Pouvez-Vous Faire Confiance A V - Simone Wapler
Pouvez-Vous Faire Confiance A V - Simone Wapler
Pouvez-Vous Faire Confiance A V - Simone Wapler
Couverture : O. Frenot
ISBN 978-2-87515-212-1
ISBN eBook : 978-2-87515-485-9
D/2014/11.948/212
Dépôt légal : 1er trimestre 2014
E-mail : [email protected]
Site internet : www.ixelles-editions.com
Ixelles éditions est une division d’Ixelles Publishing
1
Où le lecteur apprendra que, cinq ans après la crise, rien n’a vraiment changé. Le
volcan financier sommeille. Sauf que, cette fois, s’il y a une nouvelle éruption
financière, vos dépôts seront confisqués. Du bail out (l’Internationale des
contribuables paye les pots cassés) au bail in (tant pis pour vous si vos sous sont dans
la mauvaise banque), vous risquez de vous faire « chypriotiser », vous faire prendre
une partie de vos dépôts.
Tous les vendredis, cette vieille dame retirait tout l’argent figurant à son
compte. Tous les lundis, têtue, elle retournait à sa banque pour y déposer son
pécule à peine écorné par ses modestes emplettes du week-end. Les employés
du guichet se moquaient gentiment de notre charmante vieille dame un peu
lunatique. Pourtant, l’avenir allait clouer le bec de ces « conseillers
financiers ».
Le vendredi 15 mars au soir, toutes les banques fermèrent pour ne rouvrir
que douze jours plus tard. Les gros déposants se virent arbitrairement
confisquer une partie de leur argent et, à la réouverture, les retraits étaient
limités à 300€ par jour, par personne et par banque.
C’était en 2013. Notre vieille dame – qui habitait Paphos, à Chypre – était
une initiée, contrairement aux impertinents guichetiers. Durant douze jours de
blocus bancaire, elle put vivre comme à son habitude. « Mon fils est
économiste en Russie. Il m’a prévenue que si quelque chose arrivait aux
banques, ce serait le vendredi. C’est lui qui m’a conseillé de retirer mon
argent tous les vendredis. »1
Nul besoin d’être un grand initié, d’ingurgiter The Wall Street Journal,
L’Agefi, ou le Financial Times à longueur de journée, ni même d’avoir un
cousin chez Goldman Sachs, pour prendre des précautions élémentaires. Un
peu de bon sens suffit. Pourtant, peu de gens sont aujourd’hui conscients du
simple fait que les banques sont toujours malades et trop grosses pour faire
faillite.
Mais je vous entends penser cher lecteur : « Chypre n’est pas la France. Les
banques vont beaucoup mieux, la crise financière est finie, la régulation a
assaini la planète finance et le pire est passé, disent nos grands timoniers. »
Non. Désolée de jouer les trouble-fêtes, mais ce tableau idyllique est loin de
la réalité.
L’activité économique n’a jamais retrouvé son niveau d’avant la crise de
2008. Les banques ont trop prêté d’argent, leur bonne santé n’est
qu’apparente et elles restent très vulnérables au moindre revers. Si moins de
5 % des crédits qu’elles ont octroyés ne sont pas remboursés, la plupart des
grandes banques françaises sont techniquement en faillite. En cas de
problème, vos dépôts seront cette fois en danger.
Les crises financières commencent le vendredi parce que, le samedi et le
dimanche, il est normal que les banques soient fermées ; donc il n’y aura pas
de panique et de retraits massifs. Cela laisse aux autorités 48 heures à l’abri
du bruit médiatique pour peaufiner leur communication et décider à quelle
sauce votre argent sera englouti. Vous veniez de vendre un bien immobilier,
votre outil de travail, ou simplement vous aviez un peu d’argent de côté, tant
pis pour vous !
« Il est naturel que l’approche chypriote soit utilisée comme indicateur de
ce qui pourrait arriver ailleurs : la confiscation des dépôts. »2 (Adrien
Blundell-Wignall, conseiller spécial des marchés financiers, OCDE.)
Les financiers fabriquent des produits dérivés avec une monnaie, une
matière première, un taux d’intérêt, etc. Ce sont des instruments financiers
dont la valeur varie comme quelque chose d’autre (dit « le sous-jacent », en
jargon). L’économie réelle s’en sert comme couverture, les financiers comme
outil de spéculation. Par exemple, dans l’économie réelle, un boulanger
industriel va s’assurer contre une hausse du blé avec un produit dérivé car il
s’est engagé sur ses prix à un an vis-à-vis de la grande distribution.
Parallèlement, pour un fond spéculatif, un financier peut au contraire au
même instant parier sur une baisse du blé en raison d’une météo excellente au
moment des semis des récoltes futures. Un des problèmes actuels est qu’il y a
infiniment plus de capitaux investis dans des fonds spéculatifs que de
trésorerie de boulangers industriels sur le marché du blé. Un autre aspect est
qu’avec des produits dérivés vous pouvez aussi assurer des actifs que vous ne
possédez pas. Imaginez que vous puissiez assurer contre l’incendie un
château que vous n’avez pas. Si un incendie ravage la région où se situe le
château sur lequel vous avez jeté votre dévolu, vous touchez le gros lot. Plus
fort encore, imaginez qu’on vous prête l’argent pour assurer ce château que
vous n’avez pas. Celui qui vous prête a confiance dans votre flair pour
détecter les châteaux potentiellement vulnérables aux incendies. Si vous avez
raison, il va partager la prime de l’assurance avec vous… C’est en utilisant
l’argent créé par les banques centrales pour assurer des risques qu’on
n’encourt pas que les paris couverts par les produits dérivés sont aujourd’hui
encore plus élevés qu’en 2008.
Comme lors de la dernière crise, les produits dérivés existants sont
majoritairement liés à l’évolution des taux d’intérêts, il y en a pour plus de
527 000 Mds$5 sur les 693 000 Mds$ déjà mentionnés. Il n’a pas échappé à
votre perspicacité, cher lecteur (je sens que nous allons bien nous entendre
puisque vous êtes arrivé jusqu’ici), que ces taux d’intérêts étaient manipulés à
la baisse depuis cinq ans avec le plus grand succès par les banques centrales.
Les banques – comme les États occidentaux surendettés – sont extrêmement
vulnérables à toute hausse des taux et leur survie dépend donc des
manigances monétaires orchestrées par les banques centrales, que nous
détaillerons. Tout ceci, vous en conviendrez, n’est guère rassurant, car toute
supercherie a une fin.
Dans le même temps, les banques trop grosses pour faire faillite sont
toujours là, toujours aussi grosses ; en septembre 2013, la banque Goldman
Sachs a intégré le Dow Jones, l’indice américain qui regroupe les trente
sociétés dont les actions valent le plus cher. Nos grandes banques
européennes opèrent avec des effets de levier gigantesques de 28 à 856 ; pour
1 € d’argent qu’elles possèdent réellement – leurs fonds propres – elles
peuvent en prêter jusqu’à 85 ; l’ensemble des prêts accordés par les quatre
plus grandes banques françaises (BPCE, BNP Paribas, Crédit agricole,
Société générale) pèse plus de 6 200 Mds€, trois fois le PIB de notre pays.
Dit autrement, 1 % à 4 % de pertes, de prêts non remboursés, d’impayés
mettraient ces banques en faillite, puisque leurs fonds propres seraient alors
engloutis et qu’une banque sans fonds propres n’a légalement plus le droit
d’exister.
Chypre a tout changé, car ce qui s’y est passé préfigure ce qui nous attend
désormais en cas de faillite d’une grande banque. Jusqu’à présent, dans le
précédent volet de la crise, aucun déposant n’a eu mal. Bradford & Bingley,
Royal Bank of Scotland, Anglo Irish Bank, Hypo Real Estate, Unicredit,
Roskilde Bank, Dexia, Fortis, ABN Amro, Bankia, Natixis… les pierres
tombales du cimetière des banques sont fraîches et d’autres banques zombies
errent aux alentours… Ces banques zombies donnent l’apparence de la vie,
mais simplement à cause des liquidités fournies par la Banque centrale
européenne. Dans le cas des banques déjà mortes, en Angleterre, en Irlande,
en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique, en France et en Espagne,
le déposant est toujours ressorti intact, ou presque, d’une faillite, d’un rachat
précipité ou d’une nationalisation d’urgence7. Ces banques ont en réalité été
renflouées ou reprises grâce à l’argent des contribuables, de l’Internationale
des contribuables, devrait-on même dire. Ainsi, la faillite de Dexia se
retrouve partiellement dans les dérapages du déficit et de la dette de la
France, les 60 Mds€ d’impôts supplémentaires du « choc fiscal » que vous
avez subi ces trois dernières années.
« Il a toujours été dangereux d’avoir un système où les déposants dans les
banques, qui étaient assurés par une garantie d’État (donc par le contribuable)
financent les produits les plus risqués et les activités des banques
d’investissement. En somme, nous avons privatisé l’actif de leurs bilans et
nationalisé le passif – ce qui est une politique dangereuse et imprudente. »
(Gene Rotberg, ancien vice-président de la Banque mondiale et de Merrill
Lynch.)
Les financiers et les autorités désignent ces opérations de sauvetage par
l’Internationale des contribuables par le terme technique, et en apparence
indolore, de bail out. Les sauveteurs sont extérieurs (out) à la banque. Mais à
l’avenir, il a été décidé que tout naufrage serait administré par bail in. Les
sauveteurs seront d’abord recherchés dans (in) la banque : actionnaires,
créanciers et déposants, donc vous. De temps en temps, dans vos journaux,
font surface des expressions absconses telles que « union bancaire8 » ou
« projet de résolution bancaire ». Il s’agit de la mise au point de tout l’arsenal
juridique pour organiser ces futurs bail in qui consiste à venir se servir dans
vos dépôts en cas de besoin et sans vous demander votre avis.
Lorsque vous déposez de l’argent sur votre compte en banque, il ne vous
appartient plus vraiment. Par un jeu d’écritures, vous êtes titulaire d’un
simple droit de créance à l’égard de votre banque qui vous doit votre argent.
S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir de ce livre, c’est celle-là. En cas de
faillite, la banque peut ne pas vous payer, car une créance n’est pas un droit
de propriété. Donc, lorsque vous entendez « il va falloir faire payer les
créanciers privés », dressez l’oreille : on parle peut-être de vous.
Que risquez-vous ?
Environ 8 % de vos dépôts, c’est en tout cas le niveau auquel est favorable
le ministre allemand des Finances Wolfgang Schauble. Les autres pays
européens renâclent à fixer ouvertement un chiffre, craignant par sa simple
évocation de déclencher une fuite des dépôts, le bank run tant redouté. En
réalité, c’est bien plus de 8 % qu’on risque de vous subtiliser.
« La question de la résolution des crises bancaires sans contagion
systémique est évidemment très importante depuis Lehman et vous pensez
bien que l’on travaille discrètement, pour ne pas dire secrètement, sur ce
sujet. Ce que l’on voit, ce ne sont que des émergences de l’iceberg. Tout est
étudié pour piéger l’argent car c’est dans le piège de l’argent et sa
confiscation que réside la solution. La crise n’est pas résolue, elle sera encore
plus grosse quand elle se manifestera et les calculs du Boston Consulting
Group rejoignent ceux des experts publics ; un jour ou l’autre, la question
d’un rééquilibrage par ponction sur l’argent, là où il est, se posera. »9 (Bruno
Bertez, ancien propriétaire de L’Agefi.)
Pire encore, les calculs du Boston Consulting Group conduisent à une taxe
de 30 %. Pour ce cabinet de consultants, qui a le mérite d’être indépendant, la
messe est dite. Les quatre voies possibles explorées par les autorités
politiques mènent en réalité à des impasses. La première voie, l’austérité – à
savoir épargner ou dépenser moins pour rembourser les dettes publiques ou
privées – est rejetée par les populations. La seconde voie, le retour à la forte
croissance, est bouchée en raison de la démographie vieillissante et du
manque de compétitivité des pays endettés. La troisième voie, la
restructuration des dettes, c’est-à-dire se mettre d’accord pour effacer
certaines dettes ou en reculer le remboursement, est impossible, car le
système bancaire est toujours trop fragile pour l’assumer. La quatrième voie,
la « répression financière », est plus complexe : il s’agit de maintenir des taux
d’intérêts artificiellement faibles, en dessous de la croissance économique et
de l’inflation, afin de ronger le stock de dettes existant. En effet, un État
emprunte in fine, il ne rembourse le principal qu’à l’échéance de son prêt. S’il
arrive à créer de l’inflation, il va rembourser en argent dévalorisé. Mais en
l’absence de croissance robuste (de l’ordre de 4 %), cette méthode est trop
lente pour résorber l’endettement existant.
Il faut effacer environ 21 000 Mds$ de créances irrécouvrables chez les
ménages, les entreprises, les banques et les États. Comment combler le
trou que cela va faire dans le système bancaire hypertrophié ? En tapant dans
les 74 000 Mds$ d’actifs financiers (vos comptes courants, livrets,
assurances-vie, etc.) des classes moyennes et supérieures. Ce qui se produira
tôt ou tard. En France, cela correspondrait à une ponction de plus de 30 % de
l’épargne financière, une sorte de super-impôt sur la fortune liquide.
Source : Boston Consulting Group, Back to Mesopotomia? The Looming Threat of Debt
Restructuring, 2011.
10 %, ce serait sur l’ensemble des dépôts pour une sorte de jubilé11 (remise
de dette) partiel qui permettrait d’effacer une partie de la dette publique des
pays de la zone euro, selon le Fonds monétaire international. Ceci remettrait
les compteurs de la dette à la case de 2007, juste avant la crise.
34 %, ce serait pour purger toutes les créances douteuses de l’Eurozone,
selon le Boston Consulting Group.
Évidemment, en première ligne de ceux qui ont besoin de votre argent se
retrouve le système financier à recapitaliser. En Europe, les banques
détiennent des dettes de leur État de tutelle et il leur faudrait plus de
1 500 Mds€ de capitaux propres supplémentaires – selon les estimations de
certains analystes12. Si les banques font faillite, comment les États placeront-
ils leurs dettes ?
L’imbroglio entre banques et États est total. Les banques sont chargées de
dettes d’États et toute faillite de grande banque met son État de tutelle en
danger. La Banque centrale européenne a prêté aux banques espagnoles et
italiennes, qui ont employé une partie de cet argent pour acheter des emprunts
d’État de leurs pays. Ce tour de passe-passe finance les politiques de
dépenses publiques mais aussi les importations en provenance d’Allemagne.
C’est ainsi que la zone euro survit cahin-caha depuis 2008.
Bruno Bertez, déjà cité, dénonce cette collusion entre États et banques de
façon plus crue : « Par l’intermédiaire des marchés qu’elles contrôlent
totalement, les banques ont mis le couteau sous la gorge des gouvernements,
sorte de menace implicite de leur couper les vivres. Elles ont exigé la
solidarité européenne, elles l’ont imposée et ensuite elles ont forcé la main de
la Banque centrale européenne pour qu’elle promette des liquidités gratuites à
l’infini, sans limite, en attendant que les conditions politiques leur permettent
d’exercer le chantage ultime. Le chantage ultime c’est, honorez vos dettes, en
confisquant l’argent de vos citoyens. »13
Ne vous y trompez pas, nous vivons sur un volcan et, à la moindre
injonction des autorités, les banques se transformeront en collecteurs de
taxes, car elles savent que sauver les gouvernements surendettés ou se sauver,
c’est la même chose.
N’en déplaise aux politiciens vendeurs de lendemains toujours meilleurs, il
n’y a pas de sortie de crise sans douleur. La suggestion du FMI de taxe
spéciale de 10 % prépare la voie politique. Le moment venu, on vous
expliquera que l’on ne fait qu’appliquer les préconisations de cette
organisation internationale. Exactement comme dans les entreprises qui font
appel à des cabinets d’audit pour pouvoir ensuite licencier en s’abritant
derrière les décisions des consultants.
Mais, m’objecterez-vous, les autorités sont conscientes des faiblesses de
nos banques. Certes, les stress tests furent imparfaits, toutefois nous lisons
dans les journaux que les banques sont soumises à une autre batterie de tests ;
la Banque centrale européenne a recruté 1 000 fonctionnaires à l’automne
2013 ; les autorités veillent au grain…
Ce n’est pas si simple ! On voit mal comment les mêmes personnes et les
mêmes organisations à l’origine du problème initial seraient maintenant
capables de le résoudre. Seules 7 banques sur 91 avaient échoué aux stress
tests de 2010. Quatre mois plus tard, il fallait cependant injecter 35 Mds€
dans les banques irlandaises dans le cadre d’un plan de sauvetage global de
85 Mds€. En 2011, rebelote : nouveaux stress tests, toujours sur 91 banques.
Cette fois, 16 banques, dont 7 espagnoles, sont déclarées douteuses. Dexia ne
figure pas parmi les suspectes et sera pourtant renflouée deux mois plus tard.
Coût pour les contribuables français et belges : 6,6 Mds€.
L’exercice des stress tests est tellement déconsidéré que le nom a été
changé : ce sont maintenant des AQR, comme Assets Quality Review (ou
Revue de la qualité des actifs du bilan dans le vocabulaire financier français).
130 banques européennes sont censées ouvrir leurs placards aux
fonctionnaires européens des autorités de régulation. Ces derniers vont alors
se pencher sur les contenus desdits placards et trier cadavres et moribonds. Ils
sont cependant juges et parties puisqu’ils savent très bien que tout danger
pour une grande banque est aussi un danger pour son pays et l’euro. Est-ce
pour cela qu’un cabinet privé, conseil en stratégie américain, a également été
mandaté ? Hélas, ce dernier – Oliver Wyman – ne s’est pourtant pas distingué
par sa clairvoyance, comme nous le verrons. On pensait (naïvement) que tous
les cadavres avaient été traînés à la Banque centrale euro-péenne et échangés
contre de l’argent frais et sans odeur. N’était-ce pas le pacte passé entre
Mario Draghi,le gouverneur de la Banque centrale européenne, et les
banques commerciales de l’Eurozone ? Enfin, après les récents scandales de
trading14, d’entente du cartel bancaire sur les taux du Libor15 et de
l’Euribor16, de manipulation du marché des devises17 qui ont agité ou
secouent toujours le milieu bancaire, on voit mal ce dernier jouer de la
transparence.
Certes, définir et cerner autant que possible le montant de créances
douteuses détenues par chacune des banques auscultées part d’une bonne
intention. Mais vous imaginez bien qu’aucun banquier zombie n’a envie
d’ouvrir son placard à cadavres. Il laissera peut-être échapper un os à ronger,
mais les charognes resteront bien cachées.
L’affaire se complique encore en raison de l’union bancaire, sans laquelle il
serait vain de vouloir inspecter les banques. Cette union bancaire est un
serpent de mer qui fait horreur aux Allemands et à l’Europe du Nord tandis
que l’Europe du Sud l’appelle de tous ses vœux. « La BCE ne peut pas se
lancer dans l’évaluation de la qualité des actifs bancaires et dans les stress
tests sans que nous ayons au préalable défini des règles claires en cas de
problème pour un établissement », indique un diplomate cité dans Les
Échos18. Ce qui oppose les buveurs de bière et les buveurs de vin est très
simple : l’Allemagne n’a qu’une grosse banque, certes horriblement sous-
capitalisée, la Deutsche Bank, mais elle n’en a qu’une. La France compte
quatre grosses banques potentiellement dangereuses. L’union bancaire
fonctionnerait comme d’Artagnan et ses trois mousquetaires. Ce serait « tous
pour un » (les buveurs de vin qui potentiellement aideraient un peu la
Deutsche Bank en cas de besoin) mais aussi « un pour tous » (l’Allemagne
qui aiderait beaucoup les énormes banques des buveurs de vin). Depuis le
début de la crise, l’Allemagne a vite compris qu’elle ne savait plus trop où
elle mettait les pieds et s’oppose à tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à
une mutualisation des dettes, y compris évidemment celles des banques.
Donc le serpent se mord la queue. On veut ausculter à ventre ouvert les
banques mais seulement si la réanimation est prête, et la zizanie règne dans
l’équipe de réanimation.
Mais, pourtant, le temps presse car se profile un événement dangereux,
jamais vu depuis quarante ans…
Où le lecteur curieux apprendra que les banques gagnent de l’argent en prêtant celui
qu’elles n’ont pas. La généralisation des banques de dépôts et l’obligation pour les
particuliers de détenir un compte bancaire ont permis le développement d’une industrie
du crédit. Nous vivons désormais dans un monde où la croissance des activités
économiques rentables est confondue avec la croissance du crédit adossé à rien, à de
l’argent qui n’existe pas.
Que font vraiment les banques ? Un banquier traditionnel vous dira que son
métier est un travail de transformation : il transforme de l’épargne courte (vos
dépôts sur votre compte courant ou vos livrets – qu’il appelle dépôts à vue ou
à court terme) en prêt sur une longue durée. Dans cette activité, son risque de
banquier est que l’emprunteur ne le rembourse pas, ou pas totalement. Son
gain – qui rémunère ce risque – est la différence entre la rémunération de vos
dépôts et le taux auquel il prête. Vos dépôts sur votre compte courant ne vous
rapportent rien, c’est donc marge maximale pour le banquier. S’il s’agit de
vos livrets rémunérés, sa marge est un peu moindre. Mais un banquier ne
prête pas que vos dépôts, il prête aussi de l’argent qu’il emprunte sur les
marchés. Comme c’est un banquier, les marchés lui prêtent volontiers de
l’argent à un taux inférieur aux autres. Nous verrons plus tard les raisons de
ce privilège, mais revenons sur le métier traditionnel dit de transformation.
Supposez que votre banquier ait comme client professionnel un industriel
de l’agroalimentaire, roi du fondant au chocolat, qui souhaite se doter d’une
nouvelle chaîne de production. Lorsque vous épargnez, vous choisissez de
différer une consommation, une envie. Vous avez par exemple préféré verser
sur votre livret 500 € plutôt que de succomber aux charmes de la dernière
tablette à la mode abondamment vantée à la télé.
Votre épargne, votre consommation différée, va servir à financer un « bien
de capital », la chaîne de production de notre industriel roi du fondant au
chocolat. Un bien de capital est quelque chose de coûteux, mais qui permet
de produire de façon plus abondante. C’est ainsi que, plus tard, vous
dégusterez un délicieux fondant au chocolat à un prix imbattable en regardant
la télévision ; au moment de la publicité, vous constaterez que le prix de la
fameuse tablette que vous convoitiez a baissé. Vous avez retardé votre
consommation, et vous avez en fin de compte bien fait puisque vous avez et
le fondant au chocolat et la tablette, car vous allez finalement foncer pour
l’acheter, cette tablette dont le prix a baissé ; vous n’êtes pas qu’un éternel
ascète, que diable !
L’avantage des biens de capitaux, c’est qu’ils nous permettent d’avoir
mieux avec moins d’efforts. Plus il y a d’épargne, plus il y a de possibilités
de financer ces biens de capitaux qui deviennent de plus en plus complexes et
représentent de lourds investissements. C’est ainsi que les emplois industriels
deviennent de moins en moins nombreux tandis que les emplois de service –
pour lesquels une personne est réellement irremplaçable – subsistent.
Certains vous diront que la mécanisation et la robotisation suppriment des
emplois et que c’est abominable. Si on les écoutait, il faudrait encore des
métiers à tisser manuels et des moines copistes au nom de la défense de
l’emploi. Mieux vaut ne pas perdre trop de temps avec ces nostalgiques.
Ce cas est assez simple : la banque vous prête de l’argent et vous allez
pouvoir avancer dans le temps de la consommation. Le taux sera surtout
fonction de la somme empruntée et de la durée. La procédure est plutôt
standard et les analyses de « profil de risque » sommaires. Dans ces activités,
les banques de détail sont en concurrence avec de gros organismes de prêt à
la consommation comme Cetelem, Cofidis, Sofinco,ainsi qu’avec les banques
des distributeurs tels que Carrefour et les banques ou sociétés de crédit des
constructeurs automobiles. L’avantage de la banque de détail sur ces autres
organismes est qu’elle peut compter sur les dépôts de ses clients – qui ne sont
pas ou peu rémunérés – tandis que ses concurrents sont contraints
d’emprunter leur argent sur les marchés.
Contrairement à ce que vous pourriez penser et malgré les taux pratiqués,
parfois proches de l’usure, les banques ne gagnent presque pas d’argent avec
cette activité. La dernière enquête de la Banque de France24 montre même
qu’elles en ont perdu en 2013 (– 0,345 % de marge au premier trimestre).
Même au moment glorieux de 2008, la marge a culminé à 0,44 %, pas de
quoi vous faire rêver d’être banquier si c’est pour vous limiter à cette seule
activité. D’ailleurs, elle décline régulièrement et est passée de 45 Mds€ en
août 2008 à moins de 35 Mds€ à fin 2013. En première ligne, les prêts pour
l’amélioration de l’habitat et, bien sûr, les crédits automobiles.
C’est une triste exception française : même lorsque l’économie va bien, nos
entreprises connaissent des fins de mois difficiles et ont de faibles marges.
Aujourd’hui, avec la crise, les marges sont au plus bas depuis 1985 sous
l’effet de la hausse des charges salariales, des cotisations et des impôts. C’est
d’ailleurs une des raisons pour lesquelles notre tissu de PME est moins dense
que celui de l’Allemagne et que notre taux de chômage est plus élevé. Les
grands groupes créent très peu d’emplois sur le sol national et la majorité des
gens travaillent dans des petites entreprises. La cause de cette mauvaise
rentabilité de nos entreprises est connue : la France est championne du monde
des prélèvements sociaux et des pratiques de règlements différés à « x jours
fin de mois ». Malgré l’alignement prévu de la France sur l’Europe avec des
règlements à 30 jours maximum en 2013, un tiers des entreprises ne sont
toujours pas réglées avant 60 jours. Or un quart des défaillances d’entreprises
sont liées à des retards de paiement26. Le plus extraordinaire est que dans la
liste des mauvais payeurs spécialistes des gros délais de paiement, on trouve
de grandes banques. Société générale et BNP Paribas sont notamment
pointées du doigt par leurs fournisseurs27. On trouve aussi l’État lui-même.
De gros prélèvements sociaux toujours en hausse et des paiements
laborieux, cela donne des trésoreries vulnérables. Près des trois quarts de
demandes de prêts des entreprises sont en réalité des autorisations de
découvert.
Les prêts de trésorerie constituent donc une activité importante de la
banque. Ils sont souvent négociés à taux variable pour les gros prêts « Libor
ou Euribor + quelque chose ». Le Libor et l’Euribor sont les taux auxquels les
banques déclarent se prêter mutuellement, cette formule leur permettant de
s’affranchir du risque d’une hausse des taux durant la vie du prêt. Le « +
quelque chose » en sus de l’Euribor était en 2013 très légèrement supérieur à
1,5 % pour du 3 mois. Pour des entreprises en restructuration28, il est courant
d’aller jusqu’à + 5 %.
La banque prête aux entreprises qui souhaitent investir dans leur outil de
travail. Il s’agit là le plus souvent d’investissements industriels, les « biens de
capitaux », qui vont permettre de produire plus ou à meilleur coût. Cette
activité s’apparente à celle de la banque d’investissement. À vrai dire, seuls
les montants en jeu vont distinguer les deux activités. Participer au
financement d’une machine à commande numérique de la PME régionale est
du ressort de la banque de détail. L’aide au financement d’une chaîne de
montage du nouveau véhicule électrique d’un grand constructeur est plutôt de
l’ordre de la banque d’investissement.
Dans cette activité, les banques vont utiliser leurs ressources (vos dépôts,
mais aussi de l’argent qu’elles empruntent à tarif préférentiel sur les marchés)
pour prendre des paris sur les marchés financiers. C’est une des activités les
plus risquées, mais aussi les plus rentables. Elle s’est considérablement
développée et les Bourses sont maintenant électroniques, ce qui veut dire que
les ordres sont gérés informatiquement. Certains logiciels utilisent la lecture
automatique et sont programmés pour détecter des mots favorables ou
défavorables à une valeur lorsqu’une dépêche de Bloomberg ou de Reuters
tombe. Les ordres de vente ou d’achat sont déclenchés avant même qu’un
être humain ait eu le temps de prendre connaissance de l’information.
Récemment, s’est développé le trading haute fréquence, ou flash trading. Il
s’agit de faire passer des ordres de Bourse automatisés avant ceux des
concurrents et de profiter d’un écart de cours minime dans un laps de temps
très court. Le développement de ce type de trading a été rendu possible grâce
à l’informatisation des Bourses, à la disparition des systèmes dits « à la
criée » et à l’apparition de cours avec plusieurs décimales. Une dizaine de
sociétés privées non cotées se partagent cette activité au côté de quelques
grosses banques. La fréquence des ordres et les volumes font du chiffre,
même si les écarts de cours sont infimes. On estime ainsi que plus de 90 %
des ordres d’achat ou de vente d’actions relève du flash trading, qui
représente 40 % du volume en Europe et 65 % aux États-Unis. 1,6 milliard
d’actions sont ainsi échangées quotidiennement sur les Bourses américaines.
Il s’agit d’opérations dites intraday et à la fin de la journée les établissements
bancaires n’ont pas plus d’actions qu’au début. Le trading algorithmique
mobilise de gros investissements, car il rapporte gros. Corollaire, bien sûr, il
peut coûter gros et personne n’est à l’abri d’un accident. Les récents flash
crash – chutes brutales des marchés dans un très court laps de temps en 2010
puis 2012 – ont prouvé que ces systèmes automatisés, pilotés par des logiciels
conçus par des mathématiciens spécialistes de la finance de marché, peuvent
devenir fous. En pratique, si deux algorithmes différents s’avèrent d’humeur
allergique et se combattent, le krach surgit. Le fonds Knight Capital Group a
ainsi perdu 440 M$ en trente minutes le 1er août 2012, provoquant sa quasi-
faillite.
Vous vous demandez peut-être bien en quoi ces activités seraient
bénéfiques à l’économie et pourquoi des banques de détail qui abritent vos
dépôts jouent à cela ? Dans un rapport29, des experts de la Banque centrale
européenne considèrent que les robots traders ont un rôle bénéfique dans la
fixation des prix, ils éviteraient les erreurs de prix transitoires, la volatilité
comme disent les spécialistes. Les auteurs, qui sont professeurs d’université,
défendent la thèse que les robots seraient informés, contrairement aux
investisseurs non sophistiqués qui, effarouchés par la volatilité, ont tendance
à vendre lorsqu’ils devraient acheter, et inversement. L’économie réelle est
cependant peu sensible à la volatilité à court terme des prix. Que le baril de
pétrole puisse varier de 2 % en une heure de temps n’empêche pas les avions
de décoller ou les porte-conteneurs de poursuivre leur route. Les contrats à
terme qu’utilisent les professionnels pour se prémunir des variations des
cours leur suffisent. Donc l’activité de trading haute fréquence, si elle peut
être lucrative pour votre banque, ne l’est certainement pas pour vous et peut
en outre s’avérer très dangereuse pour la sécurité de vos dépôts.
Les LBO sont des prêts accordés à une entreprise pour racheter une autre
entreprise. Les fusacqs sont les opérations de fusion-acquisition des grandes
entreprises cotées ou non et enfin les offres publiques d’achat sont les
acquisitions d’entreprises cotées. Dans ces opérations, la banque intervient en
tant que conseil et facture des honoraires calculés en pourcentage de
l’opération. Nous sommes ici dans le royaume de la banque d’investissement.
De nombreux LBO de plus de 100 M€ conclus dans la griserie de l’avant-
crise ont dû être restructurés en 2009 et 2010. Les échéances de
remboursement ont été reportées, les clauses de protection des prêteurs
allégées, des systèmes d’obligations convertibles en actions mis en place. La
croissance allait revenir en 2012-2013 et il suffisait d’un peu de temps pour
que la bête achetée à crédit crache à nouveau de quoi rembourser les intérêts
du prêt, pensait-on. Le capital, lui, est remboursé in fine, c’est-à-dire à la fin
du prêt.
« Pour éviter trop de publicité, ces difficultés étaient traitées pour la plupart
dans le cadre d’un mandat ad hoc suivi d’une conciliation amiable. Sachant
que les banques qui avaient conservé ces dettes LBO dans leurs bilans ne
souhaitaient pas figer ce type de pertes », indique L’Agefi. En 2013, il faut
déchanter. La bête achetée à crédit ne veut toujours pas cracher comme on s’y
attendait. Les dettes renégociées en 2013 ont vu en moyenne leur taux baisser
de 5,91 % à 4,84 %, autant de précieuse marge en moins pour les banques qui
ont accordé des prêts. La croissance se faisant attendre, les restructurations à
venir promettent d’être plus méchantes.
Shadow banking, la banque de l’ombre qui échappe à la régulation
Où le lecteur candide apprendra que les banques trop grosses pour faire faillite sont
simplement trop grosses pour exister. La sanction naturelle du capitalisme, c’est la
faillite, le processus de destruction créatrice qui laisse disparaître ce qui est devenu
inadapté et laisse apparaître autre chose. Mais les banquiers sont de fins esprits et ont
dévoyé le capitalisme en le manipulant à leur profit. Les politiciens sont associés au
système et parviennent ainsi à financer leurs folies.
Si vous vous hasardez dans un dîner en ville à émettre une opinion négative
sur la compétence des banquiers, vous êtes rapidement ostracisé et vous vous
faites taxer de populiste. Ce dernier terme est évidemment l’injure suprême.
Le populiste attaque l’élite, dont il ne fait pas partie. Probablement parce
qu’il n’en est pas digne ou qu’il n’est pas apte. Il en appelle au peuple, aux
gens comme lui, les misérables hors de l’élite moderne qui se compose des
politiques, des intellectuels (une spécialité française désignant des gens sans
métier précis qui vivent de leurs idées fumeuses), des financiers et des people
du show business, ces derniers étant, avec les gagnants du Loto, les seuls
spécimens français dont les gains d’argent soient regardés d’un bon œil.
Pourtant, les banquiers sont bien irresponsables et incompétents ; je vais
vous le prouver et ce n’est pas une attaque populiste. Comme
l’irresponsabilité et l’incompétence sont deux accusations graves, autant se
mettre d’accord tout de suite sur la définition. Commençons par
l’irresponsabilité, finalement assez facile à prouver.
Il est en général admis que l’irresponsabilité est l’absence de responsabilité
légale ou morale. Hélas, la notion de « morale » remplit des kilomètres de
rayons de bibliothèques et le légal est quant à lui fluctuant. Mais,
heureusement, le Petit Robert précise que la responsabilité est l’« obligation
de réparer le dommage que l’on a causé par sa faute ».
Or, depuis des années, les banques sont exonérées de cette obligation. Le
Crédit lyonnais a coûté 20 Mds€ aux contribuables français mais n’a pas fait
faillite. Dexia n’a pas fait faillite. Durant la crise du crédit subprime, l’État
français a prêté presque 20 Mds€ aux banques. Les réserves du Fonds de
garanties des dépôts, alimenté par la profession, ne sont que d’environ 2 Mds
€, pour 600 Mds€ de dépôts, soit 1 € pour 300 € de dépôts à vue. Depuis la
malheureuse affaire du Crédit lyonnais, il est de notoriété publique que les
banques sont devenues « trop grosses pour faire faillite ».
Comment se fait-il que ces monstres bancaires soient bien vus et non pas
combattus ? Sont-ils réellement vitaux pour notre société ? L’OCDE soulève
la question : « Faudrait-il assimiler les banques aux services essentiels
comme l’eau ou l’électricité et leur appliquer les mêmes règles ? »34 Non, et
d’ailleurs l’OCDE répond elle-même implicitement à sa propre question :
« C’est difficile à croire, mais il fut un temps où le secteur financier ne pesait
pas lourd dans nos économies. »
Trop gros pour faire faillite donc trop gros pour exister
Hélas, la réalité est souvent régie par les lois de puissance, les fractales de
Mandelbrot, ou encore les lois « scalables » pour reprendre le néologisme de
Nassim Taleb.
Une loi de puissance est capable de décrire efficacement les effets
d’emballement, effets que l’on constate en finance lors de la formation des
bulles puis de leur éclatement.
Considérez les algorithmes et les programmes de trading automatique
tournant avec les modèles gaussiens (plus ou moins tripotés et ajustés pour
les faire coller – a posteriori – aux événements). C’est assez confortable, car
n’importe quel PC de base est capable de simuler un modèle gaussien. En
revanche, il n’en est pas du tout de même avec les lois exponentielles. S’il
fallait revoir les modèles de risque à la lumière des fractales, il faudrait des
Cray, ces supercalculateurs, et non plus de vulgaires PC avec un tableur
Excel. Les lois de puissance sont dérangeantes et, surtout, les adopter
conduirait à un inconvénient majeur : minimiser les risques, c’est aussi
minimiser les besoins en fonds propres. Moins de fonds propres, d’argent
gelé, signifie que l’activité bancaire est plus rentable ; une banque, comme
toute entreprise, entend fonctionner avec le moins de capital immobilisé
possible.
Une étude Deloitte conduite en mars 2013 rapporte que seulement 30 % des
personnes interrogées pensaient que leur banque avait à cœur l’intérêt du
client.
« Un employé de banque sur six ne rechignerait pas à commettre un petit
délit d’initié pour empocher 10 M$, un sur quatre a été témoin d’une faute
professionnelle, et près d’un sur trois est convaincu que, pour réussir dans le
métier, il faut faire abstraction de l’éthique, voire de la loi.
Le meilleur moyen de progresser dans la hiérarchie de Goldman Sachs,
c’est de convaincre les clients d’investir dans les produits dont nous essayons
de nous débarrasser car ils n’ont pas beaucoup de potentiel de profit. »
(Extraits de « Banque, éthique et principe de bonne gestion », L’Observateur
de l’OCDE, n° 294.)
La plupart des clients reprochent à leur banque de les avoir poussés dans
des montages complexes à base de produits dérivés qui le plus généralement
s’appuient sur des écarts de taux d’emprunt ou de change.
Ainsi un propriétaire immobilier frontalier s’est vu proposer par l’UBS un
habile montage avec un prêt en francs suisses à un taux d’emprunt inférieur à
celui qu’il aurait obtenu en euros. Le prêt était gagé par deux contrats
d’assurance-vie en euros. Seul inconvénient, le prêt redevenait exigible si la
valeur de rachat des contrats d’assurance-vie descendait en dessous de la
somme prêtée, ce qui bien sûr arriva… Une société cotée, commerçant
essentiellement en dollars, a attaqué la Deutsche Bank et la Royal Bank of
Scotland pour avoir perdu 30 M€ dans un montage complexe lié aux effets de
change. La Société générale a été condamnée à indemniser la société minière
calédonienne SMGM qui souhaitait se protéger contre un risque de baisse des
cours du nickel. En Allemagne, c’est le papetier Ille Papier Service qui
attaque la Deutsche Bank. Selon Les Échos43, Deutsche Bank a déjà passé
630 M€ pour risques juridiques au deuxième semestre 2013 ; la Société
générale affiche une perte de 109 M€ au premier semestre et a provisionné
200 M€ pour d’autres litiges. À l’origine de la plupart des cas, des produits
dérivés44 mais aussi des conflits d’intérêts entre la banque et son client.
Dexia et ses prêts aux municipalités donne aussi de multiples exemples de
cette dérive financière.
D’autres clients reprochent le simple défaut de conseil, comme ce
particulier à qui son conseiller de la Banque populaire avait fait souscrire 600
actions Natixis entre 2006 et 2007 pour un montant total de 10 290 €. En
2010, ce client les revend avec une moins-value de 8 292 €. La cour d’appel
de Grenoble a condamné la Banque populaire des Alpes à indemniser son
client de 5 800 € pour défaut de conseil. Le client n’avait pas été averti des
risques et Natixis était une filiale en perdition de la BPCE45.
Même dans les affaires les plus simples, il semblerait que l’incompétence et
l’impunité règnent, comme en témoigne le calcul des intérêts sur les prêts.
Les intérêts composés sont le b-a ba de l’activité de la banque. Pourtant les
banques se sont trompées en calculant le TEG ou le TAEG. Le taux effectif
global ou le taux actuariel effectif global permettent d’afficher le coût total
d’un prêt – immobilier dans le cas du TEG et à la consommation dans le cas
du TAEG – et donc de comparer les offres. Fin 2013, Les Expertiseurs du
crédit, une société indépendante, repéraient que 50 % des crédits immobiliers
comportaient un vice de forme. Pour l’Association française des usagers des
banques (AFUB), 70 % des prêts sont entachés d’erreurs de calcul. Si l’erreur
est supérieure à un dixième de point, soit 0,1 %, la loi dit qu’en cas de faute
reconnue de la banque, c’est le taux d’intérêt légal en vigueur au moment du
prêt (0,04 % en 2013) qui s’applique alors. Bref, une erreur de la banque qui
peut faire que votre crédit immobilier ne vous coûte presque plus rien… Plus
fort encore, Dexia omettait purement et simplement cette mention de TEG
dans ses contrats de prêts aux collectivités locales.
Si par malheur les emprunteurs se bousculent au portillon de la justice,
c’est pratiquement 50 % à 70 % des prêts qui seront révisés et accordés
gratuitement. En principe, il est très rare que les emprunteurs reviennent
contester en engageant des frais de procédure devant les tribunaux. Il faut
qu’ils soient déjà pris à la gorge. Mais le réseau va jouer à fond pour
désamorcer tout litige avec les emprunteurs avisés. Une loi, rapidement
ficelée et votée le 19 décembre 2013, va permettre de se couvrir de certaines
erreurs passées46 :
II. – Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés
les contrats de prêt et les avenants à ces contrats conclus antérieurement à la
publication de la présente loi entre un établissement de crédit et une personne morale,
en tant que la validité de la stipulation d’intérêts serait contestée par le moyen tiré du
défaut de mention du taux effectif global prescrite par l’article L. 313-2 du code de la
consommation, dès lors que ces contrats et avenants indiquent de façon conjointe :
« Personne morale » signifie des entreprises, donc des SCI (sociétés civiles
immobilières) ou bien des collectivités locales et certains établissements
publics.
Les codes devenant complexes et le législateur aimant les phrases à
rallonge, une traduction ne fera pas de mal. Un contrat de prêt est donc
valable si y figurent le montant, le principal, les intérêts, la périodicité des
échéances et leur nombre OU la durée. Au moins, comme ça, les banquiers
sont sûrs de ne pas se tromper car avec le nombre ET la durée, on pourrait
toujours faire une erreur, n’est-ce pas ? Jusque-là, tout va bien, qui se
plaindrait d’un petit choc de simplicité ? Mais il y a plus fort, les banques ont
essayé une entourloupe, elles voulaient rester impunies, même après avoir
violé le code de la consommation. Pour cela, le lobby avait concocté un
article 60 rétroactif dans le projet de loi de finance pour 2014 qui prévoyait
que le petit choc de simplicité s’appliquerait rétroactivement et que tous les
prêts déjà signés étaient valables. Mais finalement, le 31 décembre 2013, le
Conseil constitutionnel a retoqué ce point.
En tout état de cause, il est prévu d’indemniser les victimes de ce vol légal
avec un fonds de lutte contre les « risques bancaires systémiques », fonds
évidemment alimenté par les victimes des banques et les contribuables.
L’État protège les victimes en les taxant et assure l’impunité des
coupables47.
Pourquoi les autorités de tutelle laissent-elles les banques communiquer autour des
ratios « pondérés des risques » ?
La collusion est totale entre banques et autorités de tutelle. Voyez le nombre de
fonctionnaires du Trésor ou du ministère des Finances qui se retrouvent ensuite dans
le privé. D’anciens banquiers se retrouvent au Trésor. François Pérol, ancien de
Rothschild & Cie devient secrétaire général adjoint de la présidence Sarkozy, organise
la fusion Caisse d’épargne/Banque populaire, puis prend la direction de la BPCE. Il
s’agit d’une technique délibérée des dirigeants des banques de placer leurs experts
aux bons endroits, même parmi les magistrats. Il existe des exceptions remarquables,
comme Axel Weber, ancien président de la Buba, la Banque centrale allemande, qui a
refusé le poste de directeur de la Banque centrale européenne car il aurait été conduit
à faire ce qu’il ne voulait pas faire. Les banquiers savent très bien qu’ils devraient
augmenter considérablement leurs fonds propres, mais dans ce cas leur rentabilité
plongerait… Maintenir le mode de calcul actuel leur permet de maintenir la
rentabilité.
Un ratio de levier de 10 % (10 de fonds propres pour 100 de prêts) vous paraît un
standard correct, mais finalement, ne doit-il pas être adapté à la conjoncture
économique et aux circonstances ?
Il s’agit d’un ordre de grandeur et d’un ratio empirique. Aux États-Unis, il était
réglementairement de 8,5 % jusqu’à la fin des années 1980. C’est Greenspan, le
président de la Fed, qui l’a poussé à 10 %. Il ne faut pas de règle compliquée, des
chiffres ronds, simples, quelque chose que tout le monde peut comprendre. Sur chaque
vitrine d’agence, il devrait être affiché : cette banque possède X de capitaux propres, Y
de dettes et son ratio de levier est de Z %. Les gens choisiraient leur banque en toute
connaissance de cause.
Récemment, de nombreux scandales ont donné lieu à des amendes mais on a
l’impression que, du côté des banques, ceux qui commercialisaient ces produits
(produits de couverture, emprunts indexés sur des écarts de change) auprès des clients
finaux n’étaient pas toujours eux-mêmes compétents. Partagez-vous cette analyse ?
Il n’y a que leurs concepteurs qui comprennent les produits dérivés. Ils les conçoivent
pour que la banque gagne et ils fixent les règles du jeu. Les gens qui commercialisent
ces produits sont incompétents et ne connaissent pas les mécanismes de ce qu’ils
vendent. Ceci dit, il faut quand même être conscient qu’une banque gagne de l’argent
sur le dos de ses clients.
Des études montrent également que les goodwill sont bien souvent illusoires et que les
fusions-acquisitions ne créent pas toujours de la valeur, loin s’en faut. N’est-ce pas de
l’incompétence que de retarder l’élimination de ces survaleurs ?
Certaines fusions-acquisitions fonctionnent. On peut par exemple citer le secteur de la
pharmacie ou Danone. Mais surtout les goodwill devraient être amortis sur une durée
courte et ne pas figurer dans les fonds propres.
D’une façon générale, on ne peut pas dire que les banquiers soient incompétents. Ce
sont simplement des manipulateurs qui exploitent leurs ficelles.
L’irresponsabilité des banques provient-elle du laxisme réglementaire – qui laisse
exister le trop gros pour faire faillite – ou du capitalisme de connivence qui conduit les
politiques à sauver les banques qui leur prêtent ou casent leurs emprunts ?
Vous remarquerez que les banques sont condamnées, mais pas leurs dirigeants
personnellement. Ce sont eux qui font les réglementations et mettent à profit
l’asymétrie d’information. Ils ont des informations que le public ne possède pas. Par
exemple, le marché interbancaire est toujours gelé, ce qui prouve que les banques
savent des choses déplaisantes sur les autres banques. Les victimes sont les
contribuables laissés dans l’ignorance.
Avec un gros ratio de levier, la taille d’une banque se limite naturellement. Regardez
les petites banques régionales françaises (Martin Maurel, Pouyanne, Inchauspé), elles
ont beaucoup de fonds propres. Pas besoin de loi de séparation bancaire. Il faut
laisser le marché libre en imposant des règles simples que tout le monde peut
comprendre.
« Les banquiers centraux […] ont pris des décisions expérimentales dont on
ne mesure pas les conséquences à terme. » (Mohamed A. El-Erian, gérant du
fonds obligataire Pimco, cité dans Les Échos du 19 septembre 2013.)
« Soyons clairs. Nous avons intentionnellement gonflé la plus grande bulle
obligataire de l’histoire. » (Andy Haldane, directeur de la stabilité financière
à la Banque des règlements internationaux, cité dans The Guardian du
12 juin 2013.)
Le stock de dettes grossit et une faible hausse des taux amènerait donc des
défauts en chaîne, qui eux-mêmes conduiraient à l’anéantissement des
monnaies dans lesquelles sont libellées ces dettes.
La plupart des gens souscrivent à la bonne parole officielle selon laquelle
les manipulations monétaires des banques centrales sont faites pour aider
l’économie réelle. En réalité, il n’en est rien et il est très malaisé d’expliquer
de façon rationnelle comment la création monétaire peut créer des emplois
sources de création de richesse. La lutte contre le chômage par la planche à
billets est une ineptie, comme le prouvent les statistiques, même très
arrangées.
Ce que la langue de bois politico-médiatique nomme « mesures non
conventionnelles » ou « assouplissement monétaire » ou « quantitative
easing » ne poursuit qu’un seul et unique but : empêcher des institutions
« trop grosses pour faire faillite » et en grave difficulté de faire faillite.
Ces manœuvres poursuivent en réalité deux buts : d’abord manipuler les
taux d’intérêt courts, ce qui augmente les possibilités de marge des banques,
ensuite fournir des « liquidités » qui vont permettre aux banques de faire des
profits dont on espère qu’ils vont masquer les pertes passées.
J’emploie le terme « liquidités » car il ne s’agit pas d’argent représentatif
d’un capital existant. Il s’agit simplement d’unités de compte monétaires qui
ne représentent rien. Par le passé, des opérations comme celles qui ont été
conduites par la Fed, la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre, la Banque
centrale européenne, la Banque nationale suisse, auraient déjà dû conduire à
une hausse des prix monstrueuse. Mais la nouveauté de l’expérience actuelle
est que ces liquidités sont essentiellement cantonnées dans les marchés
financiers, qui se sont comportés jusque-là comme une poche assez étanche.
Voyons comment marche cette mécanique. Vous êtes un banquier et vous
avez une mauvaise créance. Vous avez accordé un prêt à un fabricant d’huile
d’olive qui est en faillite. Vous le savez, vos concurrents banquiers le savent
aussi, et ils ne sont pas chauds pour vous prêter lors des classiques opérations
de crédit interbancaires. En temps normal, vous seriez acculé à la faillite.
Vous seriez d’abord victime d’une crise de liquidités car vous ne pourriez pas
rembourser quelqu’un qui en ferait la demande sauf à emprunter sur les
marchés, et cela vous coûterait trop cher car on commence à douter de votre
bonne santé financière. Ensuite, il deviendrait patent que vous n’êtes plus
solvable et que ce fichu fabricant d’huile d’olive vous a planté. Vos gros
déposants prendraient alors la poudre d’escampette. Il ne vous resterait plus
qu’à mettre la clé sous le paillasson et laisser le Fonds de garantie des dépôts
et les contribuables rembourser vos déposants. Vous vous tireriez peut-être
même une balle dans la tête, ne supportant pas l’opprobre de votre famille, de
vos amis et de vos voisins, la conscience ravagée par la ruine de ces petits
épargnants qui voient partir en fumée le fruit de leur vie de travail…
Mais, heureusement, plus maintenant ! Vous allez au guichet de votre
banque centrale et vous lui tendez cette créance pourrie de votre vendeur
d’huile d’olive. Le banquier central, Mario ou un autre, fait mine d’examiner
cette créance pour voir si elle est « éligible ». Il se dépêche de conclure que
oui, lorsque, en consultant son registre, il constate que vous êtes classé « trop
gros pour faire faillite ». Il sort alors de sous son comptoir une énorme liasse
de billets et vous demande de signer le registre de prêt. Votre taux d’emprunt
sera le taux directeur de la Banque centrale, soit entre 0 % et 0,25 %. Et
hop ! Votre situation initiale était une grosse créance pourrie qui paralysait
toute votre activité et vous voilà à la tête d’un prêt qui ne vous coûte presque
rien. La vie est belle.
Revenu dans votre bureau à la porte capitonnée et à la moquette au poil
épais, vous méditez. Comment allez-vous employer ce bel argent ? Votre but
est d’engranger de juteux bénéfices, si possible rapidement. Vos brillants
résultats feront pâlir d’envie ces fripouilles de concurrents qui ont bien failli
vous faire couler à cause de ce misérable fabricant d’huile d’olive indigeste et
ramèneront la confiance de votre clientèle.
Allez-vous prêter à la PME du coin ? Il faudrait être fou, les données
économiques sont mauvaises et ses marges sont sous pression à cause des
Chinois et de la parité euro/dollar. Vous allez acheter quelques emprunts
d’État de la zone euro. Ça ne rapporte pas grand-chose, mais c’est mieux que
rien. Ensuite, vous allez vous livrer à quelques activités profitables de
spéculation sur les marchés pour votre compte propre.
C’est ainsi que, finalement, l’argent généreusement créé par les banques
centrales ne se transforme pas en hausse des prix généralisée. Il y a bien
inflation monétaire mais, pour le moment, elle ne transparaît que dans les prix
des actifs financiers.
Nous sommes bien toujours dans l’effet Cantillon : la création monétaire
profite à ceux qui sont près de la source. Entre 2002 et 2012, seuls les 5 %
des foyers les plus riches ont vu leurs revenus progresser56. Cette
progression est de 6 % dans le bas de cette tranche, mais elle dépasse 76 %
pour les 0,01 % les plus riches. Le problème n’est évidemment pas que
certains s’enrichissent, tant mieux pour eux. Le problème est que les gagnants
de la politique de la planche à billets ne se trouvent que dans un seul camp et
que ce camp – celui de l’industrie financière – est celui par lequel le malheur
est arrivé. Les 90 % des autres – qui ont vu leurs revenus baisser de 11 % –
sont les perdants. S’ils se détournent de la monnaie parce qu’ils n’ont plus
confiance dans les manipulations monétaires, ce sera l’effondrement. Si, dans
une ultime manœuvre, les banques centrales font tourner les planches à billets
pour financer directement les transferts sociaux et faire arriver l’argent dans
la poche des consommateurs les plus démunis, ce sera l’hyperinflation, avant
l’effondrement.
Les banques centrales n’ont jamais voulu « stimuler la croissance » ou
« faire baisser le chômage ». La monnaie n’est pas l’activité économique, elle
n’en est que la mesure comptable. Trafiquer la comptabilité ne rend pas plus
riche. L’enjeu était (et reste toujours) d’enrichir les banques commerciales
afin qu’elles puissent résorber leurs pertes. C’est donc ces banques qui ont
profité de prêts à taux zéro. C’est faire d’une pierre deux coups puisque les
taux bas profitent aussi aux gouvernements surendettés qui peuvent
poursuivre leurs folles politiques de redistribution et d’achat de clientèle
électorale.
Ce n’est donc pas l’économie réelle qui a profité des mesures
exceptionnelles des banques centrales, mais l’industrie financière.
Évidemment, cette spéculation assèche l’activité productive et favorise la
poursuite des mauvais investissements. Il s’ensuit une destruction de
l’économie privée, les entrepreneurs sont remplacés par les fonctionnaires
interventionnistes et c’est ainsi que le secteur public s’arroge 57 % de
l’activité économique contre 43 % pour le secteur privé.
« Les États qui sont venus au secours des banques auraient pu exiger
beaucoup plus car ils ont évité un risque systémique. » (« Elyès Jouini : Le
retour des risques cachés de la finance »57, Les Échos, 28 mai 2013.)
Après 2008, nous avons entendu de superbes discours sur la régulation, la
promulgation de Bâle III qui allait obliger les banques à être plus sûres, les
stress tests, etc. Nous allions voir ce que nous allions voir. Nous n’avons rien
vu, ou plutôt nous avons essentiellement vu des catastrophes.
Le projet de loi de séparation bancaire a fait un flop. Une liste des banques
systémiques (dont les folies sont garanties par vous, vos enfants et vos petits-
enfants jusqu’à leur septième réincarnation) a été dressée. Le renforcement
des fonds propres prévu par Bâle III est de la poudre aux yeux. Les banques
se sont lestées d’emprunts d’État qui ne nécessitent réglementairement
aucune immobilisation de fonds propres. Donc, si un État est en difficulté, ses
banques le sont aussi et vice-versa.
Où le lecteur lucide apprendra que le marché interbancaire est toujours gelé, ce qui
signifie que les banques ne se font pas mutuellement confiance pour se prêter de
l’argent. Un comble ! La crise de liquidité rôde mais, comme elle est généralisée, elle
indique bien qu’il s’agit en réalité d’une crise de solvabilité, ce qui est plus grave.
C’est la différence entre une fin de mois difficile mais passagère et le début de la
banqueroute. Les autorités comme les banques elles-mêmes savent qu’il faudrait
diminuer la taille de leur activité et augmenter leurs fonds propres. Mais comment faire
sans semer la panique ?
Faire fondre les prêts de 2 700 Mds€, plus que le PIB de la France
Les banques européennes font toujours peser un risque de crise mondiale,
estimait le Financial Times en juillet 2013. Il leur faut se débarrasser de
2 700 Mds€ d’engagements précisait-il également. Si tous ces milliards vous
donnent le vertige, sachez que c’est plus que le PIB de la France. « Si vous
avez une crise bancaire et que les banques pèsent trois fois le poids de
l’économie sous-jacente, les gouvernements ne pourront pas les soutenir. […]
Le système bancaire européen est le plus gros du monde et sans conteste trop
gros. Au Japon, au Canada, en Australie, les banques pèsent deux fois la taille
des économies de leur pays et aux États-Unis les prêts des banques atteignent
la taille du PIB. Depuis la mi-2012, les banques européennes ont réduit leurs
volumes de prêts de 2 400 Mds€ selon les données de la Banque centrale
européenne à Francfort. Cependant, il faudrait encore les réduire de
2 700 Mds€. »72
La BCE évaluait le poids des banques à 29 500 Mds€ à fin 2012 (avec
2 645 banques et 10 % de banques en moins qu’avant la crise). La France est
le deuxième pays derrière l’Allemagne pour le poids de ses banques (presque
4 fois le PIB national et 6 800 Mds€). Les banques devraient donc se
dégraisser d’encore 10 %. Mais si les banques fondent de 10 % et pèsent
4 fois l’économie de leur pays, cela veut dire qu’il va falloir apprendre à
vivre avec beaucoup, beaucoup moins de prêts : prêts aux entreprises, prêts
immobiliers, prêts à la consommation, crédits relais… des prêts pour nous
simples citoyens, mais aussi beaucoup moins de prêts aux États dispendieux,
moins de prêts à la France.
Mais cela ne suffira toujours pas. Car, faute de croissance, les vieux prêts
en portefeuille deviennent de plus en plus risqués. Le FMI met en garde les
banques des pays du Sud de l’Europe sur leurs prêts aux entreprises. Si la
conjoncture ne s’améliore pas rapidement, les pertes en Italie, en Espagne et
au Portugal pourraient avoisiner 250 Mds€, indiquait L’Agefi en
octobre 2013. Mais le quotidien financier se hâte ensuite de rassurer son
lecteur : les pertes sont couvertes par les provisions et les profits. On se
demande bien alors pourquoi, le mois précédent, Mario Draghi indiquait que
les futurs prêts à long terme accepteraient aussi en collatéral les prêts aux
PME. En réalité, l’Europe ignore la taille des pertes de ses banques, jugeait
Wolfgang Munchau, un chroniqueur du Financial Times73. Pour Les
Échos74, les bad banks, ces structures dépotoirs créées au plus fort de la crise
pour oublier les mauvaises créances en attendant un retour à meilleure
fortune, abritent déjà plus de 1 000 Mds€. Mais il reste tous les risques
cachés qui sont donc inconnus. Pour masquer une perte, la banque utilise le
truc « prétendre et étendre »75 : les prêteurs décident de renouveler des prêts
en défaut. Ceux-ci se transforment alors en « bons prêts », puisque, le prêt
étant nouveau, le débiteur n’est plus en défaut. Exemple : votre voisin
Duraton n’a pas honoré trois échéances de son prêt immobilier. Ce prêt est
pour sa banque un prêt en défaut. Mais sa banque fait signer à Duraton un
nouveau prêt avec des échéances décalées de trois mois. Ce prêt devient un
prêt comme les autres. À côté de ça, Bernard Madoff est un enfant de chœur.
« La restructuration des dettes bancaires traîne […]. Beaucoup
d’établissements ne devraient pas être recapitalisés mais plutôt fermés ou
ramenés à une taille plus modeste. Il y a trop de banques en Europe, avec des
bilans trop importants. » (Willem Buiter, Citigroup, Les Échos, 16 janvier
2013.)
À la louche, indique Wolfgang Munchau, on arrive à 2 600 Mds€ : le bilan
des bad banks représente 5 % de la taille des bilans des banques. On double
pour tenir compte des pertes cachées et on arrive à 2 000 Mds€, on rajoute un
soupçon de pertes futures en raison d’un retour en récession pour cause de
renflouage par les investisseurs, et on se retrouve ainsi à 2 600 Mds$ et,
finalement, c’est un peu moins 10 % des 26 700 Mds€ du bilan bancaire 2013
de la zone euro (à comparer aux 29 500 Mds€ de la fin 2012).
Vous comprenez mieux pourquoi la défiance règne. Le « machin » censé
emprunter de l’argent que personne n’a, le Mécanisme européen de stabilité,
ou MES, est dimensionné à 60 Mds€ ou 80 Mds€.
Outre la réduction des prêts, il faudrait donc aussi plus de fonds propres,
mais combien exactement ? C’est une question qui – réglementairement – se
chiffre en dizaines de milliards d’euros. Selon le Comité de Bâle76, ce serait
115 Mds€ pour les grandes banques de la planète, dont 70 Mds€ pour les
banques de l’Union européenne. L’attitude politique est en réalité la même
que celle des banques : « prétendre et étendre ». Prétendre que tout va bien et
étendre les durées de mesures exceptionnelles. Mais tout ceci nécessite une
mise en scène. La revue de qualité des actifs de 2014 tient une place
importante sur la scène du théâtre médiatique.
Lorsque, fin 2013, la BCE a annoncé que les expositions au bilan et hors
bilan des dettes d’État des banques seraient également passées en revue,
l’indice Euro Stoxx 50 des banques a plongé de 2,77 %, les banques
espagnoles et italiennes perdant jusqu’à 6 %77. Vous savez maintenant
comment les banques se sont lestées en profitant des largesses de la Banque
centrale européenne.
Détention de dettes souveraines nationales par les banques
En % du total Taille de
Dette nationale Taille du secteur
des bilans l’économie
en Mds€ détenue bancaire de
(actifs) des du pays
par les banques l’économie du
banques de ce en Mds€78
d’un pays
pays pays79 (PIB)
(PIB)
Allemagne 345 4,3 % 2 550 3 fois le PIB
Italie 430 10,8 % 1 500 2,68 fois le PIB
Espagne 319 9,5 % 1 015 3,34 fois le PIB
Portugal 24 7,6 % 160 3,37 fois le PIB
France 261 3,1 % 1 965 4,19 fois le PIB
Ensemble
5,6 % 9 170 3,42 fois le PIB
zone euro
Sources : L’Agefi, 5 septembre 2013 ; Financial Times, 13 octobre 2013 ; note Natixis n
° 539, juillet 2013.7879
Pour comprendre un peu les arcanes de la vie financière, vous devez savoir
que tout ce que vous pouvez lire ou entendre doit s’interpréter à la lumière de
la revue de qualité des actifs, AQR, ou asset quality review en anglais. Le
but : savoir combien il faut réinjecter dans les établissements bancaires dits
trop gros pour faire faillite. Notez bien que la réponse est indifférente, vu que
personne n’a cet argent. Mais Mario Draghi n’en démord pas : « Un des
objectifs que nous attendons de ces tests est de dissiper le brouillard qui
entoure les bilans bancaires de la zone euro et de l’Europe. »82 (Mario
Draghi, lundi 23 septembre 2013.)
Il faut rappeler que les autorités se sont ridiculisées avec les précédents
stress tests bancaires à la suite de faillites rapides d’établissements qui les
avaient brillamment réussis.
En juillet 2010, 91 banques de la zone euro sont déclarées solvables dans
des scénarios supposés adverses. On leur demandait d’afficher un ratio de
solvabilité supérieur à 6 % dans des conditions de marchés supposées
néfastes. Seules 7 banques sur 91 avaient été déclarées « inaptes au service ».
Patatras, quatre mois plus tard, il fallut sauver les banques irlandaises
(35 Mds€ de recapitalisations nécessaires sur un plan de sauvetage global de
85 Mds€) qui ne faisaient pas du tout partie des canards boiteux.
En juillet 2011, rebelote, encore 91 banques rassemblent 65 % des actifs
bancaires européens. Le scénario dit adverse retenait une baisse de 0,5 % du
PIB de la zone euro en 2011, une chute de 15 % des Bourses européennes, un
plongeon des marchés immobiliers, une hausse du coût de refinancement
interbancaire.
Seules 8 banques échouent, tandis que 16 banques, dont 7 espagnoles,
passent de justesse. Dexia ne figure pas parmi les banques recalées, mais
coule deux mois plus tard.
Cette fois, 130 banques européennes seront passées au crible afin d’évaluer
leur situation de liquidité et de solvabilité dans des scénarios très adverses. La
Banque centrale européenne supervisera ces travaux avec l’aide de l’EBA
(European Banking Authority), des régulateurs nationaux (l’Autorité de
contrôle prudentiel en France) et le cabinet Oliver Wyman. Ses faits de
gloire ? En 2007, il estimait que feue Anglo Irish Bank était la banque la plus
performante au monde. Trois ans plus tard, Anglo Irish Bank faisait faillite,
entraînant dans sa chute l’Irlande et un sauvetage par l’Union européenne et
le Fonds monétaire international. En 2012, Oliver Wyman effectuait ses
propres tests de résistance sur les banques espagnoles et les estimait sous-
capitalisées de 59,3 Mds€, alors même que peu de temps auparavant
l’Eurozone elle-même concluait de son côté à un besoin de 100 Mds€.
En parallèle, la Banque centrale européenne a recruté 1 000 personnes à
Francfort, annonçait Le Figaro le 19 septembre 2013, pour assurer le
Mécanisme de supervision unique. Les résultats de ces tests BCE sont
attendus pour la mi-2014, mais on commence à évoquer plutôt la fin 2014 ou
le début 2015.
En attendant, chacun essaie de faire son petit ménage plus ou moins
discrètement. « Les banques espagnoles améliorent leurs comptes en
restructurant les prêts des propriétaires »83, cafarde le Wall Street Journal du
6 novembre 2013. Pourtant, les banques espagnoles ont reçu 41 Mds€ en
2012 mais, depuis un certain temps, une question taraudait les observateurs
avisés : comment, malgré un chômage de 26 %, les défauts de paiement ne se
multipliaient-ils pas ? Tout simplement parce que les banques accordaient des
facilités à près d’un emprunteur défaillant sur 12. C’est l’astuce « prétendre et
étendre » déjà décrite. Ces facilités touchaient 50,8 Mds€ de prêts et
pouvaient aller jusqu’à trois ans de grâce. Mais le chômage est le plus fort,
les bénéficiaires de ces arrangements ont jeté l’éponge d’eux-mêmes. Ils n’en
peuvent tout simplement plus. Des étalements de paiement, c’est bien, mais
un emploi, c’est mieux. Du coup, des prêts vont être reclassés en créances
douteuses. Déjà 2 Mds€ pour Santander, 3 Mds€ pour Banco Bilbao. Les
incidents de paiement (retard de plus de 90 jours) affectent 6 % des crédits en
Espagne, 9 % au Portugal et 11 % en Italie. Ils excèdent 10 % dans certains
pays d’Europe centrale et orientale84.
La Société générale et BNP Paribas réduisent leur ratio de prêts sur dépôts
depuis le milieu de l’année 2011. BNP a fermé le robinet de tous ses types de
crédits, même l’immobilier. À l’échelle des groupes (tous pays confondus),
les ratios de prêts sur dépôts des banques françaises s’établissent maintenant
entre 106 % et 130 %, contre 121 % à 137 % à mi 2011. Le funding gap
(écart entre les dépôts et les crédits) est passé de 501 Mds€ à 297 Mds€. La
Caisse d’épargne est une des rares banques où les dépôts sont supérieurs aux
emprunts87.
En novembre 2013, la Banque centrale italienne s’auto-évalue et trouve que
son capital pèse entre 5 et 7,5 Mds€. Notez la relative humilité des
comptables italiens, car il me semble qu’entre 5 Mds€ et 7,5 Mds€ il y a une
petite différence de 50 %. Mais ne chipotons pas… En fait, les actifs inscrits
au bilan n’avaient pas été réévalués depuis 1936 et il y en avait pour
156 000 €. Et voici un joli tour de bonneteau car la Banque d’Italie est
détenue par… les banques italiennes. C’est un organisme privé, comme la
Fed. Donc gonfler les fonds propres de la Banque d’Italie, c’est aussi gonfler
ceux des banques italiennes (Unicredit et Intesa Sanpaolo possèdent 52 % de
la Banque d’Italie) qui en ont bigrement besoin. Et hop, roule ma poule, voilà
comment on gagne des fonds propres sans être obligé de passer par une levée
de capital.
La Réserve fédérale se livrera, elle aussi, à des stress tests sur 30 banques,
et notamment les filiales américaines de BBVA, Santander et HSBC. Six ans
après la faillite de Lehman Brothers, la Fed entend tirer au clair les risques de
faillite par effet domino dans le shadow banking, le marché non régulé. En
effet, on se souvient que Lehman Brothers était tombé à cause de produits
dérivés cotés par cette finance de l’ombre. C’est bien beau de se croire assuré
par des produits structurés bizarres, mais encore faut-il que, le jour où on en a
besoin, on soit payé. Les banques seront donc priées de simuler la faillite
d’une contrepartie.
Les hypothèses économiques retenues par la Fed ont de quoi faire dresser
les cheveux sur la tête : hausse du chômage à 11,25 % au premier trimestre
2015, recul de l’activité économique de 4,75 % à fin 2014, plongeon des
indices boursiers de 50 % et baisse de l’immobilier de 25 %. Dans ce
contexte de récession mondiale, la Fed prévoit un recul du PIB de l’Europe
de 5,75 %. Voilà de quoi mettre en perspective nos propres conditions, car
pour le moment, celles qui sont en discussion sont par comparaison bien
gentillettes. Tous ces savants calculs en rassureront peut-être certains, mais
d’autres ne se laisseront pas leurrer.
« Les banques ont besoin de capitaux, beaucoup plus de capitaux, pas des
provisions minimales fondées sur des calculs pseudo-scientifiques d’actifs
pondérés des risques. Ni les régulateurs ni les dirigeants ne peuvent
déterminer précisément de combien une banque a besoin. La seule banque
sûre est celle qui a plus de capitaux que ce dont elle pourrait éventuellement
avoir besoin. Comme les banques d’autrefois. » (John Kay, Financial Times,
2 avril 2013.)
« Nous devons admettre que certaines banques n’ont pas d’avenir. [...]
Nous devons en laisser disparaître certaines sans nécessairement tenter de les
fusionner avec d’autres institutions » (Danièle Nouy, Présidente du Comité
européen des superviseurs bancaires, Financial Times, 10 février 2014).
Les banques sont toujours dangereuses et une grosse banque fragile peut en
entraîner bien d’autres dans sa chute, exactement comme en 2008. La bulle
du crédit subprime a été remplacée par une bulle obligataire mondiale encore
plus grosse. Cette hypertrophie et cette instabilité poussent les banques au
crime, comme vous allez le voir.
62 London Interbank Offered Rate.
63 Euro Interbank Offered Rate.
64 Pour connaître l’évolution des dépôts overnight à la BCE, c’est ici :
http://www.ecb.europa.eu/stats/monetary/res/html/index.en.html
65 Voir chapitre 1.
66 Expression latine signifiant « que l’acheteur soit vigilant ».
67 Adrien Blundell-Wignall, conseiller spécial des marchés financiers, “Cyprus : Further compressing the coiled spring”, OECD
Insights, mars 2013.
68 Sam Fleming et Patrick Jenkins, “Unanswered questions hang over euro bank tests”, Financial Times, 24 octobre 2013.
69 Voir chapitre 3.
70 European Securities and Markets Authority.
71 http://www.esma.europa.eu/news/Press-Release-ESMA-Financial-institutions-must-improve-financial-statement-disclosures?
t=326&o=home
72 « EU banks still pose systemic threat », Financial Times, 21 juillet 2013.
73 « Europe is ignoring the scale of bank losses », Financial Times, du 23 juin 2013.
74 http://www.lesechos.fr/17/06/2013/lesechos.fr/0202834793278_--bad-banks-----une-bombe-de-1-000-milliards-d-euros-pour-
les-contribuables-europeens.htm
75 Pretend and extend, selon l’expression anglo-saxonne, extend signifiant que le créancier accepte d’allonger la durée du prêt.
76 L’Agefi Hebdo, 3 octobre 2013.
77 L’Agefi, 24 octobre 2013.
78 http://www.tradingeconomics.com/ – parité euro/dollar retenue de 1,33.
79 http://www.les-crises.fr/taille-secteurs-bancaires/
80 Selon la Banque des règlements internationaux.
81 22 juillet 2013.
82 http://www.forbes.com/sites/karlwhelan/2013/09/25/mr-draghi-the-vicious-circle-and-the-stress-tests/
83 Ilan Brat et Christopher Bjork, « Spain’s Banks Boost Books by Refinancing Loans to Homeowners ».
84 L’Agefi, 15 octobre 2013.
85 FLESB (Forward-Looking Exercise on Spanish Banks), publié en novembre 2013.
86 « Risque bancaire : la France dangereusement vulnérable », Le Huffington Post, 21 octobre 2013.
87 L’Agefi, 20 novembre 2013.
6
Les banques mettent en danger vos économies en les jouant sur les marchés
financiers. Elles prennent trop de risques ou opèrent au mépris des règles du
marché, risquant la destruction de leurs fonds propres et donc de se retrouver
en faillite. Mais, au fait, pourquoi aller sur les marchés financiers, les banques
n’ont-elles pas suffisamment à faire en finançant l’économie, comme le dit
l’expression consacrée ?
En réalité, sans les marchés financiers, les banques auraient une capacité de
prêts et des perspectives de gain beaucoup plus limitées. C’est bien le
problème. Dans la banque de grand-papa, chaque établissement « portait son
risque » durant toute la durée de vie du prêt. Avec la titrisation – processus
selon lequel les crédits sont émiettés et revendus à d’autres – les banques
peuvent faire endosser leurs risques et revendre leurs prêts sur les marchés
financiers. C’est tout bénéfice pour elles, car un risque transféré à un autre
signifie moins de fonds propres bloqués pour la banque.
Certes, les marchés sont régulés. Ceci signifie que des autorités telles que
l’AMF (Autorité des marchés financiers) en France et ses homologues dans
les autres pays ont le droit d’enquêter, de s’assurer que tout est fait dans les
règles existantes, qui sont censées garantir que les intervenants disposent tous
en même temps de la même information. Mais, pour contourner une
régulation trop rigide, les banques ont aussi développé le shadow banking.
Certaines opérations sont confiées à des entités qui, ne recevant pas de
dépôts, bénéficient de règles moins strictes. Le problème est qu’il n’y a pas
de cloison véritablement étanche entre le shadow banking et la banque
classique.
Dans la pratique, toute cette régulation est devenue trop complexe et donc
totalement inefficace, comme en témoignent les nombreux et récents
scandales qui font surface.
Pour évaluer la solidité d’une banque, il faut que ses clients puissent
comprendre pourquoi et comment ces fraudes, manipulations, exposition
excessive à certains risques, défaillances d’organisation et de supervision des
activités de marché, peuvent se produire.
Les opérations de trading de votre banque peuvent très vite mal tourner,
diminuer ses fonds propres, faire douter de sa solvabilité et tourner à la crise
de liquidité du fait de la perte de confiance des marchés. Le volume d’activité
de votre banque dans ce domaine et sa méthode de contrôle des risques sont
par conséquent importants pour la sécurité de votre argent.
Tout le monde se souvient de Jérôme Kerviel et de ses 5 Mds€ de pertes
susceptibles de faire couler la Société générale en 2008. Cela s’est traduit par
une augmentation de capital réalisée dans l’urgence par Daniel Bouton, le
PDG de l’époque.
Les opérations critiques des banques sont d’abord les opérations dites
d’arbitrage. La banque entend gagner de l’argent en captant des tendances sur
les marchés. Elle détecte des anomalies de valorisations et les exploite. Par
exemple, elle vend ce qu’elle considère comme anormalement surévalué et
achète un autre actif qu’elle considère injustement sous-évalué.
La banque peut aussi investir, c’est-à-dire placer sur les marchés, le surcroît
de liquidités inemployées. C’est d’ailleurs une des raisons de la hausse des
marchés actions de 2011 à 2013 en Europe. Lorsque les banques sont allées
déposer leurs mauvaises créances au guichet de la Banque centrale, elles ont
reçu en échange de l’argent. Elles ont employé ces liquidités de deux façons :
en achetant de la dette d’État (qui ne leur rapporte pas grand-chose mais qui
ne leur coûte rien non plus puisque la réglementation ne leur demande pas
d’immobiliser du capital en fonds propres) et en investissant sur les marchés
actions.
Votre banque peut aussi par des opérations de marché chercher à se livrer à
des opérations dites de couverture pour se prémunir de certains risques. Voici
maintenant les principaux accidents qui se sont récemment produits.
Société générale (2008) : l’affaire Kerviel
Au total, les litiges ont déjà coûté 103 Mds$95 aux banques américaines,
soit plus que les dividendes versés à leurs actionnaires. Mais les punitions
commencent aussi à tomber sur les banques européennes.
5 Mds$ d’amendes et 4 Mds$ de dédommagements pour avoir repassé
33 Mds$ de crédit subprime aux agences américaines Fannie Mae et
Freddie Mac en 2007.
JPMorgan Enquête sur des opérations de titrisation de Bear Stearns (août 2013).
13 Mds$ + Les 13 Mds$ règlent les affaires pénales, mais pas les affaires civiles
100 M$ (dommages et intérêts aux victimes).
100 M$ à la CFTC pour la « baleine de Londres ».
Autres casseroles : courtage énergétique en Chine et manipulation du
Forex.
HSBC
Tromperie sur la qualité de ses actifs subprime.
2,4 Mds$
Amende pour avoir employé des salariés non qualifiés pour accepter des
UBS 4,6
ordres d’achat et de vente. Le reste pour clore des affaires à l’amiable
M$ + 120
concernant des mensonges sur les produits structurés émis par Lehman
M$ + 50
Brothers et des mensonges à des investisseurs acquéreurs de crédits
M$ +
structurés subprime.
1,5 Md$
1,5 Md$ d’amende pour manipulation du Libor.
RBS 615
M$ + 391 Amendes pour manipulation du Libor et de l’Euribor.
M€
Barclays
Amende pour manipulation du Libor.
453 M$
Bank of
Amende pour avoir repassé 47 Mds$ de crédit subprime aux agences
America
américaines Fannie Mae et Freddie Mac en 2007.
6 Mds$
Deutsche
Amende pour manipulation de l’Euribor plus 3 Mds€ de provision pour
Bank
risques dans différentes affaires.
725 M€
Société Amendes pour manipulation de l’Euribor et 500 000 € d’amende à régler
générale à l’AMF dans le cadre de ses activités de contrôle de dépositaire (pas de
446 M€ + contrôle véritable des ratios statutaires des OPC (organisme de
0,5 M€ placement collectif)), août 2013.
Amende totale infligée à Barclays, HSBC, RBS, Card Protection Plan
1,3 Md£ Ltd 1 (filiale de Lloyds Banking Group) pour ventes abusives de
protections sur les cartes de paiement.
Amende totale infligée par Bruxelles aux 6 banques ayant trempé dans le
1,7 Md€ scandale Euribor Libor. Le Crédit agricole, HSBC et JPMorgan, qui ont
refusé de coopérer à l’enquête, sont toujours sur la sellette.
Ne figurent pas dans ce tableau les provisions des banques pour des vétilles
telles que : évasion fiscale (UBS), informations trompeuses (Goldman
Sachs), rupture d’embargo et utilisation anticipée d’informations en principe
confidentielles (Crédit Suisse, Standard Chartered, ING).
Toutes ces amendes dégraissent les banques et engraissent les
fonctionnaires des autorités de supervision, mais on ne voit pas comment
elles sont réellement dissuasives. De toute façon, la finance moderne est
devenue beaucoup trop complexe pour être simplement contrôlée. S’il n’y
avait qu’une seule chose à retenir de votre lecture, c’est de refuser tout
instrument d’épargne comportant des produits dérivés obscurs dont le
fonctionnement vous échappe. Le shadow banking, le marché de l’ombre sur
lequel s’échangent les produits dérivés, est dangereux. Sur ce terrain de jeux
en principe réservé aux professionnels qui ne manipulent pas de dépôts, votre
argent peut se retrouver malgré tout pris en otage.
« Plus les volumes sont gros, plus la détermination des prix s’éloigne d’une
évaluation en toute connaissance de cause de la valeur fondamentale et se fait
par la spéculation. » (John Kay, professeur à la London School of Economics,
Financial Times, 16 juillet 2013.)
Que penser de cette longue liste de malversations, de négligences dans les
contrôles internes, de pertes souvent non assumées ? Cette liste est-elle
exhaustive ou bien n’est-ce que la partie émergée de l’iceberg ? Peu importe !
Finalement, tout ceci est rendu possible par une sous-estimation chronique et
viscérale des risques ; c’est ce qui permet à certains de prendre des positions
démesurées, à d’autres de ne pas trouver suspects des rendements hors
normes. Encore une fois, mettre un gentil fonctionnaire contrôleur derrière
chaque agent bancaire ne résoudra rien. Pour votre épargne, en revanche, il
est plus sain de refuser ces jeux dangereux que personne ne maîtrise
vraiment, même si les professionnels feignent de le croire.
88 L’Agefi, 30 octobre 2013.
89 lesechos.fr, 4 décembre 2012.
90 L’Agefi, 5 décembre 2013.
91 Dépêche Bloomberg du 26 novembre 2013.
92 L’Agefi, 9 décembre 2013.
93 Antifragile, Les Belles Lettres, 2013.
94 Pour avoir le droit d’ouvrir et négocier un contrat à terme, il faut payer un acompte sur la valeur du contrat ; cet acompte est
appelé appel de marge.
95 Bloomberg, 28 août 2013.
7
Où le lecteur attentif apprendra à discerner ce qui est vraiment dangereux dans les
banques et à utiliser quatre indicateurs simples pour savoir à qui il peut
raisonnablement confier son argent.
Qui aurait pu penser un jour que les obligations souveraines pourraient être
considérées comme dangereuses ? C’est pourtant le cas. « Dettes souveraines
des banques : les doutes de la BCE », titrait Les Échos en fin d’année 2013.
Voilà qui est plutôt inquiétant pour vos livrets A et assurances-vie en euros,
qui en sont pleines. Mais cela, vous le saviez déjà. Ce que vous ne savez en
revanche peut-être pas, c’est que les banques aussi se sont lestées
d’obligations d’État.
Quels sont les doutes de la BCE ? La solvabilité des États émetteurs, pas
moins. Les banques sont allées déposer leurs mauvaises créances en
hypothèques à la Banque centrale européenne. En contrepartie, elles ont
obtenu le droit d’emprunter à 0,5 % ou moins de l’argent frais et elles l’ont
prêté à 2 % ou plus à leur État de tutelle.
1,5 % minimum de marge, sans risque, et en plus sans avoir besoin de geler
des fonds propres en face. Car, miracle de la régulation – qui fait vraiment
bien les choses –, une dette souveraine est considérée comme très sûre, une
grande démocratie d’un pays développé ne pouvant en aucun cas faire faillite.
Sauf que « personne ne met aujourd’hui en doute le fait que la dette émise par
les États comporte parfois un risque pour l’investisseur. Le problème est sur
la table, mais la manière de le traiter est très complexe, tant au plan technique
que politique, avec des conséquences qui pourraient être dramatiques »,
indique Charles Wyplosz102, un universitaire genevois membre du comité
scientifique conseillant la Banque centrale européenne. Il est vrai que la BCE
est dans une situation très inconfortable, car les États sont ses actionnaires.
Difficile d’aller dire à certains de vos actionnaires que vous les soupçonnez
d’être insolvables. La situation se complique encore, sachant que la Banque
centrale européenne est censée contrôler la santé des grandes banques. Le
Comité européen du risque systémique a d’abord préconisé de traiter la dette
souveraine comme de la dette d’entreprise à moyen terme ! Mais la Banque
centrale européenne, par la voix de Mario Draghi, s’y est opposée.
Finalement, dans la finance comme partout, l’inceste, ce n’est pas excellent…
L’Autorité bancaire européenne (EBA) a noté que l’exposition de
64 banques aux dettes souveraines de 21 pays européens représentait, mi-
2013, 9,5 % de leurs engagements, avec évidemment une tendance accentuée
à l’inceste dans les pays notoirement en difficulté. Ainsi, 99 % de la dette
grecque est détenue par des banques grecques, 76 % de la dette italienne se
trouve dans les banques italiennes, 89 % pour l’Espagne, 84 % en Irlande,
71 % au Portugal. En fait, la dette est nationalisée et l’union monétaire
n’existe plus que sur le papier puisque les taux sont devenus trop disparates :
l’Allemagne emprunte sous dix ans à 2 % tandis que l’Italie emprunte à
3,89 %, l’Espagne à 3,77 % et le Portugal à 5,41 % en début d’année 2014.
En réalité, obliger les banques à provisionner pour les dettes souveraines
douteuses en mettrait certaines, notamment les banques espagnoles, en très
grande difficulté. Elles n’avaient pas besoin de cela puisque, déjà fin
novembre 2013, le Fonds monétaire international leur a très fortement
suggéré de profiter de l’embellie des marchés pour se recapitaliser en vitesse
alors qu’elles ont déjà absorbé 40 Mds€ depuis le début de la crise.
Les produits dérivés atteignent des montants records : 693 000 Mds$ dans
le monde au premier semestre 2013, moins qu’en septembre 2011
(700 000 Mds$) mais plus qu’au moment de la faillite de Lehman Brothers
(684 000 Mds$). La majorité d’entre eux sont des produits dérivés de taux,
c’est-à-dire qu’ils sont sensibles à l’évolution des intérêts.
Les banques les plus exposées aux produits dérivés
Montants Montants rapportés au PIB du pays de la
Banque
en Mds$ banque
Deutsche Bank 55 600 21,5 fois le PIB de l’Allemagne
BNP Paribas 48 300 24 fois le PIB de la France
Barclays 47 900 26 fois le PIB du Royaume-Uni
Royal Bank of
45 900 25 fois le PIB du Royaume-Uni
Scotland
Crédit suisse 41 200 86 fois le PIB de la Suisse
UBS 30 900 65 fois le PIB de la Suisse
Société générale 19 200 10 fois le PIB de la France
Crédit agricole 16 700 8 fois le PIB de la France
À qui se fier ? Même pas aux banques mutualistes, qui détiennent 20 % des
dépôts européens. Oui, elles paraissent sympathiques, comme ça, avec leur
côté « je prête aux petits entrepreneurs locaux qui font tourner la vraie
économie et je ne spécule pas stérilement sur les grands vilains marchés ».
Mais en fait, c’est le règne du copinage, des pratiques douteuses. Irlande,
Espagne, Chypre, mais aussi Royaume-Uni, France, Allemagne, Autriche,
Pays-Bas, n’échappent pas à la règle. Il est de notoriété que les Sparkassen
allemandes et les Cajas de ahorros espagnoles regorgent d’actifs douteux. On
parle moins du Crédit agricole ou des réseaux Banques populaires et Caisses
d’épargne. Un article du Financial Times103, signé de David Lascelles, ex-
président de la Commission bancaire indépendante qui a examiné le cas
chypriote, dénonce le copinage entre les administrateurs de ces banques, le
réseau politique et les entrepreneurs locaux. C’est ce copinage qui permet
d’obtenir un siège d’administrateur et non pas les compétences. Ne croyez
pas que ces travers soient concentrés dans l’Europe du Sud. Les pressions
politiques s’exercent auprès des instances de régulation et souvent on obtient
des dérogations par rapport aux règles, comme aux Pays-Bas où Rabobank
jouit d’un statut spécial. Au Royaume-Uni, Co-op Bank est en difficulté. Ces
petites banques amicales peuvent être moins lourdement réglementées, car
elles ne s’engagent pas dans des affaires risquées, est-on enclin à penser, à
tort. « C’est très bien de prêter à M. Smith quand tout va bien parce qu’on
sait tout de lui, qu’on est voisins et que c’est devenu un ami. Mais c’est plus
difficile d’exiger ses échéances quand les affaires vont mal. C’est ainsi que
les banques “sympathiques” ont une fâcheuse tendance à empiler les
mauvaises créances », juge David Lascelles.
Les banques françaises, plus dangereuses que les autres
Une première façon de dégrossir la question du niveau de danger des
banques consiste à regarder leurs besoins en capitaux en cas de survenance
d’une nouvelle crise par pays. Un des dangers actuels est une hausse des taux
d’emprunt des pays occidentaux à croissance faible.
Besoins en capitaux des banques en cas de survenance d’une nouvelle
crise financière
Pays Mds€ % PIB
France 220,88 10,75
Chypre 1,73 10,54
Pays-Bas 44,17 7,31
Grèce 12,71 6,69
Royaume-Uni 121,18 6,56
Suisse 24,18 4,81
Danemark 11,42 4,58
Italie 67,36 4,29
Allemagne 113,59 4,22
Belgique 15,05 3,93
Portugal 5,66 3,44
Autriche 8,49 2,67
Norvège 5,39 1,32
Finlande 0,06 0,03
Source : Eric Dor, “The recapitalization needs of European Banks if a new financial crisis
occurs”, Working Paper Series, IÉSEG School of Management, octobre 2013.
Ce premier tableau vous montre que la France est le pays le plus vulnérable
et que les banques françaises dans leur ensemble seraient difficilement
renflouables puisqu’il faudrait un effort financier national équivalent à plus
de 10 % du PIB.
« Le G20 est biaisé politiquement. Il a critiqué les banques chinoises mais il
n’a pas pointé du doigt les banques françaises lors de ses évaluations.
Pourtant, selon notre modèle, les banques françaises sont plus risquées. Ce
n’est pas parce qu’elles sont gérées par des énarques que l’on peut dire que
tout ira bien. » (Michael Rockinger, professeur de finance à HEC Lausanne,
14 janvier 2013.)
Un autre éclairage, banque par banque cette fois, est apporté par une étude
indépendante des autorités européennes qui classe les banques les plus
dangereuses en fonction de leurs besoins en capitaux. Le modèle de calcul de
risque systémique a commencé à être développé dès 2010 par le V-Lab de la
Stern Business School (Université de New York)104 et par le Center for Risk
Management de Lausanne (HEC).
Les 13 banques de dépôts les plus dangereuses (Europe)
Banque Pays
Crédit agricole France
Deutsche Bank Allemagne
Barclays Grande-Bretagne
BNP Paribas France
Société générale France
Royal Bank of Scotland Grande-Bretagne
ING Pays-Bas
UniCredit Italie
Banco Santander Espagne
Commerzbank Allemagne
Crédit suisse Suisse
Intesa Sanpaolo Italie
UBS Suisse
Global Finance indique par ailleurs que les banques suivantes mériteraient
de figurer à ce tableau du top 50 mais ont été écartées en raison de la taille
plus modeste de leurs bilans : Wells Fargo, Standard Chartered, Banque
Fédérative du Crédit mutuel, SEB, DnB, Swedbank, State Street, National
Bank of Canada, Shizuoka Bank, National Commercial Bank, Al Rajhi Bank,
Suncorp Metway, Banco Santander Chile, Riyad Bank.
Vous noterez que, hormis la Caisse des Dépôts et Consignations, aucune
banque française ne figure dans cette liste.
Vous avez donc maintenant un faisceau de concordances qui vous indique
que les banques françaises sont loin d’être des coffres-forts pour votre argent
et vous avez quelques clés qui vous permettent de jauger la vôtre.
Récapitulons :
Où le lecteur pressé cherchera fébrilement si sa propre banque figure bien ici. Si elle
n’y est pas, qu’il se rassure, il aura tout de même suffisamment de clés pour se forger
une opinion et s’organiser.
La première question à vous poser c’est : « Une banque pour quoi faire ? »
Il y a deux cas de figure. Soit il s’agit d’un compte courant, sur lequel vous
avez de la trésorerie pour vivre au mois le mois. Vous demandez simplement
à ce compte de bien fonctionner, que les différents prélèvements s’effectuent
correctement, d’éventuellement avoir un être humain auquel vous puissiez
vous adresser en cas de besoin. Soit il s’agit d’un compte plus sérieux,
capable d’abriter de la trésorerie ou votre épargne (quoique nous verrons dans
le chapitre suivant divers moyens d’avoir de l’épargne « débancarisée »).
Cette trésorerie peut être une trésorerie de passage, car vous allez réaliser la
vente d’un bien immobilier ou de votre outil de travail et vous allez ensuite
réemployer cet argent. Ce peut aussi être une trésorerie plus permanente, car
vous êtes artisan ou vous exercez une profession libérale. Dans ce cas, vous
avez besoin d’une banque robuste et ce sera votre premier critère de choix.
Pas tous vos œufs dans le même panier, surtout si vous attendez la ponte
de gros œufs
Si vous avez une grosse rentrée d’argent, ou même si votre trésorerie est
importante, vous avez déjà compris qu’il est prudent de fractionner vos
dépôts. Vous avez vu que le plafond des 100 000 € était un critère de
principe, mais qu’il pourrait être brisé si les circonstances l’exigeaient. En
effet, à Chypre, pour ne pas toucher aux dépôts inférieurs à 100 000 €,
l’Europe et le FMI se sont engagés à réinjecter 10 Mds€ dans le système ; le
PIB de l’île est le dixième de celui de la France. Si l’Espagne, l’Italie ou la
France devaient subir une crise similaire, ce ne serait pas 10 Mds€ qu’il
faudrait injecter, mais des centaines de milliards, que personne n’a.
Enfin, il existe un risque qui est encore sous-estimé, à l’aube des élections
européennes de mai 2014, celui de l’éclatement de l’euro.
le moins de levier possible (le levier étant les fonds propres par rapport
au total des engagements, des prêts accordés et des investissements) ;
le plus de liquidités (les dépôts sont supérieurs aux prêts
commerciaux) ;
le moins de risques (le niveau des créances douteuses rapportées aux
fonds propres est le plus faible possible).
Ajoutons qu’une banque qui gagne de l’argent, c’est évidemment mieux
pour vous qu’une banque qui en perd. Car les bénéfices viennent se rajouter
aux fonds propres.
Ensuite, comme vous le savez maintenant, vous devrez aussi apprécier les
risques qui pèsent sur votre banque en fonction de ses activités :
Avertissement au lecteur
banques espagnoles : 104 Mds€ (déjà couverts pour moitié par les
provisions) ;
banques italiennes : 125 Mds€ (contre 72 Mds€ de provisions
constituées) ;
banques portugaises : 20 Mds€ (contre 12 Mds€ de provisions).
À la fin de l’année 2013, les dernières émissions de dette de Banco Espírito
Santo au Portugal et de Banco Popular en Espagne ne se sont pas très bien
passées, le marché se montrant exigeant.
L’effondrement fin 2013 de la plus vieille banque italienne, Monte dei
Paschi di Siena, fondée en 1472, est symbolique. La banque devait lever
3 Mds€ pour pouvoir bénéficier d’un prêt de l’État italien de 4 Mds€.
Incapable de trouver l’argent en décembre, la levée de fonds est reportée en
mai 2014 et la banque risque la nationalisation. Le ratio de solvabilité
pondéré des risques de cette banque moribonde est de 11 %, excellent donc
au regard de la législation. Mais son ratio de levier est de 100 puisque Monte
dei Paschi di Siena affiche 200 Mds€ d’engagements pour 2 Mds€ d’actifs
nets tangibles, une hypertrophie monstrueuse. Ceci démontre encore une fois
l’ineptie des ratios de solvabilité pondérés des risques.
Pas trop impliquée dans les divers scandales et malversations qui ont
défrayé la chronique en 2013, BNP Paribas fait peu parler d’elle. La banque
se veut un peu haut de gamme, un héritage de Paribas – une vieille banque
d’étage – et est le numéro 1 français pour les fonds de placements (actifs sous
gestion en jargon), avec 347 Mds€.
La banque a indiqué avoir réalisé 546 M€ d’économies sur ses coûts en
2013, avec des méthodes dignes de l’industrie lourde : les prestataires
informatiques européens de la banque de financement et d’investissement
sont remplacés par des salariés maison recrutés en Inde.
Pour améliorer sa liquidité, BNP Paribas a aussi réduit en 2013 ses
portefeuilles de crédits à la consommation et prêts immobiliers d’environ 2 %
et annonce avoir enregistré une progression de ses dépôts de 12 Mds€ en
2012 et 2013.
Malheureusement, le bilan montre des survaleurs de 11 Mds€, un gros
levier, et un recours aux largesses de la Banque de France avec plus de 36
Mds€ de titres de créances négociables, signe que la vie n’est pas si tranquille
que cela. D’ailleurs, M. Le Marché n’est pas totalement dupe et l’action, qui
cotait plus de 90 € avant la crise, cote autour de 55 € début 2014.
Ces banques de petite taille sont aptes à résister aux grands chocs des
marchés. Attention, ce sont des banques souvent élitistes qui accueilleront
volontiers les comptes bien provisionnés d’une clientèle aisée, des
professions libérales et des indépendants. Dans ce genre d’établissement, on
se frotte peu aux produits structurés et on prête aux clients dans la mesure où
ils donnent de très robustes garanties. En fait, on leur prête surtout l’argent
qu’ils ont déjà (immobilisé par ailleurs). Ce sont donc de bons endroits pour
abriter vos liquidités en attente de réemploi ou la trésorerie de votre
entreprise.
Capitaux propres 25 M$
Levier 9
Ratio de liquidité (dépôts sur prêts) 1,3
Banque familiale et régionale de la côte basque dans laquelle le groupe
Crédit du Nord détient 30 % de participation. Les agences sont concentrées
dans le Sud-Ouest, la plus orientale étant Tarbes et la plus septentrionale
étant Mont-de-Marsan. Mais évidemment, il y a un service de banque en
ligne. Le site affiche clairement les chiffres clés du bilan et du compte de
résultat pour 2011.
Banque Michel Inchauspé – Bilan : 427 M€ (chiffre 2010)
Capitaux propres 53,8 M€ (chiffre 2011)
Levier 7,9
Ratio de liquidité (dépôts sur prêts) 1,5
La banque se réclame de la Navarre, c’est dire que vous n’aurez pas de
bureau à Singapour, mais la couverture va jusqu’à Bordeaux, Toulouse et
Lourdes ; si vous êtes un entrepreneur régional, vous serez donc accueilli à
bras ouverts.
On ne peut accéder sur le site qu’au rapport annuel 2010, mais les fonds
propres, les dépôts clientèles et les prêts y figurent clairement.
Attention, en tant que résident français, vous êtes tenu de déclarer au fisc
français tout compte ouvert à l’étranger, même en zone euro.
Dans le cas d’un scénario d’éclatement de l’euro et de retour aux monnaies
nationales, la première idée qui se présente à l’esprit consiste à se réfugier
dans une banque allemande en espérant voir son dépôt converti en marks
plutôt qu’en francs nouveaux. Hélas, c’est une fausse bonne idée. En premier
lieu, les banques allemandes ne sont pas en meilleure forme que les banques
françaises. Deutsche Bank est la championne des produits dérivés. En
deuxième lieu, certes, si l’euro se disloquait, le nouveau mark serait la
monnaie forte de l’Europe et l’euro-franc serait probablement dévalué de 20 à
25 %. Mais il est très probable aussi que les dépôts des non-résidents seraient
automatiquement convertis dans la monnaie nationale de résidence du
déposant non-résident. Donc si vous avez un dépôt dans une banque
allemande et que vous êtes résident français, votre dépôt sera converti en
euro-francs. Il faut donc trouver des solutions hors zone euro avant mise en
place de mesures répressives de contrôle de circulation des capitaux.
Une tête de pont sulfureuse, la HSBC – Bilan : 2 500 Mds£
La crise a fait des ravages dans les banques britanniques en 2008. Trois
banques se sont cependant débrouillées seules dans la tourmente et ont
échappé à la faillite ou à la nationalisation sauvage : Barclays, HSBC et
Standard Chartered. Les deux premières défraient la chronique des affaires et
scandales. HSBC est un énorme établissement à la réputation sulfureuse,
mais qui pourrait ne pas manquer pas d’atouts.
Critère d’appréciation Mesure Source
Rentabilité (PNB sur charges d’exploitation). Le plus Rapport annuel
1,59
gros le mieux sur une échelle de 1,21 à 2,24. 2011
Communication
Levier (engagements rapportés aux fonds propres). Le financière,
17,3
plus petit le mieux sur une échelle de 41,5 à 4,5.
2e trimestre 2013
Risque (créances douteuses rapportées aux fonds
Rapport annuel
propres). Le plus petit le mieux sur une échelle de 81 % 16,2 %
2011
à 3 %.
Liquidité (dépôts de la clientèle sur crédits Rapport annuel
commerciaux). Le plus gros le mieux sur une échelle de 1,34 2012
0,48 à 3,22.
Où le lecteur avisé et tenace apprendra que son épargne peut aussi être abritée en
dehors du réseau bancaire, mais il faudra vaincre certaines réticences. Car un banquier
déteste voir de l’argent partir… Évidemment, rien n’est simple et il n’existe aucune
solution miracle, d’ailleurs, elle serait immédiatement taxée. La première des sécurités
reste la diversification.
Les banques ne sont toujours pas saines, votre argent n’y est pas en totale
sécurité puisqu’une banque n’est pas un service de coffres-forts. Les produits
financiers qu’elles vous proposent ne vont pas nécessairement dans le sens de
votre intérêt, les rendements sont mauvais ou bien ne vous paient pas de vos
risques réels.
Autant de bonnes raisons de ne pas laisser toute votre épargne dans le
réseau bancaire et d’essayer d’aller trouver mieux ailleurs. Attention
toutefois, si vous voulez transférer de l’argent ailleurs, votre vie ne sera pas
nécessairement un long fleuve tranquille. Toute personne qui souhaite
prendre un peu de distance avec le système bancaire se retrouve vite
soupçonnée de fraude fiscale, voire de blanchiment. Le simple fait de payer
en espèces vous fait soupçonner d’être un acteur de l’économie souterraine. Il
est vrai que l’État et les banques ont un intérêt commun : vous faire rester
dans le système. Les banques pour pouvoir continuer à exploiter votre argent,
l’État pour le taxer, et l’avoir à disposition en cas de besoin. Il ne vous a pas
échappé que l’État avait besoin d’argent, de beaucoup d’argent. L’évasion
fiscale, qui n’était qu’un délit, devient désormais un crime. En matière
fiscale, vous pouvez pécher par omission et par action. Y aura-t-il bientôt un
péché fiscal en pensée ? Les gouvernements aimeraient bien.
Quoi qu’il en soit, envisager de moins passer par sa banque est devenu
suspect dans un pays où les paiements par carte représentent 50 % des
transactions de plus de 30 €. En voulant être hors circuit bancaire, vous
devenez coupable de velléités de ne pas vouloir vous laisser tondre sans
préavis si les circonstances l’exigeaient, ou même de favoriser l’économie
souterraine. « Les Français basculent dans le black », titrait un article en
ligne111 datant du 30 octobre 2013. Le site Atlantico, par la plume (ou plutôt
la souris) de Jean-Marc Sylvestre, remarquait que la Banque de France avait
dû imprimer 20 % de billets de 20 € et 50 € en plus. « Pour tous les
économistes, c’est évidemment le premier marqueur de développement d’une
économie souterraine, d’un marché noir. L’évolution est particulièrement
évidente dans le commerce de détail, dans la distribution de carburant, dans la
restauration, la réparation automobile ou encore le bâtiment », concluait
l’auteur. Quelques jours plus tard, la Banque de France démentait, indiquant
que sa production anormale provenait de la préparation au changement de ces
billets dont elle détient le monopole de fabrication pour la zone euro. Quoi
qu’il en soit, cette anecdote est révélatrice de l’état d’esprit des autorités. Ne
pas faire confiance aux banques, c’est vouloir basculer dans l’illégalité.
Une fois que vous savez cela, sachez que vous pouvez cependant stocker de
l’argent hors banque, mais autrement que sous votre matelas.
Autant le dire clairement, les moyens d’avoir des liquidités disponibles hors
du système bancaire sont malgré tout assez réduits. En voici quelques-uns
pour abriter quelques liquidités. Il ne s’agit pas d’épargne, simplement de
solutions en dehors du système bancaire, mais qui vous permettent cependant
de dépenser facilement votre argent ainsi mis à l’abri.
Paypal : pour vos achats en ligne, mais vous devez déclarer votre compte !
Dans mes précédents livres, j’ai indiqué qu’une des façons de se
débancariser consistait à avoir un compte PayPal. Il ne s’agit pas d’entreposer
de grosses sommes de cette façon, mais plutôt de s’assurer d’avoir un matelas
de liquidités disponible en cas de blocage du système bancaire classique.
Mais le tribunal administratif de Pau a condamné à 1 500 € d’amende un
particulier qui n’avait pas déclaré son compte. En effet, si vous êtes résident
en France, un compte PayPal est assimilé à un compte à l’étranger puisque le
siège de PayPal est au Luxembourg. C’est évidemment, une interprétation
très large de l’article 344 A de l’annexe II du Code général des impôts. Mais
vous savez que Bercy a besoin de faire feu de tout bois… Le ministère de
l’Économie a cependant par la suite indiqué que cette obligation de
déclaration ne serait valable que si le compte PayPal servait à encaisser des
recettes ou s’il disposait d’un solde positif. Quoi qu’il en soit, ceci confirme
que les énarques de Bercy n’aiment visiblement pas que l’argent quitte les
banques de leurs camarades du privé.
Les banques sont d’ailleurs récemment venues chasser sur le terrain de
PayPal avec Paylib, une initiative commune de BNP Paribas, de la Société
générale et de la Banque postale. Avec ce portefeuille électronique destiné à
régler des achats sur Internet, « c’est votre banque qui paie, ce n’est pas un
prestataire intermédiaire », indique la Banque postale. En réalité, c’est surtout
votre argent qui reste dans le système.
Paypal, en revanche, vous permet donc toujours de conserver du cash en
dehors du système bancaire, cash qui pourra être utilisé pour régler des
commerçants en ligne, même en cas de paralysie temporaire du système pour
cause de chypriotisation.
Bitcoin : une étrange monnaie pour geek ou pour narcotrafiquant ?
« Bitcoin constitue les prémices de quelque chose de grand : une monnaie
sans gouvernement, quelque chose de nécessaire et d’impératif. »114
« Bitcoin est peut-être la technologie de rupture la plus radicale qui ait été
inventée. Ce pourrait être le plus grand événement financier depuis l’or. Rien
de tel ne s’est passé depuis 6 000 ans – une toute nouvelle sorte de devise…
en mieux ! »115
Bitcoin est une expérience de monnaie libre, mais qui ne repose sur rien,
comme les monnaies fiduciaires que nous utilisons quotidiennement. C’est
une monnaie électronique conçue en 2009 par un certain Satoshi Nakamoto
dont l’existence n’est même pas certaine. Derrière cette monnaie se cacherait
plutôt un collectif. Des bitcoins sont créés et émis automatiquement selon un
algorithme programmé. Le nombre de bitcoins en circulation ne dépassera
jamais 21 millions, quantité qui devrait être atteinte aux environs de 2040.
Contrairement à ce que font les banques centrales, le programme d’émission
du bitcoin se ralentit donc dans le temps.
La valeur du bitcoin est déterminée par la demande et l’usage qui en est
fait. Mais à quoi cela peut-il bien servir, vous demandez-vous ? Supposons
qu’habitant en zone euro, vous vouliez transférer 1 000 $ aux États-Unis à un
proche. Si vous passez par votre banque, vous aurez des frais de transfert et
des frais de change. Si vous achetez des bitcoins en euros et que vous les
transférez par Internet à votre proche, qui les vendra en dollars, le tour est
joué, sans frais de change et sans commission. Inutile de vous dire que ni les
banques ni les autorités n’apprécient cette monnaie et que les grandes
manœuvres ont commencé pour tenter d’en reprendre le contrôle. D’autant
plus que ce qui n’était qu’un phénomène marginal s’est brutalement intensifié
à la fin de l’année 2013. La totalité des bitcoins en circulation valait 15 Mds$
en décembre, avec plus 12 millions d’unités et 25 millions de transactions par
jour. Bigre ! Bitcoin menaçant les monnaies à cours légal ?
Toujours pragmatique, l’Allemagne a fait savoir qu’elle taxerait les
transactions en bitcoins (il faut bien récupérer de la TVA) et qu’elle reconnaît
cette monnaie privée. Les États-Unis observent et ripostent. Une plateforme
d’échange électronique a été démolie au motif qu’elle abritait des transactions
mafieuses (selon la vieille politique qui veut que, lorsqu’on souhaite abattre
son chien, on déclare qu’il a la rage). Interdire ou taxer ? Les autorités et les
gouvernements, perplexes, hésitent encore.
Est-ce utile pour vous ? Bitcoin possède deux des trois fonctions d’une
monnaie : c’est un instrument d’échange et c’est un instrument comptable. Il
lui manque évidemment la troisième fonction, essentielle pour nous
particuliers, celle de réservoir de valeur. Adossé à rien, le bitcoin n’a qu’une
valeur d’usage. C’est une spéculation tentante sur la bêtise des autorités
manipulatrices de monnaies, puisque le bitcoin est en quantité finie et limitée
et que les autres monnaies sont actuellement créées en abondance par les
banques centrales. Mais pour que cette spéculation soit gagnante, il faudrait
que le bitcoin rencontre un succès populaire. Par ailleurs, cette monnaie
n’existe que si les grands réseaux informatiques fonctionnent correctement et
on peut supposer que si un grand pays comme les États-Unis mobilisait toutes
ses ressources informatiques, il arriverait à casser l’algorithme.
Le bitcoin est aujourd’hui plus un gadget de technophile qu’un moyen
robuste et éprouvé de stocker de la valeur. Ne l’utilisez que pour des
paiements courants ou des transferts, et comme diversification pour abriter de
petites sommes ou si l’envie de spéculer contre les monnaies classiques vous
démange. Et ayez une gestion informatique très rigoureuse si vous ne voulez
pas que votre portefeuille électronique soit victime de pickpockets hackers ou
que vos bitcoins s’évanouissent à la mort d’un disque dur.
VeraCarte : de l’or en carte à puce
L’or n’est la dette de personne et il n’a probablement pas dit son dernier
mot dans cette crise, dont le dernier volet sera monétaire. Après dix années de
hausse continue, l’or a perdu près d’un tiers de sa valeur en 2013. Mais si la
crise se ravive, il flambera à nouveau. Évidemment, le marché de l’or est déjà
très réglementé,la détention d’or pénalisée fiscalement dans la plupart des
pays et il est difficile de payer ses achats en or. La société française de
négoce d’or AuCoffre.com propose, en partenariat avec MasterCard, une
carte de paiement adossée à votre réserve d’or physique. La partie carte de
paiement et transactions est gérée par MasterCard. La partie achat d’or
physique, stockage et conversion en devises est assurée par AuCoffre.com, le
plus gros site Internet d’achat et de vente d’or en France.
Concrètement, vous virez une somme d’argent sur votre compte VeraCarte
depuis votre compte en banque. Au moment où votre compte VeraCarte est
crédité, la somme est convertie en or physique au cours comptant du moment
du virement. L’unité comptable est le gramme d’or (environ 40 €). L’or qui
vous est alloué est conservé dans la zone franche de Genève. Votre solde
créditeur va ensuite fluctuer au rythme du cours de l’or.
L’or vous appartient réellement et non pas à la société AuCoffre.com ; en
cas de faillite de cette dernière, la contrepartie en or de votre compte vous
serait restituée. Sachez aussi que le système est assez communautaire et que
ses membres souhaitent faire pratiquer un audit des stocks d’or par une
association constituée, initiative soutenue par AuCoffre.com.
Vous pouvez régler vos achats ou retirer de l’argent dans un distributeur
comme avec n’importe quelle carte MasterCard. À chaque dépense, la somme
correspondante est reconvertie en grammes d’or au cours de l’or au moment
du débit et, en même temps, cette masse est retranchée de votre compte en or.
Dans la limite de 5 000 € de dépenses par mois et dans l’état actuel de la
fiscalité, cette solution est fiscalement neutre.
Les frais sont plus élevés que dans le système bancaire traditionnel (110 €
par an pour la carte et des frais de transaction de 3 %), à comparer avec la
location d’un coffre dans le système bancaire. En échange, vous avez un
compte en or avec des achats et ventes au meilleur prix du marché et une
carte de paiement indépendante du circuit bancaire.
Approvisionnez votre compte dans les moments où le cours de l’or est
déprimé. Puis faites vos achats lorsque le cours de l’or remonte.
Vos liquidités – l’argent que vous gardez disponible et que vous vous
réservez le droit de dépenser quand bon vous semble – sont un moyen de
vous protéger d’un accident de votre banque. L’autre moyen est votre
épargne longue. Celle-ci peut être financière (actions, obligations) ou non
financière (immobilier, foncier). D’une façon générale, votre épargne
financière est dans le système bancaire, que vous ayez des livrets ou un PEA
(plan d’épargne en actions), sauf si vous avez un courtier ou broker
indépendant. La seule chose qui s’en éloigne un peu est l’assurance-vie,
puisqu’un assureur n’est pas une banque et est soumis à une autre
réglementation.
Ceci posé, un autre aspect de la question est le rendement de votre épargne,
soumise à ce que les autorités appellent la « répression financière ». Ce terme
désigne tout à la fois des taux d’intérêt très bas, sans aucun rapport avec le
risque encouru, et en même temps des mesures de captation de votre argent
pour l’attirer vers les emprunts d’État. Aujourd’hui, vous avez un risque
maximum puisque des États souverains des pays développés peuvent faire
faillite, comme l’ont montré la Grèce, l’Irlande, l’Islande, le Portugal,
l’Espagne… Et vous avez un rendement minimum, car les banques centrales
maintiennent des taux courts artificiellement bas.
Pour parler clairement, le marché obligataire est truqué. Il est naturellement
régi par deux principes très simples :
Plus un prêt est risqué, plus le prêteur en « veut pour son argent », plus
le taux est élevé. C’est ce que recouvre l’expression « rendement
risque ».
Plus l’argent est abondant, plus il y a de prêteurs et donc d’offre,
moins les taux sont élevés. C’est la classique loi de l’offre et de la
demande. Plus il y a d’offre, plus les prix baissent.
Presque tous les prêts sont devenus risqués. Il y a trop de dettes, tout le
monde feint de croire qu’un jour elles pourront être remboursées, mais tout le
monde sait aussi très bien que ce ne sera jamais le cas. Les taux devraient
monter pour compenser le risque, mais ce n’est pas ce que nous voyons.
L’explication est très simple. Les banques centrales émettent de l’argent
pour faire croire qu’il est abondant. Cette émission monétaire crée l’illusion
qu’il y a des prêteurs en grand nombre et que l’offre d’argent est abondante,
mais c’est de l’argent surgi du néant qui ne correspond à rien de réel. Ce faux
argent fait baisser les taux et empêche la hausse naturelle qui se produirait
autrement au vu des risques. Les banques centrales camouflent ainsi
l’insolvabilité de nombreux intervenants sur les marchés. Votre assurance-vie
ou votre livret « super boosté » vous rapportent moins de 3 % et affichent des
rendements en baisse depuis la crise, alors qu’au contraire, les risques ayant
augmenté, ils devraient vous rapporter plus.
Mais malgré tout, pour vous attirer vers ces supports, le deuxième volet de
la répression financière consiste à matraquer fiscalement les autres
investissements. C’est ainsi que la fiscalité sur les actions, les plus-values,
l’immobilier, a été durcie tandis que celle sur les livrets A a été assouplie (par
l’augmentation du plafond décidée par le gouvernement). Les obligations
sont donc plus dangereuses que ne le laisse croire leur rendement.
Malgré ce constat, il existe une règle pour votre épargne à laquelle il faut ne
jamais déroger : la diversification. C’est une règle sacro-sainte, même si
aujourd’hui la plupart des marchés varient dans le même sens en même
temps. Par exemple les prix des actions, des obligations et de l’immobilier
ont été orientés à la hausse en même temps entre 2003 et 2008. Les trois
grands marchés – obligataire, des actions et immobilier – se sont retrouvés à
l’unisson.
Avant de voir plus précisément comment « débancariser » votre épargne, je
vous propose de voir comment sont susceptibles d’évoluer les principales
classes d’actifs (obligations, actions, immobilier et foncier), à moyen terme,
c’est-à-dire d’ici un à cinq ans.
Pourquoi vous devriez éviter la plupart des obligations
La particularité des obligations est que leur prix varie dans le sens inverse
des taux. Lorsque les taux montent, le prix des vieilles obligations, qui ont été
émises à des taux plus faibles, baisse. Supposons qu’un compte rémunéré
vous rapporte 3 % par an si vous acceptez de bloquer une certaine somme
durant dix ans. Un jour, quelqu’un vous propose un compte rémunéré à 5 %,
toujours pour une durée de dix ans. Vous allez vouloir lâcher votre vieux
compte pour prendre le nouveau qui rapporte plus. Avec les obligations, c’est
exactement la même chose. Donc, lorsque les taux montent, les détenteurs
des vieilles obligations veulent s’en débarrasser et le prix de ces obligations
baissent. Depuis presque trente-cinq ans, le prix des obligations a monté car
les taux ont baissé. Les vieilles obligations, émises à un taux supérieur,
étaient plus intéressantes que les nouvelles ; donc, lorsque quelqu’un voulait
vendre son obligation en cours de vie, il pouvait la vendre un peu plus cher
que le prix d’acquisition. En 1980, les taux avaient atteint 15 % aux états-
Unis, puis ce fut une lente décrue sous l’effet de la mondialisation. Les pays
émergents ont recyclé une partie de leurs excédents commerciaux en achetant
la dette de leurs riches clients. Mais la vapeur est en train de s’inverser. Les
riches clients occidentaux sont de moins en moins riches et de plus en plus
endettés et, comme les pays émergents exportent moins, il y a moins d’argent
à recycler. Parallèlement, il y a presque toujours autant de dettes émises par
les États impécunieux. Moins d’argent pour acheter des obligations, mais
autant d’offres par de nouvelles émissions vont conduire, comme on l’a vu, à
des taux qui vont monter et des obligations qui vont baisser. Il est donc
mauvais de laisser votre épargne captive du marché obligataire.
Mais ce n’est pas le seul problème de ce marché obligataire. Pour le
comprendre, il faut parler « sensibilité », car oui, ces bouts de papier ont une
sensibilité, voyez-vous. Si un taux passe de 2 % à 2,5 %, cela ne paraît pas à
première vue une grande affaire. Mais c’est pourtant une augmentation de 25
%. C’est, sommairement, l’ampleur de cette variation que l’on appelle
sensibilité. Plus les taux sont bas, plus une variation de ces taux, même faible
en valeur absolue, a des conséquences importantes. Aujourd’hui, la plupart
des obligations ont une forte sensibilité. Et qui dit sensibilité dit vulnérabilité
; comme vous le voyez, le marché obligataire est sentimental… Mettez-vous
maintenant du côté de l’emprunteur qui voit la charge de son emprunt bondir
de 25 % dans mon exemple. Là où ça passait, pour parler familièrement, ça
ne passe plus, d’autant plus qu’il ne vous a pas échappé que les affaires ne
sont pas spécialement florissantes. C’est pourquoi, lorsque les taux vont
monter (car les banques centrales ne pourront pas tout racheter, ça deviendrait
trop visible), les défauts vont se multiplier. En l’occurrence, c’est ce qui se
produit déjà en Espagne.
Le cycle haussier des obligations (et baissier des taux) a duré trente-cinq
ans, mais le balancier est en train de repartir de l’autre côté et le marché
obligataire ne devrait pas vous offrir de perspectives florissantes à moyen
terme. Cependant, vous ne devez pas non plus déroger à la sacro-sainte règle
de diversification et détenir un peu d’obligataire, même si vous n’y consacrez
qu’une petite partie de votre épargne disponible. Alors que faire ?
Vous pouvez tricher en vous intéressant au compartiment des obligations
convertibles en actions. Ces obligations sont émises par de grandes
entreprises et vous servent des intérêts supérieurs aux obligations d’État et
aux livrets. À la date d’échéance, vous avez le choix soit de revoir votre
capital soit de convertir votre obligation en actions. Si l’économie ne se porte
pas mieux que maintenant, vous aurez perçu un meilleur rendement que ce
que vous auriez eu avec un compte rémunéré et vous aurez récupéré votre
capital. Si l’économie est repartie, les marchés actions devraient progresser
en Europe et vous pourrez convertir votre obligation en actions pour
percevoir un capital supérieur.
Les avantages de passer par un courtier et non pas par votre banque
À chacun son métier, une banque est une banque mais, pour détenir des
actions en direct, mieux vaut passer par un courtier. Les frais à l’achat et à la
vente sont plus réduits et vous avez accès à beaucoup plus de places de
marchés. Autant que votre épargne profite du bon côté de la mondialisation.
De nos jours, il est devenu simple de passer un ordre de Bourse en ligne à
New York, Toronto, sur les Bourses allemandes, etc.
Si vous êtes tenté par l’aventure des actions étrangères en dollars, faites
seulement attention à ouvrir un compte en devises, ainsi, lorsque vous
achèterez et vendrez des actions en dollars, vous ne paierez pas de frais de
change à chaque opération. C’est votre compte en devises qui sera débité ou
crédité. Choisissez un courtier indépendant d’une banque à risque, tel que
Bourse Direct, Dubus, Interactive Broker (États-Unis), TD Direct Investing
International (ex-Internaxx, Luxembourg, adossé à TD Bank USA).
Affiliation des principaux courtiers en ligne français
Boursorama : filiale de la Société générale
ING direct : filiale de ING Bank NV
Bourse direct : filiale de Viel & Cie (société d’investissement cotée en
France)
Binck : succursale française de BinckBank NV (Pays-Bas)
Saxo banque : filiale de Saxo Bank (banque danoise)
Fortuneo : filiale du Crédit mutuel ARKEA (bancassurance)
B*capital : filiale de BNP Paribas
BForBank (ex CPR Online) : filiale du groupe Crédit agricole
Xtb.fr : filiale de X-Trade Brokers DM
FXCM : filiale de FXCM Holdings, LLC
Interactive brokers : filiale d’Interactive Brokers Group LLC
Et l’assurance-vie ?
Ce sont les banquiers qui en premier mettent la main sur l’argent frais émis
en échange de leurs créances pourries. Ils font ce que font les banquiers
d’aujourd’hui, ils le recyclent sur les marchés financiers et achètent des
obligations de leurs si généreuses autorités de tutelle (il faut quand même
savoir renvoyer l’ascenseur). L’économie réelle ne voit presque pas la
couleur de cet argent, sauf les produits de luxe, l’immobilier de luxe, l’art et
les vieux vins… C’est exactement l’effet Cantillon.
Lorsqu’une personne a un petit revenu et se trouve soudain à la tête d’un
surcroît d’argent, elle va le dépenser dans des choses basiques : de
l’alimentation, des vêtements, une voiture, de l’électroménager, etc. Elle va
immédiatement consommer ce surplus. Lorsqu’un riche a encore plus
d’argent, il ne va pas consommer beaucoup plus qu’avant. Il va investir plus,
dans les actions ou l’immobilier, il va aussi éventuellement se faire plaisir
avec une voiture plus rapide, un appartement plus grand, une autre montre à
tourbillon, des premiers grands crus et pourquoi pas quelques toiles ou
sculptures qu’il aura arrachées à un rival dans une vente aux enchères
médiatisée. Vous constatez que, depuis la crise, après un petit trou d’air,
l’inflation des prix s’affiche bien dans ces domaines, et ceux-là
essentiellement. Elle ne touche pas vraiment M. Tout-le-monde qui, lui,
constate surtout une inflation galopante de ses impôts et taxes.
Lorsqu’il y a création monétaire ou création de crédit, plus vous êtes proche
du robinet de liquidités plus vous vous enrichissez ; plus vous en êtes loin,
plus vous y êtes indifférent. Lorsqu’en plus l’inflation arrive, plus vous êtes
loin du robinet, plus vous vous appauvrissez. Car l’inflation est en réalité un
impôt sur la consommation des gens en bout de chaîne.
« L’afflux continu de monnaie fiduciaire rend les puissants et les riches
plus puissants et plus riches que s’ils dépendaient d’échanges volontaires
avec leurs concitoyens. Et parce que cela protège l’élite politique et
économique de la compétition venant du reste de la société, l’inflation est un
frein à la mobilité sociale. Le riche reste riche plus longtemps et le pauvre
reste pauvre plus longtemps qu’il ne le resterait dans une société libre ». (Jörg
Guido Hülsmann119, Deflation and liberty, online at mises.org)
Les banquiers et les financiers sont aujourd’hui beaucoup plus riches qu’au
XIXe siècle et qu’au début du XXe siècle ; les banques manipulent des sommes
faramineuses qui pèsent plusieurs fois le PIB de leur pays, les marchés
brassent dix fois l’argent de l’économie mondiale. Autrefois, les banquiers
prêtaient de l’argent qui existait déjà, et avant le système des réserves
fractionnaires, ils prêtaient surtout leur propre argent. La puissance financière
des plus grandes banques n’excédait pas 1,5 % de l’économie de leur époque.
Maintenant les banquiers prêtent de l’argent qu’ils ont le droit de créer eux-
mêmes. Ils prêtent jusqu’à 80 fois leurs fonds propres et bien plus que les
dépôts de leurs clients. Ils ont obtenu cet exorbitant privilège à condition de
se soumettre aux exigences des représentants du peuple et d’avaler toutes
sortes de dettes d’État. Pour camoufler cet inceste, ce copinage entre
politique et finance, les politiciens ont asservi leur population soit par le
crédit (États-Unis) soit en distribuant des prestations sociales financées par
l’endettement de la population (France, Grèce) et dans d’autres pays, un
mélange des deux (Espagne, Irlande, Portugal…). Et c’est ainsi que les 0,01
% les plus riches voient leurs revenus progresser (de 72 % entre 2002 et
2012) tandis que 90 % de la population voit les siens régresser120 (de 11 %
entre 2002 et 2012). Quand, même The Wall Street Journal (quotidien
américain financier) parle de corruption et cite certains chiffres de Thomas
Piketty (économiste français de gauche121), vous sentez bien qu’il doit
vraiment y avoir une arnaque dans l’air…
2008 2013
692
Volume des produits dérivés négociés hors cote en milliards 516 000
000
de dollars Mds$
Mds$
Endettement des pays de l’OCDE (les riches) 75 % 110 %
Déficit des pays de l’OCDE en % de leur PIB 3,7 % 4,8 %
31 pour
De 13
Effet de levier des banques « trop grosses pour faire faillite » Lehman
à 85
Brothers
3 000
Bilans des banques centrales Fed et BCE (les créances
900 Mds$ Mds$
pourries qu’elles ont échangées contre de l’argent surgi du
1 400 Mds€ 3 000
néant)
Mds€
Taux de croissance des pays de l’OCDE 0,2 % 1,2 %
Taux de croissance mondiale 2,5 % 2,7%
Taux d’emploi122 66,4% 65,0%
11 200
Réserves de change mondiales 4 000 Mds$
Mds$
3 500
Réserves de change de la Chine 1 900 Mds$
Mds$
Ce tableau vous montre que, tandis que les banques centrales chargent leurs
bilans de créances douteuses, tandis que la finance de l’ombre – celle des
produits dérivés – grossit, le chômage augmente et la croissance de l’activité
économique des pays dits riches est inférieure à la croissance de leurs dettes.
Si, pour augmenter de 1,2 % votre activité, vous avez 4,8 % de déficit, vous
avez un problème de solvabilité. Pendant ce temps, les pays dits émergents se
lestent de mauvaises dettes. La situation n’est pas tenable.
Mais comment apurer les comptes, qui va payer, à la fin des fins ?
Il existe un grand principe de politique économique. Si vous ne voyez pas
vraiment qui va payer, ne cherchez plus, c’est vous !
N’oublions pas que ce que nous appelons « monnaie » n’est finalement que
de la « dette » et qu’il devient de plus en plus dangereux de stocker cette
dette. Les réserves de change sont des emprunts d’État et ne valent quelque
chose que si les États-Unis (mais aussi l’Europe et le Japon) acceptent ou
peuvent payer leurs dettes. Nous avons donc d’un côté des pays émergents et
des pays producteurs de pétrole qui ont accumulé des créances, qui sont de
l’argent en devenir, si toutefois les crédits sont remboursés par leurs riches
clients. Mais, depuis 2008, la dette de ces pays riches augmente toujours plus
vite et ce n’est pas bon signe. En échange de ces reconnaissances de dettes,
les pays riches ont consommé. Le pétrole a déjà été brûlé, les biens sont déjà
amortis, usés, bons à jeter, les services ont été fournis. Il n’y a donc plus rien
à faire saisir par un huissier supranational. Plus rien… sauf les dépôts
bancaires.
Un rapport du Fonds monétaire international, publié en décembre 2013 et
signé de deux économistes de Harvard, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff,
met les pieds dans le plat.
« L’endettement actuel des gouvernements dans les économies avancées
approche son niveau le plus élevé depuis deux cents ans. La taille du
problème laisse penser que des restructurations seront nécessaires, par
exemple dans la périphérie de l’Europe, bien supérieures à tout ce qui a été
publiquement discuté jusqu’à présent. »
Autrement dit, les pays dits riches devront faire défaut, répudier une partie
de leurs dettes. Ce rapport pointe du doigt l’aveuglement des élites qui
pensent se sortir progressivement du surendettement avec un mélange
d’austérité, de croissance et d’ajustements progressifs. Penser que les pays
développés sont différents des pays émergents relève de l’amnésie historique.
Dans un passé récent, de grandes démocraties ont répudié leurs dettes. En
1934, les États-Unis ont renoncé à réclamer le remboursement des prêts
qu’ils avaient accordés à la France, à la Grande-Bretagne et à l’Italie pendant
la Première Guerre mondiale. Ces pays ont ainsi pu alléger leurs dettes de
respectivement 24 %, 22 % et 19 % de leur PIB123. Pensez-vous que la
Chine nous fera des cadeaux ?
Derrière la crise financière, la crise monétaire
Ce qu’on appelle une crise financière est en réalité une crise bancaire liée à
trop d’émission de crédit. Le crédit est la matière première des banques qui
sont devenues obèses. Le crédit est aussi la monnaie, nous aurons donc
probablement une crise monétaire aiguë et la fin de cette crise financière
passera par l’inflation, voire l’hyperinflation du dollar, de l’euro et du yen.
L’hyperinflation se produit lorsqu’il y a rejet de la monnaie. Dans le cas du
dollar, ce rejet peut être extérieur, c’est-à-dire que le dollar n’est plus
considéré comme une devise de réserve digne de confiance, ou ce peut être
un rejet domestique. Le rejet de l’extérieur viendrait des pays émergents,
ceux qui ont le plus de réserves de change. La pression vendeuse sur le dollar
va s’intensifier lorsque les marchés vont réaliser qu’il n’y a pas vraiment
d’arrêt possible de la création monétaire et que la croissance américaine n’est
que la croissance de la dette américaine. Les statistiques de la fin de l’année
2013 ont prouvé que la reprise économique américaine reste plus faible que
les projections de la Fed. Le rejet du dollar à l’étranger – qui se manifestera
par la vente des actifs financiers libellés en dollars – provoquera pour les
Américains un effet de change négatif qui allumera le feu de l’inflation
domestique.
Le rejet domestique d’une monnaie se produit lorsque la vie de tous les
jours ne recoupe plus les statistiques officielles. Si l’on vous dit que
l’inflation est, disons, de 2 %, mais que vous-même et votre voisin constatez
que vous devriez voir vos revenus augmenter de 30 % pour étaler la hausse
des prix, la méfiance s’instaure. Comme pour la météo, il y a le froid du
thermomètre (l’inflation officielle) et le froid ressenti (la hausse des prix
vécue). Après le stade de la méfiance, le rejet n’est plus loin. Aux États-Unis,
l’inflation actuelle, mesurée avec les méthodes en vigueur jusqu’en 1980124,
serait de 8,8 % et non le 1,5 % calculé avec les nouvelles méthodes. Entre
2000 et 2012, les salaires et les prestations sociales ont augmenté
respectivement de 37 % et 29 %. Mais, dans le même temps, l’énergie et
l’assurance santé ont plus que doublé, l’électricité et la téléphonie ont
augmenté respectivement de 51 % et 41 %. Le pouvoir d’achat des
Américains a en réalité baissé. Le rejet du dollar sera aussi celui de
l’Occident et de ses valeurs.
L’illusion de la réglementation