Verbum 2023-1 01 Monneret
Verbum 2023-1 01 Monneret
Verbum 2023-1 01 Monneret
11-47
Philippe Monneret
Sorbonne Université Lettres, STIH
Résumé
Les métaphores et certaines expressions idiomatiques ont la propriété d’être
perçues comme imagées ou « figurées ». La reconnaissance de cette propriété
ne relève pas seulement d’une analyse métalinguistique mais aussi bien d’une
appréhension ordinaire du langage, épilinguistique, dans la mesure où elle
ne semble pas requérir d’apprentissage explicite mais procéder d’une analyse
spontanée, naturellement acquise à partir d’un certain degré de maîtrise de la
langue. Pourtant, en dépit de son caractère trivial ou ordinaire, cette propriété
que possèdent certaines expressions linguistiques d’être perçues comme si elles
étaient des images ou comme on percevrait des images, c’est-à-dire avec un effet
d’image, présente un caractère foncièrement énigmatique : comment se fait-il
que du langage soit pris pour de l’image ? Cet article vise donc à construire un
concept linguistique d’image, en faisant appel, dans le cadre d’une linguistique
théorique, à des apports issus d’autres disciplines que la linguistique, notamment
les sciences cognitives et la philosophie.
Abstract
Metaphors and idiomatic expressions have the property of being perceived as
images or as “figurative” expressions. The recognition of this property is not only a
matter of metalinguistic analysis but also of an ordinary apprehension of language
(epilinguistic), insofar as it does not seem to require explicit learning but to proceed
from a spontaneous analysis, naturally acquired from a certain degree of develop-
ment of language. However, despite its trivial or ordinary character, this property
that certain linguistic expressions possess of being perceived as if they were images
or as one would perceive images, that is to say with an image effect, presents a
fundamentally enigmatic character: how is it that language is mistaken for an
image? This paper aims at building a linguistic concept of image, by calling upon,
within the framework of theoretical linguistics, contributions from other disciplines
than linguistics, notably cognitive sciences and philosophy.
12 Philippe Monneret
1. C’est pourquoi, par exemple, de nombreux enfants, avant de connaître les mots narine ou orteil,
utilisent plus ou moins spontanément les phrasèmes trous de nez ou doigts de pied (dont le
caractère phraséologique est évident).
2. Pour un sujet donné à un moment donné.
3. Mais il s’agit sans doute aussi d’un principe cognitif général.
Le concept linguistique d’image 13
suivante : ce plan est celui de l’image. Non pas que la polysémie ne puisse produire
de la figurativité, mais parce que le rôle que joue l’image dans la polysémie diffère
foncièrement de celui qu’il joue dans la phraséologie. En un mot, si l’image n’est
qu’une configuration parmi l’ensemble des procédés permettant de produire de la
polysémie (au moyen de cet opérateur de polysémie particulier qu’est la métaphore,
mais qui n’est qu’un opérateur de polysémie parmi d’autres), l’image joue un rôle
fondamental dans la phraséologie : le figement produit généralement de l’image
et les cas de phrasèmes non imagés sont (au moins apparemment) l’exception, à
la différence de la polysémie non imagée, qui est une configuration parfaitement
usuelle. Au point qu’on tend parfois à confondre, dans l’usage commun, l’expression
imagée et l’expression idiomatique.
Cette thèse sur la distinction entre phraséologie et polysémie ne sera pas
examinée pour elle-même dans cet article. Car pour être en mesure d’argumenter
à ce propos, il est nécessaire, au préalable, de savoir précisément à quoi réfère
le terme image. Il convient donc en premier lieu de clarifier la notion d’image,
ou, plus précisément, de définir le concept linguistique d’image. C’est sur ce
point précis que l’on se concentrera ici : qu’entend-on exactement par « image »
lorsqu’il est question de mots, d’expressions ou de phrases ? Si l’on se penche
sérieusement sur la question, cette propriété que possèdent certaines expressions
linguistiques d’être perçues comme si elles étaient des images ou comme on
percevrait des images, c’est-à-dire avec un effet d’image, présente un caractère
foncièrement énigmatique : comment se fait-il que du langage soit pris pour de
l’image ? Ou, plus exactement, que des mots, dans certaines de leurs configura-
tions, tendent à donner à celui qui les reçoit une impression d’image ? Car nos
mots sont avant tout des entités sonores, non pas des entités visuelles4. Et, si
l’on n’a cessé de revenir, dans la littérature si pléthorique consacrée aux figures,
à l’analyse aristotélicienne de la métaphore, a-t-on vraiment pris la mesure de
ce que signifie l’idée proposée dans la Rhétorique (et dans la Poétique) selon
laquelle la métaphore « fait image » ou, littéralement, « place sous les yeux »
(πρὸ ὀμμάτων τίθεσθαι, [III, 10,1410 b 33]) ?
Au plan bibliographique, très peu de publications ont abordé directement
cette question. Je n’ai rien trouvé en langue anglaise et, en français, le seul article
qui traite directement du problème examiné ici est celui de Marc Bonhomme
(2007), « Sémantique de la métaphore et imagerie » – qui indiquait déjà le peu
d’intérêt des chercheurs pour cette question :
Malgré son caractère manifeste, cette dimension imageante de la métaphore est peu étudiée par
les sémanticiens, sans doute en raison de son statut linguistique discutable et des problèmes
de théorisation qu’elle pose. (p. 17)
4. En dépit de l’existence d’une sphère graphique dans certaines langues, ou d’une dimension
visuelle dans le cas des langues des signes, ou encore de la possibilité d’une exploitation esthé-
tique de l’espace de la page écrite, comme dans le cas des calligrammes par exemple.
14 Philippe Monneret
Dans ces cas extraits d’articles de presse, les journalistes perçoivent comme imagées
des expressions qui comprennent des noms abstraits, et qu’il semble difficile par
conséquent de considérer comme produisant de véritables images. Il semble en tout
état de cause que « Je suis vénère », « la volonté de puissance », « les ingénieurs
du chaos », « le gouvernement des juges » sont des expressions beaucoup moins
clairement imagées que « couper les ponts », et peut-être même pas imagées du tout.
6. Dans le cas particulier des études littéraires, la notion d’image, rarement définie avec précision
a supplanté celle de métaphore pendant une période assez courte, du début du XIXe siècle
jusqu’aux années 1950. L’article de Ullmann (1961) me semble indiquer une sorte de clôture
de cette brève parenthèse de « l’image littéraire ». L’emploi de cette notion par les spécialistes
des textes littéraires est un cas particulier de la perspective épilinguistique adoptée ici. Mais
elle gagnerait à être traitée d’une manière séparée et nous nous concentrerons sur les usages
des auteurs répertoriés dans la base Frantext.
7. « Les figures du discours sont les traits, les formes ou les tours plus ou moins remarquables
et d’un effet plus ou moins heureux, par lesquels le discours, dans l’expression des idées, des
pensées ou des sentiments, s’éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l’expression simple et
commune » (Fontanier).
16 Philippe Monneret
8. « Mais la chambre d’un vieil homme n’a pas besoin d’être coquette ; il suffit qu’elle soit propre
et Thérèse y pourvoit. Celle-ci est, de plus, assez imagée pour plaire à mon esprit resté un peu
enfantin et musard. Il y a, aux murs et sur les meubles, des choses qui d’ordinaire me parlent
et m’égaient ». (France, 1881 : 463). « Jeanne, assise sur la pierre du foyer, a posé à côté d’elle
les robes qui enchantent, entièrement blanches avec des bordures imagées » (Dhôtel 1930 :
105). Ici, et dans les citations qui suivent, nous soulignons les occurrences de imagé(es).
9. « Elle recommençait à battre la campagne dans la griserie imagée de l’opium (Maupassant
1884 : 550). « Un moment auparavant, comme il fumait sa pipe, seul, au fond du couloir, il avait
ressenti, en voyant la lune courir dans les nuées sur la Camargue, une de ces peurs sans cause,
une de ces peurs d’enfant, qui bouleversaient son âme imagée et légère (France, 1894 :110).
10. « Pourquoi donc ne donnes-tu pas plus cours à ton talent pittoresque ? Tu es plus pittoresque
et dramatique que sentimentale, retiens cela ; ne crois pas que la plume ait les mêmes instincts
que le cœur. Ce n’est pas dans le vers de sentiment que tu réussis, mais dans le vers violent ou
imagé, comme toutes les natures méridionales » (Flaubert 1852 : 3). « Vous appartenez beaucoup
plus à la littérature idée qu’à la littérature imagée ; vous tenez en ceci au dix-huitième siècle par
l’observation à la Champfort (sic) et à l’esprit de Rivarol, par la petite phrase coupée (Balzac
1839 : 561).
11. « Il ne discute pas, il énonce sa pensée dans un langage imagé autant que juste, et ses idées,
fortement appuyées sur les faits matériels, triomphent par leur seule évidence (Duranty1860 :
65). « Et ce vilain prince, à l’âme basse, n’est pas seulement beau, il a la séduction de la parole
et du geste, il a l’expression imagée, pittoresque, peinte, de la langue italienne. » (Goncourt
1878 : 1184).
Le concept linguistique d’image 17
Le patois (5, 6, 11), le français régional (7), un certain français d’Afrique (9),
l’argot (8, 10) sont présentés comme des formes de l’expression imagée. On
remarquera en outre que ce type d’emploi est stable historiquement, depuis les
premières attestions dans le dernier tiers du XIXe siècle, jusqu’aux attestations
les plus récentes, au XXIe siècle.
Les exemples proposés par les auteurs permettent d’examiner plus préci-
sément ce qui est perçu comme imagé dans ces emplois :
(12) Le temps ! c’est bien là-dessus que Tom Lévis comptait pour retrouver enfin quelque
opération fructueuse, ce qu’il appelait « un grand coup » dans l’argot imagé de la
bohème d’argent. Mais il avait beau prendre le cab, arpenter Paris fiévreusement, l’œil
aux aguets, les dents longues, flairant et attendant la proie, les années se passaient,
et le grand coup n’arrivait pas. (Daudet 1879 : 949)
18 Philippe Monneret
(13) Je ne sais pas vous parler, pauvre Dufferein-Chautel. J’hésite entre mon langage
à moi, un peu brusque, qui ne daigne pas toujours finir les phrases, mais chérit la
précision d’un terme technique – mon langage d’ex-bas-bleu –, et l’idiome veule et
vif, grossier, imagé, qu’on apprend au music-hall, émaillé de « Tu parles ! », de « Ta
gueule ! »... « J’les mets ! »... « Très peu pour moi ! »... À force d’hésiter, je choisis le
silence... (Colette 1949 :141)
(14) Partout les plaignants, semblant réciter une leçon bien apprise, faisaient la même
déposition, à l’exception du village de Toïni où un ex-adjudant des tirailleurs, Dabi
Drabo, s’adressa directement au commandant en français forofifon, le langage imagé
des tirailleurs : « Ma coumandan, ici dans tout pays de nous, les Samos-mathias,
personne y content pas Tchikendé Ouermé y faire chef. Lui voleur beaucoup. Lui
arraché ma femme et l’a mariée à son goumier. » (Bâ 1994 : 375)
(15) […] eux, le « peuple de l’écume » comme ces Gitanes se nomment dans leur langage
imagé, ont tracé leurs cheminements d’ouest en est […]. (Cendrars 1945 : 299)
(16) Quand, à l’influence du sol, les racistes ajoutent l’influence du « sang », c’est-à-dire de
ce que, dans leur langage imagé, rapide, populaire, ils considèrent comme l’essentiel
de l’anthropologie somatique, nous retrouvons la voie vers le totalitarisme, loin de la
sincérité et de la solidité de la science et des véritables études ethniques. (Marin 1954 : 32)
(17) Je dirige un service culturel. Ou j’essaie de le faire. Mon nom me gêne. Il y a des forces
syndicalistes, des milieux progressistes que je voudrais connaître. Ils ont leurs services
culturels aussi. Un nommé Marchand m’a défini la situation de manière imagée :
« C’est un service-bidon ! » Une idée de Beaulieu, « homme de culture », comme
il dit. En fait, rien ne fonctionne, rien n’est encore inauguré (Sabatier 1966 : 207).
(18) Autrefois, à peine hier, le paysan « arriéré » disait dans son langage imagé : il n’a pas
la conscience tranquille ! Aujourd’hui, seule la conscience malheureuse a le droit de
cité, le droit de se citer, le droit de cécité. Conscience heureuse : pas question ! Il
s’agit pour ces Messieurs de questionner, de juger, d’instrumenter. (Prévert 1951 : 238)
Hormis l’exemple (15), « peuple de l’écume », toutes ces expressions dites « imagées »
sont simultanément caractérisées comme des formes appartenant à des usages
populaires ou rudimentaires de la langue : « un grand coup » (12) est argotique ;
« l’influence du sang » est populaire (16), « avoir la conscience tranquille » (18) est
une expression attribuée (certes ironiquement) au paysan arriéré. Dans l’exemple
(13), l’imagé est associé au caractère « veule » et « grossier » de l’« idiome du music-
hall ». L’exemple (17), « un service-bidon », n’est pas qualifié dans l’extrait mais le
TLFi signale cet emploi de bidon comme argotique et populaire. Quant au cas du
français dit « forofifon » (14), il est bien évident que cette « langue des tirailleurs »
– également nommée « petit nègre » à l’époque coloniale – est perçue comme
une variété inférieure du français12. Bien que l’association ne soit pas obligatoire
12. Sur cette question, voir notamment Dornel et Dulucq (2003). On peut rattacher à ce type
d’emploi deux occurrences d’« anglais imagé », qui apparaissent visiblement comme du mauvais
anglais : « Stratis adorait les mystifications. Plusieurs fois il s’arrêta pour parler à des paysans
un anglais imagé : – Hello ! Me americain boy... O.K... chewing gum Coca-cola... Good bye...
New York. Thank you very much... Silly ass... On le contemplait avec admiration, les yeux ronds,
Le concept linguistique d’image 19
(comme l’indique bien l’exemple (15), « peuple de l’écume », qui est clairement
présenté comme une dénomination valorisante), il apparaît donc que, dans les
textes littéraires, l’imagé décrit une variation de la langue plutôt populaire, qui se
définit par contraste avec un usage neutre, ou non-marqué. Par conséquent cette
compréhension de l’imagé coïncide assez bien avec la notion d’expressivité, une
expressivité d’un type particulier, plutôt populaire, souvent dévalorisante mais pas
toujours, comme en témoignent les exemples (6), (11), (15). Nous sommes donc très
loin, ici, de la dimension poétique de l’image.
Un cas particulier intéressant est celui du rapport entre l’imagé et l’oriental,
qui se développe principalement au XIXe siècle, mais semble encore perçu au
milieu du XXe :
(19) Eh quoi ! Me direz-vous, quelle absurde passion vous retenait encore au milieu de ces
barbares ? Que ne quittiez-vous l’oasis ? Mohammed m’en suppliait tous les jours.
« Viens, me disait-il dans son langage imagé, viens oublier, au milieu des gens de ma
tribu, les tristes habitants de Ben Nezouh. Le pays où a souffert ton orgueil, quitte-le,
quand même ses murailles seraient bâties avec des rubis. " et certes, ce n’était pas de
rubis qu’était bâtie la nouvelle Ben Nezouh ! (Tharaud 1912 : 209)
(20) À la fin du repas, Disraëli, violant consciemment l’étiquette, se leva et proposa la santé
de l’impératrice des Indes, en un petit discours aussi imagé qu’un poème persan et la
reine, loin d’être scandalisée, répondit par une petite inclination souriante, presque
une demi-révérence. (Maurois 1927 : 277)
(21) À ce sujet, Fakhry Pacha, toujours « imagé », me dit : « L’Allemagne est avec l’Italie
comme le lion avec sa lionne. Le lion n’a pas un harem comme le coq. Il est monogame.
Quand sa lionne meurt, il passe la première nuit à gémir et à hurler... La seconde, il
commence à la lécher... Et puis... il la mange !... » (Gadala 1946 : 215)
Or cet exemple est particulièrement intéressant car il indique une des causes
de l’effet d’image : le style oriental passe pour imagé parce que « tous les jeunes
hommes y sont comparés à des palmiers, toutes les femmes à des gazelles ».
Selon ce point de vue, l’effet d’image requiert donc une comparaison, ce qui
implique bien sûr une analogie. On peut ajouter que, dans le cas particulier
de l’orientalisme, les comparants sont des réalités perçues comme typiques du
la bouche ouverte et il partait suivi d’un long regard plein de convoitise » (Déon 1965 : 93).
« C’est Claire qui pointe sur cet unique croquis d’un week-end haut en couleur. Elle n’est pas
très concentrée. Flirte avec Barbie boy dans un anglais sommaire mais imagé : « You tire my
bioutifoule chippendale or you tire pas ? Bicose if you tire pas correctly, nous are in big shit,
you understande ? » [le contexte est celui d’une partie de pétanque] (Gavalda 2008 : 576).
20 Philippe Monneret
13. Rappelons que la métaphore « the Great Chain of Being » est formée de la hiérarchie suivante :
humains > animaux > plantes > objets complexes > objets physiques naturels (Lakoff et Turner
1989).
14. Le fait que la mot imagé soit entre guillemets dans l’exemple (21) indique peut-être aussi cette
dimension du cliché oriental.
15. Dans cet article, l’appréciation proposée de l’effet d’image est totalement subjective. L’analyse
devra donc être confirmée, dans un autre article, par un protocole expérimental d’évaluation
du caractère imagé des expressions analysées.
16. Hors contexte, cette citation est assez obscure : il s’agit d’un chef de bataillon qui fait face à des
critiques sur l’insuffisance de l’équipement militaire, et en particulier des chaussures. Certains
soldats se plaignent d’avoir des chaussures trouées (d’où les orteils qui montrent les ongles) et
le maire exploite ce mécontentement. Le verbe « murmurer » est en emploi absolu.
Le concept linguistique d’image 21
(24) Borrel, dans une expression imagée, a dit que les fibroblastes poussaient « comme
du chiendent ». (Verne 1937 : 50)
(25) Et il emploie pour qualifier son beau-frère cette expression suédoise peu élégante mais
imagée : Han har inte rent mjöl i pasen, mot à mot « il n’a pas de farine propre dans
le sac » ce qui signifie qu’il n’est pas très net, et même malhonnête. (Sizun 2016 : 158)
(26) Je ne saurais être assez reconnaissant à M. Strowski, mon maître, de m’avoir, comment
dirai-je ? aiguillé sur ce chemin. (excusez mon expression, qui est, j’en conviens, un
peu imagée). (Arland 1929 : 120)
– métaphores inventives :
(27) En son style imagé, M. Gilliéron écrit : « Avec elle (la disparition du passé défini),
commence pour les verbes une nouvelle ère, c’est un acheminement vers l’état du
verbe où il n’y aura plus comme voiles que des auxiliaires faisant manœuvrer une
coque qui porte l’idée. » (Meillet 1909 : 149)
(28) Un autre aphorisme plein de sens se lit dans le Talmud […] : « Tout est dans les
mains de Dieu, hors la crainte de Dieu ». La « crainte de Dieu », formule biblique
de la piété, avec l’amour de Dieu qui en est, non l’antithèse, mais le complément et
le couronnement, c’est le grand ressort de la moralité, ou pour employer le langage
imagé d’un auteur juif du moyen âge, c’est le fil qui relie les perles du collier des
vertus humaines. (Weill 1931 : 107)
(29) Le gros Semberger, qui habitait derrière chez Félicie, faisait pitié. Des bajoues flottaient
et s’affaissaient sur sa gorge. Il était dans sa peau comme dans un vêtement trop lâche
et pendant. Il caractérisait lui-même d’un mot imagé cet effondrement. - on peut se
laver avec la peau de son ventre, disait-il. (Van Der Meersch 1935 : 322)
(30) Par réaction sans doute contre cette tradition, s’est développée une presse de polé-
mique, parfois même de chantage, que l’on a dénommée d’un nom imagé : la presse
moustique. Mais son niveau littéraire est très bas. Pourchassée par les fonctionnaires,
son importance se trouve aujourd’hui très réduite. (Sans mention d’auteur 1939 : 4005)
(31) […] les mauvais régimes alimentaires sont caractérisés par des carences, des déséqui-
libres multiples, sans que l’un d’eux donne des symptômes prédominants ; l’organisme
devient alors très vulnérable, « le terrain s’affaisse » , selon l’expression imagée de Mme
Randoin, qui ne craint pas d’affirmer qu’il faut voir, dans certaines fautes alimentaires
prolongées, répétées pendant plusieurs générations, les causes principales de maladies
redoutables telles que la tuberculose, le diabète, le cancer... (Lalanne 1942 : 33)
(32) […] elle a l’air d’avoir la bouche collée ! ... dit Geneviève qui parlait très peu, mais
toujours pour faire des réflexions imagées et justes. (Gyp 1928 :141)
Il reste que nombre d’exemples fournis par ce corpus comme des cas
d’expressions imagées semblent difficilement concevables comme tels :
(33) Elle dit aussi que jamais elle ne voulut d’un troisième enfant, persuadée qu’il aurait
été difforme ou mongolien. Et une fois je l’entendis s’esclaffer : « Je suis une vraie
lapine », exprimant par cette formule imagée le don qu’elle avait de tomber enceinte
dès qu’elle faisait l’amour, et même parfois pendant ses règles. Elle ne sait plus combien
de fois elle avorta. Une bonne quinzaine, avoue-t-elle sans gêne. (Bouillier 2002 : 15)
(34) C’est pour traduire cette remarquable richesse des fromages en principes nutritifs
indispensables que Mme Randoin les désigne, ainsi que le lait, sous le nom imagé
d’« aliments de sécurité ». La caséine constitue la protéine principale du lait : elle
renferme donc les acides aminés indispensables à l’homme, et elle peut être employée
avantageusement pour compléter des rations trop pauvres en viandes, en poissons,
en fromages et œufs. (Lalanne 1942 : 78)
(35) En une formule encore plus imagée, elle décrit la femme enceinte comme un être
dans lequel « jour après jour un polype né de sa chair va s’engraisser... elle est la proie
de l’espèce. » (Lamblin 1993 :149)
(36) Malgré sa déception, il avait profité de sa présence au journal pour rédiger une petite
annonce du cœur : « Ré-mi cherche Fa sol. » Imagé et efficace à en croire la quantité
de courrier reçu en réponse, aussi bien de filles que de garçons. (Osmont 2012 : 226)
indirecte, donc figurée, pour qu’un effet d’image à partir d’une analogie soit
produit, même si la source de l’analogie ne permet aucune visualisation. Il
arrive même, comme dans (37), que la source de l’analogie soit inconnue
sans que l’effet d’image soit compromis :
(37) Cet abus de détails insignifiants, où se complaisait la médiocrité d’esprit de la pauvre
femme, divertissait René d’ordinaire parce que la bourgeoise trouvait quelquefois,
dans son flux de paroles, quelque tournure imagée. Elle disait, par exemple, parlant
d’un de ses compagnons de voyage qui faisait la cour à une cuisinière chargée de son
panier : « Il y a des gens qui aiment les poches grasses... » ou de deux personnages
qui s’étaient pris de querelle : « Ils se disputaient comme deux Darnajats... » terme
mystérieux qu’elle avait toujours refusé de traduire. (Bourget 1887 : 256)
17. Bonhomme (2007) signale que l’image correspond aux tropes chez Bruneau (1954 : 88) :
« l’image moderne absorbe la synecdoque, la métonymie et la métaphore ».
24 Philippe Monneret
Le mot d’image, à son tour, a été écarté, non sans une certaine hésitation. Un moment séduite
par cette appellation qui marquait le rapport existant entre le mode d’expression figuré et
l’imagination, nous y avons pourtant renoncé, de crainte que la priorité accordée à une fonction
psychique ne fausse notre appréhension des données linguistiques, en organisant celles-ci
suivant un ordre étranger à leur structure propre. (Tamba-Mecz 1981 : 28)
18. Le développement des sciences cognitives aura au moins permis d’assouplir la doctrine struc-
turaliste en incluant les faits de structure ou les faits systémiques dans un ensemble plus vaste
incluant les processus cognitifs et les contraintes du monde externe.
Le concept linguistique d’image 25
Le critère de sensorialité signifie qu’une image est accessible aux sens (ou l’a été
avant d’être mémorisée dans le cas des images mentales). Inversement, ce qui
n’est pas accessible aux sens (une notion abstraite par exemple) ne saurait être
une image ni fonctionner comme une image. Le sens de la vue est généralement
privilégié mais il existe aussi bien des images auditives, voire olfactives ou tactiles.
Cette caractérisation de l’image semble triviale, mais elle permet notamment
de rappeler que l’image n’appartient pas seulement à l’ordre visuel, bien que
la vision soit souvent privilégiée lorsqu’il est question d’image, le prototype de
l’image étant l’image visuelle bidimensionnelle19. Il reste que dans certaines
conceptions plus larges, un objet tridimensionnel peut avoir un statut d’image.
Par exemple, chez Philippe Descola, donc d’un point de vue anthropologique,
l’image est définie dans la perspective plus générale de la figuration :
À la différence de l’art, qui demeure lié à des contextes historiques spécifiques, la figuration
est une opération universelle au moyen de laquelle un objet matériel quelconque est investi
de façon ostensible d’une « agence » socialement définie suite à une action de façonnage,
d’aménagement, de mise en situation ou d’ornementation […] (Descola 2009 : 2)
19. Pour des raisons qu’il reste largement à découvrir. Voici un premier exemple, assez récent, de cette
réduction de l’image à l’image visuelle bidimensionnelle, dans Morizot (2005), qui a pourtant un
titre très large Qu’est-ce qu’une image ? On lit, en introduction : « […] je m’en tiendrai au seul
domaine des images visuelles, choisies dans l’espèce la plus commune techniquement comme
les dessins ou les photographies qui servent de support aux arts figuratifs ou aux pratiques
sociales courantes » (Morizot 2005 : 8). À la décharge de l’auteur, le titre, évidemment trop
large pour rendre compte du contenu réel du livre, est contraint par la collection « Chemins
Philosophiques », dont les ouvrages ont un titre de la forme « Qu’est-ce que X ? ». Il eût été
plus juste, mais probablement moins vendeur, de titrer dans ce cas « Qu’est-ce que l’image
visuelle ? ». Un second exemple, plus classique, issu des travaux de Jacques Bertin : « Nous
appellerons IMAGE la forme visuelle significative perceptible dans l’instant minimum de
vision » (Bertin, 1967 : 151).
26 Philippe Monneret
L’idée selon laquelle l’imagerie mentale fonctionne comme une sorte de percep-
tion affaiblie n’est donc pas fantaisiste20. Les images mentales sont constituées
à partir d’informations stockées dans la mémoire visuelle à long terme, et si
ces informations sont disponibles en mémoire, c’est bien parce qu’elles ont été
mémorisées, donc qu’elles ont été perçues antérieurement. Si l’on peut former
des images mentales de choses jamais vues auparavant, ce sera par combinai-
son d’informations visuelles disponibles en mémoire. On notera également
que, comme nous l’avons déjà signalé au sujet de l’image en général, l’image
mentale n’est pas nécessairement visuelle, mais peut impliquer n’importe quelle
modalité sensorielle. La nature précise du format des représentations conservées
en mémoire demeure un point encore obscur mais il est certain que l’image
mentale, bien qu’elle soit toujours plus ou moins similaire à l’image perçue, ne
retient qu’un sous-ensemble des propriétés de cette dernière : il est impossible
d’inspecter une image mentale comme on inspecterait une image dans une
activité perceptive. Plus récemment, on a découvert que certaines personnes
sont aphantasiques, c’est-à-dire incapables de former des images mentales :
20. Il est désormais établi que les images mentales d’activités motrices activent des zones corticales
communes avec celles qui sont activées lors d’activités motrices. D’où l’utilisation de l’imagerie
mentale dans l’entraînement sportif (Vealey 2007) ou musical (Aleman et al. 2000).
Le concept linguistique d’image 27
For example, when people are asked to imagine the face of a close friend or relative some people
report imagery so strong it is almost akin to seeing that person, whereas others report their imagery
as so poor that, although they know they are thinking about the person, there is no visual image
at all. (Keogh et Pearson 2017 : 54)
Le deuxième critère, tout aussi banal, signifie qu’une image est toujours une
représentation : une image est nécessairement une image de quelque chose. Le
concept d’image implique donc toujours deux entités : une entité perçue et une
autre entité que représente l’entité perçue. Un objet quelconque, en lui-même,
ne peut devenir une image que s’il renvoie à autre chose, même si ce à quoi il
renvoie est indéterminé. Cette caractéristique implique une inclusion de l’image
dans la catégorie plus générale des signes et par conséquent une conception de
l’image comme signe iconique, dans une perspective peircienne, ou comme signe
visuel, si l’on distingue le signe iconique du signe plastique (Groupe µ 1992).
Mais le concept d’icône, au sens de Peirce, requiert quelque chose de plus que
la représentation : il signifie qu’il existe une relation de similarité entre le repré-
sentant et le représenté, ce qui nous conduit à notre troisième caractéristique.
Ce troisième critère indique que l’image repose sur une relation de simila-
rité. Une image est donc une entité perceptible par les sens qui entretient
une relation de représentation avec une autre entité qui lui est similaire.
Mais il faut ici clarifier la notion de similarité, qui ne se réduit pas à la
ressemblance visuelle. Dans le cas de la simple ressemblance, la similarité
se caractérise par le partage de propriétés ou d’attributs. On peut parler
alors de similarité binaire ou attributive : la photographie d’un paysage ou
d’une personne partage des propriétés visuelles avec le paysage lui-même
ou la personne elle-même. Cette ressemblance permet éventuellement de
réactiver les émotions associées aux objets ou aux êtres photographiés. La
photographie permet aussi de récupérer des informations sur la réalité,
comme dans le film d’Antonioni, Blow-Up (1966) où le personnage principal,
21. Marks (1973). Il serait bien sûr intéressant de comparer les réactions de sujet aphantasiques à
des stimuli verbaux imagés et celles de sujets non aphantasiques à ces mêmes stimuli.
28 Philippe Monneret
22. Nous verrons plus loin l’intérêt d’une distinction claire entre similarité et analogie.
23. « Pourtant, il reste vrai que la plupart des images, considérées dans leur allure générale, « res-
semblent » à ce qu’elles représentent ; et le cas des arts visuels « non-figuratifs » ne constitue
en aucune façon - du moins à ce niveau du problème - l’objection que l’on voudrait parfois y
voir : car le tableau abstrait ou le « plan » de cinéma pur, comme les autres images, ressemble
à quelque chose (silhouette ébauchée, contour suggéré, forme géométrique, etc.); c’est le statut
de ce « quelque chose », et non le fait de la ressemblance, qui distingue l’image non-figurative
de celle où le représenté s’avoue comme un objet usuel. » (Metz 1970 : 1).
24. Au sens où ce qui apparait dans la photographie se trouvait effectivement devant l’appareil
photographique au moment de la prise de la photographie. Ce point avait également été relevé
par Eco (1988).
Le concept linguistique d’image 29
Charles Sanders Peirce avait beaucoup insisté sur ce point. Une image est bien, au même titre
qu’un index ou un symbole, un signe. Mais c’est seulement renvoyé à son interprétation que
le signe, en sa dimension d’image (ou d’icône) mais aussi en sa dimension indexicale, acquiert
une valeur dénotative, donne une information, prend, en d’autres termes, son sens de signe.
En elle-même, une image (pas plus d’ailleurs qu’un index) n’affirme rien. Elle indique, mais
elle ne signifie pas. (Tiercelin 2011)
Ce concept anthropologique d’image est donc plus large que celui qui nous
intéresse ici, puisqu’il inclut l’indexicalité25. Il reste que, du point de vue de
l’efficience de l’image ou de son agence pour utiliser le terme employé par
Descola, la dimension iconique semble jouer un rôle majeur :
[…] la dénotation doit pouvoir jouer sur une ressemblance directe de type mimétique ou sur
tout autre type de motivation identifiable de façon médiate ou immédiate, l’idée étant que c’est
dans la relation iconique au prototype que réside au premier chef l’effet d’agence.
Par conséquent, bien qu’il soit possible d’obtenir une image par indexicalité,
nous admettrons que la similarité demeure la caractéristique essentielle de
l’image, et par conséquent que l’image reposant sur une relation de similarité
constitue le prototype de l’image.
25. Le fait que de l’indexicalité puisse provoquer un effet d’image, comme dans le cas de la méto-
nymie, ne semble pas douteux. Nous l’avons noté ici même au sujet de l’exemple (37) (« Il y
a des gens qui aiment les poches grasses... », pour désigner les cuisinières). Cependant, rien
n’oblige à considérer qu’il s’agit du même genre d’image (il semble notamment évident que
l’effet d’image est beaucoup moins régulier dans la métonymie que dans la métaphore). Mais
la question est trop vaste pour cet article et nous nous limiterons aux images impliquant une
similarité. Nous laissons donc de côté le problème de la distinction entre les images produites
par similarité et les images produites par contiguïté, et considérons que le prototype de l’image
est le cas de l’image par similarité.
30 Philippe Monneret
Enfin, mais on n’insistera pas sur ce point qui est évident dès que l’on songe
à la dimension esthétique de l’image – par exemple à la peinture – l’image, même
si elle est réaliste, ne cherche pas sa signification dans la similarité elle-même,
mais elle utilise la similarité, quel qu’en soit le degré, pour autre chose. Par
exemple, Merleau-Ponty voit la peinture de Cézanne comme une tentative de
saisir un monde originaire sur lequel nos habitudes perceptives sont construites,
et que le visible ne peut livrer qu’indirectement :
Cézanne n’a pas cru devoir choisir entre la sensation et la pensée, comme entre le chaos et
l’ordre. Il ne veut pas séparer les choses fixes qui apparaissent sous notre regard et leur manière
fuyante d’apparaître, il veut peindre la matière en train de se donner forme, l’ordre naissant
par une organisation spontanée. Il ne met pas la coupure entre « les sens » et l’« intelligence »,
mais entre l’ordre spontané des choses perçues et l’ordre humain des idées et des sciences. Nous
percevons des choses, nous nous entendons sur elles, nous sommes ancrés en elles et c’est sur
ce socle de « nature » que nous construisons des sciences. C’est ce monde primordial que
Cézanne a voulu peindre, et voilà pourquoi ses tableaux donnent l’impression de la nature à son
origine, tandis que les photographies des mêmes paysages suggèrent les travaux des hommes,
leurs commodités, leur présence imminente. Cézanne n’a jamais voulu « peindre comme une
brute », mais remettre l’intelligence, les idées, les sciences, la perspective, la tradition, au contact
du monde naturel qu’elles sont destinées à comprendre, confronter avec la nature, comme il
le dit, les sciences « qui sont sorties d’elle ». (Merleau-Ponty 1996 :18)
26. J’utilise efficience plutôt qu’efficacité, car l’efficacité tend à désigner l’obtention d’un effet anticipé,
prévu, attendu, alors que l’efficience, au sens où nous la concevons ici, doit inclure, comme on
le verra, des effets imprévisibles.
27. À l’exception bien sûr des images mentales.
Le concept linguistique d’image 31
plus exactement des objets qui ne sont pas des images. Cette efficience est large-
ment une conséquence du processus de représentation : le fait que l’objet perçu
qu’est l’image vaille non pas seulement pour lui-même mais avant tout pour ce
qu’il représente en fait déjà un objet particulier ; mais, en outre, la similarité
constitutive de l’image étant construite par celui qui regarde l’image (à partir
de ce que lui a donné à voir l’auteur de l’image), ce processus de constitution
de la similarité est susceptible de produire chez le récepteur différents effets,
qui peuvent aller jusqu’à une modification des habitudes perceptives, et donc
à une perception spéciale, nouvelle, inhabituelle. Nous venons d’en donner un
exemple avec le cas de Cézanne.
L’efficience de l’image est une caractérisation très générale, qui peut être
de nature esthétique (un tableau), cognitive (une carte, une radiographie) ou
encore affective (une image effroyable). Elle procède notamment d’une tendance
à la fusion ou à la confusion du représentant et du représenté, tendance identi-
ficatrice caractéristique du processus analogique dont procède l’effet d’image.
Selon un tel point de vue, l’image est donc conçue comme un produit de la
fonction figurative de l’analogie28.
Cette tendance identificatrice liée à l’image est formulée par Peirce de la
façon suivante, comme une caractéristique générale de l’icône :
The third case is where a dual relation between the sign and its object is degenerate and consists
in a mere resemblance between them. I call a sign which stands for something merely because it
resembles it, an icon. Icons are so completely substituted for their objects as hardly to be distingui-
shed from them. Such are the diagrams of geometry. A diagram, indeed, so far as it has a general
signification, is not a pure icon; but in the middle part of our reasonings we forget that abstractness
in great measure, and the diagram is for us the very thing. So in contemplating a painting, there
is a moment when we lose the consciousness that it is not the thing, the distinction of the real and
the copy disappears, and it is for the moment a pure dream, – not any particular existence, and
yet not general. At that moment we are contemplating an icon. (Peirce 1992 : 226 [1885])
S’il existe une forme d’identification dans le cas de l’icône, une confusion entre le
signe et l’objet, c’est parce que l’icône repose sur une sorte de paradoxe : elle est
définie comme une priméité29, mais présente aussi un aspect de secondéité, en
tant qu’elle implique une relation du signe à l’objet30. Or cette tendance à la
28. Je me permets de renvoyer à Monneret (2018a), Monneret & Albano (2017) pour la justifica-
tion de la distinction entre similarité et analogie : l’analogie est définie comme un processus
d’identification à partir d’une similarité (perçue ou conçue).
29. La notion de priméité renvoie à l’ontologie peircienne qui distingue trois modes d’être : « La
Priméité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est, positivement et sans référence à quoi
que ce soit d’autre. La Secondéité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est par rapport à un
second, mais sans considération d’un troisième quel qu’il soit. La Tiercéité est le mode d’être
de ce qui est tel qu’il est, en mettant en relation réciproque un second et troisième ». (Peirce
1978 : 22).
30. Pour plus de détails sur cette analyse, voir Monneret (2014)
32 Philippe Monneret
fusion du signe avec l’objet qui caractérise l’image s’observe aisément lors-
qu’on compare langage et image : pourquoi une image est-elle, le plus souvent,
beaucoup plus frappante qu’un texte décrivant la même réalité (pensons par
exemple au récit dans la presse d’un accident comparé à une photographie du
même accident – sans tenir compte du fait que texte et image sont généralement
associés) ? S’il existe, selon la formule célèbre du journal Paris Match, un « choc
des photos », c’est bien parce que la distanciation avec la réalité montrée est
bien plus difficile à maintenir avec les images. L’effet émotionnel de l’image est
inclus dans ce qui est ici nommé l’efficience de l’image.
Mais, sur ce point, il convient tout de même d’apporter une nuance impor-
tante : toutes les images ne fonctionnent pas de la même façon. Ce qu’a bien
montré Marie-José Mondzain, c’est qu’il existe au moins deux grands régimes
d’images parmi les visibilités : des images en quelque sorte saturées qui montrent
quelque chose sans ambiguïté, et des images ouvertes, qui donnent à voir,
c’est-à-dire à construire le regard qui va les constituer. Cette distinction a été
développée dans plusieurs ouvrages. J’en donne ici une première formulation
que l’on trouve dans Homo spectator et une seconde qui est extraite de L’image
peut-elle tuer ? Les images saturées sont celles que l’on utilise pour exercer un
pouvoir coercitif, par exemple les images de la peur :
Les flux qui alimentent la consommation visuelle doivent résoudre une tension interne : il
faut montrer le pire pour provoquer l’appel au secours, il faut cacher le pire pour éviter toute
mobilisation critique, toute relève de la parole, donc de la pensée. Le visible prend la parole et
ne la donne plus. Le sens des images est dans le message univoque qui les accompagne ou qui
les habite […] La place du spectateur terrifié est fixée : c’est celle de l’impuissance qui provoque,
chez l’enfant qui est en chacun de nous, un comportement de blottissement, d’appel à l’abri
et à la sécurité. (Mondzain 2008 : 90)
Inversement, l’image qui ne contraint pas le spectateur à une place assignée d’avance
est une image qui offre une liberté, celle de la distance et de l’interprétation :
Un auteur, l’homme qui fait voir et qui pour cela renonce à montrer, est en charge de la possi-
bilité qu’il offre ou non au spectateur de construire à son tour la distance d’où il voit et d’où il
peut juger. (Mondzain 2008 : 92)
La différence entre ces deux régimes du visible est telle que seul le second gagne
à être nommé image :
L’image ne produit aucune évidence, aucune vérité et ne peut montrer que ce que produit le
regard que l’on porte sur elle. L’image attend sa visibilité de la relation qui s’instaure entre
ceux qui la produisent et ceux qui la regardent. En tant qu’image, elle ne montre rien. Si elle
montre délibérément quelque chose, elle communique et ne manifeste plus sa nature d’image,
c’est-à-dire son attente du regard. C’est pourquoi plutôt que d’invisible, mieux vaut parler
« d’invu », de ce qui est en attente de sens dans le débat de la communauté. Une telle situation
Le concept linguistique d’image 33
de décidabilité du sens suppose que l’image par elle-même est fondamentalement indécise et
indécidable. (Mondzain 2001 : 42-43)
Voilà pourquoi mieux vaut distinguer au cœur du visuel les images des visibilités en fonction
des stratégies qui assignent ou non le spectateur à une place dont il peut bouger. Hors de tout
mouvement, l’image se donne alors à consommer sur un mode communiel. (Mondzain 2001 : 54)
Cette agence de l’image est une agence déléguée en ce que l’image est une sorte
d’intermédiaire entre son producteur et son spectateur :
Ainsi entendue, l’agence dont on crédite les images est une notion purement relationnelle,
donc dépourvue de contenu ontologique intrinsèque : tout ce qui est en position d’agent à
l’égard d’un patient – ainsi une image vis-à-vis d’un spectateur – exerce une agence déléguée
parce qu’il constitue une interface matérielle entre des intentionnalités réelles ou supposées,
que celles-ci soient imputées au créateur humain de l’objet ou aux entités qu’elle figure ou
qui sont réputées en être la source donc par le fait qu’elle signifie en vertu de ses propriétés
31. « Jean-Luc Godard a ainsi énoncé la nature de ce non-lieu où s’inscrit le sujet qui voit, c’est-
à-dire le spectateur : « Pour voir, dit-il, il ne faut pas avoir peur de perdre sa place ». Cette
formule dit à la fois le déplacement et la nécessité intrinsèque d’être sans peur. Je crois tout à
fait capital de souligner la dimension du courage qu’il faut pour voir une image, pour construire
et pour défendre le regard ». (Mondzain 2008 : 54)
34 Philippe Monneret
exclusivement, propriétés qu’elle partage avec l’objet. L’intérêt majeur de l’icône, c’est donc
qu’elle confronte immédiatement à ce qu’elle signifie. (Descola 2010 : 2)
Mais n’est-il pas possible d’imaginer une agence de l’image reposant unique-
ment sur la dimension iconique, donc sans la dimension indicielle ? C’est l’hypothèse
que nous maintiendrons ici, en nous fondant, comme cela a déjà été indiqué, sur la
tension identificatrice due à l’analogie sur laquelle repose l’image. C’est donc bien
l’analogie, fondée sur une similarité, binaire ou proportionnelle, qui sera considérée
comme la condition de l’efficience de l’image32.
32. Comme on l’a déjà indiqué plus haut (note 24), cela ne signifie pas qu’on puisse obtenir un
effet d’image par un autre moyen, c’est-à-dire par contiguïté ou indexicalité, mais que l’image
reposant sur une relation de similarité est le prototype de l’image.
33. Bonhomme (2007) évoque ce facteur sous la dénomination d’« imagerie » qu’il met en relation
avec la concrétude : « plus un signe verbal est concret, plus son potentiel d’imagerie est élevé. »
(p. 22)
34. Voir par exemple Bonnin et al. (2011).
Le concept linguistique d’image 35
35. Très probablement en raison du fait que les images représentant des anges sont très communes
dans notre culture.
36. D’une part, peu de gens sont amenés à manipuler des bombes et, d’autre part, les représen-
tations stéréotypées des bombes (par exemple dans les dessins animés) sont perçues comme
sans rapport avec les bombes réelles.
37. Plutôt que de la limiter à la concrétude, comme le propose Bonhomme (2007).
38. Je reprends ici les exemples donnés dans Monneret (2018b), où cet aspect est examiné plus en
détail.
36 Philippe Monneret
(42) Être poète, c’est avoir de l’appétit pour un malaise (Char) : source [appétit], cible
[poète]
(43) L’usurpation est une énigme qu’on devine toujours trop tard (Saint-Just) : source
[énigme], cible [usurpation]
Dans ce dernier cas (exemples (44) et (45)), à la différence des deux précédents,
l’effet d’image est présumé nul39. Bien entendu, on estimera également que
l’effet d’image est plus fort dans (38)-(41) que dans (42)-(43). Mais bien sûr, ces
analyses doivent être confirmées par une expérimentation psycholinguistique.
Pour conclure sur ce premier point, on ajoutera enfin que, via les méta-
phores conceptuelles, une imageabilité indirecte, de faible degré, peut être
supposée :
(46) Vous avez à l’esprit ses vues, empreintes d’autant de philosophie, on peut même dire
de poésie, que de haute science, sur le destin des maladies infectieuses, ou comme
il dit de façon si imagée, sur leur naissance, leur vie et leur mort. (Frantext, sans
mention d’auteur 1943 : 58)
Dans cet exemple, les mots naissance, vie et mort ne peuvent être considérés
comme dotés d’une bonne imageabilité. Mais le fait qu’ils mobilisent une méta-
phore conceptuelle selon laquelle le développement d’un être vivant représente
celui d’un phénomène matériel ou organique suffit peut-être à accroitre l’ima-
geabilité de l’expression.
39. Nous sommes donc sur ce point en désaccord avec Ullmann (1961), qui, dans un excellent
article sur la question (utilisé par Ricoeur tout comme par Le Guern), traite ce type de confi-
guration comme une image dans laquelle « un terme concret est comparé à un terme abstrait »
(Ullmann 1961 : 52). Ullmann donne quelques exemples judicieusement choisis : « La lune,
froide et claire comme un doute, Sourit et passe » (Viélé-Griffin) ; « Et nous, jaillis de plus
loin comme un aveu plus hardi » (Jules Romains) ; une herbe « tentante comme le suicide »
(Sartre). Et commente ainsi : « ces figures tirent leur expressivité de leur caractère insolite :
au lieu de concrétiser l’abstrait, comme le font la plupart des images, elles opèrent en sens
inverse et « déconcrétisent », pour ainsi dire, les objets matériels » (Ullmann 1961 : 52). Mais
si, en rendant abstrait ce qui est concret, ces images diffèrent de la plupart des autres, c’est
peut-être qu’elles ne sont pas des images. Comme Ullmann ne prend pas en compte le critère
d’imageabilité mais seulement celui de l’analogie dans sa définition de l’image – l’image est
pour lui « l’expression linguistique d’une analogie » (Ullmann 1961 : 43) – ces structures à
imageabilité décroissante sont malgré tout incluses dans la catégorie générale des images.
Le concept linguistique d’image 37
40. L’inverse n’est pas vrai : on peut se taire la bouche ouverte. Bouche bée par exemple.
41. Comme on l’a déjà indiqué, notre perspective conduit à considérer l’image fondée sur une
similarité comme l’image prototypique, en raison de la caractérisation générale de l’image que
nous avons adoptée. Cela n’exclut donc pas qu’on puisse produire une image à partir d’un autre
type de relation, l’indexicalité, comme dans le cas de la métonymie. Mais l’image métonymique
est considérée comme d’un autre type, et en tout cas non prototypique. Nous convenons tout
à fait que cette position mériterait d’être argumentée d’une manière plus approfondie, mais
nous n’en avons pas la place ici.
38 Philippe Monneret
42. Bonhomme (2007) signale, dans le même esprit, que « l’effet-image d’une métaphore est très
variable selon l’encyclopédie des énonciataires » (p. 26). Nous partageons pleinement cette
opinion.
43. Le TLFi indique que bidon renvoie dans cette expression à un sens argotique « ensemble de
trois coupons de drap pliés de façon à compter pour six », dont dérive le sens de mensonge,
tromperie. Toutefois, l’hypothèse d’une étymologie populaire à partir du sens courant actuel
de bidon ne peut être exclue.
Le concept linguistique d’image 39
Comme on l’a vu précédemment, l’image est dotée d’une efficience : elle produit
un effet particulier sur le spectateur, qui peut être notamment de nature esthé-
tique, cognitive ou affective45. Nous avons également indiqué que cet effet peut
être prévu, anticipé, conditionné par le producteur de l’image ou bien qu’il peut
être créé par le spectateur, dans un espace de liberté ouvert par l’auteur de l’image.
Quelles sont les contreparties linguistiques de cette propriété de l’image ?
L’opposition entre l’efficience créative et l’efficience contrainte semble à
peu près équivalente à la distinction entre les métaphores vives, qui reposent
sur un conflit conceptuel et d’autre part, les métaphores conventionnelles
et les métaphores « cohérentes » au sens de Prandi, qui reposent sur ce
que Lakoff & Johnson (1985) nomment des métaphores conceptuelles46. La
distinction entre métaphore conflictuelle et métaphore cohérente peut être
illustrée ainsi :
La combinaison verser l’argent, par exemple, est cohérente alors que la combinaison verser la
lumière – Le soleil versait à grands flots sa lumière sur le Mont-Blanc (Saussure, Voyage dans
les Alpes, 1834) – est conflictuelle. Quand il est appliqué à l’argent, le verbe verser acquiert un
44. À la question « Y a-t-il oui ou non quelque chose qui « cloche » dans la métaphore ?, Kleiber
répondait : « C’est un oui ferme et massif que donnent la quasi-totalité des commentateurs,
qui parlent de prédication impertinente (Cohen, 1966), d’anomalie sémantique (Todorov 1966),
d’incongruence (Lüdi, 1973 et 1991), d’incongruité conceptuelle (Kittay, 1987 ; Jonasson, 1991 et
1993), de rupture avec la logique (Le Guern, 1973), d’attribution insolite (Ricoeur, 1975), d’usage
non normal (Nunberg, 1978), d’incompatibilité (Tamine, 1979 ; Kleiber, 1983 et 1984 ; Martin,
198 ; Prandi, 1992), de contradiction avec la logique (Tamba, 1981), de défectuosité (Searle, 1982),
de coup de force (Murat, 1981), d’incohérence (Prandi, 1992), etc. » (Kleiber 1999 : 102)
45. Dans Bonhomme (2007), ce critère apparaît diffracté selon deux notions distinctes : d’une
part l’effet de tableau, qui se traduit au plan discursif par une saillance plus ou moins forte des
expressions et d’autre part la présence (ou « proximité sémantique, quasiment vécue, dans le
champ cognitif du récepteur » (Bonhomme 2007 : 22). Nous partageons ce point de vue mais
il resterait à trouver des critères linguistiques stables pour définir ces deux notions.
46. Certes, pour Lakoff, Johnson ou encore Turner, toutes les métaphores linguistiques reposent
sur des métaphores conceptuelles. Mais c’est précisément l’apport de Prandi de maintenir le
principe d’une distinction entre métaphores conceptuelles et métaphores vives : « l’existence de
concepts métaphoriques cohérents n’implique pas que les métaphores créatives individuelles
se réduisent à leur développement » (Fasciolo & Rossi 2016 : 7).
40 Philippe Monneret
signifié nouveau. Quand il est appliqué à la lumière, par contre, le même verbe ne change
pas son signifié : c’est précisément la combinaison conflictuelle entre verser et la lumière qui
déclenche une interprétation métaphorique (Prandi 2016 : 35).
Si les réalités que l’on rapproche (donc qu’on tend à identifier selon le processus
analogique) sont « éloignées » (similarité faible), il n’empêche qu’elles entre-
tiennent malgré tout des « rapports » (donc qu’il existe bien une similarité, bien
qu’elle soit faible). Comme on le sait, la contribution de Breton consistera à
déplacer le processus d’identification analogique (ou « rapprochement ») des
réalités aux mots et à renforcer l’arbitraire du rapprochement en introduisant
une dimension aléatoire, ce qui produit une ouverture maximale de l’horizon
d’interprétation :
C’est du rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes qu’a jailli une lumière parti-
culière, lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur
de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue ; elle est, par conséquent, fonction de
la différence de potentiel entre les deux conducteurs […] Pour moi, la plus forte est celle qui
présente le degré d’arbitraire le plus élevé, je ne le cache pas. (Breton 1977 : 337-338)
49. Pour fixer les idées, on pourrait considérer que les trois degrés d’identification du tableau 1
sont les suivants : 1) Comparaison modalisée (« on aurait dit », « presque comme », etc.) ; 2)
Comparaison (« comme », etc.) ; 3) Métaphore (pas d’outil de comparaison).
Le concept linguistique d’image 43
(50) La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout
le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire
ou de rêverie. (Flaubert 1857 : 82)
(51) Pauvre petite femme ! Ça bâille après l’amour, comme une carpe après l’eau, sur
une table de cuisine. Avec trois mots de galanterie, cela vous adorerait, j’en suis
sûr ! ce serait tendre ! charmant ! Oui, mais comment s’en débarrasser ensuite ?
(Flaubert 1857 : 214)
6. Conclusion
50. Cette distinction entre le contenu conceptuel et le contenu linguistique de l’image permet
d’introduire une articulation entre ce que certains auteurs, comme Le Guern (1973) nomment
la dimension intellectuelle et la dimension sensible de l’image : « Alors que l’image symbolique
doit être saisie intellectuellement pour que le message puisse être interprété, l’image méta-
phorique n’intervient pas dans la texture logique de l’énoncé, dont le contenu d’information
pourra être dégagé sans le secours de cette représentation mentale. Par opposition à l’image
symbolique qui est nécessairement intellectualisée, l’image métaphorique pourra ne s’adresser
qu’à l’imagination ou à la sensibilité (Le Guern 1973 : 43-44).
44 Philippe Monneret
énoncé est iconique en ce qu’il est fondé sur une similarité entre la source et la
cible dont le degré est variable, similarité qui tend vers une identification – c’est
là le processus analogique – qui connaît elle-même des degrés. L’effet d’image
est produit à la fois par l’imageabilité, directe ou indirecte, des mots qui forment
l’énoncé, et par l’écart entre le degré de similarité et le degré d’identification
analogique. Si toutes les images sont des métaphores ou des comparaisons,
l’inverse n’est pas vrai : seules les métaphores et les comparaisons qui possèdent
ces propriétés sont des images, en ce qu’elles suscitent, chez le récepteur, une
forme ou une autre d’imagerie mentale.
L’efficience de l’image dépend également du caractère novateur de l’ana-
logie proposée. Dans certains cas, l’innovation sémantique permet de fournir
des images verbales dont l’interprétation est largement ouverte. Dans d’autres
cas, par exemple dans l’image ironique, l’effet global est aisément accessible en
raison d’un contenu conceptuel aisément assignable, et l’innovation sémantique,
plus linguistique que conceptuelle, produit principalement un effet humoris-
tique dû à la surprise d’un rapprochement inattendu, sans pour autant que
l’interprétation soit complètement fermée. C’est dans le cas de la métaphore
conventionnelle que la clôture interprétative est susceptible d’être la plus forte,
avec une efficience de l’image imposant une signification, tout particulièrement
dans les domaines de la communication politique ou publicitaire.
Enfin, dans le cas particulier des expressions idiomatiques, l’effet d’image
est souvent empêché par le caractère non iconique de structures dans lesquelles
au moins un élément n’est pas interprétable – soit que l’origine de l’expression
est perdue, soit qu’un mot est employé dans une acception inusitée. Ces struc-
tures peuvent être considérées comme figurées, en tant qu’elles ne sont pas
compositionnelles, mais pas comme imagées, puisque l’effet d’image est bloqué
par le défaut d’iconicité. Qualitativement, en matière d’efficience de l’image,
elles diffèrent des énoncés non idiomatiques en ce qu’elles sont difficilement
accessibles à l’innovation sémantique. Une expression idiomatique comme
couper les ponts produit bien une image mais dont l’efficience est limitée par le
caractère usuel de l’expression, par son absence de caractère innovant au plan
sémantique. Pour cette raison, qualitativement, l’effet d’image des expressions
idiomatiques pourrait être rapproché de celui que produisent les occurrences
de métaphores conceptuelles.
Cette hypothèse, comme plusieurs autres avancées dans cet article, gagne-
rait à être éprouvée expérimentalement, bien sûr. Mais, comme j’ai déjà eu
l’occasion de le signaler (Monneret 2019), le champ de la linguistique théorique
consiste d’abord à formuler des hypothèses de ce genre, en confrontant les
observations linguistiques aux apports d’autres disciplines. Ni le philosophe,
ni le psychologue, ni l’anthropologue ne prendront la peine de confronter leurs
Le concept linguistique d’image 45
Bibliographie
51. Le cas de la Métaphore vive de Ricoeur est à cet égard très révélateur : cette magnifique inves-
tigation de la métaphore est développée à partir du seul exemple Achille est un lion.
46 Philippe Monneret
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