Rock Folk - Juillet 2023
Rock Folk - Juillet 2023
Rock Folk - Juillet 2023
BEN HARPER
PROTOMARTYR
Turner
THE MILK CARTON KIDS
THE DATSUNS
MAX ROMEO
QUEENS OF THE
STONE AGE
ALICE COOPER
PORTUGAL.
•••
THE MAN
ROSS HALFIN &
L 19766 - 671 S - F: 6,90 € - RD
juillet 2023
N°671 / 6,90 €
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MURAT
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NCAL(S) 1030 XPF
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Edito
Ça sent
le bestiaire
Tina Turner à présent.
Vincent Tannières
In memoriam
MAX ROMEO 22
Olivier Cachin
The DATSUNS 24
Eric Delsart
En vedette
ELLAH A. THAUN 26
Thomas E. Florin
ROss Halfin 42
Géant Vert
LE LABEL BYG 46
Eric Delsart
www.rocknfolk.com En couverture
Olivier Cachin & Jean-William Thoury TINA TURNER 52
couverture Photo : Jack Robinson/ Hulton Archive/ Getty Images 52 Tina Turner
RUBRIQUES edito 003 Courrier 006 Telegrammes 008 Disque Du Mois 061 Disques 062 Reeditions 070 REHAB’ 074 vinyles 076
DISCOGRAPHISME 078 HIGHWAY 666 REVISITED 080 Qualite France 081 Erudit Rock 082 Et justice pour tous 084 FILM DU MOIS 086
Cinema 087 SERIE du mois 089 IMAGES 090 Bande dessinee 092 LivRes 093 Live 095 PEU DE GENS LE SAVENT 098
Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&[email protected]
Président du Conseil de Surveillance Patrick Casasnovas Présidente du Directoire Stéphanie Casasnovas
Directeur Général Frédéric de Watrigant Editeur Philippe Budillon
Rédacteur en Chef Vincent Tannières (32 99)
Chef des Infos Yasmine Aoudi (32 94) Chef de la rubrique Live Matthieu Vatin (32 99)
Conseiller de la Rédaction Jérôme Soligny Maquette Christophe Favière (32 03) A collaboré à ce numéro Manuella Fall
Publicité : Directeur de Publicité Olivier Thomas (34 82)
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Diffusion : MLP – Rock&Folk est une publication des Editions Larivière, SAS au capital de 3 200 000 euros. Dépôt légal : 3ème trimestre 2023. Printed in France/ Imprimé en France.
Commission paritaire n° 0525 K 86723 ISSN n° 07507852 Numéro de TVA Intracommunautaire : FR 96572 071 884 CCP 11 5915A Paris RCS Nanterre B 572 071 884
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Courrier des lecteurs
”Je n’arrive pas à trouver d’excuse valable
pour une faute de goût capillaire aussi grossière”
Douilles, je me demande avec inquiétude si Pire to pire
ouille, ouille ! je n’ai pas contribué à inventer le Cher R&F, ton édito à base de ChatGPT
Si les éloges suite à l’annonce de mulet au moins dix ans avant que a réussi à me faire lâcher ma lecture.
sa disparition ont été nombreux, cette coupe de cheveux ne devienne Tu nous dis que ce texte est “sans
aucun n’a jamais, en tout cas pas à un élément du look des années âme” et “avec des ficelles un peu
ma connaissance, mentionné ce qui quatre-vingt. Je n’arrive pas à trouver grosses”, mais c’est bien pire, mon
contribuait à inscrire définitivement la d’excuse valable pour une faute de ami ! Toutes ces formulations utilisées
diva Tina Turner dans l’ordre du rock, goût capillaire aussi grossière” (Nick du type “expérience musicale unique”,
au même titre que les Bono, Roger Kent). “Je dois confesser une énorme “pouvoir de la musique à rassembler
Daltrey, Anthony Kiedis, Rod Stewart, honte : mes coupes de cheveux. J’ai les gens”, “célébration de la riche
Keith Richards ou Ozzy Osbourne. Et influencé des milliers de footballeurs histoire de la musique”, “langage
ses cheveux, alors ? Imaginerait-on de deuxième division avec mes universel qui transcende” sont des
Mick Jagger sans cheveux, comme cheveux longs derrière et courts poncifs qui sont un témoignage de
le suggérait un jour Noel Gallagher ? devant” (Bono). “Je ne cherchais notre époque où le “bien-pensant”
Eh bien pour Tina, il me semble que la pas spécialement à imiter les joueurs est érigé en modèle unique afin de ne
règle s’applique aussi... Réparation ? de hockey, ni même les Canadiens : pas effrayer le bourgeois, et donc qui
Par une mise en contexte... Faite c’était juste l’idée que je me faisais vise à booster les pubs et les ventes.
de citations. “C’est un accident qui d’une coupe punk. Je crois que je Tout est génial, tout le monde il est
m’a poussé à acheter ma première m’inspirais de David Bowie et de sa beau, on a la désagréable sensation
perruque. J’étais chez la coiffeuse, période “Pin-Ups” en remplaçant le d’entendre les jurys de The Voice en
et l’esthéticienne a laissé poser le roux par du brun et l’espèce de brosse sourdine, il ne manquait que “Ils nous
Excès de zèle décolorant trop longtemps. Mes sur le devant par une frange (...). Une ont embarqués dans leur univers”.
A propos de Gérard Pont, j’ai un cheveux, épuisés par les traitements, de mes plus grandes réussites, c’est Pouah... On est très, très loin du sexe,
souvenir ému de l’inauguration de la ont commencé à casser et tomber. Pas d’avoir inventé la fameuse coupe de la fureur et de l’énergie présents
plaque à la mémoire de Jean-Louis le choix, il fallait dissimuler les dégâts MacGyver” (Anthony Kiedis). “Même dans notre musique préférée. Et
Foulquier sur le site des Francos, sous une perruque (...). [Mais] comme aujourd’hui, il est encore possible maintenant, une petite expérience :
où on nous avait demandé de venir je ne voulais pas donner l’impression d’entrer chez n’importe quel coiffeur je vais au resto et je veux écrire à un
avec un verre. Le soir, un jeune que je portais un rideau de crins en Angleterre, de demander qu’on ami pour le lui conseiller. Eh bien,
contrôleur SNCF rentre à la Rochelle artificiels, j’ai appris à travailler les vous fasse ‘une Rod’, et il saura je reprends tout cela et ça devient
de sa première journée dans le TGV. perruques pour qu’elles semblent sans plus d’explication ce que une “expérience culinaire unique”,
Ses collègues lui demandent si ça plus naturelles. J’ai commencé par vous souhaitez” (Rod Stewart). “pouvoir de l’art de la cuisine à
s’était bien passé. Le jeune contrôleur effiler les cheveux (...). Ensuite, j’ai “Nous cherchons un guitariste rassembler les gens”, “célébration
répond : “Ouais, cool ! Juste un travaillé les volumes (...). J’achetais peroxydé” (Girl dans “Melody Maker”). de la riche histoire culinaire”,
vieux gars qui remontait sur Paris des cheveux de qualité supérieure ; Rudy Rioddes “langage universel qui transcende”
en première et qui n’avait pas sa à force de les sculpter et de les (y’a même rien à changer ici, c’est
carte Senior. Il m’a raconté qu’il était peigner, je me suis retrouvée avec dingue !). C’est inquiétant, et vous
chanteur. Je ne comprenais rien à ses les plus belles perruques du showbiz. Il est temps pouvez même essayer avec d’autres
explications, il devait être bourré, je On les portait sur scène, puis, après à nouveau... domaines, cela marchera tout autant.
lui ai mis une prune.” Ses collègues, le spectacle, on les lavait et on les Une lettre rédigée il y a quelque L’appauvrissement de la culture est
effondrés : “Il a mis une prune à mettait à sécher ; le lendemain, elles temps évoquait la fin de la FNAC en marche, avec un vocabulaire hyper
Higelin !” Les plus anciens savent étaient prêtes à reprendre du service” comme agitateur depuis belle lurette limité à ces expressions toutes faites
que Higelin était fils de cheminot (Tina Turner). “[Ma manageuse] savait (saperlipopette), ne les voilà-t-il répétées ad nauseam, et où le débat
et amoureux des trains (“Dans La aussi comment gérer mon image. pas avec une nouvelle campagne et la contradiction semblent absents.
Salle D’Attente De La Gare De Nantes”, Elle m’a rapidement fait quitter mon publicitaire où, sur fond de musique BRuno Swiners
“Entre Deux Gares”, “Rendez-Vous accoutrement crasseux que je portais d’un artiste devant payer ses
En Gare D’Angoulême”, etc.). du temps de Black Sabbath. C’était impôts, ils nous disent qu’il est
L’anecdote est authentique, les années quatre-vingt. Il fallait être temps à nouveau ? Mais de quoi, Nouvelle vague
bien sûr, je la tiens de ses collègues ! extravagant (...). Au moins, quand de slalomer entre machines à café Bravo pour le très bon article
Phil (L’Autre) quelqu’un montait sur scène avec et aspirateurs pour nous rendre d’Eric Delsart sur les Lullies !
une tignasse lustrée, il sortait de dans un rayon disques anorexique, Et nos amis des Lullies qui citent
l’ordinaire” (Ozzy Osbourne). “J’ai ou au rayon livres pas plus épais, le même comme influence Périphérique
Proposition commencé à me tartiner de pots et tout en reniflant les encens vendus Est ! Bref, un événement rock’n’roll
Après avoir visionné l’excellente série de pots de Dippity-do, un gel fixant par l’autre enseigne du groupe ! dans Rock&Folk, cela fait du bien !
(“George And Tammy”) consacrée au américain surpuissant. Tant que Ah, mais, stop, allons plutôt chez Sinon la chronique de l’album des
couple mythique George Jones et le public ne réclamait pas trop de le disquaire du coin, tous les jours Lullies à côté de celle de Daho,
Tammy Wynette, je me disais que rappels, une grosse noisette de cette sauf celui du Disquaire Day ! Et merci c’est marrant ! Ok, la nouvelle
ce serait d’actualité de consacrer gomina me conservait la raideur pour tout (il est temps à nouveau, vague du rock’n’roll francophone
au Caruso de la country une story. voulue pendant tout un concert” oui temps à nouveau, d’arrêter est là ! Ne passez pas à côté !
Et au vu de ses 400 références (Roger Daltrey). “J’ai découpé toutes de nous prendre pour des cons !). Blam
discographiques, une disco les photos de Keith Richards que j’ai Seb
sélective serait la bienvenue... pu trouver. Je les ai étudiées un petit
JEan-Philippe Terenne moment, puis j’ai sorti mes instruments
et, à grands coups de cisaille, j’ai fait
Ecrivez à Rock&Folk,
mes adieux à l’ère folk. Après quoi je 12 rue Mozart,
me suis fait un shampoing (...) et j’ai 92587 Clichy cedex
secoué mes cheveux pour les sécher. ou par courriel à rock&folk@
C’était une expérience libératrice” editions-lariviere.com
(Patti Smith). “A revoir ça aujourd’hui, Chaque publié reçoit un CD
Photo DR
son en mix Dolby Atmos. Il a Attaque et bien d’autres…
été confié aux bons soins du
producteur Giles Martin qui a Saint-Julien-en-Genevois cent recettes (à boire ou SERGE GAINSBOURG
supervisé l’opération à partir des (Festival Guitare en Scène) à manger) rock et metal à Le claviériste-arrangeur
bandes analogiques originales et et le 22 à Marciac. concocter soi-même. Alan Hawkshaw et ses
du mix mono original de Wilson. musiciens livrent la version
COGNAC BLUES FESTIVAL DR JOHN 2023 du chef-d’œuvre du père
THE BELMONDOS Du 4 au 9 juillet se tiendra “Dr John: The Montreux de Charlotte “L’Homme A Tête
Le quatuor parisien se défoulera la trentième édition du Years” renferme le meilleur De Chou”. Quarante-cinq ans
au Supersonic de Paris le festival blues à Cognac. Au des performances à Montreux après, et à partir des bandes
24 juin en compagnie de programme : Placebo, Marcus de 1986 à 2012, et du répertoire multipistes enregistrées à
The Soap Opera et Sexores. K, M, Chris Isaak, Buddy du Night Tripper... Déjà Londres en 1976, le nouveau
Guy, Robert Finley, Ayron disponible en CD, vinyle mixage propose un “rééqui-
JOE BONAMASSA Jones, Electric Ladyland... audiophile et numérique. librage des parties vocales et
Le virtuose parcourra les instrumentales”, en gardant
festivals de l’Hexagone en COOK’N ROLL ULTIMATE NICK DRAKE l’esprit d’origine, et sera
juillet. Il sera le 10 à Vienne Conçu par Audrey Basset, “The Endless Coloured Ways à découvrir le 23 juin.
(Théâtre Antique), le 18 préfacé par le guitariste de - The Songs Of Nick Drake”
à Carcassonne (Théâtre Gojira Christian Andreu, est la relecture de standards du GUNS N’ROSES
Jean Deschamps), le 20 à l’ouvrage propose plus de Britannique décédé en novembre Les Américains seront à Paris
le 13 juillet, Axl Rose, Slash
et leurs acolytes joueront
à la Défense Arena.
BUDDY GUY
Le bluesman revient
pour deux rares apparitions
au Cognac Blues Passion
et à l’Olympia (Paris)
le 11 juillet.
HALF JAPANESE
Jad Fair, dernier membre
historique du band,
réactive la formation
américaine de art punk
Half Japanese. Précédé
du single “It’s Ok”, le
vingtième album studio
BLUR “Jump Into Love”, douze
Damon Albarn, Graham titres captés aux quatre coins
Photo Reuben Bastienne-Lewis-DR
Jacky
Ceux qui regardaient du rock à la télé durant les seventies et les eighties
connaissent Jacky Jakubowicz, le joker foufou, faire-valoir d’Antoine de Caunes
dans Chorus, puis animateur du Club Dorothée et présentateur de Platine 45.
Recueilli par Olivier Cachin - photo william beaucardet
CE QUE L’ON SAIT MOINS, C’EST QU’IL FUT AUSSI, grand professionnel, qui m’a appris le métier. On était complices mais pas
À SES DÉBUTS, ATTACHÉ DE PRESSE POUR SERGE amis, j’avais vingt ans de moins et j’étais à son service. Il sortait tous les
GAINSBOURG, ALAIN BASHUNG, BOB MARLEY ET BIEN soirs, parfois il m’appelait, “Viens, on va dîner ensemble”, et on parlait de
D’AUTRES. Il nous reçoit dans sa petite maison en banlieue la vie. Il m’a amené partout, c’est grâce à lui que j’ai aimé la gastronomie,
mitoyenne de Paris et nous ouvre sa discothèque, avec en bonus il m’a présenté Jacques Dutronc.
des anecdotes pas dégueu, à la Gainsbarre. Alors on peut le
dire : Magnéto, Serge ! R&F : Comment s’est passée la rencontre ?
Jacky : Ça a collé tout de suite. J’ai un souvenir de Jacques à l’époque
de “Merde In France”, il devait passer à Platine 45 et il m’a dit : “J’ai
Rue de Verneuil une idée Jacky, on va aller dans une déchèterie, une vraie, j’en connais
ROCK&FOLK : On est dans votre discothèque personnelle, là… une à cinq kilomètres de Paris. Et je vais la faire visiter comme si c’était
Jacky : Ici, ce sont des coffrets de Johnny que je n’ai jamais ouverts… mon appartement.” Il a fait venir trois mannequins, très belles, il les a
J’ai des vinyles partout dans la maison. Le rangement est très rock’n’roll, mises dans une baignoire remplie de boue. Il a dit : “Voilà Jacky, c’est
quand je cherche un truc, je mets deux heures, mais je le trouve ! Tiens, ma salle de bains, il y a trois gonzesses.” Elles étaient à poil, bon on ne
j’en prends un au hasard… voyait rien, il y avait plein de boue, ça puait. A la fin on est parti sur le
camion poubelle. Un fou furieux, j’adore.
R&F : Aïe, Level 42 ! Et ici Blancmange, Thompson Twins,
Robert Palmer… Les années 1980, en somme.
Jacky : Il y a de tout, y compris les gratuits En marcel et en bermuda
des maisons de disques. J’ai tout gardé. R&F : Justement, vous sortez une compilation de votre émission
Mais j’ai aussi acheté plein de vinyles. Platine 45. Combien de temps a-t-elle duré ?
Les Injectés, tu connais ? Tiens, un Robert Jacky : C’était grâce à Pierre Lescure, en hebdo, et ça a duré six ans.
Gordon, il vient de décéder… J’habite J’ai eu tout le monde, surtout les Français. Il y avait aussi des comédiens,
ici depuis trente-trois ans, j’ai acheté notamment la troupe du Splendid que j’avais connue en 1972, avant le
la maison avec l’argent de la télévision. succès. Coluche, Gérard Lanvin, Martin Lamotte, Thierry Lhermitte,
Paris ne me manque pas, le 13ème arron- Michel Blanc, Josiane Balasko. Je lançais les clips avec eux, Michel
dissement est au bout de la rue ! Blanc était déguisé en fée, des trucs de dingue ! Isabelle Adjani, qui
a beaucoup d’humour, était venue faire
R&F : Quand avez-vous entendu vu “Beau Oui Comme Bowie”, et elle me dit
Gainsbourg pour la première fois ? qu’elle a envie de se déguiser en moi. Elle
Jacky : Je suis arrivé chez Philips en est venue sur le plateau avec mes habits et
1973, à vingt-cinq ans. Le directeur de la des creepers. Et elle m’a dit de m’habiller
promo m’a dit qu’il cherchait un attaché en beauf, du coup j’étais en marcel et
de presse. J’arrive rue de Verneuil, je en bermuda. Mylène Farmer aussi, elle
sonne, c’est Serge qui m’ouvre ! J’étais m’a bien eu. Elle avait un rouge à lèvres
déjà fan. J’ai commencé avec “Vu De très rouge et elle me dit : “Jacky, si tu es
L’Extérieur”, puis “Rock Around The d’accord, à chaque plateau, je t’embrasse :
Bunker”, “L’Homme A Tête De Chou”, “Aux Armes Et Cætera” et sur la joue, le front, le bout du nez”. Je dis oui, il y avait cinq plateaux
“Mauvaises Nouvelles Des Etoiles”. Chez lui ça va devenir un musée, et au cinquième, elle me demande — et ça, elle ne me l’avait pas dit
mais ça l’était déjà. Si tu déplaçais un objet de dix centimètres, il le avant — : “Jacky, est-ce que je peux t’embrasser sur la bouche ?” J’ai dit
remettait à sa place. Il avait l’air déglingué mais de l’intérieur il était oui, et elle l’a fait.
précis, maniaque. Ce qui nous a rapprochés, c’est notre judaïté, il était
ashkénaze comme moi. Il était hyper ponctuel, il ne fallait pas que le R&F : Une autre époque…
journaliste ait dix minutes de retard. Il me demandait toujours de lire Jacky : Oui. Je ne dis pas que c’était mieux avant, mais c’était autre
les articles du journaliste en question pour voir comment il écrivait. Un chose. Il n’y avait pas internet ni les réseaux sociaux. Je ne sais pas si on
JEAN-LOUIS MURAT
1952-2023 Celui qui n’hésitait pas à avouer son dégoût du présent
à la sortie de “Baby Love” en 2020, laisse une œuvre inachevée, à l’instar
d’Alain Bashung et de Christophe, mais qui compte d’ores et déjà parmi
les plus aventureuses, et par conséquent précieuses, de la pop française.
APRÈS DES DÉBUTS DISCO- je passe mon temps à fermer ma gueule.” Parmi les raisons de ce vrai ou supposé
GRAPHIQUES CONFIDENTIELS, Le mal-être qui sous-tend cette posture retard, quitte à passer pour réac’, il citait
BIEN QUE REMARQUÉS PAR grincheuse s’explique en partie par la le système sur lequel repose l’économie
CERTAINS CRITIQUES, EN 1981, sensation de ne pas être né du bon côté du spectacle vivant : “Je pense que le
JEAN-LOUIS MURAT DOIT PATIEN- de l’océan Atlantique. On se prend à rêver statut d’intermittent est une tragédie.
TER JUSQU’À LA SORTIE DU d’un Murat qui aurait grandi à Tulsa : Avant de bosser avec des gens, je leur
SIMPLE “SI JE DEVAIS MANQUER “Vu le tempérament et la mentalité que demande s’ils sont intermittents. Le coup
DE TOI”, SIX ANS PLUS TARD, j’ai, je pense que j’aurais pu tirer mon de poignard définitif, ça a été ce statut.”
POUR BRISER LE MUR DU SILENCE. épingle du jeu. Je me suis toujours senti S’il se sentait proche d’un Léo Ferré, trop
Celui qu’on a souvent résumé à son comme un poisson dans l’eau quand j’étais rares sont ceux ses contemporains qui
caractère parfois difficile et à ses là-bas avec les musiciens en studio. C’est trouvaient grâce à ses yeux pour ne pas les
origines auvergnates va alors élaborer difficile, dans la chanson française, quand citer : Les Rita Mitsouko et Bashung. Quant
un mode de communication qui, sans dans ton biberon tu as des choses américaines à nos voisins immédiats : “Entre Kraftwerk
être original, s’avérera diablement et que tu chantes en français. La langue et Adriano Celentano, je ne vois pas ce qu’il
efficace, à base de saillies dirigées prenait toujours le pas sur la musique.” y a eu de mieux en Europe, carrément.”
contre les médias, l’industrie du A défaut de suivre les traces de Neil Youg Ces derniers temps, on sentait ce Don
disque et ses collègues chanteuses ou de Tony Joe White, deux de ses héros, Quichotte du Puy-de-Dôme gagné par
et chanteurs, révélant un talent il lui faudra trouver sa place au pays du la nostalgie : “Je me rends compte que
de provocateur hors du commun. Top 50 : “J’ai toujours pensé que la chanson tout ce à quoi j’ai cru comme musique
L’écho de ses sorties fielleuses française était une impasse. Alors j’ai louvoyé depuis que je suis petit, depuis ma
contribuera à rendre son nom beaucoup, jusqu’à ces derniers albums, pour première écoute de Bob Dylan ou des
familier bien au-delà du cercle de essayer de résister. Mais je crois que c’est Rolling Stones, tout ça a vraiment disparu,
ses aficionados, mais n’ira pas sans une position intenable.” Et c’est un duo a été balayé, ça ne correspond plus à ce
quelques dérapages regrettables. enregistré en 1991 avec Mylène Farmer, qui est la réalité du monde. Alors on a
artiste établie de ladite chanson française l’impression d’être un peu décalé.”
s’il en est, qui lui offrira sa plus haute Auteur d’une œuvre ne comprenant
Ses héros incursion dans le Top 50. pas moins de trente-trois albums, en
Ces attaques tous azimuts n’étaient somme comptant les collaborations, les live et
toute qu’une ligne de défense pour cet autres compilations, il semblait vouloir
écorché vif qui déclarait : “J’ai toujours Nostalgie la poursuivre sous la forme d’un journal
été en butte à tout quand je suis arrivé à Comme ses aînés Bashung, Christophe ou intime : “Je commence à avoir envie de
Paris. Je me suis retrouvé rapidement être Manset, Murat dut se livrer à ce numéro faire des disques que je ne sortirai pas,
‘le bougon’, ‘l’Auvergnat’. J’en ai ras le bol d’équilibriste consistant à passer en qui sortiront dans vingt ou trente ans. Je
d’être toujours le Bougnat bougon. Je garde contrebande ses références anglo- pourrais vraiment faire ce que je veux en
de ces quarante dernières années à faire de saxonnes sans tomber dans le piège de donnant une date de sortie. J’en ai parlé
la musique un sentiment très désagréable. la chanson-rock : “Je n’ai pas envie de à mes enfants. Parce qu’on est obligé
C’est affreux.” Cette réputation de ronchon me faire enterrer avec tous ces ringards de faire des œuvres posthumes :
n’était pas usurpée, même si ces dernières de la chanson française pseudo-rock qui le présent est merdique !”
Photo Jean-Loup Sieff-DR
années, il en était arrivé à ce constat : “Un me dégoûtent plus que tout. La chanson Et à propos de postérité, il avait
artiste de province comme moi qui la ramène : française n’a pas suivi le mouvement, elle suggéré : “J’ai l’impression que sur
t’es mort. Je n’ai pas envie de mourir, je est déjà dans la voiture-balai de la musique ma pierre tombale il faudrait inscrire :
ne dis plus rien. Et ça enlève beaucoup internationale. Et comme j’aime être en ‘Chanteur français humilié constamment’.” H
de passion dans ce qu’on fait parce que tête, j’essaie de trouver des façons.” par Pierre Mikaïloff
Protomartyr Ils ont troqué la sophistication free jazz de “Ultimate Success Today”
pour une pedal steel. Les Américains ont-ils pour autant pris un tournant country ?
S’IL N’EST AUJOURD’HUI PAS UN “Formal Growth In The Desert” enregistré au
DES GROUPES LES PLUS POPU-
LAIRES DE LA SCÈNE ROCK INTER-
Creem studio Sonic Ranch, près d’El Paso, à quelques
pas de la frontière mexicaine. Un disque de
Depuis quelques mois, Joe Casey
NATIONALE, LE QUATUOR MENÉ collabore régulièrement avec “Creem”, résilience, qui parle de deuil, de croissance
magazine rock iconique de Detroit,
PAR LE CHANTEUR JOE CASEY récemment relancé. “J’apprends à dans la difficulté, et qui reflète le chemin
ET LE GUITARISTE GREG AHEE écrire !, blague-t-il. Au début j’avais émotionnel parcouru par Casey ces dernières
OCCUPE UNE PLACE À PART. C’est appelé ma rubrique ‘Detroit Sucks’ années. “L’album démarre sur ‘Make Way’ qui
en référence à un T-shirt que portait
un groupe influent, dont se réclament Lester Bangs, mais j’aime trop ma ville. parle de l’après-Covid et se termine sur ‘Rain
Idles et Shame, qui a initié depuis Ça s’appelle ‘Greetings From Detroit’. Garden’ qui traite de l’acceptation de soi et de
Detroit le revival post-punk qui secoue J’écris surtout sur des jeunes groupes de l’amour dans sa vie. Ce sont les deux pôles de cet
la scène locale. Il y a beaucoup de bons
depuis quelques années les scènes du combos garage punk en ce moment à album, et au milieu il n’y a pas forcément une
monde entier. Detroit”. Des recommandations ? “Dans histoire linéaire mais une collection d’émotions.
le genre, j’aime beaucoup Toeheads, un
girl group nommé Shadow Show, et aussi Même dans les moments les plus sombres quelque
Day Residue, un groupe art punk .” chose de drôle peut arriver. On peut avoir une
Punchlines journée ennuyeuse et soudain quelque chose
et aphorismes d’extraordinaire ou d’absurde se produit. Il y a
Leader bougon à la plume aiguisée qui nourrit va tourner comme des fous en 2020’. Et puis une chanson qui parle des Detroit Tigers sur cet
ses albums de ses humeurs contraires, entre tout ça nous a été enlevé, déplore Casey. Ne album. Une chanson sur le baseball ! La vie est
colère, résignation et quête d’un bonheur qui pas pouvoir tourner, c’est comme si le disque faite de choses diverses, et j’ai voulu mettre le
semble enfin s’offrir à lui, Joe Casey est un n’existait pas. Et financièrement, c’était dur. plus possible de vie dans l’album.” Sur la forme,
frontman singulier. Moins frontal que Joe On gagne de l’argent en tournant, pas avec le groupe a changé de direction également :
Talbot d’Idles, moins narquois que James Spotify. Ça a été un coup d’arrêt.” Un timing “Greg a toujours ces idées folles. Pour le dernier
Smith de Yard Act, toujours vêtu d’un costume désastreux, à plusieurs égards. “J’ai été très album c’était :‘Je veux mettre des musiciens
sur scène, il ressemble plus à un oncle ivre malade durant l’année 2019 et beaucoup des jazz dessus’ et bien sûr je me suis dit : ‘Quelle
mort qui vocifère à la fin du vin d’honneur qu’à thèmes de cet album parlent de mortalité et de connerie. Ça va être nous, essayant de faire du
une rock star. Ses punchlines saillantes et ses maladie. C’était le mauvais album à sortir au jazz. Ça va être naze.’ Et puis ça a fonctionné.
aphorismes en font un personnage des plus plus fort de la quarantaine alors que les gens Ça sonne comme un disque de Protomartyr,
attachants, d’autant qu’il se livre sans artifices étaient enfermés et s’inquiétaient de leur propre mais avec des musiciens jazz extraordinaires
sur chaque album. “Je parle de ce qui se passe santé.” qui improvisent dessus et ajoutent leur propre
dans ma vie, explique-t-il posément. Entre le truc. Et sur celui-ci, c’était : ‘Je veux mettre de
Covid, le décès de ma mère, les problèmes du la pedal steel partout’ parce qu’il avait composé
monde, j’avais des sujets lourds à l’esprit. Mais Mes funérailles des bandes originales pour des courts-métrages
il y avait aussi le fait que je me suis marié, que Ecouter cet album dans le contexte de pendant la quarantaine et, à force d’écouter
j’ai déménagé. Une nouvelle vie qui a coïncidé confinement a pourtant eu pour beaucoup Ennio Morricone, il est devenu obsédé par
avec le fait que le groupe soit revenu à la vie un effet cathartique, les thèmes abordés l’instrument. A un moment, on s’est demandé
alors qu’on avait presque décidé d’abandonner.” faisant écho aux angoisses de l’époque avec s’il n’allait pas nous écrire des chansons country
Les dernières années n’ont pas été tendres une acuité presque visionnaire. “Je serai et western avec des bruits de coups de fouet. Ces
pour Protomartyr qui a publié en 2020 un heureux d’abandonner mes dons de voyance si idées, passées au filtre Protomartyr, ne se font
album fabuleux au cœur de la pandémie. Avec j’arrête d’avoir raison !, s’amuse le chanteur. pas tellement ressentir au final. On n’en est pas
“Ultimate Success Today”, le groupe proposait La dernière chanson de cet album, ‘Worm encore à porter des chapeaux de cowboy.” H
Photo Trevor Naud-DR
son album le plus abouti, qui devait être celui In Heaven’, parle de mes funérailles. Là, j’ai
du succès, mais qui semble aujourd’hui voué à vraiment commencé à m’inquiéter de savoir Recueilli par Eric Delsart
rester culte. “On avait pris une année de pause à quel point j’étais bon à prédire le futur.” Le Album “Formal Growth In The Desert”
en 2019 pour l’enregistrer et on s’était dit : ‘On présent en tout cas pour Protomartyr, c’est ce (Domino)
“En théorie,
un super groupe
formé par
deux ringards”
The Milk
Carton Kids
Le plus beau duo folk/ americana depuis Gillian Welch/ Dave Rawlings,
Mark Olson/ Gary Louris, David Crosby/ Graham Nash, et même
Paul Simon/ Art Garfunkel ? Aussi bien que ça ? Peut-être encore mieux...
LES MILK CARTON KIDS FINISSENT mentaire consacré à la musique du film “Du fond du cœur.” Les bravos fusent. Il gra-
LA CHANSON, UNE DE CELLES DES “Inside Llewyn Davis” des frères Coen, touille sa guitare, poursuit sur sa lancée,
DÉBUTS, AU HASARD “NEW YORK”, pourra en témoigner. l’air de rien : “Franchement, si vous en avez
“MICHIGAN” OU “THE ASH & CLAY”. l’occasion, je ne saurais que trop vous con-
Une de celles de maintenant, au hasard seiller de vous trouver une activité où les gens
“Star Shine”, “Wheels & Levers” Pirouettes sont censés vous applaudir toutes les trois
ou “Running On Sweet Smile”. On Larmes silencieuses. Apnée généralisée. minutes. C’est extrêmement gratifiant.” Les
n’entend pas les mouches voler. Quand Dernière note. Explosion fracassante du public, Anglais appellent ça “la langue dans la
ces deux types chantent, même les le VU-mètre de la console rougit comme une joue” (tongue in cheek), traduction de pince-
mouches retiennent leur souffle. Les pivoine. Sur scène, les deux types saluent. sans-rire. Triomphe. Joey Ryan et Kenneth
deux voix s’accordent, les deux guitares Blasés ? “Jamais, non. Au contraire, ça peut Pattengale sont bons en tout. Les chansons
Photo David McClister-DR
se mélangent, les yeux se mouillent. nous prendre à la gorge. On a eu ça l’autre tristes et les pirouettes pour désamorcer le
Heureusement que les larmes coulent jour à Londres, pour la release party. Kenneth a truc et régénérer l’atmosphère.
sur les joues sans faire de bruit, sinon chialé.” Certaines ovations sont, ainsi, presque Depuis douze ans, le phénomène Milk Carton
ce serait un sacré vacarme. Marcus déstabilisantes. Dans ce cas-là, Joey s’occupe Kids n’a fait que grandir, six, sept disques, des
Mumford, pris sur le fait dans un docu- de tout. “Merci.” Applaudissements nourris. nominations aux Grammy, des aînés (T Bone,
Emmylou, Joe Henry) qui les prennent sous la ressemblance est moins nette. Simon & disque s’intitulant d’ailleurs “Retrospect” (une
leurs ailes, des critiques en pâmoison, dépassant Garfunkel était une superproduction sixties collection de chansons solos réinterprétées
le simple culte d’initiés pour devenir une force grandiose, presque emphatique, les Milk à deux) et le second, “Prologue”, avec leurs
incontournable du… du quoi, au juste ? “Joey Carton Kids sont une miniature du XXIème toutes premières collaborations. “En théorie,
nous décrit comme des néo-traditionnalistes folk, siècle sans enluminure, le reflet tout en un super groupe formé par deux ringards sans
pourquoi pas,” propose la droite de l’écran du sobriété (à de rares exceptions près) de leur aucun succès, ça ne peut pas exister… Pourtant,
chat vidéo. “Jamais dit un truc pareil, ça ne me performance scénique. “Il y a cinq ans, on c’est ce qu’on a fait, embraye Pattengale. Et c’est
serait pas venu à l’idée”, répond la gauche du a fait un disque avec onze musiciens et une sans doute pour cela que l’on ressent l’obligation
tac au tac. “Mais on s’en tape, non ? Quand on tournée dans la foulée… Mais il y a comme de protéger l’intégrité du truc miraculeux sur
me demande, je dis qu’on ressemble à Simon & quelque chose qui se met en travers de notre lequel on est tombé presque par hasard, quand
Garfunkel. C’est approximatif mais au moins, ça route quand on essaie de dépasser notre son, on a commencé à chanter ensemble.” “All
met une image dans la tête des gens.” comme si l’essence de ce que l’on fait, de ce que Of The Time In The World To Kill”, “North
l’on est, venait se rappeler à nous.” L’histoire, Country Ride” ou “Will You Remember
connue, est celle de tous les combos de voix, Me”, les miracles sont là, bien à l’abri, pas
Bruit de saphir celle de l’enfance des frangins Everly ou d’inquiétude à avoir de ce côté-là. Le nouveau
Ecouter “Sparrow” sur le fabuleux “Live From Wilson, celle de l’âge adulte de Stills, Nash et disque s’achève, mais il tourne encore. Bruit
New York City 1967” de Paul et Art donne Crosby quand ils ont harmonisé ensemble pour de saphir qui bute sur les sillons. Frissons.
en effet une assez bonne idée de l’esthétique la première fois, dans la cuisine de Mama Cass Silence. Voilà, ça y est, les mouches peuvent
des Milk Carton Kids, à ceci près qu’ils ont à Los Angeles. Sauf que Ryan et Pattengale ont recommencer à voler. H
tous les deux des guitares, tous les deux des tout fait à l’envers, les carrières solos d’abord, recueilli par Léonard Haddad
grandes chansons et qu’ils mesurent tous les la formation du groupe ensuite, la séparation Album “I Only See The Moon”
deux plus d’un mètre soixante. Sur disque, des biens avant le mariage, leur tout premier (Far Cry Record – Thirty Tigers)
Ben Harper
Inspiré par le “Nebraska” de Bruce Springsteen,
Ben Harper publie un album épuré jusqu’à l’os, son meilleur de longue date.
IL EST 9 HEURES DU MATIN A R&F : Quel regard portez-vous sur vos
LOS ANGELES ET BEN HARPER,
DE L’AUTRE CÔTÉ DE L’ÉCRAN,
Harper’s Bazar trente ans de carrière ?
Ben Harper : Même dans mes rêves les plus
La famille de Ben Harper possède
AVOUE ÊTRE DÉJÀ SUR LE PONT le Folk Music Center, magasin fous, je n’aurais jamais pu concevoir de durer
DEPUIS TROIS HEURES. A-t-il de musique, musée et lutherie, à aussi longtemps, et j’étais pourtant un grand
Claremont, en lisière du désert de
composé de la musique, tâté de sa Mojave, depuis soixante-cinq ans. “J’en rêveur. J’étais ambitieux mais mes ambitions
guitare Weissenborn ? “J’ai fait des ai été propriétaire pendant vingt-huit étaient tempérées par le fait que je me tenais
œufs pour les gamins, tranché des fruits ans, mon fils est la cinquième génération assis pour jouer, en l’occurrence de la lap
à y travailler. Je crois que c’est le plus
et préparé leur déjeuner pour l’école”, vieux magasin de musique familial du steel, et je ne pense pas qu’un joueur de lap
sourit le père de famille de cinquante- pays”, raconte Ben Harper. C’est entre steel se soit jamais dit : “Je vais faire trente ans
trois ans, avant d’expliciter la genèse ses murs qu’il fut repéré, enfant, par de carrière”. Jean-Pierre Plunier, mon mana-
le Français Jean-Pierre Plunier, qui fit
de “Wide Open Light”, un album folk passer ses démos quelques années plus ger, disait que c’était une rare opportunité
rempli d’espaces et de respirations qui tard aux maisons de disques et devint d’enregistrer, qui ne durerait peut-être qu’un
son manager. Le reste est de l’Histoire.
comblera les amateurs de son premier ou deux albums… Et beaucoup des musiciens
effort, “Welcome To The Cruel World”, que j’admirais n’avaient fait qu’une poignée
paru voici presque trente ans. nombre de morceaux que j’avais gardés d’albums, Jimi Hendrix, Robert Johnson,
dans un tiroir depuis une décennie, et pour Bukka White, Mississippi John Hurt... Je visais
lesquels j’attendais le bon moment, les bons donc haut mais le plafond était bas (sourire).
Gospel appariements.
ROCK&FOLK : En quoi “Nebraska”
a-t-il influencé ce disque ? R&F : “One More Change” baigne dans Reggae
Ben Harper : Ce fut une énorme inspiration : le gospel, une musique souvent présente R&F : Vous avez toujours le projet d’en-
la façon dont il sonne, cette sorte de production dans votre univers. D’où cela vient-il ? registrer un album de reggae ?
par omission. Le rappel qu’une voix et une Ben Harper : C’est quelque chose qui Ben Harper : J’ai toujours voulu en faire
guitare suffisent. Je voulais montrer que ça m’intrigue beaucoup. C’est comme si le gospel un, mais je vais prendre mon temps. J’ai
restait pertinent à notre époque où tant de se rappelait à moi, sans que je sache pourquoi. enregistré une chanson avec Ziggy Marley,
musiques reposent sur des productions très Certaines choses doivent rester mystérieuses “Spin It Faster”, basée sur le son traditionnel
denses. On l’a enregistré dans mon sous-sol, pour demeurer sincères, j’imagine. J’ai écrit des Wailers, j’ai beaucoup aimé ça, mais cet
et dans deux autres studios de Los Angeles, “Power Of The Gospel” à vingt-quatre ans, album doit être totalement original ou bien
dans la solitude et l’isolement. On a laissé les je ne sais pas d’où ça venait mais ça m’em- je ne le sortirai pas. J’ai quelques chansons
chansons respirer et briller. portait quelque part. Enfant, j’écoutais le finies… Le titre “Jah Work”, sur “Fight For
Golden Gate Quartet, les Soul Stirrers de Your Mind”, pourrait être le modèle à suivre,
R&F : Parlez-nous des instrumentaux qui Sam Cooke, les Blind Boys Of Alabama, un ce mélange de sonorités acoustiques et de one
ouvrent et referment l’album. peu de Mahalia Jackson, Aretha Franklin, drop (style de batterie propre au reggae où le
Ben Harper : Je voulais saisir un peu de Big Mama Thornton, qui avait du gospel en premier temps n’est pas marqué, ndr). Il faut que
l’esprit de Taj Mahal, ainsi qu’un peu de elle. Mais je n’allais pas écouter ces gens en je parvienne à ce niveau sur dix chansons…
celui de John Fahey ou Leo Kottke, qui ont concerts, mes parents m’emmenaient plutôt Mes albums favoris ? “The Harder They Come”,
si joliment établi des ponts entre les pickers voir Bob Marley, Taj Mahal, Toots And The les deux premiers Toots And The Maytals,
des années 1930 et 1940 et ceux des années Maytals. Mon père avait de la famille à South “Natty Dread”, “Talking Blues”, “Legalize It”,
1960 et 1970. J’ai toujours aimé cette façon Central, à Los Angeles, et quelquefois, alors le premier Bunny Wailer, les enregistrements
de jouer. Je n’avais plus ouvert un album avec qu’on leur rendait visite le week-end, je me des Skatalites. Mais je ne veux pas répéter leur
Photo Michael Halsband-DR
un instrumental depuis le premier, et je n’en faufilais jusqu’à l’église au coin de la rue, tout son non plus, je veux trouver mon reggae. Il
avais jamais terminé un de cette façon. Les seul. Personne là-bas ne me disait rien, les faut une urgence, de l’âme, le reggae n’est pas
titres jouent un rôle de bornes qui m’intéresse gens pensaient que j’étais avec l’une ou l’autre quelque chose de léger, c’est de la sorcellerie. H
car je conçois toujours la musique sous des familles. La chorale était extraordinaire ! recueilli par Bertrand Bouard
forme d’album. Celui-ci compte d’ailleurs Album “Wide Open Light” (Chrysalis/ Modulor)
MAX ROMEO
Révélé en 1968 avec le single “Wet Dream”, censuré par la BBC
pour ses paroles explicites, le Jamaïcain est entré dans l’histoire du reggae
avec un classique roots produit par le génie Lee “Scratch” Perry, “War Ina Babylon”.
A 78 ANS, CE GÉANT DE LA MUSIQUE et ne produisent rien ! Au moment de la aimait vraiment ce disque. Les Rolling Stones
JAMAÏCAINE SE LANCE DANS SA session, ils sont dans un motel avec des filles, ont un lien privilégié avec la Jamaïque. J’ai
DERNIÈRE TOURNÉE et sort un album ils reviennent quand les musiciens ont joué et passé du temps avec eux, ce sont de bons gars.
dans lequel il reprend quelques-uns de ses disent : “OK, sur les dix instrus que vous avez
classiques, mais aussi “My Way” et des joués, je vais en sortir trois”. Ils laissent les
titres inédits, avec des invités prestigieux musiciens travailler, les chanteurs poser leur Porter le message
dont Julian Marley, Capleton et Marcia voix, et ils mettent leur nom dans les crédits. R&F : Vous auriez pu avoir un impact
Griffiths. Rencontre parisienne avec une Coxsone Dodd, le boss de Studio One, était semblable à celui de Bob Marley après
légende. connu pour ça. Il n’a jamais su écrire une son décès…
foutue note de musique ! Max Romeo : Bob lui-même me l’a dit. J’étais
venu le voir à son hôtel et au moment de partir,
Rester ordinaire R&F : Vous avez travaillé avec Keith alors qu’il ne donnait jamais de poignée de
ROCK&FOLK : Quand avez-vous décidé Richards et les Rolling Stones, comment main — il tendait son poing et le portait au
de devenir chanteur ? cela s’est-il passé ? cœur —, il m’a tenu la main pendant cinq
Max Romeo : Très tôt. J’étais un gamin Max Romeo : Un de mes amis connaissait minutes et m’a dit : “Écoute, celui qui peut
fragile, trop peureux pour voler et trop faible Keith, et je suis allé le voir à New York, au porter le message, c’est toi. Ne les laisse jamais
pour bosser, donc j’ai choisi la facilité. J’aurais studio Electric Lady, pendant les sessions te dire le contraire”. Trois mois plus tard, il
pu être prêcheur ou chanteur, j’ai préféré la de l’album “Emotional Rescue”. Les Stones nous quittait.
musique. n’étaient pas satisfaits de la chanson “Dance”,
et quand je suis entré dans le studio, Keith R&F : Quel est votre souvenir de concert
R&F : Beaucoup d’artistes jamaïcains, a dit : “Oh, voilà Max Romeo, on va pouvoir le plus marquant ?
dont Bob Marley, ont disparu préma- boucler le morceau !” Alors j’ai chanté des Max Romeo : C’était en Israël, je jouais dans
turément. A quoi attribuez-vous votre harmonies vocales dessus. Et comme il a adoré un festival au milieu du désert où, m’a-t-on
longévité ? les chansons de mon album “Holding Out My dit, il n’avait pas plu depuis quatre ans. Et
Max Romeo : Mon secret, c’est ma vie de Love To You”, il a posé des lead guitares sur au moment où je monte sur scène, la pluie
famille. Je ne recherche pas les sensations plusieurs titres. Ce son rock sur mes morceaux, commence à tomber ! Les gens sont restés, et
fortes, je ne me drogue pas, je ne bois pas et c’est Keith ! On a pris des photos qu’on a mises le show était magnifique.
je ne sors pas le soir. Je ne recherche pas le au verso de la pochette pour montrer qu’il
succès commercial comme Bob, ça me va de R&F : Les Jamaïcains produisent-ils
rester ordinaire. C’est comme ça qu’on dure. toujours des disques vinyles ?
Quand on devient une superstar, votre vie ne Samplé 42 fois Max Romeo : C’est fini, les gens gravent
vous appartient plus. Selon le site whosampled.com, le titre des CD de mauvaise qualité, les usines de
mystique de Max Romeo “Chase The vinyles ont fermé. Sauf celle de Tuff Gong,
Devil” a été samplé dans 42 morceaux
R&F : Vous avez travaillé avec Lee par des artistes aussi variés que Jay Z, mais elle presse uniquement des rééditions
Perry, un des plus grands producteurs Cage The Elephant et la Française de Bob Marley.
de reggae, sur l’album mythique “War Tal. Mais le sample le plus fameux
reste celui du groupe électronique The
Ina Babylon”. Prodigy en 1992, dans “Out Of Space”, R&F : Le reggae dancehall digital, ça
Max Romeo : Oui, et à l’époque, on n’avait qui affola les rave-parties de l’époque. vous plaît ?
Outrage ? Scandale ? Pas pour Max
pas le budget pour du gros matos, Lee travaillait Romeo : “Ça m’a fait connaître du Max Romeo : Un mec qui bricole un riddim
avec une console quatre-pistes, et il avait un public techno, ce qui est une bonne avec deux doigts sur son ordinateur, c’est nul.
autre quatre-pistes dans son cerveau, donc ça chose, et je n’en veux aucunement à Et le contenu sexuel me déplaît. La plupart de
Prodigy. Je n’ai été au courant que
en faisait huit, ah ah ! Lee Perry était un génie, quatre ans après la sortie du disque car ces artistes font du blanchiment d’argent sale
il me manque tellement. Lui, il faisait tout : je n’écoute pas de techno. Ça a donné et jouent les caïds, c’est ça la réalité. H
réalisateur, ingénieur du son, coauteur. Pas une nouvelle dimension à mon morceau, Recueilli par Olivier Cachin
et ça m’a rapporté un peu d’argent”.
comme ces escrocs qui se disent producteurs Album “The Romeo Legacy” (Utopia Records)
de John-Paul Jones pour son successeur ‘Il est temps maintenant’, mais bien sûr, il ne l’album est arrivé, on a fait cette vieille astuce
“Outta Sight/ Outta Mind”. Un choix qui s’est pas passé grand-chose non plus en 2021. sixties : on voulait qu’elle soit plus rapide, alors
paraissait fûté mais qui n’a malheureusement Cette tournée est l’occasion un peu tardive pour on a accéléré la bande. On n’arrivait pas à
pas donné les fruits espérés, les Datsuns le groupe de présenter l’album sur scène.” retrouver cette version. Du coup, on a raté la
se trouvant engoncés dans une production La situation géographique des membres du date anniversaire. On prend le temps de bien
zeppelinienne qui ne leur seyait guère. Le band n’a rien arrangé non plus. “Je vis à faire les choses. On retravaille l’artwork, on
grand public s’est alors désintéressé du combo, Stockholm, Christian à Tokyo, et Phil habite va ajouter des faces B, les sessions chez John
qui a poursuivi son chemin avec des disques dans une petite ville nommée Thames, en Peel, pour faire quelque chose de spécial”. H
tous recommandables : “Smoke & Mirrors”, Nouvelle-Zélande. Ben (Cole, nda) a décidé Recueilli par Eric Delsart
ELLAH A. THAUN
Dix ans que le quartette de Rouen a une influence occulte sur l’underground français.
Et si, au lieu de dessiner la marge, le groupe tournait en fait la page ?
Recueilli par THOMAS E. Florin
L’HUMAIN N’ÉTAIT PAS FAIT POUR CELA. Après tout. reconnait enfin cette présence déjà croisée chez Jeffrey Lee Pierce
S’il y a un créateur, il nous avait tout juste donné de quoi ou Courtney Love, ou toutes ces autres personnes si pures qu’elles
marcher, monter aux arbres, cueillir, survivre difficilement en devenaient un danger. Alors, quand cette silhouette grandit, la
comme primate de l’ouest du continent africain. Mais il y dingue du groupe explose et, au-dessus du grunge, se déverse sans
avait ce cerveau si plastique, si adaptable, alors il y eut la ordre d’apparition break metal, chansons de crooner, attitude Elvis,
chasse, les outils, le feu, les voyages, les tribus, les langues, les refrain des Beach Boys, couplet de Charles Manson. La porte vient
rythmes, la musique, la peinture, les rituels, les vêtements, les d’être ouverte et c’est une fois passée que l’on voit qu’au-dessus était
maisons, les villages, les ponts, les monnaies, les peuples, les écrit “Exit”.
bateaux, l’écriture, les monuments, les routes, l’expansion,
l’expansion et la domination, les régimes, les rois, la mystique,
leurs histoires et mystères, cette complexité injectée dans Une faille chimique
nos cerveaux à coups d’idées que l’humain avait créées Nathanaëlle Eléonore Hauguel est une grande fille, c’est donc une
ou découvertes, et tout cela nous a transformés. En quoi ? très grande fille qui nous rejoint devant la cathédrale de Rouen. On
3 500 955 années après son apparition, l’humain diffusait marche, très peu, elle nous a amené un cadeau. Dans la seule rue
sur vinyle noir le son de lui-même faisant un bruit étrange, de cette ville où les bâtiments datent du XXIe siècle, Nathanaëlle
un bruit de ferraille qui cahote, une voiture lancée sur les sort le vinyle de “Neuromantique” et nous montre : “La pochette du
routes de terre. Alors l’humain se mit à se comporter lui- premier Ellah A. Thaun était ce visage qui émergeait des flammes
même ainsi : sauvage, cahoteux, en fuite perpétuelle, et la d’une cheminée, une photo inversée que j’ai trouvée dans la rue.” Nous
civilisation se modifia une fois de plus. C’est toujours ainsi : sommes maintenant assis, du lait d’amande est mélangé à du café.
l’humain se retourne vers ses œuvres quand il a reçu un choc “Sur celui-ci, c’est une montagne, retournée également, dont les glaces
ou se sent dans l’impasse et doit changer pour sa survie, et coulent vers le ciel, et pour ‘Arcane Majeur II’, le dernier, c’est une plage
là, aujourd’hui, dans ce moment, dans cette ornière, dans cet traversée par une faille chimique.” Le lait bleuté transforme le noir
ennui, il va falloir que l’humain se tourne vers Ellah A. Thaun. au fond de la tasse en mordoré. “Le feu, la glace, l’eau… Je ne suis
pas très forte en alchimie mais...” On rit : toute matière se transforme,
toute conscience s’altère. C’est ce mouvement que l’on appelle la vie.
La roue du hasard “Mes parents se sont rencontrés sur le maxi de ‘Ceremony’ de New
C’est un groupe comme il en pousse tant dans les caves de la province Order qui, si tu écoutes son mixage, invente en un très court instant le
française, un champignon d’Alice, “et celui-ci te rendra plus petit, shoegaze.” On parle de filtre de reverb qui s’inverse avant de revenir
et celui-ci te rendra grand”, et celui-là te rendra fou ou te fera tout au salon familial. “Nous étions du Havre, mon père était informaticien,
oublier. Alors Ellah A. Thaun, née de la magie et du chaos, fait tourner ma mère tirait les cartes, et dans notre salon, il y avait un poster
la roue du hasard et à son écoute, les gens changent mais ne savent de Psychic TV.” Nathanaëlle vit une enfance heureuse : “Il y avait
jamais en quoi. Certains explosent en sanglots, d’autres produisent ‘Batman’, ‘Chair De Poule’, bientôt Giger et Clive Barker, mes VHS de
trop d’endorphines, un a mangé une ampoule, et qu’importe : la films d’horreur ; puis Korn passait sur MTV” les Smashing Pumpkins,
transformation a lieu car le groupe lui-même s’est transformé. “jusqu’à ‘Marquee Moon’ de Television, où je découvre un groupe de
Ellah A. Thaun pourrait être un groupe de grunge comme il y en a rock à guitares qui tente de tout faire, sauf du rock.”
tant dans les caves de France, mais quand ils montent sur scène, que
la musique prend la place qu’elle réclame, que ces gens prennent la
lumière et que leur aura gonfle de toute leur vie passée, ce que l’on Violence quotidienne
Photo Pascale Cholette-DR
voit, on ne l’a jamais vu. “Elle devenait un ange” dit parfois ce poseur Puis, chacun a eu son moment, son point de non-retour, son champignon
de Nick Cave en parlant de Nina Simone, mais quand la silhouette de magique. “J’avais dix-sept ans, j’étais dans mon lit, légèrement stone,
Nathanaëlle Hauguel s’approche du bord de la scène, cette silhouette je lisais ‘Last Exit To Brooklyn’ de Hubert Selby et est arrivée Tralala,
qui évoquait quelque chose depuis le début du concert, quand elle une prostituée transsexuelle camée. Voilà : j’ai compris ce que je voulais
chante “Sister Sister” ou “Plasticflower” ou “Sign And Wander”, on être.” Nathanaël se sent alors pousser des “l” terminés par un “e”.
– … C’est du cut up en fait... la physique, sont aussi plus belles” du prix Nobel Robert Penrose, et il
– … Oui, c’est du cut up... y a la musique de ce groupe qui, avec le temps, en s’approchant d’une
– … Qui s’est intensifié avec l’arrivée du sampler dans la formation... forme de vérité invisible, s’embellit et délivre quiconque la suit. H
– … On a dû apprendre à jouer ces chansons comme elles sont sur le disque...
– … Comme cette fin où l’on joue ‘Sister Sister’... Album “Arcane Majeur II” (Kids Are LoFi/ Modulor)
Portugal.
The Man
Carton planétaire un peu avant le covid, “Feel It Still” a propulsé
le groupe de l’Alaska vers des sphères qu’il n’imaginait pas approcher un jour.
Boostés et résilients comme jamais, John Gourley et sa bande reviennent
avec leur album le plus accompli depuis “In The Mountain In The Cloud” en 2011.
recueilli par Jerome Soligny
ET SI C’ÉTAIT ÇA ÊTRE ROCK EN 2023 ? Savoir chanter pour rien qu’il a changé la musique de Kanye West… Sa manière de
sans logiciel, composer comme un petit chef à la guitare ou jouer les accords, ses renversements sur le clavier… Ça a l’air simple,
au piano, écouter les battements et les moulins de son cœur, mais c’est tellement intéressant.
jouer en live sans bandes ni ordi, et soutenir, en parallèle, des
causes environnementales et humaines. Peut-être pas pour R&F : “Chris Black Changed My Life” n’occulte pas ce qui
sauver la planète ou des gens qui, souvent, ne le méritent pas, se passe dans le monde, mais il donne l’impression de surfer
mais pour que le passage dessus ait servi à quelque chose. John dessus en adressant des pieds de nez à l’adversité.
Gourley, jeune quadra désormais basé à Portland avec femme, John Gourley : Effectivement, il y a toute cette génération, ces jeunes
jolie gamine et copains, coche toutes ces cases. Et on l’a vu à qui on explique que tout est foutu, que la fin est proche. D’un autre
arriver de loin, ce moustachu à l’œil vif, à la voix de rossignol, côté, on vit avec cette impression depuis longtemps et il faut faire avec.
qui se dépense sans compter, qui vit avec son époque et sait Rien qu’au cinéma, il y a un nombre incalculable de films catastrophe
ce qu’il doit au bon vieux temps. On devinait que tôt ou tard, qui évoquent la fin du monde au point que ça pourrait passer pour un
bien décidé et bien entouré comme il l’est, il accoucherait truc cool. Perso, j’ai pris mon pied à en regarder certains…
d’un chef-d’œuvre. C’est chose faite. “Chris Black Changed
My Life” va marquer son histoire, et par chance la nôtre. On R&F : Mais en ce moment, la réalité rattrape la fiction.
sait, depuis février, qu’il sera l’album de 2023. Tout le monde John Gourley : Oui, j’ai des amis qui m’ont demandé : “Bon, tu es prêt
ne sera pas d’accord ? Mais c’est encore mieux ! Rares sont les pour la troisième guerre mondiale ?” Dans ces moments-là, je pense
disques cruciaux du rock qui ont fait l’unanimité à leur sortie. à mon père qui m’a toujours dit : “Ne te fais pas de souci. On prédisait
Le temps est du côté de Portugal. The Man, et donnera raison à des catastrophes quand j’avais ton âge et on est encore là.” Vous savez,
ceux qui ont cru en ce groupe un peu dingue depuis ses débuts, il ne faut pas oublier d’où Portugal. The Man vient, en l’occurrence de
il y a presque vingt ans, lorsque dès le titre d’ouverture du l’Alaska. Lui comme moi avons tiré des leçons de nos origines. On sait
premier album, John posait la question qui tue : “D’où viennent dealer avec certains sentiments, on connaît l’importance de la famille,
les taches des léopards ?” des proches. Avec du soutien, on peut faire face, on peut même donner
des réponses en créant. C’est ce que j’ai appris avec mon ami Chris
Black, décédé…
Proche de la dépression
ROCK&FOLK : Bon, c’est quoi ce disque ? Une explosion R&F : Et qui a donc inspiré l’album…
sensorielle ou bien ? John Gourley : … Il savait regarder à travers moi. Il ne m’aurait
John Gourley : En vérité, tout vient du temps que j’ai passé à jouer jamais dit quelque chose d’insignifiant comme : “Eh mec, c’est cool, tu
Photo Maclay Heriot-DR
avec Jeff Bhasker. Faire de la musique, pour moi, c’est partager quelque as décroché un Grammy !” Il me scrutait, ne parlait pas pour rien…
chose, aller en studio avec des gens vraiment créatifs, capables d’attraper Pendant la pandémie, nous avons été beaucoup à partager l’idée que
ce qui flotte dans l’air… Tout est né de jams avec Jeff. Il faut savoir nous vivons dans un petit monde à l’intérieur du vaste monde et, en
que c’est un maître des synthétiseurs, un véritable sorcier, ce n’est pas dehors de ce petit monde, tout est effrayant.
R&F : Vous avez pris énormément de plaisir à faire ce ressentir les choses, de voir en grand. Quand je pense à David Bowie,
nouvel album et il semble aussi avoir été une expérience je le vois dans l’espace en train d’écrire des chansons, quand je pense
particulièrement émouvante. à John Lennon et Paul McCartney, je les imagine en plein trip en train
John Gourley : Oui et pourtant, lorsqu’on crée aujourd’hui, en de chercher des sons.
étant guidé par ses émotions, ça peut être dangereux. On trouve une
belle suite d’accords, qui peut paraître familière, puis on compose R&F : Le covid a fait patiner le monde, a volé des années aux
une mélodie dessus, et ça devient quelque chose d’original. Je dois gens, dont les artistes. L’âge vous fait-il flipper ?
avouer que j’ai trouvé très bien l’attitude de Ed Sheeran qui vient de John Gourley : Pas du tout ! Mon père doit avoir soixante-quinze ans
gagner face aux ayants droit de Marvin Gaye (à cause d’une indéniable aujourd’hui, mais il donne l’impression d’être dans la fleur de l’âge
similitude des grilles harmoniques de “Think Out Loud” et “Let’s Get It depuis qu’il en a soixante !
On”, Sheeran avait menacé d’arrêter la musique s’il perdait ce procès,
nda). Les accords sont à tout le monde et je trouve aberrant que certains R&F : Comme Edgar Winter donc, que vous avez invité sur
essaient de s’approprier leur agencement. Ceux qui cherchent à aller au “Champ”. Comment s’est passée cette rencontre ?
tribunal pour des similitudes pas toujours flagrantes menacent le futur John Gourley : J’ai commencé cette chanson en tournée, à Amsterdam,
de la musique. Les disques de Marvin Gaye ou ceux de David Bowie je crois. Le texte, assez introspectif, est une sorte de réflexion à propos de
sont comme les chapitres d’une histoire que d’autres sont désireux la vie ; il m’est venu en pensant à deux membres de notre équipe technique
de raconter à leur tour. Et ces artistes ne se limitent pas à une suite qui sont évidemment des amis. Et curieusement, en travaillant sur ce
d’accords. Ceux qui viennent après eux peuvent très bien avoir envie morceau, j’avais l’image d’Edgar Winter qui revenait sans cesse… J’avais
d’utiliser les mêmes accords et de continuer à raconter l’histoire. même l’impression d’entendre sa voix dans ma tête. Puis la chanson a
évolué, a pris une autre tournure et, en travaillant dessus, j’y ai retrouvé
des éléments de “Dying To Live” (sur “Edgar Winter’s White Trash”, le
Mick Ronson deuxième album du musicien américain avec
“Tout ça
R&F : Sans même parler de l’aspect ce groupe, nda). Et donc, j’ai suggéré qu’il
financier, le succès de “Woodstock”, et intervienne sur “Champ” et qu’il y chante
surtout de “Feel It Still”, a-t-il changé quelques vers de son morceau. Il déboule en
beaucoup de choses ?
John Gourley : Eh bien, ça m’a énormément est arrivé studio avec son keytar (un synthétiseur avec
une sangle qui se porte comme une guitare,
naturellement,
appris et ça a boosté ma confiance. Pour en nda) autour du cou et il trimballe toute son
revenir à ce que l’on disait, je savais que la expérience avec lui. Pour moi, sa présence
mélodie de “Feel It Still” en rappelait une sur l’album est une sorte d’adoubement, une
des Marvelettes (un choix clairement assumé
puisque les auteurs et compositeurs de “Please sans qu’on manière d’affirmer sa valeur, sa puissance.
force quoi
Mr. Postman” ont été crédités, nda), mais j’ai R&F : Winter a une carrière incroyable
voulu ajouter ma pierre à cet édifice… La et, comme vous, il considère que la
structure de “Feel It Still” est différente car musique est une aventure qui se vit à
elle est plus simple. Mais c’est tout ce dont,
dans ma petite tête, j’avais envie et besoin. On
ne sait pas, quand on entre en studio, qu’on va
que ce soit” plusieurs.
John Gourley : Oui, et il dit que son meilleur
groupe date de quand il vivait pratiquement en
y faire un tube. Cette fois-là, j’ai senti qu’on tenait quelque chose, mais communauté avec ses musiciens. Ça m’a rappelé l’époque, celle de nos
ça m’était déjà arrivé par le passé (rires). De même, nous avions eu un premiers albums, où on était en studio vingt-quatre heures sur vingt-
avant-goût de la sensation qu’on éprouve quand une chanson marche quatre. On dormait par terre et je me réveillais en pleine nuit avec l’envie
avec “So American”, “Sleep Forever” ou “Modern Jesus”. Ce dont je d’écrire quelque chose. Sur “Chris Black Changed My Life”, j’ai retrouvé
suis le plus fier, c’est que tout ça est arrivé naturellement, sans qu’on cet esprit en travaillant, par exemple, uniquement avec Kyle (O’Quin,
force quoi que ce soit. le claviériste de Portugal. The Man, nda) ou juste avec Jeff. D’ailleurs
en faisant le disque, j’ai souvent imaginé David Bowie, Tony Visconti et
R&F : Au fur et à mesure que le disque défile, il prend une Mick Ronson en train de concocter “The Man Who Sold The World”. Il y
autre dimension… Les morceaux perdent en ironie ce qu’ils a des sonorités dessus qui n’ont pu naître que parce qu’ils mettaient tout
gagnent en émotion. en commun. Personne n’avait approché la guitare comme Mick Ronson
John Gourley : Juste avant le confinement, j’ai eu un souci de santé. avant lui. Ça sonnait parfois étrange, mais c’est exactement ce qu’il fallait.
Un problème à la mâchoire. Un médecin m’a demandé quand je me
l’étais cassée. Bien sûr, je n’ai pas su quoi lui répondre car je n’avais pas R&F : Bon, en attendant, le live, c’est pour quand ?
le souvenir de ça. Je suis un gamin de l’Alaska un peu casse-cou, mais John Gourley : Eh bien, aux USA, on a été parmi les premiers à sortir
pas à ce point (rires). Bref, c’était grave et le fait d’avoir donné tous ces du bois après la pandémie et on a vu que pas mal de jeunes groupes
concerts depuis deux décennies n’avait rien arrangé. Toujours est-il que commençaient à sérieusement occuper le terrain. La scène hardcore est
j’ai été opéré et il a fallu stabiliser ma mâchoire pendant des mois… Je en train d’exploser et il y a aussi de jeunes artistes comme Steve Lacy
n’ai pas pu parler correctement pendant près d’un an et demi. J’avais du ou Boygenius… Toujours est-il que je réfléchis actuellement à une
mal à m’alimenter et à un moment, j’ai même craint de ne jamais pouvoir façon différente de présenter Portugal. The Man. Mais ce qui est sûr,
rechanter. Et donc, j’ai enregistré certains titres du disque, notamment c’est que j’ai envie de jouer l’album d’un bout à l’autre, certainement
les derniers, “Plastic Island”, “Doubt” et “Anxiety:Charity” en me dans des endroits comme le Hollywood Bowl, Radio City ou Red Rocks.
tenant la mâchoire. Par endroits, ma voix est plus douce que d’habitude.
R&F : N’oubliez pas qu’on a aussi pas mal de chouettes salles
R&F : L’art de tirer parti des difficultés… pour vous accueillir en France.
John Gourley : Oui, je crois que c’est la même chose pour tous les John Gourley : On sait et on compte bien vous rendre visite
artistes dont les œuvres capturent un moment de leur existence. En prochainement. Vous n’y couperez pas (rires). H
cela, beaucoup de disques sont des concept-albums. J’ai besoin de Album “Chris Black Changed My Life” (Warner)
faire de disque violent” son ex-compagne Brody Dalle (chanteuse et guitariste des
Queens
Distillers) se déchirent dans une bataille judiciaire qui fait
le bonheur de la presse américaine et seulement le sien. Les
enfants du couple, principaux enjeux de cette bagarre, voient
passer les balles. L’histoire rebondit sans cesse, de mesures
d’éloignement en accusations de violences conjugales. Bref,
une sale histoire. Cela explique en partie pourquoi il a fallu
Of The
attendre si longtemps avant que les Queens Of The Stone
Age ne publient ce huitième effort. Autre explication à ces
atermoiements : la fébrilité. “Villains”, leur dernier album,
avait déçu. Trop pop. Trop alambiqué. Amphigourique. Cette
fois, il fallait retrouver le goût du danger.
Enregistré entre le studio de Rick Rubin à Malibu et celui
Stone
de Josh Homme à Burbank, “In Times New Roman…” est
un grand geste rock. Un disque remonté. Vicieux. Inventif.
Antidaté. Parfois même, éprouvant. Le bruit d’un groupe qui
avance en rang serré autour de son imperator dont personne ne
dispute le commandement. D’ailleurs en face, la concurrence
est inexistante. Qui aujourd’hui veut encore jouer avec
Age
l’électricité ? Faire griller les enceintes ? Pas grand monde.
Quand il apparaît sur notre écran, depuis son désert natal,
Josh Homme arbore une élégante barbe Van Dyke désormais
aussi blanche que rousse. Son sourire laisse apercevoir une
incisive en or. “J’ai laissé la vraie dans une bagarre aux
poings.” Nous voilà prévenus. Ni la cinquantaine, ni les
déboires familiaux n’ont apaisé le rockeur. Adorable teigne.
Derrière lui, une ombre passe. “Ça, c’est Jon (Theodore,
Six ans après leur dernier album, ndr), notre batteur. Mais il n’a pas le droit de parler” explique
le frontman, décidément taquin. Depuis Los Angeles, Dean
les Reines du désert reviennent avec Fertita, guitariste touche-à-tout qui a rejoint le groupe en
un disque effrayant. Dix chansons 2007, est aussi en ligne. Mais il n’a pas plus de chance d’en
aussi brutales que tendues, comme placer une. Josh Homme n’est pas loquace, c’est un torrent
ininterrompu de paroles. Un débit de prédicateur qui annonce
crachées à la face du monde. une conversation intense. Ce disque, il y tient. Il veut le
défendre. Heureux hasard, on est là pour ça.
recueilli par Romain Burrel
034 R&F JUILLET 2023
ROCK&FOLK : Commençons par la fin. L’architecture R&F : Le titre de l’album, “In Times New Roman…”, on se
de “Straight Jacket Fitting”, le titre qui clôture l’album, doute bien qu’il ne s’agit pas d’un hommage typographique.
est incroyablement baroque. Neuf minutes de catéchisme C’est quoi l’idée ?
électrique. Une envie de filer un coup de tête dans la structure Josh Homme : J’ai l’impression qu’on est en train de revivre la
immuable des chansons ? Rome Antique avec tout ce que cela suppose d’horreur et de majesté.
Josh Homme : Selon moi, c’est l’emblème de ce nouvel album. Est- Il faudrait rouvrir le Colisée et en faire une version 2.0. Assumer
ce encore une chanson ? C’est presque un court-métrage. La chanson toute cette violence.
n’obéit à aucune règle. Pas de refrain, pas de couplet. Un pur paysage
de guitares et de mots. Avec les gars, on appelle ce genre de titres
nos cuirassés. Des compositions bien lourdes. Sur scène, il faut savoir C’est trop tard
les dégainer au bon moment. Vous ne pouvez pas déployer tous vos R&F : D’où un titre, “Sicily”, avec ces cordes grandioses dignes
navires de guerre, ni aligner les uns trop près des autres. d’un péplum ?
Josh Homme : En général, je n’aime pas trop les cordes. Tout le monde
R&F : C’est une chanson sur l’Apocalypse. La fin du monde, en fout partout. Mais cette chanson est calligulesque. Très sexuelle. Dans
c’est une inquiétude ? le sexe, j’aime le lien étroit entre la domination et la soumission. Je
Josh Homme : Disons que c’est un sermon adressé à la Terre. On est voulais que le morceau reflète ça. Très tôt, on a compris que le disque
tous ensemble sur le Titanic et ça me va. Ce n’est pas nécessairement serait brutal. Et vous en conviendrez avec moi, plus personne n’ose
un truc négatif. Ok, il ne nous reste plus beaucoup de temps avant faire de disque violent. Tout le monde veut sa place dans “le paysage
qu’on ne touche l’eau. Alors on fait quoi ? On danse le tango avant de sonore moderne, linéaire, calibré”. J’avais envie de percer ça avec une
sombrer ? Ou on s’envoie des huîtres et de la vodka au bar ? lame. Mais les guitares sont si lourdes qu’il nous faut un contrepoint.
Jouer avec les contrastes. Comme un orchestre de chambre qui, par
R&F : Ok, mais vous filez la métaphore. Sur “Made To endroits, piraterait notre musique. J’ai appris ça avec Iggy Pop. Quand
Parade”, vous chantez ceux qui “tuent la dernière baleine on bossait sur son album “Post Pop Depression”, j’avais envie que les
sur des yachts en fourrure”. Josh Homme écolo ? cris d’Iggy soient si puissants qu’ils recouvrent tout. Quand il hurle
Josh Homme : Les Queens Of The Stone Age ont un slogan : “TONIIIIGHT !” sur “In The Lobby”, je voulais que sa voix nous crève
“Ignoring The World’s Problems Since 1997”. Il y a assez de tensions les tympans. J’avais repris l’idée pour l’intro de “Villains”. Elle est si
et de peurs dans ce monde pour qu’on n’en rajoute pas. Je ne suis calme que vous vous sentez obligé d’augmenter le volume mais c’est
pas là pour dicter au public ce qu’il doit faire ou penser. Ça ne veut un piège ! Et quand le son explose, vous êtes baisé, c’est trop tard.
pas dire pour autant que je porte sur le monde un regard apathique.
Vous me dites “changement climatique”, je vous réponds “intelligence R&F : Vous avez dû filer des sueurs à l’ingénieur du son…
artificielle”. Et je crois que je n’aime pas trop ça non plus. Nous Josh Homme : Vous ne croyez pas si bien dire. Quand on a poussé
savons tous que nous disposons d’un temps limité. Et c’est un mec les potars dans le rouge, le technicien du studio s’est mis à gueuler :
Photo Andres Neumann-DR
qui a failli crever plusieurs fois mais que la mort n’a jamais réussi à “Je refuse d’être responsable de la destruction des enceintes !” Putain,
coincer qui vous le dit (rires). Je ne suis pas tourmenté par l’idée de mais pourquoi pas ? (Il frappe sur la table) Si on le fait, les gens ne nous
ma propre mortalité. Au contraire, ce qui rend l’existence magnifique, oublieront jamais ! C’est ça notre boulot. Pourquoi la musique ne pourrait
c’est qu’à un moment, ça se termine. Je ne veux pas me contenter de pas être effrayante ? Pourquoi ne pourrait-elle pas nous jouer de sales
laisser défiler les Noël. Je veux tirer profit du temps qui m’est imparti. tours ? Nous prendre à revers ? Moi, c’est ma façon de dire “Je t’aime”.
R&F : La musique, c’est la même émotion qu’au départ ? un lambeau de peau. C’est le prix. Pour rendre ce travail tolérable, il
Josh Homme : Plus ou moins. Je n’ai jamais cherché à rassembler. faut que je romance les choses. Ma musique n’est pas une putain de
Dès le départ, j’ai voulu faire un groupe clivant. D’où le nom “Queens psychothérapie. Mais la ligne est mince, j’en conviens. Je dois à la
Of The Stone Age”. A l’époque, c’était pour décourager les racistes, fois me livrer et ne pas trop me prendre au sérieux. Et c’est pareil pour
les misogynes et les homophobes de se pointer à nos concerts. Mais les gars du groupe. On ne vous demande qu’une seule chose : donner
désormais, ma seule promesse c’est : “On ne vous dira pas ce que vous tout ce que vous avez. J’ai eu mon lot de souffrance et de moments
devez faire. On va baisser les lumières et vous offrir l’opportunité d’être sombres. Dans la vie, j’ai fait pas mal d’erreurs. Si mon expérience
vous-mêmes, personne ne va vous dicter votre conduite ici.” peut permettre à quelques personnes d’éviter de traverser ne serait-ce
que cinq minutes de ce que j’ai vécu, c’est déjà ça de pris.
R&F : Meg White des White Stripes a été traînée dans la boue
parce qu’elle ne jouait pas comme un métronome…
Josh Homme : Mais qui a envie d’une musique qui fasse “clic” ?
Pour l’amour de Dieu, il faut que l’énergie décolle ! On s’en fout
que ça bave, que ça se désaccorde. Les Rolling Stones ont toujours
su tirer profit de leurs erreurs. Quand tu les entends jouer “Honky
Tonk Women”, ça commence avec un tempo précis mais à la fin du
morceau, les mecs déboutonnent leur pantalon (rires) !
une énorme poupée gonflable qui aurait trop servi (rires). être un paria parmi les parias. Les ténèbres font partie de la vie. Nos
Dean Fertita : Un jour on était en bagnole et tout d’un coup, la concerts doivent refléter ça. Même si parfois, j’aimerais jouer pour
musique s’est emparée de Josh. Il s’est garé et a écrit la mélodie dans une foule qui comprend un peu mieux le concept d’ironie.
son téléphone. Il était comme possédé.
Josh Homme : Je me souviens d’une des dernières fois où j’ai atterri
au poste de police. Comme je commençais à m’embrouiller avec un Le chiffre trois
autre mec, les flics m’ont collé tout seul dans une cellule. J’étais là, R&F : Pendant longtemps, QOTSA a été une auberge
assis sur le banc à taper du pied et fredonner parce que, à l’intérieur, espagnole. Mais depuis “…Like Clockwork”, la structure du
ça jouait fort (il tape contre sa tête). La flic de garde cette nuit-là est groupe est stable. Vous avez trouvé la bonne formule ?
venue m’engueuler : “Hé. C’est quoi ton problème ? T’es défoncé ?” Josh Homme : J’aime le chiffre trois. C’est le chiffre magique. Un, c’est
Photo Andres Neumann-DR
J’ai répondu: “Non M’dame. On s’ennuie ferme ici. Alors je groove.” un point. Deux, c’est une ligne. Trois, c’est un motif. Je crois que cette
La musique est partout. Y’a qu’à se baisser. trilogie est achevée. Il va falloir qu’on se réinvente. T’en penses quoi Dean ?
Dean Fertita : Eh bien, si le Titanic doit couler, n’ayons pas peur de l’eau.
R&F : Mais qu’aviez-vous fait encore pour vous faire coffrer ? Josh Homme : Exactement. Soyez prêts à nager, motherfuckers. H
Josh Homme : (rires) Peut-être que je devrais éviter d’être trop Album “In Times New Roman…” (Matador)
Alice Cooper
Warner célèbre le demi-siècle de la consécration d’Alice Cooper en rééditant
des versions remastérisées de deux classiques du groupe. Respectivement parus
en novembre 1971 et juin 1972, “Killer” et “School’s Out” allaient scandaliser
l’Amérique et la vieille Europe, puis propulser la formation au faîte des charts.
La mise en scène outrancière des shows donnés à l’époque et les écarts de conduite du
chanteur ont parfois occulté l’exemplarité du songwriting et les arrangements géniaux
de ces deux disques, aussi cruciaux aujourd’hui qu’à l’aube des années soixante-dix.
recueilli par Jerome Soligny
LA SCÈNE DEVAIT VALOIR SON PESANT DE CACA- même public (à qui la débauche de violence ne fait pas peur) que
HUÈTES. Ou de nourriture pour reptiles. Fin juin 1972, un celui du MC5 et des Stooges, terreurs du même coin. Shep Gordon,
camion s’approche de Piccadilly Circus. C’est l’heure de manager convaincu du potentiel commercial du groupe (à condition
pointe et le véhicule, qui roule au pas, finit par s’immobiliser. qu’en studio, un producteur parvienne à canaliser ses débordements
Rapidement, ce carrefour, en plein cœur de Londres, qui et en fasse des atouts), suggère d’enregistrer “Love It To Death” avec
connecte Regent Street, Shaftsbury Avenue et d’autres rues Jack Richardson, alors façonneur du son de The Guess Who. Basé à
plus petites, est englué, congestionné. Des conducteurs Toronto, Richardson est loin d’avoir été séduit par ce qu’il a entendu
klaxonnent, d’autres descendent de leur voiture. Comme les d’Alice Cooper et, persuadé que celui-ci détestera le groupe en live, il
piétons, ils s’agglutinent autour du camion. Sur le plateau dépêche son assistant, Bob Ezrin, à New York. Ezrin assiste au concert,
derrière la cabine, un énorme panneau publicitaire visible des subjugué (et certain que “I’m Eighteen” est un tube en puissance). Sa
deux côtés. Plus exactement, une photo géante, signée Richard vie en sera changée à jamais. Excellent musicien, arrangeur émérite (on
Avedon, d’Alice Cooper, alors chanteur du groupe américain lui doit notamment les enjolivements de “Berlin”, de Lou Reed, et du
du même nom. Alice en noir et blanc, allongé sur le dos dans le premier — le meilleur — Peter Gabriel), il va, purement et simplement,
plus simple appareil, avec un boa en guise de cache-sexe. Effet faire de Furnier et ses acolytes un des groupes les plus remarquables de
bœuf garanti. La presse arrive de partout, shoote et filme le la première moitié des années soixante-dix. Drivés mais pas domptés,
tumulte. Le chauffeur explique à la police que son camion est enthousiastes et inspirés comme peu d’Americains au même moment,
en panne. Mais bien sûr, il ne l’est pas. Sommé de circuler, il Alice Cooper et la formation d’origine vont enregistrer quatre 33 tours
quittera les lieux avec son attelage au bout d’une grosse demi- magistraux avec Bob Ezrin, jusqu’au top décadent “Billion Dollars
heure de confusion. Pas grave, le mal est fait. Le coup de pub Babies”, numéro 1 de chaque côté de l’Atlantique au printemps 1973.
va fonctionner. Le soir même, Alice Cooper fait l’ouverture des Oui, en pleine ère glam, en pleine Bowiemania, que le Coop’ traversera,
journaux télévisés anglais. Le 30 juin, Wembley sera sold-out. un pack de Budweiser coincé sous une aile, un serpent sous l’autre,
comme un vilain vautour. C’est déjà une autre histoire (qui précède celle
d’Alice en solo — sans le groupe, mais toujours avec Ezrin et Gordon)
Vilain petit canard sur laquelle d’autres rééditions nous donneront, à moins qu’on nous
Comme Tom Petty et ses Heartbreakers quelques années plus tard, guillotine avant, l’occasion de revenir. Pour l’heure, et afin d’évoquer
c’est à Los Angeles, ville fantasmée depuis leur province (Phoenix, ces deux disques ébouriffants, le principal intéressé a donné au journal
Arizona), que Vincent Furnier (chant), Michael Bruce (guitare), Glen une interview exclusive de plus.
Buxton (guitare), Dennis Dunaway (Basse) et Neal Smith (batterie) vont
se faire remarquer. Par Frank Zappa, un dingue, comme eux, qui les
signe sur son label. “Pretties For You” et “Easy Action”, dans les bacs Les films d’horreur
en 1969 et l’année suivante, sont deux ovnis totaux, à la fois pop, rock ROCK&FOLK : Avec “Killer” et “School’s Out”, à quel point
et prog, que cette bande de chevelus baptisée Alice Cooper (Furnier avez-vous senti que le groupe enclenchait la vitesse supérieure ?
adoptera légalement le patronyme un peu plus tard) défend sur scène à Alice Cooper : Avec le recul, j’estime que le passage de “Love It
Photo Barrie Wentzell-DR
la moindre occasion. Mais sur la côte Ouest, au crépuscule des années To Death” à “Killer” s’est fait plutôt naturellement. C’est “Love It To
hippies, la musique et l’attitude provocante du groupe, réputé pour Death” qui nous a permis de trouver notre public, alors qu’avec nos deux
vider les salles où il se produit en moins de trois morceaux, rebutent un précédents albums, on était davantage dans la veine des groupes cinglés
max. Alice Cooper décide alors de se replier dans le Michigan (Furnier à la Frank Zappa. Ce disque nous a permis de cerner notre identité
est originaire de Detroit) et va se frotter avec davantage de succès au musicale. Pour ce qui est du look, on l’avait déjà (rires). Quand Bob
méchant arrogant,
capable du pire,
mais avec un sens
de l’humour énorme”
Ezrin est arrivé, il nous a littéralement disséqués, démembrés. Puis il a
remonté le groupe, comme il a pu (rires). A cette époque-là, on entendait
deux mesures des Doors et on savait que c’était les Doors. Idem pour
les Rolling Stones. Grâce à “Love It To Death” et à ce que Bob Ezrin
nous a apporté, les gens ont commencé à reconnaître notre musique.
La punk, celle d’un méchant dans les films, la claire, celle d’un
BYG
BYG, C’EST AU PREMIER ABORD UN
CHOC ESTHÉTIQUE AVEC LA SÉRIE
“ACTUEL” QUI A FAIT LA LEGENDE
DU LABEL. Des pochettes au design
magnifique qui frappent à première vue :
un cadre blanc avec liseré gris autour d’une
photo, ou un visuel psychédélique, un nom
d’artiste, un titre — tout en minuscules
—, un numéro encadré sous la mention
“Actuel”. Et ce logo triangulaire gris,
Records
surnommé la pyramide du free jazz, qui
rappelle étrangement le logo de Motown.
Un design réalisé par Claude Caudron, qui
influencera de nombreux autres labels (à
l’image de Sacred Bones), pour des disques
à la pointe de l’avant-garde. Du free jazz à
Le magnifique catalogue du plus la musique électronique balbutiante et au
rock progressif le plus aventureux. Durant
mystérieux et expérimental des labels les quelques années de son existence,
français est de retour dans les bacs. BYG portera haut et fort le pavillon de
l’underground libertaire et demeure une des
Photo DR
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Archie Shepp et Jean-Luc Young Art Ensemble Of Chicago
publie ainsi des albums de Charlie Parker, John Coltrane et Charles jazz avant-gardiste. Karakos sait que Philippe Constantin, qui désire
Mingus sous le nom de “Jazz Masters Serie”. La première véritable monter un label free-jazz pour EMI, s’y rend pour rencontrer les
production de BYG sera le groupe blues rock français Alan Jack artistes. Il échafaude alors un plan pour accueillir les artistes à la
Civilisation, produit par Giorgio Gomelsky, producteur emblématique sortie de l’aéroport, les héberger à l’hôtel George V grâce à une des
du Swinging London et manager des Yardbirds, qu’il connaissait par combines dont il avait le secret, et les faire signer sur son label. A
l’entremise de Brigitte Guichard (future coordinatrice d’Amougies). l’époque, les artistes de la communauté afro-américaine subissent
Un 45 tours (“Shame On You”), puis un album (“Bluesy Mind”) qui aux Etats-Unis le contrecoup des émeutes de Watts de 1965 qui ont
ne marchent pas vraiment. Karakos l’imputera plus tard aux abus de essaimé partout dans le pays en 1968, et ils se voient fermer beaucoup
LSD du pianiste pour son échec. de portes. La France ayant toujours été un havre de paix pour les
jazzmen noirs, notamment entre les deux guerres, ceux-ci saisissent
l’opportunité de quitter l’Amérique de Nixon. Le coup de génie du
Coup de génie label fut alors d’inviter tous ces artistes — le saxophoniste Archie
Ce n’est que lorsque le label lancera sa série “Actuel” — du nom Shepp, l’Art Ensemble Of Chicago — à enregistrer des morceaux dans
du magazine underground de l’époque — qu’il prendra son essor et le studio parisien Davout durant des sessions marathon (où même
trouvera son identité, son âme free jazz et avant-gardiste. À l’époque, Delcloo participera, tout comme Didier Malherbe, saxophoniste de
“Actuel” se veut le pendant français de l’ “International Times” de Gong) avant de repartir aux Etats-Unis. Il résulte de ces deux mois
Londres ou “Oz” de New York, des magazines de contre-culture aux de furia free jazz des dizaines de disques saisis sur le vif qui forment
idées avant-gardistes marquées à l’extrême gauche. Un fanzine qui le cœur du catalogue jazz de la série “Actuel” de BYG, qui reste
se déplie en accordéon, imprimé et diffusé en indépendant, dont le aujourd’hui la contribution la plus prestigieuse de label à l’histoire de
rédacteur en chef est Claude Delcloo, lui-même batteur de jazz versé la musique. La série “Actuel” — qui comptera en tout 52 références
dans le free. La rencontre avec le musicien sera décisive. C’est ainsi — est alors lancée, avec des pochettes imaginées par Claude Caudron
qu’en juillet 1969, ce dernier et le photographe Jacques Bisceglia, avec des photos magnifiques de Jacques Bisceglia. Entre 1969 et
grands fans de jazz, évoquent devant Karakos le fait qu’ils se rendent 1971 y seront publiés des albums d’artistes avant-gardistes venus
au Festival Pan African d’Alger, où jouent les leaders de la scène de divers horizons : free-jazz (Art Ensemble Of Chicago, Sun Ra
finances, mais ce dernier est retiré de l’affiche pour Band (entre autres) à l’affiche. Un beau programme,
des raisons de droits de certains groupes concernés, pour un festival qui ne se déroule pas comme prévu.
notamment Pink Floyd. Seules quelques salles Le public hippie, venu en nombre, refuse de payer les
parisiennes l’auront diffusé, et aujourd’hui il n’est trente francs de droits d’entrée et prend d’assaut le site
possible de voir ces films que dans un cadre de qui devient impraticable. Quelques artistes jouent,
recherche auprès du CNC. dont Joan Baez, mais le festival tourne court. On ne
sait si ce fiasco est à l’origine de la disparition de BYG,
mais le label continuera à publier des disques dans
Fiasco la collection “Actuel” jusqu’en octobre 1971, avec
Le label poursuit toutefois son aventure, publiant “Camembert Electrique” de Gong comme dernière
des albums d’artistes aussi influents que Sun Ra ou référence, avant de déposer le bilan et de cesser toute
Fontaine & Areski (le sublime “L’Incendie”), et de activité en 1975. Jean-Luc Young part pour Londres,
nouveaux enregistrements sont réalisés au Studio 104 où il fonde Charly, spécialisé dans les rééditions. Jean
de l’ORTF (notamment d’Alan Silva). En 1970, Jean- Karakos lance Tapioca, puis part à New York fonder
François Bizot est nommé rédacteur en chef d’“Actuel” le label punk Celluloid (entre autres aventures). Ils
qui devient un périodique et sort de l’amateurisme ne travailleront plus jamais ensemble. Si Karakos est
éclairé. La même année, BYG tente, pour le lancement du magazine, un décédé en 2017, Young vient de relancer BYG et en réédite aujourd’hui
deuxième festival nommé Popanalia prévu à Biot (près d’Antibes) avec le magnifique catalogue qui demeure, cinquante ans après, plus pertinent
Joan Baez, Pink Floyd, Eric Clapton, Traffic, Kevin Ayers et Plastic Ono que jamais. H
“Le rock’n’roll
convient à
TINA
mon style de voix”
TU RNE R s actes.
Une vie en plusieleusrcoups, la fuite,
La pauvreté, l’amour, e, la gloire mondiale.
la survie, la renaissanccu plusieurs existences
Anna Mae Bullock a vé commun au cœur
avec un dénominateur vier Cachin
de tout, la musique. par Oli
TINA NAÎT LE 26 NOVEMBRE 1939 À BROWNSVILLE I Love You”, la ballade de BB King, qu’elle finit par le convaincre.
(TENNESSEE), DANS UNE FAMILLE PAUVRE QUI “Il était le meilleur. Quand je l’ai rencontré, j’étais en admiration. Je
S’INSTALLE À NUTBUSH. Elle est la plus jeune des me suis donnée à lui.” Anna Mae est d’abord créditée sous le nom de
trois filles de Floyd Richard Bullock, contremaître Little Ann pour le single “Boxtop”, sorti en 1958 sur un mini-label
dans des champs de coton, et de Zelma Priscilla de Saint-Louis, Tune Town Records. Deux ans plus tard, Ike va
Currie. Tina a maintes fois raconté se souvenir d’avoir lui donner son nom de scène en référence au personnage de bande
ramassé le coton, mais déjà la musique est dans sa dessinée “Sheena, Reine De La Jungle”, première héroïne féminine
vie : alors qu’elle est encore une enfant et a déménagé à avoir son propre comic book en 1942.
à Knoxville, elle reprend les chansons des McGuire S’il n’a jamais bénéficié d’une éducation très poussée, Ike ne manquait
Sisters, trois filles de pasteur dont la plus jeune, Phyllis, pas de flair. Deux ans avant son mariage avec Tina, il lui donne son
a quatre ans quand le trio se lance dans la musique. nom, mais ne lui dit pas qu’il a déposé la marque Tina Turner, lui
permettant ainsi d’avoir une autre “TT” en cas de défection de sa
chanteuse. C’est en 1960 que Tina Turner chante sous ce nom pour
Ouragan rock la première fois sur le single “A Fool For Love”, qui grimpera jusqu’à
Tina n’a aucune formation musicale, et elle forge sa voix en écoutant la deuxième place des charts R&B. C’est le début de la Ike & Tina
les chanteurs de l’époque, Ray Charles et Sam Cooke en tête. Elle Turner Revue, un ouragan rock/ R&B d’une redoutable puissance,
chante dans la chorale de son église baptiste à Nutbush, et elle a onze avec les Ikettes en choristes et Tina en vedette. Sa voix est rude. “Je
ans quand sa mère quitte le domicile familial pour fuir la violence n’ai pas une jolie voix, quelquefois elle est même moche, et je n’aime pas
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conjugale, un schéma que vivra Tina après son mariage avec Ike. Tina chanter des morceaux mignons. J’aime quand c’est raide, rocailleux.
part vivre avec sa grand-mère quand son père se remarie, multiplie Le rock’n’roll convient à mon style de voix. ”
les petits boulots, puis retourne avec sa mère à Saint-Louis après la
mort de sa grand-mère. C’est là, au Manhattan Club, qu’elle va voir
sur scène les Kings Of Rhythm, le groupe d’Ike Turner, alors qu’elle Adoubée par Janis
est encore mineure. En 1960, Ike & Tina passent par l’Angleterre. Des années plus tard,
Elle est fascinée par ce chanteur guitariste puissant, postule pour Mick Jagger dira à Tina Turner qu’il avait assisté au concert, et qu’il
faire partie de son groupe, mais Ike ne la rappelle pas alors qu’il le avait commencé à danser et à bouger après l’avoir vue sur scène.
lui avait promis. C’est un soir de 1957, quand elle pique le micro du En 1985, les deux légendes chanteront en duo au Live Aid devant
batteur d’Ike pour se lancer dans une version brûlante de “You Know 100 000 spectateurs.
En 1966, à l’invitation de Phil Spector qui les a vus dans un club est un nouveau coup d’éclat : une présence vocale tonitruante de Tina,
La suite
est une histoire de chiffres moi parce que
je découvrais
1985 démarre en bombe avec le “Private Dancer Tour” qui durera
onze mois. 177 concerts, dont 60 en Europe et 105 aux USA avec une
incursion derrière le rideau de fer, à Budapest. Avant de se lancer
dans cette tournée du comeback de la décennie, Tina a fait un saut
chez les Kangourous pour devenir Aunty Entity, l’impitoyable amazone
cougar qui règne sur Bartertown dans le troisième chapitre de la saga
la liberté”
dystopique post-apocalyptique réalisée par George Miller, “Mad Max
Beyond Thunderdome”. Pour ce premier gros rôle (elle n’avait qu’une It’s Only Rock & Roll But I Like It”, avec arrachage de la mini-jupe
chanson dans le film “Tommy”), Tina s’investit à fond, notamment en cuir de Tina par un Mick priapique et torse nu, la laissant en body
Photo Paul Natkin/ WireImage/ Getty Images
en se rasant totalement le crâne afin de mieux poser son immense bondage avec bas résille, pour la plus grande joie du public planétaire
perruque. Elle s’en sort en mode hystérique face à un Mel Gibson assistant à ce méga-concert.
imperturbable et signe un nouveau hit single avec la chanson du “Break Every Rule” en 1986 navigue entre le rock policé et la grande
film, “We Don’t Need Another Hero (Thunderdome)”, et en bonus la variété, avec des chansons écrites par David Bowie ou Bryan Adams
chanson d’ouverture “One Of The Living”, confirmant définitivement et des guests comme Phil Collins, l’ex-batteur chauve de Genesis.
qu’elle avait abandonné les rivages du R&B pour s’aventurer dans La suite est une histoire de chiffres, de gros chiffres : cinq millions
l’océan de la pop grand public. Juillet 1985 : Tina participe au Live de copies vendues la première année, douze semaines numéro 1
Aid et retrouve le cri primal des débuts face à un Mick Jagger en en Allemagne, une tournée sponsorisée par Pepsi-Cola battant
remplaçant idéal d’Ike, le couple duettant sur “State Of Shock/ tous les records de rentabilité dans treize pays dont la France et
Hot Tina
Tina a toujours aimé partager la scène avec ses amis artistes.
En 1975, elle est l’invité de Cher dans “The Cher Show”,
durant lequel les deux chanteuses en robes lamées reprennent
“Shame Shame Shame”. Pour le show “Divas Live 99”, elle
retrouve une nouvelle fois Cher (avec Elton John au piano)
pour “Proud Mary”, qu’elle reprendra à soixante-dix ans
avec Beyoncé. 1981 : Tina rejoint Rod Stewart sur scène à
LA pour “Hot Legs” et “Get Back”, plus Kim Carnes sur
“Stay With Me”. A l’ancienne, Tina est accueillie par Chuck
Berry pour “Rock & Roll Music” à Los Angeles en 1982.
En 1985, c’est avec le Canadien Bryan Adams qu’elle
interprète “It’s Only Love”. Après le duo Live Aid, Tina
retrouve Mick Jagger sur scène pour la reprise du titre de
Robert Palmer, “Addicted To Love”. En 1986, elle chante avec
Eric Clapton “Tearing Us Apart”, sur son album “August”
et sur scène pour le concert du Prince’s Trust. En 1987, elle
chante “634-5798” avec le bluesman Robert Cray. Rejointe
sur scène en 1988 par David Bowie pour un “Tonight”
d’anthologie, avec Tim Cappello, maître sax au look Mad
Max pour le solo, Tina fait chavirer la foule. “I will love
you til I die, I will see you in the sky tonight.” Elle chantera
également “Let’s Dance” avec le Thin White Duke, un medley
de son hit eighties et du classique éponyme de 1962 écrit
Jim Lee et repris par les Ramones. En 1998, c’est avec Eros
Ramazotti qu’elle exécute “Cose Della Vita” et “The Best”.
Tina renonce à
En 1991, l’entrée au Rock And Roll Hall of Fame d’Ike & Tina a lieu
sans elle (on peut comprendre pourquoi), et sans lui (il est en prison),
et c’est Phil Spector qui remplace le duo pour la remise du trophée.
son image sauvage Deux ans plus tard, Tina est vengée de ses années d’humiliation par
Ike avec le film “Tina” (le titre français de “What’s Love Got To Do
et devient une
With It”, “Peu Importe L’Amour” en québécois). Angela Bassett
l’incarne avec conviction tandis que Laurence Fishburne se régale
en monstre marital qui ressemble à un méchant dans un James Bond.
diva FM rock En 1995, Tina chantera, sur une musique de Bono et The Edge, le
thème du 17ème film de 007, “GoldenEye”. Juillet 2000, elle annonce
lors du show à Zurich qu’elle quittera la scène à la fin de la tournée,
pour bien sûr revenir, en mode Sarah Bernhardt, avec le “Tina! 50th
l’Allemagne, avec huit concerts à Munich devant 120 000 fans et Anniversary Tour” de 2008, juste après son numéro aux Grammy
800 000 Teutons au total pour les quarante shows qu’elle y donna Awards en duo avec Beyoncé.
(“L’Allemagne a toujours été spéciale pour moi”, déclara-t-elle). Bouddhiste depuis les seventies, elle rencontre en 2005 le dalaï-lama
Rien que pour cette tournée annoncée comme la dernière (elle en Suisse, où elle s’est installée en 1994, abandonnant sa nationalité
faillit s’appeler “The Last Tour”), soixante millions de dollars sont américaine. En 2016, le diagnostic de son médecin est sans appel :
engrangés, un record mondial d’affluence est atteint pour son show cancer de l’intestin, qu’elle tente de traiter par l’homéopathie.
à Rio (180 000 spectateurs), le tout pour une set-list où les seuls Mauvaise idée. Tina s’inscrit au programme de suicide assisté Exit
souvenirs des années Ike étaient les deux classiques immarcescibles International, mais son mari Erwin Bach lui fait don d’un rein en 2017.
Photo Dave Hogan/Getty Images
“Proud Mary” et “Nutbush City Limits”. Tina meurt le 24 mai 2023 dans sa maison de Küsnacht à l’âge
de 83 ans, quelques années après ses deux fils biologiques, Raymond
Craig et Ronnie, qui épousa Afida Turner en 2007.
Cartons et records Jusqu’au bout, Tina Turner aura incarné à la perfection cette formule
La chenille redémarre en 1990 avec “Foreign Affair”, septième solo de Mae West : “You only live once but if you do it right, once is enough”
et nouveau carton grâce au très radio friendly “The Best”, qui aidera (“On ne vit qu’une fois mais si on fait ça bien, une fois c’est suffisant”). H
RVG
“Brain Worms”
fire records
Ce groupe va devenir énorme. sentant la vieille chaussette, qui Plus près de nous, on évoquera groupes français de l’époque post-
Romy Vager a trop de talent, se rendront tous les ans à Petit Bain Placebo, un autre groupe bourré punk, Suicide Romeo et Modern
de style, de charisme, ça n’est pour s’auto-congratuler au milieu de talent (la voix nasale de Romy Guy, que Vager n’a évidemment
pas possible autrement. Bon, d’une salle vide. Si vous voulez n’étant pas sans évoquer celle de jamais entendus — et les premiers
il faut garder à l’esprit qu’en éviter ça, précipitez-vous sur ce Brian Molko), ou Pulp, carrément... mots crachés : “For a minute now/
1972, quelqu’un a dû écrire la disque. Il est magnifique comme Les meilleurs, quoi. Et la musique ! Let’s not talk about you!” Sur
même chose d’Alex Chilton. On tous ceux qu’on aime depuis Telecaster tranchante, voix “Tambourine”, on ne sait plus si
a vu comment ça a tourné. Donc toujours, à la fois triste et lumineux, envoûtante, rythmique racée, on pense aux guitares de Roger
méfiance. Mais on ne cite pas le agressif et mélodique, touchant et petits contre-chants obsédants McGuinn, de Johnny Marr ou de
leader de Big Star au hasard. En intelligent. Les textes au vitriol de synthé mono, tout ici est Tom Verlaine... Peu importe, on est
écoutant une merveille comme parlent d’amours qui dérapent, avec miraculeux. Dès le premier titre, résolument dans la cour des grands.
“You’re The Reason”, on ne peut un délicieux mélange d’humour et “Common Ground”, on est happé Les Smiths ? Oui, bien sûr, mais en
que penser à “Kanga Roo” ou à de méchanceté. Oui, comme ceux par un vrai son de groupe, un sens mieux, parce que plus accrocheur,
“Holocaust”. Le versant final et de Ray Davies ou de Lou Reed. des mélodies qui tuent et cette plus mélodique. “Brain Worms”,
déliquescent mais superbe de “If you think I’m strange, you voix incroyablement expressive. le titre, déborde d’une énergie
Big Star, donc. Si tout se passe ain’t seen nothing yet!” (“Tropic “Midnight Sun”, plus rageur, est communicative : cette musique
bien, RVG va rétablir le règne Of Cancer”). Il n’y a pas de secret, fabuleux : “Yeah I know/ That talking est à la fois totalement jouissive,
du rock’n’roll inspiré sur toute Romy nous déclarait lors de la to you/ Doesn’t work/ Anymore/ désespérée, rebelle et salutaire.
la planète, faire du XXIème siècle sortie de l’album précédent, il y a So I don’t”. Il y a du Dylan 1965 Il y a longtemps qu’un groupe
une époque formidable, pleine de trois ans : “J’aime plein de choses là-dedans. Pas dans le son, bien ne nous avait pas donné envie
guitares étincelantes et de paroles différentes, comme les Sisters sûr, mais dans l’esprit, dans le d’envoyer de grands coups de
émouvantes. Venger Tom Verlaine, Of Mercy, et beaucoup de trucs sens de la formule vacharde. “It’s pied dans tout ce qui bouge...
Peter Perrett, Alex Chilton et tous des Kinks. J’aime l’écriture de Not Easy” est encore meilleur, avec Le précédent album, “Feral”, était
nos amis. On peut rêver, non ? Si ça chansons intelligente. Je ne dirais toujours cette façon d’accrocher un excellent disque. Celui-ci est un
se passe mal, ce groupe va devenir pas que j’admire des gens, mais l’auditeur dès les premiers accords chef-d’œuvre. On vous aura prévenu.
culte, c’est-à-dire n’intéresser que je reconnais un bon texte quand de guitare carillonnants — qui ✪✪✪✪1/2
quelques rock critics déplumés j’en vois un. Et j’adore Big Star !” évoquent carrément les fantastiques STAN CUESTA
piste aux étoiles JJJJJ incontournable JJJJ excellent JJJ convaincant JJ possible J dans tes rêves
les bases n’en sont pas les mêmes. l’inspiration pour son vingt-quatrième
L’album s’ouvre sur “2122”, sorte de album (oui). En 2018, “Infest The Rats
country rock dégénéré au chant pseudo- Nest” les avait déjà vus verser dans le
macho parodique, avant un virage thrash avec brio. A l’époque, le projet
vers un bordel assez indescriptible. avait été pour le groupe d’oser se frotter
La méthode générale pourrait être à la musique de son adolescence, qu’il
résumée comme suit : prendre un regardait avec une certaine révérence.
genre et le saccager. Le titre éponyme, L’expérience leur a tellement plu qu’ils
digne du meilleur de Twin Peaks, et remettent ça avec un disque qui puise son
“I See Myself” se présentent comme inspiration encore une fois chez Overkill et
une caricature de soft-rock suave, Metallica (“Super Cell”, “Converge”) mais
chantée avec la même outrance par un se montre plus aventureux. Ça joue vite,
Cameron Winter qui s’en donne à cœur c’est puissant, Stu Mackenzie utilise sa
joie, “Undoer” débute jazzo-déglingo voix de poitrine la plus angineuse. C’est
avant de se conclure sur des hurlements construites sur des riffs alambiqués et du heavy metal à l’ancienne, mais c’est Ce n’est plus du chant mais de
de putois, tandis que “St Elmo” est des textes à la colère froide (“Emotion aussi indubitablement un disque de King la menace physique brillamment
une chanson de saloon à la basse Sickness”, “Negative Space”). S’il envoie Gizzard. Ce qui est manifeste à l’écoute secondée par les organes de Lars
proéminente et aux paroles maniaques des titres nerveux comme “What The de cet album, c’est que les membres du Fredericksen et Matt Freeman pour
(“Omala, let’s make love to cancer”, Peephole Say” et “Papier Machete”, groupe aiment sincèrement cette musique des chœurs de footballeurs qui donnent
etc.). L’excellente “Crusades”, seul assez typique de ce qu’on attend d’un et ne sont pas dans le pastiche. L’album envie de tout casser. “Show up on the
morceau à rappeler leurs origines new- disque des Queens, le groupe fait incorpore des éléments thrash mais line, get ready to fight, Run the streets
yorkaises, fait figure à côté de sommet montre d’une certaine sophistication, s’échappe dans des plans progressifs and seize the night”, depuis la réforme
de normalité. Rien de naturel là-dedans, comme sur “Obscenery”, à l’étonnant typiques du groupe (comme sur “Motor des retraites, c’est exactement ce que
mais tout cet artifice se sublime pourtant break de violons, ou le formidable single Spirit” qui se transforme à mi-chemin la jeunesse veut entendre. Meilleur
dans le pur plaisir du jeu. Un peu à la “Carnavoyeur” où Homme croone une en jam cosmique). C’est ce qui en fait titre : tous. On peut passer à côté
manière du mémorable “Cave World” de ses mélodies les plus poignantes la beauté. Pas besoin d’être amateur de sa vie mais pas de cet album.
des Viagra Boys l’année dernière, ce “3D sur un lit de cordes soyeuses. Un bijou de musiques extrêmes pour apprécier JJJJ
Country” ouvre une voie pour l’avenir. noir pour un disque majeur du groupe. ce disque qui devrait ouvrir les portes Geant Vert
JJJJ JJJJ du heavy metal à de nombreux fans.
Vianney G. Eric Delsart JJJ1/2
Eric Delsart
et alors que la planète rock a profité des au hasard des précédents albums.
différents confinements pour enregistrer, Tournée “Kiss Of Death” oblige, trois
l’acteur-guitariste a, lui, consacré titres sont joués avec “Sword Of
l’intégralité de son temps libre à Glory”, “One Night Stand” et le très
plaider sa cause devant un tribunal hardcore-metal “Be My Baby” qui
californien. Une fois ce préambule peut être considéré comme le plus
terminé, il est possible de comprendre bel hommage rendu à un marteau-
pourquoi le nouvel enregistrement des pneumatique. Des tendres années
Hollywood Vampires est un concert du début, seul cinq titres ont survécu
enregistré à Rio de Janeiro le 24 avec “Overkill”, “Metropolis”, “Stay
septembre 2015. On y retrouve donc Clean”, “Ace Of Spades” et la face
la fine équipe pour un show très looké B “Over The Top”. Peu enclin à la
années quatre-vingt (grebo, Lords Of nostalgie, ce live s’attache surtout
The New Church...). A l’exception à survoler l’ensemble d’une carrière
de “Raise The Dead”, le disque est hommage à Tom Petty qui avait fait déjà bien remplie. Si la set-list est ou Tom Petty viennent à l’esprit,
uniquement composé de reprises appel à Lucinda pour ouvrir ses tout plutôt classique, le moment de avec aussi quelques surprises, comme
d’Alice Cooper et l’ensemble se derniers concerts à l’Hollywood Bowl bonheur du fan collectionneur sera le refrain très Cure de “Save The World”.
défend plutôt bien malgré l’absence en 2017. L’intéressée a toujours la version jamais enregistrée en studio On pourra déplorer une gravité de ton
d’un contenu vraiment inédit. Notons refusé les expressions passe-partout de “Rosalie”, un titre de Bob Seger qui rend cet album déconseillé pour
quand même des moments plus d’americana et d’alt-country, dans popularisé par Thin Lizzy. Le moment bambocher et oublier la marche du
inspirés que d’autres, comme ce lesquelles elle ne s’est jamais est aussi l’occasion pour Lemmy de monde ; l’avant-dernier morceau,
“Cold Turkey”, où le groupe chante reconnue — à raison puisque le rendre un vibrant hommage au bassiste “This Ain’t It”, rencontre entre les
des lendemains pas forcément au top. spectre de sa musique recouvre et chanteur Phil Lynott, un de ses héros. Stones et Skynyrd, fait ainsi regretter
JJJ différents territoires. Cet album Avec ce titre inédit enfin officialisé, la rareté d’un rock plus léger dans
Geant Vert en constitue une preuve manifeste c’est aussi l’occasion d’oublier le lequel Isbell sait aussi exceller.
et confirme que Lucinda Williams a bootleg enregistré à Dublin en 2006. Pour le reste, un must d’americana
encore quelques secrets à nous confier. JJJ1/2 panoramique et consciente.
JJJJ Geant Vert ✪✪✪J
Charles ficat Bertrand Bouard
banales possible, jouées avec de vrais un seul titre (“Aimer, Puis Vivre”) renoue
instruments, reste une belle initiative. avec cette appétence pour la chanson
Des musiciens pour qui arranger une décalée qui avait assuré la réussite
chanson tient de l’orfèvrerie et qui, de son premier album et lui permet
bien qu’influencés par les maîtres d’exorciser sa solitude (“Tu me l’as
d’avant, essaient de tirer leur épingle promis que je ne serai jamais seul/
du jeu en y allant de leur touche Et pourtant je suis seul”). Dommage
personnelle. Or donc, si on apprécie quand on constate alors combien il a
tout ça, il n’est pas facile de résister le sens de la formule qui fait
aux onze titres de cet Antoine qui mouche : “Et j’irai partout où mon
bosse avec ses copains (dont un cœur chavire”. Mais ce changement
batteur qui l’a aidé pour le mixage) linguistique correspond à une volonté
et propose une pop grand-angle de s’internationaliser et d’aller au
défendue en anglais (il a sévi outre- bout de ses rêves, tout comme la
Manche par le passé), ouverte sur comme celles de Ray Davies, doivent collaboration artistique avec Mike Devant le résultat, décision est prise
un avenir qu’il sait certainement refléter le monde dans lequel il vit, Dean (Beyoncé, Lana Del Rey) ou, illico de graver cette unique prestation.
compliqué. Truffées de détails sans oublier ce qu’il convient d’ironie : pour trois duos, la participation Raph Dumas, vieil acolyte de Comelade,
jouissifs (les lignes de basse, les “Premier De Cordée” (philippique de Madonna, notamment sur le très assure le mastering, avant de confier
touches de synthé sur “Joanna”), anti-Macron qui avait préalablement réussi “Angels Crying In My Bed” où ce bijou à l’excellent label allemand
d’une musicalité plus qu’honorable, inspiré “Le Mac”), “Au Flamingo”, son récitatif succède à la performance Staubgold (To Rococo Rot, Vivien
“Dream On”, “Save Me”, “Underwater” “L’Humanité”, “Samsung Partout”... vocale cristalline de Chris — Redcar. Goldman, Flying Lizards), dirigé par
ou “Here We Are”, à défaut d’être des Produit par Andy Lewis, ancien DJ Ce dernier délaisse totalement Markus Detmer, qui en 2003 a pris
tubes de l’été pour des programmateurs du Blow Up, l’album charme par sa l’option dance pleine de peps ses quartiers à Perpignan. Exit toute
radio souvent frappés d’hypoacousie, vivacité et la permanente recherche qui le vit triompher, il calme le nostalgie, c’est un chef-d’œuvre !
seront très certainement ceux du nôtre. d’un break, un pont ou une sonorité jeu et privilégie rythmes lents et ✪✪✪J
✪✪✪J (comme un solo de flûte par Suzanne mid tempo, au risque d’engendrer la ALEXANDRE BRETON
Jerome Soligny Shields) pouvant enrichir les morceaux. lassitude malgré des atmosphères
✪✪✪ prégnantes (“Big Eye”) et des
Jean-William THOURY moments exquis (“True Love”).
JJJ
H.M.
européaniste (voir son album solo, “Euroman de l’époque, assure les chœurs de “Paradise” avec
Cometh”), Hugh Cornwell, après l’expérience la chanteuse de Polyphonic Size que Burnel avait
de “Cruel Garden”, dans lequel il fricotait avec produite, l’intro de “All Roads Lead To Rome”
le jazz manouche de Django Reinhardt, souhaitait est directement empruntée à celle de “Chercher
donner plus de place aux guitares acoustiques, si Le Garçon” de Taxi Girl, la mélodie de “Midnight
possible espagnoles, Burnel jouant de la basse de Summer Dream”, magnifique, a été trouvée par
manière beaucoup moins agressive que ce à quoi le bassiste, et Cornwell, comme sur tout le reste
il nous avait habitués. Par-dessus quoi allaient se de l’album d’ailleurs, y chante à merveille. “Let’s
télescoper les synthés d’un Dave Greenfield très Tango In Paris” (l’amour du chanteur pour les jeux
inspiré, et la batterie électronique de Jet Black, de mots ne l’a heureusement jamais perdu) semble
une première pour le groupe. L’album devait être échappée d’un “Barry Lyndon” new wave, et le
épuré, intimiste, calme. La raison est peut-être disque s’achève avec deux beautés, “Blue Sister”,
plus simple : Cornwell et Burnel fumaient alors dont Cornwell est très fier car elle le fait penser aux
beaucoup d’héroïne, qui n’est pas exactement Doors, et “Never Say Goodbye”. Cette splendeur
une drogue excitante. D’où ces morceaux durant du début des années quatre-vingt ressort avec
lesquels on peut presque les visualiser piquer du les mêmes bonus que la réédition de 2001, mais
nez. Dans un livre d’entretiens avec un journaliste pour ceux qui ne l’ont pas, le son est parfait pour
avec lequel il détaille l’intégralité du répertoire du mettre en exergue un mélange inédit de froideur
Ray Dorset
“COLD BLUE EXCURSION”
Dawn/ Pye
PEUT-ON TIRER LA TRONCHE SI L’ON DÉCROCHE UN DES PLUS sur le même billet que Procol Harum, Black Sabbath, Badfinger, Rod
GROS HITS DE TOUS LES TEMPS ? Ray Dorset a la réponse : c’est oui. Stewart et les Faces, la tête d’affiche, c’est eux. Ray devrait prendre
Quand il est interrogé au sujet de “In The Summertime”, chanson composée des vacances, mais non : le voilà élaborant un projet solo. “Cold Blue
pour son groupe Mungo Jerry, troisième single le plus vendu au monde, Excursion” sort alors que Mungo Jerry écume l’Asie et l’Océanie. Le
30 millions de copies écoulées, numéro un dans vingt-six pays, le chanteur chanteur a enregistré son propre album ? Le public n’en a cure, il réclame
oublie toutes les règles de courtoisie. Obtenir un succès aussi pharaonique “In The Summertime”. Les journalistes se font un malin plaisir à traiter
dès leur premier morceau, en 1970, était-ce un encouragement ou une le disque par-dessus la jambe. Ils écoutent déjà rarement les produits
malédiction ? Réponse : “Je déteste qu’ils chroniquent, alors un Mungo
cette question. Si vous possédez un Jerry, encore moins, et encore encore
minimum d’intelligence, répondez-y moins le caprice solo du clown à rouf-
vous-même”. A chaque concert, vous laquettes — pas la peine de jeter une
devez chanter “In The Summertime”, y oreille là-dessus, on sait d’avance à
a-t-il une lassitude ? “Vous avez réussi quoi ça ressemble : du Joe Cocker
à poser une question encore plus débile, pour enfants, du Johnny Winter
chapeau”. Dorset hait les journalistes, et d’opérette, Creedence Clearwater
il y a de quoi : contrairement au public, version anglaise, naze et nulle. Sauf
les scribouillards ont toujours méprisé que non. Tout faux. On a ici affaire à
son groupe — trop rustaud, jouasse, un surdoué de la trempe des Ronnie
plouc, aucune imagination, aucune grâce. Lane ou Steve Winwood. “Cold
Même leur nom, Mungo Jerry, pioché Blue Excursion” écrabouille tous
dans un poème de T. S. Eliot, leur vaut les disques de Mungo Jerry — la
des sarcasmes. Le plus condamnable genèse de l’affaire étant antérieure au
étant l’incroyable succès de ce morceau groupe. Ray répond à une petite an-
débile célébrant l’été, “Quand le temps nonce, “Recherche formation dans le
est beau, tu as des femmes/ Tu as des style The Doors et Love”, s’en va audi-
femmes dans la tête/ Prends un verre, tionner, joue un de ses morceaux, “Cold
ta voiture, pars en virée”, et son refrain Blue Excursion”. Il est embauché
pas prise de tête, “Sing along with avec trois collègues, ce sera le début
us/ Dee-dee-dee, dee-dee/ Dah-dah- de l’aventure Mungo Jerry. Mais
dah, dah-dah/ Yeah we’re hap-happy”. Dorset estime que cette compo,
Allô, Shakespeare ? La musique, au “Cold Blue Excursion”, et plusieurs
diapason : pas du Stravinsky — du rock chansons qu’il crée au fur et à me-
basique avec des rebuts de blues, sure, ne conviennent pas au style
skiffle, boogie, swamp, ragtime. Alors bonne franquette pratiqué par ses
que Kraftwerk sort son premier album, voilà ces péquenauds provoquer collaborateurs : il se les met de côté. Solo, il peut laisser exploser sa
une véritable Mungomania avec de la feelgood musique au ras des créativité. Pop baroque, rhythm’n’blues orchestral, folk exubérant, gospel
pâquerettes. “Mes pieds n’ont pas eu le temps de toucher le sol. Je n’avais romantique, mélodies épiques, cordes et cuivres hypnotiques, flûtes de
Photo David Warner Ellis/ Redferns/ Getty Images
jamais quitté le Royaume-Uni, je prenais désormais l’avion tous les deux chambre, arrangements panoramiques, c’est un émerveillement d’un bout
jours. Nous étions invités à dîner, reçus dans les meilleurs clubs, mangions et à l’autre — avec comme points d’orgue “Nightime” et “Because I Want
buvions gratuitement autant que nous le voulions. Des gens qui auparavant You”. Jamais Arthur Lee n’a pu accomplir une telle échappée solo, avec
me snobaient soudainement se présentaient comme mes meilleurs amis.” un tel souffle. Furieux de cette incartade, et profitant de sa déconfiture
Deux mois plus tard : “Les journalistes se sont mis à penser qu’ils auraient commerciale, les membres de Mungo Jerry tentent de virer leur leader-
l’air plus cool en nous dégommant, et les querelles au sein du groupe ont compositeur. Malheureusement, le coup d’Etat échoue — ce sont eux
commencé de tout bousiller.” Ray Dorset n’est pas seulement le frontman, qui se retrouvent éjectés. “Cold Blue Excursion” reste l’unique album
chanteur, guitariste, multi-instrumentiste, le visage de Mungo Jerry, avec solo de Ray Dorset. C’est rageant — la seule bonne raison pour qu’il tire
afro et rouflaquettes impressionnantes : c’est en plus lui qui fournit, sur la tronche. H
leurs trois albums sortis en 1970 et 1971, l’essentiel des compositions.
Dont “Baby Jump”, autre single numéro un en Angleterre. En live, Première parution : janvier 1972
“Go 2”
même sagacité interprétative de la production
décorative d’une pochette de disque, nourrie
cette fois-ci d’informations techniques comme
le nom des musiciens, celui des techniciens,
XTC le numéro de l’album au catalogue Virgin…
Groupes hard rock, groupes cultes Angel Witch). Le quartette cloue “Boy
Meets Girl”, morceau freakbeat à la guitare
très acide. Après un court intermède au sein
de At Last The 1958 Rock And Roll Show,
Anderson auditionne parmi trente autres
chevelus afin de devenir le chanteur et
(second) guitariste du Keef Hartley Band,
où il passe finalement trois années intenses,
de 1968 à 1971. Il y dévoile un timbre
puissant, rocailleux, et de vrais talents
de compositeur. Cinq albums plus tard,
des divergences musicales se font sentir
avec Keef Hartley, et l’Ecossais quitte
ses partenaires, en bons termes. Il se voit
immédiatement proposer un contrat comme
artiste solo chez Deram. Sa première
livraison est “Bright City” en 1971, sur
laquelle il est épaulé par quelques vieilles
connaissances comme Gary Thain et Peter
Dines — tous deux ex-collègues du Keef
Hartley Band — ainsi que Mike Weaver
et Eric Dillon, passé par Fat Mattress.
Roy Thomas Baker officie comme ingénieur
du son. “Bright City” est une agréable galette
qui démarre avec le splendide mid-tempo
“Alice Mercy (To Whom It May Concern)”,
qui rappelle un peu Neil Young, puis passe
du folk progressif avec flûtiau (“Shadows
’Cross My Wall”) à une pop ultra-mélodieuse
et finement ouvragée (“Grey Broken Morning”
et ses violons, “The Age Of Progress”).
Anderson bande les muscles sur l’ébou-
riffante “Nothing In This World” et son
riff syncopé, ainsi que sur les huit minutes
de “High Tide, High Water”, serties
Le gamin passe à la six-cordes d’un long solo virevoltant. Miller avait
cependant suffisamment de chansons
dans sa manche pour garnir deux opus et,
dès l’année suivante, il retourne en studio
Miller
accompagné de Weaver, Dines et Dillon,
ainsi que du bassiste James Leverton (ex-
Fat Mattress également). L’alchimie est
telle — la rythmique est remarquablement
Anderson
puissante — qu’il décide de fonder un
vrai groupe du nom de Hemlock, étonnant
quintette à deux claviéristes, et de publier
le disque, au départ prévu en solo, sous cette
étiquette. Plus varié et enlevé, ce très bon
HéROS DE L’OMBRE DU BLUES guère surprenantes : Elvis Presley, Eddie long format propose du R&B lourd (“Just
ROCK BRITANNIQUE, MILLER Cochran, Gene Vincent, Chuck Berry, et An Old Friend”, “Monopoly”), un boogie
ANDERSON PEUT SE TARGUER bien sûr le skiffle, très à la mode en ces tonitruant (“Mister Horizontal”). Plusieurs
D’AVOIR EU PLUSIEURS CARRIÈ- temps pré-Beatles. En 1965, il intègre son ballades, dans le registre folk primesautier
RES. Principale force créatrice du premier attelage sérieux, The Voice, avec (“Fool’s Gold”), du country-rock planant
Keef Hartley Band après des débuts lequel il décoche un an plus tard un premier (“Garden Of Life”) ou de la soul (“Broken
au sein de combos garage rock auteurs single garage rock dévastateur : “Train To Dreams”) témoignent d’un éclectisme
de singles viscéraux, il a aussi usiné Disaster”. Le combo décampe pour Londres. réjouissant. On y remarque la magnifique
deux opus passionnants, tombés dans C’est là que Miller rejoint The Scenery, dans et dylanienne “Young Man’s Prayer”, ainsi
l’oubli depuis bien longtemps. Il est lequel il côtoie Ian Hunter — alors à la que “Ship To Nowhere”, démarquage à peine
temps de les remettre à l’honneur. basse — et Mitch Mitchell, juste avant voilé du “We’re Going Wrong” de Cream.
qu’il ne croise le chemin d’un certain Le grand public reste de marbre. La troupe
Nous voici à Houston. Non, pas la cité protégé de Chas Chandler... The Scenery s’envole ensuite pour les Etats-Unis, afin
tentaculaire du Texas, mais le bucolique est le groupe résident des studios Regent de jouer en première partie de Savoy Brown
village écossais, à vingt-cinq kilomètres Sound et, à ce titre, est embauché pour et Uriah Heep. Elle y est promue comme
de Glasgow. Miller, comme mû par une accompagner David McWilliams, le futur “Miller Anderson With Hemlock”, ce qui
volonté supérieure, se taille une paire de auteur de “The Days Of Pearly Spencer”, provoque quelques remous. La séparation
baguettes dès ses cinq ans. Il cogne sur tout pour une tournée qui passe par le prestigieux est officialisée après une ultime tournée,
ce qui lui tombe sous la main, exaspérant Royal Albert Hall. Suite à un autre simple cette fois en Angleterre. En effet, Harry
ses voisins : bidons, pots de peinture, (“To Make A Man Cry”, dont la face B, Simmonds, manager de Hemlock, a
portes… Son père, harmoniciste, lui prête “Thread Of Time”, garage rock surpuissant, offert à Anderson, Leverton et Dillon
donc son instrument fétiche et l’initie au est à couper le souffle), Anderson s’associe de rallier son frère Kim, pilier de
blues ainsi qu’au rock’n’roll. Le gamin à Paper Blitz Tissue, où il sympathise avec Savoy Brown, pour son nouveau
passe à la six-cordes acoustique et apprend un Bill Bruford alors novice et au style jazz projet tourné vers le boogie.
la technique de la slide, mais aussi la guitare particulier — et qui finira remplacé par Dave Mais ceci est, déjà, une autre histoire... o
hawaïenne. Ses premières amours ne sont Dufort (futur batteur de Kevin Ayers et…
Qualité France par H.M.
Il est des disques qui, comme celui Achille Au Cœur Léger (de Fondé en 2000 par un Américain d’origine Originaire de Dinard, Poésie
de Richard Allen, relèvent de Paris) a déjà sorti deux singles avant arménienne qui s’est installé en nos Chevalier évolue en solo dans
l’évidence dès la première écoute. ce premier EP où il donne toute la contrées et y a rencontré sa partenaire le domaine de la chanson électronique
Lumineux et mélancolique, cet album mesure de son projet atypique et révèle musicale, le duo normand Deleyaman et n’a pas eu froid aux yeux en adoptant
égrène des chansons folk acoustiques un univers à la hauteur du nom qu’il s’est illustré dans une veine musicale à ce patronyme. Elle évolue seule en
sans prétention qui puisent leur force s’est choisi. Certains le rapprochent de la croisée des cultures, proche parfois de scène en s’appuyant sur les sons
dans des mélodies limpides, et un mini- Feu! Chatterton ou de Benjamin Biolay Dead Can Dance, qui a d’ailleurs repris concoctés par le talentueux James
malisme mettant en évidence la douceur avec lesquels il n’a en commun que l’un de ses titres. Ce nouvel essai, placé Eleganz, qui a produit et arrangé son
du chant et la fluidité de la guitare. le goût de textes francophones bien sous le signe de la poésie, célèbre un premier album en compagnie d’un autre
Né dans le centre de l’Angleterre, ce ciselés et d’une pop propice à toutes les lieu où l’Américain Henry Wadsworth musicien rennais. Cet environnement
chanteur-guitariste-auteur-compositeur ouvertures. Et d’ailleurs, il revendique Longfellow a conçu l’une de ses œuvres, electro pop plein de réminiscences
installé à Amiens depuis l’âge de quatre plutôt en un pied-de-nez l’influence et fait aussi appel à d’autres poètes des années quatre-vingt (comme les
ans mène sa barque en solo depuis de Georges Brassens et de Lou Reed. (comme Verlaine) pour certains textes. délicieux “Ma Poésie” et “L’Annonce”)
une décennie, sans faire de vagues Sa voix grave insuffle un charme Les six musiciens additionnels (sax, est parfaitement adapté à sa voix
mais avec détermination. Il en est conquérant à ses chansons romantiques flûte, duduk, oud) donnent des couleurs fragile mais intense et à ses textes
déjà à son troisième album et ce qu’il qui étonnent et séduisent par leur chatoyantes à ces ballades intemporelles mélancoliques (“Vague Et Bleu”) qui
fait mériterait de ne pas rester sous impact mélodique et textuel légèrement et aériennes chantées par deux voix célèbrent l’amour avec délicatesse
les radars (“Just Songs”, Take Easy, décalé (“Achille Au Cœur Léger”, délicates (“The Sudbury Inn”, TTO (“Appelez-moi Poésie”, Label ZRP,
facebook.com/richardalleninsong). facebook.com/achilleaucoeurleger). Records, facebook.com/deleyaman). facebook.com/PoesieChevalier).
Venu de Grenoble, Holy Bones Une fois n’est pas coutume, les Dead Pas moins de quinze musiciens dans Formé en 2013, le trio parisien Storm
évolue depuis plus de dix ans sous la Sexy ont débuté aux Etats-Unis en le big band B.R.E.T.O.N.S. qui Orchestra n’adopte sa formule
houlette de son chanteur-leader François 2000, avant de regagner leurs pénates regroupe des membres d’une flopée de actuelle que quatre ans plus tard en
Magnol qui, après une formation en trio français pour s’illustrer avec un album formations du cru (Kervegans, Digresk, allant sur les traces de Muse et Royal
sur le premier album, a opté pour le de reprises et convoler avec Indochine. EV, Soldat Louis, Armens) réunis pour faire Blood. Victime de la pandémie de 2020
quintette sur le second. Evoluant entre Malgré quelques années de flottement, retentir haut et fort la musique celtique. au moment de la sortie de son second
indie folk et americana, ce nouvel essai le trio a poursuivi sa route et s’est réactivé Dopé par une profusion de chanteurs EP, il transforme ce handicap en atout
se présente comme un road trip cette année en travaillant un nouvel EP et d’instruments (guitares, batteries, grâce à un nombre impressionnant
d’inspiration cinématographique, et en publiant ce best of qui inclut de cornemuse, flûtes traversières, bombarde, d’écoutes en ligne. Concocté dans la
délaissant pour la première fois l’anglais nombreux remixes inédits. Marqués accordéon), l’album exauce les promesses foulée, son premier album (anglophone)
à l’occasion d’une chanson en espagnol par la new wave, il sait dépoter un electro que laisse présager l’événement scénique : a été longuement mûri et dévoile la
et une autre en français. Au diapason rock tonique et dansant, que ce soit avec il revisite avec fougue des airs traditionnels palette de ses possibilités, entre
d’une voix classieuse et troublante, ses propres compositions ou à travers bretons, écossais ou irlandais mélangés à flambées portées par des riffs rentre-
les morceaux impressionnent par quelques emprunts, souvent anglophones des titres empruntés aux groupes respectifs dedans et pauses où il calme le jeu
leur esthétisme tout en délicatesse (Johnny Thunders), parfois francophones et même à AC/DC (“It’s A Long Way To sans jamais délaisser son appétence
et leur souci mélodique (“Alma Perdida”, comme la reprise d’un morceau de The Top”) pour affirmer sa connexion pour un son percutant (“What A Time
Holy Bones Production / Alpine Records, Daniel Darc (“In Nomine Corpus”, Chancy rock (“B.R.E.T.O.N.S”, Aztec Musique, To Be Alive”, Storm Orchestra,
facebook.com/holybonesgrenoble). Publishing, facebook.com/deadsexyinc). bretons-legroupe.com, distribution Pias). stormorchestra.com). o
COCKNEY REBEL
“The Human Menagerie” (1973)
Sous la direction de Steve Harley, chanteur
et compositeur à la culture littéraire,
Cockney Rebel enregistre “The Human
Menagerie” aux AIR Studios. Musicalement,
sans guitariste, chose assez rare dans
le glam, s’appuyant sur les claviers
et le violon électrique, l’album est à
la fois éclectique, abordant différents
styles de la ballade folk au rock et aux
gigues, “Crazy Raver”, et théâtral,
cabaret, “Muriel The Actor”. Un glam rock singulier, parfois
sombre et épique avec orchestre classique et chœurs, “Sebastian”,
“Death Trip”. Le sujet de “Mirror Freak” est Marc Bolan.
GARY GLITTER
“Glitter” (1972)
“Glitter” est réparti entre des compositions
du duo Glitter et Mike Leander, les hits
“Rock And Roll Part 1”, “Rock And
Roll Part 2”, “I Didn’t Know I Loved
You (Till I Saw You Rock And Roll)”
et autres “Rock On!”, et des reprises
rock’n’roll, R&B et blues, “School
Day”, “Donna”, “The Wanderer” et un
“Baby, Please Don’t Go” convaincant.
Les chansons fonctionnent sur le même
mode, une rythmique carrée pour soutenir des riffs de saxophone et
des interventions de guitares tranchantes, des chœurs venant s’ajouter
à un ensemble survolté. Pour sa part, Gary Glitter compense un certain
manque d’expressivité de sa voix par une énergie communicative.
Affaire numéro 41
e Egotrade
Gered Mankowitz contr
Le salaire de vapeur
AVEC LUI, LES SUJETS NE MANQUENT PAS.
Le plus naturel et simple, c’eût été de raconter
des deux boutiques et qui détournent à
l’évidence sa photographie originale, la cigarette
Le tribunal de Paris s’appuie sur la jurisprudence
de la Cour de Justice de l’Union Européenne :
la lente succession, les querelles entre père, fils d’Hendrix ayant été remplacée par une cigarette “Une création intellectuelle est propre à son auteur
léonin, et demi-sœur, les jugements, les arrêts, électronique. Au début des années 1990, le lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci” et
les injonctions de faire ou de ne pas faire. Et photographe a cédé à une société l’ensemble de “s’agissant d’une photographie de portrait, l’auteur
peut-être, au détour des explications juridiques, ses droits patrimoniaux de ses photos. Celle-ci pourra effectuer ses libres choix et créatifs de
permettre aux lecteurs de comprendre pourquoi réitère par lettre les menaces formulées par plusieurs manières et à différents moments lors de
il faut un guide pour se promener au travers l’artiste. Mais Egotrade fait mine de ne rien sa réalisation”, au regard de la pose, du cadrage,
des sentiers de la discographie posthume du comprendre. Le photographe et la société qui de l’atmosphère, de l’angle de vue, du tirage du
guitariste. Ou bien évoquer Toronto, l’escale jouit du droit de la photographie d’Hendrix cliché, etc. C’est à travers ces choix que l’auteur
musicale qui aurait pu envoyer notre héros saisissent le tribunal de grande instance de d’une photographie de portrait est en mesure
en prison, le procès de la star et les juges Paris, considérant que les agissements de la d’imprimer “sa touche personnelle” à l’œuvre
dociles qui se rangent du côté des conseils société Egotrade sont constitutifs de contrefaçon. créée, sa personnalité en somme ! Et les juges
du chanteur : ce n’est pas Jimi mais un ou Désormais, la représentation est obligatoire. considèrent que l’auteur de la photographie a été
une autre qui a introduit dans ses bagages une Egotrade a un problème, elle prend un avocat. incapable de montrer en quoi la photographie
drogue qu’habituellement il ne consommait pas. d’Hendrix porte son empreinte. Pour eux, le
A cette époque, au seuil des années 1970, A Paris, le 30 mars 2015, les avocats du cadrage, le noir et blanc, le décor clair destiné à
l’enfer était encore un ou une autre. photographe, titulaire du droit moral, et de la mettre en valeur le sujet sont banals. Ils enfoncent
société, détentrice des droits patrimoniaux, le clou : d’une part, le photographe ne met pas
Non, ici, il est question d’une photographie, semblent dérouler leur convaincante la société Egotrade en mesure de débattre de
qui fait débat devant les juridictions françaises. démonstration. Le photographe précise : l’originalité de la photographie ; d’autre part, la
Le litige se joue dans les termes suivants. cette photo est rare, elle capte, fugacement, photographie ne présente pas d’originalité et ne
En 2013 est créée Egotrade, une société de vente les contrastes de l’artiste ; la noirceur de ses constitue donc pas une œuvre protégeable de
de cigarettes électroniques et d’accessoires. Exit sentiments épouse l’ironie du sourire. Mais l’esprit. Pas de contrefaçon ! Le photographe et
les bars-tabacs, aujourd’hui il faut entreprendre l’impression d’ensemble, l’ambivalence et les la société qui l’accompagnent n’auront pas pris
dans la cigarette électronique. Egotrade contradictions de la légende, s’explique, selon l’Eurostar pour rien, leurs demandes sont jugées
fonctionne avec deux boutiques physiques, lui, par des choix esthétiques assumés : “La irrecevables. Les commentateurs sont abasourdis.
dans les premier et sixième arrondissements lumière, les contrastes, le cadrage étroit de la
de Paris, aussi via son site internet egotabaco. photographie sur les lignes et les angles droits Ils font appel. La Cour d’appel de Paris use d’une
com. La cigarette électronique a fait son entrée du buste et des bras.” L’œuvre est originale. tout autre approche. Pour elle, la personnalité
sur le marché européen en 2005. Au début Copiée et détournée, elle ne peut que subir les transparaît au travers des éléments suivants : c’est
des années 2010, c’est encore le Far West, foudres de la contrefaçon, et dès lors exposer bien Gered Mankowitz qui a guidé et dirigé la
pas ou peu de réglementation, les concurrents les auteurs du méfait à la condamnation à séance photo, a choisi d’utiliser le noir et blanc
pullulent, le marché est presque saturé. Il des dommages et intérêts, conséquents, ainsi afin de donner plus de contenance à son modèle,
faut tirer son épingle du jeu. Egotrade a une qu’au retrait des affiches. La société Egotrade a fait le choix d’un certain appareil doublé d’un
idée, ne prend pas d’avocat et la matérialise avance plusieurs arguments : elle relève qu’un certain objectif, a dicté le cadrage, l’angle de
en détournant l’image d’un fumeur célèbre. certain nombre de faits qui lui sont reprochés vue, choisi le décor. Ces éléments, conjugués à la
Désormais, Jimi Hendrix, guitariste, chanteur, ont été “commis” avant son immatriculation, notoriété du photographe, traduisent l’expression
chantre de la fin des années 1960, fume une et que par conséquent elle ne peut en être de sa personnalité. Egotrade est condamnée,
cigarette électronique. C’est une photographie comptable. De manière générale, elle insiste et les montants sont élevés. Ironie de l’affaire :
célèbre qui est ici détournée par Egotrade : sur l’absence de preuves invoquées par la partie Egotrade est en liquidation judiciaire. Et il
“Un portrait noir et blanc en plan taille de adverse, notamment l’absence d’originalité de la est peu probable qu’elle se soit acquittée des
face, Hendrix expirant avec un demi-sourire photographie. Enfin, elle se retranche derrière sommes accordées par la Cour d’appel de Paris.
et les yeux mi-clos une bouffée de la cigarette l’exception de parodie, aucune confusion Peu importe, l’honneur du photographe est sauf
qu’il tient dans sa main gauche, sa main droite n’est possible entre les deux reproductions. et les principes du droit d’auteur sauvegardés.
soutenant son bras gauche au niveau de son
coude.” Les juristes s’entourent de précision. Mais les juges parisiens prennent les parties La Cour d’appel, en renversant le premier
Le problème, c’est qu’Egotrade, opportunément, de court. Sans s’intéresser au fond, ils relèvent jugement, rend-elle un hommage indirect
n’a pas demandé à l’auteur de la photo une que la société Egotrade n’a pas été en mesure à la sortie d’un autre grand photographe,
quelconque autorisation. Elle est l’œuvre de de pouvoir débattre avec les demandeurs de Richard Avedon : “Un portrait n’est pas une
Gered Mankowitz, fils d’un écrivain anglais l’originalité de la photographie. Les juges ressemblance. Dès lors qu’une émotion ou
célèbre, et photographe émérite du Swinging rappellent qu’il appartient à celui qui se qu’un fait est traduit en photo, il cesse d’être un
London. Les iconiques photos qui ornent prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est fait pour devenir une opinion. L’inexactitude
“December’s Children (And Everybody’s)” ou contestée de définir et expliciter les contours n’existe pas en photographie. Toutes les
“Between The Buttons” des Rolling Stones, c’est de l’originalité. Et ce n’est pas au juge de faire photos sont exactes. Aucune d’elles n’est la
lui. Les Français préfèrent éviter l’Anglais. Peu ce travail. Aussi, c’est la seule façon d’assurer vérité” ? Est-ce à dire que par principe une
importe, par l’intermédiaire de ses avocats, il la contradiction ; si votre adversaire ne sait pas photographie exprime la personnalité de
met en demeure la société de retirer fissa les contre quoi il se bat, il ne peut y avoir de procès. son auteur. C’est certainement ce que pense
affiches publicitaires placardées en devanture Mais qu’est-ce que l’originalité ? Apple, pas forcément les tribunaux… o
Trafic de hasch
et de VHS pornos
Rheingold
De Fatih Akin
Cela fait plus d’une vingtaine d’années que Fatih Akin réalise
des films profondément bienfaisants. Que ce soit à travers sa trilogie
sur l’amour (“Head On”, “De L’Autre Côté”, “The Cut”) ou son délire gastrono-
mique autour du thème du savoir vivre ensemble, le cinéaste turquo/ allemand
jongle avec toutes les strates des sentiments humains. Mélancolie, humour frontal
(ou en demi-teintes), cool attitude, drame déviant et pas de travers compris.
Comme un maelstrom. Ce qu’est — voire devrait être — un être humain
avec toutes ses failles, ses ambitions, ses contradictions et ses désirs. Fatih
Akin, donc, a toujours su manier une certaine légèreté compatissante envers ses
personnages. Quelque chose qui fait du bien à l’âme. Ce qui ne l’a pas empêché
de plonger ensuite dans la noirceur absolue dans ses derniers travaux. Voir “In
The Fade” (2017) où Diane Kruger part dans une longue croisade vengeresse
suite à la mort de son mari et de son fils tués dans un attentat terroriste, comme
si on assistait à une version crue et réaliste de “Un Justicier Dans La Ville”. Ce
rôle a valu un prix d’interprétation à Cannes pour Diane Kruger, venant prouver
au passage que Fatih Akin est l’un des meilleurs directeurs d’acteurs-trices du
cinéma européen. Puis arrive le choc “Golden Glove” (2019) qui, pour le coup,
semble contredire tous les films qu’Akin a signés jusque-là. Un changement
de registre total pour raconter de façon hyper poisseuse et ultra dérangeante le
quotidien meurtrier d’un authentique serial-killer ayant dézingué des prostituées
dans le Hambourg des années soixante-dix. Un film tellement sulfureux (et
bardé d’un humour très très noir) qu’il est sorti en catimini dans une seule
salle parisienne et n’est quasiment jamais diffusé sur le câble. Mais heureu-
sement récupérable en Blu-ray Collector chez Extralucid Films. Toujours en
mode “coups de pompe dans le bas-ventre”, Fatih Akin continue sa bifurcation
dans cette nouvelle voie de provocation et de violence, mais en version plus
rock’n’roll que franchement sombre. Et pour cause puisqu’il enjolive le biopic
consacré à Giwar Hajabi, rappeur kurdo-iranien plus connu sous le surnom
de Xatar et qui, à travers ses multiples labels, a également produit des albums
de musicien hip-hop plus ou moins populaires comme Sero El Mero, SSIO et
Schwesta Ewa. Or Giwar Hajabi n’a pas eu un parcours de tout repos, comme
il le détaille dans son autobiographie inédite en France et intitulée, dans sa
traduction allemande : “Tout Ou Rien, Comme On Dit, Le Monde Est A Toi”.
Car en 2009, alors âgé de vingt-huit ans, il vole avec deux complices 1,7 million
d’euros dans un camion avant de s’enfuir en Irak. La raison de ce braquage est
mise en images par Fatih Akin d’une manière à la fois pulsionnelle et empathique.
On suit donc la progression de ce petit vaurien engoncé dans la voyoucratie plus
ou moins malgré lui. Avec trafic de hasch et de VHS pornos piratées, perte de
cargaison de coke, acquittement compliqué d’une grosse dette envers la mafia
turque et, enfin, passage en taule purificateur puisque c’est derrière les barreaux
que Giwar va commencer à composer sa musique qui lui amènera enfin gloire
et noblesse. Contrairement aux films de sa première période plutôt portés sur le
sentimentalisme discret, Akin se lance avec “Rheingold” dans l’ambitieux et le
grandiloquent. Dans le genre biopic-bad guys, on est finalement assez proche
du “Scarface“ de Brian De Palma. Avec frime chic, pétage de plombs, rixe avec
coups de poing salvateurs, filouterie à tous les étages et rédemption quand l’art
de la musique remplace progressivement les bas instincts. Une double ascension
allant du pire (de petit dealer à gros trafiquant) au meilleur (de taulard à la petite
semaine à légende du rap allemand), le tout raconté dans une saga immersive de
deux heures et vingt minutes emmenée par un acteur de génie, Emilio Sakraya
(découvert dans la série “Tribes Of Europa” sur Netflix) qui, au niveau de jeu et du
comportement physique gère incroyablement les trente ans de temporalité de son
personnage. Alors que l’acteur n’a que vingt-cinq ans (en salles le 28 juin) ! o
Cinéma par Christophe Lemaire
Enfer urbain
Zillion
Zillion ravagé du ciboulot, d’une énergie aussi qui, après avoir déniché un monceau Du pur défouloir méga absurde. Surtout
Il y a sept ans, on découvrait le cinéaste contagieuse qu’un long tour de 2h18 d’or dans les roches de Laponie, quand le vieil homme au faciès aussi
belge Robin Pront avec “Les Ardennes”, sur le plus grand roller coaster protège sa découverte d’une bande buriné qu’un iguane millénaire survit à
thriller social dont le mix entre drame du monde (actuellement en salles). de nazis furibards voulant s’approprier toutes les agressions destructrices des
et humour à froid faisait pencher la le précieux métal. Soit, pour résumer en Allemands à son encontre, les balles,
balance stylistique du côté des frères Sisu : De L’Or Et Du Sang une ligne, un kamikaze de soixante ans les explosions et même une pendaison
Coen. Mais avec ce “Zillion”, on frise Grosse série B guerrière scandinave, dur à cuire contre une bande de Teutons n’ayant aucun effet sur son corps peu
l’ambiance “La Fièvre Du Samedi Soir”, “Sisu” est totalement éclatant. Du aussi vicelards que des soldats du chétif. Comme s’il était l’incarnation
vu qu’une bonne partie de l’action se moins si on ne prend pas au sérieux groupe Wagner. A l’écran, c’est de d’une version christique et vengeresse
déroule dans un immense night-club ce personnage d’orpailleur vagabond la BD live en version action non-stop. de “Rambo” (actuellement en salles).
créé et géré de façon mafieuse par un
jeune geek. Mais le mélange fiévreux
entre argent propre (à 10%) et argent
sale (à 90%) finit par avoir raison de
sa santé mentale, sachant que ses
nombreux passages à tabac par la
concurrence, sa passion destructrice
pour Miss Belgique, les nombreuses
envolées de coke et son envie tenace
d’un pouvoir éternel ne vont pas
arranger son quotidien. Le tout rythmé
par l’ambiance du lieu, avec techno
en boucle, pluie de paillettes, clients
douteux, alcool à flot et spectacles
lasers, retourne aussi le cerveau de
ceux qui pénètrent dans cet enfer festif
au goût de paradis larvé. Le night-club
“Zillion” a réellement existé. Et était,
dans la seconde moitié des années
quatre-vingt-dix, l’équivalent du Palace
à Paris ou du Studio 54 à New York.
Idem pour le personnage de Frank
Verstraeten, big boss du lieu qui, si on
se fie au film, était aussi frondeur que
n’importe quel bad guy excité dans un Sisu : De L’Or Et Du Sang
polar de Martin Scorsese. Un biopic
Limbo
Luden :
Les Rois Du Quartier Rouge
Un mac à la ramasse
En s’attaquant aux six épisodes de “Luden”, les entre la fin des années soixante-dix et le début des
cinéphages coquins de plus de cinquante ans
ne pourront pas s’empêcher d’être un peu
années quatre-vingt. Ou comment un proxénète à Reform
School Girls
la tignasse peroxydée fonde avec deux amis et une
nostalgiques de l’âge d’or du cinéma érotique prostituée à la cinquantaine avenante un simili bordel
teuton, étant donné qu’au début des glorieuses au look de cabaret rococo. Histoire que la clientèle (Extralucid Films)
seventies, tout comme en France, l’Allemagne se sente plus à l’aise pour pratiquer des parties de Mis en boîte au
produisait en masse des films olé olé, plus grivois gambettes en l’air. Avec néanmoins un gros souci milieu des années
que hard et plus canailles que franchement porno. à la clé pour eux, quand les proxénètes d’en face, quatre-vingt,
C’était le bon vieux temps de “C’Est La Queue Du Chat installés depuis un bail, voient d’un mauvais “Reform School Girls”
Qui M’Electrise”, “Rapports Intimes Au Collège De œil l’arrivée de ces nouveaux entremetteurs à de Tom DeSimone
Jeunes Filles”, “Bibi La Dévoreuse”, “Tiens Ta Bougie l’attitude plus cool et libertaire. Si “Luden” place (ex-stakhanoviste
Droite” et autre “Les Fantaisies Amoureuses De son histoire (réelle) dans le contexte historique de l’âge d’or du
Siegfried”. Des coquineries pelliculées qui baignaient de l’époque (règlements de compte et petits porno gay) est
dans une sexualité décomplexée et post-soixante- arrangements entre proxénètes, arrivée du sida, l’exemple parfait
huitarde. Et qui pouvait laisser croire que le cul pour coke à profusion, criminalité expansive), la série se du WIP, contraction de Women In Prison,
le cul n’amenait aucune complication particulière. focalise principalement sur la destinée de plusieurs un sous-genre du cinéma d’exploitation
Pour le coup, les films érotiques dramatico-tragiques personnages : un mac à la ramasse rêvant de devenir provo où agressions verbales, taulardes
se faisaient plus rares, histoire de ne pas faire baisser boxeur, une prostituée rodée au tapin qui finit par sexy vierges et innocentes, grimaces de
la libido du spectateur mâle. Qui a dû rester très gagner son statut de mère maquerelle, une love story haine et matonnes lesbiennes prennent
circonspect, pour prendre un exemple, face au très compliquée entre un souteneur et l’une de ses filles, le pas sur des ersatz de scénario où finesse
déviant “La Marquise De Sade” (1971), une bizarrerie une adolescente à la recherche de sa mère devenue et poésie ne sont définitivement plus de ce
bien oubliée de l’histoire du cinéma cochon qui retrace péripatéticienne dans le quartier rouge... Certes, monde. Sorti naguère en VHS sous le titre
le parcours vicelard d’un aristocrate décadent pratiquant visuellement, “Luden” n’est pas aussi explosif ni “Les Anges Du Mal 2”, “Reform School
de nombreuses orgies en s’inspirant de tableaux fêtard que “Zillion” (voir rubrique Cinéma) et préfère Girls” surjoue tellement avec les codes
de Jérôme Bosch. Un véritable fait divers recréé à jouer la carte de l’intime. En s’attachant aux émois de ce genre joyeusement bâtard que le film
l’écran façon psyché par un certain Kurt Nachman, tour à tour chaleureux, agressifs et traumatiques de se regarde comme sa propre auto-parodie.
connu en son temps pour avoir monté des spectacles ses personnages dont le plus touchant est celui de Surtout quand apparaît Sybil Danning,
sulfureux durant la période du Troisième Reich. “La la putain quinquagénaire magnifiquement interprété starlette du cinéma bis européen à la
Marquise De Sade” fait donc partie d’un sous-genre par Jeanette Hain, grande actrice de cinéma et de poitrine imposante en directrice de prison
nommé “le cinéma sexuel psychopathique”. Auquel télévision en Allemagne. Quant à “La Marquise De au look de soldatesse de la Waffen-SS.
on pourrait rattacher aisément “Luden”, immersion Sade”, il est disponible uniquement en VOD sur le Inutile de préciser qu’on se marre.
crue et réaliste dans le quartier chaud de Hambourg site Filmotv (en diffusion sur Amazon Prime)... o
Transformer
la Warzone en Lovezone
Avec “Judee Sill” (Dupuis), le duo espagnol Juan Díaz Canales (scénario) et Jesus Alonso
Iglesias (dessin) propose un roman graphique sur une chanteuse qui aura tout raté ou presque
dans sa carrière. A la différence de Janis Joplin et d’Amy Winehouse, la chanteuse californienne
va overdoser seule et dans l’indifférence générale après avoir balancé sa carrière aux orties. Née
d’un couple désuni, Judee découvre très vite les joies de la délinquance juvénile, la drogue, les
braquages et la prison. Après une période de rémission où elle se met à la musique, elle développe
un style vocal très personnel où elle entremêle folk, cantates de Bach et glorification du Sauveur.
Après deux albums remarqués par la critique mais peu par le public, elle disparaît du paysage
musical. A partir de quelques rares interviews données au début des années soixante-dix,
d’un documentaire de 2022 et d’un peu d’imagination, Canales réitère la tragédie en jouant
sur les zones d’ombre de la jeune femme. Ainsi, il remet en doute son suicide même. “Judee
Sill” est une BD dont la narration particulière joue à saute-mouton entre différentes époques
et personnages réels ou fictifs. Si les auteurs ressuscitent une artiste, cette dernière a tout
fait de son vivant pour ne jamais obtenir sa rédemption. A lire en
écoutant “Judy Was A Punk Jesus Freak” par Aaron Lee Tasjan.
Levitation
France
27 et 28 mai, Chabada (Angers)
En passant de trois à deux jours, le festival a resserré
sa programmation pour le meilleur, avec une affiche
rock’n’roll et psychédélique qui a tenu ses promesses.
Héroïques frangins
A Different Kind
Festival
13 mai, Château de Quenet (Conches)
Olivier Rocabois ouvre la deuxième
édition de l’ADK, mission sur
mesure puisque, avec sa pop arty
gorgée d’harmonies et sa bonne
humeur, il installe l’atmosphère
idéale d’une fin d’après-midi pleine
de promesses. Et elles arrivent
avec Johan Asherton, sa voix grave
et sa folk élégante, aux accents de
violon venant pimenter la sauce.
On change d’ambiance avec Brisa
Roché et un set léger à base de
covers entre copines. La nuit tombe.
La température avec, mais pas la
qualité. Grant-Lee Phillips seul avec
une guitare nous embarque avec
ses compositions hypnotiques et
prépare le terrain à la tête d’affiche,
les Raveonettes, dont c’est l’unique
avec son groupe Les Mercuriales, du très bon son quartier des pentes. Mais ce sont pour
post-rock contre-cool. Quand je pense que la la grande majorité des jeunes sans argent,
rédaction de Libé avait refusé de déménager des jeunes éprouvés par la dureté de la vie.”
porte de Bagnolet dans ces tours sublimes, “So long I’ve been trying to match” :
maintenant ils crèchent dans le même immeuble Gojira, “L’Enfant Sauvage”. o