Justice Militaire
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l’autorisation préalable de l’éditeur.
Publié par:
l’Open Society Initiative for Southern Africa
ISBN: 978-1-920355-14-2
Partie I
La justice militaire et le respect des droits de l’homme –
L’urgence du parachèvement de la réforme : Document de discussion 1
Introduction 3
1 Faiblesses institutionnelles 4
2 Evolution récente: efforts de normalisation 6
3 Attaques contre l’indépendance de la justice militaire 7
4 Poursuite des civils devant les juridictions militaires 9
5 Absence de contrôle judiciaire de la
détention provisoire 11
6 Droit à un procès équitable 11
7 Conclusion 13
Partie II
La justice militaire et le respect des droits de l’homme –
L’urgence du parachèvement de la réforme : Rapport principal 15
Objectif du projet
Conformément à l’objectif global d’AfriMAP, qui est d’établir un format de rapports systématique
et normalisé qui établit un lien direct entre bonnes pratiques de gouvernance, respect des
droits de l’homme et progrès dans le processus du développement, ce rapport va au-delà de
l’analyse de la conformité avec les normes de base liées au respect des droits de l’homme et
au fonctionnement du système judiciaire. Il vise à mettre en lumière les initiatives de réforme
positives et à rendre compte des progrès encore à réaliser, tout en suggérant des mesures
pour combler les insuffisances relevées. Nous espérons que ce rapport pourra contribuer à la
poursuite des efforts actuels de réforme de la justice militaire en RDC et qu’il inspirera des
réformes similaires ailleurs sur le continent.
Méthodologie
Les recherches en vue de préparer ce rapport ont d’abord porté sur une étude documentaire
des textes pertinents sur la justice militaire congolaise. Les principales sources d’information
utilisées sont des documents pertinents de l’UA et d’autres organisations internationales sur ce
thème, la Constitution du 18 février 2006 et d’autres lois congolaises pertinentes, des documents
officiels du gouvernement et d’autres institutions publiques, les rapports des Nations unies et
des organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme disponibles, des
ouvrages et articles publiés, des études réalisées par d’autres organisations, ainsi que des articles
de presse. L’étude documentaire a été suivie d’une recherche empirique au travers d’entretiens
avec des acteurs du secteur et par une analyse prescriptive intégrant des recommandations en
réponse aux déficiences et lacunes identifiées pendant la collecte des informations. Les versions
préliminaires de ce rapport ont été relues et ont fait l’objet de discussions à différentes étapes
du processus, au cours de réunions avec le chercheur et des experts qui ont accepté de procéder
1 Il s’agit des lois No. 023-2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire et No. 024-2002 du 18 novembre 2002
1. Faiblesses institutionnelles
Les guerres civiles et d’occupation étrangère qui ont émaillé l’histoire récente de la RDC depuis
1996 ont surtout pris la forme d’attaques successives contre les civils. Presque tous les groupes
armés, gouvernementaux et rebelles, nationaux et étrangers, se sont rendus responsables des
crimes, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, commis au cours de
ces attaques. En décembre 2002, alors que se tenait à Sun City en Afrique du Sud la conférence
de paix dite « Dialogue intercongolais » qui a officiellement mis fin aux conflits armés en
RDC, plus de 3 millions de personnes en étaient déjà tombées victimes directes ou indirectes.2
L’accord global de paix conclu en décembre 2002 dans le cadre du Dialogue intercongolais a
répondu au besoin de justice qu’appelaient ces crimes graves en instaurant un système de justice
transitionnelle devant accompagner la transition politique et comprenant une Commission Vérité
et Réconciliation (CVR), un Observatoire national des droits de l’homme et une Commission de
2 International Rescue Committee, Mortality in the Democratic Republic of Congo: Results from a Nationwide Survey Conducted
3 Avocats Sans Frontières, Étude de jurisprudence : l’application du Statut de Rome de la Cour pénale internationale par les
juridictions de la République démocratique du Congo, mars 2009.
A. Efforts de réforme
La justice militaire congolaise traîne derrière elle une longue tradition qui l’a fait passer
alternativement d’une justice d’exception à une structure judiciaire plus ou moins proche des
juridictions ordinaires. Introduite avec la « Force publique »,1 la justice militaire a en effet
initialement fonctionné à partir de 1888 sous forme de tribunaux d’exception appelés « conseils
de guerre ». Leur compétence était alors limitée aux fautes militaires graves commises par les
membres de la Force publique.2 Ce dispositif a été maintenu avec de légères modifications3
jusqu’en 1958 lorsque des magistrats ont commencé à siéger dans les conseils de guerre.4 Un
code provisoire de justice militaire a ensuite été élaboré pour la première fois en 1964.5
La première réforme plus ou moins complète de la justice militaire a été réalisée en 1972
avec l’institution d’un code de justice militaire.6 Ce code a pour la première fois organisé les
juridictions militaires en un système judiciaire complet et distinct de celui des juridictions
ordinaires. Il a institué une procédure applicable à ces juridictions et a posé les règles de leurs
compétences. Il a enfin défini les infractions de la compétence de ces tribunaux ainsi que les
peines correspondantes.7
1 C’est ainsi qu’était appelée l’armée privée levée par le roi Léopold II pour son « État Indépendant du Congo ». L’appellation
a ensuite été reprise par l’armée coloniale du « Congo belge » entre 1908, date de la passation du Congo sous colonisation
formelle belge, et 1960, date de l’indépendance.
2 Décret du 22 décembre 1888.
6 Ordonnance-loi No. 72-060 du 25 septembre 1972 portant institution d’un code de justice militaire.
7 Sur l’évolution de la législation pénale militaire, lire notamment Likulia Bolongo, Droit pénal militaire zaïrois, Paris, LGDJ, 1977,
pp.8–25.
2001, pp.119–120 ; Nswal Nten-a-Bol, « Une conception éthique de la magistrature militaire », in E.-P. Ngoma Binda (éd.), Justice,
démocratie et paix en République démocratique du Congo, Kinshasa, Publications de l’Institut de formation et d’études politiques,
2000, p.128.
11 Au cours de la période qui a immédiatement suivi la tenue de la CNS, les questions politiques les plus contentieuses
concernaient la nature et le rythme des réformes démocratiques. Ces questions ont divisé la classe politique et la société civile
entre, d’une part ceux qui s’en tenaient aux « acquis de la CNS », c’est-à-dire à une application stricte et rigoureuse du paquet
des réformes décidées à la CNS et d’autre part, ceux qui plaidaient en faveur de leur adaptation, de leur modification, voire de
leur application sélective.
12 Décret-loi No. 019 du 23 août 1997 portant institution d’une Cour d’ordre militaire.
13 Conseil de guerre général, Auditeur général c. Lisisia Syla, RPA 177/97, 1997.
14 J.-P. Kilenda Kakengi Basila, « Une nouvelle unité dans le paysage judiciaire congolais : la Cour d’ordre militaire », Revue
africaine de droit international comparé, 10, 3, Londres, octobre 1998, p.479.
15 D’après l’article 5 du décret-loi No. 019 du 23 août 1997 portant institution d’une Cour d’ordre militaire, « Cette juridiction
fera application des peines du Code de justice militaire existant et, pour autant que de besoin, les peines du Code pénal militaire »
(italique ajoutée).
16 Entretien avec Maître Franck Mulenda, avocat à Kinshasa, avril 2009.
17 Lire notamment Confessions religieuses en République démocratique du Congo, Actes de la consultation nationale, 24
d’exception dont la COM, la réforme de la justice militaire et l’institution des voies de recours à l’encontre des décisions de la
Cour d’ordre militaire. Lire WOPPA, Les Résolutions du dialogue intercongolais tenu à Sun City du 19 février au 25 avril 2002 et du 1er
au 2 avril 2003, Kinshasa, avril 2005, pp.15–16.
19 R. Garreton, « La compétence des tribunaux militaires et d’exception, rapport de synthèse », in Elisabeth Lambert Abdelgawad
(éd.), Juridictions militaires, tribunaux d’exception : perspectives comparées et internationales, Éditions des Archives contemporaines et
AUF, Paris, 2007, p.451.
C. Normes internationales
Alors qu’au Congo la justice militaire subissait les métamorphoses décrites ci-dessus, une
dynamique internationale et africaine de réforme était parallèlement en cours et affectait
profondément les règles de base du fonctionnement, de la procédure et de la compétence des
tribunaux militaires.
Au cours des vingt dernières années, en effet, l’administration et la distribution de la
justice par les juridictions militaires ont acquis un intérêt croissant pour leur implication sur le
respect des droits de l’homme et des règles d’un procès équitable. Dès 1984, le Comité des droits
de l’homme des Nations unies a noté que l’existence, dans de nombreux pays, de tribunaux
militaires ou d’exception qui jugent des civils « risque de poser de sérieux problèmes en ce qui
concerne l’administration équitable, impartiale et indépendante de la justice ». Très souvent,
d’après le Comité, « lorsque de tels tribunaux sont constitués, c’est pour permettre l’application
de procédures exceptionnelles qui ne sont pas conformes aux normes ordinaires de la justice. S’il
est vrai que le Pacte n’interdit pas la constitution de tribunaux de ce genre, les conditions qu’il
énonce n’en indiquent pas moins clairement que le jugement de civils par ces tribunaux devrait
être très exceptionnel et se dérouler dans des conditions qui respectent véritablement toutes les
garanties stipulées à l’article 14 ».21
Dans le but de préparer la mise en place de telles conditions, la Sous-commission de
promotion et de protection des droits de l’homme s’est investie dans l’élaboration des projets
de principes sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires entre 2001 et 2006.
Elle a, à cet effet, désigné deux rapporteurs spéciaux successifs, Louis Joinet et Emmanuel
Decaux, et les a chargés d’élaborer un projet de principes sur la justice militaire. Le projet, plus
communément connu sous l’appellation de « Principes Decaux », inclut les principes qui,
20 D’après leur exposé des motifs, « le Code pénal militaire a innové notamment par l’introduction des incriminations qui
tiennent compte des conventions internationales et autres instruments juridiques sur les droits de l’homme, les crimes de
guerre et les crimes contre l’humanité. Cette introduction s’inscrit dans la suite de la ratification par la République démocratique
du Congo du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale ». Loi No. 023/2002 du 18 novembre 2002 portant
Code judiciaire militaire et loi No.024/2002 du 18 novembre 2002 portant Code pénal militaire, Journal officiel de la République
démocratique du Congo, 44ème année, numéro spécial, 20 mars 2003, pp.9–10.
21 Observation générale No. 13 relative à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Nations unies,
Récapitulation des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes crées en vertu d’instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme, HRI/GEN/Rev.5, 26 avril 2001, p.127.
22 Le Conseil des droits de l’homme est l’organe des Nations unies créé en remplacement de l’ancienne Commission des droits
de l’homme.
23 E. Decaux, « La dynamique des travaux de la Sous-commission des droits de l’homme et l’évolution de la position des
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples », in E. Lambert Abdelgawad, Op. cit., pp.609–627.
25 Article 45(1)(b) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
26 Résolution ACHPR/Res.4(XI)92.
27 Le texte des Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique est disponible sur
La justice militaire congolaise est régie par un cadre juridique composé de plusieurs instruments
juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme, une constitution globalement
progressiste en dépit de quelques faiblesses, et des lois qui nécessitent encore un effort de
toilettage. Les dispositions de la Constitution qui étendent la compétence des juridictions militaires
à l’égard des civils et celles qui consacrent l’immunité des poursuites en faveur des membres
du gouvernement posent problème à cause de la faiblesse du contrôle de conventionalité et du
contrôle de constitutionnalité, les juges continuent d’appliquer les lois sur la justice militaire
qui violent manifestement la Constitution et les normes internationales pertinentes. Au plan
institutionnel, sur les cendres de la défunte Cour d’ordre militaire, une juridiction à caractère
monolithique et monopolistique, a été érigée une pyramide judiciaire complète, intégrée au
système judiciaire congolais à travers plusieurs mécanismes de coopération et, en principe,
indépendante du pouvoir exécutif.
A. Cadre juridique
La justice militaire partage avec la justice de droit commun28 quasiment le même cadre juridique
28 Les expressions « justice ordinaire », « justice civile » et « justice de droit commun » ou « tribunal ordinaire », « tribunal
civi l» et « tribunal de droit commun » seront utilisées indifféremment dans ce rapport pour désigner le système judiciaire et les
tribunaux ordinaires par opposition au système judiciaire et aux tribunaux militaires.
29 L’essentiel des engagements internationaux de la République démocratique du Congo est disponible notamment dans Les
Codes Larcier, République démocratique du Congo, Tome VI, Volume I, Droit public, Bruxelles, éditions Larcier, 2003, pp.123–231 et
310–355.
30 Constitution de la République démocratique du Congo, Kinshasa, Journal officiel de la République démocratique du Congo, 47ème
année, numéro spécial, 18 février 2006, p.78. Ci-après appelée « la Constitution ». à dater de son accession à l’indépendance le
30 juin 1960, la République démocratique du Congo a été régie successivement par dix constitutions. Ce chiffre ne prend pas en
compte les multiples révisions constitutionnelles qui ont émaillé l’histoire constitutionnelle congolaise notamment les dix-sept
révisions constitutionnelles qu’a connues la Constitution du 24 juin 1967 en vigueur jusqu’en 1992 ou 1993 selon les auteurs.
L’essentiel de ces constitutions et de quelques lois de révisions constitutionnelles sont contenues dans l’ouvrage de F. Toengaho
Lokundo, Les constitutions de la République démocratique du Congo de Joseph Kasa Vubu à Joseph Kabila, Kinshasa, PUC, 2008.
31 Pour nous en tenir aux lois pénales qui intéressent la justice militaire, objet de la présente étude, il y a lieu de citer
notamment : l’ordonnance-loi No. 82-020 du 31 mars 1982 portant code de l’organisation et de la compétence judiciaire, Les
Codes Larcier, République démocratique du Congo, Tome I, Droit privé et judiciaire, Bruxelles, éditions Larcier, 2003, pp.262–273 ; le
décret du 6 août 1959 tel que révisé et modifié à ce jour portant code de procédure pénale, Les Codes Larcier, Op. cit., pp.188–299 ;
l’ordonnance-loi No. 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour Suprême de justice, Les Codes Larcier, tome I,
pp.319–335 ; le décret du 6 août 1940 tel que modifié et complété à ce jour portant code pénal congolais, Les Codes Larcier, tome
I, Droit pénal, pp.1–23 ; la loi organique No. 06/20 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats, Kinshasa, Journal officiel
de la République démocratique du Congo, 47ème année, numéro spécial, 25 octobre 2006 ; la loi organique No. 08/013 du 5 août
2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, Kinshasa, Journal officiel de la République
démocratique du Congo, 49ème année, numéro spécial, 11 août 2008, p.7 ; le décret-loi No. 017/2002 du 3 octobre 2002 portant
code de conduite de l’agent public de l’État, Journal officiel de la République démocratique du Congo, 44ème année, numéro spécial,
15 janvier 2003, p.18.
32 Loi No. 023/002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire, Les Codes Larcier, tome I, Op. cit., pp.393–421.
du Congo, Les Codes Larcier, tome I, Op. cit., pp.42–60. Ci-après appelé le code pénal.
34 Les Codes Larcier, tome I, Droit privé et judiciaire, Op. cit., pp.390–391.
44 Human Rights Watch, Génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité : recueil thématique de la jurisprudence du Tribunal
sur la justice militaire, lire notamment Federico Andreu-Guzman, « Les tribunaux militaires et juridictions d’exception dans
le système onusien des droits de l’homme », in E. Lambert Abdelgawad (éd.), Juridictions militaires, tribunaux d’exception :
perspectives comparées et internationales, Paris, éditions des Archives contemporaines et Agence universitaire de la Francophonie,
2007, pp.525–551.
46 Sur l’évolution de la position de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la justice militaire, lire
notamment E. Lambert Abdelgawad, « Les juridictions militaires et les juridictions pénales spéciales sous le contrôle de la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples », in E. Lambert Abdelgawad, op. cit., pp.609–627.
Principaux traités internationaux applicables à la justice militaire auxquels la RDC est partie
Tant les Nations unies48 que l’Union africaine49 exhortent les États parties à incorporer
l’ensemble des normes contenues dans ces instruments juridiques dans leur droit interne y
compris dans leurs constitutions respectives.
47 P. Akele Adau, « Les normes internationales des droits de l’homme dans les juridictions militaires », in Ministère des Droits
africaine des droits de l’homme et des peuples, Recommandations et résolutions, Banjul, 1998, p.23.
60 Articles 10, alinéa 2, 16, alinéa 1er, 20, alinéa 1er, 22, alinéa 2 et 24, alinéa 1er du Code judiciaire militaire.
61 Articles 10, alinéa 4, 16, alinéa 3, 22, alinéa 4 et 24, alinéa 2 du Code judiciaire militaire.
62 Décret d’organisation judiciaire No. 020 du 23 août 1967 portant nomination des membres de la Cour d’ordre militaire près
la cinquantième Brigade, in P. Akele Adau, « La Cour d’ordre militaire : sa nature, son organisation et sa compétence », Congo-
Afrique 319, novembre 1997, p.557.
63 P. Akele Adau, La justice militaire dans le système…, art. cit., p.90.
79 P. Akele Adau, « Les normes internationales des droits de l’homme dans les juridictions militaires », Administration de la
80 Articles 380 et 208 respectivement du Code judiciaire militaire et du Code pénal militaire.
81 Le 18 novembre 2002, date de la promulgation des nouveaux codes, le procès dans le cadre de l’assassinat du Président
Kabila était en cours. En application des règles relatives à l’application des lois pénales dans le temps, ces codes auraient dû
être appliqués dans le cadre de ce procès, ce que la loi a donc explicitement écarté, dans un effort apparent d’empêcher que les
personnes poursuivies dans le cadre de ce procès ne puissent bénéficier des règles plus favorables des nouveaux codes. Voir P.
Akele Adau, « Le nouveau droit judiciaire et pénal militaire transitoire, un soft landing pour la Cour d’ordre militaire », Congo-
Afrique 369–370, novembre-décembre 2002, pp.547–568.
82 Article 378 du Code judiciaire militaire. La résolution du Dialogue intercongolais (DIC) relative à la suppression des
juridictions d’exception et à la réforme de la justice militaire, a déploré les abus perpétrés par les juridictions d’exception et
recommandé l’institution des voies juridiques permettant en cas de requête des parties lésées, la réformation des arrêts rendus
par lesdites juridictions d’exception. Ayant rejoint le Dialogue intercongolais dans sa critique de la COM qui, d’après elle, aurait
aggravé les faiblesses décriées au sujet de la loi de 1972, la loi de 2002 a néanmoins choisi de se démarquer du DIC au sujet du
sort à réserver aux décisions de cette juridiction. Autrement dit, pour la loi de 2002, l’arbre est mauvais, mais ses fruits, eux, sont
bons.
83 Article 65 du Code judiciaire militaire.
85 E. Lambert Abdelgawad, « Les tribunaux militaires et juridictions pénales d’exception sous le contrôle de la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuple », in E. Lambert Abdelgawad (éd.), Op. cit., pp.613–614.
86 Article 123 du Code judiciaire militaire.
94 Tribunal militaire de garnison de Mbandaka, Auditeur militaire c. Kahenga Mumbere Papy et consorts, RP 086/005, 20 juin
2006, décision publiée dans Conseil National des Droits de l’Homme en Islam, Rapport d’observation du procès sur les crimes
contre l’humanité, mars 2007, pp.27–86.
B. Cadre institutionnel
Le cadre institutionnel relatif à la justice militaire comprend une pyramide judiciaire à quatre
étages dont le sommet est occupé par la Haute Cour militaire et la base par le tribunal militaire
de police tandis que le tronc est composé du sommet à la base par les cours militaires ainsi que
les cours militaires opérationnelles et les tribunaux militaires de garnison. 99 Intégrées dans le
système judiciaire congolais dont elles constituent un sous-système, les juridictions militaires
sont en principe indépendantes du pouvoir exécutif et particulièrement du ministère de la
Défense et du ministère de la Justice avec lesquels ils entretiennent cependant quelques relations
de coopération.
Organisation structurelle
La justice militaire est organisée sous forme de structure pyramidale qui comprend à son
sommet une Haute Cour militaire, la plus haute juridiction militaire, et, à l’échelon inférieur,
douze cours militaires d’appel, c’est-à-dire une par province (deux à Kinshasa), et trente six
tribunaux militaires de garnison qui constituent la juridiction de première instance dans la
justice militaire. Une Cour militaire opérationnelle, juridiction non permanente, fonctionne
actuellement dans la province du Nord Kivu.
La structure des tribunaux militaires peut être représentée par le diagramme suivant.
Haute
Cour militaire
Cour militaire
12
Source : Defense Institute of International Legal Studies, L’État de droit et la justice militaire dans une force militaire
professionnelle, un séminaire de la justice militaire avec les Forces armées de la République démocratique du
Congo, p.26.
99 Les juridictions militaires sont prévues par l’article 149, alinéa 1er et l’article 1er respectivement de la Constitution et du Code
judiciaire militaire.
Composition des
Juridictions Ressorts Sièges ordinaires
sièges
Haute Cour Tout le territoire • Kinshasa, capitale de la RDC (article 6, • Cinq membres dont
militaire national (article 6, al. 1er CJM) deux magistrats de
alinéa 2 CJM) • En cas de circonstances exceptionnelles, carrière (article 10,
à n’importe quel endroit du territoire alinéa 2)
national fixé par le Président de la • En cas d’appel, cinq
République (article 7, al. 1er CJM) membres dont trois
• En temps de guerre, le Président de la magistrats de carrière
République peut décider d’organiser (article 10, alinéa 5
des chambres foraines dans les zones CJM)
opérationnelles (article 7, al. 2 CJM)
Cours militaires La province ou la ville • Chef lieu de la province, lieu où se trouve Cinq membres dont
de Kinshasa (article 12, le quartier général de la région militaire deux magistrats de
alinéa 1er CJM) ou autre lieu fixé par le Président de la carrière (article 16,
République (art 12, al. 2 CJM) alinéa 1er CJM)
• En cas de circonstances exceptionnelles,
le Ministre de la Défense peut changer
le siège des cours opérationnelles
(article 13, alinéa 2 CJM)
Cours militaires Zones opérationnelles Elles accompagnent les troupes dans les Cinq membres dont un
opérationnelles déterminées par zones opérationnelles (article 18, alinéa magistrat militaire de
le Président de la 1er CJM) carrière au moins
République (article 18,
alinéa 2 CJM)
Tribunaux District, ville, garnison Chef-lieu du district, de la ville où est situé Cinq membres dont un
militaires de ou base militaire (article l’état-major de la garnison ou tout autre magistrat de carrière au
garnison 21, alinéa 1er) lieu fixé par le Président de la République moins (article 22, alinéa
(article 21, alinéa 2 CJM) 2 CJM)
En attendant l’érection de nouvelles provinces prévues par les articles 2 et 226 de la Constitution,
la République démocratique du Congo est composée de dix provinces auxquelles il faut ajouter
la ville de Kinshasa qui a, elle aussi, le statut d’une province. En conséquence, outre la haute
Cour militaire, la justice militaire comprend douze cours militaires. Il faut y ajouter 36 tribunaux
militaires de garnison.
Comme Jean-Paul Tshibangu, chargé d’observation de l’administration de la justice à la
MONUC le constate, au regard de l’étendue du territoire national, le fait de fixer le ressort des
103 Entretien avec Maître François Tshiteya du barreau de Mbandaka, 8 mars 2009.
104 G. Mushiata, « Les défis de la lutte contre l’impunité dans la Région des Grands lacs », in La justice nationale et internationale
Exception d’inconstitutionnalité
Comme c’est le cas dans la plupart des pays du système du droit napoléonien, en RDC les
demandes visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle sont entendues exclusivement
par la juridiction spécifiquement désignée à cet effet qu’est la Cour constitutionnelle.105 La
procédure suivie dans ce cas est également établie clairement par la Constitution : lorsqu’une
partie au procès conteste la constitutionnalité d’une loi que le tribunal s’apprête à appliquer à ce
procès, elle en fait une demande formelle, appelée aussi « exception d’inconstitutionnalité » et
le tribunal est alors obligé de suspendre le procès et de saisir la Cour constitutionnelle pour que
celle-ci, et celle-ci seule, se prononce sur le bien-fondé de l’exception. D’après la Constitution, en
effet, « [T]oute personne peut […] saisir la Cour constitutionnelle, par la procédure de l’exception
d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui la concerne devant une juridiction. Celle-ci
sursoit à statuer et saisit, toutes affaires cessantes, la Cour constitutionnelle ».106 Ce mécanisme,
qui s’étend aux procédures en cours devant la justice militaire,107 est néanmoins régulièrement
violé par les tribunaux militaires. Ceux-ci choisissent systématiquement d’évaluer le bien-fondé
des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant eux. C’est en particulier le cas lorsque
des civils contestent les dispositions du Code judiciaire militaire qui étendent aux civils la
compétence des juridictions militaires.
Dans les affaires Nlandu et Maheshe, par exemple, le tribunal militaire de garnison de
Kinshasa-Gombe et le tribunal militaire de garnison de Bukavu, respectivement, ont directement
répondu aux objections d’inconstitutionnalité soulevées par les civils, au lieu de « surseoir » et de
déférer les objections devant la Cour suprême de justice comme l’exige la Constitution. Les deux
tribunaux ont estimé que la loi mise en cause (le Code judiciaire militaire) étant antérieure à la
Constitution n’a pas pu violer cette dernière. Ils ont ajouté que la Constitution elle-même établit
une exception à la règle générale de compétence personnelle en prévoyant qu’une loi devra fixer
les règles de compétence, d’organisation et de fonctionnement des juridictions militaires.108
D’autres dispositions du cadre législatif de la justice militaire ont été mises en cause. Dans
l’affaire Ngyke, par exemple, c’est la constitutionnalité de la peine de mort prévue par le Code
pénal militaire qui a été contesté devant la Cour militaire de Matete à Kinshasa. Ici encore, la
cour a préféré répondre elle-même directement au fond de l’exception au lieu de la déférer à la
Cour suprême de justice.109
105 Articles 160 et 162 de la Constitution. En attendant son installation, les attributions de la Cour constitutionnelle sont exercées
par la Cour suprême de justice en vertu de l’article 223 de la Constitution.
106 Article 162 de la Constitution (italiques ajoutées).
108 Tribunal militaire de garnison de Kinshasa-Gombe, Auditeur militaire c. N’Landu Mpolo Néné et consorts, RP 221/2006, 30
avril 2007 (Jugement inédit disponible auprès de l’auteur) et Tribunal militaire de garnison de Bukavu, Auditeur militaire contre
Bokungu Bokombe Arthur et consorts, RP No.186/2007, 28 août 2007 (Jugement inédit disponible auprès de l’auteur).
109 Cour militaire de Kinshasa-Matete, Auditeur militaire c. Munganda Kimbao Joël et consorts, RP 036/07, 22 décembre 2007
C. Recommandations
L’auditeur général et le premier président de la Haute Cour militaire devraient encourager la
vulgarisation et promouvoir l’application par les tribunaux militaires des instruments juridiques
internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme notamment les Directives et principes
sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique. Les décisions des
tribunaux pénaux internationaux et des organes quasi judiciaires sur la justice militaire devraient
également être largement vulgarisées et mises à la disposition des magistrats militaires.
Les avocats devraient également bénéficier d’un renforcement de capacités en matière
d’application des instruments juridiques et internationaux relatifs aux droits de l’homme et
encouragés à ’y puiser les moyens à développer lors de leurs conclusions et plaidoiries.
Le ministère de la Justice, travaillant étroitement avec la Commission permanente
de réforme du droit congolais, le Parlement et, au besoin, avec l’assistance technique des
organismes internationaux et le concours de la société civile, devrait accélérer le processus de la
réforme de la justice militaire. Une telle réforme devrait veiller à aligner la législation nationale
sur la Constitution et les instruments juridiques internationaux pertinents, en particulier les
Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique.
Le Parlement devrait accélérer l’adoption de la loi de mise en œuvre du Statut de Rome de
la Cour pénale internationale.
Les organisations des droits de l’homme et les avocats représentant les victimes et les
personnes poursuivies devant les tribunaux militaires devraient encourager les justiciables de la
justice militaire à saisir la Cour suprême de justice siégeant comme une cour constitutionnelle
sur la constitutionnalité des lois régissant la justice militaire.
A. La compétence personnelle
En vertu de l’article 156, alinéa 1er de la Constitution, le champ de la compétence personnelle des
juridictions militaires se limite aux membres des forces armées et de police.112 Cette disposition
rend inconstitutionnelles les dispositions du Code judiciaire militaire qui étendent la compétence
des juridictions militaires aux civils. Son deuxième alinéa autorise néanmoins le Président de la
République, en temps de guerre ou en cas de circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire en cas
d’état de siège ou d’état d’urgence, de substituer l’action des juridictions militaires à celles de
droit commun pour des infractions et une durée bien déterminées.113 Dans ce cas exceptionnel,
les civils peuvent être poursuivis devant les juridictions militaires, en violation de la clause non
dérogatoire des Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire
en Afrique.114
112 Article 156, alinéa 1er de la Constitution : « les juridictions militaires connaissent des infractions commises par les membres
des Forces armées et de la Police nationale ».
113 Article 156 alinéa 2 de la Constitution : « En temps de guerre ou lorsque l’état de siège est proclamé, le Président de la
République, par une décision délibérée en Conseil des ministres, peut suspendre sur tout ou partie de la République et pour la
durée et les infractions qu’il fixe, l’action répressive des Cours et Tribunaux de droit commun au profit de celle des juridictions
militaires. Cependant le droit d’appel ne peut être suspendu ».
114 En vertu de cette clause, « aucune circonstance, qu’il s’agisse d’une menace de guerre, d’un état de conflit armé international
ou interne, d’instabilité politique interne ou de toute autre situation de danger public, ne peut être invoquée pour justifier des
dérogations au droit à un procès équitable ».
démocratique, le gouvernement et les deux principaux groupes insurrectionnels, le Rassemblement congolais pour la démocratie
et le Mouvement de libération du Congo contrôlaient chacun une partie du pays. Il faudra attendre la réunification de celui-ci au
lendemain du Dialogue intercongolais pour assister au crépuscule de l’ère de ces républiques.
118 Lire notamment la Résolution relative à la nouvelle armée congolaise, Women as Partners for Peace in Africa (WOPPA) et Les
Confessions religieuses, Les Résolutions du Dialogue inter congolais tenu à Sun City du 19 février au 25 avril 2002 et du 1er au 2 avril
2003, Kinshasa, WOPPA, avril 2005, pp.33–34.
119 Tribunal militaire de garnison de Mbandaka, Auditeur militaire c. Kahenga Mumbere Papy et consorts, RP 086/005, 20 juin
2006, décision publiée dans Conseil National des Droits de l’Homme en Islam, Rapport d’observation du procès sur les crimes
contre l’humanité, mars 2007, pp.27–86.
120 Article 142, alinéa 2 de la Constitution.
124 L. Mutata Luaba, Droit pénal militaire congolais, des peines et des incriminations des juridictions militaires en République
démocratique du Congo, Kinshasa, éditions du Service de documentation et d’études du ministère de la Justice et Garde des
Sceaux, 2005, pp.451–452.
125 Entretien avec Maître Delphin Bulambo, ancien chargé de programme de l’Association internationale RCN Justice et
127 L’article 9 du décret-loi du 18 décembre 1964 disposait que les jugements et arrêts des juridictions militaires n’étaient
129 Idem.
130 Gal Likulia Bolongo, Droit pénal militaire zaïrois, tome 1, L’organisation et la compétence des juridictions des forces armées, Paris,
de Kisangani, Auditeur militaire c. Kahwa Panga Mandro, RPA No. 003/2007, 28 juillet 2007 (copies des décisions disponibles
auprès des auteurs). Dans cette affaire, Kahwa était poursuivi pour les infractions d’association des malfaiteurs et d’assassinat.
132 P. Akele Adau, « La Cour d’ordre militaire… », Art. cit., p.559.
133 Entretien avec Jean-Louis Esambo Kangashe, expert constitutionnaliste ayant participé au processus d’élaboration de la
la justice militaire avec les Forces armées de la République démocratique du Congo, Kinshasa, 2009, p.96.
135 P. Akele Adau, « La Cour d’ordre militaire… », Art. cit., pp.567–568. Les chiffres sur la composition de la police semblent
néanmoins militer pour un argument inverse. En effet, ce sont près de 95 % des effectifs de la police nationale estimés à 90 000
à 114 000 qui proviendraient des anciennes forces de l’ordre (gendarmerie, garde civile et police de circulation). Lire à ce sujet
P. Sebahara, La réforme du service de sécurité en RD Congo, Note d’analyse, Groupe de recherche et d’information sur la paix et la
sécurité, disponible en ligne à l’adresse www.grip.org
136 Lire notamment le rapport de la MONUC sur ces événements : http://www.ohchr.org/Documents/Countries/evenement
fevmars08 BasCongo_May08.pdf
137 M. Wetsh’okonda Koso Senga, http://www.la-constitution-en-afrique.org/categorie-10195444.html
138 IDASA, Le renforcement de la participation de la société civile à la réforme de la Police en République démocratique du Congo,
Rapport d’atelier, décembre 2006 - février 2007, p. 6, disponible en ligne à l’adresse http://www.idasa.org.za
143 Lorsqu’une personne, qu’elle soit civile ou militaire, se rend coupable d’une infraction à l’occasion d’une audience d’une
juridiction civile, par exemple d’une injure publique ou d’un outrage à magistrat, elle sera jugée par cette juridiction. Article 118,
Code judiciaire militaire.
144 Lorsque plusieurs personnes, les unes civiles et les autres militaires concourent à la commission d’une ou de plusieurs
infractions, elles seront toutes jugées par les juridictions de droit commun. Articles 115 du Code judiciaire militaire et 100 du Code
de l’organisation et de la compétence judiciaires.
145 Article 93 du Code judiciaire militaire. Selon le professeur Likulia, « on estime que les infractions sont connexes soit par unité
de temps et de lieu, lorsqu’elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit par concert préalable
et unité de dessein, lorsqu’elles ont été accomplies en des temps et des lieux différents, mais par plusieurs personnes agissant
en parfait accord, soit par relation de cause à effet, lorsque certaines infractions ont eu pour but de faciliter l’exécution des autres
ou d’en assurer l’impunité, soit enfin lorsque des choses enlevées ou détournées à la suite d’une infraction ou été en tout ou en
parties, recelées ». Likulia Bolongo, Droit pénal militaire zaïrois, Paris, LGDJ, 1977, pp.144–145.
146 Selon le professeur Likulia, « la doctrine admet qu’il y a indivisibilité lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs
personnes, soit comme coauteurs, soit comme complices ou lorsqu’une personne a commis plusieurs infractions reliées entre
elles par une unité de dessein ou dont l’une constitue une circonstance aggravante de l’autre ». Likulia Bolongo, Op. cit., p.145.
147 Article 119, Code judiciaire militaire.
Deux autres hypothèses d’extension de la compétence des juridictions militaires à l’égard des
civils méritent d’être signalées, celle des infractions à main armées163 et, en temps de guerre,
celle des infractions politiques.164
En dehors de ces cas de prorogation de compétence des juridictions militaires consacrées par
la constitution et la loi, il y en a d’autres qui le sont par le fait des juges à travers l’interprétation
qu’ils font de la loi. Des juges militaires ont récemment estimé avoir le pouvoir d’apprécier leur
compétence à l’égard des civils dès lors que ces derniers sont simplement déférés devant eux.
Dans l’arrêt Alamba par exemple, la haute Cour militaire a jugé que « dans l’esprit de la récente
réforme de la justice militaire, tel qu’exprimé dans l’exposé des motifs des lois No. 024/2002 du
18 novembre 2002 portant codes judiciaire et pénal militaires, cette appréciation d’office (celle
de la compétence) s’impose particulièrement lorsque des personnes étrangères à l’armée sont
déférées devant le juge militaire ».165
166 Arrêt rendu par la Haute Cour militaire en date du 18 mars 2004 dans l’affaire RP/2004, Op. cit.
167 Nswal Nten-a-Bol, Op. cit., pp.129–130.
168 Cour d’ordre militaire, procureur militaire c. Eddy Kapend et consorts Arrêt RP No. 1078/02, 7 janvier 2003. Voir aussi Maela
Bégot et Liévin Ngondji Ongombe, « Les sans voix de République démocratique du Congo. Enquête dans les couloirs de la
mort de Kinshasa, Lubumbashi, Bukavu, Kindu et Goma », in Ensemble contre la peine de mort, La peine de mort dans la région
des Grands lacs, Rwanda, République démocratique du Congo, Burundi, Paris, 2008, p.135 ; M. Wetsh’okonda Koso Senga, « L’avis
consultatif de la Cour suprême de justice, RL10 du 13 décembre 2005 sur l’infraction politique : interprétation ou réécriture de la
loi ? », Les Analyses juridiques No. 8/2006, Lubumbashi, pp.4–26.
169 Maela Bégot et Liévin Ngondji Ongombe, op. cit., p.172.
B. Compétence matérielle
La disposition de la Constitution en vertu de laquelle « les juridictions militaires connaissent
des infractions commises par les membres des forces armées et de la police nationale »174 ne
parle expressément que de la compétence personnelle. Elle semble indiquer que seule la qualité
des personnes détermine la compétence des tribunaux militaires, quelle que soit la nature des
crimes pour lesquels ces personnes sont poursuivies.
De son côté, bien que le Code pénal militaire distingue les infractions d’ordre militaire175
des infractions dites mixtes176 et de toutes les autres infractions ordinaires,177 le Code judiciaire
militaire étend la compétence matérielle des tribunaux militaires à toutes ces catégories
d’infractions dès lors qu’elles sont commises par les militaires et les policiers.178 En vertu de sa
définition, les infractions d’ordre militaire sont celles qui, de par leur nature, ne peuvent être
commises que par des militaires et des personnes assimilées aux membres des forces armées
171 Tribunal militaire de garnison de Beni-Butembo, Auditeur militaire c. James Njenga Njogu et consorts, RP 044/07, 8 août
2007.
172 Article 111, alinéa 2, Code judiciaire militaire, une survivance de l’article 5 du décret-loi No. 019 du 23 août 1997 portant
177 Il s’agit des exceptions prévues par le Code pénal ordinaire exception faite de celles d’entre elles qui sont également prévues
184 Le titre II du Code pénal militaire comprend quatre chapitres et non cinq comme on peut le lire dans ledit code. Ces chapitres
sont consacrés respectivement aux infractions tendant à soustraire leur auteur de ses obligations militaires (articles 41 à 57), les
infractions contre l’honneur et le devoir (articles 58 à 88), les infractions contre la discipline (articles 89 à 112) et les infractions
aux consignes (articles 113 à 125).
185 Articles 74 à 84 du Code pénal militaire.
189 T. Kambere, « La dangereuse extension de compétence de la justice militaire, note d’observation », Horizons, Revue de droit
Le génocide
Prévu à l’article 64 du Code pénal militaire, il se réalise par « un quelconque des actes ci-après,
commis dans l’intention de détruire en tout ou en partie, un groupe national, politique, ethnique,
racial ou religieux comme tel :
• meurtre de membres du groupe ;
• atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe ;
• soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle ;
• mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
• transfert forcé d’enfants du groupe à un autre.
191 L. Mutata Luaba, Traité de crimes internationaux, Kinshasa, éditions Universitaires Africaines, pp.7–9 ; S. Tsinu Phukuta, Crimes
internationaux en droit pénal militaire congolais, Séminaire de formation de l’équipe des avocats du volet « assistance judiciaire »,
13–16 juillet 2005, Avocats sans frontières, 2005, pp.2–3 ; P. Akele Adau et A. Sita Muila Akele, Les crimes contre l’humanité en
droit congolais, Kinshasa, Cepas, 1999, p.8 ; Gal Likulia Bolongo, Droit pénal militaire zaïrois…Op. cit., pp.225 et ss.
192 Tribunal militaire de garnison de Mbandaka, Auditeur militaire c. Lt Elizo Ngoy et consorts (« affaire Songo Mboyo »), RP
084/2005, 12 avril 2006 ; tribunal militaire de garnison de Bunia, Auditeur militaire c. capitaine Blaise Bongi, RP 018/2006, 24 mars
2006. Voir également M. Wetsh’okonda, « Why Congo needs the International Criminal Court ,» Justice Initiatives, Open Society, New
York, Budapest et Abuja, 2004, pp.60–61.
193 Federico Borello, Les premiers pas. La longue route vers une paix juste en République démocratique du Congo, New York,
Rapport d’évaluation du secteur de la justice au Nord et au Sud Kivu, Maniema et au Nord Katanga, Kinshasa, Global Rights, août
2005, pp.58–59 ; ACIDH et CDH, Procès de la Cour d’ordre militaire du Katanga sur les crimes commis à Ankoro, affaire RP O1/2003,
RMP 004/2003/MMU, en cause MP contre émile Twabangu et consorts, Rapport préliminaire conjoint, Lubumbashi, septembre
2004, p.32 ; ACIDH, Procès de la Cour militaire du Katanga sur les crimes internationaux commis à Ankoro, Rapport final, Lubumbashi,
mars 2005, 92 p ; ASADHO - Katanga, Rapport sur le procès de Ankoro, lutte contre l’impunité : mots vains pour le gouvernement de
la RDC, Supplément au périodique des droits de l’homme No. 007, février 2005, p.30.
195 Samy Passalet, « Le procès des militaires congolais accusés de viol des femmes à Songo Mboyo, province de l’équateur »,
MONUC Magazine, périodique de la Mission de l’Organisation des Nations unies au Congo, Volume IV, No. 29, p.23 ;
M. Wetsh’okonda Koso, « Le malaise soulevé par l’application directe du Statut de Rome par le jugement RP No. 084/2005 du
12 avril 2006 du Tribunal militaire de garnison de Mbandaka », Horizons, Revue de droit et de science politique du Graben, No. 2,
Butembo, juin 2006, pp.139–161.
196 Lire notamment ACIDH, Procès de la Cour militaire du Katanga sur les crimes commis à Ankoro, Op. cit., p.92.
199 Quelques participants à l’atelier de validation de ce rapport ont objecté au transfert de compétence à l’égard des crimes
internationaux en faveur les tribunaux civils en faisant valoir le fait que les tribunaux militaires avaient accumulé dans ce domaine
une expérience dont les tribunaux civils n’allaient pas bénéficier et que, dans tous les cas, ce sont les militaires qui commettent
les crimes internationaux en temps de guerre. La majorité des participants étaient néanmoins d’avis que le respect du principe
fondamental selon lequel les juridictions militaires ne devraient pas connaître des crimes internationaux était plus important que
le bénéfice de la relative expérience des juridictions militaires.
200 Rendossé moyennant quelques modifications par le Professeur Nyabirungu et Maître Mutumbe, tous deux avocats, ce projet
a bénéficié des contributions de la société civile à l’occasion d’un atelier organisé conjointement à cet effet par les associations
internationales Avocats sans frontières et la Fondation Konrad Adenauer.
201 Principe 4(e) des Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique.
202 ACIDH, ASADHO, GLOBAL WITNESS et RAID, Le procès de Kilwa : un déni de justice, chronologie, octobre 2004 - juillet 2007,
204 Cour militaire de Kisangani, Auditeur militaire c. Kahwa Panga Mandro, Arrêt RPA No. 023/2007 du 28 juillet 2007, inédit
CENTRALE/rdcongo/rdcongopol/223annexesaccordslusaka.htm
206 Lire le point III, 8 de cet Accord disponible en ligne à l’adresse http://www.grandslacs.net/doc/2826.pdf
view&gid=14&Itemid=47
208 Les personnes condamnées dans le cadre de cette affaire ont été exclues du bénéfice de cette amnistie au motif que l’attentat
contre la vie du Président de la République pour lequel elles étaient condamnées n’est pas une infraction politique. Se fondant
sur l’avis de la Cour suprême de justice RL 10 du 13 décembre 2005 qui a consacré cette interprétation de la loi d’amnistie du
29 novembre 2005, le Ministre de la Justice a pris un arrêté portant application de cette loi par lequel il a exclu les personnes
précitées du bénéfice des mesures d’amnistie. Or, parmi les cas qualificatifs de détention arbitraire figure, d’après le Groupe
de travail sur la détention arbitraire, « le maintien en détention d’une personne alors qu’elle a purgé sa peine ou qu’une loi
d’amnistie lui est applicable ». Lire à ce sujet M. Wetsh’okonda Koso, « L’avis consultatif de la Cour suprême de justice RL 10
du 13 décembre 2005 sur l’infraction politique : interprétation ou réécriture de la loi ? », Les analyses juridiques No. 8/20006,
pp.4–26.
209 Cette interdiction a été communiquée par une lettre du ministre de la Justice aux autorités judiciaires militaires et civiles. La
211 En vertu de l’article 6, paragraphe 2 du pacte : « Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie, une sentence de mort
ne peut être prononcée que contre les crimes les plus graves ».
E. Recommandations
Il est urgent que des mesures législatives claires soient adoptées pour abroger toutes les
dispositions consacrant la compétence des juridictions militaires à l’égard des civils ainsi qu’à
celui des policiers, des insurgés et des bâtisseurs de la nation. Seul le personnel militaire au sens
strict doit être justiciable des tribunaux militaires.
La même réforme législative doit aboutir à l’abrogation de toutes les dispositions consacrant
la compétence des juridictions militaires à l’égard des infractions autres que des infractions de
nature militaire stricte. À cet effet, il est important d’exclure les infractions mixtes, notamment
les crimes internationaux les plus graves, du champ de la compétence des tribunaux militaires.
La peine de mort doit également être abolie pour toutes les infractions prévues par le Code
militaire, à commencer par les infractions qui n’ont pas un caractère de crimes graves. Dans
tous les cas, les tribunaux militaires devraient s’abstenir d’appliquer la peine capitale dans tous
les cas où les civils sont poursuivis.
La plus grande priorité doit être accordée au processus de l’adoption de la proposition de
loi de mise en œuvre du Statut de Rome. Il est en outre important de vulgariser les lois pénales
militaires en vue de promouvoir leur interprétation adéquate. La jurisprudence des juridictions
militaires doit être vulgarisée afin de favoriser une unité de jurisprudence sur toute l’étendue
du pays.
De même, les magistrats militaires comme les avocats doivent être formés à l’interprétation
des lois de manière à donner pleins effets aux engagements internationaux de l’État y compris
A. Les effectifs
La résolution de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur le droit à
un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique invite les États africains à se « doter
des institutions judiciaires ainsi que de celles chargées de faire appliquer la loi de ressources
suffisantes afin de fournir aux individus ayant recours au processus juridique des garanties
plus efficaces et plus effectives en matière de procès équitable ». La justice militaire congolaise
continue cependant de souffrir d’une carence remarquable en personnel. La Cour d’ordre
militaire n’avait en tout et pour tout que neuf magistrats nommés par le Président de la
République, alors qu’elle avait compétence sur toute l’étendue du territoire national. Le décret de
nomination faisait des magistrats du parquet des membres de la Cour d’ordre militaire. Il y avait
ainsi une confusion entretenue entre le siège et le parquet. Pour fonctionner normalement, le
Le total de tribunaux de garnison est de 36, alors que le total effectif actuel des juges en fonction
dans les tribunaux de garnison est de 69, dont 21 présidents et 48 juges. Il semble donc que l’on
ait besoin de 15 présidents de tribunal de garnison et de 45 juges.
Catégorie Effectif
Greffiers 92
Secrétaires 66
Huissiers 44
Total 881
221 Entretien avec Roger Mvita, ancien magistrat, coordonateur du programme AfriMAP au Congo, juin 2008.
222 Tribunal militaire de garnison de Bunia, Auditeur militaire c. capitaine Blaise Bongi, RP 018/2006, 24 mars 2006.
Formation spécialisée
Quant aux branches spécialisées des droits de l’homme et du droit international humanitaire, le
programme de cours en vigueur dans les facultés de droit ne les a pas intégrées. C’est dans le
cadre d’autres enseignements notamment le civisme et le développement, le droit constitutionnel,
le droit pénal, le droit international public etc. que certains professeurs réussissent à intégrer
quelques notions relatives à ces matières. Le cours de droit international humanitaire relève des
cours à option. Une formation aussi superficielle en droits de l’homme et droit international
humanitaire peut expliquer des décisions comme celle de la condamnation le 28 mars 1998 par
la Cour d’ordre militaire de Mulume Oderwa, d’un enfant soldat de 14 ans qui avait commis un
meurtre d’un agent humanitaire.
Pourvu de plus de 20 ans d’expérience, un magistrat militaire a récemment constaté
que « bien des magistrats du parquet ignorent ou (…) méconnaissent [les] normes
universelles de protection des droits de l’homme. » Les inculpés qui se présentent devant de
tels magistrats « s’exposent aux risques réels d’un traitement déshumanisant » par lequel,
par exemple, ils sont soumis « à des interrogatoires qui ne tiennent nullement compte de
[leur] disponibilité psycho-sanitaire… ».227
L’intégration des droits de l’homme dans les programmes de cours de l’école primaire et
de l’école secondaire est donc à saluer et à encourager encore qu’il faille ici, prendre quelques
mesures d’accompagnement notamment la formation des enseignants et l’élaboration des
manuels scolaires ainsi que celle des matériels didactiques. L’université devrait également
emboîter le pas aux écoles primaires et secondaires en intégrant les droits de l’homme dans les
programmes d’enseignement particulièrement à la faculté de droit.
C. Recommandations
Le ministère de la Justice et les organisations nationales et internationales de la société civile
devraient fournir un effort particulier pour doter les magistrats militaires d’un minimum
de documentation pédagogique à actualiser constamment. Par le passé, il a existé une Revue
juridique des Forces armées zaïroises qui n’a malheureusement pas fait long feu parce que deux
numéros seulement ont été publiés. Il serait souhaitable qu’une telle revue soit créée de manière
226 J. B. Habibu, L’effectivité du Statut de la Cour pénale internationale : référence spéciale à la situation concernant la République
228 Nations unies, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo,
B. Pressions politiques
Des pressions politiques sont exercées de façon routinière sur les magistrats pour les pousser
à abandonner des poursuites ou pour influencer leurs décisions. Parfois les auteurs de telles
pressions visent à protéger des anciens alliés parmi les chefs des mouvements de rébellion ou
de résistance. Gédéon Kyungu Mutanga, ancien chef May May du Nord Katanga, a clairement
bénéficié d’une protection de ses anciens alliés du gouvernement de Kinshasa qui ont exercé
des pressions pour influencer le cours de l’instruction à son égard. Selon Maître Kuboya du
Barreau de Lubumbashi, après sa reddition auprès de la MONUC en date du 12 mai 2006 et sa
remise par celle-ci aux autorités congolaises, au lieu d’être en prison, Gédéon Kyungu Mutanga
était hébergé au mess des officiers plutôt que dans une cellule de détention provisoire, et
recevait périodiquement de l’argent de poche.231 Cette affirmation est confirmée par la MONUC
lorsqu’elle a constaté que le sort de Gédéon Kyungu dépendait exclusivement de la volonté du
Président de la République.232
Dans la plupart des cas, les pressions politiques sont exercées de manière subtile et leur
manifestation n’est souvent pas évidente pour le public en dehors des magistrats directement
concernés. Ainsi dans le cas de Tshiinja Tshinja, un autre chef de milice May May du Katanga,
acculé par la société civile au sujet des lenteurs dans le déclenchement des poursuites, le
magistrat instructeur aurait fini par affirmer que le sort du suspect ne dépendait pas de lui mais
du pouvoir politique.233 Il faut noter qu’arrêté depuis mai 2005, Tshiinja Tshinja n’était toujours
pas jugé jusqu’à la période de rédaction de ce rapport. Selon Maître Mukendi du Barreau de
Kinshasa, son instruction se poursuivrait à Kinshasa,234 à plus de deux mille kilomètres du
théâtre des crimes qui lui sont reprochés.
Dans d’autres cas, les pressions étaient plus ouvertes. Les pressions politiques exercées sur
les magistrats dans l’affaire Kilwa ont particulièrement été flagrantes. D’après un communiqué
d’indignation publié par quatre organisations des droits de l’homme,
19 octobre 2006 : l’auditeur militaire, le colonel Nzabi est convoqué
à Kinshasa, soi-disant par les autorités judiciaires militaires, mais en
réalité sur les ordres du chef de la maison militaire du Président Kabila.
On l’oblige à y rester presque un mois et il subit des pressions visant à
lui faire abandonner les poursuites contre les employés d’Anvil Mining.
Plus récemment, le gouvernement a interdit aux magistrats militaires de poursuivre les chefs
et les combattants des groupes armés basés au Nord Kivu et au Sud Kivu, en particulier ceux
du mouvement rebelle Conseil national pour la défense du peuple (CNDP). Par une simple
lettre du 9 février 2009, le ministre de la Justice a en effet instruit le Procureur général de la
République et l’auditeur général des Forces armées de la République démocratique du Congo
« de ne pas engager des poursuites contre les membres desdits groupes armés et d’arrêter celles
déjà initiées ». D’après le gouvernement, cette interdiction, intervenue avant même l’adoption
formelle d’une loi d’amnistie qui était alors débattue au Parlement, était justifiée par la nécessité
de « consolider la paix et assurer la concorde nationale ».236
Plusieurs raisons peuvent expliquer ces intrusions répétées du pouvoir politique dans
l’administration de la justice. La première tient au fait que pendant la guerre, il est arrivé que le
gouvernement s’allie à certains mouvements insurrectionnels au détriment des autrés.237 Il s’est
ainsi tissé des liens entre le gouvernement et certains mouvements insurrectionnels, des liens
dont le gouvernement a du mal à se soustraire et qui le poussent à agir contre l’indépendance de
la justice militaire pour protéger des chefs de groupes armés poursuivis devant elle.
Par ailleurs, les responsables politiques considèrent parfois l’abandon des poursuites
comme une condition du retour de la paix et exercent donc des pressions pour qu’il soit mis
fin à des poursuites déjà enclenchées dans certains cas. Des appels ont récemment été lancés
notamment par les Nations unies238 et certaines organisations internationales en faveur de
l’exclusion des rangs de l’armée des personnes sur qui pèsent des soupçons d’implication
dans la commission des crimes internationaux. Mais, en contrepartie de leur renonciation à la
guerre, le gouvernement continue de nommer les responsables de milices en qualité d’officiers
militaires sans tenir compte de leurs activités criminelles passées ni de leur implication dans
la commission des violations des droits de l’homme.239 Au nombre des personnes ayant ainsi
bénéficié de la prime à la délinquance que constituent ces nominations en échange de la paix, il
y a lieu de citer Laurent Nkunda, Tangofor Gabriel Amisi, Germain Katanga, Jérôme Kakwavu,
Floribert Kisembo Bahemuka, Bosco Tanganda, Rafiki Saba Aimable et Salumu Mulenda.240
238 Lire notamment le chapitre VI, b du Document E/CN.4/2005/120, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits
de l’homme en République démocratique du Congo, 2005, disponible en ligne à l’adresse www.ohcdh.org ; Bref aperçu consolidé
de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo, août 2007, p.11.
239 MONUC, La situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo…, Op. cit., p.21.
240 Human Rights Watch, Les bailleurs doivent insister pour que le gouvernement poursuive en justice les seigneurs de guerre accusés
d’avoir tué et violé des civils, communiqué de presse, disponible en ligne à l’adresse www.hrw.org ; A/58/534, 24 octobre 2003,
Rapport intérimaire de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo,
p.13.
241 Entretien avec Maître Alexis Mikandji, avocat à Kinshasa, mars 2009. Au cours de l’atelier de validation du présent rapport
tenu le 3 avril 2009, le professeur Akele Adau, juge de la haute Cour militaire, a stigmatisé le comportement affiché par les
magistrats consistant à se référer à la hiérarchie avant de prononcer leurs décisions. Pour ce haut magistrat, cette pratique fait
qu’au lieu des trois ou cinq membres apparents, la composition des juridictions militaires en compte, en fait, plutôt six ou sept.
Nous pensons que la même pratique a pour effet de vider le droit au double degré de juridiction de tout son contenu. Si, dans
l’informel, le juge d’appel est celui qui a dicté le jugement du premier degré, l’appel devient sans objet.
242 Institut pour les Droits Humains et le Développement, Compilation des décisions sur les communications de la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples, extraits des rapports d’activités, 1994–2001, 2002, pp.246–247.
243 Entretien avec Maître Assani Rock, avocat à Kinshasa-Matete, 6 décembre 2008.
244 A/HRC/7/25, 29 février 2008, Rapport de l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République démocratique
du Congo, Frédéric Titinga, p.10.
G. Recommandations
Pour préserver l’indépendance du pouvoir judiciaire, élément essentiel de la démocratie et du
respect des droits de l’homme, il est important que le gouvernement et les hauts responsables
de la justice militaire respectent scrupuleusement les procédures établies par le statut des
magistrats, particulièrement en ce qui concerne la nomination, la révocation ainsi que la rotation
des magistrats. Ils doivent veiller en particulier à ce qu’il soit immédiatement mis fin à la
pratique des mutations intempestives des magistrats en cours d’instruction.
Le Conseil supérieur de la magistrature devrait collaborer avec les syndicats des magistrats et
les organisations des droits de l’homme à l’accompagnement des magistrats dans leur résistance
aux tentatives de violation de leur indépendance, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de vie
et de travail des magistrats afin de les mettre à l’abri de la corruption.
246 Déclaration de Maître Shebele Makoma, membre de la Commission permanente de réforme du droit congolais à
l’occasion de la journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre 2008.
247 Article 209 du Code judiciaire militaire.
248 Haute Cour militaire, Auditeur militaire c. Germain Katanga et consorts, RDP No.001/05, 1er décembre 2006.
254 Tribunal militaire de garnison de Kindu, Auditeur militaire contre Kalonga Katamisi et consorts, RP 011/05 du 26 octobre 2005.
255 Cour militaire du Katanga, Auditeur militaire c. Ekembe Monga Yamba André et consorts, RP No. 011/2005, 26 avril 2007 (copie
de l’arrêt disponible auprès des auteurs).
256 Bayona ba Meya, « Regard estimatif sur les problèmes saillants du fonctionnement de la justice congolaise », in Lukuni Lwa
Yuma, Op. cit., vol. II, No. 3, 1999, p.36 ; voir aussi Pascal Kambale, « Pour une rationalisation des enquêtes et de l’instruction
préjuridictionnelle au Congo : essai d’analyse et propositions », Horizons, Revue de droit et de science politique du Graben, No. 2,
juin 2006, pp. 11–12.
257 Articles 242 et 243 du Code judiciaire militaire.
258 Tribunal de garnison de l’Ituri, Auditeur militaire c. cap Blaise Bongi, RP 018/2006, 24 mars 2006. Cette décision a été publiée
dans Ligue pour la Paix et les Droits de l’Homme, Rapport d’observation du procès sur les crimes de guerre, septembre 2006,
pp.30–60.
259 Article 249, alinéa 1er : « le Président est investi d’un pouvoir discrétionnaire pour la découverte de la vérité » ; article 249,
alinéa 3 : « Si le ministère public ou le conseil du prévenu sollicite au cours des débats l’audition de nouveaux témoins, le
président décide si ces témoins doivent être entendus ».
260 Tribunal de garnison de l’Ituri, Auditeur militaire c. cap Blaise Bongi, RP 018/2006, 24 mars 2006.
261 Tribunal de garnison de Mbandaka, jugement « avant dire droit » du 26 octobre 2005, Auditeur militaire c. Lt Elizo Ngoy et
consorts, RP084/2005.
263 Entretien avec Maître Gaby Okoko, membre de l’équipe d’avocats formés par Avocats sans frontières, entretien du mois, du
9 juin 2008.
264 Ligue pour la Paix et les Droits de l’Homme, Rapport d’observation du procès sur les crimes de guerre, septembre 2006, p. 14.
265 Justice Plus, Rapport d’observation du procès sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, affaire ministère public contre
268 HRW, RD - Congo : éviter une injustice flagrante, des ONG de droits humains affirment que la Cour a bafoué les droits fondamentaux
des accusés dans le procès pour le meurtre de Maheshe, Communiqué de presse du 18 mai 2008, disponible en ligne à l’adresse
http://www.hrw.org
269 ASADHO, Quatre avocats du Barreau de Lubumbashi arrêtés et détenus arbitrairement par l’ANR, Communiqué de presse
273 La jurisprudence de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples contient néanmoins des indications plus
ou moins précises. Voir par exemple Lubuto c. Zambie RADH 2001 38 (CDH 1995) ; Mazou c. Cameroun RADH 2001 8 (CDH
2001) ; M’Boissona (au nom Bozize) c. République Centrafricaine RADH 2001 25 ;(CDH 1994) ; Mouvement Burkinabé des Droits de
l’Homme et des Peuples c. Burkina Faso RADH 2001 53 (CADHP 2001).
274 Entretien avec Maître Désiré Balume, avocat au barreau de Goma, 5 mars 2009.
275 MONUC, La situation des droits de l’homme en République démocratique du cours de la période de juillet à décembre 2006, 8
février 2007, p.25.
276 Intervention au cours de l’atelier de validation du présent rapport tenu le 3 avril 2009.
I. Recommandations
Le respect de toutes les garanties du droit à un procès équitable est essentiel. Les tribunaux
militaires doivent veiller tout particulièrement au respect de l’égalité des armes entre l’accusation
et la défense. À cet effet, ils doivent éviter d’interpréter leur pouvoir dans la conduite des débats
comme une invitation à disposer de manière discrétionnaire des droits de la défense. Ils
devraient également accorder une attention particulière à l’exigence de communication préalable
et à temps à la défense de tous les moyens de preuve de l’accusé pour éviter des poursuites par
embuscade.
Les organisations de défense des droits de l’homme devraient poursuivre et renforcer
leur action d’observation des procès devant les tribunaux militaires afin de s’assurer du respect
des garanties des droits de la défense. Elles devraient à cet effet, chercher à collaborer avec le
Conseil supérieur de la magistrature et le saisir des cas précis de violation du droit à un procès
équitable.
Le ministre de la Justice et le Conseil supérieur de la magistrature, avec l’assistance des
partenaires internationaux et de la société civile, devraient collaborer à la mise en place urgente
d’un mécanisme pratique pour assurer le renforcement des capacités des magistrats militaires
en matière de respect des garanties relatives aux règles du procès équitable.
Le ministre de la Justice devrait travailler avec le Parlement, les barreaux et les autorités
judiciaires à la préparation et l’adoption d’une loi sur l’aide juridique incluant la prise en
charge par l’État de l’assistance judiciaire gratuite. En attendant l’adoption d’une telle loi, les
bureaux de consultation gratuite des barreaux devraient être renforcés et soutenus, y compris
financièrement, dans leur action d’assistance judiciaire gratuite.
La réforme législative de la justice militaire devrait inclure la création d’un fonds pour
l’indemnisation des victimes des crimes internationaux. En attendant la création d’un tel fonds,
le Parlement devrait veiller à ce que les frais suffisants relatifs à l’indemnisation des victimes des
crimes perpétrés par les membres des forces armées et de police soient régulièrement prévus
dans le budget de l’État.