autre quasiment sans frottement.
(a) glace
notez l'emplacement
des protons (H')
(b) transition
(c) eau-ZE
209
En revanche, si les protons de surface sont perdus
par évaporation, il se peut que le côté glissant dispa-
raisse avec eux. Imaginez un cube de glace restant dans
un air sec quelques temps. Si vous vous saisissez du
cube, vos doigts y colleront. Si les protons ont été per-
dus par évaporation, la surface de la glace ne compor-
tera que des ZE chargées négativement ; cette charge
Fig. 12.6 Résultat malheureux négative générera une charge positive de valeur égale
d'une mésaventure à basse sur n'importe quelle surface proche, comme vos doigts ;
température. vos doigts vont donc adhérer à la glace. Si l'eau dans
votre peau vient en outre à geler, il se peut que la glace
et vous-même deveniez encore plus étroitement unis,
comme un enfant osant toucher un réverbère glacé avec sa langue (Fig. 12.6).
Ce scénario un peu collant me rappelle une histoire entendue de la bouche
d'un jeune couple de Seattle. Ces jeunes gens avaient prévu de se rendre en
plein hiver dans les Cascade Mountains pour boire quelques verres au milieu des
skieurs. La journée passa agréablement, mais le retour s'avéra plus long que prévu
et un besoin naturel se fit bientôt sentir. Quand la situation devint réellement cri-
tique, le conducteur n'eut pas d'autre choix que de se garer sur le bord de la route
pour permettre à sa nouvelle amie de faire ce qu'elle avait à faire. Galamment,
il détourna le regard lorsque celle-ci baissa son pantalon et s'appuya contre la
~-~··CuivrtJ
~···· ~mkll•
- vvv
· ·~.ZJnc pile que l'on allait appeler fort à propos la pile
de Volta (Fig. 12.8).
Nous constatons qu'il existe des caracté-
ristiques communes aux différentes batteries,
qu'il s'agisse de l'invention originale de Volta,
des batteries à pommes de terre ou de nos
modernes piles alcalines : l'une des électrodes
flg. !83. - P ile de Volta. sera en zinc ou en tout autre métal réactif,
tandis que l'autre sera faite en une matière
Fig. 12.8 Pile originale dévelop- moins réactive. Entre les électrodes se trouve
pée par Volta. un milieu contenant des ions dont le rôle est de
maintenir la circulation d'un courant. On pense
généralement que la production d'énergie résulte de
réactions électrochimiques provenant de contacts entre les métaux : ces réac-
tions pousseraient les charges à travers le milieu contenant les ions et finalement
via les bornes, produisant ainsi l'émission d'énergie.
Bien que des réactions aient certainement lieu au niveau des interfaces, le
phénomène considéré plus haut dans ce livre pourrait avoir son mot à dire au
sujet de leur nature. Nous avons eu l'occasion de voir à de nombreuses reprises
l'énergie électromagnétique absorbée séparer les charges via le mécanisme de la
zone d'exclusion. Les batteries séparent également les charges. La question se
pose de savoir si la séparation des charges des batteries ne pourrait pas être une
séparation des charges de type zone d'exclusion.
Cette question a gagné en importance lorsque l'on a pris conscience de la
quantité d'énergie qu'une pile ordinaire pouvait délivrer. Prenons l'exemple de la
pile alcaline. On a utilisé des piles alcalines sous une forme ou sous une autre
depuis que Thomas Edison les a inventées il y a un siècle. Au cours de sa vie, une
pile AA alcaline peut délivrer jusqu'à lmA de courant pendant 1.400 heures. Le
produit de ce courant et du temps donne 5.000 coulombs; autrement dit, une pile
AA peut délivrer une charge de 5.000 coulombs. Un éclair ordinaire déchargeant
15 coulombs, nous voyons que la toute petite pile AA renferme suffisamment
d'énergie en son sein pour produire, en théorie, plus de 300 éclairs.
Est-il possible qu'une usine chimique
\JRI SE DE RISQUES aussi petite contienne autant d'énergie ?
Peut-être. Mais il se peut qu'une partie
de cette énergie provienne d'ailleurs,
c'est-à-dire des mécanismes d'absorption
d'énergie électromagnétique décrits plus
haut. Les produits de réaction pourraient
être les mêmes que ceux que l'on imagine
conventionnellement, mais l'énergie à l'origine de ces réactions proviendrait ici de
l'énergie électromagnétique absorbée de l'extérieur. Si la lumière visible est inca-
pable de traverser l'étui des piles, l'énergie infrarouge le peut. L'énergie infrarouge
absorbée par le revêtement de la pile est réémise à l'intérieur. Une telle énergie
pourrait-elle contribuer à ces performances remarquables observées?
Souhaitant savoir si des caractéristiques de type ZE apparaissaient à côté de
ces métaux réactifs, nous plaçâmes un morceau de zinc dans de l'eau. Ajoutant
des microbilles, nous vîmes aussitôt de grandes zones d'exclusion se développer
depuis sa surface (Fig. 12.9 a). Les ZE grossirent jusqu'à approximativement
200 µm. D'autres métaux réactifs ayant montré des caractéristiques similaires,
il semble plausible que la surface des métaux réactifs si communs dans les piles
pourrait séparer les charges comme d'autres ZE.
Nous vérifiâmes ensuite si les charges étaient véritablement séparées. Utili-
sant le même dispositif avec microélectrodes, nous fûmes récompensés en consta-
tant que les ZE étaient effectivement chargées. Les ZE situées à côté de métaux
réactifs étaient chargées positivement (Fig. 12.9 b): les colorants sensibles au pH
confirmèrent que l'eau au-delà de ces ZE contenait des charges négatives libres,
probablement sous la forme de groupes OH-. 4
Les charges étaient donc bien séparées près des surfaces de métaux réactifs,
même si la polarité était la moins habituelle. Nous réussîmes à obtenir des cou-
rants considérables à partir de ces charges séparées, 5 comme auparavant à partir
d'autres systèmes de ZE. Ce résultat nous parut fondamental : les piles exploitant
des métaux réactifs, et ceux-ci réalisant une séparation des charges basée sur le
principe des zones d'exclusion, cela implique qu'une partie au moins de l'énergie
de la pile pourrait provenir d'un apport d'énergie extérieure.
Une question demeurait : dans quelle proportion ? Nous considérons nos
piles modernes comme stockant toute leur énergie délivrable en leur sein, à la
manière d'une sorte d'entrepôt gardienné d'énergie chimique. Considérant la phé-
noménale émission d'énergie que produit une pile au
cours de sa vie, il est permis de se demander si tout
Fig. 12.9 Résultats obtenus avec une
cela est bien vrai. Il est certain que les piles absorbent
surface de zinc. 4 (a) Zone d'exclusion
détectée à côté du zinc. (b) Potentiel
(a) (b) électrique au sein de la ZE.
250
200
>
..§.
150
~ 100
c
0"' 50
o..
-50 213
0 100 200 300 400 500
distance depuis la surface de zinc (µm)
Fig. 12.10 Possible production métal non-
reactif
d'énergie électrique basée sur le
principe des zones d'exclusion
dans des piles ordinaires. L'éner-
gie électromagnétique absorbée
sépare les charges et contribue
donc à produire du courant.
215
sensibles au pH, nous confirmâmes la présence de nombreux protons dans le
restant de l'eau en vrac au-delà des ZE. Ainsi, des protons générés par les ZE
étaient prêts et disponibles pour accomplir leur catalyse; en fin de compte, c'était
la lumière incidente qui avait produit ces protons catalyseurs.
Nous ne réussîmes tout d'abord pas à mettre en évidence des zones d'exclu-
sion nettes avec le platine (un autre catalyseur commun}, à part quelques zones
proches de la surface présentant des concentrations réduites de microbilles. 4 Des
études ultérieures montrèrent des changements dépendant de la lumière dans
l'eau à proximité de la surface du platine, 6 ainsi que de nettes ZE lorsque le pla-
tine était électriquement relié à un métal réactif.5 Par conséquent, les charges
des ZE pourraient bien expliquer la catalyse du platine, bien que cette possibilité
demande des examens plus poussés.
Des catalyseurs existent également dans des milieux biologiques, sous forme
d'enzymes. Celles-ci sont de grosses protéines accélérant les réactions biolo-
giques. Le mécanisme catalytique est supposé aujourd'hui se produire au niveau
d'interactions spécifiques entre les enzymes et les molécules réagissantes. Cepen-
dant, jusqu'au début du vingtième siècle, une autre idée dominait : on présumait
que les enzymes provoquaient des changements dans l'eau qui les entourait,
celle-ci accélérant ensuite les réactions dans les molécules voisines. La surface
des enzymes possède fréquemment d'importantes charges négatives (comme
la plupart des surfaces de protéines) ; par conséquent, ces surfaces devraient
contenir des couches de ZE. Si tel était le cas, la catalyse biologique pourrait
ressembler à la catalyse d'une manière générale, n'impliquant rien de plus qu'une
forte concentration de protons générés par les ZE.
-- Aux continu
Fig. 12.13 Écoulement
" spontané » à travers un tube
hydrophile.
217
présenté à la Fig. 12.14. La force motrice semble être un gradient vertical d'ions
hydronium qui pourrait être dû au fait que le haut de la suspension reçoit plus
d'énergie rayonnante que le fond. Le flux descendant attire donc l'eau du dessus,
de toutes les directions, vers la bille, remplaçant ainsi les molécules perdues par
le flux. Les molécules s'écoulant vers le bas ayant atteint le fond, elles n'ont pas
d'autres choix que de s'éloigner de la bille. !..'.eau circule ainsi, suivant un gradient
vertical d'ions hydronium.
On voit ainsi différentes configurations d'écoulements dirigés par des
charges; il suffit la plupart du temps d'avoir une surface hydrophile plongée dans
de l'eau. Les ZE qui en résultent génèrent des protons ; le gradient d'ions hydro-
nium obtenu génère, à son tour, un flux inévitable.
En fait, une partie des flux attribués intuitivement à des gradients de densité
d'origine thermique pourraient très bien être dus à des gradients de charge. Les
forces basées sur les charges sont beaucoup, beaucoup plus puissantes que les
forces basées sur la gravitation. Pour apprécier la différence, représentez-vous un
proton et un électron situés l'un près de l'autre, et demandez-vous quelle force
l'emportera : l'attraction électrostatique ou l'attraction gravitationnelle basée sur
la masse ? Vous direz sûrement que la force électrostatique l'emportera, mais ce
qui surprend davantage est la magnitude de la différence : un facteur de 1038 -
des forces basées sur la charge peuvent se révéler incroyablement dominantes.
Comme vu ci-dessus {et à nouveau lorsque nous parlerons de l'eau chaude au
chapitre 15), de faibles gradients de charge peuvent générer des flux importants.
Ces flux étant dirigés par des charges, on pourrait les qualifier d'osmotiques
{Chapitre 11). Les gradients d'ions hydronium constituent une puissante et univer-
selle force naturelle.
218
Résumé et réflexions
219
13 Gouttes et bulles, les sœurs aqueuses
221
de la surface de l'eau, ce sont des gouttelettes qui adhèrent aux parois, pas des
bulles. Les bulles et les gouttes peuvent parfois sembler étrangement similaires de
l'extérieur, mais les bulles contiennent du gaz tandis que les gouttes renferment
un liquide. Comment pourrais-je les distinguer?
Sortant de mes rêveries, je pris conscience que personne n'avait de réponse
facile à ces questions - même Einstein, célèbre pour ses « expériences de pen-
sée».
Pour la dernière question, au moins ( « Comment reconnaître une bulle
d'une goutte ? »), on pourrait penser que l'emplacement constitue un indice : on
trouve des bulles sous l'eau, mais normalement, pas de gouttes : comment pour-
raient-elles exister au sein d'une masse d'eau?
En fait, on peut paradoxalement trouver des gouttes dans l'eau, et je vous en
apporterai la preuve dans un instant. Celles-ci pourraient bien avoir une impor-
tance capitale, et leurs caractéristiques montrer la voie à suivre pour trouver des
réponses à mes questions, y compris la plus délicate : comment une bulle en
développement se remplit-elle de gaz?
222
panier ; au contraire, cette curieuse protagoniste
retrouva son allure initiale, unique et intacte.
Elle semblait immunisée contre la décapitation.
Elle ne se comportait aucunement comme une bulle
ordinaire: la percer, l'étirer ou la serrer ne produisaient
que des effets passagers ; même la terrible guillotine
n'eut d'effet durable. Ce qui semblait assurément être
une bulle (en raison de sa présence sous l'eau) se Fig. 13.2 Guillotine à bulle.
comportait davantage comme une forme gluante de Nos tentatives pour diviser des
« bulles » immergées se sont
type gel - ou une sorte de goutte cohésive.
souvent avérées vaines; les
Ces résultats inattendus nous apprirent qu'il n'est
bulles se reformaient.
pas toujours possible de distinguer une bulle d'une
goutte en l'absence de tests adéquats, et que parfois
la réalité est le contraire de ce que l'on avait pu croire.
Nous venions d'observer des gouttes sous l'eau. Et les bulles qui se trouvent par-
fois à la surface de l'eau peuvent très bien être des gouttes : des gouttes d'eau
peuvent rester à la surface de l'eau assez longtemps sans se dissoudre (voir Fig.
1.5). Si vous n'aviez jamais vu auparavant ce genre de gouttes d'eau persistantes,
vous pourriez penser qu'il s'agit de bulles ... or ce sont bien des gouttes. Observez
les formes que l'on voit à la Figure 13.3 ; s'agit-il de
gouttes ou de bulles?
La confusion apparaît facile : les bulles res-
semblent à des gouttes ; les gouttes ressemblent
à des bulles - .comme des membres d'une même
famille avec un air de ressemblance. Cette similarité
nous poussa à adopter une nomenclature générique
pour parler de ces entités : des « vésicules », définies
comme des entités sphériques dont l'intérieur peut
renfermer du gaz ou un liquide. Par la suite, nous
vous apporterons la preuve que le liquide à l'intérieur
peut se sublimer en gaz. Fig. 13.3 De l'eau sur une poêle
Pour le moment, retenez surtout que les gouttes
chaude.
et les bulles présentent une ressemblance frappante.
223
forme quasi-sphérique de la goutte pouvant s'expli-
quer par la présence d'une enveloppe tendue par la
pression interne (Fig. 13.4).
En l'absence d'une membrane tendue, les bulles et
les gouttes prendraient des formes aussi irrégulières
qu'une amibe, avec des bosses dépassant de partout.
Pour cela, les scientifiques acceptent le prérequis
Fig. 13.4 Forme d'une goutte. d'une sorte de gaine membraneuse. Des gaines sous
Les pressions extérieure et pression enveloppent toute vésicule.
intérieure s'équilibrent et Moins claire est l'origine de cette pression. Les
donnent une forme sphérique à scientifiques l'attribuent généralement à la rigidité de
la membrane. la gaine : une gaine solidifiée générerait la pression à
l'intérieur ; toutefois, même une gaine d'acier n'offre
aucune garantie de pression à l'intérieur. Nous ne
pouvons pas dire d'emblée si l'élément déclencheur est la rigidité de la gaine ou
le matériau enfermé à l'intérieur. L'origine de la pression reste à établir, ce à quoi
nous nous emploierons bientôt.
Quoi qu'il en soit, la forme quasi-sphérique de la goutte implique la présence
d'une sorte de gaine enveloppante - déduction plutôt logique. Ce qui pose pro-
blème en revanche, c'est le test de la guillotine : si une membrane sous pression
enveloppe bien la goutte, la rompre devrait lui être fatale et elle devrait se désinté-
grer. Pourquoi une goutte «guillotinée» se reforme-t-elle alors aussi rapidement?
Que certaines gouttes soient constituées de grappes de petites gouttes
apporterait une solution plausible (Fig. 13.5) ; ces mini-gouttes se regrouperaient
tout comme des bulles, et pourraient donc se recomposer après une séparation
mécanique. En effet, les gouttes sous de la surface de l'eau observées au micros-
cope ressemblaient parfois à des grappes, mais nous n'avons pas réussi à en
obtenir des photos suffisamment détaillées pour en
être certains.
L'idée des grappes gagna en popularité grâce à
des enregistrements vidéo à haute vitesse de chutes
de gouttes de pluie, en voyant de nombreuses écla-
ter en une myriade de mini-gouttes.w1 Ces dernières
pouvaient former des gouttes au cours de leur chute,
mais tout aussi bien préexister et se séparer lorsque
confrontées à différentes forces durant leur chute. Si
tel était le cas, les gouttes pourraient ressembler de
façon plus générale à l'amas de la Figure 13.5.
Fig. 13.5 Développement
d'une goutte par fusion. Un
grand nombre de mini-gouttes
fusionnent pour former une
goutte plus grosse.
À cet égard, le résultat observé suite au test de la guillotine prendrait tout son
sens : les forces appliquées vont séparer les sous-groupes composant la goutte,
mais les forces cohésives entre leurs surfaces pourraient les recombiner, de même
que des bulles que l'on sépare ont tendance à faire.
Ainsi, des gouttes peuvent se comporter comme des bulles. Ces dernières
peuvent exister sous forme de grappe ; les membres de celle-ci peuvent aussi
fusionner pour former une seule bulle plus grosse. De même pour les gouttes: une
goutte peut se composer d'une multitude de mini-gouttes, qui peuvent fusionner
en une seule unité plus massive. Toutes ces fusions résulteraient des propriétés
de la membrane qui les enveloppe.
La raison pour laquelle nous nous attar-
dons sur cette question dépasse la com- pR\SE DE RISQUES
préhension du comportement des gouttes
sous la guillotine. Nous n'avons aucune idée
sur la façon dont les gouttes ou les bulles
se forment. Il nous faut des indices. Notre
discussion nous fait réaliser que les bulles
et les gouttes contiennent toutes les deux
des membranes ; s'il s'avère qu'elles sont I~
faites du même matériau, une transition
goutte-bulle (ou inversement) devient alors
concevable. En d'autres termes, des bulles
pourraient naître de gouttes dont le liquide
intérieur s'est vaporisé. Des gouttes pourraient générer des bulles.
Pour aller plus loin dans cette réflexion, Il nous faut considérer les données :
d'abord, établir si des membranes enveloppent réellement ces deux structures
vésiculaires, comme notre théorie l'exige. Et si oui, quelle pourrait être leur com-
position? Il serait prometteur pour envisager une transition goutte-bulle que leur
comportement soit identitique.
225
L'explication qui prévalait de cette fusion retardée avait été la présence d'un
film d'air invisible piégé entre la goutte qui tombe et la surface. Cependant, nous
rejetâmes cette notion en constatant que des gouttes pouvaient persister même
après avoir roulé au-delà du supposé coussin d'air piégé; en fait, rouler avait même
prolongé leur existence séparée. 1 Quelque chose d'autre que de l'air piégé était de
toute évidence responsable ; une gaine membraneuse serait alors
le candidat le plus probable. Il fallait que celle-ci se dissolve pour
permettre la fusion, ce qui pouvait prendre du temps.
En ce qui concerne la nature de la gaine, la réponse nous
parut évidente par déduction : les gouttes étant composées uni-
quement d'eau, toute gaine membraneuse devait être construite
à partir d'une forme d'eau. Les deux options possibles étaient de
l'eau en vrac et de l'eau de type ZE, cette dernière paraissant le
candidat le plus naturel compte tenu de la persistance observée.
Une gaine de type ZE était également sensée du point de vue
fonctionnel. Une enveloppe faite dans un matériau de type ZE
excréterait des protons. Ceux-ci venant à s'accumuler à l'intérieur
de la goutte, les forces répulsives pourraient alors générer la pres-
sion nécessaire pour expliquer la rondeur de la goutte. Tout ceci
semblait d'une élégance rare, et en parfait accord avec la théorie :
une étude théorique et expérimentale approfondie conclut qu'une
enveloppe de ce type chargée négativement était un prérequis
minimal à l'existence d'une goutte ;2 une enveloppe de type ZE
pourrait donc parfaitement y satisfaire.
Ces critères en tête, nous cherchâmes à identifier expérimen-
talement l'existence d'une telle enveloppe de type ZE, et trou-
vâmes trois éléments de preuve pertinents :
· Le premier élément issu des d'expériences réalisées sur une
suspension trouble de microbilles à la surface de laquelle nous
fîmes tomber des gouttes d'eau, partant du postulat qu'une en-
veloppe de type ZE pouvait se comporter différemment de l'eau à
l'intérieur de la goutte. L'idée était que cette dernière
pourrait passer à travers une brèche de l'enveloppe
Fig. 13.6 Observation au et intégrer directement la suspension de microbilles
microscope de la dissolution en dessous, mais que l'enveloppe en soit quant à elle
d'une goutte. Une goutte d'eau incapable et doive ainsi rester à la surface de la sus-
de JO microlitres a été lâchée pension. La Figure 13.6 confirme l'existence d'une
sur un volume d'eau contenant zone claire, apparaissant au début de la coalescence
des microbi/les carboxyliques de de la goutte et s'étendant vers l'extérieur pendant le
1µm. Une zone claire en forme
d'anneau laisse entendre qu'une
gaine de type ZE enveloppe la
goutte.
0.18
-
::::i
<l'.
0.15 ~PI C
~ 0.12
0
:g_ 0.09
0
V'>
.0 0.06
"' 0.03
O +-~....-~-.-~-.-~--.-~---,-~
240 270 300 330 360 390 200 300 400 500 600 700 BOO
longueur d'onde (nm) longueur d'onde (nm)
tant dans la masse de l'eau. Effectuant ensuite des tests spectroscopiques pour
déterminer si les débris de ces enveloppes éclatées contenaient des matériaux de
type ZE, les résultats le confirmèrent : tous les échantillons analysés présentaient
un pic d'absorption à 270 nm (Fig. 13.9)
228
attractions« même aime même» attirant l'une vers l'autre des particules de même
charge, formant des réseaux ordonnés et parfois une coalescence. Sur cette base,
nous raisonnâmes que des bulles encapsulées de ZE devaient se comporter de la
même façon: s'attirer les unes les autres, s'ordonner et peut-être même fusionner.
L'attraction bulle-bulle est fascinante en versant du café chaud ou de l'eau
chaude : les bulles ont tendance à s'agglomérer, laissant des zones dépourvues
de bulles entre elles; parfois, de petits amas se mettent à grossir. Des attractions
bulle-bulle sont également évidentes sous l'eau, comme dans de hautes colonnes
d'eau où l'on étudie le comportement de bulles libérées depuis le fond. Au cours
de leur ascension, les bulles s'attirent, certaines allant même jusqu'à fusionner
pour en former de plus grosses. Ce phénomène d'attraction a été bien étudié, sans
toutefois en expliquer clairement sa raison. 4
Avec le temps, les attractions de type « même aime même » entre les bulles
31.5
Fig. 13.10 Les bulles de surface
tendent à former des ensembles
31 ordonnés. Ces bulles ont été
créées en diffusant de l'air
dans une solution aqueuse de
30.5
détergent (TWEEN 20). L'échelle
est en Celsius.
30
29.5
peuvent les ordonner; la Figure 13.10 nous en montre un exemple, même s'il n'est
ici pas très précis, probablement car les bulles présentent des surfaces de diffé-
rentes tailles. Néanmoins, certaines zones de bulles de taille similaire s'espacent
régulièrement.
Dans ce cadre, les agents inhibant l'attraction du type « même aime même »
devraient inhiber les agglomérats. Prenons le sel par exemple. Il diminue la taille
des ZE 5 , réduisant par conséquent la quantité de charges séparées; le sel devrait
donc réduire l'attraction du type« même aime même». Ajouter suffisamment de
sel devrait logiquement avoir pour effet d'empêcher complètement les bulles de
229
fusionner - ce qui fut observé expérimentalement : en présence de sel, les petites
bulles libérées depuis le fond d'un récipient ne fusionnent plus pour en former de
plus grosses6 , mais restent séparées.
La propriété la plus caractéristique d'une enveloppe de type ZE est sans doute
son attirance pour la lumière : les particules entourées d'une ZE se déplacent
invariablement vers celle-ci {Chapitre 9). Les bulles font de même, vers la lumière
infrarouge7 ou la lumière visible. 8 Les chercheurs parlent d'un effet de « migration
thermocapillaire » quand bien même personne n'en a encore établi les bases. Il
apparaît que la lumière attire les bulles tout comme les particules. Si la sépara-
tion des charges induite par une ZE est responsable de l'attraction des particules
{Chapitre 9), elle pourrait alors l'être aussi de l'attraction des bulles. Autrement
dit, l'attraction des bulles implique qu'elles possèdent des enveloppes de type ZE.
lépaisseur de l'enveloppe de type ZE d'une bulle peut s'avérer difficile à
estimer. Bien des types de bulles ont des coiffes membraneuses en pénétrant
la surface du liquide, généralement, d'une épaisseur de quelques centaines de
nanomètres ; toutefois, il n'est pas rare d'en observer de l'ordre de 1.000 nano-
mètres.9 Une telle épaisseur contiendrait environ 40.000 couches moléculaires de
ZE, mais même une quantité inférieure constituerait déjà une membrane plutôt
robuste.
Enfin, il est bon de préciser que les enveloppes de type ZE s'adaptent natu-
rellement aux changements de volume car composées de plaques disposées en
couches pouvant, sous une pression suffisante, glisser les unes sur les autres,
permettant ainsi à l'enveloppe de s'étendre {avec une perte d'épaisseur). Les
enveloppes de type ZE peuvent donc s'agrandir en toute impunité contre la force
d'une pression dilatatrice considérable. En revanche, un affinement excessif pour-
rait mener à la rupture - ce qui pourrait bien se produire lors de l'ébullition.
Comme les gouttes, les bulles semblent donc posséder une enveloppe de type
ZE : le pic caractéristique d'absorption à 270 nm a été confirmé ; la « sociologie »
bulle-bulle concorde avec les attentes ; la lumière les attire de la même manière
que les particules enveloppées de ZE; enfin, les plaques en couches composant la
ZE forment une structure qui s'adapte naturellement aux changements de volume.
Tout ceci nous conforte dans l'idée que que les bulles et les gouttes sont simi-
laires d'un point de vue structurel, quand bien même une goutte renfermerait un
liquide et une bulle, du gaz. Cette similarité de structure s'avèrera fondamentale
pour comprendre comment se forment les bulles.
230
En résumé
231
« AujoV~d'hui, Goutte., tu de.vie.Yld~a~ Su\\e.. »
14 Naissance d'une bulle:
le passage à la maturité
233
un sifflement quand elle bout? Et lorsque vous entrez dans une cuisine, pourquoi
pouvez-vous sentir l'odeur de la soupe qui mijote?
234
Arrivant en gare de Graz, cette nouvelle possibilité m'avait tellement enivré
(j'en avais presque le vertige) que je ne pouvais attendre plus longtemps pour
continuer à réfléchir à une goutte comme une bulle embryonnaire.
+ +
+
+ + + +
+ + +
+ + + + + +
+ + + +++++ +
+ + ++ + + + + + + + + + ++ + +
. ."-.. + +~ + ++ + + + ++ + +: tt:+ . . . . .
··..:·· +1 ++++++ + + + ++++++.)+ <.....
.. + _+ + + + ± + + + + + + .
_ .___ nucléateur
disperser du fait des forces répulsives entre charges positives ; ces ions hydro-
nium seront perdus. Mais d'autres resteront près de la surface en raison de l'at-
traction exercée par la ZE négative (voir Chapitre 5). Cette attraction produit deux
réactions: un déplacement des ions hydronium positifs vers la ZE négative, et une
déformation de la ZE négative encore fine et flexible dans ses premiers stades
de développement en direction de ces ions hydronium positifs. Les flancs de la
ZE devraient donc être continuellement attirés vers la plus forte concentration
de charges positives (Fig. 14.1, image du milieu), ce qui fut expérimentalement
confirmé (voir Fig. 9.9).
Une telle déformation continue conduit inévitablement à une courbure (Fig.
14.1, image de droite). Tandis que se forment les ions hydronium et que la crois-
sance latérale se poursuit, les régions nouvellement créées de la ZE continueront
à se déformer vers les ions hydronium centraux. Les bords de la ZE finiront par
se rencontrer, créant ici une structure circulaire (bien entendu, la structure réelle
en trois dimensions est sphérique et non circulaire comme dans l'illustration en
deux dimensions). Les structures sphériques doivent se refermer naturellement
(Fig. 4.11). Ces structures sphériques fermées constituent de minuscules gouttes.
Chacune de ces mini-gouttes contiendra une membrane de type ZE chargée
négativement enveloppant de l'eau liquide et des ions hydronium. Ces derniers se
repoussent ; s'écartant les uns des autres dans toutes les directions, ils exercent
une pression sur la membrane de ZE et lui confèrent sa rondeur (Fig. 14.2). Une
bulle sphérique n'est pas encore née, mais une petite vésicule embryonnaire a été
conçue, prête à commencer son développement vers la maturité.
Il est bon de signaler que la charge positive inté-
rieure n'a pas nécessairement besoin d'être égale à
la charge négative de la ZE. Même si l'on attendrait
--
î
' . :r?:: .. =-:. volontiers un tel équilibre neutre, il se trouve que
:
De la goutte à la bulle
La structure de la goutte embryonnaire décrite va
Fig. 14.2 Rondeur de la goutte. être fondamentale pour la suite. Mais avant de conti-
Les ions hydronium créent une nuer, cherchons d'abord à déterminer si la vésicule est
pression en poussant les parois
de la ZE; c'est cette pression qui
est à l'origine de la rondeur de
la goutte.
suffisamment résistante pour survivre ; en fait, les petites vésicules ne sont pas
particulièrement stables.
Il se peut que l'énergie absorbée altère la vésicule. Supposons que la vésicule
absorbe de l'énergie rayonnante ; la ZE va se développer, et à mesure, la concen-
tration en ions hydronium à l'intérieur grandira également. Ceux-ci, en plus grand
nombre, augmenteront la pression interne. La membrane de ZE soutiendra cette
pression accrue jusqu'à un certain point ; excédant un seuil critique, les couches
dont elle est formée commenceront probablement à glisser les unes sur les autres,
ce qui étendra la vésicule (Fig. 14.3).
L'expansion d'une vésicule n'est pas forcément catastrophique et peut se
dérouler progressivement. La couche la plus extérieure doit d'abord faire de la
place pour permettre aux autres couches sous pression de s'étendre. Une fois
rompue, les segments la composant peuvent glisser sur la couche inférieure et
se fixer sur l'un des nombreux sites où ils adhèreront à des charges opposées. La
structure se stabilise, puis le même processus reprend avec la couche suivante, et
ainsi de suite. De cette manière progressive, une vésicule pourra s'agrandir étape
par étape sans nécessairement se briser (bien que cela puisse se produire) et
atteindre une taille importante.
Que se passera-t-il ensuite?
Intéressons-nous aux molécules d'eau à l'intérieur. Simples spectatrices,
ces molécules d'eau se retrouvent au milieu des ions hydronium qui effectuent
le travail d'expansion. Ces molécules d'eau sont sous pression, la membrane
enveloppante exerçant une pression à l'intérieur comme un ballon sur le gaz qu'il
renferme. Si la membrane de la vésicule vient soudainement à s'agrandir, cette
pression diminue tout aussi soudainement, et les molécules d'eau à l'intérieur
subissent une réduction de pression.
Un changement de pression peut provoquer un changement d'état. Pressu-
riser de la vapeur pourra la transformer en liquide ; réduire la pression pourra
reconvertir ce liquide en vapeur. Le même principe simple peut s'appliquer ici :
237
la vésicule s'agrandissant diminue la pression sur l'eau qu'elle renferme, et l'eau
liquide peut se convertir en vapeur.
Conséquence de ce changement d'état : la goutte se transforme en bulle (Fig.
14.4).
Voilà quelques avancées - du moins, sur l'aspect théorique. Le point de
départ est la formation inévitabilité de ZE dans les récipients contenant de l'eau,
de laquelle naît la goutte, vient ensuite la conversion de celle-ci en bulle : si elle
absorbe suffisamment d'énergie rayonnante, sa charge interne va augmenter la
pression et la faire grossir, entraînant la transition de son contenu en vapeur et
créant une bulle. Ainsi naît une bulle.
238
Fig. 14.4 Transition de goutte
Reste à déterminer si cet enchaînement logique-
vers bulle. La pression agrandit
ment inévitable n'est pas qu'une simple vue de l'esprit.
la vésicule; les molécules d'eau
Cette suite d'événements a-t-elle réellement lieu ?
subissent une pression réduite, ce
Ayant déjà établi au chapitre précédent la présence
qui peut convertir l'eau liquide en
de l'une des deux caractéristiques nécessaires à celle-
vapeur d'eau.
ci (une enveloppe de type ZE), reste la seconde ques-
tion : ces membranes sphériques renferment-elles
réellement des charges positives ?
0 1 2 3 4 239
numéro d'échantillon en séquence
Fig. 14.6 Image infrarouge de la
surface de bulles, créées en insuf- 30.5
flant de l'air dans une solution
tensioactive (TWEEN 20/eau).
L'intérieur de la bulle (orange)
émet plus d'énergie infrarouge
que l'extérieur (bleu). La mince 30
couche noire enveloppant les
bulles était attendue : les ZE
génèrent peu d'énergie infrarouge.
Échelle en °C. 29.5
29
30
Fig. 14.7 Eclatement d'une bulle. Comme la Figure 14.6 à la
différence que l'on voit une bulle éclater spontanément. Notez la
dispersion de la zone fortement émettrice d'énergie rayonnante.
29.5
Échelle en °C.
protons avec l'eau. Il semble que l'énergie rayonnante observée provient bien
d'un matériau à l'intérieur de la vésicule.
À partir de ces preuves, il semble clair que des ions hydronium existent à
l'intérieur de la bulle. Pour le mécanisme proposé, la présence de cette charge
positive est cruciale car indispensable à la production d'une pression et à la
transition de goutte vers bulle.
241
surface hydrophile
Fig. 14.9 Adhérence d'une goutte
grâce à un mécanisme de type
fermeture Éclair. En raison des
forces d'attraction locales, la ZE
de la goutte fusionne avec la ZE
de la surface, formant un fond
plat.
Le paradoxe hydrophile-hydrophobe :
à quel point aimez-vous votre vésicule?
À ca stade, vous êtes probablement à l'aise avec la terminologie : les surfaces qui
étendent l'eau sont dites hydrophiles (c'est-à-dire qui aiment l'eau) ; l'eau s'y accroche
comme un amoureux étreint. En revanche, les surfaces transformant l'eau en gouttelettes
sont dites hydrophobes (elles détestent l'eau). Parfois, elles la détestent si intensément
que de l'eau fraîchement versée se rétractera en formant des billes parfaitement sphé-
riques. Un exemple classique est la feuille de lotus: l'eau qui tombe sur la feuille formera
des sphères se mettant aussitôt à rouler, laissant la feuille sèche.
Pour classer les différentes surfaces, les scientifiques ont recours à une méthode
basée sur la forme de la goutte. Si la goutte demeure sphérique, la surface sera classée
comme hydrophobe; si la goutte s'étale (en formant des couches de ZE), la surface sera
classée comme hydrophile. C'est assez simple. Toutefois, un problème embarrassant est
que la forme de la goutte se trouve le plus souvent entre ces deux extrêmes (voir figure).
La goutte gardera généralement une forme grossièrement sphérique, mais avec une cer-
taine extension latérale et un fond aplati (image du milieu).
La solution généralement admise consiste à spécifier le degré d'hydrophilicité, grâce
à la géométrie : le fond d'une vésicule s'aplatissant contre la surface, on peut construire
facilement des tangentes, qui à permettront de définir un angle de contact. Les faibles
angles de contact indiquent une forte hydrophilie (gauche) ; ceux élevés indiquent une
forte hydrophobie (droite).
C'est la pression à l'intérieur de la goutte qui définira la longueur de la
« fermeture Éclair ». La pression la fait tendre vers la rondeur alors que le
mécanisme de la fermeture induit la linéarité. La ZE continuera à s'assembler
jusqu'à ce que la force qui aplanit s'équilibre avec celle qui courbe. Le résultat
ressemblera au fond plat de la Figure 14.9.
Ce mécanisme de fermeture est fondamentalement l'opposé de celui géné-
rant des vésicules. Avec le mécanisme de type fermeture Éclair, la ZE sphérique
s'aplanit (Fig. 14.9) ; avec celui de génération de vésicule, la ZE plate devient
sphérique (Fig. 14.1). Ces deux processus semblent symétriques.
Ce type de fermeture constitue un mécanisme par lequel les membranes de
type ZE peuvent fusionner. Toutes les vésicules comportent des enveloppes de
type ZE. Par conséquent, le mécanisme de fermeture Éclair peut nous aider à
comprendre comment deux enveloppes se combinent pour former une vésicule
plus grosse, ou tout du moins la première étape de ce processus.
Vous comprenez maintenant pourquoi un angle de contact donne une mesure rai-
sonnable de l'hydrophilie. Si le matériau est très hydrophile avec une ZE fortement char-
gée, la capacité de fermeture Éclair sera alors élevée ; la goutte s'aplatira un maximum,
produisant un faible angle de contact (gauche). Si les charges de ZE sont plus rares, la
modeste force d'attraction produira alors un aplatissement plus limité (centre). Et si le
matériau est hydrophobe et qu'il ne contient pas de ZE du tout, il n'y aura pas d'aplatis-
sement, et dans ce cas l'angle de contact sera grand (droite). La classification reposant
sur l'angle de contact découle de cette compréhension fondamentale.
Cette explication de l'hydrophilie relative implique quelque chose qu'il est bon de se
rappeler: l'hydrophobie n'est rien de plus qu'une absence d'hydrophilie; autrement dit,
les surfaces hydrophobes ne parviennent pas à interagir de manière significative avec
l'eau pour former des ZE. L'hydrophobie n'est par conséquent pas une caractéristique en
soi ; elle reflète simplement l'absence d'une autre caractéristique.
hydrophile hydrophobe
245
La fusion renforce la stabilité et l'inévitabilité
Le phénomène de fusion est important, non seulement parce qu'il permet
la croissance mais aussi parce qu'il favorise la durabilité. La raison est purement
géométrique : lorsque des vésicules de taille similaire fusionnent pour former une
vésicule unique plus grosse, la masse de l'enveloppe double approximativement.
Par contre, la surface de l'enveloppe augmente moins de deux fois (vous pou-
vez le vérifier par les mathématiques) : une partie du matériau des anciennes
enveloppes doit ainsi servir à épaissir l'enveloppe de la nouvelle vésicule. Cette
nouvelle vésicule possédant une enveloppe plus épaisse que celles de ses précur-
seurs, cela la rendra plus grosse et plus solide, apte à supporter de plus fortes
pressions sans se rompre. Une vésicule plus grosse devrait ainsi être plus stable.
Une possible faille, cependant : des parois plus robustes n'assureraient pas
une meilleure stabilité si la pression dans la nouvelle vésicule était plus impor-
tante que celle de ses précurseurs. Toutefois, ce n'est pas ce qui se produit. La
pression dépend de la concentration en charges. Lorsque deux vésicules à densité
de charge égale fusionnent, celle-ci ne change pas : le volume augmente de deux
fois; de même pour le nombre de charges. Ainsi, la pression dans la vésicule reste
inchangée.
Pour la nouvelle et plus grosse vésicule, pas de variation de pression interne,
mais des parois plus épaisses: cela va la stabiliser. Les effets s'ajoutant, sa stabili-
té ne cessera de s'accroître après chaque fusion. Cela pourrait expliquer pourquoi
les petites vésicules peuvent parfois être éphémères (et donc difficiles à observer)
tandis que les plus grosses sont faciles à étudier ; ces dernières peuvent en effet
se défendre bien mieux que les petites contre les forces destructives. Les plus
grosses vésicules sont plus robustes.
Ce paradigme est valable aussi bien pour les gouttes que pour les bulles. En
fusionnant, les petites gouttes gagnent en robustesse, comme les petites bulles.
Toutes ces fusions favorisent la durabilité, laquelle va, à son tour, augmenter la
probabilité de survivre à de nouvelles fusions. Sous les conditions appropriées
(voir ci-dessous), une croissance reposant sur la fusion devrait être incontour-
nable, les petites vésicules en produisant toujours de plus grandes.
246
plus grosses commencent à apparaître en nombre, Bientôt i.
suffisamment robustes et concentrées pour fusionner en
d'encore plus grosses. Finalement, ces grosses vésicules se QÜ
convertissent en bulles qui viendront franchir la surface
et libérer dans l'air la vapeur qu'elles renferment. C'est le
Des vésicules se rencontrent.
signal pour nous de l'eau qui bout, un phénomène familier
qui n'empêche pas d'éprouver un sentiment de mystère en ii.
observant son développement, un peu comme d'observer
des sorcières préparer une décoction secrète.
· Comment s'effectue donc exactement la transition
de gouttes de quelques microns en bulles à l'échelle du Les vésicules fusionnent; les
ZE s'épaississent. De multiples
centimètre ? Le rapport entre ces diamètres étant d'envi- fusions augmentent leur volume.
ron 10.000, celui entre les volumes est par conséquent de iii.
1.000.000.000.000 : de toute évidence, bien trop grands
pour envisager une unique transition. Le développement
doit s'effectuer par étapes, et c'est alors que la caractéris-
tique de stabilité entre en jeu. Les vésicules ayant fusionné
étant plus robustes que leurs prédécesseurs, plus grandes La vésicule s'étend en raison
d'une forte émission d'énergie ; la
sont leurs dimensions, meilleures leurs chances de survie ; vésicule se convertit en bu/Té, avec
plus grosse la vésicule, plus grande la probabilité d'atteindre de la vapeur à l'intérieur.
l'étape de la conversion en bulle sans éclater. iv.
· Qu'une goutte atteigne ou non finalement ce point cri-
tique sera déterminé par les conditions ambiantes. Puisque
ce sont les fusions antérieures qui permettent de l'atteindre,
vo
et que celles-ci dépendent de la concentration en vésicules, il Des bulles se rencontrent.
faudrait obtenir la formation simultanée d'un grand nombre
de vésicules; cela dépendra du niveau d'énergie ambiante.
· Pour obtenir un grand nombre de vésicules, il faut suf-
fisamment d'énergie rayonnante, ce qui n'est pas nécessaire-
ment le cas en début de chauffe, lorsque l'énergie provient
de la seule source de chaleur. Toutefois, le processus de Les bulles fusionnent; de
nombreuses fusions accrois-
chauffe se poursuivant, de l'énergie rayonnante proviendra sent leur volume.
non seulement de la source de chaleur mais aussi de l'eau vi.
chauffée ; ces deux sources y contribueront. Lorsque leur
somme sera suffisante, un seuil sera franchi : les vésicules
deviendront alors suffisamment nombreuses pour permettre
des fusions successives et des transitions réussies en bulles,
RemP,lies de vapeur, les grosses
pouvant ensuite elles-mêmes fusionner et former de plus bulles viennent éclater à la
grosses bulles. !..'.ébullition est proche (Fig. 14.12). surface.
248
\:>lurP \JlurP \:>lurP
~ oc
0 10 c
Il
ü "O 16
) 1
Plus haut dans ce chapitre, j'avais parlé des gouttes s'accumulant sur des
surfaces de verre froid, et nous avions vu que l'orientation avait un impact sur
le phénomène. À présent que nous avons quelque compréhension de la manière
dont se comportent les gouttes, je reviens sur le sujet pour voir si la question de
l'orientation peut en effet ou non découler du charme rayonnant de ma voisine.
Une question pertinente concerne la nature de l'humidité dans l'air. Bien que
le prochain chapitre traite de ce sujet, laissez-moi prendre un peu d'avance et
vous dire que l'humidité dans l'air existe essentiellement sous forme de vésicules,
même si on ne les voit pas du fait qu'elles ne dispersent que très peu de lumière.
Toutefois, on peut déduire leur présence lorsqu'elles se condensent sous la forme
de nuages visibles.
Ces vésicules aériennes peuvent également se condenser sur des surfaces
hydrophiles. La condensation se produit lorsque les enveloppes de type ZE res-
pectives s'accrochent (Fig. 14.8), phénomène observable sur les vitres froides
de votre voiture, ou encore aussi sur le miroir de votre salle de bain lorsque vous
soufflez dessus le matin avant d'allumer le chauffage. Les vésicules collent. Si
vous regardez attentivement, vous pourrez voir une myriade de gouttes dont
chacune adhère à la surface de verre.
Il faut de l'énergie rayonnante pour retirer ces gouttes de la surface: celle-ci
va former des ZE qui vont générer des protons internes ; ces derniers vont à
leur tour générer une pression conférant une forme plus ronde à la goutte. Cette
rondeur croissante va réduire la taille de la zone d'adhérence; une fois cette zone
presque réduite à néant, la vésicule ne pourra plus adhérer à la surface ; elle
retournera donc dans l'atmosphère, et la vitre sèchera.
L'expérience de la vitre de voiture dérive directement de cette interprétation.
La vitre côté conducteur fait face à un espace vide où rien ne produit une émission
significative de rayonnement; c'est pourquoi les gouttes restent collées à la vitre,
du moins jusqu'à ce que le soleil monte assez haut dans le ciel pour les chasser.
Le côté opposé de ma voiture reçoit un flux d'énergie rayonnante émis en continu
par la maison voisine maintenue chaude et douillette toute la nuit ; ainsi, toute
goutte qui viendrait se poser sur ce côté de ma voiture en est rapidement chassée.
Dans un certain sens, l'influence de ma voisine joue un rôle, même si je n'ai
jamais pensé à le lui dire.
250
Pourquoi peut-on sentir la soupe?
251
En résumé
252
253
... .
.·. . . :.·:·:
~.:·.. ·. . .:.·
...
.~ : :. ..·:::::·:.:.
·~·.: .. .·..:.
254
15 Des nuages au-dessus de votre café :
la remarquable nature de l'évaporation
C e n'est pas Starbucks qui prépara la première tasse de café. D'après la légende,
cet honneur revient à un gardien de troupeau de chèvres éthiopien du 13ème
siècle du nom de Kaldi. Un jour, Kaldi remarqua que ses chèvres étaient anor-
malement dynamiques lorsqu'elles mordillaient des baies rouge vif ; il décida de
mâcher lui-même quelques-unes de ces baies et ne tarda pas à réaliser leur effet
énergisant.
Fier de cette découverte, Kaldi apporta des baies
au dignitaire religieux local. Mais le saint homme ne se
montra aucunement impressionné ; bien au contraire,
il manifesta violemment sa contrariété : au feu, les
baies 1
Les baies en train de chauffer laissèrent alors
s'échapper un arôme très agréable. Toujours curieux,
Kaldi retira subrepticement quelques-unes des baies
du feu, les ramena chez lui et les réduisit en une
poudre qu'il mélangea avec de l'eau chaude ... et voilà:
la première tasse de café du monde.
Le café chaud impacte tous nos sens, même la
vue lorsque des volutes de vapeur s'élèvent tels des
cobras du panier d'un charmeur de serpent (Fig. 15.1).
La photo de la Figure 15.1 ne vous étonnera pas, et
pourtant elle le devrait : selon la pensée convention- Fig. 15.1 La vapeur s'élève en
nelle, cette vapeur ne devrait pas être visuellement une série de bouffées et de
détectable puisqu'il est généralement impossible de minces filets.
voir les substances sous leurs formes gazeuses.
De quoi une chose a-t-elle besoin pour se rendre visible? La visibilité dépend
de la dispersion de lumière. La vapeur de café est visible car les vésicules qui
composent cette vapeur dispersent la lumière entrante, et vos yeux la détectent.
La quantité de lumière dispersée dépend de la taille de la vésicule : pour qu'une
vésicule diffuse une lumière perceptible, son diamètre doit être au moins égal à la
longueur d'onde de la lumière incidente, soit approximativement un demi micro-
mètre. Chacune des vésicules qui composent la vapeur devrait donc renfermer des
milliards de molécules d'eau.
Mais il y a plus. Si vous regardez la Figure 15.1, vous remarquerez que la
vapeur ne s'élève pas de façon uniforme, mais en « bouffées» flottant à la suite les
255
unes des autres; la surface semble expirer un nuage après l'autre, chacun conte-
nant un grand nombre de vésicules, chacune renfermant un nombre gigantesque
de molécules d'eau. Au final, un nombre astronomique de molécules d'eau s'élève
à chaque bouffée.
De petits filets de vapeur (visibles à droite de la Figure 15.1) s'échappent
également du liquide chaud. Si ces filets ressemblent à de fragiles spaghettis
que l'on sortirait du liquide, ils maintiennent toutefois leur intégrité en montant.
Comme ils sont visibles, ils doivent contenir de nombreux éléments dispersant la
lumière - peut-être des chaînes de vésicules renfermant de l'eau.
La vapeur ne prend pas cette forme particulière uniquement avec le café; un
de mes étudiants nota la même chose en prenant un bain en plein air en Asie :
des bouffées de vapeur s'élevaient directement de l'eau chaude et montaient les
unes derrière les autres en succession rapide. En fait, ce phénomène est courant :
toute boisson chaude produira une vapeur similaire caractérisée par des bouffées
distinctes s'élevant à la chaine, sans rien de notable entre elles.
Une idée reçue voudrait que les liquides s'évaporent une molécule après
l'autre: de façon aléatoire, l'énergie cinétique« propulserait» une molécule depuis
la surface du liquide, puis un grand nombre de celles-ci « se condenseraient »,
formant les nuages visibles s'élevant dans l'air plus froid au-dessus. Toutefois,
obscure reste la raison qui pousserait ces molécules éparpillées à se condenser
instantanément une fois dans l'air, tout comme celle poussant cette condensation
à prendre la forme de bouffées distinctes plutôt que celle d'un seul long nuage
continu.
Ce chapitre revisitera le processus de l'évaporation en s'appuyant sur ce que
l'on sait maintenant de la nature de l'eau. Nous étudierons d'abord l'anatomie
de ces nuages s'élevant de liquides chauds pour voir ce qui se trouve à l'inté-
rieur. Ensuite, ces nuages émergeant directement d'un liquide, il est naturel de se
demander s'ils ne sont pas le reflet de structures correspondantes dans l'eau. Si
oui, pourquoi s'élèvent-ils sous forme de bouffées séparées plutôt que de manière
continue? Et qu'arrive-t-il aux vésicules d'un nuage une fois dispersé?
Pour résumer, nous nous intéresserons à la nature fondamentale de l'évapo-
ration.
Anatomie de la vapeur
Afin d'étudier la vapeur en laboratoire, nous eûmes recours à l'illumination
laser : un prisme servant à transformer un faisceau laser en un plan lumineux
horizontal, nous le plaçâmes horizontalement au-dessus d'un récipient d'eau
chaude, aussi près que possible de celle-ci mais sans la toucher. Ce dispositif
nous permit d'obtenir des vidéos de vapeur juste à la sortie de l'eau. 1
256
Je me souviens encore de l'étudiant exubérant déboulant dans mon bureau
pour me montrer les résultats de l'expérience. J'étais sidéré : sa vidéo montrait
que les vapeurs s'élevant (Figure 15.1) n'étaient pas dénuées de forme : les
coupes transversales horizontales présentaient des motifs en mosaïque évoquant
les bretzels (Fig. 15.2), des structures annulaires accolées l'une à l'autre. Le reste
semblait vide, dépourvu de vapeur. Les lignes formant la mosaïque contenaient
toute l'eau en train de s'évaporer.
Bien que ces mosaïques semblaient individuellement plates, la séquence
d'images révéla autre chose : une forme de bretzel persistait durant plusieurs
images, mon-
trant seulement quelques subtiles variations pendant généralement une à deux
secondes, après quoi le bretzel s'évanouissait. Puis un bretzel entièrement diffé-
rent apparaissait et restait encore visible une seconde ou deux pendant lesquelles
la vapeur passait à travers le plan de lumière.
Manifestement, chacun devait s'étendre verticalement, formant une pile de
bretzels. Autrement dit, un nuage de vapeur avait l'apparence d'un groupe de
tubes étroitement empaquetés s'élevant verticalement du liquide chaud.
Le motif dessiné par la vapeur s'élevant n'était pas figé. Subissant l'impact de
flux locaux de convexion, la structure multitubulaire se déformait inévitablement
en montant. À distance, cette structure ressemblait à un nuage informe, mais on
pouvait toujours détecter des vides sous forme de trous sombres (on les distingue
à peine dans le nuage le plus bas de la Figure 15.1).
257
Quand les dauphins font des anneaux
Des anneaux similaires aux struc-
tures annulaires de vapeur ont déjà
été observés ailleurs : les dauphins
produisent des anneaux vaporeux
avant de jouer sans fin avec eux,
apparemment à seule fin d'amuse-
ment. Lorsque ces anneaux finissent
par se dissiper, ils se brisent en une
myriade de minuscules vésicules.
Un charmant spectacle à voir en vidéo. wi
Abasourdis par ces observations, nous étions comme des enfants découvrant
le monde pour la première fois, attendant avec hâte d'autres surprises. Nous les
trouvâmes. Nous remarquâmes vite que les tubes ne provenaient que de régions
limitées de la surface. Une région pouvait émettre un nuage ou laisser s'échapper
un filet quand d'autres immédiatement adjacentes ne produisaient rien du tout -
aucune évaporation détectable. Les zones émettrices pouvaient se déplacer dans
le temps, mais, pendant un laps de temps donné, le nuage ne sort que de régions
limitées de la surface.
Ces observations nous étonnèrent : nous savions que la vapeur devait conte-
nir des vésicules de taille importante pour être visible, et nous avions également
l'impression d'avoir compris quelque chose au sujet de la structure de celles-ci
(Chapitre 14), mais ces images suggéraient quelque chose de plus. Ces vésicules
paraissaient s'assembler d'elles-mêmes pour former de longs tubes déjà structurés
en sortant de l'eau ; plusieurs tubes pouvaient de toute évidence rester groupés
en s'élevant dans les airs, même si les nombreuses vésicules les composant se
dispersaient sûrement lorsque le nuage visible se dissipait au-dessus du liquide.
Les formes tubulaires que prend la vapeur n'apparaissaient pas par magie.
Ces formes émergeant directement de l'eau, il était naturel de se demander si l'eau
ne renfermait pas des structures correspondantes engendrant ensuite ces formes
tubulaires observées. Une puissante curiosité nous motiva: se pouvait-il que l'eau
contienne ce genre de structures?
258
montrent quelque chose de bien différent. Par
exemple, des images infrarouges prises au-des-
sus d'une eau chaude révèlent des structures
mosaïques de type annulaires évoquant celles
dans la vapeur ; la Figure 15.3 nous en livre un
exemple. Par la suite (Fig. 15.11), je vous présen-
terai la preuve que ces anneaux sont les sommets
de structures tubulaires se projetant dans l'eau. Fig. 15.3Image infrarouge prise
Les séparations sombres sur cette photo d'eau du dessus d'une surface d'eau
correspondent aux séparations lumineuses sur la chaude. Échelle des températures
photo de vapeur (comparez les Fig. 15.2 et Fig. 15.3). équivalentes à droite.
Dans les deux cas, les séparations contiennent de
l'eau. Si plusieurs des anneaux sombres visibles dans
l'eau pouvaient d'une quelconque manière se retrouver dans l'air situé au-dessus,
ils formeraient des structures de vapeur comme celles observées. Bien entendu,
l'eau dans le récipient existe sous forme liquide, tandis que le nuage au-dessus
est de la vapeur - un problème à résoudre. Il n'en demeure pas moins que la
correspondance entre les structures liquides et les structures de la vapeur sont
trop évidentes pour ne pas en tenir compte.
Il y a également quelques anneaux relativement petits (par exemple en haut
à droite de la Fig. 15.3) ; si de tels anneaux minuscules venaient à s'échapper du
liquide, ils formeraient les filets rappelant des spaghettis vus dans la vapeur (Fig.
15.1).
Ainsi, on retrouve dans l'eau les caractéristiques structurelles découvertes
dans la vapeur; cette correspondance est vraie dans une large plage de tempéra-
ture. À des températures élevées, les structures dans le liquide sont plus petites,
dynamiques et abondantes (Fig. 15.4), ce qui semble logique: les forts taux d'éva-
poration accompagnant les températures élevées
impliquent davantage de vésicules s'évaporant de
Fig. 15.4 Photos prises à partir
l'eau, et donc un nombre plus important de vésicules
d'une caméra infrarouge mon-
plus dynamiques à l'intérieur de l'eau. Nous voyons
trant les structures apparaissant
donc que les structures de vapeur et d'eau sont liées.
à la surface de l'eau à différentes
températures.
259
L'origine des structures en mosaïque de l'eau
Qu'est-ce qui pourrait bien créer ces structures en mosaïque dans l'eau?
Nous observâmes ces structures à l'aide d'une caméra infrarouge. Les zones
les plus sombres sur les photos représentant les régions en émettant le moins,
nous constatons que les séparations émettent moins d'énergie infrarouge que
les régions qu'elles renferment. Certains diraient que ces séparations sont « plus
froides».
En effet, l'interprétation conventionnelle des images infrarouges est fondée
sur la température. Cette interprétation est devenue tellement standard que les
fabricants de caméras infrarouges fournissent une échelle des températures
comme celle à droite de la Figure 15.3. D'après cette échelle, la température des
séparations de l'image devrait plafonner aux environs de 62°C, tandis que les
zones intérieures plus claires devraient avoir une température plus proche de 64
ou 65°C. L.'.échelle de référence permet de faire une interprétation commode ...
mais qui peut être erronée, comme je vous le montrerai dans un instant.
Des structures comme celles des Figures 15.3 et 15.4, appellées des cellules
de Rayleigh-Bénard, sont bien connues des spécialistes. Des scientifiques ont étu-
dié ce type de cellules dans de nombreux liquides, et, dans une moindre mesure,
dans l'eau. 2
On pense généralement que ces cellules reflètent des gradients élevés de
température pour la raison suivante : l'eau chauffée au fond du récipient devrait
être moins dense que l'eau au-dessus ; de ce fait, l'eau du fond devrait s'élever,
atteindre la surface et s'évaporer, refroidissant au passage les molécules d'eau à
proximité (l'évaporation est un processus de refroidissement). L.'.eau refroidie, plus
dense, retomberait rapidement au fond. La descente, se produisant à la périphérie
de chaque cellule de Rayleigh-Bénard, créerait les anneaux plus froids (sombres).
Ainsi, l'interprétation conventionnelle fournit un cadre de compréhension raison-
nable ; et en effet, on peut observer ces flux ascendants et descendants.
Toutefois, d'autres interprétations sont possibles, notamment quand on est
conscient des ambiguïtés liées à la notion de température (Chapitre 10). Une
alternative possible concerne l'ordre. Un matériau de séparation plus ordonné
rayonnerait moins que la région qu'il encercle : les charges se déplaçant moins
dans la zone ordonnée, cette restriction de leur mouvement produirait moins de
rayonnements infrarouges.
Pour consolider cette alternative, souvenez-vous de l'image infrarouge de la
Figure 3.14 : la ZE était plus sombre que l'eau adjacente car sa structure ordon-
née émettait moins d'énergie infrarouge. La même chose pourrait s'appliquer ici.
La séparation en mosaïque, plus sombre, pourrait se composer d'un matériau de
260
type ZE qui émettrait moins d'énergie infrarouge en
raison de sa stabilité cristalline liquide.
Pour déterminer laquelle de ces possibilités était
la plus prometteuse, nous optâmes pour une stratégie
simple : vérifier s'il était possible de voir la structure
en mosaïque à la lumière visible ordinaire. Les camé-
ras du spectre visible créent des images basées sur
des caractéristiques optiques et non thermiques. (En
fait, la température affecte légèrement les propriétés
optiques de l'eau, mais ces effets sont négligeables
sur l'écart de quelques degrés qui nous intéresse).
Quoi qu'il en soit, le fait de pouvoir voir la structure
en mosaïque à l'œil nu ou de la capturer avec une
caméra ordinaire ébranlerait les explications qui se
basent sur la température au profit d'explications
impliquant des matériaux de type ZE.
Les photos de la Figure 15.5 confirment que
ces structures sont parfaitement discernables à la Fig. 15.5 Structures en
lumière visible. Si ces structures peuvent paraître
mosaïque dans une casserole
moins distinctes que celles que l'on observe avec une
d'eau chaude (haut) et dans une
caméra infrarouge, il est toutefois possible de les voir
tasse d'eau chaude (bas). Ces
à l'œil nu ou de les photographier avec un appareil photos ont été prises avec des
ordinaire.
appareils ordinaires.
263
où les mosaïques étaient les plus nombreuses. L'op-
tion des vésicules semblait donc prometteuse.
En fait, on pouvait bien distinguer des vésicules
individuelles dans la mosaïque. La Figure 15.9a
montre les premières étapes de la formation d'une
mosaïque dans de l'eau chaude ; on peut y voir des
vésicules individuelles. D'autres sont également
visibles à la Figure 15.9b, de l'eau chaude prove-
nant d'un robinet ordinaire. Dans les deux cas, les
séparations annulaires des mosaïques semblent se
construire à partir de vésicules adjacentes.
Ce sont également des vésicules contiguës qui
forment les séparations dans la vapeur, comme vu
précédemment. Communément appelées gouttes en
suspension, ces vésicules dispersent la lumière et
confèrent à la vapeur sa visibilité. La Figure 15.10
confirme que la vapeur est constituée de vésicules :
un éclairage adéquat permet de voir que ce sont des
vésicules individuelles qui y forment les séparations.
265
que le miso montait vers la surface au centre de la cellule mosaïque et redes-
cendait vers le fond à proximité des séparations. On présuma que les vésicules
suivent un trajet similaire dans l'eau pure. Les vésicules, nucléées au fond ou
près du fond d'un récipient d'eau chaude (Chapitre 14), seraient prises dans le
flux ascendant. Celles-ci pourraient même gouverner le flux si une intense énergie
infrarouge évaporait le liquide à l'intérieur, réduisant leur densité ; ces vésicules
semblables à des bulles s'élèveraient logiquement. En fait, les vésicules en phase
ascendante généraient des monticules visibles au centre de la surface de chaque
cellule, observables en particulier dans la soupe miso chaude, comme un paysage
de petites collines saillantes.
Une fois la surface atteinte, les vésicules doivent bien aller quelque part.
S'évaporer dans l'air est une possibilité; mais les structures de la vapeur rendent
cette option improbable, l'évaporation se produisant uniquement depuis les
séparations et non depuis l'intérieur des cellules. La cause pourrait être un refroi-
dissement dû à la proximité d'un air plus frais ; revenues à leur état de vésicules
remplies de liquide, elles seraient incapables de s'envoler.
Une autre option pour ces vésicules est alors de retourner vers le fond. Atti-
rées vers les séparations par le mécanisme« même aime même», les vésicules se
déplaceront d'abord de côté. Atteignant les séparations, elles retomberont vers
le bas, peut-être poussées par toutes les vésicules alignées derrière elles. Ce flux
descendant se produit à côté des parois de séparation, exactement comme les
particules dans la soupe miso. Des photos mettent en évidence ces flux descen-
dants de vésicules que l'on voit attirées par les séparations où elles se concentrent.
Les vésicules descendantes jouent également un rôle essentiel: elles appro-
visionnent la mosaïque. La mosaïque existante perdant continuellement de la
matière vaporisée, il est nécessaire de la remplacer, rôle assuré par les vésicules
descendantes: attirées par le mécanisme« même aime même», elles se lient aux
parois de vésicules existantes. Grâce à cela, la mosaïque peut perdurer, et l'éva-
poration se poursuivre toujours aussi intensément. La structure de la mosaïque a
besoin de ces flux pour maintenir son existence.
Les flux verticaux ont aussi du sens d'un point de vue énergétique. L'eau
chauffe parce qu'elle absorbe de l'énergie rayonnante. L'énergie absorbée rompt
l'équilibre entre l'eau et son environnement. Pour le retrouver, elle doit perdre de
l'énergie, et pour cela soit la réémettre, soit accomplir un travail. Les flux font les
deux. Les molécules d'eau effectuent un travail en luttant contre le frottement
moléculaire pour s'écouler; cette action requiert une dépense d'énergie, exprimée
sous forme d'un travail. Un écoulement peut aussi diffuser de l'énergie lorsque les
vésicules chargées se déplacent rapidement à travers l'eau. Ces caractéristiques
feraient des flux verticaux un moyen pour l'eau de libérer un trop-plein d'énergie,
nous montrant ici un autre exemple du rôle de convertisseur d'énergie de l'eau
(voir Chapitre 7).
266
Deux points importants émergent de cette discussion. Premièrement, la
mosaïque de l'eau est une entité à trois dimensions, tout comme la mosaïque de
la vapeur; toutes les deux prennent la forme de tubes verticaux. Deuxièmement,
les tubules de la mosaïque de l'eau sont renouvelables : lorsque des complexes
tubulaires s'élèvent pour créer de la vapeur, de nouvelles vésicules descendent le
long des parois de la mosaïque pour réapprovisionner ces complexes; ce réappro-
visionnement permet à l'évaporation de se poursuivre.
L'évaporation
Mais alors, qu'est-ce qui déclenche chaque bouffée de vapeur?
Cette question amène à la question plus générale : quelle énergie gouverne
l'évaporation ? L'eau s'évaporant plus rapidement quand elle reçoit une plus
grande quantité de chaleur ou de lumière solaire, l'énergie rayonnante est un
bon candidat. Le chapitre précédent nous permet d'établir un scénario cohérent:
l'énergie rayonnante forme des ZE autour des vésicules ; les ZE augmentent le
nombre de protons à l'intérieur, élevant la pression interne; celle-ci agrandit les
vésicules et vaporise le liquide à l'intérieur; alors, les vésicules remplies de vapeur
s'évaporent. Ici, c'est l'énergie rayonnante qui produit l'évaporation.
Mais pour quelles raisons ces vésicules s'élèvent-elles dans les airs ? Les
vésicules pleines de vapeur sont assurément moins denses que les vésicules
remplies de liquide ; peut-être cette densité moindre les fait-elles s'élever ? La
diminution de la densité intérieure n'explique toutefois pas tout, les vésicules
possédant une membrane se composant d'un matériau dense de type ZE, bien
plus dense que l'eau liquide. En fonction du rapport de masse entre la membrane
et l'intérieur de la vésicule, celle-ci pourrait
facilement rester globalement plus dense que
l'air. Quelque chose de plus sûr qu'une densité ? R1s E DE R1SQU ES
réduite semble nécessaire pour les propulser
vers le haut.
Cet agent propulseur pourrait être la
charge. Permettez-moi une petite digression
explicative.
Imaginez des vésicules évaporées s'élevant
dans la haute atmosphère. Celles-ci, souvent
appelées « gouttelettes en suspension »,
peuvent se condenser pour finalement former
des nuages. L'eau dans ces nuages peut être très lourde ; un collègue spécialiste
des sciences atmosphériques estime le poids des nuages non en kilogrammes
mais en termes plus faciles à se représenter : en éléphants. Ainsi, pour un gros
267
Fig. 15.13 Les vésicules chargées
négativement sont repoussées de
la surface de la Terre.
-- -
î ERRE
cumulonimbus, le total des gouttelettes en suspension peut s'élever à quinze mil-
lions d'éléphants. Cela fait quand même beaucoup d'éléphants suspendus dans
les airs (et une très bonne raison de posséder un solide parapluie).
Ces quantités d'eau éléphantesques finissent par retomber sur Terre ; en
effet, il arrive qu'il pleuve. Les vésicules composant les nuages ont manifestement
deux options : tomber, ou ne pas tomber. Une chute doit impliquer une diminu-
tion de la force ascendante qui permettait à l'eau de rester en suspension haut
dans le ciel. Et si cette force ascendante était la même que celle propulsant la
vésicule verticalement, hors de l'eau ?
Cette force d'élévation pourrait être électrostatique, c'est-à-dire basée sur
les charges. Vous vous souvenez que les vésicules possèdent une charge nette
négative (Chapitre 14). Les charges négatives seules ne pourraient expliquer cette
ascension, mais la Terre possède elle aussi une charge négative (voir Chapitre 9).
La charge négative de la Terre pourrait repousser les vésicules, et les propulser
vers le haut. Cette force d'élévation pourrait contribuer à faire monter la vapeur
(Fig. 15.13).
Il est facile d'observer un exemple de cette force
ascensionnelle d'origine électrostatique dans les
chutes d'eau. leau qui tombe génère une brume de
gouttelettes s'élevant et formant des nuages. Ceux-
ci peuvent s'élever au-dessus du sommet des chutes
(Fig. 15.14). Comme il est mécaniquement impos-
sible que les gouttelettes rebondissent plus haut
que la hauteur de laquelle elles sont tombées, une
autre force est forcément à l'œuvre : probablement,
la charge électrostatique. La force ascensionnelle
Fig. 15.14 Chutes du Niagara.w2
Notez la présence permanente
d'un nuage de gouttelettes d'eau
en élévation.
provenant de la charge négative de la goutte pourrait être la même que celle
maintenant en l'air les nuages éléphantesques, et peut-être aussi que celle faisant
s'élever les structures tubulaires; ces dernières ont simplement besoin d'acquérir
suffisamment de charge négative pour faciliter leur ascension.
Avec ce mécanisme basé sur la charge, nous pouvons comprendre pourquoi
la vapeur s'élève en bouffées séparées. Les tubes en mosaïque possèdent une
charge nette négative, les vésicules qui les constituent étant elles-mêmes ainsi
chargées. Les protons entre les vésicules atténuent cette négativité ; cependant,
ces attracteurs du type « même aime même » s'apparentent un peu à des points
de soudure et n'apportent que peu de charges positives. Ainsi, la charge nette
des tubes reste négative. De plus en plus de vésicules s'adsorbant, la négativité
augmente et la répulsion interne devient plus forte. La force répulsive interne
dépasse alors un seuil critique et le tubule se déchire littéralement en deux à son
point le plus faible; la partie supérieure peut alors s'élever et s'éloigner de la Terre
négative, poussée par les vésicules chargées négativement restées en dessous.
Ce processus reposant sur la charge génère une bouffée solitaire. Le proces-
sus est catastrophique, c'est-à-dire qu'il se produit parce qu'une instabilité de la
charge déclenche la séparation d'une partie de la structure de la mosaïque. Il se
répétera ensuite et produira la succession de bouffées de vapeur bien connue,
comme par exemple dans votre tasse de café chaud.
269
Charge de vésicule et générateur électrostatique de Kelvin
Ceci m'amène à une autre remarque : ces vésicules dispersées sont prêtes
à former des nuages, ayant seulement besoin de s'assembler (comme dans l'eau
chaude). Ce processus n'a rien de compliqué et ne nécessite rien d'autre que de
quelques charges positives, mais pour des raisons de concision, je reviendrai plus
tard en détail sur ce processus.
Nous avons vu que les vésicules permettent de pérenniser le cycle. Elles
se forment initialement dans l'eau, puis s'élèvent sous forme de vapeur, se dis-
persent, forment des nuages, et finissent par fusionner les unes avec les autres
pour créer des gouttes de pluie qui retombent sur la Terre pour compléter le cycle.
Ainsi, la dynamique des vésicules pourrait être une caractéristique fondamentale
du cycle de l'eau et par conséquent essentielle à la météorologie.
270
Ainsi, chaque goutte tombant dans le récipient de gauche y apporte une charge néga-
tive et chaque goutte tombant dans le récipient de droite, une charge positive. Les charges
s'additionnant dans chaque récipient, et donc dans chaque anneau, l'effet d'induction
devient plus fort. Finalement, les récipients deviennent si fortement chargés qu'il se produit
un arc entre eux.
Mis à part le claquement impressionnant, le comportement dynamique des gouttes
constitue un phénomène intéressant. Les gouttes réagissent à la charge qui augmente et
se mettent à dévier du récipient ; il arrive même que des gouttes remontent et ratent le
récipient-cible (voir illustration ci-dessous). Cela montre clairement que les effets de charge
sont assez puissants pour défier la gravité.
Cette dernière observation renforce l'idée que l'élévation des vésicules depuis une eau
chaude pourrait être d'origine électrostatique ; des forces électriques peuvent manifeste-
ment propulser des gouttes vers
le haut.
271
--
molécules d'air elles-mêmes présentent des signes de
connexion, pouvant aisément impliquer nos vésicules
chargées. C'est cette dernière possibilité que je vou-
drais évoquer dans les paragraphes suivants, car ces
connexions constituent une surprise.
Pour confirmer l'existence de ces liaisons,
faites l'expérience suivante (Fig. 15.15) : par un jour
humide, prêtez attention à l'agréable brise qui souffle
Fig. 15.15 Une moustiquaire
à travers une fenêtre ouverte de votre domicile, puis
ordinaire réduit davantage que
encadrez-y ensuite une moustiquaire ; remarquez
prévu la puissance d'un flux d'air
alors la baisse de la force du vent. Plusieurs collègues
humide.
me rapportèrent avoir fait les mêmes observations.
Dans l'expérience réalisée chez moi, la vitesse du
vent chuta notablement, environ de moitié d'après un
indicateur rudimentaire. On pouvait s'attendre à cette diminution de vitesse, le
matériau utilisé bloquant partiellement le passage de l'air, mais ma moustiquaire
ne couvrait que 10 à 15% de la surface totale de la fenêtre, ce qui n'est pas du tout
proportionnel à la chute de vitesse. Quelque chose d'autre semblait jouer un rôle.
Laissez-moi vous exposer ce scénario d'un point de vue plus quantitatif. Les
molécules d'air se mesurent en nanomètres, tandis que les ouvertures de la mous-
tiquaire se mesurent en millimètres ; le rapport est d'un million.
Pour apprécier la différence d'échelle, représentez-vous une moustiquaire,
chacune de ses ouvertures ayant la taille d'une montagne. Imaginez à présent
y découper un gigantesque rectangle et le dresser verticalement (Fig. 15.16).
Si vous lanciez maintenant des balles de golf à travers son ouverture, vous
272
constateriez que la simple présence de cet écran serait suffisante pour ralentir
toutes les balles passant à travers ; si vous retiriez cet écran, les balles retrouve-
raient leur vitesse normale. Aussi bizarre que cela puisse paraître, c'est exactement
qui se produit lorsque des molécules d'air passent à travers une moustiquaire. Le
rapport de taille est identique.
Des turbulences et des tourbillons pourraient jouer un rôle dans ce retard
d'écoulement, mais la diminution de la vitesse est bien trop importante pour être
expliquée par un seul effet si localisé. Il semble que quelque chose d'autre se pro-
duise. Voici une possibilité non conventionnelle : supposons les molécules d'air
liées les unes aux autres, formant un vague filet; alors, toute molécule heurtant
le matériau de la moustiquaire ralentirait l'ensemble d'entre elles.
Bien sûr, en théorie, les molécules d'air ne sont pas liées : l'indépendance
des molécules est précisément la définition d'un gaz, du moins d'un gaz idéal.
Toutefois, ce que l'on observe avec la moustiquaire nécessite une explication,
et il semble intéressant d'explorer cette possibilité de molécules théoriquement
indépendantes mais peut-être finalement liées. Une entité évaporée pourrait-elle
créer ce genre de liaisons ?
273
spécialistes de l'atmosphère travaillent assidûment à développer des instruments
dont la précision passera de quatre chiffres significatifs à cinq ; s'ils y parviennent,
cela pourrait faciliter la recherche de différences en oxygène même insignifiantes.
Une explication possible pour cette constance est que le taux de renouvel-
lement de ces gaz sur Terre est insignifiant comparé à ceux composant l'atmos-
phère ; autrement dit, la vaste flore générant de l'oxygène et couvrant la Terre
pourrait bien ne pas avoir vraiment d'importance. Même si cela était possible,
cette idée n'est pas facile à concilier avec la compréhension actuelle énonçant que
l'oxygène atmosphérique provient bien de la flore.
Une autre possibilité - et je m'enfonce ici
très loin dans la spéculation - est que l'azote
pR\SE DE RISQUES et l'oxygène forment des complexes stoechio-
métriques, c'est-à-dire renfermant des rapports
fixes d'oxygène et d'azote. Nous connaissons ce
genre de complexes sous le nom de clathrates.
Ces gaz contiennent généralement un nombre
fixe de molécules de gaz piégées à l'intérieur
de cages faites d'eau. Dans le cas présent, les
complexes contiendraient des nombres fixes
de molécules de nitrogène et d'oxygène, entités
électronégatives maintenues ensemble par des
protons positifs.
Combien de molécules ?
Les clathrates en contiennent ordinairement plusieurs dizaines. Dans l'air,
le rapport azote/oxygène est proche de 4 pour 1 en volume ; si le rapport molé-
culaire était exactement de 4 pour 1, le clathrate pourrait contenir seulement
cinq molécules (Fig. 15.17). C'est une possibilité. D'autres rapports basés sur un
nombre entier produiraient des arrangements différents avec plus d'éléments,
mais l'essence resterait la même : des complexes stoechiométriques d'azote et
d'oxygène.
En outre, si les probabilités de former de tels complexes étaient élevées, alors
quasiment toutes les molécules d'azote et d'oxygène de l'air pourraient s'arranger
--- 0 0
- vesicle
: :
Fig. 15.18 Les vésicules
pourraient relier des complexes
azote-oxygène et former une
structure souple continue.
---
:
- vesicle :
. - -- .
ainsi ; le rapport azote/oxygène resterait donc fixe dans l'espace comme dans le
temps - exactement ce que l'on observe.
L'hypothèse des clathrates a l'avantage d'attribuer un rôle à la charge de
l'atmosphère, connue comme positive. Les scientifiques connaissent cette charge
positive mais ignorent tout de son origine. Elle pourrait la tirer des protons libé-
rés au cours de l'évaporation, pouvant créer des liaisons moléculaires et aider à
comprendre cette constance du rapport entre les gaz.
Mais même s'ils résolvent ce problème, les protons ne nous permettent
toujours pas de résoudre celui posé concernant les liaisons étendues entre les
molécules du gaz. Ici, d'autres entités s'évaporant pourraient entrer en jeu : les
vésicules. Des vésicules chargées négativement recherchent toujours la positivité.
La plus abondante source de charges positives est la face exposée des molécules
d'azote des bords extérieurs des clathrates (voir Fig. 15.17) . Les vésicules néga-
tives se fixant sur ces sites positifs pourraient ainsi créer de longues liaisons (Fig.
15.18).
Bien que ces liaisons supposées méritent de sérieuses explorations expéri-
mentales, elles permettraient d'expliquer ce que l'on observe avec la moustiquaire.
Ce genre de liaisons devraient être suffisamment faibles pour échapper à une
détection accidentelle, mais avoir suffisamment de force pour expliquer pourquoi
l'air chargé d'humidité est couramment décrit comme« lourd». Les nombreuses
liaisons de vésicules expliqueraient aussi pourquoi les moustiquaires ralentissent
davantage les flux d'air lorsque le taux d'humidité est élevé.
275
apparemment sans lien. Le premier est la remarquable capacité de l'atmosphère à
transmettre les ondes radio.
Enfant, je me demandais comment les ondes radio générées en Australie
pouvaient atteindre Brooklyn ; j'arrivais à capter ces signaux lointains avec ma
radio, comme mon voisin avec la sienne. D'une manière ou d'une autre, de l'éner-
gie émise depuis l'autre côté de la Terre emplissait l'atmosphère locale. Même si
ces ondes rebondissaient de nombreuses fois entre l'ionosphère et la Terre, je ne
pouvais toujours pas comprendre comment elles pouvaient rester suffisamment
puissantes, ayant parcouru de telles distances.
Ma radio primitive à galène se révélait presque aussi impressionnante ; elle
aussi pouvait capter des signaux radio émis à grande distance. Pourtant, elle
n'avait pas de batterie. Ces signaux voyageant sur de longues distances devaient
donc renfermer une énergie nécessaire assez puissante pour faire fonctionner
mes écouteurs. Incroyable! À ma connaissance, il reste à trouver une explication
satisfaisante à ce fait étonnant.
Déterminer si les liaisons entre molécules
d'air évoquées pourraient résoudre les pro-
pR\SE DE RISQUES blèmes liés à la transmission reste du domaine
de la spéculation, plus encore que l'existence
même de ces liaisons. Toutefois, ce genre de
liaisons fournirait une continuité électrique. Un
signal envoyé d'Australie pourrait voyager le
long de ces « câbles » atmosphériques comme
il le ferait le long de câbles en cuivre. Les
signaux pourraient ainsi voyager virtuellement
partout. On pourrait s'attendre à des pertes,
mais l'énergie rayonnante incidente alimentant
continuellement les vésicules, ils pourraient servir de nœuds de ré-amplification
des signaux et les renforcer en tout point, comme les transistors le font. Dans
ce cas, le signal serait élevé et pourrait même faire fonctionner des récepteurs
passifs.
Toujours dans la même veine spéculative, je me permets d'aller encore un
peu plus loin pour suggérer que ces liaisons pourraient résoudre une autre
énigme atmosphérique sans rapport : la raison du déplacement synchronisé de
l'atmosphère avec la Terre. Songez-y : la Terre tourne sans fin autour de son axe,
à 1.500 km/h par rapport à l'univers, soit deux fois la vitesse d'un jet. De toute
évidence, l'air autour de vous se déplace à la même vitesse, faute de quoi vous
seriez confronté en permanence à un vent terrible (Fig. 15.19).
276
1500 km/h
Okm/h
1500 km/h
Pour comprendre pourquoi l'air se déplace en même temps que la Terre, vous
devrez admettre ... que c'est comme ça. Lorsque la Terre s'est formée, l'air se serait
mis à tourner avec elle, et, sur cet élan, la vitesse de l'air n'aurait jamais diminué,
pas plus que celle de la Terre. Cependant, cette explication n'est pas suffisante :
en effet, la vélocité de l'air change parfois en l'espace d'une minute ; par consé-
quent, d'autres facteurs doivent l'emporter sur une supposée continuité inertielle.
Il existe une autre explication à cette rotation synchronisée : le couplage
mécanique, où les composantes atmosphériques resteraient faiblement liées, et
l'entité atmosphérique ainsi connectée serait couplée à la Terre par frottement.
Dans ce cas, les régions vallonnées, les grands bâtiments et les hautes montagnes
entraîneraient dans leur déplacement l'air proche de la surface. Si les molécules
d'air les plus hautes n'étaient pas liées aux molécules plus bas, elles feraient par-
tie du cosmos. Pour un observateur se trouvant sur Terre, ces molécules atmos-
phériques défileraient à une vitesse supersonique dans la direction opposée à la
rotation de la Terre. Mais cela n'arrive jamais.
Il en ressort que l'air et la Terre doivent être mécaniquement couplés, même
à haute altitude ; ces deux entités doivent tourner comme une seule unité. Il
paraît difficile d'expliquer un couplage sans que les molécules d'air soient, ne
277
serait-ce que lâchement, liées les unes aux autres. Ainsi, les molécules basses
se déplaçant avec la Terre entraînent celles situées plus haut. Ce couplage est
bienvenu ; sans lui, nous aurions droit à des visions infernales de super-ouragans
éternellement déchaînés. Imaginez un vol Chicago-New York luttant contre ces
vents incessants !
Le couplage des molécules d'air pourrait aussi nous aider à comprendre pour-
quoi son niveau de friction est si élevé : songez aux météorites se consumant en
passant dans l'atmosphère, aux avions consommant autant de carburant, et aux
objets tombant d'un grand building et plafonnant à une vitesse maximale. Tout
ces phénomènes proviennent du frottement de l'air, résultant lui-même d'une
connexité.
Naturellement, le couplage air-Terre concerne plus que des liaisons et du
frottement. J'hésite à digresser encore dans ce chapitre consacré à l'évaporation,
mais il m'est tout simplement impossible de ne pas mentionner un fait évident: la
Terre est négative; l'atmosphère, positive. Elles s'attirent. Il reste à définir si cette
force d'attraction est assez forte pour coupler l'air à la Terre : il pourrait s'agir
d'un facteur déterminant, et ce pourrait même être l'explication de la soi-disant
pression de l'air.
Je me suis permis ces derniers paragraphes éminemment spéculatifs avant
tout pour soulever des questions plutôt qu'y apporter des réponses. Le prin-
cipal message de ce chapitre est la description des événements si peu connus
et si surprenants séquençant le processus d'évaporation. J'espère que nous les
comprenons à présent mieux, et notamment ces grappes de vésicules s'élevant
régulièrement de l'eau sous l'apparence de bouffées de vapeur.
En résumé
278
tubulaires pouvant alors s'élever sous forme de vapeur. Un apport d'énergie plus
important se traduira par une formation plus rapide de vésicules et une élévation
également plus rapide des mosaïques ; autrement dit, un apport d'énergie plus
important accélère l'évaporation.
Avec un apport encore plus élevé d'infrarouges, la production de vésicules
peut devenir si rapide que les vésicules ont alors moins de chances d'intégrer une
mosaïque; la plupart vont alors simplement fusionner, se convertir en bulles, et
s'élever à la surface pour produire le phénomène nommé ébullition. L'ébullition
est une évaporation extrême, suffisamment chaotique pour que la régularité de la
mosaïque disparaisse quasiment.
À l'autre bout du spectre calorifique se trouve l'eau non chauffée. Dans ce
cas, il est permis de penser que le processus d'évaporation se déroule comme
décrit ici, mais à cadence réduite. En outre, être à température ambiante implique
une forme de stabilité, s'accompagnant de plusieurs caractéristiques inattendues
que nous explorerons dans le prochain chapitre.
279
1/
16 Trampolines aquatiques
les couches de surface
F aire des ricochets à la surface de l'eau est un jeu que nous avons tous pratiqué.
Lorsque j'étais jeune, une subtile compétition avait lieu entre lanceurs, un véri-
table test de virilité déterminant pour vos succès féminins : lancer son caillou le
plus loin offrait la certitude d'être considéré comme le mâle dominant.
Mais pourquoi ces pierres rebondissent-elles ? Certes, des pierres peuvent
rebondir sur des trampolines, mais la surface de l'eau est bien différente de ces
surfaces élastiques : l'eau est un liquide visqueux, les pierres ne devraient pas
y ricocher facilement. Toutefois, nous observons dans l'eau entrant au contact
de l'air des caractéristiques particulières : des mosaïques de ZE en couvrent la
surface, se projetant considérablement dans l'eau (voir Fig. 15.11). La surface
de l'eau diffère donc du reste de l'eau en dessous. Se pose alors la question des
caractéristiques de sa surface : seraient-elles à même d'expliquer le phénomène
des ricochets ?
Ce chapitre examinera de près la surface de l'eau, révélant quelques caracté-
ristiques mécaniques surprenantes nous aidant à mieux comprendre des phéno-
mènes comme la marche sur l'eau, ou pourquoi les bateaux flottent - ce dernier
point nous emmenant un peu plus profondément qu'Archimède.
281
Les scientifiques attribuent généralement cette
forte tension de surface de l'eau à un plus grand
nombre de liaisons hydrogène qu'ordinaire: les molé-
cules d'eau à la surface n'ayant pas de partenaires
auxquels se lier au-dessus d'elles, les liaisons non
abouties iraient s'effectuer vers les molécules voi-
sines. Ce sont ces liaisons latérales supplémentaires
qui augmenteraient la dureté de l'eau ; en résulterait
sa forte tension de surface.
Dans ce modèle, la couche de surface contenant
ces liaisons supplémentaires devrait mesurer moins
Fig. 16.11//ustration de la forte
d'un nanomètre d'épaisseur. Pour visualiser « un
tension de surface de l'eau.
nanomètre » en termes familiers, représentez-vous
une tranche de salami d'un millimètre d'épaisseur ;
découpez-la en tranches un millier de fois plus fines. Prenez l'une de ces tranches
et découpez-la de nouveau en un millier de tranches plus fines (bon courage).
Voilà un nanomètre ! Cette bien frêle pellicule du dixième de l'épaisseur d'une
membrane cellulaire ferait donc la différence entre un os brisé ou non.
Il semble qu'il faille plus que quelques liaisons supplémentaires dans une fine
pellicule pour expliquer les propriétés inhabituelles de la surface de l'eau.
282
Zones de type ZE à l'interface air-eau
Et en effet, quelque chose de plus significatif est bien présent à la surface :
une mosaïque (Chapitre 15). Cette structure s'enfonce dans l'eau depuis la surface
en créant une couche évoquant un filet. Cette couche en filet ne peut qu'affecter
les caractéristiques mécaniques de la surface.
Nous tombâmes par un heureux hasard sur cette caractéristique différente
de la surface, avant d'imaginer utiliser une caméra infrarouge pour explorer ses
propriétés. Tout commença par l'observation de la formation d'une zone sans
microbilles longeant la surface de l'eau, dans des récipients remplis d'eau et de
microbilles.
Nous les avions observées dans des béchers. Pour commencer, la suspension
aqueuse à l'intérieur de ceux-ci avait une apparence uniformément laiteuse ; tou-
tefois, bientôt, une zone dénuée de microbilles se développait juste en-dessous
de la surface, restant visible longtemps. Mais ce qui impressionnait le plus nos
visiteurs n'était pas cette zone plate ; c'était le cylindre sans microbilles qui en
émergeait bien plus tard, s'étendant verticalement vers le centre du bécher (voir
Fig. 9.12). Cet immanquable cylindre vertical était issu de la zone discoïde sans
microbilles apparue plus discrètement à la surface. 1
Nous eûmes l'occasion d'observer à nouveau une zone sans microbilles près
de la surface dans un contenant fabriqué en plaçant deux lames de verre paral-
lèlement, proches et scellées sur trois côtés pour que l'ensemble puisse contenir
de l'eau chaude. Notre création ressemblait à un aquarium étroit (Fig. 16.2).
Nous pûmes y voir des zones stables dépourvues de microbilles sous certaines
conditions expérimentales. Les microbilles en suspension étaient tout d'abord
uniformément réparties; après quelques minutes, une zone dépourvue de micro-
billes se développait au sommet. Cette zone claire persistait environ une journée,
après quoi toutes les microbilles finissaient par retomber au fond du récipient.
Ainsi, nous avions observé des zones sans micro-
billes au niveau de la surface dans des récipients Fig. 16.2 Zone transparente
cylindriques ou rectangulaires, bien avant de com- au niveau de la surface d'une
prendre qu'elles pouvaient être liées aux structures suspension de microbilles. Le
en mosaïque. Leur ressemblance avec les ZE nous récipient est constitué de deux
frappa immédiatement : elles excluaient les micro- James en verre disposées paral-
billes, et nous découvrîmes plus tard que les sommets lèlement et scellées à gauche, à
droite et au fond.
1
menisque rn1
dt et microbilles
-Smm
de ces zones possédaient également leur potentiel négatif caractéristique. Si la
zone claire située sous la surface s'avérait être composée du matériau des ZE, la
rigidité intrinsèque de la zone pouvait alors être suffisante pour supporter des
aiguilles en métal et des pièces hongroises.
Pour confirmer la rigidité élevée de la zone (Fig.
16.3), nous fîmes lentement descendre verticalement
un agitateur en verre vers surface de l'eau. À un
moment donné, avant même le contact, la surface
se souleva (peut-être en raison de la charge induite)
pour aller à sa rencontre. Au cours de cette pertur-
bation mécanique, l'épaisseur de la zone claire située
juste en dessous de l'agitateur changea à peine ;
l'épaisseur n'évolua pas non plus en déplaçant
ensuite l'agitateur d'un côté à l'autre. La zone claire
se comportait comme une digue en caoutchouc sous
la surface de l'eau . Avec son épaisseur de plusieurs
millions de couches moléculaires, cette bande devait
avoir peu de mal à supporter des objets assez lourds.
Cette bande de surface semblait correspondre à
la structure du chapitre précédent : vue de côté, une
zone claire ; du dessus, une structure en mosaïque.
Aucune de ces vues ne nous livre seule toutes les
informations ; mais ensemble, elles révèlent de façon
plus compréhensible ce qui se trouve immédiatement
sous la surface de l'eau (Fig. 16.4).
Les observations du chapitre précédent avaient
été réalisées en étudiant surtout de l'eau chaude ;
ici, nous avions observé ces zones claires à tempé-
rature ambiante. Si ces deux séries d'observations se
rapportaient à une même structure, nous pouvions
présumer que les caractéristiques de la surface à
température ambiante étaient similaires, au moins
qualitativement, à celles à température élevée : des
ZE en mosaïque couvrant la surface et s'étendant
profondément dans l'eau .
Les ZE en mosaïque se composent principale-
Fig. 16.3 Descente d'un ment de vésicules agglomérées, mais peuvent aussi
agitateur en verre vers une renfermer le matériau habituel des ZE. Celui-ci peut
surface d'eau. L'épaisseur de la provenir de deux sources. D'abord, la limite extérieure
ZE est à peine altérée par cette
perturbation mécanique au par
les mouvements latéraux de
l'agitateur.
de la mosaïque est adjacente à la paroi du récipient, qui pourrait nucléer une
structure standard de ZE, pouvant à son tour participer à la formation de ce
type de mosaïque. Par ailleurs, certaines vésicules pourraient se transformer
elles-mêmes en matériau standard de ZE par le mécanisme de type « fermeture
Éclair» (Chapitre 14) ; la mosaïque en résultant se combinerait alors sans heurt
avec des ZE standard et des ZE de vésicules, dont les proportions dépendraient
des conditions ambiantes.
Les conditions ambiantes peuvent également déterminer la fraction de la
surface recouverte par la ZE en mosaïque. La Figure 16.4 montre une structure
plutôt ouverte avec une couverture plutôt modeste. En théorie, les ouvertures
de la mosaïque pourraient largement être remplies. Le taux de couverture de la
surface dépend du nombre de vésicules qui résultera d'un équilibre entre leur
production, leur absorption sur une matrice déjà existante, et leur perte par
évaporation. À température ambiante, le taux d'évaporation limité pourrait faire
pencher la balance vers le remplissage de la surface par des vésicules contenant
des ZE.
ZE
récipient / eau en vrac Fig. 16.4 Vue du dessus de
, ..1,,,/'
f /
/ la structure en mosaïque de
la surface. Vue de côté, cette
structure peut apparaître sous
forme d'une zone claire vers
la surface, notamment si les
ouvertures d'eau en vrac sont
relativement étroites .
.\ '
285
s'écarter; elle doit donc lutter contre les forces inertielles la maintenant en place.
La couche en filet retient ces molécules d'eau et les empêche d'accélérer. Pour les
plongeurs, la mosaïque en surface présente donc un double obstacle : elle durcit
la surface, et empêche l'eau de facilement s'écarter de leur chemin. Heureuse-
ment, cet obstacle peut facilement être réduit à néant en relâchant des bulles en
continu depuis sous la surface, procédé courant pour les plongeons en intérieur.
286
10
7 12 9
6 11 8
50 100 150
profondeur de l'eau (m)
287
Bien qu'elles puissent atteindre des profondeurs impressionnantes, ces zones
de type ZE sont probablement discontinues en plus d'avoir les petites fenêtres de
la Figure 16.4. La mer est perpétuellement agitée par des marées et des vents ; il
est donc probable que les structures des ZE subissent de multiples fractures. En
outre, la zone supérieure est peuplée et traversée de toutes sortes de créatures.
La zone supérieure pourrait donc n'être qu'un patchwork structurel plutôt qu'un
réseau continu. Il n'en demeure pas moins que cette structure épaisse, en forme
de filet, devrait inévitablement durcir la surface de l'eau.
Tsunamis
Une couche épaisse de ZE tapissant la surface de l'océan permettrait d'ex-
pliquer simplement plusieurs phénomènes, en particulier ceux impliquant des
vagues.
Les vagues parcourent les océans. Le cadre d'interprétation actuel est
construit sur la supposition que les océans sont constitués uniquement d'une
masse d'eau ; de ce fait, les notions de masse et de viscosité y sont primordiales.
Les explications proposées reposent sur des phénomènes obscurs - dérive de
Stokes, dispersions de fréquences, équation de Boussinesq, etc. - demandant
des approches différentes pour des profondeurs différentes ; les modèles de
vagues en résultant sont particulièrement complexes. Il est impératif de procéder
à quelques simplifications si l'on souhaite établir un cadre de compréhension plus
intuitif.
Dans un milieu élastique, les ondes sont naturelles : pensez à ce qui se passe
lorsque l'on pince une corde de guitare. Les ondes n'y meurent pas rapidement,
comme immanquablement dans un cadre régi par la viscosité. Si l'on se repré-
sente la surface de l'eau comme une vaste couche élastique, le phénomène de
propagation des vagues devient facile à expliquer, même intuitivement.
Ce modèle de couche élastique semble cadrer avec les observations : le filet
en mosaïque est une réalité; modérément tendu puis relâché, il devrait chercher
à retrouver rapidement la configuration sans tension ; c'est en effet ainsi que
devrait se comporter un filet en mosaïque.
Dans cette lignée, il est utile de prendre en considération un exemple
extrême : les vagues de tsunami. Ces immenses vagues dévastatrices font plu-
sieurs fois le tour de la Terre avant de finalement se dissiper. Imaginer une pro-
pagation aussi soutenue dans un liquide visqueux n'est pas aisé ; le frottement
devrait rapidement faire mourir la vague. En revanche, il est facile de comprendre
le phénomène de la propagation dans le contexte d'une couche élastique où
des perturbations pourront se propager rapidement sur de longues distances.
Le modèle de la couche pourrait expliquer pourquoi les tsunamis se propagent
aussi loin.
Un modèle décrivant une couche continue peut aussi résoudre un mystère :
pourquoi la mer se retire-t-elle des terres juste avant qu'un tsunami ne dévaste
la côte ? La crête de la vague constitue une déformation vers le haut (Fig. 16.6)
ayant pour effet, dans une couche continue, de tirer les bords de celle-ci vers
l'intérieur. Dans le cas d'une vague de tsunami, cette élévation attirera les bords
290
Le blanc d'œuf présente le type de fragilité dont je parle, rempli d'eau struc-
turée3, que l'on sait maintenant être de l'eau de type ZE, qui exclut comme vous
vous y attendez maintenant. Pour voir cela par vous-même, soumettez le blanc
d'œuf à divers colorants alimentaires : sans mélange mécanique, pas de colora-
tion de l'albumine gluant, le blanc d'œuf les excluant. 4
Un matériau de type ZE comme le blanc d'œuf se comporte de manière
thixotropique en raison de la nature électrostatique de ses liaisons. Souve-
nez-vous des arrangements de vésicules : les charges opposées les maintiennent
ensemble. Ces liaisons devraient résister à de petites déformations sans se
rompre, se comportant de façon plus ou moins élastique. En revanche, si vous
tirez sur l'arrangement suffisamment fort pour casser ces liaisons, la structure
se rompra et les vésicules se répandront. Ce genre d'événements pourrait expli-
quer la fragilité du matériau de surface, et pourquoi les nageurs et les poissons
peuvent la traverser sans grande difficulté.
La thixotropie pourrait aussi expliquer pourquoi des pièces flottent lorsqu'on
les dépose doucement à la surface de l'eau mais sombrent si on ne s'y prend pas
soigneusement : une déchirure faite inconséquemment pourrait rompre la struc-
ture de la surface et permettre une pénétration plus facile ; dans ce cas, l'objet
coulera. Un positionnement scrupuleux pourra éviter cette rupture de la surface
et permettre à l'objet de continuer à flotter sur l'eau.
Le même principe s'applique aux bateaux. Les bateaux qui se déplacent
provoquent d'importantes déchirures ayant pour effet de casser la structure de
la surface et de leur permettre de progresser sans peine. La déchirure est moins
prononcée en dessous et sur les côtés du bateau où la structure de la ZE est
tendue mais reste intacte; en effet, la tension n'atteint pas ici le seuil de rupture.
Les navires qui se déplacent dans l'eau témoignent de cette rupture de la
surface. La conséquence la plus évidente du passage d'un bateau est le sillage
s'élargissant derrière lui selon un angle calculable ;
chacun pourra sentir ces vagues sur une barque à
proximité. Une conséquence plus subtile est le chan-
gement intervenant dans la structure de surface,
cette longue traînée laissée derrière le bateau (Fig.
16.7).
Je n'y avais jamais prêté attention jusqu'à ce que
mon collègue Michael Raghunath me mette le nez
dessus. Je le vois maintenant systématiquement. La
traînée semble généralement moins agitée que l'eau
en dessous, ce qui est logique si le navire a rompu la
Fig. 16.7 Ferry approchant de
structure de la ZE sous la surface ; la discontinuité
Seattle par le détroit de Puget.
Notez la longue traînée derrière
lui. Avec l'aimable autorisation de
Michael Raghunath.
engendrée diminuerait la durabilité des vagues dans l'eau. Cet aplatissement peut
perdurer longtemps après le passage du bateau - jusqu'à 15, voire 30 minutes,
avant de disparaître. On imagine que ce temps nécessaire à sa disparition est
celui dont a besoin la surface pour se restructurer et se refondre dans l'ensemble.
Ainsi, la couche de surface de l'eau peut être globalement élastique mais
aussi localement fragile ; il est possible qu'elle se rompe en un lieu donné. Cette
vulnérabilité est due à la thixotropie, un mot difficile à prononcer mais intéres-
sant si on veut comprendre ce qui se passe à la surface de l'eau.
293
filet demeure intact lorsqu'étiré, il contribuera à une
poussée ascendante.
La structure des ZE de surface peut nous aider
à comprendre non seulement comment les bateaux
flottent mais aussi comment ils pourraient sombrer.
Certaines régions sont célèbres pour leurs mysté-
rieuses disparitions en masse de bateaux. Le Triangle
Fig. 16.10 Pris mystérieusement des Bermudes est le plus connu d'entre eux (et sans
dans les griffes du Triangle des doute le plus controversé), mais d'autres secteurs
Bermudes ? (vue d'artiste) ont été signalés (Fig. 16.10). Au fil du temps, de
nombreux navires ont mystérieusement sombré dans
ces zones particulières; de simples accidents ne suf-
firaient pas à justifier ce surnombre. 5 Les archives militaires révèlent un paradoxe
concernant les plus fameuses disparitions du Triangle des Bermudes : les débris
de navires généralement récupérés après une catastrophe maritime ne le furent
jamais - rien du tout, malgré l'ampleur des recherches : les malheureux navires
ont dû intégralement sombrer tout droit au fond de l'océan.
Des décharges sous-marines pourraient offrir une explication plausible à
ces disparitions. Des cheminées sous-marines et des dépôts de méthane entrent
périodiquement en activité, relâchant des bulles susceptibles de rompre la fragile
structure de la surface. Et en effet, des pilotes à la recherche de bateaux mys-
térieusement disparus ont signalé des surfaces avec une étrange apparence. Un
capitaine de remorqueur ayant réchappé de justesse à un naufrage a parlé d'une
surface mousseuse et agitée, alors que la mer restait parfaitement plate autour.w3
Il semble que la surface y joue un rôle. De même qu'un bouillonnement permettra
aux plongeurs de pénétrer facilement dans l'eau, un phénomène naturel de bouil-
lonnement pourrait tout aussi efficacement faciliter celle des navires.
Intrigués par la vaste documentation existante sur ces disparitions, plu-
sieurs chercheurs ont essayé de déterminer expérimentalement si un bouillon-
nement pouvait faire couler un bateau. Il semblerait que ce soit bien le cas: une
vidéo amusante illustre ce phénomène dans un petit récipient,w4 tandis qu'une
vidéo plus sérieuse de la BBC montre un hors-bord couler dans des eaux peu
profondes.ws Il est donc évident qu'un bouillonnement sous-marin est capable de
faire sombrer un navire. Des confirmations d'autres sources seront bienvenues.
Action capillaire
Placez un sachet de thé humide sur une serviette en papier et observez ;
nul besoin d'attendre longtemps avant que la plus grande partie de la serviette
294
ne soit mouillée. L'.eau peut même grimper le long
de serviettes placées verticalement. On appelle ce 1
phénomène« action capillaire» .
Une autre démonstration de l'action capillaire
exige des tubes étroits que l'on connaît sous le
nom, tiens donc, de «tubes capillaires». Lorsqu'on
introduit verticalement un tube capillaire en quartz
dans un récipient d'eau, l'eau à l'intérieur du tube va
rapidement s'élever pour atteindre un niveau plus
Fig. 16.11 Exemple d'action
haut que celui de l'eau qui l'environne (Fig. 16.11) ;
capillaire.
l'eau semble défier la gravité.
Les explications classiques ne nous aident pas
beaucoup. Elles se concentrent sur le résultat final, à savoir un ménisque (région
courbe de la surface libre d'un liquide se formant à proximité d'une surface solide
selon sa nature et son orientation) plus élevé, et non sur l'élévation proprement
dite. Le ménisque est supposé adhérer aux parois du capillaire, alourdi par la
charge de la colonne d'eau en suspension sous lui qui lui confèrerait sa courbure.
Pour obtenir l'équilibre des forces, la composante ascendante de la tension du
ménisque doit être égale au poids de la colonne d'eau (Fig. 16.12).
Cette explication présume implicitement que la
colonne d'eau est en suspension sans interagir avec
les parois qui l'entourent. Sachant que les parois tension tension
hydrophiles de ces tubes interagissent fortement
avec l'eau, cette explication ne peut être totalement
correcte. Néanmoins, elle s'est avérée commode et
durable; les étudiants l'adorent.
Cependant, cette vision classique ne parvient
pas à répondre à la question la plus élémentaire :
pour quelles raisons la colonne d'eau s'élève-t-elle?
La force à l'œuvre n'est pas précisée,
bien que soit vaguement évoquée l'idée
d'une « énergie de surface » , une forme
d'interaction avec la paroi du capillaire.
297
Si tel est le cas, nous pourrions d'abord prédire que la montée capillaire
sera plus prononcée près des parois, là où ces forces tirent leur origine. Dans
des tubes présentant de grands diamètres, on devrait observer une élévation
significative de l'eau uniquement à côté de la paroi, créant un ménisque très fin ;
le reste de la surface pourrait rester plate. Dans des tubes étroits, nous devrions
voir que l'élévation se produit à travers l'ensemble du tube. Ces prévisions ont été
largement confirmées : on observe des ménisques près des parois quel que soit
le diamètre du tube, tandis que l'on ne note une élévation dans toute la colbnne
qu'avec des tubes étroits.
De même, il serait logique que les tubes les plus étroits produisent une
montée plus importante. La montée cesse lorsque la force descendante (poids)
devient assez forte pour équilibrer la force ascendante. Ces deux forces évoluent
chacune à leur manière : la force ascendante augmente avec le périmètre du
tube capillaire, tandis que la force descendante (poids) augmente avec la surface
qu'occupe le liquide dans le tube capillaire. Plus un tube sera étroit, moindres
seront le périmètre et la force d'élévation, mais la surface du liquide sera propor-
tionnellement encore plus réduite. Par conséquent, il est logique que les colonnes
les plus étroites montent plus haut en raison de leur poids bien inférieur ; des
expériences en laboratoire confirmèrent cette attente.
On peut faire une seconde prédiction en énonçant que l'eau chaude s'élèvera
plus rapidement : un échauffement de l'eau faci-
lite son évaporation, et un taux d'évaporation plus
49
élevé devrait produire une montée plus rapide.
31
Nous confirmâmes en effet que l'eau chaude
27
s'élevait deux à trois fois plus vite que l'eau à tem-
pérature ambiante.
Une troisième prédiction est liée au méca-
nisme de poussée. Ce mécanisme implique une
2s forte concentration de protons dans la zone
immédiatement sous la mosaïque de surface.
Les protons en forte concentration génèrent de
forts signaux infrarouges, comme déjà vu de nom-
23 breuses fois dans ces pages. Nous observâmes
ici la même chose : de forts signaux infrarouges
apparaissant invariablement juste en dessous du
ménisque de surface (Fig. 16.14).
21
Une quatrième prédiction est l'absence d'élé-
vation de l'eau dans des tubes hydrophobes. Les
Fig. 16.14 Image infrarouge forces en question provenant toutes des charges
d'une eau s'élevant dans un
tube capillaire carré. Notez le
point chaud juste en dessous du
ménisque. L'échelle est en °c.
positives créées par la formation de ZE, et les surfaces hydrophobes n'en produi-
sant pas, l'eau ne devrait pas du tout s'élever dans des tubes hydrophobes - et
c'est bien ce que nous constatâmes.
Un cinquième point est l'apparente universalité du mécanisme ; le méca-
nisme proposé ici est très semblable à celui évoqué pour expliquer le mouvement
de l'eau dans le phénomène de l'osmose (Fig. 11.8) et dans le cas de substances
absorbantes (Fig. 11.11) : chacun de ces déplacements d'eau y est guidé par
des protons. Il se peut que des mécanismes basés sur la charge régissent une
multitude de phénomènes d'attraction de l'eau - peut-être même tous. Cette
universalité devient un argument de poids pour le mécanisme électrostatique.
299
inoffensives) mais de prendre garde en revanche aux
petites noires à points rouges qui se cachaient dans
les recoins et les fentes : leur venin pouvait provoquer
une mort assez rapide et plutôt atroce. Inutile de dire
que je n'ai pratiquement pas fermé l'œil durant les
trois nuits chez eux.
Malgré cela, nous eûmes l'occasion de discuter de
l'action capillaire, et Martin sembla intrigué par l'idée
des zones d'exclusion. Après ma visite, il souhaita en
apprendre plus et vérifier cette théorie. Il introduisit
Fig. 16.15 Cryo-balayage au de petites particules d'encre dans les tubes du xylème
microscope électronique de avant de rapidement congeler les spécimens puis les
particules d'encre introduites examiner au microscope électronique. Les résultats
dans le xylème. Les particules furent positifs (Fig. 16.15). Je ne sais lequel d'entre
se concentrent au centre et sont nous était le plus excité entre Martin et moi, mais ses
exclues de la zone longeant les résultats confirmaient la présence de zones d'exclu-
parois. Avec l'aimable autorisa- sion dans les vaisseaux.
tion de Martin Canny.
Cette confirmation signifiait que nous étions sur
la bonne voie. Si des ZE annulaires sont bien pré-
sentes dans les tubes du xylème, celles-ci jouent alors assurément un rôle dans
la physiologie des tubes. Les ZE annulaires des tubes en Nafion génèrent des flux
intratubulaires stables (Chapitre 7) ; c'était précisément ce type de flux que nous
recherchions. En réalité, les flux dans les tubes en Nafion (ou en gel) pourraient
modéliser ce qui se passe dans les tubes vasculaires du règne végétal.
Dans le modèle du Nafion, une caractéristique centrale est la présence de
protons dans le centre du tube, qui propulsent le flux. Mais remplissaient-ils éga-
lement le liquide du xylème ? Les manuels classiques confirmèrent nos espoirs :
un pH bas pour la sève ; les méthodes modernes permirent d'affiner les valeurs :
pour de jeunes plants de maïs, par exemple, le pH du xylème se situe entre 5 et
4 selon les conditions. 7
Ainsi, les tubes du xylème ressemblent beaucoup aux tubes en Nafion. Tous
deux possèdent des ZE annulaires ; tous deux contiennent des protons en leur
centre. Nul besoin de faire un pas de géant pour suggérer que les mêmes prin-
cipes régissent ces flux. Nous pourrons continuer de parler par habitude de flux
animés par capillarité, mais il serait plus exact d'évoquer des flux propulsés par
les protons.
Ces flux dûs aux protons sont nécessaires pour remplacer l'eau perdue
par évaporation au niveau des feuilles d'une plante. Ce faisant, il se pourrait
que le sommet du vaisseau du xylème s'assèche provisoirement à l'exception
300
de quelques couches de ZE résiduelles ; les protons adhérant à ces couches
résiduelles attireraient alors vers le haut l'eau dans la colonne par le même
mécanisme qui la tire vers le haut dans les étroits tubes capillaires en quartz. Ce
mouvement ascendant permet de maintenir l'hydratation des feuilles.
Avec ce mécanisme, la hauteur ne devrait pas poser problème, les tubes
étant suffisamment étroits pour rendre la force d'attraction plus forte que la
force gravitationnelle. Les vaisseaux les plus hauts de l'arbre ont des diamètres
se mesurant en microns. Les vaisseaux plus bas sont plus larges mais leurs
lumens renferment généralement un grand nombre de brins de polymères hydro-
philes ayant pour effet de rétrécir les tubes. Des ZE se fixent à l'ensemble de
ces surfaces, et l'eau adhère aux ZE grâce aux nombreux ions hydronium qu'elle
contient. Ces assemblages « collants » supportent la plus grande partie du poids
de la colonne d'eau. Grâce à cette forte capacité du tube à supporter des charges
et à son étroitesse, l'eau ne devrait rencontrer aucune difficulté pour atteindre
des hauteurs élevées.
Faisons quelques commentaires sur l'aspect énergétique de ce processus.
Le flux ascendant a besoin d'énergie, exactement comme pour pomper de l'eau à
stocker dans un réservoir en hauteur. La source de cette énergie nous est fami-
lière : l'énergie rayonnante incidente. De même qu'elle soutient le flux aqueux à
l'intérieur de tubes hydrophiles, elle devrait faire de même pour celui au sein des
tubes du xylème.
Sachant le rôle que joue directement l'énergie rayonnante incidente dans le
phénomène du flux, il est facile de comprendre pourquoi il doit dépendre de la
saison. Le flux commence à l'approche du printemps, juste au moment où l'éner-
gie rayonnante ambiante commence à reprendre. Il augmente à mesure que l'été
arrive, ralentit en automne, pour cesser en hiver. La diminution de l'alimentation
302
de la goutte dans l'eau en dessous. Certaines de
ces éjections sont suffisamment puissantes pour
y provoquer des vagues, voire même propulser le
reste de la goutte vers le haut {Fig. 16.17).
Certaines photos de la Figure 16.17 peuvent
nous paraître familières. Des photos similaires
sont souvent reproduites dans les livres, les
magazines ou sur Internet. Ces pas de danse
caractéristiques demeurent énigmatiques - voici
un mystère à la hauteur de votre curiosité, cher
lecteur. Il est possible que l'éjection initiale libère
la plus grande partie de la pression interne de
la goutte. Une fois refermée, si cette dernière Fig. 16.17 Plusieurs des étapes
contient encore des résidus de charges posi- de la dissolution d'une goutte d'eau
tives, la séquence peut alors se répéter. Il faudra dans de l'eau. 8 Les chiffres indiquent
plusieurs éjections avant que la goutte ne soit en millisecondes le temps écoulé
vidée, devenant proverbialement la fameuse depuis le contact de la goutte avec la
goutte d'eau dans l'océan. surface.
En résumé
Des structures contenant des ZE tapissent la surface de l'eau. Situées sous
la surface, elles sont essentiellement constituées de vésicules agglomérées mais
pourraient également contenir une forme auto-arrangée en mosaïque du matériau
composant habituellement les ZE. Ces arrangements en mosaïque se projettent à
quelques millimètres ou quelques centimètres sous la surface des récipients, en
laboratoire ; mais en eaux profondes, sous un important rayonnement incident,
ils peuvent atteindre des dizaines, voire des centaines de mètres de profondeur.
Ces structures tubulaires en mosaïque créent une tension interfaciale.
En effet, les tensions interfaciales de surface d'eaux naturelles peuvent être
extrêmement importantes - de toute évidence, suffisamment pour supporter le
poids de petits lézards et peut-être aussi pour contribuer à maintenir à flot des
bateaux. L.'.agent créant toute cette tension est la ZE en mosaïque sous la surface
de l'eau. Sa présence permet d'expliquer de nombreux phénomènes observables:
les traînées de sillage persistantes, les vagues de tsunami qui durent si long-
temps, les écoulements capillaires dans les arbres, et l'énigme des gouttes qui
flottent à la surface de l'eau.
Quant à savoir si de telles structures en mosaïque pourront vous aider à
marcher sur l'eau, ceci est une autre affaire. De mon point de vue, cela paraît plus
que douteux ... bien que l'on dise que cela se serait déjà produit il y a longtemps.
303
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17 Glace et chaleur
305
Par exemple, il se pourrait que l'état de ZE précède le gel, et suive la fonte. Si tel
est le cas, nous pourrions alors nous demander si une chute de température est
réellement le facteur le plus important pour que de la glace se forme, ou si un
refroidissement ne ferait que préparer le terrain à un autre processus produisant
de la glace?
Nous commencerons avec un paradoxe concernant la formation de la glace
encore plus fondamental que celui de Mpemba.
Le paradoxe de l'énergie
Pour que de l'eau gèle, on pense généralement que de l'énergie doit être reti-
rée. Visualisez le processus : vous introduisez un bac d'eau dans votre congéla-
teur; lorsque suffisamment de chaleur aura été éliminée, l'eau se transformera en
glace. Il vous sera ensuite possible de faire l'inverse: en exposant la glace à de l'air
chaud, celle-ci fondra. Ajouter de l'énergie produit donc un liquide désordonné,
l'eau ; retirer de l'énergie produit un cristal ordonné, la glace.
Bien qu'il s'agisse là d'un phénomène familier, il soulève un point curieux.
D'après tout ce que nous savons des chapitres précédents, la création d'un ordre
cristallin requiert une énergie supplémentaire. Pour créer de l'ordre (et donc
réduire l'entropie), il faut généralement un apport d'énergie ; plus il y en aura,
plus grande sera la zone ordonnée.
C'est une question de bon sens : bâtir un château de sable à la structure éla-
borée vous demandera de l'énergie ; en revanche, le détruire peut n'en nécessiter
que très peu, un seul petit coup au bon endroit. La construction d'une structure
ordonnée demande toujours un important apport d'énergie.
Si tout cela vous semble logique, alors le processus de congélation devrait
vous laisser profondément perplexe, ce dernier semblant fonctionner sens des-
sus-dessous. La glace est le cristal ordonné par excellence ; en tant que tel, on
pourrait penser qu'une grosse quantité d'énergie y a été introduite pour permettre
sa construction ; au contraire, le bon sens semble nous dire qu'il faut au contraire
en retirer de l'énergie.
Les scientifiques ont rationalisé l'anomalie de la formation de la glace en
invoquant la notion d'agitation thermique : celle-ci diminuant avec la tempéra-
ture, réduire celle-ci permettrait aux molécules d'eau de suivre une tendance
naturelle à s'auto-organiser en glace cristalline. Si ce raisonnement paraît sensé
de prime abord, il soulève toutefois une question d'ordre thermodynamique: si un
apport d'énergie est nécessaire pour augmenter l'ordre et former la ZE, comment
l'augmentation de l'ordre nécessaire à la formation de glace pourrait en requérir
un retrait?
306
C'est mon ami Lee Huntsman, un scientifique et ingénieur ayant renoncé
aux travées de la science pour présider notre université, qui porta ce paradoxe
à mon attention. Lee vint me voir à l'issue d'une conférence publique que j'avais
été invité à y donner. Venant se glisser parmi les auditeurs partageant leurs
enthousiasme et remarques, sa question sur le paradoxe thermodynamique fut
la réaction que j'appréciai le plus ; elle me donna à réfléchir.
Nous le résolûmes finalement ; travailler dessus (a) structure de la ZE
nous permit de faire quelques découvertes. J'en vint
à comprendre qu'une importante réserve d'énergie
était à disposition pour alimenter la transition de
l'eau liquide en glace, et que la libérer nécessitait un
refroidissement adéquat. Au final, de l'énergie est
bien utilisée pour créer de l'ordre, exactement comme
observé plus tôt avec la formation des ZE.
cristal
liquide
(ZE) 7
de la transformation de l'eau de
r
énergie de la sépara-
tion des charges
PLUS ORDONNÉ
309
languette n'affectait pas vraiment le processus, pourvu qu'il soit un bon conduc-
teur de chaleur.) Avec le refroidissement, la ZE devenait progressivement de plus
en plus grande, atteignant souvent jusqu'à 500 microns, voire plus. Alors, l'un
de ces deux événements se produisait : dans quelques cas, les microbilles enva-
hissaient soudainement la ZE et s'agglutinaient, la ZE gelant alors. Nous savions
qu'elle ZE avaient gelé car les microbilles qu'elle renfermait étaient complètement
écrasées. Les autres fois, les microbilles restaient exclues quand la ZE originale
gelait. Quoi qu'il en soit, la ZE était l'étape précédant la glace, comme vu précéde-
ment dans l'expérience avec le Nafion et la goutte d'eau.
Une question en passant : pour quelles raisons la languette refroidissante
avait-elle généré la ZE ? Ce paradoxe apparent nous étonna tout d'abord car la
formation de ZE requiert généralement un apport d'énergie infrarouge. Si la sur-
face refroidissante élimine de l'infrarouge, nous aurions dû nous attendre à ce
que la ZE naissante rétrécisse, au lieu de s'étende.
Nous déduisîmes finalement que dans cette configuration, la ZE recevait
beaucoup plus d'infrarouge que prévu en raison d'une asymétrie. Dans le disposi-
tif de la Figure 17.4, la plaque refroidissante tire de toute évidence vers la gauche
de l'énergie infrarouge puisée dans l'eau proche. Toutefois, le volume d'eau situé
derrière envoie également des IR en direction de la plaque froide; ces IR passent à
travers (et aident en cela à construire) la zone d'exclusion naissante. Ce scénario
poussant-tirant génère un passage d'infrarouge significatif : l'énergie IR s'écoule
en abondance à travers la ZE, ayant pour effet son agrandissement. C'est mani-
festement cette ZE agrandie qui se transforme en glace.
Flocons de neige
312
matériau pyroélectrique
L'afflux de protons
Forts de ces observations, nous voulûmes ensuite savoir s'il y avait réellement
un afflux massif de protons lorsque se forme la glace. Nous répétâmes d'abord
des travaux réalisés bien plus tôt : des mesures électriques déjà effectuées il y a
un demi-siècle qui laissaient entendre l'apparition de charges positives au cours
de la congélation. 6 Plaçant une électrode devant un front de glace en développe-
ment, à mesure que le front de glace approchait, le potentiel électrique grimpa
313
jusqu'à un volt. Cette confirmation d'une augmentation de la charge positive nous
donna une direction à confirmer avec des visualisations directes.
Pour ce faire, nous utilisâmes un colorant sensible au pH (voir Chapitre 5). Au
cours d'une expérience, employant un récipient circulaire (Fig. 17.7), nous le pla-
çâmes sur une plaque refroidie par azote liquide. À température
ambiante, le colorant était vert (haut), indiquant une neutralité.
L'eau se mettant à geler sur les bords, la couleur des bords
devint orange foncé (bas), indiquant la présence de nombreux
protons dans les régions en train de geler. Ces expériences ne
pouvaient pas révéler comment ces protons s'y rendaient, mais
seulement qu'ils avaient pénétré dans les régions où la glace se
formait, comme prédit.
Nous obtînmes des résultats similaires en introduisant une
plaque refroidissante en aluminium dans le récipient. Une fois
encore, la région où la glace se formait devint orange foncé, y
DÉBUT DU GEL indiquant ainsi la présence de nombreux protons (Fig. 17.8).
Une autre série de résultats fut similaire avec des gouttes.
Une goutte placée sur une plaque refroidissante gelait de sa
base vers le haut. Nous pouvions examiner la périphérie de la
goutte, pas l'intérieur. À mesure que gelait la périphérie, sa cou-
leur passa du vert à l'orange, indiquant une nouvelle fois l'afflux
de protons (Fig. 17.9).
Confiants que ces résultats confirmaient l'afflux attendu
de protons, nous poursuivîmes avec encore une
autre approche expérimentale, en utilisant cette
Fig. 17.7 Eau contenant un
fois-ci une caméra infrarouge. Ici encore, nous exa-
colorant sensible au pH dilué. La
minâmes une goutte sur une surface refroidissante.
valeur indique le pH relevé à la
Si des protons inondaient la ZE périphérique de la
périphérie du récipient.
goutte, le mouvement de charge devait créer un flash
d'énergie infrarouge, puisqu'il en génère (Chapitre
10) ; nous en avons déjà vu de nombreux exemples.
Nous confirmâmes l'existence de ce flash, l'émission
d'infrarouges persistant environ une seconde (Fig.
17.10). La présence de ce flash allait elle aussi dans
le sens de l'hypothèse d'un afflux de protons et nous
appréciâmes que la goutte signale sa transformation
en glace d'une façon aussi« brillante».
Notre excitation à propos de ce flash s'éteignit
toutefois rapidement lorsque quelqu'un suggéra une
316
Pour déloger le proton, la poussée doit dépasser
un certain seuil. Lamplitude de la force dépendra
du nombre d'ions hydronium qui poussent, ce qui
dépendra à son tour de la quantité et de la distri-
bution de ces ions. Le nombre d'ions hydronium
suffisant atteint, les protons près de la ZE peuvent
commencer à être libérés. Ces protons devraient
alors logiquement être immédiatement aspirés à Fig. 17.12 Forces exercées sur
l'intérieur de la ZE et traverser la structure de part en un ion hydronium près de la ZE.
part jusqu'à la couche la plus profonde possédant La négativité de la ZE attire le
la plus forte charge négative. Cet événement devrait proton (gauche) et les nombreux
amorcer la formation de la glace. ions hydronium de l'eau en
vrac poussent (droite}, finissant
par le déloger de sa molécule.
Formation coopérative de la glace : Une fois délogé, le proton peut
pourquoi la glace est inévitalllement facilement pénétrer dans la ZE
solide négative.
Le mécanisme exposé plus haut devrait expli-
quer la création de la glace : la ZE se développe
tandis que des ions hydronium se forment plus loin. Les protons délogés de ces
ions hydronium pénètrent jusqu'à la couche la plus négative (autrement dit la
plus profonde) de la ZE, puis à la suivante, etc. La glace se forme donc progres-
sivement.
Tout semble fonctionner correctement, et on pourrait penser que la glace
va devenir une masse solide grâce à ce mécanisme. Toutefois, toute anomalie
qui laisserait ne serait-ce qu'une seule couche dépourvue de proton aurait de
grandes répercussions : deux petits blocs de glace pourraient se former au lieu
d'un seul bloc plus gros. Cela ne se produisant pas, la nature a probablement
recours à une technique permettant d'assurer l'intégrité de la glace: par exemple,
une couche de glace tout juste formée pourrait faciliter la formation de la couche
suivante. Une coopérativité de ce genre permettrait aux cubes de glace de rester
solides.
Il s'avère en effet que la coopérativité est une caractéristique inhérente
au mécanisme proposé faisant état d'une invasion de protons. Imaginez deux
couches adjacentes (Fig. 17.13}. Dans la ZE, ces couches ne sont pas alignées
(à gauche) ; dans la glace, elles le sont (au milieu). Pour que la glace se forme, la
couche B doit se décaler par rapport à la couche A.
Visualisez ce décalage et prêtez attention à la position des électrons de l'oxy-
gène. Dans la configuration ZE présentée à gauche, les électrons de l'oxygène de
la couche B sont orientés vers la couche A, attirés par la charge positive située à
317
proximité (encadré de gauche). Cette attraction maintient les couches solidaires.
Une fois que la couche B s'est décalée pour produire la configuration de la glace,
l'environnement se modifie. Un atome d'oxygène remplace l'hydrogène du bas
(milieu) . Les atomes d'oxygène adjacents qui n'ont pas été collés par les protons
récemment installés se repoussent à présent, déplaçant leurs électrons dans des
directions opposées (encadré du milieu). Les électrons de l'atome d'oxygène du
dessus font à présent front face à la vague suivante de protons déboulant d'en
haut, les attirant (droite) . On peut dire que ces décalages déroulent le tapis rouge
aux protons affluants.
Ce tapis rouge s'étend directement sur la couche de glace tout juste formée.
Sa présence permet aux protons qui arrivent de se fixer exactement là où il le faut
pour former la couche suivante. De cette manière, la
glace est assurée de se former couche après couche,
Fig. 17.13 Nature coopérative sans interruption, tout en étant certaine de conser-
de la formation de la glace. À ver sa solidité.
gauche, la configuration ZE. Dans
Une caractéristique intéressante du modèle
la glace fraîchement créée (au
milieu), la charge négative de
proposé est que les couches de glace sont déjà cor-
rectement structurées lorsqu'elles se développent.
l'oxygène se déplace vers le haut
Prêtez attention à l'emplacement des protons entre
(encadré), attirant les protons
qui arrivent. Ce mouvement se
les couches (Fig. 17.13, image de droite, points bleus
produit pour les trois atomes
foncés) : des protons lient un atome d'oxygène sur
d'oxygène de /'hexagone qui
deux. Ces protons sont en rotation de 60° par rap-
sont juxtaposés à des atomes
port à ceux de la couche suivante. Ce décalage régu-
d'oxygène du plan inférieur.
lier de 60° par couche produit la structure exacte de
Les protons qui arrivent dans
la glace.
la structure se fixent à ces trois Ce modèle de la formation de la glace semble
points (droite), préparant ainsi le donc cohérent ; sa nature coopérative assure à la
terrain pour la couche de glace glace sa solidité, et les événements décrits en détail
suivante. permettent à tous les protons d'être correctement
positionnés.
Formation naturelle de la glace
Pour comprendre comment se forme la glace dans la nature selon le modèle
proposé, imaginons un lac qui gèle. Disons qu'un front d'air glacial arrive. L'.air
au-dessus du lac se refroidit ; l'évaporation diminue. Les ZE en
surface restent en place et forment un couvercle de ZE relati-
vement stable, un peu comme celui d'une casserole d'eau (Fig. (a)
17.14a).
Le couvercle de ZE émet de l'infrarouge vers l'air froid
au-dessus ; en même temps, il reçoit des infrarouges de l'eau
plus chaude du dessous (Fig. 17.14). Cet important flux infra-
rouge permet à la ZE de s'étendre comme dans le scénario de ++++++++++++
++++++++++
la Figure 17.4. Les ions hydronium s'accumulant en dessous +++++++
ne peuvent s'échapper : le couvercle les retient. Une fois leur + + + + +
concentration devenue suffisamment importante pour dépas-
ser le seuil critique, les protons délogés commencent à envahir
la ZE, pénétrant la structure jusqu'à la région la plus négative
tout en haut. Ces protons forment la couche supérieure de la
glace (Fig. 17.14b).
Pendant ce temps, la ZE continue de s'agrandir grâce au
flux infrarouge continu ; ainsi, la glace s'épaissit. La coopéra-
tivité assure la formation d'une glace uniforme. Plus l'air sera (b)
froid, plus la glace sera épaisse. La glace se stabilisera lors-
qu'elle sera assez épaisse pour diminuer le gradient vertical de
glace
flux infrarouge.
ZE - ~
Il ressort donc que les principes qui marchent en labora- - - _ - , """ -
++++++++++++
,.. --
toire pour former de la glace opèrent de la même façon dans ++++++++++
la nature. +++++++
+ + + + +
nos attentes -, nous y avons répondu : la formation dans une masse d'eau naturelle.
de la glace requiert de l'énergie, exploitant l'énergie L'énergie infrarouge provenant
potentielle de la séparation des charges délivrée par de l'eau plus chaude située en
la combinaison des charges positives des protons dessous forme la ZE en surface
et sépare les charges (a). Un
afflux de protons crée de la glace
(b). Le processus se poursuivant,
la glace s'épaissit.
Le gel s'étend de la surface vers le bas
Le fait que le gel s'étende du haut vers le bas est un phéno-
mène naturel heureux. Si la congélation se faisait du bas vers le
haut, il serait non seulement difficile de faire du patin à glace,
mais les poissons repoussés hors de l'eau gelée seraient bien
embêtés pour survivre. Par bonheur, la glace s'étend toujours de
la surface vers le bas ... et tant mieux pour les poissons.
320
l'énergie alimentant la formation de cristaux de sel
et de sucre pourrait opérer de la même façon que
celle impliquée dans la formation de ZE et de glace.
L'énergie conduit à l'ordre.
Ce même principe pourrait également se vérifier
pour les métaux. Les métaux ordinaires présentent
un aspect cristallin au niveau atomique. Chauffés à
température de fusion, ils deviennent plus informes.
La question se pose de savoir si le rayonnement Fig. 17.15 Sucre candi. Des fils
utilisé pour la fusion ne fournirait pas l'énergie immergés servent de sites de
nécessaire à la recristallisation ultérieure, comme nucléation pour le développe-
pour les cristaux de sel et de sucre. Si tel est le cas, ment de cristaux de sucre. La
le même principe thermodynamique pourrait rester solution de sucre est d'abord
applicable: l'ordre requiert de l'énergie. chauffée ; puis, la solution
refroidissant, des cristaux se
Pour en revenir à la glace, penchons-nous à
forment.
présent sur la seconde caractéristique énergétique
apparemment anormale de la glace : la soi-disant
chaleur latente. Dans son acceptation courante, la chaleur latente est celle déga-
gée lors de la transformation de l'eau en glace. On croit que la chaleur évacuée
réchauffe l'environnement immédiat pendant que l'eau elle-même est présumée
rester à température constante. Toutefois, ce n'est pas ce que nous avons obser-
vé. Les images infrarouge de gouttes en train de geler ne montrent pratiquement
pas de réchauffement aux alentours, tandis que l'eau qui gèle « s'échauffe » au
cours de sa transformation en glace (Fig. 17.10). Une interprétation convention-
nelle de ces images infrarouges consisterait à dire que l'eau devient plus chaude
lorsqu'elle se transforme en glace. Cela n'est pas censé se produire.
Une interprétation plus plausible de la « chaleur latente » dérive de notre
idée que l'émission infrarouge tire son origine du mouvement de charges ... ce
qui correspond exactement à un afflux de protons : un important mouvement de
charges. Par conséquent, la soi-disant chaleur latente pourrait n'être rien d'autre
qu'une expression de cet afflux de protons. La présumée « chaleur » du flash
d'infrarouge n'a pas de signification propre.
Les interprétations basées sur la chaleur deviennent encore plus confuses si
on s'intéresse à leur dynamique. Selon la vision conventionnelle, la chaleur latente
est une expression de la transformation physique de l'eau en glace ; d'après ce
point de vue, une unique explosion de chaleur devrait se produire au moment où
l'eau se transforme en une glace cristalline. Nous n'avons cependant pas observé
une telle correspondance temporelle, mais plutôt d'importants retards entre l'ap-
parition de la chaleur latente et la transformation physique en glace.
321
Des perturbations mécaniques peuvent déclencher la formation de glace
Plaçant une goutte d'eau sur une plaque de refroidissement dans le cadre de
l'une de ces expériences, au cours de sa congélation, la goutte généra un flash
infrarouge comme celui à la Figure 17.10. Le flash persista environ une demi-se-
conde avant que la congélation ne commence, c'est-à-dire avant que nous ne
détections un signe de l'expansion de volume signalant la formation physique de
la glace. Nous avons même observé des retards plus longs dans une colonne d'eau
tubulaire dressée verticalement sur une plaque de refroidissement : l'émission
d'infrarouge commença au fond avant de progresser vers le haut pour finalement
atteindre le sommet de la colonne, mais aucune augmentation de volume ne fut
détectée au sommet avant que ne s'écoule approximativement une seconde et
demi. De tels retards contredisent les attentes conventionnelles énonçant que la
chaleur latente et la formation de glace se produisent simultanément.
322
Le modèle proposé, en revanche, décrit la formation de la glace en deux
étapes ; tout d'abord, les protons affluent dans la ZE, générant le flash infra-
rouge; ensuite, ces protons s'immiscent entre les couches de la ZE en les décalant
et écartant. Ce mécanisme crée de la glace ; l'événement déclencheur précède
l'événement structurel - exactement ce que montre l'émission d'infrarouge tout
juste décrite.
Ceci résout le deuxième des problèmes relatifs à l'énergie, celui de la chaleur
latente. Il me semble que le modèle proposé se conforme à toutes les principales
attentes énergétiques.
férentechacun
états, (imaged'eux
a). Comme
ayant l'eau de typedif-
une densité
est plus dense que l'eau en vrac (Chapitres
· '· ·-- ····t
ZE ······o···············
· ·
··~
°C
··············
_- : .-:_ j
' __ ····E
-- _~-- _
··············
J ·....
3 et 4), et que l'eau en vrac est plus dense -
que la glace (qui flotte sur l'eau), il importe
PWSFROID
de connaître les quantités respectives
de chaque état. Pour calculer la densité
générale, il est nécessaire de connaître la
quantité de chacun de ces états dans le en protons dépasse un certain seuil ; des
récipient. zones de glace peuvent commencer à rem-
placer des ZE. Comme la glace est considé-
Imaginez un récipient d'eau que l'on rablement plus volumineuse que l'eau de
refroidirait progressivement. Les gradients type ZE, le volume général va commencer
d'infrarouge augmentent le passage d'in- à s'accroître. Il est possible d'estimer la
frarouge, développant la ZE (Fig. 17.4) ; la température à laquelle cela commence :
fraction de ZE s'agrandissant continuelle- si la congélation se produit massivement
ment, le volume se réduit progressivement aux alentours de o0 c, des plaques de
(image b). On peut dire que la densité glace peuvent se former quelques degrés
globale a augmenté. au-dessus, probablement vers 2 ou 3°C.
Lorsque le refroidissement atteint Par conséquent, 4°C serait la température
un seuil, les ZE peuvent commencer à se du volume minimum (image c, troisième
transformer en glace. La transition peut récipient). C'est là que la densité serait la
avoir lieu pour commencer dans des plus élevée.
régions localisées, où la concentration
+ +
+ (i)
+
+
+
+
+
le champ appliqué crée suffisamment de charges positives +
+
+ +
pour convertir les ZE interfaciales en glace, même à tem-
+
pérature ambiante. Tout ce dont on a besoin dans ces +
~
situations est d'une grande quantité de ZE ainsi que d'un
grand nombre de protons à proximité.
+
Ces protons pourraient expliquer d'autres phéno- +
(ii)
mènes, y compris l'anomalie observée par Erasto Mpem- + +
+
ba. L'.eau chaude renferme de grandes quantités des deux +
ingrédients nécessaires à la congélation : des vésicules +
+ +
avec des enveloppes de type ZE, et les protons associés + +
(Chapitre 14). Avec ces ingrédients à portée de main, +
+
congeler un mélange de crème glacée lyophilisée et d'eau + +
+
chaude ne devrait pas prendre longtemps. Félicitations à
M. Mpemba !
(iii)
+
En résumé +
+
La transformation de l'eau en glace nécessite une ZE + +
intermédiaire (Fig. 17.17). Lorsque l'eau refroidit, des ZE se + +
+
forment (image i) ; pendant ce temps, des ions hydronium +
s'accumulent juste à côté (ii). Lorsque la concentration + +
+ +
en ions hydronium atteint un seuil critique, les protons
se libèrent et envahissent la ZE négative (iii). Ces protons +
+
lient les couches adjacentes de la ZE, initiant la transfor- (iv)
mation structurelle en glace. À mesure que le processus se + +
poursuit, la glace s'épaissit (iv). +
+
Ce modèle décrivant une invasion de protons résout + +
325
Ce chapitre marque la conclusion des aspects scientifiques de nos
recherches sur l'eau et ses états. Nous avons exploré un grand nombre
des divers aspects de l'eau, allant de l'ébullition à la congélation, en sou-
lignant à chaque fois le rôle central que joue le quatrième état de l'eau.
Dans le chapitre qui suit, nous terminerons notre voyage en retrou-
vant le domaine par lequel nous avions commencé: la philosophie. Nous
réfléchirons sur ce que nous avons découvert, sur ce que nous avons
appris, et où tout cela pourrait nous conduire. Et nous comprendrons
que nous pourrions bien être à l'aube de l'avènement d'une nouvelle ère
passionnante d'importants progrès scientifiques.
' .
5eme partie
En somme:
les clés des mystères du monde
OO
.,
•
'
,..
-· -·-· -·
-·
18 Les lois secrètes de la nature
329
La culture de la science
Jusqu'à l'ère moderne, la recherche scientifique se focalisait sur la décou-
verte de mécanismes fondamentaux, cherchant à comprendre comment fonc-
tionne le monde. Si ces travaux permettaient d'établir des paradigmes capables
d'expliquer simplement divers phénomènes, les scientifiques étaient alors per-
suadés d'avoir mis le doigt sur quelque chose d'important; par exemple, la table
périodique de Mendeleïev était capable de prédire une multitude des réactions
chimiques connues, et le système héliocentrique de Galilée permettait de se
passer de complexes épicycles pour calculer l'orbite des planètes.
Cette recherche de la simplicité semble s'être aujourd'hui en grande partie
évaporée de la scène scientifique. En quatre décennies de pratique, j'ai vu cette
noble culture devenir moins audacieuse et plus pragmatique ; la chutzpah avait
disparu. De nos jours, les scientifiques se contentent de progrès immédiats
dans des domaines de recherches très étroits au lieu de chercher des vérités
fondamentales susceptibles d'expliquer des pans entiers de la nature. La quête
du détail a supplanté celle des vérités simples et unificatrices, semble-t-il (Fig.
18.1).
Pour moi, cette approche orientée sur les broutilles est un symptôme d'une
science qui va mal. Jugez-en vous-même sur pièces : rares sont les révolutions
conceptuelles à avoir émergé des trois dernières décennies. Je ne parle pas
d'avancées technologiques, comme les ordinateurs ou Internet, et je ne parle
pas non plus des matraquages à propos de révolutions annoncées, comme
331
Quatre principes fondamentaux
.: ...
... ·....
-- -- :-:......
-:··:.' :;t-:
. . . '.
On m'a toujours appris depuis mon enfance que l'eau avait trois états :
solide, liquide et gazeux. Nous avons identifié ce qui pourrait être qualifié de
quatrième état : la zone d'exclusion (Fig. 18.2). Ni liquide, ni solide, la meilleure
description de la ZE est sans doute celle d'un cristal liquide possédant des pro-
priétés physiques analogues à celles du blanc d'œuf.
Le terme « zone d'exclusion » constitue peut-être un choix malheureux.
Mon ami John Watterson l'a forgé très tôt en découvrant la caractéristique
la plus évidente de cette zone : précisément d'exclure. Ce nom perdura. Nous
trouvâmes amusant qu'en anglais, EZ ( « Exclusion Zone ») se prononce comme
« easy » ( « facile »), le contraire de dur. !.:eau est dite « dure » quand elle est
pleine de minéraux, dont est justement dépourvue celle de type ZE qui les
exclut ; le nom semblait convenir. [ NDT : En français, « eau-ZE », qui se pro-
nonce« ose». J Rétrospectivement, un état« cristallin liquide», ou «semi-li-
quide »aurait peut-être eu plus de sens, ces descriptifs correspondant mieux à
une taxonomie axée sur l'état.
Quoi qu'il en soit, la séquence des états récitée par coeur diffère de celle
présentée dans ce livre. Si les chapitres précédents offrent une explication
valable de la nature de l'eau, une séquence d'états plus approprié serait donc :
solide, cristallin liquide, liquide et gazeux ... quatre états, pas trois.
332
Jème principe : l'eau stocke de l'énergie
+
Fig. 18.3 Batterie à eau.
+ +
+
333
prototype simple et remarquablement efficace a déjà fait l'objet de démonstra-
tions ;2 il s'agit d'un filtre sans filtre opérant sa purification grâce aux bons soins
de l'énergie électromagnétique incidente.
Nous voyons que l'énergie potentielle associée au quatrième état de l'eau
pourrait être exploitée de bien des façons. Énergie et eau sont pratiquement
des synonymes, et c'est pourquoi je propose l'équation E=Hp (Chapitre 7). Bien
que ne respectant évidemment pas l'homogénéité des mesures, elle exprime
poétiquement l'essence du second principe : l'eau stocke de l'énergie.
Tout le monde sait que le Soleil éclaire la terre et alimente en énergie bien
des processus à sa surface. Ce qui est nouveau ici est que le soleil (et, peut-être,
d'autres sources cosmiques ou terrestres) pourrait aussi propulser des proces-
sus moins évidents, notamment ceux impliquant de l'eau (Fig. 18.4).
334
t.:énergie électromagnétique du soleil se transforme en énergie potentielle
dans l'eau. Les photons rechargent la ZE, y créant de l'ordre et y séparant les
charges, en dissociant les molécules d'eau et en ordonnant les ZE, mettant en
place une polarité dans la zone ordonnée et la polarité opposée dans le reste de
l'eau en vrac.
Nous n'envisageons généralement pas l'eau comme un récepteur d'énergie ;
on imagine un verre d'eau comme étant plus ou moins en équilibre dans son envi-
ronnement. Toutefois, les preuves présentées dans ce livre montrent clairement
tout autre chose : un verre d'eau est ordinairement bien loin d'être en équilibre.
Ce concept peut sembler quelque peu bizarre, mais les chapitres précédents ont
largement démontré que l'eau absorbe continuellement de l'énergie de son envi-
ronnement et la convertit en potentiels.
Le concept de conversion paraît moins farfelu si on réalise que c'est ce que
les plantes font, absorbant de l'énergie rayonnante de leur environnement et l'uti-
lisant pour réaliser des actions. Les plantes se composant principalement d'eau,
cela ne devrait pas vous surprendre d'apprendre que le verre d'eau à côté de votre
plante est capable lui aussi de convertir l'énergie photonique incidente.
Il devrait être intéressant de se pencher à nouveau sur toutes les situations
où de l'énergie rayonnante atteint de l'eau. Nos expériences portèrent principale-
ment sur la chimie ; cependant, la physique, et notamment la biologie, devraient
également être étudiées. Par exemple, lorsque le Soleil apparaît à travers les
nuages, nous ressentons souvent un regain d'énergie. Notre psychisme y a sûre-
ment un rôle à jouer, mais il se peut aussi que nous nous sentions revigorés pour
la simple raison que l'énergie solaire incidente produit véritablement de l'énergie
chimique dans nos cellules. Certaines longueurs d'onde pénètrent profondément
dans nos corps; si vous en doutez, placez une lampe torche derrière votre paume
et observez la lumière traverser toute son épaisseur.
t.:idée que l'énergie solaire incidente puisse produire de l'énergie dans nos
corps peut sembler tirée par les cheveux ; c'est pourtant un fait que les cellules
se développent plus vite avec de la chaleur, c'est-à-dire lorsqu'elles sont exposées
à de l'énergie infrarouge (lumière). La lumière générant de l'énergie dans l'eau,
et nos organismes étant essentiellement composés d'eau, il semble possible que
nous puissions tirer de l'énergie de notre environnement ; observer les implica-
tions biologiques devrait conduire à imaginer un grand nombre de mécanismes de
récupération d'énergie.
Des principes similaires peuvent s'appliquer en physique et en ingénierie. Par
exemple, récupérer l'énergie lumineuse absorbée par l'eau pourrait permettre la
production d'une énergie électrique utilisable. La séparation des charges de la
ZE ressemble fortement à la première étape de la photosynthèse où l'on observe
335
une séparation des molécules d'eau le long de surfaces hydrophiles. Cette
ressemblance est encourageante : si cette première étape fonctionne aussi
efficacement que pour la photosynthèse, une technique de récupération de
l'énergie lumineuse basée sur l'eau pourrait avoir un bel avenir ; des technolo-
gies reposant sur l'eau pourraient un jour remplacer nos actuelles technologies
photovoltaïques.
Quoi qu'il en soit, l'énergie électromagnétique génère un potentiel électrique
dans l'eau, devenant de ce fait une réserve d'énergie. Celle-ci peut retourner
vers la source d'où elle provient et/ou être récupérée pour effectuer un travail.
Cette énergie est un don de l'environnement ; elle est véritablement gratuite,
et il se pourrait qu'on parvienne à l'exploiter pour résoudre la crise énergétique
actuelle.
+ + + +
+ +
+ +
+
+ +
+ + +
+ + + +
+
Fig. 18.5 Attraction de charges + +
+
identiques par l'intermédiaire de + - + + ·- +
charges opposées. +
+ + +
+ + + + +
+
+ + +
+ +
+
+ + +
336
des charges opposées. Il avait compris qu'une telle attraction pouvait avoir des
implications fondamentales en physique et en chimie. Néanmoins, la majorité des
scientifiques pensent instinctivement que des charges identiques se repousseront
toujours et refusent même de s'autoriser l'idée que des charges identiques pour-
raient effectivement s'attirer si des charges contraires se trouvaient entre elles.
Cette réticence pourrait tirer son origine de la sémantique : qui pourrait
imaginer que « des charges identiques s'attirent » ? Les gens y verraient l'œuvre
du diable, ou, au mieux, d'un charlatan un peu niais. La supposition-réflexe que
des charges identiques doivent toujours se repousser a presque certainement
conduit à formuler des interprétations plus complexes que nécessaires, voire des
réponses carrément erronées. Qu'est-ce qui pourrait être plus fondamental que la
force entre deux charges ?
Ce livre donne corps au concept de l'attraction de type« même aime même»
en identifiant une source de charges contraires. Un grand nombre de charges
contraires provient de la formation de la ZE, et c'est ce mécanisme qui fournit les
nombreux protons nécessaires pour expliquer cette attraction.
Au-delà des démonstrations en laboratoire, l'attraction « même aime même»
pourrait s'appliquer plus largement dans la nature, de l'échelle microscopique à
l'échelle macroscopique. Un exemple possible est l'origine de la vie, qui implique
probablement la concentration de substances dispersées pour former des entités
plus compactes ; sans une telle condensation, aucune cellule ou pré-cellule n'au-
rait pu se former. L'attraction « même aime même» fournit un mécanisme naturel
pour assurer ce type d'auto-assemblage: ajoutez de la lumière, attendez un peu,
et voilà!
Un autre exemple est offert par les nuages atmosphériques, formés de
gouttes chargées en suspension. Selon la pensée conventionnelle, ces gouttes
devraient se repousser et se disperser; néanmoins, le mécanisme « même aime
même» explique pourquoi ces gouttes peuvent en réalité fusionner et former ces
entités que nous appelons nuages. Le soleil fournit l'énergie ; les charges oppo-
sées fournissent la force.
A chaque fois que vous entendrez évoquer une répulsion de charges iden-
tiques pour expliquer un phénomène, demandez-vous si l'inverse (à savoir, une
attraction de charges identiques) n'offrirait pas une meilleure explication. li se peut
que cette démarche se révèle parfois payante et que cela accroisse les chances de
développer une compréhension plus simple et plus exacte de la nature.
On peut voir les quatre principes décrits ci-dessus comme des lois de la nature
restées jusqu'à présent dans l'ombre, et que l'on viendrait tout juste d'exposer à
la lumière (Fig. 18.6}.
337
Fig. 18.6 Mise en lumière de
principes cachés.
Il semble bien que ces principes renferment un fort riche potentiel expli-
catif. Ils nous aident à répondre aux questions enfantines « pourquoi » et
«comment» : pourquoi les gels conservent-ils leur eau? Pourquoi les bulles de
champagne prolifèrent-elles apparemment sans fin en formant des colonnes?
Comment un simple coin de bois mouillé peut-il fissurer un rocher massif ?
Comment l'eau parvient-elle à s'élever jusqu'au sommet de séquoias géants ?
Pourquoi voyons-nous des nuages de vapeur au-dessus d'une tasse de café
chaud ? Pourquoi la glace nous fait-elle glisser et tomber par terre? Ces prin-
cipes peuvent expliquer de nombreuses autres questions dont les réponses
demeurent obscures.
Étant donné leur vaste pouvoir explicatif, je crois que ces quatre principes
pourraient se révéler fondamentaux pour une bonne partie de la nature.
338
que leur eau était contaminée (même l'eau naturelle est tout sauf pure) ; par
conséquent, on pouvait balayer leurs résultats d'un simple revers de la main. Puis
vint la mémoire de l'eau. Stocker de la mémoire dans de l'eau paraissait si impro-
bable que cette idée devint le sujet de boutades scientifiques: vous avez du mal à
vous souvenir des noms? Essayez de boire plus d'eau, ça vous aidera à retrouver
les informations oubliées.
La science de l'eau a donc déjà été deux fois frappée. À chaque tournant,
les critiques méprisants veillent en embuscade, quel scientifique un tant soit peu
prudent souhaiterait alors s'y aventurer ? Étudier l'eau devint dangereux ; s'im-
merger dans ce domaine de recherche devint aussi risqué que de s'immerger dans
de l'acide corrosif.
· Une seconde raison de cette lente émergence d'une nouvelle vision est
l'omniprésence de l'eau. t.:eau est partout. Elle occupe une place centrale dans
de si nombreux processus naturels que peu de gens peuvent concevoir que l'on
puisse encore remettre en question ses fondamentaux. Quelqu'un avait certaine-
ment déjà dû les établir, il y a un siècle ou deux probablement... cette croyance
tint les scientifiques à l'écart. Leur réticence à étudier ces fondamentaux ne fit
que s'intensifier : la science d'aujourd'hui récompense ceux qui se spécialisent
dans les domaines à la mode, et ne laisse que très peu de place à ceux remettant
en question les fondamentaux enseignés ; l'incitation à les revisiter a pratique-
ment disparu, en particulier pour quelque chose d'aussi profondément basique
et commun que l'eau.
· La troisième raison de cette lente émergence de principes aussi fondamen-
taux empoisonne l'ensemble de la science : la timidité intellectuelle. Se reposer
sur un savoir reçu est plus sécurisant que de se consacrer aux incertitudes d'un
bouleversement révolutionnaire. On pourrait penser que le monde scientifique se
passionnerait pour des avancées spectaculaires en sciences fondamentales, mais
la plupart des chercheurs trouvent plus confortable de se limiter à des écarts mi-
neurs par rapport au status quo. Les scientifiques sont aussi aptes à la résistance
au changement que n'importe quel autre héraut de l'orthodoxie.
· Une quatrième raison est la peur primale. Remettre en question les
connaissances acquises revient à marcher sur les pieds de chercheurs dont la
carrière est basée sur ce savoir ; on peut en craindre des réactions violentes. Par
exemple, j'ai piétiné dans ce livre une vaste étendue de plates-bandes sacrées.
Je m'attends donc à des réprimandes, en particulier de la part des chercheurs
dont la reconnaissance, les subventions, les brevets et autres attributs de pouvoir
dépendent de leurs statut et réputation. On pourrait pardonner ce genre d'apos-
tasie à un enfant ; les scientifiques bien établis, malheureusement, ont rarement
droit à la même tolérance. Par conséquent, de nombreux chercheurs soucieux de
339
leur carrière affichent des positions conservatrices et prennent soin de se tenir
à distance de tout ce qui pourrait annoncer une révolution scientifique. C'est
cette attitude, «chercheur» et non «trouveur>>, qui leur permet d'avoir du pain
sur la table.
Pour résumer, quatre facteurs au moins portent la responsabilité de la dou-
loureusement lente émergence de ces nouveaux principes : (i) l'histoire de la
science de l'eau a été chaotique, poussant les scientifiques à rester à l'écart; (ii)
l'eau est si commune que tout le monde pense que ses fondamentaux sont bien
établis ; (iii) il peut être perturbant de s'écarter de la pensée dominante, et (iv)
il a toujours été risqué de remettre en question la sagesse admise, en science
comme partout ailleurs.
Combinés, ces obstacles ont provoqué un long gel intellectuel. .. et je four-
nis ici mes meilleurs efforts pour dégeler la machine.
L'avenir
Tout débuta par une simple question : pourquoi les zones d'exclusion
excluent-elles ? Plus nous cherchions, plus nous trouvions. Finalement, il res-
sortit de ces réflexions ces quatre principes généraux, ainsi que diverses idées
que vous avez pu découvrir au fil des pages de ce livre.
J'avoue avoir succombé à la tentation de voir jusqu'où ces principes pou-
vaient nous emmener. J'avais initialement prévu d'inclure dans ce livre des
éléments de physique et de biologie ; les premiers lecteurs m'ont convaincu de
m'en tenir à la chimie de l'eau. Toutefois, les principes élaborés dans ce livre
trouvant une extension naturelle dans d'autres domaines scientifiques, l'idée
m'est venu de poursuivre mes travaux et d'écrire d'autres ouvrages; il y a tant à
dire, en particulier en matière de physique et de biologie.
La clé des progrès dans tous ces domaines est d'admettre que le roi est nu ;
même les plus grands héros scientifiques se sont parfois égarés. Ces grands
personnages étaient des humains: ils mangeaient la même nourriture que nous,
appréciaient les mêmes choses, et pouvaient commettre les mêmes erreurs.
Leurs idées ne sont pas nécessairement infaillibles. Cela pourra paraître irrévé-
rencieux, mais si nous voulons nous rapprocher de la vérité, nous devons avoir
le courage de remettre en question n'importe quelle hypothèse fondamentale,
à commencer par celles nous semblant vulnérables. Dans le cas contraire, nous
courons le risque de nous auto-condamner à l'éternelle ignorance.
Personne ne saurait dire où nous mèneront ces explorations. C'est l'incer-
titude qui donne son charme à la quête scientifique ; grâce à l'expérimentation
sans a priori, à la pensée logique, et parfois à la chance de tomber sur l'inatten-
du, nous pourrons commencer à éclairer les sombres recoins de la nature.
340
341
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348
Crédits photos
Chapitre 1 Chapitre 13
Figure 7.4: Elmar Fuchs Figure 13.3: With permission
Figure 13.6: Sudeshna Sawoo
Chapitre 2 Figure 13.7: Rolf Ypma, Orion Polinsky
Figure 2.3: With permission Figure 13.8: Georg Schrôcker
Figure 13.9: Eric Gupta
Chapitre 3 Figure 13.10: Hyok Yoo
Figure 3.19: With permission, Dr. Maewan
Ho Chapitre 14
Figure 74.5: George Danilov
Chapitre 5 Figure 74.6: Hyok Yoo
Figure 5.1 : Basil Hovakeemian Figure 74.7: Hyok Yoo
Figure 5.5 : Li Zheng and Ronnie Das Figure 14.10 : George Danilov
Figure 5.6: Hyok Yoo Figure 14.11 : Rainer Stahlberg
Box (Nerves, Pain, Anesthesia) : Nenad
Kundacina Chapitre 15
Figure 5.8: With permission Figure 15.1 : Ethan Pollack
Figure 15.2: With permission
Chapitre 6 Figure 15.3: With permission
Figure 6. 1: Binghua Chai Figure 75.4 : With permission
Figure 6.3: Bora Kim Figure 15.5 : Hyok Yoo, Ethan Pollack
Figure 6.5 : With permission Figure 15.6: Federico lenna
Figure 6.12 : With permission, Office of Ocean Figure 15. 7: ZiYao Wang
Exploration and Research, NOAA Figure 15.8: Yan Dong
Figure 15. 9 (a) : Federico lenna
Chapitre 7 Figure 15. 9 (b) : ZiYao Wang
Figure 7.6: With permission Figure 15.10 : Federico lenna
Figure 15.11 : Federico lenna
Chapitre 8 Box (Droplet Repulsion, Kelvin Water
Figure 8.4 : With permission Dropper) : Zheng Li
Figure 8.11: With permission
Chapitre 16
Chapitre 9 Figure 16.3: Laura Marshall, Hyok Yoo
Figure 9.1 : With permission Figure 16.14 : Patrick Belenky
Figure 9.4 : With permission Figure 16.16 : Ivan Klyuzhin
Figure 9.8: Derek Nhan Figure 16.17: With permission
Figure 9. 9 : Ronnie Das
Figure 9.10 : Rainer Stahlberg Chapitre 17
Figure 9.12 : Kate Ovchinnikova Figure 17.3: Hyok Yoo
Figure 17.5 : With permission
Chapitre 10 Figure 17.7: Rainer Stahlberg
Figure 10.6 : Eugene Khijniak Figure 17.8: Rainer Stahlberg
Figure 10. 9 : Anna Song Figure 17. 9 : Rainer Stahlberg
Figure 10.10 : Anna Song Figure 17.10 : Hyok Yoo
Figure 17.16 : Elmar Fuchs
Chapitre 11
Figure 11.2: Ronnie Das
349
Glossaire
Acide polyacrylique : nom genenque Coefficient de frottement : rapport entre
désignant les polymères synthétiques d'acides la force de frottement et la force qui presse
acryliques de masses moléculaires élevées. ensemble deux corps.
350
Effet triboélectrique : type d'électrification Hexamère : élément composé de six sous-
de contact où un matériau devient unités.
électriquement chargé après avoir été frotté
à un matériau différent. Homogène : uniforme dans sa composition.
Fluorescence : émission lumineuse par une Nucléer : fournir un point de départ pour
substance ayant absorbé de la lumière ou un quelque chose.
rayonnement électromagnétique.
Osmose déplacement de molécules
Gradient : variation dans l'espace de toute de solvant, généralement à travers une
quantité pouvant être représentée par une membrane, de la solution la moins concentrée
pente. Le gradient représente le degré et la vers la solution la plus concentrée.
direction d'inclinaison.
351
Oxyde composé chimique possédant Spectroscopie Raman : technique utilisée
au moins un atome d'oxygène et d'autres pour étudier les modes de vibration, de
éléments. rotation et autres phénomènes à basses
fréquences d'un système.
Photon : « paquet » unitaire de rayonnement
électromagnétique souvent associé avec la Stœchiométrie: calcul déterminant les
lumière. quantités relatives de réactifs et de produits
au cours d'une réaction chimique, exprimé
Pôle : désigne dans une batterie les deux généralement en nombres entiers.
connections négative et positive.
Thermodynamique : branche des sciences
Polymère : macromolécule constituée de la naturelles traitant de la chaleur et de sa
répétition de sous-unités. relation avec les autres formes d'énergie et le
travail.
Précipitation : dans une solution, formation
d'un solide qui va habituellement reposer au Thixotropie : caractéristique de certains
fond. gels qui peuvent s'écouler lorsqu'ils sont
suffisamment secoués ou tordus.
Propriétés colligatives : qui a rapport aux
propriétés physiques (exemples : points de Transducteur : appareil convertissant une
congélation et d'ébullition) des solutions. forme d'énergie en une autre.
Les propriétés colligatives dépendent du
nombre de particules d'un soluté par rapport Travail : initialement « poids levé sur une
au nombre de molécules du solvant et sont hauteur», ce terme désigne plus généralement
largement indépendantes de la nature du le résultat d'une force et le déplacement qui
soluté. en résulte dans la direction de celle-ci.
352
~eau cache une révolution! La science de l'eau est aujourd'hui assez
sulfureuse, après plusieurs controverses retentissantes. Et pourtant,
quelles avancées grâce aux travaux présentés ici ! De la science de
laboratoire, expliquée de manière ludique, accessible à tous, et qui
ouvre des perspectives incroyables. « La découverte la plus impor-
tante du siècle», ont dit des scientifiques: la preuve documentée et
reproduite maintes fois d'un état de cristal liquide omniprésent (en
particulier dans le vivant), expliquant simplement et logiquement les
dizaines de paradoxes qu'aujourd'hui les spécialistes préfèrent passer
sous silence, de peur d'en être embarrassés?
Lisez ce livre, et vous saurez que l'eau créé des batteries électriques ;
que le mécanisme de l'homéopathie peut être expliqué ; que les
aimants de même signe peuvent s'attirer ; que les transferts dans les
cellules, comme beaucoup de mécanismes du vivant, sont propulsés
par l'eau et la lumière; vous comprendrez la forme des nuages, la pluie
et les éclairs ; comment des insectes marchent sur l'eau ; comment
l'eau monte dans les grand arbres ; pourquoi l'eau chaude gèle plus
vite que l'eau froide; pourquoi la glace glisse; pourquoi le sable mouil-
lé est plus solide que le sable sec ... Mais vous verrez surtout qu'on est
à l'aube d'applications pratiques qui pourraient fondamentalement
changer nos vies.
« Le livre de science le plus intéressant que j'aie jamais lu. Quelque chose de
vraiment nouveau dans la science. » Zhiliang Gong, Université de Chicago
« La découverte scientifique la plus importante de ce siècle. » Mae-Wan Ho, auteur,
directeur de l'lnstitute of Science and Society, Londres
« L'un des pionniers dans ce domaine, on peut s'attendre à ce que ses découvertes
aient des implications importantes. » Brian Josephson, Prix Nobel, Cambridge
« Aussi captivant qu'un roman de Dan Brown » David Anick, Harvard
« Ce livre contribue à un changement de paradigme considérable qui pourrait
révolutionner la biologie cellulaire, la physiologie des plantes, la signalisation
chimique et bien sûr la médecine telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui. Il ne
faut pas tomber dans le piège des positivistes qui veulent nous faire croire que tout
est matière et que tout ce qui se passe hors de notre regard est pure invention,
charlatanisme ou escroquerie. Bien ancré dans le concret et le réel d'un côté mais
aussi ouvrant des portes vers Je subtil et Je non matériel, ce livre est un parfait
exemple de ce que sera la science de demain: une science ouverte à tous et capable
de voir dans des phénomènes très ordinaires des choses extraordinaires et merveil-
leuses se déroulant en arrière-plan dans un monde inaccessible à nos sens
physiques. » Marc Henry, Université de Strasbourg