De Penser !!!

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L'art de penser
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Pascal Ide

L'art de penser
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© Editions Médialogue
72, Rue Bonaparte - F. 75006 Paris
ISBN 2 - 86740 - 031 - 7
Dépôt légal : septembre 1992
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays.
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A Aline Lizotte
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POURQUOI UN ART DE PENSER ?

" L ' h o m m e n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un
roseau pensant", disait P a s c a l Les soucis, les vicissitudes de la vie, se
chargent régulièrement de lui montrer qu'il est un roseau bien vulnérable.
Mais lui dit-on assez qu'il est pensant, c'est-à-dire que la faculté de pen-
ser est, avec la capacité d'aimer, sa grande noblesse ? Or, on ne naît pas
animal pensant, on le devient.
Toute l'ambition de cet ouvrage n'est pas de vous rendre plus savant,
mais plus intelligent, c'est-à-dire de faire fructifier votre intelligence. Il
ne s'agit pas d'ajouter un livre à votre bibliothèque, mais de vous per-
mettre de lire les livres qui y sont déjà présents, et d'abord, si besoin est,
de vous en donner le goût. L ' h o m m e donne trop souvent l'impression que
son intelligence est une voiture qui, ayant oublié qu'elle a cinq vitesses,
se traîne en première vitesse. Il a été répété ces dernières années que nous
n'exploitions que 10 % de notre cerveau ; il vaudrait mieux dire 10 % de
notre esprit. En effet, nous naissons tous avec une intelligence mais aucun
avec son mode d'emploi. C'est à l'éducation de le fournir. Mais je n'ai
jamais vu, ni à l'école ni en faculté, un cours intitulé Art de p e n s e r ou
Comment g é r e r ses ressources intellectuelles ? Je le regrette. Ce livre
voudrait, dans la limite des compétences de son auteur, combler cette
lacune.
Je ne prétends d ' a i l l e u r s pas à l'originalité. Une bonne partie des
notions qui seront développées ont déjà été détaillées par un des plus
grands philosophes grecs, Aristote, dans une série d'ouvrages auxquels il
a donné le nom suggestif d ' O r g a n o n , c'est-à-dire d'instrument. Tant,
pour lui, l'intelligence avait besoin d'être outillée pour pouvoir convena-
blement penser. Malheureusement, après Aristote, on a trop fait de cet
e n s e i g n e m e n t une science à laquelle on a donné le n o m abstrait de
logique, alors qu'elle est un art, c'est-à-dire une discipline qui se pratique
pour mieux vivre, et ici, mieux penser. L'art de penser est à la raison ce
que la gymnastique est au corps.
Cet ouvrage est aussi le résultat d'un enseignement souvent donné dont
j ' a i pu constater les fruits. Et j'utilise moi-même avec enthousiasme la
méthode qui va être développée, depuis quelque dix-sept ans.
Ce livre s'adresse autant au scolaire q u ' à l'universitaire qui ont besoin
de donner leur plein intellectuel. Il est aussi écrit pour tous ceux qui

1 - P e n s é e s , n° 264, Éd. Chevalier et n° 347, Éd. B r u n s c h v i c g , in Œ u v r e s complètes,


"Bibliothèque de la Pléiade", Paris, Gallimard, 1954, pp. 1 156-1 157.
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aiment lire et qui voudraient que leur lecture ne soit pas qu'un bon souve-
nir, réduisant leur résumé à un frustrant et laconique : "C'était bien." Il
s'adresse de même à ceux qui doivent rédiger un texte avec rigueur : les
lois de l'écriture sont très proches de celles de la lecture qui sont celles de
la pensée. La pensée est d'abord réceptive, puis créative ou productive :
avant de produire son fruit, l'arbre reçoit la lumière du soleil et les sels
minéraux de la terre.
Enfin, comment utiliser ce livre ? Il n'y a pas de prêt-à-porter intellec-
tuel, il n'y a que du sur mesure, car chacun est unique. C'est pour cela
que chaque chapitre comporte de nombreux exercices. Ils n'ont pas été
écrits pour être contemplés, mais pour être faits ! De même, vous trouve-
rez une série d'exercices à la fin du livre : ils récapitulent toutes les
notions qui ont été développées dans les différents chapitres. Jean-Claude
Lamy qui a interviewé plus de 200 "cracks" , constate que "tous les bons
en maths font énormément d'exercices : ils ne s'attardent pas à rabâcher
le cours, mais consacrent 80 à 90 % de leur temps à mettre en œuvre leurs
connaissances dans des exercices". Faites de même si vous voulez que ce
petit ouvrage porte du fruit. Voici une autre constatation intéressante de
l'auteur : le "cœur du secret des bons élèves" est "une gestion de leur
capital intellectuel visant au plein emploi de leurs capacités c r o i s s a n t e s
Maintenant, bon courage.

1 - Vive les cracks. Vie et mœurs des "bêtes à concours", Paris, Jean-Claude Lattès, 1989,
pp. 24 et 25.
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MOTS CLEFS

Abstraction : c'est le processus de l'intelligence qui tire (du latin ab-


trahere) des réalités sensibles, matérielles leur essence intelligible et uni-
verselle. L'abstrait n'est pas un à-côté figé du concret multiple et foison-
nant, il en est le cœur. Par exemple, dire de cet être-ci qu'il est un homme
ou une personne c'est tirer du réel son essence et en dire le plus profond,
beaucoup plus que se contenter de le décrire. Alors que les sens s'arrêtent
au sensible, seule l'intelligence est à même de connaître ce qui est abs-
trait. Le fruit de l'abstraction est le concept (cf. Introduction).

Concept : concept vient de conception. Le concept est donc le fruit de


l'activité de l'intelligence. C'est ce qu'exprime le célèbre vers du poète
Boileau : "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement." Aujourd'hui,
concept est synonyme d'idée (cf. Introduction).

Définition : c'est une opération ou un instrument de l'intelligence (en


l'occurrence la première des trois opérations de l'intelligence) par
laquelle elle dit distinctement ce qu'est la chose. Par exemple, la défini-
tion de "looping" est : "acrobatie aérienne consistant en une boucle dans
le plan vertical", ce qui dit précisément ce qu'il est (cf. chapitre v).

Déduction : c'est un raisonnement qui va de l'universel au singulier. Il


ne faut pas le confondre avec le syllogisme, comme on le fait trop sou-
vent : le syllogisme demeure dans l'universel, et surtout il donne la cause
(cf. chapitre III).

Division : c'est un instrument de l'intelligence qui lui permet de mettre


de l'ordre dans le multiple, le confus. Ainsi l'intelligence va distinguer les
roches en sédimentaires, volcaniques et métamorphiques pour mettre de
l'ordre au sein de ce vaste genre que sont les différentes roches. La divi-
sion suit des règles logiques précises (cf. chapitre IV).

Enthymème : c'est une des quatre sortes de raisonnement. Ce qui


caractérise l'enthymème est qu'il se fonde sur un signe ou sur un lieu
commun, c'est-à-dire une idée reçue par tous. Par exemple, "le mistral
souffle, nous n'aurons pas de pluie" (cf. chapitre III).

Exemple (raisonnement par 1') : au sens technique qui est le nôtre, c'est
une des quatre sortes de raisonnement. Ce qui caractérise le raisonnement
par l'exemple est qu'il se fonde sur une analogie avec le sujet de la pro-
blématique. Le raisonnement par l'exemple n'a donc pas le sens habituel
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d'exemple ou d'illustration. Ce raisonnement est donc très faible, car la


similitude est éloignée de la cause. Il cherche donc davantage à
convaincre qu'à prouver, à montrer qu'à démontrer. "Prost conduit lente-
ment sur route" (sous-entendu, vous aussi) est un raisonnement par
l'exemple (qui n'a pas été mis en forme) (cf. chapitre III).

Figure : on appelle figure de syllogisme, la forme de celui-ci. Cette


forme est dictée par le degré d'universalité du moyen terme comparé à
celui du grand terme et du petit terme. On distingue ainsi trois figures de
syllogisme (cf. chapitre III).

Induction : c'est une des quatre sortes de raisonnement. Ce qui caracté-


rise l'induction est qu'elle se fonde sur une énumération de cas singuliers
pour s'élever à l'universel. Par exemple, Claude Bernard observe que cer-
tains animaux à jeun ont des urines claires (acides) et il en conclut que
tous les animaux qui sont à jeun ont des urines claires (cf. chapitre III).

Intelligence : c'est une faculté propre à l'homme dont l'acte est de


comprendre l'essence des choses. L'étymologie d'intelligence est : "intus
legere", lire à l'intérieur. L'intelligence est donc comme la capacité de
lire à l'intérieur des réalités ce qu'elles sont, alors que les cinq sens
s'arrêtent aux apparences extérieures.
L'intelligence a trois opérations qui vont du plus simple au plus com-
plexe : l'appréhension (dont le but est la définition), le jugement (dont le
but est d'énoncer le vrai et le faux) et le raisonnement (dont le but est
d'établir le jugement) (cf. Introduction).

Jugement : c'est l'opération de l'intelligence qui unit deux concepts


(sujet et prédicat) en attribuant l'un à l'autre (le prédicat au sujet), dans le
but d'énoncer le vrai ou de dénoncer le faux. Par exemple, "Les
X V I jeux Olympiques d'hiver se sont déroulés à Albertville" est un juge-
ment (en l'occurrence vrai) (cf. Introduction).

Moyen terme (abrégé MT) : c'est le fondement du raisonnement, ce


qui lui permet de conclure et de juger de ce qui est vrai et de ce qui est
faux. Il y a quatre grandes sortes de MT qui fondent les quatre sortes de
raisonnement : la cause (qui fonde le syllogisme), l'énumération de singu-
liers (qui fonde l'induction), le signe (qui fonde l'enthymème) et la simi-
litude (qui fonde le raisonnement par l'exemple) (cf. chapitre III). C'est du
moyen terme que dépend la force du raisonnement.

Niveau de lecture : le niveau de lecture est l'intention de l'auteur qui a


rédigé le texte. A-t-il écrit pour faire savoir, mouvoir ou émouvoir ?
Déterminer le niveau de lecture est le premier temps obligé de la lecture
de tout texte (cf. chapitre I).
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P l a n : c'est la mise en ordre d ' u n texte ou d ' u n discours. Il suit des


règles bien précises (cf. chapitre VI).

P r é d i c a t : c'est un des deux concepts formant la problématique. Plus


précisément, le prédicat est ce qui est attribué, c'est ce qui est dit du sujet.
Aussi est-il plus universel ou au moins aussi universel que le sujet. Il
répond à la question : "Qu'est-ce qu'on en dit (du sujet) ?"
Le prédicat de l'exemple donné en définissant le jugement, est : "se
sont déroulés à Albertville" (cf. chapitre II).

P r é m i s s e : c'est un jugement (donc un énoncé ou une proposition com-


posés de deux concepts) fondant une conclusion. Le raisonnement com-
porte toujours deux prémisses. La prémisse comporte toujours le moyen
terme, mais pas la conclusion, puisque le M T a pour but d'unir les termes
de la conclusion (cf. chapitre III).

P r o b l é m a t i q u e : de manière rigoureuse, la problématique est la formu-


lation interrogative du jugement. Par exemple : "Les X V I jeux Olym-
piques d'hiver se sont-ils déroulés à Albertville ?" Mais, bien souvent,
dans le texte, la problématique aura le sens de thèse, c'est-à-dire d'énoncé
affirmatif, et non pas le sens interrogatif de jugement (cf. chapitre II).

Raison : c'est l'intelligence en tant qu'elle discourt, c'est-à-dire en tant


qu'elle part d'un point pour aboutir à un autre point. L'acte propre de la
raison est le raisonnement. La raison n'est pas une faculté distincte de
l'intelligence, mais c'est l'intelligence en tant qu'elle exerce la troisième
de ses trois opérations (cf. Introduction).

R a i s o n n e m e n t : c'est la troisième opération de l'esprit. Le raisonne-


ment ou argumentation est un discours de la raison dont la finalité est de
démontrer une thèse. Il existe quatre grands types de raisonnement (voyez
Moyen terme). Tout raisonnement est composé de deux prémisses et
d'une conclusion (cf. chapitre III).

R a i s o n n e m e n t p a r l ' e x e m p l e : voir Exemple.

S u j e t (d'une problématique) : c'est un des deux concepts formant la


problématique. Plus précisément, le sujet est ce dont on parle, ce à quoi
on attribue les déterminations. Aussi est-il moins universel que le prédi-
cat. Il répond à la question : "De quoi parle-t-on ?"
Dans l'exemple donné en définissant du jugement, le sujet est : "Les
X V I jeux Olympiques d'hiver" (cf. chapitre II).

Syllogisme : c'est une des quatre sortes de raisonnement. Ce qui carac-


térise le syllogisme est qu'il se fonde sur une cause unissant le sujet et le
prédicat de la problématique. Comme la cause est le lien le plus fort pour
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montrer l'union, le syllogisme est le raisonnement le plus rigoureux et le


plus démonstratif. Contrairement à l'induction et à la déduction, le syllo-
gisme va de l'universel à l'universel. Par exemple, "mon avenir est fonc-
tion de ma liberté ; or, les astres ne peuvent déterminer ma liberté ; donc,
les astres ne peuvent prédire mon avenir" est un syllogisme car le M T est
une cause (ici, c'est "la liberté"). On distingue trois figures de syllogisme
en fonction du degré d'universalité du M T (cf. chapitre III).

T e r m e : c ' e s t le nom que l'on donne aux concepts formant la problé-


matique (ils sont deux) ou le raisonnement (ils sont trois, voire quatre). Ils
portent des noms différents selon le rôle qu'ils jouent :
- dans la problématique, on distingue le sujet et le prédicat.
—dans le raisonnement, on distingue le grand terme, le petit terme et le
moyen terme. Il y a en plus le terme semblable dans le raisonnement
par l'exemple (cf. chapitres II et III).

Thèse : au sens technique où nous l'entendons, c'est la problématique


formulée de manière affirmative. C ' e s t donc l'énoncé d ' u n jugement. Et
c ' e s t parce que les thèses (d'université) ont pour but de démontrer, de
défendre une thèse (au sens restreint qui est le nôtre) qu'elles portent ce
nom (cf. chapitre II).
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UN DISCOURS DES MÉTHODES

En 1637, René Descartes écrivait un ouvrage dont l'influence fut sans


doute l'une des plus décisives sur l'histoire de la pensée : le Discours de
la méthode, premier ouvrage de philosophie édité en français. Ce "cava-
lier français qui partit d'un si bon pas " (Péguy), ce "héros" (Hegel), nous
y proposa quatre lois de la pensée qu'il estime universelles :
- "Le premier [précepte] était de ne recevoir aucune chose pour vraie que
je ne la connusse évidemment être telle
—"Le second, de diviser chacune des difficultés que j ' e x a m i n e r a i s en
autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux
résoudre."
- "Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par
les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu
à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composées
[...
- "Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des
revues si générales, que je fusse assuré de ne rien o m e t t r e
Malheureusement, l'expérience montre qu'elles ne sont guère appli-
cables : d'ailleurs, personne, son inventeur y compris, ne les a jamais
appliquées avec une totale rigueur. En effet, elles ont été inspirées au
philosophe français par la m a t h é m a t i q u e dont il a rêvé d ' é t e n d r e la
méthode, jugée idéale, à l'étude de tout le réel. Or, et nous le répéterons,
si le trépan est idéal pour forer le granit, il l'est beaucoup moins pour
dévitaliser une dent. Si la méthode mathématique est performante pour
modéliser la physique particulaire, elle l'est beaucoup moins quand il
s'agit de discourir sur la liberté ou sur Dieu. C'est un préjugé positiviste
que de continuer à prétendre que la science est synonyme de méthode
mathématique et que la certitude de la raison rime avec quantification et
axiomatisation.
Voilà pourquoi, nous avons l'audace de vous présenter un nouveau dis-
cours de la méthode ou plus exactement un discours des méthodes.
Les quatre lois qui vont être proposées nous paraissent mieux respecter
la vie si riche et si complexe de l'intelligence. Et le propos de ce livre sur
l'art de penser sera d'approfondir la troisième loi. Notre source fut Aris-
tote pour une bonne part. Notamment, pour les deux premières lois, nous
avons puisé dans le chapitre I du livre 1 des Physiques qui constitue, selon

1 - Discours de la méthode, Seconde partie, Œuvres et lettres, "Bibliothèque de la Pléïade",


Paris, Gallimard, 1953, pp. 137-138.
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Heidegger, "l'introduction classique à la philosophie ; encore aujourd'hui


il rend superflues des bibliothèques entières d'ouvrages philosophiques.
Qui a compris ce chapitre peut se risquer à faire les premiers pas sur le
chemin de la p e n s é e
- La première loi vaut pour toute connaissance (animale, humaine ou autre).
- Les trois autres ne s'appliquent qu'à l'esprit humain : la seconde donne
la dynamique générale caractéristique du progrès de l'intelligence
humaine (elle est aussi capitale qu'oubliée) ; la troisième montre les dif-
férents actes dont l'intelligence use face à chaque problème et la qua-
trième comment elle doit se comporter face à des situations diverses.
La première loi donne à l'intelligence sa longueur (la toute première
dimension), la deuxième sa hauteur, la troisième sa profondeur et la der-
nière sa largeur. Ou plutôt, dans l'univers quadridimensionnel qui est le
nôtre depuis Einstein, la troisième loi situe l'esprit humain dans le temps,
tandis que les autres mesurent notre espace.

PREMIÈRE LOI : PROCÉDER DU CONNU À L'INCONNU

C'est la loi de toute exploration : je ne me rends dans une contrée


inconnue qu'en partant d'une terre connue (puisque j'y suis). J'avance
alors du connu où je suis vers l'inconnu où je serai. Pascal dit qu'"il faut
commencer à peigner la chevelure par le haut de la tête".
Nous ne pouvons rentrer dans un livre de mathématique que si nous
avons une notion au moins confuse de ce qu'est un nombre. "De même
que l'homme ne peut avancer qu'en mettant un pied devant l'autre,
l'esprit naturellement doit mettre un pied devant l'autre. De plus, le pied a
pour point d'appui le sol ; de même l'intelligence s'appuie sur une
connaissance dont elle a la c e r t i t u d e
Les débuts de la médecine psychiatrique illustrent bien cette loi :
"L'origine de la psychiatrie peut (...) se résumer ainsi. Depuis des siècles,
les médecins connaissent et soignent dans leurs hôpitaux - à l'occasion de
fièvres, de traumatismes crâniens, d'infections diverses, d'atteintes liées à
l'âge - des hallucinations, des troubles de la mémoire, des accès de
fureur, des comportements étranges ; la nature morbide de ces faits ne
souffre pas de doute. La psychiatrie, discipline médicale, naît à partir du
moment où les médecins acceptent d'assimiler à ce premier ensemble de
faits un second tenu jusque-là pour repoussant, condamnable, démo-

1 - M a r t i n HEIDEGGER, L e p r i n c i p e d e r a i s o n . P a r i s , G a l l i m a r d , 1 9 6 2 , p. 153. P o u r le p e n -
s e u r a l l e m a n d , l e s P h y s i q u e s d ' A r i s t o t e e s t l ' o u v r a g e d e f o n d d e la p h i l o s o p h i e o c c i d e n t a l e
cf. O p . cit., p . 151 ; c f . a u s s i Q u ' a p p e l l e - t - o n p e n s e r ?, P a r i s , G a l l i m a r d , 1 9 5 9 .
2 - C l a u d e BERNARD, I n t r o d u c t i o n à l ' é t u d e d e l a m é d e c i n e e x p é r i m e n t a l e , I p a r t . . c h a p . II.
s. 5 , a u t o u t d é b u t .
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niaque, dans la mesure où un certain nombre de signes connus dans le


premier se retrouve dans le s e c o n d
Et voici le contre-exemple. Lisez le début de cet article de linguistique :
"Parmi les phénomènes d'enchaînement transphrastique assurant l'isoto-
pie textuelle, conformément à la règle de récurrence dégagée par les
grammairiens du texte, l'anaphore et la cataphore jouent un rôle prépon-
d é r a n t Limpide, n'est-ce pas ? Or, si cet article est incompréhensible,
ce qui n'est pas impossible, c'est simplement parce que vous ne pouvez
pas le raccrocher à des notions déjà connues.

Le professeur ou le conférencier doit constamment veiller à raccrocher


le wagon de sa pensée à celui de ses auditeurs, sous peine de, comme on
dit familièrement, "passer au-dessus de leur tête". C'est toute la vérité de
l ' a d a g e : " P o u r e n s e i g n e r la g é o m é t r i e à Pierre, il faut aussi bien
connaître Pierre que la géométrie."
Cette démarche de l'intelligence est celle de l'explorateur affrontant des
terres inconnues où "la main de l'homme n ' a pas encore mis le pied" ! La
nouveauté est affectivement ambivalente. Elle est autant source de joie
que de tensions : ouvrir un nouveau livre, commencer un nouveau cours,
d'une part comporte le plaisir de la découverte et d'autre part peut receler
quelque appréhension : aurais-je le courage de tout lire, d'arriver au bout,
de faire l'effort intellectuel pour assimiler la nouveauté ? Il est tellement
plus confortable de se contenter des auteurs ou des genres d'ouvrage dont
on est familier. Partir de ce qui est connu de son auditoire est la seule ou,
en tout cas, la meilleure manière de capter son attention.
La vie courante est un inépuisable fournisseur d'exemples familiers à
tous. On me disait q u ' u n élève remportait toujours les premiers prix
d ' é l o q u e n c e ; il c o m m e n ç a i t souvent ses discours par une phrase du
genre : "L'autre jour je me trouvais dans le métro. Je vois une petite fille
qui..."
La découverte d ' u n secteur de connaissance radicalement nouveau
nécessite la présence d ' u n maître ou d ' u n aîné. Il saura vous piloter dans
la forêt vierge que sont toujours les connaissances encore ignorées de
vous et cela vous épargnera bien des pertes de temps.
L ' i n t e l l i g e n c e cultivée est une intelligence qui a su se trouver ses
maîtres, leur donner sa foi pendant un temps et leur demeurer fidèle. Et la
fidélité (qui n'exclut pas, ultérieurement, la prise de distance sans ingrati-
tude) n'est pas plus la servilité que le maître véritable n'est un gourou.
Enfin, en chaque matière, il existe quelques bons livres pédagogiques

1 - G. LAN TERI-L AURA. G. DAUMI ZON et R. LEFORT , art. "Psychiatrie", Encyclopœdia Uni-
versalis. Paris, 1980. vol. 13. pp. 750-755.
2 - Marie-José RE I CHLER-BEGUE LIN. "Anaphore. cataphore et mémoire discursive", in P r a -
tiques. n° 57. Metz, mars 1988. pp. 15 à 43 : ici p. 15.
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qui font gagner un temps précieux parce qu'ils cherchent à établir des
passerelles entre ce que vous savez et le nouveau domaine à explorer. Tel
est par exemple le cas de la collection Que sais-je ? qui est souvent
remarquable par sa clarté. Mais là encore, il faut oser mettre sa superbe et
son snobisme sous le paillasson. Un rabbin dit que "citer ses sources,
c'est faire avancer le Royaume de Dieu" ; or, il est moins reluisant de
citer une petite encyclopédie de poche que l'énorme ouvrage de référence
en langue originale.
C'est ainsi que François Russo note "le contraste frappant entre deux
encyclopédies françaises qu'un siècle sépare : la Grande Encyclopédie du
XIX siècle, et l' Encyclopœdia universalis. La première, si riche en défini-
tions et commentaires clairs et intelligents sur le présent et le passé des
techniques ; la seconde, bien pauvre à cet égard ou dont les articles sur les
techniques actuelles et passées sont sans doute rédigées par des spécia-
listes, mais que n'anime pas un souci véritable de se faire comprendre des
non-spécialistes" Traduisons dans la perspective qui est la nôtre : ce
manque de souci pédagogique est typique. L'auteur spécialiste ne cherche
pas à se rendre accessible au lecteur non-spécialiste.

DEUXIÈME LOI : L'INTELLIGENCE VA DU PLUS UNIVERSEL AU PLUS


PARTICULIER

Voici ce qu'écrivait Aristote il y a 24 siècles : "La marche naturelle [de


l'intellect], c'est d'aller des choses les plus connaissables pour nous et les
plus claires pour nous à celles qui sont plus claires en soi et plus connais-
sables. [...] Or, ce qui, pour nous, est d'abord manifeste et clair, ce sont
les ensembles les plus mêlés ; c'est ensuite que, de cette indistinction, les
éléments et les principes se dégagent par voie d ' a n a l y s e

Cette seconde loi précise la première : le connu d'où part l'esprit est un
plus universel et l'inconnu auquel il accoste est un plus particulier. Le
progrès, ici, se comprend mieux selon la dimension verticale. L'intelli-
gence part du haut de la montagne ; de là, elle a une vue globale sur la
vallée. Mais si elle veut mieux la connaître, elle devra descendre et sa
vision se fera plus détaillée. De même que le montagnard est heureux de
revenir chez lui dans la vallée, de même la pente naturelle (c'est le cas de

1 —Introduction à l'histoire des techniques, Paris, Librairie scientifique Albert Blanchard,


1986, note 1, p. 72.
2 - Michel BOYANCE, "Le savant et le philosophe. Notes sur la connaissance commune", in
Actualité de la philosophie, Actes du Congrès des 13 et 14 octobre 1989, Paris, Nouvelles
Editions Latines, 1989, p. 61-80.
3 - ARISTOTE, Physiques, 1,1,184 a 24-b 12, Trad. Carteron, Paris, Guillaume Budé, "Les
belles Lettres", t. 1,
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le dire) de l'intelligence est de se porter vers le plus particulier et de ne


pas en rester aux g é n é r a l i t é s Le sociologue et philosophe Edgar Morin
remarque que "...nul ne peut se passer d'idées générales - sur l'homme,
les femmes, l'amour, la vie, la société, le monde - , y compris le spécia-
liste, lequel est c o n d a m n é aux idées générales les plus creuses et les
moins c o n t r ô l é e s "
Il fut un temps où les nouveaux manuels scolaires d'histoire et de géogra-
phie privilégiaient l'approche thématique qui est très particularisée. Ils étu-
diaient par exemple le développement de la métallurgie dans différents pays
représentatifs. Thème en soi intéressant, mais encore faut-il savoir ce que
sont ces pays, leur structure physique, etc. Or, cette méthode s'est soldée par
un échec retentissant : tout naturellement, l'enseignement est alors revenu à
l'étude non plus thématique mais générale, appliquant sans le savoir ce prin-
cipe aristotélicien qui est d'abord un bien commun du bon sens.
Aristote (Physiques, Liv. I, chap. I) manifeste cette profonde vérité à
partir de quelques exemples concrets. Il existe en effet une proportion,
une analogie entre la connaissance sensible (notamment visuelle) et la
connaissance de l'intelligence, quant à leur cheminement :

Exemple du chemin
Vous vous trouvez sur un long chemin. Soudain vous voyez quelque
chose au bout de ce chemin. Vous dites : "C'est quelque chose." Puis,
vous approchant, vous vous rendez compte que la chose bouge : "C'est un
être vivant." Continuant à vous approcher, vous vous apercevez que le
vivant et plus précisément l'animal (car seul l'animal bouge de lui-même)
est bipède et a l'allure d'un homme : "C'est un homme." Et, vous rappro-
chant encore, progressant de manière ultime dans la précision de votre
connaissance : "Tiens ! Mais c'est Socrate !" A l'instar du sens de la vue,
l'intelligence passe du plus général au plus distinct.

Guillaume de Baskerville,
Umberto Eco et Aristote
Par la bouche d'un de ses héros, Guillaume de Baskerville, Eco ne
fait que reprendre l'exemple d'Aristote, mais curieusement sans le
citer. Guillaume explique à son disciple Adso c o m m e n t il a pu
découvrir un cheval : "Si tu vois quelque chose de loin et ne com-

1 - Cf. les développements de Thomas d'AQUIN, Somme théologique, I q. 85, a. 3 : "Cet


article est peut-être le plus profond que saint Thomas ait écrit sur la genèse de la connais-
sance intellectuelle", r e m a r q u e W e b e r t , La p e n s é e h u m a i n e , in Somme théologique, la
Revue des Jeunes, Paris, Desclée, 1930, p. 246.
2 - Edgar MORIN, Entretien dans Le Monde, 26 novembre 1991, p. 2.
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prends pas de quoi il retourne, tu te contenteras de le définir comme


un corps étendu en extension. Quand il se sera approché de toi, tu le
définiras alors comme un animal, même si tu ne sais pas encore s'il
s'agit d'un cheval ou d'un âne. Et enfin, quand il sera plus près, tu
pourras dire que c'est un cheval, même si tu ne sais pas encore si
c'est Brunei ou Favel. Et seulement quand tu seras à la bonne dis-
tance, tu verras que c'est Brunei (autrement dit ce cheval et pas un
autre, quelle que soit la façon dont tu décides de l'appeler)."

Umberto ECO, Le nom de la rose, "Livre de poche" n° 5859, Paris, Grasset, 1982, p. 42.

Exemple du tout et des parties


Quand vous regardez un tableau ou un paysage, vous ne percevez pas
d'emblée le détail de chaque partie, mais, après avoir pris une visée glo-
bale, vous vous rendez compte de "coins" plus particuliers qui de prime
abord vous avaient échappé. Vous savez que vous lisez actuellement dans
votre chambre, mais vous ignorez sans doute le nombre de lattes de bois
composant le plancher de votre chambre. Et si, ô utile érudition, vous le
savez, vous n'avez peut-être pas encore pris le temps de vous pencher sur
le nombre de nœuds qui se trouvent dans le bois...

Exemple de l'enfant
Passons du registre spatial à une image tirée du temps. L'enfant ne sait
pas d'emblée différencier un terre-neuve d'un labrador. Il apprend en pre-
mier lieu à reconnaître un chien et passe après à la distinction des
espèces. C'est ainsi que, note profondément Aristote : "Le petit enfant
appelle tout homme Papa." En effet, sa connaissance est au début trop
générale pour distinguer les différents hommes, aussi les nomme-t-il tous
du nom qu'il utilise pour l'homme qu'il connaît le mieux. La psychologie
actuelle le confirme abondamment, en particulier la théorie de Winnicot
relative à ce qu'il appelle les objets transitionnels.

Du confus au distinct, par l'objet transitionnel


David Winnicot a créé le concept d'"espace intermédiaire" et d'objet
transitionnel, ni subjectif ni objectif ; créé par l'imagination de
l'enfant, il est chemin vers l'objet. En effet, l'enfant a besoin d'objets
non-moi, rapportés tantôt à la réalité intérieure, tantôt à la réalité par-
tagée, sis entre le même et l'autre. Ainsi il est "conduit à reconnaître
progressivement ce qu'a d'illusoire, de ludique, une telle expérience
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(de l'illusion confondant le réel et l'imaginaire). Lorsque le bout de


tissu, le coin de drap, l'ours en peluche, la poupée viendront, vers six,
huit ou dix mois, se substituer au pouce, dans cet espace de sépara-
tion entre l'enfant et la mère, Winnicot y verra la forme primaire des
phénomènes transitionnels".

C. GEETS, "La p a r t d e l'illusion. P r o b l é m a t i q u e a c t u e l l e de l'illusion en p s y c h a n a l y s e " , in


R e v u e d e l'Institut C a t h o l i q u e d e Paris, avril-juin 1990, p. 13. Cf. D.W. WINNICOT, J e u e t
réalité, Coll. " C o n n a i s s a n c e d e l ' i n c o n s c i e n t " , Paris, G a l l i m a r d , 1975. S u r l ' e n s e m b l e d e
l ' œ u v r e d e W i n n i c o t , cf. C. GEETS, Winnicot, Paris, J e a n - P i e r r e D e l a r g e , 1981.

Elargissons à l'adulte : Imaginons qu'il faille que je vous explique ce


qu'est une muqueuse. Je vous dirai que c'est une sorte d'épithélium. Or,
parmi les é p i t h é l i u m s , certains ont toutes leurs cellules v i v a n t e s et
d'autres les couches cellulaires supérieures mortes. Les premiers sont les
muqueuses (l'intérieur de la bouche, par exemple), les seconds ont la
peau comme représentant. Mais il n'est pas totalement improbable que
vous ne sachiez pas ce qu'est un épithélium. Je vous dirai alors que c'est
une espèce particulière de tissu. En effet, il existe deux espèces de tissu :
ceux dont les cellules sont jointives (sans rien d'autre que les cellules), et
que l'on appelle épithélium, et ceux dont les cellules ne sont pas jointives
et qui comportent outre les cellules, une substance dite fondamentale, des
fibres, etc. Il se pourrait même que vous ne sachiez pas ce qu'est un tissu.
Or, dans cet exemple, on procède du plus général au plus particulier
pour expliquer. Et chaque fois que l ' o n rencontre une ignorance, la
meilleure manière de la réduire est, certes de repartir d'un connu, ainsi
qu'on l'a vu, mais aussi de procéder d'une notion plus universelle et, par
division, arriver à une notion plus particulière.

Une objection pourrait poindre. La connaissance h u m a i n e ne com-


mence-t-elle pas par l'expérience sensible ? Or, ce qui est sensible est
moins universel que ce qui est intelligible : par exemple, telle pomme
observée par la vue est un être singulier, alors que la pomme conçue par
la raison est un concept universel applicable à toutes les p o m m e s qui
existent.
Le dynamisme dont nous parlons (à savoir le passage de l'universel au
singulier) intéresse un seul plan, celui du sens ou celui de l'intelligence et
non pas le passage d'un plan à l'autre. En effet, le sens, comme l'intelli-
gence, passe du général au particulier. Il n'en est plus de même dans le
processus d'abstraction qui en effet s'élève du singulier sensible à l'uni-
versel intelligible (ce qui est donc tout opposé au mouvement que nous
avons décrit). Mais l'abstraction précède ou suit le processus que nous
analysons.
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L e s n o t i o n s les p l u s u n i v e r s e l l e s s o n t a u s s i les p l u s c o n f u s e s
Confus ne doit pas s'entendre au sens de mêlé mais dans le sens de non
distingué et contenant en puissance toutes les distinctions ultérieures. Par
exemple, l'enfant qui a la notion de plante n ' a qu'une idée très envelop-
pée de ce qu'elle est et des multiples espèces de plantes. Il reste que sa
première appréhension de la plante est grosse de toutes les distinctions
futures qu'il apportera.
Un signe en est que ces connaissances n'annuleront jamais cette pre-
mière appréhension mais la présupposeront et reposeront sur elle. C'est
ainsi que si un physicien perd sa conception très commune du mouve-
ment, toutes les conclusions extrêmement minutieuses qu'il tire sur les
diverses sortes de mouvement deviennent inintelligibles, et cela, même
s'il a l'impression que cette connaissance commune ne rentre à aucun
titre dans son discours scientifique.

P a r ailleurs, ce très universel est très certain


La distinction entre vivant et inerte est très certaine alors que la distinc-
tion entre l ' h o m o habilis de Leakey et l'australopithèque gracile l'est
beaucoup moins (puisque cette différence a été réfutée !). Or, l ' h o m o
habilis de Leakey et l'australopithèque gracile sont des réalités extrême-
ment particulières en comparaison de l'universalité de la distinction exis-
tant entre inerte et vivant. Je donnerais ma main à couper que le mouve-
m e n t e x i s t e , m a i s j e n e d o n n e r a i s q u e la v ô t r e à c o u p e r q u e
l'europeanum (qui est l'un des derniers éléments de la table de Mendé-
léïev) existe !
Précisons. La certitude est la "fermeté de l'adhésion de la puissance de
connaissance à son objet c o n n a i s s a b l e "
Or, le fondement de la connaissance commune s'attache aux sens. "A
partir de la connaissance sensible, portant sur le singulier comme tel,
l'intelligence, dans ses toutes premières appréhensions, tire un concept
universel très confus. Néanmoins, en raison de la proximité du sens, il est
très c e r t a i n On voit combien l'intelligence humaine ne se repaît pas
que d ' i d é e s claires et distinctes. E n effet, "il y a des connaissances
confuses. L'intelligence ne se trompe pas en sa première appréhension,
mais elle n'épuise pas la réalité de ce qu'elle connaît." Pourquoi ? La rai-
son ultime est la suivante : "Cette connaissance commune tient au mode
de c o n n a i s s a n c e de la moins parfaite des substances intellectuelles,
encore avec cet intermédiaire obligé des facultés sensibles."

1 - III S e n t . , d. 2 6 , q. 2 , a. 4 , c. P o u r u n e x p o s é p l u s d é t a i l l é , n o u s r e n v o y o n s a u c h a p i t r e d e
R o g e r VERNEAUX, in E p i s t é m o / o g i e g é n é r a l e o u c r i t i q u e d e l a c o n n a i s s a n c e , " C o u r s d e p h i -
l o s o p h i e " , P a r i s , B e a u c h e s n e s , 1 9 5 9 . p. 9 3 à 101.
2 - M i c h e l BOYANCE, art. c i t é ( r é f . p. 16) ici, p. 6 7 .
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Ce qui est dit là n'est surtout pas une invitation à en demeurer au


confus ; au contraire, tout le dynamisme de la science est à l'opposé.
C'est "un signe d'acuité intellectuelle que d'aller toujours à des idées
plus distinctes, plus a c h e v é e s " D'où le mot profond de Pascal : "A
mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes origi-
naux. Les gens du commun ne trouvent point de différence entre les
hommes

Le philosophe anglais sir Karl Popper propose une critique classique de


la certitude de la connaissance commune (dans son ouvrage Le troisième
monde). Il prend comme exemple le lever quotidien du soleil. Qu'y a-t-il
en effet de plus commun que cette connaissance : tout le monde sait que
le soleil se lèvera demain matin comme il s'est levé ce matin ? Or, ce
n'est pas une connaissance absolument certaine, même si elle est affectée
d'un certain indice de probabilité ! Il n'est pas impossible que demain
matin le soleil ne se lève pas, par exemple à cause d'une catastrophe cos-
mique à grande échelle. De même, pendant longtemps tous les hommes
ont cru que la terre était immobile et placée au centre du monde, et en
tout cas que le soleil tournait autour d'elle ; or cette connaissance com-
mune n'est en l'occurrence pas seulement incertaine, elle est carrément
fausse.
L'objection repose en fait sur une ambiguïté et permet une utile mise au
point. Le commun qui qualifie la connaissance dite commune peut
s'entendre en deux sens bien différents :
- soit du côté du sujet connaissant, et en ce sens plus de personnes adhé-
reront à un énoncé, plus l'information portée par cet énoncé sera com-
mune (car commune à plusieurs personnes) ;
- soit du côté de l'objet connu, et alors la connaissance sera dite com-
mune dans la mesure où elle portera sur des objets communs, c'est-à-
dire universels.
Les exemples ci-dessus (ceux de Karl Popper et les autres) entendent
l'adjectif de connaissance commune au premier sens. Or, le soleil, le
mouvement de la terre sont des objets très particuliers du point de vue
objectif. Mais la connaissance commune dont nous parlons est une
connaissance commune au sens objectif, une connaissance portant sur un
objet universel. Par exemple, ce type de connaissance ne parlera pas des
étoiles mais du ciel, de l'univers. Or, l'existence d'un ciel et de mouve-
ments en son sein, d'un ordre de l'univers sont des constatations très
communes et très certaines qui ne souffrent pas réfutation, alors qu'on ne
peut en dire de même de la nature des quasars ou de l'existence des len-
tilles gravitationnelles.

1 —J. WEBERT, La pensée humaine, in Somme théologique, la Revue des Jeunes, Paris, Des-
clée, 1930, pp. 247 et 282.
2 —PASCAL, Pensées , n. 17. Éd. Chevalier, n. 213 , Éd. Brunschvicg, in Œuvres complètes,
"Bibliothèque de la Pléiade", Paris, Gallimard, 1954, p. 1091.
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L'ordre du réel n'est p a s l'ordre de l'intelligence


C e q u i e x i s t e r é e l l e m e n t , c e s o n t les r é a l i t é s c o n c r è t e s , r e l i é e s e n t r e
elles par des liens de d é p e n d a n c e , de causalité. M a i s l'intelligence ne
d é c o u v r e p a s t o u t d e suite l e u r n a t u r e : e l l e s ' a r r ê t e d ' a b o r d à c e q u i e s t
p l u s s u p e r f i c i e l e t à c e qui a p p a r a î t . J e m e s o u v i e n s d e la m a n i è r e d o n t les
médecins coopérants s ' y prenaient pour faire c o m p r e n d r e aux autoch-
t o n e s q u e les m a l a d i e s é t a i e n t d u e s à d e s m i c r o - o r g a n i s m e s : o n m o n t r a i t
les a g r e s s i o n s l i é e s à d e g r o s a n i m a u x , c o m m e u n b u f f l e o u u n c r o c o d i l e ;
p u i s , à u n petit, c o m m e u n rat, u n e a r a i g n é e , e n e n m o n t r a n t l a g r a v i t é ; e t
d e là o n e s s a y a i t d e p a s s e r ( p a r r é c u r r e n c e ) a u x b a c t é r i e s e t virus. L a réa-
lité d e l ' é p i d é m i e , elle, n e p a s s e p a s p a r t o u s c e s d é t o u r s !...

Aristote et D e s c a r t e s
C ' e s t p r o b a b l e m e n t là o ù n o t r e o p p o s i t i o n à D e s c a r t e s e s t la p l u s g r a n d e
(la s e c o n d e o p p o s i t i o n qui s e r a d o n n é e d a n s l ' e x p o s é d e la q u a t r i è m e loi
n ' e s t q u ' u n e conséquence) : celui-ci a rêvé d ' u n e mathématique univer-
selle. O r , les m a t h é m a t i q u e s g o m m e n t la d i s t i n c t i o n c o n f u s - d i s t i n c t : t o u t
d ' a b o r d , elles d o n n e n t le p r i m a t à la c o n s t r u c t i o n de l ' e s p r i t . D e p l u s , e n
m a t h é m a t i q u e , t o u t e s les c o n c e p t i o n s d e l ' i n t e l l i g e n c e o n t m ê m e d e g r é de
c l a r t é e t d e d i s t i n c t i o n . B i e n sûr, la n o t i o n d e n o m b r e n a t u r e l e s t p l u s
s i m p l e q u e c e l l e d e q u a t e r n i o n et c e l l e d ' e n s e m b l e , p l u s i m m é d i a t e q u e
c e l l e d e g r o u p e a b é l i e n , m a i s d e l ' u n à l ' a u t r e , le r a p p o r t n ' e s t p a s d e
c o n f u s à distinct, il est, à u n m ê m e d e g r é de limpidité, de s i m p l e à c o m -
plexe. S e m b l a b l e m e n t , u n e m o n t r e à q u a r t z est aussi é v i d e n t e q u ' u n e clep-
sydre, m a i s est p l u s c o m p l e x e et n o n p a s p l u s c o n f u s e o u p l u s universelle.

TROISIÈME LOI : L'INTELLIGENCE A TROIS ACTES

L ' i n t e l l i g e n c e d é p l o i e s o n a c t i v i t é e n trois o p é r a t i o n s q u e l ' o n a p p e l l e


i n t u i t i o n , j u g e m e n t et r a i s o n n e m e n t . E n effet, les d e u x q u e s t i o n s de
l ' e n f a n t s o n t : " Q u ' e s t - q u e c ' e s t ? P o u r q u o i ?" Et t o u t e s les q u e s t i o n s se
r a m è n e n t à ces d e u x i n t e r r o g a t i o n s f o n d a m e n t a l e s . Or, la p r e m i è r e o p é r a -
t i o n d e l ' e s p r i t p e r m e t d e r é p o n d r e à la p r e m i è r e q u e s t i o n : " Q u ' e s t - c e
q u ' u n e j a m b e ? - C ' e s t u n o r g a n e p e r m e t t a n t la m a r c h e . " E t les s e c o n d e et
t r o i s i è m e o p é r a t i o n s r é p o n d e n t à l a d e u x i è m e q u e s t i o n : la s e c o n d e opéra-
t i o n u n i t d e u x c o n c e p t s et p o s e u n e q u e s t i o n : " M a m a n , les p ' t i t s b a t e a u x
qui v o n t s u r l ' e a u ont-ils d e s j a m b e s ?" et la t r o i s i è m e r é p o n d à la q u e s t i o n :
" M a i s oui, m o n gros bêta, s ' i l s n ' e n a v a i e n t pas, ils m a r c h e r a i e n t p a s . "
Or, l'art de p e n s e r se f o n d e sur l'activité de l'intelligence. E n consé-
q u e n c e , il c o m p o r t e trois g r a n d e s p a r t i e s :
- l ' a r t d e la d é f i n i t i o n , p a r l e q u e l o n a p p r e n d à b i e n dire ce q u e s o n t les
c h o s e s (ce q u ' e s t u n e j a m b e ) ;
— l ' a r t d e l ' é n o n c i a t i o n , s e l o n l e q u e l o n p o s e u n p r o b l è m e , c ' e s t - à - d i r e on
u n i t o u o n s é p a r e d e u x c o n c e p t s ( b a t e a u et j a m b e ) ;
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- enfin, l'art de la démonstration, par lequel la raison résoud le problème


en déterminant la cause de l' union des deux concepts (qui est un troi-
sième concept : la marche ; ce concept a d'ailleurs été fourni par la défi-
nition).

En effet, la grammaire étudie les mots, alors que la logique s'intéresse


aux concepts. Mais les deux ne sont pas sans relation, puisque les mots
sont les signes des concepts. Quand je dis "papillon", le mot renvoie à
l'idée papillon.
Or, globalement, on peut distinguer trois entités grammaticales de com-
plexité croissante : le mot (qui est l'atome, puisqu'une syllabe isolée est
par définition incompréhensible, dépourvue de sens), la phrase (ensemble
ordonné de mots), et enfin le paragraphe qui est une molécule de phrases
et une macromolécule de mots.
Or, le mot est le plus souvent signifiant d'un concept ; la phrase la plus
simple, c'est-à-dire de structure sujet-verbe-objet, est la formulation
typique d'une énonciation (cf. plus loin ce que nous allons dire de la
thèse) et une phrase, si complexe soit-elle, peut toujours se ramener à un
ensemble d'énoncés simples qui viennent d'être évoqués. Enfin, le para-
graphe rappelle, mais de plus loin (du fait de la variété des modes d'expo-
sition), le raisonnement.
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Quelle est la première opération de l'esprit ?


Premier se dit en deux sens différents : le gland est premier par rapport
au chêne quant au temps, mais il est second quant à la perfection. Appli-
quons cette distinction.
La définition est temporellement première. Il faut évidemment savoir ce
qu'est une chose (ce qui relève de la première opération) avant de pouvoir
l'affirmer d'une autre (ce qui relève de la seconde opération de l'esprit).
Mais l'opération la plus décisive, finale, est la seconde opération de
l'esprit. Elle est donc première dans l'ordre de la perfection. En effet, les
deux autres lui sont ordonnées : personne ne parle avec des concepts iso-
lés, ceux-ci servent à former des jugements et les raisonnements eux-
mêmes servent à établir ces énoncés. De plus, le terme de l'opération
intellectuelle est le vrai ; or, c'est le jugement et lui seul qui énonce la
vérité (ou la fausseté).
Le raisonnement laissé à lui seul n'a aucun motif de s'arrêter : il ne
trouve sa perfection que dans le jugement qui le met en contact avec les
choses et constate que le terme du raisonnement est conforme (ou non) à
la réalité, donc est vrai (ou erroné). Il y a une manière de discuter, de
jouer au ping-pong verbal qui réduit l'esprit au seul raisonnement
(comme nous allons le voir plus bas). C'est en enfermant l'ordinateur
dans un raisonnement sans fin (gagner contre lui-même au morpion) que
le petit "génie" informatique de War Games détourne le computer de son
compte à rebours et évite le conflit nucléaire.

La différence entre intelligence et r a i s o n


Raison et intelligence ne sont pas deux facultés différentes, mais ren-
voient à des opérations distinctes d'une même faculté que l'on appelle
intelligence (d'où l'ambiguïté, liée à la polysémie du terme intelligence).
Précisément, l'intelligence au sens d'opération et non de faculté, recouvre
les deux premières opérations de l'esprit, alors que la raison ne concerne
que la troisième opération, justement nommée raisonnement.
En effet, l'expérience nous montre que pour parvenir à la vérité, l'intel-
ligence doit parcourir des chemins longs et parfois pénibles. Plus précisé-
ment, la compréhension du vrai est tantôt immédiate (par exemple, "le
tout est plus grand que la partie"), tantôt médiate (par exemple, pour com-
prendre que le soleil est nécessaire à la croissance des végétaux à chloro-
phylle, il faut passer par une étape intermédiaire : la compréhension du

1 - Pour toute cette question capitale, le texte le plus développé de saint Thomas est la QD
De Veritate, q. 15, a. 1. Nous renvoyons à l'article simple et pédagogique de Georges-Marie-
Martin COTTIER, "Intellectus et ratio" in Revue Thomiste, LXXXVIII(1988), pp. 215-228.
Cf. aussi, bien plus complet : Julien PEGHAIRE, "Intellectus" et "ratio" selon saint Thomas
d'Aquin, Publications de l'Institut d'Etudes médiévales d'Ottawa, VI, Paris, Vrin, 1936.
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CHAPITRE VIII

COMMENT RÉDIGER
UNE DISSERTATION ?
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COMMENT RÉDIGER UNE DISSERTATION ?

En dernière partie de l'introduction, nous distinguions quatre grandes


situations intellectuelles types : lire, écrire, écouter, parler. Le premier cha-
pitre a étudié en détail les instruments intellectuels permettant de lire avec
intelligence. Ce sont les mêmes qui sont en œuvre dans l'écriture, mais
diversement appliqués. Car la lecture est à l'écriture ce que la réceptivité est
à l'activité : la part de restitution est plus manifeste dans le cas de l'écriture.
Or, le cas de la dissertation est exemplaire. Car il présente toutes les
difficultés d'un travail de rédaction et passe par toutes les étapes néces-
saires à la confection d'un texte. Il demeure toutefois que la dissertation
opère à partir d'un sujet délimité et selon des critères académiques. Nous
excluons donc le cas du travail purement original qui fait d'abord appel à
la créativité. Celle-ci n'est pas totalement bannie de la lecture d'un texte
ou de la rédaction d'une dissertation, mais elle est tout de même jugulée
dans les limites bien cadenassées, bien circonscrites des normes de la dis-
sertation. Bref, ce chapitre restera muet sur le cas de création littéraire
(quelle qu'en soit la nature : rédaction d'un article, d'un roman, etc.).
Plus encore, le cas de la dissertation de philosophie est exemplaire.
L'expérience montre que ceux qui réussissent dans la dissertation philo-
sophique sont ceux qui réussissent les autres types de dissertation : d'une
part, car les règles, les principes de méthode sont les mêmes ; d'autre
part, parce que leur mise en œuvre est plus délicate en philosophie, du fait
de la difficulté de la matière : les difficultés et solutions de la dissertation
de philosophie sont inclusives de celles des autres types de dissertation. Il
faudra bien entendu aménager ces conseils, notamment aux cas du com-
mentaire de texte ou de la dissertation scientifique.
Enfin, nous nous intéresserons au cas le plus fréquent : celui de la dis-
sertation de baccalauréat. Il n'y a qu'une différence de longueur ou de
degré de difficulté, non pas de nature, avec les autres types de dissertation
philosophique, par exemple d'agrégation.
Le plus simple et le plus pédagogique sera de prendre un seul exemple
qui servira tout au long de l'exposé. Soit le sujet de dissertation philoso-
phique archiclassique : "L'homme n'est-il que conscience ?"
Pour les questions d'organisation, de matériel, de technique de prise de
notes, nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage Travailler avec
méthode c'est réussir.

1 — Précis de méthodologie pour l'étudiant chrétien, "Guide Totus", Paris, Le Sarment-


Fayard, 1989, notamment chap. I et v.
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LES DIFFÉRENTES ÉTAPES

C o m m e p o u r l a l e c t u r e r i g o u r e u s e d ' u n a r t i c l e o u d ' u n o u v r a g e , il y a
d i f f é r e n t e s é t a p e s ( s e p t ) à p a r c o u r i r , c e q u i s i g n i f i e d e u x c h o s e s : 1. I l f a u t
t o u t e s l e s p a r c o u r i r . 2 . Il f a u t l e s p a r c o u r i r d a n s l ' o r d r e .
C e chapitre a u r a u n a s p e c t plus scolaire et d o n n e r a des règles u n p e u
f o r m e l l e s , p a r c e q u e l ' e s s e n t i e l a d é j à é t é d i t . Il s u f f i t d e l e m e t t r e e n
œ u v r e : nous p o u v o n s ainsi passer presque directement au " C o m m e n t ?"
e n c o u r t - c i r c u i t a n t le " P o u r q u o i ?" et le " Q u ' e s t - c e q u e c ' e s t ?". P a r s o u c i
de simplicité, l'exposé a réduit au m i n i m u m indispensable l'utilisation
d e s i n s t r u m e n t s é l a b o r é s d a n s le p r e m i e r c h a p i t r e , d e m a n i è r e à l i m i t e r le
j a r g o n et r e n d r e la t e c h n i q u e de dissertation la plus a b o r d a b l e possible. A
la limite, o n p o u r r a i t lire c e c h a p i t r e s a n s tenir c o m p t e d e s c h a p i t r e s pré-
c é d e n t s , et e n f a i s a n t s e u l e m e n t a p p e l , le c a s é c h é a n t , a u x m o t s clefs
p a g e 9.
L e s u j e t v i e n t d ' ê t r e d i s t r i b u é p a r le p r o f e s s e u r , q u e c e s o i t p o u r être
travaillé à la m a i s o n o u q u e ce soit à l ' e x a m e n . Q u e faut-il faire et ne pas
faire ?

Ce qu'il ne faut p a s faire


C o m m e n c e r par foncer sur chaque m o t en oubliant de prendre une vue
d ' e n s e m b l e . C ' e s t la p a n i q u e q u i v o u s p o u s s e à cela. L e g r a n d risque est
le h o r s - s u j e t . E t le h o r s - s u j e t e s t a u s s i r i s q u é q u e le h o r s - p i s t e . . .

C e q u 'il f a u t f a i r e
L i s e z le sujet. A v o u e z q u e vous n ' y aviez pas pensé ! Je précise en
insistant l o u r d e m e n t : lisez très attentivement, m o t à m o t le libellé.
Soyons plus concret : l ' h o m m e est un tout ; l'intelligence est connectée
à la sensibilité. C e l a signifie d o n c q u e la p e r s p e c t i v e d u sujet est stres-
sante ; et c ' e s t surtout vrai le j o u r de l ' e x a m e n .
O r , le s t r e s s n ' e s t p a s u n e m a u v a i s e c h o s e . A u c o n t r a i r e , il d o n n e l e
sens d u d a n g e r et m o b i l i s e les m o y e n s p h y s i o l o g i q u e s et p s y c h o l o g i q u e s
p o u r a f f r o n t e r l ' o b s t a c l e . E n situation d e stress les g l a n d e s surrénales
secrètent d e s h o r m o n e s qui, p a r e x e m p l e , a u g m e n t e n t les r y t h m e s car-
diaque et respiratoire (souffle plus rapide, plus court), ce qui permet de
fournir un effort efficace. L e s sportifs spécialistes d e sports e x t r ê m e s le
d i s e n t tous : p e r d r e la peur, c ' e s t p e r d r e le sens d u danger. L a dissertation
d ' e x a m e n n ' a pas e n c o r e été h o m o l o g u é e p a r m i les sports aux conditions
e x t r ê m e s , m a i s il e s t b o n q u ' e l l e s t r e s s e u n m i n i m u m , c a r e l l e p r é p a r e à
v o u s c o n f r o n t e r à la d i f f i c u l t é Q u e l q u ' u n m e racontait q u ' i l avait été un

1 —Pour le détail, cf. Construire sa personnalité, Paris, Le Sarment-Fayard, 1991, chap. IV,
pp. 200s.
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jour poursuivi par un chien et qu'il n'avait pu sauver son fond de culotte
qu'en grimpant dans un arbre. Le lendemain, en passant devant l'arbre, il
s'était arrêté interloqué, se demandant comment il avait fait pour agripper
les branches si élevées : merci les hormones de stress !
Mais il faut un juste milieu, car, larguées en trop grandes quantités,
celles-ci engendrent des réactions non maîtrisées et non coordonnées.
Donc, du calme ! Respirez à fond un bon coup pour vous détendre et lisez
très lentement tout le sujet de dissertation.

Ce q u ' i l n e f a u t p a s f a i r e
- Vous précipiter sur votre feuille et commencer à noter tout ce qui vous
passe par la tête. L'auto-organisation spontanée, c'est plutôt la rareté ;
la technique du brain-storming a une efficacité réduite : on retient à
peine quelques idées pour cent. Foncer sur le dictionnaire ou sur vos
livres de philosophies pour voir ce que les philosophes avant vous ont
pensé du sujet. Vous récolterez une moisson d'opinions, mais comment
lier en gerbe du blé, de la betterave et des ananas ? On ne commence
pas une maison en accumulant des pierres, mais en se demandant quel
type de maison on veut ; si c'est à la montagne, on préférera peut-être le
bois à la pierre...
- Découper le sujet en mots ne vaut guère mieux. Ce genre de méthode
conduit droit à la dissertation-saucisson qui est un genre à proscrire for-
mellement. En effet, ce serait régresser au niveau de la première opéra-
tion de l'esprit. Or, elle est au service du jugement (seconde opération
de l'esprit) que pose la problématique. Il est vrai que l'ordre de l'intelli-
gence suppose que l'on passe du plus commun (le sujet) au plus dis-
tinct, en divisant ; mais d'abord en gardant la structure moléculaire, pas
en la pulvérisant.

C e qu 'il f a u t f a i r e

: ?

❏ Pourquoi ?
Nous avons consacré un chapitre entier à cette question si importante, si
ce n'est la plus importante. C'est tellement essentiel que je connais un
professeur qui conseille à ses étudiants de noter en lettres majuscules bien
visibles, le jour de l'examen, en haut de la feuille de brouillon : QUELLE
EST LA QUESTION QUE L'ON ME POSE ?

❏ Qu'est-ce que c'est ?


Quels sont les critères de la vraie problématique ? C'est le moment
d'appliquer ce que nous avons établi dans le chapitre II. Une vraie problé-
matique comporte deux concepts et seulement deux. C'est le critère déci-
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sif. Bon nombre de dissertations s'enfèrent parce qu'elles sont composées


de multiples concepts, que leur auteur (l'élève) veut toujours tout dire
dans la problématique, enserrant au minimum le MT avec elle. Qui trop
embrasse mal étreint.
Par ailleurs, le prédicat est plus universel que le sujet.
Enfin, une problématique doit poser une vraie question, elle doit mobi-
liser l'attention et l'intérêt du lecteur. Si vous vous demandez :
"L'homme est-il conscient ?", la réponse a de fortes chances d'être posi-
tive et sans surprise et le développement ennuyeux.
❏ Comment ?
Du sujet posé par le professeur à la problématique choisie par l'étudiant.
D'un strict point de vue logique, selon les critères mis en œuvre dans la
première partie, on peut distinguer trois sortes de problématiques :
- Soit le sujet est un jugement posé sous forme interrogative. Encore faut-
il distinguer selon qu'il y a deux ou plus de concepts ? Surtout, la
réponse se fait-elle par oui ou non, ou implique-t-elle d'autres réponses
possibles ? Par exemple : "Que nous apprennent de l'homme les
sciences de l'homme ?" est un sujet qui appelle une réponse complexe.
- Soit le sujet a la forme d'un jugement sous mode affirmative : "Je est un
autre." Cette forme est plutôt rare.
—Soit le sujet n'a plus la forme d'un jugement, mais celle d'une juxtapo-
siton d'un ou de plusieurs concepts. Par exemple : "Voir" (un seul
concept) est un sujet de philosophie qui fut posé au concours d'entrée à
Normale Supérieure en philosophie ; "Vérité et évidence", "Nature et
culture" (deux concepts).
D'un point de vue bien plus practico-pratique sans fondement logique
rigoureux, mais bien commode, nous distinguerons les problématiques
claires et les problématiques obscures.
- Les problématiques claires :
Dans l'idéal, c'est la problématique à deux concepts posée sous forme
interrogative demandant une réponse par oui ou par non. Encore faut-il
que les termes ne soient ni difficiles (techniques), ni ambigus. Font
encore partie des problématiques claires, les affirmations à deux concepts,
à l'instar de celle que nous avons posée ci-dessus : "L'homme n'est-il que
conscience ?"
A ce que l'on dit, de plus en plus, au baccalauréat, on posera des sujets
répondant aux critères de la problématique claire.
- Les problématiques obscures :
Une année, on avait posé cette question : "L'inconscience est-il l'alibi
de l'inconscient ?" Déjà, le terme "alibi" n'est pas simple à saisir ;
ensuite, la répétition du même mot ("inconscient") dans une problé-
matique n'est pas propice à la compréhension : l'élève a peur de
s'embrouiller, et à juste raison.

Appliquons ces distinctions.


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Tout votre travail d'étudiant est d ' à u n e p r o b l é m a t i q u e claire.


Tant que vous n ' y êtes pas arrivé, vous avez toutes les "chances" de som-
brer dans la logomachie laborieuse.
Parfois vous devrez limiter le sujet de dissertation pour en extraire la
problématique. Mais c'est la seule manière d'avancer. Sinon le danger est
l'érudition mal contrôlée et que la mémoire, pire, l'imagination, se substi-
tue à l'intelligence. Si votre sujet est "Justice et violence", vous devrez
vous arrêter à un aspect de la question ; par exemple : "La justice peut-
elle s'exercer sans la violence ?" Mais cela est loin d'épuiser toute la
question des relations de la justice et de la violence. Aussi, que votre
thèse ne contracte pas trop le sujet. De toute manière, vous ne pouvez pas
la traiter en totalité dans l'espace d ' u n e dissertation. Voilà pourquoi
déterminer une problématique, c'est avoir le courage de choisir. Choisir,
c'est mourir un peu...

Clarifiez bien les termes de la problématique.


Si les termes vous semblent difficiles ou ambigus, vous serez tentés de
ne pas en sortir. Vous les répéterez de peur d ' e n changer, car leur sens
reste flou. Par exemple, si vous avez un doute sur le sens de conscience,
cela vaut la peine de vous aider du dictionnaire. Il serait regrettable de
limiter le sens de conscience à la conscience morale (c'est le sens du
"Conscience, instinct divin", de Rousseau dans La profession de foi du
Vicaire Savoyard ).
Mais n'en profitez pas pour, de prime abord, collationner tous les sens
des termes de votre problématique. Le plus souvent, le sens commun que
vous en avez suffit largement. Ne faites pas le jeu de vos angoisses.
Enfin, une fois la problématique posée sous forme de question, refor-
mulez-la de différentes manières pour bien en maîtriser le sens. Ne vous
laissez jamais enfermer dans une formulation. Par exemple, votre problé-
matique est : " L ' h o m m e n'est-il que conscience ?". Vous pouvez la tra-
duire : "Peut-on réduire l ' h o m m e à la conscience ?", "Une partie de la
personne humaine est-elle non consciente ?", "La totalité de l ' h o m m e se
résume-t-elle à la conscience ?", "Trouve-t-on en lui autre chose que de la
conscience ?", etc.
Procéder ainsi, vous le sentez, rend l'intelligence libre, car cela met à sa
disposition un clavier élargi de mots (non pas de concepts) ; la mélodie
sera plus variée, la lecture plus agéable. La bonne gestion des mots assou-
plit l'esprit.

Ce qu'il ne f a u t p a s faire
—Plonger dans le raisonnement, la recherche des différentes réponses.
- Accumuler du matériau (faire des lectures tous azymuts, collationner
des citations, etc.).
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La raison est, dans les deux cas, encore la même que pour la seconde
étape.

Ce qu'il f a u t faire
Répondez à la question que vous avez formulée grâce à la seconde
étape.
La raison de cette troisième étape est essentielle et répond à la vie de
l'intelligence : elle est ordonnée au vrai. Or, la conclusion est première en
finalité et dernière dans l'exécution. Si vous voulez partir en vacances,
vous ne commencez pas par faire votre valise ou par mettre votre combi-
naison de ski, vous commencez par vous demander où vous partez, quand
et comment y aller, etc. La fin est donc première dans l'ordre de l'inten-
tion, mais elle ne sera atteinte qu'au terme de la réalisation, car c'est elle
qui meut toutes les énergies et oriente tous les moyens. Or, c'est la
conclusion, c'est-à-dire la réponse apportée à la problématique qui joue le
rôle de finalité mobilisant toute votre dissertation. Il importe donc au plus
haut point que vous la décidiez au plus vite. D'elle dépend la bonne coor-
dination des efforts à suivre. Et si vous la remettez en question, toutes les
étapes ultérieures s'en trouveront modifiées ; de même si vous décidez de
partir à la mer et non plus à la montagne, il y a de fortes chances pour que
vous changiez et votre billet de train et au minimum le contenu de votre
valise.
La difficulté pointe aussitôt : mais comment connaître d'emblée la
réponse au sujet ? N'est-ce pas tomber dans le dogmatisme ? En fait, un
piège beaucoup plus redoutable vous guette qui est le scepticisme syncré-
tiste. De plus, l'expérience montre à l'évidence que si vous ne répondez
pas d'emblée à la question, vous n'y répondrez jamais. C'est une question
de bonne navigation : si vous voulez avancer, vous devez déjà avoir une
idée de la direction de votre but. Je ne parle pas d'avoir la conclusion en
tête en toutes ses précisions. Par ailleurs, le plan qui constitue la qua-
trième étape permettra d'échapper aux tentations de raideur intellectuelle.
Enfin, arrêter la réponse est preuve de mesure : pas de prométhéisme ;
ignorer où vous allez est commencer un travail qui vous dépasse. Par
exemple, quand arrêterez-vous de collecter du matériau ? Bien des
angoisses et des marches d'approche qui n'en finissent pas d'approcher
viennent de ce que le but, donc le terme n'a pas été fixé : il s'éloigne au
fur et à mesure que l'on croit le toucher. C'est confondre but et horizon.
Et on se retrouve avec des répartitions d'horaire du genre : sujet donné il
y a trois semaines, dix jours à rassembler la documentation et une nuit
blanche pour rédiger à la hâte une dissertation encyclopédique désossée
qui rappelle fâcheusement le bureau de Gaston Lagaffe.
L'attitude à suivre est donc de réfléchir un moment en face de votre
problématique et de décider la réponse qui vous semble vraie.
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La question en question
Philonenko s'interroge avec inquiétude sur ces philosophies qui ne
s'intéressent plus qu'au questionnement pour lui-même (c'est le cas
par exemple d'un Heidegger et de ses disciples).
"La philosophie devait bien moins analyser la question relative à la
question [...] que l'idée de conclusion. [...] C'est à l'idée de conclu-
sion que nous devons toujours revenir. Quand nous achevons un
projet, psychologiquement nous ne nous sentons plus liés par lui et
toutes ses déterminations. Chacun sait par expérience qu'une tâche
inachevée - même si elle expose des choses inachevées comme ici -
est obsédante. Si nous ne parvenions jamais à réussir à conclure,
même très modestement, nous n'aurions aucune liberté. Naturelle-
ment la réalité n'est pas aussi simple. Nous d e v o n s travailler à
résoudre des problèmes, dont nous savons bien cependant que les
conclusions finales appartiennent à un futur très lointain. Et cepen-
dant n o u s y travaillons s a n s relâche parce q u e nous v o u l o n s
conclure. La question est importante - la conclusion l'est encore
plus."

Alexis PHILONENKO, L'archipel de la conscience européenne , "Le col-


lège de philosophie", Paris, Grasset, 1990, p. 260. C'est nous qui sou-
lignons.

Ce qu'il ne faut pas faire


Là encore, succomber à la tentation toujours récurrente de rassembler
du matériau. C'est un travail sans fin (dans les deux sens du terme). En
effet, comment limiter l'accumulation si vous n'avez pas défini le plan ?
C'est lui qui finalisera et donc bornera vos recherches. Or, ce qui n'est
pas limité est indéfini, donc confus et source de panique.
Il faut donc commencer par planifier. Mais quel plan ? Il y a trois types
de plan à éviter systématiquement.
- Le plan dogmatique se contente d'affirmer ou de démontrer, sans
jamais rencontrer la contradiction. Vous procédez alors par une longue
litanie de : "Parce que..., parce que..., parce que..." Mais la vérité est
une quête ; elle est rarement évidente de but en blanc, et il est bon que
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votre travail signifie ce caractère "aporétique", problématique de la


question abordée. Par exemple, vous écrivez : " L ' h o m m e est
conscience, c'est certain, Descartes l'a montré de manière définitive."
Et vous ne pensez alors pas à l'objection de Freud selon laquelle
l'homme se définit d'abord par son inconscient.
Cela ne veut surtout pas dire qu'il ne faut jamais conclure, puisque nous
avons dit le contraire à la précédente étape. Mais ce type de plan conclut
trop et trop tôt.
- A l'inverse, il y a le plan qui ne conclut jamais - c'est le fameux plan
dialectique : thèse-antithèse-synthèse. Soit dit en passant, ni les mots ni
le sens habituel donné à ces mots n'est hégélien, c'en est plutôt une
caricature.
En effet, un tel plan est toujours du genre : 1) A. 2) non-A. 3) Je recolle
les morceaux et je ne conclus pas. Par exemple : 1) L'homme est
conscience. 2) L'homme n'est pas conscience. 3) L'homme est doué à la
fois de conscience et d'inconscient.
- Evitez enfin le plan-saucisson découpé en fonction des concepts de la
problématique, c'est-à-dire : 1) Le sujet. 2) Le prédicat. 3) L'union des
deux. Par exemple : 1) L'homme. 2) La conscience. 3) L'homme n'est-
il que conscience ?
En effet, l'expérience montre d'abord que les deux premières parties
sont en général des hors-sujet : vous commencez à parler de l'homme en
général, pour combler le vide de la page blanche ("L'important est de
réussir à en faire 4 (ou 10) pages !"). Ensuite, là encore, la troisième par-
tie se fonde rarement sur les analyses et les conclusions des deux
premières.

Ce q u ' i l f a u t f a i r e
Il faut faire un plan

❏ Pourquoi ?
Tous les professeurs de la terre rebattent les oreilles de leurs étudiants
avec ce fameux plan qui constitue, avec la problématique, l'une des deux
clefs de la réussite de la dissertation. Ils ont peut-être raison après tout !
C'est le plan qui dicte les idées. Rappelez-vous toujours le principe de
Thomas d'Aquin : "L'ordre entre les idées vaut mieux que les idées elles-
mêmes." A rapprocher du mot de son maître Aristote : "Le propre du sage
est de mettre de l ' o r d r e Défaites-vous de l'illusion constante que lès
idées-secrètent le plan.

❏ Qu'est-ce que c'est qu'un plan ?


Nous avons traité du plan abondamment àu chapitre VI. Rappelons seu-

1 - Métaphysique, Liv. I, chap. II.


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lement qu'il ne faut pas confondre l'ordre du plan (ou ordre de détermina-
tion) et l'ordre du raisonnement.

❏ Comment ?
Quel plan ? Nous avons vu les plans à éviter soigneusement. Alors, quel
plan proposer ? Vous vous rappelez peut-être que l'on avait distingué deux
sortes de plan, selon que le texte vrillait autour d'une ou de plusieurs problé-
matiques (cf. chapitre VI). Ici, volontairement, nous avons structuré la disser-
tation à partir d'une seule problématique. Mais la grille alors proposée pour
la lecture (thèse, preuve, conséquences, objections) n'est pas applicable telle
quelle, car elle ne respecte pas assez le travail de l'écriture, la vie de l'intelli-
gence en quête de vrai, comme nous allons le redire dans un instant.
Nous proposerons deux plans types. Comme les conseils que nous don-
nons, ils sont extrêmement formels et généraux. A vous de les remplir, de
les appliquer par les exercices. Le premier type de plan est le plus aisé à
pratiquer. Commencez par vous familiariser avec lui.

Premier type de plan


- Posez la thèse.
- Démontrez-la.
- Posez-vous un certain nombre d'objections.
- Tentez de résoudre ces objections en en montrant la pertinence et en les
intégrant dans votre réponse.
Enfin, concluez sur votre thèse, en tenant compte de l'apport des
objections.

Exemple
- Thèse : "L'homme est conscience."
- Preuve : vous pouvez l'emprunter à la philosophie de René Descartes.
- Difficultés : ici, Sigmund Freud sera bien utile.
—Répondez aux objections, aménagez votre thèse en fonction des cri-
tiques adressées par Freud. Par exemple : la conscience n'est pas le tout
de l'homme, mais elle en constitue encore l'essentiel.
Le plan est donc tripartite. Ne vous fiez pas à l'apparence : il n'a rien de
commun avec le plan dialectique. Si on voulait lui trouver une origine
dans l'histoire, il rappelle plutôt le modèle des réquisitoires romains (la
plaidoirie adopte souvent le plan suivant : "Certes, mon client est cou-
pable... Mais veuillez considérer ces multiples circonstances atténuantes,
son jeune âge, son enfance malheureuse... Aussi je ne peux que deman-
der l'indulgence du jury...") ou le principe médiéval éprouvé des ques-
tions disputées (lisez par exemple un article de la Somme théologique de
saint Thomas d'Aquin).
L'avantage immense de ce type de plan est qu'il est un discours à plu-
sieurs voix intégrant la diversité des opinions et surtout qu'il respecte
l'attitude de l'intelligence certes questionnante, mais orientée vers le vrai
et la conclusion.
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Nous avons ainsi répondu à l'objection de dogmatisme soulevée plus


haut.

Second type de plan


Il fait davantage appel aux notions élaborées dans la seconde partie. Ce
plan consistera à diviser le sujet ou le prédicat, de préférence ce dernier,
puis à se reposer la problématique en fonction des différents aspects ou
sens que l'on a distingués.
Par exemple, on peut distinguer deux sens au terme conscience : 1) le
sens plus général (depuis Descartes) qui identifie conscience à connais-
sance ; 2) le sens restreint de conscience réflexive (connaissance non pas
de toutes choses, mais du sujet, du moi). Auquel cas, le travail aura deux
parties. Et il faudra appliquer la problématique aux deux parties distin-
guées :
- l'homme n'est-il que sa conscience au sens large de connaissance ?
– l'homme n'est-il que sa conscience au sens restreint de conscience
réflexive ?
Ce plan est plus difficile à mettre en œuvre, car il n'est pas si aisé que
cela de distinguer de manière adéquate un prédicat. Il requiert un mimum
de pratique et de culture philosophique, si l'on ne veut pas que la distinc-
tion opérée soit arbitraire. Ainsi, il serait erroné de distinguer sans plus
intelligence et conscience.
Il demeure que c'est le plan le plus opératoire et qui permet les résolu-
tions les plus fines et les plus justes. Patience...

Ce q u ' i l ne f a u t p a s f a i r e
- Là encore, pas de précipitation incontrôlée sur la rédaction. Ce n'est pas
non plus encore la phase de rassemblement du matériau. Décidément
nos réflexes premiers et apparemment sécurisants ne sont pas les
meilleurs conseillers !
Auparavant il faut planifier. Encore faut-il éventer et éviter quelques
pièges élémentaires, mais bien tentants :
- Le pseudo-raisonnement (ce que nous avons appelé le raisonnement par
accident). Le grand risque est toujours de faire un plan dont les parties
n'aient qu'un lien extérieur. C'est la dissertation fleuve, non pas au sens
du roman fleuve, mais au sens où les parties ne s'articulent pas les unes
aux autres. Elles viennent abreuver un ruisseau qui n'arrive pas à gros-
sir et qui se demande ce qu'il va jeter à la mer Vérité, et même, s'il va y
accéder.
- La substitution des citations au raisonnement. Mieux vaut résumer la
pensée de Descartes avec vos propres mots que d'en citer une page
entière. S'agit-il de le plagier ou de le répéter en changeant les termes ?
Nullement, votre travail est de décortiquer l'armature logique de sa
démonstration et de la restituer par-delà l'habillage des mots. Le princi-
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pal travail lorsqu'on expose la pensée d'autrui est d'en manifester


l'ordre, l'intelligibilité. Une ou quelques citations courtes choisies à
bon escient seront alors les bienvenues pour illustrer votre propos. Elles
le rehausseront au lieu de le masquer.
Dans le même ordre d'idée, n'empruntez pas toutes vos argumentations
à d'autres auteurs, sauf, bien entendu, si le libellé est expressément histo-
rique ; par exemple : "La théorie cartésienne de l'âme." Vous aider d'un
auteur n'est pas vous inféoder à sa pensée. Par contre, laissez-vous stimu-
ler par vos illustres prédécesseurs. Vous avez une intelligence, utilisez-la
sans crainte.

Ce q u ' il f a u t f a i r e
Utilisez les règles du raisonnement que l'on a étudiées en détail dans
le chapitre III. Utilisez de prime abord le syllogisme. Cherchez vos
moyens termes, c'est-à-dire les concepts susceptibles d'unir les termes de
la problématique. Mais n'hésitez pas à varier vos types de raisonnements,
faites appel à des enthymèmes, des raisonnements par l'exemple, des
inductions. Cela varie le style et soutient l'attention, sans nullement vous
faire dériver loin de votre problématique.
De plus, utilisez les raisonnements pour démontrer non seulement la
thèse principale mais aussi pour manifester chaque sous-thèse tant qu'elle
n'est pas suffisamment évidente.
Enfin, rappelez-vous ce que nous disions sur le plan d'un texte articulé
autour d'une problématique : vous pouvez introduire des conséquences ou
des objections, pour peu qu'elles ne deviennent pas trop envahissantes,
que vous ne perdiez jamais le fil de votre propos et que vous le signifiez
d'un mot ("Une conséquence intéressante est" ; "Remarquez en passant",
etc.).
Par exemple, dans la première partie de votre dissertation, vous voulez
démontrer que l'homme est conscience, qu'il est doué de conscience.
Vous pouvez procéder ainsi : l'homme est pensée ; or, la pensée est
conscience ; donc, l'homme est conscience. C'est le raisonnement princi-
pal qui structure toute votre première partie. Chaque proposition peut
constituer un paragraphe.
Mais ne vous arrêtez pas en si bon chemin. Il faut maintenant manifes-
ter chacune des prémisses.
- L'homme est pensée. En effet, l'homme est doué de langage ; or, il n'y
a pas de langage sans pensée ; donc...
—La pensée est conscience. Vous pouvez faire appel à Descartes, mais en
vous rappelant les conseils qui ont été donnés : pas de citation-Ama-
zone. Vous pouvez aussi élaborer un raisonnement, par exemple un
enthymème : l'animal n'est pas doué de conscience ; or, l'animal ne
pense pas.

D'où l'on obtient le plan final de la première partie :


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L'homme est pensée :


- en effet, l'homme est doué de langage ;
- or, il n'y a pas de langage sans pensée ;
- donc, l'homme est pensée.
Or, la pensée est conscience :
- en effet, l'animal n'est pas doué de conscience ;
—or, l'animal ne pense pas ;
- donc, la pensée est conscience.
Donc, l'homme est conscience.

C e q u 'il n e f a u t p a s f a i r e
Engloutir la Bibliothèque nationale. Perdez vos illusions ! Vous ne lirez
pas tout. Réflexion vaut en général mieux qu'érudition et celle-ci ne doit
jamais être le cache-misère de votre manque de réflexion.

Ce q u ' i l f a u t f a i r e
C'est très intentionnellement que nous avons placé en avant-dernier
cette étape qui est bien souvent et à tort située en premier. En philosophie,
on dirait que c'est la finalité (première à troisième étapes) qui commande
la forme (quatrième et cinquième étapes), et que fin et structure dictent la
matière.
Il s'agit maintenant de donner chair au squelette qui a été assemblé.
- Si vous ne l'avez déjà fait, mettez-vous au clair sur les différents sens
des mots clefs du sujet. Ces précisions lexicales intégrez-les toujours à
votre plan.
- Proportionnez le matériau à votre compétence et à votre capacité d'assi-
milation. En terminale, il est bien rare que l'on soit à même de manier
plus de deux ou trois auteurs avec compétence, sans déformer leur pen-
sée. Donc ne convoquez qu'un nombre limité d'auteurs. Pour le sujet
proposé, confronter Descartes et Freud est suffisant et parlant.
D'ailleurs, de manière plus générale, il est bien préférable d'étudier en
détail quelques auteurs que de multiplier les références qui dispersent la
pensée et ne prouvent rien.
- Mieux encore, préférez étudier de près quelques textes majeurs
d'auteurs eux-mêmes majeurs que rester dans le vague de la présenta-
tion de ces auteurs.
—Utilisez les citations avec discernement. Les citations sont comme le sel
dans un plat : tout est dans la mesure. La multiplication des citations
noie le discours plus qu'il ne le sert, surtout si les références sont de
seconde main (puisées dans un dictionnaire, par exemple). Elle ne
trompe personne et surtout pas le professeur qui sait ce que ses étu-
diants ont lu et peuvent lire ; de surcroît il connaît en général les
manuels à leur disposition. L'intelligence, la lumière ne jaillissent pas
de la quantité, mais du choix judicieux des citations.
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- Enfin, soyez souple. Si vous vous rendez compte en cherchant le maté-


riau que vous n'avez pas tenu compte d ' u n matériau essentiel, intégrez-
le dans votre plan, en en changeant le moins possible l'ordonnance-
ment. Là encore, le mieux est parfois l'ennemi du bien. Il n ' y a pas de
plan idéal. Opérez un va-et-vient entre le plan et les matériaux, adaptant
le premier au second. Si vous ne trouvez pas de marbre dans la carrière,
vous retirerez les colonnes de la façade !

Maintenant, vous êtes fin prêt pour la dernière étape de votre marathon
dissertant.

Vous pouvez vous laisser aller à la joie si longtemps réfrénée de la


rédaction...
Ce dernier point intéresse pour une bonne part la technique littéraire
d'écriture et ne nous concerne donc pas. Nous renvoyons aux manuels a d
hoc. N o u s nous c o n t e n t e r o n s s e u l e m e n t des c o n s e i l s et r e m a r q u e s
d'ordre logique.

C e q u 'il n e f a u t p a s f a i r e
Commencer par l'introduction, rédiger le développement dans la foulée
et finir par la conclusion. L'ordre de l'écriture sera donc celui de la lec-
ture. Mais la linéarité est à proscrire. Pourquoi ? Parce que la rédaction du
développement est souvent génératrice d'idées nouvelles, que vous fas-
siez un brouillon ou non. Cela pourrait donc vous amener à changer votre
introduction sur quelques points.

Ce qu'il faut faire


• Dans quel ordre rédiger ?
C o m m e n c e z p a r le d é v e l o p p e m e n t . Puis rédigez la c o n c l u s i o n , et
seulement, enfin, l ' i n t r o d u c t i o n . Il demeure que cela n'est pas toujours
praticable, surtout le j o u r de l'examen où, de fait, sur la feuille, vous
devez bien commencer par l'introduction. Procédez alors ainsi :
- Au brouillon : respectez l'ordre dont nous avons parlé :
Plan détaillé le plus possible (avec les raisonnements : vous entrelacez
donc l'ordre de détermination avec l'ordre de démonstration) ; l'expé-
rience montre que, à cause d'une question de temps, l'on peut rarement
rédiger tout le texte au brouillon. Mais il est parfois bon, voire nécessaire,
de rédiger au brouillon une partie plus délicate, difficile.
Rédaction de la conclusion.
Rédaction de l'introduction.
- Au propre : rédaction de tout le texte, dans l'ordre de la lecture.

• Quelques conseils pour la rédaction de chaque partie


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- Pour l'introduction :
L'introduction idéale répond aux questions suivantes : de quoi parle-
t-on ? (le lecteur aime savoir où il va) Pourquoi on en parle ? Comment
on en parle ? Inutile de commenter cet ordre : vous avez pu le voir prati-
qué dans tout cet ouvrage et en voir l'efficacité. Une bonne introduction
comporte donc et dans l'ordre les points suivants : l'objet de ce travail
(i.e. la question ou problématique), son intérêt, les grands jalons du plan
(ne donnez que les deux ou trois parties principales ; les subdivisions
seront évidentes ou annoncées à la lecture de chaque partie).
- Pour le développement :
Un plan très précis est votre boussole. "Charnalisez" votre plan, illus-
trez, faites appel aux citations, donnez quelques corollaires suggestifs,
etc. Mais ne lâchez jamais le fil d'Ariane qu'est le plan. Toute disserta-
tion est toujours susceptible de se muer en un labyrinthe dont le correc-
teur serait l'impitoyable Minotaure, sans aucun Persée pour vous sauver
le jour du concours.
- Pour la conclusion :
Une bonne conclusion est autant clôture qu'ouverture. Elle rappelle ce qui
a été dit en résumant les points saillants et elle conclut fermement en répon-
dant à la problématique (c'est là sa fonction essentielle) ; puis elle montre
que le sujet n'est pas épuisé, qu'il comporte encore d'éventuelles difficul-
tés, qu'il y a des corollaires féconds. La conclusion comporte donc deux
parties : récapitulative et apéritive. Mais la première est la plus importante :
il est nécessaire qu'au terme, l'intelligence soit dans un repos relatif.

Reprenons l'analogie de la construction de la maison, car c'est une


parabole éloquente de la dissertation. Celui qui veut construire une mai-
son, passe par les phases suivantes : en premier lieu, il se demande s'il va
construire une maison (première et seconde étapes) ; puis, nécessaire-
ment, il répond (troisième étape) ; alors il fait appel à un architecte et
détermine le plan, global (quatrième étape) et plus détaillé (cinquième
étape) ; c'est seulement après que s'accumule le matériau (sixième étape)
et que gros œuvre et finitions sont exécutés (septième étape).
Rappelons enfin que ces conseils valent pour la dissertation philoso-
phique, mais qu'il est aisé de les appliquer, moyennant adaptation, aux
autres "genres littéraires" de dissertation.

QUELQUES CONSEILS GÉNÉRAUX

Il n'existe pas de recettes, mais seulement des méthodes. La différence


est capitale : la recette est du prêt-à-porter, la méthode est du sur mesure.
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Chacun voudrait des "trucs" (sous-entendu infaillibles) ; or, il n'y en a pas.


Le conseil le plus important est le suivant : pour avancer, le seul et
unique moyen est de faire le plus possible de plans. Entraînez-vous. Si
vous êtes en terminale A (donc section littéraire), faites des plans une
heure par semaine. Étudiez aussi ceux du professeur, mais jamais pour les
apprendre par cœur, ce serait encore tomber dans le travers de la recette.
Et il faut reconnaître que le stress du bac, la perspective de l ' e x a m e n
accroît la tentation. Mais elle ne fortifie pas l'intelligence, car la recette
ne fait jamais corps avec l'esprit : elle lui est imposée de l'extérieur, elle
l'habille au lieu de l'habiter.
Ce n'est pas en lisant un manuel de natation que l'on apprend à nager,
c'est en plongeant dans la piscine. Il en est de même pour la dissertation.

Je sais bien que certains professeurs et manuels proposent des tech-


niques de dissertation autrement plus sophistiqués. Cela me semble des
complications bien inutiles lorsque l'on a bien assimilé les règles énon-
cées ci-dessus et surtout lorsqu'on en a compris le bien-fondé logique. De
plus, la multiplication des règles risque fort de vous faire tomber dans le
prêt-à-penser (ou le prêt-à-rédiger) que nous venons si fort de fustiger.

Répondons carrément : non.


Il est vrai qu'une longue tradition philosophique notamment allemande
a bien enraciné dans nos esprits l'axiome selon lequel "tout ce qui est pro-
fond est obscur". J'en ai donné quelques exemples (chapitre II). Le bon
philosophe germanophone Alexis Philonenko s'élève vigoureusement et
courageusement contre cette opinion cérébralisante, élitiste et préten-
tieuse. (Op. cit. p. 247, par exemple p. 86 et surtout pp. 279s.)
L'expérience montre à l'évidence que le lycéen qui applique la méthode
décrite en détail dans cette troisième partie, est assuré d'avoir au mini-
mum 10, c'est-à-dire la moyenne, le jour du bac, quelle que soit la série.
Ce n'est pas que le contenu ne compte pas ; mais il est second sans être
secondaire : répétons-le une dernière fois, l'ordre entre les idées est le
premier signe d ' u n e véritable intelligence. La mémoire, l'érudition ne
sont que le charbon de l'esprit.
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Au terme de cet ouvrage, j'espère que vous n'avez pas d'abord appris
des choses nouvelles, mais que vous vous sentez plus "intelligent", c'est-
à-dire que vous maîtrisez davantage cette extraordinaire boîte à outils
qu'est la raison et que toute personne tient à sa disposition. Comme toute
opération bien huilée, le bien-penser ou le penser juste est source de joie
légitime. Tel le sportif qui sent chacun de ses muscles à sa disposition,
vous commencez à sentir que votre pensée n'est plus un autre, mais un
hôte et qu'elle sera bientôt toute vôtre. L'efficacité de votre intelligence
s'est multipliée. Or, l'intelligence est plus végétal qu'animal : elle grandit
toute la vie.
Mais rappelez-vous toujours deux choses : la pensée est faite pour le
vrai ; le vrai est fait pour l'amour.
La pensée est faite pour le vrai. Il y a toujours une jubilation de l'intel-
ligence qui découvre comment elle fonctionne, telle la joie de l'enfant qui
babille, jouant avec sa voix et avec les mots qu'il invente, telle la joie de
l'amoureux qui aime son amour. Mais Narcisse a fini par se noyer dans la
belle image que lui renvoyait l'étang dans lequel il se mirait. Les Grecs
ont connu cette tentation de faire fonctionner leur raison avide et à vide :
ce fut la crise de croissance des Sophistes. Certains proposaient à qui vou-
lait les entendre de démontrer tout de suite et par dix arguments la thèse
qui leur serait proposée et, aussitôt après, de prouver la thèse contraire par
dix autres arguments. C ' e s t l'humilité de Socrate ("je ne sais q u ' u n e
chose, c'est que je ne sais rien"), et le don de sa vie, qui ont sorti la raison
de cette catastrophe attristante, narcissique et stérilisante.
Or, l'esprit a faim des êtres plus que de son acte de penser ; il est fait
pour embrasser l'univers. Il est ouverture accueillante et généreuse, il
appelle le don des êtres. Et même si aucune vérité n'étanche définitive-
ment la soif de l ' i n t e l l i g e n c e , celle-ci r e c h e r c h e l ' a p a i s e m e n t de la
réponse, non l'angoisse du questionnement perpétuel. La vérité n'est pas
d'abord une rude maîtresse, mais une reine dont l'intelligence est la ser-
vante joyeuse et féconde.
Concrètement, cela signifie qu'il vous faut maintenant mettre en œuvre
l'art de penser et continuer (ou commencer) à vous cultiver.
La vérité est faite pour l ' a m o u r . La personne, en effet, est être de don ;
l'être ne reçoit la vérité des choses (diastole) que pour tendre vers elles et
les aimer (systole). Combien plus lorsqu'il s'agit des personnes ?
Mais, dans son dynamisme même, la vérité appelle l'amour. Pourquoi ?
Je voudrais ici laisser la parole à l'un des plus grands penseurs de notre
temps, Hans Urs von Balthasar. Ces q u e l q u e s réflexions sont d ' u n e
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richesse qui dépasse tout commentaire. Elles méritent que vous les médi-
tiez longuement et souvent : "On peut être saisi d'effroi en constatant à
quel point les choses au fond sont dénudées malgré toute la protection
dont elles peuvent s'entourer, à quel point aussi elles nous dévisagent
pour ainsi dire sans le moindre intermédiaire, à quelle profondeur nous
pouvons de notre côté les sonder du regard jusqu'en leur cœur, combien
enfin elles se trahissent elles-mêmes ou plutôt sont déjà trahies avant
même d'avoir songé à s'exprimer d'une manière consciente. C'est dans
cette nudité que la vérité jette son cri d'appel pour implorer la protection
d'un amour qui comprenne. Dans l'acte de la connaissance comme telle,
il doit y avoir une attitude de bienveillance, sinon de compassion, qui
accueille l'objet sans défense en l'environnant d'une chaude atmosphère
d'amour et de discrétion."
Plus encore : "Le mystère de l'être, comme nous l'avons dit, est un
mystère essentiel, un mystère irréductible, un mystère dont toute la gran-
deur n'éclate victorieusement qu'au moment où la vérité semble pleine-
ment révélée et dévoilée. C'est tout simplement le mystère de la profon-
deur, de l'intériorité, du prix inestimable de l'être. C'est dans cette
profondeur que s'enracine la possibilité comme la réalité de l'amour. Or
si l'amour vit au cœur de l'être et si ce cœur demeure toujours intime et
mystérieux par essence, c'est donc le mystère qui veut pour lui-même
demeurer mystère. L'amour qui est le sens et la fin de toutes choses
n'aspire pas du tout à se pénétrer lui-même à fond sans laisser de mystère,
il est tellement mystère substantiel qu'il est toujours à ses propres yeux
une merveille inconcevable. Il se voile lui-même devant lui-même parce
qu'il se trouve trop lumineux, trop manifeste pour lui-même. Il est le
cœur adorable de toutes choses, mais il ne s'adore pas lui-même, il
détourne de soi au contraire son regard dans un mouvement inexpri-
mable."
(Phénoménologie de la vérité, Paris, Beauchesnes, 1952, pp. 195-196 et
202 ; cf. tout le passage pp. 195-205.)

A tout seigneur, tout honneur. Nous avons commencé en citant Pascal,


finissons par lui : "Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la rai-
son."
(Pensées, n°. 3, Éd. Chevalier et n. 253 Éd. Brunschvicg, in Œuvres com-
plètes, "Bibliothèque de la Pléiade", Paris, Gallimard, 1954, p. 1089.)
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Ce guide pratique de l'art de penser trouve son origine dans ce que l'on
appelle la logique classique dont le fondateur est Aristote. Nous citerons
donc surtout ses œuvres et les manuels qui ont systématisé et vulgarisé sa
pensée (principalement les manuels de philosophie néothomiste). Les
autres ouvrages classiques se sont en général inspirés d'Aristote, l'enri-
chissant ou le critiquant. Vous trouverez dans tous ces livres la bibliogra-
phie et les développements, notamment formels, qu'intentionnellement
cet ouvrage qui se voulait plus introductif et surtout plus pratique, ne
contient pas.
Mais, depuis un peu plus d'un siècle, la logique mathématique a pris
une ampleur considérable. Plus formelle, plus spécialisée, elle est à la
logique classique ce que la physique mathématique est à la philosophie de
la nature. Cette logique mathématique n'est d'aucune utilité pour
apprendre à découvrir (ou à construire) une problématique, un raisonne-
ment, un plan, etc. Elle est par contre devenue indispensable pour la for-
malisation des sciences mathématisées et en informatique.
En outre, si la logique est un art de démontrer, elle est aussi un art de
persuader : c'est le rôle de la rhétorique. Comme ce traité ne développe ni
la logique mathématique ni la rhétorique, nous renvoyons à quelques
ouvrages traitant de ces sujets (bien entendu, vous pouvez toujours vous
reporter aux encyclopédies).

O u v r a g e s de logique classique
ARISTOTE, Organon, réparti en 6 traités (I. Catégories, II. De l'interpré-
tation, III. Premiers analytiques, IV. Seconds analytiques, V. Topiques,
VI. Réfutations sophistiques), trad. Tricot, "Bibliothèque des textes phi-
losophiques", Paris, Vrin, 5 tomes (nouvelle éd., 1969 à 1974). C'est
l'ouvrage de base, inépuisable source à laquelle il faut toujours venir
puiser.
—Alain ARNAUD et Pierre NICOLLE, La logique ou l'art de penser conte-
nant, outre les règles communes, plusieurs observations nouvelles,
propres à former le jugement, coll. "Champs", Paris, Flammarion,
1970. Un classique.
- Robert BLANCHE, Le raisonnement, "Bibliothèque de philosophie
contemporaine", Paris, P.U.F., 1973. Clair et fouillé.
- BOSSUET, Logique du dauphin, coll. "Les grandes leçons de philoso-
phie", Paris, Editions Universitaires, 1990. Un traité complet de logique
classique dont l'intérêt est plus qu'historique.
- Lewis CARROLL, Logique sans peine, trad., Paris, Hermann, 1966. Cet
ouvrage de l'auteur d'Alice au pays des merveilles est amusant et très
clair.
- François CHENIQUE, Éléments de logique classique. I. L'art de penser et
de juger, II. L'art de raisonner, Paris, Dunod, 1975. Très clair. Exer-
cices. Largement inspiré de l'ouvrage suivant (du chanoine Collin).
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—Henri COLLIN, Manuel de philosophie thomiste. I. Logique formelle.


Notions de métaphysique générale, de Cosmologie et d'Esthétique,
Paris, Téqui, rééd. Beaucoup d'exercices et de tableaux clarifiants.
- Gilbert DISPAUX, La logique et le quotidien. Une analyse dialogique des
mécanismes d'argumentation, coll. "Arguments", Paris, Minuit, 1984.
Concret et original.
- Gilles DOYON et Pierre TALBOT, La logique du raisonnement. Théorie
du syllogisme et applications, coll. "Philosophie", Sainte-Foy, Le Grif-
fon, 1985. Centré sur le syllogisme. Multiples exercices.
- Paul FOULQUIÉ, Traité élémentaire de philosophie. II. Logique et
morale, Paris, Éditions de l'école, nouvelle éd., 1950. Clair, mais très
général.
- Henri-Dominique GARDEIL, Initiation à la philosophie de St Thomas
d'Aquin. I. Introduction et Logique, Paris, Cerf, 1952. Très clair.
- Jean GUITTON, Apprendre à vivre et à penser, "Le Signe", Paris, Fayard,
1970.
—Régis JOLIVET, Traité de philosophie. I. Logique et cosmologie, Lyon-
Paris, Emmanuel Vitte, 7e éd., 1965. Clair.
- Jacques MARITAIN, Éléments de philosophie. II. L'ordre des concepts,
Paris, Téqui, 1923. Complet, clair et bien documenté.
- P. MOUY, Logique, Paris, Hachette, 1944.
- Pierre OLERON, L'argumentation, "Que sais-je ?" 2087, Paris, P.U.F.,
1983 ; id., Le raisonnement, "Que sais-je ?" 1671, Paris, P.U.F., 2e éd.,
1982.
- Chaïm PERLEMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l'argumenta-
tion, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 5e éd., 1988.
Gros ouvrage original et intéressant quoiqu'il suspecte trop le raisonne-
ment contraignant.
- Charles SERRUS, Traité de logique, Paris, Aubier, 1945.
- John STUART MILL, Système de logique inductive et déductive, trad.
Paris, Alcan, 1889.
- Jean TRICOT, Traité de logique formelle, Paris, Vrin. Limité à l'aspect
formel de la logique classique. Systématique et fouillé.
- Roger VERNEAUX, Introduction générale et logique, "Cours de philoso-
phie", Paris, Beauchesnes, nouvelle éd., 1964. Scolaire, limpide.

Ouvrages de logique formelle

- Robert BLANCHE, La logique et son histoire. D'Aristote à Russell, coll.


"U", Paris, Armand Colin, 1970. Bien fait.
- Gaston CASANOVA, L'algèbre de Boole, "Que sais-je ?" 1246, Paris,
P.U.F., 4 éd., 1979.
- François CHENIQUE, Comprendre la logique moderne. I. Classe, propo-
sition et prédicat, II. Logiques non classiques, relations et structures,
Paris, Dunod, 1974. Toujours aussi remarquablement clair.
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- Louis COUTURAT, L'algèbre et la logique, Paris, Librairie Albert Blan-


chard, 1980.
- Roland FRAISSE, Cours de logique mathématique, Paris, Gauthier-Vil-
lars, 3 tomes, 1971-1975. Technique.
- Jean-Blaise GRIZE, Logique moderne, Paris, Gauthier-Villars, 1973,
3 tomes. Dépasse le cadre d'une introduction.
- Gilbert HOTTOIS, P e n s e r la logique. Une introduction technique, théo-
rique et philosophique à la logique formelle, Bruxelles, Éditions Uni-
versitaires, 1989. Présente la logique classique et la logique formelle
contemporaine. Clair.
- Stephen C. KLEENE, Logique mathématique, trad., Série "Epistémolo-
gie", coll. "U", Paris, Armand Colin, 1971. Un classique. Assez diffi-
cile.
—Denis VERNANT, Introduction à la philosophie de la logique, "Philoso-
phie et langage", Liège-Bruxelles, Pierre Margada, sans date. Intermé-
diaire entre logique classique et logique formelle.

Ouvrages de rhétorique

- ARISTOTE, Rhétorique, trad., Paris, Les Belles-Lettres, 3 tomes, 1967 à


1973. L'ouvrage fondamental.
- Alain CANU, Rhétorique et communication en 2 questions et 19 exer-
cices, coll. "Travail à grande efficacité", Paris, Éditions d'Organisation,
1992. Scolaire.
- Jean-Paul GOUREVITCH, La p r o p a g a n d e dans tous ses états, Paris, Flam-
marion, 1981.
- Jean-Noël KAPFERER, Les chemins de la p e r s u a s i o n , Paris, Dunod,
1986.
- Olivier REBOUL, La rhétorique, "Que sais-je ?" n° 2133, Paris, P.U.F.,
1984, La rhétorique, Théorie et pratique, coll. "Premier cycle", Paris,
P.U.F., 1991.
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