De Penser !!!
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L'art de penser
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Pascal Ide
L'art de penser
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© Editions Médialogue
72, Rue Bonaparte - F. 75006 Paris
ISBN 2 - 86740 - 031 - 7
Dépôt légal : septembre 1992
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays.
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A Aline Lizotte
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" L ' h o m m e n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un
roseau pensant", disait P a s c a l Les soucis, les vicissitudes de la vie, se
chargent régulièrement de lui montrer qu'il est un roseau bien vulnérable.
Mais lui dit-on assez qu'il est pensant, c'est-à-dire que la faculté de pen-
ser est, avec la capacité d'aimer, sa grande noblesse ? Or, on ne naît pas
animal pensant, on le devient.
Toute l'ambition de cet ouvrage n'est pas de vous rendre plus savant,
mais plus intelligent, c'est-à-dire de faire fructifier votre intelligence. Il
ne s'agit pas d'ajouter un livre à votre bibliothèque, mais de vous per-
mettre de lire les livres qui y sont déjà présents, et d'abord, si besoin est,
de vous en donner le goût. L ' h o m m e donne trop souvent l'impression que
son intelligence est une voiture qui, ayant oublié qu'elle a cinq vitesses,
se traîne en première vitesse. Il a été répété ces dernières années que nous
n'exploitions que 10 % de notre cerveau ; il vaudrait mieux dire 10 % de
notre esprit. En effet, nous naissons tous avec une intelligence mais aucun
avec son mode d'emploi. C'est à l'éducation de le fournir. Mais je n'ai
jamais vu, ni à l'école ni en faculté, un cours intitulé Art de p e n s e r ou
Comment g é r e r ses ressources intellectuelles ? Je le regrette. Ce livre
voudrait, dans la limite des compétences de son auteur, combler cette
lacune.
Je ne prétends d ' a i l l e u r s pas à l'originalité. Une bonne partie des
notions qui seront développées ont déjà été détaillées par un des plus
grands philosophes grecs, Aristote, dans une série d'ouvrages auxquels il
a donné le nom suggestif d ' O r g a n o n , c'est-à-dire d'instrument. Tant,
pour lui, l'intelligence avait besoin d'être outillée pour pouvoir convena-
blement penser. Malheureusement, après Aristote, on a trop fait de cet
e n s e i g n e m e n t une science à laquelle on a donné le n o m abstrait de
logique, alors qu'elle est un art, c'est-à-dire une discipline qui se pratique
pour mieux vivre, et ici, mieux penser. L'art de penser est à la raison ce
que la gymnastique est au corps.
Cet ouvrage est aussi le résultat d'un enseignement souvent donné dont
j ' a i pu constater les fruits. Et j'utilise moi-même avec enthousiasme la
méthode qui va être développée, depuis quelque dix-sept ans.
Ce livre s'adresse autant au scolaire q u ' à l'universitaire qui ont besoin
de donner leur plein intellectuel. Il est aussi écrit pour tous ceux qui
aiment lire et qui voudraient que leur lecture ne soit pas qu'un bon souve-
nir, réduisant leur résumé à un frustrant et laconique : "C'était bien." Il
s'adresse de même à ceux qui doivent rédiger un texte avec rigueur : les
lois de l'écriture sont très proches de celles de la lecture qui sont celles de
la pensée. La pensée est d'abord réceptive, puis créative ou productive :
avant de produire son fruit, l'arbre reçoit la lumière du soleil et les sels
minéraux de la terre.
Enfin, comment utiliser ce livre ? Il n'y a pas de prêt-à-porter intellec-
tuel, il n'y a que du sur mesure, car chacun est unique. C'est pour cela
que chaque chapitre comporte de nombreux exercices. Ils n'ont pas été
écrits pour être contemplés, mais pour être faits ! De même, vous trouve-
rez une série d'exercices à la fin du livre : ils récapitulent toutes les
notions qui ont été développées dans les différents chapitres. Jean-Claude
Lamy qui a interviewé plus de 200 "cracks" , constate que "tous les bons
en maths font énormément d'exercices : ils ne s'attardent pas à rabâcher
le cours, mais consacrent 80 à 90 % de leur temps à mettre en œuvre leurs
connaissances dans des exercices". Faites de même si vous voulez que ce
petit ouvrage porte du fruit. Voici une autre constatation intéressante de
l'auteur : le "cœur du secret des bons élèves" est "une gestion de leur
capital intellectuel visant au plein emploi de leurs capacités c r o i s s a n t e s
Maintenant, bon courage.
1 - Vive les cracks. Vie et mœurs des "bêtes à concours", Paris, Jean-Claude Lattès, 1989,
pp. 24 et 25.
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MOTS CLEFS
Exemple (raisonnement par 1') : au sens technique qui est le nôtre, c'est
une des quatre sortes de raisonnement. Ce qui caractérise le raisonnement
par l'exemple est qu'il se fonde sur une analogie avec le sujet de la pro-
blématique. Le raisonnement par l'exemple n'a donc pas le sens habituel
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1 - M a r t i n HEIDEGGER, L e p r i n c i p e d e r a i s o n . P a r i s , G a l l i m a r d , 1 9 6 2 , p. 153. P o u r le p e n -
s e u r a l l e m a n d , l e s P h y s i q u e s d ' A r i s t o t e e s t l ' o u v r a g e d e f o n d d e la p h i l o s o p h i e o c c i d e n t a l e
cf. O p . cit., p . 151 ; c f . a u s s i Q u ' a p p e l l e - t - o n p e n s e r ?, P a r i s , G a l l i m a r d , 1 9 5 9 .
2 - C l a u d e BERNARD, I n t r o d u c t i o n à l ' é t u d e d e l a m é d e c i n e e x p é r i m e n t a l e , I p a r t . . c h a p . II.
s. 5 , a u t o u t d é b u t .
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1 - G. LAN TERI-L AURA. G. DAUMI ZON et R. LEFORT , art. "Psychiatrie", Encyclopœdia Uni-
versalis. Paris, 1980. vol. 13. pp. 750-755.
2 - Marie-José RE I CHLER-BEGUE LIN. "Anaphore. cataphore et mémoire discursive", in P r a -
tiques. n° 57. Metz, mars 1988. pp. 15 à 43 : ici p. 15.
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qui font gagner un temps précieux parce qu'ils cherchent à établir des
passerelles entre ce que vous savez et le nouveau domaine à explorer. Tel
est par exemple le cas de la collection Que sais-je ? qui est souvent
remarquable par sa clarté. Mais là encore, il faut oser mettre sa superbe et
son snobisme sous le paillasson. Un rabbin dit que "citer ses sources,
c'est faire avancer le Royaume de Dieu" ; or, il est moins reluisant de
citer une petite encyclopédie de poche que l'énorme ouvrage de référence
en langue originale.
C'est ainsi que François Russo note "le contraste frappant entre deux
encyclopédies françaises qu'un siècle sépare : la Grande Encyclopédie du
XIX siècle, et l' Encyclopœdia universalis. La première, si riche en défini-
tions et commentaires clairs et intelligents sur le présent et le passé des
techniques ; la seconde, bien pauvre à cet égard ou dont les articles sur les
techniques actuelles et passées sont sans doute rédigées par des spécia-
listes, mais que n'anime pas un souci véritable de se faire comprendre des
non-spécialistes" Traduisons dans la perspective qui est la nôtre : ce
manque de souci pédagogique est typique. L'auteur spécialiste ne cherche
pas à se rendre accessible au lecteur non-spécialiste.
Cette seconde loi précise la première : le connu d'où part l'esprit est un
plus universel et l'inconnu auquel il accoste est un plus particulier. Le
progrès, ici, se comprend mieux selon la dimension verticale. L'intelli-
gence part du haut de la montagne ; de là, elle a une vue globale sur la
vallée. Mais si elle veut mieux la connaître, elle devra descendre et sa
vision se fera plus détaillée. De même que le montagnard est heureux de
revenir chez lui dans la vallée, de même la pente naturelle (c'est le cas de
Exemple du chemin
Vous vous trouvez sur un long chemin. Soudain vous voyez quelque
chose au bout de ce chemin. Vous dites : "C'est quelque chose." Puis,
vous approchant, vous vous rendez compte que la chose bouge : "C'est un
être vivant." Continuant à vous approcher, vous vous apercevez que le
vivant et plus précisément l'animal (car seul l'animal bouge de lui-même)
est bipède et a l'allure d'un homme : "C'est un homme." Et, vous rappro-
chant encore, progressant de manière ultime dans la précision de votre
connaissance : "Tiens ! Mais c'est Socrate !" A l'instar du sens de la vue,
l'intelligence passe du plus général au plus distinct.
Guillaume de Baskerville,
Umberto Eco et Aristote
Par la bouche d'un de ses héros, Guillaume de Baskerville, Eco ne
fait que reprendre l'exemple d'Aristote, mais curieusement sans le
citer. Guillaume explique à son disciple Adso c o m m e n t il a pu
découvrir un cheval : "Si tu vois quelque chose de loin et ne com-
Umberto ECO, Le nom de la rose, "Livre de poche" n° 5859, Paris, Grasset, 1982, p. 42.
Exemple de l'enfant
Passons du registre spatial à une image tirée du temps. L'enfant ne sait
pas d'emblée différencier un terre-neuve d'un labrador. Il apprend en pre-
mier lieu à reconnaître un chien et passe après à la distinction des
espèces. C'est ainsi que, note profondément Aristote : "Le petit enfant
appelle tout homme Papa." En effet, sa connaissance est au début trop
générale pour distinguer les différents hommes, aussi les nomme-t-il tous
du nom qu'il utilise pour l'homme qu'il connaît le mieux. La psychologie
actuelle le confirme abondamment, en particulier la théorie de Winnicot
relative à ce qu'il appelle les objets transitionnels.
L e s n o t i o n s les p l u s u n i v e r s e l l e s s o n t a u s s i les p l u s c o n f u s e s
Confus ne doit pas s'entendre au sens de mêlé mais dans le sens de non
distingué et contenant en puissance toutes les distinctions ultérieures. Par
exemple, l'enfant qui a la notion de plante n ' a qu'une idée très envelop-
pée de ce qu'elle est et des multiples espèces de plantes. Il reste que sa
première appréhension de la plante est grosse de toutes les distinctions
futures qu'il apportera.
Un signe en est que ces connaissances n'annuleront jamais cette pre-
mière appréhension mais la présupposeront et reposeront sur elle. C'est
ainsi que si un physicien perd sa conception très commune du mouve-
ment, toutes les conclusions extrêmement minutieuses qu'il tire sur les
diverses sortes de mouvement deviennent inintelligibles, et cela, même
s'il a l'impression que cette connaissance commune ne rentre à aucun
titre dans son discours scientifique.
1 - III S e n t . , d. 2 6 , q. 2 , a. 4 , c. P o u r u n e x p o s é p l u s d é t a i l l é , n o u s r e n v o y o n s a u c h a p i t r e d e
R o g e r VERNEAUX, in E p i s t é m o / o g i e g é n é r a l e o u c r i t i q u e d e l a c o n n a i s s a n c e , " C o u r s d e p h i -
l o s o p h i e " , P a r i s , B e a u c h e s n e s , 1 9 5 9 . p. 9 3 à 101.
2 - M i c h e l BOYANCE, art. c i t é ( r é f . p. 16) ici, p. 6 7 .
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1 —J. WEBERT, La pensée humaine, in Somme théologique, la Revue des Jeunes, Paris, Des-
clée, 1930, pp. 247 et 282.
2 —PASCAL, Pensées , n. 17. Éd. Chevalier, n. 213 , Éd. Brunschvicg, in Œuvres complètes,
"Bibliothèque de la Pléiade", Paris, Gallimard, 1954, p. 1091.
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Aristote et D e s c a r t e s
C ' e s t p r o b a b l e m e n t là o ù n o t r e o p p o s i t i o n à D e s c a r t e s e s t la p l u s g r a n d e
(la s e c o n d e o p p o s i t i o n qui s e r a d o n n é e d a n s l ' e x p o s é d e la q u a t r i è m e loi
n ' e s t q u ' u n e conséquence) : celui-ci a rêvé d ' u n e mathématique univer-
selle. O r , les m a t h é m a t i q u e s g o m m e n t la d i s t i n c t i o n c o n f u s - d i s t i n c t : t o u t
d ' a b o r d , elles d o n n e n t le p r i m a t à la c o n s t r u c t i o n de l ' e s p r i t . D e p l u s , e n
m a t h é m a t i q u e , t o u t e s les c o n c e p t i o n s d e l ' i n t e l l i g e n c e o n t m ê m e d e g r é de
c l a r t é e t d e d i s t i n c t i o n . B i e n sûr, la n o t i o n d e n o m b r e n a t u r e l e s t p l u s
s i m p l e q u e c e l l e d e q u a t e r n i o n et c e l l e d ' e n s e m b l e , p l u s i m m é d i a t e q u e
c e l l e d e g r o u p e a b é l i e n , m a i s d e l ' u n à l ' a u t r e , le r a p p o r t n ' e s t p a s d e
c o n f u s à distinct, il est, à u n m ê m e d e g r é de limpidité, de s i m p l e à c o m -
plexe. S e m b l a b l e m e n t , u n e m o n t r e à q u a r t z est aussi é v i d e n t e q u ' u n e clep-
sydre, m a i s est p l u s c o m p l e x e et n o n p a s p l u s c o n f u s e o u p l u s universelle.
1 - Pour toute cette question capitale, le texte le plus développé de saint Thomas est la QD
De Veritate, q. 15, a. 1. Nous renvoyons à l'article simple et pédagogique de Georges-Marie-
Martin COTTIER, "Intellectus et ratio" in Revue Thomiste, LXXXVIII(1988), pp. 215-228.
Cf. aussi, bien plus complet : Julien PEGHAIRE, "Intellectus" et "ratio" selon saint Thomas
d'Aquin, Publications de l'Institut d'Etudes médiévales d'Ottawa, VI, Paris, Vrin, 1936.
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CHAPITRE VIII
COMMENT RÉDIGER
UNE DISSERTATION ?
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C o m m e p o u r l a l e c t u r e r i g o u r e u s e d ' u n a r t i c l e o u d ' u n o u v r a g e , il y a
d i f f é r e n t e s é t a p e s ( s e p t ) à p a r c o u r i r , c e q u i s i g n i f i e d e u x c h o s e s : 1. I l f a u t
t o u t e s l e s p a r c o u r i r . 2 . Il f a u t l e s p a r c o u r i r d a n s l ' o r d r e .
C e chapitre a u r a u n a s p e c t plus scolaire et d o n n e r a des règles u n p e u
f o r m e l l e s , p a r c e q u e l ' e s s e n t i e l a d é j à é t é d i t . Il s u f f i t d e l e m e t t r e e n
œ u v r e : nous p o u v o n s ainsi passer presque directement au " C o m m e n t ?"
e n c o u r t - c i r c u i t a n t le " P o u r q u o i ?" et le " Q u ' e s t - c e q u e c ' e s t ?". P a r s o u c i
de simplicité, l'exposé a réduit au m i n i m u m indispensable l'utilisation
d e s i n s t r u m e n t s é l a b o r é s d a n s le p r e m i e r c h a p i t r e , d e m a n i è r e à l i m i t e r le
j a r g o n et r e n d r e la t e c h n i q u e de dissertation la plus a b o r d a b l e possible. A
la limite, o n p o u r r a i t lire c e c h a p i t r e s a n s tenir c o m p t e d e s c h a p i t r e s pré-
c é d e n t s , et e n f a i s a n t s e u l e m e n t a p p e l , le c a s é c h é a n t , a u x m o t s clefs
p a g e 9.
L e s u j e t v i e n t d ' ê t r e d i s t r i b u é p a r le p r o f e s s e u r , q u e c e s o i t p o u r être
travaillé à la m a i s o n o u q u e ce soit à l ' e x a m e n . Q u e faut-il faire et ne pas
faire ?
C e q u 'il f a u t f a i r e
L i s e z le sujet. A v o u e z q u e vous n ' y aviez pas pensé ! Je précise en
insistant l o u r d e m e n t : lisez très attentivement, m o t à m o t le libellé.
Soyons plus concret : l ' h o m m e est un tout ; l'intelligence est connectée
à la sensibilité. C e l a signifie d o n c q u e la p e r s p e c t i v e d u sujet est stres-
sante ; et c ' e s t surtout vrai le j o u r de l ' e x a m e n .
O r , le s t r e s s n ' e s t p a s u n e m a u v a i s e c h o s e . A u c o n t r a i r e , il d o n n e l e
sens d u d a n g e r et m o b i l i s e les m o y e n s p h y s i o l o g i q u e s et p s y c h o l o g i q u e s
p o u r a f f r o n t e r l ' o b s t a c l e . E n situation d e stress les g l a n d e s surrénales
secrètent d e s h o r m o n e s qui, p a r e x e m p l e , a u g m e n t e n t les r y t h m e s car-
diaque et respiratoire (souffle plus rapide, plus court), ce qui permet de
fournir un effort efficace. L e s sportifs spécialistes d e sports e x t r ê m e s le
d i s e n t tous : p e r d r e la peur, c ' e s t p e r d r e le sens d u danger. L a dissertation
d ' e x a m e n n ' a pas e n c o r e été h o m o l o g u é e p a r m i les sports aux conditions
e x t r ê m e s , m a i s il e s t b o n q u ' e l l e s t r e s s e u n m i n i m u m , c a r e l l e p r é p a r e à
v o u s c o n f r o n t e r à la d i f f i c u l t é Q u e l q u ' u n m e racontait q u ' i l avait été un
1 —Pour le détail, cf. Construire sa personnalité, Paris, Le Sarment-Fayard, 1991, chap. IV,
pp. 200s.
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jour poursuivi par un chien et qu'il n'avait pu sauver son fond de culotte
qu'en grimpant dans un arbre. Le lendemain, en passant devant l'arbre, il
s'était arrêté interloqué, se demandant comment il avait fait pour agripper
les branches si élevées : merci les hormones de stress !
Mais il faut un juste milieu, car, larguées en trop grandes quantités,
celles-ci engendrent des réactions non maîtrisées et non coordonnées.
Donc, du calme ! Respirez à fond un bon coup pour vous détendre et lisez
très lentement tout le sujet de dissertation.
Ce q u ' i l n e f a u t p a s f a i r e
- Vous précipiter sur votre feuille et commencer à noter tout ce qui vous
passe par la tête. L'auto-organisation spontanée, c'est plutôt la rareté ;
la technique du brain-storming a une efficacité réduite : on retient à
peine quelques idées pour cent. Foncer sur le dictionnaire ou sur vos
livres de philosophies pour voir ce que les philosophes avant vous ont
pensé du sujet. Vous récolterez une moisson d'opinions, mais comment
lier en gerbe du blé, de la betterave et des ananas ? On ne commence
pas une maison en accumulant des pierres, mais en se demandant quel
type de maison on veut ; si c'est à la montagne, on préférera peut-être le
bois à la pierre...
- Découper le sujet en mots ne vaut guère mieux. Ce genre de méthode
conduit droit à la dissertation-saucisson qui est un genre à proscrire for-
mellement. En effet, ce serait régresser au niveau de la première opéra-
tion de l'esprit. Or, elle est au service du jugement (seconde opération
de l'esprit) que pose la problématique. Il est vrai que l'ordre de l'intelli-
gence suppose que l'on passe du plus commun (le sujet) au plus dis-
tinct, en divisant ; mais d'abord en gardant la structure moléculaire, pas
en la pulvérisant.
C e qu 'il f a u t f a i r e
: ?
❏ Pourquoi ?
Nous avons consacré un chapitre entier à cette question si importante, si
ce n'est la plus importante. C'est tellement essentiel que je connais un
professeur qui conseille à ses étudiants de noter en lettres majuscules bien
visibles, le jour de l'examen, en haut de la feuille de brouillon : QUELLE
EST LA QUESTION QUE L'ON ME POSE ?
Ce qu'il ne f a u t p a s faire
—Plonger dans le raisonnement, la recherche des différentes réponses.
- Accumuler du matériau (faire des lectures tous azymuts, collationner
des citations, etc.).
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La raison est, dans les deux cas, encore la même que pour la seconde
étape.
Ce qu'il f a u t faire
Répondez à la question que vous avez formulée grâce à la seconde
étape.
La raison de cette troisième étape est essentielle et répond à la vie de
l'intelligence : elle est ordonnée au vrai. Or, la conclusion est première en
finalité et dernière dans l'exécution. Si vous voulez partir en vacances,
vous ne commencez pas par faire votre valise ou par mettre votre combi-
naison de ski, vous commencez par vous demander où vous partez, quand
et comment y aller, etc. La fin est donc première dans l'ordre de l'inten-
tion, mais elle ne sera atteinte qu'au terme de la réalisation, car c'est elle
qui meut toutes les énergies et oriente tous les moyens. Or, c'est la
conclusion, c'est-à-dire la réponse apportée à la problématique qui joue le
rôle de finalité mobilisant toute votre dissertation. Il importe donc au plus
haut point que vous la décidiez au plus vite. D'elle dépend la bonne coor-
dination des efforts à suivre. Et si vous la remettez en question, toutes les
étapes ultérieures s'en trouveront modifiées ; de même si vous décidez de
partir à la mer et non plus à la montagne, il y a de fortes chances pour que
vous changiez et votre billet de train et au minimum le contenu de votre
valise.
La difficulté pointe aussitôt : mais comment connaître d'emblée la
réponse au sujet ? N'est-ce pas tomber dans le dogmatisme ? En fait, un
piège beaucoup plus redoutable vous guette qui est le scepticisme syncré-
tiste. De plus, l'expérience montre à l'évidence que si vous ne répondez
pas d'emblée à la question, vous n'y répondrez jamais. C'est une question
de bonne navigation : si vous voulez avancer, vous devez déjà avoir une
idée de la direction de votre but. Je ne parle pas d'avoir la conclusion en
tête en toutes ses précisions. Par ailleurs, le plan qui constitue la qua-
trième étape permettra d'échapper aux tentations de raideur intellectuelle.
Enfin, arrêter la réponse est preuve de mesure : pas de prométhéisme ;
ignorer où vous allez est commencer un travail qui vous dépasse. Par
exemple, quand arrêterez-vous de collecter du matériau ? Bien des
angoisses et des marches d'approche qui n'en finissent pas d'approcher
viennent de ce que le but, donc le terme n'a pas été fixé : il s'éloigne au
fur et à mesure que l'on croit le toucher. C'est confondre but et horizon.
Et on se retrouve avec des répartitions d'horaire du genre : sujet donné il
y a trois semaines, dix jours à rassembler la documentation et une nuit
blanche pour rédiger à la hâte une dissertation encyclopédique désossée
qui rappelle fâcheusement le bureau de Gaston Lagaffe.
L'attitude à suivre est donc de réfléchir un moment en face de votre
problématique et de décider la réponse qui vous semble vraie.
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La question en question
Philonenko s'interroge avec inquiétude sur ces philosophies qui ne
s'intéressent plus qu'au questionnement pour lui-même (c'est le cas
par exemple d'un Heidegger et de ses disciples).
"La philosophie devait bien moins analyser la question relative à la
question [...] que l'idée de conclusion. [...] C'est à l'idée de conclu-
sion que nous devons toujours revenir. Quand nous achevons un
projet, psychologiquement nous ne nous sentons plus liés par lui et
toutes ses déterminations. Chacun sait par expérience qu'une tâche
inachevée - même si elle expose des choses inachevées comme ici -
est obsédante. Si nous ne parvenions jamais à réussir à conclure,
même très modestement, nous n'aurions aucune liberté. Naturelle-
ment la réalité n'est pas aussi simple. Nous d e v o n s travailler à
résoudre des problèmes, dont nous savons bien cependant que les
conclusions finales appartiennent à un futur très lointain. Et cepen-
dant n o u s y travaillons s a n s relâche parce q u e nous v o u l o n s
conclure. La question est importante - la conclusion l'est encore
plus."
Ce q u ' i l f a u t f a i r e
Il faut faire un plan
❏ Pourquoi ?
Tous les professeurs de la terre rebattent les oreilles de leurs étudiants
avec ce fameux plan qui constitue, avec la problématique, l'une des deux
clefs de la réussite de la dissertation. Ils ont peut-être raison après tout !
C'est le plan qui dicte les idées. Rappelez-vous toujours le principe de
Thomas d'Aquin : "L'ordre entre les idées vaut mieux que les idées elles-
mêmes." A rapprocher du mot de son maître Aristote : "Le propre du sage
est de mettre de l ' o r d r e Défaites-vous de l'illusion constante que lès
idées-secrètent le plan.
lement qu'il ne faut pas confondre l'ordre du plan (ou ordre de détermina-
tion) et l'ordre du raisonnement.
❏ Comment ?
Quel plan ? Nous avons vu les plans à éviter soigneusement. Alors, quel
plan proposer ? Vous vous rappelez peut-être que l'on avait distingué deux
sortes de plan, selon que le texte vrillait autour d'une ou de plusieurs problé-
matiques (cf. chapitre VI). Ici, volontairement, nous avons structuré la disser-
tation à partir d'une seule problématique. Mais la grille alors proposée pour
la lecture (thèse, preuve, conséquences, objections) n'est pas applicable telle
quelle, car elle ne respecte pas assez le travail de l'écriture, la vie de l'intelli-
gence en quête de vrai, comme nous allons le redire dans un instant.
Nous proposerons deux plans types. Comme les conseils que nous don-
nons, ils sont extrêmement formels et généraux. A vous de les remplir, de
les appliquer par les exercices. Le premier type de plan est le plus aisé à
pratiquer. Commencez par vous familiariser avec lui.
Exemple
- Thèse : "L'homme est conscience."
- Preuve : vous pouvez l'emprunter à la philosophie de René Descartes.
- Difficultés : ici, Sigmund Freud sera bien utile.
—Répondez aux objections, aménagez votre thèse en fonction des cri-
tiques adressées par Freud. Par exemple : la conscience n'est pas le tout
de l'homme, mais elle en constitue encore l'essentiel.
Le plan est donc tripartite. Ne vous fiez pas à l'apparence : il n'a rien de
commun avec le plan dialectique. Si on voulait lui trouver une origine
dans l'histoire, il rappelle plutôt le modèle des réquisitoires romains (la
plaidoirie adopte souvent le plan suivant : "Certes, mon client est cou-
pable... Mais veuillez considérer ces multiples circonstances atténuantes,
son jeune âge, son enfance malheureuse... Aussi je ne peux que deman-
der l'indulgence du jury...") ou le principe médiéval éprouvé des ques-
tions disputées (lisez par exemple un article de la Somme théologique de
saint Thomas d'Aquin).
L'avantage immense de ce type de plan est qu'il est un discours à plu-
sieurs voix intégrant la diversité des opinions et surtout qu'il respecte
l'attitude de l'intelligence certes questionnante, mais orientée vers le vrai
et la conclusion.
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Ce q u ' i l ne f a u t p a s f a i r e
- Là encore, pas de précipitation incontrôlée sur la rédaction. Ce n'est pas
non plus encore la phase de rassemblement du matériau. Décidément
nos réflexes premiers et apparemment sécurisants ne sont pas les
meilleurs conseillers !
Auparavant il faut planifier. Encore faut-il éventer et éviter quelques
pièges élémentaires, mais bien tentants :
- Le pseudo-raisonnement (ce que nous avons appelé le raisonnement par
accident). Le grand risque est toujours de faire un plan dont les parties
n'aient qu'un lien extérieur. C'est la dissertation fleuve, non pas au sens
du roman fleuve, mais au sens où les parties ne s'articulent pas les unes
aux autres. Elles viennent abreuver un ruisseau qui n'arrive pas à gros-
sir et qui se demande ce qu'il va jeter à la mer Vérité, et même, s'il va y
accéder.
- La substitution des citations au raisonnement. Mieux vaut résumer la
pensée de Descartes avec vos propres mots que d'en citer une page
entière. S'agit-il de le plagier ou de le répéter en changeant les termes ?
Nullement, votre travail est de décortiquer l'armature logique de sa
démonstration et de la restituer par-delà l'habillage des mots. Le princi-
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Ce q u ' il f a u t f a i r e
Utilisez les règles du raisonnement que l'on a étudiées en détail dans
le chapitre III. Utilisez de prime abord le syllogisme. Cherchez vos
moyens termes, c'est-à-dire les concepts susceptibles d'unir les termes de
la problématique. Mais n'hésitez pas à varier vos types de raisonnements,
faites appel à des enthymèmes, des raisonnements par l'exemple, des
inductions. Cela varie le style et soutient l'attention, sans nullement vous
faire dériver loin de votre problématique.
De plus, utilisez les raisonnements pour démontrer non seulement la
thèse principale mais aussi pour manifester chaque sous-thèse tant qu'elle
n'est pas suffisamment évidente.
Enfin, rappelez-vous ce que nous disions sur le plan d'un texte articulé
autour d'une problématique : vous pouvez introduire des conséquences ou
des objections, pour peu qu'elles ne deviennent pas trop envahissantes,
que vous ne perdiez jamais le fil de votre propos et que vous le signifiez
d'un mot ("Une conséquence intéressante est" ; "Remarquez en passant",
etc.).
Par exemple, dans la première partie de votre dissertation, vous voulez
démontrer que l'homme est conscience, qu'il est doué de conscience.
Vous pouvez procéder ainsi : l'homme est pensée ; or, la pensée est
conscience ; donc, l'homme est conscience. C'est le raisonnement princi-
pal qui structure toute votre première partie. Chaque proposition peut
constituer un paragraphe.
Mais ne vous arrêtez pas en si bon chemin. Il faut maintenant manifes-
ter chacune des prémisses.
- L'homme est pensée. En effet, l'homme est doué de langage ; or, il n'y
a pas de langage sans pensée ; donc...
—La pensée est conscience. Vous pouvez faire appel à Descartes, mais en
vous rappelant les conseils qui ont été donnés : pas de citation-Ama-
zone. Vous pouvez aussi élaborer un raisonnement, par exemple un
enthymème : l'animal n'est pas doué de conscience ; or, l'animal ne
pense pas.
C e q u 'il n e f a u t p a s f a i r e
Engloutir la Bibliothèque nationale. Perdez vos illusions ! Vous ne lirez
pas tout. Réflexion vaut en général mieux qu'érudition et celle-ci ne doit
jamais être le cache-misère de votre manque de réflexion.
Ce q u ' i l f a u t f a i r e
C'est très intentionnellement que nous avons placé en avant-dernier
cette étape qui est bien souvent et à tort située en premier. En philosophie,
on dirait que c'est la finalité (première à troisième étapes) qui commande
la forme (quatrième et cinquième étapes), et que fin et structure dictent la
matière.
Il s'agit maintenant de donner chair au squelette qui a été assemblé.
- Si vous ne l'avez déjà fait, mettez-vous au clair sur les différents sens
des mots clefs du sujet. Ces précisions lexicales intégrez-les toujours à
votre plan.
- Proportionnez le matériau à votre compétence et à votre capacité d'assi-
milation. En terminale, il est bien rare que l'on soit à même de manier
plus de deux ou trois auteurs avec compétence, sans déformer leur pen-
sée. Donc ne convoquez qu'un nombre limité d'auteurs. Pour le sujet
proposé, confronter Descartes et Freud est suffisant et parlant.
D'ailleurs, de manière plus générale, il est bien préférable d'étudier en
détail quelques auteurs que de multiplier les références qui dispersent la
pensée et ne prouvent rien.
- Mieux encore, préférez étudier de près quelques textes majeurs
d'auteurs eux-mêmes majeurs que rester dans le vague de la présenta-
tion de ces auteurs.
—Utilisez les citations avec discernement. Les citations sont comme le sel
dans un plat : tout est dans la mesure. La multiplication des citations
noie le discours plus qu'il ne le sert, surtout si les références sont de
seconde main (puisées dans un dictionnaire, par exemple). Elle ne
trompe personne et surtout pas le professeur qui sait ce que ses étu-
diants ont lu et peuvent lire ; de surcroît il connaît en général les
manuels à leur disposition. L'intelligence, la lumière ne jaillissent pas
de la quantité, mais du choix judicieux des citations.
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Maintenant, vous êtes fin prêt pour la dernière étape de votre marathon
dissertant.
C e q u 'il n e f a u t p a s f a i r e
Commencer par l'introduction, rédiger le développement dans la foulée
et finir par la conclusion. L'ordre de l'écriture sera donc celui de la lec-
ture. Mais la linéarité est à proscrire. Pourquoi ? Parce que la rédaction du
développement est souvent génératrice d'idées nouvelles, que vous fas-
siez un brouillon ou non. Cela pourrait donc vous amener à changer votre
introduction sur quelques points.
- Pour l'introduction :
L'introduction idéale répond aux questions suivantes : de quoi parle-
t-on ? (le lecteur aime savoir où il va) Pourquoi on en parle ? Comment
on en parle ? Inutile de commenter cet ordre : vous avez pu le voir prati-
qué dans tout cet ouvrage et en voir l'efficacité. Une bonne introduction
comporte donc et dans l'ordre les points suivants : l'objet de ce travail
(i.e. la question ou problématique), son intérêt, les grands jalons du plan
(ne donnez que les deux ou trois parties principales ; les subdivisions
seront évidentes ou annoncées à la lecture de chaque partie).
- Pour le développement :
Un plan très précis est votre boussole. "Charnalisez" votre plan, illus-
trez, faites appel aux citations, donnez quelques corollaires suggestifs,
etc. Mais ne lâchez jamais le fil d'Ariane qu'est le plan. Toute disserta-
tion est toujours susceptible de se muer en un labyrinthe dont le correc-
teur serait l'impitoyable Minotaure, sans aucun Persée pour vous sauver
le jour du concours.
- Pour la conclusion :
Une bonne conclusion est autant clôture qu'ouverture. Elle rappelle ce qui
a été dit en résumant les points saillants et elle conclut fermement en répon-
dant à la problématique (c'est là sa fonction essentielle) ; puis elle montre
que le sujet n'est pas épuisé, qu'il comporte encore d'éventuelles difficul-
tés, qu'il y a des corollaires féconds. La conclusion comporte donc deux
parties : récapitulative et apéritive. Mais la première est la plus importante :
il est nécessaire qu'au terme, l'intelligence soit dans un repos relatif.
Au terme de cet ouvrage, j'espère que vous n'avez pas d'abord appris
des choses nouvelles, mais que vous vous sentez plus "intelligent", c'est-
à-dire que vous maîtrisez davantage cette extraordinaire boîte à outils
qu'est la raison et que toute personne tient à sa disposition. Comme toute
opération bien huilée, le bien-penser ou le penser juste est source de joie
légitime. Tel le sportif qui sent chacun de ses muscles à sa disposition,
vous commencez à sentir que votre pensée n'est plus un autre, mais un
hôte et qu'elle sera bientôt toute vôtre. L'efficacité de votre intelligence
s'est multipliée. Or, l'intelligence est plus végétal qu'animal : elle grandit
toute la vie.
Mais rappelez-vous toujours deux choses : la pensée est faite pour le
vrai ; le vrai est fait pour l'amour.
La pensée est faite pour le vrai. Il y a toujours une jubilation de l'intel-
ligence qui découvre comment elle fonctionne, telle la joie de l'enfant qui
babille, jouant avec sa voix et avec les mots qu'il invente, telle la joie de
l'amoureux qui aime son amour. Mais Narcisse a fini par se noyer dans la
belle image que lui renvoyait l'étang dans lequel il se mirait. Les Grecs
ont connu cette tentation de faire fonctionner leur raison avide et à vide :
ce fut la crise de croissance des Sophistes. Certains proposaient à qui vou-
lait les entendre de démontrer tout de suite et par dix arguments la thèse
qui leur serait proposée et, aussitôt après, de prouver la thèse contraire par
dix autres arguments. C ' e s t l'humilité de Socrate ("je ne sais q u ' u n e
chose, c'est que je ne sais rien"), et le don de sa vie, qui ont sorti la raison
de cette catastrophe attristante, narcissique et stérilisante.
Or, l'esprit a faim des êtres plus que de son acte de penser ; il est fait
pour embrasser l'univers. Il est ouverture accueillante et généreuse, il
appelle le don des êtres. Et même si aucune vérité n'étanche définitive-
ment la soif de l ' i n t e l l i g e n c e , celle-ci r e c h e r c h e l ' a p a i s e m e n t de la
réponse, non l'angoisse du questionnement perpétuel. La vérité n'est pas
d'abord une rude maîtresse, mais une reine dont l'intelligence est la ser-
vante joyeuse et féconde.
Concrètement, cela signifie qu'il vous faut maintenant mettre en œuvre
l'art de penser et continuer (ou commencer) à vous cultiver.
La vérité est faite pour l ' a m o u r . La personne, en effet, est être de don ;
l'être ne reçoit la vérité des choses (diastole) que pour tendre vers elles et
les aimer (systole). Combien plus lorsqu'il s'agit des personnes ?
Mais, dans son dynamisme même, la vérité appelle l'amour. Pourquoi ?
Je voudrais ici laisser la parole à l'un des plus grands penseurs de notre
temps, Hans Urs von Balthasar. Ces q u e l q u e s réflexions sont d ' u n e
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richesse qui dépasse tout commentaire. Elles méritent que vous les médi-
tiez longuement et souvent : "On peut être saisi d'effroi en constatant à
quel point les choses au fond sont dénudées malgré toute la protection
dont elles peuvent s'entourer, à quel point aussi elles nous dévisagent
pour ainsi dire sans le moindre intermédiaire, à quelle profondeur nous
pouvons de notre côté les sonder du regard jusqu'en leur cœur, combien
enfin elles se trahissent elles-mêmes ou plutôt sont déjà trahies avant
même d'avoir songé à s'exprimer d'une manière consciente. C'est dans
cette nudité que la vérité jette son cri d'appel pour implorer la protection
d'un amour qui comprenne. Dans l'acte de la connaissance comme telle,
il doit y avoir une attitude de bienveillance, sinon de compassion, qui
accueille l'objet sans défense en l'environnant d'une chaude atmosphère
d'amour et de discrétion."
Plus encore : "Le mystère de l'être, comme nous l'avons dit, est un
mystère essentiel, un mystère irréductible, un mystère dont toute la gran-
deur n'éclate victorieusement qu'au moment où la vérité semble pleine-
ment révélée et dévoilée. C'est tout simplement le mystère de la profon-
deur, de l'intériorité, du prix inestimable de l'être. C'est dans cette
profondeur que s'enracine la possibilité comme la réalité de l'amour. Or
si l'amour vit au cœur de l'être et si ce cœur demeure toujours intime et
mystérieux par essence, c'est donc le mystère qui veut pour lui-même
demeurer mystère. L'amour qui est le sens et la fin de toutes choses
n'aspire pas du tout à se pénétrer lui-même à fond sans laisser de mystère,
il est tellement mystère substantiel qu'il est toujours à ses propres yeux
une merveille inconcevable. Il se voile lui-même devant lui-même parce
qu'il se trouve trop lumineux, trop manifeste pour lui-même. Il est le
cœur adorable de toutes choses, mais il ne s'adore pas lui-même, il
détourne de soi au contraire son regard dans un mouvement inexpri-
mable."
(Phénoménologie de la vérité, Paris, Beauchesnes, 1952, pp. 195-196 et
202 ; cf. tout le passage pp. 195-205.)
Ce guide pratique de l'art de penser trouve son origine dans ce que l'on
appelle la logique classique dont le fondateur est Aristote. Nous citerons
donc surtout ses œuvres et les manuels qui ont systématisé et vulgarisé sa
pensée (principalement les manuels de philosophie néothomiste). Les
autres ouvrages classiques se sont en général inspirés d'Aristote, l'enri-
chissant ou le critiquant. Vous trouverez dans tous ces livres la bibliogra-
phie et les développements, notamment formels, qu'intentionnellement
cet ouvrage qui se voulait plus introductif et surtout plus pratique, ne
contient pas.
Mais, depuis un peu plus d'un siècle, la logique mathématique a pris
une ampleur considérable. Plus formelle, plus spécialisée, elle est à la
logique classique ce que la physique mathématique est à la philosophie de
la nature. Cette logique mathématique n'est d'aucune utilité pour
apprendre à découvrir (ou à construire) une problématique, un raisonne-
ment, un plan, etc. Elle est par contre devenue indispensable pour la for-
malisation des sciences mathématisées et en informatique.
En outre, si la logique est un art de démontrer, elle est aussi un art de
persuader : c'est le rôle de la rhétorique. Comme ce traité ne développe ni
la logique mathématique ni la rhétorique, nous renvoyons à quelques
ouvrages traitant de ces sujets (bien entendu, vous pouvez toujours vous
reporter aux encyclopédies).
O u v r a g e s de logique classique
ARISTOTE, Organon, réparti en 6 traités (I. Catégories, II. De l'interpré-
tation, III. Premiers analytiques, IV. Seconds analytiques, V. Topiques,
VI. Réfutations sophistiques), trad. Tricot, "Bibliothèque des textes phi-
losophiques", Paris, Vrin, 5 tomes (nouvelle éd., 1969 à 1974). C'est
l'ouvrage de base, inépuisable source à laquelle il faut toujours venir
puiser.
—Alain ARNAUD et Pierre NICOLLE, La logique ou l'art de penser conte-
nant, outre les règles communes, plusieurs observations nouvelles,
propres à former le jugement, coll. "Champs", Paris, Flammarion,
1970. Un classique.
- Robert BLANCHE, Le raisonnement, "Bibliothèque de philosophie
contemporaine", Paris, P.U.F., 1973. Clair et fouillé.
- BOSSUET, Logique du dauphin, coll. "Les grandes leçons de philoso-
phie", Paris, Editions Universitaires, 1990. Un traité complet de logique
classique dont l'intérêt est plus qu'historique.
- Lewis CARROLL, Logique sans peine, trad., Paris, Hermann, 1966. Cet
ouvrage de l'auteur d'Alice au pays des merveilles est amusant et très
clair.
- François CHENIQUE, Éléments de logique classique. I. L'art de penser et
de juger, II. L'art de raisonner, Paris, Dunod, 1975. Très clair. Exer-
cices. Largement inspiré de l'ouvrage suivant (du chanoine Collin).
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Ouvrages de rhétorique