Skounti
Skounti
Skounti
Ahmed Skounti
Institut National des Sciences de l'Archélogie et du Patrimoine, Rabat
1. Jean Baudrillard, “L’éphémère,” Utopie 1, mai (1967) (cité dans Jean Baudrillard, Le ludique et le
policier (Paris: Sens et Tonka, 1997), 11.
2. Vitruve, De Architectura, livre IX. Texte établi, traduit et commenté par J. Soubiran (Paris: Les
Belles Lettres, 1969).
3. Sigrid Baumbauer et Skounti Ahmed, Secrets du Sud marocain. Southern Moroccan Secrets
(Rabat: Éditions Marsam, 2006).
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4. Une étude de l’habitat rural de la Haute Moulouya, y compris les nomades Ayt Merghad de cette
région, a été réalisée par Michael Peyron, “Habitat rural et vie montagnarde dans le Haut-Atlas de
Midelt (Maroc),” Revue de Géographie Alpine 2 (1976): 327-63.
5. Ahmed Skounti, Le Sang et le sol. Nomadisme et sédentarisation au Maroc (Rabat: Institut Royal
de la Culture Amazighe, 2012).
6. Xavier de Planhol, Les fondements géographiques de l’Histoire de l’Islam (Paris: Flammarion,
1968).
7. Émile Laoust, “L'habitation chez les Transhumants du Maroc central,” Hespéris XVIII (1934):
149.
8. Robert Montagne, La Civilisation du désert. Nomades d’Orient et d’Afrique (Paris: Hachette,
1947), 237.
9. Laoust, “L'habitation,” 152.
10. Laoust, “L’habitation,” 168-9, en donne une liste exhaustive. Inversement, une partie de la
terminologie de la maison chez les Rehamna (tribu arabophone d’origine maâqilienne) du Haouz de
Marrakech est d’origine amazighe du fait, entre autres, de leur origine nomade et qu’ils faisaient appel
aux maçons amazighophones du Haut-Atlas.
11. Laoust, “L’habitation,” 226.
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14. Une devinette connue des nomades se rapporte à ces trois éléments: “snat tҵerrimin yutgen
amghar”-“Deux jeunes lles soutenant un vieillard.” Ahmed Skounti, “Tinezzra. Devinettes des Ayt
Merghad (Tamazight, Sud-Est marocain),” Études et Documents Berbères 10 (1993): 129-34.
15. En cas de pluie et de ruissellement, on creuse une rigole en forme de demi-cercle autour de la
tente pour évacuer l'eau.
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le haut, ijjyal et le bas, izdar.16 Le haut est l’espace des hommes, invités en
particulier, étrangers en général. C’est là qu’ils sont reçus sur des nattes et
–si l’hôte est aisé ou les visiteurs des notables– sur des tapis. En pareil cas,
un tissu est accroché aux deux poutres pour bien marquer la séparation avec
l’espace des femmes et assurer une relative invisibilité entre les deux espaces.
La séparation n’empêche pas les uns et les autres d’échanger les mots de
bienvenue ou d’obtenir des nouvelles de parents. Le bas est à la fois l’espace
des femmes et l’espace familial.
16. Sur le lexique berbère de l'opposition haut/bas, cf. E. Laoust, Mots et Choses Berbères (Rabat:
Société Marocaine d’Édition, 1983), 22-23, et Laoust, “L’habitation,” 169 sq. L’opposition intérieur/
extérieur renvoyant, dans une tente, à l’opposition féminin/masculin a été relevée, chez les nomades
Rgaybat, par S. Caratini, Les Rgaybat (1610-1934) (Paris: l’Harmattan, 1989), 106 sq.
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leur linge et attendaient qu’il sèche pour le remettre. Quant aux toilettes, les
nomades ont l’habitude prendre leur aise loin de la tente, en un lieu abrité des
regards, derrière un grand rocher, un arbre ou une colline, au bord d’un ravin.
En contrebas de la couche, se trouve le foyer almessi, simple trou
d’où l’on évacue régulièrement les cendres accumulées. Le foyer avait,
pendant longtemps, trois pierres, inyan, formant les extrémités d’un triangle,
remplacées, par la suite, par un trépied en fer, inyan n wuzzal. Dans les années
1950-60, avant la généralisation des allumettes, les cendres servaient à
conserver des braises utilisées à tout moment pour allumer le feu. Les femmes
assurent qu’à cette époque, les braises circulaient entre les tentes d’un même
campement ou parfois de plusieurs. La pratique a subsisté en cas de manque
d’allumettes lorsque celles-ci sont entrées dans l’usage.
À côté du foyer, dans le coin gauche, sur une structure de pierre, on
dépose les outres à eau, iyddidn (sg. ayddid) et en période de traite, la baratte
tagnart; à droite les ustensiles de cuisine ifechkan (sg. afechku). Non loin de
là, la meule manuelle, azerg, gît dans son coin, sorte de petite cavité creusée
en terre appelée alemghuz. On y dépose la meule sur la partie intérieure d’une
peau de mouton lorsque la femme y moud le blé ou l’orge. Dans l’autre angle
du bas de la tente, se trouve le bois de combustion utilisé pour cuire les repas
et obtenir les braises pour la préparation du thé. Le bois est recherche trois à
quatre fois par semaine par les femmes dans les environs de la tente. Il s’agit
de bois mort arraché aux arbustes ou ramassé à même le sol. Les crues des
oueds déposent parfois d’importantes quantités arrachés en haute montagne
et qu’il suft de prendre. Une fois son fagot formé, la femme le dispose sur
une corde qu’elle attache autour du bois et qu’elle enroule ensuite dans le
sens de la longueur du bois pour arrimer l’ensemble sur son dos avant de se
redresser pour marcher courbée jusqu’à la tente. Au-dessus de l’endroit où
elle dépose le bois mort à l’intérieur de la tente, une perche suspendue aux
extrémités à deux ls sert de perchoir aux poules.
Quand le vent ne soufe pas, on soulève le pan du côté droit de la tente.
Ce côté est la véritable “entrée” par laquelle on y accède. Le visiteur éventuel
est particulièrement tenu de respecter cette règle. Il est déconseillé d’accéder
à une tente par l’un des angles, surtout ceux du bas taggurt (pl. tiwura): ils
sont fréquentés par les poules et dans l’un d’eux le chien mange et passe la
nuit quand il ne fait pas le tour du troupeau. Dans la partie inférieure de ce
côté droit, un petit enclos en demi-cercle en pierre sèche est généralement
construit pour abriter un foyer secondaire qui sert en période de beau temps
pour préparer les repas. Il permet, en outre, de se débarrasser de la fumée qui
envahit la tente lorsque le foyer intérieur est utilisé.
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relever que ce même mot, amazir, désigne, chez les arabophones des plaines
atlantiques et dans le Souss, le fumier. Cela s’explique par l’accumulation
des déjections des troupeaux en ces endroits habités temporairement par les
nomades.
Enn, il n’est jusqu’au sol sur lequel les tentes sont dressées qui
n’intéresse le nomade Ayt Aïssa Izem. Il est, selon les nomades , de deux
sortes: achal iddern, sol vivant et achal immurtsen, sol mort. Ce qui les
révèle à l’entendement du nomade, ce sont les animaux. Dans le premier,
ils paraissent heureux, sautillent de joie, jouent entre eux, surtout les plus
jeunes. Ils sont gras, agiles; les femelles mettent souvent bas des jumeaux;
les agneaux et les chevreaux ne meurent pas en bas âge. Au contraire, dans
le second, ils ont l’air fatigués, ne manifestent aucune joie quand bien même
ils sont gras. Ils semblent comme éreintés. C’est pourquoi, les nomades ne
tardent pas à quitter ces lieux néfastes.
En dénitive, la tente nomade ne déroge pas aux règles principales de
l’architecture. Sa particularité est d’être mobile: elle peut être démontée,
transportée pour être remontée en un autre lieu. Une fois dressée, elle
acquiert toutes les caractéristiques d’une habitation humaine minimaliste.
Elle manque, en effet, de certains conforts comme les toilettes et une salle de
bain. Mais l’intérieur de la tente est, comme nous l’avons vu, divisé en deux
espaces principaux: le bas (izdar) et le haut (ijjyal). Séparés par les effets
divers entassés entre les deux montants sous la poutre faîtière, ils forment
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18. Eve Roy, “La question de la mobilité dans les représentations et expérimentations architecturales
en Europe de 1960 à 1975,” Rives méditerranéennes (2008) [Online], Jeunes chercheurs, mis en ligne
le 21 juin 2009, visité le 19 Avril 2016. URL: http://rives.revues.org/2693.
19. Yona Friedman, L’architecture de survie. Une philosophie de la pauvreté (Paris: Éditions de
l’Éclat, 2016).
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Bibliographie
Baudrillard, Jean. “L’éphémère.” Utopie 1 (1967), cité dans Baudrillard, Jean. Le ludique et
le policier. Paris: Sens et Tonka, 1997.
Baumbauer, Sigrid, et Ahmed Skounti. Secrets du Sud marocain. Southern Moroccan Secrets.
Rabat: Éditions Marsam, 2006.
Caratini, S. Les Rgaybat (1610-1934). Paris: l’Harmattan, 1989.
Feilberg, C. G. La Tente Noire. Contribution ethnographique à l‘histoire culturelle des
Nomades. Copenhague: Nordisk Forlag, 1944.
Friedman, Yona. L’architecture de survie. Une philosophie de la pauvreté. Paris: Éditions de
l’Éclat, 2016.
Hoffherr, R., et Moris, R. Revenus et Niveaux de Vie Indigènes au Maroc. Paris: Librairie du
Recueil Sirey, 1934.
Laoust, Émile. “L’habitation chez les Transhumants du Maroc central.” Hespéris X (1930):
151-253.
______. “L‘habitation chez les Transhumants du Maroc central.” Hespéris XVIII (1934):
109-196.
______. Mots et Choses Berbères. Rabat: Société Marocaine d’Édition, 1983.
Montagne, Robert. La Civilisation du désert. Nomades d’Orient et d’Afrique. Paris: Hachette,
1947.
Peyron, Michael. “Habitat rural et vie montagnarde dans le Haut-Atlas de Midelt (Maroc).”
Revue de Géographie Alpine 2 (1976): 327-63.
Planhol, Xavier de. Les fondements géographiques de l’Histoire de l’Islam. Paris:
Flammarion, 1968.
______. “Nomadisme.” Encyclopedia Universalis (1989), vol. 16, 388-90.