Le Développement de La Recherche Madagascar: Christian FELLER Frédéric SANDRON

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Introduction

Le développement
de la recherche à Madagascar

Christian FELLER
Frédéric SANDRON

Depuis la Seconde Guerre mondiale qui a vu se structurer le système de recher-


che français, les questions autour du rôle et des modalités de la recherche pour
le développement se posent de manière récurrente. Les réponses apportées ont
été très diverses dans la mesure où la notion de développement n'a cessé d'évo-
luer au fil des décennies et aussi du fait des changements profonds intervenus
dans les relations entre pays du Nord et pays du Sud.
Pour le cinquantenaire de l'Orstom, un colloque d'une semaine s'est tenu à
l'Unesco en septembre 1994 pour aborder la thématique des « Sciences hors
d'occident au xxe siècle », dont les actes ont été publiés en sept volumes
(WAAST, 1995-1996). BALANDIER (1995 : 12) opérait à cette occasion une dis-
tinction entre les « sciences du développement» et « la science dans les pays en
développement ». Si les premières se définissent comme des « complexes de
connaissances qui contribuent à mieux appréhender les phénomènes accomplis-
sant le développement », la seconde a trait à une « production de connaissances,
à leur accroissement qui multiplie les possibles, les possibilités d'intervention
dans tous les domaines constitutifs du réel, naturel et humain ».
Cette distinction se retrouve dans l'analyse de PETITJEAN (1996) qui nous rap-
pelle que la construction de la science est la résultante des deux dynamiques que

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Parcours de recherche à Madagascar

sont la mondialisation de la science et la constitution de dynamiques scientifi-


ques locales. La frontière entre ces deux mouvements n'est pas bien délimitée,
notamment dans le cas des pays du Sud où, si la science est aujourd'hui «par-
tagée », elle a, à ses débuts, été partiellement « transférée », puisqu'elle était
liée à l'histoire des colonisations (BALANDIER, 1995).

Création de l'Orstom
La création de l'Orstom en 1944 va permettre l'institutionnalisation de la
recherche sur et dans les pays en développement. Pour la première fois, des
chercheurs spécialistes vont remplacer les savants explorateurs, voyageurs,
militaires ou administrateurs qui jusque-là avaient apporté les connaissances sur
ces pays lointains. Ceci s'est fait après d'âpres débats, liés à des enjeux scienti-
fiques, institutionnels et politiques (BONNEUIL et PETITJEAN, 1996). Comme le
mentionne GLEIZES (1985 : 1) : «Alors qu'on a facilement admis d'identifier
une recherche spatiale, océanologique ou médicale, il paraissait qu'on dût
concevoir avec la plus grande difficulté une recherche outre-mer - puis une
recherche pour le développement en coopération - bien qu'elle se caractérisât
tout autant par son sujet et par sa démarche ».
Les premières missions de l'Orstom furent alors de dresser des inventaires des
sols, de la faune, de la flore, des ressources en eau, etc. Beaucoup de territoires
à cette époque n'avaient en effet jamais fait l'objet d'investigations scientifi-
ques. Une deuxième époque dans l'histoire de l'Institut couvre la période des
Indépendances africaines et malgache, tandis que depuis les années 1980, une
nouvelle politique de coopération scientifique est mise en place qui se poursuit
jusqu'à aujourd'hui (SABRIÉ, 1996).

La recherche scientifique à Madagascar


Dans ce dispositif de recherche, l'Orstom occupait donc une place originale de
par son objet d'étude et de par les modalités de travail de ses chercheurs. Ceux-
ci étaient affectés dans les pays du Sud pour des périodes de deux à trois ans,
parfois renouvelables. Madagascar joua un rôle précurseur dans cette nouvelle
forme de recherche puisque l'IRSM, Institut de recherche scientifique de
Madagascar, dépendant de l'Orstom, fut créé dès 1946. Ses infrastructures
furent installées en 1947 dans le fameux Parc botanique et zoologique de
Tsimbazaza, à Antananarivo, reprenant ainsi la gestion de ce parc créé en 1925

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Introduction

et dirigé depuis par divers administrateurs. L'IRSM allait alors s'atteler à dépas-
ser les études techniques floristiques entreprises depuis vingt ans dans ce parc
pour passer au stade d'une recherche plus théorique (MOLLET et ALLORGE-
BOITEAU, 2000).

Le paysage de la recherche à Madagascar n'était donc pas complètement vierge


même si cette recherche était fort parcellisée. Ainsi, furent créés l'Institut
Pasteur en 1898, l'Académie malgache en 1902, la plus ancienne des pays du
Sud, le Service géologique en 1912 et le jardin de Tsimbazaza en 1925
(ROEDERER, 1990). Mais c'est véritablement avec la création de l'IRSM que la
recherche au sens moderne s'installe à Madagascar. Au bout de trois ans d'exis-
tence de l'IRSM, PAULIAN (1950) dresse un premier bilan des résultats acquis.
Ceux-ci le sont dans les domaines de l'étude des sols, des insectes pathogènes,
des insectes nuisibles aux cultures et aux constructions, des études générales de
la faune et de la flore, de la phytochimie et de l'océanographie.
Au fil des ans, les effectifs de l'IRSM, devenu centre Orstom en 1963, augmen-
tent pour atteindre plus de cinquante chercheurs affectés au début des années
1970. Une large partie de cette recherche se fait véritablement in situ puisqu'à
la fin des années 1960, le directeur du Centre note que chaque chercheur effec-
tue en moyenne 110 jours de terrain dans le pays (ROEDERER, 1969).
Dans les années 1960, d'autres structures de recherche se mettent en place à
Madagascar. Une université est créée en 1960 à Antananarivo financée par la
France et dirigée par des universitaires français. Le gouvernement malgache
focalise sa politique de recherche sur les questions agricoles et réfléchit à la
définition d'une politique scientifique nationale avec l'appui des Nations unies
(HEMPTINNE et LIGNAC, 1967 ; ARIÈs, 1969).
L'achèvement du processus de décolonisation aboutira à une remise à plat du
système de la recherche nationale et à quelques exceptions près, notamment en
hydrologie, à la quasi-disparition progressive des programmes de recherche de
l'Orstom à partir des années 1972-1973. Devant faire face à un afflux massif
d'étudiants dans les années 1970-1980, les universitaires malgaches doivent
alors se concentrer sur les taches pédagogiques et administratives, délaissant
ainsi la recherche. Ceci est conforté après la politique d'ajustement structurel
qui gèle le recrutement des enseignants à partir de 1986 (CABANES, 2000).
En outre, l'expertise apporte des compléments de revenus plus substantiels
que les activités de recherche, peu valorisées dans le déroulement des carrières
universitaires.
Durant cette même période, le gouvernement malgache crée une série d'insti-
tuts de recherche spécialisés (Centre national de recherches sur l'environnement
- CNRE, Centre national de recherches océanographiques - CNRO, Centre
d'information et de documentation scientifique et technique - CIDST, etc.).
Une tradition scientifique ancienne, des chercheurs de bon niveau, un ministère
spécifique, des structures de recherche existantes, la participation à des collabo-
rations et réseaux internationaux, sont selon ROEDERER (1990) les points forts
de la recherche malgache à la fin des années 1980.

Il
Parcours de recherche à Madagascar

La redéfinition du paysage de la recherche malgache est passée par de nouvelles


formes de partenariat avec les chercheurs étrangers. Dans le cas de l' Orstom, de
nouveaux accords de coopération sont signés en 1986 et les chercheurs français
sont désormais affectés dans des structures opérationnelles malgaches, réalisant
des programmes de recherche conjoints. Devenu !RD en 1997, l'Institut continue
jusqu'à maintenant de pratiquer ce type de partenariat dans le cadre de program-
mes-cadres, définis tous les deux ans, avec le ministère de la Recherche malgache.

Présentation de l'ouvrage
C'est ce parcours de plus de soixante ans de recherche à Madagascar qui est
évoqué dans cet ouvrage à travers l'expérience de l'OrstomlIRD et de ses par-
tenaires. Auparavant, des fragments d'histoire de l'Orstom ont bien été livrés à
plusieurs reprises, lors d'essais individuels (GLEIZES, 1985) ou collectifs
(WAAST, 1995-1996). Il existe aussi des recueils de « témoignages de terrain»
de la part des « Orstomiens » (CHARMES, 1994) ou des recueils de souvenirs per-
sonnels consacrés à un pan de la recherche (ROEDERER, 1998). Lors du cinquan-
tenaire de l'Orstom, un « dictionnaire de 50 années de recherche pour le
développement» faisait le point sur les avancées scientifiques dans un certain
nombre de domaines (SABRIÉ, 1994). Mais, à notre connaissance, aucune tenta-
tive systématique d'une histoire générale de l'OrstomlIRD ni même dans un
pays ou continent particulier n'a été proposée à ce jour.
C'est dans cette perspective que s'inscrit notre démarche avant qu'il ne soit trop
tard. Comme indiqué précédemment, l'Orstom ayant connu une histoire mou-
vementée à Madagascar avec une absence de l'Institut de 1974 à 1985, les
auteurs des différents chapitres de cet ouvrage y ont pour la plupart vécu cinq
ou six années durant la période 1960-1973 et ont connu ensuite la période post-
1985, qui marque un tournant pour un véritable partenariat de recherche.
Malgré la remarquable base Horizons de l'IRD qui recense et met à disposition
les publications Orstom-IRD, il existe toute une littérature grise faite de rap-
ports de terrain, de publications dans des revues malgaches ou étrangères, des
mémoires et des thèses dont l'existence et les conclusions pourraient tomber
dans l'oubli sans leur mention dans les différents chapitres.
L'opportunité ainsi saisie fait que l'ouvrage proposé n'est pas issu de compé-
tences d'historiens ni d'épistémologues des sciences. Ces parcours de recher-
che, s'ils ne sont pas une histoire scientifique stricto sensu, n'en sont pas pour
autant des témoignages personnels ni des récits de vie. Ils sont avant tout des
visions de chercheurs sur l'évolution de leur discipline, à Madagascar mais
aussi dans le contexte scientifique plus général. Les auteurs de cet ouvrage sont
des OrstomienslIrdiens mais aussi, pour la grande majorité des chapitres, des
chercheurs malgaches qui ont contribué à cette aventure scientifique.

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Introduction

Dans un premier temps, trois chapitres dressent l'état institutionnel et l'organi-


sation de la recherche à Madagascar. Un premier chapitre présente le Fonds
Grandidier, recueil quasi systématique de toute la littérature et de toutes les
connaissances scientifiques accumulées jusqu'à la fin du XIXe siècle, somme
considérable ayant permis, et permettant toujours, aux chercheurs de se docu-
menter dans les domaines étudiés. Dans un deuxième chapitre, l'institutionnali-
sation et la politique de la recherche menées par les pouvoirs publics malgaches
depuis l'Indépendance sont retracées. Il sera question des liens organiques entre
la science et la politique de manière plus générale. Le troisième chapitre est
consacré à l'histoire institutionnelle de l'IRSM et de l'OrstomlIRD, mettant en
parallèle la politique française de recherche coloniale et outre-mer avec les
composantes spécifiques à Madagascar. Ce sera l'occasion de mettre en exer-
gue les aspects universels de la science et ceux liés aux contingences locales.
Dans un second temps, l'ouvrage comprend des chapitres qui retracent les che-
mins parcourus par les disciplines en resituant ces dernières dans un contexte
scientifique plus large mais aussi en montrant les spécificités et les voies origi-
nales qu'elles ont pu développer à Madagascar. Au-delà de l'évolution des thé-
matiques, des résultats et des découvertes, ce sont aussi les pratiques de
recherche ainsi que les modalités de collaboration entre les chercheurs malga-
ches et ceux de la coopération française qui sont relatées ici. Il est notamment
intéressant de suivre la transformation d'un système de recherche issu de la
colonisation et tourné vers les inventaires en un système moderne reposant sur
des structures institutionnelles nationales et sur des conventions de recherche
internationales menées en partenariat. Au total, l'ensemble des chapitres indi-
que, si cela était encore nécessaire, combien la science et la recherche ne peu-
vent être dissociées des conditions historiques et politiques des sociétés dans
lesquelles elles s'insèrent.
En fonction des disciplines, l'accent pourra être mis sur une période ou une
autre, particulièrement importante. Telle discipline pourra avoir connu ses heu-
res de gloire et ses grandes découvertes dans les années 1960, tandis que telle
autre pourra n'être apparue que dans les années 1980-1990.
Le découpage adopté au sein des chapitres reste le plus souvent chronologique,
la recherche à Madagascar étant ponctuée assez clairement, pour des raisons his-
toriques et politiques, par une série d'événements et de périodes bien identifiés:
avant la colonisation, pendant la colonisation, apparition de l'Orstom, départ de
l'Orstom, prise en main par les structures nationales, période d'ouverture et de
collaboration.
L'approche retenue n'est pas celle de l'exhaustivité, seuls les articles, ouvrages,
documents et résultats majeurs sont commentés et la bibliographie dans les cha-
pitres ne regroupe pas l'ensemble des publications. Ce travail complémentaire,
visant davantage à l'exhaustivité, est présenté sous forme d'un DVD-Rom en
exergue de l'ouvrage.
Les connaissances factuelles apportées par cet ouvrage de synthèse pourront
évidemment être mises à profit par l'ensemble de la communauté des décideurs,

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Parcours de recherche à Madagascar

experts et acteurs du développement à Madagascar. De surcroît, nous souhai-


tons que cette initiative puisse servir de point de départ à une extension, voire
une généralisation, de la démarche dans d'autres pays ou encore de manière
transversale à l'histoire d'une discipline ou d'un champ de recherche sur le long
terme, celui de l'existence de l'Orstom/lRD.

Bibliographie
ARIÈs P. PAULIAN R.
1969 - Madagascar. Documentation 1950 - L'Institut de recherche scientifique
scientifique Unesco, rapport de Madagascar. Madagascar,
1560IBMS.RD/SCP, Paris, 69 p. Cahiers Charles de Foucauld: 143-152.

BALANDIER G. PETITJEAN P.
1995 - « Science transférée, science partagée». 1996 - « Introduction ». In Petitjean P. (éd.) :
In Waast R. (éd.): Les sciences hors d'Occident Les sciences hors d'Occident au xxe siècle,
au XX" siècle, vol. 1, Orstom Éditions: 11-16. vol. II, Orstom Éditions : 7-11.
BONNEUfL C., PETITJEAN P.
ROEDERERP.
1996 -« Les chemins de la création de
1969 - Office de la recherche scientifique
l'Orstom du Front populaire à la Libération
en passant par Vichy, 1936-1945. et technique d'outre-mer. Frères d'Armes.
Recherche scientifique et politique Organe de liaison des forces armées
coloniale ». In Petitjean P. (éd.) : françaises, africaines et malgaches, 41 : 2-6.
Les sciences hors d'Occident au xxe siècle,
ROEDERER P.
vol. II, Orstom Éditions: 113-161.
1990 - La recherche scientifique
CABANES R. à Madagascar: passé, présent, avenir.
2000 -« Rapport Pays. Madagascar ». Madagascar océan Indien, 4: 99-110.
In Waast R., Gaillard J. (éd.) : La science
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Commission européenne, DG XII. 1998 - 20 000 lieues sur les mers.
Paris, Orstom, 115 p.
CHARMES J.
1994 - Mille et une histoires outre-mer. SABRIÉ M.-L.
Paris, Orstom. 1994 - Sciences au Sud. Dictionnaire
de 50 années de recherche pour
GLEIZES M.
le développement. Paris, Orstom, 167 p.
1985 - Un regard sur l'Orstom 1943-1983.
Paris, Orstom, 122 p. SABRIÉ M.-L.

HEMPTINNE Y. DE, LIGNAC F. DE


1996 -« Histoire des principes
1967 - Politique scientifique de programmation scientifique à l'Orstom
et développement national à Madagascar. (1944-1994) ». In Petitjean P. (éd.) :
Unesco, rapport 327IBMS.RD/SP, Paris, 75 p. Les sciences hors d'Occident au xxe siècle,
vol. II, Orstom Éditions: 223-234.
MOLLET S., ALLORGE-BOITEAU L.
2000 - Histoire du Parc botanique WAAST R. (éd.)
et zoologique de Tsimbazaza. Grenoble, 1995-1996 - Les sciences hors d'Occident
Éditions Alzieu, 146 p. au XX" siècle, Orstom Éditions, 7 volumes.

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45' E 50' E

Altitude

D >500m

D de200à500m

N
L
100 km

15' 5

HRA

20' 5

Tropique du Capricorne

25' 5

Carte générale de Madagascar

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Parcours de recherche
à Madagascar
LJRD-Orstom et ses partenaires

Éditeurs scientifiques
Christian FELLER, Frédéric SANDRON

IRD Éditions
INSTITUT DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT

Marseille, 2010
Préparation éditoriale
Yolande Cavailazzi

Mise en page
Bill Production

Maquette de couverture
Michelle Saint-Léger

Maquette intérieure
Pierre Lopez, Catherine Plasse

Coordination, fabrication
Catherine Plasse

Photos de couverture: {( Paysages de Madagascar»


De gauche à droite et de haut en bas: © IRD/J.-P Rolland, P Laboute, J.-P Rolland,
P Laboute, M. Grouzis, B. Moizo, B. Moizo, P Blanchon, B. Moizo, M. Grouzis, G. Giuliani,
B. Moizo, M. Grouzis, B. Moizo, M.-N. Favier, B. Moizo, C. Chaboud, B. Moizo

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© IRD,2010
ISBN: 978-2-7099-1695-0

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