Book Edcoll 9789004314375 B9789004314375 047-Preview

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 2

L’espace humanitaire : un passage souhaitable de la

pratique au droit ?

Sandra Szurek

C’est sous le signe des espaces que je souhaite placer cet hommage. En premier
lieu en raison, sans doute, du souvenir le plus ancien mais toujours vif que je
garde de Djamchid Momtaz, lorsque, jeune assistante fraîchement nommée à
l’Université Paris Nanterre, je fis sa connaissance dans les années soixante-dix.
J’eus alors la grande chance, en franchissant pour la première fois le seuil de la
salle dite « des assistants », d’y rencontrer comme premier collègue, Djamchid.
Son accueil chaleureux et bienveillant a suffi à sceller une forme d’amitié per-
pétuelle indifférente au temps et à la distance. Partant de l’idée d’espace, il m’a
semblé que nous pouvions partager un intérêt scientifique commun pour l’es-
pace humanitaire. C’est à donc à ce dernier que je voudrais consacrer quelques
réflexions en hommage au spécialiste du droit international humanitaire
qu’est Djamchid Momtaz.
L’idée d’espace humanitaire remonte aux civilisations les plus anciennes qui
ont consacré l’existence de lieux où les populations et les combattants pou-
vaient trouver momentanément refuge et protection. Les temples antiques,
les églises de la Chrétienté étaient des espaces sanctuarisés. Cette protection
répondait à la nécessité, à défaut de vouloir puis de pouvoir l’interdire, de ne
pas laisser la guerre détruire jusqu’à la dernière part d’humanité, comme le
réaffirmera plus tard la clause de Martens. Héritières de ces traditions, les
Conventions de Genève de 1949 ont consacré l’idée, qu’au cœur même des
champs de bataille, devaient exister et être respectés des lieux et des espaces
dévolus aux secours aux blessés, à la protection des non-combattants et de la
population civile.
Mais la notion d’espace humanitaire n’apparaît comme telle ni dans les
Conventions de Genève ni dans les Protocoles additionnels. L’expression re-
lève de la pratique. On en attribue la paternité à Ronny Brauman qui l’a définie
comme « un espace symbolique, hors duquel l’action humanitaire se trouve
détachée de son fondement éthique et qui se constitue à l’intérieur des repères
suivants: accès, dialogue, indépendance, impartialité »1. De nombreuses autres
définitions ont été proposées, comme celle d’« un espace de liberté d’interven-
tion civile, caractérisée par certains principes et normes tels que ceux contenus

1 R. Brauman, Humanitaires, le dilemme, Entretien avec Philippe Petit, Paris Textuel, 1996, p. 43.

© koninklijke brill nv, leiden, ���7 | doi ��.��63/9789004314375_047


720 Szurek

dans la Charte humanitaire »2, ou encore, selon une approche fonctionnelle,


comme « [. . .] le champ d’opérations rendues possible (et délimité) grâce à un
faisceau de paramètres parmi lesquels: la possibilité d’évaluer les besoins, celle
de gérer et contrôler les opérations identifiées, la liberté d’accès et d’échange
avec les populations »3.
La notion d’espace humanitaire soulevant les questions les plus complexes
dans le cadre des conflits amés, on s’en tiendra à ces situations. Le Comité in-
ternational de la Croix-Rouge (CICR) ou le Haut Commissariat des Nations
Unies aux Réfugiés (UNHCR) y font de plus en plus fréquemment référence
pour s’inquiéter de sa « réduction » ou encore de son « rétrécissement »,
comme du phénomène contemporain le plus inquiétant. Ainsi, à l’instar
des craintes que peuvent susciter les menaces pesant sur un espace naturel,
l’espace humanitaire, indéterminé, « complexe mais fondamental »4, est
menacé. En écho à ce constat, le Vice-Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies (ONU) se déclarait récemment « horrifié » par le mépris « alar-
mant » pour les droits de l’homme et le droit international humanitaire de
cette deuxième décennie du XXI ème siècle5.
Dans ce contexte chaotique de remise en cause ou de négation de normes
chèrement acquises, que peut le juriste ? Certains ont comparé le droit à la
médecine : « [o]n observe ce qui ne va pas pour poser des diagnostics et iden-
tifier des remèdes »6. C’est peut-être trop prêter au juriste. On peut pourtant
s’inspirer de cette démarche en trois temps pour les quelques remarques qui
suivent et qui n’ont pour ambition, dans les limites imparties ici, que d’esquis-
ser, à travers l’idée d’espace humanitaire, une réflexion sur quelques-uns des
défis que le droit international humanitaire et plus largement l’action huma-
nitaire doivent relever.

2 F. Audet, « L’acteur humanitaire en crise existentielle. Les défis du nouvel espace humani-
taire », Etudes internationales, vol. 42, no 4, 2011, p. 447-472, p. 448. La Charte humanitaire
et les normes minimales pour les interventions lors de catastrophes est le fruit du Projet
Sphere, lancé en 1997 par différentes ONG humanitaires et le Mouvement de la Croix-Rouge
et du Croissant-Rouge, dans le but d’élaborer un ensemble de normes universelles minimales
dans les domaines fondamentaux de l’assistance humanitaire.
3 M. L. Le Coconnier, B. Pommier, L’action humanitaire, Que Sais-je ?, PUF, 2ème édition mise
à jour, 2012, 127 p., p. 21.
4 Audet, op. cit., note 2, p. 448.
5 Nations Unies, J. Eliasson, « Dix ans de responsabilité de protéger : face à un bilan mitigé,
les Etats membres examinent les moyens de mieux préserver les civils des pires atrocités »,
Assemblée générale, Couverture des réunions, 26 février 2016, AG/11764.
6 A. Supiot, « Introduction », p. 9-35, p. 21, A. Supiot et M. Delmas-Marty (Dir.), Prendre la
responsabilité au sérieux, PUF 2015, 430 p.

Vous aimerez peut-être aussi