La Relativite: de Galilee A Einstein

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SCIENCE ET THEOLOGIE

(S.E.T.)
ASSOCIATION DE RECHERCHES SUR LES SCIENCES
ET LA THEOLOGIE CHRETIENNE

EGLISE SAINT ETIENNE DUMONT

L’HOMME FACE A L’UNIVERS


CYCLE de 7 CONFÉRENCES

H.BARREAU A.DELAUNAY J.PIVETEAU


0. COSTA DE BEAUREGARD Y.LEROY E.BONÉ
A.ACXER

LA RELATIVITÉ : DE GALILÉE A EINSTEIN


par

O.COSTA DE BEAUREGARD

BULLETIN N°2 DE L'ASSOCIATION SCIENCE ET THEOLOGIE

SIEGE SOCIAL DE L'ASSOCIATION SCIENCE ET THEOLOGIE (S.E.T.):


5, rue Jules Lemaître - 75012 -.PARIS

Toute correspondance doit être adressée à: Mère Marie-Ina BERGERON,


Franciscaine Missionnaire de Marie,
Vice-Présidente du S.E.T.
7, impasse Reille - 75014 - PARIS

19 8 4
LA RELATIVITE : DE GALILEE A EINSTEIN
par
Olivier COSTA DE BEAUREGARD
physicien
Directeur de Recherches au C.N.R.S.

Monsieur le Curé, je vous remercie beaucoup de votre invi-


tation dans votre superbe église, et puisque l'on m'a demandé de par-
ler du sujet: La Relativité: de Galilée à Einstein, j'en suis très heu-
reux parce que c'est un sujet qui m'a toujours beaucoup intéressé et
que je suis particulièrement heureux de développer aujourd'hui devant
vous.
Il se trouve que jusqu'au début du XXème siècle, tout le monde a cru,
y compris les physiciens, que nous vivions dans l'espace d'Euclide à
trois dimensions, longueur, largeur et hauteur, -"le coeur sent qu'il y
a trois dimensions", disait Pascal- et dans le temps absolu; qu'il y
avait un instant présent absolu et que tout le monde vivait dans ce pré-
sent absolu. Comme le dit Bergson, dans cette conception, on considère
que le présent seul existe, que le passé n'existe plus et que le futur
n’existe pas encore, et, continue Bergson, c'est une conception dans
laquelle "l'Univers meurt et renaît à chaque instant"; à chaque instant
de quoi? Eh bien, à chaque instant t du temps universel de Newton; c'est
le temps de tout le monde qui a été codifié par Newton.
Fort de ces concepts de l'espace et du temps, on avait bâti une ciné-
matique; l'alliance de la géométrie d'Euclide et du temps absolu engen-
drait une cinématique dans laquelle on avait énoncé un principe du mouve-
ment relatif. La géométrie d'Euclide admet les déplacements arbitraires
des corps solides; selon le principe du mouvement relatif, deux solides
en mouvement quelconque l'un par rapport à l'autre sont également vala-
bles comme repères de l'espace, par exemple la place du village et le
manège de chevaux de bois qui tourne sur la place du village sont, d'a-
près ce principe de cinématique, également bons comme repères de l'es-
pace.
Galilée a fait en son temps une révolution en énonçant quelque chose
d’entièrement différent, appelé par la suite le principe de relativité
restreinte, et qui est relié directement à son principe d'inertie. Voilà
en quoi consiste la grande découverte de Galilée. Le principe d'inertie
dit qu'un point massif soustrait à toute force extérieure reste ou bien
2

en repos ou bien en mouvement uniforme, à vitesse constante en gran-


deur et direction. Et, selon Galilée, c'est équivalent. Ce principe,
qui est aussi le principe de relativité restreinte, n'est pas du
tout identique au principe du mouvement relatif; il est évident que
si un mobile est animé d'un mouvement rectiligne par rapport à la
place du village, il ne sera pas animé d'un mouvement rectiligne par
rapport au manège qui tourne.

D’après le principe de Galilée, se trouve définie aussi


une échelle du temps; si on remplace le temps par une fonction quel-
conque non linéaire de la variable précédente, et si le mouvement
était uniforme avec la précédente échelle du temps, il ne sera pas
uniforme avec cette échelle du temps modifiée. Le principe de Gali-
lée définit donc une famille de repères de l'espace appelés par la
suite galiléens, et une échelle du temps qu’il serait juste d'appe-
ler l'échelle galiléenne du temps.

Alors, que sont les repères galiléens de l'espace? On mon-


tre sans difficulté que, si le principe de Galilée est vrai relati-
vement à un certain repère de l'espace, il est équivalemment vrai
dans tout autre repère animé par rapport au précédent d'une vitesse
constante en grandeur et en direction. En d'autres termes, le prin-
cipe d'inertie sélectionne parmi les solides, dont je parlais tout
à l'heure, une sous-famille de solides qui sont tous en mouvement
rectiligne uniforme les uns par rapport aux autres. L'affaire Gali-
lée a porté en partie sur ce point; Galilée disait en effet: "la
Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil". Il se référait à
l'idée, qui n'avait pas été très clairement exprimée, selon laquelle
il y a un repère galiléen dont le centre est au centre du Soleil et
dont les axes percent la voûte céleste dans des directions fixes, la
"sphère des fixes"; en effet, ce repère est très sensiblement un re-
père galiléen. Pourquoi ? Parce que le centre de gravité du système
solaire coïncide très sensiblement avec le centre du Soleil. Selon
un théorème de mécanique démontré plus tard, le centre de gravité
d'un système complexe, en l'absence de toute force, décrit un mouve-
ment rectiligne et uniforme. Galilée avait senti tout cela intuiti-
vement.
C'est par rapport à ce repère que Galilée disait que la
3

Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil. Les théologiens


lui opposaient l'idée que la Terre est un repère aussi bon que ce-
lui de Galilée pour décrire les mouvements. Vous voyez que le con-
flit en question était un conflit entre le principe du mouvement
relatif, auquel se référaient les théologiens, et le principe d'iner-
tie, ou le principe de relativité restreinte, auquel Galilée se ré-
férait.

On peut dire en somme que, sous cet aspect, la bataille


était la première bataille livrée par le principe de relativité
restreinte contre le principe du mouvement relatif.

Ainsi, ni la cinématique (I) classique, ni la dynamique (2),


entre lesquelles il y avait, comme on vient de l'expliquer, un mau-
vais ajustement, n'étaient en mesure de déterminer un repère absolu
des espaces. Et malgré tout, la plupart des gens rêvait qu'il exis-
tait un tel repère absolu des espaces. Le plus curieux, est que
Newton lui-même, qui avait codifié toutes ces lois, rêvait pourtant
qu'il existait un certain repère absolu des espaces, par rapport
auquel le repos, et aussi le mouvement, puissent être dits absolus;
seulement ni la cinématique, ni la dynamique, n'étaient en mesure
de trouver ce repère. Quand je disais tout à l'heure que la dynami-
que a un principe de relativité différent de celui de la cinématique
ancienne, j'aurais dû rappeler l'existence des forces d'inertie, que
tout le monde connaît. Quand le métro accélère ou freine, on sent
très bien ces forces d'inertie; également quand il s’engage sur une
courbe, et qu'on est jeté d’un côté ou de l'autre. Il y a une force
d'inertie un peu plus subtile qui s'appelle la force de Coriolis,
et qui est liée à la rotation uniforme d'un repère. Elle a été mise

(1) Définition du terme cinématique : science du mouvement pur. Ciné-


matique classique: alliance de la géométrie d'Euclide et du concept
du temps universel de Newton.

(2) Définition du terme dynamique : science du mouvement incluant ses


"causes", en fait les concepts force, énergie, etc... La dynamique
classique est appelée à juste titre galiléo-newtonienne. On distin-
gue forces motrices et forces d'inertie.
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en évidence au milieu du XIXème siècle à deux pas d'ici, sous la


voûte du Panthéon. Le physicien Foucault a accroché un pendule au
sommet de la voûte du Panthéon. Le calcul de mécanique classique
disait: le plan d'oscillation du pendule tourne à peu près en tren-
te six heures. Si le pendule était accroché au Pôle Nord, le plan du
pendule tournerait en vingt quatre heures. S'il était accroché à
l'équateur, il ne tournerait pas du tout. Ici, à la latitude de Pa-
ris, c'est quelque chose entre les deux, à peu près trente six heu-
res. C'est une expérience qui montre la rotation de la Terre sans
du tout regarder la voûte céleste. Ce genre de phénomène est large-
ment utilisé maintenant: c'est là dessus que sont fondés les gyro-
compas. Vous savez que, par exemple, depuis que les avions passent
au dessus du Pôle Nord, les compas magnétiques sont inutilisables.
Il faut donc trouver autre chose. Ces avions sont équipés de gyro-
compas qui fonctionnent par inertie ordinaire et par inertie de Co-
riolis. Ce genre de phénomène existe naturellement aussi dans les
autres branches de la physique; en optique, par exemple, il y a un
phénomène analogue: si on fait une expérience d'interférence sur un
disque qui tourne, on constate effectivement l'effet de la rotation,
appelé l'effet Harress-Sagnac mis en évidence en 1912 en Allemagne
et 1913 en France. En prenant la Terre comme solide tournant, c'est
une autre façon de faire l'expérience du pendule de Foucault.

L'idée devait immanquablement venir aux classi-


ques, qui croyaient à l'existence d'un repère absolu des espaces, de
poser à l'Optique la question devant laquelle, pensaient-ils, la Dy-
namique se récusait. Les classiques, en effet, supposaient que la lu-
mière se propage dans un milieu très subtil, "l'éther", jugé indis-
pensable, comme on l'a dit humoristiquement, "pour faire un sujet au
verbe onduler". L'identification des deux notions de l’éther et du
repère absolu des espaces allait pour ainsi dire de soi. D'après la
théorie classique de la composition des vitesses, si une source lumi-
neuse "au repos par rapport à l'éther" y émet des ondes sphériques de
vitesse c, tout observateur animé d'un vitesse v "par rapport à
l'éther" attribuerait aux fronts d'onde une vitesse variable avec la
direction et comprise entre c + v et c - v.

Nous voyons ainsi se former, dès l'origine de la grande


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aventure scientifique qu'il s'agit de conter, une intime alliance


entre l'Optique du vide et la Cinématique, alliance qui devait trou-
ver, au début du XXème siècle, un dénouement en coup de théâtre:
l'avènement de la théorie de la Relativité restreinte.

Arago, en 1818, reçut dans un prisme la lumière issue d'une


étoile et, contrairement à son attente, il trouva que la déviation
est la même que si la source eût été liée à la Terre. Pour rendre
compte de ce fait Fresnel imagina sa théorie de "l'entraînement par-
tiel de l'éther par les corps transparents", dont la formule subsis-
te comme un acquis définitif de la Science; on trouve même sous la
plume de Fresnel mention de la négligence des termes du second ordre,
en β2 — v2/c2 , dont le caractère allait apparaître si "crucial" au
temps de l'expérience de Michelson et de la formule de Lorentz et
Fitzgerald.

Cette formule de Fresnel est une formule universelle, indé-


pendante de la matière du corps transparent où se meut la lumière,
d'autre part, la vitesse absolue de ce corps matériel s'élimine du
résultat. Ainsi, la formule de Fresnel est une formule de pure ciné-
matique, où ne figurent que les vitesses relatives de la lumière, du
corps matériel et de l'observateur.

M. von Laue a montré, en 1907, que la "formule d'entraîne-


ment des ondes” de Fresnel n'est rien d'autre qu'une spécification
particulière de la formule de composition des vitesses de la Relati-
vité restreinte. Réciproquement, Hadamard, dans ses Leçons d'Analyse
de l'Ecole Polytechnique, a montré en 1928 comment déduire par inté-
gration la formule relativiste de composition des vitesses de celle
de Fresnel. Mais ce n'est pas cette voie là qu'a suivie l'Histoire.

Tout au long du XIXème siècle, furent accumulées de


nombreuses expériences variées du premier ordre en β , toujours
avec un"résultat négatif". Parmi celles-ci, mention doit être faite
de celle par laquelle Fizeau, en 1851, vérifia directement la formu-
le de Fresnel.

Devant cette obstination que mettait l'expérimentation


optique à ne manifester aucun effet mesurable du supposé "vent d'é-
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ther", deux idées, l'une et l'autre importantes, finirent par se


faire jour dans le dernier quart du XIXème siècle.
Mascart, qui avait accumulé toute une variété d'expérien-
ces destinées à rechercher le "vent d'éther", et, quelques années
plus tard, Poincaré, se convainquirent que, très probablement, le
principe de relativité de la Dynamique (affirmant le caractère pu-
rement "relatif" des translations uniformes des repères galiléens)
devait représenter une loi générale de la Nature et, en particulier,
une loi de l'Optique cinématique. C'était là une vue profonde et qui,
pour prendre corps dans une théorie physique, n'attendait que l'appel
à la théorie des groupes de transformations.
L'autre idée, moins ample et d'un caractère plus technique,
est celle qui allait fournir la clé du passage décisif dans le chemi-
nement de ce long "raisonnement expérimental".
En 1874, Potier, montra d'une manière explicite le résultat
déjà implicite chez Fresnel, que la formule d'entraînement de Fresnel
a la conséquence que tout effet du supposé "vent d'éther" se trouve
exactement éliminé au premier ordre en β = v/c.
les paris s'ouvraient donc devant l'expérience, à tenter,
du second ordre en β = v/c.

Exécutée en 1887, à Cleveland, par Michelson et Morley,


l'expérience, tant attendue, du second ordre en β donna, elle aussi,
un "résultat négatif"; dans ce véritable "roman policier" de la
Science, qui déroulait ses épisodes depuis alors 70 ans, l'inconnu
suspect, dénommé éther, se dérobait une fois de plus; devant ce
nouveau coup du sort, les services d'investigation qui voulaient le
traquer entrèrent en activité fébrile.
Fitgerald (cité par lodge:1893) et H.A. lorentz (1895)
ripostèrent (comme autrefois Fresnel à l'expérience du premier
ordre d'Arago) par une formule et une explication verbale ad hoc :
le "vent d'élher" devait avoir pour effet de contracter toutes les
longueurs longitudinales des corps matériels dans le rapport
√ 1−β 2 , où v = cβ désigne la soi-disant "vitesse absolue" du
corps.
Comme autrefois l'effet imaginé par Fresnel, 1'effet main-
tenant postulé par Fitgerald et lorentz s'exprimait dans une formule
universelle (indépendante de la matière du corps considéré) et, qui
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plus est, par une formule de pure cinématique (puisqu'elle ne fai-


sait intervenir que la vitesse). Mais, comme autrefois chez Fres-
nel, le commentaire verbal associé à la formule présentait un
grave défaut épistémologique: elle n'introduisait le "vent d'éther"
que pour en "escamoter" les effets observables.

A la suite du "résultat négatif" de Michelson et Morley,


Lorentz et Poincaré, le premier en théoricien de l'Electromagnétis-
me, le second en philosophe des sciences et en mathématicien, se
mirent à édifier une doctrine de l'équivalence privilégiée des re-
pèrent galiléens étendue de la Dynamique à l'Optique et à l'Electro-
magnétisme.
Tous les matériaux, philosophiques, mathématiques, physi-
ques du futur monument d'Einstein et de Minkowski figuraient sur
le chantier qu'ils avaient ouvert. Il ne manquait à leur travail,
pour devenir la théorie de la Relativité, que l'identification,
précisément, des principes mathématiques et des principes philoso-
phiques d'après lesquels on bâtissait. Suivant la pure épistémolo-
gie poincarienne que, travaillant ici comme ouvrier, Poincaré lui-
même n'appliquait pas jusqu'au bout, il fallait affirmer que les
symboles utilisés comme les plus théoriquement "commodes" sont une
expression adéquate de la réalité physique.

les formules de Lorentz-Poincaré

x−vt t− vx/ c 2 v
x '= t '= β=
2
√ 1−β √1− β 2 c

qu'Einstein allait prendre comme base, définissent autant de "temps


locaux" et d'étalons d'espace qu'il y a de repères galiléens; elles
sont, par construction, telles que la mesure de la vitesse de la
lumière en termes de ces unités fournisse, dans chaque repère gali-
léen, et quelle que soit la direction d'observation, la même va-
leur c; elles admettent la propriété de réciprocité, c'est-à-dire
qu'elles sont réversibles sous la même forme, avec le changement
de v en -v. Pour tout dire, ce sont les formules d'un groupe de
transformations, ainsi que le fit observer Poincaré en 1905-1906
- en même temps qu'il présentait les formules dans leur expression
définitive, et qu'il énonçait en passant l'idée de l'espace-temps
quadridimensionnel.
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Arrêtons-nous un instant pour voir où nous en sommes:


- D'abord, un repère galiléen ne sera plus, d'après ces formu-
les, seulement un repère de l'espace, comme autrefois, ce sera aus-
si un repère du temps. lors d'un changement de repère galiléen, il
n'y aura plus seulement, comme autrefois, transformation des coor-
données d'espace, il y aura aussi transformation de la "coordonnée”
temps.
Ceci justifie la substitution du qualificatif lorentzien
à celui de galiléen pour tenir compte du nouvel état de choses.
- En second lieu, les formules de Lorentz-Poincaré assurent que
la valeur mesurée de la vitesse de la lumière sera la même dans
toutes les directions quel que soit le repère galiléen où l'on opè-
re, et de plus la même quel que soit le repère galiléen: ce sont là
les deux fameuses propriétés d'isotropie et d'invariance de c.
- Troisièmement, la loi de contraction longitudinale des lon-
gueurs matérielles apparaît, dans ces formules, comme réciproque :
deux observateurs munis de règles matérielles identiques et placées
parallèlement, animés de plus l'un par rapport à l'autre d'une vi-
tesse relative v = cβ , trouvent chacun que la règle de l'autre
est plus courte dans le rapport √ 1−β 2
Mathématiquement parlant, Lorentz et Poincaré avaient
tout dit. Mais leur discours conceptuel restait boiteux en ceci
qu'il se référait à l'existence d'un éther (le "sujet du verbe
onduler") que leurs formules escamotaient complètement. C'est Eins-
tein qui allait sauter le grand pas.

En 1905, Einstein travaillait à l'Office des Brevets de


Berne. Il publia en cette année trois articles retentissants, dont
chacun aurait mérité le Prix Nobel. L'un fonde la théorie de la
Relativité, et contient essentiellement l’idée que voici: les varia-
bles x, y, z, et t qui figurent dans les formules de Lorentz-Poinca-
ré notent l'espace et le temps non seulement tels que nous les me-
surons, mais tels que nous les vivons. Autrement dit, ni l'espace
ni le temps ne sont absolus comme on l'avait cru jusqu'alors; ils
sont relatifs au repère spatio-temporel, dorénavant dit lorentzien
plutôt que galiléen, à cause du changement de ses formules. En ter-
mes de l'espace-temps de Poincaré-Minkowski, ces repères sont les
repères cartésiens stricto sensu de l'espace-temps, la quatrième
9

coordonnée, perpendiculaire aux trois coordonnées x, y, z, étant


2
ict, i notant l'imaginaire pure telle que i = -1 , en sorte que le
"théorème de Pythagore généralisé" s'écrive:
x 2 + y 2 + z 2 − c 2 t 2 = s2
ou, dans le cas de la propagation de la lumière, s 2= 0 soit
2 2 2 2 2
x + y + z =c t
la preuve la plus tangible de la transformation réciproque
partielle du temps et de l'espace est fournie par le phénomène dit
"des jumeaux de Langevin".
Ce n'est pas seulement un problème académique dont on peut
discuter, c’est un problème réel que l'on a expérimenté récemment.
Pour expliquer de quoi il s'agit je vais prendre une comparaison. Je
suppose d'abord que nous sommes dans l'espace ordinaire à trois di-
mensions: l'espace d'Euclide. Je vous donne à Dunkerque deux voitu-
res identiques avec zéro kilomètre à leur compteur; elles se donnent

Espace euclidien Espace-temps quadridimensionnel


2 2 2 2 2 2 2 2 2 2
d =dx + dy +dz ds = c dt −(dx +dy + dz )
courbe (trajectoire) spatiale trajectoire dans l’espace-temps
abscisse curviligne le long de temps propre Tp
la trajectoire k
kilométrage temps (sur le bracelet-montre du voya-
geur)
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rendez-vous à Perpignan, l'une piquant tout droit à travers le


Massif Central, et l'autre faisant le tour par la Manche, l'Atlan-
tique et les Pyrénées. Quand les deux voitures se parquent l'une à
coté de l'autre à Perpignan et que l'on regarde les deux compteurs,
l'on trouve que le compteur de celle qui a piqué tout droit marque
à peu près mille kilomètres, et que le compteur de celle qui a fait
le demi-tour de France marque environ 1500 kilomètres (le fameux
hexagone, vous savez). Outre cela, à part les accidents ou les inci-
dents possibles, la voiture,la plus usée est celle qui a fait le
plus grand tour. Cela dit, nous allons faire la même chose dans
l'espace-temps de Poincaré-Minkowski.

Je suppose qu'à partir d'un certain instant-point "initial"


(on parle x, y, z, t en théorie de la Relativité) jusqu'à un certain
instant-point "final" il y a deux jumeaux qui ont vécu côte à côte
jusqu'à ce que l'un décide de rester sur Terre -et comme la Terre ne
va pas tellement vite, elle ne fait jamais que trente kilomètres à
la seconde, ce qui n'est pas grand chose par rapport aux 3000 000 km/s
de la lumière- celui-là sera dit "sédentaire”, décrivant une trajec-
toire peu courbée dans l'espace-temps, l'autre décide de faire un
grand tour dans le cosmos : il part dans une fusée qui subit de for-
tes accélérations, longitudinales et transversales; à son retour sur
terre, il aura décrit une trajectoire beaucoup plus courbée que l'au-
tre. Ce qui tient lieu de compteur kilométrique dans l'espace-temps,
c'est la montre-bracelet que porte chacun des personnages. Quand
l'ex-jumeau voyageur est revenu sur Terre, les deux comparent leurs
bracelets-montre, et constatent que les temps écoulés ne sont pas
du tout égaux. En outre -et ceci vous surprendra beaucoup je pense-
dans l'espace-temps la trajectoire la plus courte, est la trajectoire
la plus courbée. Alors que, dans l'espace ordinaire, la corde est
plus courte que l'arc, dans l'espace-temps, c'est le contraire; du
moins, c'est le contraire pour les trajectoires du genre temps.-Ici
j'ouvre une parenthèse pour vous rappeler que l'équation
x 2 + y 2 + z 2 =c 2 t 2
est l'équation d'un cône dans l'espace-temps, qu'on appelle cône de
lumière, en langue anglaise, ou cône isotrope en France-. Ce cône
coupe l'espace-temps en trois régions et non plus deux comme le
faisait le temps universel de Newton. On appelle ces trois régions
11

La trichotomie relativiste de l’espace temps par


le «cône isotrope» en passé, futur et ailleurs : elle
interdit de séparer globalement ou universelle-
ment un «ce qui a été» d’un «ce qui sera», et
oblige donc à penser la matière comme étendue
temporellement - comme elle l’est spatialement.
Passé, futur et ailleurs existent «à la fois» - ce
qui ne veut par dire «en même temps»!

En unités de longueur et de temps «pratiques»,


c’est-à-dire adaptées à notre situation existentielle
dans le cosmos (disons, le mètre et la seconde), la
vitesse de la lumière est «très grande». Le cône
isotrope apparaît alors très aplati. Si l’on passe à
la limite c →∞ , l’ailleurs est (ou plutôt sem-
ble) complètement évacué, et l’on tend vers la
situation de la figure 3.

Si les vitesses en jeu sont petites devant c, l’on


peut en général «faire comme si» c →∞ .
L'ailleurs est alors complètement évacué, et l’on
retombe sur la dichotomie passé-futur de NEW-
TON - et de tout le monde. Dans un tel cadre il
est permis de penser que «le passé n’existe plus»
et que «le futur n’existe pas encore» ou encore,
comme l’écrit BERGSON, que «l’univers meurt
et renaît à chaque instant» - à chaque instant du
«temps universel». L’ailleurs est alors réduit à cet
instant sans épaisseur. Dans les échanges sociaux
aller-retour, nous pouvons alors nous sentir
«vivre au même instant».
12

le futur (l'intérieur du cône vers le haut), le passé (l'intérieur


du cône vers le bas) et l'extérieur qu'on appelle la région
"Ailleurs". Les "vecteurs du genre temps" pointent à l'intérieur du
cône; il y a des vecteurs du genre temps vers le futur et des
vecteurs du genre temps vers le passé. Pour les trajectoires du
genre temps, c'est le temps qui l'emporte sur l'espace, et c'est
pourquoi la trajectoire courbée du genre temps est plus courte que
l'autre (pour les trajectoires du genre espace ce serait le contrai-
re, mais, justement, on ne peut pas suivre une trajectoire du genre
espace).
Il se trouve donc que l'ex-jumeau qui a voyagé se retrouve
beaucoup plus jeune que celui qui est resté sur Terre. En outre,
comme pour les voitures, toutes choses égales d'ailleurs (accidents
mis à part)leurs vieillissements sont dans le même rapport que les
temps marqués sur leur montre-bracelet. Ainsi, le voyageur se
trouve plus jeune que son frère ex-jumeau sédentaire. Et n'allez
pas penser qu'il a gagné du temps comme cela; pas du tout; pas plus
que la voiture qui a fait le demi-tour de France par Brest, Biarritz
...n'a perdu de l'espace; elle n'a pas perdu de l'espace; elle a vu
des choses très intéressantes; elle a vu Brest, Biarritz, Toulouse,
etc... Par conséquent elle n’a pas perdu d'espace; elle a une expé-
rience que l'autre n'a pas.

De même, le voyageur qui a fait un tour dans le Cosmos n'a


pas gagné du temps; il lui est arrivé à peu près la même chose que
s'il s'était mis dans un frigidaire en hibernation prolongée et
s'était trouvé endormi pendant un certain temps. On le réveille, il
a fait un saut dans le futur; quand on le sort du frigidaire, il se
trouve beaucoup plus jeune que ceux qui sont restés à l'extérieur.
Il n'a pas du tout gagné du temps; il a simplement fait un saut dans
le futur. Vous allez me dire: tout cela, c'est de la spéculation.
Les physiciens savaient très bien que ce n'est pas de la spéculation,
parce qu'ils avaient fait assez d'expériences et de calculs pour
être absolument convaincus du phénomène; mais Mr et Mme Tout-le-
monde n'étaient pas convaincus du tout.

Il se trouve qu'on a pu récemment faire l'expérience, par-


ce que maintenant on dispose de "chronomètres atomiques" (basés sur
13

la phénoménologie dont je parlais tout à l'heure, avec les nou-


veaux étalons du temps et de l'espace.). Ces chronomètres sont capa-
bles de mesurer le temps a 10−12 près, au millionième de millio-
nième. C'est une précision "fantastique". Quand j'ai appris la phy-
sique, autrefois, dans ma jeunesse, on disait: une expérience
faite au millionième, c'est très beau. Maintenant on est bien au
−12 −15
delà; on fait des expériences à 10 , et même certaines à 10
près.
En 1972, les Américains Hafele et Keating ont décidé
d'opérer avec des chronomètres atomiques; pour éviter les erreurs,
ils ont pris, sauf erreur de ma part, deux fois trois chronomètres.
Ils ont loué une rangée de sièges dans des avions long-courriers,
l’un qui voyageait vers l'est, et l'autre vers l'ouest, et ils ont
fait voyager ces chronomètres. Je crois bien qu'ils les accompa-
gnaient, Hafele dans l'un et Keating dans l'autre. Après le retour
à Washington, on a constaté que le décalage était exactement celui
que l'on avait calculé.
Précisons un peu ce qui se passe. Quand vous prenez un
vol long-courrier, vous constatez que quand vous voyagez vers
l'ouest le soleil est pratiquement arrêté; à la vitesse sonique,le
soleil reste là où il était: vous arrivez à New-York à la même
heure légale que celle à laquelle vous êtes parti. Autrement dit
ce vol-là, pratiquement, annule la rotation de la Terre, et cor-
respond donc au jumeau sédentaire. L'autre vol, celui qui va vers
l'est (comme vous le savez, si vous avez pris ces vols long-cour-
riers) accélère énormément les levers et couchers du soleil; les
nuits sont très courtes, et les jours aussi; autrement dit la
trajectoire de l'avion qui vole vers l'est est beaucoup plus cour-
bée que l'autre dans l'espace-temps; c'est une hélice à spires
beaucoup plus serrées que celles de l'hélice de Washington; c'est
donc cela le jumeau qui voyage, c'est celui qui aura moins vieilli
au retour. Comme je vous le disais, l'expérience a été faite, et
l'on a trouvé le résultat calculé.

Quant aux ordres de grandeur, le décalage était d'environ


275 milliardièmes de secondes; la durée des vols, à peu près 50
heures dans chaque sens. Il y a eu les escales: il a fallu faire
des corrections dont je ne parle pas car cela nous entraînerait
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trop loin.
Mais voici ce qu'il faut ajouter: supposez que, par
extraordinaire, on sache mesurer la longueur des poils de barbe
du pilote à cette même précision. Je suppose que les deux pilotes
aient quitté Washington comme étant deux vrais jumeaux rasés de
frais, qu'on ait mesuré la longueur de leurs poils de barbe au
départ et qu'on ait trouvé zéro, et qu'à leur retour on ait fait
la même opération à 10−12 près: on aurait naturellement trouvé les
mêmes résultats qu'avec les chronomètres. On aurait trouvé que le
pilote qui est parti vers l'est se trouve moins vieilli que celui
qui a voyagé vers l'ouest. Soit dit entre parenthèses: si on savait
mesurer la consommation de carburant des avions à la même précision,
ce serait encore un autre chronomètre, mais pas seulement un chrono-
mètre, ce serait aussi un moyen de mesurer la longueur parcourue.
Cela montre que, rigoureusement parlant, les deux équipages n'at-
tribuent pas la même longueur au parallèle de Washington; encore
un "paradoxe", mais encore un effet relativiste, sur lequel les
physiciens sont entièrement d'accord. Cela fait partie des "para-
doxes" de la Relativité.
Et, croyez-moi, la Relativité restreinte, personne n'en
doute plus chez les physiciens; il serait absolument insensé de
chercher à la remettre en question; c'est une théorie trop bien
vérifiée dans tous les domaines.

Quelle est la philosophie sous-jacente à la


Relativité? A présent, la physique ne se fait plus "dans l'espace
d'Euclide et à un instant donné"; elle se fait dans l'espace-temps
à quatre dimensions. L'espace-temps à quatre dimensions est le vrai
successeur de l'espace d'Euclide depuis 1905. Tous les travaux de
physique, à n'importe quelle échelle, que ce soit celle de la micro-
physique ou celle de la physique cosmologique, est faite en terme
d'espace-temps. Le principe du mouvement relatif a disparu de la
scène; dans la cinématique relativiste il est remplacé par le prin-
cipe de relativité restreinte de Galilée, remodelé mathématiquement
par Lorentz et Poincaré. C'est là le principe de relativité universel
de la physique.

A proprement parler il ne peut donc plus exister de corps


solides en rotation ni de corps solides accélérés. Plus précisément
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les problèmes de mise en rotation ou en accélération d'un corps


solide ne sont plus des problèmes de cinématique pure, mais des
problèmes d'élasticité relativiste.

Philosophiquement parlant, la physique relativiste est


une physique sub specie aeternitatis (pour parler comme Saint
Thomas d'Aquin). C'est une physique dans laquelle tout est donné
à la fois. Mais attention: "à la fois" ne veut pas dire "en même
temps": on considère "à la fois" le passé, le présent et le futur.
Selon cette vision, je n'irais pas jusqu'à dire qu'il s'agit de
la même chose que ce dont parlent les théologiens quand ils disent
que Dieu voit le passé, le présent et le futur à la fois. Cela
serait bien outrecuidant de ma part. Il n'en reste pas moins que
cette vue des choses est tout à fait différente de celle qu'on
avait avant 1900; c'est une vue du temps déployé en acte, en acte
au sens d'Aristote: passé, présent et futur à la fois.

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Esquisse de Bibliographie
sur la Relativité restreinte
CASANOVA G. Relativité restreinte (éd.E.Belin), 196I.
COSTA DE BEAUREGARD 0,- la théorie de la relativité restreinte,
(éd.Masson), 1949-
- Précis de relativité restreinte, éd.Dunod, 1963
LICHNEROWICZ A. Eléments de calcul tensoriel, éd A.Colin, 1950.
TONNELAT M.-A. Les principes de la théorie électromagnétique et de
la relativité, Masson, 1959.
COSTA DE BEAUREGARD 0. Precis of special relativity, Academie Press,67
FOKKER A.D. Time and space, Weight and inertia, Pergamon, 1965
PAULI W. Theory of Relativity, Pergamon, 1958
RINDLER W Essential Relativity, Van Nostrand, 1969
SYNGE J.L. Relativity, the special theory, North Holland, 1956

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Nous remercions vivement les Editions VRIN d'avoir bien voulu accep-
ter que soient reproduite partiellement (et avec modifications le
plus souvent) certains passages du livre de M.O.COSTA DE BEAUREGARD:
LA NOTION DE TEMPS, EQUIVALENCE AVEC L'ESPACE (éd. VRIN, 1983),
notamment en ce qui concerne la partie relative à l'Optique; et nous
renvoyons le lecteur plus amplement intéressé par la Relativité et
les Quanta à cet ouvrage.
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