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Joseph POTH

Fichier pédagogique
pour l’utilisation
des langues africaines
en contexte scolaire bilingue

Centre International de Phonétique Appliquée - Mons


Guide pratique Linguapax no5

_...__--_-_--_-
0 CIPA 1997
D/1991/7789l5
Avec le concours scientifique et technique
de la chaire UNESCO en aménagement linguistique et
didactique des langues de 1‘Université de Mons-Hainaut
et du Centre UNESCO de Catalogne
AVANT-PROPOS

LINGUAPAX est un projet de l’UNESCO qui vise à promouvoir


la culture de la paix à travers l’éducation plurilingue à tous les niveaux
éducatifs, et le respect de la diversité linguistique.

Ce projet a pour objectif d’apporter une réponse linguistique


spécifique aux problèmes posés par la recherche de la paix, la défense
des droits de l’homme et la promotion d’une véritable éducation pour la
démocratie.

Les moyens utilisés pour atteindre ce but sont l’identification de


nouveaux programmes d’enseignement des langues étrangères et
maternelles axés sur la tolérance, la compréhension et la solidarité
internationales ainsi que l’élaboration de méthodes d’enseignement
intégrant structurellement des objectifs de coopération et de solidarité au
niveau international tout en éliminant stéréotypes et préjugés
dévalorisants. La formation des enseignants et la conception des
manuels scolaires dans cette perspective constituent les éléments
déterminants de cette stratégie.

Dans un premier temps, LINGUAPAX se propose de donner


priorité aux actions suivantes:
1. ELABORER, à titre expérimental de nouveaux contenus de cours
de langues étrangères susceptibles d’apporter aux élèves une
connaissance objective des éléments importants de la vie
quotidienne, de la culture, de la littérature, du folklore, des
moeurs et des habitudes des pays où se pratiquent les langues
étudiées.

2. FACILITER l’intégration des langues minoritaires ou minorisées


dans les plans d’aménagement linguistique à l’intérieur de
schémas directeurs adaptés aux diverses situations qui
prévalent dans les Etats membres où une décision en ce sens
a été prise.

3. SOUTENIR la diffusion de méthodes efficaces pour


l’enseignement des langues étrangères et des langues
maternelles dans l’esprit d’un renforcement de la coopération
pacifique entre les communautés, les peuples et les nations.

4. ANCRER LINGUAPAX dans la culture de la paix, dans l’effort de


l’UNESCO pour développer l’esprit de tolérance, défendre la
cause des droits de l’homme, et l’éducation pour la démocratie.

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5. ÉLABORERune carte linguistique du monde qui ait une fonction
descriptive et explicative, qui soit régulièrement mise à jour et
qui ait des objectifs opérationnels de sauvegarde et de
protection des langues vivantes.

6. PROMOUVOIRune culture multilingue: à cet effet, aider les États


à renouveler leurs critères de planification linguistique et fournir
aux éducateurs et aux enseignants des instruments
pédagogiques appropriés.

7. PARTICIPERà l’élaboration de dispositifs, juridiques en matière de


droits linguistiques sur demande des Etats membres.

a. INTERVENIR prioritairement dans les contextes pré- ou/et post-


conflictuels.

9. PRENDRE EN COMPTE la défense des langues minoritaires ou


minorisées en relation avec la promotion des langues
étrangères.

10. AIDER les enseignants à exploiter les acquis de la


psycholinguistique pour éviter qu’un enseignement de mauvaise
qualité ne débouche sur des phénomènes de rejet envers la
langue étrangère elle-même, puis envers la culture qu’elle
représente, ce qui serait contraire à l’esprit de LINGUAPAX.

11. PRENDRE EN COMPTE les données de la didactique des langues


qui postulent deux méthodologies spécifiques selon qu’il s’agit
de l’apprentissage d’une langue étrangère ou du
perfectionnement d’une langue maternelle.

12. ÉTENDRE la philosophie de LINGUAPAX à l’ensemble de


l’enseignement des sciences sociales dans le cadre éducatif.

13. P&~~~ERCHER systématiquement les convergences et la


coordination aux niveaux didactique et pédagogique dans
l’enseignement d’une langue maternelle et d’une langue
étrangère sans violer les faits linguistiques d’une langue à une
autre.

---- -
L’APPROCHE PSYCHO-PÉDAGOGIQUE ET SES IMPLICATIONS SUR LA
RÉPARTITION DES CONTENUS SCOLAIRES ENTRE LANGUE MATERNELLE ET
LANGUE NON MATERNELLE DANS UN CONTEXTE DE BILINGUISME SCOLAIRE

A. Quand le besoin d’authenticité culturelle rejoint les objectifs


prioritaires de la psycho-pédagogie

Depuis la prise en charge par les États africains de leur propre


destin, la langue de l’ancien tuteur est généralement restée le support
privilégié des activités d’éducation et l’apprentissage du français, de
l’anglais, de l’espagnol, du portugais continue de tenir une place
prioritaire dans les programmes scolaires destinés à l’enfant noir.

Portées cependant par le courant des idées nouvelles, les


langues africaines ont repris depuis dix ans une vigueur inattendue, si
bien qu’elles refusent à présent d’être vouées à une disparition lente,
mais qui paraissait inéluctable pour certaines d’entre elles. Face aux
empiétements du modernisme universel, l’homme éprouve le besoin
impérieux de recourir aux formes naturelles de l’expression. Les parlers
maternels lui offrent un répertoire plein de vie et de cohérence, ils sont
les garants de son identité profonde. Grâce à eux, l’Africain
contemporain dispose d’un antidote efficace contre le nivellement des
personnalités.

II était normal que ce retour aux sources culturelles


s’accompagnât d’une remise en question de quelques postulats psycho-
pédagogiques trop hâtivement formulés. On sait aujourd’hui que
refouler chez un enfant son parler maternel est extrêmement nocif pour
le développement de ses capacités affectives et cognitives. Ses élans
d’expression spontanée, dus aux pulsions d’une vie intérieure féconde
sont artificiellement freinés et on nuit de /a sorte au bon développement
de ses facultés d’expression dans la langue d’alphabétisation elle-même
que /‘on croyait pourtant privi/égier. La pédagogie moderne a compris
que l’acquisition rationnelle des langues secondes en Afrique ne passe
pas par leur utilisation exclusive dans les classes de l’école primaire.
C’est finalement rendre un mauvais service aux langues européennes
que de vouloir leur garantir un monopole qui les dessert.

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En refusant en effet au jeune Africain la possibilité d’utiliser le
support linguistique familier, apte à répondre à son besoin de créativité,
l’école contrecarre son épanouissement ; elle le fait se replier sur Iui-
même dans l’attitude de résignation qu’on lui impose et, par voie de
conséquence, elle atrophie son pouvoir d’idéation et sa curiosité
naturelle. Confronté alors, dès les premiers jours de scolarité, dans les
pires conditions de déséquilibre affectif, au système déroutant d’une
langue étrangère encore souvent enseignée de façon trop traditionnelle,
l’enfant subit passivement cet apprentissage et finit par acquérir les
rudiments d’un langage qui le limite sur le plan de la pensée.

En revanche, si l’on favorise l’utilisation des langues parentales


à l’école, on offre à l’enfant la possibilité équilibrante de verbaliser en
toute circonstance ses intérêts et sa pensée. Celle-ci s’affine, s’épure
et s’enrichit. L’enfant se décentre progressivement par rapport à lui-
même, il s’éveille à la curiosité des différents milieux qui l’entourent, il se
cultive, il se construit. C’est dans ce contexte réceptif que le besoin de
nouveaux moyens d’information et d’expression, liés aux contenus des
programmes scolaires, se fait rapidement sentir. L’apprentissage d’une
langue non maternelle vient alors à son heure. Cet apprentissage
s’avère nécessaire et bénéficie par conséquent d’une motivation
puissante qui facilite et garantit son acquisition.

Dans la pratique cependant, la cohabitation de deux ou de


plusieurs langues d’enseignement à l’intérieur des même programmes
pose de nombreux problèmes d’équilibre et de dosage. Comment éviter
tâtonnements et incohérences à partir du moment où l’option nationale
retient le principe du bilinguisme scolaire ? Sur quelle base raisonnable
doser les contenus d’enseignement entre la langue maternelle et la
langue non maternelle?

B . Une solution possible : le critère de fonction

Sur le plan pédagogique, la solution du problème consiste


finalement à déterminer quelle est la langue ou quelles sont les langues
dont l’utilisation épanouit et équilibre le plus sûrement l’enfant à tous les
stades de son développement psychomoteur, affectif, psychologique et
intellectuel tout en garantissant son intégration dans la société de
demain.

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Voilà la véritable question que les responsables pédagogiques
doivent à la fois poser et résoudre ! L’approche adéquate ne consiste
pas à partir des langues d’enseignement retenues par les instructions
officielles et à leur fixer séparément des objectifs. II faut inverser les
termes de cette démarche ; élucider d’abord avec précision les objectifs
que l’école dans son contexte national fixe à une langue d’enseignement
et se demander ensuite quelle serait parmi les langues agréées celle ou
celles qui permettront d’atteindre avec le maximum d’économie et de
certitude des objectifs initiaux.

À l’exemple des linguistes contemporains qui assignent


différentes fonctions au langage humain, les instituts nationaux de
recherche appliquée à l’éducation devront d’abord s’appliquer à
recenser et à classer les finalités pédagogiques, c’est-à-dire les
fonctions concrètes que doivent remplir dans le contexte national la
langue ou les langues d’enseignement représentées dans le pays. Ce
travail d’analyse prendra pour point de départ le contenu et l’esprit des
instructions officielles, les programmes en vigueur, les intentions
générales du Gouvernement et le profil souhaité pour l’élève sortant du
cycle primaire.

II s’agira ensuite de déterminer sur la base de cette première


analyse laquelle parmi les langues en présence, compte tenu de ses
potentialités et de ses acquis, peut le mieux remplir telle ou telle fonction
pédagogique.

II deviendra alors possible de faire parvenir aux autorités de


décision des propositions de répartition et de dosage linguistique aux
différents niveaux scolaires.

Cette approche aidera les institutions nationales responsables


à poser clairement un problème à propos duquel partisans et
adversaires de l’utilisation des langues nationales en milieu scolaire ont
souvent fait preuve de subjectivité.

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C) Quelles sont les fonctions pédagogiques que doit remplir une langue
d’enseignement dans le contexte actuel de l’école primaire africaine?

1) La fonction de lien entre l’école et le milieu

La coupure souvent dénoncée entre l’école et le milieu est due


principalement à l’utilisation de langages différents. Or, ce n’est pas le
milieu qui doit aller à l’école, mais l’école qui doit aller au milieu. Quelle
est donc la langue de communication qui relie l’école au milieu ?

- Le milieu économique (qui se compose essentiellement de la petite


industrie locale, du commerce de détail, de l’agriculture et de
l’artisanat) s’exprime presque exclusivement en langues africaines.
La réussite dans ces diverses activités est donc tributaire d’une
bonne connaissance de ces langues.

- Le milieu politique dans les villages ou dans les cantons se caractérise


également par l’utilisation des langues locales. Les relations
entretenues avec la population par le chef de village, l’homme de loi,
l’administrateur, etc. sont fondées généralement sur l’utilisation
mutuelle de ces langues.

- Le milieu familial s’exprime dans une langue africaine. L’usage


éventuel de cette langue à l’école pourrait d’ailleurs devenir un
moyen privilégié de participation à l’éducation scolaire.

- Le milieu religieux ne se manifeste avec authenticité qu’au travers des


langues du pays. Qu’il s’agisse de religions endogènes ou
importées, c’est la langue locale qui est utilisée par les fidèles pour
participer aux rites et pratiques afférentes.

Les langues du pays sont donc bien l’outil le plus efficace pour
faire participer activement le système scolaire en général et les élèves
en particulier à la vie économique, politique, familiale et religieuse du
milieu. Elles rendent compte sans les appauvrir ni les déformer des
réalités quotidiennes et elles cimentent l’école et son environnement
humain en un groupe socio-culturel cohérent. II est donc clair que la
fonction de lien doit leur être dévolue.

Si l’on applique cette conclusion aux programmes en vigueur


dans les classes, on sera tout naturellement amené à employer les

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langues africaines dans les activités scolaires directement centrées sur
l’étude du milieu.

Enseignement de base : morale et instruction civique


Activités d’éveil : histoire et géographie, leçons de chose,
travaux pratiques agricoles.
Formation scientifique : initiation technologique, initiation à la vie
professionnelle.
Éducation esthétique : dessin, chant, éducation physique et
sportive.
Éducation religieuse : (éventuellement).

L’utilisation des langues africaines dans ces différents secteurs


du programme doit donc être systématisée parce que ces langues
permettent d’atteindre plus efficacement et plus sûrement qu’une langue
étrangère les objectifs assignés à ces activités dans les premiers temps
de la scolarité des enfants africains.

2) La fonction d’accès aux apprentissages instrumentaux

Le besoin d’apprendre est inné. Le geste, le jeu, la voix sont les


moyens dont dispose le tout jeune enfant pour aller à la découverte du
monde extérieur qui l’entoure. Mais à l’école, la liberté physique est
strictement réglementée, surtout dans les classes d’initiation où le maître
doit faire face à des effectifs particulièrement chargés. Les contraintes
équilibrantes du milieu familial, les statuts particuliers acquis au cours
d’activités ludiques sont remis en cause dès les premiers jours de la
rentrée scolaire. De nouvelles structures plus coercitives ne
s’accommodent guère des apprentissages spontanés dont le caractère
impromptu refuse les contenus programmés à l’avance par la “leçon du
jour”.

Cette nouvelle situation s’accompagne d’un désarroi provisoire


mais vécu avec intensité. II est nécessaire d’aider l’enfant à surmonter
ce passage difficile en le confrontant dans l’usage de sa langue
maternelle qui met à sa disposition /es outils verbaux capables
d’exprimer en toute authenticité son besoin fondamental de
connaissance et de créativité.

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II faut considérer en effet que les pouvoirs d’intériorisation, ceux
qui s’identifient avec la pensée et la conscience réfléchie, s’exercent -
au premier stade du développement de l’enfant - à travers la langue
maternelle de l’enfant du fait précisément qu’elle constitue la seule
possibilité de verbalisation active.

C’est bien dans la langue maternelle que se traduisent les


premières conquêtes opératoires à partir desquelles se construit et mûrit
l’esprit de l’enfant. L’intelligence abstraite ne peut être solidaire au
départ d’une langue non maternelle. Ceci explique pourquoi les
pédagogies actives qui font sortir /‘opération de l’action ne sont
sérieusement envisageables que dans le contexte linguistique maternel
de l’enfant. Ce n’est qu’après s’être dégagée du concret que la pensée
opératoire pourra se réinvestir dans une autre langue avec, bien sûr,
tous les problèmes complexes que pose ce type de transfert.

La fonction d’accès aux apprentissages instrumentaux ne peut


donc être remplie par une langue étrangère dont le niveau d’utilisation
est encore trop fruste dans les premiers temps de la scolarité. Cette
fonction revient à la langue familière qui permet à l’enfant de verbaliser
sa pensée et par conséquent de concrétiser et de maîtriser en les
formulant ses observations et investigations sensorielles.

C’est pourquoi on confiera sans hésitation à la langue


maternelle ou usuelle tous les apprentissages liés à la lecture et à
l’écriture. Confirmée en cela par la pratique pédagogique, la
psychologie nous apprend justement que l’apprentissage de la lecture
représente de la part de l’élève un effort énorme, plus considérable sans
doute que pour l’acquisition de n’importe quelle autre “matière” au
programme. Si la lecture est enseignée aux petits enfants dès l’aube
de leur scolarité, cela ne veut pas dire que l’effort est moindre, cela
signifie simplement que son apprentissage est fondamental et constitue
un préalable à l’acquisition des autres contenus scolaires. II faut donc
tout faire pour minimiser les problèmes et ne pas créer de difficultés
supplémentaires à l’enfant.

Or, en quoi consiste exactement cet apprentissage de la lecture


qui exige tant d’efforts de la part de l’enfant ?

12

_--. .- - -~.
Cet apprentissage passe en fait par trois paliers distincts qui
représentent autant d’objectifs à atteindre dans le cours de la première
année de scolarité. Ce sont dans l’ordre :

- La reconnaissance matérielle ainsi que la discrimination des signes et


des assemblages graphiques.

- La compréhension du sens associée au déchiffrage de textes simples.

- La lecture naturelle de textes suivis élaborés à partir d’un vocabulaire


connu.

Si l’élève accède à la lecture par le biais d’une langue étrangère,


il devra surmonter d’emblée trois grosses difficultés qui correspondent
respectivement à chaque palier d’apprentissage évoqué ci-dessus :

- Difficulté due au décodage des graphies.

- Difficulté due à l’incompréhension du sens des mots qu’il doit


déchiffrer. Ces mots n’ont aucune signification pour lui.

- Difficulté psychologique due au médium lui-même. La communication


écrite est impersonnelle, distante, différée dans le temps alors que
la communication orale implique un interlocuteur physiquement
présent qui précise et renforce le sens du message par son
comportement général.

Certes, on n’éliminera totalement ni la première ni la troisième


difficulté si l’on remplace la langue étrangère par la langue maternelle,
encore que la capacité à discriminer les signes et surtout à lire
naturellement soit forcément améliorée et accélérée dans ce cas. C’est
la seconde difficulté, celle qui constitue un obstacle véritablement majeur
sur le plan pédagogique, que l’on écarte radicalement lorsque
l’acquisition des apprentissages liés à la lecture et à l’écriture se fait par
le truchement de la langue maternelle ou usuelle de l’enfant. En effet,
il est admis désormais que le déchiffrage ne peut s’exercer valablement
que sur les mots ou les phrases dont le sens est connu de l’enfant.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les leçons de langage doivent
toujours précéder l’initiation à la lecture.

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Cette pédagogie du bon sens n’est possible, évidemment, que
si l’apprentissage de la lecture se fait en langue maternelle. Dans le cas
contraire, il faut reporter cet apprentissage de plusieurs mois, voire
d’une année, jusqu’au moment où l’élève a, de la langue, une
connaissance suffisante pour comprendre le sens des mots qu’il doit
apprendre à déchiffrer. Dans cette hypothèse on sera amené à reporter
ipso facto d’autres éléments importants du programme : l’apprentissage
de l’écriture notamment sera retardé. II ne peut être question non plus
d’écrire de petits énoncés de calcul au tableau tant que les élèves sont
incapables de les lire, etc. C’est finalement tout un ensemble important
du programme qui est remis en question chaque fois que les
apprentissages instrumentaux liés à la lecture et à l’écriture s’opèrent
par le biais d’une langue non maternelle et sont, de ce fait, retardés.

II en va de même pour l’apprentissage de la numération qui


constitue le support instrumental indispensable à l’acquisition d’une base
mathématique telle que la définissent actuellement les programmes.
Toutes les cultures, à travers les langues qui les expriment, admettent
les valeurs significatives du nombre mais certaines diffèrent des autres
dans les procédures de construction mentale qui organisent le système
numéral. Pourquoi vouloir à tout prix enseigner en Afrique la
numération, les notions de similitude, d’identité, d’égalité, les degrés de
comparaison, etc. dans une langue non maternelle qui déforme ou
paupérise ces notions telles qu’elles ont été conceptualisées dans le
milieu culturel d’origine? Bien m’teux qu’une langue étrangère, de
surcroît mal maîtrisée, le support linguistique maternel traduit en
profondeur l’ébauche de la pensée logico-mathématique chez l’enfant
et utilise pour cela des moyens divers qui vont de la locution clairement
délimitée à la structure syntaxique de l’énoncé et de I’expressivité.

Malgré le petit nombre de recherches menées à terme, tout


porte à croire que l’élève africain accède facilement aux concepts
mathématiques de base dans la langue qu’il utilise familièrement. La
relation et la numération déterminent en effet des procédures de
verbalisation liées à l’activité opératoire et le recours à la langue
maternelle permet d’éviter les ambiguïtés, les faux apparentements et
les erreurs de compréhension qui sanctionnent fatalement l’utilisation
d’une langue étrangère dont l’enfant ne sait pas encore tirer parti.

Ajoutons cependant que ce serait une erreur d’utiliser les


langues africaines pour aborder avec l’enfant les concepts de

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numération ou de relation et de maintenir para//è/ement dans son
enseignement les modèles organisés qui définissent ces concepts dans
les cultures occidentales. II faut introduire dans ce domaine non
seulement les langues africaines mais aussi les cheminements logiques
qui s’y rappotfent. Même si ces cheminements n’appartiennent pas au
mode de raisonnement cartésien.. .

La fonction d’accès aux apprentissages instrumentaux revient


donc aux langues maternelles. C’est dans sa langue maternelle que
l’enfant africain - tout comme l’enfant européen - doit apprendre à lire,
à écrire et à compter. Le recours à une langue non maternelle n’est
sûrement pas le moyen le plus efficace et le plus économique pour y
arriver.

3) La fonction de communication pédagogique et de support des


contenus scolaires

Cette fonction consiste essentiellement à véhiculer les


différentes matières d’enseignement inscrites au programme. La langue
utilisée comme support des contenus doit rendre possible l’ouverture sur
le monde extérieur tout en affermissant l’enfant dans son milieu
d’origine. Elle doit fournir à l’élève les moyens de s’intégrer sans heurt
dans la cellule familiale et dans la société africaine, mais elle doit aussi
être capable de le familiariser avec les techniques modernes
contemporaines dont la maîtrise est inséparable du développement
économique et culturel du pays,

Existe-t-il dans le contexte actuel de l’Afrique francophone des


langues d’enseignement qui soient susceptibles d’assumer entièrement
cette double fonction ? II semble bien que non. S’il est certain que les
langues européennes sont en situation d’incomplétude et ne peuvent
traduire dans leur authenticité les démarches affectives, les approches
logiques ou technologiques nées dans le milieu traditionnel africain, il est
également vrai que ces langues africaines dans leur état actuel ne
rendent pas toujours compte avec la précision nécessaire des réalités
techniques et scientifiques, traitées dans les programmes scolaires
nationaux, mais développées à l’intérieur d’autres cultures.

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II s’agit là évidemment d’une situation purement conjoncturelle
qui trouve son origine dans des habitudes déterminées par l’histoire et
susceptible de mutations profondes au contact de nouvelles réalités.

II n’en reste pas moins que certains objectifs logico-


mathématiques de type occidental, tel que les définissent actuellement
les curricula et programmes scolaires, seront sans aucun doute atteints
plus économiquement et plus efficacement s’ils sont verbalisés dans les
langues européennes. La vérité est que nous touchons là un problème
de fond qui reste paradoxalement mal perçu et rarement évoqué. On
croit trop souvent que le simple fait d’utiliser une langue maternelle
résoudra chez l’enfant afncain les principales difficultés de
compréhension liées aux apprentissages mathématiques. C’est faire
bon marché des difficultés inhérentes à la mathématique elle-même en
tant que comportement devant les faits et attitude intellectuelle. Le
problème qui se pose n’est pas de trouver puis d’utiliser un nom
français, hausa ou chinois pour “dénoter” le concept mathématique. Ce
qui importe c’est de savoir à travers quelles manipulations et quelles
confrontations il devient possible de construire ce concept et d’en
assurer aux élèves une approche adéquate et définitive. La construction
opératoire du concept compte finalement plus que l’appartenance
linguistique du nom qu’on lui donne.

II est donc tout à fait inutile, à notre avis, de remplacer


simplement les formulations françaises ou anglaises par des
formulations africaines et de maintenir simultanément dans les activités
scientifiques les schémas de raisonnement importés. Si l’on continue à
enseigner la mathématique et les sciences exactes à partir de modèles
didactiques européens transférés tels quels, nul doute que les langues
européennes sont les mieux adaptées à cet usage. Si l’on veut en
revanche “africaniser” ces disciplines et les enseigner à partir des
cheminements logiques vécus par l’enfant africain, nul support ne sera
mieux adapté que les langues africaines pour y parvenir.

Faut-il donc redécouvrir tous les contenus inscrits dans les


programmes, réinventer une mathématique et une technologie
africaines? Certainement pas, mais il est nécessaire de redéfinir les
itinéraires pédagogiques qui s’y rapportent, d’identifier les structures
logiques et opératoires qui sont sous-jacentes aux langues africaines et
qui conditionnent le bon développement et la mise en place des
schémas logico-mathématiques chez l’enfant africain.

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Le résultat mathématique en lui-même transcende les cultures
et appartient à tout le monde. Ce sont les modalités grâce auxquelles
l’enfant accède à ce résultat qui sont dépendantes de facteurs culturels
et qu’une pédagogie nouvelle fondée sur l’authenticité doit mettre en
évidence. II faut donc résolument abandonner les démarches
uniformes, refuser les procédures logiques standardisées lorsqu’on
enseigne dans une orbite culturelle différente de celle dans laquelle on
a été formé. Les catégories de la logique et du raisonnement ne sont
pas plus universelles que les catégories grammaticales qui en sont
d’ailleurs le reflet.

Ceux qui soutiennent l’introduction des langues africaines dans


les programmes d’enseignement et de formation doivent donc bien
savoir que cette opération porte en germe une réforme fondamentale
non seulement au niveau des véhicules d’enseignement mais aussi en
ce qui concerne la redéfinition des méthodes didactiques et le choix des
contenus eux-mêmes. Cette réforme est incontestablement difficile et
de longue haleine, mais qui ne voit qu’elle est la condition nécessaire
d’une pédagogie véritablement africaine dans sa forme et dans sa
substance ?

La fonction de support des contenus scolaires suppose


également la capacité de la langue concernée à proposer un
métalangage - c’est-à-dire en gros un vocabulaire réflexif- qui soit apte
à rendre compte des faits de fonctionnement de la langue et à véhiculer
la description des schémas dynamiques qui la caractérisent en
profondeur. C’est ce métalangage qui permet par exemple aux élèves
de pratiquer les exercices désormais classiques d’analyse
grammaticale, logique ou fonctionnelle.

Or, certaines langues africaines n’ont pas encore, développé


de métalangage, non qu’elles soient incapables de le faire, mais parce
que cette nécessité ne s’est pas fait ressentir jusqu’ici. II en résulte que
pour l’instant c’est le métalangage développé par les langues
européennes qui sert normalement à rendre compte des phénomènes
qui régissent le fonctionnement de telle ou telle langue africaine. Sans
doute, la réflexion linguistique n’est-elle pas très poussée à l’école
primaire - sauf peut-être durant les deux dernières années de scolarité -
mais elle est nécessairement approfondie dans les établissements de
formation des maîtres. À ce niveau on ne peut se contenter d’un

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vocabulaire grammatical approximatif et l’outil de description le plus
efficace reste encore la langue européenne dans la majorité des cas.

Encore une fois, cette situation conjoncturelle n’a rien


d’extraordinaire ni de choquant. Le vocabulaire de réflexion
pédagogique est disponible et abondant dans les langues européennes,
pourquoi les langues africaines n’en tireraient-elles pas profit? Nul doute
qu’avec leur entrée effective dans les programmes scolaires, les
nouvelles langues d’enseignement ne développent parallèlement les
registres du métalangage dont elles auront besoin. Pour l’instant en tout
cas une bonne maîtrise du métalangage emprunté aux langues
européennes est une condition indispensable pour connaître
objectivement bon nombre de langues africaines et les décrire avec
précision.

4) La fonction interculturelle

Les préoccupations culturelles ne sont pas absentes des


finalités de l’école primaire. La fonction interculturelle d’une langue
d’enseignement en Afrique, est d’affermir l’enfant - plus tard le lycéen et
l’étudiant - dans sa culture nationale spécifique tout en lui offrant les
clefs du monde extérieur. La langue utilisée doit donc être capable de
rendre compte de l’ensemble des valeurs esthétiques, philosophiques
et éthiques que se partagent les diverses ethnies rassemblées sur le
territoire national ou dans la région. Elle doit aussi permettre la diffusion
extérieure de la culture nationale afin que cette culture puisse féconder
les autres cultures avec ses apports propres et reçoive en retour les
dons extérieurs les plus enrichissants. C’est dans ce sens qu’une
langue d’enseignement dépasse toujours son cadre purement scolaire
pour jouer le rôle élargi d’une langue de communication et de culture
dont la fonction est d’intégrer les locuteurs dans le cycle contemporain
de l’humanisme universel.

S’il existe bien actuellement des langues africaines capables


d’assurer un rôle de rassembleur interne, moins nombreuses sont celles
qui pourraient soutenir d’emblée la diffusion universelle de la culture
nationale. Cette fonction repose pour l’instant sur quelques langues
mondiales de grande diffusion. C’est paradoxalement à travers leur
canal que les littératures, les cultures et, d’une façon générale, les faits
de civilisations africaines sont encore connus et appréciés par les autres
peuples du continent et du monde. C’est dans ces langues que les

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enfants des autres pays connaissent et connaîtront pendant longtemps
encore, les récits, les épopées, les contes et les légendes de l’Afrique.
II en va de même pour la production cinématographique africaine qui
recourt encore généralement au français à l’anglais ou au portugais
pour se faire connaître et estimer.

D. Perspective et actions concrètes

Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, l’ère du monolinguisme


scolaire fondé sur une langue européenne appartient désormais au
passé de l’Afrique. Rares sont les pays qui n’ont pas encore inscrit,
sous une forme ou sous une autre, la question linguistique à l’ordre du
jour de leurs préoccupations en matière d’éducation et il serait facile de
citer les Etats africains -même caractérisés par un multilinguisme
prononcé- dont le souci immédiat est de garantir aux langues
endogènes une place de choix dans les activités scolaires. II ne fait
aucun doute que l’utilisation des langues nationales sera, dans les
années à venir, au coeur même des grandes réformes éducatives
engagées un peu partout au Sud du Sahara...

Faut-il, pour autant, en conclure que les systèmes scolaires


africains s’orientent inexorablement vers un monolinguisme exclusif,
fondé sur les langues africaines ? Toutes les déclarations récentes
émanant d’hommes politiques ou d’intellectuels connus, indiquent le
contraire. Pourquoi vouloir répondre à l’excès passé par l’excès
opposé? À quelques très rares exceptions près, le monolinguisme
africain tout comme le monolinguisme européen paraît totalement
irréaliste dans les systèmes scolaires africains d’aujourd’hui. Quoi qu’il
en soit, la décision de promouvoir telle ou telle langue d’enseignement
dans les programmes de l’école est du ressort exclusif des autorités
nationales souveraines. Nul ne peut intervenir dans un tel choix. Cette
conviction est à la base même de notre analyse et les solutions que
nous avons proposées relèvent d’une approche purement pédagogique
qui exclut toute option politique ou même culturelle. Faut-il rappeler une
dernière fois que, dans un contexte plurilingue ou bilingue, le dosage
des contenus d’enseignement entre les langues africaines et les langues
d’origine européenne doit être raisonnablement fondé sur des critères
de fonction pédagogique et que ce sont ces fonctions qui priment, le
choix du véhicule d’enseignement leur étant strictement subordonné ?
Les cadres de l’enseignement, les enseignants et tous ceux qui sont
directement engagés dans les politiques linguistiques menées en Afrique

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doivent savoir que le conflit entre les langues étrangères et les langues
africaines n’est nullement une fatalité, qu’il est parfaitement possible,
dans la pratique scolaire, de réduire une situation de confrontation
apparente en une occasion d’enrichissement mutuel et d’apports
positifs. II suffit pour cela de renoncer aux pétitions de principe, aux
belles effusions lyriques, aux mirages de la théorie, pour se pencher un
peu plus sur les finalités pédagogiques c’est-à-dire en définitive sur
l’enfant.

Les implications d’une telle problématique entraînent


évidemment la réflexion sur le terrain tout à fait pratique de la classe
primaire, terrain moins confortable sans doute que celui de la théorie
mais combien plus mobilisateur pour tous ceux qui interviennent
directement dans les processus éducatifs ! C’est résolument dans cette
perspective d’application concrète qu’ont été conçues les fiches qui vont
suivre.

1 DOCUMENT PÉDAGOGIQUE INITIAL 1

PROBLÉMATIQUE GÉNÉRALE DE L’INTRODUCTION DES LANGUES


NATIONALES DANS LES PROGRAMMES SCOLAIRES AFRICAINS

Objectifs de ce document initial

- présenter une problématique générale et un schéma de référence pour


l’ensemble des fiches pratiques qui suivront
- renseigner sommairement sur le contenu des différentes fiches
prévues
- définir le public visé en priorité par chacune d’elles.

L’expérience montre ,qu’il est possible de regrouper sous


quelques grands THEMES OPERATOIRES lesprobkmes immédiats qui
se posent - avec plus ou moins d’intensité selon les cas - aux
responsables pédagogiques chargés d’appliquer une politique
linguistique fondée sur l’utilisation des langues nationales dans les
programmes scolaires. Cette approche permet:

20

__--- -.
- De SYSTÉMATISER les situations linguistiques et pédagogiques
existantes;
- De RECENSER et d’ÉLUCIDER les problèmes spécifiques à l’intérieur
de chaque situation ;
- De DETERMINER les domaines prioritaires d’action et d’intervention
afin de réduire - sinon d’éliminer - les problèmes recensés.

Pour le praticien engagé effectivement dans un processus de


promotion des langues nationales en contexte scolaire, toute la
problématique s’articule autour des TROIS THÈMES OPÉRATOIRES
suivants:

L’enfant

Le maître

La langue africaine

21
THÈME A : L’ENFANT ET LA LANGUE AFRICAINE
D’ENSEIGNEMENT

CONTENU: La langue nationale officiellement retenue pour servir de


véhicule d’enseignement n’est pas toujours la langue maternelle de
l’enfant africain. Quelles sont réellement les situations liées au statut de
/‘enfant face à la langue africaine d’enseignement? Quelles sont les
implications pédagogiques de chaque statut? Quelles actions peut-on
entreprendre pour surmonter les handicaps existants et réduire les
difficultés rencontrées?

PUBLIC VISÉ: Cadres d’enseignement et de formation (Inspecteurs,


Conseillers Pédagogiques, Professeurs d’École Normales).

CONTENU: La verbalisation des notions intuitives (espace, temps,


causalité, conséquence, etc.) et /‘utilisation cognitive de la langue
africaine d’enseignement (dans les démarches de type logico-
mathématique par exemple) sont /es supports fondamentaux de la
réflexion technologique. Quels éléments de solution peut-on apporter sur
le plan pédagogique afin de réduire très notablement les difficultés dans
ce domaine capital pour l’éveil à l’esprit et aux attitudes scientifiques?

PUBLIC VISÉ: Cadres d’enseignement et de formation, Directeurs


d’écoles.

CONTENU: Cette fiche est une application de la fiche précédente. Elle


propose des exemples concrets de séquences technologiques pour
entraîner les enfants de 10 à 12 ans à la réflexion fonctionnelle et à la
verbalisation des faits de technologie en langue africaine

22
d’enseignement. Comment concevoir et mener des exercices de
verbalisation dont le but est d’améliorer le rendement cognitif de la
langue africaine utilisée par les enfants? Comment faciliter l’approche
des notions logico-mathématiques dans la langue africaine
d’enseignement ?

PUBLIC VISÉ : Cadre d’enseignement, Directeurs d’écoles, maîtres en


exercice.

THÈME 6 : LE MAîTRE ET LA LANGUE D’ENSEIGNEMENT

CONTENU: Les variables qui caractérisent le statut linguistique des


élèves africains caractérisent aussi la situation des maîtres et futurs
maîtres. II en résulte souvent une complexité réelle du statut des
enseignants face aux langues africaines d’enseignement.
Que peut-on faire pour éliminer autant que possible ces difficultés
majeures dans la pratique pédagogique ?

PUBLIC VISÉ: Cadres d’enseignement et de formation.

CONTENU: Une réforme sur l’utilisation des langues nationales à l’école


exige, pour devenir un succès, le consensus profond des maîtres qui en
sont les agents directs d’exécution. Une enquête menée dans trois
pays africains auprès de 800 maîtres et futurs maîtres met en relief les
questions pratiques et théoriques que se posent les maîtres en cours de
formation et en exercice.

Sur quels problèmes concrets achoppent ceux d’entre eux qui se


trouvent effectivement engagés dans un processus d’utilisation d’une
langue africaine en contexte scolaire ?

PUBLIC VISÉ: Cadres d’enseignement et de formation.

23
CONTENU: Une des questions les plus significatives soulevées par les
maîtres et surtout les futurs maîtres est la suivante: “Pourquoi enseigner
EN langue africaine puisque les langues européennes ont fait depuis
longtemps la preuve de leurs capacités formatrices ? ” (Question posée
par 87% des enseignants interrogés). Comment répondre concrètement
et efficacement à cette question soulevée également par les parents
d’élèves ?

PUBLIC VISÉ: Cadres d’enseignement et de formation (cette fiche


apportera aux Inspecteurs, aux Conseillers Pédagogiques et aux
Professeurs d’Écoles Normales, des éléments directement utilisables
pour l’animation des conférences pédagogiques et des travaux pratiques
d’exploitation afférents).

1 Fiche 64 1

CONTENU: Une autre question très fréquemment posée met en cause


l’enseignement DE LA langue Africaine en tant que matière inscrite au
programme (question posée par 60% des enseignants interrogés). La
nécessité d’une réflexion sur la langue - forcément élémentaire au
niveau primaire - ne paraît pas évidente à beaucoup de maîtres et de
normaliens. Comment expliquer et réduire cette évidence ?

PUBLIC VISÉ: Cadres d’enseignement et de formation (fiche


fournissant des éléments pour une conférence pédagogique suivie de
travaux pratiques d’exploitation).

24

--- -~
Fiche B5

CONTENU: Beaucoup de maîtres et de futurs maîtres touchés par


l’enquête mettent en doute /es possibilités d’adaptation des langues
africaines aux réalités scientifiques et socio-culturelles du monde
moderne. L’objection est généralement formulée de la façon suivante:
“Les langues africaines sont-elles suffisamment riches et efficaces pour
pouvoir être utilisées comme véhicules d’enseignement et comme
objets d’enseignement? “ Quelles réponses d’ordre pédagogique
fournir à des pédagogues ?

PUBLIC VISÉ: Cadres d’enseignement et de formation (fiche


fournissant des éléments pour une conférence pédagogique suivie de
travaux pratiques d’exploitation).

CONTENU: Utiliser l’expression “LANGUES africaines”, c’est


incontestablement vouloir signifier une idée de plénitude et d’efficacité.
L’emploi du terme “DIALECTES” supporte en revanche un fort
coefficient péjoratif. 86% de maîtres et de futurs maîtres se sont posé
la question suivante : “Peut-on vraiment parler de“ langues africaines”,
ne faudrait-il pas plutôt parler de dialectes ou de patois ? Cette question
ne doit pas être traitée à la légère ou avec condescendance car c’est
tout un potentiel d’espoir et de confiance dans les langues nationales
qu’il s’agit de susciter chez les maîtres appelés à utiliser ces langues
dans leur enseignement.

PUBLIC VISÉ: Cadres d’enseignement et de formation (fiche fournissant


les éléments d’une conférence pédagogique suivie de travaux pratiques
d’exploitation).

25
THÈME C : LA LANGUE AFRICAINE D’ENSEIGNEMENT ET SON
COEFFICIENT D’UTILISATION PÉDAGOGIQUE

CONTENU: Les langues africaines retenues comme langues


d’enseignement ont fait généralement l’objet d’analyses et de
descriptions plus ou moins approfondies et plus ou moins applicables à
l’enseignement primaire. Que peuvent faire réellement les
enseignants et les pédagogues - compte tenu de leur profil spécifique
et de leurs capacités propres - pour faire avancer la recherche appliquée
aux langues nationales d’enseignement et pour l’orienter vers la
pratique pédagogique dans la classe ?

PUBLIC VISÉ : Cadres d’enseignement et de formation, maîtres en


cours de formation et en exercice.

CONTENU : Lorsque le choix d’une langue africaine d’enseignement a


été clairement défini, l’instituteur chargé de concrétiser dans sa classe
la politique linguistique nationale s’interroge aussitôt sur la quantité et la
validité des instruments pédagogiques dont il dispose. Sur ce point, la
situation varie beaucoup d’une langue à l’autre et selon les pays. Mais
de toute façon, le maître doit pouvoir appuyer son enseignement sur des
manuels sérieux et facilement exploitables. Comment répondre
concrètement aux diverses situations de besoin existantes? Quel
matériel pédagogique fournir aux maîtres ? Comment le concevoir et
l’élaborer?

PUBLIC VISÉ : Cadres d’enseignement et de formation, chercheurs des


Instituts pédagogiques.

26

__~-~___ ---.
I Fiche N” Al I

Analyse des situations liées au statut de l’élève des écoles


primaires face à la langue africaine d’enseignement. Problèmes et
éléments de solution.

1. QUELLE EST L4 NATURE EXACTE DU PROBLÈME ?

Les processus d’utilisation des langues nationales dans les


systèmes scolaires africains se caractérisent par des situations d’emploi
très différenciées qui résultent à la fois des objectifs éducatifs nationaux
spécifiques et des contingences linguistiques propres à chaque Etat.
Les principales situations - qu’elles soient inscrites dans des
programmes encore expérimentaux ou déjà validés - peuvent être
regroupées à l’intérieur des catégories suivantes :

lère catégorie : Une langue nationale UNIQUE est utilisée à l’école.


L’apprentissage d’une langue d’origine européenne est
plus ou moins différé au cours de la scolarité.

2e catégorie : Plusieurs langues nationales sont utilisées à l’école (en


fonction des aires linguistiques qui se partagent le
pays). L’apprentissage d’une langue d’origine
européenne est plus au moins différé au cours de la
scolarité.

3e catégorie : Plusieurs langues nationales sont utilisées à l’école (en


fonction des aires linguistiques qui se partagent le
pays). Apprentissage plus ou moins différé d’une
SECONDE LANGUE NATIONALE (qui peut avoir
vocation de langue nationale unitaire). L’apprentissage
d’une langue d’origine européenne est également
reporté à une phase ultérieure de la scolarité.

LE STATUT DE L’ENFANT AFRICAIN face aux langues nationales


d’enseignement :

27
- est en rapport direct avec ces situations d’emploi
- est (à l’instar de ces situations) complexe et différencié
- est généralement très mal connu parce que les pourcentages de
locuteurs indiqués pour telle ou telle langue africaine de grande
diffusion résultent d’enquêtes menées auprès de populations
d’adultes et ne sont pas valables pour les enfants d’âge scolaire
dont les intérêts et les besoins d’expression restent étroitement liés
à la langue de la première enfance (plus de 80% des Sénégalais
parlent le wolof, plus de 95% des Centrafricains parlent le sango,
etc. Mais quels seraient les pourcentages exacts pour les enfants
sénégalais ou centrafricains qui entrent à /‘école ?).

II. COMMENT SE PRÉSENTE DONC LA SITUATION


L’ENFANT D’ÂGE SCOLAIRE ?

Quelle que soit la catégorie à laquelle se réfère la politique


linguistique nationale, la situation de l’enfant par rapport à la langue
africaine d’enseignement se définit dans DEUX STATUTS
FONDAMENTAUX exclusifs l’un de l’autre.

PREMIER STATUT: La langue africaine d’enseignement (LgAe) est


la langue maternelle (LgM) de l’enfant. Ce
statut sera commodément représenté par
l’équation : LgAe = LaM

Les enfants qui relèvent de ce statut ne devraient pas connaître


de difficultés particulières pour assimiler les contenus des programmes
scolaires véhiculés dans leur langue maternelle. La didactique de la
langue africaine d’enseignement sera celle que l’on applique
couramment à une langue maternelle (avec notamment la possibilité de
passer rapidement à l’écriture et à la lecture, le langage étant déjà
acquis en grande partie grâce au bain linguistique familier).

DEUXIÈME STATUT: La langue africaine d’enseignement n’est pas


la langue maternelle de l’enfant. L’équation est
la suivante : LaAe + LaM

28
Première Variable LgAe=O La langue africaine d’enseignement
n’est pas du tout pratiquée par
l’enfant.

Deuxième Variable LgAe < LgM L’élève pratique moins la langue


africaine d’enseignement que sa
lanwe maternelle.
Troisième Variable LgAe = LgM L’élève maîtrise également la langue
africaine d’enseignement et la langue
maternelle.
Quatrième Variable LgAe >LgM L’élève maîtrise mieux la langue
d’enseignement que sa langue
maternelle.

EN QUOI LA DÉFINITION DES STATUTS ET L’ANALYSE DES


VARIABLES EST-ELLE OPERATIONNELLE ?

C’est qu’elle permet d’lDENTIFIER et de SYSTÉMATISER les


situations existantes dans le milieu scolaire national et de planifier en
fonction de ces situations les actions pédagogiques et les
aménagements didactiques à entreprendre dans les écoles et dans les
Instituts de formation des maîtres.

III. QUELLES ACTIONS PEUT-ON ENTREPRENDRE ET QUELS


ÉLÉMENTSDE SOLUTION PEUT-ON FOURNIR POURAITÉNUER
LES EFFETS NÉGATIFS DU STATUT No2 ?

N.B. À chaque tâche spécifique recensée ci-après correspond


naturellement une catégorie de responsables à l’intérieur du système
éducatif. On lira, en marge des paragraphes suivants, “qui fait quoi”.

A. SUR LE TERRAIN

Inspecteurs des Durant la phase expérimentale


circonscriptions d’introduction des langues africaines dans
scolaires (en liaison les programmes, OPERER un choix
avec les praticiens judicieux des écoles pilotes de façon à ne
de l’Institut pas multiplier les difficultés initiales en y
Pédagogique ajoutant des situations de type LgAe +
National). LgM.

29
(Bien sûr, ces situations ne pourront être
totalement éliminées du fait par exemple
des mutations de fonctionnaires et de leurs
familles dans une aire linguistique
différente, mais si /‘on a pris soin de faire
de l’homogénéité linguistique de l’école un ’
des critères de sélection des classes
expérimentales, ces situations resteront
marginales).

Maîtres du terrain En prévision de l’élargissement ou même


de la généralisation de l’expérimentation,
VÉRIFIER dans les écoles concernées par
cet élargissement les statuts des élèves par
rapport à la langue nationale qui sera
utilisée.

Inspecteurs de Pour obtenir des informations concrètes


circonscription actualisées et exploitables, on METTRA B
CONTRIBUTION les maîtres en exercice
dans le cadre des circonscriptions
scolaires. On FOURNIRA aux maîtres
enquêteurs les moyens de mener leurs
investigations en les dotant d’instruments
pratiques à l’élaboration desquels pourront
contribuer les chercheurs des Instituts
Pédagogiques et les praticiens des Instituts
de formation des maîtres.

Équipe spécialisée Les instruments les plus commodes sont


de I.P.N. des séries de jeux tests ou des grilles
d’objets qui permettent de vérifier dans
quelle proportion et à quels niveaux de
maîtrise la nouvelle langue d’enseignement
est (ou n’est pas acquise) par les enfants
de Statut deux, qui seront scolarisés dans
cette langue.

1 Ce n’est pas le seul critère, comme on le verra dans une fiche ultérieure.

30
Maîtres du terrain RÉPARTIR les élèves -en début d’année
scolaire- dans des groupes différenciés en
fonction des résultats fournis par l’enquête
linguistique menée dans chaque école
Équipe spécialisée concernée. On METTRA AU POINT au
de 1’I.P.N. préalable des programmes de travaux
pratiques adaptés à chaque statut
représenté. Les élèves de Statut I pourront
par exemple aborder l’apprentissage de la
lecture et de l’écriture dès le premier
Maîtres du terrain trimestre scolaire alors qu’il faudra ANIMER
pendant ce même trimestre des séances
de perfectionnement, voire d’initiation au
langage pour les élèves de Statut 2
caractérisé par les variables:
LgAe = 0
LgAe < LgM

Cette différenciation fondée sur les acquis


et le vécu linguistique des enfants n’est
d’ailleurs qu’un palliatif provisoire: il faut en
revenir le plus vite possible à un
programme commun pour l’ensemble de la
classe.

Encadreurs des PRÉVOIR dès la phase expérimentale, une


Instituts de classe d’application expérimentale où le
Formation et statut LgAe + LgM est largement
Services du représenté. Cette classe permettra de rôder
Ministère la formule des groupes différenciés dans la
perspective d’une application future à
toutes les écoles où le statut linguistique
des élèves est fortement hétérogène. On
pourra ÉVALUER I’eff icacité des
programmes spécifiques et améliorer
l’ensemble du système.

31
pJlJ: Un enseignement pré-scolaire public,
Équipe spécialisée généralisé et ouvert aux langues nationales
1’I.P.N. - c’est encore assez rare en Afrique -
permettrait, dans beaucoup de cas, de faire
l’économie de ces programmes différenciés
dans les classes primaires.

B. DANS LES ÉCOLES NORMALES DE FORMATION DES MAîTRES

Encadreurs des METTRE À L’ÉTUDE les modalités de


Instituts de recrutement dans les établissements de
formation formation qui soient fondées sur une bonne
connaissance pratique des langues
nationales. II s’agit concrètement
d’accorder un coefficient de majoration aux
candidats qui font la preuve d’une bonne
connaissance pratique de plusieurs langues
parlées dans le pays.

Encadreurs des FOURNIR aux normaliens - dans le cours


Instituts de de leur stage professionnel - les moyens
formation concrets de se former ou de se
perfectionner dans la connaissance
pratique et théorique d’une (ou de deux)
langue(s) nationale(s) d’enseignement
autre(s) que celle qu’ils pratiquent déjà. A
cet effet, l’acquisition et l’utilisation d’un
laboratoire de langues dans le complexe de
formation constituent une excellente
formule pourvu que l’on ait prévu
Chercheurs des d’ELABORER au préalable le matériel
Instituts de pédagogique correspondant (exercices
linguistique programmés de prononciation, d’acquisition
appliquée des structures grammaticales, de fixation
du lexique, etc.).

Service du PRÉVOIR suffisamment tôt la zone


Ministère et linguistique dans laquelle le futur maître
Inspecteurs de sera affecté à l’issue de son stage de
circonscription formation de façon à adapter son
entraînement pédagogique et

32
méthodologique ainsi que sa formation
psychologique aux situations

LgAe = 0
LgAe t- LgM

Encadreurs des II devient alors possible de METTRE EN


Instituts de PLACE dans les Instituts de Formation, des
formation groupes de travaux et des ateliers
définissant une pédagogie appropriée et
des éléments didactiques spécifiques à
partir des statuts et des variables recensés
dans les écoles par les maîtres du terrain.

Services du PRIVILÉGIER dans les régions où il y a un


Ministère et pourcentage important d’élèves relevant du
inspecteurs de Statut 2 (LgAe z LgM), L’AFFECTATION
circonscriptions de maîtres justifiant du même statut dans
les variables:
LgAe = LgM
LgAe > LgM

De par leur vécu personnel et la formation spécifique qu’ils


auront reçue dans les écoles normales (voir paragraphe précédent) ces
maîtres sont mieux armés que les monolingues pour identifier et corriger
les interférences qui se manifestent à différents niveaux d’une langue
africaine à l’autre, pour remédier d’un point de vue pédagogique aux
faits de dialectologie par rapport à une langue d’enseignement
normalisée et codifiée, pour apprécier et interpréter d’un point de vue
psychologique les situations particulières dans la relation élève/langue
d’enseignement.

DIRECTIONS DE RECHERCHE (Pour les Instituts Pédagogiques)

Un bilinguisme ou un plurilinguisme - même au niveau scolaire -


est plus ou moins total, plus ou moins approximatif, plus ou moins
intégré, plus ou moins juxtaposé... On ne peut se contenter de simples
sondages pour mesurer les niveaux qualitatifs à l’intérieur du Statut 2.
Dans un contexte linguistique hétérogène, il est donc nécessaire de
DÉFINIR pour la langue d’enseignement concernée, des CRITERES

33
PERTINENTS et rigoureux qui permettront de poser des seuils
minimaux et des seuils maximaux justifiant LE CLASSEMENT des
élèves dans les diverses catégories de ce statut.

II y a là, bien sûr, un travail important d’enquêtes et de


recherche a réaliser. La tentation peut être grande de subir avec
fatalisme une situation dont les pédagogues ne se sentent d’ailleurs
nullement responsables surtout lorsque le choix des langues
d’enseignement s’est fait sur des critères autres que pédagogiques (voir
fiche d’introduction).

Mais il serait intolérable de ne pas réagir devant une situation


qui ‘Lnormalise” les facteurs inégalitaires et qui d’emblée classe les
jeunes élèves en une catégorie de privilégiés (LgAe = LgM) et une
catégorie de malchanceux (LgAe + LgM).

Or, qu’on le veuille ou non, dans la majorité des pays africains


engagés dans une opération de promotion des langues nationales
comme langues d’enseignement, les maîtres devront faire face à des
situations où la langue nationale d’enseignement n’est pas la langue
maternelle de tous les élèves de la classe.

C’est donc bien une nécessité que de prévoir au niveau de la


RECHERCHE, de I’APPLICATION PÉDAGOGIQUE et de la
FORMATION DES MAîTRES, des parades réalistes à ces situations
défavorables dont un pédagogue digne de ce nom ne peut
s’accommoder une fois pour toutes.

La formule la plus économique pour obtenir les renseignements


nécessaires sur la situation linguistique telle qu’elle se présente
effectivement dans les écoles consiste à demander à chaque maître de
mener dans son école une enquête adéquate sur la base d’un
questionnaire qui soit à la fois simple d’emploi, exhaustif et d’un
dépouillement facile.

Voici à titre d’exemple un questionnaire - cadre qui a fait la


preuve de son efficacité:

34
STATUT 1: LgN = LgM Nombre d’élèves dont LgN est la
langue maternelle

STATUT 2 : LgN + LgM Nombre d’élèves dont LgN n’est


pas la langue maternelle

STATUT 21 : LgN >LgM Nombre d’élèves qui maîtrisent


LgN- LgM mieux ou aussi bien LgN que la
langue maternelle

STATUT 22 : LgN <LgM Nombre d’élèves qui maîtrisent


LgN = 0 moins bien LgN que la langue
maternelle ou qui ne la
maîtrisent pas du tout

- LgN = Langue nationale d’enseignement

Recommandations aux utilisateurs éventuels


l- II est indispensable de tenir une réunion de sensibilisation et
d’information sur le “mode d’emploi” et la manière de remplir le
questionnaire avec les maîtres enquêteurs.
2- Le concept de langue maternelle doit être clair pour les maîtres
(langue utilisée de façon habituelle pour l’enfant dans ses rapports de
communication avec le milieu familial et social depuis la première
enfance) des exemples concrets pris dans les classes seront proposés.
3- Pour remplir le questionnaire, le maître se fondera sur:
- sa propre connaissance de l’enfant
- les éléments fournis par les parents de chaque enfant

Remarque: Ces critères d’appréciation peuvent paraître relativement


subjectifs - encore que l’expérience des maîtres et la situation
linguistique de la famille soient des éléments concrets et pertinents pour
évaluer le profil linguistique d’un enfant de cours préparatoire - mais
l’enquête ne recherche pas la précision mathématique au chiffre près
(les situations linguistiques sont très fluctuantes d’une année a l’autre
pour la même classe) elle doit simplement fournir aux responsables de
la réforme des renseignements crédibles sur la situation dans les écoles
de chaque région à l’aube de l’expérimentation ou de la généralisation
de la réforme.

35
La verbalisation des notions intuitives de base et l’utilisation cognitive de
la langue. Problèmes et éléments de solution.

1. QUELLE EST LA NATURE EXACTE DU PROBLÈME?

L’utilisation plénière des langues africaines dans les


programmes scolaires se heurte fréquemment à deux préjugés encore
largement répandus jusque dans les milieux enseignants.

Premier préjugé:
Les langues africaines “manquent de mots précis” pour
exprimer avec suffisamment de rigueur l’ensemble des notions intuitives
de base (relations spatiales, temporelles, relations de cause à effet, etc.)
qui sont le soubassement des activités technologiques à l’école.

Deuxième préjugé:
Les langues africaines sont indigentes sur le plan conceptuel et
cognitif. Elles sont défaillantes quant il s’agit de véhiculer les concepts
logico-mathématiques dont l’acquisition est prévue dans les
programmes scolaires.

La présente fiche a pour OBJET :

- De répondre brièvement à ces accusations.


- De dégager les problèmes pédagogiques effectifs qui concernent
l’appropriation et la verbalisation des notions intuitives de base dans
la langue africaine d’enseignement ainsi que les apprentissages
cognitifs qui lui sont liés en contexte scolaire.
- De suggérer des éléments d’application didactique fondés sur les faits
retenus.

I II. QUE FAUT-IL PENSER DE CES DEUX ACCUSATIONS ? I

La première accusation confond la LANGUE avec I’USAGE qui


en est fait.

36
- Ce n’est pas la langue qui “manque de mots” (elle est capable de les
sécréter au fur et à mesure de ses besoins). Ce sont /es locuteurs
qui ont une connaissance plus ou moins approfondie des
ressources et des possibilités de la langue. (Exemple: une partie de
l’oeuvre d’Einstein a été traduite en wolof par un locuteur ~0109.

-Tout parler humain lorsqu’il est réellement sollicité est capable


d’exprimer n’importe quelle expérience humaine communicable.
(Exemple: I’hébreu qui en l’espace de 20 ans est passé du stade
“biblique” au stade de langue technique spécialisée).

- En conclusion, il n’y a pas de langue congénitalement imprécise. II n’y


a pas que des situations conjoncturelles qui font que les diverses
langues ont plus ou moins développé - sous la pression de facteurs
extra linguistiques - tel ou tel registre de l’expérience humaine.

La deuxième accusation ne résiste pas, elle non plus, à une


analyse élémentaire.
- Le “manque d’esprit logique” que certains enseignants croient déceler
chez les élèves africains n’a rien à voir avec une pseudo incapacité
des langues africaines à permettre les apprentissages logico-
mathématiques, mais doit être mis sur le compte d’une didactique
inadéquate.

- Que les jeunes élèves africains regimbent à une forme de logique telle
que l’enseignant (formé aux méthodes cartésiennes de
raisonnement) et les manuels (élaborés à partir de schémas
conceptuels importés) l’exposent et l’imposent, il n’y a là rien que de
très normal:

Personne n’a jamais prouvé que ces mêmes élèves seraient


rebelles à d’autres cheminements logiques mieux adaptés aux
habitudes culturelles de l’aire socio-linguistique dont ils font partie.

- En conclusion, les difficultés rencontrées dans l’enseignement des


mathématiques en Afrique ne sont pas à mettre sur le compte de
déficiences structurelles propres aux langues africaines, elles sont
essentiellement liées ti des problèmes d’approche ou de démarche
pédagogique et méthodologique.

37
III. QUELS SONT LES PROBLÈMES PÉDAGOGIQUES
EFFECTIFS?

En ce qui concerne l’appropriation et la verbalisation des notions


intuitives de base.

- Les concepteurs de manuels scolaires et les pédagogues disposent


généralement d’informations objectives très insuffisantes sur les
moyens d’expression de l’enfant africain d’âge scolaire et surtout sur
sa capacité à utiliser de façon fonctionnelle la langue africaine
d’enseignement qui lui est proposée. Or, la connaissance de ces
données est indispensable :

- Pour pouvoir élaborer des programmes et des manuels qui soient


adaptés aux possibilités réelles et non supposées des enfants d’âge
scolaire.

- Pour pouvoir pratiquer une pédagogie active dans laquelle l’opération


mentale est subordonnée à la verbalisation des expériences
cognitives correspondantes.

En ce qui concerne l’utilisation de la langue africaine


d’enseignement dans l’approche mathématique.
- II y a incontestablement un problème de /‘enseignement de la
mathématique en Afrique. Le petit nombre de mathématiciens
inscrits dans les Facultés africaines face au nombre important de
littéraires et de juristes illustre bien cette réalité.

- II ne faudrait pas croire cependant que le fait d’utiliser une langue


africaine maîtrisée par l’enfant suffirait à résoudre les difficultés de
compréhension mathématique.

- La vérité est que le couple langue - conceptualisation reste


indissociable sous certaines conditions. C’est pourquoi, lorsqu’on
africanise la langue d’enseignement, il faut aussi africaniser les
contenus et la didactique d’enseignement de ces contenus pour les
adapter à l’univers logique et aux cheminements vécus par l’enfant
africain.

38
- Cela ne veut pas dire qu’il faille réinventer une “mathématique africaine
(en effet le résultat mathématique est universel et transcende les
cultures). II s’agit plutôt de redéfinir des itinéraires mathématiques
adaptés à l’enfant africain car les modalités opératoires et les
démarches de types cognitifs qui permettent d’accéder au résultat
mathématique sont dépendantes de facteurs culturels.

IV. QUELLES ACTIONS CONCRÈTES DOIT-ON ENTREPRENDRE


ET QUELS ÉLÉMENTS DE SOLUTION PEUT-ON PROPOSER
POUR PERMETTRE UNE MEILLEURE APPRÉHENSION DE LA
CAPACITÉ DE L’ENFANT À VERBALISER LES NOTIONS
INTUITIVES DE BASE ET À UTILISER LES POSSIBILITÉS
COGNITIVES DE LA LANGUE AFRICAINE D’ENSEIGNEMENT ?

En ce qui concerne les notions intuitives de base.

II s’agit de promouvoir au niveau de chaque langue africaine


nouvellement introduite dans les programmes scolaires des enquêtes
orientées vers la collecte d’information utilisable pour l’application
pédagogique directe. Le résultat de ces enquêtes servira de
soubassement psycho-pédagogique à tous les manuels qui seront
réalisés par la suite en langue africaine d’enseignement (notamment
ceux qui doivent éveiller à l’esprit scientifique).

Objectif de l’enquête :
Au niveau de la langue africaine d’enseignement, mettre en
évidence et répertorier les formulations au moyen desquelles les enfants
rendent compte des notions intuitives de base.

Indications méthodologiques :
La nature et le niveau de cette recherche exigent une
coopération interdisciplinaire qui fait intervenir notamment :
- Les équipes formateurs - formés des Instituts de formation
- L’équipe des psychologues de l’Institut pédagogique
- Les linguistes

Le recueil des données doit s’articuler autour des trois impératifs


psycho-pédagogiques suivants:

39
- Partir de l’enfant et des moyens d’expression dont il dispose.
- Respecter les étapes de son évolution mentale.
- Considérer la langue africaine d’enseignement comme un moyen
d’expression et non comme un objet d’analyse.

Exemple d’enquête :

Le tableau qui suit résumé une recherche de ce genre appliquée


à une langue africaine d’enseignemenp. Cette recherche a été
effectivement et entièrement menée par un groupe de normaliens en
cours de formation. II s’agit donc d’un témoignage authentique de ce qui
peut être réalisé par de futurs pédagogues.

Remarque importante :

Les insuffisances de cette recherche sont évidentes. Elles


résultent essentiellement du manque de concertation interdisciplinaire
avec les spécialistes de la langue, ce qui a amené les normaliens
enquêteurs à privilégier /es locutions clairement délimitées au détriment
d’autres moyens de traduction comme /a structure de /‘énoncé et
I’expressivité.

Cependant tels quels, les résultats de l’enquête apportent des


éléments de systématisation qui permettent de reconstruire au contact
même de l’enfant africain l’ordre général d’apparition et de
développement des premières intuitions et verbalisations afférentes. IIs
constituent par conséquent un témoignage précieux pour l’élaboration
de manuels scolaires et pour le choix de la progression des contenus qui
y sont programmés (manuels d’initiation à l’histoire, à la géographie, à
la géométrie, à la technologie, manuel de langage, etc.). Bien entendu,
les résultats du travail des normaliens ne valent que pour un
environnement linguistique donné mais la démarche elle-même est
utilisable dans d’autres contextes.

’ Langue sang6 d’Afrique Centrale (République Centrafricaine).

40
TABLEAU FINAL

NOTIONS coyw ÇQJJRS COURS MOYEN


PREPARATOIRE ELEMENTAIRE 1 ère et 2e année
COURS 1 ère et 2e année (enfants de 1 O-l 2
D’INITIATION (enfant de 8-l 0 ans) ans)
(enfants de 6-8
ans)

Relations
spatiales $gg ;;;oite) jcz$lx;~ig ;a; iiip$iYe;;e

jp&?ia g;;;che) WPOfl à autrui) = à gauche par


rapport à autrui)

Relations - Kozoni (avant, - lege oko tongana - Kozo ti mbi


temporelles sans implication mbr (simultaneité) (avant, avec
anteriorite,, de soi) rmpkcation de soi)
postérionte, - na pekoni (après, na pekoti mbi
simultanéite sans implication (apres avec
de soi) impli&tion de soi)

Relativité tongana (quand) ilili (autrefois) fade SO tongana a ndë (si


temporelle maintenant) la hypothétique)
duree), grlrlr SO (l’autre tongana fade (si
3ois que, autrefots hypothétique que)
v-4

Relation - hio
espace- - fade fade
temps
(vitesse)

Causalité - nda il ti SO ngbanga ti SO (parce - tene ti nye ? (à


- tene ti so 4W cause de quor?)
si (parce que) - ngbanga ti nye ?
(en raison de
quoi?)

Relation nda il ni si (c’est


cause-effet pourquoi)
$I%3Fet~~que=
c’est pourquoi)

La tongana (comme) - mbi hô 10 (je le - mbi yeke kota


comparaison dépasse, je suis mingi (moi suis
et ses plus grand que lui) grand très = je
degrés - 10 ho mbi suis très grand)

ala kwe (tous) a mbeni (quelques-


ni kwe (tous) uns)
a mbeni ya (quelques-
uns)
oko, oko (chaque)

41
FICHE N”A3

Fiche d’entraînement pour la réflexion technologique avec


exercices de verbalisation pour enfants de 10 à 12 ans. (Cette fiche est
une application pratique de la fiche précédente).

1. QUELLE EST LA NATURE EXACTE DU PROBLÈME ?

* Pour justifier son utilisation plénière dans les programmes scolaires, la


langue africaine d’enseignement doit véhiculer les contenus
technologiques et les procédures opératoires qui s’y rapportent avec
efficacité et économie. En effet, dans le domaine des activités
d’éveil à dominante scientifique “l’à peu près“ n’est pas tolérable.

* L’expérience prouve que l’utilisation des langues nationales comme


véhicule d’enseignement des contenus technologiques se fait avec
le maximum de garanties :
1) Lorsqu’on dispose d’informations précises sur les possibilités
d’expression de /‘enfant pour tout ce qui concerne ses besoins avec
l’univers concret des objets techniques destinés à les satisfaire
(matériaux, procédures de fabrication, de transformation,
d’utilisation, etc.)
2) Lorsqu’on a rassemblé un minimum de certitudes sur sa capacité
à verbaliser /es expériences cognitives auxquelles il a déjà été
confronté (approche des systèmes locaux de numération et
d’opération par exemple).
3) Lorsqu’on a entraîné l’enfant à la description des processus
technologiques et à la réflexion fonctionnelle de sorte qu’il s’habitue
rapidement à utiliser à bon escient les outils logiques qui existent
dans la langue africaine d’enseignement, et à verbaliser de façon
satisfaisante l’ensemble des relations et articulations logiques dont
la maîtrise conditionne /‘assimilation des contenus scientifiques et
technologiques inscrits dans les programmes scolaires.

La fiche pédagogique précédente suggérait quelques actions


susceptibles d’aider le pédagogue à répondre aux deux premières
conditions.

42
La présente fiche propose un exemple concret de séquence
technologique et de réflexion fonctionnelle permettant d’entraîner les
enfants de 10 à 12 ans à des verbalisations précises, ainsi qu’6
l’utilisation adéquate des relations et articulations logiques qui sont le
support linguistique des fonctions cognitives du langage.

L’exemple qui suit est un témoignage ponctuel (parmi d’autres)


de ce que les futurs maîtres des Instituts de formation peuvent faire pour
entraîner leurs élèves à la mise en évidence et à la verbalisation de
rapports technologiques relativement complexes dans la langue
africaine d’enseignement.

II. EXEMPLE CONCRET ET CAS D’APPLICATION

Objectifs de l’exercice :

- Susciter /a réflexion et provoquer la verbalisation d’un fait de


technologie bien représenté dans le milieu.

- Sensibiliser les élèves à leurs valeurs technologiques propres et les


amener à découvrir qu’elles ne sont pas systématiquement s
inférieures aux valeurs technologiques importées.

Niveau d’application :

- Le sujet de réflexion est proposé à un groupe d’élèves de dix à douze


ans (cours moyens).
Consignes d’application :
1) Faire décrire dans le détail le fonctionnement du piège en insistant
pour que soit mise clairement en évidence la fonction essentielle
de chaque élément de l’ensemble (le recours à la langue
européenne, tentation facile pour les élèves et pour le maître, ne
sera pas accepté).

2) Faire nommer par le terme adéquat chaque élément technique du


piège (piquet, cale, ligature lâche, goupille, déclencheur). Les
enfants pourront s’informer sur ce vocabulaire technique auprès de
camarades plus âgés qui construisent couramment ce type de piège
(adolescents de 13 ou 14 ans selon nos observations), et qui
utilisent des termes précis pour désigner chaque élément
fonctionnel.

3) Faire inventorier toutes les précautions à prendre pour que le piège


soit efficace à 100%.

4: Pourquoi la ligature doit-elle être lâche ? Que se passerait-il


si elle était serrée ?

R: Le déclencheur ne pourrait pas pivoter.

9: Que se passerait-il si le piquet n’était pas fiché solidement


dans la terre ?

R: Le système ne serait pas fiable, car le piquet enfoncé dans


une terre meuble (pluie, terrain sableux, etc.) céderait vers
l’avant sous la poussée de l’animal sans chasser la goupille
vers l’arrière.

8: Pourquoi est-il préférable que le déclencheur soit une


branche et non pas un bâton ?

R: Parce que l’écureuil disposerait d’espace pour sauter par-


dessus ou passer par-dessous. De plus, une branche
coupée dans l’environnement immédiat ne peut éveiller la
méfiance d’un animal sur ses gardes, contrairement à un
bâton poli par l’homme.

44
4: Pourquoi les deux fourches de bois qui supportent
l’ensemble doivent-elles être de hauteur différente?
Pourquoi une fourche doit-elle être obligatoirement plus
courte que l’autre?, etc.

4: Quelles modifications faudrait-il apporter au système pour


que l’animal piégé soit récupéré vivant ?

Jj: Placer la pierre sur un tamis ou sur une caisse grillagée


sans fond.

4: Quels seraient les avantages de ces modifications ?

R: Animal gardé vivant, donc consommable plus frais;


protection contre les prédateurs (vautours, fourmis, etc.);
viande non souillée par l’éclatement des organes internes,
etc.

4) On poursuivra la réflexion et /‘entraînement à la verbalisation en


faisant comparer les avantages et les inconvénients d‘un piège de
fabrication locale et d’un piège importé (gros piège à rat classique
également utilisé aux abords des villes) : quel type de piège
présente le plus grand nombre de traits fonctionnels, et le meilleur
rapport qualité prix, compte tenu du milieu naturel dans lequel il doit
être utilisé ? L’avantage reste incontestablement à la production
locale, qui répond parfaitement à l’objectif souhaité. Son prix de
revient est moins élevé. Sa solidité est plus grande (le ressort du
piège importé rouille sous la pluie). Son efficacité est supérieure
(l’animal, qui n’est pas pris par le cou, peut se dégager du piège
importé). Sa spécificité est réelle (un chat, un oiseau sans valeur
alimentaire, un chien, peuvent déclencher le piège importé et le
rendre inopérant). II est d’un maniement moins dangereux (le piège
importé présente un risque pour les doigts inexpérimentés des
enfants) etc. Le piège importé présente cependant un gros
avantage: la facilité de transport

45
III. QUE PEUT-ON ATTENDRE DE CE TYPE D’EXERCICE?

- L’exercice qui précède n’est évidemment pas isolé, il s’inscrit dans un


ensemble progressif, qui recouvre toutes les relations et notions
intuitives présentées dans le tableau de la fiche précédente (N” 4),
(relativité temporelle, relation spatio-temporelle, rapports cause-
conséquence, etc.)

- II est toujours difficile d’obtenir de la part des élèves des explications


verbales précises, dans la description des faits technologiques. Les
enfants ont tendance à juxtaposer les phénomènes qui sont
coordonnés, à utiliser un code gestuel ou mimé pour remplacer les
outils relationnels qu’ils ne réussissent pas à trouver.

- Grâce à cet entraînement et à ce type d’exercices, on aidera l’enfant


à découvrir l’important potentiel de structures logiques qui est
soujacent à la langue africaine de communication pédagogique, et
on aboutira à créer de nouvelles habitudes linguistiques qui
permettront aux élèves (et aux maîtres) d’utiliser efficacement leur
langue dans les activités technologiques inscrites au programme.

1 FICHE n”B1 1

Analyse des situations liées au statut du maître face à la langue


africaine d’enseignement. Éléments de solution.

1. QUELLE EST LA NATURE EXACTE DU PROBLÈME?

- La situation linguistique des maîtres face aux langues nationales


d’enseignement est rarement simple et uniforme. Cette situation
est naturellement le reflet des réalités linguistiques africaines qui
sont parfois complexes. De plus, dans un souci évident d’unité
nationale, les enseignants ne sont pas affectés dans le cadre étroit
de leur milieu linguistique d’origine, ils sont susceptibles d’être
mutés dans toutes les zones du pays, ce qui différencie encore les
situations initiales.

46

-_--~ ---
- Quand le processus d’utilisation des langues nationales en est encore
à sa phase expérimentale, il est relativement facile de trouver des
maîtres dont le profil linguistique corresponde aux critères exigés
par la nouvelle politique en matière de langues. Les écoles
expérimentales étant généralement peu nombreuses, les
promoteurs de la réforme ont la possibilité de sélectionner et
d’utiliser des instituteurs qui maîtrisent parfaitement la langue ou les
langues nationales dans lesquelles il s’agit d’enseigner. Cependant,
à partir du moment où la réforme atteint le stade de la généralisation
et recouvre l’ensemble du pays, il n’est plus possible d’éluder les
situations dans lesquelles la langue nationale d’enseignement ne
correspond pas à la langue maternelle ou usuelle du maître (le
professeur Alexandre cite par exemple le cas d’un maître Iwo
enseignant le swahili à de petits Lugbara, ces trois langues n’étant
nullement apparentées...).

II. COMMENT SE PRÉSENTE DONC LA SITUATION DES MAîTRES


ET DES FUTURS MAîTRES SUR LE TERRAIN?

Pour un certain nombre de maîtres, la langue africaine


d’enseignement (LgAe) coïncide avec la langue maternelle (Lgm). Cette
première situation est schématisée par la formule : LgAe = Lgm

Ce cas privilégié qui correspond au statut no1 est habituel dans


un processus initia/ de réforme.

Pour d’autres maîtres et futurs maîtres, la langue africaine


d’enseignement est différente de la langue maternelle. Cette deuxième
situation fondamentale qui correspond au statut no2 se schématise de
la façon suivante : LgAe + Lgm

Ce statut présente lui-même en certain nombre de variables qu’il


est possible de réduire à deux catégories déterminantes pour
l’application pédagogique:

2.1. La maîtrise de la langue d’enseignement équivaut à celle de la


langue maternelle.
LgAe = Lgm

47

.- ___-- .---- -. ._
2.2 La maîtrise de la langue d’enseignement est inférieure à celle
de la langue maternelle.
LgAe c Lgm

Dans les établissements de formation des maîtres, on trouvera


même une troisième catégorie dans laquelle la maîtrise de la langue
africaine d’enseignement est nulle (LgAe = 0).

Le schéma ci-dessus est un schéma de base, il n’est pas


universel. Les situations se différencient d’un pays à l’autre, d’une
région à l’autre, et les schémas qui les représentent doivent être
aménagés en conséquence. La langue maternelle n’est pas toujours la
seule référence pertinente par rapport à la langue d’enseignement
quand il s’agit d’adultes. II est souvent nécessaire de faire intervenir un
troisième paramètre : la langue africaine usuelle (LgAu) qui n’est pas
la langue maternelle mais qui est suffisamment bien maîtrisée pour
garantir un enseignement sans problème du point de vue linguistique.
Dans ce cas, les statuts 1 et 2 seront représentés respectivement par
les formules :
LgAe = Lgm etlou LgAu
LgAe # Lgm et/ou LgAu

C’est évidemment le schéma qui doit se plier aux réalités et non


l’inverse.

III. QUE PEUT-ON FAIRE POUR RÉSOUDRE LES DIFFICULTÉS


INHÉRENTES AU STATUT 2 ?

Ce statut pose évidemment des problèmes (surtout dans sa


variable 2.2.), mais il n’est pas une fatalité qu’il faut subir passivement.

On peut d’abord prendre un certain nombre de mesures


préventives en déterminant plusieurs années à l’avance quel sera le
statut linguistique des maîtres au moment de la généralisation de la
Réforme. II faut pour cela élucider /es situations de langues à l’intérieur
des Instituts de formation des maîtres. La prise en compte des résultats
permet d’entreprendre suffisamment tôt /es actions de type administratif
et pédagogique grâce auxquelles il sera possible de remédier aux
situations les plus défavorables.

48
Voici, à titre d’exemple, une analyse des situations qui
caractérisait, il y a une quinzaine d’années, au Burkina Faso, le statut
des maîtres expérimentateurs de la Réforme, et celui des futurs maîtres
en cours de formation à I’Ecole Normale de Ouagadougou.

Observations préliminaires

La répartition des futurs maîtres à l’intérieur des différentes


catégories du statut 2 est donnée à titre purement indicatif. Cette
répartition se fonde essentiellement sur l’appréciation personnelle que
les locuteurs ont de leur propre statut et sur les jugements portés par les
autres membres du groupe, locuteurs des langues concernées.
Les sigles M, J, F utilisés dans les tableaux représentent les
langues moore, jula et fulfulde utilisées comme langues d’enseignement
dans les aires linguistiques correspondantes.

SITUATION DES MAÎTRES EN EXERCICE DANS LES CLASSES


EXPERIMENTALES ANNEE 1981-82

STATUT 1 LaAe = Lgm 12 cas où LgAe M = Lgm


Pour 17 maîtres sur 35
M/F = Lgm 7
17
I
5 cas où LgAe F = Lgm

STATUT 2 LgAe + Lam


Pour 18 maîtres sur 35
M/J/F *Lgm

2.1. LaAe > Lam


Pour 11 maîtres sur 35
M/J>Lgm 7 5 cas où LgAe M > Lgm
11
L 6 cas où LgAe J > Lgm

2.2. LgAe c Lam


pour 7 maîtres sur 35
J/F c Lgm 7 7 1 cas où LgAe F c Lgm
h 6 cas où LgAe J < Lgm

49
Commentaire : 28 maîtres sur 35 justifient du statut 1 (LgAe = Lgm) ou
du statut 2.1 (LgAe > Lgm). Sept maîtres pour lesquels la maîtrise de
la langue d’enseignement n’est pas complète devront donc, en principe,
bénéficier d’un soutien technique et pédagogique plus important.

SITUATION D’UNE PROMOTION DE FUTURS MAîTRES EN COURS


DE FORMATION EN 1982

STATUT 1
LaAe = Lam 7 20 cas où LgAe M = Lgm
Pour 24 futurs maîtres
sur 31 24 -t 3 cas où LgAe J=Lgm
M /J/ F = Lgm
I 1 cas où LgAe F=Lgm

STATUT 2 LaAe z Lam


Pour 7 futurs maîtres sur 31

2.1. LaAe > Lam 3 cas où LgAe M > Lgm


Pour 3 maîtres sur 31 :
M = Lgm

2.2. LaAe < Lam


Pour 1 maître sur 31 : 1 cas où LgAe M < Lgm
M < Lgm

2.3. LgAe = 0
Pour 3 maîtres sur 311 3 cas où LgAe (M/J/F) = 0
M/J/F=O

Commentaire : Peu de problèmes à prévoir dans cette promotion; Les


3 cas où LgAe = 0 pourront se résoudre par des affectations adéquates.

50

_.- -_,-----
IV. CONCLUSION

Une typologie de ce genre est d’un intérêt évident pour les


promoteurs d’une réforme linguistique, parce que :

- Les renseignements qu’elle fournit permettent de mettre en place dans


les établissements de formation des programmes différenciés et
adaptés à chaque catégorie de situations recensées.

- Ils permettent aussi de rationaliser /es affectations sur le terrain, et


d’offrir partout aux élèves et aux maîtres une situation optimale
d’enseignement.

- Ils permettent d’orienter les concours de recrutement en vue de


remédier aux situations déficitaires et de planifier les besoins en
maîtres pour chaque langue nationale d’enseignement retenue.

- Ils rendent possible la mise au point d’un programme de


perfectionnement linguistique fondé sur l’utilisation d’un laboratoire
de langues. Les recours à ce type d’exercices est une solution
pour réduire sinon éliminer les difficultés dues aux situations de
type LgAe c Lgm, et pour augmenter le choix des possibilités
d’affectation des futurs maîtres en dehors de leur zone linguistique
originelle.

Quelles sont les questions pratiques et théoriques que se


posent maîtres et futurs maîtres au sujet de l’utilisation des langues
nationales à l’école? Sur quels problèmes concrets achoppent ceux
d’entre eux qui se trouvent effectivement engagés dans un processus
d’utilisation d’une langue africaine en contexte scolaire ?

1. LA NATURE EXACTE DU PROBLÈME

Les Inspecteurs de circonscription scolaire, les Conseillers


Pédagogiques et les Directeurs d’écoles ont pour tâche essentielle de

51
conseiller et d’aider /es maîtres chargés d’appliquer sous leur contrôle
les programmes relatifs à l’utilisation des langues nationales à l’école.
Pour que leurs interventions soient efficaces et opportunes, il est
indispensable qu’ils aient une bonne connaissance objective des
principales questions générales et techniques que les maîtres se posent
- parfois avec inquiétude - au sujet de l’emploi des langues nationales
dans leurs classes.

II. UNE ENQUÊTE ORIGINALE EN MILIEU ENSEIGNANT

La présente fiche dresse un inventaire de toutes ces questions


sur la base d’une enquête menée auprès de 800 maîtres et futurs
maîtres africains concernés par l’utilisation des langues nationale soit au
niveau de leur formation initiale soit au niveau de l’application
pédagogique dans les classes.

Cette enquête s’est déroulée dans deux pays très représentatifs


des situations linguistiques en Afrique :

- En République Centrafricaine où une langue nationale unique (langue


sango) a été introduite à titre expérimental dans les programmes de
“l’école de promotion collective”, le sango et le français constituant
les deux termes d’un bilinguisme scolaire fonctionnel. L’enquête a
touché, de 1974 à 1979, les promotions de futurs maîtres et la
majorité des maîtres expérimenteurs en exercice (au total 747
fonctionnaires).

- Au Burkina-Faso où trois langues nationales ont été utilisées à titre


expérimental dans les programmes de l’école réformée (il s’agit des
langues moore, jula et fulfulde). Le français reste l’un des termes
du bilinguisme fonctionne/ dans les trois zones linguistiques
délimitées. L’enquête a concerné de 1979 à 1981, 53 futurs
maîtres.

Étant donné l’importance de la population globale touchée par


cette enquête, les renseignements recueillis peuvent être considérés
comme le reflet fidèle des besoins d’information et de formation
ressentis par les enseignants et futurs enseignants du primaire. Nous
pensons rendre service aux Inspecteurs, Conseilleurs Pédagogiques et

52
Directeurs d’école en leur livrant les résultats bruts de l’enquête. Ils
pourront y puiser les éléments nécessaires à la mise au point de leurs
conférences pédagogiques et, d’une façon générale, à l’élaboration de
leurs programmes de formation des maîtres dans la mesure où le
système éducatif de leur pays est impliqué ou doit être impliqué dans un
processus d’utilisation des langues nationales à l’école.

III. LES RÉSULTATS DU DÉPOUILLEMENT

Premier thème: Les langues africaines à l’école, pourquoi faire?

Nous avons regroupé autour de ce thème un ensemble de


questions générales que se posent les maîtres. L’importance de ces
questions montre bien que la sensibilisation et /‘information des
enseignants et futurs enseignants ne doiventpas être sacrifiées au profit
de la seule formation technique.

1 ère question Pourquoi enseigner dans nos langues nationales


africaines ?

2e question Pourquoi enseigner nos langues comme


matières du programme (grammaire, langage,
élocution, etc.)?

3e question Nos langues africaines sont-elles suffisamment


riches et efficaces pour pouvoir être utilisées
valablement comme véhicules et objet
d’enseignement ?

4e question Est-il juste de parler de “langues” africaines, ne


faut-il pas plutôt parler de dialectes ou de patois?

5e question Quelle sera exactement la nature de notre


participation dans le processus de promotion des
langues nationales ? (Nous sommes des
pédagogues, pas des linguistes).

53
Deuxième thème : Les activités d’expression orale et la leçon de
langage en langue africaine d’enseignement

Les pourcentages obtenus pour les thèmes techniques qui


suivent sont relativement faibles. En effet ce sont /es maîtres en
exercice dé@ engagés dans un processus actif qui ont été plus
particulièrement sensibles aux problèmes d’application pratique alors
que les questions inscrites dans le premier tableau ont essentiellement
été posées par les norma/iens en cours de formation. Les futurs maîtres
constituent de loin la population majoritaire dans notre enquête.

Ière Si l’on commence par enseigner en langue nationale


question et si l’on recule l’enseignement du langage en
français, les élèves auront-ils le temps d’assimiler
cette langue avant la fin de leur scolarité ?

2e question Comment enseigner le langage en langue nationale,


alors que nous n’avons pas de manuels à notre
disposition ?

3e question Peut-on utiliser pour les leçons de langage en langue


nationale, la méthodologie utilisée pour
l’enseignement du langage en français ?

4e question Comment vérifier les acquis de nos élèves en


langage ? A-t-on pensé à élaborer des tests en
langues nationales ?

5e question La spécificité des milieux est nettement plus marquée


chez nous qu’en Europe. Est-ce-que l’on tiendra
compte de ces différences dans l’élaboration de
manuels et de fiches de langage et d’une façon
générale dans l’ensemble des programmes ?
(spécificités sur le plan écologique, géographique,
économique, socio-culturel, etc.)

6e question Comment régler le problème des interférences


d’une langue à l’autre (au niveau des sons, de la
grammaire et du lexique) ?

54
Troisième thème Les activités d’expression écrite. L’orthographe et la
grammaire.

1 ère question Pourquoi ne pas utiliser, pour transcrire nos langues


nationales, l’orthographe du français que beaucoup
de gens savent déchiffrer ? Cette option
n’économiserait-elle pas les difficultés
d’apprentissage d’une nouvelle orthographe ?

2e question Si l’on maintient des orthographes différenciées


(entre le français et les langues nationales), ne va t-
on pas provoquer des confusions orthographiques
d’une langue à l’autre (ex. u et ou, e et é).
Comment régler ce problème sur le plan
pédagogique ?

3e question N’est-il vraiment pas possible de conserver pour


l’analyse grammaticale de nos langues, la
terminologie et la nomenclature déjà utilisées pour
la description du français. (Sujet, verbe,
complément). Cette nomenclature est en effet bien
connue des maîtres et des élèves. Changer la
terminologie, n’est-ce pas multiplier gratuitement les
difficultés ?

Quatrième thème : L’initiation à la lecture et à la lecture courante

1 ère question Les maîtres ont déjà été formés aux différents
procédés d’apprentissage de la lecture en langue
européenne (méthodologie globale, semi-globale,
mixte, synthétique). Ces habitudes
méthodologiques, déjà contractées, peuvent-elles
être réutilisées pour l’enseignement de la lecture
dans nos langues nationales, ou bien, là encore
faudra-t-il se recycler ?

55
2e question Comment pourra-t-on vérifier si nos élèves ont
réellement appris à lire en langue nationale ?
Quand passera-t-on à l’apprentissage de la lecture
en français ? (À quel moment du cursus scolaire) ?

Cinquième thème : Calcul et mathématique en langues nationales

1 ère question Les langues nationales ne sont pas riches en


termes logico-mathématiques et en termes abstraits.
Peut-on sérieusement envisager d’enseigner la
mathématique dans ces conditions, sans tomber
dans un enseignement au rabais ?

2e question Peut-on utiliser indifféremment la même


méthodologie et les mêmes procédures pour
enseigner le calcul en français et en langue
nationale?

OBSERVATIONS :

n Bien d’autres questions préoccupent les maîtres et futurs maîtres,


notamment le problème de /‘unité nationale (les clivages ethniques
ne seront-ils pas renforcés par le découpage d’un pays en zones
linguistiques ?).

n Le choix des langues (que deviennent les langues minoritaires ?). Le


problème des débouchés, le problème des affectations (que devient
l’enfant qui suit ses parents d’une zone linguistique à l’autre ?).
Nous n’avons pris en compte ici que les questions qui ressortissent
à la pédagogie générale ou qui relèvent d’une technique
d’enseignement.

n Les fiches qui suivront, proposent aux cadres d’enseignement et de


formation un canevas de réponse pour les questions du thème n”1.
Les éléments de réponse fournis doivent faciliter la tâche des
Inspecteurs et des Conseillers chargés d’animer /es conférences
pédagogiques et /es séminaires destinés aux maîtres des
circonscriptions concernés par la réforme linguistique.

56
FICHES B3 et 64
l

Première question
Posée par les maîtres et futurs maîtres :
Pourquoi enseigner dans nos langues nationales africaines ?

Deuxième question :
Pourquoi enseigner nos langues nationales comme MATIÈRE
du programme (langage, grammaire, élocution).

La présente fiche a pour but de fournir aux formateurs de


maîtres et aux Directeurs d’école un schéma de réponse à ces deux
questions.

SCHÉMA DE RÉPONSE A IA PREMIÈRE QUESTION

L’enseignement dans les langues nationales à l’école primaire


s’appuie essentiellement sur les justifications suivantes :

Au plan Pédagogique - L’utilisation de la langue familière garantit


le développement affectif et psychomoteur
de l’enfant.

- Elle seule libère son potentiel


d’exoressivité.

- Elle lui offre la possibilité de verbaliser


toute son expérience.

Au plan Didactique - L’emploi d’une langue familière déjà


pratiquée par l’enfant, permet de faire
porter le aros de l’effort sur la maîtrise des
contenus.

- L’emploi d’une langue étrangère fait porter


l’effort d’abord sur la maîtrise du véhicule
d’enseignement, ensuite sur la maîtrise des
contenus. La dépense de temps et
d’énergie est bien plus considérable.

57
Au plan psychologique - Les premiers apprentissages déjà acquis
par le biais de la langue familière, doivent
être poursuivis dans la même langue pour
éviter les phénomènes d’interférence et de
confusion dus à une coupure trop brutale
entre deux modes de pensée et
d’expression.

Au plan Social et Familial - L’usage des langues familières à l’école


donne à la famille et au village la possibilité
de :
*poursuivre l’effort éducatif déià entreoris
dans le milieu familial;

*participer à l’instruction des enfants en


veillant à la prise en compte des valeurs
traditionnelles à l’école.

Au plan culturel - Les langues familières sont le


fondement premier de la personnalité des
individus et de la nation. Les nier c’est se
renier soi-même.

Au plan économique - Les langues familières assurent l’accès


à l’éducation pour un D~USarand nombre
d’enfants en réduisant les redoublements
coûteux et les échecs scolaires dus à
l’apprentissage précoce et difficile d’une
langue d’enseignement non maternelle.

SCHÉMA DE RÉPONSE À IA DEUXIÈME QUESTION

L’enseignement des langues nationales comme MAT/&E du


programme s’appuie sur les justifications suivantes :

58
4u plan pédagogique - Une meilleure utilisation oratiaue de la langue
nationale passe par la connaissance de son
système de fonctionnement.

- La maîtrise d’un minimum de règles


grammaticales est nécessaire pour élaborer un
texte écrit.

- L’orthoaraphe elle-même est régie par des


contraintes d’ordre morphologique et syntaxique
qu’il faut connaître.

Au plan culturel - L’enseignement des langues africaines,


étudiées systématiquement par rapport à elles-
mêmes, sans référence à d’autres svstèmes
linquistiaues, garantit l’authenticité et la
personnalité de ces langues en tant que valeurs
culturelles autonomes.

- Le statut plénier de langue d’enseignement


suppose normalement que la langue soit
considérée comme véhicule et comme matière
d’enseianement. Pourquoi la plénitude de ce
statut serait-elle refusée aux langues nationales
en Afrique?

- L’enseignement des langues africaines était


déjà présent sous une forme implicite dans les
habitudes traditionnelles (jeux de langage, jeux
de grammaire, etc). L’école ne fait que
systématiser ce qui était ponctuel et informel
(voir travaux pratiques d’exploitation).

Au plan cognitif - L’étude des langues nationales comme objet


d’enseignement introduit l’enfant dans un
univers logique et un mode de oensée
tvoiauement africains. (Les structures
linguistiques sont un reflet des structures
logiques sous-jacentes à la langue).

- La découverte du système de fonctionnement


de la langue procède des aporentissaaes
coonitifs au même titre que la découverte des
relations logico-mathématiques

59
TRAVAUX PRATIQUES D’EXPLOITATION

Les meilleurs exposés pédagogiques ont peu d’effet lorsqu’ils


ne sont pas repris et réinvestis dans des activités pratiques. L’idéal
serait que chaque argument théorique indiqué ci-dessus soit étayé et
concrétisé par des travaux d’appui adaptés aux situations nationales
spécifiques.

Voici -à titre d’exemple- un exercice de recherche appliqué aux


jeux traditionnels que les maîtres et normaliens peuvent animer dans
leur langue. II illustre le troisième argument de la justification culturelle
(deuxième question). Son but est de faire découvrir aux maîtres et aux
futurs maîtres que certains jeux traditionnels solidement encrés dans les
habitudes enfantines, sont en réalité des exercices pratiques de
grammaire, de langage, de vocabulaire, etc... sécrétés par la tradition
dans un souci implicite d’auto-défense et d’auto-correction linguistique.

L’exemple qui suit est tiré de la langue fulfulde (utilisée dans la


région sahélienne au nord du Burkina-Faso). II concerne la description
et l’exploitation pédagogique d’un jeu de langage.

LANGAGE: Jeu de vocabulaire


Description du jeu : Le meneur de jeu du moment
s’adresse à l’ensemble du groupe et déclare :

“mi / soppi / ngaari”


je /tue / un boeuf

Un joueur répond : “mi / soodi”


J’ / achète.

Que peut-il acheter? Tous les morceaux utilisables. II lui faudra


donc préciser parmi tous ces morceaux celui qu’il souhaite acquérir tout
en sachant qu’il devra régler son “achat” sous forme de contes ou de
devinettes et que la “dépense” sera proportionnelle à l’importance et à
la qualité du morceau convoité. La “taxe” pour les sabots sera par
exemple d’une devinette alors que pour le cou elle sera de 4 devinettes
et de 2 contes. Voici une liste à l’intérieur de laquelle le joueur fait son
choix.

60
hoore - la tête
noppi - les oreilles
kolse - les sabots
ardutal - les pattes avant
mi / soodi: cakutal - les pattes arrière
j’/ achète: heeyre - le foie
bumpumyé - le poumon
daande - le cou, etc.

Le jeu se poursuit avec différentes variantes (je tue une chèvre,


un cabri, etc.). Quand tout le monde a joué, on passe au “paiement”.

Ce jeu est une véritable leçon de vocabulaire spécialisé sur la


morphologie des animaux. II oblige les enfants à utiliser un lexique
précis et détaillé. II introduit déjà les notions de proportionnalité et de
comparaison utiles en mathématiques (tel morceau est moins estimé
que tel autre, il sera donc moins cher, mais il est plus estimé que ce
troisième morceau, par conséquent, etc.).

Exploitation pédagogique

On fera préparer aux maîtres une fiche pédagogique dans


laquelle le jeu sera adapté à une situation de classe avec des objectifs
précis et un contrôle des acquisitions en fin de leçon.

FICHE 85 ET B6

Troisième question posée par les maîtres et les futurs maîtres :


“Nos langues africaines sont-elles suffisamment riches et
efficaces pour pouvoir être utilisées valablement comme véhicules et
objets d’enseignement”?

Quatrième question
“Est-il juste de parler de “langues africaines” ; ne faut-il pas
plutôt parler de dialectes”?

61
SCHÉMA DE RÉPONSE À IA TROISIÈME QUESTION

Les langues africaines sont des supports pédagogiques tout à


fait valables pour les raisons suivants :

Une donnée de BON SENS Le vocabulaire existant dans la plupart des


langues africaines est suffisamment riche
pour traiter les contenus oeu spécialisés
des oroarammes du niveau orimaire. Or
c’est à l’école primaire que les réformes
linguistiques débutent, non à l’Université
ou dans les grandes écoles.

Une donnée de l’analyse Les langues africaines sont plus précises,


PSYCHO-LINGUISTIQUE plus riches, donc plus efficaces que les
langues étrangères pour traduire les
réalités du milieu africain aui nourrit les
proarammes scolaires. À I’africanisation
du support d’enseignement correspond
I’africanisation des contenus enseignés.

Une donnée de l’analyse La langue d’enseignement véritablement


PSYCHO-PÉDAGOGIQUE efficace est celle aui oermet à l’enfant de
auestionner. de réDondre. d’exDtiauer ce
Qu’il n’a oas comoris. C’est donc
obligatoirement la langue familière de
communication des enfants qui doit être
utilisée à l’école, du moins, dans les
premiers temps de la scolarité.

Une donnée de l’analyse La richesse et l’efficacité ne sont que des


LINGUISTIQUE atouts potentiels. Les langues acquièrent
de façon concrète, richesse et efficacité
dans l’exercice plénier des fonctions
d’enseianement. La fonction “contraint” la
langue à sécréter ses ressources.

SCHÉMA DE RÉPONSE À LA QUATRIÈME QUESTION

On peut légitimement parler de “langues africaines” et non de


“dialectes” pour les raisons suivantes :

62
Sur le plan SCIENTIFIQUE La différence entre langue et dialecte relève
plus de critères socioloaiaues que de critères
linguistiques purs.

Sur le plan LINGUISTIQUE Tout parler qui dispose d’un svstème lexical
svntaxiaue et Dhonétiaue propre peut
revendiquer le titre de langue.

Sur le plan HISTORIQUE Le statut social qui différencie une langue


dominante d’une langue dominée, laquelle
est assimilée à un dialecte, est lié aux
événements historiaues et aux Dhénomènes
culturels toujours susceptibles d’évolution.

Sur le plan PRATIQUE Les ouvrages sérieux et modernes dégagés


d’arrières pensées ethno-centriques, utilisent
I’exDression “lanaues africaines” sans
restriction.

TRAVAUX PRATIQUES D’EXPLOITATION

Il s’agit ici de prouver aux maîtres par des exemples concrets


que les langues africaines sont plus riches, plus précises, plus
“pédagogiques” que les langues étrangères pour traduire les réalités
prises dans le milieu africain et /es exploiter dans /es programmes
scolaires (cf. Une donnée de l’analyse psycho-linguistique). On fera
ensuite rechercher par les maîtres des exemples analogues dans leur
langue familière en veillant à ce que ces recherches puissent être
réinvesties dans l’application pédagogique quotidienne.

L’exemple qui suit est emprunté à la langue fulfulde3. On sait


que dans cette langue le nom donné aux vaches et aux boeufs du
troupeau est déterminé par les couleurs qui caractérisent chacun de ces
animaux. La variété des cas retenus, la précision et la richesse du
vocabulaire sont telles que ce thème pris dans le milieu donne lieu, en
fulfulde, à des exploitations convaincantes en calcul, en mathématique,
en vocabulaire, en sciences naturelles, en langage, etc. comme on le
verra ci-après.

‘Si les exemples proposés dans les fiches de cette série sont souvent tirés du fulfulde, c’est que cette
langue couvre une aire d’extension particulièrement vaste et qu’elle est utilisée comme langue
d’enseignement primaire dans plusieurs pays sahéliens.

63
Premier ensemble :

Ffête WOHE (oole)

F[ WOHE (sihnge)

r l I r f

L-l
tête brunâtre WOHE (wune)

1 [tête WOHE (bale)

L tête grise WOHE (terkaaye)


1

1JYizz-j WOHE (terkaaye bale)

WOHE (terkaaye oole)

Deuxième ensemble :

- l dessusducou
tacheté de roux
EERE (sihnge)

_ m EERE Wune)

_ 1 dessus du cou ~ 1 EERE (bale)


tacheté de noir

-r
I dessus du cou
tacheté de gris I
EERE (terkaaye)

_ (1 EERE (terkaaye bale)

_FI EEREW-w OoIe)

64
Troisième ensemble :

FI DAAKE (oole)

11 DAAKE (sihnge)

El--
Corps blanc t + c bruns DAAKE (wune)
tête et collier
de couleur
(DAAKE) rl

c F[

t + c gris
DAAKE (bale)

DAAKE (terkaaye)

DAAKE (terkaaye baie)

DAAKE (terkaaye oole)

EXPLOITATION

Ces trois ensembles de base (vache à robe blanche) ne


donnent qu’une faible idée de la richesse de la nomenclature dont
dispose le berger peul. II faut y ajouter les vaches dont la robe est
rouge, noire, jaune, etc. Chacun de ces nouveaux ensembles donne
lieu à des sous-ensembles différenciés. La densité des taches de
couleur, leur dimension, leur répartition sur l’étendue du corps sont
également pertinentes et se superposent aux critères de couleur. Des
détails insignifiants pour le profane (un point blanc sur la tête par
exemple) apportent de nouvelles précisions non équivoques pour
l’éleveur. Enfin, /a position des cornes (plus ou moins courbées, droites,
incurvées vers l’intérieur ou vers l’extérieur, etc.) détermine, elle aussi,
des appellations qui peuvent s’ajouter à celles déjà données par la
couleur de façon à préciser encore et à enrichir l’observation.
On conçoit aisément qu’une leçon d’observation, de langage ou
de vocabulaire réalisée pour une classe de petits peuls sur le thème de
l’élevage ou du troupeau en français ou en anglais serait singulièrement
indigente et passerait à côté des réalités... Grâce à leur densité et à leur
rigueur méthodique, toutes les discriminations opérées ci-dessus
peuvent également être utilisées par le maître pour motiver et fonder une
série de leçons de mathématique. Des exercices de classification, de
sériation, de commutation, de recherche de relations trouveront un
support concret dans l’analyse des situations rencontrées au sein d’un
troupeau.

On demandera aux maîtres de rechercher et de développer des


exploitations pédagogiques à partir de réalités analogues à celles que
propose cette fiche en étudiant par exemple les techniques artisanales
endogènes, dans l’habitat, les liens de parenté avec leurs interrelations
et leurs correspondances souvent inexprimables dans une langue
d’emprunt, etc.

Chaque fois, il sera possible de montrer que les langues du


milieu sont plus aptes que /es langues étrangères - qu’elles soient
européennes ou africaines - pour rendre compte des réalités de ce
milieu et les exploiter valablement sur le plan pédagogique.

1 FICHE no Cl 1

LA LANGUE AFRICAINE D’ENSEIGNEMENT ET SON COEFFICIENT


D’UTILISATION PÉDAGOGIQUE

Cinquième question posée par les maîtres et futurs maîtres :


“Que peuvent faire réellement les enseignants et les
pédagogues - compte tenu de leur profil spécifique et de leurs capacités
propres - pour faire avancer la recherche appliquée aux langues
nationales d’enseignement et pour l’orienter vers la pratique
pédagogique dans la classe ?

66
LA PARTICIPATION DES ENSEIGNANTS, POURQUOI?

II n’est pas possible de laisser les enseignants et les


pédagogues - et notamment les maîtres - en dehors des travaux de
recherche appliquée car ils apportent à ces travaux leur dimension
véritable dans les jmaines suivants:
I Ils garantissent la primauté de I’obiectif osvcho-
pédaaoaiaue qui veut que toutes les recherches
soient centrées sur l’enfant dans ses rapports avec le
maître et la langue d’enseignement.

Psycho- En tant que bilingue ou plurilingue, le maître a une


linguistique exoérience vécue, des problèmes de transfert d’une
lanaue à l’autre auxquels l’enfant est précisément
confronté. La recherche ne peut faire abstraction de
, cette expérience précieuse.

r Technique La familiarisation avec la recherche appliquée aux


langues d’enseignement fait partie de la formation
professionnelle des maîtres et futurs maîtres qui

r
doivent exploiter ces langues en classe.

Pratique L’ensemble des maîtres constitue un réseau


d’informateurs et de chercheurs homooène d’une
densité exceotionnelle, bien implanté dans toutes les
aires linouistiaues du pavs.

II serait donc déraisonnable de lancer ou de poursuivre des


recherches linguistiques appliquées à la didactique des langues sans
l’appui moral et technique de la base formée par les utilisateurs,
pédagogues et enseignants du primaire.

LA PARTICIPATION DES ENSEIGNANTS, COMMENT ?

L’expérience prouve que les maîtres et futurs maîtres sont


parfaitement capables de mener à partir de leurs ressources humaines,
matérielles et intellectuelles propres, un certain nombre d’actions
concrètes et payantes dans le domaine de la recherche appliquée aux
langues africaines d’enseignement.

67
II est cependant nécessaire de définir les options de recherche
en fonction du niveau de spécialisation requis et des urgences du plan
d’opérations. Les maîtres ne peuvent pas tout entreprendre par eux-
mêmes; il leur faut le soutien des Instituts spécialisés avant, pendant et
après les opérations. D’ailleurs, ces activités de recherche ne doivent
pas se juxtaposer aux programmes de formation déjà en cours mais
doivent s’y intégrer.
Voici certaines formes de participation validées par l’expérience
sur le terrain.

Le recueil et le traitement de Pour mieux connaître la relation véritable


données PSYCHO- ui lie l’enfant à la langue africaine
PEDAGOGIQUES CI,enseignement, les maîtres peuvent
aider à élucider le statut de l’écolier
africain face à la langue ou aux langues
africaines d’enseignement utilisées.

Le recueil et le traitement de Pour hâter la mise au point d’un lexique


données LINGUISTIQUES fondamental à usage pédagogique, les
pédagogues du terrain peuvent Intervenir:
- dans une recherche sur le fond lexical
propre à la langue d’enseignement afin de
pouvoir verbaliser de façon adéquate les
contenus les plus spécialisés des
programmes scolaires;
- dans une yzt&ych;,;;rly emorunts
effectués langues
(européennes ou africaines).

Le recueil et le traitement de Pour participer au renforcement du


données DIDACTIQUES coefficient pédagogique de la langue
d’enseignement, les maîtres peuvent
aider:
- à l’élaboration d’un manuel de calcul en
recensant au préalable les systemes de
comptage, de numération, etc., qui font
partie du vécu de l’enfant et dont il faudra
tenir compte sur le plan méthodologique;
- à l’élaboration d’un manuel de lecture
courante et de textes en collectant et en
mettant en forme des textes d’enfants, des
contes, des relations adaptées à leur
niveau d’intérêt et de compréhension.

68
SUGGESTIONS POUR L’APPLICATION

Les exemples qui suivent illustrent des travaux de recherche


appliquée, effectivement réalisés par des maîtres en réponse à des
situations de besoin. Ils sont destinés à fournir aux Inspecteurs et aux
Conseillers Pédagogiques quelques suggestions concrètes de ce qui
peut être fait dans des contextes similaires.

1) Le recueil et le traitement de données PSYCHO-PÉDAGOGIQUES:


La définition du statut de l’écolier face à la langue africaine
d’enseignement

- Avec le soutien des linguistes et des didacticiens de l’Institut National


d’Éducation de Ouagadougou qui leur ont fourni un questionnaire-
cadre adéquat, les maîtres ont mené une enquête destinée à
dégager les situations linguistiques de base qui se présentent dans
les cours préparatoires des écoles expérimentales à l’intérieur
desquelles le moore (M), le Jula (J) et le fulfulde (F) sont utilisés
comme langues d’enseignement (LgAe).
- Voici à titre informatif un résumé des renseignements obtenus par cette
enquête menée dans les classes d’initiation et partant, sur 1 234
élèves des écoles moréphones, 719 élèves des écoles
dioulaphones, 401 élèves des écoles fulaphones.

STATUT 1: Pourcentage d’élèves dont la M/ Jl FI


LgAe=Lgm langue d’enseignement (M,J, 95,2% 13,5% 69,6%
ou F) correspond à la langue
maternelle

STATUT 2: Pourcentage d’élèves dont la M/ Jl FI


LgAe 7 Lgm langue d’enseignement (M,J, 4,8% 86,5% 30,4%
ou F) ne correspond pas à la
langue maternelle

STATUT 21 : Pourcentage d’élèves qui MI J/ FI


LgAe ^ Lgm maîtrisent mieux ou aussi 62,3% 46,7% 33,6%
LgAe >Lgm bien la langue
d’enseignement (M,J, ou F)
que la langue maternelle

69
STATUT 22 : Pourcentage d’élèves qui M/ Jl FI
LgAe < Lgm maîtrisent moins bien la 37,7% 53,3% 66,4%
LgAe = 0 langue d’enseignement
(M,J, ou F) ou qui ne la
maîtrisent pas du tout

NB: Les pourcentages donnés pour les statuts 2 1 et 2 2 se situent évidemment


à l’intérieur du statut 2.

- L’intérêt de ce travail est considérable car les renseignements fournis


peuvent être réinvestis au niveau de la formation initiale des
maîtres et exploités pour l’élaboration de manuels et de guides
pédagogiques mieux adaptés aux différents cas effectivement
rencontrés dans les classes du pays.

Qui pourrait mieux que les maîtres mener un travail de ce genre


pour lequel une parfaite connaissance des écoliers, de leur famille et du
village est indispensable ?

2) Le recueil et le traitement de données LINGUISTIQUES : Recherche


sur le fond lexical propre à la langue africaine d’enseignement

Cette recherche était menée par l’ensemble des maîtres en


activité dans les zones concernées par la Réforme de l’éducation
burkinabé. L’Institut National d’Éducation avec la collaboration de
linguistes qualifiés en assurait le contrôle méthodologique.

L’objectif de la recherche était d’aboutir d’une part à la


normalisation du lexique utilisé par les maîtres et les concepteurs de
manuels; d’autre part à son enrichissement, les nomenclatures
existantes s’avérant insuffisantes pour verbaliser les contenus
actuellement véhiculés par les programmes. L’opération proprement
dite s’est déroulée comme suit :

A) Élucidation des critères de sélection des termes du lexique


normalisé:

La Commission spécialisée de H.N.E. retient les critères de


fréquence, de répartition, d’économie et d’adéquation notionnelle et met
au point une notice explicative à l’usage des maîtres enquêteurs.

70
6) Analyse des contenus inscrits dans les programmes scolaires :

La Commission spécialisée de 1’I.N.E. procède au recensement


des concepts et notions indispensables pour l’enseignement de chaque
discipline scolaire, leçon par leçon et année par année. Toutes les
activités du programme en vigueur sont ainsi analysées et des listes
exhaustives sont établies.

C) Enquête des maîtres et praticiens du terrain :

Les maîtres constituent des groupes de recueil dans le cadre de


l’école et du village. Dans ces groupes sont intégrés les villageois,
laboureurs, artisans, pêcheurs, commerçants, etc. qui sont
généralement dépositaires d’un lexique de spécialité recouvrant leurs
activités spécifiques.

D) Exploitation de la recherche

Les terminologies proposées sont analysées à 1’I.N.E. par la


Commission spécialisée composée de linguistes et de pédagogues.
Elles s’insèrent dans un lexique thématique et un lexique à classement
alphabétique facilement exploitables par les maîtres et les concepteurs
de manuels.

Ces exemples de participation des maîtres à un programme de


recherche appliquée à l’enseignement des langues nationales ne sont
pas les seuls que l’on puisse citer. Lorsque cette participation a été bien
préparée, précédée d’une motivation et d’une sensibilisation
convenables, suivie d’une exploitation effective contrôlée par des
spécialistes compétents en matière de didactique des langues, il est rare
qu’elle soit décevante dans ses résultats sur le plan technique et
professionnel.

71
1 FICHE n” C2 1

GUIDES ET MANUELS POUR L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES


NATIONALES4

1)
QUELLE EST LA NATURE EXACTE DU PROBLÈME?

Lorsque le choix d’une langue africaine d’enseignement a été


clairement défini, le maître chargé de pratiquer cet enseignement dans
la classe s’interroge aussitôt sur la quantité et la validité des instruments
pédagogiques dont il dispose. II doit pouvoir appuyer son enseignement
sur des manuels sérieux et facilement exploitables. Comment se
présentent sur ce point les situations concrètes rencontrées sur le
terrain ? Quel matériel pédagogique d’urgence faut-il élaborer ? Les
maîtres en exercice peuvent-ils aider à évaluer l’efficacité de ce
matériel?
3\

LES SITUATIONS EFFECTIVEMENT RENCONTRÉES SUR LE


/ TERRAIN

Les situations varient beaucoup selon les langues et les pays


mais d’une façon générale, on recense cinq (5) situations fondamentales
dans les pays d’Afrique francophone.

Première situation: L’INSTITUTEUR DISPOSÉ DE MANUELS


FONDÉS SUR DES RECHERCHES
PRÉAlABLES ET ADAPTÉES AU NIVEAU DE
COMPÉTENCE DES MAîTRES AINSI QU’AU
NIVEAU DE COMPRÉHENSION DES ÉLÈVES.

II s’agit habituellement dans ce premier cas de productions


pédagogiques dont l’élaboration et la mise au point sont le fruit d’un
travail interdisciplinaire réalisé et validé par une équipe de
psychologues, de didacticiens et de linguistes au sein d’un Institut
d’Education.

72
Deuxième situation : L’INSTITUTEUR DISPOSE D’OUTILS
PEDAGOGIQUES FONDES EN THEORIE
MAIS INADAPTES A L’EXPERIENCE ET A LA
COMPETENCE DU MAITRE ET DES
ÉLÈVES.
C’est souvent le cas de manuels empruntés à des pays
limitrophes où la même langue est utilisée en contexte scolaire. C’est
aussi les cas de manuels utilisés pour /‘alphabétisation des adultes et
que l’on “adapte” aux programmes du primaire (en calcul et en lecture
notamment).

Troisième situation : L’INSTITUTEUR DISPOSE D’OUTILS DE


TRAVAIL DONT LES CONTENUS ET LA
MÉTHODOLOGIE SONT CALQUÉS
PUREMENT ET SIMPLEMENT SUR DES
OUVRAGES EUROPÉENS SIMILAIRES.

C’est un cas fréquent pour les manuels qui traitent de la


mathématique et des disciplines d’éveil. La langue est africaine mais /es
contenus et la démarche pédagogique sont de simples transferts opérés
à priori, sans recherche sur l’opportunité, voire la possibilité de ces
transferts.

Quatrième situation : L’INSTITUTEUR DISPOSE D’OUTILS DE


TRAVAIL BIEN ADAPTÉS AU MILIEU, AU
VÉCU L’ENFANT ET AUX
COMPÉTE%ES DU MAîTRE MAIS
MANQUANT DE FONDEMENTS
THÉORIQUES SÉRIEUX.

C’est le cas de manuels élaborés à la hâte par des pédagogues


- à la veille d’une réforme par exemple - sans consultation suffisante
avec les linguistes pour les problèmes de transcription de segmentation,
d’orthographe, etc.

Cinquième situation : IL N’Y A PAS DE FOND PÉDAGOGIQUE


DISPONIBLE

Cette situation se rencontre dans des phases expérimentales


hâtivement décidées (par suite d’urgences politiques par exemple) mais
aussi dans des opérations mieux préparées, quand /es circuits de
production et de diffusion de matériel pédagogique sont déficients.

73
Toutes ces situations étaient encore observées récemment sur
le terrain et il serait facile de les illustrer par des exemples concrets. La
première situation - la plus favorable - n’est pas encore la plus
fréquente.

3)
QUEL MATÉRIEL PÉDAGOGIQUE D’URGENCE FAUT-IL
ÉLABORER ?

II arrive par suite de contraintes diverses qu’il faille choisir dans


un premier temps entre l’élaboration de Manuels pour les élèves et de
Guides pour les maîtres. Dans ce cas, l’expérience incline à privilégier
d’abord les guides du maître pour les raisons suivantes:

- Raison pédagogique
L’essentiel des leçons d’initiation (en lecture, en écriture, en calcul, etc.)
se fait au tableau avec un matériel communautaire. Durant cette phase
initiale, c’est la démarche méthodologique du maître et sa compétence
didactique qui sont capitales pour l’acquisition des premiers
apprentissages.

- Raison pratique
Même lorsque l’élève dispose d’un manuel, il l’emporte rarement chez
lui (risque de détérioration, manque de lumière pour travailler à la
maison, etc.) Les manuels restent généralement stockés à l’école.

- Raison économique
Au début d’une réforme il est souvent plus réaliste de prévoir la
production et la diffusion de 100 guides du maître que de 7 000 livres de
l’élève pour le même nombre d’écoles.

La nature du matériel pédagogique à élaborer d’urgence dépend


en définitive des fonctions pédagogiques qui ont été assignées à la
langue africaine d’enseignement à l’intérieur d’un système éducatif
donné5. L’une des premières fonctions dont ces langues sont
généralement chargées est celle qui fait accéder l’enfant aux

’ Pour le critère de fonction pédagogique, se reporter à l’introduction de ce guide: L’approche


psy&-pédagogique et ses applications sur le choix des langues en Afrique.

74
apprentissages instrumentaux de base. Ceci implique que les maîtres
disposent de guides et de manuels d’initiation relatifs à l’apprentissage
de la lecture et de l’écriture, du calcul, du langage et au
perfectionnement de ces apprentissages.

Insistons ici sur le fait qu’une présentation agréable de ces


ouvrages n’est jamais un luxe inutile. On néglige trop souvent l’aspect
extérieur des manuels réalisés en langue nationale. Ces manuels se
présentent fréquemment sous forme de polycopiés fragiles avec peu ou
pas d’illustrations. Les maîtres sont unanimes à déclarer que les
ouvrages européens cartonnés avec des illustrations polychromes, etc.,
suscitent la joie des élèves et leur désir d’apprendre. Quant aux
parents, ils voient souvent dans ces fascicules non reliés et peu
séduisants la preuve du caractère provisoire et limité de l’utilisation des
langues nationales et leur soutien à la réforme n’en sort évidemment pas
renforcé.

41
LES f&rREs EN EXERCICE PEUVENT-ILS AIDER A ÉVALUER
LE MATÉRIEL PÉDAGOGIQUE NÉCESSAIRE ?

II n’y a pas de meilleur programme de formation que celui qui


consiste à faire participer l’utilisateur à la conception et à l’évaluation des
manuels qu’il devra exploiter lui-même avec les élèves.

L’application de ce principe est non seulement souhaitable, elle


est également possible.

Voici à titre d’exemple quelques actions menées par des maîtres


en exercice pour évaluer les instruments pédagogiques qui leur ont été
fournis.

1 - Évaluation de l’efficacité méihodologique d’une méthode


d’apprentissage de la lecture en français, articulée sur l’initiation à la
lecture en langue nationale sang6

La passation des tests a été conduite par les maîtres


responsables des classes expérimentales et les Directeurs d’écoles.
Les dépouillements ont été également réalisés par eux puis vérifiés une

75
seconde fois par l’équipe concernée de I’IPN. Voici les résultats
instructifs de cette enquête menée dans douze classes regroupant 651
élèves.

Savent déchiffrer en français Ne savent pas déchiffrer en


français

544 83,6% 107 16,4%

2- Évaluation de l’efficacité d’une méthode d’initiation à la lecture en


langue nationale à l’issue d’une année d’expén’mentation (Moore, Jula,
Fulfulde)

Déchiffrent aisément un
texte de difficulté moyenne

Déchiffrent aisément un
texte où les difficultés sont
volontairement accumulées

Lisent aisément et
comprennent ce qu’ils lisent

Les phases de passation et de dépouillement des tests (pour


1.643 élèves) ont été entièrement prises en charge par les maîtres du

terrain sous le cont$le des Chefs de Circonscriptions scolaires et de


l’Institut National d’Education.

Ce dernier dépouillement qui supposait l’analyse de plus de


40.000 items n’aurait pu être effectué correctement dans les temps
requis si l’engagement actif des maîtres dans l’opération avait fait défaut.

76
EN GUISE DE CONCLUSION
(Pour /a version du guide en langue française)

L’enseignement du français dans les écoles africaines :


quelques éléments de réflexion

Le contexte pédagogique nouveau qui se développe


progressivement dans les systèmes éducatifs de l’Afrique francophone,
tend à faire une place institutionnelle à un bilinguisme ou à un
plurilinguisme de droit, fondé sur /‘utilisation d’une ou de plusieurs
langues nationales et sur l’emploi simultané ou différé du français dans
les programmes de l’école primaire.

II n’est pas de notre ressort de défendre ou d’attaquer ici de


telles options qui dépendent exclusivement des souverainetés
nationales. Disons simplement que, de notre point de vue, ces choix
témoignent d’une grande sagesse et d’une intuition pédagogique très
sûre. Le monolinguisme obsessionnel, qu’il soit européen ou africain,
est - à de rares exceptions près - condamné par le progrès et la
modernité. La mise en place d’un bilinguisme - voire d’un plurilinguisme
- scolaire fonctionnel et équilibré est une chance pour l’enfant africain
et le développement de son pays. II n’y a là aucune prise de position
subjective mais la simple constatation d’un fait.

L’expérience montre d’ailleurs que cette évidence n’échappe


pas aux populations africaines. Toutes les enquêtes et investigations
effectuées dans des milieux socio-professionnels très différents,
montrent sans équivoque que les parents d’élèves, tout en comprenant
la nécessité psycho-pédagogique d’un enseignement dans les langues
maternelles restent très fermement attaché à l’enseignement du
français dans les écoles. Telle est la réalité.

Le fichier qui précède est essentiellement consacré à l’utilisation


des langues nationales dans les classes primaires et dans les instituts
de formation, mais - compte tenu des situations didactiques nouvelles -
il serait incomplet s’il n’amorçait pas une réflexion sur les grandes
orientations méthodologiques de la problématique de l’enseignement du
français en Afrique, telle qu’elle se pose dans l’environnement
pédagogique bilingue ou plurilingue d’aujourd’hui et, plus encore, de
demain.

77
Il ne semble pas en effet que la pédagogie du français ait
réellement pris en compte jusqu’à présent l’utilisation conjointe des
langues africaines dans les activités scolaires. Les deux enseignements
évoluent généralement, au sein des mêmes programmes, comme des
activités nettement distinctes et cloisonnées. Or c’est bien le même
enfant qui apprend les deux langues, à l’intérieur du même système
éducatif ; c’est bien le même maître qui les enseigne. Le simple bon
sens pédagogique demande que les deux termes linguistiques en
présence se rejoignent dans une didactique complémentaire qui - sans
violer les faits linguistiques d’une langue à l’autre - cimente les
apprentissages linguistiques en un tout cohérent et non conflictuel.

Dans cette perspective d’intégration interdisciplinaire, les


directions nouvelles de recherche que les Instituts Pédagogiques
Nationaux (IPN) pourraient assigner à l’enseignement du français dans
les classes primaires bilingues dépendent en fait des réponses
apportées à trois questions fondamentales :

- Quelle peut être la place du français dans les programmes de l’école


bilingue africaine ?
- Quelle orientation méthodologique donner à l’enseignement de cette
langue ?
- Quel type de français enseigner ?

L’analyse développée dans les pages qui suivent tente de


fournir quelques éléments de réponse à ces questions.

1. LA PLACE DU FRANÇAIS DANS LES PROGRAMMES DE L’ÉCOLE


BILINGUE

Dans l’immense majorité des réformes engagées jusqu’ici, le


français conserve un statut pédagogique plénier, c’est-à-dire, qu’il est à
la fois objet et support d’enseignement. Ces deux fonctions sont
remplies soit simultanément, soit successivement. Si personne ne
conteste sérieusement la fonction “objet”, c’est-à-dire, la nécessité de
l’apprentissage de la langue française, on peut légitimement s’interroger
sur la place que cette langue doit occuper comme véhicule des
programmes scolaires. Dans notre perspective pédagogique, cette
place doit être définie sur /a base du critère de fonction pédagogique.
Si la fonction de lien entre l’école et le milieu et la fonction d’accès aux

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apprentissages instrumentaux reviennent, en principe, à la langue
maternelle (ou usuelle) de l’enfant pour des raisons psycho-
pédagogiques évidentes, un partage des attributions peut s’imposer, en
l’état actuel des choses, dans la plupart des cas, pour /a fonction de
communication pédagogique et de support des contenus scolaires.
Dans ces fonctions le rôle du français peut être important. Cette
question ne sera pas approfondie ici car, du fait de son importance
primordiale, elle a déjà fait l’objet de l’article introductif du présent guide
où elle a été largement explicitée.

II. QUELLES ORIENTATIONS MÉTHODOLOGIQUES POUR


L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS À L’INTÉRIEUR DE
PROGRAMMES BILINGUES? (Perspectives de recherche et
suggestions).

La méthodologie de l’enseignement du français dans les écoles


primaires africaines est souvent d’inspiration plus didactique que
pédagogique. C’est dire qu’ELLE PRIVILÉGIE LES PROGRESSIONS
FONDÉES SUR LA DYNAMIQUE ET LA STRUCTURE INTERNE DE
LA LANGUE AU DÉTRIMENT DES PROGRESSIONS FONDÉES SUR
LE VÉCU DE L’ÉLÈVE ET SUR LE SUBSTRAT LINGUISTIQUE
ORIGINAL. À partir du moment où les langues africaines font partie
intégrante du programme, il convient de substituer le critère
pédagogique au critère purement didactique et par conséquent de
fonder les progressions méthodologiques de l’apprentissage du français
sur /‘expérience linguistique des enfants. En définitive, le transfert pur
et simple des didactiques, de I’hexagone à l’Afrique, n’est pas plus
efficace que le transfert des technologies.

La prise en compte des substrats linguistiques maternels n’est


d’ailleurs que la mise en application d’une très vieille idée pédagogique
qui consiste à partir du connu pour aller vers l’inconnu, en échelonnant
les apprentissages. Ce principe - bien connu des maîtres - vaut pour
l’acquisition de toutes les disciplines scolaires y compris pour
l’acquisition d’une langue étrangère. Certes, dans un passé encore
récent, ce principe a trop souvent été utilisé comme une “recette” et,
dans la pratique, le système de fonctionnement d’une langue seconde
était réduit, tant bien que mal, au système de la langue déjà connue de
l’apprenant. On partait par exemple des structures grammaticales du
français pour tenter de faire comprendre aux élèves celles de l’allemand.

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Cet excès a été suivi par l’excès opposé si bien que pour une certaine
école, toute référence à la langue maternelle est devenue une hérésie.
La réalité s’accommode mal de ces positions extrêmes. II existe d’une
langue à l’autre des différences sensibles mais aussi des similitudes et
même des identités. Pourquoi, et au nom de quel dogme, refuser au
pédagogue le droit de s’appuyer sur ces dernières ?

Les disciplines dans lesquelles l’apprentissage du français peut


se fonder sur les acquis de l’enfant dans sa langue maternelle sont
essentiellement au nombre de trois : la lecture, l’écriture et le langage.

1) La lecture

Pour le maître, un “m”, un ‘Y, un “a”, un “k”, etc. en langue


moore ou sango, etc. équivalent à leurs correspondants français. La
différence, si différence il y a, ne se situe pas au niveau de l’application
pédagogique. Lorsque l’enfant africain d’une classe bilingue apprend à
lire le français à l’issue de la deuxième ou de la troisième année de
scolarisation, il a déjà appris à lire en langue maternelle et il peut
transférer l’essentiel de ce savoir dans la lecture du français. En effet,
l’apprentissage de la lecture est une technique que l’enfant peut
réinvestir quand il le désire dans toutes les autres langues qui disposent
d’un alphabet semblable, et la capacité de lire doit être considérée en
elle-même comme une technique indépendante de la langue dans
laquelle on apprend à lire. Une fois les mécanismes acquis, il n’y a pas
lieu de les réapprendre, le transfert est automatique au profit de toute
autre langue qui utilise un code graphique similaire. Bien sûr des
différences graphiques plus ou moins importantes existent d’une langue
à l’autre mais elles ne représentent en tout état de cause qu’une minorité
et lorsque le maître en viendra à l’étude de ces différences, les
mécanismes élémentaires du déchiffrage auront déjà été acquis par
l’enfant, lui facilitant ainsi, la tâche.

Dans un contexte bilingue, le manuel de lecture en français doit


donc tenir compte de ce que l’enfant sait déjà et prendre appui sur ce qui
est commun aux deux systèmes graphiques. On pourrait par exemple
observer la progression suivante en passant du premier système au
second :

- Graphies et sons communs aux deux systèmes.


- Graphies et sons différents.

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- Graphies différentes pour des sons identiques.
- Graphies identiques pour des sons différents.

Les livres de lecture en français, proposés aux élèves des


classes bilingues ne devraient donc plus se présenter sous la forme de
manuels d’initiation mais plutôt sous la forme de manuels de
perfectionnement dans lesquels toutes les graphies qui ont la même
valeur phonique d’une langue à l’autre donnent lieu à de simples
“révisions” et non à des “leçons” fastidieuses. Le temps ainsi gagné
serait consacré à /‘étude des différences. C’est en ce sens que
l’apprentissage de la lecture dans la langue maternelle de l’enfant
africain peut accélérer et faciliter la maîtrise de la lecture en français.

2) L ‘écriture

II en va de même pour cette “discipline” qui est d’ailleurs


intimement liée à la lecture. Les lettres ‘Y’, ‘Y, “p”, etc... se tracent de
la même façon et selon la même techniques (de gauche à droite) dans
les langues africaines et en français. L’élève peut -réinvestir son savoir-
faire d’une langue à /‘autre dans la majorité des cas. Certaines langues
africaines (Sango, Wolo9 ont d’ailleurs un système graphique presque
entièrement compatible avec celui du français, si bien que le
réinvestissement est quasi total, mis à part le problème des graphies
correspondant à des sons différents (u, c, e, y, etc...). II reste aussi,
bien entendu, quelques graphies irréductibles (E, o) parfois aussi
orthographiées ë, 0, mais ces graphies divergentes sont en réalité peu
nombreuse et ne posent pas de problèmes sérieux.

En orthographe aussi, un certain nombre de transferts sont


possibles. Lorsqu’un élève a compris que dans le mot komal (“bon” en
langue moore) le tilde du “a” est inutile parce que la proximité du “m”
nasalise automatiquement la voyelle ; il n’aura pas grande peine à
comprendre le rôle similaire des environnements dans l’orthographe
d’une autre langue. Ainsi, en français, il admettra facilement que dans
“effacer”, “e” initial ne prenne pas l’accent aigu car il est suivi d’un
groupe de deux consonnes dans lequel la première rend l’accent inutile,
etc.

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3) Le langage

Si le maître a les moyens de s’appuyer sur la langue maternelle


de ses élèves, il peut améliorer sensiblement sa pédagogie
d’apprentissage du français. C’est vrai non seulement pour faciliter la
prononciation de cette langue mais également pour hâter /‘acquisition de
ses structures grammaticales et de son lexique de base. Le maître doit
donc chercher à connaître les structures grammaticales les plus
fréquemment utilisées dans la langue maternelle de ses élèves
(structures marquant l’appartenance, l’affirmation, la condition, la
négation, l’interrogation, la concession, etc.). Cette connaissance lui
permettra de dresser un inventaire rapide grâce auquel il lui sera plus
facile de prévoir les interférences susceptibles d’être commises dans le
maniement des structures du français.

Si, par exemple, dans la langue sango, l’expression de


l’appartenance emprunte le modèle structural suivant:
SO mbeti ti mbi
c’est livre de moi

Le maître saura qu’il ne doit pas s’attendre à trouver tout de


suite dans les réalisations orales de ses élèves des formulations
correctes du type :
C’est mon livre
C’est notre maison, etc.

De même une phrase du type “toi et moi”, nous irons à la pêche”


sera régulièrement énoncée “moi et toi, nous irons à la pêche” parce que
dans un grand nombre de langues africaines, le pronom personnel de
la première personne précède les autres sujets :
1. mbi / na /mo (Sango)
moi et toi
2. maam / ne / foo (Moore)
moi et toi
3. miin / e / aan (Peul)
moi
4. ne / :: / 2; (Jula)
moi et toi

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Le maître pourra remédier à ces problèmes en utilisant des
exercices structuraux motivants adaptés à chaque interférence
recensée.

Le domaine des interférences lexicales est plus délicat à cerner


car le lexique est un ensemble ouvert, susceptible d’intégrer de
nouveaux éléments. II n’est donc pas possible de faire un inventaire
exhaustif et systématique des interférences probables.

Toutefois, si le maître prend en compte la langue maternelle des


élèves, il comprendra mieux l’origine des fautes les plus fréquentes et
par des exercices appropriés il pourra protéger ses élèves des pièges
de la traduction pure et simple. Ainsi :
J’entends l’odeur de la cigarette (pour je sens...)
m i mumda / sigar l yuugu
je i entends / cigarette / odeur

II boit la cigarette (pour il fume)


Je coupe la route (pour je traverse)
etc.

En résumé, sur le plan de la technique pédagogique, la


connaissance des langues maternelles des élèves permet au maître
d’améliorer considérablement sa méthodologie d’enseignement du
français en prenant appui sur les transferts et en réduisant les
phénomènes interférentiels. Grâce à cette connaissance, il peut en
effet:

- Identifier et classer les difficultés inévitables de système à système ;


- Faire des fiches correctives pour chaque difficulté prévisible (exercices
phonétiques, exercices structuraux, exercices de fixation lexicale);
-Aménager ses programmes et ses horaires en fonction des révisions
prévisibles.

Enfin, sur le plan de comportement pédagogique, la


connaissance du principe et du mécanisme de production des
interférences permet au maître de comprendre et d’expliquer les erreurs
de ses élèves en français. Ces fautes sont logiques et en quelque sorte
rationnelles. Elles sont la marque de réflexes linguistiques sains. Face
aux incorrections d’origine interférentielle, l’attitude du maître sera plus
souple sinon plus permissive (du moins dans les premiers temps). II

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parviendra à de bons résultats grâce à des approximations successives
et non en pénalisant l’élève considéré à tort comme étourdi ou
paresseux.

III. QUEL TYPE DE FRANÇAIS ENSEIGNER DANS LES ÉCOLES


PRIMAIRES BILINGUES?

Ce n’est évidemment pas au maître de décider quel type de


français il convient d’enseigner à ses élèves. Ce sont les Instituts
Pédagogiques Nationaux (IPN) aidés en cela par les Centres
Spécialisés qui peuvent soulever le problème au niveau politique et aider
à le résoudre sur le plan technique.

La question qui se pose est de donner un contenu concret à la


notion de “tolérance linguistique” appliquée à l’utilisation d’une langue
étrangère dans les classes primaires et d’améliorer le rendement des
programmes en les dépouillant et en sélectionnant les activités les plus
utiles. II s’agit, en d’autres termes :

- De proposer à l’enfant africain l’étude d’un français vivant et usuel qu’il


puisse utiliser comme une langue de communication courante hors
du contexte scolaire.

- De sélectionner et de hiérarchiser les activités inscrites au programme


en français, du Premier Degré.

1) Le français, “langue vivante” pour l’écolier africain

Le français actuellement enseigné dans les écoles africaines est


encore trop souvent un français monolithique qui ne se différencie pas
formellement de celui qui est enseigné dans les écoles de France. Peut-
on continuer à transférer indéfiniment, sans liberté d’adaptation, des
éléments linguistiques d’un milieu socio- culturel à un autre? Ce
transfert abusif aboutit à l’enseignement d’une langue certes homogène,
mais artificielle, déconnectée par rapport 21 l’environnement, aux
cultures, aux situations et aux besoins de l’enfant africain. II faut donc
honnêtement se poser la question de savoir s’il est opportun de
considérer systématiquement le français académique enseigné dans les
programmes scolaires de I’hexagone comme l’archétype et la norme

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universelle à laquelle tous les programmes de français dans les écoles
africaines doivent obligatoirement faire référence sur le plan phonétique,
grammatical et sur-tout lexical.

Pour que le français devienne véritablement une langue


africaine au service des écoliers africains, il faut que sous les vocables
français, l’enfant retrouve ses images familières, ses objets personnels,
sa vie toute entière.

Le maître et les manuels ne peuvent donc plus faire totalement


abstraction du français local que l’enfant entend et pratique autour de lui,
et les programmes doivent prendre en compte l’environnement socio-
culturel et “l’école parallèle” que constituent pour lui la rue, la radio, etc.
Si l’école refuse cette ouverture linguistique sur le milieu vivant et
productif, elle amorcera un processus de “latinisation” dans lequel le
français “scolaire” n’aura plus aucune existence réelle en dehors de la
salle de classe..

C’est donc bien d’ouverture qu’il s’agit. Celle-ci est inévitable et


enrichissante. On peut même ajouter qu’elle est indispensable
notamment au niveau didactique, car l’ignorance systématique du
français “local” entraîne bien des ambiguïtés et des contre-sens. C’est
ainsi qu’à Ouagadougou, tout écolier moréphone traduit le mot “raisin”
par “sibi” et vice-versa. Or, le raisin et le sibi sont des fruits très
différents. Le premier n’existe pas en Burkina Faso sauf dans les
cultures expérimentales et dans les magasins à clientèle européenne.
Le second est le fruit d’un arbre de brousse dont les grappes
ressemblent effectivement à celles du raisin. On pourrait multiplier les
exemples semblables. Pour mettre la langue française à la portée du
plus grand nombre, pour la démocratiser réellement, il ne faut pas la
“protéger” par une orthodoxie dogmatique et stérile, il faut au contraire,
la laisser vivre et admettre que les locuteurs africains puissent l’adapter
en fonction de leur génie créateur propre et des réalités contextuelles
afin de pouvoir transmettre leur message spécifique sans distorsion ni
paupérisation.

Cette ouverture ne s’applique probablement pas au seul lexique.


Serait-il scandaleux de rechercher des seuils de tolérance pour la
syntaxe et la prononciation au niveau de l’école primaire ? II n’est pas
jusqu’à la conceptualisation qui mérite réflexion. Pourquoi ne pas
accepter par exemple dans la composition française, et plus tard dans

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la dissertation, le rythme narratif qui est proche de l’oralité africaine au
lieu d’imposer aux élèves et aux étudiants un plan typiquement cartésien
fondé sur la thèse, l’antithèse et la synthèse ?

2) Des programmes de français plus dépouillés et plus efficaces

L’introduction des langues nationales dans les programmes


scolaires a généralement pour conséquence immédiate une diminution
plus ou moins sensible de I’horaire alloué au français. II faut donc, en
quelque sorte, “faire aussi bien”, sinon mieux, avec moins de temps.
Certes, la possibilité de transférer certains acquis d’une langue à l’autre
permet de faciliter et d’accélérer les apprentissages en français comme
on l’a vu plus haut, mais si l’on veut que l’élève sortant du primaire ait
une maîtrise suffisante du français parlé et écrit, il faudra
nécessairement limiter les ambitions et hiérarchiser les objectifs du
programme de français.

II reviendra tout naturellement aux équipes spécialisées des


Instituts Pédagogiques Nationaux d’opérer une sélection des
apprentissages sur la base du critère d’utilité. Elles devront également
proposer un échelonnement de ces apprentissages qui doivent
normalement se poursuivre jusqu’à /a fin du premier cycle de
l’enseignement secondaire. Tout le monde sait bien en effet que la
maîtrise du français est loin d’être acquise à l’issue des études
primaires, même dans le système classique monolingue où le français
reste la seule langue d’enseignement. Plutôt que d’établir une barrière
artificielle - et hypocrite - entre les programmes de l’école primaire et
ceux des établissements secondaires. II vaut mieux considérer que
l’apprentissage du français forme un tout, du cours préparatoire à la
classe de troisième. Les programmes de français de l’école primaire
bilingue seraient donc dépouillés pour valoriser l’essentiel, c’est-à-dire,
la communication orale et écrite; ils constitueraient en quelque sorte un
premier niveau. Des notions comme le subjonctif, le passé simple, le
futur antérieur, etc... que l’enfant n’utilise jamais ni lui ni son entourage,
dans la communication quotidienne seraient exclues de ce premier
niveau et se verraient reportées dans des programmes de
perfectionnement ultérieurs. II en va de même pour la réflexion
systématique sur la langue et pour l’étude du métalangage grammatical
dont les maîtres n’ont d’ailleurs souvent eux-mêmes qu’une
connaissance approximative. En revanche, l’accent serait mis sur la
pratique intensive d’un français efficace, concret, bien enraciné dans le

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milieu et sur la production de textes oraux et écrits à partir de situations
motivantes spontanées ou provoquées.

Les considérations qui précèdent ne sont que des perspectives


de recherche et des suggestions. Une chose est sûre cependant, dans
beaucoup de pays, la situation actuelle de l’enseignement du français
dans les écoles primaires n’est pas satisfaisante. La solution de facilité
qui consiste à conserver dans ces écoles les anciens programmes, à
maintenir des outils de travail sommairement réactualisés, à utiliser les
mêmes méthodologies qu’à l’époque du monolinguisme scolaire fondé
sur l’emploi exclusif du français, est maintenant dépassée et nuisible là
où elle existe encore. Elle risque à la longue de déstabiliser
l’enseignement du français en le coupant de /a nouvelle dynamique
pédagogique introduite par l’utilisation des langues nationales dans les
classes.

C’est aux Instituts Pédagogiques Nationaux - aidés en cela par


les Centres spécialisés - qu’il revient de mener les recherches et les
investigations nécessaires pour que les programmes de l’école bilingue
ou plurilingue se concrétisent dans des activités complémentaires et non
conflictuelles, conformément aux objectifs éducatifs nationaux.

Certes, cette perspective, si elle se traduit en termes


opérationnels, ne peut être que bénéfique pour toutes les langues en
présence, mais elle a pour finalité ultime le développement de l’enfant
qui - par delà les objectifs culturels, économiques et politiques plus ou
moins clairement exprimés - reste, en tout cas pour le pédagogue, la
véritable justification de toute réforme linguistique dans le système
éducatif.

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Agence de la Francophonie (ACCT)
L’Agence de la Francophonie (ACCT) créée à Niamey en 1970,
sous l’appellation d’Agence de coopération culturelle et technique
est l’unique organisation intergouvernementale de la
Francophonie et le principal opérateur des Conférences
bisannuelles des chefs d’Etat et de gouvernement des pays
ayant le français en partage, aussi appelées Sommets
francophones.

L’Agence assure le secrétariat de toutes les instances de la


Francophonie. Elle déploie son activité multilatérale dans les
domaines de l’éducation et de la formation, de la culture et de la
communication, de la coopération juridique et judiciaire, de
diverses actions au titre de la direction générale du
développement et de la solidarité.

Outre son siège, situé à Paris, l’Agence dispose d’une École


internationale de la Francophonie à Bordeaux (France) où est
située sa direction générale Education-Formation, d’un Institut de
l’énergie des pays ayant en commun l’usage du français (IEPF)
à Québec (Canada), d’un Bureau de liaison avec les
organisations internationales à Genève (Suisse), d’un Bureau
permanent d’observation aux Nations unies à New York aux
Etats-Unis, d’un Bureau régional de l’Afrique de l’Ouest à Lomé
(Togo), d’un Bureau régional de l’Afrique centrale à Libreville
(Gabon), d’un Bureau régional pour l’Asie-Pacifique à Hanoi
(Viêt-nam).

L’ACCT regroupe 46 pays ou gouvernements: Bénin, Bulgarie,


Burkina-Faso, Burundi, Cambodge, Cameroun, Canada, Canada-
Nouveau-Bunswick, Canada-Québec, Centrafrique, Communauté
française de Belgique, Comores, Congo, Côte-d’Ivoire, Djibouti,
Dominique, Egypte, France, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau,
Guinée équatoriale, Haïti, Laos, Liban, Luxembourg,
Madagascar, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie, Moldavie,
Monaco, Niger, Roumanie, Rwanda, Sainte-Lucie, Sénégal,
Seychelles, Suisse, Tchad, Togo, Tunisie, Vanuatu, Viêt-nam,
Zaïre.

[Le Royaume de Belgique, le Cap-Vert et Saint-Thomas-et-Prince


portent à 49 le nombre des pays et gouvernements participant
aux Sommets.]

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