Contractualisation de L'action Administrative
Contractualisation de L'action Administrative
Contractualisation de L'action Administrative
Le contrat a toujours été une technique juridique courante en droit administratif. Mais l’attention a toujours
été portée sur l’acte administratif car il caractérise la puissance publique. Pour autant, l’administration peut
aussi préférer le contrat. Son utilisation tend même aujourd’hui à se développer. On parle aujourd’hui de la
contractualisation de l’action administrative.
L’administration va passer des contrats pour satisfaire des besoins les plus variés : recruter des personnels,
louer des immeubles de bureau pour y loger ses services, emprunter auprès des établissements bancaires, contrats
d’assurances (CT), se procurer les moyens nécessaires au bon fonctionnement des services publics (fournitures),
délégation de SP…
Cette faculté de conclure des contrats est un des attributs de la personnalité morale reconnue aux
collectivités publiques. L’Etat, les EP se sont vus reconnaitre une forme de liberté contractuelle. Cette
liberté contractuelle a été longtemps discutée par la doctrine aux motifs qu’elle n’était pas complètement
comparable à celle des personnes privées dans la mesure où le principe d’autonomie de la volonté
qui caractérise le droit privé n’est pas pleinement transposable aux personnes publiques, car
une personne de droit privé a des intérêts personnels qu’elle peut définir librement alors que les personnes
publiques ont pour objectif de satisfaire l’intérêt général.
Un certain nombre d’auteurs ont expliqué qu’il ne pouvait pas y avoir de liberté contractuelle pour les
personnes publiques ou que si l’on en parlait, ce n’était pas un droit fondamental comme en droit privé.
Pour autant, la jurisprudence n’a pas pris en compte ces précautions. Ils ont reconnus la valeur
juridique du principe de liberté contractuelle des personnes publiques. Deux décisions à
retenir :
- Le CE, dans un arrêt de 1998, société Borg-warner : la liberté contractuelle des personnes
publiques est un PGD donc qui existe tant qu’aucune disposition législative ne vient s’y opposer.
- Le CCEL a rejoint le CE, dans une décision constitutionnelle du 30 décembre 2006, sur les
industries électriques et gazières où le CE estime que même pour un motif d’intérêt général, la loi ne peut
pas porter une atteinte excessive à la force obligatoire des contrats passés par les personnes
publiques.
Mais cette liberté contractuelle connait des limites, ce que l’on peut appeler les sujétions exorbitantes :
- Les administrations ne sont pas libres de choisir leur cocontractant. Le code des marchés publics
estime qu’il y a des procédures à respecter (appel d’offre, mettre en concurrence les entreprises susceptibles
d’être intéressées).
La liberté contractuelle est donc limitée par le fait que les PPP sont garantes de l’intérêt général.
L’une des difficultés est que la jurisprudence administrative a depuis le début du 20e développé un régime
juridique spécifique donc distinct du régime prévu par le droit civil. Régime que l’on dénomme théorie
générale des contrats administratifs. Cette théorie repose sur l’idée qu’à la différence du contrat de
droit civil, le contrat administratif ne repose pas sur l’égalité juridique des parties :
C’est un engagement réciproque de volonté mais entre personnes juridiques inégales avec d’un côté
l’administration puissance publique en charge du SP et qui à ce titre détient un certain nombre de
prérogatives exorbitantes de droit commun (privilèges inconnus du droit privé) tel que le pouvoir de
modifier unilatéralement un contrat… et dans la mesure où le contractant lui n’a que des droits
diminués (essentiellement des droits financiers). Un régime spécifique qui fait donc la particularité de
l’activité contractuelle de l’administration.
Le problème est que ce régime juridique spécifique ne s’applique pas à tous les contrats de
l’administration et il est admis que dans un certain nombre de cas, l’administration passera non pas
des contrats administratifs mais des contrats de droit privé. C’est là la première difficulté puisqu’il faut
pouvoir identifier ces contrats. C’est important pour savoir quel est le juge compétent et c’est
important aussi pour savoir les règles que l’on va appliquer en cas de contentieux entre les parties.
- Autre texte qui attribue également la compétence aux juridictions administratives : le décret loi du 17
juin 1938 qui procède de la même manière et qui nous dit que les contrats d’occupation du domaine
public sont des contrats administratifs.
- Mais il prévoit aussi que les contrats de vente d’immeuble de l’Etat ou quand l’Etat cède ses
propriétés mais aussi les contrats d’emprunt sur les marchés financiers.
Cela dit, ces cas de qualifications légales ne concernent que des contrats précis, des hypothèses
particulières et non pas une incidence statistique considérable ce qui veut dire qu’en nombre, les contrats en général
ne sont pas qualifiés par le législateur.
2) La deuxième méthode est donc celle de la jurisprudence :
Il a donc fallu à la jurisprudence administrative dégager un certain nombre de critères pour dire qu’on est en face
d’un contrat qui relève plutôt d’un acte de gestion publique et de ce fait que c’est un contrat plutôt administratif.
On a d’abord dégagé un critère organique :
Le juge vérifie qu’il y ait toujours au moins une personne publique qui est partie au contrat.
Normalement il n’y a pas de contrat administratif qui serait signé seulement par des personnes privées (mais
Montpeurt, 1942 : un acte pris par une personne privée peut être qualifié de contrat administratif).
Puis, on a dégagé un critère matériel :
Le juge va vérifier soit dans le contenu, soit dans l’objet du contrat, qu’il corresponde bien à un acte de
gestion publique, c'est-à-dire faisant appel soit à des procédés de PP, soit qui touche de près à la
question des SP.
Le juge a développé deux types de critères matériels :
- le critère de la clause exorbitante
- et la participation du cocontractant à l’exécution même du service public.
Ces critères jurisprudentiels font l’objet d’applications constantes, mais donnent lieu à des hésitations : il n’est pas
rare que le TC soit appelé à trancher ce type de question, ce qui n’est pas bon signe (hésitation des juges).
La conception défendue par la jurisprudence administrative est : est contrat administratif l’acte qui soulève
des problèmes de gestion publique.
Le problème c’est qu’il y a une dizaine d’années, le législateur est intervenu et a un peu bouleversé cette
approche, notamment en posant une sorte de nouveau critère formel c’est à dire que le législateur a
posé une nouvelle catégorie de contrat administratif par détermination de la loi. Mais cette
catégorie est si large qu’elle bouleverse la jurisprudence, mise en place par la loi Mursef en 2001 qui est
celle des marchés publics. Cette loi de 2001 nous dit que les contrats passés dans les conditions selon
le code des marchés publics sont des contrats administratifs qui relèvent au contentieux des
juridictions administratives. La catégorie juridique des marchés publics est extrêmement vaste et c’est
le problème. Avec cette loi apparaît alors de nouveaux critères qui sont des critères formels. Mais ce sont
des critères dérangeant car les marchés publics c’est pas toujours des actes de gestion publique mais par
exemple des actes de gestion ordinaire.
PARAGRAPHE 1 : LE CRITERE ORGANIQUE
Pour qu’un contrat soit administratif, il faut en principe qu’au moins une des parties au contrat soit une
personne publique avec une particularité qui concerne les contrats passés par les assemblées parlementaires.
La question s’est posée de savoir si ces contrats des assemblées parlementaires étaient des
contrats administratifs ? Les assemblées parlementaires sont des organes constitutionnels et non
administratifs, or le juge administratif est le juge de l’administration et pas celui des pouvoirs publics.
Pendant longtemps, le CE a refusé de considérer l’activité parlementaire.
Puis, sous l’influence du droit communautaire, dans une affaire du parlement flamant, le CE a ensuite été amené à
revoir sa position et il l’a fait dans un arrêt du 5 mars 1999 « Président de l’Assemblée Nationale » : quand
ils passent des contrats, ils exercent une fonction de nature administrative. C’est à ce titre que le JA
peut en connaître.
La mise en œuvre du critère organique amène à distinguer deux cas de figure qui font difficultés : les contrats entre
personnes publiques et les contrats entre personnes privées.
A) LES CONTRATS ENTRE PERSONNES PUBLIQUES
Hypothèse fréquente depuis notamment les développements de la décentralisation.
On peut qualifier ces contrats de trois manières possibles :
- Puisque ce sont deux personnes publiques, il y a une égalité juridique entre ces personnes donc on peut
considérer que c’est nécessairement des contrats de droit privé, puisqu’il n’y a plus d’inégalité
entre les deux parties.
- On va considérer que dès lors qu’il y a deux personnes publiques, c’est forcément un acte de gestion
publique donc c’est nécessairement un contrat administratif.
- La présence de deux personnes publiques ne change rien et il faudra quand même aller regarder du côté
du critère matériel pour voir si c’est vraiment un contrat administratif.
La jurisprudence administrative paraît hésiter entre l’option 2 et 3. Elle a semblé pendant un temps opter
pour l’option 2 mais la mise en œuvre de celle-ci aboutit à des résultats qui ressemblent à l’option 3.
L’option 2 découle d’un arrêt du TC « UAP » de 1983 : un contrat entre deux personnes
publiques revêt en principe un caractère administratif. Le commissaire du gouvernement
Labetoulle expliquait qu’il y avait une présomption d’administrativité parce que le contrat est le
point de rencontre entre deux gestions publiques.
o Mais le TC nous dit qu’il y a des exceptions :dans le cas où eu égard à son objet, il ne fait
naitre entre les parties que des rapports de droit privé. Ce terme vise des situations tout à
fait exceptionnelles ou est ce que cette notion n’est que le reflet inversé du critère matériel ?
o Pour le commissaire du gouvernement, la présomption d’administrativité était une présomption
irréfragable : les contrats entre personnes publiques est un contrat administratif.
Le problème c’est que la jurisprudence semble s’éloigner de cette démarche présomptive. Dans un
certain nombre d’affaires, on voit le CE ou le TC rechercher si le critère matériel est rempli. On peut
citer un certain nombre d’arrêts en ce sens :
arrêt du TC de 1991, « Crous de l’académie de Nancy-Metz » : un office public d’HLM met à la disposition
du Crous avec un contrat l’utilisation d’un foyer de logement pour les étudiants. A priori contrat administratif puisque deux
personnes publiques au contrat. Or le TC va aller rechercher l’objet du contrat et dans cette affaire oui c’est un contrat
administratif parce que l’objet du contrat concerne l’exécution du service public du logement étudiant.
L’arrêt du TC de 1999, « Commune de Bourisp » : deux communes de montagne qui se cèdent une partie de leur
domaine skiable en vue d’installer sur la partie cédée un service de remontée mécanique. La commune qui cède le terrain prévoit
que ses habitants auront un droit d’utilisation sur les remontées mécaniques. Dans cette affaire le TC nous ressort le
considérant de principe de l’arrêt UAP mais il n’y a pas de rapport de droit privé car dans le contrat il y a une
clause exorbitante de droit commun. Donc c’est un contrat administratif.
Les hypothèses où la jurisprudence UAP à tenu pour acquis le fait que deux personnes publiques=CA sont
exceptionnelles.
La question qui se pose ici est de savoir s’il faut écarter les apparences juridiques pour s’en tenir à la
réalité sociologique de l’administration publique. Pour aller dans ce sens, il y a deux arguments :
- 1ère argument du droit communautaire : il assimile aux administrations publiques ce qu’il appelle les
organismes de droit public. Pour le droit communautaire, les organismes de droit public sont les
EP mais aussi les organismes de droit privé en charge d’une mission d’IG. Par exemple pour le droit
communautaire les sociétés anonymes qui gèrent des logements sont des organismes de droit public.
- Arrêt du 26 mars 1990, « AFPA » :Association pour gérer le service de la formation professionnelle des adultes. Le
contrat en question comportait des clauses exorbitantes. Pour autant, le TC a jugé que c’était une
personne morale de droit privé donc cela ne pouvait pas être un CA.
- Arrêt de 1972, TC, SNCF/Entreprise Solon et Barrault :en l’espèce, le contrat en cause a été conclu par la
SNCF qui avait le statut de société commerciale en vue de la réalisation de travaux publics (normalement application de
la loi du 28 Pluviôse an VIII). Le TC dit que c’est un contrat de droit privé puisque c’est une
société commerciale. Or, plus tard, la SNCF a été transformé en EP et depuis, les même
contrats de réalisation de travaux publics sont qualifiés par le juge de contrats
administratifs.
Cela dit, le principe défendu par la jurisprudence administrative repose sur de solides arguments :
Le premier argument est de dire que si le législateur a souhaité conféré à ses organismes un statut de droit privé
c’est pour leur permettre d’utiliser des procédés de gestion plus souple. Dire après coup que les contrats qui
passent sont des contrats administratifs irait à l’encontre de l’intention du législateur. Or le juge doit normalement
appliquer la loi et se conformer à l’intention du législateur
Et généralement, l’utilisation de PPP est liée au fait que la personne publique est en vérité la puissance publique.
Pas de transposition de la jurisprudence Monpeurt en matière contractuelle. Pour autant, le principe selon
lequel un contrat conclu entre deux personnes privées ne peut jamais être un CA connait des exceptions. Il y
a des contrats entre personnes privées qui vont être qualifiés de CA. Le problème c’est que la
doctrine n’est pas d’accord sur le nombre d’exceptions :
- La théorie du mandat :
Le mandat est un contrat par lequel une personne publique va demander à une personne privée de
passer un contrat en son nom. Le mandataire va donc représenter juridiquement la personne publique et va
donc agir au nom et pour le compte de la personne publique.
Dans cette hypothèse, on est donc en face d’un faux contrat de personne privée. Le contrat produit des effets à
l’encontre de la collectivité publique qui a consenti le mandat et c’est la responsabilité de la collectivité publique qui
pourra être engagée.
Le mandat est normalement prévu par les textes. Le code de l’urbanisme prévoit que l’Etat ou les CL peuvent
confier à des sociétés d’aménagement le soin de procéder pour leur compte à des acquisitions de terrain ou à des
acquisitions de travaux.
- Jurisprudence entreprise « Peyrot » :
Dans cette affaire, le TC a jugé que les marchés de travaux publics conclus par des sociétés d’autoroute qui
sont des sociétés de droit privé et qui sont normalement concessionnaires devaient être considérés comme
conclus pour le compte de l’Etat et à ce titre être qualifiés de contrat administratif.
Le TC a estimé que la construction des autoroutes est une mission qui appartient par nature à
l’Etat et on ne peut pas considérer que l’Etat ne soit pas le pilote de ce genre d’opération. Le TC a
observé qu’en pratique, les sociétés d’autoroute agissent en lieu et place des services de
l’Etat, lesquels continuent d’être présents soit parce que c’est l’Etat qui finance l’opération, soit
parce que l’Etat dirige sur le terrain les travaux.
Le TC nous dit que ces contrats doivent relever du régime des contrats administratifs pour permettre aux
sociétés d’autoroute de bénéficier des mêmes privilèges que ceux accordés aux personnes
publiques.
La jurisprudence entreprise « Peyrot » ne s’applique pas uniquement aux travaux autoroutiers, elle a été
étendue à d’autres types d’opération et en particulier aux travaux routiers ou à des travaux sur des
ouvrages d’art. C’est ce que révèle un arrêt du TC du 12 novembre 1984 « Société d’économie
mixte du tunnel routier de sainte marie aux mines ».
Mais cette jurisprudence paraît concerner d’autres contrats, en particulier les contrats conclus par les
sociétés d’aménagement urbain avec les entreprises privées : deux arrêts : CE, 1975 « Société
d’aménagement de la région Montpelliéraine », confirmé par le TC, 1975, « Commune
d’Agde ».
Une autre extension avec les contrats conclus par le crédit de France en vue de faciliter la
réinstallation de français qui étaient expatriés (1976, Dame Cula).
Dernier exemple : « Société Wanner, isophie, isolation », 1993, TC, à propos de contrats pour la
construction d’une centrale nucléaire.
Faut-il voir dans ces derniers arrêts une application de l’entreprise Peyrot ou autre chose ? Un troisième type d’exception ?
Une partie des auteurs estiment que ces trois arrêts doivent être rattachés à la théorie du mandat mais du
mandat tacite, c'est-à-dire que les sociétés en cause ne seraient pas titulaires formellement d’un contrat de
mandat mais le mandat serait tacite dans la mesure où on le déduirait des textes qui organisent la
mission de ces personnes morales de droit privé.
- Le cahier des charges en vu de la réalisation de ces travaux est fixé, déterminé par les services
de l’Etat eux-mêmes.
- Les travaux sont financés par les collectivités publiques, alors même que ces collectivités publiques
ne sont pas parties au contrat
- Une fois achevée l’équipement est remis en pleine propriété à la collectivité publique
Les règles du mandat s’appliquent aux mandats tacites mais ne s’appliquent pas à la jurisprudence entreprise
Peyrot. Cela veut dire qu’en cas de mandat tacite, la collectivité publique est réputée être partie au contrat
alors que dans le cadre de la jurisprudence entreprise Peyrot, la collectivité publique n’est pas réputée être
partie au contrat :
Ex : CE, 27 janvier 1984, « Ville d’Avignon » : Travaux pour l’aménagement d’une place, les travaux accomplis par une
entreprise privée ont été pour le compte de la ville d’Avignon. Contrat effectué, mais on s’aperçoit qu’il y a un certain nombre de
malfaçons et la ville d’Avignon décide de se retourner contre le constructeur et d’engager sa responsabilité contractuelle.Le CE
dit que la ville d’Avignon ne peut pas se retourner contre le constructeur car elle n’était pas partie
au contrat, elle n’était pas liée par un mandat.
PARAGRAPHE 2 : LE CRITERE MATERIEL
Il ne suffit pas qu’une personne publique soit partie au contrat pour que le contrat soit qualifié de contrat
administratif. Au critère organique la jurisprudence a ajouté un critère matériel qui consiste à démontrer
que le contrat en question est bien un acte de gestion publique, que son exécution soulève des questions qui
ne sont pas susceptibles d’être réglées par le juge judiciaire.
Il en va ainsi chaque fois que le contrat contient des clauses exorbitantes, ce qui témoigne de la
volonté des parties de se sortir du droit commun, d’insérer leurs relations dans un rapport de droit
public.
Et même s’il n’y a pas de clauses exorbitantes, le juge peut être amené à vérifier que
par son objet, par les missions que l’on confie au cocontractant, cela ne peut pas être
un acte de gestion privé, en particulier parce que le contrat va faire participer le
cocontractant à l’exécution même d’une mission de service public.
o Cette idée que le juge recherche ce qui témoigne de la gestion publique dans le contrat a été mise
en évidence par le commissaire du gouvernement Marceau Long dans ses conclusions sur l’affaire
Epoux Bertin du 20 avril 1956. Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement
explique que soit le contrat contient des clauses exorbitantes et donc la qualification
de contrat administratif s’impose, soit le contrat n’en contient pas et il faut
s’intéresser alors à l’objet du contrat.
Ce sont des critères alternatifs mais dans la plupart des cas ce sont des critères qui seront remplis
cumulativement.
A) LE CRITERE DE LA CLAUSE EXORBITANTE
Ce critère a été défini dans un arrêt de 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges. La
clause exorbitante est une clause que l’on ne retrouve pas dans les relations de droit privé
soit parce que ce serait incongru soit parce que c’est une clause inégalitaire qui accorde à
l’administration des privilèges, des pouvoirs particuliers.
L’existence de la clause exorbitante dans le contrat manifeste que les parties ont souhaité d’un
commun accord se placer sur le terrain du droit public et donc se soustraire à l’application du
droit commun des contrats.
Qu’est ce qui se passe quand la clause exorbitante est nulle ?
En tout état de cause, c’est au juge administratif et non au juge judiciaire, d’apprécier le caractère nul ou
irrégulier de ce type de clause.
Si le juge administratif décide que la clause n’est pas valide, dans bien des cas, si elle touche de trop près à l’objet du
contrat, cela entraînera la nullité du contrat lui-même.
1) LES CLAUSES EXORBITANTES : CLAUSES INHABITUELLES OU INEGALITAIRES
Il y a plusieurs types de clauses exorbitantes et on peut essayer de distinguer 3 cas de figure :
- Lesclauses qui n’ont pas leur place dans des contrats entre personnes privées parce qu’elles font référence à
la situation particulière de l’administration publique. C’est ce que l’on appelle les clauses inusuelles ou
inhabituelles.
Par exemple la clause qui prévoit que les créances liées à l’exécution du contrat seront
recouvrées par le procédé de l’Etat exécutoire c'est-à-dire un dispositif financier du droit
public qui veut que quand l’administration a une créance sur une personne privée, elle n’a pas besoin
de le poursuivre en justice, il lui suffit de lui adresser un commandement de payer. TC, 1950,
Pelaboeuf.
TC, 1999, Commune de Bourisp : les habitants de la commune qui vend le terrain pourront
avoir des tarifs préférentiels. Le TC y a vu une clause exorbitante aux motifs que c’était une clause
qui emportait des effets sur des tiers.
- Les clauses qui font peser des obligations particulières sur le cocontractant.
Par exemple, pour l’exploitant d’un restaurant d’ouvrir selon un horaire fixé par l’administration
durant la période des sports d’hiver ; Obligation pour le gérant de la salle d’assurer une certaine
fréquence des représentations ; obligation d’organiser certains types de spectacles ; obligation de
laisser la salle à la disposition de la commune pour l’organisation de diverses manifestations.
La question qui s’est posée au juge est de savoir si dès lors qu’il y a une clause de renvoi on doit considérer que
c’est une clause exorbitante ou au contraire faut-il aller regarder dans le cahier des charges comprend lui-même
des clauses de nature exorbitante ?
Le juge a hésité.
o Dans les années 60, le CE a jugé que la clause de renvoi valait clause exorbitante.
C’est notamment l’arrêt 1967, Roudier de Brille.
o En 1999, le TC est revenu sur cette disposition dans un arrêt UGAP et a jugé que la clause
de renvoi n’est une clause exorbitante que si le cahier des charges comprend
lui-même des clauses exorbitantes.
Dans la pratique, la plupart contiennent des clauses exorbitantes donc ce n’est pas grave mais elles n’en
contiennent pas toutes.
2) L’ELARGISSEMENT DU CRITERE DE LA CLAUSE EXORBITANTE : LE REGIME EXORBITANT
Ce critère a été dégagé par le CE dans un arrêt de 1973 « Société d’exploitation électrique de la
rivière du Sant ». Le CE juge qu’un contrat est administratif dès lors que les relations entre
l’administration et son cocontractant sont organisées par des textes mais textes qui ont pour
effet de les soumettre à un régime exorbitant de droit commun.
Ici était en cause un contrat conclu entre EDF et des petits producteurs d’électricité. Les petits
producteurs d’électricité se voyaient dans l’obligation de revendre leur électricité à EDF. En outre, le même texte
prévoyait qu’en cas de conflit entre EDF et ces petits producteurs, il fallait adresser un recours au ministre de
l’industrie. De ces textes législatifs, le CE a jugé que le contrat était un contrat qui baignait dans le
droit public. Le JA déduit que le contrat ne peut être qu’un contrat administratif.
Cette jurisprudence à trouver à s’appliquer une fois dans un arrêt de 1978 « Société Boulangerie du
Kourou ». Il s’agissait de contrats passés avec le centre national d’études spatiales. Le juge a dit que cela
ne pouvait être que des contrats administratifs.
Or il y a deux affaires où au contraire, le juge a estimé que les conditions n’étaient pas réunies :
o Un arrêt de 1993, « société centrale sidérurgique de Richemont », une administration d’Etat,
le service de la navigation fluviale avait assuré dans le cadre d’un marché de travaux la conception et la direction
des travaux de construction d’un ouvrage d’art qui permettait à des gazoducs de franchir la Moselle. A la suite
d’un accident de navigation, le service de la navigation a été appelé en garantie. Le problème c’est que le
règlement supposait de déterminer au préalable la nature juridique du contrat. L’affaire est portée devant le
TC. Le préfet explique qu’on a affaire à un contrat administratif parce que les conditions
d’application de la jurisprudence Rivière du Sant sont réunies aux motifs qu’il s’agit d’une opération
de travaux publics et que c’est une opération qui n’a été possible que parce que l’administration
d’Etat a autorisé l’occupation du domaine public. Le TC a rejeté cette argumentation en expliquant
que la société en question n’avait pas l’obligation légale de recourir aux services de
l’Etat et que l’arrêté d’occupation du domaine public ne prévoyait pas cette
obligationet deuxièmement il n’y a pas non plus d’obligation en cas de litige de le porter
devant la juridiction administrative. Le TC s’en tient exactement à la configuration de l’arrêt
de 1973 (Rivière du Sant), il ne cherche pas à aller plus loin.
o Ensuite, arrêt de 1999, « Commune de Sauve » à propos de savoir si le Code des marchés
publics constitue un régime exorbitant de telle sorte que tous les contrats passés dans le cadre
du code des marchés publics seraient des contrats administratifs. Réponse du TC :
non.
B) LE CRITERE DU SERVICE PUBLIC
Au début du 20ème siècle, la jurisprudence a considéré que tout contrat conclu pour l’exécution ou
pour les besoins d’un service public, était un CA.
Ce courant d’opinion a trouvé à s’affirmer dans un arrêt Therond en 1910 : tous les contrats
passés pour les besoins du SP sont des CA. Cette solution avait l’avantage de la simplicité et elle
pouvait s’appuyer sur tout un courant doctrinal qui était celui de l’école du service public.
Mais le problème c’est que cette jurisprudence aboutissait à une conception
extensive du CA car d’une certaine manière tous les contrats de l’administration
poursuivent un but qui est la satisfaction du SP.
C’est sur ce caractère que la jurisprudence va revenir très rapidement et c’est en rupture avec cet
arrêt Thérond que le CE en 1912 dans l’arrêt Société des granits porphyroïdes des
Vosgesnous dit que le critère du SP est marginal. Le juge ne va plus y faire référence.
Ce critère ne va revenir qu’à partir de la fin des années 50 dans deux arrêts : 20 avril 1956, Epoux
Bertin et 1956, Ministre de l’Agriculture c/consorts Grimouard. Ces deux arrêts
réactivent le critère du SP mais sur une base plus réaliste puisque le critère du SP vise non pas les
contrats concluent pour les besoins du service mais les contrats qui ont pour objet
l’exécution même du service.
Or cette distinction n’est pas toujours aisée à faire car en vérité tout va dépendre du contenu exact de la
mission du SP. Quand une administration, un hôpital, une maison d’arrêt chargent une société privée par contrat de
fournir des téléviseurs aux usagers du service public que sont les malades, les détenus, on est en face d’un contrat portant
sur l’objet même du service public ou simplement conclu pour les besoins du SP ?
La jurisprudence hésite ou en tous cas distingue selon le contenu ou l’objet du service lui- même. Pour
les hôpitaux, fournir des téléviseurs aux malades, il a jugé en 1994, dans un arrêt « Codiam » que
c’était un CA parce qu’il faisait participer le cocontractant à l’exécution même du service.
Par contre, dans les prisons, le TC dans un arrêt « Bergas » de 1998, a considéré que le même type
de contrat était un contrat de droit privé.
Cela dit, la jurisprudence Bertin conduit à illustrer, à mettre en avant 3 types d’hypothèses :
Par exemple les contrats concluent entre deux personnes publiques et qui visent à assurer ou à
coordonner leur mission. Ex : contrat conclu entre deux EP entre EDF et la compagnie nationale du
Rhône. Le TC en 1995 dans l’affaire Préfet d’Ile de France a jugé que c’était un CA.
- Les contrats par lesquels l’administration confie à un tiers l’exploitation d’un SP : ce que l’on
appelle les contrats de délégation de service public.
C’est notamment le cas de l’affaire Bertin de 1956. L’administration avait demandé aux époux Bertin
de s’occuper de réfugiés Soviétiques. La question qui se posait était de savoir quelle était la nature du contrat. Le
CE va juger en l’espèce que l’administration avait confié aux époux Bertin une mission relevant du
SP du rapatriement et que dès lors cela ne pouvait être qu’un CA.
L’une des questions est de savoir si l’activité est une activité de SP ? il y a parfois matière à hésiter. Par
exemple pour le lâcher de taureau, l’administration a jugé que c’était un SP.
- Les contrats par lesquels l’administration recrute des agents pour le fonctionnement des SP.
Pendant longtemps, la jurisprudence a été exagérément subtile. Elle distinguait entre les agents qui
faisaient directement participer ceux-ci au SP et ceux qui n’y participaient pas directement.Par
exemple, au CROUS, le cuisinier participait directement à l’exécution SP ; or la femme de ménage participait
seulement au besoin du SP.
La jurisprudence est revenue sur cette distinction dans une affaire célèbre qui est l’affaire Berkani
à propos d’une personne chargée du nettoyage dans un Crous, 25 mars 1996, où le juge a estimé
que dès lors qu’un agent était recruté dans le cadre d’une mission de SPA, ce sont des
agents publics donc le contrat est un CA.
Ce critère formel résulte de la loi MURSEF de 2001qui pose pour règle que les contrats passés par les
personnes publiques et qui sont soumis au code des marchés publics sont des contrats
administratifs par détermination de la loi c'est-à-dire que leur contentieux relève des juridictions
administratives.
Ce nouveau critère s’inscrit dans une logique de simplification du droit. Le problème c’est que le
législateur met en correspondance deux notions juridiques qui n’ont pas la même fonction :
- D’un côté, la notion de marché publicqui a pour vocation à obliger l’administration quand
elle passe un certain type de contrats à titre onéreux par lesquels elle commande des prestations à des
opérateurs privés des obligations de transparence, de publicité et de mise en concurrence des candidats
susceptibles d’être intéressés par cette commande publique. Le but est d’assurer l’égalité de traitement
entre opérateurs économiques.
- La notion de CA a une autre fonction : quand l’administration passe un acte qui relève plutôt de
la gestion publique, le contrat doit relever du juge administratif.
Au plan statistique, cela va faire tomber l’immense majorité des contrats de l’administration
dans le champ du droit public.
De ce critère formel, la notion de CA change mais c’est un faux critère formel car en vérité, le code des
marchés publics repose sur un critère organique (contrat passé par une personne publique) et matériel.
Est un marché public tout contrat par lequel l’administration se procure une prestation
moyennant un prix. On est presque revenu à la jurisprudence Thérond (tous les contrats passés pour
le besoin du SP est un CA). Donc on revient à une conception large du CA.
- Il y a aussi une rupture avec la logique de la jurisprudence Société des granits porphyroïdes des
Vosges car le caractère administratif du contrat tient à la volonté des parties (c’est les parties qui
acceptent d’insérer une clause exorbitante et de se placer sous un régime de droit public) alors qu’ici elles tombent
contre leur volonté sous la notion de contrat administratif.
- On pourrait dire que s’il en est ainsi c’est parce que le législateur ne fait qu’appliquer lajurisprudence
Rivière du Sant. Sauf que le TC en 1999, a précisément rejeté cet argument TC, 1999, Commune de
Sauve, rejette l’argument selon lequel des lors que le contrat est soumis au code des marchés
publics, il était administratif car soumis à un régime exorbitant du droit commun. Le TC a dit
qu’il n’y a pas régime exorbitant du droit commun notamment parce que le code des marchés publics n’a
pas d’incidence sur l’exécution du contrat. La loi prend aussi à contre pied ce critère du régime exorbitant.
La loi est venue casser la jurisprudence Commune de Sauve.
S’agissant de l’attribution des CA, elle n’obéit pas à des règles générales à la différence de
l’exécution des CA pour laquelle la doctrine a mis en évidence l’existence d’une théorie
générale du CA. On est aujourd’hui sur l’idée de l’application de législations spéciales en fonction
du type de contrat passé avec notamment une distinction fondamentale qui est la distinction entre les
marchés publics et les délégations de service public.
La doctrine de droit public à la suite de Gaston Jèze et dans le prolongement de l’école du SP a expliqué
que les règles applicables au CA n’avaient rien à voir avec les règles applicables aux contrats
de droit civil parce qu’elles étaient essentiellement justifiées parce que le contrat était conclu pour
les besoins du service public et que du coup il pesait des obligations particulières sur le
cocontractant de l’administration.Le droit applicable au CA relevait plus du droit des SP
que du droit des contrats au sens strict.
Il y a un courant de la doctrine qui a cherché à survaloriser l’autonomie juridique des contrats
administratifs par rapport aux contrats de droit civil en mettant en avant les prérogatives que
détient l’administration contractante et qui repose sur un triptyque : pouvoir de
contrôle et de sanction du cocontractant, pouvoir de modification unilatérale du
contrat, pouvoir de résiliation unilatérale du contrat. Prérogatives qui font un contrat à armes
inégales, ce qui a amené certains auteurs àdouter de la nature contractuelle du contrat administratif au
nom de l’idée qu’un contrat est dominé par le principe d’égalité entre les parties.
Hauriou écrivait à propos du CA : « cet acte de réquisition librement consenti ». Expression même d’un
pouvoir de contrainte pour les besoins du service auquel on adhère librement.
En dépit de ces prérogatives que l’administration ne peut utiliser qu’à certaines conditions, le contrat
administratif reste un engagement synallagmatique c'est-à-dire que l’administration est tenue au
respect des obligations contractuelles et elle engage sa responsabilité contractuelle si elle viole le contrat. Il
existe en DA, le principe de la force obligatoire du contrat.
Quelles sont les prérogatives reconnues à l’administration contractante et quels sont les droits que la jurisprudence reconnaît à son
cocontractant ?
PARAGRAPHE 1 : LES PREROGATIVES DE L’ADMINISTRATION CONTRACTANTE
Un contrat administratif est toujours conclu pour les besoins du SP. Le DA s’efforce de garantir
que ce contrat sera correctement exécuté par l’autre partie donc que l’administration puisse s’assurer de la
bonne exécution du contrat.
A ce titre, elle reconnaît à l’administration un certain nombre de pouvoirs qui lui permettront
de vérifier que le cocontractant exécute normalement le contrat. De manière plus originale, on
va également reconnaître à l’administration le pouvoir de modifier unilatéralement le contrat, ainsi que le
pouvoir de résilier unilatéralement le contrat.
A) LES PRIVILEGES DE L’ADMINISTRATION EN VUE D’ASSURER L’EXECUTION DU CONTRAT
Ces privilèges sont au nombre de trois :
1) LE POUVOIR DE CONTROLE ET DE DIRECTION
D’abord, l’administration a un pouvoir de contrôle de l’activité de son cocontractant et même
parfois de direction de l’activité de son cocontractant. Ce pouvoir est généralement prévu soit par
les clauses du contrat, soit par un texte extérieur au contrat.
Par exemple, dans le droit des travaux publics, l’administration a un pouvoir de direction du chantier qui est
organisé par le cahier des clauses administratives générales = modèle de document élaboré par
l’administration auquel l’administration quand elle contracte a la possibilité de se référer. Si
le contrat s’y réfère, les clauses du CCAG ont valeur contractuelle.
De la même manière, dans le droit des délégations du SP, il y a un certain nombre de dispositions qui placent
l’activité du cocontractant sous le contrôle de l’administration. Exemple : le code général des collectivités
territoriales, l’article L1411-3 prévoit que chaque année le délégataire doit rendre un rapport à l’autorité
délégante qui comporte la totalité des opérations liées à l’exécution du SP et une analyse de la qualité du service
rendu.
La question qui se pose est de savoir si même sans texte, ce pouvoir de contrôle et de direction existe ? La
doctrine incite plutôt à avoir une réponse positive autour de 2 éléments :
- l’un tiré du droit des SP et qui dit que l’administration qui est en charge de l’intérêt général ne
peut pas se désintéresser de l’exécution du SP même si elle l’a délégué
- L’autre tiré du droit des travaux publics qui considère que l’administration peut à tout moment
par un ordre de service prescrire à son cocontractant de refaire des travaux mal faits, de
faire des travaux supplémentaires ou de les modifier.
Le problème c’est que la jurisprudence n’a pas pu confirmer ce point de vue. Les arrêts que nous pouvons
citer sont des arrêts périphériques qui ne répondent pas directement à la question :
- Arrêt, 1948, Société de l’électricité et des eaux de Madagascar. Dans cette affaire, le juge a précisé
que l’administration pouvait voir sa responsabilité engagée en cas de non mise en œuvre de son
pouvoir de contrôle à l’égard d’un concessionnaire du SP.
En pratique, la question n’a que peu d’intérêt, car la plupart des contrats spécifie
expressément l’existence de ce pouvoir de direction et de contrôle.
2) LE POUVOIR DE SANCTION
L’administration a le pouvoir d’infliger des sanctions à son cocontractant quand celui-ci
méconnait ses obligations contractuelles ou quand il ne suit pas les instructions reçues.
Les sanctions sont généralement prévues par le contrat lui-même ou par un CCAG (cahier des clauses
administratives générales) et on parle alors de clause pénale. Les sanctions sont de deux ordres :
La réponse a d’abord été donnée par un arrêt de 1907 qui est l’arrêt Deplanque, qui a autorisé
l’administration contractante à saisir le juge pour lui demander d’infliger au
cocontractant des sanctions adaptées mais non prévues au contrat.
Cette jurisprudence Deplanque a aujourd’hui une portée relative d’abord parce que cet arrêt reposait sur
un raisonnement ambigu dans la mesure où l’arrêt est rendu sur les conclusions du commissaire du
gouvernement Romieu et celui-ci n’est pas très clair, il semble confondre deux institutions juridiques
très différentes : d’un côté l’action en DI (suppose un préjudice et l’indemnisation ne pourra que couvrir
le préjudice) et de l’autre le pouvoir de sanction (ne suppose pas de préjudice).
Le CE a précisé sa jurisprudence par un arrêt du 6 mai 1985, Office public d’HLM d’Avignon où
il reconnait que l’administration contractante a d’elle-même le pouvoir d’infliger des
sanctions non prévues par le contrat quand il s’agit toujours de trouver des sanctions
minorées pour tenir compte de la gravité moindre du cocontractant. Le CE nous dit dans
cette affaire que ce pouvoir de sanction relève des pouvoirs de coercition inhérent à tout contrat
passé pour l’exécution d’un SP.
Une des questions qui se pose au juge en la matière est de savoir si le juge peut moduler et revoir à la
baisse les sanctions prévues par le contrat quand leur application aboutit à un traitement
disproportionné, notamment quand leur application conduit à sanctionner beaucoup trop lourdement le
cocontractant. Pendant longtemps, le juge a refusé de moduler et de contrôler l’application des clauses
pénales. L’administration est revenue sur cette position en 2006 dans un arrêt SARL Serbois : il
revient au juge de moduler l’application des clauses pénales.
- Les sanctions coercitives qui vont se traduire par autre chose que des amendes
Les sanctions coercitives sont là pour pallier la carence du cocontractant. On est dans
l’hypothèse où le cocontractant est défaillant, il n’exécute pas le contrat. Dans cette hypothèse,
l’administration a la possibilité de confier l’exécution du contrat a une autre entreprise et de faire
exécuter le contrat aux risques et périls du premier cocontractant.
S’il y a un surcoût par rapport au coût prévu par le contrat, ce surcoût sera exigé du premier cocontractant.
Ce pouvoir de coercition est généralement organisé par le contrat lui-même et leur appellation
terminologique varie selon le type de contrat.
Dans les marchés de travaux, on parle de la mise en régie. Dans les marchés de fournitures, on parle de
l’exécution par défaut. Dans le droit des délégations de SP, on parle de la mise sous séquestre.
Le cocontractant n’est pas dépourvu de droits et peut notamment faire valoir en cas de
dépassement du coût que la nouvelle entreprise a commis un certain nombre de fautes
ou négligence.
La jurisprudence a jugé d’autre part que l’exercice du pouvoir de sanction ne fait pas obstacle a la
possibilité reconnue à l’administration de se pourvoir devant le juge pour réclamer une
indemnisation des préjudices subies. Il y a une sorte de droit d’option. C’est ce que rappelle le
CE, dans un arrêt de 1983, Société Pro-pétrole
Une partie de la doctrine a longtemps contesté l’existence de ce pouvoir en expliquant que si on allait
dans ce sens, on ruinait la dimension contractuelle du CA.
Ce pouvoir est classiquement illustré par un arrêt de 1910 qui est l’arrêt Compagnie générale
des tramways de Marseille. Dans cette affaire, le CE a admis la possibilité pour
l’administration contractante d’exiger la modification unilatérale d’une concession de
tramways et admis notamment la demande de l’administration d’exiger de son concessionnaire qu’en
période d’été, il mette plus de lignes en service et plus de wagons pour pouvoir transporter plus de
voyageurs.
Le CE avait donné raison à l’administration car il en allait de la réalisation du SP.
- La portée de cet arrêt a été contestée par un certain nombre d’auteurs qui faisaient valoir qu’en l’espèce
dans l’affaire de 1910, le pouvoir reconnu à l’administration reposait non pas sur le contrat
mais sur un texte extérieur au contrat, un décret qui prévoyait que le préfet pouvait exiger
des concessionnaires une augmentation du nombre de rames.
- Un autre courant de la doctrine explique que le CE avait bien dégagé une nouvelle règle générale
applicable à tous les contrats administratifs.
Le débat a duré jusqu’en 1980 et il a été réglé par le CE en 1983 dans l’arrêt Union des transports
publics urbains et régionaux. Dans cette affaire, était contesté devant le CE un décret qui attribuait à
l’administration dans le cadre des délégations de SP du transport un pouvoir de modification unilatérale des conditions
d’exécution du contrat. Recours rejeté par CE en relevant que le gouvernement en adoptant ce texte s’est
borné à faire application des règles générales applicables au CA.
Ce pouvoir de modification unilatérale est ouvert à l’administration pour tenir compte de considérations
liées à l’intérêt général et notamment pour adapter la prestation ou les obligations contractuelles aux besoins des
usagers.Ce type d’arguments avait déjà été mis en avant dans une affaire plus ancienne dans un arrêt de
1902, Compagnie nouvelle de Deville lès Rouen. Le CE a admis le droit de la commune de
rompre le contrat qui l’a lié à une compagnie gazière au motif que cette dernière ait refusé
de faire évoluer sa prestation.
Généralement, la question de savoir si ce pouvoir de modification existe de plein droit est une question
théorique car la plupart des contrats le prévoient et organisent les conditions d’organisation du
cocontractant en ce sens. L’une des contreparties de ce pouvoir de modification unilatérale est le maintien
de l’équilibre financier du contrat :le cocontractant a droit à être indemnisé du préjudice
subi à raison des charges nouvelles qui pèsent sur lui.
L’une des questions qui se pose en doctrine est de savoir sur quoi finalement reposer ce pouvoir de modification
unilatérale ?
C’est un pouvoir extérieur au contrat qui justifie ce pouvoir de modification unilatérale : c’est le pouvoir
général d’organisation des services publics. L’idée est que l’administration concédante ne
peut pas se désintéresser des SP car elle garde la haute main sur le service.
o Cette explication amène certains auteurs à considérer que ce qui peut être modifié tient uniquement
aux clauses qui intéressent le fonctionnement du service, ce qui signifie a contrario que les clauses financières,
celles qui concerneraient la rémunération du cocontractant seraient intangibles.
o Même si cette opinion doctrinale est admise, les choses sont plus complexes et il faut distinguer
selon la nature du contrat :
- Si c’est un marché public, généralement la rémunération du cocontractant est constituée d’un prix et ce
prix est généralement forfaitaire et à ce titre, il est intangible.
Sauf que tout dépendra en vérité de l’importance de la modification demandée. Quand la
rémunération du cocontractant est assurée par un tarif payé par l’usager, la clause financière intéresse aussi
l’organisation du service.
L’administration n’a pas le pouvoir de renoncer par une clause contractuelle à ce pouvoir de
modification unilatérale. Toute clause qui prévoirait ce type de pouvoir est nulle. Ce pouvoir,
l’administration ne le détient pas en tant qu’un droit objectif, en tant que partie au contrat mais c’est un
pouvoir qu’elle tient de sa responsabilité plus large qui est d’organiser les services publics.
Ce pouvoir peut être aménagé par les textes.
Dans les marchés de travaux, il est prévu que le titulaire du marché de travaux n’est tenu d’exécuter des travaux nouveaux
que dans la limite du 10ème de la masse globale des travaux.
Enfin, les modifications trop importantes sont interdites, notamment celles qui aboutiraient
à bouleverser l’économie générale du contrat.
Dans ce cas là, on est face à 2 situations : le cocontractant peut demander au juge la résiliation du
contrat ; quand l’administration procède à des modifications trop importantes, l’administration
esttenue de renégocier le contrat et elle est tenue de remettre en concurrence, y compris
quand le cocontractant serait d’accord pour la modification.
C) LE POUVOIR DE METTRE FIN AU CONTRAT : LA RESILIATION UNILATERALE
On est dans une situation assez paradoxale car autant les pouvoirs de modification du contrat étaient contestés par la
doctrine, autant ce pouvoir de résiliation unilatérale n’a jamais été remis en cause. Ce pouvoir existe dans deux
hypothèses très différentes. Dans les deux cas, l’existence de cette prérogative dispense l’administration
de saisir le juge pour prononcer la résolution du contrat. Il y a des hypothèses où l’administration aura
intérêt à saisir le juge pour obtenir la résiliation du contrat.
1) LA RESILIATION UNILATERALE A TITRE DE SANCTION
C’est un pouvoir exorbitant qui se rattache au pouvoir général de sanction.
o La résiliation constitue la réponse appropriée aux manquements les plus graves du cocontractant.
Ces manquements sont généralement tout ce qui porte atteinte à la continuité du service public,
l’arrêt des travaux ou encore le manquement à des obligations particulièrement strictes qui portent
atteinte au pouvoir d’organisation du SP de l’administration (ex du cocontractant qui cède le contrat
à un tiers : la cession de contrat est soumise à l’autorisation de l’administration contractante et si la
cession a lieu sans que l’administration l’ait autorisé, une des sanctions c’est la résiliation du
contrat.)
o La jurisprudence admet que la résiliation du contrat peut être prononcée pour des manquements
par le cocontractant à ses obligations financières. Deux arrêts qui illustrent cet
élargissement :
- Un arrêt du CE de 1988 « Société d’étude et de réalisation des applications du froid ».Un contrat
est passé pour l’exploitation d’une patinoire et d’un parking souterrain. L’entreprise privée est chargée d’assurer une
partie du financement de cette construction. Elle doit obtenir un certain nombre d’emprunts auprès des banques. Les
banques n’accordent pas les emprunts attendus. La situation financière se dégrade, retard et arrêt du chantier. La
résiliation est prononcée par l’administration et le juge considère que c’est à bon droit que
cette résiliation a été annoncée.
- Arrêt « Copel », 1991, à propos d’un exploitant d’une remontée mécanique qui expliquait à la commune que
l’exploitation de ce service était déficitaire et qu’il ne pouvait pas s’acquitter des obligations financières prévues. La
commune décide de mettre fin au contrat de manière unilatérale et le juge lui reconnait ce
pouvoir.
o Arrêt de 1991, « Département de la Haute Loire » :une convention est passée par un département
en vue de concéder l’exploitation d’un hôtel restaurant sur un site touristique. Après plusieurs années
d’exploitation, le département décide de mettre fin à la concession en se prévalant de différentes fautes du
cocontractant. L’affaire vient devant le juge, le cocontractant explique qu’il a commis des manquements mais
qu’il n’est pas le seul à avoir manqué au contrat. Le tribunal nomme un expert et le rapport fait apparaître que le
concessionnaire n’a pas disposé de tous les moyens nécessaires à une exploitation normale. Au vu de ces éléments,
le Conseil d’Etat juge que les manquements reprochés au concessionnaire ne présentent pas un caractère de
suffisante qualité justifiant une résiliation sans indemnité.Le CE prononce la résiliation du contrat
mais aux torts exclusifs du département, ce qui a pour effet de renverser la charge de
l’indemnisation donc d’engager la responsabilité contractuelle de l’administration.
Les contrats contiennent le plus souvent des clauses qui attribuent le pouvoir à l’administration de
prononcer la résiliation du cocontractant.
La question qui se pose est de savoir si le pouvoir existe quand le contrat n’a rien prévu ?
- En particulier, dans un arrêt de 1983, « SARL Comexp » : le contrat prévoyait bien l’existence
d’un pouvoir de résiliation unilatérale mais donnait une liste limitative des motifs susceptibles de justifier
cette résiliation unilatérale. Or en l’espèce, l’administration décide de rompre le contrat à la suite de divers
événements et incidents mais qui ne correspondent pas à la liste établie par le contrat. L’affaire vient
devant le JA et il explique que la circonstance que le contrat ait énuméré une liste ne
prive pas l’administration de prononcer la résiliation dans d’autres circonstances
parce que le pouvoir de résiliation unilatérale ne découle pas du contrat mais des
règles générales du CA, fondées sur le pouvoir d’organisation du service qui est
extérieur au contrat.
Ce pouvoir est encadré de manière procédurale c'est-à-dire que la résiliation unilatérale doit toujours
être précédé d’une mise en demeure du cocontractant qui doit donc être amené à s’acquitter de ses
obligations, et si cette mise en demeure reste sans effets, elle est amenée à résilier le contrat.
En matière de concessions de SP :
Il faut apporter une protection particulière à ces entreprises, et c’est ce que fait la jurisprudence qui
dit qu’à défaut de clause contractuelle prévoyant la résiliation sanction, (en matière de
concession, on parle de déchéance) l’administration ne peut pas de plein droit
prononcer la résiliation unilatérale du contrat. Elle doit s’adresser au juge en vue
d’obtenir cette résiliation.
Le contrat peut organiser l’exercice du pouvoir de résiliation, c’est ce qu’a rappelé le CE dans
un arrêt de 2001, « Syndicat intercommunal de Guzet-Neige ».
En matière de concessions, la doctrine a commencé à expliquer que ce pouvoir n’existait pas parce qu’il
fallait protéger les intérêts financiers du concessionnaires.
Cette thèse a été démentie par la jurisprudence et notamment par un arrêt du CE du 2 février « TV6 »à
propos de la résiliation par l’Etat du contrat liant l’Etat à la première chaine musicale. Réponse CE : il appartient
à l’autorité concédante en vertu des règles générales applicables au CA de mettre fin à long
terme à un contrat de concession pour des motifs d’intérêt général justifiant que
l’exploitation du service soit abandonnée ou soit établie sur des bases nouvelles.
Le CE a rendu un arrêt « Sofap Marignan » : cette affaire concerne un contrat conclu par une commune sur le
fondement d’une loi qui autorisait les collectivités territoriales à passer des baux emphytéotiques. C’était une innovation
législative parce que normalement sur le domaine public, les occupants ne peuvent pas être titulaires de droits réels. On a
une loi qui prévoit que sur le domaine public, les collectivités territoriales pourront passer des baux
emphytéotiques. L’idée est de donner aux occupants du domaine public des garanties équivalentes à celle donnée par le
droit privé aux investisseurs ce qui exclut toute résiliation unilatérale du contrat. Le problème c’est que la loi
nous dit que ce sont des contrats dont le contentieux relèvera des juridictions administratives et donc c’est un
contrat par détermination de la loi. Le CE y conclut alors que le législateur a aussi voulu que s’y applique
le régime général des CA et en particulier la possibilité pour l’administration contractante de
s’attribuer dans le contrat un pouvoir de résiliation unilatérale.
Cela dit, ce pouvoir exorbitant de résilier unilatéralement le contrat n’est pas reconnu uniquement par le
juge administratif. D’autres juridictions que le juge administratif l’admettent :
- Tout d’abord le conseil constitutionnel l’a admis dans une décision du 18 janvier 1985 : il a estimé à
propos des contrats d’association conclus entre les communes et les établissements scolaires d’enseignement privé que la CT
pouvait résilier unilatéralement le contrat. Principe conforme aux règles des CA
- La CEDHdans une affaire des raffineries grecques, la cour a admis que dans les contrats où l’Etat est partie, celui-ci
peut prévoir ou peut exercer un pouvoir de résiliation unilatérale pour tenir compte d’exigences d’intérêt général qui
doivent primer sur la stabilité des situations contractuelles. Cela dit, ce pouvoir de résiliation est donc
reconnu mais toujours soumis à un motif légitime. Il doit s’appuyer sur des considérations d’intérêt
général et il va appartenir au juge de contrôler la validité de ce motif.
Quelques exemples :
- L’arrêt de 1987, Société TV6,à la demande du législateur, réorganisation du SP de l’audiovisuel. Dans cette
affaire, la loi n’avait pas encore été adoptée. Le CE considérait que la réforme était suffisamment avancée pour
justifier la rupture du contrat.
- CE, 1996, Société des téléphériques du massif du Mont Blanc.Il s’agissait d’une société qui était
concessionnaire d’un domaine skiable qui fait l’objet d’une modification de son capital social et qui voit arriver dans son
capital social la commune voisine en tant que principal actionnaire, d’où risque de conflit d’intérêt dans la mesure où les
2 domaines skiables sont concurrents. Le CE admet que la commune puisse résilier le contrat
unilatéralement au regard de ce conflit d’intérêt.
- Arrêt Sellier de 1963 :les considérations d’intérêt général tiennent à la bonne gestion du domaine public et
notamment en l’espèce, au refus du titulaire d’une convention d’occupation du domaine public de payer
une redevance plus élevée.
- Arrêt du CE de 1996, Coisne : le juge admet la résiliation du contrat en raison d’irrégularités
dans la rédaction de certaines clauses.
Que se passe-t-il quand le juge estime que le motif n’est pas légitime ?
Quand le motif n’est pas légitime, le juge n’a pas le pouvoir d’annuler la mesure de résiliation sauf en
matière de concession et sauf dans les contrats où le cocontractant a réalisé des investissements non encore amortis. Ce qu’il
peut faire c’est se placer sur le terrain du contentieux indemnitaire, de la responsabilité de l’administration
pour faute et donc indemniser le cocontractant du préjudice subi.
De toute manière, en cas de rupture pour motif d’intérêt général, le cocontractant a droit à
l’indemnisation du préjudice subi et comme on ne peut pas indemniser plus que le préjudice subi, le fait que
la résiliation soit illégale ou pas, cela ne change rien.
o Ce cas de figure peut être illustré par l’arrêt de 2008, Syndicat mixte de la région de Pic
Saint Loup : contrat conclu entre une commune et un syndicat intercommunal relatif au SP de la distribution
d’eau, par lequel le syndicat intercommunal achète de l’eau à une commune. Ce contrat est conclu sans terme, on
ne sait pas quand il s’arrête et le problème c’est que le contexte économique va évoluer par rapport où la date a
été conclu et les tarifs ne sont pas les mêmes. Une des parties s’inquiète du caractère inadapté de ce contrat. Elle
saisit donc le juge pour faire constater le bouleversement économique du contrat.
Le JA va faire droit à la demande, il va résilier le contrat en rappelant qu’il lui appartient de résilier le
contrat pour bouleversement de l’équilibre contractuel ou pour motif d’intérêt général et que
cette résiliation n’ouvre droit à aucune indemnisation au cocontractant.
L’administration peut avoir tout intérêt à ne pas utiliser son pouvoir de résiliation unilatérale et on ne peut pas lui
opposer lajurisprudence du Préfet de Leure.
PARAGRAPHE 2 : LES DROITS DU COCONTRACTANT
Ce cocontractant a des garanties de nature financière qui reposent sur un principe mis en avant par Léon
Blum commissaire du gouvernement dans ses conclusions sur l’arrêt du CE, Compagnie générale des
tramways de Marseille ; qui met en avant l’équation financière du contrat ou encore l’équivalence honnête
des prestations.
A) DES GARANTIES ESSENTIELLEMENT FINANCIERES
Le cocontractant a peu de moyens de ripostes face à l’administration, notamment quand
l’administration fait usage de ses pouvoirs exorbitants que sont la modification unilatérale du contrat ou
la résiliation unilatérale du contrat ou encore les pouvoirs de sanction.
Cette jurisprudence est une jurisprudence ancienne, notamment rappelé par un arrêt du 10 mars
1963 « Société coopérative agricole de production : la prospérité fermière ».
o Cette impossibilité vaut également devant le juge des référés qui n’a pas le pouvoir de
prononcer la suspension de ce type de mesures. Solution illustrée par un arrêt de 2002 : « Société
eurovia méditerranée »à propos du refus d’administration dans un marché de travaux publics d’agréer un
sous-traitant. !
Cette impossibilité est assez paradoxale puisque dans la distinction des contentieux qui existent en DA, il y a
ce qu’on appelle le recours pour excès de pouvoir et de l’autre le recours de pleine juridiction ou
de plein contentieux où le juge est censé avoir les pleins pouvoirs et le contentieux contractuel relève
du plein contentieux ; or il ne peut pas annuler les mesures relevant du contrat.
C’est une solution contestée en doctrine et au sein même de l’administration : l’arrêt de 1963(Société coopérative
agricole de production : la prospérité fermière » a été rendu sur les conclusions contraires du commissaire du
gouvernement Breibant. La question est de savoir quelle est la justification de cette solution ? Les auteurs sont
assez démunis pour donner une explication dans la mesure où la jurisprudence ne donne pas d’explications. L’idée
dominante serait que le juge ne veut pas s’immiscer dans la relation contractuelle, dans la gestion d’un
SP.
Cela dit, même ce fondement est assez fragile car il
- repose sur des considérations de bon sens.
- Ensuite, parce qu’il existe un certain nombre d’exceptions (le juge va accepter de prononcer des mesures
d’annulation). Le problème se complique dès lors qu’on sait que la jurisprudence administrative admet un
certain nombre d’exceptions à cette règle et les mesures de résiliation unilatérale visant certains
types de contrat peuvent faire l’objet d’une annulation par le juge du contrat.
Cette jurisprudence a été inaugurée par le CE, 1905, « Compagnie départementale des eaux » à
propos des concessions de SP. Ce type de contrat amène le cocontractant à faire de lourds investissements.
Investissements qui ne seront amortis que sur le long terme. En cas de rupture anticipée du contrat, il y a
des chances que les investissements lourds n’aient pas été amortis. Compte tenu du risque supporté
par le cocontractant, la jurisprudence admet que le juge puisse prononcer l’annulation de la
mesure de résiliation. Cette exception poursuit deux préoccupations : garantir les droits du
cocontractant ; protéger les finances de l’administration.
A défaut de pouvoir demander l’annulation des mesures prises par l’administration contractante, le
cocontractant va pouvoir engager la responsabilité contractuelle de l’administration. Il en ira
ainsi dans deux cas de figure :
- Quand l’administration viole ses obligations contractuelles
- Ou encore quand l’administration fait une utilisation abusive des prérogatives de puissance
publique qui lui sont reconnus dans le cadre de l’exécution du contrat (quand le motif n’est pas
légitime).
Par contre, devant le JA, le CE a développé un système inédit de responsabilité contractuelle sans fautequi
amène l’administration à garantir à son cocontractant l’équilibre financier du contrat.
B) LE DROIT A L’EQUILIBRE FINANCIER DU CONTRAT
L’administration peut remettre en cause l’équilibre financier du contrat par un certain nombre de décisions
qui vont affecter les conditions d’exécution du contrat. Dans ce cas là, le cocontractant va avoir droit à la
réparation intégrale des charges nouvelles qui pèsent sur lui.
La JA a également admis que le cocontractant de l’administration peut avoir droit dans une certaine
mesure à l’équilibre financier du contrat lorsque des évènements extérieurs à
l’administration et imprévisible entraînent un bouleversement dans l’économie du contrat.
Dans ce cas, le cocontractant a le droit à la compensation incomplète de ses charges imprévisibles.
Ce droit à l’équilibre financier du contrat couvre deux types de situation : le droit à la réparation intégrale des
charges nouvelles nées de la décision de l’administration et le droit à la réparation incomplète des charges
imprévisibles. C’est ce que l’on appelle la théorie de l’imprévision.
1) LE DROIT A LA REPARATION INTEGRALE DES CHARGES NOUVELLES NEES DE LA DECISION DE
L’ADMINISTRATION
Il est admis que pour des motifs d’intérêt général, que l’administration peut porter atteinte à
l’équilibre financier du contrat c'est-à-dire aggraver de manière très substantielle, les charges
qui pèsent sur son cocontractant, en particulier quand l’administration va par l’utilisation de son
pouvoir de modification unilatérale faire supporter sur son cocontractant des charges nouvelles.
o La difficulté est que le périmètre de ce droit à réparation est affecté d’un coefficient
d’incertitude relativement fort au sens où d’abord les arrêts sont peu nombreux, et au sens où les
auteurs ne sont pas tout à fait d’accord sur le type de décision prises par l’administration qui vont
avoir un effet sur le contrat et qui en conséquence ouvrent droit à réparation.
L’hypothèse la plus simple c’est celle de la modification unilatérale des clauses du contrat. Mais il y a
d’autres décisions prises par l’administration qui peuvent avoir des effets sur le contrat ? Dans quelle mesure le
cocontractant pourra être indemnisé ? Ce n’est pas très clair car les auteurs se contredisent et font appel à la
théorie du fait du prince qui est l’une des plus confuses du DA.
Il faut partir d’une double distinction : la distinction selon l’autorité qui prend une mesure qui va avoir un
effet sur le contrat ; la distinction qui repose sur l’objet de la décision administrative : vise-t-elle
directement le contrat ou n’a-t-elle qu’un effet indirect sur le contrat ?
A) LA RUPTURE DE L’EQUILIBRE FINANCIER DOIT RESULTER DE L’ADMINISTRATION
CONTRACTANTE
Cette précision est nécessaire car une partie de la doctrine range dans la théorie du fait du prince les hypothèses où
les charges nées de l’exécution du contrat vont se trouver aggravées par la décision d’une autorité publique autre
que celle partie au contrat. Ainsi, il n’est pas rare qu’une loi ou qu’un règlement prohibent l’utilisation de certains
produits et de ce fait vont avoir une incidence sur l’exécution du contrat conclu par d’autres collectivités publiques.
Dans ce cas, il faut distinguer entre les contrats passés par l’Etat et les contrats passés par les autres collectivités
publiques :
- S’agissant des contrats des collectivités territoriales, la responsabilité de l’autorité contractante ne
pourra d’aucune manière être engagée du fait d’une décision de l’Etat qui viendrait
bouleverser l’économie du contrat. C’est ce que confirme un arrêt de 1971 « Compagnie du
chemin de fer de Bayonne à Biarritz ».Dans cette affaire, le concessionnaire d’une ligne départementale de
chemins de fer avait demandé au département d’être indemnisé d’un certain nombre des conséquences financières d’une
décision du gouvernement Français qui pendant la 2nde guerre mondiale l’avait obligé à assurer des transports gratuits. Le
CE estime qu’il n’y a pas la possibilité d’engager la responsabilité sans faute du département.
Pour autant, dans ce type d’affaires, le cocontractant dispose d’autres voies pour obtenir l’indemnisation
qu’il espère :les conditions de la théorie de l’imprévision peuvent être remplies et l’extériorité n’est pas
un obstacle à la théorie de l’imprévision, ou le cocontractant peut exercer une action en indemnité mais
fondée sur la responsabilité extracontractuelle de l’Etat soit pour faute soit sans faute.
- S’agissant des contrats de l’Etat, puisque l’Etat est partie au contrat, il peut voir sa responsabilité
engagée, du fait d’une mesure législative ou réglementaire dès lors que cette mesure
toucherait l’objet même du contrat. On rejoint une solution plus générale qui veut que la rupture de
l’équilibre financier résulte d’une décision qui affecte l’exécution même du contrat.
B) LA RUPTURE DE L’EQUILIBRE FINANCIER RESULTE D’UNE DECISION QUI AFFECTE
L’EXECUTION MEME DU CONTRAT
Selon les auteurs, on va trouver des présentations différentes. Il faudrait distinguer selon que
l’administration agit sur le fondement de ses pouvoirs contractuels, ou au titre d’autres pouvoirs que
ceux qu’elle tiendrait du contrat, par exemple pouvoir réglementaire ou pouvoir législatif. Cette
distinction est artificielle.
Cela dit, ce principe de l’équation financière touchant à l’objet même du contrat connait deux
exceptions :
o Quand le contrat est conclu pour une durée indéterminée, le juge admet que l’administration puisse
en prononcer la résiliation sans indemnité au nom de l’intérêt général. (Logique arrêt Pic
saint Loup).
La mesure qui touche l’objet même du contrat peut être aussi bien générale qu’individuelle. L’arrêt
Distillerie Magnac Laval illustre le cas d’une mesure réglementaire. On a même des arrêts plus
anciens qui illustrent le cas où la mesure qui touche l’objet même du contrat est uneloi ou un
décret-loi : ex, arrêt de 1909, Zerla Badine » : des militaires titulaires d’un contrat d’engagement avec
l’Etat ont obtenu une indemnisation du fait de la résiliation de contrat qui les liait à l’Etat, résiliation découlant
d’une loi qui avait porté dissolution le corps d’armées auxquels appartenaient ces engagés. Le juge admet
l’indemnisation du cocontractant alors même que c’est le fait d’une mesure générale.
A l’inverse, quand la décision de l’administration contractante a seulement pour effet de rendre plus
difficile l’exécution du contrat, l’indemnisation est généralement refusée. Les hypothèses où les
règlements administratifs vont affecter l’exécution du contrat vont être extrêmement fréquentes :
Ex : arrêt du CE de 1983, « Société du parking du square Boucicault » :la société était titulaire du contrat
portant concession d’un parking souterrain. Elle avait donc conclu ce contrat avec l’administration au vu de prévision de
fréquentation de ce parking souterrain qui lui avait amené à définir un tarif. En cours d’exécution du contrat, l’autorité de police
avait modifié la réglementation du stationnement en surface, d’où plainte, recours de la société concessionnaire qui explique que
comme on a favorisé le stationnement en surface, c’est la gestion du parking qui en subit un contre coup. Règlement de police a
modifié les mesures d’exécution essentielle du contrat. Affaire devant CE qui répond que la modification d’un règlement
de police est un aléa normal auquel doit s’attendre à être exposé n’importe qui y compris concessionnaire
parking souterrain et donc concessionnaire n’a droit à aucune indemnité car la mesure n’affecte pas
l’objet même du contrat mais a seulement effet sur ses conditions.
Ce type de raisonnement appliqué à des mesures générales peut aussi s’appliquer à des mesures individuelles.Arrêt
de 1898 « Gilles et Bellet » :Entreprise de travaux publics qui avait conclu un contrat avec l’Etat. Il employait des ouvriers
de nationalité étrangère. L’Etat prend la décision d’expulser tous les ouvriers étrangers employés par cette entreprise. Celle-ci se
retourne contre l’Etat et lui demande de l’indemniser. Le CE rejette le recours en expliquant que cela ne touche pas à l’objet même
du contrat.
Ces solutions ne valent que dans la mesure où le contrat n’a rien prévu, si les clauses du contrat
prévoient qu’en cas de résiliation, de modifications qui touchent aux conditions d’exécution du contrat il y
aura indemnisation, c’est le contrat qu’on appliquera.
2) LE DROIT A LA COMPENSATION INCOMPLETE DES CHARGES IMPREVISIBLES : LA THEORIE DE
L’IMPREVISION
La théorie de l’imprévision va concerner des contrats qui vont s’exécuter dans le temps et notamment les
concessions de SP. Cette théorie de l’imprévision a été dégagée par la jurisprudence dans un arrêt de 1916
« Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux/ Affaire du gaz de Bordeaux » : le CE dit que
lorsque surviennent des événements imprévisibles qui vont entraîner un bouleversement dans
l’économie du contrat et qui empêchent son exécution dans les conditions prévues initialement,
l’administration contractante doit verser à son cocontractant une indemnité dite d’imprévision qui
vont lui permettre de faire face aux pertes subies et donc de poursuivre l’exécution du contrat.
Cette indemnité d’imprévision a plusieurs caractéristiques :
- Elle ne couvre que de manière partielle les pertes subies par le cocontractant.
- Les événements qui sont à l’origine de cet état d’imprévision sont extérieurs à l’administration.
- Elle est provisoire. L’imprévision n’est pas la force majeure. Comme la force majeure, l’imprévision est
imprévisible, extérieure aux parties ; mais à la différence de la force majeure, l’imprévision ne doit pas être
irrésistible, on doit pouvoir lui résister.
Si cet état perdure trop longtemps, on va estimer que le contrat ne reviendra jamais comme initialement et
la solution qui s’ouvre est la résiliation du contrat dans le cadre de la force majeure administrative.
Deux arrêts importants : Arrêt de 1916, Gaz de Bordeaux : sur la théorie de l’imprévision et Arrêt de 1932,
Compagnie des tramways de Cherbourg : sur les prolongements de la théorie de l’imprévision et la mise en
œuvre de la force majeure administrative.
La théorie de l’imprévision a été une innovation juridique considérable puisque d’une certaine manière, elle
tenait en échec le principe d’intangibilité des clauses du contrat et le juge judiciaire a pendant
longtemps repoussé ce type d’analyse.
La chambre commerciale de la cour de cassation, le 3 novembre 1992 dans l’affaire Huard, a
développé une construction jurisprudentielle qui ressemble à l’imprévision. La seule différence
est que la cour de cassation s’est appuyée sur la bonne foi pour faire en sorte que le cocontractant le plus
puissant aide le plus faible. S’il y a la considération de la bonne foi, on est dans la responsabilité pour
faute. A l’inverse, le DA ne repose pas sur cette idée, ce qui est en cause, ce sont des éléments
extérieurs au contrat, la continuité du SP et donc la théorie de l’imprévision est un régime de
responsabilité plutôt sans faute.
On retrouve ici une loi qui est la loi des 16 et 24 août 1790qui va poser le principe de séparation des
autorités administratives et judiciaires. Ce principe va entraîner des difficultés redoutables qui vont entrainer
la création d’un ordre juridictionnel distinct et spécifique à l’administration publique. Etant entendu que le
principe de séparation des ordres administratif et judiciaire interdisait que les deux ordres aient des relations.
Quelle est la légitimité de cet ordre juridictionnel distinct ? Cette juridiction administrative a des liens très étroits
avec l’administration active.
Ce principe est issu de la loi des 16 et 24 août 1790 qui nous dit « les fonctions judiciaires sont distinctes et
demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront à peine de forfaiture troubler de quelque
manière que ce soit les opérations des corps administratifs ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs
fonctions. »
o De ce texte, les contemporains vont conclure que les juridictions judiciaires ne peuvent pas
contrôler l’activité de l’administration.
o C’est une interprétation excessive car l’analyse exégétique du texte ne conduit pas à cette
conséquence.
- « Les juges ne pourront à peine de forfaiture troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps
administratifs » renvoie seulement au pouvoir du juge qui est le pouvoir d’injonction.
- « Ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions » veut dire qu’il n’y a pas de possibilité de
poursuites pénales contre les administrateurs.
Mais ce texte va faire l’objet d’une interprétation maximaliste qui va aboutir à interdire aux tribunaux judiciaires de
contrôler l’activité administrative.
o Cette interprétation n’est rendue possible que parce qu’elle se combine avec un concept plus ancien dans
l’histoire de la pensée politique française qui consiste à dire que juger l’administration c’est encore
administrer.
La situation qui va en résulter est que les particuliers ne vont pas trouver de juge pour se saisir des
plainteset des réclamations qu’ils sont en droit de formuler contre l’activité publique.
- Va se mettre en place un système interne à l’administration et va se développer le système de
l’administrateur juge pour recevoir les plaintes de particuliers dans une organisation de type
hiérarchique qui aboutit à faire remonter la réclamation dans l’échelle de l’organisation hiérarchique.
- C’est dans ce cadre là que va se produire un évènement qui est que le Conseil d’Etat qui a été créé par
la constitution de l’an 8 (1799) va se saisir de ces plaintes et de ces recours. La mission du CE est
d’assister le chef d’Etat dans ses fonctions administratives. Au titre de cette fonction d’assistance et de
conseil, la constitution de l’an 8 nous dit que le CE est compétent pour régler les difficultés.
- Ce qui va amener le CE à instruire les plaintes remontées jusqu’au chef de l’Etat. Progressivement,
le CE va s’organiser pour instruire séparément ses plaintes et ses recours. Il va s’instituer la commission
du contentieux qui est l’ancêtre de la section du contentieux. Dès 1806, le CE considère qu’il faut
traiter à part les réclamations c'est-à-dire les traiter à la manière d’une juridiction.
- Et une ordonnance du 2 février et 12 mars 1831, c'est-à-dire quelques mois après la révolution de
1830 : elles transforment le CE en véritable juridiction.
On va lui imposer des règles : interdiction aux conseillers d’Etat en service extraordinaire de siéger
dans la commission du contentieux ; les audiences devant le CE sont publiqueset les parties peuvent se
faire représenter par des avocats qui pourront déposer des observations orales ; création d’une fonction de
commissaire du gouvernement, ce qui laisse penser qu’on commence à imaginer que cette commission du
contentieux pourrait peut être statuer dans une position contraire, conforme au gouvernement. Or il ne va
y avoir aucuns textes qui disent les missions du commissaire du gouvernement. De plus, il va considérer que
sa mission est de dire en toute impartialité ce que d’après lui est la bonne solution de l’affaire. Très vite,
on va avoir des commissaires du gouvernement conclure contre les prétentions de l’Etat et
contre les recours ou les mémoires défendues par le gouvernement, dés 1832.
- La seule difficulté de ce système c’est que le CE, la commission du contentieux du CE ne rend pas de
décision juridictionnelle, elle n’émet qu’un avis, le CE n’est là qu’à titre informatif. Le chef d’Etat s’en
remet en fait toujours au CE et signe les arrêts préparés par le CE sans rien y retoucher. C’est ce que l’on
appelle le système de la justice retenue qui ne va durer qu’un temps, de sorte qu’avec l’avènement de la
3ème république, ce système va s’effondrer. La loi du 24 mai 1872est d’instituer la justice déléguée.
C’est un texte qui consent l’indépendance de la fonction juridictionnelle du CE. Le CE rend la justice au
nom du peuple Français.
Pendant quelques années, le système va être flou car sont maintenus des mécanismes de l’administrateur juge et
notamment la théorie du ministre juge qui est de dire qu’avant de pouvoir saisir le CE, le recours doit être
porté devant le ministre et le ministre quand il statue ne statue pas en tant qu’administrateur mais en tant que juge.
Ce mélange des genres est supprimé en 1889 par l’arrêt « Cadot »qui nous dit que pour saisir le CE, il
n’est pas nécessaire au préalable de saisir le ministre. Le ministre n’est alors pas juge.
En 99 ans, a été mis en place un ordre juridictionnel distinct de la justice judiciaire, assez largement mêlé à
l’administration.
SECTION 2 : L’ORGANISATION SINGULIERE DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE FRANCAISE
- Les tribunaux administratifs interdépartementaux qui sont les juges de 1er ressort du contentieux
administratif.
- Les cours administratives d’appel : il y a 8 CAA.
- Le Conseil d’Etat qui est essentiellement juge de cassation mais qui peut connaître aussi de certaine
matière en tant que juge de 1er et dernier ressort
La situation actuelle est assez différente puisque les tribunaux administratifs ont été créés en 1953 tandis que les
cours administratives d’appel ont été créées en 1987, ce qui veut dire que pendant longtemps, le CE a été la
seule juridiction administrative. L’organisation singulière de la juridiction administrative tient que malgré ces
réformes, ce rapprochement avec l’organisation judiciaire, la justice administrative est restée au principe selon
lequel juger l’administration c’est encore administrer qui va trouver au plan institutionnel une double
traduction dans le contentieux administratif :
- Les juges administratifs ne sont pas soumis au même régime que les JJ
- Dualité fonctionnelle des JA
PARAGRAPHE 1 : LE STATUT PERSONNEL DES JUGES ADMINISTRATIFS
Les magistrats de l’ordre judiciaire relèvent de ce qu’on appelle un statut autonome qui est susceptible de leur
garantir l’indépendance par rapport au pouvoir politique et par rapport aux magistrats du siège l’inamovibilité.
Les membres des JA ne relèvent pas d’un statut autonome. Ils sont des fonctionnaires et à ce titre, relèvent
du statut général de la fonction publique comme la totalité des agents de l’Etat. Il en résulte donc une
impression de proximité avec l’administration active qui pose en définitive des problèmes quant à
l’indépendance de la juridiction administrative. Comment une justice peut-elle être rendue par des fonctionnaires ?
A) UNE PROXIMITE APPARENTE AVEC L’ADMINISTRATION ACTIVE
Cette proximité peut se vérifier de 3 manières :
- D’abord dans les modalités de recrutement des magistrats : les membres du CE sont formés et
recrutés dans les mêmes conditions que les cadres supérieurs de la haute fonction publique.
Pour rentrer au CE, il faut avoir réussi le concours de l’ENA.
Mais il existe des conseillers d’E en service extraordinaire qui sont nommés sur des périodes et
qui vont siéger uniquement dans les sections administratives du CE.
Il y a aussi un recrutement parallèle qui est le tour extérieur : possibilité d’intégrer le conseil
d’Etat après avoir entamé sa carrière notamment dans la fonction publique.On trouve d’ancien
magistrats, préfets, ministres, avocats…Au tour extérieur, ce sont des hauts fonctionnaires en général, et c’est
une pratique pratiqué dans la haute fonction publique aussi (pas que au CE). Le tour extérieur permet la
promotion interne des membres de la juridiction administrative.
L’idée est que normalement, les 2/3 des conseillers d’Etat et les ¾ des maîtres de requête
recrutés au titre du tour extérieur proviennent de promotions internes, ce qui tend à limiter
les nominations politiques. Il n’existe aucune procédure préalable de consultation des corps du CE.
Pour les autres magistrats, la règle veut qu’ils soient recrutés par la voie de l’ENA. Mais elle ne peut pas en
fournir suffisamment, donc il y a un recrutement spécial : recrutement fait sur des épreuves
exclusivement juridiques (+ de 26 ans, 2 épreuves écrites).
- Larges possibilités de détachement vers l’administration active : cela veut dire que quand on
est membre du CE, membre d’une JA territoriale, il est possible d’aller effectuer une partie
de sa carrière à l’extérieur du CE dans l’administration active, par le biais de la procédure
dite du détachement. Le but est d’assurer une osmose entre haute administration et haute juridiction
administrative.
Cette proximité institutionnelle est attestée par la fonction du vice président du CE. Ce vice
président est le chef de corps. Le président du CE est le Garde des Sceaux mais il ne vient pas se mêler dans
l’organisation du CE. Le président effectif est le vice président du CE et généralement il est
nommé après avoir exercé les fonctions de secrétaire général du gouvernement.
Cela peut poser un problème d’indépendance des membres de la JA au regard du pouvoir politique et de
l’administration. De la proximité, on ne passerait pas à la promiscuité ?
o Pour les conseillers d’Etat, on peut dire qu’elle est garantie par la coutume. Cette indépendance
ne résulte d’aucun texte. Pour autant, elle résulte d’un sentiment d’appartenance au corps, d’une
pratique ancienne qui constitue une sorte de coutume. Cette coutume résulte d’abord de l’extrême
réserve de la part du gouvernement à l’égard des membres du CE.
Qu'en est-il pour les membres autres que les conseillers d'état ?
- Le législateur est intervenu avec la loi du 6 janvier 1986 qui a consacré un principe applicable à
tous les magistrats de la juridiction administrative : le principe de l'inamovibilité. "Aucun
membre de la juridiction administrative ne peut recevoir sans son consentement une affectation nouvelle,
même en avancement".
- A cela, la même loi a institué un conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours
administratives d’appel : Le CSTA (Conseil supérieur des tribunaux administratifs) est
composé pour l'essentiel de membres du CE et de membres élus par les magistrats
administratifs et qui intervient dans la carrière des magistrats pour faire des propositions.
Permet d'assurer l'indépendance des magistrats administratifs.
o La position du droit Français était de considérer que la section du contentieux n’était pas
influencée par les travaux des sections administratives et gardait son indépendance de
jugement. On citait des exemples où le CE n’avait pas hésité à censurer au contentieux des
textes qu’il avait soutenu dans sa fonction consultative : arrêt Electricité de France,
CE, 1955.
o Il va se produire un choc culturel en raison notamment de l’application dans notre ordre juridique
Français de la CEDH qui a été ratifié en 1974 et qui a reconnu au début des années 80 aux
ressortissants français d’exercer un recours individuel devant la CEDH. A partir des
années 90, s’est multiplié des affaires mettant en avant le droit au procès équitable.
Quelle conséquence fallait-il tirer de la jurisprudence Procola ? Est-ce que le principe de l’impartialité objective condamne
la dualité de la jurisprudence administrative ?
- Les luxembourgeois ont répondu par l’affirmative : on réorganise le contentieux administratif à qui l’on
confie à une juridiction indépendante du CE, une cour administrative qui n’est chargé que de
la fonction consultative.
- Ce n’est pas l’approche qui a prévalu en droit Français car la question a été posée au CE : dans l’arrêt
syndicat des avocats de France, on a expliqué que le CE n’était pas en mesure de statuer sur ce décret
car déjà passé devant le contentieux consultatif. Le commissaire du gouvernement Bonichot va
écarter ce type d’interprétation. Par contre, il cherche des modalités pour éviter que les mêmes
juges statuent deux fois. On doit pouvoir y arriver en mettant fin à la règle du brassage et de la
double appartenance.
Cette question a été posée devant la cour européenne des droits de l’homme dans deux affaires et
c’est intéressant car devant la CEDH il parait s’opposer deux conceptions : une anglo-saxonne et une
autre continentale.Comment la CEDH s’est saisie de cette question ?
CEDH, Kleyn c. Pays-basdans une affaire qui intéressait le CE néerlandais. Dans cette affaire, le
requérant demande à la CEDH de prendre partie d’un point de vue théorique sur le dédoublement
fonctionnel. La cour refuse de rentrer dans ce débat et elle explique que c’est au regard des
éléments de chaque espèce qu’il appartient de vérifier si ce mode de fonctionnement
satisfait aux éléments de l’article 6 paragraphe 1. Cependant, la cour nous dit qu’il se peut
que dans certains cas de figure, il n’est pas certain que l’organisation du CE satisfait à la
règle du tribunal impartial. Mais un juge Bulgare rend une opinion différente.
La CEDH s’est prononcé en 2006 dans l’arrêt Sacilor Lormines c. France. Le ministre de
l’industrie avait saisi pour avis le CE avant d’adopter un arrêté ministériel qui réformait le code
minier. Cet arrêté pris sur avis du CE avait été contesté au contentieux devant le CE et le recours
avait été rejeté et le requérant expliquait devant la CEDH que le système français violait non
seulement l’impartialité objective mais même violait l’impartialité structurelle.
L’impartialité structurelle est une notion qui avait été utilisé dans l’arrêt Procola, la CEDH avait
parlé de l’impartialité objective et structurelle. Réponse de la cour :Le dédoublement du CE n’a
pas à être examiné dans l’abstrait. L’impartialité est acquise d’abord quand aucun des
membres des formations consultatives et de jugement ne siègent aux 2 titres sur une
même affaire ou si la formation contentieuse et de jugement sont composées de
manière partiellement identiques quand ils ne statuent pas sur une affaire analogue
ou une même affaire.
Mais qu’est ce qu’une affaire analogue ? L’arrêt de la CEDH nous donne des éléments sur cette notion
d’affaire analogue : l’idée qui ressort c’est que quand le recours porte sur un acte réglementaire, on peut
se satisfaire d’une composition partiellement identique et donc d’une succession des fonctions
consultatives et contentieuses par un certain nombre de membres.
Par contre quand on a à faire à un dossier qui intéresse un acte individuel, il ne faut pas qu’un membre
siège aux 2 titres. En l’espèce, la CEDH avait censuré aux motifs qu’un conseiller d’Etat qui avait statué
au contentieux exerçait au moment de l’adoption du décret ou de l’arrêté une mission au sein du ministère
qui avait préparé cet arrêté.
Conclusion : la dualité fonctionnelle n’est pas remise en cause mais elle doit être aménagée.
Elle oblige à revenir sur un certain nombre de mécanismes traditionnels de notre contentieux administratif.
D’abord c’est le fait du décret du 6 mars 2008 :la règle du de la double appartenance n’est plus
obligatoire ; interdit à un conseiller d’état de participer à un jugement des recours dirigés
contre les actes pris après du CE si ces membres ont pris part à la délibération de l’avis. Enfin,
le décret du 6 mars 2008 modifie la composition de la formation de jugement qui est l’assemblée du
contentieux. Historiquement, l’assemblée du contentieux était composée de certains membres de la section
du contentieux, et de tous les membres des sections administratives alors qu’aujourd’hui, le président de
la section administrative qui a rendu l’avis ne peut plus siéger sur le recours contre l’acte.
SECTION 3 : LA LEGITIMITE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE
La pratique du dualisme est la source de nombreux inconvénients, notamment parce qu’il est difficile de
savoir dans certains cas quel est le juge compétent. Il est parfois nécessaire de faire intervenir le tribunal
des conflits. Tout cela est une perte de temps pour le justiciable.
Dans ce cadre, on peut se demander si la solution du dualisme juridictionnel est une solution souhaitable au
regard du fonctionnement de la justice, au regard de l’accès du justiciable à la justice.
Ce débat a toujours existé depuis que la justice administrative est née mais il a fondamentalement changé de
nature. Pendant tout le 19ème, cela a été un débat essentiellement politique animé par l’idée que la justice
administrative était une institution napoléonienne, la marque d’un Etat autoritaire et qu’elle n’avait pas
sa place dans un régime moderne parlementaire. On retrouve notamment ce débat autour des années 1830,
sous la 3ème République, mais dans tous les cas on a renforcé la justice administrative.
Aujourd’hui, la discussion est essentiellementtechnique, on a admis que le JA est un moyen de faire
progresser l’Etat de droit, on ne discute plus sur le principe.
PARAGRAPHE 1 : UNE CONTROVERSE INEVITABLE
La révolution anglaise a fait suite à une période autoritaire où le pouvoir politique s’était doté d’un certain
nombre de juridictions spécialisées. Pour rompre avec cette période autoritaire, l’idée a été de soumettre
l’administration à une unité de juridiction : volonté de lutter contre l’autoritarisme gouvernemental. Donc
pas de logique de rationalité dans le choix d’une spécialisation ou d’une unité : c’est uniquement le fruit de
l’Histoire.
Dans le cas Anglais, l’exécutif a été pendant longtemps laissé sans contrôle. Ce n’est que dans les années 60
que les Anglais ont opté pour des mécanismes de contrôle internes de l’administration. Au RU, il existe le
judicialreview qui correspond quelque peu à notre procédure de l’excès de pouvoir.
2) UNE LEGITIMITE CONSTITUTIONNELLE
Aujourd’hui, il y a une légitimité constitutionnelle puisque le conseil constitutionnel a rendu deux
décisions : une datant de 22 juillet 1980 et l’autre 23 janvier 1987. Il a constitutionnalisé
l’existence de la JA :
- La décision « validation législative » du 22 juillet 1980 : Le Conseil constitutionnel était saisi d’une
loi de validation : loi qui vient légaliser un décret ou un texte dont une juridiction a
reconnu l’illégalité. Ce type de loi pose un problème qui est celui de l’indépendance de la fonction
juridictionnelle. Jusqu’où le législateur peut-il casser une décision de justice ? Dans un Etat de droit, cela
pose problème compte tenu du principe de la séparation des pouvoirs. C’est cette question qui se pose
devant le Conseil constitutionnel. Le problème c’est que dans la constitution française, il n’y a rien qui traite
de la JA. Le Conseil constitutionnel va dégager un PFRLR qu’il tire de la loi du 24 mai 1872
(justice déléguée CE) et le Conseil constitutionnel nous dit que ce PFRLR est l’équivalent de l’article
64 pour le JJ et reconnait au JA comme au JJ, la garantie de l’indépendance de leur fonction sur
lequel le législateur ne peut pas empiéter.
Décision importante pour deux raisons :constitutionnalise l’existence de la JA sans texte. Et le Conseil
constitutionnel met sur le même pied d’égalité, la JA et la JJ.
- 23 janvier 1987 dit « conseil de la concurrence » : il s’agit d’une loi qui décide de transférer à la
cour d’appel de Paris les décisions du conseil de la concurrence qui lui est une autorité
administrative intervenant en matière économique. Le problème est le suivant : la loi confie à un JJ
le contentieux d’une autorité administrative. C’est ce transfert qui est contesté devant le conseil
constitutionnel. Les auteurs de la saisine invoquent le principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires. Réponse du Conseil constitutionnel : la loi des 16 et 24 aout 1790 n’a pas valeur
constitutionnelle car elle a posé dans sa généralité un principe qui depuis 200 ans connait de multiples
exceptions législatives mais il n’en reste pas moins qu’il existe en droit Français conformément à la
conception Française de la séparation des pouvoirs, un principe qui découle de la loi des 16 et 24
août 1790 et qui veut « qu’à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire,
relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative, l’annulation ou la
réformation des décisions prises dans l’exercice de prérogatives de puissance publique par les
autorités exerçant le pouvoir exécutif ». Il existe un principe constitutionnel qui garantit que le
contentieux des AA visant à l’annulation ou à la réformation de ces actes ne peut être qu’un
contentieux relevant de la JA ce qui correspond au contentieux de l’excès de pouvoir.
L’existence de la juridiction administrative est consacrée au niveau constitutionnel et le législateur ne peut pas
toucher à certaines prérogatives. Ces prérogatives ne sauraient être confiées au JJ.
Mais c’est une décision à double tranchant car ce noyau dur garanti par la constitution, ne correspond que
très partiellement à l’actuel système de répartition des compétences.
Cela pose la question du partage du contentieux de l’administration entre les deux ordres.
Ce partage obéit à des règles de rare complexité en dépit des textes qui fondent la juridiction administrative.
Exemple du décret du 16 fructidor an III : défense itérative est faite aux tribunaux de connaître
des actes d’administration de quelque manière que ce soit. Ce texte n’a jamais été compris de cette
manière là.
o Dès la Révolution, on va admettre que les tribunaux judiciaires peuvent être compétents dans
certaines matières administratives et que des actes d’administration peuvent relever du JJ (Par
exemple, les actes d’état civil ; les impôts indirects ; sous l’empire, on va admettre que les actes d’expropriation
pour cause d’utilité publique soient soumis au JJ). L’idée que les actes pris par l’administration échappent
aux tribunaux judiciaires n’a jamais été organisée dans notre système juridique.
o Le problème est qu’il n’existe ni dans le Code civil, ni dans une loi, une disposition
qui fixerait une clause générale de distribution des compétences entre les deux
ordres juridictionnels. Les règles de répartition des compétences entre les deux ordres de
juridiction résultent de 2 types de disposition :
- D’abord des lois spéciales qui peuvent attribuer une compétence au JJ en matière
administrative
- Et sinon à défaut de lois spéciales, elles vont résulter de règles jurisprudentielles qui découlent du conseil
d’Etat et de la cour de cassation avec l’institution d’un organisme régulateur qui est le tribunal des conflits.
Le problème c’est que la jurisprudence du TC, CE, et Ccass est extrêmement complexe ; elle repose sur de
multiples variables étant entendu que depuis toujours, on a refusé d’appliquer strictement un critère
organique de répartition des compétences.
On est obligé donc de jongler avec d’autres critères comme des critères matériels (notion de SP, d’IG). Mais en
vérité ce critère matériel n’est pas non plus pertinent car il existe des SPA mais aussi des SPIC.
Le TC est appelé à trancher des conflits de compétence entre deux ordres juridictionnels, donc la mission du TC
n’est pas de régler la question juridique au fond mais simplement de nous dire l’ordre juridictionnel
compétent pour régler cette question.
PARAGRAPHE 1 : LA COMPOSITION DU TRIBUNAL DES CONFLITS
- Le tribunal des conflits est un organe ad hoc : il n’est pas une institution permanente, il se réunit
chaque fois qu’on a besoin de le réunir pour trancher un conflit de compétence, il n’a pas de service
administratif ;
- La présidence du TC est assurée par le ministre de la justice mais la tradition veut que le ministre de la
justice ne siège jamais ou que de manière exceptionnelle, notamment pour permettre un départage des
membres du TC. Ces cas de départage sont rares : depuis environ 40 ans, on en compte une dizaine mais
ce sont sur des affaires à enjeux, importantes. Par exemple, l’arrêt Blanco a été rendu à la suite d’un partage de voix
et donc rendu suite au départage du ministre de la justice.
Le rôle du ministre de la justice est régulièrement contesté. Dans une affaire relative au contentieux des étrangers,
les membres du TC n’avaient pas pu se mettre d’accord sur le juge compétent. Le problème était de savoir si le JA avait les
pouvoirs pour régler ce genre de question et à l’évidence la réponse était non. En dépit de cela, le TC après intervention du
ministre de la justice avait conclu à la compétence du JA. Un membre du TC avait fait une chronique assassine dans un
grand journal du soir.
Le problème est qu’il faudrait alors imaginer un autre mécanisme pour le départage mais cela n’a jamais été fait.
PARAGRAPHE 2 : LES CAS D’INTERVENTION DU TRIBUNAL DES CONFLITS
Il s’agit de faire la liste des solutions admises par la jurisprudence qui président la répartition des
compétences entre les deux ordres de juridictions.
Depuis l’arrêt Blanco, on sait que le contentieux des activités de l’administration relève des
autorités administratives chaque fois qu’il faut leur appliquer un régime de droit public.
Cette affirmation est expliquée par l’adage « la compétence suit le fond ».
Mais cela n’est que d’un secours limité : il ne permet pas de régler lui-même la question du partage des
compétences, il ne fait que repousser la question plus loin. Il revient à se demander quelles sont les règles de
droit dont il va falloir faire application ?
o Les actes d’autorité relevait du DA, donc au JA et donc à l’inverse, tout ce qui ne touchait pas
aux activités régaliennes de l’administration, relevait de la notion d’acte de gestion et donc
dépendant de l’application du droit privé et de la compétence du JJ.
On avait une conception très large de la compétence du JJ à l’égard des actes de l’administration à
commencer par les contrats. Le problème c’est que dès le 19ème, on perçoit que cette clef de distribution est
trop favorable aux juridictions judiciaires et qu’il y a des affaires qui sans soulever des questions de
souveraineté méritent d’être traitées par un JA.
Entre acte de gestion et acte d’autorité, va se développer soit des textes spéciaux qui
dérogent, soit des théories jurisprudentielles qui en limitent la portée.
- LES ACTES SPECIAUX QUI DEROGENT
Tout ce qui relève des travaux publics, relève de la JA. Mais d’autres lois sont venues dire que le contentieux des
contrats de l’Etat était un contentieux administratif.
C’est la situation du 19ème siècle qui va être bouleversée parl’arrêt Blanco de 1873.C’est un événement
considérable puisque le tribunal des conflits nous dit que ce qui compte n’est pas la distinction
acte de gestion/ acte d’autorité mais si l’activité a été rendue dans le cadre de l’exécution
d’une mission de SP ou pas. On voit émerger un nouveau critère du SP qui se substitut à l’ancienne
distinction.
A la suite de l’arrêt Blanco, il y a un effort de la jurisprudence pour nous dire que tout ce qui touche à
l’organisation et au fonctionnement des SP constitue une opération administrative et relève de la
compétence du juge administratif.
La décision a un double intérêt :
- Elle place le contentieux des collectivités locales et le contentieux des établissements sous
l’emprise du juge administratif car dans le cadre de l’ancienne distinction, ils étaient sous l’emprise du
droit privé et du juge judiciaire.
- L’année d’avant dans un arrêt Effinief, le TC nous dit que quand des travaux sont réalisés pour le
compte d’une association mais dans le cadre d’une mission de service public, ces travaux
sont des travaux publics, donc c’est la compétence du JA.
- Enfin dans l’arrêt Berkani, le TC nous dit que quand un agent est recruté quelque soit sa
mission, c’est nécessairement un agent de droit public et donc le contentieux est
nécessairement administratif.
Mais en parallèle, la jurisprudence du CE nous dit que cette notion de SP doit être complétée avec la
notion de prérogative de puissance publique, avec l’arrêt Monpeurt de 1942.
- Puis l’affaire des Epoux Barbierqui concerne un règlement de la compagnie air France qui interdit aux hôtesses de
se marier. La compagnie air France est une société privée ; c’est un service public industriel et commercial et
pourtant le juge compétent est le JA car le règlement concerne l’organisation du SP donc PPP.
- A l’inverse, l’arrêt de 2007, CE, Liepiedz, à propos d’un litige opposant à la SNCF les familles de déportés. Le
CE nous dit que le service du transport ferroviaire ne met pas en œuvre de prérogative de puissance
publique dès lors le juge compétent ne peut être que le juge judiciaire. On voit à travers ce rappel qu’il y
a aujourd’hui plusieurs variables pour déterminer la compétence du juge administratif.
B) LE PARTAGE DES COMPETENCES REPOSE SUR UN JEU COMPLEXE DE CRITERES
Le problème est que la démarche du juge est essentiellement casuistique, empirique. Tout dépend de
l’affaire elle-même et des éléments qui vont composer l’affaire.
o Puis on se demandera si le SPA ou le SPIC met en œuvre ou non des PPP. La question se
posera de savoir si le service est géré par une personne morale de droit privé ou une personne morale de droit
public.
o Ensuite, la question que se posera le juge est de savoir avec qui le service est en conflit
(agent, usager du service public, tiers ?).
L’une des difficultés aujourd’hui est que cette répartition des compétences ne correspond pas à la réserve
constitutionnelle de compétence reconnue à la juridiction administrative. Cette répartition des compétences
est susceptible à tout moment d’être remise en cause par le législateur car le Conseil constitutionnel n’a
constitutionnalisé qu’une partie beaucoup plus réduite des compétences.
PARAGRAPHE 2 : LA RESERVE CONSTITUTIONNELLE DE COMPETENCE
Le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la possibilité offerte au législateur d’intervenir en
matière de répartition des compétences entre les ordres juridictionnels et administratifs.
- Cette possibilité existe depuis toujours, il y a de très nombreuses lois qui ont décidé de transférer du
contentieux de l’administration vers la juridiction judiciaire : Par exemple, la loi du 31 décembre
1957transfère aux JJ la totalité du contentieux de la responsabilité liée aux accidents de la circulation, y compris
quand le véhicule est un véhicule administratif et quand l’accident a eu lieu à l’occasion du service ; la loi
de 1937qui prévoit que tout le contentieux de la responsabilité délictuelle entre les enseignants et les élèves est un
contentieux intégralement judiciaire.
La question qui s’est posée au Conseil constitutionnel est jusqu’où le législateur peut aller ? Jusqu’où peut-il
porter dérogation de la séparation des ordres juridictionnels ?
Le Conseil constitutionnel répond dans une décision du 23 janvier 1987. Le législateur avait adopté un texte
qui transférait aux juridictions judiciaires le contentieux des décisions rendues par le conseil de la concurrence et
notamment la possibilité à la cour d’appel de paris d’annuler ou de réformer les sanctions prises par le conseil de la
concurrence aux entreprises. A priori, il y avait une solution pleinement dérogatoire au principe de séparation
des deux ordres juridictionnels. D’où la saisine du conseil constitutionnel. Devant celui-ci, il était expliqué
que ce transfert au juge judiciaire n’était pas possible parce qu’il portait atteinte au principe à valeur
constitutionnelle de séparation des autorités administratives et judiciaires. Le Conseil doit se prononcer sur
cette question.
Le conseil explique que le principe de séparation tel qu’il découle de la loi de 1790 ne peut pas avoir
valeur constitutionnelle car on y déroge sans arrêt. Mais on ne peut pas ignorer que dans la
conception Française de séparation des pouvoirs, certains actes et types de recours ne peuvent pas
être portés devant le JJ parce qu’ils touchent au plus près le pouvoir exécutif.
Le Conseil constitutionnel nous dit « Il existe en vertu de la conception française de séparation des pouvoirs un PFRLR selon
lequel relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises
dans l’exercice des prérogatives de puissance publique par les autorités exerçant le pouvoir exécutif ». Ce PFLRL consacre l’idée
qu’il y a même dans ce cadre là, des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire.
La première idée à retenir est qu’il y a bien une réserve constitutionnelle de compétence au profit de la
juridiction administrative.
- Cette réserve constitutionnelle de compétence ne correspond pas à la globalité des affaires qui aujourd’hui
relève du contentieux administratif. Le législateur peut alors venir transférer du contentieux
administratif au JJ : la C° ne s’y opposerait pas.
- Le Conseil constitutionnel nous dit que pour ce qui concerne le noyau dur de la compétence de la juridiction
administrative, il reste possible au législateur d’y apporter des ajustements ou des aménagements particuliers
c'est-à-dire que le législateur peut décider qu’une partie du contentieux pourra être transférer
au JJ et c’est ce que le Conseil constitutionnel admet dans la décision de 1987.
- L’objectif poursuivi par le législateur doit être d’unifier les compétences : de créer un bloc de
compétence
- Ce bloc de compétence doit être justifié par les nécessités d’une bonne administration de la
justice
- Il faut que l’aménagement soit précis et limité.
En 1987, le conseil constitutionnel a jugé que ces conditions étaient remplies au motif que le
conseil de la concurrence avait surtout à connaître des affaires intéressant le comportement des entreprises
privées, que le juge naturel de ces entreprises privées est le juge judiciaire et qu’on pouvait créer un bloc
de compétence au profit du JJ.
Mais ce type de dérogation n’est pas toujours admis par le conseil constitutionnel. Mais en 1989, le
législateur a souhaité transférer au JJ le contentieux des décisions concernant la police des
étrangers.Le Conseil constitutionnel a invalidé cette loi considérant qu’elle portait
directement atteinte aux PFRLR.
Il y a un certain nombre de dérogations qui résultent de textes qui ont décidé de transférer au juge judiciaire, le
contentieux de l’administration. Cependant, il existe des constructions jurisprudentielles et qui en l’absence de tout
texte, prévoient que dans certains cas le principe de séparation doit s’effacer.
Cela correspond essentiellement à deux cas de figure : la compétence reconnue au JJ en tant que gardien
des droits fondamentaux de la personne. Le 2ème cas de figure est différent puisque ce sont les questions qui
touchent au fonctionnement du service public de la justice judiciaire. Si on applique les règles de
compétence traditionnelle, pas de raison que le JA ne connaisse pas de son organisation et de son fonctionnement.
PARAGRAPHE 1 : LA COMPETENCE DU JUGE JUDICIAIRE EN TANT QUE GARDIEN DES
DROITS FONDAMENTAUX DE LA PERSONNE
Il s’agit ici d’une compétence traditionnelle qui peut trouver son origine historique dans la loi de 1810 sur
l’expropriation pour cause d’utilité publique qui fait du juge judiciaire le juge de l’expropriation.
o Cette dérogation au principe de séparation remonte dans le temps et tient à la suspicion qui pouvait
exister au début du 19ème siècle à l’égard de la justice administrative qu’on pouvait considérer
comme trop proche du pouvoir politique et trop favorable aux intérêts de l’Etat.
De ce climat du 19ème siècle, il est resté cette idée que le juge judiciaire est le gardien des
droits fondamentaux de la personne. Idée qui est illustrée par des constructions
jurisprudentielles et qui est consacrée depuis en partie par la constitution de 1958 et en particulier
par l’article 66 de la constitution de 1958.
Ces constructions jurisprudentielles sont de deux ordres : d’abord d’une manière générale, on considère
que les atteintes à la liberté individuelle et à la propriété privée qui résulteraient de l’activité
administrative relèvent dans une certaine mesure du juge judiciaire et il y a une construction
jurisprudentielle plus spécifique qui est la théorie de la voie de fait et qui dans certaines conditions
donnent des pouvoirs particuliers au JJ à l’égard de l’administration.
A) LE CONTENTIEUX DES ATTEINTES A LA LIBERTE ET A LA PROPRIETE PRIVEE
Ce titre de compétence judiciaire à l’égard des actes de l’administration est consacré par une jurisprudence
traditionnelle notamment du TC et en particulier d’un arrêt Hilaire de 1947qui explicite le principe de la
manière suivante : la sauvegarde de la liberté individuelle et la protection de la propriété
privée rentrent essentiellement dans les attributions de l’autorité judiciaire.
Le TC en 1947 ne pouvait s’appuyer sur aucun texte précis mais plutôt sur un principe coutumier que l’on
rattachait au fondement libéral et individualiste français.
Cette jurisprudence trouve aujourd’hui une base constitutionnelle dans l’article 66 de la constitution
qui nous dit « nul ne peut être arbitrairement détenu, l’autorité judiciaire gardienne des libertés
individuelles assure le respect de ce principe ».
o Et le Conseil constitutionnel a eu l’occasion dans une affaire concernant la fouille des véhicules et la
possibilité pour les autorités de police de fouiller les véhicules de dire que ce type de mesure ne pouvait pas
être des mesures de police administrative mais des mesures de police judiciaire c'est-à-dire
ordonnées et contrôlées par le procureur de la république dans la mesure où les atteintes à la liberté
individuelle ne peuvent relever que de l’autorité judiciaire.
On pourrait considérer qu’il n’y a pas de difficultés particulières : le problème est que les choses sont plus
compliquées.
- D’abord, on a du mal à s’entendre sur ce qu’on entend par liberté individuelle et il a été admis
par le Conseil constitutionnel lui-même que pour tout ce qui touche à la police des étrangers, il a
été admis par le Conseil constitutionnel, le juge compétent est le juge administratif.
- Même quand la compétence du juge judiciaire est affirmée, elle fait le plus souvent l’objet
d’une interprétation restrictive qui n’exclut pas que sur certains aspects, le JA puisse
également être saisi. D’où on a des jurisprudences qui font difficulté : Deux types de jurisprudence :
o Jurisprudence fondée sur l’article 136 du code de procédure pénale, et qui concerne toutes
les atteintes à la liberté individuelle et à l’inviolabilité du domicile tel que le définit le code pénal.
- Le TC et le CE, dans un arrêt Dame Clément 1964 fait une distinction selon la question posée au juge.
Pour le TC, si le requérant demande à être indemnisé des conséquences dommageables de la détention arbitraire,
le juge qui devra statuer sur ce recours est naturellement le juge judiciaire. Par contre, quand il s’agit
d’apprécier la légalité de l’arrestation ou de la mesure attentatoire à la liberté, pour apprécier la légalité de la
mesure portant atteinte à la mesure de la liberté, la question doit relever du juge administratif.
C’est une curieuse solution car elle contrarie l’article 136 du code de procédure pénale et c’est une
solution d’autant plus paradoxale qu’elle va faire du JA le régulateur de la compétence judiciaire.
Cette jurisprudence ne fait pas l’adhésion des juridictions judiciaires et en particulier de la chambre
criminelle de la Cour de cassation. En effet elle a développé une jurisprudence dissidente notamment
en matière de contrôle d’identité. La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugéen 1985 dans une
affaire « Bogdan »que la compétence du JJ est non seulement fondé sur l’article 136 du CPP mais
aussi sur l’article 66 de la constitution et que cela donnait droit au JJ de statuer sur la demande en
réparation mais sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées le contrôle d’identité. Le conflit
entre les deux ordres de juridictions n’est pas neuf.
L’article 136 du CPP a été modifié dans les années 50 pour faire échec à une jurisprudence du TC de 1952 arrêt
Dame de la Murette. Le TC avait fait la même interprétation que dans l’arrêt Dame Clément mais se fonde sur
l’article 112 du code d’instruction criminelle.
Ce type de difficultés revient régulièrement dans l’actualité et notamment en 1997, le TC a été amené à se
prononcer dans une affaire qui est celle du Cargo le Phénix.Il s’agit de deux passagers clandestins qui avaient pris place
dans un cargo et ces deux passagers sont consignés à bord par les services de l’immigration. La mesure de police est contestée
devant le TGI et l’armateur demandent d’enjoindre à l’autorité de police de mettre fin à la consignation à bord de ces deux
passagers clandestins. Le préfet de police élève le conflit en disant que cette question ne regarde pas le juge judiciaire. C’est juste
une application d’une mesure de police administrative. Le TC est donc saisi et fait une réponse dénuée d’ambigüité qui
confirme l’arrêt Dame Clément. Il nous dit que les dispositions de l’article 136 du code de procédure
pénale ne sauraient être interprétées comme autorisant les tribunaux judiciaires à faire obstacle à
l’exécution des décisions prises par l’administration.
La jurisprudence Dame Clément est donc toujours d’actualité et suscite l’opposition de la chambre
criminelle de la cour de cassation mais elle survit avec cette dualité : d’un côté le JJ répare les atteintes et le
JA vérifie si la mesure de police est légale ou pas.
Mais la compétence judiciaire est partielle : c’est la théorie de l’emprise irrégulière, il ne suffit pas
qu’il y ait une dépossession de la propriété privée par décision administrative, il faut encore que cette
dépossession soit irrégulière et si elle ne l’est pas, il n’y a pas de possibilité d’attribuer des
indemnisations. Du coup, on se retrouve dans le même cas de figure que dans la jurisprudence Clément
c'est-à-dire qu’en cas d’un recours devant un particulier de l’autorité judiciaire, celui-ci ne pourra pas
statuer sur le caractère régulier ou non de l’emprise, il devra renvoyer au JA. Ce que peut faire le JJ c’est
seulement attribuer des dommages-intérêts.
La compétence du JJ est d’abord limitée, et ensuite elle dépend de l’appréciation du JA : Arrêt Wergun
1961à propos de la réquisition d’un logement décidé par un maire et le CE reconnaissant le caractère régulier du pouvoir de
réquisition précis et mis en œuvre correctement par l’administration en conséquence de quoi l’indemnisation auquel à droit le
propriétaire ne peut lui être allouée que par le juge administratif.
B) LA THEORIE DE LA VOIE DE FAIT
Il s’agit d’une construction jurisprudentielle illustrée par un arrêt du TC de 1935, Action française, à
propos de journaux interdits de diffusion. Cette théorie jurisprudentielle reconnait au JJ compétence mais
surtout des pouvoirs exceptionnels pour assurer la protection des administrés contre les
agissements, les comportements les plus inadmissibles perpétrés par des autorités
administratives.
o Cette théorie indispensable dans un Etat de droit fait l’objet depuis toujours d’affrontement, de
divergences entre les deux ordres de juridiction dans la mesure où pendant un temps, le juge
judiciaire a eu tendance à élargir sa compétence, a avoir une interprétation large qui violait
intentionnellement le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires pour la bonne
cause dans la mesure où le JJ considérait que le JA n’avait pas les moyens de protéger les
administrés. Le seul moyen était de dire qu’il y avait voie de fait pour que le JJ soit
compétent (même si ce n’était pas le cas).
Le CE a préparé un texte de loi qui a été adopté en Juin 2000 et qui a revu les procédures d’urgence
devant les juridictions administratives et qui a institué le référé liberté en cas d’atteinte aux
libertés par l’administration. Pour autant, la loi de 2000 précise bien qu’elle ne remet pas en cause la
théorie de la voie de fait qui continue d’exister dans les cas où le comportement de l’administration est
totalement inadmissible et dans ce cas là le requérant peut choisir d’aller devant le juge judiciaire.
1) LA DEFINITION DE LA VOIE DE FAIT
Dans voie de fait, il y a fait, c'est-à-dire qu’il doit toujours y avoir un fait matériel. Il ne suffit pas qu’il y
ait une décision administrative il faut qu’elle procède à son exécution matérielle (ex : occupation d’une
propriété privée par l’administration, la mise sous scellé d’un logement privé, la confiscation d’un passeport, la
destruction d’effets personnels, arrestation/mise en détention, saisie de journaux, exhumation d’un corps…).
Il faut que cette exécution matérielle porte directement atteinte ou au droit de propriété ou à une
liberté fondamentale.Arrêt Carlier 1949 : l’administration avait saisi un appareil photo et les clichés dedans
et le juge a estimé qu’il y avait voie de fait. Une liberté fondamentale est une liberté spécialement prévue et
organisée par la loi.
L’Arrêt fondation Cousteaua conclu à l’absence de voie de fait dans une affaire où malgré une décision de justice qui
interdisait de poursuivre les travaux de construction du point de l’île de ré, l’administration avait poursuivi ces travaux. La
construction du point nuisait gravement à l’environnement.Le TC a écarté l’idée qu’il puisse y avoir voie de fait,
l’atteinte à l’environnement n’est pas une liberté fondamentale.
La mesure doit être affectée d’une illégalité d’une gravité exceptionnelle, l’administration est sortie
de ses attributions, elle s’est comportée en dehors des cas qui n’est pas celle que doit être l’action d’une
administration publique. Cette hypothèse correspond à deux situations différentes, on distingue la voie de
fait pour manque de procédure et pour manque de droit :
o D’abord dans un arrêt Gaudino : un fonctionnaire de police avait été suspendu de ses fonctions car il avait
écrit un livre qui disait que les autorités de police n’avaient pas pris toutes les décisions qu’il fallait prendre à
Marseille en raison des liens entre la classe politique et le milieu des affaires. Il avait été cherché le TGI et avait
trouvé le JJ. Le conflit est élevé et le TC constate que la suspension d’un fonctionnaire
relève du JA (la mesure n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir
appartenant à l’administration)
o Affaire Bordelaise de la rétrogradation d’un club de football : ce club conteste la décision de
la fédération de football. Le JA doit être compétent et non le JJ. Le TC a estimé qu’il n’y avait pas
voie de fait.
o Affaire d’une suspension d’un abonnement téléphonique : un abonné avait vu son abonnement suspendu et avait
demandé à un juge de dire qu’il y avait voie de fait. TC refuse.TC, 1991, Préfet de la région
Loraine.
o En effet, dans un arrêt de 1986 « Eucat » : un gros contribuable avait du mal à payer ses impôts, avait
décidé de quitter le territoire national. A l’aéroport, la police lui avait confisqué son passeport. Voie de fait ou
pas ? Le TC nous dit qu’il y a voie de fait mais c’est étrange car en l’espèce, on n’a pas à confisquer
le passeport mais pour autant était-elle constitutive de voie de fait ? Non car il y a des textes pour
des raisons de sécurité de l’Etat qui autorisent l’administration à confisquer un
passeport. La frontière entre ce qui est illégal et ce qui est constitutif de voie de fait
vole en éclat.
Cette décision va susciter des débordements et les JJ vont multiplier les voies de fait.
o Affaire du cargo le Phoenix :on revient sur la décision Eucat et on prône une solution rigoureuse. Deux
clandestins qui se trouvaient à bord d’un cargo sont consignés à bord par l’administration Fr. Cette mesure n’est
prévue par aucun texte. Il faut les placer en zone de rétention administrative normalement. Le TC va
considérer qu’il n’y a pas voie de fait car la mesure n’est pas manifestement insusceptible de
pouvoir se rattacher à un pouvoir de l’administration. Cela reste une mesure d’exécution du
refus d’entrer sur le territoire national et ce refus lui paraît légal.
La décision du TC tient à deux considérations.
- La jurisprudence Eucat répondait à un besoin social : de permettre aux justiciables de trouver un
juge avec des pouvoirs suffisants. Or, ce juge ne pouvait pas être un juge administratif puisque les
procédures d'urgence ne fonctionnaient pas bien.
A l’issue de cette affaire, le JA a plaidé pour la rénovation des procédures d’urgence devant les tribunaux
administratifs et l’institution notamment d’un référé liberté équivalent à celui qui existe devant le juge
judiciaire. Cette réforme va avoir lieu avec la loi du 30 juin 2000 sur les référés administratifs et qui
prévoit que le juge administratif peut en cas d’urgence ordonner toute mesure nécessaire à la
sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration aurait porté dans
l’exercice d’un de ses pouvoirs une atteinte grave et manifestement illégale. C’est l’article
L121-2 du code de justice administrative.
La définition donnée au législateur suppose le maintien de la théorie de la voie de fait car quand l’administration agit
en dehors de ses attributions, le JJ peut être saisi. Cette lecture de la loi est confirmée par un arrêt du 23 octobre
2000, TC, Boussadarqui identifie une hypothèse de voie de fait en reprenant explicitement la définition donnée en
1949 par le CE dans l’arrêt Carlier : manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir
appartenant à l’administration.
De cette définition, il résulte que le justiciable a une possibilité d’option. Cela veut dire que lorsque
l’administration sort de ses attributions, il peut tout aussi bien saisir le JA au titre de l’article L121-2 du code
de justice administrative ou choisir de saisir le tribunal de grande instance. Dans les deux cas, il aura un
juge qui pourra prononcer toutes les mesures utiles pour faire cesser les agissements illégaux de
l’administration.
Mais lorsque l’administration n’est pas sortie de ses attributions, le seul juge compétent est le JA.
L’intérêt de la voie de fait persiste mais est moindre que dans les années 80-90. Et les référés libertés se multiplient
aujourd’hui devant les tribunaux administratifs. Cela dit, il est des cas où les conditions du référé liberté sont
restrictives et que donc l’administré a tout intérêt d’aller voir du côté du juge judiciaire pour bénéficier d’une
protection qui lui sera donné de manière plus souple.
La théorie de la voie de fait a moins d’utilité qu’auparavant mais la loi a organisé son maintien.
PARAGRAPHE 2 : LA COMPTENCE DU JUGE JUDICIAIRE A L’EGARD DU SERVICE PUBLIC
DE LA JUSTICE JUDICIAIRE
Le contentieux de la justice judiciaire est en principe réservé aux juridictions judiciaires. Cependant la
compétence des juridictions judiciaire à l’égard de leur propre contentieux n’est pas générale.
o En effet, selon notre tradition constitutionnelle, il n’existe pas de pouvoir judiciaire, l’organisation
judiciaire est rattachée au pouvoir exécutif et du point de vue du droit administratif la justice
judiciaire est d’abord un service public et l’organisation de cette justice judiciaire. De ce fait, le
contentieux de la justice judiciaire est un contentieux partagé et la répartition a été
fixée par unarrêt du CE de 1952, préfet de la Guyane. La réparation repose autour de la
distinction entre l’organisation du SP et le fonctionnement du SP ou de ses conditions
d’exécution. C’est donc un critère matériel.
- Ce qui relève de l’organisation du SP est une affaire administrative qui vient au contentieux devant
les juridictions administratives alors que ce qui touche au fonctionnement de la justice judiciaire
relève des mécanismes propres de la JJ.
La décision de créer ou supprimer un tribunal est une décision qui touche à l’organisation du SP. Une contestation se fera devant le
JA.
De la même manière, les mesures qui intéressent la carrière des magistrats relèvent du CSM mais le juge compétent pour connaitre
des décisions par le CSM est le CE. Les mesures d’organisation du CSM sont susceptibles d’être contestées devant le CE.
Les actes juridictionnels, s’ils sont contestés, c’est devant le juge judiciaire. Les actes préparatoires aux décisions de justice (décision
du parquet de poursuite, actes d’instruction, actes de police judiciaire) ne peuvent être contestés que devant le JJ car ils se
rapportent à l’exécution du SP. Idem pour les décisions d’exécution des jugements. L’action doit se porter devant le JJ.
Il y a quand même une difficulté pour le contentieux des actes d’exécution des jugements rendus par les tribunaux judiciaires. La
compétence est partagée :
On considère qu’il y a des actes qui sont détachables de l’exécution du jugement et donc on doit pouvoir les contester devant le juge
administratif : ex : le refus de l’autorité administrative d’apporter le concours de la force publique à l’exécution d’un jugement,
acte détachable, cela relève du JA ; arrêt 1923 Quitéas. De la même manière, sont détachables les actes d’amnistie, de grâce.
Le juge judiciaire est saisi d’une affaire qui relève normalement de sa compétence mais qui ne peut régler le litige qui est porté
devant lui sans au préalable à avoir apprécier la légalité ou avoir à interpréter un AA.
Si l’on s’en tient à une appréciation stricte du principe de séparation, on doit considérer que de telles
questions accessoires relèvent du JA. Dans ce cas là, le JJ doit en cas de difficulté sérieuse surseoir à statuer
et renvoyer les parties devant la JA.
o La jurisprudence retient des solutions plus nuancées. Elle admet que dans certaines
hypothèses, le JJ peut valablement statuer sur les questions incidentes qui sont
portées devant lui. Une des raisons de cette nuance tient à l’exigence de bonne
administration de la justice. Faire en sorte que le procès pénal ne soit pas ralenti par des
questions pouvant se poser souvent.
- Nature juridique de l’acte administratif contesté. Les pouvoirs du juge judiciaire seront plus
facilement admis à l’égard des actes réglementaires qu’à l’égard des actes individuels
- Nature du tribunal saisi selon qu’il s’agit d’un tribunal répressif ou d’un juge civil.
On peut alors dresser le tableau suivant :
- S’agissant de l’interprétation des actes administratifs, le tribunal des conflits dans un arrêt de 1923,
Septfonds,a reconnu que l’interprétation des tribunaux judiciaires qu’ils soient civils ou
pénaux, ont pleine compétence pour interpréter les actes réglementaires.
A l’inverse, l’interprétation des actes individuels constitue en cas de difficulté sérieuse une question
préjudicielle pour les JJ.
- Pour l’appréciation de la légalité des AA, il faut distinguer selon que l’on a à faire à un tribunal répressif ou
un tribunal statuant au civil :
o Pour les tribunaux répressifs, le TC a admis en 1951 dans un arrêt Avranches et Desmarets
que le juge pénal peut apprécier la légalité des actes réglementaires s’ils servent de fondement à la
poursuite ou qu’il soit invoqué comme un moyen de défense par la personne poursuivie. Le
tribunal admet donc l’appréciation de la légalité des actes réglementaires.
Par contre, le juge pénal est incompétent pour apprécier la légalité d’un acte
administratif individuel.
o La chambre criminelle de la cour de cassation a une interprétation plus large, dans un arrêt
Dame Leroux en 1987, la Cour de cassation juge que le juge pénal est compétent pour tous
les actes administratifs qui sont assortis d’une sanction pénale y compris les actes
individuels.
La divergence paraît aujourd’hui réglée par l’article 111-5 du code pénal qui dispose aujourd’hui que
les tribunaux répressifs sont compétents pour interpréter les actes administratifs et pour en
apprécier la légalité lorsque de cet examen dépend la solution du procès.
S’agissant des tribunaux civils, la règle est beaucoup plus stricte, les tribunaux sont en
principe incompétents pour apprécier la légalité des AA même réglementaires.
Se pose une difficulté : le contrôle de la conventionalité de ces actes réglementaires. Pourquoi y a-t-il une
difficulté ? Car la jurisprudence admet que le juge judiciaire apprécie la légalité de la loi aux
conventions internationales et si on applique la jurisprudence Avranches et Desmarets, on
considère que le JJ ne peut apprécier de la conventionalité d’un règlement.
Cela a abouti à une divergence profonde de jurisprudence entre la cour de cassation et la juridiction administrative
dans l’affaire du CNE. Un des problèmes était de savoir si ce contrat (institué par une ordonnance) était conforme à des
conventions internationales sur le droit du W (notamment de l’OIT) ? Immédiatement, le préfet a élevé le conflit en
expliquant que c’était une question qui relevait de la légalité d’un AA. Le conseil des prud’hommes a décliné le
déclinatoire et la cour d’appel a souhaité à son tour s’estimer compétente. L’affaire est venue devant le TC dans un
arrêt de 2007, Préfet de l’Essonne. Le TC refuse de donner la réponse puisqu’il dit que l’ordonnance a été
implicitement ratifiée par la loi et que c’est donc un texte de valeur législative et que le tribunal
civil peut apprécier sa conformité au traité.
Ce principe exprime l’idée que l’action des autorités publiques n’est pas libre, n’est pas
discrétionnaire mais qu’elle est subordonnée au respect d’un certain nombre de règles qui habilitent à agir
les autorités publiques, qui détermine les procédures à suivre et qui définissent les droits auxquelles les
administrés peuvent prétendre dans leur relation avec l’administration. L’action administrative est
encadrée par le droit. Cette idée est au cœur même du droit administratif.
Cette idée ne s’est pas imposée sans difficulté. On a admis très tôt que s’il y avait un droit où la règle de
droit à l’administration, cela ne pouvait pas être n’importe quelle règle de droit.
Même dans la soumission de l’administration à la règle de droit, il a souvent existé des zones de non-droit à
l’égard duquel le droit n’a pas de prise. Il reste encore des hypothèses où l’administration échappe à
l’application du droit ou au contrôle du juge (théorie des actes de gouvernement, théorie des mesures d’ordre
intérieur….).
Pour justifier cette soumission de l’administration au droit, Prospère Veil explique qu’elle tient de l’ordre
du miracle car l’administration c’est l’Etat et l’Etat détient tous les attributs de la souveraineté et c’est
par une sorte de processus d’autolimitation que l’Etat a accepté de se soumettre au droit. On
distingue deux temps dans l’évolution de l’Etat :l’Etat de police et l’Etat de droit.
- Dans un Etat de droit, le pouvoir ne peut user que des moyens d’action autorisés par l’ordre juridique. La
puissance de l’Etat est convertie en compétences. A la différence de l’Etat de police où il y a du droit, l’Etat
produit du droit donc c’est une société de droit mais ce droit est au service de l’Etat. L’Etat de droit
implique un certain nombre de caractéristiques qui vont le distinguer de l’Etat de police : Elles sont de deux
ordres :
1) Principe d’extranéité des règles applicables à l’administration (ce n’est pas l’administration qui
produit les règles qu’on lui applique mais ces règles émanent d’autorités extérieures au pouvoir exécutif et surtout
d’institutions qui ont une légitimité politique supérieure à l’administration).
Ce principe aujourd’hui a pris une grande dimension car la règle de droit provient non seulement de la loi
mais aussi de la constitution, des traités internationaux, de la jurisprudence des cours européennes
constitutionnelles de sorte que ce n’est plus l’administration qui produit seul le droit que l’on applique à
l’administration.
- Limitation extérieure à l’Etat avec deux explications : l’une fondée sur le droit naturel et les
droits de l’homme et une autre explication qui nous dit que si l’Etat se soumet au droit c’est sous la
contrainte ou la pression de la conscience sociale.
Ces explications sont incomplètes car elles ne situent pas le droit dans les évolutions économiques et
sociales. L’explication de l’Etat de droit tient à deux éléments : le contexte économique du 18ème et 20ème :
l’avènement du capitalisme et l’émergence de l’idéal démocratique.
- L’administration est soumise au droit, c’est un fait politique avant d’être un fait juridique.
Cette soumission se fait dans le cadre de la présentation faite par Kelsen. Il nous dit que le droit repose sur
une sorte de hiérarchie des normes, une structure pyramidale, liée à la formation du droit par degrés.
En définitive, l’acte administratif à la base de la pyramide va tirer sa validité de la loi. C’est
parce qu’il est adopté selon la procédure adoptée par la loi que l’acte administratif est juridiquement valide.
La loi tire elle-même sa validité de la constitution. L’intérêt de cette construction est qu’elle crée
une articulation entre toutes les normes juridiques et place le droit administratif dans cette
structure hiérarchique du droit comme étant une des normes subalternes qui devra respecter toutes les
autres normes.
- En droit Français on a longtemps retenu qu’une conception partielle du droit car le droit administratif a
longtemps été animé par le légicentrisme c'est-à-dire que le droit trouve sa source essentiellement
dans la loi. Pendant longtemps la théorie de l’Etat de droit en France a été une théorie de l’Etat légal.
D’où l’idée de principe de légalité.
- On sait aujourd’hui que ce n’est plus le cas (constitution 1958, décision du Conseil constitutionnel de 1971,
construction UE, relations internationales…). On assiste maintenant à une diversification des sources
administratives. Il faudrait parler aujourd’hui de principe de juridicité. Le législateur ne s’est pas
vraiment intéressé à l’action administrative.
Pendant toute la première moitié du 20ème, le principe de légalité a signifié que pour l’essentiel
l’administration était soumise aux principes jurisprudentiels que dégageait le Conseil d’Etat.
L’intérêt de ce système tenait aussi qu’en droit administratif on a développé une voie de droit d’une nature
particulière, un contentieux d’une nature particulière qu’on appelle le contentieux de l’excès de
pouvoir. On dit que c’est un contentieux objectif car on ne soulève pas des questions tenant à des
droits subjectifs mais que des questions de légalité. Et ce recours pour excès de pouvoir a permis au plan
procédural d’affirmer le principe de légalité et d’affirmer l’idée d’une soumission de l’administration au
droit.
Toutes les règles de droit interne (C°, législatives, réglementaires, jurisprudentielles) peuvent être
invoquées devant le JA.
L’invocation de ces normes d’ordre interne ne pose pas toujours les mêmes problèmes. Ce qui pose problème est
l’invocation de la norme constitutionnelle et l’invocation des normes jurisprudentielles.
SECTION 1 : LA CONSTITUTION
- Les lois constitutionnelles de 1875 sont des textes vides car elles régissent des rapports entre les
pouvoirs publics, aucun principe de fond.
- Quand bien même les administrés pourraient et seraient intéressés par invoquer des normes
constitutionnelles, ils se heurteraient à la théorie de la loi écran : cette théorie suppose que lorsqu’un
acte administratif est conforme à la loi alors le contrôle du juge s’arrête au respect de la loi
par cet AA. On ne discute pas de savoir si cet acte administratif conforme à la loi l’est aussi à la
constitution car cela reviendrait à se demander si la loi est conforme à la constitution. Or le JA considère
que ce n’est pas sa mission.
L’influence des normes constitutionnelles est limitée. Le seul moyen qu’à trouver le juge administratif est
un moyen indirect au travers de ce que l’on appelle la théorie des principes généraux du droit.
C’est un principe non écrit que le juge découvre dans l’ordre juridique, dans la tradition
libérale et démocratique et l’ayant découvert, il l’applique à l’administration.
Au travers de cette théorie des principes généraux du droit, le juge administratif va aller chercher
notamment dans la DDHC (donc constitutionnelle) un certain nombre de principes (comme celui de
liberté) qu’il va imposer à l’administration. Arrêt du 28 mai 1954, Barel, CE, dans une affaire où le
gouvernement avait interdit aux militants du PC de se présenter au concours de l’entrée de la magistrature. Le CE annule
le refus car il méconnait le PGD d’égal admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics sans
distinction de race ou d’opinion politique (Se base sur l’article 6 de la DDHC).
La situation change en 1946 et encore plus en 1958.En 1946, le préambule de la constitution de 1946
fait référence à la DDHC, consacre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République. Le préambule de la constitution de 1946 consacre des principes à notre temps tel que le droit
de grève. On voit donc arriver des droits substantiels que les citoyens peuvent opposer à l’Etat.
L’évolution ne tarde pas à agir sur le droit administratif, notamment dans un arrêt de 1950, Dehaene, où sur le fondement du
préambule de 1946, le CE admet ce qu’il avait toujours refusé : le droit de grève dans la fonction publique.
La constitution de 1958 avec son préambule renvoie au préambule de 1946 et à la DDHC de
1789.
Sur cette base, le conseil d’Etat (1959, société Eky) et le conseil constitutionnel (1971) vont dire que
le préambule de 1958 a valeur constitutionnel et qu’au travers du préambule de 1958, ce sont la
DDHC et le préambule de 1946 qui ont également valeur constitutionnelle.
A partir de cela, il est admis que la constitution porte en elle toute une série de principes substantiels
qui s’imposent aux autorités publiques donc aussi aux autorités administratives. Les
justiciables vont donc multiplier les références à la constitution dans leurs recourspours plusieurs
raisons :
- D’abord parce qu’invoquer la constitution donne une légitimité supplémentaire à votre argument
juridique.
- Cela permet de faire évoluer la jurisprudence du CE car la norme constitutionnelle fait généralement
l’objet d’une interprétation par le conseil constitutionnel. Invoquer la constitution c’est invoquer de
nouveaux éléments.
- De plus, les décisions du conseil constitutionnel ont autorité juridique sur les décisions
administratives.
Ce développement des normes constitutionnelles et des moyens d’ordre constitutionnels pose 3 problèmes :
- La norme constitutionnelle écrite sur laquelle s’appuie le requérant, cette norme est elle directement
invocable ?
- Dans quelles mesures le requérant peut invoquer devant le juge administratif une interprétation de
la loi ou de la constitution tirée de la jurisprudence constitutionnelle ?
- Devant le JA, le requérant peut demander en se fondant sur la C° qu’on écarte l’application d’une
loi ?
PARAGRAPHE 1 : LA QUESTION DU CARACTERE DIRECTEMENT INVOCABLE DES NORMES
CONSTITUTIONNELLES ECRITES
Pour être invocable devant un juge, il faut qu’une disposition soit suffisamment précise
pour que le juge en conclue que le législateur ait voulu qu’elle soit immédiatement
applicable. C’est vrai pour la loi et aussi pour la constitution. La constitution est souvent autant un texte
juridique qu’un acte politique et beaucoup de principes constitutionnels ont un contenu assez flou.
o La question a rebondi récemment avec la Charte de l’environnement qui a été adossée à la
constitution. La question s’est posée dans un arrêt du CE, 19 juin 2006, Association eau et
Rivières de Bretagne.Dans quelles mesures ces normes sont opposables à l’administration ? Dans cette
affaire, le commissaire du gouvernement avait proposé de distinguer deux types de disposition de la charte de
l’environnement :
- Celles qui pour lui constituaient des objectifs et à ce titre exige l’intervention de la loi et tant que
la loi n’est pas intervenu ils ne sont pas directement invocables ;
- Celles qui sont directement invocables parce que les principes sont énoncés de manière
suffisamment précise
Il apparait qu’il y a une distinction devant le juge administratif selon le contentieux qui est ouvert devant lui.
- Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, on peut invoquer ce type de norme.
- Dans le cadre d’une action en responsabilité contre l’Etat, il semblerait que les normes formulées
sous forme d’objectifs ne sont pas invocables.
De la même manière, un objectif à valeur constitutionnelle n’est pas invocable dans les procédures de
référé liberté.
C’est une question organisée par la constitution mais la constitution ne résout pas toutes les questions et
notamment les questions les plus intéressantes. Comment est organisé l’articulation entre le Conseil constitutionnel
et le conseil d’Etat ? Il est organisé par l’article 62 de la constitution : « Les décisions du Conseil
constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles ».
Ce que nous dit l’article 62 de la constitution c’est que quand le Conseil constitutionnel fait des réserves
d’interprétation et qu’il nous dit que cette loi est conforme à la constitution sous réserve d’être
interprétée d’une telle manière, cela va s’imposer au JA.
De ce fait l’article 62 ne règle qu’un seul type de difficulté :Hypothèse devant le CE où on vient discuter d’une loi
qui a déjà été contrôlée par le Conseil constitutionnel.
Mais reste d’autres hypothèses, notamment la question de savoir si l'interprétation de la Constitution lie le
CE. On ne parle pas des décisions (autorité de chose décidée), mais de la jurisprudence de la CCel
(autorité de chose interprétée) : a-t-elle autorité devant le JA ? La question n’est pas résolue par
l’article 62 de la constitution.
S’agissant de l’article 62 de la constitution, la JA l’applique, depuis société des Etablissements
Outters.
- Dans les visas du CE, il vise pour la première fois l’article 62 de la constitution
- Et ensuite, ayant à appliquer du caractère fiscal de certaines redevances, le conseil d’Etat va changer de
jurisprudence, va modifier sa jurisprudence en relevant que la loi dont il s’agit de faire application a été interprétée
de telle manière par la constitution et que l’interprétation du conseil constitutionnel s’impose à lui. De plus, la
décision du conseil constitutionnel en cause n’était pas une décision rendue au titre de l’article 61 de la constitution
mais au titre de l’article 37 alinéa 2 de la constitution, c'est-à-dire sur la délégalisation de loi intervenue dans le
domaine du règlement.
Par contre, on a un problème quand devant le JA est discuté de l’application d’un texte qui n’a pas été
contrôlée par le conseil constitutionnel. Dans cette hypothèse on a une partie qui dit oui mais la loi doit être
interprétée au regard de l’article 10 de la constitution tel que l’a interprété le conseil constitutionnel. Dans
ce cas là que fait le JA ?
o L’article 62 ne lui ordonne rien, on est hors champ de l’article 62. Problème d’autorité de la
jurisprudence. Dans cette hypothèse, on s’aperçoit qu’alors qu’il n’est pas tenu de reprendre
le raisonnement du conseil constitutionnel, le conseil d’Etat s’efforce autant que
possible de faire application de la jurisprudence du conseil constitutionnel.
- La raison est tout d’abord rechercher l’unité du droit public. Les deux vont d’autant plus dans le
même sens qu’il y a le dialogue des juges : avant de statuer, le conseil constitutionnel ou le CE
regarde ce que l’autre a jugé.
Ex 1 : CE, 1992, Association amicale des professeures titulaires du museum d’histoire naturelle :le CE
fait application pour la 1ere fois d’un principe dégagé par la jurisprudence du conseil constitutionnel qui est le principe
d’indépendance des professeurs d’université. Il cite expressément la décision du conseil constitutionnel.
Ex 2 : Association la télé est à nous, le CE fait référence à une norme inventée par le conseil constitutionnel qui
sont les objectifs à valeur constitutionnelle et le pluralisme de la presse.
PARAGRAPHE 3 : LE RENVOI AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU CONTROLE PAR VOIE
D’EXCEPTION DES LOIS INCONSTITUTIONNELLES
Le juge administratif n’est pas habilité ni par la C° ni par des textes à juger de la conformité
des lois à la constitution.
Mais le JA peut être saisi parfois de questions de constitutionnalité dans le cas d’un AA qui est pris sur le
fondement d’une loi qui est elle-même inconstitutionnelle.
Dans ce cas de figure, quand un requérant invoque l’inconstitutionnalité de la loi, le JA disait que cela ne
relevait pas de sa compétence, de sa fonction. Il le fait notamment à l’occasion de l’arrêt Arrighi qui
rappelle que les questions de constitutionnalité de la loi ne sont pas susceptibles d’être
discutés au contentieux du JA.
Mais cela peut poser des problèmes, d’où le mécanisme d’exception d’inconstitutionnalité permettant de
soulever cette question en faisant appel aux juges constitutionnels pour résoudre la question posée devant le
JA.
Cette réforme a été adoptée par la loi constitutionnelle de juillet 2008 qui a institué un mécanisme de
renvoi devant le juge constitutionnelle que l’on appelle la Question Prioritaire de Constitutionnalité.
A) LA THEORIE DE LA LOI ECRAN OU L’IMPOSSIBILITE POUR LE JA DE STATUER SUR UNE
QUESTION DE CONSTITUTIONNALITE DE LA LOI.
En 1936, dans l’arrêt Arrighi, le CE estime que : le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une loi
n’est pas de nature à être discuté devant le CE statuant au contentieux.
En conséquence, le juge n’appréciait la légalité du AA qu’au regard de la loi sans se préoccuper de la
constitution, dès lors que l’AA était conforme à la loi.
- Cette solution correspond à la tradition française de la séparation des pouvoirs. Une conception qui est
dominée par l’idée de la souveraineté de la loi. Idée que l’on retrouve dans la loi des 16 et 24 aout
1790 qui interdit aux tribunaux à peine de forfaiture de prendre part à l’exercice du pouvoir
législatif et d’empêcher ou de suspendre l’exécution des lois. Il y aurait une interdiction pour
le juge ordinaire de juger la loi car il n’est là que pour assurer l’exécution de la loi,
veiller à ce que la loi s’applique. C’est ce que l’on a appelé la tradition du légicentrisme. Ce
rappel se retrouve exprimé par le commissaire du gouvernement Latournery dans ses conclusions
sur l’arrêt Arrighi.
- Mais en même temps, il explique qu’au plan théorique, un contrôle de la loi par le juge ordinaire
(en particulier par le JA) n’est pas impossible à concevoir et Latournery explique qu’il y a
plusieurs manières de concevoir la séparation des pouvoirs et Latournery cite l’affaire Marguerite c.
Madison de 1803 (arrêt de la cour suprême Américaine) qui accepte de pratiquer l’exception
d’inconstitutionnalité et d’écarter les lois contraires à la constitution américaine par le
juge ordinaire.
- En outre, Latournery met en avant la conception Kelsénienne de la hiérarchie des normes et dit que
la constitution devrait prévaloir dans toutes circonstances et il fait remarquer qu’il arrive
aujourd’huiau juge ordinaire d’écarter la loi notamment quand différentes lois entrent
en conflit.
Pour Latournery on a au plan théorique des éléments en faveur du non-contrôle et en faveur du contrôle. Il
se décide de ne pas accepter l’exception d’inconstitutionnalité sur la base d’un argument politique : ce
contrôle de la loi par le juge ordinaire est vain et dangereux :
- Vain car on est sous la 3ème république et la constitution n’est composé que des lois constitutionnelles de
1975 (pas de droits fondamentaux)
- Dangereux car contraire à notre tradition politique et donc un tel contrôle pourrait provoquer une
réaction du Parlement qui pourrait décider de se mêler du droit administratif.
Le Conseil d’Etat par la suite n’est jamais revenu sur cette jurisprudence alors même que certains éléments
auraient pu l’amener à le faire :
- D’abord la théorie de la loi écran, le CE l’a fait jouer aussi dans les rapports entre la loi et les traités
internationaux.
- Dans un 2nd temps, le JA avec sa jurisprudence Nicolo de 1989 a accepté de contrôler la loi au
regard des traités internationaux mais en se fondant sur l’article 55 de la constitution et
en estimant que cet article 55 de la constitution contient une habilitation implicite à faire prévaloir les
traités sur la loi. La jurisprudence Nicolo montre que l’obstacle politique soulevait par Latournery ne
tenait pas
Le problème, c’est que dans le rapport entre constitution et loi, il n’y a pas de disposition
constitutionnelle équivalente à l’article 55.
- Le contrôle de conventionalité à bien des égards ressemble à un contrôle de
constitutionnalité car dans les conventions internationales on va retrouver des textes (CEDH…) qui
contiennent des dispositions substantielles et qui ont un objet assez proche de ce que peut être une
disposition de nature constitutionnelle.
- Enfin, Latournery nous disait que cela ne servait à rien car dans la constitution il n’y avait rien. Or
depuis 1958 et 1971,on ne peut plus dire cela.
Pour autant, le CE, la cour de cassation, n’a pas souhaité aller dans le sens de l’acceptation de l’exception
d’inconstitutionnalité pour une raison qui tient à l’institution d’un juge particulier auquel on a confié
ces questions de constitutionnalité et qui est le Conseil constitutionnel. Du coup, le mécanisme qui va
être mis en œuvre et permettre aux administrés de soulever un moyen d’inconstitutionnalité de la loi
devant le JA est un mécanisme particulier qui articule la saisine du JA sur le renvoi au ccel. C’est ce
que l’on appelle la QPC.
B) LA MISE EN ECHEC DE LA THEORIE DE LA LOI ECRAN PAR L’INSTITUTION DE LA QPC
La QPC est instituée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Ce nouveau système est
aujourd’hui décrit à l’article 61-1 de la constitution qui nous dit : « lorsqu’à l’occasion d’une
instance en cours d’une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux
droits fondamentaux, le conseil constitutionnel peut être saisi sur renvoi du CE et de la cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».
L’article 61-1 de la constitution a été mis en œuvre par une loi organique qui a été déférée au conseil
constitutionnel.
Le conseil constitutionnel a estimé dans une décision du 3 décembre 2009 qu’il appartenait au
législateur de combiner le droit reconnu à tout justiciable de poser une QPC avec l’objectif
de bonne administration de la justice. Le conseil constitutionnel en déduit que cette exigence de
bonne administration de la justice implique une organisation processuelle spécifique :
- Cela veut dire que le moyen d’inconstitutionnalité ne peut pas être soulevé d’office par le
juge. Il faut que ce soit le requérant.
- Le moyen d’inconstitutionnalité doit être examiné de manière prioritaire par le juge ordinaire.
- C’est la 1ère question que le juge traite et s’il y a des difficultés sérieuses, il renvoie directement la
question ou au CE ou à la Ccass qui renvoie si c’est sérieux au CCEL.
L’une des questions classiques de la théorie du droit est de savoir si le juge qui n’est que la bouche de la loi ou qui est puissance
nulle, peut il poser des normes c'est-à-dire créer du droit c'est-à-dire ajouter des règles de droit ?
- La question fait difficulté parce que le droit français nie le pouvoir créateur du juge. C’est
l’interdiction des arrêts de règlement, ce qui veut dire que son office se cantonne au règlement
des litiges particuliers.
- Mais en même temps, il y a un principe de réalité qui montre que le rôle du juge est incontestable,
à fortiori en droit administratif où en l’absence de textes, c’est le juge qui a développé
tout l’appareil conceptuel du DA. Ce rôle du JA peut trouver un fondement dans l’article 4 du
code civil qui oblige le juge à statuer même en l’absence de loi.
Cela dit la jurisprudence est une source officieuse du droit. Quand le juge dégage une solution non formulée par les
textes, il fait comme si il n’édictait pas une règle générale. Si la règle posé par le juge prend force juridique,
c’est d’abord parce qu’elle s’impose aux administrés qui ont le sentiment que s’ils ne respectent pas la
règle posée par le juge, ils prennent le risque de perdre le procès.
Formellement, le juge y compris le JA a d’abord pour mission de trancher une affaire précise.
Cela dit, le DA et la JA dans certaines hypothèses manifestent de manière plus explicite l’existence d’un
pouvoir normatif du juge et essentiellement dans deux cas de figure, d’abord dans le cadre de la théorie des
PGD qui vont s’appliquer dans le silence de la loi. Et plus récemment, le juge administratif s’est reconnu la
possibilité, dans un arrêt du 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, de moduler dans le
temps les effets d’un changement de sa jurisprudence.
PARAGRAPHE 1 : LA THEORIE DES PRINCIPES GENERAUX DU DROIT
Un PGD est d’abord une règle non écrite dont le juge va imposer le respect à
l’administration même en l’absence de textes prévoyant un tel respect.
Cette technique où le juge découvre des règles non écrites qu’il impose à l’administration n’est pas propre
au DA. On la retrouve devant la CJUE qui a elle aussi sa théorie des PGD.
En DA, ce principe a joué un rôle essentiel, d’abord parce que ces principes sont très nombreux, que le juge
y a eu recours avec une forme de systématicité. Ce sont des principes qui vont avoir un rôle considérable car
ils vont permettre d’imposer à l’administration le respect de normes d’inspirations constitutionnelles.
Et aujourd’hui, il y a une difficulté : comment on fait pour combiner PGD et principes constitutionnels ?
A) LA DIVERSITE DES PRINCIPES GENERAUX DU DROIT
Il y a deux générations de PGD : il y a les principes qui se rattachent à l’héritage libéral de la Révolution française, le
CE y a recours pour pallier l’absence de textes constitutionnels sous la 3 et 4 ème République. Puis à partir des années
70, on va voir apparaitre de nouveaux PGD qui sont plus spécialisés, plus sectoriels au sens où ils vont s’appliquer à
certains domaines de l’activité administrative.
1) LES PGD DE 1 ERE GENERATION, PRECEPTES ESSENTIELS DE LA PHILOSOPHIE LIBERALE
Sous la IIIème république, on a un Etat républicain, libéral, qui n’a pas de constitution substantielle,
seulement les lois constitutionnelles de 1875. D’où la tentation du CE d’aller chercher ailleurs l’expression
de PGD.
D’abord il y a tout ce qui touche à la protection de la liberté et des droits des citoyens :
- arrêt Dame Trompier Gravier sur le PGD du respect des droits de la défense. Cela veut dire
que quand l’administration s’apprête à prendre une sanction ou une mesure défavorable à l’égard des administrés,
elle doit au minimum communiquer à l’administré les griefs qu’elle a contre lui et lui laisser un temps suffisant pour
répondre.
- CE, 1948, Demoiselle Pasteau, PGD de la liberté de conscience, à propos d’une institutrice dont
hiérarchie reprochait qu’elle aille trop à l’église
- CE, 1951, Dobignac qui consacre PGD de la liberté du commerce et de l’industrie
Au travers des PGD, le CE va consacrer le principe d’égalité entre les administrés :
- CE, 1948, Société du journal l’Aurore, Principe d’égalité des usagers du SPqui interdit les
traitements discriminatoires.
- CE, Barrel, 1954 : Egalité d’accès au SPà propos des militants communistes qui souhaitaient accéder à la
magistrature.
- CE, 1958, Syndicat des propriétaires de forêt de chêne liège d’Algérie, principe d’égalité
devant la loi
Principes qui concourent à la sécurité juridique :
- Arrêt Dame Lamotte de 1950 : les administrés peuvent former un recours pour excès de pouvoir pour contester
les actes qui seraient illégaux.
- Société du journal l’aurore à propos de la non rétroactivité des actes administratifs. Sécurité juridique en
vue du bon fonctionnement de l’administration.
- CE, 1980, Madame Bonjean, PGD garantissant la continuité du SP.
- CE, 1950, Quéralt, consécration du contrôle hiérarchique au titre d’un PGD.
2) LA SPECIALISATION DES PGD DE LA 2 NDE GENERATION
Ils vont apparaitre à partir des années 70 à une époque où les PGD sont déjà développés. Ils ont un moindre
degré de généralité. Ils correspondent à des droits économiques ou sociaux.
Enfin, ils visent certaines catégories de personnes. Non pas l’administré en général, dans leurs relations
particulières avec l’administration. En particulier les étrangers et les agents de la fonction publique non
titulaires.
- tout d’abord, c’est le droit pour les étrangers résidant en France de mener une vie familiale
normale, CE 1978, GISTI (Groupement d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), ce qu’il leur
ouvre un droit au regroupement familial.
- CE, 1984, Lujambiogaldenao, PGD faisant obstacle à ce qu’un étranger soit extradé dans
un pays ne respectant pas les droits et libertés fondamentales de la personne humaine et
notamment quand on y encourt la peine de mort.
- CE, N’kodia, 1991, principe qui fait obstacle à ce qu’une personne ayant demandé le statut
de réfugié politique soit reconduit à la frontière avant qu’on ait statué sur sa demande.
On retrouve aussi les principes applicables aux personnes contractuelles de la fonction publique :
- 1973, Dame Peynet à propos d’un principe interdisant à tout employeur y compris une
administration publique de licencier des salariées en état de grossesse.
- CE, 1982, Ville de Toulouse,PGD selon laquelle la rémunération d’un salarié ne peut pas
être inférieure au SMIC.
- CE, 1987, Madame Seguin, Principe selon lequel le préavis de licenciement ne peut être tenu
pour accompli pendant la période où l’agent est en congés maladie
o Dans tous les cas, même si le juge s’appuie sur le droit écrit, cela ne lui ôte pas un pouvoir
normatif.Deux exemples :
- C’est toujours le juge qui fait le tri dans les principes qui sont invoqués devant lui.
En 1970, dans un arrêt « Commune de Bozas »est invoquée devant le CE la règle selon laquelle le silence
gardé par l’administration sur une demande d’un administré vaut décision de rejet de la
demande. L’auteur du recours expliquait que c’était une règle inscrite dans un texte réglementaire mais que cela
allait au-delà, c’était un PGD qui ne pouvait pas être remis en cause par le pouvoir réglementaire.
- Quand le juge s’appuie sur un texte pour en tirer un PGD il conserve un pouvoir
normatif car c’est lui qui détermine le contenu concret :CE, 1980, Madame Bonjean : PGD
du droit de grève dans les SP. Ce principe doit s’articuler, se combiner avec un autre PGD qui est celui
de la continuité des SP. Cette idée correspond à l’idée que c’est le juge qui nous dit le PGD et qui en
détermine le contenu.
- Le juge va s’appuyer sur une règle de droit applicable dans un domaine particulier mais
va considérer que cette loi ne fait que mettre en œuvre un principe général qui vaut dans
tous les domaines de l’activité humaine ou de l’action administrative :
PGD des droits de la défense, instauré par l’arrêt Dame veuve Trompier Gravier, a trouvé son
fondement dans la loi de 1905.
En 1944, le CE pense que la loi de 1905 n’est que l’expression d’un principe plus large qui est le droit de la défense.
Affaire Dame Peynet (interdiction de licencier une salariée enceinte) ou Ville de Toulouse
(obligation de payer au minimum au SMIC). S’appuient sur le droit du travail.
- CE, 1988, BereciarturaEcharri : le CE ne s’appuie pas sur une règle précise mais sur l’esprit
du texte. Il faut déduire des textes un principe qu’on ne renvoie pas un réfugié politique vers son pays d’origine.
Cette question a été réglée par le professeur Chapus. Celui-ci apporte la démonstration suivante : si les
PGD sont l’expression du pouvoir normatif du juge, alors ils occupent dans la hiérarchie des normes, une
place qui correspond à la fonction du JA qui est d’appliquer la loi et d’en assurer le respect par les actes de
l’administration y compris par les actes réglementaires. En conséquence, le juge se situe entre la loi et
le règlement donc les PGD ont une valeur infra-législative mais le PGD a une valeur supra-
réglementaire, il s’impose à l’administration chaque fois qu’elle exerce son pouvoir réglementaire. C’est
ce qu’illustre l’arrêt de 1959, Syndicat des ingénieurs conseils, à propos du pouvoir réglementaire
autonome.
Une difficulté va apparaitre qui tient à ce que parmi les PGD dégagés par le CE, il y en a qui
correspondent à des principes constitutionnels dégagés par le Conseil constitutionnel. Comment
résoudre cette difficulté ? Ces principes ont-ils valeur constitutionnelle ? On irait alors plus loin que la thèse de Chapus.
C) L’UTILISATION PAR LE JA DE PGD EN CONCURRENCE AVEC LES NORMES
CONSTITUTIONNELLES
Années 70-80 : Le principe d’égalité devant la loi était présenté comme un principe constitutionnel alors que
pour le CE c’était un PGD. Certains ont jugé qu’il y avait une certaine absorption des PGD par les
principes constitutionnels et donc qu’ils avaient valeur constitutionnelle. Le professeur
Favoreuexpliquait qu’il ne pouvait y avoir dans l’ordre juridique qu’un seul et même principe par exemple d’égalité
devant la loi.
Cette thèse a été combattue tout d’abord par Chapuset expliquait qu’il ne fallait pas confondre
l’analyse matérielle fondée sur le contenu des principes qui peuvent être identiques et une
analyse de type formelle fondée sur la juridiction qui dégage le principe. Il y avait bien deux
principes d’égalité devant la loi : un PGD de valeur infra-législative et un principe de nature constitutionnelle.
Cette controverse a tourné court dans la mesure où le CE a réorienté sa jurisprudence et désormais plutôt
que de s’appuyer sur un PGD, il s’appuiera sur un principe constitutionnel ou une
disposition de la constitution équivalant. C’est ainsi que le principe d’égal admissibilité aux emplois
publics dont le CE avait fait dansl’arrêt Barelun PGD n’est plus dans la jurisprudence administrative fondée sur la
théorie des PGD mais directement fondée sur l’article 6 de la DDHC qui a valeur constitutionnelle. C’est ce qu’il fait
dans un arrêt de 1988, Blet et Sabianig. Les PGD sont alors absorbés par les règles constitutionnelles.
Pourquoi ?
- Tout d’abord par un souci de cohérence (difficile d’expliquer qu’il y a deux principes, qui peuvent alors
être interprétés différemment, autant alors appliquer le même principe et alors la cohérence est assurée
par le mécanisme de l’article 62 de la constitution) et un
- 2ème argument est que le recours à un principe à valeur constitutionnelle donne plus de légitimité.
- Il peut y’avoir un 3ème argument qui est que dans certains cas, le recours à certains principes
constitutionnels va permettre d’écarter certaines dispositions normatives alors que le PGD ne lui aurait
pas permis de le faire : arrêt de 1996, Koné :recours contre la décision d’extradition d’un ressortissant malien
vers son pays d’origine. Le requérant expliquait que cette demande d’extradition était faite dans un mobile politique.
Il était opposant politique. Le ressortissant expliquait qu’il existait un PGD qui interdisait d’extrader quand
l’extradition est demandée dans un but politique. Il tirait ce PGD d’un certain nombre de conventions internationales
interdisant l’extradition fondée sur des infractions de nature politique. Dans ses conclusions, le commissaire du
gouvernement explique qu’il y a un PGD qui fait que le JA doit interpréter les stipulations du traité dans
ce sens et il demande au CE d’annuler la décision d’extradition. Le CE ne va pas suivre complètement
son commissaire du gouvernement, il va dire qu’il y a bien un principe qui interdit l’extradition
demandée dans un but politique mais le CE va juger que ce principe est un principe à
valeur constitutionnelle.Le CE pense que comme les traités ont une valeur supérieure à la
loi, il ne peut pas vraiment s’appuyer sur un PGD qui sont inférieurs à la loi.
PARAGRAPHE 2 : L’OFFICIALISATION DU POUVOIR NORMATIF DU JA : LE DROIT
JURISPRUDENTIEL TRANSITOIRE
Est en jeu un arrêt du CE du 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation. Dans cet arrêt, le
CE se reconnait un pouvoir qui est de moduler les effets de sa jurisprudence qui l’amène à dire
explicitement qu’il exerce bien un pouvoir normatif car sa jurisprudence peut faire naitre des problèmes
de sécurité juridique, il est à même de les régler.
o Le problème de cet arrêt est celui du revirement de jurisprudence. La nouvelle solution a par
définition un effet rétroactif car elle va s’appliquer pour la 1ère fois à des faits constitués sous l’empire de
la solution précédente. En 2007, le CE a accepté de remédier à l’affaire et de moduler dans le temps son
changement de jurisprudence : la solution nouvelle est la suivante mais elle ne rentrera en
application que dans un certain temps (6 mois, 1 an). Je l’applique à l’affaire en cours, je
l’applique aux instances qui sont pendantes au même sujet mais la règle ne rentrera réellement
en vigueur qu’à partir de l’année suivante.
En l’espèce il s’agissait de permettre à une entreprise qui a été évincée d’une procédure d’appel d’offre de saisir le juge du contrat
pour lui demander d’annuler le contrat attribué à un autre.
Notre ordre juridique est peuplé de normes venues du droit international et du droit communautaire.
Depuis la C° de 1946 il est admis que le droit international prime sur le droit national y
compris sur la loi française et la jurisprudence communautaire a mis en avant cette idée de primauté du
droit communautaire sur le droit national.
- Le CE a consacré très tôt la possibilité de se prononcer sur le droit internationaldés1952 dans
un arrêt Dame Kirkwood.
- En 1997, le CE va plus loin, dans un arrêt Aquarone,il juge que non seulement les normes
écrites du droit international s’impose mais aussi les principes non écrits du droit
international tel que dégagés par la CIJ ainsi que la coutume internationale.
Le droit communautaire et la CEDH ont une portée juridique particulière dans notre
ordre national dans la mesure où il est assez largement admis que les dispositions du droit
communautaire intéressent non pas des relations d’Etat à Etat mais les relations de l’Etat signataire
avec ses propres ressortissants.
Les deux systèmes juridiques européens ont leur propre système juridictionnel (la cour de justice de
l’union européenne, et cour européenne des droits de l’homme). Elles ont leur propre arrêt, propre
jurisprudence.
- La règle de droit international est-elle correctement entrée dans notre ordre juridique ? 2 conceptions :
conceptiondualiste : un traité international ne s'applique dans l'ordre interne que s'il est repris
par une loi nationale. C'est le système anglais
conception moniste : une règle de droit international prime et s'applique en droit interne du seul
fait qu'elle a été ratifiée par les autorités.
C’est le cas Français. Le problème c’est que c’est un monisme incomplet car comme la règle
internationale vient du dehors, il faut s’assurer qu’elle remplit les conditions pour s’appliquer dans le
dedans.
- En outre, même une fois insérée dans notre ordre juridique, la règle de droit international peut poser
des problèmes d’application. Il peut y avoir une difficulté quant à son interprétation, quand à son effet
direct.
- Les solutions qui valent pour le droit international ne valent pas pour le droit communautaire car
il repose aujourd’hui sur des mécanismes d’intégration qui lui sont propres et sont décrits par l’article 88
de la constitution.
SECTION 1 : LE CONTROLE PAR LE JUGE DE L’INSERTION DE LA REGLE DE DROIT
INTERNATIONAL DANS L’ORDRE JURIDIQUE INTERNE
Les conditions d’insertion sont définies à l’article 55 de la constitution : les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont dés leur publication une autorité supérieure à celle des lois
sous réserve de son application par l’autre partie.
o Cet article mélange deux questions qui n’ont rien à voir : la question de l’insertion de la norme et une
question différente qui est celle de l’autorité juridique.
Et parmi les questions de l’insertion de la norme, il y a des questions qui paraissent dépasser la dimension juridique,
notamment l’idée que pour l’application d’un traité il faut qu’il soit appliqué par l’autre partie.
Le juge vérifie les conditions d’insertion des traités. Par contre, il y a eu des difficultés plus lourdes
s’agissant de la clause dite de réciprocité.
Le juge vérifie d’abord que le traité a été signé par les autorités diplomatiques ou a été ratifié par le Président de
la République ou approuvé ministre des affaires étrangères. Si le texte n’a pas été ratifié ou approuvé, il
n’est pas applicable en droit français.C’est le sort réservé à la déclaration universelle des droits de l’homme.
Le juge va vérifier si l’engagement international a été publié au journal officiel. Si ce n’est pas le cas il n’est
pas inséré dans notre ordre juridique. Un Etat qui tarde à publier une convention qu’il a ratifié est susceptible
d’engager sa responsabilité :Arrêt 1958, Société Ultrabois.
Question : le traité doit être régulièrement ratifié ou approuvé. Qu’entend-on par là ? Il faut que cela se
fasse par l’autorité compétente. L’une des difficultés est venue d’une disposition de la constitution qui
est l’article 53 de la constitution et qui nous dit que certains traités doivent pour pouvoir être ratifiés, obtenir
l’autorisation du parlement.
Cette clause est posée par l’article 55 de la constitution. Elle consiste à exiger pour qu’un traité
soit applicable que les autres Etats parties à ce traité en assurent aussi l’application. Ce n’est
qu’à cette condition que ce traité est opposable aux autorités nationales.
o La clause de réciprocité vaut pour les traités classiques, diplomatiques, les traités qui font naitre des
relations Etats à Etats. Il y a des traités qui ne sont pas soumis au respect de cette clause : les traités
communautaires, les traités qui portent sur les droits de l’homme.
La clause de réciprocité pose deux questions : quelles sont les effets ? Qui doit apprécier la réalité du défaut de réciprocité ?
- La constitution donne une réponse ambiguë puisque l’article 55 de la constitution lie défaut de réciprocité et
autorité juridique du traité. Le juge nous dit : quand la condition de réciprocité n’est pas remplie, le
traité n’est pas applicable.
- Elle a soulevé plus de difficultés. Le juge peut apprécier le respect de la condition de réciprocité ? Apprécier la
condition de réciprocité c’est d’abord apprécier les conditions de fait, des questions d’ordre technique voire même
d’ordre politique car en vérité cela revient à apprécier le comportement d’un Etat étranger.
o Le JA va d’abord estimer qu’il ne pouvait pas apprécier cette condition de réciprocité car
techniquement il ne pouvait pas être sur place, et politiquement c’était source de complications.
Arrêt Rekhou 1981 et arrêt 1999 ChevrolBenkeddach : dans ces deux affaires, le CE a estimé que pour
vérifier la condition de réciprocité, il lui appartenait de renvoyer l’affaire au ministre des affaires
étrangères dans le cadre d’une question préjudicielle. L’idée étant que la réponse donnée par le ministre
des affaires étrangères s’impose au juge.
o Cette jurisprudence traditionnelle a posé des difficultés d’abord car depuis l’arrêt Nicolo, les règles du
droit international s’impose dans l’ordre juridique interne et sont amenées à prévaloir sur la loi
nationale.
o En 1990, dans un arrêt GISTI, le CE avait abandonné la pratique du renvoi au ministre des
affaires étrangères sur la question de l’interprétation des clauses d’un traité. Pourquoi ne
pas transposer à l’appréciation de la condition de réciprocité la jurisprudence nouvelle sur
l’interprétation des traités ?
o Outre cette divergence de jurisprudence, il y eut une nouvelle difficulté avec la jurisprudence de la
CEDH qui a jugé qu’en matière de renvoi devant le ministre des affaires étrangères, il y
avait là une violation du droit à un procès équitable. La cour l’a jugé d’abord en matière
d’interprétation des traités en 1994 dans une affaire Beau Martin et l’a jugé en 2003, dans
l’affaire Chevrol. La cour considère que le juge administratif en renvoyant au ministre se prive et prive le
requérant de la possibilité de discuter une question déterminante sur l’issue du procès. Pour la CEDH, il y a là
une question fondamentale qui relève de la mission du juge.
Le JA retient aujourd’hui la solution suivante :en cas de moyens soulevant l’absence de réciprocité
du traité, le juge est tenu de demander l’avis au ministre. C’est une obligation procédurale, mais le
juge n’est pas tenu par la réponse que formulera le ministre. Le juge peut discuter l’avis motivé du ministre.
Au final donc le juge apprécie si oui ou non la condition de réciprocité est remplie.
Cette évolution de la jurisprudence a produit immédiatement ces effets puisque dans l’affaire Cheriet-
Benseghir,le CE a jugé que la condition de réciprocité avait été remplie à propos d’une
stipulation des accords d’Evian, alors qu’en 1999 dans l’affaire ChevrolBenkeddach, il l’avait estimé comme
non rempli.
SECTION 2 : L’APPLICATION PAR LE JUGE ADMINISTRATIF DE LA REGLE DE DROIT
INTERNATIONALE
Cette application par le JA va poser des problèmes :
D’abord, celui de l’interprétation de la règle de droit internationale. Qui le fait ? ; Quels sont les effets de la règle
de droit internationale que l’on invoque devant lui ? Cette règle est dotée de l’effet direct ? ; Cette règle de droit
internationale ne vient pas buter sur une règle de droit interne qui empêcherait le juge de faire application de la
règle de droit interne ?
PARAGRAPHE 1 : L’INTERPRETATION DE LA REGLE DE DROIT INTERNATIONALE OU
COMMUNAUTAIRE
Dans la fonction du juge, il y a un élément essentiel qui est l’interprétation de la règle. C’est une démarche
inhérente à la fonction du juge. Cette évidence se heurte à l’égard des règles de droit internationales à des difficultés
induites par l’origine de la règle qui vient d’un autre ordre juridique sur lequel le juge n’a pas la maîtrise. Les
solutions ne sont pas les mêmes que ce soit pour le droit international ou le droit communautaire.
A) L’INTERPRETATION DE LA REGLE DE DROIT INTERNATIONALE
Traditionnellement, le JA rattachait l’interprétation des traités à la théorie des actes de gouvernement et il
considérait que l’on ne pouvait pas discuter devant lui de l’interprétation d’un traité rendu par le ministère
des affaires étrangères : arrêt Karl Toto Samé.
o La pratique était celle du renvoi au ministre des affaires étrangères. Plusieurs arguments
étaient invoqués :
- la difficulté d’accéder aux travaux préparatoires du traité ;
- il fallait une unité d’interprétation de la règle de droit internationale et seul le ministère des affaires étrangères était
capable de savoir comment cette règle était appliquée dans les autres Etats ;
- L’idée que l’interprétation du juge déconnecté de celle du ministre des affaires étrangères pourrait compliquer les
relations diplomatiques de la France.
Cette jurisprudence traditionnelle a été remise en cause dans l’arrêt GISTI de 1990.Le CE a jugé qu’il
lui revenait même en cas de difficultés sérieuses d’interpréter le droit internationale.
o Deux facteurs :
-l’arrêt Nicolo de 1989 qui fait prévaloir le traité sur les lois y compris les lois postérieures donc il y avait
une sorte de déséquilibre dans la séparation des pouvoirs (on fait prévaloir l’interprétation du
ministre sur le législateur, donc atteinte à la hiérarchie des normes, donc il fallait dire que le juge
interprétait les traités) ;
- l’arrêt de la CEDH 1994, Beau martin c. France qui a jugé que la pratique du renvoi au ministre
dans le cadre d’une question préjudicielle était une atteinte au droit à un procès équitable.
B) L’INTERPRETATION DE LA REGLE DE DROIT COMMUNAUTAIRE
L’ordre juridique communautaire est un ordre juridique distinct de l’ordre international
car largement intégré à l’ordre juridique national et qui dispose en plus de ses propres
instruments et mécanismes de contrôle.
Le traité de l’UE (art 234) prévoit ainsi que c’est à la CJUE qu’il revient d’interpréter le droit
communautaire et d’assurer l’unité des interprétations en vigueur dans tous les états
membres.
La réalité est plus complexe car tous les jours il y a une règle qui est invoquée devant les juridictions
nationales. On ne renvoie à la cour de justice que les questions faisant difficultés sérieuses ou les questions
dont la solution n’est pas claire.
o Pendant longtemps, le JA a fait une application abusive de la théorie de l’acte clair,
c'est-à-dire qu’il jugeait tout clair.
o C’est ce qu’il a fait dans une affaire de 1978 « Cohn-Bendit ».La question était de savoir si une
directive communautaire qui reconnaissait des droits aux ressortissants communautaires qui auraient permis à
Cohn Bendit de revenir en France était directement invocable ? Le CE n’entendait pas retenir
l’interprétation de la cour de justice sur cette question et donc plutôt que de renvoyer la difficulté
sérieuse à la cour de justice, le conseil d’Etat a considéré qu’il n’y avait pas de difficulté
sérieuse alors que la cour de justice jugeait le contraire.
Le droit communautaire s’est alors construit conceptuellement en dehors des schémas du droit Français. La Cour de
justice quand elle rend des interprétations le fait toujours par rapport au droit national qui pose problème. Si les
Français ne saisissent pas la cour de justice, les autres vont le faire.
o Le CE est revenu à une pratique plus en adéquation avec les autres cours européennes et aujourd’hui le
CE n’hésite pas à poser des questions préjudicielles à la cour de justice sur des questions qui
font vraiment difficulté, quitte à abandonner sa jurisprudence :
- 1999, CE, Griesmaroù le CE renvoie à la cour et applique l’avis de la cour. Le CE sans renvoyer
à la cour de justice applique la jurisprudence de la cour de justice.
PARAGRAPHE 2 : L’APPRECIATION PAR LE JUGE DES EFFETS DE LA NORME
INTERNATIONALE OU COMMUNAUTAIRE DANS L’ORDRE INTERNE
Les solutions apportées ne sont pas les mêmes selon qu’il est invoqué devant le JA une règle de droit international
ou communautaire compte tenu de la spécificité de l’ordre juridique communautaire.
Dès lors la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure ces stipulations conventionnelles sont susceptibles
d’être invoquées à l’encontre de l’administration par le justiciable ? Cette question soulève deux problèmes
différents : l’effet direct du traité et l’applicabilité directe. Une norme peut avoir un effet direct sans
pour autant avoir une applicabilité directe.
1) L’EFFET DIRECT DES CONVENTIONS INTERNATIONALES
L’effet direct désigne l’aptitude d’une règle de droit internationale à conférer par elle-même aux
particuliers des droits dont ils peuvent se prévaloir au plan interne et notamment devant les
juridictions nationales.
Tous les traités n’ont pas cette aptitude là.
Par exemple, n’a pas cette aptitude là le traité qui ne contient que des stipulations qui concernent
uniquement les Etats dans leurs relations réciproques : arrêt 1985, CE, Garcia Henriquez : était
invoqué devant le CE une convention conclue entre la France et la Colombie par laquelle chaque gouvernement
s’engageait à consulter son homologue avant de décider de l’extradition d’un de ses ressortissants vers un pays tiers. Le CE
est saisi par Garcia Henriquez qui sur décision du gouvernement français va être extradé vers les EU. Or en l’espèce, le
gouvernement français n’avait pas consulté le gouvernement colombien. Le requérant demande l’annulation de
l’extradition car le traité n’a pas été respecté. Le CE répond : le traité en question n’a pas d’effet direct, les
particuliers ne sont pas les destinataires de la règle, la règle n’engage que les deux Etats dans leurs relations réciproques,
le requérant ne peut pas se prévaloir de cette disposition.
Cela ne veut pas dire que ce type de traité n’est pas susceptible de s’appliquer devant les JA.
Arrêt 1993, Royaume Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du nord, à propos de la colonie
britannique de Hong Kong qui avait demandé l’extradition d’un ressortissant Hongkongais sur le territoire national et le
gouvernement français avait refusé cette extradition. Au nom du gouvernement de Hong Kong, le gouvernement britannique
avait attaqué devant le CE le refus d’extrader en se fondant sur la convention d’extradition qui liait la France au RU. Ici,
alors même que cette décision d’extradition n'intéressait que la France et le Royaume-Uni, le CE a accepté que le R-U
pouvait s'en prévaloir.
Même exemple dans une affaire de 1994 « Confédération Helvétique ».
La question de savoir si un traité a un effet direct est fonction de l’objet de la règle et de son
aptitude à faire naître directement des droits au profit des particuliers.
o Ce qui est en cause ici n’est pas l’objet mais la rédaction de la règle : est ce qu’elle a un contenu
suffisamment précis, suffisamment inconditionnel pour être d’elle-même auto-exécutoire ?
Ex : affaire Valton, CE, 1984 : était invoqué devant le CE l’article 4 de la charte sociale européenne. Selon
ce texte, les Etats parties s’engagent à reconnaitre le droit de tous les travailleurs à un délai de préavis avant la
cessation d’emploi. Sur le fondement de ce texte, était attaquée devant le juge une décision administrative où la
question du préavis n’était pas réglée. Le CE va estimer que l’article 4 de la charte sociale
européenne ne fixe qu’un objectif à atteindre, qu’une recommandation pas suffisamment
précise et inconditionnelle. Le CE considère que ce type de stipulations n’a pas d’applicabilité
directe.
Or la question de savoir si une norme est suffisamment précise peut faire l’objet d’interprétations
divergentes de la part des juridictions. Il arrive notamment qu’une même stipulation internationale
ne soit pas apprécié de la même manière entre le CE et la cour de cassation et notamment il y a eu
divergences d’appréciations sur le caractère auto-exécutoire des articles de la convention sur les
droits de l’enfant. La cour de cassation a commencé à dire que la convention n’était pas auto-exécutoire
dans son ensemble alors que le conseil d’Etat a opté pour une position plus nuancée distinguant selon le
contenu de chaque article.
La question qui se pose est de savoir quelle est l’articulation entre l’effet direct de la règle et sa
capacité d’applicabilité directe. On a vu qu’une norme qui a effet direct en général a une applicabilité directe
mais ce n’est pas toujours le cas.
Reste une question plus complexe qui est de savoir si l’applicabilité directe ou de la règle dépend ou non de la nature de
l’acte qui est contesté devant le juge administratif et en particulier de la question de savoir si est contesté devant le JA un
acte individuel ou une mesure à caractère général ?
Quand un traité n’est pas auto-exécutoire, c’est que généralement il suppose une règle
nationale d’application :
- Si la règle nationale d’application n’est pas prise, on comprend qu’on ne puisse pas attaquer devant le
juge administratif un acte administratif individuel en se fondant sur le traité
- Mais lorsqu’on attaque devant le juge administratif un acte réglementaire ou une loi (ce sont des
mesures nationales d’application), on pourrait dire qu’on peut invoquer les stipulations
du traité.
L’idée d’Abraham est de distinguer l’invocabilité du traité selon que l’on attaque un règlement ou un acte
individuel ; l’idée étant que le caractère non exécutoire du traité ne peut faire obstacle qu’au recours contre
un acte individuel et non réglementaire.
Le CE dans cette affaire ne l’a pas suivi et il refuse de faire cette distinction selon la nature de
l’acte que l’on attaque. L’intérêt des conclusions Abraham était de s’inspirer d’une jurisprudence que
l’on applique aux directives communautaires où l’on fait ce genre de distinction.
B) L’EFFET SPECIFIQUE DES DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES
Le droit communautaire est composé d’un ensemble de normes qui comprend les
dispositions des traités mais également des actes de droit dérivé qui obéissent à une distinction
fondamentale entre les règlements communautaires et les directives communautaires.
o L’une des difficultés tient au statut des directives. Les directives prévues par l’article 249 du traité
de l’UE présentent du point de vue de leur intégration en droit interne une spécificité : les
directives adoptées par les Etats membres se bornent en principe à ne formuler que
des objectifs à atteindre, des objectifs qui appellent des mesures de transposition dans
leur ordre juridique interne et ce, dans des délais qui sont généralement imposés par
la directive.
Ces directives exigent transposition de la part des Etats membres et excluent application directe de
la directive dans l’ordre juridique national.
La question est donc de savoir comment le juge traite de cette question quand il est saisi de recours qui s’appuient sur une
directive et en particulier quand le requérant invoque une directive qui n’a pas été transposée dans l’ordre interne dans les
délais requis alors qu’elle aurait dû l’être.
Cette question a donné lieu à une jurisprudence divergente entre le CE et la CJCE qui va se
manifester en 1978 dans l’arrêt « Cohn-Bendit ».
o Le CE rejette le recours de Cohn Bendit en expliquant que conformément au traité de Rome, que
les directives n’ont pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne donc un
justiciable ne peut pas l’invoquer directement contre les autorités françaises. Cette
réponse paraissait conforme à la lecture du traité sur la CEE.
o Le problème est qu’entre temps, la jurisprudence européenne dans un arrêt « Van Duyn » de
1974avait développé une interprétation propre de l’effet juridique des directives et avait expliqué
qu’il fallait distinguer selon le contenu de la directive car pour la Cour de justice, certaines
directives ont un contenu suffisamment précis, suffisamment inconditionnelle pour être
dotées d’un effet direct.
En conséquence, à l’expiration du délai de transposition, on doit admettre que les
justiciables peuvent les invoquer si l’Etat membre n’a pas pris les mesures de
transposition nécessaire. La cour de justice au vue de cette pratique, nous dit qu’il y a les
directives réglementaires qui offrent au requérant une invocabilité de substitution car on peut
les invoquer à la place des mesures nationales qui ne sont jamais intervenues et c’est cette idée
d’invocabilité de substitution que rejette le CE dans l’affaire Cohn Bendit.
Cette affaire a fait scandale car le CE s’est écarté intentionnellement de la jurisprudence Van Duyn, il a au
nom de la théorie de l’acte clair refusé de renvoyer la question de l’interprétation de la directive à la
cour de justice et il a développé une jurisprudence dissidente. Pour autant, la jurisprudence
administrative reconnait l’autorité juridique des directives communautaires mais pas dans
le cas de l’invocabilité de la substitution.
C’est ce que juge le CE en 1984, « Confédération nationale des sociétés de protection des
animaux de France et des pays d’expression française ». Plus largement, le CE va considérer que
dans la mesure où l’Etat a l’obligation passé le délai de transposition de transposer par des
mesures législatives ou réglementaires les dispositions de la directive, il est possible aux
administrés de contester devant le CE toute disposition nationale réglementaire ou
législative qui ne serait pas conforme aux objectifs de la directive. Cela veut dire que l’on peut
faire un recours contre n’importe quel règlement au motif qu’il ne serait pas conforme à des
objectifs de la directive. (Palazzi 1991).
Mais ce qui vaut pour les règlements administratifs vaut aussi pour les mesures législatives puisqu’il est
possible d’invoquer une directive pour mettre en échec l’application d’une loi (Société
Rothmans 1992).
o Le CE va même aller un peu plus loin puisqu’il va admettre qu’il existe une invocabilité de prévention.
C’est la possibilité de contester un acte réglementaire ou une mesure législative avant même
expiration du délai de transposition, dès lors qu’il apparaitrait que le règlement ou la loi
sont susceptibles de compromettre la réalisation des objectifs réalisés par la directive, CE,
2001, France Nature Environnement.
La jurisprudence Cohn Bendit signifie simplement que le CE n’admet pas à la différence de la Cour
de justice l’invocabilité de substitution.
o La divergence entre le CE et la Cour de justice va durer de longues années. Mais progressivement, le CE va
s’efforcer de gommer les aspérités de la jurisprudence Cohn Bendit et va s’efforcer de réduire autant que
possible les cas de divergences quitte à admettre l’invocabilité de substitution sans le dire
expressément, notamment dans un arrêt de 1998 qui est l’arrêt Etienne Tête. Celui-ci contestait
l’attribution à la société Bouygues d’une concession de travaux publics visant la construction d’un péage. L’argument
d’Etienne Tête est de dire qu’il existe une directive communautaire non transposée en droit français qui oblige d’organiser
une procédure d’appel d’offre avant d’attribuer une concession de travaux publics. Il conteste une décision individuelle
(même situation que celle de Cohn-Bendit). Le CE dans cette affaire va admettre l’invocabilité de la
directive non transposée.
Le CE dit qu’en France il n’y a pas de texte législatif ou réglementaire qui encadre l’octroi de concession de
travaux publics, il n’y a pas de place pour l’invocabilité de substitution. Mais il existe des principes
jurisprudentiels qui disent qu’il n’y a pas de mesures de publicité organisées avant d’attribuer une concession
de travaux publics. On peut admettre qu’un requérant invoque la directive communautaire
pour exclure l’application des principes jurisprudentiels. Cet arrêt est intéressant car en l’espèce
il n’y a pas de textes écrits. Le CE nous dit que les principes jurisprudentiels s’interposent entre la directive
et l’acte individuel.
L’écart entre les deux juridictions a été franchi définitivement par un arrêt du CE du 30 octobre 2009, Mme
Perreux où le CE a accepté l’invocabilité d’une directive non transposée dans le cadre d’un recours
exercé contre une mesure individuelle alors qu’il n’existait aucune mesure législative ou
réglementaire de droit interne qui réglait cette question.En l’espèce, Mme Perreux était une magistrate qui
contestait la nomination d’une autre magistrate à un emploi de chargé de cours à l’ENM. Elle invoquait une directive sur l’égalité
en matière d’emploi, estimant qu’il y avait une discrimination fondée sur des raisons syndicales. L’intérêt pour la requérante
d’invoquer cette directive est que la directive en matière de discrimination inversait la charge de la preuve au sens ou ce n’est pas à
l’employé de prouver qu’il a été discriminé mais à l’employeur de démontrer qu’il n’a pas discriminé. Le CE en l’espèce va
admettre que Mme Perreux est parfaitement fondée à invoquer les dispositions de cette directive non transposée.
Pourquoi le CE a-t-il abandonné sa jurisprudence Cohn Bendit ? La réponse du commissaire du gouvernement
Guillomard se présente en 4 types d’explications :
- La jurisprudence de la Cour de justice est acceptée par la plupart des cours suprêmes des
Etats membres
- Depuis 1974, les traités européens ont été révisés à plusieurs reprises et à aucun moment les Etats
membres n’ont souhaité encadrer, limiter, interdire la pratique des directives
réglementaires.
- Et enfin, parce que depuis Nicolo, l’office du juge administratif à l’égard du droit communautaire a
changé. Le JA doit donner aux justiciables nationaux toutes les possibilités pour garantir les droits que
les ressortissants nationaux tirent du droit communautaire.
PARAGRAPHE 3 : L’INTERPOSITION D’UNE REGLE DE DROIT INTERNE ENTRE L’ACTE
ADMINISTRATIF ET LA REGLE DE DROIT INTERNATIONALE OU COMMUNAUTAIRE
L’hypothèse est celle d’un conflit de normes. Le requérant invoque devant le juge une norme
internationale susceptible de faire échec à l’application de la loi ou de la constitution ou à l’inverse, le
requérant invoque une loi ou une règle constitutionnelle susceptible de faire échec à l’application de la règle
de droit internationale.
Dans ces hypothèses de conflit de normes, le juge administratif est amené à arbitrer, à chercher à savoir quelle est la
norme qui va prévaloir et dans un certain nombre de cas, il va écarter la règle de droit internationale alors même
qu’elle est d’applicabilité directe au motif qu’une règle supérieure l’y oblige.
La question de l’interposition des conflits de normes a évolué depuis une vingtaine d’années. Classiquement, le JA
faisait prévaloir la théorie de la loi écran. Elle est aujourd’hui supprimée dans les relations entre la loi et les
conventions internationales. Par contre, un nouveau problème qui est celui de la constitution écran quand il y a
un conflit entre la constitution et la convention internationale, quelle est la norme qui prévaut ? Le JA fait prévaloir
la C°.
A) L’INTERPOSITION DESORMAIS IMPOSSIBLE DE LA LOI
Le CE en 1968 dans l’arrêt Syndicat national des fabricants de semoule de France avait jugé que
lorsque le traité rentrait en conflit avec une loi qui avait été adoptée postérieurement au
traité, le CE avait jugé qu’il lui était interdit de contrôler la loi et il lui revenait dés lors de
faire prévaloir la loi sur le traité, la loi faisant écran.
- Cette jurisprudence des semoules a été contredite assez vite, d’abord par le Conseil constitutionnel dans
sa décision IVG de 1975 où le Conseil constitutionnel dit : la question de la conventionalité
d’une loi n’est pas une question de constitutionnalité.
- La Cour de cassation dans l’arrêt Jacques Vabres la même année, a accepté de contrôler la
conventionalité d’une loi par rapport aux traités communautaires en se fondant sur les
principes de l’ordre juridique communautaire et en particulier sur le principe de primauté du droit
communautaire.
Le CE a mis 20 ans pour revenir sur sa jurisprudence, il l’a fait par un arrêt du 20 octobre 1989, Nicolo.
Le CE accepte de vérifier la conventionalité d’une loi. Le CE fonde son contrôle sur l’article 55
de la constitution.
o Mais la jurisprudence Nicolo ne règle pas tous les problèmes, en particulier lorsque le législateur
prend une loi à la place d’un acte administratif pour fixer par voie législative des dispositions de
nature réglementaire dans le but de faire obstacle au contrôle du juge administratif et de contrevenir
au droit international.
C’est ce qui s’est passé dans l’affaire de protection des oiseaux migrateurs et de la fixation par le
législateur des dates d’ouverture et de clôture de la chasse à la tourterelle dans le but d’éviter le
contrôle du JA. La jurisprudence Nicolo suppose en effet un contrôle par voie
d’exception.Pour éviter ce contrôle, il suffit de prendre une loi qui n’aura pas besoin
d’acte administratif pour s’appliquer. C’est donc de ce texte qu’est saisi le CE dans un arrêt
de 1999 Association ornithologique et mammalogique de Saune et Loire et
rassemblement des opposants à la chasse.Dans cette affaire l’association requérante avait saisi le
préfet pour qu’il fixe des dates d’ouverture de la chasse différentes de celles prévues par la loi mais conformes aux
dates précisées par la directive communautaire. Le préfet avait refusé de prendre cette mesure et c’est ce refus du
préfet qui est attaqué devant le JA. Le JA va annuler la décision de refus du préfet en posant pour principe que
l’autorité administrative est tenue d’appliquer les textes communautaires le cas échéant en ignorant les lois
contraires à ces textes communautaires. Ce type de loi qui prend d’elle-même des mesures de nature
réglementaire pourra faire l’objet le cas échéant d’une délégalisation au titre de l’article 37 de
l’alinéa 2 de la constitution.
Cet arrêt est intéressant car il faut le combiner avec un autre arrêt de 1989 qui est l’arrêt
« Compagnie Alitalia »qui dit que l’autorité administrative a l’obligation d’abroger les
règlements contraires au droit communautaire.
B) L’INTERPOSITION DESORMAIS CANTONNEE A LA SEULE CONSTITUTION
Il faut distinguer deux cas de figure car tout dépend de la norme qui entre en conflit avec la Constitution. Les
solutions ne sont pas les mêmes s’il s’agit d’une norme de droit internationale générale ou une norme de droit
communautaire.
1) LE CONFLIT ENTRE LA CONSTITUTION ET LA NORME INTERNATIONALE
Les hypothèses de conflit sont rares mais on ne peut pas les exclure. Rare car l’article 55 de la
constitution nous dit que dans l’hypothèse où un traité serait incompatible avec la
constitution, il ne peut entrer en vigueur que si on révise la Constitution. Il peut y avoir des
modifications de la Constitution qui contredisent des traités internationaux.
- Recours contre un acte administratif pris sur le fondement d’une disposition constitutionnelle en
violation d’un traité international.
- Recours contre un acte administratif pris sur le fondement d’un traité international mais en violation de
la Constitution.
A) RECOURS CONTRE UN ACTE ADMINISTRATIF PRIS SUR LE FONDEMENT D’UNE
DISPOSITION CONSTITUTIONNELLE EN VIOLATION D’UN TRAITE INTERNATIONAL
C’est une affaire récente du 9 juillet 2010 « Fédération nationale de la libre pensée ».Etait attaqué
devant le CE un décret qui portait publication de l’accord conclu entre la France et le Vatican sur la reconnaissance des
grades et diplômes dans l’enseignement supérieur et qui valait reconnaissance par la France de diplômes préparés dans des
instituts catholiques. La fédération de la libre pensée demandait l’annulation de ce décret, notamment sur le fondement de
l’article 2 de la constitution (Laïcité).Le CE va écarter le recours en jugeant qu’il n’appartient pas de
contrôler la conformité à la constitution des stipulations d’un accord international
introduit en droit Français. Le rapporteur public invitait le CE à exercer ce contrôle, le CE ne l’a pas
voulu car il a considéré que cette mission relève non pas du juge administratif mais du juge
constitutionnel saisi au titre de l’article 54 de la constitution.
2) LE CONFLIT ENTRE LA CONSTITUTION ET LA NORME EUROPEENNE
Cette question a été abordée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 8 février 2007, Société Arcelor. La
société requérante demandait l’annulation d’un décret qui transposait une directive communautaire relative à
l’application au sein de l’UE du protocole de Kyoto.La société requérante soutenait que ce décret méconnaissait différents
principes à valeur constitutionnelle et notamment le principe d’égalité.
Le problème pour le CE était que le pouvoir réglementaire est soumis à une double obligation
constitutionnelle : (rappelée dans la décision du Conseil constitutionnel de 2004 « Economie
numérique »)
- L’idée de suprématie de la constitution
La réponse donnée par le JA se situe sur un double plan selon que la norme est une norme européenne ou pas.
La réponse a été donnée par le CE dans un arrêt du 10 avril 2008, Conseil national des barreaux.Le
CE nous dit deux choses :
- Mais ce type de moyens est invocable devant le JA quand est en cause la CEDH ou le droit
communautaire.
L’ordre juridique communautaire est un ordre juridique spécifique qui trouve un fondement constitutionnel qui lui
est propre en droit français qui est l’article 88-1 de la constitution. C’est par le biais du droit communautaire que
la CEDH est protégée car la jurisprudence de la Cour de justice a dit qu’elle fait partie des principes généraux
du droit communautaire (jurisprudence bosphorus).
Le contentieux de l’excès de pouvoir s’appuie sur une institution particulière qui a été créée par la
jurisprudence administrative qui est le recours pour excès de pouvoir : recours qui permet
d’obtenir l’annulation d’un acte administratif au motif que cet acte ne serait pas conforme
aux règles de droits supérieures. C’est un recours créé pour assurer la sanction juridique du principe
de hiérarchie des normes. C’est l’aspect procédural du principe de légalité.
Le CE a d’ailleurs jugé dans une affaire Dame Lamotte de 1950 que le recours pour excès de pouvoir était
un principe général du droit : « tout AA est susceptible de faire l’objet d’un REP ». Dans cette
affaire, le CE était saisi d’une loi adoptée par le gouvernement de Vichy qui avait interdit la possibilité aux personnes
concernées de contester les décisions préfectorales prises dans ce domaine. La loi avait écrit : le recours judiciaire ou
administratif est impossible. Le CE avait pour autant accepté que la décision du préfet soit contestée par le biais du REP.
Le CE avait dit que le législateur n’a pas pu interdire le REP.
La jurisprudence Dame Lamotte trouve aujourd’hui des prolongements devant le juge constitutionnel :
- Par la décision du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence, qui nous dit que le contentieux de
l’annulation des actes pris par le pouvoir exécutif relève de la compétence de la JA.
- Le Conseil constitutionnel dans plusieurs décisions (1993, Maîtrise de l’immigration ; 1994, sur le
contentieux de l’urbanisme ; 1996, sur le statut de la Polynésie), il a mis en avant l’idée que
sur le fondement de l’article 16 de la DDHC qui fait état de la garantie des droits, la loi devait toujours
garantir l’exercice du droit de recours devant les JA.
Le REP est aussi un principe à valeur constitutionnelle.
Ce REP occupe une place centrale dans le DA, c’est par lui qu’on contrôle l’activité administrative mais c’est aussi
par lui que le CE a développé ses constructions juridiques.
Gaston Jèze : Le REP est la plus merveilleuse création des juristes, l’arme la plus efficace, la plus économique, la plus pratique
qui existe au monde pour défendre la liberté.
Le REP est une action en justice atypique parce qu’il s’agit d’un recours de nature objective. La
question que l’on vient soulever devant le juge n’est pas fondée sur la violation d’un droit subjectif, or
normalement toute action contentieuse tourne autour de la question des droits subjectifs.
o Le REP a longtemps été un recours en annulation destiné à éliminer les illégalités, et il
suffit normalement de faire disparaitre les actes illégaux, en conséquence de quoi le contentieux de
l’excès de pouvoir était un contentieux où les pouvoirs du juge étaient limités à l’annulation.
o Progressivement, on va admettre que les pouvoirs du juge vont progressivement s’élargir pour faire
du recours pour l’excès de pouvoir non pas un recours ordinaire mais un recours qui permet
d’annuler et qui permet d’obtenir le rétablissement de la légalité en adoptant des
mesures positives.
SECTION 1 : LE REP, RECOURS OBJECTIF
L’exercice de ce recours est fondé sur la violation des règles de droits supérieures. En ce sens, le REP se distingue
des recours organisés devant les tribunaux civils ou judiciaires mais se distingue aussi d’un certain nombre de
recours organisé devant les juridictions administratives qui sont également des contentieux subjectifs.
Il y a en effet dans le contentieux administratif deux types de recours :
- Le contentieux de l’excès de pouvoir
- Lecontentieux de la pleine juridiction ou encore le recours de plein contentieux. Par exemple,
l’action dommages-intérêts dans le cadre du contentieux de la responsabilité ; le recours devant le juge du contrat…
Ce recours de plein contentieux repose sur une logique de toute action en justice alors que le REP repose sur une
logique différente car la question posée au juge est différente.
PARAGRAPHE 1 : LA NATURE DE LA QUESTION POSEE AU JUGE
Devant le juge pour excès de pouvoir, le requérant ne vient pas réclamer le rétablissement de ses droits, de sa
situation personnelle, il vient simplement dénoncer la méconnaissance par l’administration d’une règle
de droit supérieure à laquelle est soumise l’administration. En quelque sorte, on saisit le juge non pas
pour obtenir l’amélioration de sa situation personnelle mais pour veiller au respect du droit et de la légalité. Le
justiciable collabore au respect de la loi.
C’est ce qui explique que le requérant soit dans une situation particulière car si il profite de
l’annulation d’un AA, il n’en profite que par voie de ricochet. Ex : Quand un voisin attaque un permis
de construire illégal, il va trouver avantage à l’annulation du permis de construire mais il n’obtient l’annulation
uniquement parce que le permis de construire est illégal et non parce que le permis de construire lui fait subir des
nuisances.
Le REP est d’ordre public. Ex : Andréani, 1955, Le CE juge qu’un requérant qui avait signé un protocole
d’accord avec l’administration par lequel il tentait de régler un litige à l’amiable, le protocole faisait valoir que le
requérant renonçait à tout action en justice contre l’administration, ce requérant n’est pas irrecevable à former un REP
contre un acte de l’administration car on ne peut pas renoncer au REP, car la légalité n’est pas objet de
commerce.
CE, 1979, TollédanoAbidbol : l’administration avait été condamné en excès de pouvoir. Le juge avait annulé l’acte
administratif et cela entraînait pour l’administration de prendre un certain nombre de mesures et le requérant avait fait
savoir qu’il renonçait à l’exécution du jugement. Le CE dans cette affaire rappelle que en excès de pouvoir,
l’administration est tenue de tirer les conséquences de l’annulation.
PARAGRAPHE 2 : UNE ACTION EN JUSTICE ATYPIQUE
C’est un recours contre un acte et non contre une personne ou contre l’administration.
C’est le seul recours où c’est possible. Quand on invoque la légalité d’un acte c’est toujours à titre
d’incident, dans le cadre de ce qu’on appelle l’exception de l’illégalité. Or dans le REP, on conteste
directement l’acte.
Le CE a une conception assez large du champ d’application du REP : Le juge admet que l’on attaque les
actes de toute autorité administrative.
Ce REP ressemble à une sorte de droitde pétition et à l’origine il est fondé sur cette idée de pétition aux
autorités publiques. C’est un recours hiérarchique qui s’est progressivement juridictionnalisé. C’est
pour cela que le contentieux de l’excès de pouvoir n’est pas dominé par la question des droits subjectifs. Le
fait que l’administré soit fondé à se plaindre, que le recours ne mette pas en œuvre des droits subjectifs
pouvait laisser penser que n’importe qui pouvait attaquer n’importe quel acte administratif.
Le CE n’a jamais compris le REP de cette manière et a toujours exigé que le requérant ne puisse le saisir que s’il a
un minimum d’intérêt à agir, c'est-à-dire que le requérant ait un intérêt personnel à l’annulation de
l’acte.
Le juge nous dit que le requérant doit être dans une situation suffisamment spéciale pour agir (On ne peut
pas se fonder sur notre qualité de citoyen, de consommateur, de contribuable).
Cependant, le CE a jugé dans l’arrêt Casanova que le contribuable local était fondé à contester les actes
budgétaires du conseil municipal.
Mais cela ne suffit pas, il faut avoir un intérêt à agir. Par exemple, un professeur d’université ne peut pas agir
contre un règlement qui modifierait les conditions de recrutement des professeurs d’université. Par contre un étudiant qui
prétendrait à passer ce type de concours aurait un intérêt à agir.
Le juge n’est pas très exigeant sur la condition d’intérêt à agir, car il souhaite que le REP puisse être exercé
facilement. De plus, le ministère d’avocat n’est pas obligatoire.
Le REP à l’origine n’avait que pour but de supprimer les illégalités commises par l’administration. Laferrière est le
premier auteur moderne à avoir publié un traité sur les recours contentieux.
Puisqu’il s’agissait de supprimer des illégalités, il suffisait d’annuler l’acte illégal. En conséquence, pendant
longtemps, les pouvoirs du juge de l’excès de pouvoir n’ont eu qu’une portée négative. Mais l’office du juge à la
fin du 20ème siècle est apparue trop limité, faire en sorte que l’administration ne viole pas le droit, ca
n’assure pas qu’elle le respecte effectivement.
Ex : Nous faisons une demande de permis de construire. L’autorité locale nous refuse ce permis de construire. Dans le cadre du
REP, on va demander l’annulation du refus du permis de construire et nous allons obtenir l’annulation de ce refus. Pour autant,
nous n’obtenons pas du juge l’autorisation de construire.
On retrouve là la distinction entre droit objectif et droit subjectif.
Le contrôle de l’excès de pouvoir permettait de faire du nettoyage juridique mais ne permettait pas toujours aux
administrés d’avoir droit aux décisions légales auxquelles ils avaient droit. Cette caractéristique est apparue
flagrante dans les années 90 à mesure que la Cour EDH a développé la notion de protection
juridictionnelle effective. Mais cette idée n’était pas complètement neuve puisqu’un auteur Jean Riveroen
avait déjà parlé.
Du point de vue des pouvoirs, il y eut une évolution très importante à partir des années 90 à travers la loi du 8
février 1995 qui reconnait au juge de l’excès de pouvoir, le pouvoir d’annuler un acte administratif mais
aussi si le requérant le demande et si les circonstances de l’affaire s’y prête d’adresser des
injonctions à l’administration pour que celle-ci tire par des mesures positives les conséquences de
la décision d’annulation par le juge.Le juge de l’EP peut ordonner à l’administration de statuer à nouveau sur la
demande et même d’y faire droit dans la mesure où la demande serait fondée sur les mêmes motifs et que la procédure n’aurait pas
évolué ; ce pouvoir d’injonction peut être assortie d’astreintes.
PARAGRAPHE 1 : UN POUVOIR INITIALEMENT REDUIT A L’ANNULATION
Il a longtemps été appelé recours en annulation. L’annulation a toujours un effet rétroactif, ce qui signifie que
l’acte annulé est réputé ne jamais avoir existé. Mais il peut y avoir une obligation de tenir compte du fait que
l’acte n’a jamais existé.
Par exemple dans le contentieux de la fonction publique le CE dans un arrêt Rodière de 1923 a jugé dans une affaire
où un fonctionnaire avait été révoqué illégalement de la fonction publique, que la mesure de révocation entraînait la
réintégration de l’agent dans un emploi similaire ou équivalent et la reconstitution de sa carrière comme s’il n’avait
jamais été révoqué depuis toutes ces années. Le CE n’oblige pas l’administration à prendre ses mesures
mais se borne à expliquer.
La JA depuis au moins l’abandon de la justice retenue interdit au JA d’adresser des injonctions à
l’administration (car ce serait faire acte d’administrateur donc violer un principe d’indépendance de
l’Administration active et de la JA).
C’est ce que rappelle en 1953 un arrêt Le loir.
C'est une curieuse jurisprudence car en droit civil, il est admis que le juge dispose de deux types de
pouvoirs :
- Dire le droit(juridicio)
- Et le pouvoir de faire en sorte que ces décisions s’appliquent (imperium)
Le pouvoir du juge est donc réduit à l'annulationquant bien même l'annulation devrait avoir des conséquences
positives sur la situation du requérant, le juge ne peut pas les ordonner.
Le JA ne dispose pas non plus du pouvoir de réformation, or ce pouvoir peut parfois être très
utile. Exemple du contentieux des sanctions : quand une sanction est contesté devant le juge de l’EP il est placé devant
une alternative : j’annule ou pas. Mais il peut y avoir des situations intermédiaires, il peut y avoir une faute mais pas
proportionnée à la sanction, le pouvoir de réformation permettrait de réduire la sanction or le juge n’a pas ce pouvoir.
Elle tient essentiellement à la reconnaissance d’un pouvoir d’injonction dans le but de permettre au
juge la complète exécution des mesures d’annulation qu’il prononce.
La demande d’injonction peut être adressée devant n’importe quel juge et notamment elle va
être adressée à l’occasion de la demande initiale (par exemple devant un TA).N’importe quel tribunal
administratif peut prononcer une mesure d’injonction.
Le requérant n’a pas besoin d’attendre le prononcé du jugement d’annulation pour aller demander une
injonction au juge. Il est permis de grouper à l’occasion d’un même recours d’une part des
conclusions de l’annulation et des conclusions en injonction.Du coup, le REP n’est plus un
véritable recours en annulation car on peut demander plus au juge que l’annulation et donc
demander qu’il prescrive des mesures positives.
- Reste une dernière difficulté : le juge ne pourra prononcer une injonction que dans la mesure
où nous dit la loi « le jugement d’annulation implique pour l’administration de prendre une
mesure d’exécution dans un sens déterminé ». Il faut que l’administration n’ait pas la capacité de
choisir plusieurs types de mesures à prendre pour exécuter le jugement. Il faut que l’administration
ait une sorte de compétence liée, une mesure doit s’imposer.
- Dans le cas contraire, le juge n’a que la possibilité de prescrire à l’administration
l’obligation d’instruire à nouveau la demande et de le faire dans un délai déterminé.
Dans l’exemple du permis de construire, le refus de permis de construire peut être au motif que la construction
fait plus de 6m de haut alors que ce n’est pas autorisé dans la zone concerné. Lors du recours, le juge
s’aperçoit que la construction ne faisait pas 6 m et qu’il y avait erreur de l’administration. Le juge annule.
Pour autant, est ce qu’il va donner l’autorisation de construire ? Il y a d’autres conditions, or
l’administration a refusé car elle a vu un premier manquement mais cela ne garantit pas pour autant qu’il
n’y ait pas d’autres irrégularités. Le juge n’a qu’un pouvoir d’injonction, il ne peut pas
apprécier la demande à la place de l’administration et donc va nous renvoyer à
l’administration.
2) UN POUVOIR QUI TRANSFORME L’OFFICE DU JUGE
Affaire Bourezak et Leveau,1997,Mme Bourezak avait fait une demande de regroupement familial. Son mari était
installé en France et elle vivait en Afrique du nord. Elle demandait un visa. Celui-ci lui avait été refusé, l’administration ayant
une suspicion de fraude, estimant que les époux Bourezak étaient de faux époux.L’affaire vient devant le CE, le CE annule le refus
de visa au motif qu’à l’époque des faits, la situation maritale des époux Bourezak était claire.
Mme Bourezak demande à l’administration une injonction : elle demande qu’on lui donne un visa.
Réponse du CE : on ne peut délivrer un visa au titre du regroupement familial que si on est sûr de la situation des
deux époux en l’espèce, d’où je demande avant de me prononcer sur la mesure d’injonction, un supplément
d’instruction pour savoir la situation de la requérante au moment du jugement.
D’un point de vue juridique et procédural, c’est un total bouleversement car il est de tradition que le JEP
se prononce toujours au regard des faits qui existaient au moment où l’administration a pris sa
décision et non au moment du jugement (ce que fait le juge du plein contentieux).
Cette affaire Bourezak montre que quand le juge est saisi de conclusions d’injonction, il est amené à se
comporter comme un juge de plein contentieux.
B) L’ELARGISSEMENT DE L’OFFICE DU JUGE DE L’EXCES DE POUVOIR
La consécration du pouvoir d’injonction va jouer le rôle de révélateur pour le juge de l’excès de pouvoir,
lequel prend conscience qu’il lui faut se préoccuper d’avantage qu’auparavant des conséquences
des décisions qu’il rend. Le CE va le faire essentiellement au travers de deux arrêts :
Le JA quand il est saisi d’un REP, il doit vérifier si l’acte est entaché ou non d’illégalité. A priori, un acte
illégal est un acte qui n’est pas légal. Si l’on peut définir un acte légal, il est plus difficile de dire ce
qu’est un acte illégal. A quoi reconnait on qu’il est illégal ?
o La légalité est la soumission de l’acte au droit. L’illégalité est plus complexe, cela correspond à
de multiples hypothèses où l’administration n’a pas respecté par la loi. Comment les
appréhender ?
Pour exprimer ces différents aspects de l’atteinte à la légalité, le JA a créé un vocabulaire spécifique que l’on
dénomme sous le terme des cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir. Ce sont les différents
arguments susceptibles d’être invoqués devant le JA pour lui demander l’annulation d’un acte. Ces cas d’ouverture
sont nombreux et il y en a un qui pose plus de difficulté qui est le contrôle des motifs de l’acte administratif.
Derrière lui, il y a la question du pouvoir discrétionnaire de l’administration qui justifie à elle seule la
création du REP.
SECTION 1 : LES DIFFERENTS CAS D’OUVERTURE DU RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR
La première classification des cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir a été établie par Edouard
Lafferrière, lequel distinguait dans son traité 4 moyens d’annulation :
- l’incompétence
- le vice de forme
- la violation de la loi et
- le détournement de pouvoir.
Cette énumération est progressivement devenue imparfaite. Cette classification ne fait pas référence au vice
de procédure, et surtout elle ne tient pas compte de l’extraordinaire développement du cas d’ouverture
de la violation de la loi qui dans le contentieux administratif moderne a une signification beaucoup plus
large que la violation directe de la loi par l’acte administratif et qui inclus les erreurs, il intègre le
raisonnement de l’administration, les motifs qu’elle prend pour la décision.
On préfère aujourd’hui une autre classification qui distingue entre les vices tenant à la légalité externe de
l’acte et les vices tenant à la légalité interne de l’acte. Cette distinction correspond globalement à la
distinction courante entre la forme : compétence de l’autorité qui signe l’acte, la forme de
celui qui signe l’acte (motivation), la procédure suivie et le fond : c’est le contenu même de
l’acte, la manière dont l’administration a raisonné, les motifs de droit et de fait, sur le but
qu’elle poursuit (le détournement de pouvoir).
Cette distinction est importante car elle montre aussi que le JEP n’a pas une vision figée de la légalité, il a en
quelque sorte une approche dynamique puisqu’il contrôle le raisonnement tenu par l’administration.
Le juge administratif a une approche dynamique de l’illégalité. Or l’illégalité d’un AA n’est pas quelque chose de
statique.
Le JA a une conception réaliste des illégalités, parfois il lui arrive de fermer les yeux sur certaines illégalités.
Le contrôle qu’il exerce ne se limite pas à censurer les actes qui vont heurter frontalement les textes
supérieurs. Le JA dans son contrôle va s’intéresser à ce qu’on pourrait appeler les causes de l’acte
administratif. Il va contrôler le but que poursuit l’auteur et il va en venir progressivement au contrôle
des motifs.
Ce caractère dynamique du contrôle, Hauriou l’illustrait en disant que le JA n’hésitait pas à s’évader des limites
de la pure égalité. Cela veut dire qu’au 19ème siècle, les auteurs ont été embarrassés pour décrire ce qu’était le
recours pour excès de pouvoir, c’était un recours qui n’existait pas auparavant. L’idée qui prévalait était que
le JEP était tel un juge de cassation. En vérité, cette analogie va céder et on va voir au contraire qu’à
l’inverse du juge de cassation, le recours pour excès de pouvoir va bien au-delà du contrôle de la pure
légalité et va jusqu’à l’appréciation des questions de fait.
Aucune loi n’a jamais institué le REP, c’est le CE qui l’a progressivement créé. Il faut adopter plutôt une
démarche historique : les auteurs du milieu du 19ème avaient mis en avant la thèse du scandale. Le REP
est là pour sanctionner les illégalités les plus flagrantes commises par les autorités administratives :
l’incompétence, et la méconnaissance grossière des formes et procédures. On parlait à cette époque de
recours pour excès de pouvoir et incompétence.
Progressivement, le CE va développer, va élargir les cas d’ouverture. Il va mieux dissocier la procédure
de la forme, il va dissocier le vice de forme et de procédure ; il va continuer à censurer l’incompétence,
ces trois cas d’ouverture formant aujourd’hui les illégalités externes et le CE va s’intéresser à la
violation directe de la loi et au détournement de pouvoir.
- Le détournement de pouvoir est l’idée que l’acte administratif a pu être pris dans un but
illégitime, illicite. Quels sont ces mobiles ? La jurisprudence a commencé à les cerner à partir des
arrêts Pariset, 1975 et Laumonnier-Cariole. Une décision administrative est illégale quand
elle est prise dans un but étranger à l’intérêt public,
Cela peut être la poursuite d’un intérêt privé, en ce sens un arrêt de 1997, « commune des
Jets » : un marché forain avait uniquement pour but de protéger le commerce de localité. La
difficulté du détournement de pouvoir est d’en apporter la preuve.
Il est admis par le CE que quand l’autorité compétente prend une décision dans un intérêt
exclusivement financier, elle commet un détournement de pouvoir, arrêt Beaugé 1924, à
propos du maire de Biarritz qui au nom de la moralité publique, avait interdit aux baigneurs et
notamment aux baigneuses de se déshabiller sur la plage indiquant qu’il n’y avait qu’un seul
endroit pour se déshabiller qui était les cabines payantes.
Un autre exemple : Esvan, 1974, à propos d’une commune qui modifie un plan d’urbanisme
uniquement dans le but de faire baisser la valeur de terrain que la commune souhaite acquérir.
- Il développe aussi le contrôle de la violation de la loi. A priori c’est le cas d’ouverture le plus frustre,
contrôle de norme à norme. Est-ce que l’acte administratif est contraire à la loi dans son contenu ?
o De ce contrôle de la violation de la loi va naître toute une série de cas d’ouverture nouveaux car le juge
administratif va s’intéresser non plus à la violation directe de la loi mais à la violation indirecte de
la loi, c'est-à-dire les cas où l’administration a mal appliqué la loi comme avec l’erreur de droit
(j’applique un texte mais pas de la bonne manière ou à des cas où le texte n’est pas prévu) ; contrôle des
éléments qui font que l’administration va mettre en œuvre de la loi, contrôle des faits et comment elle
qualifie les faits juridiquement de l’espèce. Le contrôle du JA change de nature, du dispositif de la
décision, l’examen va remonter jusqu’aux motifs de la décision (motifs de droit/ de fait).
- L’erreur de fait (la loi prévoit que certaines activités sont interdites la nuit, un administré se prête à
ses activités le jour, il est sanctionné par l’administration qui dans son dossier fait état que les faits se sont
passés la nuit).
La qualification juridique des faits : est ce que les faits justement appréciés relèvent bien de la
qualification juridique retenue par l’administration ? Dès lors que ces cas d’ouverture sont admis, le
recours pour excès de pouvoir va changer de nature. On est passé à une régulation de l’action
administrative.
Alibert nous dit en 1927 que le CE est arrivé de la sorte à s’attribuer des pouvoirs d’investigation sur le
fond et sur les faits de telle sorte que l’on doit regarder comme entaché d’excès de pouvoir tout acte qui
est juridiquement critiquable.
Désormais avec le contrôle des motifs, le juge contrôle le raisonnement juridique tenu par l’autorité qui prend
l’acte. Ce contrôle porte sur les motifs de droit et de fait :
- Le contrôle de l’erreur de droit
C’est quand l’administration prend une décision administrative en la fondant sur un texte mal
interprété ou un texte inapplicable à la situation.
Le 1er exemple est l’administration prend sa décision en s’appuyant sur une norme illégale.
Le 2ème exemple est que l’erreur de droit consiste à faire une mauvaise interprétation de la loi, par
exemple une mauvaise interprétation du champ d’application de la loi.
Par exemple, un fonctionnaire demande un report de sa date de départ à la retraite et l’administration lui répond en se
fondant sur une disposition qui concerne la révision des pensions de retraite.
Autre exemple, un président d’université qui refuse l’inscription d’étudiants en première année en se fondant sur un certain
nombre de critères sans s’apercevoir que la loi sur l’anciennement supérieur interdit toute possibilité de sélection à l’entrée.
- D’un point de vue pratique c’est un contrôle important car la plupart des textes de loi qui
attribuent des pouvoirs de décision aux autorités administratives subordonnent leur
exercice à une condition légale, c'est-à-dire une notion juridique plus ou moins précise, qu’il s’agit
alors pour le juge de confronter les données de chaque espèce. Cette condition légale est plus ou moins
précise et facile à apprécier par le juge :
Arrêt du 30 juin 2010 « Association Promouvoir » : l’association promouvoir avait exercé un recours devant
le CE pour demander l’annulation du visa d’exploitation en salle et était en cause un film « Baise moi ». Ce visa
d’exploitation avait été assorti d’une interdiction pour les mineurs de 16 ans mais les auteurs du recours prétendaient que
le film avait un caractère pornographique et qu’il aurait dû être interdit aux moins de 18 ans. L’affaire vient devant le
CE et la question qui se pose est de savoir s’il s’agit d’un film pornographique. Le JA va utiliser pour aller dans ce sens,
deux critères : d’abord s’interroger si les scènes de sexe sont simulées ou non et ensuite savoir quelle était l’intention du
réalisateur et la qualité artistique du film.
Le CE va estimer qu’il s’agit d’un film pornographique qui doit faire l’objet d’une interdiction aux mineurs aux motifs
que le film ne relevait pas l’intention du réalisateur de dénoncer la violence faite aux femmes et il estime que dans ce film
il y a une accumulation de scènes non simulées donc film pornographique.
Le commissaire du gouvernement avait une appréciation différente. Il avait jugé que les qualités artistiques du film
l’emportaient.
Derrière la qualification juridique des faits, il y a parfois une part de subjectivité du juge ; une
opération de qualification n’est pas totalement neutre. Cela montre aussi que qualifier revient souvent à créer du
droit en donnant une règle à une notion une portée juridique qu’elle n’a pas toujours immédiatement dans le texte
qui pose cette notion.
PARAGRAPHE 2 : LE JUGE DE L’EXCES DE POUVOIR A UNE CONCEPTION REALISTE DE
L’ILLEGALITE
Cela veut dire que le JA ne censure pas toutes les irrégularités. Cela veut dire ensuite qu’il lui arrive parfois de
régulariser des illégalités.
- Tous les vices de procédure ne sont pas nécessairement sanctionnés par le juge, en particulier, le CE
distingue entre les formalités substantielles et les formalités non substantielles et seule la
méconnaissance des formalités substantielles entraîne l’annulation de l’acte administratif.
o Qu’est ce qu’une formalité substantielle ? Elle est substantielle quand elle est en mesure
d’influencer le sens, le contenu de la décision que prendra l’administration.
Généralement, quand un texte prescrit la consultation obligatoire d’un organe expert, le juge va
considérer que c’est une obligation substantielle.
Elle est de nature à priver les administrés d’une garantie légale qui a été instituée en
vue de les protéger contre l’arbitraire administratif. L’obligation de motivation est toujours
un vice substantiel.
o Il peut arriver qu’il y ait des vices qui se révèlent non substantiels : l’obligation de prendre une décision
dans un certain délai, celui-ci est généralement considéré comme indicatif.
- Le juge peut être aussi amené à prendre en compte les circonstances de l’espèce pour refuser d’annuler
un acte qui est a priori illégal.
o C’est le cas notamment de la théorie des formalités impossibles ou inutiles. Exemple de mise en
œuvre de la théorie des formalités impossibles : la loi prescrit la consultation d’une commission, il se
trouve que le décret qui devait instituer la commission n’a pas été pris, on doit consulter la commission mais
celle-ci n’existe pas. Le juge administratif considère qu’on est dans l’hypothèse d’une formalité impossible à
respecter.
o Proche de la théorie des formalités impossibles est la théorie des formalités inutiles : l’administration
devait suivre une procédure mais ne la suit pas et suit une autre procédure qui ressemble et qui a des effets
équivalents.
o Enfin, troisième illustration est l’idée qu’en cas d’urgence, quand il faut décider vite pour traiter une
question qui fait problème, il arrive que la loi dispense l’administration du respect des formes et des
procédures prévues normalement. C’est le cas de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes
administratifs.
B) LE JUGE ADMINISTRATIF PEUT REGULARISER DES ACTES ILLEGAUX
Deux techniques :
- La technique de neutralisation des motifs illégaux : l’administration prend une décision, elle
l’appuie sur une pluralité de motifs parmi tous ces motifs, la plupart sont illégaux (erreur de droit, erreur de
fait) mais il y en a un qui est valable et du coup, l’administration va ignorer les motifs illégaux
pour ne retenir que le motif légal, considérant que l’administration aurait pu prendre la même
décision si elle s’était fondée sur le motif légal.
L’histoire du contentieux de l’excès de pouvoir est marquée par l’élargissement des cas d’ouverture.
A partir des années 1950, et jusqu’aux années 1980, on va assister à un autre type d’évolution qui va
consister dans le perfectionnement des techniques du contrôle des motifs où en fonction de
la manière dont les textes organisent le pouvoir de décision de l’administration, le juge
va chercher et va développer des techniques particulières de contrôle (théorie du bilan,
contrôle de proportionnalité…).
- La tendance de jurisprudence administrative a été d’intensifier ce contrôle pour toujours mieux contrôler
l’administration. Intensification du contrôle.
PARAGRAPHE 1 : L’INTENSITE VARIABLE DU CONTROLE JURIDICTIONNEL
L’hypothèse la plus fréquente est que le pouvoir de décision soit conditionné par le texte de
loi qui lui reconnait ce pouvoir. L’action administrative est alors encadrée de manière précise par le
texte. Dans cette hypothèse, le juge est amené à exercer un contrôle entier ou un contrôle plénier, on
parle aussi de contrôle normal.
Dans d’autres cas, les textes vont laisser à l’administration une grande liberté de choix lui
permettant d’adapter sa décision aux circonstances de l’espèce et de prendre la décision la
plus opportune. On est en face de ce que l’on appelle le pouvoir discrétionnaire. Dans ce cas là, le
juge ne va pas pouvoir exercer un contrôle plénier mais qu’un contrôle restreint, de manière à ne pas
paralyser la liberté de choix laissé à l’administration par la loi.Le juge n’exerce pas le
contrôle de la qualification juridique des faits. Progressivement, même dans ce cas où le texte laisse
une grande possibilité de choix à l’administration, le juge pose une condition légale : quand l’administration
dispose du pouvoir discrétionnaire, cette liberté de choix ne va pas jusqu’à la liberté de prendre une décision
absurde ou disproportionnée : le juge contrôle l’erreur manifeste d’appréciation.
Dans le cadre d’une même décision, il peut y avoir plusieurs temps dans le raisonnement
juridique, et en fonction des textes, un temps du raisonnement peut faire l’objet d’un contrôle
minimum et un autre temps peut faire l’objet d’un contrôle normal : ex : le contentieux des sanctions
disciplinaires dans la fonction publique. La première étape du raisonnement consiste à vérifier si le
fonctionnaire a commis une faute de nature à justifier une sanction. La 2 ème étape du raisonnement consiste à
vérifier si la sanction choisie par l’administration est adaptée et généralement les textes prévoient une liste
de sanctions qui vont de la révocation à l’avertissement, le blâme… Le juge exerce d’abord un contrôle
plénier, puis le juge opère un contrôle minimum en se demandant si l’autorité hiérarchique a pris la sanction
la plus adaptée.
A) LE JUGE SE LIVRE A UN CONTROLE PLENIER A CHAQUE FOIS QUE L’ADMINISTRATION
EST TENUE AU RESPECT D’UNE CONDITION LEGALE
Il y a en vérité plusieurs hypothèses :
- Le texte pose de lui-même une condition légale précise et le juge va naturellement vérifier
que les faits de l’espèce correspondent à cette condition légale.
o Mais il arrive fréquemment que la condition légale posée par le texte n’est pas toujours très précise
de la faute disciplinaire.
L’une des difficultés est que certains textes font appelle à des conditions légales qui
sont plus ou moins vagues ou indéterminées. Ces conditions légales font référence à un type
de contrôle normal. Or il est difficile de déterminer la normalité. La loi fait référence à ce que
l’on appelle des standards : la bonne foi, l’aptitude professionnelle. Généralement, cette
condition légale n’est contraignante que dans la mesure où elle a été précisée par la
jurisprudence.
- Il arrive au juge de concrétiser une condition légale floue posée par un texte. Cette affaire
intéresse le contentieux des mesures de police. L’usage de l’administration par ses pouvoirs de police est
conditionné par la loi par l’existence d’un trouble pour l’ordre public. Or si la loi précise que l’ordre
public comprend la protection de la sécurité, de la salubrité, de la tranquillité publique, elle ne dit
pas concrètement dans quel cas on doit considérer que cet ordre public est menacé. C’est au juge de dire
dans quelle mesure et dans quelle espèce si les faits des circonstances constituent un trouble ou une menace
à l’ordre public.
Dans l’affaire Abbé Olivier, la question était de savoir si les manifestations à caractère religieux
sur la voie publique constituaient un trouble à l’ordre public. Le CE va être amené à préciser en quoi
il y a trouble à l’ordre public : le CE distingue entre deux types de manifestations
religieuses, il distingue entre les processions religieuses et les convois funéraires. Le CE
juge qu’autant un maire est fondé à interdire sur la voie publique les processions religieuses, mais
qu’à l’inverse un maire n’est pas fondé à utiliser ses pouvoirs de police pour interdire les funérailles
religieuses.
- Une sorte d’excroissance du contrôle entier est ce qu’on appelle le contrôle maximum. C’est quand le
juge soumet l’administration à une condition qui n’existait pas dans les textes et qui l’amène
à transformer ce qui était au regard des textes une question d’opportunité en une question
de légalité soumise au contrôle du juge.
On peut la citer dans l’arrêt Benjamin du 19 mai 1933 où le juge a ajouté une condition légale
puisqu’il a exigé que pour qu’une mesure de police soit légale il fallait qu’elle soit proportionnée
aux circonstances mais aussi qu’elle soit nécessaire. Ici on est bien dans le contrôle maximum
puisque le juge contrôle d’une certaine manière l’opportunité de la décision.
Le contrôle maximum est longtemps resté réservé au contrôle de police mais on va voir que ce contrôle maximum
est étendu ensuite à d’autres hypothèses
comme les autorisations de licenciement des salariés protégés (CE, 1976 SAFER d’Auvergne c/
Bernett). Aussi en 1973, Ville de Limoges !!!
mais surtout l’extension la plus remarquable est la question du contrôle des déclarations
d’utilité publique dans le cadre des mesures d’expropriation, qui a été développé par un
arrêt de 1971, Ville Nouvelle Est : le CE va se livrer au contrôle du bilan pour vérifier si une
opération d’aménagement est d’utilité publique. Jusqu’à 1971, le juge se bornait à un contrôle
formel de la condition légale, il vérifiait si l’opération était prise dans un but d’utilité publique, si
l’objectif poursuivi était bien d’utilité publique. Utilité publique et intérêt public étaient synonymes
et il fallait des situations extravagantes pour que le juge annule (seulement quelques cas). A partir de
1971, le JA va pousser plus loin son contrôle, va chercher à apprécier au cas par cas l’utilité
publique, il ne va pas y avoir de présomption, tout va dépendre des circonstances de l’espèce et le
juge va se livrer à un bilan coût avantage pour savoir s’il y a utilité publique. Ce bilan coût-avantage
vient de l’arrêt de principe Ville nouvelle est : « une opération ne peut légalement être déclarée
d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients
d’ordre social ou les atteintes à d’autres intérêts publics ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt
général que présente l’opération ». Les inconvénients du projet que l’on apprécie en termes
d’atteinte à la propriété privée ne doivent pas excéder les avantages attendus de la réalisation du
projet.
Il s’agit pour le juge de se livrer à un contrôle de proportionnalité entre les moyens utilisés et les
fins poursuivies.Le juge intègre dans son raisonnement des éléments qui sont ceux tenus par
un administrateur, un politique.
Le juge ne se fait pour autant pas le juge de l’opportunité de l’expropriation : le contrôle du
tracé d’une ligne TGV qui serait susceptible de dévaster des vignobles. Ce que fait le juge est qu’il vérifie si
le choix de ce tracé ne présente pas plus d’inconvénients que d’avantages, cependant il ne se substitue pas à
la décision de l’administration et il ne va pas dire s’il y a un tracé qui serait mieux adapté.
Quel est le bilan du bilan ? il y a eu très peu de décisions d’annulation, en dépit de la théorie du bilan, la
jurisprudence a toujours tendance à considérer que les avantages d’une opération excèdent ses
inconvénients.
Quand le juge annule, c’est que le bilan est manifestement négatif. On a un exemple qui est l’arrêt de
1997, CE, Affaire de l’autoroute transchablaisienne : autoroute qui devait reliée Thonon à Anemas.
Cette autoroute avait un coût financier énorme, cette autoroute s’arrêtait à Anemas alors qu’elle devait être
prolongée en Suisse. Le CE annule.
A l’inverse, un arrêt de 1997, Commune de Saint Germain en Lès, construction d’une autoroute
(A14), destinée à relier Paris à la Normandie. Le problème de l’autoroute est qu’elle passe à proximité d’un
site classé historique, donc atteinte et le CE a jugé que la déclaration d’utilité publique était légale car ce qui
était en cause était l’amélioration du trafic routier sur l’ouest parisien.
Le juge ne fait alors que censurer les bilans que très disproportionnés, que la théorie du bilan ne relève pas du
contrôle maximum mais du contrôle minimum.
Les DUP pour les projets d’intérêt nationaux sont adoptées par décret du 1 er ministre après avis de la section des
travaux publics du CE et certains dès lors défendent l’idée que le bilan joue à titre préventif devant la section des
travaux publics du CE.
B) LE JUGE SE LIVRE A UN CONTROLE RESTREINT CHAQUE FOIS QUE L’ADMINISTRATION
EST LAISSEE LIBRE DE SA DECISION
- On est dans l’hypothèse où les textes n’ont fixé aucunes conditions légales, c’est l’exemple en matière fiscale des
remises gracieuses. !!
- Il y a un autre exemple qui est lorsqu’il y a une condition légale, mais elle est d’une technicité telle que le juge
n’est pas en mesure de l’apprécier. Un viticulteur qui demande l’AOC. L’organe lui refuse ce label après examen. Il
fait un recours au CE mais le CE ne va rien faire.
Le ministère de la santé produit chaque année une liste des substances toxiques. Imaginons un laboratoire qui
conteste l’inscription du médiator sur la liste des produits toxiques, le juge ne peut rien faire.
L’administrateur de la comédie française établit chaque année la liste des pièces qui seront au programme.
Imaginons qu’un auteur conteste sa non inscription, le juge ne peut pas contrôlé.
C’était le cas pour la police des étrangers. Le juge refusait de contrôler et n’exerçait pas le contrôle de la QJF.
Le CE va dans les années 70 élargir le contrôle minimum à ce qu’on appelle l’erreur manifeste d’appréciation.
C’est l’idée que même quand l’administration a un pouvoir discrétionnaire, le juge doit vérifier que la décision n’est
pas aberrante, n’entraine pas sur les intérêts des conséquences d’une gravité exceptionnelle. C’est mettre en
pratique les conseils d’Ihering qui disait « on ne tire pas au canon sur les moineaux ».
Le CE a développé cette technique dans un arrêt de 1973 qui est l’arrêt Librairie françois Maspero à propos
de l’interdiction de reproduire en France des publications étrangères et en l’espèce une revue cubaine qui appelait à
la révolution. Ce qu’explique Guy Braibant est que le pouvoir discrétionnaire comporte le droit de se tromper
mais non celui de commettre une erreur manifeste c'est-à-dire à la fois apparente et grave dans ses conséquences.
C’est une forme de nouvelle condition légale posée par le juge. Ce contrôle minimum est la règle partout où
l’administration est investie d’un pouvoir discrétionnaire. L’une des difficultés est de savoir quand il y a erreur
manifeste d’appréciation. Voila une question laissée à l’appréciation du juge. Il y a erreur manifeste d’appréciation
quand le juge le dit. L’affaire Maspero est intéressante car il y a eu une divergence entre le commissaire du
gouvernement considérant qu’il y avait EMA et juge qui ont dit non.
Quels étaient les faits de l’affaire ? à l’origine, une publication cubaine qui paraissait en France a été interdite par le
ministre de l’intérieur pour atteinte à la sécurité publique. La librairie Maspero cherche à contourner l’interdiction,
publie une revue française qui reprend certains des articles de la revue cubaine. Nouvelle décision du ministre de
l’intérieur qui interdit la publication de la revue française. Devant le CE, la discussion au contentieux est la
suivante : la revue française ne fait que reprendre certains articles de la revue cubaine, tous les numéros de la revue
française ne reprennent pas les articles de la revue cubaine, l’interdiction de l’ensemble de la revue est absolue. Le
ministre de l’intérieur a alors commis une EMA.
PARAGRAPHE 2 : L’INTENSIFICATION CONSTANTE DU CONTROLE JURIDICTIONNEL
Plus récemment, abandon du contrôle minime même élargi à l’erreur manifeste d’appréciation pour exercer
un contrôle entier : exemple, le refus d’autoriser l’ouverture d’une pharmacie, arrêt 1983 Thevenot)
Mulsant, 1983, le refus d’admettre un candidat à concourir aux épreuves d’un concours d’entre à la
fonction publique.