EL 6 - Gouges DDFC - Préambule + Art.1 Et 2

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OE 2 

: la littérature d’idées du XVIè au XVIIIè siècles / Parcours : écrire et combattre pour l’égalité
Œuvre intégrale : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)
Explication linéaire n° 6 : préambule + articles 1 et 2

Eléments pour l’introduction :


-Olympe de Gouges : femme de lettres, auteur d’une centaine de textes, engagée dans le combat politique du mouvement des
Lumières et de la Révolution. Elle a mené de front un double combat contre l’esclavage et pour l’égalité des droits entre les
sexes. Elle a connu le destin tragique d’une révolutionnaire victime de la Terreur : guillotinée en 1793, décriée puis oubliée
pendant deux siècles, jusqu’à ce que son œuvre de pionnière du féminisme soit redécouverte à partir des années 1980.
-Publiée en 1791, sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est une réécriture polémique de la Déclaration des
droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : en féminisant cette Déclaration, Olympe de Gouges dénonce l’inégalité foncière entre
les sexes et revendique les droits civiques, politiques et économiques des femmes.
-L’extrait proposé est constitué par le Préambule et les deux premiers articles. L’explication linéaire montrera comment le
procédé littéraire de réécriture d’un texte de loi soutient les revendications polémiques d’Olympe de Gouges .

Explication linéaire
Première partie : la réécriture du préambule
-Le titre de l’œuvre montre déjà à lui seul l’efficacité critique du procédé de réécriture  : en remplaçant les noms « homme » et
« citoyen » par ceux de « femme » et « citoyenne », l’autrice révèle le caractère partiel et donc injuste de la Déclaration
originelle qui exclut des « droits » revendiqués la moitié du peuple français ; elle montre aussi l’ambiguïté du mot « homme »
qui est censé représenter le genre humain dans la Déclaration des droits de l’Homme alors que les seuls bénéficiaires de ces
droits étaient alors les hommes, à l’exclusion des femmes. Le contexte de cette époque empêche donc l’universalisme auquel
prétendait faussement cette Déclaration.
En outre, le nom » citoyenne » est une manière de réclamer l’obtention des droits civiques pour les femmes qui n’avaient alors
pas le droit de voter ni de siéger à l’Assemblée nationale.
-La formule initiale «  A décréter par l’Assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature »
renvoie à la forme du texte juridique que l’autrice pastiche, ainsi qu’au contexte de la publication  : l’ « Assemblée nationale » en
question est en effet l’Assemblée nationale constituante qui avait été élue pour deux ans au suffrage censitaire masculin entre le
29 août et le 5 septembre 1791. Elle avait la charge de mettre en œuvre la nouvelle Constitution.
-Le mot «Préambule » (issu du verbe latin « praeambulare » signifiant « marcher devant ») désigne le texte qui précède un texte
de loi pour en exposer les motifs et les buts. Ici, Olympe de Gouges reprend presque mot pour mot les trois phrases du
préambule de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : mais en remplaçant le mot « homme » par celui de
« femme » elle en détourne subtilement le sens et la portée. [Quand vous réviserez cette explication, ayez sous les yeux le
préambule de la DDHC afin de mesurer les emprunts et modifications qu’en fait la DDFC]
-Le texte s’ouvre sur une énumération qui décline au pluriel les conditions possibles de la femme  : « Les mères, les filles, les
sœurs ». Cette formulation souligne le rôle familial des femmes tout en excluant le mot d’  « épouses » : l’autrice refuse ainsi la
soumission juridique des femmes à leur mari. Elle-même a fait le choix après son veuvage de ne jamais se remarier. C’est ce qui
lui a permis de publier ses œuvres en toute indépendance puisque, à cette époque, une femme mariée était sommée de
soumettre ses écrits à son mari avant publication. Olympe de Gouges réclamait le droit au divorce et à l’union libre.
-La périphrase « représentantes de la nation » est une féminisation de l’expression « Les représentants du peuple français » qui
ouvre le préambule de la DDHC : O. de G. revendique un droit qui est refusé aux femmes : celui d’être élues députées. Quant à
la substitution du mot « nation » au mot « peuple », elle met l’accent sur la conception unifiée et souveraine de la nation issue
de la Révolution française, alors que le nom de « peuple » rappelait davantage la soumission d’un « peuple » à son roi.
-Le groupe verbal « demandent d’être constituées en Assemblée nationale » remplace le participe « constitués en Assemblée
nationale » qu’on lisait dans la DDHC. Le verbe « demander » a une connotation revendicative : par sa formule, O.de G. réclame
la dissolution de la toute récente Assemblée constituante et l’élection d’une nouvelle Assemblée qui serait mixte, ce qui revient
à demander une nouvelle révolution. Elle souligne ainsi l’hypocrisie ou l’abus de langage que représente l’adjectif «  nationale »
puisque d’une part, les femmes étaient exclues du vote et de la députation et d’autre part, les députés hommes étaient élus au
suffrage censitaire.
-A l’instar de cette phrase initiale, la deuxième phrase, beaucoup plus longue et complexe, reprend la structure grammaticale de
la DDHC en s’ouvrant sur la proposition participiale propre aux textes juridiques « Considérant que » qui a une fonction de
complément circonstanciel de cause. Cette proposition reprend également mot pour mot les termes de la DDHC mais la simple
substitution du complément de nom « droits de la femme » à « droits de l’homme » change considérablement le sens du texte
initial. O.de G. affirme ainsi que l’inégalité entre les sexes, le non-respect des droits des femmes font le malheur non pas
seulement de celles-ci mais bien de la nation entière (« seules causes des malheurs publics ») ; elle accuse également le
caractère immoral et malhonnête de cette inégalité qui cause la « corruption des gouvernements » tenant selon elle aux abus
des pouvoirs détenus par les hommes. Le lecteur en déduit que si les femmes étaient au gouvernement, le pouvoir serait exercé
de façon vertueuse.
-La gradation des adjectifs dans « les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme » fait écho à des concepts fondamentaux
de la philosophie des Lumières dont O.de G. est l’héritière. L’expression « droits naturels » désigne l’ensemble des droits que
chaque individu possède à sa naissance du seul fait de son appartenance à l’humanité, et non en fonction de la société
particulière dans laquelle il vit. C’est une notion qu’on trouve souvent exposée dans les textes de Diderot, d’Alembert, Voltaire
ou Rousseau. O. de G. rappelle ici que les femmes, en tant qu’êtres humains, ne sauraient être privées de ces «  droits naturels ».
La conservation des adjectifs « inaliénables » et « sacrés » participe de la solennité de l’écriture  et souligne la nécessité
impérieuse de reconnaître pleinement la place des femmes dans la société. Les trois adjectifs affirment ces droits comme
inconditionnels, en les plaçant sous le regard de la « nature » autant que du religieux (« sacrés »).
-Viennent ensuite trois propositions subordonnées circonstancielles de but, martelées par l’anaphore de la conjonction « afin
que », qui font de cette longue phrase une « période » rhétorique.
-Le parallélisme entre « droits » et « devoirs » rappelle que ces deux notions vont de pair dans une société, qu’il n’y a pas de
« droits » à garantir sans « devoirs » à respecter, et vice-versa.
-Un autre parallélisme distingue « les actes du pouvoir des femmes » et « les actes du pouvoir des hommes » ; il est assez
étrange que cette expression remplace les mots « les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif » qu’on trouvait
dans la DDHC. Peut-être est-ce un moyen pour l’autrice d’indiquer que le pouvoir des hommes doit être contrebalancé par celui
des femmes, ou d’établir une complémentarité entre les deux sexes au lieu d’une domination de l’un sur l’autre, pour aboutir à
un équilibre aussi important que celui qui doit s’établir entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
-Dans la chute (ou clausule) de cette phrase périodique, la réécriture consiste non plus en la substitution d’ un mot à un autre
mais en un ajout : le groupe nominal « des bonnes mœurs » est inséré en tant que second complément du nom dans « au
maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous ». Cet ajout réitère l’idée selon laquelle le respect des
droits des femmes profiterait à la société tout entière, en contribuant à moraliser celle-ci. Des lois favorables aux femmes
empêcheraient les effets néfastes de la domination masculine. En outre, cette énumération permet enfin d’associer étroitement
la vertu et le bonheur, ce qui est une autre idée chère aux Philosophes des Lumières (Diderot, notamment).
-Introduite par le connecteur logique « En conséquence », la troisième et dernière phrase de ce préambule sert de transition
entre le texte qui précède et l’énumération des articles qui va suivre. Alors que dans la DDHC la phrase commençait par
« L’Assemblée nationale reconnaît et déclare », l’autrice place ici les femmes en position de sujet des verbes de discours  : elles
sont désignées par la périphrase « le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles » qui prend
ici une valeur à la fois ironique et polémique. A l’époque, on désignait les femmes par les périphrases « sexe faible » ou « beau
sexe » ; O.de G. renverse ainsi la hiérarchie traditionnelle des sexes en faisant de la beauté des femmes une force, en plus de
celle qui leur fait supporter les douleurs de l’accouchement ; force identifiée à une forme de « courage » alors que cette qualité
de courage était habituellement considérée comme étant l’apanage des hommes. Elle suggère également que le pouvoir
d’enfanter est une force qui fait la puissance des femmes et qui reste inaccessible aux hommes.
-O.de G. reprend la formule de « l’Etre suprême » qui remplace dans le contexte révolutionnaire de déchristianisation la notion
de Dieu, comme en une sorte de religion civile , de culte déiste qui ne se réclame d’aucune religion particulière.

Deuxième partie : la réécriture des articles


-Comme elle l’a fait dans le préambule, O.de G. décalque presque littéralement l’écriture des articles de la DDHC en jouant
seulement sur la féminisation ou sur l’ajout de certains mots pour en modifier pourtant radicalement le sens.
-Article 1 : dans la DDHC le sujet grammatical de ce célèbre article initial est le mot «  hommes » au pluriel pour revendiquer le
principe fondamental et inconditionnel de la liberté et l’abolition des privilèges de naissance. Dans sa DDFC, O. de G. recourt au
singulier « la femme » pour signifier que cette revendication de liberté et d’égalité concerne les femmes en tant que genre
indivisible, quelle que soit la condition sociale des individus. La liberté et l’égalité sont affirmées comme des droits naturels
(« naît libre") et inaliénables (« demeure ») ; l’ajout du groupe prépositionnel « à l’homme » modifie le sens de cet article
premier en revendiquant l’égalité entre les sexes et le refus de la domination masculine. En effet, tout au long de leur vie à cette
époque, les femmes étaient dépendantes juridiquement soit de leur père soit de leur mari. La deuxième phrase de cet article 1 er
est rigoureusement identique à celle de la DDHC affirmant que les différences sociales ne peuvent tenir qu’aux fonctions tenues
dans la société, et non à la naissance dans une classe sociale déterminée.
-Article 2 : La réécriture porte d’abord sur l’ajout du complément du nom « de la femme », placé significativement avant
l’homme  ce qui renverse la hiérarchie traditionnelle et constitue une prise de pouvoir symbolique. Au moyen de l’ajout de
l’adverbe « surtout », O suggère que le plus grand mal dont souffrent les femmes est l’ « oppression », c’est-à-dire la domination
masculine. Le lecteur est appelé à interpréter l’implicite : l’oppression de l’homme par l’homme devient ici l’oppression de la
femme par l’homme. L’adverbe « surtout » semble impliquer que les femmes doivent commencer par « résister » à l’oppression
masculine si elles veulent ensuite être en mesure de conquérir et jouir de leurs « droits naturels » énumérés dans cet article 2.

CONCLUSION :- Petits changements mais grands effets : le procédé littéraire de la réécriture, pourtant limité à peu de mots dans ce préambule
et ces deux premiers articles, révèle ici toute son efficacité polémique. Le simple fait de remplacer systématiquement le mot «  homme » par
« femme » donne à voir l’iniquité foncière et les insuffisances de la DDH, qui était pourtant un texte révolutionnaire.
-Rappelons qu’à son époque la DDFC d’O. de G. n’a eu aucun retentissement. Ce silence éloquent tient non seulement au caractère composite
qui a pu déconcerter le public, mais surtout au fait que la société n’était alors pas prête à recevoir une leçon politique d’une femme. Cet oubli
va durer deux siècles : pour réhabiliter O. de G. et son œuvre il faudra attendre qu’un historien, Olivier Blanc, lui consacre une biographie en
1981 et qu’une militante féministe, Benoîte Groult, republie la DDFC en 1986. On peut considérer que l’inscription de la DDFC au programme
du bac en 2022 constitue une consécration de son autrice, dans le contexte du « néo-féminisme » né du mouvement «Me-too » notamment :
celle qui était décriée par ses contemporains comme une « virago » révolutionnaire ou une hystérique fait désormais figure d’icône visionnaire
des combats pour les droits des femmes.

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