Cdu 090 0033

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La pensée et le symbole

Charles Coutel
Dans La chaîne d'union 2019/4 (N° 90) , pages 33 à 39
Éditions Grand Orient de France
ISSN 0292-8000
DOI 10.3917/cdu.090.0033
© Grand Orient de France | Téléchargé le 23/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 177.37.229.144)

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DOSSIER

PENSER LE SYMBOLE
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La pensée et le symbole Charles Coutel 33

Le Maçon face au symbole Dominique Jardin 41

Symbole et secret : Jacques Aben 57


Matthieu 7, 7 et l’initiation maçonnique

La franc-maçonnerie sera symbolique ou ne sera pas Gael Carniri 63


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Le GODF a-t-il vraiment le sens de son histoire ?

DOSSIER
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Aquarelle,
le tableau,
circa 1760

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DOSSIER

PENSER LE SYMBOLE

la pensée
et le sYmBole

Par charLeS couteL

« Ici tout est symbole »


Élément de certains rituels maçonniques
« La limite prise en général est, dans une quantité continue, ce qui contient la
raison des délimitations. »
Kant, Dissertation de 1770, section III, paragraphe 15 [ 33 ]
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« Nous demeurons sous la descendance du Livre-Ancêtre. »
Pierre Legendre, De la limite, Éditions Parenthèses, 2006

E n se voulant activité rationnelle sinon raisonnable, la philosophie n’affirme


pas une prétention outrecuidante mais se donne une série de tâches.
Elle accepte l’épreuve de la limitation car elle présente la raison comme
une faculté capable de penser ses limites sur un mode critique : limites de
notre esprit, capable de saisir ce qui serait de l’ordre du connaissable ou
ce qui relèverait de l’ordre du pensable ; limites de notre corps, à qui l’on
recommanderait la modération devant les risques de l’excès ou de la trop
longue privation ; limites dans notre soif de pouvoir en pensant le meilleur
moyen de s’autolimiter ; limites de nos représentations du divin, devant les
pièges de l’enthousiasme, voire de l’idolâtrie. Mais elle ne renonce pas pour
autant à se prononcer sur l’illimité voire l’absolu.

Pour relever tous ces défis, nous ne sommes pas démunis car
certains philosophes comme Kant ou Paul Ricœur peuvent nous être
d’un grand secours.

Mais si Kant et Ricœur vont nous aider, c’est bien Pierre Legendre
qui, en 2006, formule le plus clairement le problème qu’il nous faut
résoudre. Il a cette formule : « Il nous faut emblémiser la limite » ; cette
volonté d’emblémiser renvoie pour lui à un nécessaire effort pour figurer
concrètement une idée abstraite, en tâchant toujours de garder en tête

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DOSSIER
La pensée et le symbole

cet effort et le produit de cet effort de figuration. Il indique ainsi les


défis qu’il nous faut relever pour penser les conditions de l’émergence
du symbolique.

L’emblème indique concrètement une tâche infinie de


resémantisation critique d’une conviction ou d’une foi1. Pourquoi ?

Parce que la conscience de nos limites dans le temps (notre


mortalité) et dans l’espace (notre corporéité) n’est pas aisée à assumer2.
Tel est le prix de l’humaine condition et de l’humaine finitude. Nous
aspirons à l’infini mais nous ne pouvons l’exprimer que dans des mots
particuliers et limités. Emblémiser la limite peut cependant nous aider
à conjurer deux dangers que les fanatismes, notamment religieux,
cumulent aujourd’hui pour notre malheur. Le premier danger revient
à nier toute limite, comme c’est le cas de l’école transhumaniste qui
prétend vaincre la mort, ou du moins le vieillissement. Niant les limites,
elle passe indûment de l’homme réparé à l’homme augmenté  ; or la
conséquence n’est pas évidente. Le second danger revient à confondre
la limite (consciente de ce qui peut la dépasser) et la borne qui reste en
deçà et ne regarde pas au-delà. Ainsi, le bornage enserre un espace clos.

Ces deux dangers constituent autant d’obstacles épistémologiques


menaçant tout esprit qui refuserait l’épreuve de la limitation, pourtant
[ 34 ] requise par notre finitude, voire notre mortalité.
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Une mise en perspective conceptuelle

Grâce à Kant, nous sortons renforcés dans la volonté de méditer


sur nos limites. Grâce à ce philosophe, nous percevons que si le domaine
du connaissable doit s’autolimiter, le domaine du pensable peut, lui, se
tourner vers l’illimité sans se confondre avec le connaissable (notamment
dans la représentation de l’absolu, voire du divin). Cependant, nous
restons un peu sur notre faim concernant les processus par lesquels, tout
en acceptant nos limites, nous pourrions nous exprimer sur l’au-delà de
ces limites. C’est bien ce qui se joue quand nous manions les symboles
et les outils ; le sens de ces opérations est inépuisable.

Deux auteurs peuvent être ici sollicités : le premier, Edmond


Ortigues dans son ouvrage Le discours et le Symbole (Aubier, 1962).
Ce philosophe étudie le symbolisme du point de vue génétique : « Alors
que le signe propose un signifié d’un autre ordre que le signifiant, le
symbole appartient à un ordre de valeur signifiante qui se présuppose
lui-même dans son altérité radicale à l’égard de toute réalité donnée. »
1
Rappelons qu’un emblème a trois significations : une figure symbolique
généralement accompagnée d’une devise ; une figure ou un attribut destiné à
représenter une autorité, un métier, un parti ; un être ou un objet concret consacré
par la tradition comme représentative d’une chose abstraite (symbole). C’est ce
troisième sens que nous allons ici privilégier.
2
Flaubert, dans La tentation de saint Antoine, est sans doute celui qui, dans la
littérature, a tenté de penser ces deux questions en même temps.

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DOSSIER
La pensée et le symbole

(ib., p. 61)3. Rappelons avec E. Ortigues que le symbole renvoie à une


opération par laquelle brisant en deux un morceau de poterie, des
personnes conviennent de se séparer en gardant chacune un morceau en
prévision d’une reconnaissance future. Chaque partie de la poterie initiale
renvoie à une unité partielle, qui est conditionnée par la reconnaissance
d’une unité future supérieure : la limite de chaque morceau renvoie à
l’illimitation, à la fidélité et à l’alliance future liée à une parole donnée.
La limitation devient la condition d’une réunification future. Le symbole,
en ce sens, possibilise la limite factuelle de chaque morceau conservé
mais s’ouvre vers les possibles possibilisants d’une alliance future4.
La limite de chaque partie est acceptée au sein d’une limitation délibérée
mais tournée vers une alliance réunifiante. Le sujet est pris dans un tout
dont il sait ne pas pouvoir faire le tour (refus de l’holisme), mais vers
lequel il fait signe, à la fois en paroles et en actes.

On doit à Paul Ricœur d’avoir formulé ce paradoxe de la limitation


dans ses analyses du jardin zen Tofukuji de Kyoto. Le philosophe expose
les conditions d’un perspectivisme non-sceptique et non-relativiste du
pluralisme notamment religieux. Tout spectateur de ce jardin prend
conscience qu’il ne pourra jamais d’un seul coup d’œil voir l’ensemble
des 28 pierres qui ornent ce jardin ; même conclusion devant l’illusion
d’une vision en surplomb. Sans doute, la confrontation des points de
vue pourrait partiellement aider, mais non exhaustivement5. La sagesse
est d’accepter de s’autolimiter dans notre volonté arrogante de tout [ 35 ]
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comprendre dogmatiquement : ainsi tout symbole donne à penser et à
vivre infiniment.

Cependant, ces deux philosophes nous laissent de nouveau sur


notre faim face au défi que nous lance Pierre Legendre en 2006. Certes,
P. Ricœur et E. Ortigues inscrivent bien l’acceptation de l’autolimitation
comme préalable anthropologique de l’acceptation de nos limites, mais
comment répondre à cette nouvelle question formulée par P. Legendre :
« Comment combiner le temps et le hors-temps ? » (ib., p. 193). La
même question peut se poser dans notre rapport à l’espace : comment un
espace fini peut-il signifier une spacialité illimitée ? Notons que ces deux
questions sont au cœur de toute religion reposant sur l’affirmation que la
divinité se serait incarnée, comme c’est le cas pour le christianisme, avec
3
Jean Trouillard, en 1959, dans un ouvrage collectif : Le Symbole, Fayard,
prolonge et éclaire cette définition d’E. Ortigues : « Le symbole est la conscience
d’une absence […] Il est le signe d’un manque. Mais par le fait que ce manque
devient conscience, la pensée ne coïncide plus avec ses propres limites. Elle
projette sa finitude, elle traverse les significations bornées qu’elle tient devant
elle. Et par cette critique d’elle-même et de ses objets, elle ébauche sa propre
libération. » (ib., p. 40-42).
4
Pour les chrétiens, le sacrement de l’Eucharistie (rupture du pain) est l’opération
paradoxale par laquelle un morceau de chaque hostie renvoie à une totalité ouverte
et infinie (le corps du Christ). Dans certains rituels (comme au REAA), le partage
du pain et du vin au 18e degré reprend, dans un contexte humaniste et immanent,
cette symbolique du partage caractéristique des traditions d’hospitalité.
5
Voir La culture du dialogue dans les relations inter-religieuses, C. Coutel,
C. Leduc, O. Rota, Parole et Silence, 2019.

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DOSSIER
La pensée et le symbole

le mystère de l’Incarnation. Il nous semble que c’est avec les créations


artistiques que nous pourrions tenter de répondre, avec Le Bernin ou
encore Fra Angelico.

Les processus esthétiques de l’emblémisation de la limite

Comment faire signe (sinon symbole) vers l’illimité en se sachant


limité ? Les artistes, sculpteurs, peintres, musiciens ou encore architectes
nous aident dans notre questionnement.

Rappelons toute l’importance que Pierre Legendre accorde


à l’idée d’ancestralité  ; la conscience présente que le sujet a de lui-
même gagné à être éclairée par la prise de conscience généalogique
que chacun a des ancêtres, dont nous sommes encore responsables
(exigence de transmission). Illustrons cette idée par le groupe du Bernin
intitulé Anchise, Énée et Ascagne, datant de 1618-1619. Énée fuyant
Troie porte sur ses épaules son père Anchise, suivi par son jeune fils
Ascagne, un flambeau à la main. Anchise porte sur son épaule un
autel représentant ses ancêtres. Le point le plus élevé de la sculpture,
l’autel, symbolise le plus ancien dans le temps. Sauver son père
sauvant lui-même l’autel des ancêtres avec son fils portant une petite
torche emblémise l’ancestralité. La précipitation de la fuite se combine
avec la fidélité à une tradition car quand on est en danger et que l’on
[ 36 ] fuit, on tente de sauver l’essentiel6. Ce processus généalogique a été
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théorisé par Rémi Brague dans le concept de secondarité culturelle :
nous complexifions notre rapport aux limites du présent en acceptant
d’être a priori des héritiers (ainsi les Romains se sont toujours voulus
héritiers des Grecs ou les chrétiens, héritiers des juifs)7. Dans cette
perspective, la limitation dans le temps s’accompagne d’une volonté
de rendre illimitée notre fidélité à une tradition ancestrale héritée : de
bornés nous devenons limités ; là intervient l’activité symbolique.

L’histoire de l’art nous montre que cette épreuve de la limitation


comme contournement dynamique et réfléchi de la limite du temps se
retrouve dans notre rapport à l’espace. Deux dispositifs peuvent être
cités, par lesquels un espace fini fait signe vers un espace infini : la mise
en abyme, par laquelle deux miroirs se reflètent à l’infini, ou encore le
paradoxe de la rosace tel que Charles Péguy peut le formuler. Dans une
rosace (cercle parfait), de futures rosaces peuvent infiniment s’inscrire,
plus grandes ou plus petites8. Péguy y voit le motif théologique et
esthétique par lequel l’illimité peut s’inscrire dans un espace limité (ce
6
Dans cette perspective esthétique humaniste, la référence aux ancêtres n’est
pas instrumentalisée comme c’est le cas dans le salafisme terroriste, qui prétend
respecter l’héritage des ancêtres. Ici, en revanche, l’ancestralité est anamnésique
et enrichit le rapport à la tradition.
7
Cette secondarité culturelle va de soi pour les chrétiens qui reconnaissent leur
dette à l’égard de la tradition juive ; le marcionisme en est la négation dans
l’histoire de l’Église.
8
Nous développons ces différents points dans un livre à paraître : Hospitalité,
Cheminer entre Poésie et Philosophie.

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La pensée et le symbole

paradoxe est requis par l’Incarnation). Comme l’ancestralité permet de


penser l’infinité temporelle, la rosace et la mise en abyme emblémisent
la limite spatiale. L’activité symbolique peut être désormais pensée sur
le mode dynamique combinant l’illimité et le limité, l’absence et la
présence, l’instant et l’éternité.

L’histoire de la peinture nous donne la possibilité d’aller plus loin


afin de dialectiser l’illimitation du temps et l’illimitation de l’espace,
comme le requiert l’Incarnation pour les chrétiens et la pratique des
symboles en général.

On doit à Fra Angelico et aux peintres de la Renaissance d’avoir


relevé ce défi en multipliant les représentations de l’Annonciation à
Marie par l’ange Gabriel. Fra Angelico réalisa huit Annonciations entre
1430 et 1450. Ces tableaux harmonisent l’ancestralité, la mise en
abyme et le principe de secondarité culturelle. Deux détails attireront
cependant notre attention : dans la majorité de ces Annonciations,
Marie tient sur ses genoux un livre (les Écritures) tandis que les
prophètes Élie et Isaïe figurent à l’arrière-plan (secondarité culturelle
chère à toute la Renaissance et au monde gréco-romain). Dans la
tradition chrétienne, Marie est la nouvelle Ève. L’Annonciation répare
la condamnation d’Adam et Ève. Insistons sur la présence de ce livre,
véritable mixte d’espace et de temps, et signe limité vers l’illimité9. Les
limites spacio-temporelles des tableaux de Fra Angelico sont subverties [ 37 ]
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par l’illimitation de l’ancestralité consciente de soi, grâce au livre dans
les mains de Marie. On comprend mieux l’expression de Livre-Ancêtre
utilisée par Pierre Legendre en 2006. Même remarque pour le lieu clos
(le jardin) où Marie reçoit l’Annonciation. Tout est en place pour mieux
nous faire comprendre comment l’invisible peut affleurer dans le visible.
Fra Angelico déploie l’espace esthétique et théologique de l’Incarnation
qui met en crise l’idée de limite sans la nier pour autant.

L’épreuve de la limitation nous situe dans la genèse même du


symbole qui, bien que limité, redisons-le, donne à vivre et à penser
infiniment. Dans ses Formules, saint Bernardin de Sienne (1380-1444),
admirateur des Annonciations de Fra Angelico, précise : « L’éternité
vient dans le temps, l’immensité dans la mesure, Dieu dans l’homme,
l’invisible dans le visible. »

L’épreuve de la limitation n’est donc pas réductible à un simple


appel à la restriction ou à l’humiliation mais bien à un appel à une
emblémisation émancipatrice de la limite par elle-même, comme
processus d’engendrement et de symbolisation. Nous pouvons, pour
conclure, revenir sur nos interrogations initiales.

9
Cette plurivocité du livre comme porteur d’une parole à interpréter infiniment
se retrouve dans la tradition talmudique, pour laquelle le mot tevah signifie à la
fois le berceau de Moïse, l’Arche de Noé, la parole et le coffre contenant la Torah.
Dans toutes ces significations, la figure de l’enfance renvoie à un futur prometteur.
L’enfant symbolise l’avenir rempli d’espérance (là encore songeons à Ch. Péguy).

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DOSSIER
La pensée et le symbole

Tableau allégorique représentant les différentes étapes de l’initiation maçonnique


Huile sur toile, 1e tiers du XIXe s

Conclusion sur la complexité du symbolique

Notre analyse pluridisciplinaire confirme la nécessité d’une


[ 38 ] variation des approches devant un thème aussi complexe que la limite.
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Éclairer la limite par l’épreuve de la limitation c’est se donner
les moyens d’éviter les deux dangers initialement notés et que nous
pouvons examiner à nouveaux frais. L’essor des techniques pourrait
bien nous leurrer sur nos limites spacio-temporelles en nous faisant
croire que l’illimité serait aisément à notre portée. C’est ne pas
tenir compte de l’avertissement de Kant se moquant des colombes
s’imaginant mieux voler en absence d’air. Cet avertissement n’est pas
compris par tous les fanatiques qui prétendent parler au nom de Dieu.
De même, notre méditation sur l’épreuve de la limite nous a montré
que nous devons accepter d’explorer modestement ce que Baudelaire
appelle les mystères de l’analogie. Les domaines du pensable et de
l’illimité ne relèvent pas du dogmatisme des identités mais bien
des tentatives infinies de l’analogie (comme rapport de rapports).
Tout symbole donne à penser car il établit librement et infiniment des
analogies ; c’est pourquoi les rituels maçonniques peuvent être à la
fois respectés, répétés et commentés indéfiniment.

La conscience de l’illimité comme horizon inatteignable de


la limite nous montre que notre esprit ne peut enclore l’illimité ou
l’éternel. En revanche, l’épreuve acceptée de la limitation casse
les routines et les idées toutes faites. Le travail sur les symboles et
les analogies est, en ce sens, infini : il est l’âme de la secondarité
culturelle. Cette dernière requiert l’enseignement et la transmission
d’une culture générale humaniste dont notre temps ne voit pas

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DOSSIER
La pensée et le symbole

toujours l’impérieuse nécessité : la secondarité culturelle est fondée


sur la pratique de l’analogie.

Dans le régime de l’analogie, la limite devient acceptation


de la limitation et possibilités infinies de comparaisons et de
rapprochements. Dans cette perspective, l’altérité est aimée et
non plus redoutée. L’épreuve de la limitation nous place dans un
processus de (re)symbolisation continue de notre condition et de
nos convictions. Dans cette perspective, les textes, les traditions ou
encore les rituels sont autant d’appels, non à se conformer, mais à
inventer les modalités nouvelles de témoignage et d’engagement. Un
effort continu d’exégèse et d’herméneutique de soi est requis par toute
foi, notamment religieuse, qui refuserait de voir dans sa tradition un
refuge frileux et non pas un appel hospitalier à innover et à inventer,
pour grandir ensemble.

Enfin, cette épreuve de la limitation nous introduit dans une


éthique générale de l’hospitalité dont les figures jouent avec les limites
de chaque personne, de chaque culture, voire de chaque religion.
En devenant l’hôte de l’autre, la conscience de nos limites se
complique et s’élargit sans se fuir. L’emblématisation de la limite
fait de l’altérité le moteur de mon identité pérégrinale. L’épreuve de
la limitation rend possible un processus par lequel je vais pouvoir
devenir mon propre hôte grâce aux autres, au-delà des identités figées [ 39 ]
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que l’on cherche à m’imposer ou que je m’impose.

◼ C.C.

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