Protéinurie
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Protéinurie
La recherche et l’étude des protéinuries constituent un outil simple du dépistage et du diagnostic des
maladies rénales. Leur analyse est un contributeur essentiel du raisonnement diagnostique en
néphrologie. La très accessible détermination de leur composition et donc de leur origine (glomérulaire,
tubulaire ou autre) doit être intégrée aux autres données sémiologiques rénales pour une analyse
syndromique qui précise le diagnostic étiologique ou oriente les examens complémentaires nécessaires à
sa détermination. De plus, les protéinuries sont devenues un marqueur pronostique incontournable des
maladies rénales chroniques. Elles doivent faire l’objet d’une attention particulière pour leur suivi et
constituent même une cible obligatoire des interventions thérapeutiques. Enfin, les protéinuries font
actuellement l’objet d’une recherche clinique active qui a pour but de déterminer leur toxicité rénale
propre et ses mécanismes. L’enjeu est le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques des
maladies rénales fondées sur l’inhibition de tels mécanismes.
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1-1420 ¶ Protéinurie : du symptôme au diagnostic
uromoduline sécrétée par les cellules épithéliales de l’anse de cours du temps, il est préférable de mesurer la protéinurie sur
Henle, du tube contourné distal et du tube collecteur) ou un échantillon d’urine, de préférence sur les premières urines du
urogénitale (IgA sécrétoires de l’urètre, déchets protéolysés du matin [5] , et de rapporter la protéinurie à la créatininurie
tractus urogénital). Cette protéinurie physiologique n’est (résultat exprimé en mg/mmol de créatinine ou en g/g de
habituellement pas dépistée par les bandelettes urinaires. créatinine) [7, 8]. La mesure sur les premières urines du matin est
Sur ce « fond » de protéinurie physiologique peut s’installer privilégiée puisqu’elle est mieux corrélée à la protéinurie des
une anomalie à l’origine d’une protéinurie à la constitution de 24 heures. Si la mesure sur un échantillon des premières urines
laquelle quatre mécanismes non exclusifs peuvent concourir : du matin n’est pas possible, une mesure du ratio protéinurie ou
• la filtration de protéines de bas poids moléculaire en quantité albuminurie sur créatininurie sur un échantillon pris au hasard
anormale ; est cependant valable [5]. Chez les enfants, une protéinurie
.
• une augmentation de la perméabilité glomérulaire ; orthostatique doit être exclue par la mesure de la protéinurie sur
• un défaut de réabsorption tubulaire des protéines ; les premières urines du matin si la recherche initialement
• une augmentation de la synthèse tubulaire protéique. positive avait été mesurée sur un échantillon de la journée [5].
Une protéinurie supérieure à 150 mg/j est anormale chez
■ Techniques de détection l’adulte [9], ou 0,15 g de protéinurie/g de créatininurie. Toute-
fois, en 2009, la Société de néphrologie a adopté les définitions
La détection d’une protéinurie se fait par des bandelettes suivantes pour définir la protéinurie clinique :
imprégnées de bleu de tétrabromophénol (Albustix ® ou • un ratio albuminurie/créatininurie supérieur à 300 mg/g ou
Multistix®). Elles sont colorées en jaune puis en vert puis en 30 mg/mmol ;
bleu en présence de concentrations croissantes de protéines • un ratio protéinurie/créatininurie supérieur à 500 mg/g ou
chargées négativement comme l’albumine. Le résultat est évalué 50 mg/mmol ;
soit de manière visuelle, soit de manière automatisée, exprimé • ou une protéinurie des 24 heures supérieure à 0,5 g.
de zéro à quatre croix. Chez l’enfant, une protéinurie est définie chez le nouveau-né
Cette méthode très spécifique permet de détecter des protéi- (moins de 30 jours), le nourrisson (jusqu’à 12 mois), le jeune
nuries à partir de 100 mg/l (traces) à 300 mg/l (une croix). Un enfant (de 2 à 10 ans) comme étant supérieure à 145 mg/m2/j,
résultat à deux croix correspond à une protéinurie inférieure à 110 mg/m2/j et 85 mg/m2/j respectivement [9]. Certains utilisent
1 g/l, trois croix à une protéinurie inférieure à 3 g/l et quatre néanmoins la même définition de la protéinurie chez l’enfant
croix supérieure à 3 g/l [2, 4]. Toutefois, cette méthode donne que celle chez l’adulte, soit une protéinurie supérieure à
une appréciation trompeuse de la protéinurie en raison de sa 150 mg/j [4].
seule approximation de la concentration de la protéinurie et Les patients ayant une recherche de la protéinurie positive à
non du débit de la protéinurie. Les faux positifs sont possibles, deux reprises espacées de 1 à 2 semaines sont considérés comme
retrouvés en cas d’urines alcalines (pH > 8), trop concentrées ou ayant une protéinurie permanente par opposition aux protéinu-
contaminées (infection urinaire, hématurie, menstruation) [5]. ries intermittentes.
Elle est peu sensible [5] puisqu’elle ne permet pas de détecter les
maladies rénales à un stade débutant lorsque la protéinurie est
inférieure au seuil de détection, ou lorsque la protéinurie est
diluée par un état d’hyperhydratation. De plus, les bandelettes
détectent de manière plus sensible l’albumine et peuvent ne pas
“ À retenir
détecter les autres protéines, notamment les Ig ou les protéines
de bas poids moléculaire. Elles ne détectent pas non plus les Microalbuminurie et albuminurie
chaînes légères d’Ig chargées positivement. • La microalbuminurie est quantifiée par un dosage
Les bandelettes détectant spécifiquement l’albumine [6] ont immunologique spécifique et est définie par une excrétion
un seuil de détection à 30-40 mg/l et sont donc utilisables pour urinaire d’albumine comprise entre 30 et 300 mg/j (ou 30
la détection de la microalbuminurie. à 300 mg/g de créatininurie) contrairement à
On utilise, pour le dépistage des adultes à risque élevé de l’albuminurie définie par un ratio albuminurie sur
maladie rénale chronique ou des enfants pubères ayant un
créatininurie supérieur à 300 mg/g ou un débit supérieur à
diabète évoluant depuis 5 ans ou plus, une bandelette de
détection spécifique de l’albumine sur un échantillon d’urine, 300 mg/j.
l’albuminurie étant en effet un marqueur plus sensible que la • Les patients diabétiques doivent être dépistés une fois
protéinurie totale de la maladie rénale chronique secondaire au par an, dès le diagnostic du diabète de type 2 ou après
diabète, à l’hypertension artérielle (HTA) ou aux maladies 5 ans d’évolution du diabète de type 1, par la mesure
glomérulaires. Au contraire, chez l’enfant non diabétique ou du rapport microalbuminurie sur créatininurie sur
ayant un diabète à l’âge prépubère ou ayant un diabète à l’âge échantillon [10]. En cas de positivité, le dosage doit être
pubère mais évoluant depuis moins de 5 ans, on privilégie une répété à deux reprises sur échantillon à 3 et 6 mois en
détection de la protéinurie totale par une bandelette urinaire dehors de toute infection urinaire afin de confirmer
standard, qui détecte également l’albumine [5]. la présence d’une microalbuminurie ou d’une
Une détection positive (une croix ou plus) doit être confirmée
albuminurie [11].
par une mesure quantitative de la protéinurie dans un délai de
3 mois [5].
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Protéinurie : du symptôme au diagnostic ¶ 1-1420
clinostatisme (urines recueillies après 2 h de repos en décubitus rechercher une chaîne d’Ig monotypique. La recherche de
dorsal). Elle est en règle inférieure à 1 g/j et isolée (absence microalbuminurie est également une recherche spécifique et
d’antécédent néphrologique, d’HTA, d’insuffisance rénale et sensible utilisant un anticorps antialbumine (immunonéphélé-
d’anomalie du sédiment urinaire). La ponction-biopsie rénale métrie). De manière similaire, la mesure combinée des principa-
(non recommandée) est normale ou montre des altérations non les protéines informatives par leur quantité relative et leur poids
spécifiques [4] . Son mécanisme est controversé (anomalies moléculaire permet une analyse qualitative précise des protéi-
glomérulaires minimes, anomalies hémodynamiques par nuries : c’est le principe du profil protéique urinaire [15]. Même
obstruction de la veine rénale gauche entre l’aorte et l’artère s’il semble le plus fiable aujourd’hui, le profil protéique urinaire
mésentérique supérieure ou réponse exagérée du système reste coûteux et réservé à l’investigation de situations complexes
rénine-angiotensine) [13] . La mesure de la protéinurie chez en milieu spécialisé.
l’enfant doit donc idéalement être réalisée sur les premières
urines du matin [5].
Une protéinurie intermittente peut également être détectée au
■ Interprétation diagnostique
décours d’un effort prolongé, d’une fièvre élevée, d’une infec- d’une protéinurie permanente (Fig. 1)
tion urinaire, d’une polyglobulie ou d’une insuffisance ventri-
culaire droite [9]. Protéinuries prérénales ou protéinuries
de surcharge
Protéinurie idiopathique transitoire Elles résultent de la présence en excès dans le sérum d’une
Cette forme de protéinurie est très fréquemment retrouvée protéine de bas poids moléculaire qui est librement filtrée par les
chez l’enfant, l’adolescent ou l’adulte jeune [14]. Les patients glomérules. Les mécanismes de réabsorption tubulaire étant
sont asymptomatiques, la protéinurie étant découverte de saturés, cette protéine est détectée dans l’urine terminale. Il peut
manière fortuite à la médecine scolaire ou sportive, au cours du s’agir d’hémoglobine en cas d’hémolyse intravasculaire, de
service militaire ou lors d’une visite médicale d’embauche. Le myoglobine en cas de rhabdomyolyse, d’amylase lors d’une
sédiment urinaire est normal (absence de leucocyturie ou pancréatite aiguë, ou d’une chaîne légère monoclonale kappa ou
d’hématurie) et la protéinurie disparaît typiquement lors des lambda en cas de dysglobulinémie (myélome). Une lysozymurie
nouvelles mesures. Avant d’entamer une évaluation approfon- peut être détectée en cas de leucémie aiguë monocytaire ou
die, il est donc nécessaire de vérifier la persistance de la myélocytaire. Elles peuvent être de débit abondant (parfois
protéinurie. Il n’y a pas de risque à long terme, ce phénomène supérieur à 3 g/j ou 3 g/g de créatininurie) et donc constituer un
reflétant probablement une modification hémodynamique diagnostic différentiel des protéinuries glomérulaires. La distinc-
intrarénale [9]. tion est alors faite grâce à l’analyse qualitative qui révèle une
minorité d’albumine et une prédominance (en règle
> 90 %) de la protéine de faible poids moléculaire. D’un point de
■ Modes d’analyse vue pratique, c’est dans cette situation qu’il existe une dissocia-
tion entre le résultat des recherches de protéinurie à la bandelette
d’une protéinurie permanente urinaire et le dosage quantitatif. L’identification de la protéine
dite « de surcharge » peut être réalisée dans le sang ou dans
Analyse quantitative l’urine : myoglobinémie/myoglobinurie, hémoglobinémie/
hémoglobinurie ou encore chaînes kappa ou lambda d’Ig.
L’analyse quantitative d’une protéinurie est une première
Les protéinuries prérénales ne sont pas l’expression d’une
analyse pour approcher le type de la maladie rénale qu’elle
maladie rénale. Néanmoins, leur excès dans le tubule rénal peut
traduit. Lorsqu’elle est supérieure à 1,5 g/j ou 1,5 g/g de
être toxique pour celui-ci : les myoglobinuries ou les hémoglo-
créatininurie, le plus probable est qu’elle témoigne d’une
binuries des rhabdomyolyses ou des hémolyses, respectivement,
néphropathie glomérulaire. Cela doit être confirmé par l’analyse
peuvent être responsables d’une nécrose tubulaire aiguë ; les
qualitative en vérifiant qu’elle est composée d’une majorité
chaînes légères d’Ig au cours des myélomes peuvent être à
d’albumine (cf. infra). Toutefois, la réciproque est fausse : une
l’origine d’une tubulopathie aiguë myélomateuse (rein aigu
protéinurie inférieure à 1,5 g/j ou 1,5 g/g n’exclut pas une
myélomateux).
maladie glomérulaire et toutes les causes sont possibles :
néphropathie glomérulaire, néphropathie tubulaire et/ou Protéinuries hémodynamiques
interstitielle ou encore une protéinurie de surcharge. L’analyse
quantitative n’est donc qu’insuffisamment informative et doit Elles sont observées en cas de pérennisation d’une situation
toujours être complétée par une analyse qualitative. clinique à l’origine d’une protéinurie intermittente fonction-
nelle (cf. supra). Elles sont principalement composées d’albu-
mine, aussi peuvent-elles en imposer pour une néphropathie
Analyse qualitative glomérulaire. C’est donc la confrontation clinique qui permet le
C’est l’analyse de la composition de la protéinurie. L’électro- diagnostic. Là encore, même s’il n’existe pas de maladie rénale
phorèse des protéines urinaires, réalisée en acétate de cellulose à l’origine de ce type de protéinurie, on ne peut exclure que la
au sodium dodecyl sulfate polyacrylamide gel electrophoresis (SDS- prolongation d’une telle situation puisse être à l’origine
PAGE), permet une analyse qualitative de la protéinurie pour en d’authentiques lésions rénales.
préciser les mécanismes (filtration de protéines de bas poids
moléculaire en quantité anormale, augmentation de la perméa- Protéinuries glomérulaires
bilité glomérulaire, défaut de réabsorption tubulaire des protéi-
nes, augmentation de la synthèse tubulaire protéique) [9]. Microalbuminurie (cf. supra)
L’électrophorèse permet de différencier les protéinuries La microalbuminurie n’est pas la conséquence de lésions
tubulaires, glomérulaires (qui contiennent essentiellement de histologiques, même en microscopie électronique. Elle témoigne
l’albumine) sélectives ou non sélectives et les protéinuries de d’une augmentation de la perméabilité glomérulaire et corres-
surcharge (chaînes légères monoclonales des dysglobulinémies, pond à un stade précoce et encore réversible de la néphropathie
hémoglobine, myoglobine...). L’électrophorèse des protéines diabétique au cours du diabète de type 1. Dans d’autres situa-
urinaires est cependant techniquement imparfaite et produit tions, et particulièrement au cours du diabète de type 2, sa
parfois des résultats erronés, surtout lorsque la concentration présence est associée au risque cardiovasculaire.
des protéines étudiées est faible. Pour y palier, il existe des
dosages spécifiques des principales protéines pouvant entrer Protéinuries glomérulaires
dans la composition des protéinuries. Ces techniques utilisent Elles sont de débit variable, mais une protéinurie supérieure
des anticorps spécifiques. Par exemple, l’immunoélectrophorèse à 1,5 g/24 h suggère une origine glomérulaire. Elles sont
des protéines urinaires ou l’immunofixation permettent de composées essentiellement d’albumine (> 60 %).
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Bandelette urinaire +
Figure 1. Arbre décisionnel. Stratégie diagnostique d’une protéinurie. EPU : électrophorèse des protéines urinaires ; EPP : électrophorèse des protéines
plasmatiques.
Elles sont la conséquence de lésions de la barrière gloméru- à d’autres anomalies (une HTA, une hématurie, une insuffisance
laire : de l’endothélium et/ou de la membrane basale gloméru- rénale) et de caractériser le type de syndrome glomérulaire
laire et/ou des podocytes. Une protéinurie glomérulaire résulte auquel elle s’intègre :
d’une augmentation de la perméabilité glomérulaire et de la • syndrome néphrotique caractérisé par une protéinurie supé-
saturation des mécanismes de réabsorption tubulaire. Leur rieure à 3 g/24 h et une hypoalbuminémie inférieure à
composition dépend de l’importance des lésions glomérulaires : 30 g/l :
soit les lésions sont moindres et l’augmentation de perméabilité C pur (absence d’HTA, d’insuffisance rénale, d’hématurie),
concerne essentiellement l’albumine qui est alors très majori- C impur ;
taire (> 80 % d’albumine) et la protéinurie est dite « sélective », • syndrome néphritique, caractérisé par un début brutal, une
soit les lésions sont importantes et l’augmentation de perméa- HTA sévère, une protéinurie, une hématurie, une insuffisance
bilité concerne également des protéines plus grosses qui rénale aiguë modérée, rapidement résolutive ;
accompagnent alors l’albumine qui reste cependant majoritaire • syndrome de glomérulonéphrite rapidement progressive,
(protéinuries glomérulaires non sélectives). caractérisé par une insuffisance rénale aiguë rapidement
Protéinurie glomérulaire sélective évolutive, une hématurie, une protéinurie glomérulaire
d’abondance variable ;
Une protéinurie est dite « sélective » lorsqu’elle contient au • un tableau de glomérulonéphrite chronique avec une insuffi-
moins 80 % d’albumine (67 kDa). C’est une caractéristique, non sance rénale chronique, une protéinurie, voire une hématurie
spécifique, de la protéinurie du syndrome néphrotique secon- ou encore une HTA.
daire à des lésions glomérulaires minimes. La sélectivité peut L’intégration de cette analyse syndromique à d’éventuelles
également être établie sur la comparaison de la clairance des anomalies systémiques permet d’émettre des hypothèses dia-
IgG (150 kDa) et celle de la transferrine (76 kDa). Un rapport gnostiques à étayer ou infirmer par des examens complémen-
clairance IgG/clairance transferrine (soit [concentration urinaire taires ciblés : dosage sérique des protéines du complément,
IgG × concentration sanguine transferrine]/[concentration recherche d’autoanticorps, recherche d’une Ig monoclonale,
sanguine IgG × concentration urinaire transferrine]) inférieure à sérologies virales... et éventuellement une biopsie rénale.
0,10 traduit une protéinurie sélective [3, 16].
Protéinurie glomérulaire non sélective Protéinuries tubulaires
Une protéinurie glomérulaire est dite « non sélective » Les protéines plasmatiques de bas poids moléculaire sont
lorsqu’elle est composée de moins de 80 % d’albumine, associée physiologiquement filtrées par les glomérules et réabsorbées par
à toutes les classes d’Ig du sérum. Un ratio clairance les cellules tubulaires proximales. En cas d’atteinte tubulaire, on
IgG/clairance transferrine supérieur à 0,2 traduit également une peut identifier une protéinurie de l’ordre de 1 g/24 h, rarement
protéinurie non sélective [3, 16]. En pratique, toutes les néphro- supérieure à 2 g/24 h, secondaire à l’abolition de la réabsorption
pathies glomérulaires primitives ou secondaires peuvent donner proximale des protéines. Cette protéinurie tubulaire est consti-
ce type de protéinurie. tuée principalement de b2-microglobuline (12 kDa), de lyso-
Pour son interprétation diagnostique, il est nécessaire de zyme (15 kDa), de retinol binding-protein et de chaînes légères
déterminer si la protéinurie glomérulaire est isolée ou associée d’Ig (en faible quantité) ; l’albumine représente au maximum
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Protéinurie : du symptôme au diagnostic ¶ 1-1420
50 % de la protéinurie (sa présence provient de sa minime corrélée au niveau de protéinurie [22] et à la présence de lésions
filtration glomérulaire physiologique et de l’absence de tubulo-interstitielles qu’aux lésions glomérulaires [16]. L’albumi-
réabsorption tubulaire). Les protéinuries tubulaires ne sont pas nurie est un marqueur d’évolution de la maladie rénale chroni-
ou mal détectées par la bandelette urinaire mais quantifiables que et un facteur de risque de morbidité et de mortalité
par les techniques biochimiques habituelles ; elles sont visibles cardiovasculaire en cas de diabète [11] mais également en
à l’électrophorèse des protéines urinaires avec les caractéristiques absence de diabète [1, 23, 24]. L’évaluation du rapport
évoquées ci-dessus. albuminurie/créatininurie est un meilleur marqueur de maladie
Les protéinuries tubulaires sont rarement isolées et fréquem- rénale chronique que l’évaluation de la fonction rénale chez le
ment accompagnées d’autres anomalies des fonctions tubulaires jeune adulte [1] . De même, ce rapport identifie mieux les
(par exemple, un syndrome de Fanconi), d’une protéinurie dite patients à risque d’insuffisance rénale chronique rapidement
« de surcharge » ou prérénale, d’anomalies consécutives à une évolutive [24].
atteinte interstitielle associée (leucocyturie, voire hématurie),
De plus, l’excrétion urinaire de protéines de haut poids
voire même d’anomalies glomérulaires dont une protéinurie. En
moléculaire (IgG et IgM), donc les protéinuries glomérulaires
effet, les protéinuries tubulaires témoignent d’une tubulopathie
non sélectives, est corrélée à la sévérité des lésions histologiques
qui peut être isolée, ou accompagner une néphrite interstitielle,
une néphropathie glomérulaire, ou encore une protéinurie de et permet de prédire une évolution naturelle et une réponse au
surcharge à l’origine de la tubulopathie. Donc, comme pour traitement plus médiocres [3, 16].
l’analyse des protéinuries glomérulaires, c’est l’association à Il est établi par ailleurs que les altérations tubulo-interstitielles
d’autres anomalies rénales et systémiques qui permet son participent à la dégradation du tissu rénal et à la sévérité
diagnostic étiologique. clinique des maladies rénales chroniques. De fait, il n’est pas
étonnant de constater que l’adjonction d’une protéinurie
tubulaire, symptomatique de telles altérations au cours d’une
Combinatoire glomérulopathie, est prédictive d’une évolution naturelle plus
Comme évoqué ci-dessus, une maladie glomérulaire peut être péjorative avec moindre réponse au traitement [3].
associée à des lésions ou une néphropathie interstitielle ou On pourrait donc considérer une classification des protéinu-
vasculaire. De même, une situation clinique occasionnant une ries glomérulaires selon leur sévérité croissante :
protéinurie de surcharge permanente peut être compliquée • microalbuminuries ;
d’une tubulopathie, voire même d’une glomérulopathie (par • albuminuries > 0,5 g/g de créatininurie avec une sévérité
exemple, une maladie à dépôts glomérulaires de chaînes légères proportionnelle à leur importance ;
d’Ig et une tubulopathie myélomateuse compliquant un myé- • protéinuries glomérulaires non sélectives avec une sévérité
lome à chaîne légère). Ces situations complexes sont traduites proportionnelle à leur débit ;
par des protéinuries complexes qui sont une association des • protéinuries mixtes, glomérulaires de débit élevé + protéinu-
situations simples présentées ci-dessus. Il est parfois difficile d’en ries tubulaires.
faire une analyse précise. Là, une mesure combinée des princi- Que ces protéinuries soient un marqueur et un acteur ou
pales protéines informatives par leur quantité relative et leur seulement un marqueur de la progression des maladies rénales,
poids moléculaire (profil protéique urinaire) peut être il est indiscutable que leur réduction est un objectif essentiel de
justifiée [15]. la néphroprotection puisqu’elle limite l’aggravation de l’insuffi-
sance rénale [25]. Un traitement bloqueur du système rénine-
angiotensine doit être proposé à un patient, diabétique ou non,
■ Interprétation pronostique . ayant une albuminurie même en absence d’HTA [1, 11]. L’objectif
doit être une réduction à moins de 0,5 g/g de créatininurie,
voire la disparition de la microalbuminurie chez les diabétiques.
Microalbuminurie Remarque : les protéinuries tubulaires isolées ont une valeur
La définition de la microalbuminurie chez le diabétique avait pronostique moins étudiée mais elles sont probablement moins
historiquement un intérêt clinique, puisque les patients avec péjoratives, comme en témoigne le bon pronostic usuel des
une macroalbuminurie avaient une baisse progressive de leur néphropathies interstitielles chroniques lorsque leur cause est
débit de filtration glomérulaire associée à une HTA, contraire- éradiquée.
ment aux patients ayant une microalbuminurie, considérés
comme ayant une fonction rénale stable mais à risque de
développer une macroalbuminurie et une insuffisance
rénale [17]. Ce concept a été remis en cause par de nouvelles ■ Conclusion
études qui ont montré une possible régression spontanée de la
La détection et l’analyse des protéinuries constituent donc un
microalbuminurie, une proportion moins importante de
outil simple et peu coûteux du dépistage précoce des maladies
patients évoluant de la microalbuminurie vers la macroalbumi-
nurie ou au contraire la présence de modifications structurales rénales, de leur évaluation étiologique, de leur évaluation
rénales importantes en cas de microalbuminurie évoquant le fait pronostique et enfin de leur thérapeutique. De plus, les protéi-
que la microalbuminurie est un marqueur plutôt qu’un facteur nuries constituent une cible prometteuse de la recherche
de risque de néphropathie diabétique [18, 19] . Toutefois, la clinique, avec comme objectif ultime le développement de
microalbuminurie est un facteur de risque indépendant d’insuf- nouvelles stratégies de prévention et du traitement de l’insuffi-
fisance rénale chronique et de la morbimortalité cardiovascu- sance rénale.
laire chez le diabétique [17, 20]. Également chez le non- .
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C. Bertoye.
É. Daugas ([email protected]).
Inserm U699, Université Paris 7, Service de néphrologie, Hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Bertoye C., Daugas É. Protéinurie : du symptôme au diagnostic. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité
de Médecine Akos, 1-1420, 2011.
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Schématisation de la barrière de filtration glomérulaire et du tubule proximal. Les protéines plasmatiques sont filtrées par les
glomérules selon leur taille et l'intégrité de la barrière glomérulaire. Elles sont ensuite réabsorbées par les cellules tubulaires
proximales selon un mécanisme saturable. La composition des protéinuries dépend donc de la perméabilité glomérulaire aux
protéines et de leur réabsorption par le tube proximal. 1. Barrière glomérulaire : augmentation de sa perméabilité au cours des
néphropathies glomérulaires ; 2. protéines de haut poids moléculaire ; 3. albumine ; 4. protéines de bas poids moléculaire ; 5.
augmentation de la concentration plasmatique de protéines de bas poids moléculaire librement filtrées (ex. : chaînes légères
d'immunoglobulines) à l'origine des protéinuries « prérénales » ; 6. chambre urinaire ; 7. cellules tubulaires proximales : saturation
possible des mécanismes de réabsorption des protéines au cours de toutes les protéinuries ou atteinte des mécanismes de
réabsorption des protéines au cours des néphropathies tubulaires ou tubulo-interstitielles.
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