L'Analyse Des Conditions de Travail
L'Analyse Des Conditions de Travail
L'Analyse Des Conditions de Travail
Mots-clés : Conditions de travail, ergonomie, intensification, organisation du travail, salaires, santé au travail. o
an Résumé : L'objectivation des conditions de travail dépend de processus sociaux et n'a rien d'automatique. Elle peut être
contrariée par le manque d'information, voire par une « censure » psychique de la part des salariés. Les effets du travail sur la
santé sont multiples, et souvent différés dans le temps, Au-delà de l'examen, souvent décevant, des taux d'accidents ou des
maladies profes-sionnelles, ces effets s'apprécient en étudiant la mortalité différentielle, les nuisances pathogènes, les « petits »
troubles (mauvais sommeil, douleurs articulaires...), ou encore les formes de mobilisation de la personnalité dans le travail.
L'approche ergonomique, qu'elle soit analytique et normative ou centrée sur une compréhension de l'activité grâce à des
observations et entretiens, définit des axes d'amélioration. Le rôle de l'organisation du travail est déterminant : plus rarement
monotones ou humiliantes, les situations de travail sont davantage marquées par l'irrégularité des horaires et l'accumulation des
contraintes de rythme - même si cette « intensi-fication » n'est pas toujours mal ressentie. Le jeu du marché ne suffit pas à garantir
des différences de rémunérations qui compense-raient la pénibilité du travail et inciteraient à y remédier, La mise en visibilité des
conditions de travail reste un instrument essentiel d'action pour leur transformation. an
éboueur manipule sans cesse des objets lourds et sales, ce
cadre a une tâche si lourde qu'il doit travailler le dimanche.
a modernisation technique, le poids cwissant des services, Mais quand on parle de conditions de travail, on se livre à
l'existence d'une réglementation abondante et de dispositifs une opération d'abstraction. On détache certains aspects du
de négociation dans les entreprises devraient aboutir à une travail de ce qui serait un travail « normal ». Les conditions de
amélioration régulière des conditions de travail. Or les
travail, c'est ce qui est perçu, selon les cas, comme n'étant
enquêtes statistiques françaises et européennes, et les études
pas inhérent au fait même de travailler, ou de travailler dans
de terrain, témoignent d'une évolution plus contrastée. Ainsi,
un métier déterminé. Le chantier du couvreur pourrait être
depuis le milieu des années 1980, le pourcentage de salariés
mieux protégé. La charge du cadre est particulièrement
qui déclarent porter des charges lourdes, travailler dans une
lourde. Toutes les infirmières ne travaillent pas de nuit. Tous
posture pénible ou voir leur rythme de travail fortement
les métiers n'ont
contraint s'est consi-dérablement accru.
Les conditions de travail en France sont médiocres par
rapport aux pays européens comparables. Dans notre pays,
ceci explique peut-être cela, le débat social sur la qualité de
vie au travail n'est pas des plus vivaces (Piotet, 1988).
Analyser les conditions de travail, au niveau national comme
à celui de l'entreprise, fait partie des actions pouvant
conduire à leur amélioration (Gollac et Volkoff, 2000).
1,2. Is obstacles à
L'objectivation des conditions de travail n'a donc rien d'auto-
matique. Elle n'est peut-être même pas irréversible car il y a
aussi des mécanismes sociaux qui jouent en sens inverse.
Les salariés manquent fréquemment d'information. Par
exemple ils sous-estiment massivement les effets à long terme
du travail de nuit, de certains efforts physiques... Les connais-
sances scientifiques sont d'ailleurs elles-mêmes insuffisantes et
sujettes à révision. Il peut arriver que des éléments importants
des conditions de travail, par exemple l'exposition à un toxique,
soient passés sous silence par l'employeur. Plus souvent, celui-
ci est de bonne foi et les ignore lui-même. Les organisations
actuelles, faisant largement appel à la sous-traitance et juxtapo-
sant plusieurs entreprises sur un même chantier, sont propices
à cette ignorance.
La vision que salariés ont de leur travail peut aussi occul-
ter certaines pénibilités ou certains risques par une véritable
« censure » psychique en partie inconsciente. Face à un risque
grave dont on ne peut se protéger, ressentir de la peur est inutile et
même néfaste car une peur excessive risque de dégénérer en
panique. Les collectifs confrontés à ce genre de situation ont
développé des stratégies de défenses (Dejours, 2000). On évite
d'évoquer le danger. On le défie et on le dénie par des prises de
risque volontaires. On parvient ainsi à en refouler la conscience.
partie des invalidités chez les retraités est due à la pénibilité de
complet de bien-être physique, psychique et social ». Or des leur vie profession-nelle (Cassou, 2001).
conditions de travail difficiles ou pénibles peuvent aussi se
2,1. La mortalité
traduire par la peur, la gêne, l'inconfort, l'irritation, les dou-
Il est difficile d'analyser les taux de mortalité dans une entre-
leurs, l'ennui, la détérioration de l'aspect physique,
prise pour y trouver des éléments d'appréciation sur la
l'apparition de déficiences même légères. A l'inverse, le
pénibilité du travail. La mortalité aux âges de la vie
travail peut contri-buer puissamment à la construction de la
professionnelle est faible : moins de 0,5 % vers 30-40 ans,
santé, s'il respecte l'intégrité physique et psychique et s'il
moins de I % dans la cinquantaine. En outre la population des
offre des possibilités d'accomplissement de soi.
salariés est « sélection-née » : les personnes atteintes de
Les liens entre santé et travail se présentent rarement sous
maladies graves sont souvent absentes du monde du travail ; à
la forme d'une relation simple de cause à effet. Une même
âge égal, c'est chez les inactifs que la mortalité est la plus forte.
contrainte de travail peut avoir plusieurs effets sur la santé : la
Mais pour une réflexion à plus long terme, la mortalité
pénibilité des postures entraîne à la fois une usure des
différentielle présente l'intérêt d'intégrer les relations multiples
articula-tions et une sollicitation de l'appareil cardio-
et différées entre travail et santé. Les écarts entre professions
respiratoire. En sens inverse, une dégradation de la santé peut
au sein d'une même catégorie sociale (donc à conditions de vie
avoir plusieurs causes, professionnelles ou non. Les troubles
comparables) proviennent en partie des conditions de travail.
du sommeil dépendent à la fois des horaires, de la pression
Ainsi s'expliquent, par exemple, les écarts entre la mortalité des
temporelle dans le travail, des conditions de trajet, de l'habitat,
outilleurs et celle des plombiers (au détriment de ces derniers),
de l'ali-mentation et de la vie familiale. A son tour, l'état de
ou entre les différents métiers de l'imprimerie de presse.
santé influe sur la façon de travailler : une baisse de l'acuité
visuelle entraîne un changement de position du corps pour
2.2. Les risqua de maladie
rapprocher l'œil de la tâche à effectuer. En outre, l'état de
Selon les épidémiologistes, on estime que chaque année appa-
santé joue un rôle dans l'affectation à tel ou tel poste.
raissent 5 000 à 10 000 cancers attribuables à des expositions
Les effets des conditions de travail sont souvent différés
aux toxiques en milieu professionnel (ce qui ne signifie pas que
dans le temps. Certaines expositions professionnelles (a-ux
ces cancers sunriennent pendant la vie de travail elle-même). Les
cancérogè-nes notamment) provoquent des pathologies qui
conditions dans lesquelles les substances incriminées consti-
apparaissent vingt ou trente ans plus tard, alors que
tuent réellement des facteurs de risque ne sont pas toujours
l'exposition a peut-être cessé depuis longtemps. De même, une
établies clairement. Leur liste évolue en fonction des connais-
sances scientifiques, les seuils de danger sont discutés, la
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