Entre Chômage Et Difficultés de Recrutement: Se Souvenir Pour Prévoir
Entre Chômage Et Difficultés de Recrutement: Se Souvenir Pour Prévoir
Entre Chômage Et Difficultés de Recrutement: Se Souvenir Pour Prévoir
Décembre 2001
Remerciements
Cet ouvrage est le fruit de réflexions et de débats fort riches qui se sont exprimés au cours de la
journée thématique du 15 mai 2001 consacrée au thème des difficultés de recrutement, journée
organisée par le groupe de "Prospective des métiers et des qualifications" auprès du Commissariat
général du Plan .
Nous remercions les contributeurs qui nous ont fourni la matière des analyses contenues dans le
présent ouvrage et qui ont de ce fait participé à une réflexion systémique : Michel Amar, DARES,
ministère de l'Emploi et de la Solidarité ; Hélène Alexandre, APEC ; Agnès Arcier, secrétariat d’État à
l'Industrie ; Géry Coomans, ISMEA ; Philippe Choutet, Union française des transports ; Arnaud du
Crest, OREF Pays-de-Loire ; François Eymard-Duvernay, CEE ; François Hiller, DGEFP, ministère de
l'Emploi et de la Solidarité ; Jean Michelin, Fédération française du bâtiment ; Pascale Poulet, DPD,
ministère de l'Éducation nationale ; Vincent Merle, secrétariat à la Formation professionnelle ; Claude
Sauvageot, DPD, ministère de l'Éducation nationale. En choisissant l'approche rétrospective couplée
à celle prospective, cette réflexion présente sous un jour différent le phénomène des difficultés de
recrutement.
La conduite des travaux et la rédaction finale du rapport à partir des différentes contributions ont été
assurées par Christine Afriat du Commissariat général du Plan. Un comité de pilotage a été créé afin
de faciliter la tâche de rédaction et faire en sorte que l'ouvrage ne soit pas édité trop tardivement :
Claude Seibel, président du groupe ; Michel Amar, DARES ; Arnaud du Crest, OREF Pays de la Loire
et Nicolas Prokovas. Nous les remercions également pour leur contribution.
Pour dépasser
les difficultés de recrutement
Préambule de Jean-Michel Charpin, Commissaire au Plan
Il peut paraître paradoxal de se mobiliser contre les difficultés de recrutement, alors que la croissance,
vigoureuse jusqu'au printemps 2001, montre des signes de ralentissement, voire aux États-Unis de
récession accentuée par les attentats terroristes de septembre. Pourtant les indicateurs statistiques
les plus récents montrent que le chômage dans certaines zones géographiques, certaines branches
ou certains métiers coexiste avec des difficultés de recrutement dues à l'hétérogénéité des situations
économiques dans notre pays.
Les difficultés de recrutement sont d'abord une bonne nouvelle. Elles ont résulté de l'accélération des
créations d'emplois et de la réduction du chômage. Il est même difficile d'imaginer comment une
reprise de l'emploi comme celle qui s'est développée entre la mi-1997 et la fin 2000 en France aurait
pu avoir lieu sans que se manifestent de telles difficultés de recrutement. Les conditions de travail, les
rémunérations, les perspectives de carrière, les taux d'activité n'évoluent que lentement : dès lors, il
faut s'attendre à des difficultés de recrutement lorsque l'emploi redémarre fortement. L'équilibre n'est
pas en soi un objectif. Il correspond même souvent à une situation sous-optimale. C'est, au contraire,
de l'existence de tensions de différentes natures que vient le dynamisme qui va créer la croissance.
L'apparition de difficultés de recrutement n'est pas synonyme d'un blocage de la production par
manque de main-d'œuvre. De la même façon que l'apparition de tensions sur les capacités de
production n'est pas synonyme d'un blocage de la production par manque de capital, mais est, au
contraire, la motivation qui va pousser les entreprises à investir, alimentant ainsi le processus de
croissance.
Même si on a une perception sereine, dédramatisée des pénuries de main-d'œuvre, ce n'est
certainement pas une raison pour rester passif. Au contraire, il faut se demander quelles sont, parmi
les conditions structurelles qui pour l'instant sont restées inchangées, celles qu'il va falloir modifier
pour éviter que les difficultés de recrutement nuisent finalement à la croissance. C'est d'autant plus le
cas que s'annonce une accélération des départs en retraite, qui va inévitablement aggraver ce type de
difficultés.
Le thème des difficultés de recrutement, qui a fait l'objet d'un colloque le 15 mai 2001, s'inscrit dans
les réflexions du groupe "Prospective des métiers et des qualifications" présidé par Claude Seibel,
inspecteur général de l'INSEE. Ce groupe du Commissariat général du Plan est mandaté par le
Premier ministre jusqu'en juin 2002. Au-delà des échanges méthodologiques, il examine les effets à
moyen et long terme des évolutions démographiques, technologiques et de la mobilité sur les
structures des emplois et des qualifications, dans une perspective de retour au plein emploi.
Lors du colloque du 15 mai 2001, cinq leviers d'action ont été au centre des débats.
Les méthodes de recrutement
Dans la période récente, les méthodes de recrutement des employeurs ont été une cause décisive de
l'apparition de difficultés de recrutement. Au cours de la longue période de chômage de masse que
nous avons vécue, des habitudes se sont prises, de mauvaises habitudes, fondées sur l'espoir que les
recrutements puissent se faire sans effort de prospection, qu'on puisse embaucher à des conditions
de diplôme et d'expérience qui soient au-delà de ce qui était strictement nécessaire avec un
supplément de coût très faible. La situation a commencé de changer. Les comportements de
recrutement vont devoir devenir nettement plus actifs. Les caractéristiques précises des postes vont
devoir être revues. Les difficultés peuvent très bien s'atténuer si les comportements des employeurs
et des recruteurs se modifient.
Mon sentiment, c'est que ce mouvement est déjà engagé. Il y a de fortes raisons pour que les
employeurs et les recruteurs soient en train de changer la façon dont ils recrutent. Beaucoup vont
spontanément s'adapter, c'est leur intérêt. La question qu'on peut se poser, c'est de savoir quel peut
être le rôle des pouvoirs publics dans ces évolutions. Les pouvoirs publics doivent-ils accompagner ou
encadrer les nouvelles modalités de recrutement ? Toute une action des pouvoirs publics va consister
à accompagner cette évolution des comportements des employeurs et des recruteurs. Mais, dans des
situations où des questions d'égalité des droits sont en cause, l'encadrement des actions pourrait être
également nécessaire.
L'attractivité de certains métiers
Les tableaux de l'ANPE présentant les ratios offre sur demande sont toujours impressionnants. Les
métiers qu'on voit en tête de ce classement ne sont pas n'importe lesquels : jardiniers, bûcherons,
employés de l'hôtellerie, cuisiniers, bouchers, charcutiers, boulangers, conducteurs de véhicules,
caissiers et caissières de libre-service, dans un genre un peu différent, les infirmières. On peut
prendre les choses en sens inverse : à part les informaticiens et les employés des assurances, ces
métiers sont tous contraignants ou considérés comme contraignants. Il y a, de la part des employeurs
et à travers le dialogue social, nécessité de faire évoluer les conditions de travail, les conditions de
rémunération, probablement aussi - même si cela est plus difficile - les perspectives de carrière dans
ces métiers pour améliorer la situation.
Quelle peut être l'intervention des pouvoirs publics ? Là aussi, elle est probablement surtout une
action d'accompagnement, sauf dans deux cas où il me semble qu'il y a une responsabilité plus
explicite, plus particulière.
Le premier cas concerne des questions d'information et d'anticipation. Prenons le cas des métiers
industriels. On sait qu'au cours des vingt dernières années - surtout si on prend des statistiques
sectorielles - il y a eu de fortes destructions d'emplois. Le message est maintenant largement diffusé :
il est intériorisé non seulement par les jeunes et leurs familles, mais aussi par les dispositifs
d'orientation des jeunes. Si l'on pense que, pour un certain nombre de métiers industriels, comme la
soudure, la mécanique, la transformation des métaux, la maintenance, il y a des perspectives
positives d'emploi, il faut faire circuler cette information pour qu'il n'y ait pas de brouillage lié à la
prolongation injustifiée des tendances passées.
Un deuxième cas est celui de l'emploi public. Les besoins d'embauche ne découlent pas uniquement
des variations d'emploi ; ils dépendent aussi des flux de départs en retraite. On sait que le secteur
public va connaître une accélération des départs plus précoce et plus ample que le secteur privé,
même s'il faut préciser, comme l'a fait le rapport Cieutat, "Fonctions publiques, enjeux et stratégies
pour le renouvellement", que le mouvement sera extrêmement divers suivant les ministères, suivant
les catégories, suivant les régions. Compte tenu de l'ampleur des phénomènes et de leur proximité, il
est nécessaire d'avancer rapidement dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences,
comme cela commence d'ailleurs à être organisé par la Direction générale de l'administration et de la
fonction publique dans le cadre de l'Observatoire de l'emploi public.
La formation
Cette question vient souvent en premier lorsque l'on parle des difficultés de recrutement. Peut-être a-t-
on tendance à faire peser sur le système de formation, notamment l'Éducation nationale, trop de
responsabilités : non seulement le développement personnel, la préparation citoyenne, la réduction
des inégalités, mais aussi, pour ce qui concerne le secteur productif, le fait de trouver à tout instant au
bon endroit la bonne qualification, et, du point de vue de l'individu, la capacité d'adapter ses
compétences tout au long de la vie de façon à permettre un parcours de carrière optimal. Pour le
Commissariat général du Plan, la question décisive est celle de l'articulation entre la formation initiale
et la formation continue, notamment la question de la capacité de la formation continue à déboucher
sur une reconnaissance égale aux diplômes qui sont obtenus en fin de formation initiale. Par exemple,
que faut-il dire aujourd'hui à un jeune bac + 2 ou bac + 4, qui voit des emplois disponibles, qui pourrait
les prendre, mais qui en même temps se dit : "Si, toute ma vie, mon principal signalement auprès des
employeurs est mon diplôme de fin de formation initiale, je vais faire une mauvaise affaire, je vais faire
un mauvais choix" ? Il y a, à cet égard, à la fois des enjeux immédiats, en termes de validation des
acquis professionnels, compte tenu des nouveaux dispositifs inclus dans la loi de modernisation
sociale, et des enjeux à plus long terme sur le droit individuel, garanti collectivement, de formation tout
au long de la vie. Sur ce sujet, il y a eu déjà beaucoup de réflexions initiées notamment par Nicole
Péry, secrétaire d'État à la Formation professionnelle, mais aussi dans différentes institutions, y
compris au Commissariat général du Plan, encore récemment avec le rapport de la commission
présidée par Dominique Charvet, "Jeunesse, le devoir d'avenir". Il me semble que nous devrions
pouvoir avancer dans la période qui vient dans la ligne de ces réflexions novatrices et ambitieuses.
L'environnement territorial
Un emploi, ce n'est pas seulement un poste de travail, défini par un statut, une rémunération, des
conditions de travail, des perspectives d'évolution. C'est aussi un lieu de vie, pour celui qui prend un
emploi et pour sa famille, des conditions de logement et de transport, l'accès à des services locaux et
à un environnement économique et social. Quand on parle de mobilité professionnelle et de la
nécessité de la favoriser, il faut poser en même temps des questions sur le cadre de vie, sur les
possibilités de scolarisation et de garde des enfants, les opportunités de logement, en n'occultant pas
la question très importante du travail du conjoint. Ces questions relèvent principalement des acteurs
locaux et des autorités publiques locales, mais elles peuvent nécessiter dans un certain nombre de
cas un soutien de l'État.
L'encouragement à l'activité
Les mentalités ont beaucoup évolué en France depuis un ou deux ans. Nous avons, tout au long de la
période de chômage de masse, vécu avec l'idée que la réduction des taux d'activité pouvait contribuer
à la lutte contre le chômage. Cette opinion n'était pas partagée par tout le monde, mais,
collectivement, elle l'était suffisamment pour fonder une succession de politiques allant dans ce sens.
Aujourd'hui, le concept du plein emploi est compris comme impliquant à la fois la réduction du
chômage et une remontée des taux d'activité. Ceci est un changement très positif, parce qu'une
activité plus soutenue permet d'alimenter l'emploi, donc la croissance, et de préparer la transition
démographique.
Il y a de multiples sujets qui sont liés à cette question de l'encouragement à l'activité : celui des taux
d'activité au-delà de 55 ans. Au récent sommet de Stockholm, l'objectif a été fixé d'un taux d'emploi, et
non d'activité, dans la tranche d'âge 55-65 ans de 50 % pour la moyenne de l'Union européenne.
Dans l'esprit de ceux qui ont décidé cet objectif, ce n'est certainement pas équivalent à un taux de 100
% pour la tranche d'âge de 55 à 60 ans et un taux de 0 % pour la tranche d'âge 60-65 ans. Par
rapport à la façon dont traditionnellement les débats sont posés en France, la seule adoption de cet
objectif signifie un certain changement de perspective. Il y a en outre toutes les questions qui sont
liées au fait de favoriser le retour vers l'emploi : la prime pour l'emploi qui, au-delà de ses objectifs
redistributifs, vise à y contribuer, la nouvelle convention UNEDIC si elle est mise en œuvre de façon
satisfaisante, la revalorisation des bas salaires. Il y a aussi la poursuite de la montée de l'activité
féminine, pour laquelle il y a encore des marges, sur les plans quantitatif et qualitatif. Le groupe
"Prospective des métiers et des qualifications" s'est interrogé sur la possibilité que des branches qui,
pour l'instant, sont restées à l'écart de la féminisation puissent être concernées aussi, y compris pour
certains métiers industriels ou du bâtiment. Ceci pose à la fois des problèmes spécifiques à ces
activités, et des problèmes généraux et très vastes, comme celui de la conciliation entre la vie
professionnelle et la vie familiale.
Enfin, dans une problématique qui n'est pas très éloignée, se posent les questions d'immigration. Pour
ce qui concerne les technologies de l'information et de la communication, des initiatives ont déjà été
prises qui permettent de bénéficier d'un appoint de main-d'œuvre venant de l'étranger. Ceci soulève
des questions difficiles portant sur la qualification de la main-d'œuvre, sur l'intégration des populations
concernées, sur les conséquences que ceci peut avoir sur les pays d'origine de ces populations,
questions que nous étudions actuellement au Commissariat général du Plan au sein d'un groupe
présidé par François Héran, "Immigration, marché du travail, intégration".
En conclusion, les réflexions sur le thème des difficultés de recrutement ne peuvent pas ne pas faire
référence à la période de la fin des années quatre-vingt. On ne sait pas vraiment quelles ont été les
conséquences des difficultés de recrutement de cette période. Elles étaient apparues en 1988, elles
ont été fortes en 1989, et puis à partir de 1990 toute une série d'événements est survenue : la
récession américaine, la crise du Golfe, l'unification allemande et toutes ses conséquences
économiques. Il serait bien difficile d'avoir une idée précise du rôle que les difficultés de recrutement
de la fin des années quatre-vingt ont joué dans le ralentissement de la croissance française à partir de
1990, puis dans la récession à partir de l'été 1992. Pour ce qui est de l'avenir, il nous faut aborder les
difficultés de recrutement non seulement dans leur volet conjoncturel mais surtout dans leur volet
structurel. Des difficultés de recrutement continueront de se manifester pendant le ralentissement
conjoncturel de 2001-2002, malgré le retour des licenciements et le niveau élevé du chômage. Elles
pourraient, si une action adaptée n'est pas menée, devenir franchement pénalisantes au-delà, car le
moment de l'accélération des départs en retraite n'est maintenant plus très éloigné.
Introduction
C'est dans un contexte de croissance exceptionnelle de l'emploi - 535 000 emplois créés en 2000 - et
de nette baisse du chômage que des tensions sur l'emploi sont apparues. Ce constat rappelle que le
marché du travail est segmenté, que les travailleurs ne sont pas interchangeables, et qu'en période de
retournement de conjoncture les réajustements rapides et massifs entre l'offre et la demande d'emploi,
entre les nouveaux besoins des entreprises et l'offre de formation-qualification sont particulièrement
difficiles à opérer.
C'est parce qu'il existe des situations de chômage persistant pour certaines populations et
inversement des difficultés à embaucher dans certains secteurs d'activité que nous avons choisi le
terme de "difficultés de recrutement" plutôt que celui de "pénuries de main-d'œuvre". En effet, nous
avons connu une situation paradoxale où, malgré une baisse sensible et accélérée du chômage
depuis juin 1999, nous avons à la fois des difficultés de recrutement mais également un taux de
chômage de 9 % au sens du BIT. Pour autant, il n'est pas possible de parler de pénuries de main-
d'œuvre pour décrire ce phénomène. L'emploi de ce concept induit l'idée selon laquelle il y aurait un
manque quantitatif d'individus formés disponibles sur le marché du travail. Ce qui n'est pas le cas en
raison d'un nombre de demandeurs d'emploi encore important, de flux d'arrivées de jeunes sur le
marché du travail de plus en plus formés, dont les effectifs sont supérieurs à la création nette
d'emplois. à chaque reprise économique, les employeurs expriment en termes de pénuries ce qui
n'est que des tensions sur le marché du travail.
La réflexion proposée est complémentaire des travaux menés dans d'autres enceintes sur des thèmes
comme l'image des métiers, l'insertion des publics en difficulté ou l'orientation des jeunes. Toutefois,
par rapport aux travaux initiés dans ce domaine, sa démarche consiste à prendre un peu de recul par
rapport à l'action quotidienne (qui reste évidemment fondamentale) pour comprendre, grâce aux
enseignements du passé et à des réflexions sur l'avenir, les effets néfastes que les difficultés de
recrutement induisent à terme et les leviers d'action qui permettraient collectivement de les surmonter.
L'objectif de cet ouvrage est donc de proposer un éclairage tout à la fois historique et prospectif sur la
question des difficultés de recrutement, afin de dégager des pistes d'action à moyen terme. Le thème
des difficultés de recrutement fait l'objet depuis plus de deux ans de nombreuses réflexions,
manifestations, articles dans la presse, lancement de programmes gouvernementaux, initiatives
multiples au niveau régional ou local.
Le ralentissement économique enregistré à l'automne 2001 rend apparemment moins cruciales les
difficultés de recrutement évoquées jusqu'à l'été 2001.
En effet, le ralentissement de l'économie américaine, après cinq années d'embellie, se traduit par une
forte progression du chômage qui a atteint son plus haut niveau depuis mars 1997. Selon les données
du Département du travail américain, 5,4 % en octobre 2001 de la population active étaient à la
recherche d'un emploi contre 4,5 % en juillet. Même si la perspective d'un fort ralentissement de la
croissance en Europe se fait de plus en plus précis, celui-ci ne semble pas être de l'ampleur de celui
des États-Unis. Toutefois, les chiffres récents du chômage et de l'emploi soulèvent des inquiétudes.
En France, en septembre 2001 étaient recensés 13 000 demandeurs d'emploi supplémentaires (+ 75
000 demandeurs d'emploi de juin à septembre 2001). Quant aux créations d'emplois, au premier
trimestre elles s'élevaient à 116 000 (+ 0,8 %), au deuxième trimestre elles étaient de 44 000
(+ 0,3 %). Que seront-elles au troisième trimestre ?
L'histoire se répéterait-elle ? En effet, rappelons le contexte. La fin des années quatre-vingt, avec le
retour de la croissance de 1986 à 1989, s'est accompagnée de difficultés de recrutement dès 1987,
dont les caractéristiques semblent assez proches de celles observées actuellement, après les années
de croissance récentes. Au début des années quatre-vingt-dix, une période de décroissance s'en est
suivie. La page des difficultés de recrutement a été refermée rapidement et, avec elles, les politiques
et leviers qui avaient été alors envisagés. Allons-nous connaître dix ans plus tard la même situation ?
Pour répondre à cette interrogation, il n'est pas inutile de rappeler que le marché du travail n'est pas
un marché comme les autres. Il ne sera jamais pur et parfait, l'homme n'étant pas une marchandise.
Le marché du travail est segmenté doublement, tant sur le plan local que sur le plan des métiers. Il
n'est donc jamais parfaitement équilibré.
S'il a été envisagé que nos économies bénéficient de mouvements conjoncturels moins accentués
pour tendre, au nom de la recherche du plein emploi, vers une période de croissance pérenne, il est
plus réaliste d'envisager que, à l'avenir, les mouvements cycliques persisteront. Mouvements qui
risquent de s'accompagner de situations contrastées tant au niveau local qu'au niveau des secteurs,
des métiers et des qualifications, et qui ne peuvent être qualifiés de situation de pénurie généralisée.
Par conséquent, il est possible de voir, indépendamment du contexte économique, des secteurs
rencontrant à la fois des tensions sur l'emploi et une persistance du chômage. à titre d'exemple, les
métiers de l'hôtellerie et de la restauration connaissent un indicateur de tension 1 des plus élevé (1,6 -
1,7) alors qu'en même temps leur taux de demandes d'emplois (18 %) reste sensiblement supérieur à
la moyenne.
En outre le mouvement conjoncturel peut masquer des transformations structurelles beaucoup plus
profondes qui vont peser sur le renouvellement de la population active quel que soit le rythme de
croissance économique à court terme. En effet, les évolutions démographiques laissent présager de
fortes tensions de main-d'œuvre qui affectent différemment les familles de métiers. D'après les
projections de la Direction de l'administration de la recherche et des études statistiques du ministère
de l'Emploi et de la Solidarité, 2 compte tenu des départs à la retraite envisagés, le volume de l'offre
d'emplois pour la période 2000-2010 sera sensiblement supérieur à celui de la décennie 1990-2000.
Donc, pour certains domaines professionnels, il semble que les besoins annuels d'emplois seront
entre 50 % et 100 % supérieurs à ce qu'ils étaient pendant la décennie précédente (BTP,
maintenance, tourisme et transports, informatique, fonction publique et fonctions juridiques, commerce
et vente, services aux particuliers, enseignement et formation…).
C'est pourquoi cet ouvrage privilégie une approche des difficultés de recrutement se centrant sur leurs
effets récurrents et structurels, et conjuguant l'analyse prospective et rétrospective. Il est donc utile de
revenir à la fois sur l'analyse des causes qui en avait alors été faite comme sur les préconisations qui
avaient été avancées. L'analyse des causes, on le verra, n'a pas été beaucoup renouvelée, sauf que
les écarts quantitatifs sont plus durables, et signalent donc peut-être des problèmes plus structurels
que l'analyse, plus qualitative, faite il y a dix ans. Au-delà de la difficulté des employeurs à définir les
compétences dont ils ont besoin, d'autres difficultés doivent être prises en compte. L'analyse que nous
proposons privilégie les aspects qualitatifs des difficultés de recrutement sans bien sûr laisser de côté
la trame quantitative.
Les études, les guides d'action qui ont été commandités en 1982 vont permettre, vingt ans après, non
pas de nous lamenter sur l'"éternel retour" de situations identiques mais de fournir des pistes de
décryptage des problèmes actuels et, mieux encore, en repérant les causes identifiées dans le passé,
de nous permettre de voir si elles sont toujours valables. Démarche nécessaire si nous désirons
définir des leviers d'action. S'il est impossible de décrire exactement ce que sera la période 2005-
2015, période où jouera à plein sur la population active la transition vers un nouveau régime
démographique, en revanche nous pouvons anticiper le jeu de certains mécanismes structurels en
observant certains aspects actuels des difficultés de recrutement. Il est donc possible d'apporter des
réponses aux questions suivantes :
- Certaines branches vont-elles mettre en place de nouvelles stratégies de recrutement ? Vont-elles
chercher à freiner la mobilité et à fidéliser certains de leurs salariés ?
- Va-t-on assister à des concurrences accrues entre secteurs pour l'embauche, en particulier des
jeunes ?
- Les pressions vers les préretraites vont-elles cesser, voire se renverser au bénéfice du maintien
dans l'emploi des travailleurs proches de leur retraite ?
- La formation initiale va-t-elle rester un passeport pour l'emploi ou va-t-elle devenir un des éléments
constitutifs des compétences dans la société de l'information qui s'élabore au niveau européen ?
C'est donc bien l'ensemble d'un système que nous voulons éclairer, ses divers aspects et ses
interactions, ses acteurs et ses outils. Ainsi, la possibilité d'obtenir une meilleure fluidité sur le marché
du travail passe par une transformation des comportements de l'ensemble des acteurs. Plus que de
concertation, il s'agit d'apprendre à agir ensemble autour d'enjeux concrets, en jouant la
complémentarité des compétences plutôt qu'en pérennisant la division fonctionnelle des tâches entre
institutions différentes. Dans cet esprit, il s'agit d'inciter les entreprises et les acteurs locaux à
coopérer en créant des projets adaptés aux différents problèmes à résoudre.
3
Cf. "Le débat mobilisé autour des compétences dans les services". Le lecteur pourra se reporter à
l’ouvrage "Services : organisation et compétences tournées vers le client ; une lecture transversale
des CEP tertiaires", La Documentation française, Collection "Méthodes, Métiers, Données", Paris,
février 2001.
Première partie
4
Cette enquête demande tous les mois aux chefs d’entreprises industrielles s’ils ont des difficultés de
recrutement. Si l’indicateur est subjectif, il faut noter toutefois que son évolution est significative.
Le marché du travail
comme révélateur
des difficultés de recrutement 5
La mesure des difficultés de recrutement peut être abordée de diverses façons, d'un point de vue local
ou global, en se focalisant sur le marché du travail ou en intégrant tout ce qui l'environne (système de
formation, logement, transport…). Le travail présenté ici est un travail de statisticien essentiellement
quantitatif et national. Il tente de faire le point sur les difficultés de recrutement dans un horizon
essentiellement conjoncturel, même s'il se conclut sur des considérations de prospective. La grille de
lecture de ces difficultés n'est pas sectorielle mais professionnelle. Le fonctionnement du marché du
travail est appréhendé dans ce développement essentiellement en termes de métiers.
Pour décrire ce phénomène, trois approches sont privilégiées. La première consiste à mesurer
l'opinion des employeurs sur leurs propres difficultés de recrutement. Elle comporte donc par nature
une dimension subjective et fortement liée à la conjoncture. L'indicateur de référence sur cette
question, celui que suivent les macro-économistes, toujours très attentifs au problème des tensions
salariales, est tiré des enquêtes d'opinion de l'INSEE dans lesquelles les employeurs disent s'ils
rencontrent des difficultés de recrutement. Il faut rappeler que cet indicateur est partiel car il ne couvre
que deux secteurs, le BTP et l'industrie. Il ne prend pas en compte le tertiaire qui représente pourtant
une partie majoritaire de l'emploi. Tout cela peut induire une vision un peu déformée de la réalité de
l'ensemble du marché du travail. C'est pourquoi il est bon de confronter ces opinions à des données
d'observation. La seconde approche utilisée pour mesurer les difficultés de recrutement, c'est la
mesure du recrutement lui-même. Quand les offres de travail augmentent, comme en 2000, elles ont
pour conséquence de relancer les mobilités professionnelles et d'attirer sur le marché du travail de
nouvelles demandes de personnes les plus éloignées de celui-ci ; ce qui au total aboutit à de
nouvelles embauches plus larges et plus diversifiées. C'est pourquoi la troisième approche, qui
privilégie l'analyse au niveau des métiers, éclaire et donne une explication des tensions constatées
dans la dynamique du marché du travail ainsi créée. Il s'agit alors de comparer en termes de métiers
les données sur l'offre et celles relatives à la demande. Enfin, le croisement de ces approches
permettant de mesurer les difficultés de recrutement et leurs évolutions apporte quelques éclairages
sur les conséquences de ces tensions sur les salaires et le niveau du diplôme - niveau de formation à
l'embauche des jeunes.
L'année 2000 a été très bénéfique pour l'emploi dans l'ensemble des secteurs. C'est tout
particulièrement le cas du BTP puisqu'il y a crû de plus de 5 %, de décembre 1999 à décembre 2000,
alors que depuis dix ans les effectifs y étaient plutôt orientés à la baisse. En effet, en juillet 2001, la
proportion d'employeurs déclarant des difficultés de recrutement dans les enquêtes d'opinion de
l'INSEE dans l'industrie et le bâtiment n'a que très faiblement baissé par rapport au niveau observé en
2000. Par ailleurs, le rapport des offres aux demandes d'emplois recensés par l'ANPE, l'autre
indicateur des tensions du marché du travail, a baissé pour la première fois au second trimestre 2001,
mais dans des proportions encore modestes. On comprend mieux pourquoi les employeurs de ce
secteur ont le plus évoqué des difficultés pour recruter. Dans les enquêtes de l'INSEE, 86 % des
employeurs déclarent de telles difficultés (cf. graphique 1). C'est beaucoup, mais il faut signaler qu'au
milieu des années quatre-vingt-dix, au plus fort de la récession que connaissait alors le BTP, il y en
avait 35 % à déclarer éprouver ces mêmes difficultés, alors que le taux de chômage était de l'ordre de
18 % dans cette profession. Ce phénomène traduit le problème structurel que rencontrent les
employeurs de ce secteur pour recruter. Cet indicateur a cessé d'augmenter depuis trois trimestres,
stabilisation en phase avec l'évolution de l'emploi, et, en termes de goulots d'étranglement, la situation
se détend également. Les difficultés de recrutement, qui sont structurellement présentes dans le BTP,
restent élevées, mais avec une certaine détente.
Dans l'industrie (cf. graphique 2), la situation est identique à celle du BTP avec une stabilisation de
ces tensions depuis deux à trois trimestres. Cependant, les niveaux sont plus faibles que dans le BTP,
5
Ce chapitre s’appuie sur la contribution de Michel Amar, "Les tensions sur l’emploi".
puisqu'il n'y a que 56 % des employeurs qui se reconnaissent dans cette situation. Spécificité de
l'industrie, ces difficultés se retrouvent à tous les niveaux de qualification, même pour les ouvriers
spécialisés, soit la catégorie la moins qualifiée (22 % d'entreprises déclarent rencontrer ce problème à
ce niveau de qualification), alors que dans cette catégorie le taux de chômage est encore aujourd'hui
de 18 %. Constat qui permet d'éclairer et de relativiser cet indicateur. On peut penser que, lorsqu'il y a
difficultés de recrutement, le niveau d'exigence des employeurs en termes de profil de poste
recherché est trop élevé.
Graphique 1
Opinion sur les difficultés de recrutement
des employeurs de la construction
60
50
40
30
20
10
0
1978 t 2
1980 t 2
1982 t 2
1984 t 2
1986 t 2
1988 t 2
1990 t 2
1992 t 2
1994 t 2
1996 t 2
1998 t 2
2000 t 2
Source : INSEE, enquête de conjoncture auprès des ménages
Graphique 2
Opinion sur les difficultés de recrutement
des employeurs de l'industrie
60
50
40
30
20
10
0
1978 t 2
1980 t 2
1982 t 2
1984 t 2
1986 t 2
1988 t 2
1990 t 2
1992 t 2
1994 t 2
1996 t 2
1998 t 2
2000 t 2
Graphique 3
Les créations d'emplois depuis 1984
(en m illiers)
800
600
400
200
0
-200
-400
1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000
1500
Début ant s
1000 Chôm eurs
M obiles
500
0
1997 1998 1999 2000
6
Entre mars 1996 et mars 1997, il y a eu 1,4 million d’embauches de personnes qui étaient déjà en
emploi l’année précédente.
L'analyse des tensions selon les métiers
Le taux de demandes d'emplois 7 permet d'apprécier les tensions du marché du travail d'une façon
plus objective que si on se fie aux seules opinions des employeurs recueillies dans les enquêtes de
conjoncture.
Dans le bâtiment, dans la mécanique, ce taux de demandes d'emplois a fortement décru et par
conséquent conforte les opinions des employeurs sur les difficultés de recrutement (cf. graphique 5).
Dans le tertiaire et dans les transports, qui ont connu sur une longue période des évolutions de
l'emploi bien meilleures, sont observés des taux de demandes d'emplois plus élevés que ceux de
l'industrie (cf. graphique 6). Ainsi, les tensions ne résultent pas seulement des créations d'emplois
mais sont déterminées aussi par l'attractivité des différentes filières d'emploi.
Graphique 5
Taux de demandes d'emplois (industrie et construction)
par domaine professionnel de 1992 à 2000
30%
1992
1993
20% 1994
1995
1996
1997
10% 1998
1999
2000
0%
C onstruction Electricité M écanique P rocess Indu Lég M aintenance
7
Le taux de demandes d’emplois rapporte le nombre de demandeurs d’emploi se positionnant sur un
métier donné au nombre d’actifs, au chômage ou en emploi, relevant du même métier ; indicateur qui
s’apparente, avec quelques différences, à un taux de chômage. Il est obtenu en confrontant les
données de l’ANPE à celles de l’enquête Emploi de l’INSEE.
40%
1992
30%
1993
1994
1995
20% 1996
1997
1998
1999
10%
2000
0%
a.
rt.
n
e
.
ce
é
.
ur
R
sp
ct
ch
tio
nt
rm
Pa
er
ss
pe
C
an
Sa
er
es
fo
m
sA
.S
H
.
Tr
ch
ic
G
m
In
m
rv
Re
ue
Co
m
Se
nq
Co
Ba
La dimension territoriale est tout aussi importante que la dimension métier pour caractériser le plus ou
moins grand écart entre l'offre et la demande d'emplois 8. La montée des difficultés de recrutement
depuis 1997 ne s'est pas faite de façon homogène. Les tensions sur le marché du travail sont
particulièrement accentuées en Ile-de-France, en Alsace, aux franges sud-ouest de l'Ile-de-France,
dans une partie de la Champagne-Ardenne, de Rhône-Alpes et du Massif central. Alors que le Nord-
Pas-de-Calais, la Picardie ou le Languedoc-Roussillon ont un indicateur de tension faible (cf.
graphique 7).
Les facteurs explicatifs de ces disparités de tensions entre territoires sont multiples : spécificités et
dynamiques des systèmes productifs régionaux, ajustements différents entre emploi et population
active, mobilité plus ou moins importante des salariés. La sensibilité à l'environnement régional est
variable selon les métiers. Dans certains métiers, la tension est présente quelle que soit la région
considérée, avec peu de disparités entre régions : c'est le cas par exemple des métiers du bâtiment et
du bois. Chez les infirmières, les tensions sont également généralisées à l'ensemble du territoire.
Dans d'autres métiers, la tension est forte partout avec cependant une exacerbation dans certaines
régions : les informaticiens et les ouvriers de la mécanique sont dans ce cas de figure. Ainsi, chez les
informaticiens, la tension existe dans la quasi-totalité des marchés régionaux du travail, mais le niveau
est plus élevé dans des régions urbaines où les activités de haute technologie et de conseils-études-
assistance sont importantes, entraînant un appel important d'informaticiens, à savoir l'Île-de-France,
8
Ces informations sont extraites de "La dimension régionale des difficultés de recrutement",
"Premières Synthèses" n° 43.1, DARES, octobre 2001.
Rhône-Alpes et l'Alsace. Enfin, chez les employés, les ouvriers non qualifiés et les métiers liés aux
services aux particuliers, les tensions supérieures à la moyenne nationale ne dépassent pas six
régions.
Graphique 7
Tension régionale moyenne
Alsace
Ile-de-France
Rhône-Alpes
Centre
Bretagne
Champagne-Ardenne
Franche-Comté
Pays de la Loire
Limousin
Auvergne
Bourgogne
Lorraine
Aquitaine
Corse
Poitou-Charentes
Basse-Normandie
Haute-Normandie
Midi-Pyrénées
Provence-Alpes-Côte d'Azur
Languedoc-Roussillon
Picardie
Nord-Pas-de-Calais
Source : ANPE
Sont concernées ici un grand nombre de qualifications de type administratif : secrétaires, employés
administratifs, ainsi que certains métiers ouvriers comme les ouvriers non qualifiés travaillant par
enlèvement de métal, les ouvriers non qualifiés ou qualifiés du textile et du cuir. Les métiers liés aux
services aux particuliers (employés de maison, gardiens, assistants maternels, agents d'entretien)
connaissent de même peu de tensions régionales.
Carte 1
Tension globale par zone d'emploi, juin 2000
Source : ANPE, période d'observation : second semestre 1999, premier semestre 2000
Par ailleurs, l'analyse par bassins d'emploi montre que ces tensions se concrétisent dans une grande
hétérogénéité, faisant apparaître des indicateurs de tension (offres sur demandes d'emploi) qui varient
de 1 à 10 (cf. carte 1).
Les travaux de prospective à l'horizon 2010, menés par la DARES dans le cadre du groupe
"Prospective des métiers et des qualifications" du Commissariat général du Plan, permettent de
répondre à cette interrogation. Le premier résultat de cet exercice 9 est un ralentissement très marqué,
sinon un arrêt, de la progression de la population active dans les dix ans à venir, avec des départs en
retraite qui s'accélèrent à partir de 2005. Aussi, avec les principaux résultats du scénario macro-
économique qui sous-tend cet exercice - croissance du PIB de 3 % dans les cinq années qui viennent
et plus modérée dans la période qui suit, emploi à la hausse jusqu'en 2005 (+ 1,6 % par an) et stable
9
Cet exercice de prospective a été réalisé au premier trimestre 2001 et ne tient pas compte de fait du
récent ralentissement conjoncturel.
par la suite -, la baisse du taux de chômage, 6 à 7 % en 2005 et environ 5 % en 2010, 10 se poursuit. Il
est donc permis de penser que des tensions nettement plus fortes que celles observées aujourd'hui
sont encore devant nous.
Sur la base de ce scénario, la DARES a réalisé des prévisions d'emplois par métiers. Une croissance
très forte des emplois très qualifiés (cadres et professions intermédiaires) ainsi qu'une croissance non
négligeable des emplois les moins qualifiés (essentiellement des emplois de services aux particuliers)
sont envisagées, et ceci dans un contexte de départs à la retraite très importants, surtout à partir de
2005. Ces départs seront le fait de personnes relativement qualifiées qui avaient bénéficié de
promotions professionnelles durant les "Trente glorieuses". Comme le niveau de formation des
sortants du système éducatif est relativement stationnaire depuis quelques années, la conjonction de
ces deux phénomènes pourrait conduire à une aggravation des tensions pour les métiers les plus
qualifiés. Tout cela tend à conforter le sentiment que nous sommes face à des difficultés de
recrutement également pour le futur.
Plus précisément, au niveau des familles professionnelles, trois types de situations sont distingués.
Dans les métiers où la présence des quinquagénaires est importante et où la demande de travail
baisse fortement d'ici 2010, l'ajustement entre offre et demande de travail devrait se réaliser pour une
bonne part de façon mécanique par un non-remplacement des partants. Cela pourrait être le cas, par
exemple, des métiers de l'agriculture, de certains métiers d'ouvriers non qualifiés (de la construction,
de la mécanique et de la métallurgie, du textile). En revanche, pour les employés de la banque et des
assurances, et ceux de la fonction publique, la baisse de la demande de travail ne sera pas à la
hauteur de la croissance des départs en retraite. Des embauches seraient alors sans doute
nécessaires pour compenser au moins partiellement ces départs. Enfin, pour les métiers pour
lesquels la demande de travail et le besoin de remplacement des départs en retraite s'exprimeront, ils
devront faire face à des besoins de recrutements croissants.
Dans la mesure où les générations qui vont arriver dans les dix prochaines années sur le marché du
travail sont moins nombreuses que celles qui vont quitter l'emploi, des tensions, déjà sensibles
aujourd'hui pour certains métiers comme le bâtiment ou l'informatique, risquent de s'accentuer. Au
palmarès des besoins de recrutements futurs, on trouve essentiellement des métiers de cadres ou de
professions intellectuelles supérieures (cadres administratifs et financiers, cadres commerciaux
d'entreprise, chercheurs, enseignants…), des professions du domaine de la santé (infirmiers, aides-
soignants), des métiers liés aux services aux particuliers (assistantes maternelles et aides familiales,
agents d'entretien…), mais également des ouvriers qualifiés (OQ de la maintenance, OQ des
industries de process).
10
Le lecteur pourra avoir de plus amples développements sur ce scénario en consultant l’annexe D du
rapport de Jean-Pisani-Ferry "Plein emploi", rapport du Conseil d’analyse économique, paru à La
Documentation française, Paris, 2000.
Scolarité et difficultés
de recrutement :
le comportement des acteurs 11
Même si l'emploi n'est pas la seule mission des pédagogues, les difficultés de recrutement des
entreprises posent question au système éducatif : celui-ci répond-il convenablement aux besoins de
l'économie, actuels et à venir ?
En 1985, le souci d'élever le niveau de qualification de la main-d'œuvre avait prévalu dans l'objectif
que s'était fixé le gouvernement de conduire quatre jeunes sur cinq au niveau du baccalauréat. Il s'en
est suivi un allongement massif et rapide des études de 1987 à 1993, qui ne s'est toutefois pas
poursuivi, la durée des études étant en léger repli depuis la rentrée 1997. Quelle est la part des
tensions imputables à la conjoncture favorable de l'emploi, dans le repli actuel de la durée des études
? Quelle est la part des facteurs "structurels" ?
Ce développement privilégie l'analyse des changements de parcours à l'intérieur du système éducatif,
qui sont la principale cause de la baisse actuelle de la durée des études. Ces changements sont liés
pour partie à la conjoncture économique, mais dans un sens… inattendu. Pour résumer, la part des
jeunes qui se dirige vers des études longues après la Troisième diminue dès 1991, puis plus
nettement en 1993, les jeunes entreprenant alors davantage un apprentissage. La propagation du
retournement est perceptible génération par génération. Ainsi, la durée des études dans le secondaire
diminue deux ans après ce retournement de 1993-1994, à partir de 1995-1996. Ensuite, à partir de
1996, les jeunes obtiennent un peu moins souvent un baccalauréat général ou technologique. Au
final, la génération qui a poursuivi le plus longtemps ses études est la génération 1977. Depuis, les
jeunes sont moins scolarisés, en particulier à 19 et 20 ans.
Les orientations en fin de Troisième conditionnent dans une large mesure la durée ultérieure des
études. Sur cent élèves entrés en Sixième en 1989-1990, 65 % de ceux qui sont passés en Secondes
générale et technologique sont toujours scolarisés dix ans après contre 8 % de ceux qui sont passés
en Seconde professionnelle ou sont devenus apprentis 12.
En 1985, deux familles sur trois souhaitaient que leurs enfants se dirigent en fin de Troisième
générale vers une Seconde générale ou technologique 13. Elles étaient 73,5 % en 1990. Cette
préférence croissante pour les études générales et technologiques a précédé et accompagné
l'allongement des études. Puis, les vœux en faveur des cycles généraux et technologiques ont
diminué jusqu'en 1998 (66,1 %) au profit des formations professionnelles. En revanche, pour les
rentrées de 1999 puis 2000, les familles ont un peu plus souvent choisi des études longues. Malgré
une progression de la demande pour le secteur professionnel, légère dès 1991 et nette à dater de
1993 (hausse des vœux de + 1,8 point), les passages effectifs vers les lycées professionnels sont
demeurés stables, ceux-ci accueillant entre 22 % et 23 % des élèves de Troisième générale depuis
1985. En effet, une partie de cette demande s'est portée sur les centres de formation d'apprentis. Ces
11
Ce chapitre s’appuie sur la contribution de Pascale Poulet, "Les tendances dans l’éducation".
12
(1) Données issues du panel d’élèves entrés en Sixième en 1989. Les élèves du “panel 1989”
appartiennent principalement aux générations 1978 (élèves “à l’heure”) et 1977 (élèves possédant un
an de retard en Sixième). En extrapolant, les jeunes pourraient totaliser après la Troisième huit
années dans le secondaire et le supérieur lorsqu’ils ont commencé une Seconde, contre quatre année
lorsqu’ils ont commencé un CAP ou un BEP. Pour cette extrapolation et celle sur l’âge de fin d’études,
on suppose que les uns et les autres poursuivront leurs études (après 1999 et 2000), comme la
moyenne des jeunes au-delà de 21 ans en 1999-2000.
13
Vœux des familles (ministère de l’Éducation nationale, DESCO) : exploitation statistique des vœux
émis par les familles des élèves de Troisième générale de l’enseignement public (les familles peuvent
aussi demander un redoublement).
derniers ont accueilli 6 % des élèves de Troisième générale à la rentrée 1999, contre 3 % à la rentrée
1991, quant aux lycées agricoles, 3,5 % des élèves contre 2,4 % aux mêmes dates 14.
Lorsqu'on se réfère aux effectifs d'ensemble des habitants à ces âges, ces mouvements sont
confirmés. La chronique est cependant un peu différente puisque le pourcentage de jeunes atteignant
une Troisième générale a augmenté entre temps : moins de deux jeunes sur trois atteignaient la
Troisième en 1985-1986, pour près de huit sur dix dans les sections générales de 1990-1991 à 1996-
1997, et davantage récemment, avec le repli des Quatrièmes et Troisièmes technologiques 15
Ainsi, des fractions de la population qui optaient jusqu'en 1992 pour un cycle général ou
technologique après la Troisième générale le délaissent à la rentrée de 1993 et à nouveau en 1994.
Des facteurs institutionnels ont facilité le développement de l'apprentissage, en particulier la
diversification des diplômes en 1987, les diverses indemnités versées aux entreprises depuis 1993 et
la simplification des procédures d'embauche fin 1993. La décentralisation de la formation
professionnelle qualifiante mise en œuvre en 1994 et la réforme de la taxe professionnelle fin 1995
ont aussi amélioré le financement des centres de formation d'apprentis.
Une mauvaise conjoncture économique, en 1993 puis 1996, a pu aussi contribuer à attirer davantage
les collégiens vers l'apprentissage. Ce choix s'explique pour certains d'entre eux par le fait qu'ils
considèrent qu'une formation professionnelle rémunérée est plus rapidement rentable qu'une
formation générale dont la difficulté, la longueur et les débouchés peuvent apparaître plus hasardeux.
Leurs aînés qui ont bénéficié de l'allongement des études (générations 1970 à 1975) ont fait les frais
des mauvaises conjonctures de l'emploi entre 1992 et 1997, ce qui a pu également les conforter dans
leurs choix. Enfin, dans un contexte économique difficile, les familles ont pu douter de leur capacité à
accompagner des études longues. Des travaux récents conduits à partir du panel d'élèves montrent
que la situation par rapport à l'emploi et le milieu social prennent de l'importance lors de l'orientation
de fin de Troisième, alors que le diplôme de la mère prévaut, traditionnellement, pour les acquis
scolaires.
Plus récemment, en se référant aux effectifs d'habitants comme à l'ensemble des Troisièmes, les
entrées en Secondes générale et technologique remontent, en valeur relative, dès 1999-2000, puis
plus nettement semble-t-il en 2000-2001.
En proportion des effectifs d'habitants du même âge, la promotion des bacheliers de 1995 compte le
plus fort pourcentage de bacheliers généraux et technologiques enregistré à ce jour 16. Les
générations concernées (1977 surtout et 1978) ont poursuivi leurs études dans des proportions
inégalées depuis : les taux de scolarisation les plus élevés dans le supérieur (enseignements et
apprentissages) sont enregistrés à 18 ans à la rentrée 1995-1996, à 19 ans à la rentrée 1996-1997, à
20 et 21 ans à la rentrée 1997-1998, enfin 22, 23 et 24 ans à la rentrée 1999-2000.
L'amoindrissement des flux de Secondes générale et technologique en amont (1993) a entraîné,
après 1995, une baisse des proportions de bacheliers généraux et technologiques dans les classes
d'âges (cf. graphique 8). Cette baisse affecte les bacheliers généraux, qui poursuivent leurs études en
14
Globalement, tous niveaux d’études confondus, les centres de formation d’apprentis comptaient 362
800 apprentis et pré-apprentis en France métropolitaine en 1999-2000, pour 222 400 en 1991-1992 (+
63 %). Au début des années quatre-vingt-dix, les centres recrutaient davantage d’élèves de
Cinquième, Quatrième et de classe préprofessionnelles.
15
La rentrée 1999-2000, 84 % des jeunes entrent en Troisième générale et, globalement, de l’ordre
de 96 % des jeunes commencent une Troisième : pour environ 3,5 % des jeunes, il s’agit d’une
Troisième adaptée (SEGPA), 1,5 % une Troisième agricole, 4,5 (en forte baisse) une Troisième
technologique et 2 5 % une Troisième d’”insertion”.
16
Le baccalauréat 2000 a été obtenu par 61,7 % des jeunes des classes d’âges concernées, ce qui
égale presque le baccalauréat 1995 (62,7 % des jeunes), avec davantage de bacheliers
professionnels et moins de bacheliers généraux : moins de 33 % des jeunes ont obtenu un
baccalauréat général en 2000 contre 37 % en 1995, et près de 11 % des jeunes ont été reçus au
baccalauréat professionnel en 2000 contre 8 % en 1995 (18 % des jeunes obtenant aux deux dates
un baccalauréat technologique).
plus fortes proportions. De surcroît, ces bacheliers s'inscrivent un peu moins dans l'enseignement
supérieur l'année de l'obtention du baccalauréat, que celui-ci soit général ou technologique. En
conséquence, la part des jeunes commençant l'enseignement supérieur a cessé d'augmenter depuis
1996-1997, et semble avoir un peu baissé dans les milieux les moins familiers avec l'école. La
présence plus massive dans l'enseignement supérieur après 19 ans a compensé la baisse de la durée
des études secondaires jusqu'en 1996-1997. Ensuite, la durée de la scolarité diminue légèrement sur
l'ensemble du système éducatif.
Les baccalauréats généraux et technologiques ont une position de "pivots" parce qu'ils conditionnent
les études à venir : parmi les jeunes entrés en Sixième en 1989-1990, plus de 70 % des bacheliers
généraux (83 %) et technologiques (44 %) sont encore scolarisés dix ans après (en 1999-2000),
contre 12 % des bacheliers professionnels et 3 % des jeunes qui n'ont pas de baccalauréat. En
extrapolant, cela pourrait représenter, pour la génération 1978, un âge moyen de fin d'études
approchant 25 ans pour les bacheliers généraux et 23 ans pour les bacheliers technologiques, 21 ans
pour les bacheliers professionnels et un peu moins de 19 ans pour ceux qui n'ont pas obtenu de
baccalauréat. Ces fortes différences en fonction de l'obtention du baccalauréat et de sa filière
concourent à expliquer que la durée de la scolarité ait varié, d'année en année, comme la fréquence
d'obtention des baccalauréats généraux et technologiques (cf. graphique 8).
Graphique 8
L'espérance de scolarité à 13 ans évolue dans le temps
de façon similaire à la part des bacheliers
dans les effectifs des classes d'âges des jeunes
70 10,0
9,5
60
9,0
8,5
50
8,0
40
7,5
Bacheliers (ensemble)
20 6,0
1983-1984
1984-1985
1985-1986
1986-1987
1987-1988
1988-1989
1989-1990
1990-1991
1991-1992
1992-1993
1993-1994
1994-1995
1995-1996
1996-1997
1997-1998
1998-1999
1999-2000
2000-2001
2001-2002
2002-2003
17
Les adolescents de 13 ans étudient en moyenne 8,6 ans en 1999-2000 ; 51 % de l’effectif
d’ensemble des jeunes ont obtenu un baccalauréat général ou technologique à la session de 1999 (62
% compte tenu des baccalauréats professionnels) ; trois ans avant, soit en 1996-1997, 54 %
commençaient une Seconde générale ou technologique.
L'arrêt de l'allongement des études
rend les sorties de formation initiale plus nombreuses
Le nombre de sortants dépend principalement des variations de la durée des études depuis 1981 : la
quantité de sortants a varié, d'année en année, à l'inverse de la durée des études (cf. graphique 9). à
partir des variations d'effectifs scolarisés, il est possible d'estimer le nombre de sortants du système
éducatif à environ 750 000 par an au début des années quatre-vingt, puis 650 000 de 1989 à 1993.
Avec le ralentissement de l'allongement de la durée des études de 1994 à 1996, et enfin sa légère
diminution à partir de 1997, le nombre de sortants a fortement augmenté depuis 1994. Plus de 770
000 jeunes sont sortis de formation initiale en 1999. Ce mouvement va à l'encontre de l'évolution
démographique, les sortants du système éducatif appartenant à des générations moins massives.
Graphique 9
Le nombre de sortants de formation initiale dépend beaucoup
des variations de la durée des études et peu de la démographie
Effectifs de jeunes
900 0,25 en âge de sortir de
formation initiale
(échelle de gauche)
850 0,20
600 -0,05
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
Source : INSEE pour les estimations des effectifs d'ensemble des générations (rétropolations après le
recensement de 1999) ; approximations au moyen des recensements d'effectifs du ministère de
l'Éducation nationale pour les flux de sortants 18
La distribution des sortants par diplômes a peu changé depuis le milieu des années quatre-vingt-dix,
après les changements importants induits par l'extension des filières longues du supérieur, l'élévation
des diplômes professionnels, et la baisse des flux des moins formés. Depuis 1996, environ un jeune
sur cinq achève sa formation initiale avec un diplôme d'un cycle long de l'enseignement supérieur, et
un sortant de formation initiale sur deux est passé par l'enseignement supérieur. Les diplômés des
cycles longs de l'enseignement supérieur sont deux fois plus nombreux depuis 1996 qu'ils n'étaient en
1987.
Près de cinq jeunes sur dix terminent actuellement leur formation initiale avec un diplôme
professionnel (du certificat d'aptitude professionnelle au diplôme universitaire de technologie) contre
un peu plus de quatre sur dix au début des années quatre-vingt-dix. Il s'agit aujourd'hui
majoritairement de brevets de techniciens professionnels, de diplômes universitaires de technologie,
de baccalauréats technologiques et professionnels (six diplômés sur dix) alors qu'au début des
18
En 1990, 865 000 jeunes atteignaient l’âge de sortir du système éducatif (effectifs de jeunes en âge
de sortir de formation initiale). à la même date, la comparaison des effectifs inscrits dans les
établissements scolaires et les centres de formation d’apprentis permet d’estimer que 660 000 d’entre
eux sortaient effectivement (échelle de gauche). Les sortants représentaient alors 76 % de l’effectif
des habitants en âge de sortir, et la durée des études avait augmenté de 0,23 année entre la rentrée
1989 et celle de 1990 (échelle de droite).
années quatre-vingt-dix les certificats d'aptitude et brevets d'études professionnels étaient
prépondérants (sept diplômés sur dix).
Environ un jeune sur cinq achève sa formation initiale avec au mieux un brevet et, parmi eux, 60 000
jeunes sortent "sans qualification" (niveaux de formation VI et Vbis 19). Les flux de sortants les moins
qualifiés ont cessé de diminuer après 1993.
Les sortants sont cependant plus nombreux. Les diplômés des formations professionnelles
secondaires (CAP, BEP, baccalauréats professionnels et équivalents) sont 30 000 de plus en 1999
qu'en 1996. Cette hausse s'explique surtout par l'extension du second cycle professionnel. En
proportion des effectifs, les pourcentages de sortants sont stables au niveau IV et en hausse d'environ
un point pour les CAP et BEP.
Ces résultats montrent l'importance des facteurs structurels dans l'évolution actuelle. Les orientations
en fin de Troisième, l'obtention et le type du baccalauréat modèlent, en grande partie, la durée des
parcours de formation initiale. En ce sens, le repli des taux de scolarisation entre deux et quatre points
aux différents âges de 18 à 21 ans depuis 1996-1997, à l'origine du léger recul de la durée moyenne
des scolarités, provient majoritairement de la baisse des orientations vers les études longues après la
Troisième, amorcée dès 1991.
L'évolution dans le temps des vœux formulés par les familles en fin de Troisième générale pose
question. Les variations particulières en 1991 (arrêt de la forte hausse), 1993 et 1996 (baisses
importantes) et 1995 (légère reprise) rappellent les fluctuations conjoncturelles de l'économie 1.
L'optimisme des familles face à l'avenir peut donc jouer sur leur propension à accompagner leurs
enfants vers des études longues.
Cependant, la conjoncture de l'emploi, plus favorable aux jeunes depuis la fin de 1997, peut avoir des
conséquences différentes à des étapes plus avancées des parcours scolaires. Ainsi, l'attrait de
l'emploi a pu contribuer à la hausse de un point entre 1996 et 1999 des taux de sorties de CAP et
BEP. Par ailleurs, les jeunes étudiants qui commencent un diplôme d'études universitaires générales
s'apprêtent en 2000 à étudier moins longtemps que les cohortes qui les ont précédés, anticipant
explicitement une insertion professionnelle favorable. Une bonne conjoncture de l'emploi pourrait ainsi
permettre aux parents des élèves de les accompagner dans des cursus longs, tout en donnant aux
jeunes des possibilités d'en limiter la durée.
19
Les sortants “sans qualification” ont fini leur formation initiale en année intermédiaire de CAP ou de
BEP, en premier cycle du secondaire, voire en deçà.
Les filières professionnelles
à la croisée des réformes
et de la conjoncture 20
L'analyse des effectifs dans le système éducatif est un exercice difficile car beaucoup d'éléments,
notamment les fluctuations démographiques, influent sur les évolutions observées. Ainsi, de
l'observation de l'évolution des effectifs, il est possible de présenter trop rapidement des conclusions
parfois alarmantes et ceci en particulier quand la conjoncture s'y prête.
à la rentrée 2000, on a parlé de forte désaffection pour l'enseignement professionnel à la suite de la
baisse des effectifs en lycée professionnel et plus particulièrement en Seconde professionnelle. C'était
particulièrement inquiétant puisque dans le même temps on mentionnait des problèmes de difficultés
de recrutements, voire de pénurie de main-d'œuvre qualifiée. De la même manière, des propos très
alarmistes ont souvent été tenus sur l'évolution des effectifs inscrits dans les disciplines scientifiques,
qui pourrait conduire rapidement la France à manquer de scientifiques indispensables à son
développement. Ces deux perceptions, largement reprises par les media, provoquent diverses
tensions à l'intérieur et à l'égard du système éducatif. Elles méritent une analyse plus approfondie
pour connaître la pertinence des craintes exprimées.
L'analyse proposée sur les effectifs dans les lycées professionnels et dans les filières scientifiques
montre l'importance des transformations des structures sur la dynamique des flux.
20
Ce chapitre s’appuie sur la contribution de Claude Sauvageot, "Les tensions dans l’éducation ; vrais
problèmes – faux problèmes – vraies rumeurs".
21
Par convention, notamment pour les tableaux, sont mentionnées sous le sigle 2de GT les Secondes
générale et technologique et sous le sigle 2de Pro la Seconde professionnelle couplée avec la
première année de CAP en deux ans.
Graphique 10
Nombre des naissances
900
850
800
en milliers
750
700
650
600
70
72
74
76
78
80
82
84
86
88
90
92
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
Années
Source : MEN/DPD
Il est alors possible d'étudier de façon plus détaillée les flux d'élèves après la Troisième. L'analyse des
taux de passage de Troisième générale vers les Secondes générale et technologique et vers la
Seconde professionnelle sur longue période indique dans les deux cas (cf. tableau 1) une légère
augmentation, plus importante cependant pour les Secondes générale et technologique : 0,33 point
contre 0,09. Il faut également remarquer la baisse importante des taux de redoublement : 6,85 contre
8,02.
On ne constate donc pas à ce niveau une désaffection pour l'enseignement professionnel puisque le
taux de passage de Troisième vers la Seconde professionnelle a augmenté. C'est pourquoi, pour
comprendre les mécanismes qui ont produit ces évolutions divergentes, il faut regarder en détail les
évolutions des effectifs et des flux de chaque type de Troisième : générale, technologique et
d'insertion.
Tableau 1
Évolution des orientations en fin de Troisième générale.
France métropolitaine. Public + privé
TROISIEME GENERALE
Année Effectif % % % %
année n-1 2nde GT Redoublant 2nde Pro Total
1985 642564 54,72 14,31 23,08 92,11
1986 665209 55,77 14,99 22,2 92,96
1987 699767 57,81 13,97 21,69 93,47
1988 712400 59,79 12,59 21,89 94,27
1989 704635 62,54 10,51 22,29 95,34
1990 671163 63,96 9,56 22,62 96,14
1991 650894 64,78 9,04 22,43 96,25
1992 649433 64,41 9,16 22,16 95,73
1993 656230 63,1 9,79 22,1 94,99
1994 665735 61,82 10,38 21,9 94,1
1995 691308 61,79 10,22 21,7 93,71
1996 705980 60,39 10,22 21,64 92,25
1997 707710 59,97 9,76 22,06 91,79
1998 685208 60,48 8,57 22,56 91,61
1999 682879 60,93 8,02 22,84 91,79
2000 697347 61,26 6,85 22,93 91,04
Source : Men/DPD
Disparition des Troisièmes technologiques
On constate (cf. tableau 2) une chute très forte des effectifs en Troisième technologique (- 43 %) entre
1998/1999 et 1999/2000.
Le taux de passage vers les Secondes générale et technologique augmente en Troisième générale
mais baisse en Troisième technologique. Cette diminution n'affecte guère les effectifs de Secondes
générale et technologique puisque les effectifs de Troisième technologique ont beaucoup baissé, et le
taux passage global de Troisième en Secondes générale et technologique augmente de plus de trois
points entre 1998/1999 et 2000/2001, et de plus de deux points entre 1999/2000 et 2000/2001.
Tableau 2
Évolution des orientations en fin de Troisième par type de Troisième.
France métropolitaine. Public + privé
Troisième
1997/98 685208 74582 15635 775425
1998/99 682879 60666 17080 760625
1999/2000 697347 34463 20065 751875
Source : MEN/DPD
Le taux de passage vers la Seconde professionnelle augmente, comme on l'avait vu précédemment
en Troisième générale. Il augmente également en Troisième technologique et en Troisième
d'insertion. Mais, de façon surprenante, il diminue de plus de un point sur l'ensemble des Troisièmes
entre 1999/2000 et 2000/2001.
L'explication de ce résultat (trois taux correspondant à une partie des effectifs augmentent mais le
taux correspondant à l'effectif total diminue) tient à l'évolution des structures de formation. En effet, les
Troisièmes technologiques représentaient un réservoir important pour les Secondes professionnelles.
La baisse très sensible des effectifs dans ces classes a donc un effet très important sur l'entrée en
Seconde professionnelle. Les transformations de la structure du premier cycle ont donc eu un impact
important. Une partie des élèves qui dans les années 1990-1995 s'orientaient vers les Quatrièmes et
les Troisièmes technologiques se retrouvent à présent en Troisième générale.
Ainsi, l'explication qu'il est possible de faire sur la rentrée 2000 est que les élèves ont adopté un
comportement très proche de celui des élèves précédemment scolarisés en Troisième générale et
qu'ils se sont orientés principalement vers les Secondes générale et technologique. Certes, on aurait
pu imaginer que les élèves qui auraient précédemment été orientés vers ces filières technologiques
s'orienteraient davantage vers les Secondes professionnelles. Cela n'a pas été observé. Il est possible
de proposer deux hypothèses pour expliquer cela :
- une volonté des familles de privilégier la filière générale quand l'élève est resté dans cette filière. On
peut alors parler de désaffection pour la formation professionnelle mais dans une dimension
beaucoup moindre qu'à l'origine puisqu'elle ne concerne qu'une partie des élèves. Il est possible
également de considérer ces souhaits d'orientation pour des études plus longues comme très positifs
et liés à une vision optimiste des prochaines années ;
- une orientation influencée par une conjoncture démographique. La baisse des naissances de 1983
et les faibles naissances de 1984 ont laissé des places vides dans les lycées généraux, et l'orientation
a largement utilisé les possibilités offertes permettant d'accueillir des proportions plus importantes
d'élèves de Troisième.
S'il n'est pas possible, au vue de l'analyse de la rentrée 2000, de trancher entre les deux hypothèses,
est-il possible pour autant de conclure à une désaffection de l'enseignement professionnel ? En effet,
il faut noter que si les effectifs de Seconde professionnelle régressent, le seul baccalauréat qui
progresse de façon importante ces dernières années est le bac professionnel (cf. graphique 11 ).
Graphique 11
Évolution de la part des bacheliers dans une génération
selon le type de baccalauréat
70,0
60,0
Prof.
50,0
Techno.
Général
40,0
30,0
20,0
10,0
0,0
61
68
71
74
77
80
83
86
89
92
95
98
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
Source : MEN/DPD
En effet, comme il a été précédemment indiqué, l'orientation vers les filières technologiques a
beaucoup baissé, conformément au souhait de faire parvenir le maximum de jeunes en Troisième
générale. Ces classes technologiques se trouvaient majoritairement en lycées professionnels. Ceux-ci
ont donc vu disparaître une partie de leurs effectifs qui venaient suivre ces enseignements
technologiques. Cela a pu provoquer une impression de vide et donc de désaffection, mais cela
correspondait à un choix de structure de l'enseignement du premier cycle et non à des variations
importantes dans les décisions d'orientation vers les formations professionnelles post-Troisième.
Cependant, contrairement aux lycées généraux et technologiques, les lycées professionnels sont
souvent des structures de petite taille. Une variation d'effectifs peut donc avoir un impact plus
important et mettre alors en difficulté la structure.
Une autre explication qui a été souvent mentionnée est l'augmentation des abandons en cours de
formation. On souligne en effet de nombreuses démarches d'entreprises pour embaucher des jeunes
en cours de formation pour faire face à la croissance de leurs activités liée à une croissance générale
assez forte.
Tableau 3
Taux de sortie des établissements publics et privés du second degré.
France métropolitaine
Dans les formations générales, la part des scientifiques en Première et en Terminale est plutôt en
légère augmentation, comme le montre le tableau 4.
Tableau 4
Évolution des effectifs en Première d'enseignement général.
France métropolitaine. Public + privé
1ERE 1ERE 1ERE Scientifique Total part des part des Pa
Littéraire ECONOMIQU Littéraires économistes
E ET
SOCIALE
1990 80 989 89 569 172 209 12 644 355 411 22,8 25,2
1991 77 352 84 885 175 933 13 950 352 120 22 24,1
1992 74 669 81 656 171 022 14 393 341 740 21,8 23,9
1993 77 796 87 065 172 576 337 437 23,1 25,8
1994 71 759 80 445 153 112 305 316 23,5 26,3
1995 72 207 79 364 152 848 304 419 23,7 26,1
1996 69 564 82 663 154 086 306 313 22,7 27
1997 66 159 81 820 156 609 304 588 21,7 26,9
1998 61 544 84 354 156 494 302 392 20,4 27,9
1999 57 728 83 714 151 191 292 633 19,7 28,6
2000 53 485 86 770 151 936 292 191 18,3 29,7
22
Perspective ouverte par le rapport de Dominique Charvet, op.cit.
Source : MEN/DPD et le centre de documentation
Globalement la part des formations scientifiques dans les formations générales se maintient alors que
la situation des formations littéraires se dégrade. Ainsi, au vu de ces données, il n'est pas constaté
une dégradation de la situation des études scientifiques en lycée. Au contraire, il est possible
d'indiquer une situation plus préoccupante des études littéraires qui sont sur une tendance à la baisse.
Cependant, l'analyse de l'évolution globale des bacs généraux fait apparaître des difficultés. Ainsi,
l'augmentation de la part des bacheliers scientifiques dans les bacs généraux ne compense pas la
baisse globale des bacs généraux.
En effet, depuis 1995, la part d'une génération qui a un bac scientifique a légèrement baissé. C'est la
conséquence d'une orientation différente en fin de Seconde puisque les bacs technologiques ont
progressé régulièrement dans cette même période (+ 1 point entre 1995 et 1999). Il faut à nouveau
signaler ici qu'il en est de même pour les bacs professionnels qui continuent de progresser (+ 2,9
points entre 1995 et 1999).
Il est également intéressant d'étudier la part des étudiants scientifiques dans l'ensemble des étudiants
à l'université et dans les premières inscriptions. Globalement, on ne remarque pas de baisse de la
proportion des étudiants en sciences mais au contraire une légère augmentation à la rentrée 2000. La
proportion globale des étudiants en sciences inscrits à l'université (hors IUT) a légèrement augmenté
à la rentrée 2000 : 25,4 % contre 25,1 % en 1999 (cf. tableau 5).
Les premiers inscrits en sciences bénéficient du bon taux de réussite au baccalauréat S en 2000.
Pour les inscrits pour la première fois à l'université (hors IUT), la même situation est observée avec
une hausse plus nette à la dernière rentrée liée à la forte hausse du taux de réussite au baccalauréat
S pour l'année 2000 : 20,9 % contre 19,9 % en 1999.
Les problèmes réels sont donc ailleurs. Il est possible de proposer là encore plusieurs pistes pour
expliquer les annonces alarmistes. En effet, si globalement les disciplines scientifiques ne diminuent
pas, il est possible d'observer une situation particulière en sciences de la matière. C'est en effet la
seule discipline scientifique pour laquelle le nombre de premiers inscrits diminue à la rentrée 2000 : 10
555 contre 11 202 en 1999 (cf. tableau 6).
Tableau 5
Évolution des effectifs d'étudiants par grande discipline.
France métropolitaine + DOM-TOM
Dr.Sc.Eco. Lettres Sciences Santé Total Part des
universités étudiants en
(hors IUT) sciences dans
les universités
(hors IUT)
1988 256 447 347 536 210 582 154 962 969 527 21,70%
1989 273 223 382 385 233 826 155 425 1 044 859 22,40%
1990 287 911 410 739 256 741 153 065 1 108 456 23,20%
1991 305 561 424 649 279 422 149 175 1 158 807 24,10%
1992 328 446 450 941 300 073 148 097 1 227 557 24,40%
1993 349 705 496 636 321 445 152 849 1 320 635 24,30%
1994 356 773 514 015 332 120 152 975 1 355 883 24,50%
1995 360 067 530 672 341 405 152 789 1 384 933 24,70%
1996 348 777 524 187 343 435 147 000 1 363 399 25,20%
1997 340 418 513 844 336 814 142 803 1 333 879 25,30%
1998 337 824 503 896 329 046 141 819 1 312 585 25,10%
1999 343 679 495 263 327 108 139 124 1 305 174 25,10%
2000[1] 345 000 485 400 329 000 137 300 1 296 700 25,40%
(1) Données provisoires
Source : MEN/DPD et le centre de documentation
Les poursuites d'études des bacheliers dans les filières générales de l'université (donc hors IUT)
décroissent régulièrement depuis plusieurs années au profit des formations courtes. Ainsi, le maintien
de la proportion d'étudiants scientifiques dans ces filières universitaires n'évite pas une érosion de la
part des poursuites d'études directes en sciences. Il semble cependant qu'à la rentrée 2000 cette
érosion se soit ralentie, et qu'en tout cas les premières inscriptions en sciences aient sensiblement
augmenté alors que les inscriptions en lettres continuent régulièrement de diminuer.
Tableau 6
Évolution des effectifs de nouveaux inscrits en première année
par discipline détaillée.
France métropolitaine + DOM-TOM
1996 1997 1998 1999 2000
Mathématiqu 2307 2291 2837 2889 2903
es
appliquées et
sciences
sociales
Sciences 18633 14109 14197 13817 15030
mathématiqu
es,
informatique
et
applications
aux sciences
Taux d’écoulement des demandes d’emploi 1 entre juin 2000 et juin 2001
Bâtiment 68,85
Transport 61,42
Informatique 66,05
Total (tous domaines professionnels) 66,08
Évolution des offres d’emplois au 1er semestre 2001 par rapport au 1er semestre 2000
Bâtiment - 20,89
Transport - 6,88
Informatique + 5,30
Total (tous domaines professionnels) - 4,86
23
Cf. DARES - ANPE, “Les tensions sur le marché du travail”, “Premières Synthèses” (publication
trimestrielle).
(2) Afin de faciliter l’approche par métiers, la nomenclature que nous avons privilégiée est celle des
“familles d’activité professionnelle” (FAP) ; elle permet le rapprochement et l’analyse des données de
l’ANPE (exprimées rome) et de celles de l’INSEE (exprimées PCS). Les familles professionnelles (84)
ont ensuite été agrégées en 22 domaines professionnels.
Part des CDI et CDD sup. à six mois dans les offres enregistrées au 1er semestre 2001
Bâtiment 45,41
Transport 42,10
Informatique 81,57
Total (tous domaines professionnels) 45,53
Rapport des offres enregistrées (flux) aux demandes (stock) au 1er semestre 2001
Bâtiment 0,63
Transport 0,57
Informatique 1,12
Total (tous domaines professionnels) 0,50
Pendant la première moitié des années quatre-vingt, le bâtiment et les travaux publics ont perdu près
de 340 000 emplois. Cette tendance se renverse pendant la deuxième moitié de la décennie et l'étude
des tableaux de mobilité des enquêtes sur l'emploi révèle que l'augmentation des flux s'explique par
les arrivées accrues de salariés en provenance d'autres secteurs 25. Déjà, on craignait des difficultés
de recrutement pour les entreprises, que l'on expliquait essentiellement par les évolutions
démographiques, surtout dans un contexte de tarissement de l'exode rural et de l'immigration, la
concurrence d'autres secteurs, surtout avec le redressement de l'emploi industriel, et la mobilité
géographique dans le nord et l'est du pays, induite par l'ouverture du Marché unique 26.
Dans ce contexte, la question des qualifications du secteur du bâtiment et des travaux publics, de leur
évolution, de leur gestion acquiert une importance particulière, surtout dans le contexte actuel. Elle
est, par ailleurs, étroitement associée à l'évolution de la formation professionnelle, celle des jeunes en
particulier.
Dans les années quatre-vingt-dix, le secteur a perdu à peu près 15 % de ses effectifs. Cette baisse,
de l'ordre de 2,2 % par an, s'est interrompue en 1998 27. Les marchés en volume et en taille, ainsi que
la baisse des prix ont engendré une concurrence particulièrement exacerbée, chacun se battant pour
prendre sa part de l'activité. Les entreprises ont tassé les niveaux de qualification, se sont séparées
des salariés les moins qualifiés et ont diminué leur personnel d'encadrement 28. Des produits
industriels prêts à l'emploi, de nouveaux services à la clientèle plus avertie et plus exigeante,
l'émergence de nouveaux segments de marchés liés à l'environnement, à la réglementation ont
bousculé l'exercice des métiers du bâtiment et l'organisation des chantiers. Les salariés ont élargi
leurs domaines d'intervention et, au début des années deux mille, les équipes de travail dans le
bâtiment sont désormais plus réduites, plus polyvalentes, moins encadrées, et travaillent dans des
délais plus courts. En cas de besoin, on fait appel à l'intérim, aujourd'hui plus qualifié.
L'introduction de nouvelles techniques, qui finalement n'en chassent pas d'autres, et l'application au
secteur de la construction des technologies de l'information ont bousculé les relations entre les
intervenants de l'acte de construire. Le travail dans les ateliers et les chantiers change assez
profondément, inégalement au regard du nombre d'entreprises. La productivité augmente en moyenne
de 2 % par an. Globalement le secteur se transforme, les niveaux d'exigence de qualification
augmentent 29 et de nouveaux profils de l'enseignement supérieur sont recrutés.
24
Ce chapitre s’appuie sur la contribution de Jean Michelin, "Gestion des qualifications et des
compétences dans le BTP".
25
D. Trillat, "Mobilité de la main-d’œuvre du BTP de 1986 à 1989 et difficultés de recrutement à
prévoir dans le secteur", ministère de l’Équipement, du Logement, des Transports et de la Mer, Centre
d’analyses stratégiques et de prévision.
26
Idem.
27
Cf. les enquêtes Emploi de l’INSEE.
28
Depuis 1986, "ce sont plutôt parmi les postes les plus qualifiés (cadres et professions
intermédiaires) que se sont produites les suppressions d’emplois", DARES, "Tensions sur le marché
du travail dans les métiers de la construction", septembre 1999.
29
Il est à noter que, par le passé, dans une période de fort chômage dans le bâtiment, le niveau
d’exigence des entreprises en termes de qualifications était déjà assez élevé ("Tensions sur le marché
du travail dans les métiers de la construction", op. cit.).
Pendant la crise précédente (1982-1985), les entreprises avaient nettement moins formé. Le nombre
d'apprentis avait diminué 30 et les fonds de formation continue restaient sous-consommés. Les
difficultés de recrutement se sont inévitablement fait sentir aux premiers frémissements de reprise.
Dans les années quatre-vingt-dix, l'élargissement des activités des entreprises, le tassement des
niveaux d'encadrement et la dureté de la crise (200 000 emplois perdus au rythme de 30 000 par an
en sept ans et 40 000 entreprises disparues 31) se sont donc traduits par un élargissement et une
élévation des compétences des salariés. Ceci explique que l'activité formation continue, en général,
n'a pas baissé pendant la crise.
Le contrat d'études prospectives, en 1993, a mis en lumière le fait que le secteur avait besoin, même
dans le scénario économique le plus défavorable, de recruter 60 000 personnes par an (pyramide des
âges, départs naturels, renouvellement des artisans, émergence de nouveaux métiers : plaquiste,
agenceur, façadier, climaticien…). C'est pourquoi la fédération n'a cessé de sensibiliser les chefs
d'entreprise sur la nécessité d'embaucher des apprentis et des jeunes sous contrat de qualification.
Par des accords sociaux et des accords avec l'État, des moyens financiers considérables (plus d'un
milliard de francs) ont permis de mettre en œuvre des opérations de qualification, comme par exemple
l'opération "Former plutôt que licencier". Afin d'être maintenus dans la profession tout en élevant leur
qualification, 20 000 salariés ont été formés dans des actions lourdes de cinq cents heures en
moyenne. Le dispositif a donc fait ses preuves et, de ce point de vue, il s'agit d'une idée à retenir.
L'apprentissage s'est développé ; ses effectifs ont progressé de plus de 50 % de 1995 à 2000 32.
Certes les flux de sortie n'ont pas augmenté dans les mêmes proportions, parce que le niveau de
sortie et les diplômes préparés ont débouché sur des qualifications de plus haut niveau. Par ailleurs
les effectifs dans les filières professionnelles ont diminué. Au plus fort de la crise, 110 000 salariés et
25 000 artisans ont suivi chaque année des actions de formation continue. Dans le même temps,
l'AFPA a formé dans ce secteur 32 000 demandeurs d'emploi par an et les entreprises ont accueilli en
périodes de formation près de 100 000 lycéens préparant un diplôme du bâtiment.
La crise économique et l'instabilité des emplois ont amené les entreprises ou les organismes de la branche à
mettre en place des dispositifs d'insertion-qualification des jeunes ou moins jeunes pour éviter les échecs et
surtout ne pas perdre les efforts entrepris. Dans ce cadre, des dispositifs particulièrement adaptés aux jeunes
gens, conçus différemment selon les caractéristiques régionales ou locales, ont vu le jour grâce à l'engagement
de chefs d'entreprise ou des partenaires sociaux de la branche, grâce aussi à l'expertise des organismes de
branche spécialisés dans la mise en œuvre des contrats d'insertion en alternance. à titre d'exemple retenons les
opérations CLEF (cellules locales embauches-formation) en Languedoc-Roussillon, Atout jeune en Normandie,
Parcours jeune BTP en Franche-Comté, Convergences BTP dans le Nord-Pas-de-Calais, ARIQ (Association
paritaire pour l'insertion et la qualification) en région Centre... Citons également les GEIQ (groupements
d'employeurs pour l'insertion et la qualification) dont le rôle d'interface et de suivi est particulièrement efficace.
Avec 5,3 % de croissance en 1999 et 6,6 % en 2000 (alors que la croissance du PIB était de 3,2 %),
et probablement 2,6 % en 2001, les entreprises ont dû créer 30 000 emplois en 1999, 35 000 en 2000
et sûrement 5 000 en 2001. Cette création nette d'emplois s'ajoute naturellement aux besoins de
renouvellement de 60 000 personnes par an. La tension sur le recrutement est apparue très
rapidement, dès le printemps 1999, à tous les niveaux de qualification, dans tous les métiers, dans les
trois filières : exécution, administration, technique/services. De nouveau, des pénuries de main-
30
Verrimst (F.) et Miossec (V.), "Débuter et évoluer dans le bâtiment", "L’Étudiant", 1999.
31
FFB, "Les indicateurs sociaux du bâtiment 2000", janvier 2001.
32
Le secteur semble être "historiquement" attaché à cette voie, particulièrement adaptée aux métiers
à fort contenu de savoir-faire, de "tours de main". À titre d’exemple : si tous les acteurs employaient
proportionnellement autant d’apprentis que le bâtiment, il y aurait plus d’un million d’apprentis en
France.
d'œuvre sont évoquées alors qu'il est dénombré encore plus de deux millions de chômeurs en France
et que 170 000 d'entre eux sont recensés à l'ANPE comme qualifiés bâtiment 33.
Le secteur de la construction souffre d'un déficit de communication. Il est souvent présenté comme
peu attractif, souffrant d'un déficit d'image et avec des conditions de travail pénibles 34. Cependant, de
nombreuses entreprises ont amélioré de manière sensible les conditions de travail 35. Depuis une
dizaine d'années, certaines entreprises, ayant la volonté de moderniser le management, ont entrepris
des démarches de progrès associées à des démarches qualité ; ce qui a pour conséquence
d'améliorer les conditions de travail.
La Fédération française du bâtiment (FFB) procède alors à l'analyse des difficultés rencontrées. En
effet, comment peut-on parler de problème d'attractivité, alors que jamais autant de jeunes n'ont
préparé un diplôme du bâtiment ? Il est vrai que l'image du bâtiment est en décalage avec la réalité.
Cela s'explique par diverses causes :
- la concurrence avec d'autres secteurs plus attractifs ;
- l'expression de l'offre d'embauche est très souvent inadaptée ;
- l'encadrement fait cruellement défaut, notamment pour accueillir et accompagner les nouveaux
entrants ;
- l'âge moyen (40 ans) est le même que dans les autres secteurs industriels mais il peut être
inquiétant dans certaines régions et dans certaines professions (48 ans) ;
- les pratiques de débauchage se multiplient ;
- enfin, certains entrants dans le secteur rencontrent des difficultés sociales et ont besoin d'un appui.
Après l'analyse effectuée, les entreprises du bâtiment décident d'adopter une stratégie partenariale de
recrutement et d'insertion dans l'emploi. Celle-ci se décline sur plusieurs niveaux :
- entre les partenaires sociaux de la branche qui signent un accord de mobilisation générale sur cet
objectif et qui dégagent 200 000 000 F pour former des demandeurs d'emploi en cours d'embauche.
C'est une première en France. Cet accord porte sur la création de qualifications nouvelles,
principalement les certificats de maîtrise professionnelle qui se mettent en place progressivement
pour offrir la perspective aux jeunes compagnons professionnels d'atteindre l'excellence ouvrière,
reconnue par leurs pairs. Il s'agit aussi de fidéliser les jeunes formés et diplômés dans les métiers du
BTP ;
- avec l'ANPE, la stratégie d'alliance consiste à effectuer un état de la situation des 170 000
demandeurs d'emploi répertoriés bâtiment et dans l'utilisation du stage d'accès à l'entreprise (SAE) ;
adaptée mais trop méconnue. Il s'agissait aussi de raccourcir les procédures d'études préalables et de
mettre en relation directe, le plus tôt possible, des employeurs et des demandeurs d'emploi, identifiés
ou non bâtiment ;
- en coordination avec l'AFPA, la profession et les entreprises innovent dans la construction de
solutions sur mesure et sur site. L'AFPA fait preuve de souplesse et de réactivité de façon tout à fait
remarquable ;
- une convention de coopération avec le ministère de l'Éducation nationale est passée pour améliorer
la qualité des PFE (périodes de formation en entreprise des lycéens), travailler ensemble sur l'image
du bâtiment auprès des jeunes, et expérimenter des voies nouvelles de partenariats entre les
enseignants et les collaborateurs des entreprises, entre les établissements et la profession ;
- une convention des branches du BTP avec le ministère de l'Équipement et du Logement a été
établie pour promouvoir les métiers et la formation auprès des jeunes. Avec ce ministère, les
partenaires sociaux du BTP mettent en place un important tableau de bord des emplois et
33
Malgré l’amélioration de la conjoncture, le niveau du chômage reste encore assez élevé dans le
secteur de la construction (cf. DARES, "Tensions sur le marché du travail dans les métiers de la
construction", 1999).
34
Pour plus dé détails sur les difficultés de recrutement que rencontrent les entreprises du bâtiment,
le lecteur peut se reporter aux Cahiers de l’Observatoire de l’ANPE, "Les difficultés de recrutement",
mars 2001.
35
Bien qu’il y ait 275 000 entreprises dans le secteur, il doit certainement exister un bon nombre
d’entre elles qui tirent la profession vers le bas.
qualifications des moins de 30 ans dans le BTP, qui constitue un outil complémentaire pour les
observatoires régionaux emploi-formation du BTP 36 ;
- avec le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, les partenaires sociaux s'apprêtent à actualiser leur
CEP (contrat d'études prospectives) et négocient des EDDF (engagements de développement de la
formation) centrés sur l'élévation des qualifications, des employés aux chefs d'entreprise. D'autres
conventions signées avec les OPCA et les FAF du BTP ont pour objectifs de promouvoir le contrat de
qualification adulte, d'expérimenter la validation des acquis.
Les difficultés que rencontrent les entreprises du bâtiment les poussent aussi à l'innovation. Outre les
dispositifs d'insertion-qualification des jeunes, les entreprises recherchent des nouveaux profils,
apprennent à communiquer autrement sur elles-mêmes, introduisent des démarches compétences
dans leur management, 37 favorisent l'embauche de femmes, font appel à des prestataires de
formation capables de concevoir avec elles et de réaliser des actions ciblées. Elles affichent ainsi leur
ambition de moderniser le management.
Une banque de données de compétences (BNDC) existe également depuis une dizaine d'années. Elle
permet aux entreprises de définir leurs référentiels d'activités, de fonctions, de formation continue. La
fédération favorise le développement de ces méthodes à l'aide de cet outil validé paritairement.
L'introduction des nouvelles techniques de l'acte de construire, même si elles sont finalement assez
nombreuses, se fait assez facilement par une multitude de stages d'adaptation.
Les branches du BTP créent des qualifications et se soucient de la fidélisation des jeunes formés.
Dans le cadre des CPNE conjointes du bâtiment et des travaux publics, les quatre organisations
d'employeurs et les cinq organisations de salariés créent aussi des qualifications nouvelles : une
vingtaine de qualifications correspondant à des professions qui se structurent, donc à des emplois qui
exigent des formations (monteur d'échafaudage, monteur levageur, technicien des réseaux de
communication…). Elles ont mis en place, par accord collectif en 2000, un dispositif très prometteur, le
"certificat de maîtrise professionnelle", 38 pour offrir la perspective aux jeunes compagnons
professionnels d'atteindre l'excellence ouvrière, reconnue par leurs pairs. L'un des objectifs est de
fidéliser les jeunes formés et diplômés dans les métiers du BTP, tout en engageant les employeurs à
leur offrir des situations d'évolution et à les accompagner notamment par la formation continue. Le
certificat de maîtrise professionnelle permet de mettre les ouvriers en perspective de carrière (le
vocable de "perspective de carrière" a remplacé celui de "plan de carrière") sur cinq ans ; l'objectif est
de leur donner un carnet de chèques formation qu'ils peuvent utiliser au fur et à mesure de leurs
besoins et de l'évolution professionnelle.
Un autre objectif est de permettre à ces jeunes entre 20 et 30 ans de révéler leur talent de maîtrise et
d'acquérir l'expérience suffisante pour diriger des chantiers. On devient généralement chef de chantier
dans le bâtiment avec un minimum de sept ans d'expérience à laquelle il faut ajouter une formation
spécifique. Pour ces travaux d'analyse des besoins, de définition des référentiels d'activités et de
certification, de conception des dispositifs de validation, les entreprises s'appuient sur la banque
nationale de données de compétences du BTP.
Le BTP a une forte tradition du paritarisme. Majoritairement, les dispositifs qu'il a créés dans le
domaine de l'emploi et de la formation sont impulsés et gérés nationalement et localement par les
organisations d'employeurs et de salariés réunies en commissions et dans plus de cent conseils
d'administration paritaires. Leur activité générale se mesure par un ensemble d'accords collectifs, de
préconisations, d'évaluations.
Depuis dix-huit mois, le BTP négocie dans le domaine de l'apprentissage. Il a mis au point ce qu'il
appelle son "projet professionnel apprentissage BTP - l'engagement de la profession". La
36
Commissions paritaires nationales de l’emploi conjointes du bâtiment et des travaux publics,
"Emploi : qualification des jeunes dans le BTP en France, 1994-1998", décembre 2000.
37
Fédération française du bâtiment, "La démarche compétences : pourquoi et comment la mettre en
place dans les entreprises du bâtiment".
38
Cf. Commissions paritaires nationales de l’emploi conjointes du bâtiment et des travaux publics, "Le
certificat de maîtrise professionnelle, spécialité maçonnerie-gros œuvre".
détermination des neuf organisations du BTP (quatre d'employeurs et cinq de salariés) est d'apporter,
dans leur champ de légitimité de partenaires sociaux bien entendu, des dispositions conventionnelles
et des adaptations structurelles qui donnent une nouvelle et forte orientation vers la qualité totale de la
formation des jeunes. Les axes de progrès portent sur l'aide au choix professionnel, les compétences,
l'engagement moral et la reconnaissance des maîtres d'apprentissage, la qualité des examens,
l'accompagnement éducatif et social des jeunes entrés dans la profession, l'appui de la profession à la
fin de la formation initiale.
À l'instar de la convention collective des ouvriers du BTP qui a été rénovée fin 1990, à la satisfaction
globale des employeurs et des salariés, les partenaires sociaux du BTP négocient actuellement la
convention collective et les classifications des ETAM et IAC, les employés, techniciens, agents de
maîtrise, cadres et assimilés cadres. L'évolution des responsabilités de ces personnels enregistrée
depuis quelques années est considérable avec l'arrivée de nouvelles réglementations, de nouveaux
profils à manager, de technologies plus sophistiquées à mettre en œuvre. Ces cadres collectifs de
gestion des ressources humaines sont appréciés très fortement dans le BTP. Une autre négociation
est en cours pour améliorer l'efficacité du service à apporter aux entreprises de type artisanal en
matière d'emploi et de formation.
Les partenaires sociaux ont décidé de renforcer le rôle des commissions paritaires nationales de
l'emploi mais plus encore celui des commissions régionales de l'emploi et de la formation du BTP
qu'elles ont déjà organisées par voies d'accord collectif en 1997 39. Le but est de réunir les
représentants des employeurs et des salariés pour définir des politiques d'emploi et de qualifications,
de formation initiale et continue, et pour contractualiser avec les pouvoirs publics. Elles auront à
évaluer les résultats de cette politique en s'appuyant sur les outils de branche et notamment les
observatoires emploi-formation régionaux.
Enfin, le BTP a pris l'initiative de réfléchir à sa politique en matière de diplômes de l'Éducation
nationale. Avec ce ministère, la FFB construit, actualise et gère plus de 100 diplômes auxquels elle
est très attachée. Dans la réforme actuelle, l'objectif est à la professionnalisation plus forte des
diplômes qui conduisent à l'emploi, donc au positionnement dans la grille des qualifications. Chaque
année, plus de 33 000 jeunes se présentent aux CAP du BTP, 31 000 aux BEP, 4 000 aux BP, 8 500
aux bacs professionnels et 4 100 aux BTS des métiers du BTP.
À noter une autre préoccupation essentielle pour l'avenir du bâtiment, qui est le renouvellement de
près de 100 000 chefs d'entreprise dans les dix ans qui viennent. Diriger est un métier qui s'apprend.
Outre l'apport de l'école des jeunes dirigeants du bâtiment (ESJDB) mise en place par la FFB, 40 une
politique d'embauche dans cette perspective de jeunes diplômés et de leur accompagnement
progressif vers ce type de responsabilité est d'une urgente nécessité.
Les entreprises s'initient également à des techniques de perfectionnement de masse par le e.learning.
Par exemple, la mise en place d'un système multimedia de formation à distance pour les 220 000
conducteurs routiers de ses entreprises qui vont devoir suivre une formation obligatoire à la sécurité
BTP à partir de janvier 2001 vient d'être décidée.
Les efforts déployés par les acteurs économiques de la branche dans le domaine de la qualification et
de la formation se heurtent, malgré l'intérêt qu'ils manifestent à ces sujets, au problème de la grande
dispersion qui caractérise les entreprises de la construction 41. Leurs effets ne sont pas toujours
visibles, bien que de très significatifs progrès réalisés dans le secteur aient amélioré les
rémunérations, l'organisation des chantiers et la sécurité au travail.
D'un autre côté, la transmission des compétences se fait beaucoup dans le quotidien de l'acte de
construire et ne se quantifie pas selon les critères statistiques habituels. L'amalgame entre niveau de
qualification et niveau de formation fait apparaître le BTP comme ayant beaucoup de bas niveaux de
qualification ou, formulé d'une manière différente, fait dire que "[...] la tendance à la surqualification
des ouvriers est moins marquée dans le BTP que dans l'ensemble des métiers ouvriers [...] 42". Pour
ce secteur qui a perdu 30 000 emplois par an pendant sept ans et en recrée plus de 30 000
39
Commissions paritaires nationales de l’emploi conjointes du bâtiment et des travaux publics, "Bilan
de l’activité paritaire du BTP emploi-formation, année 2000".
40
Cf. Fédération française du bâtiment, "Politique de formation de la FFB", décembre 2000.
41
Le BTP français compte les plus grosses entreprises du monde et une multitude d’artisans
travaillant seuls.
42
DARES, "Tensions sur le marché du travail dans les métiers de la construction", 1999.
aujourd'hui, cet effet "yo-yo" rend difficile la gestion prévisionnelle des emplois. Cependant, les efforts
de formation et de qualification des personnels se poursuivent 43.
43
Cf. Fédération française du bâtiment, "Nouveaux marchés – nouvelles compétences", brochure,
février 2001.
Conditions de travail
dans les transports 44
Secteur très sensible à l'activité économique, les transports s'inscrivent dans une chaîne globale
reliant la production à la consommation, tout secteur d'activité ayant recours aux transports. De ce
point de vue, les transports sont concernés à la fois par les contraintes de la production et par les
exigences des consommateurs. Les réorganisations du travail qui sont mises en place dans les
entreprises ont pour but de répondre en temps réel à une demande personnalisée du client.
La croissance enregistrée par le secteur du transport en 2000 (+ 2,1 % en volume) est moins
importante que celle des années précédentes (+ 5,7 % par an en moyenne de 1995 à 1999) et moins
forte que celle du PIB (+ 3,1 %) 45. Malgré ce ralentissement - qui ne se répartit pas équitablement
dans toutes les branches des transports, la hausse du prix des carburants ayant freiné les dépenses
de transport les plus consommatrices en hydrocarbures -, les difficultés de recrutement préoccupent
toujours les entreprises du secteur.
Ces difficultés de recrutement sont dues aux profonds changements induits par les nouveaux
systèmes de conduite, les conditions de travail sont rendues pénibles par une durée du travail plus
importante que la normale (environ 50,2 h), des rémunérations qui ne sont pas en concordance avec
le temps de travail effectif, et ceci dans un contexte de concurrence tendu provenant d'autres secteurs
d'activité. En ce qui concerne le temps de travail, la profession apporte des réponses qui entrent dans
un contexte d'harmonisation sociale dans le transport routier en Europe.
Le secteur des transports comprend quatre branches principales (transport ferroviaire, autres
transports terrestres, transport par eau, transport aérien), qui sont détaillées dans le tableau ci-contre
(cf. tableau 7). Les transports terrestres constituent, de loin, la branche qui réalise la partie la plus
importante de la valeur ajoutée totale (40 %).
Essentiellement salarié, l'emploi des transports ne cesse d'augmenter dans toutes les branches. En
2000, les effectifs salariés ont ainsi crû de 5,7 % et s'établissent à 1 034 000 personnes, auxquelles il
faudrait ajouter 70 000 non salariés. Cette hausse est surtout due aux auxiliaires de transports (+ 10,4
%), au transport aérien (+ 8,0 %) et au transport par eau (+ 7,7 %). Les transports terrestres de
marchandises ont vu leurs effectifs augmenter de 5,3 % et les transports terrestres de voyageurs de
4,2 % 46. Le secteur des transports reste toujours créateur d'emplois en France.
Pour sa part, l'Union des fédérations de transports (UFT) 47 dénombre 528 000 salariés dans le
secteur 48 (ils étaient 410 000 en 1990), répartis dans environ 35 000 établissements. Parmi ces
établissements, 67 % ont moins de 10 salariés et emploient 39 % de l'effectif global des salariés ; 24
000 établissements n'ont aucun salarié, il s'agit donc de 24 000 conducteurs, transporteurs
indépendants. À l'inverse, 33 % des établissements ont plus de 10 salariés et emploient 61 % de
l'effectif global. 89 % des effectifs ont un statut d'ouvrier, le reste étant composé d'employés, de
techniciens, d'agents de maîtrise et de cadres. Enfin, les conducteurs constituent un peu plus de 70 %
de l'effectif total. Ils sont 370 000 dont 291 000 conducteurs pour transport de marchandises, 48 000
dans le transport interurbain et 35 000 dans le transport sanitaire.
44
Ce chapitre s’appuie sur l’intervention de Philippe Choutet à la journée thématique du 15 mai 2001,
"Difficultés de recrutement : effets récurrents et structurels : se souvenir pour prévoir", ainsi que sur le
travail coordonné par Thérèse Brodu, "Réflexion prospective dans le domaine des transports et de la
logistique".
45
Delame (E.) et Rémy (A.), "Les transports en 2000", INSEE, "Premières Synthèses", n° 802,
septembre 2001.
46
Chiffres de l’INSEE, de l’UNEDIC et du ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement.
47
L’Union des fédérations de transports (UFT) est une organisation patronale pour les secteurs pour
compte d’autrui, c’est-à-dire les transports pour le compte d’autres secteurs d’activité : transport de
marchandises, de voyageurs, le déménagement, le transport de fonds, le transport sanitaire et toutes
les activités auxiliaires du transport.
48
Estimation de la commission paritaire de l’emploi à la fin de décembre 2000.
Tableau 7
Composition par branche de la valeur ajoutée des transports en 2000
Branche détaillée Mds d’euros
Transport ferroviaire 8,2
Transport ferroviaire de voyageurs 5,9
Transport ferroviaire de marchandises 2,3
Autres transports terrestres de voyageurs 12,6
Transport urbain de voyageurs 7,0
Transport routier de voyageurs 3,4
Taxis, téléphériques et remontées mécaniques 2,2
Autres transports terrestres de marchandises 34,1
Transport routier de marchandises (y compris location de camions avec conducteurs) 32,7
Déménagement, transport par conduites 1,4
Transport par eau 5,3
Transport fluvial 0,5
Transport maritime 4,9
Transport aérien 13,3
Transport aérien de voyageurs 11,8
Transport aérien de marchandises 1,5
Autres, dont 44,3
Manutention 1,9
Entreposage 5,0
Gestion d’infrastructure 17,2
Messagerie, fret express 7,8
Transport spatial, affrètement et organisation des transports internationaux 12,4
Total des transports 117,9
Source : INSEE, DAEI/SES (ministère de l'Équipement, des Transports et du Logement)
Bien que cela ne soit pas spécifique à ce secteur d'activité, les entreprises du transport font souvent
état de "pénuries de main-d'œuvre", particulièrement en ce qui concerne les conducteurs, et évoquent
des problèmes d'offre de formation, initiale ou continue : le pourcentage des jeunes ayant un CAP ou
un BEP et qui arrivent à s'intégrer est faible, tandis que la suppression du service militaire pendant
lequel de nombreux jeunes passaient le permis de poids lourds prive le secteur de précieuses
ressources 49. Le secteur des transports se caractérise, en effet, par une élévation progressive du
niveau de formation initiale et continue, conséquence de l'évolution technologique doublée d'une forte
volonté politique. En effet, les entreprises qui embauchent exigent des jeunes un niveau scolaire plus
élevé, l'évolution de l'organisation du travail demandant aux chauffeurs qu'ils soient capables de saisir
les informations pour la centrale selon les procédures en vigueur. Les exigences réglementaires ont
une influence directe sur l'évolution des compétences requises (matières dangereuses, capacité
financière, capacité professionnelle, responsabilisation des donneurs d'ordre...).
Les salariés, de leur côté, attribuent les difficultés de recrutement "essentiellement à la baisse de la
rémunération et aux profonds changements induits par les nouveaux systèmes de conduite 50". En
effet, l'application du contrat de progrès pour le transport routier des marchandises (1994) a entraîné,
malgré la rémunération de tous les temps du transport, une baisse globale du revenu des salariés.
Cela s'explique notamment par la diminution des heures complémentaires, par la mise en place d'un
système de rémunération peu rémunérateur et, dans une moindre mesure, par la diminution des frais
de route. De surcroît, le niveau de rémunération, bien qu'il varie selon la nature du produit transporté
49
Thérèse Brodu, “Réflexion prospective dans le domaine des transports et de la logistique”, rapport
d’étape, juin 2001.
50
Idem.
(il semble intégrer une éventuelle prime de risque associée, par exemple, au transport de produits
dangereux), il augmente peu avec l'âge et l'ancienneté 51.
La concurrence et, plus précisément, l'élargissement des marchés, le besoin de générer des activités
à valeur ajoutée supérieure dans un contexte de compétition élargie, ainsi que la montée des
exigences des chargeurs ont poussé les entreprises du transport à réduire leur taux de marge et à
élargir leur gamme de services à des prestations globales, incluant différents modes de transport, la
logistique en amont et en aval, le retour d'informations en temps réel et une zone géographique plus
étendue. Ainsi, pour garantir son développement économique, le secteur du transport a dû rationaliser
les trafics (refus du fret peu rémunérateur, réduction du kilométrage, diminution des rayonnements,
diminution des retours à vide, abandon de certaines destinations, segmentation des zones longues en
tronçons de zones courtes), élargissement de sa gamme de service aux activités logistiques et
révision de l'organisation du travail.
Ainsi, que ce soit dans le secteur des transports routiers ou dans le domaine de la logistique, les
entreprises ont été amenées à modifier tout ou partie de l'organisation du travail des personnels de
leurs services clés. Dans les transports routiers, cela s'est traduit par la recherche de nouveaux
modes d'organisation de la conduite (gestion par les temps de service, gestion par la distance, gestion
par la maîtrise des temps autres que la conduite) et d'organisation de l'exploitation.
En résumé, la modernisation des entreprises passe par l'éclatement de trois éléments
traditionnellement liés : le conducteur, le tracteur et la remorque. Le camion devient un outil industriel
dont il faut optimiser l'utilisation. La dissociation du couple conducteur/camion consacre une rupture
avec le mode de vie traditionnel des "grands routiers". Elle est emblématique d'un basculement vers
un autre métier. La terminologie en usage pour désigner les conducteurs dans l'organisation en relais
est symptomatique de cette évolution : "grands routiers" (transport de bout en bout), "techniques"
(relais sur un segment) et "jockeys" pour assurer la souplesse nécessaire à l'organisation des
équipes.
En même temps, dans la logistique, activité transverse à de nombreux secteurs économiques mais
aussi intrinsèquement au transport, le trait saillant est une démarche de gestion de l'entreprise qui
intègre les innovations, soit pour améliorer la productivité au service de ses clients, soit pour s'adapter
aux nouvelles contraintes (politiques publiques, réglementation, contraintes de sécurité, protection de
l'environnement), soit pour profiter des nouvelles possibilités offertes par les nouvelles technologies. Il
en résulte des innovations stratégiques et technologiques importantes : maîtrise globale de la chaîne
des flux physiques et d'informations, réduction du cycle de la commande, développement des
techniques du "juste-à-temps", développement des outils de traçabilité et de sécurité. L'utilisation de
ces innovations varie selon la branche ou l'entreprise (chez les prestataires de services en logistique,
l'utilisation des équipements est partagée entre confrères...).
Cependant, ces difficultés ne se limitent pas à la seule catégorie des agents de conduite et leur
ampleur diffère, d'une branche à l'autre, d'un bassin d'emploi à un autre, d'une entreprise à l'autre,
d'une saison à l'autre, surtout pour le transport sanitaire et le déménagement. Les causes de ces
difficultés qui ont pu être analysées sont multiples :
- les fluctuations conjoncturelles possèdent un impact important sur le secteur du transport. Dès lors
que la croissance se maintient ou se renforce, la consommation progresse et les biens ainsi
consommés devront être acheminés par des entreprises de transport ;
- la concurrence d'autres secteurs d'activité pèse aussi sur le recrutement. La croissance engendre
des besoins dans d'autres secteurs d'activité ; des comparaisons sont alors possibles entre les attraits
que présente le transport et ceux des autres métiers ;
- les trente-cinq heures sont aussi un facteur à prendre en compte dans la mesure où,
traditionnellement, le secteur du transport procurait des revenus plus élevés que d'autres secteurs par
51
Ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement, “Bilan social annuel du transport routier
des marchandises”, op. cit.
le biais du nombre élevé d'heures de service. Aujourd'hui, l'aspiration grandissante à une société de
loisirs prive le secteur d'un atout important ;
- la réglementation est en outre un aspect important. Dans le transport sanitaire, un accord a été signé
dans le cadre des trente-cinq heures et des embauches ont été programmées. Or, dans ce secteur,
un numerus clausus par département constitue une contrainte ;
- par ailleurs, en ce qui concerne le transport de fonds et valeurs, le passage à l'euro pose problème
car le surcroît d'activité prévu entre décembre 2001 et février 2002 engendrera un besoin
supplémentaire de convoyeurs. Or, pour être convoyeur de fonds, une autorisation de port d'armes est
obligatoire. La durée requise pour l'obtention d'une telle autorisation est de quatre à six mois, ce qui
constitue une contrainte réglementaire qui entraîne des effets négatifs sur le recrutement ;
- de plus, il existe des contraintes inhérentes aux dispositifs conventionnels : l'obligation de formation
initiale pour les conducteurs de marchandises ou de voyageurs empêche d'embaucher du jour au
lendemain du personnel à cause de la durée de formation ; la mise en place du congé d'activité à 55
ans 52 exige l'embauche d'un jeune en contrepartie, mais, dès lors qu'il existe des difficultés de
recrutement dans le bassin d'emploi, cette contrepartie demeure problématique ;
- l'image du métier est l'élément majeur qui engendre les difficultés de recrutement. Lorsqu'on regarde
les réponses données par des jeunes embauchés, 60 % d'entre eux déclarent travailler dans ce
secteur car ils sont intéressés par leur métier. Ainsi, lorsque l'on travaille dans le secteur du transport
et de la logistique, on est attaché aux avantages qu'il peut fournir ;
- en revanche, si on interroge au hasard des personnes sur l'intérêt d'un métier dans le secteur des
transports, les réponses traditionnelles en forme de critiques vont être données : pas d'horaires,
salaires misérables, mauvaise sécurité dans le transport de fonds et dans le transport interurbain dans
certaines zones, mauvaise image auprès de la population...
En regard de ce constat, les approches pour pallier ces difficultés sont également diverses, à
commencer par un effort de communication sur l'image du métier. D'abord, il faut souligner les
réformes qui ont déjà été entreprises, notamment sur le plan technique : qualité et équipement des
véhicules. Une évolution sur le plan organisationnel et fonctionnel des entreprises vise à atteindre une
plus grande réactivité, une plus grande flexibilité et donc une compétitivité accrue pour répondre aux
demandes du marché.
Ensuite, cet effort de communication doit faire valoir le fait que les évolutions mentionnées confèrent
aux salariés de bonnes qualités de vie, de santé et de sécurité, en soulignant de plus les progrès
sociaux qui ont été obtenus dans la profession : diminution des temps de travail, augmentation des
salaires conventionnels de l'ordre de 21 à 24 % pour nos catégories de personnel de conduite sur
trois ans, de 14 à 15 % pour les personnels cadres et de 16 à 18 % pour les employés, agents de
maîtrise, existence de dispositifs spécifiques comme le congé d'activité à 55 ans ou comme le
dispositif de formation obligatoire mis en place au niveau national mais qui est repris dans un projet de
directive communautaire.
Pour mieux communiquer, des campagnes d'information régulières sur les métiers du transport et de
la logistique ont été mises en place. Des conseillers spécialisés dans la réalité des emplois du secteur
52
Il ne s’agit pas d’un dispositif de préretraite mais de départ anticipé avec un cofinancement de l’État
et des partenaires sociaux (entreprises et salariés) qui, sous réserve que le conducteur remplisse
certaines conditions (vingt-cinq années de conduite et 55 ans d’âge), lui assure 75 % de son revenu
antérieur. Ce dispositif a été mis en place suite aux revendications d’octobre-novembre 1996. En effet,
l’une des revendications majeures des salariés durant les trois semaines de conflit était “la retraite à
55 ans" au nom de la pénibilité, du stress… La conviction de l’État et des entreprises de la nécessité
de la mise en place d’un dispositif de préretraite n’est venue que progressivement : d’une part, à
cause du contexte particulier de sa mise en œuvre et, d’autre part, par la prise de conscience que,
une fois mis en place, ce dispositif fonctionnait bien. À l’origine, les départs anticipés à la retraite
avaient pour contrepartie l’embauche de jeunes de moins de 30 ans. Compte tenu des difficultés de
recrutement et de l’évolution du système, un avenant a été signé : les contraintes d’âge à l’embauche
ont disparu. De plus, des conditions de sécurité peuvent justifier les cessations anticipées à partir de
55 ans.
sont présents au sein des services emploi-formation implantés dans toutes les régions. En outre, un
travail avec l'Éducation nationale et l'ANPE est nécessaire afin de mieux faire connaître les métiers.
Enfin, un retournement de l'opinion publique sera déterminant : il convient de briser les idées fausses
car des évolutions non négligeables au niveau des rémunérations rendent le secteur du transport plus
attractif.
Concernant les conditions de travail, bien évidemment, celles du salarié d'une entreprise ne sont pas
les mêmes que celles d'un travailleur indépendant. Cependant, il faut bien savoir que, lorsque l'on est
conducteur routier professionnel, et que l'on entre dans le secteur du transport et de la logistique, les
conditions de travail ne sont pas faciles, pour des raisons diverses. La notion de "plan de carrière" est
difficile à mettre en place si l'on considère que 67 % des entreprises ont moins de 10 salariés et que
plus de 70 % des personnels sont des conducteurs. En revanche, les congés de fin d'activité prennent
en compte la dimension de l'exercice du métier dans le secteur professionnel. Il faut avoir 55 ans et
vingt-cinq années de conduite. Enfin, s'il est constaté un turn-over, ce dernier reste "captif" au secteur
d'activité et aux entreprises du secteur 53 : ceux qui travaillent dans ce secteur y demeurent car,
lorsqu'ils ont fait leur choix à l'origine, ils savent à quoi s'en tenir.
53
(1) Selon l’INSEE, en 2000, 86,6 % des conducteurs étaient déjà conducteurs dans le secteur du
transport en 1999 ; parmi les conducteurs travaillant dans les entreprises de transport en 1999, 89,3
% y sont encore en 2000 et, parmi ceux qui ont quitté le secteur (10,7 %), le tiers exerce toujours le
métier de conducteur (cf. T. Brodu, “Réflexion prospective dans le domaine des transports et de la
logistique”, op. cit).
Gestion prévisionnelle
de l'emploi dans l'informatique 54
Il est difficile de définir de manière exacte et consensuelle les métiers appartenant au champ
professionnel de l'informatique. On sait qu'ils se répartissent entre SSII, entreprises "utilisatrices" et
entreprises "productrices" (matériels et logiciels) ; difficulté qui se traduit par un décalage dans les
statistiques qui, selon la définition retenue, fait varier le nombre des informaticiens de 350 000-400
000 (INSEE-DARES) 55 à 700 000 (SYNTEC) 56. Cette indétermination résulte de difficultés objectives,
comme celle du chiffrage des informaticiens dans la fonction publique, mais aussi de divergences
d'approches : faut-il s'arrêter au noyau des spécialistes de l'informatique (ingénieurs d'études,
analystes programmeurs, chefs ou directeurs de projet, experts techniques, personnels d'exploitation,
architectes de réseaux et de systèmes…) ou inclure les personnes attachées (ingénieurs d'affaires,
consultants sectoriels, personnels du marketing, responsables d'agence, professionnels de la
distribution, personnels de hot line, webmasters…) ? Où s'arrête l'informaticien et où commence
l'utilisateur expert ?
Le développement de l'emploi informatique - quelle qu'en soit la définition - s'appuie sur deux
tendances étroitement corrélées :
- depuis les premiers travaux sur l'informatisation de la société, le champ des applications de l'activité
informatique n'a cessé de s'étendre et de se diversifier. Alors qu'au démarrage on s'interrogeait plutôt
sur les implications de cette nouvelle forme d'automatisation en termes de destructions d'emploi, on
est progressivement, puis de manière accélérée, passé à l'évaluation de ses capacités créatrices ;
- le développement de cette technologie de gestion des informations s'est appuyé sur une évolution
radicale de l'organisation des entreprises, via la forte croissance des sociétés de services
informatiques. Quelle que soit là encore la définition qu'on leur donne (sous-traitantes, prestataires de
services, conseils, intermédiaires commerciaux…), ces entreprises ont mis en œuvre une politique de
gestion de la main-d'œuvre largement spécifique et dont on peut déjà fournir deux éléments
caractéristiques : fort recours à la main-d'œuvre jeune et très diplômée, taux de turn-over très élevé.
L'évaluation des emplois et l'évaluation des besoins sont donc confrontées à ces deux phénomènes
fortement concomitants : d'un côté, une activité en redéfinition constante, ce qui rend particulièrement
difficile une définition stable de ses métiers ; de l'autre, un "mode d'existence" de cette activité
spécifique - en particulier au niveau des emplois qualifiés -, ce qui tend à perturber l'interprétation de
données aussi classiques que l'évolution du volume des offres d'emplois ou de celui des
recrutements. Sans parler de la question de la mobilité et de la gestion de carrière, qui y tient
apparemment plus du mouvement brownien que des modèles d'évolution standard.
Dans les années soixante-dix, l'informatique devait être principalement source de destruction
d'emplois. Son développement s'est appuyé sur des équipes de plus en plus nombreuses et
majoritairement qualifiées. Et l'automatisation (dans l'industrie comme dans le tertiaire) aura eu un rôle
mineur dans les destructions d'emplois en France ces dernières années. Ainsi, quelles que soient les
sources et les définitions, le nombre d'informaticiens en poste ne cesse d'augmenter. Cette croissance
n'a cependant pas été régulière et sa reprise depuis 1998 a succédé à une période de quasi-
stagnation. Les séries établies par la DARES rendent parfaitement compte de ces mouvements (cf.
tableau 8).
Tableau 8
Évolution des effectifs d'informaticiens
54
Ce chapitre s’appuie sur la contribution d’Hélène Alexandre, “Gestion prévisionnelle des emplois
dans l’informatique : prévoir ou s'adapter”.
55
Selon la DARES, les chiffres de 1999 indiquent un stock de 360 000 informaticiens (+ 19 % par
rapport à 1998) et une évolution de 8 % constatée en mars 2000 (soit au total 388 800).
56
les tensions sur l'emploi et là où se situent les pénuries les plus apparentes et importantes.
techniciens + ingénieurs (en milliers)
et proportion des ingénieurs (en %)
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999* 2000
Ensem ble 248 259 276 292 296 293 294 300 304 320 347
Ingénieurs 133 139 149 157 159 158 158 161 163 180 212
Partdes ingénieurs 54 54 54 54 54 54 54 54 54 56 61
Selon le panel entreprises de l'APEC (cf. graphique 12), les recrutements de cadres en informatique
ont en fait redémarré à partir de 1994, après deux années de net recul (à titre d'exemple, le panel
entreprises de 1992 donnait 7 400 recrutements de cadres en informatique alors qu'il y en avait eu 14
000 l'année précédente). Leur reprise a alors légèrement anticipé la reprise générale.
C'est en 1998 que leur part dans l'ensemble des recrutements de cadres a progressé de manière
spectaculaire, en passant à 25 % des recrutements et à 21 % de l'ensemble des postes pourvus si
l'on tient compte des promotions internes. Depuis, cette proportion est restée stable : en effet, si le
volume des recrutements d'informaticiens a continué à progresser, c'est dans le cadre d'une
croissance générale et commune à toutes les fonctions.
Les offres d'emplois (offres cadres APEC et Presse) confirment de leur côté les fortes fluctuations de
la demande des entreprises, mais avec de nettes divergences dans la place occupée par l'offre en
informatique selon les deux sources.
Graphique 12
Évolution des postes cadres pourvus
et part des postes informatiques
200000 20
50000 5
0 0
1990 1992 1994 1996 1998 2000
Comme le montre le graphique 13, du côté des offres APEC, la reprise s'est amorcée à partir de 1994,
pour s'accélérer en 1997. Est constatée alors une forte progression de la part des offres en
informatique, qui atteignent certaines années 45 % de l'ensemble, leur baisse relative étant due au
redémarrage général de l'emploi.
Graphique 13
Évolution des postes cadres APEC
et part des postes informatiques
Postes Apec Base 100 = 1985
1600 50 %
1500
1400 45
1300 40
1200
1100 35
1000 30
900
800 25
700
600 20
500 15
400
300 10
200 5
100
0 0
1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999
Source : APEC
Du côté des offres Presse, les périodes de hausse et de baisse sont les mêmes, mais la part des
offres en informatique y reste généralement plus faible (maximum 35 %) (cf. graphique 14).
Graphique 14
Évolution des postes cadres parus dans la Presse
et part de l'informatique
Postes Presse Base 100 = 1985 Part de l'informatique (en %)
250 40
35
200
30
25
150
20
100
15
10
50
5
0 0
1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
Source : APEC
La période récente a vu se renforcer la place des offres APEC, mais dans un contexte de stabilisation
du nombre global des offres (rapprochement APEC + Presse).
Croissance des emplois, croissance des recrutements, croissance des offres, ces trois tendances ne
sont homogènes qu'en apparence, les emplois n'augmentant que très relativement par rapport aux
flux des offres et des recrutements. Ce décalage s'explique de plusieurs manières :
- un fort turn-over des informaticiens. Les passages d'une entreprise à l'autre n'entraînent pas de
création nette d'emplois ;
- une demande importante des SSII, qui font prioritairement appel à des jeunes diplômés et des
jeunes cadres, alors que leurs cadres plus anciens pratiquent une forte mobilité. Est-ce par nécessité
ou par défaut qu'elles privilégient de tels profils ? La question est ouverte dans la mesure où elles
pointent les phénomènes de pénurie sur les postes de cadres expérimentés et estiment leurs "chefs
de projet" souvent trop jeunes pour ces postes.
Pourtant, malgré une forte demande apparente de la part des entreprises, il faut relever que les
salaires des informaticiens n'explosent pas dans leur ensemble.
Le marché de l'emploi des cadres informaticiens "fonctionne" donc de manière tout à fait atypique par
rapport aux autres emplois cadres. Pour ces derniers en effet, on considère que les offres d'emplois
jouent un rôle secondaire par rapport aux autres modes de recrutement, alors que, depuis plusieurs
années, c'est l'inverse qu'on observe en informatique où les entreprises sont obligées de passer par
les offres d'emplois pour recruter. Dans ce sens, la création d'une offre d'emploi par elle-même peut
être considérée comme l'indicateur d'une tension.
Ce phénomène est fortement corrélé avec la divergence constatée entre "entreprises recruteuses" et
"entreprises employeuses" : les SSII représentent en effet la grande majorité des entreprises qui
passent des offres (plus de 80 %) et qui réalisent des recrutements, mais les entreprises "utilisatrices"
concentrent la moitié des postes informatiques dans leurs propres services. Volontairement ou non,
les SSII sont des "lieux de passage". Dès lors, l'analyse de leurs besoins ne peut se lire avec la même
grille de lecture que celle d'autres secteurs où la mobilité est beaucoup moins forte.
Pour expliquer les besoins en informaticiens, on est obligé de prendre du recul afin de mettre en
évidence une série d'interactions. L'analyse historique sur un passé récent du marché de l'emploi des
cadres informaticiens montre en effet que toute prévision doit tenir compte de plusieurs facteurs tels
que les besoins en informatique, l'aspect "voulu" ou "subi" qui caractérise l'application de la
technologie informatique, la situation économique globale, l'existence de "grands chantiers", la reprise
de l'emploi, les évolutions démographiques, le rôle des SSII, le rôle des technologies de l'information
et de la communication.
Si l'on se situe au niveau des emplois cadres, la croissance du nombre d'informaticiens semble
confirmer l'idée que l'informatique a besoin d'une main-d'œuvre de niveau de qualification élevé. Pour
que l'utilisateur non informaticien de cet outil puisse continuer à considérer qu'il s'agit d'un "jeu
d'enfant", ce sont des équipes de plus en plus nombreuses, hautement qualifiées et fortement
spécialisées qui ont dû être constituées.
L'analyse à partir des tendances de ces dernières années en termes de développements et
d'applications conduit à penser que ces besoins sont en constante évolution. La gestion de l'existant,
son optimisation, les innovations interagissent en permanence. On remarque cependant que, dans les
analyses sur le mode de développement de l'informatique et les emplois qui en découlent, l'accent est
beaucoup plus fréquemment mis sur le nouveau et l'innovation que sur l'aspect maintenance, vieille
tendance qui conduit souvent à sous-estimer les besoins réels, tant quantitatifs que qualitatifs. Au
quotidien, c'est ce type de sous-estimation qui peut conduire à accroître les besoins quantitatifs, dans
la mesure où c'est de plus en plus souvent dans l'urgence qu'il faut résoudre les problèmes, que la
gestion de l'existant soit interne ou externalisée.
Les interactions précitées ne se réalisent pas dans un contexte pur : l'existant dominant, celui des
besoins professionnels, est lui-même en évolution permanente, tant choisie (les logiciels ERP
(Enterprise Resource Planning) ou Internet), que subie (l'euro ou l'an 2000). Les besoins sont dans ce
cas d'autant plus importants qu'ils sont généraux, avec un calendrier identique pour tout le monde.
Mais l'innovation est un produit marchand, qui s'adresse à une clientèle de plus en plus captive et dont
les possibilités de choix et de gestion autonomes apparaissent comme très réduites. Utilisateurs
finaux mais également informaticiens sont pour la plupart assujettis à un système technique qui doit
désormais fonctionner "à tout prix", quels que soient ses aléas, ce qui n'était pas le cas il y a dix ou
quinze ans où le papier et le crayon pouvaient éventuellement pallier une panne. Or ce système n'est
pas stable, et ne va pas se stabiliser, dans la mesure où derrière l'innovation affichée il y a des
stratégies commerciales. Ces dernières favorisent les "fuites en avant", fortement consommatrices de
budget et de main-d'œuvre, tant que les capacités d'investissement le permettent.
Il faut noter que le marché de l'informatique est fortement dépendant de la situation économique
générale. La tendance sur vingt ans montre qu'il y a une très forte sensibilité de la gestion des
investissements informatiques et donc des emplois informatiques dans les entreprises. Si l'on doit
commenter ses tendances conjoncturelles, c'est au regard des capacités et des volontés
d'investissement des entreprises. À la fin des années quatre-vingt, le coup d'arrêt des recrutements
n'était pas dû à un arrêt des capacités d'innovation et de développements nouveaux, mais bien à un
arrêt ou à une réorientation des investissements des entreprises.
Au début des années 2000, la situation est certes différente, dans la mesure où l'intégration des
activités informatiques est beaucoup plus forte et contraignante qu'il y a dix-quinze ans : les
entreprises n'ont pas d'autre choix que de faire fonctionner leur système en s'adaptant en
permanence ; en revanche, il est possible de retrouver des choix identiques, comme celui de stabiliser
l'existant en attendant des jours meilleurs. L'expression d'une pénurie est aujourd'hui d'autant plus
forte que l'on peut anticiper des besoins qui vont s'accélérer les prochaines années avec des
phénomènes de concurrence entre secteurs (public-privé), entre types d'entreprises, entre types
d'emplois...
Certaines périodes font cependant apparaître un fonctionnement relativement atypique, où la
proportion d'offres et/ou de recrutements d'informaticiens progresse fortement (rappelons qu'elle n'est
jamais dominante). Récemment, les besoins liés au passage à l'an 2000, et actuellement à l'euro, sont
apparus comme les meilleures explications de ces écarts à la moyenne. La forte croissance en 1998
et 1999, suivie d'un ralentissement relatif, est la marque de la spécificité de ce nouveau mode
d'existence des besoins informatiques. Les entreprises sont en effet partagées entre leurs besoins
propres et des obligations de plus en plus prégnantes de littéralement "mettre en application" des
procédures standard, ce qui les oblige à revoir leurs programmes de gestion, voire à se re-informatiser
totalement.
Avec ces exemples qui ont fortement pesé sur la demande, on voit que c'est moins l'innovation
technique en tant que telle qui est créatrice d'emplois que certains dysfonctionnements (l'an 2000), ou
les évolutions institutionnelles et politiques totalement étrangères à de véritables choix ou stratégies
d'entreprises. Seul le phénomène Internet joue son rôle quasi pur (mais aux implications multiples)
d'innovation.
Actuellement, l'expression d'un fort besoin peut d'autant plus se justifier que la reprise de l'emploi
concerne toutes les fonctions de l'entreprise alors qu'en 1996 seules les offres d'emplois en
informatique étaient en progression à l'APEC. Depuis, d'autres fonctions ont connu une progression
sensiblement plus forte. Cette reprise générale conduit à une situation de concurrence et la part des
informaticiens stagne dans les recrutements : depuis 1998, leur proportion n'a pas bougé, dans un
contexte de forte progression quantitative.
À la fin des années quatre-vingt-dix, on est reparti dans un cycle où les besoins importants
(chronologiquement antérieurs à la reprise générale) ont fait à nouveau apparaître l'informatique
comme le premier secteur créateur d'emplois pour les jeunes diplômés de l'enseignement supérieur.
Le rapport de l'OFMI 57 de novembre 1999 estime le nombre d'informaticiens formés dans
l'enseignement supérieur à une fourchette comprise entre 19 000 et 253 000 par an. La différence
entre ces deux chiffres provient du contour de la formation initiale en informatique qui est assurée
dans des filières non informatiques et ceci en raison d'une période de pénuries. Ces filières
fournissent donc un potentiel de conversion vers l'informatique. Ce phénomène contribue aux bons
résultats de l'insertion de ces jeunes. Néanmoins, ce détournement de formation (avec le recrutement
de diplômés issus de formations non informatiques) conduit certains commentateurs à s'interroger
d'une part sur les conséquences de cette captation pour les autres secteurs et, d'autre part, sur le
devenir à court et moyen termes de ces jeunes cadres reconvertis : l'expérience a montré en effet que
ce sont des groupes particulièrement fragiles en cas de retournement de conjoncture.
Ce besoin d'informaticiens identifié par les entreprises est amplifié par des perspectives de
retournement démographique. En effet, dans les années à venir, certains affirment d'ores et déjà que
57
L'Observatoire des formations et des métiers en informatique et des technologies de l'information et
de la communication a été créé en 1998 par le ministère de l'Éducation nationale.
cette question de la concurrence va s'amplifier. Une partie des pénuries actuelles (en informatique ou
ailleurs) s'explique par des pratiques de réorientation vers des emplois mieux payés, moins précaires,
et/ou aux conditions de travail meilleures. Prochainement, les départs en retraite prévus dans de
nombreuses professions vont sans aucun doute conduire à des politiques visant à limiter les inégalités
concurrentielles entre secteurs recruteurs (privé/public, industrie/tertiaire, utilisateurs/SSII en ce qui
concerne les informaticiens). On sait qu'actuellement les spécialistes "captés" par le secteur privé sont
autant d'enseignants en moins au niveau de la formation initiale, y compris supérieure, ce qui peut
contribuer par ricochet à l'aggravation des pénuries.
Aux États-Unis, un débat important se développe sur la réalité des pénuries de main-d'œuvre des
informaticiens. Parmi les arguments avancés, on en trouve un qui est particulièrement dérangeant et
confirmé par l'observation des pyramides des âges dans ce secteur : apparemment, à 35 ans on
serait "trop vieux". En dehors d'un certain cadre de sélection, une série de comportements d'exclusion
sévissent (il faut avoir de 27 à 30 ans et trois ans d'expérience).
Mais par rapport à cette situation de tension, il faut souligner la spécificité du marché du travail qui
relève d'un rapport particulier entre les SSII et les entreprises utilisatrices. Trois grandes "familles"
d'entreprises font appel aux informaticiens : les entreprises industrielles des domaines de
l'électronique et des télécommunications ; les SSII ; les entreprises "utilisatrices". On est donc loin
d'une branche professionnelle homogène pour l'évaluation des besoins quantitatifs et pour la définition
des besoins qualitatifs, mais aussi pour la compréhension des comportements et des choix tant des
recruteurs que des salariés.
La croissance des SSII, l'évolution de leur place dans l'activité économique ainsi que leur rôle dans le
développement massif des formes particulières d'activité les amènent à être les premiers recruteurs
d'informaticiens. Cependant, ces derniers, après une première expérience dans une SSII, se tournent
souvent vers une entreprise utilisatrice. Cette profession est en effet relativement mobile. L'ancienneté
dans l'entreprise est en moyenne un peu inférieure à neuf ans pour les ingénieurs comme pour les
techniciens de l'informatique contre douze ans pour les autres cadres 58. Si les informaticiens vont
chez les entreprises utilisatrices, c'est parce qu'ils y trouvent des avantages : conditions d'emploi, de
statut et de travail très souvent, mais aussi possibilités de travailler sur des chantiers où la pression de
l'innovation est moins forte et où ils ont un rôle essentiel, puisque la gestion de l'existant et son
optimisation leur reviennent. En France, la question de la gestion de l'existant, celle de la maintenance
sont sinon niées, en tout cas considérées comme étant accessoires alors que ces activités sont
cruciales pour le bon fonctionnement des entreprises. Même si les salaires peuvent être plus faibles,
ce qui est parfois discutable, les informaticiens se tournent vers les entreprises utilisatrices car ils y
trouvent des conditions d'emploi beaucoup plus avantageuses.
Cette population est relativement jeune. La moyenne d'âge dans les SSII serait de 32-33 ans. Il serait
intéressant de se demander ce que deviennent les informaticiens plus âgés, donc plus expérimentés.
La question mérite d'autant plus d'être posée que, parmi les pénuries annoncées, il s'agit pour une
bonne part de profils d'informaticiens expérimentés, qu'aucun appareil de formation initiale ne peut
fournir. Dans le monde de l'informatique, le terme de jeunisme est souvent employé. Depuis l'origine,
pour être recruté facilement, il faut avoir moins de 30 ans, ce qui est particulièrement vrai pour les
recrutements de cadres. Les "cadres expérimentés" recherchés sur le marché du travail doivent avoir
moins de 40 ans. L'image de l'informatique est celle de l'innovation, du développement nouveau, de la
mise en œuvre de nouvelles organisations, or une partie essentielle de l'informatique et en particulier
chez les utilisateurs est tout autre. La perspective de carrière des informaticiens constitue une
question essentielle, surtout dans un contexte où l'on va souvent les chercher ailleurs.
La croissance de l'emploi informatique est effectivement étroitement liée au phénomène des "sociétés
de services aux entreprises" qui sont devenues le secteur le plus créateur d'emplois en France. En
vingt ans, on est en effet passé globalement d'une relation de "sous-traitance" à une relation de
"prestataires", où les rapports clients/fournisseurs ont profondément évolué, voire ont pu s'inverser.
En 1980, l'UNEDIC comptabilisait 62 000 salariés dans les SSII, dont la majorité (79 %) était tournée
vers des activités de maintenance et de gestion de bases de données. En 1999, elle en compte 255
000, dont la majorité travaille dans des sociétés de conseils et de réalisation de logiciels (78 %).
L'activité des SSII répond à deux logiques différentes, souvent cumulées. Ces deux logiques
produisent des besoins en main-d'œuvre et des conditions d'emploi relativement proches, qui
58
“Les chemins de la prospective au travers des métiers de l'informatique”, Collection blanche du
CGP "Méthode, métiers, données”, 1999.
façonnent le marché de l'emploi des informaticiens, dans ses apparences (fort volume de la demande
apparente via les offres d'emplois), comme dans sa réalité (main-d'œuvre jeune et qualifiée, fort turn-
over, absorption d'une partie de la main-d'œuvre par la concurrence ou par les clients).
L'aspect "sous-traitants" répond en effet à une logique de "missions", de "contrats", autrement dit
toutes les apparences de l'emploi intérimaire ou des CDD en termes de finalité. L'aspect "conseil"
répond, lui, à une logique commerciale : il faut que le contrat soit rempli, mais il faut aussi que la SSII
apporte la preuve qu'elle peut remplir le contrat (d'où un bon nombre d'offres d'emplois dans la presse
qui sont autant d'affichage des compétences de la SSII à l'adresse de clients potentiels et non de
candidats). En vendant du conseil - matériels, logiciels, développements spécifiques, formation… -,
les SSII entrent dans la définition des sociétés commerciales, de distribution (certaines ont d'ailleurs
comme numéro SIREN le code du secteur de la distribution). L'activité des informaticiens n'est plus
tournée vers le besoin amont du client, mais vers la réalisation du contrat d'une prestation que leur
employeur a vendue aux clients. Là encore, on retrouve les caractéristiques d'un autre métier, celui
des commerciaux, avec des fortes contraintes et un fort turn-over.
Les relations "prestataires-utilisateurs" sont donc au cœur de la compréhension du marché des
informaticiens, et donc de l'analyse des besoins immédiats et à venir. Il ne s'agit pas de deux mondes
séparés et autonomes, mais de deux gestions complémentaires et étroitement imbriquées. Les
pratiques de recrutement découlent de ces liens : les SSII doivent recruter en masse une main-
d'œuvre jeune et hautement qualifiée, parce que c'est une condition pour emporter les marchés, mais
aussi parce qu'elles connaissent des départs importants vers les entreprises utilisatrices, qui
bénéficient d'une main-d'œuvre qualifiée et formée à leurs besoins spécifiques.
Cette gestion externalisée des besoins apporte une forte flexibilité : si actuellement les SSII semblent
se plaindre du comportement qu'elle induit chez leurs cadres, durant des années elles ont su l'utiliser
à leur profit. Tout ralentissement de la demande en prestations se traduisant automatiquement par
des réductions d'effectifs. Nous sommes actuellement dans une période où cette flexibilité semble
appropriée par une partie des salariés, mais où d'autres reprochent à leurs employeurs de ne
pratiquer que des contrats de mission. On a en fait l'impression que les pratiques des entreprises sont
restées celles des périodes de crise, dans un contexte où le marché est susceptible d'offrir un meilleur
choix aux candidats. Citons le cas récent d'une SSII qui, plutôt que de recruter des profils ad hoc,
jugés trop chers, se tourne vers les organismes de formation pour former des non-informaticiens et les
recruter par contrat de qualification.
On a beaucoup parlé de pénuries d'informaticiens ces derniers mois, tant en France qu'à l'étranger.
Ce constat devrait permettre de redéfinir le rôle et les responsabilités supposées de l'appareil de
formation initiale français dans cette tension. Lors des périodes précédentes en effet, le "modèle"
français de formation avait été mis en cause, les autres systèmes étant présentés comme plus
performants. La situation actuelle révèle au contraire la difficulté à prévoir les besoins pour des
secteurs très mouvants et pour partie peu "ouverts" quant à l'analyse de leurs pratiques et de leurs
besoins.
L'histoire de la diffusion de ces technologies - tant de leur impact que de leur capacité endogène à
générer de l'activité et des emplois - fournit des éléments intéressants pour permettre une meilleure
compréhension des modalités de diffusion de l'informatique et ce y compris pour la définition de ses
métiers et leur délimitation. Comment en effet quantifier et qualifier les besoins et/ou les pénuries si
les champs d'intervention ne sont pas clairement définis ? Mais, a contrario, comment faire quand il
s'agit d'activités émergentes, c'est-à-dire à la fois nouvelles mais aussi héritées d'autres activités,
voire totalement immergées dans des domaines traditionnels ? Ainsi, le multimedia emprunte-t-il à la
fois à l'informatique, à l'électronique, à l'édition et à l'information, autant de champs dûment identifiés,
mais dont le multimedia casse l'apparente autonomie que leur conféraient les nomenclatures et les
normes professionnelles.
Entre un passé relativement récent fait de ruptures brutales et une image actuelle quelque peu
brouillée, il est compréhensible qu'il existe une certaine prudence face aux exigences de besoins
immédiats à satisfaire. Au niveau des emplois qualifiés, cette prudence est une constante qui traverse
de nombreuses analyses au fil des années. Les théories de la déqualification liée à l'élévation des
niveaux de formation y est probablement pour quelque chose. On retrouve d'ailleurs ces interrogations
dans les débats sur l'évolution du statut des cadres en France en liaison avec leur massification.
Si les technologies de l'information et de la communication s'avèrent être des domaines d'activité très
valorisés, travailler dans l'informatique reste un problème aux yeux non pas des recruteurs (dont la
mission est de répondre à des besoins immédiats), mais d'une partie des responsables des équipes et
des services ainsi que de ceux qui se préoccupent de l'évolution professionnelle des salariés. Les
besoins importants affichés ne posent pas seulement des problèmes en amont : "Comment répondre
à une demande qui elle-même se définit en évolution permanente ?" mais aussi en aval : "Comment
gérer une main-d'œuvre dont l'"employabilité" est considérée depuis des années comme éminemment
fragile ?"
Le marché de l'emploi des cadres informaticiens se traduit par un rapport "gestion interne - gestion
externe" inter-entreprises qui s'apparente aux gestions flexibles des industries de main-d'œuvre. Cette
situation reste très exceptionnelle au niveau des emplois cadres, ce qui en fait depuis longtemps un
cas à part. Dans les années soixante-dix/quatre-vingt, la gestion de carrière des cadres se définissait
principalement comme une politique interne des entreprises, et la forte technicité des postes
informatiques était considérée comme une caractéristique dont il fallait sortir si l'on voulait "faire
carrière".
En effet, le développement et la forte croissance du nombre d'informaticiens, associés à un processus
d'innovation technologique hyper-valorisé, ont quasiment d'emblée été considérés comme un
problème pour les spécialistes de la gestion de carrière des cadres.
Déjà, à la fin des années soixante-dix, le destin des cadres informaticiens était une préoccupation des
acteurs de l'emploi alors que la période était marquée par de forts recrutements dans les entreprises.
Ce qui pose question, c'est le profil "moyen" de ces cadres, dont beaucoup sont issus de
reconversion, ou du moins d'une promotion rapide. En 1980, l'APEC réalise une étude sur le "Pilotage
et la gestion de carrière des informaticiens". Dans cette étude, ces cadres sont considérés comme
une population à "risque de carrière" : le cas type du "haut risque" est l'analyste programmeur de 40
ans, autodidacte, cadre, très bien rémunéré, et ayant atteint son niveau d'incompétence. La principale
préconisation de cette étude a été de suggérer que les entreprises devaient aider leurs salariés à se
reconvertir le plus tôt possible.
Au début des années quatre-vingt-dix, la crise économique stoppe brutalement une période
particulièrement faste pour l'emploi cadre, informaticien entre autres. C'est l'heure des bilans. Cette
fois, il est moins possible d'attribuer les difficultés que connaissent désormais une partie des
informaticiens à leur absence de formation initiale, même si leur "obsolescence" continue à être
considérée comme le risque numéro un. Le bilan vise surtout le mode d'existence des services et des
sociétés prestataires, qui sont désormais perçus comme "centres de coût", alors qu'on attendait qu'ils
soient "sources de profit". Une fois encore, la nécessité de préparer l'évolution professionnelle des
informaticiens est rappelée, semble-t-il en vain dans la plupart des cas.
Les discours ont beaucoup évolué depuis et ceci apparaît en partie comme la conséquence - et non la
cause - des nouveaux comportements apparus avec ce groupe professionnel atypique : la "mobilité"
est devenue le credo d'une gestion de carrière désormais placée sous la responsabilité des individus,
en même temps que la formation. Et ce en rupture nette avec l'image du cadre "fidèle collaborateur"
ou "intermédiaire de confiance", dont l'évolution était celle de son entreprise d'appartenance.
Forte et continue, la progression de ces métiers au niveau des emplois qualifiés n'est pas sans impact
sur l'ensemble de ceux-ci, tant pour la définition de leur place et de leur contenu que pour leur image
sociale. Atypiques mais de plus en plus nombreux, les cadres informaticiens ont été ces dernières
années un vecteur fondamental de l'évolution de la population cadre et des interrogations à son sujet.
Mais, pour être étayée, cette affirmation nécessiterait de nouveaux travaux, moins sur la
comptabilisation des informaticiens que sur leur évolution et leur mobilité. Ainsi on comprendrait mieux
le vrai problème des entreprises et du devenir de leurs cadres informaticiens.
Troisième partie
Afin de pouvoir répondre à la question "L'Éducation nationale apporte-t-elle des réponses efficaces
aux difficultés de recrutement ?" il est nécessaire d'affiner l'analyse qui est faite sur ce phénomène. Si
l'interrogation sur l'adaptation du système est permanente, la résolution de ce problème est délicate
en raison du fait que les façons de le diagnostiquer ne sont pas partagées. Il faut donc analyser
finement les difficultés de recrutement sous plusieurs angles :
- les difficultés constatées proviennent-elles d'un déficit de formation ?
- si le déficit de formation est avéré, s'agit-il d'un déficit conjoncturel ou structurel ?
- la difficulté constatée est-elle nationale ou locale ?
- quel temps de réponse faut-il envisager pour résoudre les difficultés rencontrées ?
Selon les réponses apportées à ces interrogations, l'Éducation nationale est plus ou moins concernée
et, de fait, ses interventions possibles portent sur plusieurs chapitres. Il est possible d'illustrer ce point
de vue par les exemples suivants :
- au début des années quatre-vingt-dix, des pénuries de main-d'œuvre ont été annoncées dans
l'informatique. Avant que des solutions puissent être mises en application, cette tension dans les
recrutements avait disparu. Les travaux de l'ANPE et de la DARES, comme le chapitre de la seconde
partie sur les informaticiens, montrent toutefois que des difficultés dans ce domaine sont toujours
prégnantes du fait de la difficulté de cerner ce secteur. C'est pourquoi les travaux conduits récemment
au niveau interministériel tentent de reprendre cette interrogation. Ils essaient d'identifier, selon l'avis
des experts, où il y a tension durable ;
- les difficultés de recrutement dans le bâtiment ou l'hôtellerie-restauration ont été analysées de façon
approfondie dans plusieurs régions. Il apparaît dans les travaux que le problème n'est pas
l'insuffisance de jeunes formés dans ces domaines professionnels mais la rotation du personnel qui
entraîne des tensions ;
- la désaffection pour les filières professionnelles et scientifiques est un sujet récurrent.
La première partie a pu démontrer que cette désaffection n'est nullement évidente. Son observation
nécessite de prendre en compte dans l'analyse les évolutions structurelles du système éducatif.
Par conséquent, une fois que les problèmes sont correctement identifiés, il faut définir l'urgence et la
durabilité des besoins. Certes, l'Éducation nationale a ses propres réponses lorsqu'elle doit repenser
ses cursus ou les adapter aux évolutions de la société. Il faut également rappeler qu'elle est un acteur
parmi d'autres qui, dans la relation à construire entre emploi et formation, en dehors d'une approche
adéquationniste, ne peut agir seul et que l'efficacité de l'action se trouve dans le partenariat.
Le risque de l'adéquationnisme
Lorsqu'on établit un lien entre les difficultés de recrutement et la formation, ne raisonne-t-on pas sans
le dire de façon très "adéquationniste" ? On sait en effet que, malgré tout ce qui a été dit et écrit
depuis vingt ans sur le sujet, on retombe très facilement dans cette vision très étriquée de la relation
formation-emploi. On oublie ainsi que la grande majorité des recrutements ne fait pas appel à des
jeunes qui viennent de sortir du système éducatif. Ceux-ci représentent moins de 10 % des
recrutements et dans certaines professions encore moins. De plus, tous les travaux réalisés sur le lien
domaine de formation-domaine professionnel 60 montrent des spectres assez larges de recrutement
de chaque famille professionnelle ou de diffusion de chaque domaine de formation. Ce facteur est lié
au fait qu'en France le choix de sa formation comme celui de son emploi (liberté souvent contrainte il
est vrai, mais liberté quand même), qui explique en partie le lien assez lâche entre formation suivie et
emploi occupé, est libre.
59
Ce chapitre s'appuie sur la contribution de Claude Sauvageot, “Face aux difficultés de recrutement,
quelles interrogations et quelles réponses possibles du système éducatif ?”
60
Longin (F.), L’emploi et la formation par familles professionnelles en Rhône-Alpes, OREFRA, 1999.
Mais les problèmes sont-ils correctement identifiés ? Il s'agit de définir l'urgence et la durabilité des
besoins. Il est clair que, pour des besoins urgents, la réponse n'est pas la mise en place d'une
formation initiale. En effet, celle-ci a besoin d'environ quatre ans pour produire des diplômés dans une
nouvelle formation initiale : temps de construction de la formation plus durée de la formation elle-
même. On doit donc réserver cette réponse à des besoins que l'on considère (en partenariat) comme
durables à un horizon de moyen terme. Si le besoin est de ce type, alors le ministère de l'Éducation
nationale doit y répondre.
Si les besoins sont conjoncturels et/ou à court terme et/ou sur des métiers qui ne sont pas accessibles
par un premier emploi, la réponse est à chercher dans la formation continue. Sur ce domaine, le
ministère de l'Éducation nationale doit jouer un rôle mais il n'est pas seul. C'est dans cette optique
qu'il travaille avec le secrétariat d'État à l'Industrie et les professionnels sur les métiers de
l'informatique.
Sur le choix possible d'une réduction de la durée de la formation initiale pour la compléter par des
possibilités accrues de formation continue et donc de promotion sociale accrue, on ne peut pas dire
que le message du système productif donné au système éducatif soit très clair. Or, le système
éducatif a eu par le passé des réponses fortes qui ne correspondaient pas aux besoins de l'ensemble
des professions : la suppression massive et rapide d'un grand nombre de CAP a posé beaucoup de
problèmes car, si elle était nécessaire dans certains secteurs, c'était clairement une erreur pour
d'autres.
Si le système éducatif tente, de son côté, de trouver des réponses aux problèmes, on peut s'interroger
aussi sur les pratiques qui semblent se faire jour de démarcher des jeunes en cours de formation pour
répondre à des besoins à court terme des entreprises. Elles risquent de fragiliser une population de
jeunes, phénomène qui nécessite une réflexion de l'ensemble des partenaires de l'éducation. Recruter
un jeune venu faire son stage en entreprise, avant qu'il ne passe son diplôme, est une pratique
dangereuse, aussi bien pour le jeune que pour la profession.
On peut faire tous les plans possibles sur l'évolution de l'éducation, mais cela suppose qu'il y ait
suffisamment d'enseignants. En effet, lorsqu'on évoque les difficultés de recrutement, il faut avoir à
l'esprit la préoccupation du ministère de l'Éducation nationale qui est de pouvoir satisfaire ses propres
besoins de recrutement, en particulier des enseignants, pour son propre renouvellement. Les courbes
de départ à la retraite sont connues et indiquent un besoin très fort de recrutement dans les
prochaines années pour tous les niveaux d'enseignement.
Dans une conjoncture de croissance économique, il faut s'interroger sur les moyens à mettre en
œuvre pour pouvoir correctement renouveler les capacités de formation dans un environnement de
concurrence avec le reste de la fonction publique et les autres secteurs de l'économie. Lorsque, par
exemple, on fait état de l'importance de l'informatique et des nouvelles technologies, il est important
de s'assurer que les enseignants seront en nombre suffisant dans le système éducatif pour
transmettre ces savoirs indispensables. Il est raisonnable sur ce sujet d'avoir des inquiétudes, sachant
que les départs en retraite des enseignants seront dès 2005 très importants. C'est clairement aussi un
des enjeux majeurs des prochaines années sur le thème des difficultés de recrutement.
Lorsque la demande et l'objectif sont clairs, et font l'objet d'un large consensus, le système éducatif
est capable de répondre et de se transformer rapidement. Actuellement, on mesure les limites d'un
objectif uniquement défini en termes de niveau, on peut aller plus loin dans les demandes faites au
système éducatif sur la nature des formations demandées mais les demandes faites ne sont pas
toujours très bien définies et ne font pas l'objet d'un large consensus.
Les derniers travaux prospectifs menés par la Direction à la programmation et au développement
(DPD) montrent l'importance d'un paramètre souvent sous-estimé lorsqu'on formule une demande au
système éducatif : il s'agit de la promotion interne. Une variation très faible de ce paramètre change
totalement la demande en termes de niveau de formation. Ainsi, les politiques de gestion des
ressources humaines des entreprises jouent un rôle fondamental dans la demande faite au système
éducatif. Celui-ci, lors des vingt dernières années, a su répondre à une demande sociale très claire
qui concernait l'élévation générale et rapide du niveau de formation. L'objectif 80 % d'une génération
au niveau du bac a fait l'objet d'un large consensus social pour diverses raisons. L'ensemble des
acteurs concernés par le système éducatif a donc œuvré dans le même sens et le résultat est là : on a
plus que doublé en quinze ans le taux d'accès d'une génération au niveau du bac. Il est donc normal
que la demande se déplace aujourd'hui, plus sur le métier que sur le niveau, mais cette mutation va
demander du temps.
Si le ministère de l'Éducation nationale doit se poser des questions sur l'évolution des formations
initiales, il faut toutefois accepter de reconnaître qu'il n'est qu'un partenaire parmi beaucoup d'autres. Il
est important que le monde de l'éducation travaille en partenariat avec les régions, avec l'ensemble du
monde professionnel et avec les autres ministères pour identifier clairement les problèmes. C'est une
des raisons qui ont poussé le ministère de l'Éducation nationale à recréer un Haut comité éducation-
économie-emploi pour aider à la réflexion sur ces sujets, en étroite relation avec les instances qui
gèrent les diplômes professionnels (CPC, CPN). Il faut rappeler qu'en France ces instances existent
depuis plus de cinquante ans et sont tripartites.
Les choix d'orientation sont, outre les aptitudes des jeunes, largement influencés par les volontés et
les choix des jeunes et des familles. Il est donc important que les secteurs professionnels sachent se
monter attractifs pour les jeunes dont ils ont besoin. On connaît les difficultés bien réelles de certains
secteurs dans ce domaine. Les difficultés de recrutement dans le bâtiment, les métiers de la bouche,
l'hôtellerie-restauration ont été étudiées de façon approfondie dans plusieurs régions. Il apparaît dans
ces travaux que le problème n'est pas l'insuffisance de formés dans ces domaines mais un déficit
d'image, des conditions de travail pénibles, des horaires longs qui provoquent autant de tensions dans
les recrutements. L'amélioration de l'orientation des jeunes, garçons et filles, pour élargir les choix
professionnels et les mettre en lien avec les perspectives d'emploi a fait l'objet d'une convention entre
le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et le ministère de l'Éducation nationale. L'objectif de faire
passer la part des jeunes filles en apprentissage de 28 % actuellement à 35 % a été fixé. Il s'agit avec
les Conseils régionaux de cibler l'action sur les métiers porteurs, peu féminisés et qui présentent des
conditions de travail acceptables comme l'électronique, la vente spécialisée (automobile, bricolage).
Cependant la tendance peut aussi être renversée par les branches : depuis 1999, par exemple les
stages de métallurgie spécifiques autour de la zone de Saint-Nazaire connaissent un nouveau succès.
En effet, après une période de crise, les entreprises de construction navale inspirent de nouveau
confiance, recommencent à avoir une bonne image, recrutent, forment, notamment des femmes sur
des métiers dits "masculins" comme la soudure, sur la base de sélection par "habileté".
L'entrée dans l'emploi 61
61
Ce chapitre s’appuie sur la contribution de François Hiller, “Les leviers d’une coopération efficace
au plus près du terrain”.
Une coopération nécessaire entre des acteurs diversifiés
Pour mener à bien ce plan, il convient donc de renforcer l'organisation aux plans régional,
départemental et infradépartemental du travail commun du SPE, des services déconcentrés et des
acteurs locaux concernés. Les actions conduites peuvent être regroupées autour de deux grands
objectifs :
• Agir conjointement en faveur du retour à l'emploi des personnes qui en sont éloignées
Deux mesures ont été mises en œuvre, le stage d'accès à l'emploi (SAE) et le stage d'insertion et de
formation à l'emploi (SIFE) individuel. Ces mesures permettent de financer des formations courtes
d'adaptation des compétences des demandeurs d'emploi pour un emploi préalablement identifié.
L'ANPE a développé une méthode originale de recrutement. à travers des exercices de simulation
conçus "sur mesure" en liaison avec l'entreprise, elle permet de tester la capacité des candidats à
développer les compétences indispensables (habilité gestuelle, vision dans l'espace, travail en équipe,
capacité à communiquer...) pour tenir le poste de travail défini, indépendamment de leur formation
initiale. Cette méthode permet d'élargir la recherche de candidats au-delà des critères traditionnels
pour des emplois qui n'exigent pas la possession d'une qualification technique particulière.
Les entreprises ont parfois des difficultés qui se cumulent et qui concernent à la fois le vieillissement
du personnel, la déqualification de certaines catégories de salariés, les difficultés à recruter sur
certains métiers. Pour les aider, l'élaboration d'un projet d'ensemble avec l'entreprise intégrant tous
ces aspects est alors proposé. Les opérations de type "Job rotation" permettent à la fois d'organiser la
requalification des salariés en place et leur remplacement lorsqu'ils sont en formation par des
demandeurs d'emploi ou des jeunes en insertion à qualifier sur des postes de travail. Ceux-ci devenus
salariés de l'entreprise vont contribuer à rajeunir la pyramide des âges. Le SPE avec l'aide de
consultants expérimentés va promouvoir et accompagner ce type d'opération dans les entreprises
volontaires.
L'AFPA vient en appui aux entreprises pour les aider à définir leurs besoins en compétences et en
qualification, pour l'élaboration de plans de formation adaptés, pour la mise en place de formations ou
de qualifications pour des demandeurs d'emploi à intégrer.
• Agir en coopération avec l'ensemble des parties concernées
Afin d'aider à définir les profils de postes en termes de compétences plus qu'en référence à des
diplômes, l'ANPE assure une fonction de conseil auprès des entreprises. Elle les aide également à
élargir leurs recherches à des profils plus diversifiés. Cette fonction de conseil est essentielle pour
limiter les pratiques encore courantes de sélection par le niveau scolaire à défaut d'une définition
rigoureuse des compétences, voire de discriminations à l'embauche.
Le Service public de l'emploi soutient les entreprises volontaires pour bâtir un "groupement
d'employeurs pour l'insertion et la qualification". Ce type de groupement permet de proposer à des
jeunes des contrats d'orientation puis des contrats de qualification ou d'apprentissage.
Des engagements de développement de la formation (EDDF) sont en cours avec diverses professions
comme le textile, la métallurgie, le bâtiment, l'hôtellerie, la restauration.
Des forums et des rencontres pour l'emploi ont été organisés afin de développer l'information sur les
métiers localement porteurs et mettre en relation directe les employeurs et les demandeurs d'emploi.
Les agences locales pour l'emploi assurent un suivi en aval, entreprise par entreprise, pour confirmer
les propositions d'emplois formulées et les contacts pris entre offreurs et demandeurs d'emploi
pendant les forums.
L'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) et les agences régionales
(ARACT) ont accentué leurs actions auprès des petites entreprises. Elles portent sur l'analyse des
conditions et de l'organisation du travail, et l'accompagnement d'une démarche qualité dans les
entreprises artisanales.
Ces actions tournées vers le même objectif ont porté sur le recrutement, la prévention des
discriminations et l'évolution des conditions de travail.
Dans le Nord à Douai, la DDTEFP, l'ANPE, le Conseil régional, la Mission locale et l'équipe du PLIE (plan local
pour l'insertion et l'emploi) ont fait une offre de service global aux entreprises locales qui se développent comme
à celles extérieures et qui désirent s'implanter dans le bassin. Cette offre de service comprend la définition, avec
l'entreprise, des profils de poste, la présélection des candidats parmi les personnes suivies dans le cadre du PLIE
(demandeurs d'emploi de longue et très longue durée, RMIstes, travailleurs handicapés, jeunes du programme
TRACE ou sans qualification), la formation/adaptation préalable (stages d'insertion et de formation pour l'emploi,
stages du Conseil régional…) des candidats et enfin l'accompagnement des personnes en amont et en aval de
tous les recrutements.
Depuis 1999, cette opération a permis l'accès à l'emploi de 334 personnes dans l'industrie, l'hôtellerie-
restauration, les loisirs, le transport routier et la logistique, le commerce et les travaux publics. Sept entreprises
nouvelles et 19 déjà implantées ont fait appel à ce service nouveau et, semble-t-il, en sont satisfaites.
Le second type d'actions consiste à prévenir les discriminations. Les discriminations que l'on relève
dans certains offres d'emplois touchent aux caractéristiques suivantes : l'âge, le sexe, la nationalité, le
faciès ou le physique des candidats. Ainsi pour les travailleurs âgés de plus de 50 ans, ces derniers
sont trop souvent présentés comme cumulant des handicaps qui les éloignent du fameux seuil
d'employabilité. Alors que le taux d'activité des femmes ne cesse d'augmenter et tend à rattraper celui
des hommes, les statistiques du chômage montrent que ce sont les femmes qui sont les premières
victimes des retournements de conjoncture. Enfin, soulignons que le taux de chômage des résidents
étrangers d'origine non européenne est trois fois plus élevé que celui des Français de naissance. Il
s'agit alors de lutter contre ces comportements des employeurs en impliquant les entreprises dans
une démarche de sensibilisation 62.
A la suite du travail approfondi d'analyse sur les difficultés de recrutement mené par le CESR d'Alsace, avec
l'appui de l'OREF et des services d'études et de statistiques de l'État, et de l'avis rendu en novembre 2000 par
cette instance, l'ensemble des organisations représentatives d'employeurs et de salariés siégeant à la COPIRE
(Commission paritaire interprofessionnelle régionale de l'emploi) ont signé une déclaration commune le 29 mars
2001 pour prévenir les discriminations sur les lieux de travail et à l'embauche que subissent les personnes
d'origine étrangère ou issues de l'immigration. Cette déclaration est largement diffusée auprès des entreprises,
les chambres consulaires sont parties prenantes de l'opération.
La DDTEFP de la Creuse a établi des plans d'action pour chacun des 9 principaux secteurs d'activité avec les
autres composantes du SPE et en association avec le Conseil régional et le Conseil général. Pour les entreprises
de mécanique concentrées dans le bassin d'emploi de La Souterraine, une opération particulière est montée,
avec l'AFPA, le Conseil régional et la branche de la métallurgie articulant montée en qualification de personnels
déjà en place (avec l'aide d'un EDDF - engagement de développement de la formation et du FSE - Fonds social
européen) et recrutements au premier niveau de demandeurs d'emploi ayant bénéficié d'actions préalables
d'adaptation ou de contrats de qualification. La relation étroite ainsi construite avec les entreprises a permis le
recrutement de femmes sur des postes de mécanicien-outilleur, notamment à travers la mobilisation du “contrat
de qualification adulte".
Le dernier exemple porte sur l'amélioration des conditions de travail. Des journées de travail trop
longues (les vendeurs, les manutentionnaires et les caissiers des fruits et légumes ont des semaines
62
Le dispositif contre les discriminations doit être renforcé en tenant compte des textes européens
comme l'article 13 du traité d'Amsterdam, les directives relatives aux discriminations fondées sur le
sexe (1997), le principe d'égalité entre les personnes sans distinction de race et d'origine (2000) et
l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (2000).
de travail de quarante-sept heures, y compris le samedi et le dimanche), des tâches pénibles (les
coiffeurs et les esthéticiennes restent pratiquement toute la journée debout, ne peuvent déjeuner le
midi et ont souvent des soirées nocturnes de travail), une intensité de travail accrue, de longues
coupures dans la journée de travail, du travail en décalé (de nuit, les jours fériés) constituent autant de
raisons de désaffection des candidats potentiels. Il s'agit alors de mener des actions sur les conditions
de travail en y associant les employeurs.
Sollicitée par la branche du bâtiment et des travaux publics confrontée à des difficultés de recrutement, la
DDTEFP des Pyrénées-Atlantiques a proposé aux organisations professionnelles (Fédérations départementales
du bâtiment et des travaux publics, CAPEB Béarn et Pays basque) de mobiliser l'ensemble des composantes du
SPE (Service public de l'emploi) et de leurs partenaires à la condition que ces organisations engagent en
concertation avec les organisations syndicales de salariés une démarche de progrès en matière d'emploi et de
conditions de travail. L'opération est lancée depuis mars 2000. Toutes les fédérations d'employeurs et les cinq
syndicats représentatifs y participent aux côtés de la DDTEFP et de l'ANPE. Deux groupes opérationnels, emploi
et conditions de travail, sont constitués auxquels participent le Conseil régional d'une part et l'ARACT (Action
régionale pour l'amélioration des conditions de travail) d'autre part. L'Éducation nationale, le réseau d'accueil des
jeunes, l'AFPA ainsi que d'autres organismes de formation sont également associés.
Un an après, l'opération se poursuit mais déjà de nombreuses actions d'information et d'orientation dirigées vers
les jeunes et les demandeurs d'emploi se sont déroulées, un logo commun a été choisi, les entreprises ont été
mobilisées à l'occasion de diverses manifestations locales ou régionales, les financements pour la formation des
demandeurs d'emploi de l'État et de la Région ont été affectés en priorité aux métiers du BTP, l'engagement de
développement de la formation (EDDF) "Artisans du bâtiment" est lancé. Un diagnostic partagé est en cours
d'élaboration sur les conditions de sécurité, d'hygiène, de salaire, de durée du travail, de dialogue social, de
formation des salariés ainsi que sur le travail illégal et la précarité. D'un commun accord, il a été décidé que
toutes les entreprises du BTP du département qui sollicitent une aide à l'emploi, à la formation ou aux conditions
de travail prennent l'engagement écrit de suivre les recommandations d'amélioration des conditions de travail et
d'emploi qui seront préconisées dans le cadre de la démarche partenariale engagée. Enfin, une association loi
1901 "Promouvoir ensemble BTP 64" vient de se créer qui associe les syndicats d'employeurs et de salariés. La
démarche menée dans le BTP vient d'être étendue à la métallurgie et aux transports.
Développer les compétences
par des actions
de formation ciblées 63
Il est possible d'apporter des réponses efficaces aux difficultés de recrutement et aux besoins
d'anticipation par un travail sur les compétences. La gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences devient une nécessité pour les entreprises. Gérer par les compétences permet
d'introduire une plus grande cohérence entre projet stratégique de l'entreprise, organisation du travail,
gestion des ressources humaines et compétences individuelles.
Selon l'ANDCP (Association nationale des dirigeants et chefs de personnel), "la gestion des
ressources humaines dans une entreprise est une fonction opérationnelle d'appui qui doit répondre
aux attentes des partenaires de l'entreprise". Il apparaît ainsi que, pour les entreprises, la formation
n'est pas seulement un correctif social à l'inadéquation emploi-qualification, mais c'est aussi, au même
titre que la Recherche et Développement, une dimension essentielle de leurs investissements et une
condition de leur compétitivité. La formation n'est plus simplement une dépense obligatoire
supplémentaire mais est devenue un véritable investissement en capital humain et un outil de la
performance et de la compétitivité des entreprises.
63
Ce chapitre s’appuie sur la contribution d’Agnès Arcier, “Il n’y a pas que le recrutement, il faut aussi
former les salariés”.
64
Hatchuel (A.), Weil (B.), “L’Expert et le système”, Economica, 1992.
clarifiés et intégrer en transparence les méthodes et les enjeux de classification et de rémunération
pour les uns et de rentabilité pour les autres.
Enfin, le dernier est d'ordre stratégique car le "capital humain", qui va au-delà de la simpliste notion de
ressources humaines, ne devrait plus être comptabilisé comme un coût mais être valorisé comme un
actif, un investissement qu'il faut évaluer, entretenir, gérer et développer. Il devient un véritable outil
de compétitivité de long terme de l'entreprise.
Une fois énumérés ces enjeux, force est de constater que beaucoup d'entreprises, malgré les
perspectives démographiques de leur population active, continuent à appliquer les mêmes méthodes
de management. Elles recrutent dans l'urgence des personnes surqualifiées et payées au plus juste.
Elles sont dans une méconnaissance des conditions réelles du travail et donc dans l'impossibilité de
définir précisément des compétences attendues.
Comme l'indiquait Vincent Merle dans un article qu'il a rédigé en 1990, 65 "l'amalgame dans l'analyse
exonère à bon compte les entreprises d'une réflexion sur l'évolution des compétences et des
qualifications et conduit à sous-estimer les capacités d'adaptation aux exigences des postes de
travail". Il est donc nécessaire d'effectuer un bon recensement des besoins de compétences.
Une entreprise qui a de nouveaux besoins de compétences peut y répondre de diverses manières :
- par une action sur les compétences des personnes (formation interne ou externe, de formateur…,
apprentissage, conversion, mobilité professionnelle) ;
- par une nouvelle organisation du travail (polyvalence, pluricompétence…) ou de nouveaux modes
opératoires ;
- par un achat de compétences externes (sous-traitance, conseil externe, intérim ponctuel).
Elles doivent ensuite effectuer un choix entre le besoin identifié et le type d'actions à mener :
65
Henry (B.), Merle (V.) et Weil (N.), “Difficuté de recrutement et gestion locale de l’emploi”, publié par
la Fondation Saint-Simon, décembre 1990.
Les entreprises craignent que leurs salariés une fois formés quittent l'entreprise, voire partent chez un
concurrent offrant des rémunérations et des conditions de travail plus intéressantes. Elles ont le
sentiment que le temps passé en formation est perdu pour la production. Elles mettent en avant les
difficultés rencontrées pour le remplacement du salarié pendant le temps de la formation. Elles
argumentent sur le fait que, selon elles, certains de leurs salariés ne veulent pas suivre de stages de
formation.
• Vis-à-vis du choix de la formation
Les entreprises ne savent pas toujours traduire leurs besoins 66. Elles s'interrogent sur la multiplicité
des prestataires de formation, ce qui ne facilite pas leur choix, et sur le coût des actions engagées.
• Vis-à-vis, enfin, de l'opportunité, de la "rentabilité" de la formation
Beaucoup d'entreprises perçoivent encore la formation comme un coût et sont donc plutôt tournées
vers le recrutement de personnels, souvent plus jeunes et plus formés.
Il reste un énorme effort de conviction et d'accompagnement pour que les entreprises considèrent la
formation comme autre chose qu'une obligation, qu'une œuvre sociale ou un moyen d'avoir la paix.
C'est un investissement stratégique aussi important que tous les autres investissements de
l'entreprise. Il les accompagne souvent ; il les prépare parfois. Et il ne saurait être optimisé sans que
l'on précise les liens étroits qu'il entretient avec l'analyse du travail, la gestion prévisionnelle des
effectifs, la gestion préventive des ressources humaines, les décisions prises dans l'entreprise. Car
une formation réussie doit avoir des conséquences en termes de compétences et d'attitudes qui
s'ancrent alors dans des décisions à caractère plus général, prenant sens dans la vie des individus
comme dans celle de l'entreprise.
Trois types d'actions peuvent être recensés car ces actions supposent une volonté partagée. La
première action repose sur une réflexion conjointe entre partenaires (au niveau de la branche, d'un
groupe d'entreprises, ou bien au sein d'une entreprise) sur les difficultés rencontrées et les pistes de
travail possibles. Cette réflexion s'appuie sur des études commanditées (un des thèmes essentiels
des années qui viennent sera la description de "compétences clefs").
Il est possible de prendre l'exemple du secteur de la plasturgie afin d'illustrer ce premier type d'action.
Le secteur de la plasturgie
Le développement de ce secteur est relativement récent : sur la période 1991-1999, le chiffre d'affaires a
augmenté de 33 %. En effet, les produits plastiques se substituent très largement aux matériaux classiques et la
fabrication de nouveaux produits permet à la plasturgie de gagner de nouveaux champs de développement
notamment dans le domaine de la construction, de l'automobile et de l'emballage. La branche est donc créatrice
d'emplois puisque les effectifs ont augmenté de 4 % sur la même période.
Au début des années quatre-vingt-dix, 70 % des salariés sont des ouvriers dont 40 % sont sans qualification.
C'est dans ce contexte que la profession a souhaité un accompagnement pour développer les compétences de
son personnel et combler un déficit de techniciens et d'ingénieurs. Cependant, les difficultés perdurent, la
profession constate une diminution des jeunes sortant des filières de la formation initiale. Il s'agit d'un secteur
atomisé constitué majoritairement d'une multitude de PME implantées sur tout le territoire, ce qui apparaît comme
un obstacle à une bonne lisibilité du secteur pour attirer les jeunes et les demandeurs d'emploi.
66
Ajoutons le fait que les entreprises considèrent dans leur très grande majorité que leurs besoins
sont très spécifiques, bien qu'une étude ait démontré qu'une centaine de contenus de formation
couvraient 75 % des achats externes de formation.
L’accompagnement public a pris en compte
toutes les problématiques du secteur
Objectifs Avec quel accompagnement ?
Établir un diagnostic de la situation de l’emploi
Identifier
VEILLE
!
Constats
• L’évolution des technologies nécessite un renforcement des qualifications des ouvriers
et la mise en place d’un système d’évaluation des acquis professionnels.
• L’activité en pleine progression oblige à :
- mettre en place des formations pour favoriser la progression des salariés qualifiés vers des fonctions de
techniciens,
- élargir le système de recrutement (jeunes, demandeurs d’emploi).
• Le secteur souffre d’un défaut d’attractivité dû à son manque de lisibilité pour attirer les jeunes.
! !
Actions menées Avec quel accompagnement ?
Mise en place de dispositifs de formation pour les entreprises de moins de
250 salariés :
Opérations :
EVOLUTION DES COMPETENCES
plasturgie
Un soutien du secrétariat
- création d’une plate-forme mobile « Destination plasturgie » qui d’État à l’Industrie
sillonne le territoire pour présenter aux jeunes, à leurs familles et dans le cadre :
aux enseignants des collèges et lycées des démonstrations sur des
machines-outils, - du budget investissements ( titre
- création d’un guide méthodologique : « carnet de route » VI)
comportant des fiches pratiques destinées à préparer la visite de la
plate-forme mobile, - de l’AAP « Jeunes dans
- lancement d’un concours pour les classes de 4e de trois régions (Ile- L’Industrie 2000 »
de-France, Champagne-Ardenne et Picardie) destiné à récompenser
les élèves qui réaliseront, en collaboration avec une entreprise, le
meilleur reportage permettant de découvrir le secteur ainsi qu’un
produit utilitaire, artistique ou ludique.
La seconde action fait le choix de l'expérimentation, en s'appuyant par exemple sur les appels à
projets existants ou sur des actions collectives montées par les réseaux d'accompagnement des
entreprises (promotion interne, systèmes d'évaluation des acquis...).
Enfin, la dernière porte sur une capitalisation des bonnes pratiques et des causes d'échec ou
d'insuccès, avec diffusion de cette information ou de ces méthodologies sous forme de "guides-modes
d'emploi" (formation, métiers, groupement d'employeurs…), par les secteurs professionnels (c'est
l'exemple dans les industries du caoutchouc, du textile et de la fonderie…).
Il est possible de relever dans l'industrie quelques expériences qui montrent que ces types d'actions
ont été menés, comme par exemple le cas de la branche pharmaceutique.
Il faut également recenser des actions collectives comme celles de FAMI ("Faciliter l'accompagnement
des mutations industrielles") et d'UCIP ("Utilisation collective d'Internet pour les PME"). Parmi les
réalisations d'UCIP, il est possible de relever le projet de portail Mutinfo de la CGPME, les boutiques
de gestion, le cercle micro-entreprises (ADIE). Il faut également citer l'élaboration d'un outil de
diagnostic des besoins en formation (projet "Diagnostic compétences forge"), la construction de
nouveaux outils pédagogiques pour des opérateurs de bas niveau de qualification (projet "Supports de
formation machines") et les actions d'information interactive pour les PME conduites par le secrétariat
général à l'Industrie sur les compétences utilisables auprès de leur groupement d'employeurs, et mise
en commun de moyens techniques entre entreprises (projet "progest.com"), d'aides individuelles
(guides-mode d'emploi de la formation pour les PMI comprenant des réponses aux questions des
chefs d'entreprise pour accompagner les réflexions et les démarches d'adaptation des compétences
aux besoins des entreprises).
L'industrie pharmaceutique
Le secteur de l'industrie pharmaceutique française est le premier producteur européen, le secteur enregistre une
croissance régulière de son chiffre d'affaires et de ses effectifs (10 % sur cinq ans et 20 % sur dix ans), tant en
France qu'en matière de développement international, et cela en dépit de sa participation aux mouvements
mondiaux de concentration. La pharmacie emploie aujourd'hui plus de 90 000 salariés, répartis sur l'ensemble du
territoire dans près de 300 entreprises.
Les études engagées par le Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (SNIP) ces dernières années
soulignent que les transformations technologiques sont en train d'affecter fortement tous les emplois du secteur, à
tous les niveaux de qualification. La question n'est en effet pas circonscrite à quelques emplois scientifiques ou
techniques. Ce sont à la fois le développement des procédés au sein du secteur pharmaceutique et le
développement général des technologies du traitement de l'information et de la communication qui ont et auront
des conséquences importantes sur les conditions d'exercice et les compétences pour les salariés.
Un projet intitulé "Mutations technologiques et politiques de ressources humaines", visant à proposer à partir d'un
diagnostic des mesures d'accompagnement des entreprises du secteur dans la mise en place de gestions
anticipatrices de ressources humaines, a été encouragé par les ministères de l'Industrie et de l'Emploi. Ce projet
a été financé sur les années 1998, 1999 et 2000 par le Fonds social européen, avec le concours de l'organisme
paritaire collecteur agréé de la branche (CP2). Le cadre conventionnel, qui privilégie la notion de famille
professionnelle, par opposition au statut ou à la catégorie socioprofessionnelle, a facilité l'implication des
partenaires sociaux dans la réflexion et a été une clé du succès.
Les principales préconisations de ce projet qui ont été formulées en décembre 2000 portent sur :
- la sensibilisation du secteur aux enjeux, en particulier en ce qui concerne les PMI : diffusion large du diagnostic
réalisé, séminaires pour les entreprises, forum d'échanges et de partage d'expériences sur la prise en compte
des ressources humaines et du dialogue social dans l'accompagnement d'une nouvelle technologie ;
- l'outillage des entreprises en amont des projets d'investissement technologique : création d'un centre de
ressources et de veille "technologie/emploi" sur Internet avec guide méthodologique, création d'un répertoire de
données sur l'offre de formation initiale et continue, conception d'actions de formation spécifiques et d'une
opération pilote de validation des acquis professionnels, développement de l'alternance pour les niveaux élevés
de qualification ;
- le renforcement des compétences industrielles en France par le maintien de l'excellence scientifique des
chercheurs du secteur en France et la promotion d'actions de communication sur une "image technologique" de
l'industrie pharmaceutique et de ses métiers.
Plus de 1 000 salariés appartenant à 15 entreprises ont suivi des modules de formation dans la phase
expérimentale fin 2000 ; leur généralisation est en cours.
Les actions
sur l'environnement
de l'emploi-formation 67
La prise en compte du territoire devient centrale dans l'étude des déséquilibres du marché du travail.
Le territoire est, en particulier, un lieu de ressources en logements, un réseau (ou une absence de
réseau) de transports, un espace de partenariats. Ces éléments de structure complètent les
descriptions par publics ou par professions, sur lesquels sont le plus souvent centrées les analyses 68.
Les questions du logement et du transport mettent en évidence les effets de la concentration urbaine.
En effet, les usines ont été construites, et le sont encore, en grande partie en zones rurales ou en
périphérie. C'est le cas par exemple des usines d'habillement, construites à la campagne pour être à
proximité d'une main-d'œuvre rurale, des abattoirs qui ont été déplacés des villes vers les zones de
production dans les années soixante-dix, des unités de plasturgie, des plates-formes logistiques qui
ont besoin de beaucoup d'espace… Mais ces emplacements sont par définition dans des bassins
d'emploi dont la taille est limitée, et même d'autant plus limitée que la concentration urbaine continue
de se développer. En période de reprise, on atteint donc très vite une limite, et les tensions au
recrutement sont plus fortes dans ces zones que dans les villes. Ce qui pose, entre autres, les
questions des logements disponibles et des transports entre les zones peuplées (et où le chômage
perdure) et les zones où sont implantées ces activités.
Le logement
• Se loger à Saint-Nazaire
La ville de Saint-Nazaire 71 a mis en place un bureau d'accueil des nouveaux arrivants pour les aider
à trouver un logement. L'augmentation de l'activité des chantiers navals s'est traduite par la création
de 2 300 postes de travail supplémentaires en un an (essentiellement chez les sous-traitants). Le flux
de personnes nouvelles, en partie pour une période courte, est de 7 000 personnes en un an. Pour les
accueillir, la ville de Saint-Nazaire a mis en place une cellule "Bienvenue aux nouveaux résidents", qui
67
Ce chapitre s'appuie sur la contribution d'Arnaud du Crest, “Il n'y a pas que l'emploi : logement,
transport, partenariat”.
68
Du Crest (A.), “Les difficultés de recrutement en période de chômage”, Éditions L'Harmattan, 2001.
69
La rente foncière évolue à un rythme plus lent que le profit.
70
Lefebvre (H.) , “Théorie de l'espace”, Éditions Anthropos, 1972.
71
“Les nouveaux arrivants à Saint-Nazaire”, DDRN, Saint-Nazaire, juin 2000.
avait accueilli en avril 2000, après un an d'activité, plus de 1 000 personnes. 79 % sont venus seuls, 9
% en couple sans enfants et 12 % en couple avec un ou des enfants.
Ces nouveaux arrivants proviennent pour moitié de la façade atlantique, et 16 % de l'étranger (Italie,
Suède, Angleterre, Espagne…). 40 % des personnes ayant indiqué leur type de contrat sont en
contrat à durée indéterminée, 30 % en contrat à durée déterminée et 30 % en intérim. Les trois quarts
viennent travailler pour la construction navale ou par intérim. Les métiers les plus représentés sont
ceux de soudeur (20 %), agent de maîtrise et chefs de chantier (8 %), ingénieurs et cadres (8 %),
tuyauteurs (7 %), charpentiers et charpentiers fer (7 %)…
Ces arrivants recherchent un logement rapidement, souvent temporaire. La cellule a trouvé des
solutions pour 500 personnes, les autres ont réussi à s'héberger en faisant appel à des agences ou à
d'autres intermédiaires. Pour celles qui ont eu un logement par la cellule, les hébergements
temporaires sont prégnants : 35 % sont en camping (et mobil-home), 20 % en hôtel, 22 % en
appartement ou maison meublée, 16 % en appartement ou maison non meublée.
85 % se sont logés dans les quatre communes situées dans un rayon de 10 à 15 kilomètres de Saint-
Nazaire : la ville même (38 %), Saint-Brévin, Pornichet et Saint-André-des-Eaux. Les plus éloignés
font un trajet quotidien d'environ 30 kilomètres (Savenay, Missillac, Frossay, Piriac, Saint-Molf).
72
Liquet (D.), “Le logement”, rapport CESR Pays de la Loire, Nantes, octobre 1998.
logements adaptés au dispositif d'alternance ou faute d'une politique de transport palliant la carence
en logements.
• Des "pénuries" parallèles
Il est donc constaté que dans les zones où il y a pénurie de logements, il y a des difficultés à recruter
par manque de candidats. Mais emploi et logement ont d'autres points communs. La demande de
logements comme celle d'emplois peut varier rapidement. Mais l'investissement en logements, comme
en compétences (formation), demande du temps ; c'est un investissement durable. Et construire trop
rapidement, comme former trop rapidement, donne un produit de qualité souvent médiocre qui se
dégrade rapidement.
Le demandeur de logement paie pour acquérir son bien. Le demandeur d'emploi est payé pour
effectuer un travail. Mais, en fait, il paie aussi, et d'autant plus cher qu'il sera plus exigeant. Pour
obtenir un emploi près de chez soi, il faut accepter soit de déménager (cela coûte), soit de changer de
métier (c'est un effort), soit d'attendre (payer en temps).
La programmation de la construction de logements prend en compte des éléments démographiques,
(combien de personnes, où) et des éléments de demande sociale. La qualité des logements évolue,
comme la demande de compétences. Un appartement sans douche est inconcevable, comme un
salarié ne sachant par lire 73. Pourtant les deux existent, mais leur valeur d'échange est fortement
dévaluée. Les incitations à construire des logements se succèdent au gré des ministres,
d'allègements fiscaux en aides personnalisées, et l'on remet régulièrement en débat les quotas de
logements sociaux comme, en formation, l'attention aux élèves en difficulté est à rappeler très
régulièrement. D'ailleurs, ces derniers habitent pour un grand nombre dans ces logements sociaux et
les zones d'éducation prioritaires recouvrent les zones d'urbanisation programmées.
Malgré tous les outils de prévision et les moyens budgétaires, il y a toujours des populations mal
logées, sinon à la rue, des logements de luxe qui restent vacants, et le cri de l'abbé Pierre en 1954 est
toujours d'actualité. Il y a toujours des chômeurs comme des emplois difficiles à pourvoir du fait de ces
difficultés de logement recensées.
La précarité de l'emploi gèle les velléités des chômeurs à se mobiliser pour reprendre des emplois
dont ils ne sont pas sûrs qu'ils seront durables. Cette même précarité n'incite pas les investisseurs à
répondre à des besoins de logements qu'ils estiment ponctuels. Des bassins d'emplois manquent de
logements, mais un investisseur privé n'ira pas risquer un investissement sur des logements qui
seront peut-être vacants trois ou quatre ans. Il n'investit que dans les villes renforçant par là même la
concentration de l'emploi.
La segmentation du marché du logement est parallèle à celle de l'emploi. Il existe des logements
disponibles mais de qualité médiocre (pas de douche, isolation défectueuse…), que refusent
d'accepter les populations "cibles" de la politique sociale, d'autres vides et corrects mais inoccupés
par refus de les louer. De même il existe des emplois vacants que refusent de prendre les chômeurs,
mais ils sont souvent à temps partiel, peu payés, avec des conditions de travail difficiles, et donc ne
sont pas pourvus.
Le transport
Les problèmes du transport sont paradoxalement plus difficiles à résoudre aujourd'hui qu'hier, malgré
des moyens de transport plus performants. Du temps des productions et des horaires standard, un
ramassage collectif était organisé par les usines pour les uns, des lignes de cars ou de trains
permettaient aux autres de rejoindre leur lieu de travail.
Depuis vingt ans, les lieux de travail se sont éloignés des lieux d'habitation, au point de faire de cette
question un élément central de la relation à l'emploi. Ce n'est pas la mobilité qui a diminué, c'est la
distance qui a augmenté ! Les résultats du recensement de 1999 montrent par exemple qu'en Pays de
la Loire, 74 un actif sur vingt travaillait en dehors de sa zone d'emploi, en 1999 il y en a un sur sept. La
notion même de zone d'emploi perd de son sens : dans les zones de Sarthe-Nord ou de
73
Pas dans les mêmes proportions : il y a 2,6 % de logements sans salle de bains, mais 5 à 10 %
d'illettrés (selon la définition retenue), INSEE, RP.
74
Colibet (M.) et Richard (J.-C.), “Habiter en périphérie et travailler au centre”, référence n° 33, INSEE
Pays de la Loire, Nantes, mars 2001.
Châteaubriant, plus de 30 % des actifs résidents travaillent dans une autre zone d'emploi. Ceci est
principalement dû à la concentration de l'emploi dans les villes. Dans les unités urbaines rattachées
aux cinq chefs-lieux de département de la Région, l'emploi a augmenté de 29 % depuis 1975. Le
nombre d'habitants ayant un emploi a certes crû de 12 % mais on recense 110 000 emplois de plus
que la main-d'œuvre résidente, soit 110 000 déplacements quotidiens de plus. Ce n'est pas "Paris et
le désert français" dont nous menaçaient les résultats de recensements des années soixante-dix,
mais c'est le désert quand même, autour des préfectures : 70 % des emplois se trouvent sur
seulement 10 % de l'espace régional.
Au niveau national, selon l'INSEE, 75 les migrants alternants sont de plus en plus nombreux : en 1999,
ils représentent 60,9 % des actifs ayant un emploi contre 52,3 % en 1990, et 46,1 % en 1982. Les
trajets qu'ils accomplissent pour se rendre à leur travail sont de plus en plus longs. En 1999, ils
travaillent dans une commune située en moyenne à 15,1 kilomètres à vol d'oiseau de leur domicile ;
cette distance moyenne était de 14,1 kilomètres en 1990, et de 13,1 kilomètres en 1982. Ceci est
encore plus vrai pour les zones rurales en 1999, plus de la moitié d'entre eux, soit près de 13 points
de plus qu'en 1990, sont des migrants alternants.
Alors que les distances augmentent, les horaires flexibles, les équipes qui se chevauchent du fait des
trente-cinq heures rendent plus difficile un transport collectif et font même parfois disparaître le
covoiturage. Les transports en commun ne sont plus organisés qu'en fonction des horaires scolaires.
Alors que les années cinquante étaient marquées par un ramassage d'ouvriers à la campagne pour
les amener en ville, on passe dans certains cas à des "collectes" en ville pour amener des travailleurs
à la campagne.
Des unités de transport plus petites (taxis collectifs), des lignes de transport prenant en compte les
besoins des salariés et reliant, dans les départements, les villes secondaires entre elles (et pas
seulement au chef-lieu, le centralisme parisien se reproduit au niveau départemental) formeraient les
bases d'une politique de transport facilitant l'emploi. Il est par exemple impossible d'utiliser les
transports en commun pour se rendre de La Flèche à Sablé, distants de 30 kilomètres, mais on peut
aller sans problème au Mans. La situation est la même entre Châteaubriant et Ancenis, par rapport à
Nantes.
C'est pourquoi la SAGEM va mettre en place des navettes entre Mamers et La Ferté-Bernard (30
kilomètres) pour pouvoir recruter des salariés au-delà de la zone de La Ferté, qui compte encore un
millier de demandeurs d'emploi, mais aucun candidat pour ses postes de montage électronique. En
Maine-et-Loire, le Comité d'expansion économique lance une étude, sur proposition de la Direction
régionale de l'industrie, pour analyser les besoins en moyens de transport des salariés et des
demandeurs d'emploi sur deux zones en difficulté de recrutement (Segré) ou en restructuration
industrielle (Mauges).
La Région Limousin, en partenariat avec l'ANPE, le PAIO, la DDTEFP de la Haute-Vienne et l'ASFO
Limousin, a fait le choix de déplacer les personnes dans le cadre d'une action de mobilisation-
préqualification aux métiers de l'industrie.
En effet, le bassin d'emploi de Bellac, situé dans le nord de la Haute-Vienne, ne connaît que deux
secteurs d'activité susceptibles de procurer un emploi et un revenu à des personnes qui souhaitent
rester sur place : l'agriculture et l'industrie (réseau de petites PME). La Région a mis en place des
actions courtes "délocalisées" mais il faut composer avec un habitat diffus et un réseau de transports
en commun qui ne couvre pas les besoins. La démarche adoptée par la Région Limousin est de
prendre en charge un système de navettes de ramassage (sur quelques sites de rassemblement,
dans un rayon d'une trentaine de kilomètres) des stagiaires pour les amener sur le lieu de formation.
Ce système est géré par l'organisme de formation "ASFO Limousin" qui loue un minibus et assure le
transport.
• Des prêts de véhicules
Des Missions locales et des PAIO ont développé des parcs de prêt de deux roues pour faciliter les
déplacements. La société Peugeot donne des scooters à de nouveaux embauchés (de la même
façon, un cran au-dessus, que des entreprises américaines offrent une voiture aux candidats qui
acceptent de venir travailler chez eux).
Sur le territoire de Saverne (Alsace), une plate-forme départementale d'aide à la mobilité, MOBILEX
(entreprise d'insertion de Haguenau, MOBIlité contre l'EXclusion), loue depuis novembre 1999 des
75
Talbot (J.), “Les déplacements domicile-travail", “INSEE Première”, n° 767, avril 2001.
cyclomoteurs pour 100 F par mois pendant trois mois, renouvelables une fois. MOBILEX s'appuie sur
un réseau de dépositaires qui maillent le territoire et assurent l'interface entre les bénéficiaires et les
structures d'insertion (Missions locales…). Cette offre s'élargit avec un service de location de voitures
(1 000 F par mois) et de transport à la demande en voiture. MOBILEX a pour objectif un parc d'une
centaine de mobylettes, en Moselle, Tremplin bleu a déjà un parc de 200 cyclomoteurs.
Trois actions similaires ont été mises en place en Limousin "Mob Job", "Mob d'emploi" et "Mobylité"
dans le cadre d'un dispositif d'aide à la mobilité qu'accompagne la Région. La durée moyenne de
location est de deux mois pour un coût moyen de 4 à 5 francs la journée. Le public utilisateur est
essentiellement masculin et âgé de moins de 26 ans. Le rayon de déplacement des personnes est en
moyenne de 15 kilomètres en zone urbaine et peut aller jusqu'à 25 kilomètres et plus en zone rurale.
• Des réductions pour le train
Des réductions sur les déplacements en train ont été consenties par le Conseil régional de Franche-
Comté en faveur des personnes résidant et travaillant en Franche-Comté sur des trajets TER compris
entre 75 et 100 kilomètres (75 % de réduction) et en faveur des demandeurs d'emploi sur des
déplacements liés à une recherche d'emploi grâce à un partenariat avec l'ANPE.
Sur le réseau TER, la Région Limousin a mis en place un système de réduction sur les déplacements
en train sous forme de "Chéquier vers l'emploi", de "Carte Limousin domicile-travail" et de "Carte
Limousin formation".
La "Carte Limousin domicile-travail" a été mise en place le 1er février 1999 et permet de bénéficier
d'une réduction allant jusqu'à 75 % sur les trajets domicile-travail. Elle concerne toute personne
salariée résidant dans la région Limousin et se déplaçant entre son lieu de résidence et son lieu de
travail pour un trajet dont la distance est comprise entre 76 kilomètres et 159 kilomètres.
La "Carte Limousin formation" concerne les stagiaires de la formation professionnelle qui suivent une
formation en continu d'au moins un mois, avec un rythme hebdomadaire de vingt heures minimum (les
stagiaires doivent répondre à certaines conditions de rémunération). C'est un dispositif financé par la
Région Limousin qui permet aux stagiaires de la formation professionnelle de bénéficier d'une
réduction de 80 % sur le réseau TER Limousin pour les trajets domicile-lieu de formation (centre) puis,
le cas échéant, vers l'entreprise d'accueil.
• Un car pour la récolte des fruits en Maine-et-Loire
Le Conseil général du Maine-et-Loire, en concertation avec le Service public de l'emploi, a mis en
place un système de cars pour relier les villes du département aux exploitations arboricoles pour la
cueillette des fruits. En effet, les arboriculteurs du département ne trouvaient pas de personnel
(saisonnier, environ trois mois) pour récolter les pommes et poires, alors que les chômeurs sont
nombreux à Angers ou Cholet. Après une préparation de plusieurs mois, des tournées ont été
organisées, avec des lieux de ramassage bien identifiés, un accompagnement par des travailleurs
sociaux dans les cars et au cours de la journée.
De nombreux partenaires se sont retrouvés autour de ces objectifs et ont mis en œuvre une logistique
ainsi qu'un accompagnement social avec :
- quatre cars pour le transport des salariés vers les vergers du département depuis les villes d'Angers,
Cholet et Saumur ;
- une mise en œuvre de l'opération en direction des personnes les plus en difficulté, comme les
bénéficiaires du RMI, les demandeurs de longue durée, les jeunes du dispositif TRACE, les détenus
en liberté conditionnelle... ;
- le recrutement de quatre "chargés d'insertion" pendant trois mois et demi avec pour mission la
préparation des saisonniers, leur suivi, l'aide à leur insertion durable et la médiation avec les
employeurs. Après leur départ, ce sont les conseillers ANPE, dans le cadre de la mesure
"accompagnement”, qui ont pris le relais.
Suite à un appel à candidatures en mars 2000 et compte tenu du nombre de cars financés et des
contraintes de trajet, 11 vergers ont été retenus sur 18 intéressés. Au final, 9 vergers ont été
desservis. 314 demandeurs d'emploi ont été recrutés, dont 108 bénéficiaires du RMI (soit plus de 34
%). 81 personnes, soit 25 %, ont effectué toute la cueillette et 52 % ont travaillé au moins durant trois
semaines. Les femmes représentaient 40 % des recrutements. L'éventail des âges allait de 16 à 65
ans. Neuf personnes étaient en liberté conditionnelle.
Ce dispositif ayant déjà été mis en place pendant la saison 1999, une dizaine de problèmes avaient
été listés et, pour nombre d'entre eux, une solution a pu être trouvée pour ce dispositif 2000, sauf par
exemple la garde des enfants, du fait de l'absence de structures d'accueil et d'assistantes maternelles
en horaires décalés. Cinq solutions seulement ont été trouvées sur 29 demandes.
Les employeurs sont unanimes pour le renouvellement de l'opération en 2001, pour certains d'entre
eux les saisonniers du "car" ont représenté au moins 50 % de leur effectif. Mais, au-delà de l'accès au
contrat saisonnier, l'enjeu était aussi d'enclencher une dynamique devant permettre une insertion plus
durable. Quinze jours après la fin de la saison pour Saumur et un mois après pour les autres sites, sur
205 saisonniers suivis, la moitié était en recherche d'emploi, près d'un quart en emploi, et 11 % en
formation. Cette opération a coûté au total (transports et accompagnement) 586 000 francs, soit 1 866
francs par bénéficiaire.
• Déplacer les personnes ou les entreprises ?
La mobilité apparaît pour certains comme le sésame de l'emploi : "déplacez-vous et vous trouverez
un travail !". Il est vrai que ceux qui acceptent de se déplacer trouvent plus facilement un emploi, mais
ce peut être dû autant à leur équation personnelle qu'au déplacement lui-même. La capacité à se
déplacer dépend de multiples facteurs, de contexte et de personne.
Les caractéristiques des personnes les plus observables sont celles du niveau d'étude (plus le niveau
est avancé, plus on accepte de bouger) et du métier choisi (certains métiers sont culturellement
nomades, comme les soudeurs ou les compagnons du bâtiment, d'autres sédentaires comme les
aides maternelles). Une troisième dimension est celle des rapports entre la personne et le contexte,
nous entendons par là les conditions d'emploi et en particulier le rapport salaire/déplacement. Un
salaire faible, et qui plus est un salaire faible à temps partiel, n'incite pas à effectuer le déplacement
quotidien de 10, 20 ou 50 kilomètres. C'est le problème récurrent des industries de l'habillement ou de
l'agro-alimentaire par exemple.
L'enquête menée pour le PLIE Sud-Loire donne quelques éléments sur l'acceptabilité des
déplacements pour les chômeurs : la grande majorité ne tolère qu'un déplacement inférieur à 15
kilomètres (on se situe dans la banlieue sud de Nantes).
La distance domicile-travail des salariés de l'agro-alimentaire des Pays de la Loire en 1996 est même
inférieure à ce chiffre, soit 13,8 kilomètres. Cette distance varie de 5,7 kilomètres dans le bassin
d'emploi d'Azé (Mayenne, 660 salariés) à 15,9 kilomètres dans le bassin de Saint- Barthélémy-d'Anjou
(Maine-et-Loire, 1 400 salariés) 76.
La proximité est encore plus forte pour les apprentis. La distance moyenne entre le domicile et
l'entreprise des apprentis des Pays de la Loire est de 9,8 kilomètres en moyenne, et 33 % ont trouvé
leur entreprise d'apprentissage dans leur commune, 47 % dans leur canton. La distance varie de 6,2
kilomètres pour les métiers du bâtiment à 14,4 kilomètres pour ceux de l'hôtellerie-restauration. L'effet
niveau a pu également être mesuré : les apprentis suivant une formation de niveau IV (bac) sont à 60
% à l'extérieur de leur canton d'origine 77.
De leur côté, des employeurs se refusent à embaucher des candidats trop éloignés de leur zone,
craignant qu'ils ne les quittent à la première occasion venue. C'est une pratique commune des
entreprises de l'agro-alimentaire : à Saint-Julien, 30 kilomètres de Nantes, il est difficile de se faire
embaucher si l'on vient de la ville, à La Ferté-Bernard - 30 kilomètres du Mans - l'abattoir ne veut pas
de candidats de la ville des "24 Heures".
Faire venir des salariés pose des problèmes de transport que les entreprises peuvent résoudre par
une "collecte" organisée, comme le fait Citroën à Rennes. Cela augmente le temps d'absence de chez
soi, donc le temps de garde des enfants pour les jeunes parents.
Certains posent donc la question inverse : ne faut-il pas étudier le déplacement des usines vers les
bassins de main-d'œuvre, plutôt que de vouloir déplacer la main-d'œuvre vers les usines ? Ce serait
reprendre ainsi la dynamique de l'économie de district, telle qu'elle est développée dans la Plastic
Vallée à Oyonnax ou dans le nord-est de l'Italie 78.
76
Colbert (M.), in “L'emploi en Pays de Loire”, INSEE Pays de la Loire, DADS, Nantes, 1999.
77
Delacourt (C.), INSEE, référence n° 27, septembre 1999.
78
(2) "L'économie de district", n° 254, “Futuribles”, juin 2000.
La coordination des acteurs locaux
Nous traiterons de ce thème à l'occasion de quelques actions illustratives des démarches engagées,
mais nous pourrions aussi développer les nombreuses conventions de partenariat passées par
l'ANPE et les forums "emploi" menés par cet établissement.
• Des maisons communes
à La Roche-sur-Yon, sept organismes d'insertion et de formation se sont rassemblés en janvier 2000
sur un même lieu, avec l'appui de la municipalité, dans un ancien collège rénové pour l'occasion. On y
trouve le Centre information jeunesse, la Mission locale, un organisme de formation Clé, l'AVFI
(Association vendéenne pour la formation et l'insertion), le PLIE, l'ADEPY (Agence pour le
développement du pays yonnais), le CIBC et l'équipe départementale d'insertion de l'ANPE.
Au sein d'une friche industrielle, une dizaine d'organismes ont créé une Maison de l'économie, de
l'emploi et de la formation. On y trouve sur 4 000 mètres carrés les principaux services et acteurs du
développement local, c'est aussi le siège du Club de l'économie, de celui des créateurs d'entreprise,
du collectif des techniciens "territorialisés" sur le secteur (la DDTEFP, l'ADIRA…), des agents de
développement des communes. C'est aussi, et encore, une pépinière d'une dizaine d'entreprises.
Les services présents
De la récurrence
à la prospective
Cette dernière partie, qui peut se lire comme la conclusion de l’ouvrage, développe son sous-titre “se
souvenir pour prévoir”. Les difficultés de recrutement ne sont pas un phénomène que l’on découvre
aujourd’hui. Il y a dix ans, nous connaissions une situation qui n’était pas si éloignée de celle que
nous connaissons en ce moment. Il faut donc s’interroger sur sa récurrence. Notre réflexion dans un
premier temps se fonde donc sur l’analyse des réponses apportées en d’autres périodes identiques et
sur les enseignements que l’on peut en tirer aujourd’hui. L’analyse des causes n’a guère changé et
les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Cependant la situation actuelle n’est pas
identique. En raison du fait de l’accélération dès 2005 des départs en retraite, il est possible d’affirmer
que les difficultés de recrutement sont plutôt devant nous. Savoir y répondre demande une politique
structurelle forte, avec des ajustements locaux et des partenariats noués à tous les niveaux. D’autre
part, l’observation ne montre pas d’évolution nette dans les modes de recrutement alors que les
comportements de la main-d’œuvre ont changé. Analyser l’activité de travail et les changements dans
les procédés de production est une activité difficile à mener. Faute de bien l’appréhender, trop
d’employeurs traduisent leur recherche de savoir-faire en une exigence de niveaux élevés de
qualifications. De nouvelles pratiques de recrutement sont nécessaires. Enfin, s’il est certain que dans
toute l’Europe, comme en France, il existe des difficultés de recrutement, elles sont perçues de
manière bien différente selon les pays. Une différence importante est à relever entre les pays qui ont
fait le choix “adéquationniste”, c’est-à-dire qui considèrent que la formation initiale doit se coller au
plus près des attentes des entreprises et ceux qui se placent dans une perspective “constructiviste”.
Pour cette seconde approche, les qualifications ne se construisent pas en dehors de la production au
sein de l’appareil éducatif mais dans l’exercice du travail et tout au long de la vie professionnelle. La
perception d’une éventuelle pénurie de compétences est alors bien différente. Cette approche nous
invite à relativiser les débats franco-français et à changer nos représentations.
Les difficultés de recrutement :
un regard sur le passé 79
Les difficultés de recrutement ne sont pas un phénomène que l’on découvre aujourd’hui. Il y a dix ans,
nous connaissions une situation qui n’était pas si éloignée de celle d’aujourd’hui. Certains affirment
qu’elles sont aussi vieilles que la révolution industrielle 80.
Il y a une douzaine d’années, le cabinet du ministère du Travail s’était adressé à Bernard Brunhes
Consultants parce qu’un certain nombre de symptômes avait été constatés sur le marché du travail.
Ces symptômes étaient sans doute proches de ceux que l’on constate aujourd’hui. Notamment,
l’indicateur de conjoncture tiré des analyses de l’INSEE montrait que les entreprises subissaient de
nombreuses difficultés dans leur recrutement. En effet, les données issues de l’enquête trimestrielle
de conjoncture réalisée par l’INSEE auprès des entreprises industrielles montrait que près de 45 %
des entreprises interrogées répondaient positivement à la question “Éprouvez-vous des difficultés de
recrutement ?”.
Au-delà de ce constat statistique, de nombreux autres phénomènes que l’on peut aujourd’hui observer
avaient déjà été relevés à ce moment-là comme les difficultés de recrutement dans des métiers
considérés comme peu attractifs (métiers de la mécanique, chaudronnerie ou le décolletage par
exemple) ainsi que les offres d’emploi pour des postes d’opérateur.
Dans ce contexte, la préoccupation du ministère du Travail était la suivante : “Comment dans un
contexte de chômage élevé avec une tendance à l’augmentation du chômage des difficultés de
recrutement peuvent-elles se développer ?”. Il s’agissait donc de comprendre la réalité de ces
difficultés.
Plutôt que de se lancer dans un travail de nature quantitative sur les besoins en main-d’œuvre de telle
ou telle branche ou de tel ou tel secteur, l’optique prise par l’étude a été d’ouvrir une réflexion
qualitative en allant dans les entreprises qui déclaraient avoir des difficultés de recrutement et afin de
bien comprendre la nature des problèmes rencontrés 81. En effet si des enquêtes statistiques étaient
réalisées à l’échelle de bassins d’emploi, il semblait important d’en vérifier les résultats. Ainsi des
travaux qui faisaient apparaître des besoins en main-d’œuvre dans une proportion importante, une
fois la comparaison faite avec les recrutements réellement effectués l’année précédente montraient
clairement que le volume des intentions de recrutement des entreprises était doublé, voire triplé par
rapport aux recrutements effectifs. En réalité, les besoins déclarés étaient sans commune mesure
avec les pratiques de recrutement positives. Par ailleurs, rien n’était dit sur la nature des difficultés de
recrutement rencontrées. Ces difficultés peuvent résulter aussi bien de l’absence de candidats
disposant de la qualification requise pour occuper les postes disponibles que de l’absence de moyens
de transport public à proximité de l’entreprise ou d’un niveau de salaire insuffisamment attractif.
Les entreprises ont en effet toujours des besoins de main-d’œuvre dès lors qu’il s’agit de recruter des
personnes très bien formées, très qualifiées, peu payées et acceptant n’importe quelles conditions de
travail. Trois bassins de main-d’œuvre 82 ont été retenus (bassin d’Annecy, de Cholet et de
Compiègne) et des entretiens dans les entreprises ont été réalisés.
79
Ce chapitre s’appuie sur la contribution de Vincent Merle, "10 ans après, les enseignements des
années 90".
80
Arnaud du Crest, "Chômage paradoxal et difficultés de recrutement" in "Les pénuries de main-
d’œuvre", "Futuribles", n° 254, juin 2000.
81
“Difficultés de recrutement et gestion locale de l'emploi”, Bénédicte Henry, Vincent Merle et Nathalie
Weil, notes de la Fondation Saint-Simon, décembre 1990.
82
Les trois bassins de main-d'œuvre retenus présentaient des caractéristiques communes : bassins
structurés autour d'une ville moyenne, activité économique diverse, tissu relativement dense de
petites et moyennes entreprises industrielles, offre de formation relativement abondante.
Il est possible de retenir de cette investigation, qui date d’une dizaine d’années trois types
d’enseignement qui peuvent être une grille de lecture pour analyser les difficultés de recrutement que
l’on rencontre de nouveau aujourd’hui.
Le premier enseignement est tiré du constat que les difficultés de recrutement des entreprises ne
portaient pas sur les postes les plus élevés. Ces dernières parvenaient en effet à anticiper les besoins
grâce à la construction de relations avec le système éducatif, qui permettaient de pourvoir les postes
élevés dans les meilleures conditions possibles. Les difficultés de recrutement existaient certes dans
ces segments mais elles étaient connues, repérées et anticipées. En revanche sur des postes
d’opérateurs qualifiés, voire des postes d’opérateurs peu qualifiés, les difficultés étaient réelles. Le
besoin le plus souvent exprimé était celui d’ouvriers qualifiés de niveau CAP ou BEP et, dans certains
cas, de niveau bac professionnel. Cette demande d’ouvriers qualifiés concernait une très large
gamme de métiers et, plus particulièrement, la métallurgie et la mécanique (tourneurs, fraiseurs,
chaudronniers, mécaniciens de précision…) et, d’une manière plus générale, tous les emplois
d’opérateurs sur machines ou lignes automatisées (menuisiers industriels, décolleteurs…).
L’intérêt de l’étude résidait dans le fait que l’analyse des postes à pourvoir pouvait être menée de
manière fine. Dans la plupart des cas, les difficultés de recrutement concernaient des postes que les
recruteurs avaient eux-mêmes beaucoup de mal à décrire. Remarquons au passage que cette
difficulté à exprimer la nature exacte de leurs besoins de la part des entreprises lorsqu’elles procèdent
à des recrutements est récurrente (nous le reverrons dans le chapitre suivant cette partie). Les
dénominations traditionnelles de métier coïncident de moins en moins avec le profil des postes tels
qu’ils se recomposent lors de l’introduction d’innovations technologique ou organisationnelles.
Illustrons notre propos par un exemple.
Le bassin du Choletais
Dans une entreprise dans les environs de Cholet, fabriquant des meubles en petite série, le responsable des
ressources humaines se plaignait de ne pas trouver des opérateurs avec un niveau bac Pro, voire BTS. Selon lui,
ce niveau était nécessaire dans la mesure où les futurs opérateurs devraient intervenir sur des machines très
automatisées. En cherchant à obtenir plus de détails sur la réalité des postes, il s’est avéré que le directeur des
ressources humaines connaissait mal la nature des postes à pourvoir. Afin de mieux définir la nature des postes
à pourvoir, le chef d’atelier a été sollicité. Sa bonne connaissance du travail au quotidien lui a permis de tenir un
discours très différent. D’après lui, les postes exigeaient de bons CAP, mais sûrement pas des BTS. Même une
personne n’ayant ni CAP, ni bac Pro mais ayant travaillé chez un menuisier pour monter des bibliothèques ou des
escaliers, aurait parfaitement convenu. Ainsi, il faut constater que le directeur des ressources humaines
appréhendait fort mal le type de savoir-faire exigé et, faute de le bien appréhender, il le décrivait par un niveau.
Ce constat se retrouve également dans les autres bassins d’emploi analysés. Les entreprises
réagissaient de manière diverse pour répondre à ces difficultés. Certaines procédaient à l’analyse des
activités de travail et s’efforçaient de construire avec les acteurs locaux des réponses appropriées.
Ces premières déclaraient avoir des difficultés mais avouaient aussi savoir y remédier. D’autres au
contraire anticipaient peu sur leurs besoins, n’avaient pas modifié leurs pratiques de recrutement et se
plaignaient de ne plus trouver la main-d’œuvre qu’elles trouvaient jadis facilement.
Le deuxième constat porte précisément sur la rapidité avec laquelle certains comportements se sont
modifiés à la faveur du changement de conjoncture. Les modifications de comportement ont été plus
rapides du côté de la main-d’œuvre que du côté des entreprises.
La modification du comportement de la main-d’œuvre s’est traduite par le fait que les jeunes arrivant
sur le marché du travail, ont utilisé l’intérim comme un tremplin professionnel. En effet, les agences
d’intérim leur proposaient des postes quand ils le voulaient. Ils ont pu ainsi continuer à construire leur
qualification grâce à l’expérience qu’ils ont acquise par l’occupation successive de postes différents.
De plus, au moment où ils ont trouvé une entreprise qui, selon leurs dires, leur offrait une bonne
ambiance de travail et une bonne rémunération, ils se sont fixés. Ces mécanismes de rotation qui se
sont développés à la faveur d’une meilleure conjoncture, ont surpris totalement les employeurs.
En revanche du côté des entreprises, l’adaptation des comportements ne s’est pas faite aussi
rapidement. Pour celles qui avaient conscience que leurs difficultés à recruter pouvaient durer, elles
se sont engagées dans une stratégie à la fois de fixation de leur main-d’œuvre en offrant notamment
des perspectives d’évolution professionnelle et de construction des qualifications, en particulier des
qualifications des personnes qu’elles embauchaient, par le biais de parcours d’insertion. Ainsi ont-
elles développé des formations en alternance, des action de tutorat ou plus généralement,
d’accompagnement de jeunes afin que ces derniers puissent maîtriser des situations de travail
relativement complexes. Ce qui était exigé pour les postes en question n’était pas forcément un
niveau d’étude élevé mais une capacité de réactivité face aux situations réelles, une capacité à gérer
un certain niveau de complexité. Cette exigence provenait du fait que les procédés de production
avaient changé. C’est une leçon forte à tirer de ces constats : faire face aux difficultés de recrutement
revient souvent d’abord à examiner les réalités des activités de travail à la lumière des transformations
du process de production, réalités qui induisent de petits changements dans les compétences de la
main-d’œuvre réellement attendues. Or, ces petits changements sont très difficiles à appréhender lors
des processus de recrutement.
D’où peut-être le succès de certaines méthodes de recrutement comme celle des habiletés utilisée
assez couramment par l’ANPE qui n’est sûrement pas la panacée, mais qui a le mérite de partir d’un
diagnostic précis de la réalité du poste à pourvoir et de concevoir des procédures de recrutement
directement adaptées à ce type de postes.
Le dernier enseignement fait à l’époque résidait dans le fait que les différents acteurs du marché du
travail se trouvaient en désarroi face aux difficultés de recrutement des entreprises. Une première
raison de ce désarroi tenait au fait que les entreprises demandaient des formations plus performantes.
Or, les réponses apportées par les formations existantes n’étaient pas adaptées aux nouvelles
exigences des entreprises. Nous avons tous en tête les échecs relatifs des diverses tentatives de
formation montées après une étude statistique pour certains types d’emploi : sur les trente ou
quarante personnes formées, aucune n’était placée car la réponse ne consistait pas en une formation
toute faite mais au contraire en une construction progressive de la qualification des salariés
concernés.
Une deuxième raison correspondait aux difficultés des acteurs locaux à travailler entre eux. Entre
ceux qui étaient susceptibles d’apporter un constat approfondi sur les besoins et ceux qui étaient
susceptibles de travailler sur la demande d’emploi, en particulier sur les compétences réellement
détenues par les demandeurs d’emploi, et ceux qui étaient capables de travailler dans une ingénierie
de formation sur des compléments de compétences et de connaissances à apporter, le lien se faisait
fort peu. Si aujourd’hui il existe des habitudes de travail entre les acteurs qui ont été prises, ces
relations constituent toujours un des défis importants pour la population des opérateurs qualifiés ou
semi-qualifiés. Pour cette catégorie en effet, on ne peut manifestement pas répondre uniquement en
termes d’adéquation entre des flux provenant du système éducatif et les besoins déclarés par les
entreprises.
La troisième raison est constituée par la difficulté d’analyser réellement les activités de travail
proposées. De ce point de vue, les nomenclatures, aussi bonnes soient-elles, laissent échapper une
partie de la réalité. Des études montrent que, quelle que soit la qualité de la formation initiale, la
question de l’adaptation des personnes formées aux réalités des postes de travail, notamment dans
les petites et moyennes entreprises, est éminemment complexe et demande de la part des
entreprises un investissement lourd. Il convient donc d’examiner très finement la réalité des postes de
travail.
Même si la situation a évolué depuis dix ans, les constats effectués alors sont encore globalement
d’actualité. Ainsi en ce qui concerne le renversement des comportements, on a parlé récemment des
difficultés que rencontrent les entreprises qui embauchent des télé-opérateurs. Tant que le chômage
était élevé, ces entreprises n’ont eu aucune difficulté à trouver des jeunes en cours d’étude ou de
jeunes travailleurs qui, faute d’autre emploi, acceptaient celui de télé-opérateur. L’amélioration de la
conjoncture et l’espoir de trouver un emploi offrant de meilleures conditions de travail ont détourné ces
jeunes de ce secteur. On a alors parlé de pénurie de main-d’œuvre peu qualifiée. Mais en réalité, il
faut constater une adaptation de comportement de la main-d’œuvre à la conjoncture.
De la même façon, l’inertie des comportements des entreprises mérite d’être aujourd’hui soulignée.
Dès lors que les entreprises se sont habituées à une abondance de main-d’œuvre, l’adaptation de
leurs comportements à un changement de conjoncture est malaisée : il faut qu’elles apprennent à
recruter différemment, qu’elles apprennent à construire les qualifications des salariés d’une autre
façon.
Enfin, tout ce qui a pu être dit ou suggéré tant sur la difficulté d’appréhension de la nature des
compétences réellement demandées que sur la nature de la complexité des activités de travail, peut
être appliqué à bien des égards, à des entreprises qui aujourd’hui rencontrent des difficultés de
recrutement.
Cela étant dit, la situation actuelle n’est pas exactement identique.
En premier lieu, elle aura des répercussions sur plusieurs mois, voire sur plusieurs années. Ce facteur
change incontestablement la nature des problèmes. Il est possible que des difficultés d’ajustement
local trouvent petit à petit leur solution parce que les acteurs vont apprendre à les résoudre. Mais
sachant qu’il existe dans certains métiers des déficits de spécialité qui sont des déficits durables, les
réponses à apporter relèvent de politiques structurelles importantes.
En second lieu, il existe des métiers dans lesquels il y a de réelles pénuries de qualification. Nous
avons dès lors tout intérêt à ne pas reconduire le raisonnement que nous avons tenu il y a dix ans et à
mener des études quantitatives afin de savoir dans quels métiers et dans quels secteurs se situent les
difficultés de recrutement.
Chaque période de tension sur le marché de l’emploi fait resurgir les mêmes constats, les mêmes
débats, les mêmes craintes concernant l’insuffisance de qualification de la main-d’œuvre,
l’inadéquation entre le système éducatif et le système productif, l’existence d’une frange de la
population qui serait “inemployable”.
Si les difficultés sont réelles, il convient de relativiser les discours alarmistes car des solutions sont
possibles et il est imaginable de construire ensemble des réponses à ces difficultés. Quelques pistes
peuvent être citées en réactualisant les axes déjà dégagés à l’époque.
En premier lieu, il reste un problème majeur qui est celui de favoriser le retour à l’emploi des
personnes les moins qualifiées. Tous les efforts accomplis de ce point de vue peuvent contribuer au
rapprochement entre ceux qui sont encore au chômage aujourd’hui, et les emplois disponibles. Citons
par exemple le plan national d’action pour l’emploi, les efforts que mettent en œuvre l’ANPE et
l’UNEDIC à travers de nouvelles conventions UNEDIC, la mise en place des bilans de compétences
ou encore la validation des acquis. La leçon des enquêtes de la fin des années quatre-vingt est qu’il
n’existe pas de personne inemployable. En effet, les personnes au chômage sont susceptibles
d’occuper les emplois qui se créent à des niveaux peu élevés, moyennant toutefois un parcours de
formation adapté. Si l’on entend souvent dire que la population active française n’est pas au même
niveau que la population active d’autres pays de l’OCDE, il faut relever que si les jeunes sortent de
plus en plus formés du système éducatif, la population active adulte présente, quant à elle, un peu
plus de 35 % d’adultes qui n’ont pas dépassé le niveau du CAP. Pourtant, il faut également affirmer
que cette population a souvent une expérience professionnelle longue et riche qui mérite d’être
reconnue notamment par la validation des acquis. Cependant elle a néanmoins besoin d’un
accompagnement pour pouvoir occuper des emplois qui, sans exiger une qualification élevée,
recouvrent une complexité importante exigeant une capacité d’adaptation particulière à laquelle ces
personnes peuvent être préparées.
En second lieu, l’ébauche de stratégie qui consiste à tenter de fixer la main-d’œuvre et de jouer sur la
flexibilité interne est essentielle. Le problème ne réside pas seulement dans le fait que certains
métiers ne sont pas attractifs mais également dans le fait qu’il n’existe pas de possibilité de
progresser professionnellement au sein des entreprises lorsque l’on y entre par ces métiers-là. Si l’on
peut essayer de rétablir l’image d’un certain nombre de métiers, il semble que l’offre de perspectives
de carrière permet également d’attirer des jeunes vers ces métiers peu attractifs. Les méthodes de
recrutement doivent donc être repensées comme l’y invite le chapitre suivant de cette partie.
Enfin, il importe de donner plus de lisibilité aux compétences. Ce qui se met en place avec la
validation des acquis de l’expérience semble de ce point de vue essentiel. De même, les négociations
entre les partenaires sociaux sont importantes car elles vont permettre de construire des parcours
personnalisés de formation. Cette expérience de parcours de formation semble être une réponse à
long terme aux difficultés de recrutement. Nous pensons plus précisément à des expériences qui sont
soutenues par le secrétariat d’État à la formation professionnelle et qui répondent à la double
préoccupation de lutte contre le chômage de longue durée et de lutte contre les difficultés de
recrutement.
En Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), le Conseil régional s’est engagé avec d’autres acteurs pour
essayer de qualifier la main-d’œuvre saisonnière dans l’hôtellerie et le tourisme. Les entreprises de ce
secteur se plaignent des difficulté de recrutement. Elles ont en effet du mal à attirer des jeunes parce
que ces derniers, mêmes formés, ne veulent pas travailler dans ce secteur ou l’abandonnent très vite
faute de conditions de travail satisfaisantes. Les professionnels sont conscients qu’il faut améliorer les
conditions de travail mais il faut aussi permettre à ceux qui, à un moment donné de leur vie
professionnelle, rejoignent ce secteur de s’y construire une vraie qualification. Le projet mené en
PACA consiste de proposer aux gens de se former entre deux saisons ou entre deux contrats et
d’acquérir progressivement par des formations complémentaires et par la validation des acquis, une
qualification reconnue par la profession. La fixation de la main-d’œuvre sera alors plus aisée dans la
mesure où elle aura trouvé l’occasion de se construire, grâce à ces procédures, un vrai métier au sein
du secteur.
La période n’est donc pas tout à fait la même et il convient de réagir à une situation qui est durable et
à laquelle il faut trouver des réponses structurelles. En élevant le niveau global de qualification de la
main-d’œuvre sans négliger des ajustements locaux et des actions entre partenaires locaux, il est
possible d’apporter une réponse efficace aux difficultés de recrutement. Derrière un certain nombre de
plaintes émises par les entreprises, il existe une réelle difficulté à œuvrer ensemble pour trouver des
solutions pratiques à des problèmes qui ne sont pas insurmontables.
Les modes de recrutement :
des biais de sélection 83
Il s’agit dans ce chapitre de lier les difficultés de recrutement aux comportements des recruteurs, à
leur façon d’évaluer la qualité du travail. Il ne s’agit pas d’expliquer par là l’ensemble des problèmes
mais de pointer des facteurs structurels qui sont fréquemment omis. L’accent est mis dans ce chapitre
sur les comportements de demande de travail, et non sur les comportements d’offre. L’argument
développé peut se résumer ainsi. Il existe de la part des recruteurs une tendance à des
comportements de sur-sélection qui créent à la fois des problèmes de chômage et des problèmes de
pénurie de main-d’œuvre.
Cette approche prolonge les analyses des économistes qui imputent le chômage des non qualifiés
soit :
- à des “biais technologiques” 84 : les nouvelles technologies sont plus exigeantes en termes de
compétences, de niveau de formation... Leur développement conduit donc à un repli de l’emploi des
non qualifiés, ce qui explique que le chômage de cette catégorie de main-d’œuvre ait crû plus
rapidement au cours de la crise de l’emploi que celui des qualifiés ;
- à des “biais organisationnel” : les nouvelles méthodes de gestion, caractérisées par une coordination
“horizontale” (raccourcissement des lignes hiérarchiques, responsabilité accrue des opérateurs),
réduisent l’emploi des non qualifiés, du fait des responsabilités accrues confiées à l’ensemble des
opérateurs.
Dans l’approche développée ici, les “biais de sélection” consistent à sur-sélectionner la main-d’œuvre,
c’est-à-dire à privilégier exagérément (d’où l’expression de “biais”) les personnes les plus qualifiées
lors des recrutements. Quelles sont les causes à de tels biais ? Si les facteurs technologiques et
organisationnels qui viennent d’être mentionnés jouent, il ne faut pas laisser de côté d’autres causes.
En premier lieu, il est clair que l’existence d’un chômage de masse a joué un rôle fondamental et bien
connu. Disposant en permanence d’une grande abondance de candidatures, les recruteurs (et pas
seulement les recruteurs privés, c’est le cas également des concours de la fonction publique) ont eu
tendance naturellement à relever leurs exigences. La nouvelle conjoncture du marché du travail, si
elle se confirme, devrait induire d’autres comportements, comme on l’observe déjà. Mais trois types
de problèmes permanents comme les problèmes d’information, de valeurs et d’équité dans
l’évaluation du travail, qui sont susceptibles, indépendamment de l’état de la conjoncture (même s’ils
sont aggravés par une mauvaise conjoncture) de créer des biais de sélection, sont à regarder.
Ces problèmes sont relativement clairs car bien étudiés par la littérature économique. Un défaut
d’information peut entraîner des “biais de sélection”. L’exemple le plus frappant est ce que les
économistes appellent la “discrimination statistique”. C’est un mécanisme cognitif très simple. Quand
l’information est coûteuse à obtenir, l’évaluateur a tendance à se fier, pour sélectionner les candidats,
à des données immédiatement observables telles que la race, le genre, l’âge, la durée de chômage...
qu’il croit corrélées à la qualité du travail. D’où l’enclenchement de processus qui peuvent ainsi
expliquer la persistance du chômage de longue durée. En effet, le recruteur a tendance à croire qu’un
chômeur de longue durée est moins compétent qu’un chômeur de plus courte durée, soit parce qu’il
pense que le chômage a dégradé ses compétences, soit encore parce qu’il pense que les évaluateurs
précédents ont détecté des failles dans les compétences, ce qui explique l’insuccès des tentatives de
la personne pour retrouver un emploi. On voit que ces façons de faire sont proches de l’irrationalité :
elles relèvent d’une attitude mimétique, chacun pensant que les autres ont plus d’informations et donc
adoptent le même comportement. Ces problèmes informationnels liés au coût de l’information, à la
83
Ce chapitre s'appuie sur la contribution de François Eymard-Duvernay, “Chômage et pénuries de
main-d’oeuvre : le biais de sélection”.
84
Nathalie Greenam, “Innovation technologique, changements organisationnels et évolution des
compétences”, “Économie et Statistique”, n° 298,1997.
pénurie de l’information vont créer des biais d’évaluation qui ont des conséquences sociales très
importantes et qui vont aussi rejeter vers l’inemployabilité des catégories entières de personnes, ce
qui va créer des pénuries de main-d’œuvre artificielles. Par conséquent, il est nécessaire d’introduire
et de développer des institutions qui réduisent les coûts d’acquisition de l’information. Parmi ces
institutions, il y a en particulier les intermédiaires publics et privés du marché du travail.
L’évaluation d’un salarié, que ce soit un candidat à un emploi ou un salarié dans une entreprise, est
conditionnée par une conception de ce qu’est un bon travail. Un bon travail n’est pas une donnée de
la nature (on ne pourrait classer les salariés par niveau de compétence de même que l’on mesure leur
taille avec un mètre) mais une affaire de conventions. C’est-à-dire que l’ensemble des acteurs
s’accordent à un moment donné pour dire qu’un bon travail, c’est un travail qui obéit à certaines
caractéristiques. Parmi les conventions (que l’on appelle des conventions de compétence), il y a en
premier lieu les règles de classification des emplois construites par les conventions collectives
sachant que les conventions varient d’une entreprise à l’autre, d’un pays à l’autre, et évoluent dans le
temps. Par conséquent, la compétence d’un salarié telle qu’elle est évaluée par la société n’est pas
une donnée fixe, qui serait mesurée en tous temps et en tous lieux de la même façon. Beaucoup de
travaux ont montré l’émergence d’une nouvelle convention de compétence depuis les années
soixante-dix 85. Cette nouvelle convention, que l’on rattache en général à la “logique compétence” 86
est liée à des transformations très profondes des modes de gestion de l’entreprise. Il est possible de
résumer ces évolutions de façon très succincte en disant qu’il y a un passage de l’entreprise institution
à l’entreprise réseau ou interaction.
Pour clarifier cette proposition, il est nécessaire de faire un petit détour par une typologie
d’entreprises, construite à partir de deux paramètres : le degré de planification des compétences
(opposition entre planification et négociation des compétences) et le degré d’individualisation des
compétences (opposition entre individualisation des compétences et inscription des compétences
dans des collectifs) 87. Ces deux paramètres permettent de caractériser, par leur croisement, quatre
types d’entreprise, chaque type correspondant à une convention de compétence :
• L’entreprise institution (planification des compétences et inscription des compétences dans des
collectifs)
Ce type correspond à l’entreprise “fordienne” bien connue. Le travail est valorisé en référence à des
postes de travail, les postes sont interdépendants (au sein de classifications collectives de postes). Le
produit correspondant est un produit standardisé. Le degré de planification des compétences est
élevé, du fait des postes de travail : le poste assure la stabilité temporelle du travail. Les compétences
sont collectives au sens où il y a interdépendance entre les postes : la performance à un poste
dépend de celle réalisée sur les autres. Les produits correspondants sont des produits standardisés,
stables dans le temps.
• L’entreprise réseau (négociation des compétences et inscription des compétences dans des
collectifs)
Par rapport à l’entreprise type précédente, les postes sont maintenant “flexibilisés” : la stabilité
temporelle du travail n’est plus assurée. L’évaluation de la qualité du travail doit intégrer le caractère
évolutif de la compétence. Ce n’est plus la compétence adaptée à un profil déterminé de poste. Les
gestionnaires parlent alors fréquemment de “potentiel”. Cette approche correspond à la logique
85
Boltanski (L.), Chiapello (E.), “Le nouvel esprit du capitalisme”, Gallimard, Paris, 1999.
86
Le terme compétence est polysémique. Dans l'expression convention de compétence, il est utilisé
avec un sens très général, couvrant une pluralité de façons de valoriser la compétence. La logique
compétence désigne couramment, dans le langage gestionnaire, une convention de compétence
particulière, émergeant dans la période actuelle : voir Lichtenberger (Y.) et Paradeise (C.),
“Compétence et relation de service. Crise ou redéfinition du contrat de travail ?", 1999, colloque “Le
travail entre l'entreprise et la cité”, Cerisy.
87
Eymard-duvernay (F.) et Marchal (E.), “Façons de recruter ; le jugement des compétences sur le
marché du travail”, Métailié, Paris, 1997 et Eymard-Duvernay (F.), Marchal (E.), “Qui calcule trop finit
par déraisonner : les experts du marché du travail”, “Sociologie du travail”, n° 42, 2000.
compétence qui tend actuellement à se substituer à la logique des postes de travail. Dans les
systèmes de gestion qui adoptent ces nouveaux principes, chaque emploi est décomposé en
compétences (dont la liste est fournie par un référentiel de compétences). Il peut donc évoluer de
façon flexible et intégrer de nouvelles compétences en fonction des besoins. Les emplois sont
également interdépendants, mais ce n’est plus le système des postes de travail qui les lie. Les
relations entre les emplois sont interpersonnelles. La notion d’équipe de travail est fréquemment
mobilisée pour désigner la forme de collectif correspondante. La “firme J” de Aoki 88 théorise bien
cette forme de coordination. Les produits correspondants sont des produits diversifiés et évolutifs.
• L’entreprise marché (planification et individualisation des compétences)
Comme pour l’entreprise institution, le degré de planification des compétences est élevé. Mais la
stabilité des compétences (qui permet la planification) n’est plus assurée par le poste de travail. Elle
repose sur des compétences individuelles. La notion de métier est classiquement mobilisée pour les
désigner. L’institution qui gouverne le travail est le marché de métiers et non l’entreprise 89.
L’entreprise est alors constituée d’une addition d’individus : le terme même d’entreprise est
problématique pour ce type d’entreprise (d’où l’expression paradoxale d’entreprise marché). Le
produit correspondant est un bien artisanal.
• L’entreprise interaction (négociation et individualisation des compétences)
Par rapport au précédent type d’entreprise, le métier n’est plus stabilisé. Les individus sont maintenant
des “portefeuilles” de compétences, qu’ils peuvent se procurer par des formations. Le système le plus
achevé en ce sens est le système anglais des NVQ’s (National Vocational Qualification’s), qui a induit
une réforme en profondeur de l’apprentissage 90.
Plusieurs recherches montrent que la période actuelle est, dans de nombreux pays, marquée par une
double évolution : une réduction du degré de planification des compétences et une individualisation
accrue. On passerait ainsi, selon la typologie proposée, de l’entreprise institution à l’entreprise
interaction. Il en résulte une transformation profonde dans le mode de valorisation des compétences.
Ces transformations sont structurelles au sens où c’est le principe même de valorisation du travail qui
est transformé et non un paramètre au sein d’une même forme de valorisation.
Pourquoi l’émergence d’un nouveau système de valeurs peut-elle induire des “biais de sélection” ? Il
faut donc considérer que toute économie un peu complexe est formée d’une pluralité de conventions
de compétence et qu’il peut y avoir des désajustements entre les dispositifs d’évaluation de la qualité
du travail. Par exemple, il y a des biais d’évaluation lorsque la qualité du travail est évaluée pour un
emploi dans une entreprise réseau (faible planification des compétences) avec des outils d’évaluation
adaptés à des entreprise marché (forte planification des compétences). Il faut ensuite considérer les
problèmes propres à l’émergence de nouvelles valeurs concernant la qualité du travail (une nouvelle
convention de compétence). Ce sont les valeurs que nous connaissons bien telles que par exemple
l’autonomie dans le travail, une plus grande responsabilité dans le résultat… Elles sont liées à
l’individualisation et à la négociation des compétences. Ces évolutions sont structurelles et supposent
des évolutions profondes aussi bien dans les politiques d’éducation que dans les dispositifs du
marché du travail. Nous connaissons actuellement une période de transition au cours de laquelle les
institutions ne suivent pas, ce qui se traduit par des difficultés de recrutement du point de vue des
nouvelles valeurs. En ce qui concerne la logique compétence, l’appui sur un profil de poste n’est plus
une bonne méthode d’évaluation puisque, suivant cette nouvelle convention, les postes ne sont pas
stables. Le problème est que les nouveaux principes d’évaluation ne sont pas clairement identifiés et
ne sont pas encore instrumentés. Il y a donc des risques de dérives, d’irrationalité. Par exemple, un
rôle excessif est donné au diplôme comme compétence générale, compétence à se former à toute
nouvelle compétence. On se focalise sur des pseudo qualités générales telles que le savoir-être ou
les capacités de communication qui sont censées pouvoir ouvrir à toutes les compétences. On
retombe donc sur le risque de discrimination statistique évoqué dans le premier point : le défaut
d’informations fiables induit qu’une importance excessive est accordée à des caractéristiques
immédiatement visibles.
88
Aoki (M.), I”nformation, Incentives and Bargaining in the Japanese Economy”, Cambridge University
Press, 1998.
89
Marsden (D.), “Marchés du travail. Limites sociales des nouvelles théories”, Economica, 1989.
90
Bessy (C.), “La certification des compétences en Grande-Bretagne, les risques d'exclusion induits
par la valorisation d'aptitudes générales”, “Formation-Emploi”, n° 71, 2000.
Les problèmes d’équité :
la lutte contre les inégalités injustifiables
Le problème de l’équité est central pour l’évaluation du travail. Les économistes reconnaissent qu’un
traitement équitable des salariés est une condition pour un bon engagement de ceux-ci dans le travail.
Les théories de la justice mobilisent aussi ces questions 91.
Trois types de contraintes permettraient de garantir une évaluation équitable du travail 92 :
- la première contrainte porte sur le fait que les principes de valorisation doivent être publics. Chacun
doit connaître ces principes et savoir que tout le monde les connaît. Nous sommes loin de satisfaire à
cette contrainte dans un nombre considérable de situations de recrutement ;
- la seconde contrainte stipule que les inégalités entre les différentes positions qui sont établies par
les principes de valorisation doivent être limitées. Ne sont considérées comme équitables que celles
qui bénéficient à tous, y compris à ceux qui occupent les positions les plus basses. Là encore, il est
clair que notre société ne respecte que très approximativement ce principe et qu’il n’intervient que très
faiblement dans les préoccupations des recruteurs ;
- la dernière contrainte fait référence au principe républicain que chacun dans la société doit avoir une
chance égale d’accès aux différentes positions. Une personne ne peut être attachée durablement à
une même position. Le chômage de longue durée montre que ce principe n’est pas non plus respecté.
Le non respect de ces principes d’équité dans le fonctionnement du marché du travail, et
particulièrement dans les situations de recrutement, n’est pas un cas isolé mais est au contraire un
cas très général. Les situations de recrutement sont très largement des situations de non-droit,
suivant le principe traditionnel qui voudrait que le recrutement soit un acte intuitu personae. Pourtant,
tout le monde s’accorde pour dire que les employeurs, dans les sociétés modernes, doivent utiliser
des procédés légitimes pour sélectionner au moment du recrutement. Le principal manquement à ce
devoir concerne les conduites de discrimination, auxquelles la France accorde assez tardivement
toute l’attention qu’elles méritent, l’Union européenne jouant un rôle moteur en la matière 93. Mais la
discrimination ne constitue qu’un cas extrême d’une gamme étendue de comportements inéquitables,
ce que j’ai appelé la sur-sélection du marché du travail. Ces comportements entraînent des processus
d’exclusion du marché du travail et induisent par là des créations artificielles de pénuries de main-
d’œuvre pour les entreprises. On le voit bien lorsqu’il y a retournement du marché du travail, des
personnes qui étaient considérées comme “inemployables” deviennent subitement des candidats
acceptables.
En premier lieu, il faut enrichir et développer les systèmes d’information du marché du travail. Des
comparaisons internationales montrent que le marché français du travail est sous-équipé dans le
domaine des systèmes d’information 94. Il faut cependant noter que les systèmes d’information doivent
prendre en compte la complexité des échanges sur le marché du travail, liée en particulier à la
pluralité des conventions de compétence inhérente à toute économie moderne. On ne peut donc
envisager l’existence d’un système d’information universel, qui permettrait de se déplacer sans
discontinuité sur l’ensemble du marché. Les “autoroutes de l’information” développées par les
91
Rawls (J.), “Théorie de la justice”, Paris, Seuil, 1987.
92
Eymard-Duvernay (F.), “Principes de justice, chômage et exclusion : approfondissements
théoriques", in “Des marchés du travail équitables ? Une approche comparative France Royaume-Uni”
(Bessy (C.), Eymard-Duvernay (F.), De Larquier (G.), Marchal (E.) eds), Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang,
2001.
93
De Schutter (O.), “Discriminations et marché du travail , Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, 2001.
94
Marchal (E.) et Renard-Bodinier (C.), “L'équipement des relations sur le marché du travail :
comparaison des méthodes de recrutement", in “Des marchés du travail équitables ? Une approche
comparative France Royaume-Uni” (Bessy (C.), Eymard-Duvernay (F.), De Larquier (G.), Marchal (E.)
eds), Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, 2001.
nouvelles technologies de l’information sont utiles mais ne peuvent suffire. Il faut aussi tout un réseau
de “voies secondaires” qui permettent des échanges dans des formats d’information variés.
Il est nécessaire également de mieux instrumenter les nouveaux principes de valorisation du travail en
les soumettant à des règles publiques d’évaluation qui soient connues de tous et considérées comme
légitimes par l’ensemble des partenaires, et en particulier les représentants des salariés.
Enfin, il faut pourchasser les conduites inéquitables en formant les acteurs du marché du travail et en
encadrant sérieusement les intermédiaires privés dont l’observation montre qu’ils ont tendance à sur-
sélectionner la main-d’œuvre par rapport aux employeurs et à l’ANPE. Des enquêtes mettent en effet
en évidence que lorsqu’un employeur français passe par un intermédiaire privé les exigences en
terme de diplôme et d’expérience sont plus élevées que lorsqu’il recrute directement 95. La place
importante prise par les intermédiaires privés sur le marché du travail en France pose donc problème.
Il faudrait développer les intermédiaires qui par l’accompagnement des chômeurs réduiraient les
inégalités injustifiables.
Toutes ces actions iraient dans le sens d’une réduction des “biais de sélection” et auraient des effets
favorables aussi bien sur l’exclusion que sur les pénuries de main-d’œuvre en rendant employables
toute une frange de la population qui actuellement n’est pas considérée comme telle.
95
Bessy (C.) et De Larquier (G.), “I.T. Professional Wanted (£ 250 00 + benefits)/Entreprise recherche
informaticien diplômé grande école", in “Des marchés du travail équitables ? Une approche
comparative France Royaume-Uni” (Bessy (C.), Eymard-Duvernay (F.), De Larquier (G.), Marchal (E.)
eds), Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, 2001.
Les difficultés de recrutement :
une approche différente
selon les États européens 96
Les pays de l’Union européenne ont une approche des difficultés de recrutement présentant à la fois
de grandes similitudes mais aussi des différences. Les similitudes concernent la liste des secteurs et
des activités qui sont réputés se heurter à des pénuries ou tout le moins à des difficultés de
recrutement. L’indicateur parmi les plus fondamentaux qui illustre cette montée en tension est le taux
d’emploi comme le montre le graphique 15. Plus élevé est ce dernier, plus basse sera la croissance
de l’emploi nécessaire pour mettre le marché du travail sous tension. Prenons l’exemple de l’Espagne
afin de clarifier la démonstration. Ce pays a beau avoir un des taux d’emploi les plus bas de l’Union
(55 % contre une moyenne communautaire de 63 % en 2000), la croissance de l’emploi de l’ordre
d’un cinquième en cinq ans entraîne immanquablement une multiplication de goulets. C’est là un
facteur évident dans l’explication de l’ampleur des pénuries catégorielles que l’on retrouve outre en
Espagne mais également en Irlande, en Finlande, en Suède, aux Pays-Bas et dans les Flandres
belges. Encore faut-il s’interroger sur les raisons qui font que les pénuries apparaissent plus
importantes si l’on se base sur les offres vacantes plutôt que sur les déclarations d’employeurs
comme nous pouvons le constater en Irlande et en Espagne 97.
Graphique 15
Le marché du travail parmi les Quinze
Du taux d’emploi et de la croissance de l’emploi
comme facteurs de tension du marché du travail
80
Taux d'em ploi (15-64 ans ) e n 2000
DK
75
UK SE NL
70 AT
Pt
FIN
65 U E15
LU
DE Irl
BE
60
FR
GR
55 ES
IT
50
-1 0 1 2 3 4 5 6
À l’autre extrême, le taux d’emploi danois est revenu depuis 1997 au-delà des 75 %, ce qui signale un
plafond 98. Dès lors que la démographie n’a plus d’incidence sur la population active du pays, il ne
96
Ce chapitre s’appuie sur la contribution de Géry Coomans, "La situation en Europe".
97
“European Economy”, n° 4, “Performance of the European Labour Market, Joint Harmonised EU
Programme of Business and Consumer Surveys”, Commission européenne, 2000. Voir aussi les
dernières éditions de “Employment in Europe, Recents Trends and Prospects", Commission
européenne, DG Emploi et Affaires sociales.
98
Pour les 15-64 ans, le plafond du taux d'emploi se situe dans la zone des 76-78 %. C'est le niveau
record dont les États-Unis ou le Japon se sont approchés. Il est sans doute inférieur aux 82 % atteints
par la Suède à la fin des années quatre-vingt. Cependant dans les années quatre-vingt-dix, le taux
d'emploi en Suède est redescendu sous les 70 %. Mais étant donné la prolongation des études, il est
possible d'avoir des doutes quant à la possibilité de revenir à 80 % de taux d'emploi, même si un
peut plus y avoir au Danemark qu’une croissance marginale de l’emploi, moyennant des tensions
frictionnelles.
Avec des marchés du travail largement cloisonnés au plan territorial, ces moyennes nationales
peuvent cacher de fortes disparités. Faut-il parler d’un marché du travail italien lorsqu’au Sud le taux
d’emploi est de l’ordre de 40 % et au Nord de 60 %, différences qui impliquent des fonctionnements
très différents. Mutatis mutandis, il est également possible d’opposer de même le sud et le nord de
l’Espagne, la Rhénanie du Nord-Westphalie à la Bavière, la Wallonie à la Flandre, les Midlands au
sud-est anglais. Et dans plus d’un cas, il ne s’agit pas tant de constater les divergences que de
s’interroger sur les complémentarités par dépendance, comme en France entre d’une part les régions
de l’arc de la désertification de l’Ardenne à l’Aveyron et à la Charente et d’autre part le réseau des
grands centres métropolitains – île-de-France, arc Lyon-Toulouse ou bassin de Basse-Loire.
Les différences, quant à elles, portent sur la définition d’un “travailleur”. La définition classique qui
consiste à définir un “travailleur” par le savoir-faire singulier et scolairement certifié qui lui serait
substantiellement attaché est encore prégnante. On y observe la trace de logiques d’assignation de la
personne à une catégorie socialement instrumentée, et le signe d’un retard par rapport aux enjeux de
la société cognitive. C’est alors le caractère fermé de ces catégories qui, en allongeant la liste des
profils assignés, condamne à une oscillation entre le désajustement par excès (le chômage) et par
défaut (la pénurie). Par opposition à cela, la logique en voie d’émergence serait celle de l’adaptabilité :
non pas celle de la flexibilité porteuse de précarités multiformes mais celle qui se fonde sur une
flexibilité constructive qui est une condition à la fois d’une réussite économique de la mutation
technologique en cours et de l’émancipation du citoyen 99. à cet égard, toutes pénuries ou difficultés
de recrutement peuvent être considérées comme révélatrices, peu ou prou, du diplôme perçu comme
passeport, de la lenteur à reconnaître la polyvalence dont chacun est porteur, d’une société plus
prisonnière des catégories instituées encline à la fluidité des attributions.
Ce chapitre se propose donc de présenter les perceptions bien différentes des difficultés de
recrutement dans l’Europe. à côté d’une recherche d’une adéquation idéale emploi/formation que l’on
peut traduire par une approche adéquationniste, certains pays européens se placent dans une
perspective constructiviste. Les qualifications se construisent non pas en dehors de la production au
sein d’un appareil éducatif mais par le fait même du travail et tout au long de la vie professionnelle.
Avant de proposer une typologie des pénuries ou des difficultés de recrutement, il n’est pas inutile, en
prenant l’exemple du secteur “hôtel, cafés, restaurants”, secteur qui peut être pris comme secteur de
référence, de présenter les différentes stratégies des entreprises quant aux difficultés de recrutement
qu’elles rencontrent. En France comme en Espagne où les taux de chômage respectifs sont de 10 et
14 % en 2000 et les taux d’emploi des 15-24 ans de 28 et 32 %, des pénuries sont constatées dans
ce secteur depuis 1999. Dans ces deux pays, moins d’un emploi sur cinq 100 du secteur revient à des
jeunes de moins de 25 ans, les autres emplois étant réservés à des personnes peu qualifiées, selon
un modèle de professionnalisation précaire qui ne peut fonctionner que si le marché du travail
demeure suffisamment ouvert. Par contre, au Danemark où le taux de chômage est inférieur à 5 %, et
où le taux d’emploi des 15-24 ans est de 67 % en 2000, le secteur “hôtels, cafés, restaurants” ne
connaît pas de pénuries. Il emploie de l’ordre de 45 % de jeunes de moins de 25 ans. Ces jeunes, en
transit professionnel, travaillent avec des professionnels plus âgés et bénéficient d’une véritable
expérience professionnelle. Ces derniers sont embauchés pour assurer des ajustements et par ce fait
103
Pour ce qui est des pénuries d'informaticiens aux États-Unis, voir en particulier les analyses
contradictoires de Norman Matloff en consultant le site :
http://heather.cs.ucdavis.edu/itaa.real.htm
104
Reprenant la répartition en trois niveaux des 25-64 ans (cf. le tableau 9), il est possible d'opposer à
la moyenne française (22-41-38) la distribution plus avancée des pays nordiques (28-53-19 comme en
Suède par exemple) et la distribution archaïque de l'Espagne (22-15-63) malgré les progrès
Tableau 9
Population de 25-64 ans par âge et niveau d’études, France 2000
50,0
40,0
30,0
20,0
10,0
0,0
-10,0
-20,0
-30,0
-40,0
-50,0
-60,0
AT DE ES FR IE LU PT EU15
Sec.Inf. Sec.Sup. Supérieur
(*) 2000 pour tous pays sauf 1999 pour DE, GR, Irl., LU, NL et moyenne UE
Source des données : Eurostat, enquête sur les forces de travail
impressionnants constatés dans les régions pyrénéennes. Il faut aussi noter que le rattrapage
féminin est plus qu'achevé dans les pays latins et nordiques, mais inachevé, en considérant les
jeunes, en Allemagne, en Autriche, au Luxembourg et au Royaume-Uni, Données Eurostat EFT,
2000. en Finlande et au Royaume-Uni, supérieurs à 40 % au Danemark, aux Pays-Bas.
Ces évolutions en ciseaux voient leurs effets confirmés par les différences dans l’accès à la formation
permanente. Par rapport aux niveaux d’études, les taux de participation à une formation au cours des
quatre semaines précédentes montrent trois traits remarquables (cf. graphique 17) : ces taux
croissent avec les niveaux d’éducation ; ils s’augmentent au cours des dernières années et enfin ils
demeurent significativement supérieurs dans les pays nordiques et au Royaume-Uni 105. Ces indices
d’un progrès inégal en termes d’accès à la formation permanente sont confirmés en observant les
indicateurs relatifs aux trois étapes de vie. En 1997 en moyenne communautaire, 17 % des étudiants
du supérieur avaient au moins trente ans, mais ils étaient 32 % dans ce cas au Royaume-Uni – fruit
évident du principe de l’“Open University” -, 24 à 30 % dans les trois pays nordiques, 19 % en
Allemagne, contre 8 % en France ou 11 % en Espagne. Corrélativement, l’âge médian des étudiants
du supérieur était en 1997 de 25-26 ans en Allemagne, en Autriche et dans les pays nordiques, alors
qu’il était de 21 à 22 ans dans l’Europe latine, y compris en France 106.
Graphique 17
Part des salariés ayant subi une formation
au cours des quatre semaines précédentes par niveau d’éducation (*)
1999
35
30
25
20
15
10
5
0
UE AT BE DE DK ES FI FR GR IE IT LU NL PT SE UK
Sec.Inf. Sec.Sup. Supérieur
105
Les données relatives à la France, aux Pays-Bas et au Portugal, ne reprennent que les personnes
qui suivent une formation au moment de l'enquête, et non pas ceux qui ont suivi une formation au
cours des quatre semaines précédentes. Ceci minore sans doute les résultats. Néanmoins, la
comparaison parmi ces trois pays ne révèle pas une participation élevée à la formation pour la France
contrairement des Pays-Bas. Dans un ouvrage récent, Paul Santelmann, indique les taux de
participation en année pleine pour 1997 des salariés de 35 % pour la France, avec plus de 50 % de
taux d'accès pour les cadres et ingénieurs contre 18 % pour les ouvriers non qualifiés, sur base des
déclarations d'entreprise - formulaire 2483 - (“La formation professionnelle, nouveau droit de l'Homme
?”, paru chez Gallimard-Folio selon un article paru dans “Le Monde”, 2001). Les enquêtes menées par
la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail (Dublin) suggèrent
pour 2000 des taux de participation à une formation permanente au cours des 12 mois écoulés de 33
% en moyenne européenne, et 26 % en France. Ce qui placerait la France en onzième position parmi
les Quinze. On retrouve des taux supérieurs à 50 % en Finlande et au Royaume-Uni, supérieurs à 40
% au Danemark, aux Pays-Bas et en Suède. Devant la France, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique et
le Luxembourg se tiennent dans une fourchette allant de 31 à 33 %. Derrière la France, on trouve
l'Italie, l'Espagne, la Grèce et le Portugal, avec des taux de 23 à 12 %. “Ten Years of Working
Conditions in the European Union”, 2001, consultable sur le site: http://eiro.eurofound.ie
106
) Données extraites du rapport sur la situation sociale dans l'Union européenne 2000 et 2001 (CE
et Eurostat), consultable sur le site :
http://europa.eu.int/comm/dgs/employment_social/key_fr.htm
35
30
25
20
15
10
0
UE AT BE DE DK ES FI FR GR IE IT LU NL PT SE UK
Sec.Inf. Sec.Sup. Supérieur
(*) Pour FR, NL, PT : part des salariés suivant une formation au moment de l'enquête
Source : Eurostat EFT
Sur ces bases, il n’est pas simple de proposer une échelle de valeur le long de laquelle pourraient être
ordonnés les différents États membres confrontés à des problèmes de pénuries ou de difficulté de
recrutement. La dimension proprement démographique est certainement appelée à peser d’un poids
croissant, mais son pouvoir explicatif des formes catégorielles ou locales reste toutefois limité. La
double dimension suggérée par le graphique 15, soit la prise en compte conjointe du taux d’emploi de
la population d’âge actif et de la croissance globale de l’emploi, serait sans doute elle aussi utile s’il
s’agissait d’établir un baromètre synthétique des difficultés de recrutement. Mais pour expliquer les
intensités sectorielles, cette double dimension n’apporte pas de réponses suffisantes. Croiser, au plan
catégoriel, les pyramides d’âge et les croissances permettrait certainement d’éclairer un nombre
appréciable de situations sur l’ensemble des États membres, mais cela ferait une énumération,
toujours pas une comparaison de situations nationales.
Il y a bien une approche heuristiquement utile mais elle doit autant à des considérations normatives
qu’à ce qui s’annoncerait comme une approche analytique. Le choix est celui d’une échelle qualitative
où l’on aurait à un bout les logiques adéquationnistes et à l’autre bout les partis pris du
constructivisme. Si on accepte ce choix arbitraire, il ne restera que la moisson heuristique comme
justification 107. Convenons d’abord de quelques définitions.
107
À l'appui de ce choix, on pourrait se référer à l'épistémologie anarchiste de Feyerabend ou aux
travaux que l'on fait remonter à Werner Heisenberg “de la vérité, on n'exige plus qu'elle soit objective,
mais seulement qu'elle soit un lien entre nous" (“Philosophie”, le manuscrit de 1942, trad. et
introduction de Chevalley (C.), Seuil, 1998)
travail. Or, les enquêtes récentes n’abondent pas nécessairement dans ce sens. Par exemple, les
enquêtes de la Fondation de Dublin 108 suggèrent, en moyenne des Quinze et pour les dix dernières
années, que ce ne seraient ni les prescriptions de la hiérarchie, ni les échelles de temps incorporées
dans les systèmes de machines – l’un et l’autre facteur étant en régression - qui provoqueraient
l’intensification apparente du travail ; celle-ci étant appréciée par l’augmentation statistique
significative de la fraction de travailleurs travaillant sous forte contrainte de temps pendant au moins le
quart du temps de travail. Les rythmes de travail répondraient par contre davantage aux demandes
“clients/usagers” et à l’ajustement au travail des collègues, avec un accroissement de l’autonomie et
au plan de la gestion du temps et à celui du choix des méthodes de travail dans un cadre où les
travailleurs tenus d’exécuter des tâches répétitives sont en diminution. Il se pourrait alors que la
multiplication des difficultés de recrutement sur les profils de poste typiques des anciens schémas
tayloristes – comme par exemple dans la confection – constitue le signe imparable, lorsque s’atténue
la peur du chômage, de ce que le taylorisme serait lui-même frappé d’impuissance.
Par opposition aux approches adéquationnistes, on trouve dans le nord de l’Europe des perspectives
où le diplôme importe beaucoup moins. Par conséquent, le regard que l’on peut porter sur les
difficultés de recrutement est alors différent. Le moment de l’embauche ne constitue pas le moment
décisif comme il peut l’être dans une approche adéquationniste. Au contraire l’embauche n’est que le
début d’un processus au cours duquel se bâtira la qualification. Se pose alors des questions sur le lien
entre le développement des approches constructivistes et la construction d’une société cognitive.
Ainsi, les travaux relatifs aux formes de travail et d’organisation plus participatives donnent lieu à de
nombreux débats, dont quelques-uns portent déjà sur le caractère réel ou fictif du travail en équipe.
Mais la mesure du phénomène en est à ses balbutiements, et l’on en est encore réduit, pour prendre
de la hauteur, aux oppositions anciennes, qu’il faut mettre à la question de l’époque présente. Ainsi le
modèle scandinave des qualifications élevées et des requalifications régulières avec délégations
extensives progresse-t-il par rapport aux modèles rattachés à Taylor, Ford ou Toyota, caractérisés par
des qualifications plus basses, des requalifications plus rares et des délégations plus limitées 109. Le
fait le plus notoire est ici que l’accord se fasse autour d’une projection de la forme participative dans
un futur où elle est censée apporter nécessairement un supplément de rentabilité aux entreprises et
un complément de consensus au corps social.
Les choses semblent ainsi se passer comme si le développement des formes participatives devenait
seul susceptible d’apporter les éléments d’une “sortie par le haut”, sans que, pour autant, on puisse
déjà leur assigner des formes précises. L’implicite du raisonnement semble placer toujours au centre
des processus un volontarisme, à vrai dire un constructivisme, hors duquel il n’y aurait que stagnation
et déclin. Sur un plan général, ce constructivisme, en escomptant que le mouvement naîtrait
nécessairement de la confrontation des points de vue particuliers, revient à lever l’hypothèque des
déterminations ex-ante en vertu desquelles il resterait à assigner chacun à sa niche naturelle. Au plan
de l’organisation collective, une entreprise par exemple, cela supposerait que la créativité
organisationnelle s’avérerait in fine plus dynamisante que n’importe quel système basé sur
l’assignation disciplinaire. Au plan de l’individu, cela supposerait que chacun pourrait développer sa
qualification en continu, en alternant l’acte de travail et le recul par rapport au travail, accédant à la
praxis du sujet construisant son objet. Dès ce moment, chacun serait supposé “motivable” et
mobilisable au-delà de toutes ses certifications sociales. Même dépourvu de diplômes, le travailleur
serait ainsi porteur d’une “compétence” implicite, et à ce titre adaptable par rapport à une gamme
élargie de situations 110. Et quelque part, chacun de ces processus ouverts, individuels ou collectifs, se
108
Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, "Ten Years of
Working Conditions in the European Union", 2001, op. cit.
109
Voir en particulier les travaux menés sous l'égide de la Fondation européenne pour l'amélioration
des conditions de vie et de travail, et en particulier, sous la signature de Keith Sisson, "Direct
Participation and the Modernisation of Work Organisation", 2000.
110
Voir par exemple de Bassi (L.-J.), "Are Employer’s Recrutment Strategies Changing : Competence
over Credentials ?" in “Competence without Credentials”, département américain de l’Éducation, mars
1999, consultable sur www.ed.gov/pubs/Competence/section3.html. Mais le débat, sur le fond, n'est
guère différent lorsqu'en France Georges Lemoine assure qu'aucun ne devrait demeurer la victime
d'une absence ou d'une inadéquation de diplôme par rapport à un emploi, à condition qu'on les
recrute non pas sur des titres mais sur une mise en situation destinée à faire apparaître les “habiletés"
qui seraient les leurs. La modernité évidente de la démarche est tout de même limitée par cette
nouvelle forme de réduction substantialiste, où "l'habileté" découverte exprimerait la bonne essence
de l'individu.
référerait aux anciennes utopies de l’autonomie – au sens, par exemple, qu’a relayé Castoriadis 111.
Sur ce fond-là, la pénurie de compétences devient l’état normal de la praxis sociale, le signe de la
vitalité, donc le signe de la capacité partagée, chaque jour, à inventer les solutions. On pourrait alors
construire une définition de la “société cognitive” - ou si l’on veut de la société de l’information,
sachant que l’information est “toujours déjà” le moment d’un rapport social, autour de ce mariage
entre l’autonomie individuelle et la créativité organisationnelle 112.
Il est possible aussi d’estimer que ce constructivisme et ses pénuries de compétences seraient
d’abord le signe d’une incertitude de l’époque, sinon d’une confusion. L’aveu qu’il reviendrait à chacun
de “construire sa trajectoire” faute de bénéficier de garanties collectives, équivaudrait alors à un
constat de carence.
Peut-on alors rapporter la situation des pénuries dans les différents États membres au cheminement
allant des schèmes disciplinaires vers la société cognitive ? Des schèmes adéquationnistes
condamnés à la prolifération des désajustements vers des schèmes constructivistes où la pénurie
signalerait le travail d’ajustement en train de se faire ? L’attribution serait simple si l’on pouvait
identifier des stratégies clairement majoritaires selon l’endroit. Or l’Union européenne, tout en
impulsant le développement de la société de l’information, 113 n’a fini ni de rendre contagieuses les
pratiques pointues, ni de rendre récessives les pratiques rétrogrades.
Dans un premier temps, intéressons-nous à l’Angleterre, pays où les débats sur ces questions est le
plus riche 114. La surveillance des pénuries sectorielles/catégorielles y est ancienne 115. Depuis vingt-
cinq ans des indices de pénuries sont élaborés. Ces indices n’ont pas été construits à l’initiative de
l’institution nationale des statistiques britannique mais à celle du monde patronal. Depuis une
douzaine d’années un rapport annuel sur les qualifications (skills needs) est également élaboré. Les
qualifications sont à la fois un fonctionnement déterminé par rapport à une activité donnée et définies
par rapport à un niveau exigé. Le fait est que l’inquiétude relative aux pénuries s’étend depuis la
reprise de 1992. Le débat s’y porte rapidement sur le piège des stratégies du “low skill/low wage”,
allant de pair avec des spécialisations sur des productions de bas de gamme et des segmentations
multiformes du marché du travail, elles-mêmes relayées par l’histoire syndicale. Le piège est celui des
stratégies qui, reproduisant leurs propres conditions de possibilité, reproduisent le “low wage/low skill”,
poussant la main-d’œuvre qualifiée de l’industrie vers d’autres secteurs. Et ceci à son tour expose
l’industrie, par un effet de désaffectation qui s’est progressivement exacerbé, à la pénurie de
personnels qualifiés de niveau intermédiaire dès que les évolutions technologiques recomposent les
111
Castoriadis (C.), “L'institution imaginaire de la société”, Seuil, 1975 (4e édition). Mais on pourrait
aussi renvoyer à différentes écoles constructivistes, par exemple Watzlawick (P.) (dir.), “L'invention de
la réalité, contributions au constructivisme”, Seuil, 1988.
112
Il y aurait aussi matière à conjecturer que seul ce schéma constructiviste pourrait être à même de
contourner les contraintes du vieillissement. Le vieillissement de la population en emploi cesserait de
faire problème si les “seniors" étaient crédités d'une expérience - ce savoir élargi par la praxis - qui
viendrait élargir leur capacité créative/constructive. Ils seraient alors recherchés pour leurs capacités
communicationnelles plutôt que rejetés pour des déphasages qui ne seraient qu'à l'intérieur d'un
schéma disciplinaire où l'on cherche plus docile, donc plus jeune. Et le vieillissement général cesserait
de buter sur la contrainte de financement des post-actifs si le constructivisme ouvrait à une croissance
élargie de la productivité - dût-on faire glisser les financements vers le fiscal, à la manière danoise,
plutôt que de maintenir les imputations sur une parafiscalité trop tenue à trop de niveaux catégoriels, à
trop de contraintes de juste retour.
113
Cf. notamment les conclusions du Sommet de Lisbonne.
114
Voir les travaux menés autour de la National Skills Task Force installée en 1998, consultables sur
le site du ministère de l'Emploi et de l'Éducation www.dfee.gov.uk/skillsforce, y compris les “research
papers” et les rapports intérimaires qui constituent une mine d'informations.
115
Voir les rapports annuels “Skill Needs in Britain" réalisés depuis 1989 sous l'égide du ministère de
l'Emploi et de l'Éducation (DfEE), et s'appuyant sur les enquêtes du CBI (Confederation of British
Industry) et de la British Chambre of Commerce.
combinaisons de facteurs, 116 et en particulier lorsque ce que la société cognitive appelle “l’adaptabilité
qualificationnelle”.
Le lien apparaît assez clairement avec les structures éducatives du Royaume-Uni. Avec seulement un
tiers de qualifications intermédiaires contre près de la moitié en France et les deux tiers en Allemagne,
117
on se retrouve dans cette situation où le glissement des normes techniques produira a priori des
pénuries à la fois sur ce dont on est relativement le mieux doté, soit des travailleurs peu qualifiés et
pour cela peu mobiles et peu adaptables sur le plan professionnel, et de ce dont a construit le manque
structurel, à savoir des travailleurs de qualification intermédiaire.
Par une sorte de paradoxe, les ajustements dépendent alors dans une mesure déterminante des
requalifications en cours d’activité, parce que l’anticipation n’a pu fonctionner ni du côté des
entreprises ni du côté des personnes piégées par une stratification sociale lourde. Et le Royaume-Uni
se retrouve bel et bien dans cette situation unique où la prédominance des profils “low skill/low wage”
coexiste avec de forts taux de participation à la formation permanente, laquelle épouse les logiques
modulaires qui traversent toute la tradition éducative britannique. De manière symptomatique, les
réformes opérées depuis 1997, par l’instauration des National Vocational Qualifications (NVQ), avec
la “Qualification and Curriculum Authority” (QCA), qui a pour but d’établir un répertoire des dernières
qualifications ayant fait l’objet de réformes, répondent à des stratégies de mise en place de dispositifs
de deuxième chance pour les personnes dépourvues de titres scolaires. En même temps, leur
faiblesse majeure est de demeurer largement déconnectée des lieux du travail où l’on se plaindra de
ce que, dans une cohorte de 18 ans, les apprentis ne représentent que 10 % au Royaume-Uni, contre
plus de 60 % en Allemagne. Beaucoup d’emplois confiés à des diplômés du supérieur au Royaume-
Uni sont confiés à des diplômés du secondaire supérieur en Allemagne ou aux Pays-Bas 118. Enfin, il
n’est pas sans intérêt de relever que la diversité et l’hétérogénéité de l’offre de formations pour
adultes au Royaume-Uni, fonctionne largement hors des lieux et enjeux du travail, et sans doute
précisément pour cela, place les britanniques en tête des lobbys cherchant à construire ou à vendre
des “pan-european certifications” : signe des temps, ce marché semble exciter les appétits.
Le second exemple est celui de l’Allemagne. On serait tenté d’envisager que le mode de
fonctionnement du marché du travail et du système éducatif y serait a priori peu propice au
développement de pénuries. La qualification se construit non en premier lieu par la formation initiale
mais essentiellement par le travail. Autrement dit les qualifications se construisent tout au long de la
voie professionnelle et sont donc moins tributaires des systèmes de certification préalables. Dès lors,
les pénuries dans ce pays sont surtout des pénuries de compétences en technologies de l’information
et de la communication (cf. la typologie proposée) et demeurent plus rares dans les pénuries de
désaffection ou dans celles portant sur des profils peu qualifiés. Il est certes possible que les forts
contingents de travailleurs de nationalités hors de l’Union européenne donnent ici des marges de
manœuvre appréciables (5,2 millions de personnes de nationalités non-UE en Allemagne, dont 45 %
de turcs, contre 2,1 millions en France et 1,5 million au Royaume-Uni 119). Mais même en remontant
116
Voir en particulier, parmi les Research Papers mentionnés dans la note précédente, Keep (E.),
“Employer Attitudes Towards Adult Training”, STR Research Paper 15, décembre 1999. Lloyd (C.) et
Steedman (H.), “Intermediate Level Skills - How are they Changing ?”, STF Research Paper 4,
septembre 1999, notent ainsi (§45) "The main issue is whether the current mix of skills, i.e. the use of
greater numbers of graduates and large numbers of unskilled/semi-skilled, as opposed to more
intermediate-level employees, is appropriate to policy aims of a high skill, knowledge-based
economy".
117
Ce sont les valeurs retenues par Steedman, in Lloyd (C.) et Steedman (H.), op. cit. Affiner ces
proportions - pour autant que l'accord puisse se faire sur des attributions précises par niveau au
Royaume-Uni - ne changerait pas grand-chose au dispositif général de l'analyse. L'enquête sur les
forces de travail donnait encore 32 % de niveau Secondaire Supérieur parmi les 25-59 ans au
Royaume-Uni, contre 43 % en France et 59 % en Allemagne - toutes valeurs pour 1997, soit avant
que les réattributions effectuées à l'initiative du Royaume-Uni ne brouillent le tableau en rattachant
les “GSCE 'O' levels" au niveau CITE 3. L'importance relative de ceux qui n'ont atteint que le niveau
d'enseignement Secondaire Inférieur confirme la prédominance du profil “low skill" au Royaume-Uni :
45 % des 25-59 ans, contre 37 % en France et 18 % en Allemagne, toujours pour 1997.
118
Selon Steedman, op. cit., § 80.
119
Les données de la même enquête sur les forces de travail pour 2000 indiquent que les personnes
de nationalité ne relevant pas de l'UE, en Allemagne, représentent 5,5 % de l'emploi, mais 10 % des
trois positions occupationnelles les plus basses - soit ISCO 7, 8 et 9 par rapport à l'ensemble des
emplois ISCO 1 à ISCO 9. Il est également à noter que certains échos de pénuries locales conduisent
l’échelle des qualifications, il ne semble pas y avoir de ces désaffections comme celle que l’on
rencontre en France dans le secteur de la métallurgie. C’est bien ici, et peut-être à l’intérieur de ces
limites, que les dispositifs d’apprentissage allemands semblent assurer un fonctionnement plus
constructiviste - en tout cas d’adaptabilité plus progressive - qu’adéquationniste.
Dans un travail récent, W. Müller et M. Wolbers 120 montrent les évolutions récentes, en Allemagne,
d’un système d’enseignement supérieur qu’ils assimilent à un modèle de “segmentation parallèle”.
L’opposition bien connue entre un enseignement secondaire général et un enseignement technique
dual – donc assurant l’alternance de la formation sur site et hors site – se réplique au niveau
supérieur, à travers les Fachhochschulen et les Berufsakademien. Cette extension de la
“segmentation parallèle” au niveau du supérieur caractérise également les Pays-Bas, le Danemark, la
Norvège, et se retrouverait actuellement en Autriche et en Suisse. Dans tous ces cas, on serait tenté
de voir là des conditions favorables à l’émergence de comportements fortement réactifs à l’évolution
technologique, c’est-à-dire capables d’en saisir les réserves de productivité. Mais en même temps, on
est bien forcé d’opposer à ces promesses la réalité d’un emploi et d’une croissance atones au cours
des dernières années. L’on doit alors se rappeler que le modèle de la segmentation parallèle
demeure, selon sa logique propre, fortement tributaire des systèmes de certification et des rôles
assignés qu’ils supposent, et que l’organisationnel, qui est à la société en quelque sorte ce que le
diplôme est à l’individu, est toujours le facteur dominant. La question d’un fonctionnement
constructiviste revient alors sur les formes organisationnelles qui seules mettraient en œuvre les
formes participatives autorisant l’adaptabilité constructiviste. L’explication de la relative atonie de
l’emploi allemand devrait nécessairement intégrer cela.
En gardant cela à l’esprit, et en considérant toujours cette nébuleuse allant de Vienne et Rotterdam
aux pays nordiques, un élément moins fragile de différenciation tiendrait non pas aux modalités
d’entrée sur le marché de travail - celles que négocient le système dual allemand -, mais à la relance
des formations tout au long de l’emploi, puisque cette relance constituerait un indice “réaliste” de
l’existence de fonctionnements participatifs. Les taux de participation à la formation permanente
suggérés par le graphique 17 rétablissent ainsi une forte différenciation entre d’une part l’Allemagne et
l’Autriche et d’autre part les Pays-Bas et les pays nordiques. Puisque la ligne de fracture vaut cette
fois aussi pour le dynamisme de l’emploi (cf. graphique 15), ceci aboutirait à loger les pratiques les
plus constamment adaptatives, disons constructivistes, plus spécifiquement dans un modèle nordique,
caractérisé à la fois par les distributions les plus favorables au plan des niveaux éducationnels de
départ, par des pratiques de requalification permanente de la force de travail, et par une adaptabilité
organisationnelle reposant sur le développement de formes participatives.
Le constat aurait l’avantage de la simplicité s’il désignait le seul cas notoirement exempt de pénuries
autres que d’ajustement. Or, l’Italie non plus ne présente pas, à l’heure présente, une configuration de
pénuries de désajustement en série 121. Bien sûr, le taux d’emploi y est le plus bas d’Europe - sous
réserve que le taux national ait un sens ici, et l’Italie du Nord présente des taux d’emploi proches de la
moyenne européenne. Les distributions par niveau d’éducation y sont aussi les plus défavorables de
l’Union, le Portugal mis à part et quasiment autant au nord qu’au sud du pays. Les taux de
participation à la formation permanente y apparaissent médiocres, quoique très semblables à la
moyenne des Quinze, avec tout de même une progression apparemment aussi rapide au cours des
années récentes (cf. graphique 17). Le rythme de progression, à la fois en termes de niveau éducatif
de départ et en termes de participation à la formation permanente sont certes des indices clairs
indiquant qu’une mutation est en cours. Mais, dans une perspective de comparative européenne, le
trait marquant est le suivant : malgré des indices éducatifs parfaitement défavorables, l’Italie est,
parmi les Quinze, le pays où la production par travailleur est la plus élevée, et certainement en
considérant l’Italie du Nord pesant à l’évidence fortement dans ce constat.
à se rappeler que le baby boom allemand eut lieu de 1937 à 1941, avec dès lors une amplification des
demandes de remplacement dès les dernières années du XXe siècle - donc plus tôt qu'en France par
exemple.
120
Müller (W.) et Wolbers (M.), “Educational Attainment of Young People in the European Union :
Cross-Country Variation of Trends over Time", Working Paper, Mannheim-Maastricht, MZES et ROA,
janvier 2001, consultable sur www.mzes.uni-mannheim.de/projekte/catewe/publ/publ-
e.html#discussion
121
Ici comme en Allemagne, et partant de calendriers démographiques relativement proches, on
observe que quelques débats se portent sur les difficultés proprement démographiques de
remplacement des travailleurs vieillissants ; ainsi dans la région de Modène. Mais ces interrogations,
au total, semblent demeurer marginales.
Un premier élément d’explication de ce phénomène tient certainement dans le faible degré de
certification sociale des qualifications, en Italie, et sans doute dans la faible demande sociale de
certification. Typiquement là où l’entreprise familiale est dominante, la certification cèderait aux
adaptabilités informelles. Mais encore, il se pourrait que l’on soit ici dans le cas le plus manifeste
d’une adaptabilité organisationnelle qui serait en quelque sorte en avance sur la reconnaissance
sociale des qualifications en tant que celles-ci marqueraient les individus. à ce titre, il faut s’interroger
dans ce fonctionnement italien dominé par l’informel, si l’on peut y voir un trait d’archaïsme ou un trait
de modernité. Doit-on concevoir qu’il y ait là une forme fluide de constructivisme telle qu’un
développement des certifications ne pourrait que ralentir les processus ?
De fait, si l’émergence de la société cognitive devait signifier une recomposition continue – ou
seulement relativement continue - des savoirs, et des contenus du travail donnant lieu à la
construction des qualifications, et des formes organisationnelles, cette société cognitive impliquerait
ipso facto la prédominance des praxis ouvertes sur les attributions garanties par l’affichage des
certifications, ouvrant la voie à l’avènement d’une “organisation apprenante”. Il se pourrait alors
qu’une large fraction des certificats, tout comme de ceux qui prétendraient certifier les avancées
continues et les formations permanentes, se retrouve condamné à ne saisir que des ombres. Sur
cette base-là, la pénurie de compétences est-elle appelée à constituer bientôt un souvenir lointain ?
Ou sera-t-elle un état permanent, signalant que chaque problème nouveau implique toujours le
développement d’une compétence nouvelle ?
Bibliographie
ANPE : "Les difficultés de recrutement ; tensions et réajustements sur le marché du travail",
L'Observatoire de l'ANPE, mars 2001.
ANPE : "Les difficultés de recrutement ; dossier documentaire", L'Observatoire de l'ANPE, février
2001.
ANPE : "Les anticipations des entreprises pour 2001", L'Observatoire de l'ANPE, mars 2001.
AMAR (M.) et VINEY (X.) : " Recruter en 1999, des difficultés plus ou moins vives suivant les métiers
recherchés ", Premières Synthèses, n° 22.1, 2000.
AMAR (M.) et VINEY (X.) : " Les tensions sur le marché du travail en 2000", Premières Informations,
Premières Synthèses, n° 22.1, mai 2001.
AUDRIC-LERENARD (A.) et TANAY (A.) : "Ouvriers et employés non qualifiés : disparités et similitudes sur
le marché du travail", Premières Synthèses, n° 47.1, novembre 2000.
BASSI (L.) : "Are Employer’s Recrutment Strategies Changing : Competence over Credentials ?" in
Competence without credentials, département américain de l’Éducation, mars 1999, consultable sur le
site : www.ed.gov/pubs/competence/section3.html
BOULARD (N.) et GUBIAN (A.) : "La politique de l'emploi en 1999", Premières Synthèses, n° 52.2,
décembre 2000.
BREGIER (O.), CANDE (R.), CHAZAL (J.) et LERAIS (F.), "Conjoncture de l'emploi et du chômage au
quatrième trimestre 2000", Premières Informations de la DARES, n° 14.2, 2000.
BRUNHES (B.) : "Difficultés de recrutement : le rôle des acteurs locaux", Lettre du Groupe Bernard
Brunhes Consultants, n° 44, mai 2001.
BRUNET (F.) et MERCIER (M.-A.) : "Enquête sur l'emploi de mars 2000 : la très forte hausse de l'emploi
a bénéficié à toutes les catégories de chômeurs", INSEE Première, n° 273, juin 2000.
CASTORIADIS (C.) : L'Institution imaginaire de la société, Seuil, 1975 (4e édition).
COMMISSARIAT GENERAL DU PLAN : "Les chemins de la prospective au travers des métiers de
l'informatique", Collection blanche "Méthode, Métier, Données", 2000.
COMMISSION EUROPEENNE : “Proposition de décision du Conseil sur les lignes directrices pour les
politiques de l'emploi aux États membres en 2001", Journal officiel des communautés européennes,
n° C 29 E, janvier 2001.
CEREQ, DPD, INSEE : "Bilan formation-emploi, résultats 1996", Cahiers de synthèse, n° 17, mars
1998.
CHARVET (D.) : Jeunesse, le devoir d'avenir, Commissariat général du Plan, La Documentation
française, 2001.
CIEUTAT (B.) : Fonctions publiques : enjeux et stratégie pour le renouvellement, Commissariat général
du Plan, La Documentation française, 2000.
COLIBERT (M.) et RICHARD (J.-C.) : "Habiter en périphérie et travailler au centre", INSEE Pays de Loire,
n° 33, mars 2001.
DDRN : Les nouveaux arrivants à Saint-Nazaire, juin 2000.
DELVAUX (G.) : "Y a-t-il des pénuries de main-d'œuvre dans certains secteurs ?" L'Observatoire de
l'ANPE, février 2000.
DU CREST (A.) : “Le paradoxe persistant des difficultés de recrutement en période de chômage”,
Travail et Emploi, n° 79, 1999.
DU CREST (A.) : Les difficultés de recrutement en période de chômage, L'Harmattan, 2000.
EYMARD-DUVERNAY (F.) et MARCHAL (E.) : Façon de recruter, le jugement des compétences sur le
marché du travail, Métailié, 1997.
EYMARD-DUVERNAY (F.) : "Les modes de jugement des recruteurs ; approches du recrutement",
L'Observatoire de l'ANPE, décembre 1998.
EYMARD-DUVERNAY (F.) et MARCHAL (E.) : "Qui calcule trop finit par déraisonner : les experts du
marché du travail", Sociologie du travail, n° 42, 2000.
EYMARD-DUVERNAY (F.) : "Principes de justice, chômage et exclusion : approfondissements
théoriques", in Des marchés du travail équitables ? Une approche comparative France Royaume-Uni,
Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2001.
FONDEUR (Y.) et MINNI (C.) : "Emploi des jeunes et conjoncture", Premières Synthèses, n° 51.1,
décembre 1999.
FUTURIBLES : "Les pénuries de main-d'œuvre", Futuribles, n° 254, juin 2000.
GAUTIE (J.) et HAUZE-FICHET (E.) : "Déclassement sur le marché du travail et retour au plein emploi",
Lettre du CEE, n° 64, décembre 2000.
GOURNAC (A.) : "Faire face aux pénuries de main-d'œuvre", rapport de la Commission des Affaires
sociales, SENAT, n° 125, 2000-2001.
GREENAN (N.) : "Innovation technologique, changements organisationnels et évolution des
compétences", Économie et Statistique, 1997.
GROUPE ADECCO : "Métiers pénuriques ou pénurie dans les métiers ?” Cahiers de l'Observatoire
ADECCO des rémunérations, avril 2000.
HENRY (B.), MERLE (V.) et WEIL (N.) : Difficultés de recrutement et gestion locale de l'emploi, Bernard
Brunhes Consultants, 1991.
INSEE : "Jeunes : l'âge des indépendances", Économie et Statistique, n° 337-338, 2000.
LICHTENBERGER (Y.) et PARADEISE (C.) : "Compétence et relation de service. Crise ou redéfinition du
contrat de travail ?", colloque Le travail entre l'entreprise et la cité, Cerisy, 1999.
LIQUET (D.) : Le logement, CESR Pays de Loire, octobre 1998.
LOCHET (J.-F.) et PODEVIN (G.) : "Recrutement et insertion : logiques sectorielles de gestion de la
main-d'œuvre et usage des statuts d'embauche", in Zenda (J.-L.) "Approches du recrutement",
L'Observatoire de l'ANPE, 1998.
MARTIN (H.) : “Pénurie et immigration des salariés qualifiés aux États-Unis”, rapport de l’ambassade
de France aux États-Unis, juin 2000.
MEDEF : Résultats de l'enquête pénuries de main-d'œuvre, novembre 2000.
MINISTERE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE, Délégation générale à l'emploi et à la formation
professionnelle, ANPE, AFPA : "Mise en œuvre du plan d'action national signé entre l'État, l'UPA et la
CGAD, prise en compte dans les plans d'action locaux 2000 des difficultés de recrutement dans
l'artisanat, le bâtiment et les métiers de la bouche”, circulaire DGEFP n° 99-5, novembre 1999.
MINISTERE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE : "Les difficultés de recrutement en mars 2000", Premières
Informations, n° 23.1, mars 2000.
MINISTERE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE, Les réponses aux besoins
de main-d'œuvre des entreprises, séminaire de travail du 19 octobre 1992, Délégation à l'emploi,
octobre 1992.
MINISTERE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE : Diagnostic-action sur les
difficultés de recrutement des entreprises : repères pour l'action des services, Délégation à l'emploi,
octobre 1992.
MINNI (C.) et POULET (P.) : "L'évolution récente de la scolarité et de l'insertion professionnelle des
jeunes (1996-1998)", Premières Synthèses, n° 52.1, décembre 1998.
MÜLLER (W.) et WOLBERS (M.) : Educational Attainment of Young People in the European Union :
Cross-Country Variation of Trends over Time, Working Paper, Mannheim-Maastricht, MZES et ROA,
janvier 2001, consultable sur le site : www.mzes.uni-mannheim.de/projekte/catewe/publ/publ-
e.html#discussion
OREF ALSACE : Les difficultés de recrutement en Alsace, diagnostic statistique, octobre 2000.
PISANI-FERRY (J.) : Plein emploi, rapport du CAE, La Documentation française, 2000.
POULET (P.) : "Allongement des études et insertion des jeunes : une liaison délicate", Économie et
Statistique, n° 300, 1996.
POULET (P.) et ZAMORA (P.). : "Insertion des jeunes : sensible amélioration, surtout chez les diplômés",
Note d'information, n° 00 36, DPD, octobre 2000.
PROKOVAS (N.) et DU MERLE (B.) : "Les métiers qui bougent", L'Observatoire de l'ANPE, février 1999.
PROKOVAS (N.) et POULOULY (C.) : "Les métiers qui bougent", L'Observatoire de l'ANPE, mars 2000.
PROKOVAS (N.) et POUPARD (G.) : "Le marché des informaticiens", L'Observatoire de l'ANPE, juin
2000.
SERFATY (E.) : "Les entreprises face aux manques de compétences de leur main-d'œuvre", Bref
CEREQ, n° 76, mai 1992.
SENNETT (R.) : in “The Corrosion of Character. The Personal Consequences of Work in the New
Capitalism”, W.W. Norton & Company, New-York, 1998, traduction française chez Albin-Michel, Le
travail sans qualités. Les conséquences humaines de la flexibilité, 2000.
SISSON (K.) : Direct Participation and the Modernisation of Work Organisation, Fondation européenne
pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, 2000.
TALBOT (J.) : "Les déplacements domicile-travail", INSEE Première, n° 767, avril 2001.
TOPIOL (A.) : "Prospective des métiers à l'horizon 2010 : une approche par familles d'activités
professionnelles”, Document d'études, n° 47, DARES, juin 2001.
VERMES (J.-P.). : “Les difficultés de recrutement : quelles réalités ? Quels remèdes ?”, rapport de la
Commission du travail et des questions sociales de la chambre de commerce et d'industrie de Paris,
décembre 2000.
WATZLAWICK (P.) : L'invention de la réalité. Contributions au constructivisme, Seuil, 1988.