Le Verbe de Dieu Et Le Salut de L'Homme Selon Athanase D'Alexandrie
Le Verbe de Dieu Et Le Salut de L'Homme Selon Athanase D'Alexandrie
Le Verbe de Dieu Et Le Salut de L'Homme Selon Athanase D'Alexandrie
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en théologie
pour l'obtention du grade de Maître ès arts (M.A.)
FACULTÉ DE THÉOLOGIE
ET DE SCIENCES RELIGIEUSES
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
2009
Célébré pendant des siècles comme le défenseur par excellence du symbole de Nicée,
lequel proclama en l'an 325 face à la doctrine arienne la pleine et entière divinité du Verbe
de Dieu, Athanase d'Alexandrie sut exprimer avec originalité cette foi à son Église en
plaçant le mystère de l'incarnation au cœur même de la révélation biblique. Son traité de
jeunesse, Sur l'incarnation du Verbe, première synthèse de doctrine chrétienne connue de
l'histoire ecclésiale, met en lumière la pensée doctrinale et christologique de ce caractère
peu commun qui transcenda son siècle et dont les impacts se font encore sentir
aujourd'hui sur l'Église. C'est donc à partir de cette œuvre majeure que ce travail de
recherche, situé dans le domaine de l'histoire de l'Église de l'Antiquité, tentera de
permettre au lecteur de mieux saisir et comprendre l'articulation particulière que fit
l'évêque du IVe siècle de la foi nicéenne.
AVANT -PROPOS
Les hommes ont besoin de connaître le plus adéquatement possible leur passé pour
mieux comprendre leur présent et préparer leur avenir. L'Église du Christ n'échappe pas à
cette réalité. Croire que l'Écriture seule suffit pour la guider en matière de foi et de
conduite (Sola Scriptura) ne peut d'aucune manière éluder ce fait. Bien au contraire, le
corps ecclésial , quelle que soit la définition que l'on puisse donner à ce terme, appelé à se
désaltérer à la source d'eau vive de la Parole vivante et permanente de Dieu , a reçu
l'appel à porter et à préserver dans le monde ce précieux dépôt jusqu'à la Parousie. Une
telle mission, l'Église l'a accomplie , malgré ses nombreuses faiblesses et manq uements ,
aux rythmes des siècles, des cultures, ainsi que des innombrables conflits auxquels elle a
dû faire face, de ses déformations et de ses réformations, redécouvrant et approfondissant
çà et là toujours plus cette Révélation. L'ignorance d'un tel héritage ne condamne-t-il
irrémédiablement toute dénomination ou tout milieu confessionnel à un tragique
appauvrissement, que ce soit du point de vue théologique que de celui de la liturgie et de
la piété? La privation de ce trésor de connaissances et d'expériences sans prix
accumulées au cours des âges ne risque-t-il pas de conduire à un cloisonnement ecclésial
étouffant et stérilisant, à une vision réductrice du Dieu de la Bible ainsi que du message
évangélique? Oublieuse de son passé, l'Église ne ressemble-t-elle pas à un arbre
partiellement déraciné et vacillant sous la moindre bourrasque, menaçant de s'effondrer à
tout instant?
De là tout mon intérêt pour l'histoire de l'Église, tout particulièrement celle des premiers
siècles suivant l'ère apostolique, dont l'avènement de la foi nicéenne et son élaboration au
quatrième siècle, marquèrent un point tournant d'une importance capitale. Pour cette
époque qui semble si lointaine et encore trop souvent jugée par nombre de protestants
évangéliques au Québec comme celle où l'Église s'éloignait à une vitesse vertigineuse,
telle un cheval emballé, du modèle et de .la foi scripturaires, j'espère pouvoir susciter un
intérêt nouveau, en lui redonnant quelques lettres de noblesse. En effet, que l'Église ait
subi à ce moment-là maintes transformations jugées négatives par les chrétiens
appartenant aux cercles issus de la Réformation (ou de la Réforme radicale et plus
primitivistes) le baptiste calviniste que je suis ne le nie aucunement. Mais il ne peut tout
iv
rejeter en bloc pour cela, pas plus qu'il ne considère comme obsolètes les écrits d'un Jean
Calvin, d'un Martin Luther ou d'un John Owen, bien que défenseurs du baptême des
enfants et d'une ecclésiologie différente de la sienne (mais tous trois imprégnés des écrits
des Pères de l'Église!)
Enfin, c'est au Dieu trinitaire, tel qu'auto-révélé dans l'Écriture sainte, que je rends
grâces pour le privilège qu'il m'a accordé, selon sa Providence souveraine, d'avoir pu
étudier cette portion, si riche et si étonnante à bien des égards, de l'histoire du
v
2.1. UN PERSONNAGE HAUTEMENT CONTROVERSÉ .... ............................. ......... ... ... ... 35
2.2. ORIGINE ET FORMATION DE L'HOMME ........................................................ ...... .. 39
2.3. ÉPISCOPAT MOUVEMENTÉ ET COMBAT POUR L'ORTHODOXIE NICÉENNE .............. . 42
2.4. STYLE LITTÉRAIRE, SOURCE ET FONDEMENT
DE LA THÉOLOGIE ATHANASIENNE ..................................................................... 46
3. LE VERBE DiViN .......................... ..... .............. .... ... ....... ......... ... .... ...... ........ ..... .. .. ... 63
INTRODUCTION ......... ... ...... .............. .......... .. .. .......... ......... ..... .......... ............... ........ 63
3.1. LA TITULATURE DIVINE DU FILS DANS LE TRAITÉ
SUR L'INCARNATION DU VERBE .............. ........................ ... ....... ... ......... ..... .. ..... . 65
3.2. LE PROPRE VERBE DE DIEU .. ... .... .......... .. ......... .. ...... ...... .. .... ... .... .... ..... ... ... .. ... 69
3.3. VOLONTÉ DIVINE ET LOGos ..... ... .. .... ............. ..................... .. .. ..... ... ..... .... ......... 71
3.4. LE VERBE IMAGE DE DIEU ... ..... ... .... ......... .. ... .. ..... .......... .. ... .. ........... ..... ..... ...... 74
3.5. LE VERBE MONOGÈNE .... .. ... .. .... ... .. ... ... ..... .. ....... ... .... .... ........ ....... ..... ....... ...... . 75
3.6. VERBE PAR NATURE ET NON PAR PARTICIPATION ... ... ....... .... ........ .... .......... ... .. ... 83
CONCLUSION ........ ............. ..... ........ ........ ... .. ... .... .... ....... ..... ....... ............ ...... .. .... .... 84
4. LE VERBE CRÉATEUR .... .......... ... ................ .............. ...... ....................... ... .... ..... .. 86
INTRODUCTION ................... ............ ........................ ................. ..... ............. ... ..... .... . 86
4.1 . LE VERBE, AGENT DIVIN DE LA CRÉATION ..................................... .... ...... ... ... ... .. 87
4.2 . LE VERBE CRÉE EX NIHILO ... . ..... .. . .................. . ......... ................ ...... .... ... ...... . .. . 93
4.3. LA PARTICIPATION DE L'UNIVERS AU VERBE ................................... ....... ........ ..... 94
4.4. LE VERBE CRÉATEUR DES HOMMES .................... ......................... ...... .... ... ........ 96
4.5. L'HOMME CRÉÉ À L'IMAGE DU VERBE ..................... ....................... ......... ... ......... 98
4.6. LA RESPONSABILITÉ DE L'HOMME DANS LA PRÉSERVATION DE LA GRÂCE
PARTICIPATIVE ....... .................. ............................ ........................... .............. . 103
4.7. L'ASPECT RÉVÉLATEUR DE L'ACTION CRÉATRICE DU FILS ............. ......... .... , ...... 106
CONCLUSiON ............... .................. ...... ... .................. ...... ............................ ........ . 107
5.4. LA RÉALITÉ DE L'INCARNATION OU LE DEVENIR HOMME DU VERBE ....... ....... ... ... . 117
5.5. LE PROBLÈME DE LA PSYCHOLOGIE DU CHRIST ATHANASIEN ...................... .. .... 120
5.6. LE CARACTÈRE SOMATIQUE DE L'INCARNATION
DANS LA PENSÉE ATHANASIENNE ....... ......................... ..................... .. ..... ... ..... 124
6.LE VERBE SAUVEUR ...... ...... .. ... ....... ..... .... .................... ...... ....... ...... .... ...... .. .... .. . 136
INTRODUCTION .. ............... ..... .... ..................... ..... .. .. .... ....... ...... ...... ........ .. .......... .. 136
6.1. LES MODÈLES SOTÉRIOLOGIQUES À L'ÉPOQUE D'ATHANASE ........ ..... ... ... ..... .. ... 137
6.2. LA VICTOIRE SUR LA CORRUPTION ET LA MORT ............ ..... ......... .... ..... ... .... .. .... 139
6.3. LE RENOUVELLEMENT DU KaT' EIKova ET DE LA CONNAISSANCE DE DIEU ........... 143
6.4. LE CARACTÈRE CENTRAL DE LA CROIX DANS LA PENSÉE ATHANASIENNE ... ...... .. 147
6.5. LA RÉSURRECTION ET LA VICTOIRE SUR LE DIABLE ....... . .... .... ............ ...... .... ..... 153
6.6. L'INCARNATION ET LA DIVINISATION .. ..... .............. ............. .... ........ ..... .... .......... 155
CONCLUSiON ............... .. ....... .. .. ..... .... .... ... .... ........ .............. .............. .... .... ..... ... ... 160
CONCLUSiON ...... .. .. ..................... ...... ....... ... ... ....... ... ...... .. ... ........... ..... ..... ...... .. .... .. 162
Annexe 1 .. ............. ............ ............. .... ............ ..... ........... .. .... ..... .................... .. ... .. .. .. 171
Annexe 2 ....... ..................... ... ......... .... ............. .. ......... .... ................. .. ....... ............. ... 172
BIBLIOGRAPHIE ............. ...................... ..... ............................................. ...... .... ..... .. 173
INTRODUCTION
Pendant des siècles, l'Église chrétienne a célébré Athanase comme le champion par
excellence du credo promulgué lors du premier concile universel qui se tint à Nicée en
l'an 325. Convoqué par l'empereur Constantin, cet événement devait mettre fin à la
controverse qui avait débuté à Alexandrie quelques années plus tôt autour d'un prêtre
nommé Arius. Ce dernier entra en conflit avec son évêque Alexandre sur la question du
statut ontologique du Fils de Dieu et de sa relation avec le ' Père. Lepresbytre, affirmant
s'appuyer sur l'Écriture et la tradition, niait la pleine divinité du Logos en le subordonnant
au seul et unique Dieu. S'étant rapidement répandue, cette polémique doctrinale menaçait
désormais tout particulièrement l'unité de l'Église en Orient. .
Les Pères présents à Nicée élaborèrent et signèrent majoritairement une formule de foi
qui déclarait le Fils « de la substance (ousia) du Père» et « consubstantiel (homoousios) »
à ce dernier, ce qui déboucha sur la condamnation officielle d'Arius et de sa doctrine.
Cependant, les termes ousia et homoousios ne provenaient pas de l'Écriture et
possédaient une connotation philosophique jugée dangereuse pour plusieurs. Un tel ajout
d'un vocable extra biblique dans un symbole de foi ne possédait pas de précédents dans
l'histoire de l'Église. Loin de ramener la concorde au sein du corps ecclésial, la déclaration
de Nicée servit plutôt à mettre en lumière les divergences présentes en son sein ainsi que
l'ambiguïté et l'inadéquation du langage théologiq~e de l'époque en matière trinitaire et
christologique. La querelle doctrinale reprit rapidement de plus belle, la majorité des
évêques orientaux rejetant désormais le credo de Nicée.
encore seize siècles plus tard dans les principales Églises orientales et occidentales. Et si
l'évêque se vit pendant longtemps coiffé d'une auréole quelque peu gonflée, il demeure
néanmoins que sa contribution au développement du dogme trinitaire, et ce, tout en tenant
compte du contexte ecclésial et politique de son temps, ne peut que difficilement être
exagérée: « Nicene Christianity exists by virtue of his constancy and vision. » 1 De là toute
l'importance de l'œuvre athanasienne pour celui qui désire étudier ce phénomène
historique.
1 J. BEHR, The Nicene · Faith, 1ère partie, The God of True Gad [Formation of Christian Theology, 2],
Crestwood/New York, St Vladimir's Seminary Press, 2004, p. 167
2 CH. HAURET, Comment le « défenseur de Nicée» a-t-il compris le dogme de Nicée?, thèse de doctorat,
Faculté de Théologie de l'Université Grégorienne, 1935, p. 83
3 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu selon Athanase d'Alexandrie [Jésus et Jésus-Christ, 45], Paris,
Desclée, 1999, p. 23 et 37.
Introduction 3
Contrairement à l'image de bagarreur invétéré qu'on s'en forgea, l'Alexandrin aurait été
avant tout un pasteur et un catéchète imprégné du désir d'apporter aux hommes devenus
spirituellement ignorants la connaissance de Dieu telle que révélée par le Logos fait chair.
Évoluant avec aisance dans l'orbite du soleil de Nicée, Athanase trouva en celui-ci et dans
l'homoousios toute la lumière et l'énergie nécessaires pour édifier sa doctrine du Verbe
rédempteur.
Méthodologie
4 ATHANASE O'ALEXANDRIE, Sur l'incamation du Verbe [Sources Chrétiennes, 199], introduction, texte critique,
traduction et index par Charles KANNENGIESSER , Paris, Cerf, 1973.
Introduction 4
Contre les païens de la traduction de Th . CamelotS et celles des trois Discours contre les
ariens de la traduction récente d'Adelin Rousseau 6 . Il conviendra aussi de souligner
l'héritage théologique dont a bénéficié Athanase, notamment celui de l'Église d'Alexandrie,
ainsi que, ·Iorsque discernables, la continuité et la discontinuité existant entre cette
tradition et le discours de l'Évêque. Ce travail tentera de ce fait de saisir le plus
adéquatement possible la pensée originale de l'homme à partir du contexte et des
présupposés doctrinaux ou philosophiques qui lui sont propres, se gardant d'y intégrer des
catégories ou des paradigmes théologiques apparus ou développés subséquemmenf .
5 Id., ATHANASE D'ALEXANDRIE, Contre les païens et Sur l'incarnation du Verbe [Sources Chrétiennes, 18],
introduction, traduction et notes de P.TH. CAMELOT, Paris, Cerf, 1946.
6 Id., ATHANASE D'ALEXANDRIE, Les Trois Discours contre les ariens, [Donner raison, 15], traduction et notes
d'Adelin ROUSSEAU, ouverture et guide de lecture par René LAFONTAINE, Bruxelles, Éditions Lessius, 2004.
Kannengiesser a réfuté par le passé, sans faire l'unanimité sur le sujet, la paternité athanasienne du Contre
les ariens III (C. KANNENGIESSER, «Third Oration against the Arians », Studia Patristica, XVI [1991], p. 375-
388). Cependant, Weinandy a affirmé tout récemment que Kannengiesser serait revenu verbalement sur sa
position (T. G. WEINANDY, Athanasius. A Theological Introduction,. [Great Theologians Series],
Angleterre/États-Unis, Ashgate, 2007, p. 84) . .
7 Voir à cet effet J. Behr, The Nicene Faith, p. 1-17.
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Introduction 5
Les chapitres trois à six s'attaqueront à l'étude proprement dite de l'énoncé du Verbe
nicéen tel qu'articulé par Athanase dans le Sur l'incarnation du Verbe. Désirant saisir le
mieux possible l'ensemble de la pensée de l'homme sur la question, le contenu de
l'apologie sera divisé en quatre thèmes, qui, sans respecter parfaitement la division
littéraire de l'œuvre, en constituent néanmoins les principaux points débattus par son
auteur.
Ce travail vise à mieux connaître et à mieux comprendre, selon les termes de Charles
Kannengiesser, « ce qui advint de l'affirmation de la foi fondatrice après plusieurs siècles
de traditions chrétiennes, multiples et diverses »8 . Il s'agit de redécouvrir, non sans
critique, il convient de le souligner, un précieux héritage légué à l'Église. En effet, si on a
beaucoup cherché à sonder au XX e siècle la pensée et l'univers théologique des
opposants à la foi nicéenne, à quelques exceptions près, les défenseurs de celle-ci furent
déla~ssés9. Il s'agit donc d'explorer dans un premier temps cet univers nicéen et sa
théologie trinitaire par l'entremise d'Athanase et de chercher à mieux comprendre
comment ce pasteur communiqua cette foi au peuple chrétien de son époque. 1/
conviendra ensuite de poser la question de la pertinence que peut revêtir aujourd'hui ce
discours théologique d'un évêque alexandrin du IVe siècle et en quoi ce discours peut
jouer un rôle inspirateur dans la proclamation de l'Évangile du Dieu trinitaire dans le
contexte présent:
Il Y a, cependant, un autre point encore sur lequel le lecteur pourra tirer très
grand profit de sa fréquentation [ ... ] d'Athanase: c'est après sa manière de
pratiquer la théologie, la teneur, le contenu même de son discours.
Essentiellement centré sur le Christ, ce discours se concentre encore, dans le
Mystère du Christ, sur l'Incarnation. Certes, cette dernière représente pour
nous, aujourd'hui, un point « acquis »; mais elle ne paraît à vrai dire, souvent
que trop acquise; et cela veut dire qu'alors elle l'est mal! Dans ces conditions,
c'est ici précisément qu'Athanase sera pour nous une lumière : il nous
rappelle, lui, et avec quelle force, que ce qu'il faut comprendre lorsqu'on
professe l'Incarnation du Verbe, c'est qu'il s'agit bel et bien, avec elle, de
,'Incarnation de Dieu!10
Introduction
« On ne peut lire ni comprendre les Pères du IVe siècle sans connaître ce qui fut l'un de
leurs problèmes majeurs: l'arianisme ... »1 Ces mots de Jacques Liébaert s'appliquent tout
particulièrement à Athanase. Le nom du célèbre évêque demeure en effet indissociable de
cette controverse doctrinale qui éclata dans sa jeunesse à Alexandrie . Celle-ci opposa
dans un premier temps l'évêque Alexandre à l'un de ses presbytres, Arius, au sujet de
l'enseignement de ce dernier concernant le Verbe de Dieu. Par la suite , le conflit allait
embraser rapidement l'ensemble du corps ecclésial, tout particulièrement en Orient, et ce
pendant plusieurs décennies. La rédaction d'un symbole de foi anti-arien résultant du
concile universel tenu à Nicée en 325, lequel fut convoqué par l'empereur Constantin, ne
fit que jeter de l'huile sur le feu de la polémique. Cette crise herméneutique sans
précédent dans l'histoire de la jeune Église joua un rôle déterminant dans l'élaboration du
discours théologique athanasien. Ce premier chapitre cherchera donc à dépeindre et à
comprendre cet important phénomène que représente l'arianisme, son apparition et ses
causes probables, ainsi que son évolution au sein d'une nouvelle réalité sociale et
ecclésiale résultant de l'arrivée au pouvoir d'un empereur chrétien et de l'émergence de la
foi nicéenne.
Riche en événements marqueurs et déterminants tant pour l'Empire romain que pour le
christianisme, le IVe siècle de notre ère, qualifié d'âge d'or de la patristique, fit luire ses
premiers rayons sur une Église ployant sous une puissante et cruelle persécution.
Déclenchée subitement en 303 par Dioclétien et ses collègues de la tétrarchie, cette
politique de répression impériale, d'une violence jusque là jamais égalée, constitua la
dernière tentative de l'empire païen visant à éradiquer le christianisme en son sein 2 .
Cependant, la « conversion » au Christ de Constantin suivie de sa prise du pouvoir en
1 J. lIÉBAERT, Les Pères de l'Église, vol. 1. Du f( au IV siècle [Bibliothèque d'histoire du christianisme, 10],
Paris, Desclée, 1986, p. 133.
2 H.-I. MARROU, L'Église de l'Antiquité tardive, 303-604 [Histoire, 81], Paris, Seuil, 1985, p. 9.
1. La controverse arienne 8
Constantin vainquit et élimina en 324 Licinius devenu son rival, se rendant dès lors le
maître absolu de l'Empire dont il désirait cimenter l'unité en faisant du christianisme le
centre religieux 5 . La protection particulière dont bénéficia dès lors l'Église favorisa
grandement sa croissance dans les décennies qui suivirent, les obstacles à
l'évangélisation, tant légaux que matériels ayant disparu 6 . Désormais, l'intégration des
deux entités alla croissante jusqu'à ce qu'elles se ' fussent fondues ensemble? Ayant
pénétré dans l'Église en la personne de Constantin, l'Empire autrefois persécuteur,
devenu tolérant et bientôt protecteur de la foi, devint en 395, sous le règne de Théodose,
officiellement chrétien 8 . Ce phénomène, dont le développement laisse perplexe encore
aujourd'hui plusieurs chercheurs, eut de profondes répercussions sur le développement de
3 Un édit de tolérance envers les chrétiens avait cependant déjà été signé en 311 par Galère, probablement
sous l'instigation de Licinius (P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité et du haut Moyen Age, module VI,
,Notes du cours THL-11830, Université Laval, 2002, p. 9).
4 Dans les premières décennies de son existence, l'Église sera considérée comme une secte issue du
judaïsme, lequel possédait un statut légal.
5 P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 52. Constantin fit de la monarchie divine le fondement même
de sa nouvelle politique religieuse (1. ORTIZ DE URBINA, Nicée et Constantinople [Histoire des conciles
œcuméniques, t. 1], Paris, Éditions de l'Orange, 1963, p. 20).
6 Bien qu'il ne soit pas possible de chiffrer le pourcentage exact de la population de l'Empire convertie au
christianisme au début du lif siècle, certains estiment le nombre à environ 50/0 (R. E. OLSON, The Story of
Christian Theology. Twenty Centuries of Tradition & Reform, Illinois, InterVarsity Press, 1999, p. 137).
Davidson avance un chiffre de 100/0 et plus ff. J. DAVIDSON, A Public Faith. From Constantine to the
Medieval World, AD 321-600 [The Baker History of the Church, 2], Grand Rapids, Baker Books, 2005, p. 11).
Selon Daniélou, la présence des chrétiens dans les forces vives de l'Empire était alors substantielle. Loin
d'être révolutionnaire, Constantin ne fit alors que reconnaître une situation déjà présente (J. DANIÉLOU,
L'Église des premiers temps. Des origines à la fin du /If siècle [Histoire, 80], Paris, Seuil, 1985, p. 234-235) .
? La seule exception notable à ce processus de symbiose, mis à part les dernières années de Licinius,
concerne l'époque de Julien l'Empereur (360-363) qui voulut rétablir le paganisme comme religion de
l'Empire.
e « This change was accomplished slowly and only after much experiment. Inextricable confusion marked its
progress for Church and Statelacked any thought-out policy for the working-out of their relations. W.
Schneemelcher, in an important study, has warned that the modern phrase " the Constantinian age" is of
doubtful value for theunderstanding of the fourth century. There was no such entity as a "Constantinian
State-Church" in the time of Constantine and his immediate successors. Such an entity did not fully
materialise until the 380s » (L. BARNARD, Studies in Athanasius' Apologia Secunda [Série XXIII ; Théologie,
467], Paris, Peter-Lang - Publications Universitaires Européennes, 1992, p. 141).
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1. La controverse arienne 9
Si l'Église jouissait désormais de la paix sociale, elle dut néanmoins composer avec
plusieurs controverses faisant rage en son sein. Parmi celles-ci, il en est une qui, tel un
véritable séisme, la secoua plus profondément et plus violemment que les autres :
l'arianisme 10. Dominant largement le Ive siècle, cette crise représente selon l'historien
anglican Rowan Williams la plus dramatique bataille expérimentée jusque là par l'Église
chrétienne 11. Elle éclata dans la ville d'Alexandrie où l'évêque Alexandre (313-328) entra
en conflit en 318 12 avec l'un de ses presbytres, Arius, au sujet de la nature du Fils de Dieu
et de sa relation avec le Père au sein de la Trinité. Ce dernier, né vers 256 et
probablement originaire de la Libye 13, se trouvait être alors à la tête de l'importante Église
alexandrine de Baucalis. Homme au passé ecclésiastique mouvementé 14 , il avait été
jusque-là, semble-t-il, considéré par Alexandre. On peut raisonnablement penser que celui
qui allait devenir l'archétype même de l'hérétique dans l'Église reçut, du moins en partie,
9 Ibid. « Perhaps no event in the history of Christian theology was more surprising and influential Othan the
"conversion" of the Roman Empire to Christianity [ ... ] The story of theology in the fourth century is
inseparable from the story of the empire» (R. E. OLSON, The Story of Christian The%gy, p. 137).
Kannengiesser croit indispensable de prendre en considération cette nouvelle réalité pour mieux comprendre
le développement de la crise arienne (C. KANNENGIESSER, « Holy Scripture and Hellenistic Hermeneutic in
Alexandrian Christology : The Arian Crisis», dans id., éd., Arius and Athanasius, Two Alexandrian
The%gians, Hampshire/Brookfield, Variorum, 1991, p. 2). Concernant l'appréciation négative de certains
milieux protestants, principalement au sein des ({ Églises libres» (Free Church) , de l'Église constantinienne
et du développement théologique en son sein, voir D.H. WILLIAMS, « Constantine, Nicaea and the "Fall" of
the Church », dans L. AVRES et G. JONES, éd., Christian Origins : The%gy, Rhetoric and Comm unity,
Londres/New York, Routtedge, 1998, p. 117-136.
10 L. BARNARD, Studies in Athanasius' Ap%gia Secunda, p. 141.
11 R. WILLIAMS, Arius. Heresy and Tradition, Londres, SCM Press, 2001, p. 1. Selon Jean-Marie Leroux,
l'Église ayant acquis droit de cité dans l'Empire, connut alors ({ la crise de pensée la plus violente de son
histoire» (J.-M. LEROUX, Athanase d'Alexandrie [Église d'hier et d'aujourd'hui], Paris, Les Éditions de
l'Atlelier, 1994, p. 9).
12 Il s'agit de la date traditionnellement reçue pour marquer le début de la crise arienne. Celle-ci demeure
cependant incertaine (voir R. WILLIAMS, Arius, p. 50). Boularand inclinait plutôt pour le début de 322 (É.
BOULARAND, L'hérésie d'Arius et/a « foi» de Nicée, Paris, Éditions Letouzey &Ané, 1972, p.24).
13 L'origine libyenne d'Arius se fonde sur le témoignage de l'historien Épiphane. Celui-ci rapporte aussi
qu'Arius n'était plus un jeune homme lorsque la crise éclata. Selon Williams, le consensus assez large
plaçant la naissance d'Arius vers 250 ne repose sur aucune base solide (R. WILLIAMS, Arius, p. 29-30).
14 Il aurait participé au schisme mélétien. L'évêque Pierre qui l'avait ordonné comme diacre l'aurait ensuite
excommunié. L'évêque Achillas, successeur de Pierre l'aurait rétablit dans la communion de l'Église et élevé
à la prêtrise (B. SESBOÜÉ, ({ La divinité du Fils et du Saint-Esprit (Iif siècle»), dans B. SESBOÜÉ et J.
WOLINSKI, Le Dieu du sa/ut [Histoire des dogmes, t. 1], Paris, Desclée, 1994, p. 237).
1. La controverse arienne 10
sa formation théologique à Alexandrie. Mais il aurait aussi été un ancien élève de Lucien
15
d'Antioche . On le dépeint comme un habile dialecticien versé dans les Écritures,
véritable maître de la propagande, et prédicateur populaire à la réputation ascétique 16 .
Arius niait que le Fils puisse appartenir à la sphère de la divinité puisqu'il n'existe qu'un
seul principe premier, le Dieu unique, éternel et inengendré. Le Fils étant engendré
possède nécessairement un commencement ainsi qu'une nature hétérogène à celle du
Père. Créé ex nihilo par la volonté divine « hors du temps », il y eut logiquement un
moment où le Fils n'existait pas et où Dieu n'était pas encore Père. Alexandre insistait
quant à lui sur la doctrine de la génération éternelle du Fils qu'il déclarait de ce fait incréé
et existant de toute éternité avec le Père. Semblable en tout chose au Père en tant que
son image expresse, le Fils est Fils par nature et non par adoption. Arius accusait son
évêque de verser dans le sabellianisme, les deux ecclésiastiques se réclamant de la
tradition ecclésiale 17. Selon Anatolios, malgré leurs divergences, les récits de Socrate
Fondée par Alexandre le Grand en 331 avant Jésus-Christ, dans le dessein d'implanter
un foyer d'hellénisme en terre égyptienne, Alexandrie se démarqua principalement en tant
que centre culturel et intellectuel majeur de l'Antiquité. On continuait d'y enseigner au IVe
siècle la plupart des doctrines philosophiques, plus particulièrement l'aristotélisme et le
néo-platonisme. Deuxième ville de l'Empire après Rome par sa population , cette cité
cosmopolite abritait à la même époque la plus importante communauté chrétienne
d'Orienfo. Bien que les origines de celle-ci demeurent nébuleuses, remontant
probablement au premier siècle, on peut attester de son existence dès la fin du Ile siècle 21 .
18 K. ANATOLlOS, Athanasius [The Early Church Fathers], Londres/New York, Routledge, 2004, p. 7.
19 C. KANNENGIESSER, « Holy Scripture and Hellenistic Hermeneutic ... », p. 1-3. Hanson y voit aussi une crise
d'interprétation. (R . P. C. HANSON, The Search for the Christian Doctrine of God,.p. xxi et p. 3).
20 Divisée en cinq districts, Épiphane dit que la ville comptait un nombre inhabituel d'églises (il en nomme neuf)
en plus de la basilique épiscqpale (R. WILLIAMS, Arius, p. 42). Alexandrie comptait selon Kannengiesser
environs un million d'habitants (C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 30).
21 Soit à l'époque de l'épiscopat de Démétrios, premier évêque historiquement attesté (A. MARTIN, Athanase
d'Alexandrie et l'Église d'Égypte au IV siècle (328-373), Rome, École française de Rome, 1996, p. 117-118).
22 Ce groupe jugé orthodoxe doit son nom d'un certain Mélèce (Mélitios), évêque de Lycopolis qui, à l'époque
de la grande persécution dioclétienne, serait entré en conflit avec l'évêque Pierre d'Alexandrie sur des
questions de discipline ecclésiastique. " aurait aussi pendant l'absence de Pierre ordonné des presbytres
sans le consentement de ce dernier avant de créer une hiérarchie schismatique en Égypte. Le concile de
Nicée avait statué en vue de régler le conflit. Les conséquences de cette dissidence interféreront avec la
crise arienne (voir H.-I. MARROU, L'Église de l'Antiquité tardive, p. 31; C. PIETRI, « L'épanouissement du débat
théologique et ses difficultés sous Constantin: Arius et le concile dè Nicée », dans J.-M. MAYEUR et al., dir.,
Histoire du christianisme, des origines à nos jours, t. Il. Naissance d'une chrétienté (250-430), Paris,
Desclée, 1995, p. 254-256; R. WILLIAMS, Arius, 32-40). Cette hétérogénéité du christianisme alexandrin
reflétait aussi le caractère cosmopolite de la cité dont la population possédait la réputation d'être vive et
prompte à se révolter. Habituée aux émeutes violentes éclatant pour des raisons politiques, religieuses ou
raciales, cette populace indépendante faisait trembler ses gouverneurs (K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 2) « Le
1. La controverse arienne 12
morcelé et varié, et non pas l'apparition d'une unique communauté primitive unifiée sous
l'autorité d'un évêque catholique 23 . Si la « catholicisation » de l'Église progressait dès la fin
de l'épiscopat de Démétrios (233), de nombreuses assemblées indépendantes
continuaient à poser problème. De plus , l'évêque alexandrin se trouvait alors entouré par
de puissants et indépendants presbytres peu dociles et habitués à fonctionner
collégialement. Supervisant chacun sa propre communauté, ceux-ci demeuraient désireux
de préserver leurs prérogatives face au siège épiscopal , sentiment que la persécution
dioclétienne, tout particulièrement sévère en Égypte, dut intensifie~4 . Selon une tradition
incertaine mais plausible, jusqu'à l'élection d'Athanase sur le trône épiscopal en 328, le
futur primat de l'Église égyptienne se voyait consacré par le collèg~ presbytéral
25
alexandrin . Or, le même ecclésiastique étendait son autorité sur une multitude de petites
Églises qui s'étalent du Delta à la Thébaïde, consacrant, peut-être même les désignaient-
il, leurs évêques 26 . Comparable, plus qu'aucun autre prélat de la chrétienté de cette
époque, à un archevêque ou même àun patriarche, l'évêque d'Alexandrie occupait ainsi
une position hautement parad"oxale dans l'Église égyptienne 27 .
Selon Williams, il semblerait qu'Alexandre ait entrepris une campagne pour consolider
l'unité de l'Église autour de lui au moment où la querelle avec Arius éclata 28 . Bien qu'il ne
soit pas prouvé que ce dernier ait entièrement rejeté l'autorité de son évêque, le contexte
débat y est vif et les prises de position y impliquent fréquemment cette foule parmi laquelle les chrétiens, à
côté des Juifs et des païens, sont de plus en plus nombreux, mais aussi divisés» (A. MARTIN, Athanase
d'Alexandrie et l'Église d'Égypte .. . , p. 5, 138-137).
23 « This picture in reinforced by such evidence as we have of the prevalence in and around the city of gnostic
influences and the survival in "respectable" circles of extracanonical literature »( R. WILLIAMS, Arius, p. 44).
« On aurait tort de se figurer au début du lif siècle, les Églises organisées comme el.les l'étaient au temps de
saint Jean Chrysostome par exemple. Jeunes encore, à peine délivrées des persécutions, elles se
développaient lentement, recevant des circonstances le plus souvent, l'impulsion vigoureuse ou discrète qui
les amenait au plein épanouissement de la di~cipline de la vie intérieure» (F. CAVALLERA, Saint Athanase [La
pensée chrétienne], Paris, Librairie 810ud et Cie, 1908, p. 2).
24 R. W;LLIAMS, Arius, p. 44. Leroux mentionne le chiffre de dix mille chrétiens tués en Égypte pendant la
persécution (J.-M. LEROUX, Athanase d'Alexandrie, p. 15). Barnes croit plausible, bien qu'invérifiable, le
rapport voulant que juste à Alexandrie, 660 fidèles payèrent de leur vie leur foi pendant cette période (T. D.
BARNES, Athanasius and Constantius. Theology and Polities in the Constantinian Empire, Cambridge/
Londres, Harvard University Press, 1993, p. 10).
25 R. WILLIAMS, Arius, p. 42.
26 Le concile de Nicée ratifia la coutume établie voulant que l'évêque alexandrin ait une autorité directe sur
l'Église égyptienne entière et en désignait les évêques de cette Église, de la Lybie et de la Pentapole (K.
ANATOLlOS, Athanasius, p. 2).
27 R. WILLIAMS, Arius, p. 42. «At least from the time of Dionysius, he was addressed as papa, and other
bishops in Egypt refer to him as their " father" » (ibid.)
28 Ibid. , p. 44-45.
1. La controverse arienne 13
particulier de l'Église alexandrine peut avoir favorisé la suite des événements 29 . Athanase
joua plus tard un rôle important dans l'unification et la pacification de ce corps ecclésial 30 .
Ayant germé sur la souche ancienne du judaïsme alexandrin et marqué par une
continuité avec ce dernier, le christianisme établit sur cette terre son meilleur contact avec
la culture hellénistique. Il se caractérisa aussi par l'émergence de nombreux cercles
gnostiques. Cette communauté chrétienne devint un centre de spéculation et de
controverses doctrinales habitué, en raison de son milieu culturel particulier, aux
innovations théologiques. Une importante école de pensée théologique s'y développa à
partir du Ile siècle , notamment grâce au Oidaskaleion ou école catéchétique dont la
fondation fut attribuée par Eusèbe à Pantène avec le dessein de jeter un pont entre le
christianisme et la philosophie grecque 31 . L'école d'Alexandrie se distingua notamment par
une certaine empreinte du platonisme, une exégèse allégorique, un désir de préserver la
diversité dans l'unité divine, ainsi que la priorité donnée au Logos en Chrjstologie 32 . Il
s'agit du plus ancien centre de science sacrée connu de l'histoire du christianisme.
Devenu célèbre dans le monde entier, celui-ci joua un rôle primordial dans l'élaboration de
la théologie de l'Église orientale, tout particulièrement en raison des travaux effectués par
deux de ses plus éminents représentants: Clément et, principalement, Origène.
29 «The beginning of Arianism lie, as much as anything, in the struggles of the Alexandrian episcopate to
control and unify a spectacularly fissiparous Christian body - and thus also in a characteristic early Christian
uncertainty about the ultimate focus of ecclesiastical authority itself » (ibid., p. 46). Alexandre lui-même écrira
dans une lettre adressée à Alexandre de Byzance qu'il se sent menacé par la désintégration virtuelle de
l'Église alexandrine en un morcellement de secte (ibid.) Selon Annik Martin, « l'histoire des conflits suscités
autour du grand évêque (Athanase) devait d'abord être ancrée dans les structures de l'Église égyptienne»
(A. MARTIN, Athanase d'Alexandrie et J'Église d'Égypte ... , p. 17).
30 J.-M. LEROUX, Athanase d'Alexandrie, p. 16. C'est aussi l'avis de Williams (R. WILLIAMS, Arius, p. 46-47).
31 Le témoignage d'Eusèbe semble peu sûr. Charles Pietri attribue à Origène la création du Didascalée, lequel
dispensait un enseignement à deux niveaux, le premier étant réservé aux « simples» et le second à un
cercle d'initiés aptes à recevoir une « gnose» chrétienne supérieure (C . PIETRI, « La nouvelle géographie »,
dans J.-M . et al., dir., Histoire du christianisme, 1. Il, p. 121). Clément aurait plutôt dirigé une école
philosophique semblable à celle de Justin à Rome. On y spéculait sur les données de la foi en employant les
méthodes philosophiques. Cette école ne relevait pas d'un mandat explicite de l'évêque et on n'y enseignait
pas habituellement de catéchumènes (H. R. DRODNER, Les Pères de l'Église. Sept siècles de littérature
chrétienne, Paris, Desclée, 1999, p. 124). Ce ne serait qu'au moment où cet enseignement, d'abord
indépendant, vint au service de l'épiscopat monarchique émergeant que l'on peut véritablement parler d'une
école catéchétique (J. BEHR, The Way of Nicaea [Formation of Christian Theology, 1], Creswood/New York
St Vladimir's Seminary Press, 2004, p. 165). Voir aussi A. LE BOULLUEC, « L' "école" d'Alexandrie », dans J.-
M. MAYEUR et al., dir., Histoire du christianisme des origines à nos jours, t. 1. Le nouv.eau peuple (des
origines à 250), p. 531-577.
32 J. WOLINSKI, « De l'économie trinitaire à la "théolog ie" (Ille siècle) », dans B. SESBOÜÉ et J. WOLINSKI , Le Dieu
du salut, p. 203; «Alexandrian Theology », dans The Oxford Dictionary of the Christian Church, Londres ,
Oxford University Press, 1985, p. 35-36.
1. La controverse arienne 14
Avec Clément d'Alexandrie (env. 150-215), homme d'une grande culture , la théologie
accéda au rang de discipline scientifique. Considéré comme le fondateur de la théologie
spéculative, il su,ccéda aux environs de l'an 200 à son maître Pantène comme
responsable du Didascalée. Bien que dispensant la vérité incomplètement et
partiellement, et nécessitant la lumière de l'Ancien Testament, Clément croyait que la
philosophie grecque, dont le platonisme constituait le meilleur élément, avait préparé
l'humanité à la venue du Christ et à son enseignement royal 33 . Le pionnier de la « gnose
chrétienne », qu'il opposait à la connaissance proposée par les gnostiques, se donnait
pour mission de présenter le christianisme aux classes supérieures d'Alexandrie comme
« la relig ion du progrès qui l'emporte sur toutes les autres »34. Fortement imprégné de la
pensée philonienne, il décrivit le Père comme l'Un absolu, . infiniment transcendant,
incompréhensible, inconnaissable, infini et innommable. Le Logos, sa Raison , Créateur et
Législateur de l'univers, dont Clément reconnaissait le caractère hypostatique 35 , peut seul
le révéler et accorder la vie divine aux hommes.
Essentiellement un avec lui, le Fils est engendré sans commencement par le Père: « le
Père n'est pas sans son Fils; car pour autant qu'il est Père, il est le Père du Fils »36. Mais,
héritier des apologistes, Clément relia aussi l'engendrement « avant le temps» du Logos
avec la création 37 . Pour lui, « la génération du Fils apparaît bien comme la première
démarche par laquelle Dieu limite son infinité pour accomplir l'œuvre créatrice »38. Il ne
s'agit cependant pas d'une circonscription selon la substance (oùoio:) mais selon la
33 Voir J. QUASTEN, Initiation aux Pères ..., t. III, p. 21, et G. W . H. LAMPE, « Christian Theologyîn the Patristic
Period », dans H. CUNLIFFE-JONES, éd., A History of Christian Doctrine, Edinburgh, T. & T. Clark, 1978, p. 64-
65). « .. . philosophy was divinely giving to the Greeks as their own particular covenant, a fact that remains
true even though the devil has sown tares among the wheat both Christianity (heresies) and philosophy
(atheistic and providence-denying systems such as Epicureanism » (ibid., p. 64).
34 H. R. DROBNER, Les Pères de l'Église, p. 124-125.
35 Clément discerne le caractère hypostatique des Personnes de la Trinité (G. W. H. LAMPE, «Christian
Theology in the Patristic Period », p. 67-68).
36 CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates IV, 162, 5; V, 1, 3; VII, 2, 2, cité par J. N. D. Kelly, Initiation à la
doctrine ... , p. 136). ..
37 Selon Wolinsky, Clément n'affirme pas encore la génération éternelle (J. WOLINSKI, {( De l'économie trinitaire
à la " théologie" ... », p. 205). Lampe écrit que {( yet it is not clear that Clement intend to propound the view
that the generation of the Logos is itself eternal, as against the theory that had hitherto been current of a
"begetting" of the eternal and immanent reason of God for the purpose of creation. The allusions to the
Logos being "timeless" and "without beginning" are compatible with the latter view, and in at least one place
Clement speaks of the Logos " coming forth"» (G. W. H. LAMPE, «Christian Theology in the Patristic
Period », p. 67).
1. La controverse arienne
délimitation (perigraphè) . Celui qui ne peut être circonscrit accepte de le devenir dans la
manifestation de son Fils : « De la sorte, ce qu'il y a de participable en Dieu se met à la
disposition de l'homme et se constitue en hypostase dans le Fils, selon un plan établi
depuis toujours »39 ; «Ainsi s'explique, selon J. Daniélou, que l'opposition du Dieu caché
et du Dieu manifesté coïncide avec la distinction du Père et du Fils, sans que l'unité de la
nature divine du Père et du Fils soit compromise. »40 Clément différait des apologistes qui
basaient la possibilité de la mission du Fils sur une transcendance moindre que celle du
Père 41 . Influencé par le platonisme et le moyen-platonisme, le docteur alexandrin
concevait aussi le Logos comme étant marqué par une certaine multiplicité, ce qui
explique sa capacité de se manifester au sein de la création 42 .
1.3.2. Origène:
Origène (185-254) fut avec Plotin l'esprit le plus universel de son temps, son œuvre, qui
a largement disparu, déterminant pour plus d'un siècle les tendances théologiques de
43
l'Église orientale. Sa théologie, influencée par le platonisme moyen et la règle de foi
ecclésiale à laquelle il désirait rester fidèle, fut jugée quelques décennies après sa mort
comme la seule qui puisse être considérée comme systématique et adaptée aux plus
hautes formes de la culture philosophique: Origène poussa beaucoup plus loin que
Clément la méthode allégorique héritée de Philon. Il donna un nouveau sens au titre de
Père qu'il considérait comme le véritable nom de Dieu révélé pour la première fois par le
Fils:
Thus, for Origen, not only is it the relationship to the only-begotten Son,
Jesus Christ, that defines God as Father, rather than more general relationship
of God to creation described by the Platonic designation " Father of ail" , but as
the very name "Father" depends upon this relationship to the Son, the
existence of the Son is now, as it were, constitutive of what it is to be God. 44
Origène affirma pour la première fois de façon expresse que le Père engendre le Fils
par un acte éternel de sorte que nul ne peut dire « qu'il y ait un instant où il n'est pas »47.
Cependant, son point.de vue demeure ambigu en raison de son enseignement concernant
la création qu'il envisageait aussi comme éternelle et donc coexistante av~c Dieu. Il utilisa
pareillement un langage équivoque pour décrire le statut du Fils face au Père. Tout en
reconnaissant le caractère essentiel de la deuxième Personne de la Trinité au sein de la
divinité, le Fils étant Fils par nature et non par adoption, Origène suggéra que
l'engendrement de celui-ci procède de la volonté du Père 48 • En tant qu'inengendré, le Père
seul est Dieu, l'Un, au sens strict du terme. Le Fils lui sert d'intermédiaire pour entrer en
relation avec le multiple. Ainsi, le Fils, bien qu'image du Père, n'en demeure pas moins
Nous disons que le Sauveur, comme l'Esprit Saint, transcende toutes les
créatures, non par comparaison mais par une transcendance absolue, mais
qu'il est lui-même transcendé par le Père autant et même davantage que lui-
même et le Saint Esprit transcendent les autres êtres, qui ne sont pourtant pas
négligeables. Il est, en effet, l'imaQie de sa bonté et le rayonnement, non de
Dieu mais de sa gloire et de sa lumière éternelle, l'exhalaison, non du Père
mais de sa puissance, la pure émanation de sa gloire de Tout-puissant, le
miroir sans tâche de son activité, (miroir) à travers lequel, Paul , Pierre et leurs
semblables voient Dieu, car il dit : «Qui m'a vu, a vu le Père qui m'a
envoyé » . 50
Une telle théologie pouvait offrir des arguments à Arius et ses supporters. On a
beaucoup discuté du problème complexe d'une telle influence. Cependant, le docteur
alexandrin réfuta d'avance les conclusions radicales du presbytre, affirmant notamment
l'unité de substance du Fils avec le Père 51 ainsi que l'égalité des Personnes au sein de la
Trinité: « Rien dans la Trinité ne doit être dit plus grand ou moins grand. »52 Pour Origène,
53
1 le Fils, bien qu'inférieur au Père, n'en demeure pas moins Dieu . Cette ambivalence avec
laquelle Origène s'exprima caractérise en fait son époque marquée par la théologie dite
subordinatianiste.
103).
49 Voir J. N. D. KELLY; Initiation à la doctrine ... , p. 137-138 et J. DANIÉLOU, L'Église des premiers temps, p. 198.
50 ORIGÈNE, Commentaire sur l'Évangile de Jean 13, 151-153 [Sources Chrétiennes, 120] cité dans J .
LIÉBAERT, Les Pères de fÉglise, p. 134.
51 « The Father and the Son have unity of nature and substance, and share one and the same omnipotence,
for there is no unlikeness between them. Moreover, the Son is in the Father, and the Father is in the Son.
This point toward the later development of the doctrine of mutual indwelling of the three persons in the one
divine being » (R. LETHAM, The Holy Trinity, p. 104).
52 ORIGÈNE, Des Principes 1. 3, 7, traduction de M. HARL, cité dans J . lIÉBAERT, Les Pères de l'Église, p. 134.
53 Hanson croit qu'Arius ne peut sérieusement être qualifié d'origéniste .: « ... that though Arius probably
inherited some terms and even some ideas trom Origen, whether by direct acquaintance with his works or
indirectly, he certainly did not adopt any large or significant part of Origen's theology. We would not be
justified in saying that Origen explained Arius in any but comparatively minor details » (R. P. C. HANSON, The
Search for the Christian Doctrine of Gad, p. 70).
54 J . WOLINSKI, « De l'économie trinitaire à la " théologie" ... », p. 229. « Les anciens historiens du dogme,
frappé par la différence de ton et de contenu entre les théologiens pré- et post-nicéens, ont mis en relief le
1. La controverse arienne 18
tournant pris alors, parfois au risque d'y lire l'apparition d'un "nouveau dogme" chrétien en rupture avec la
tradition précédente» (Ibid.)
55 Voir P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 39-40) Le monarchianisme voulait préserver l'unicité
divine face au polythéisme et le dualisme de certaines sectes (marcionisme). Il conduisit au patripassianisme
(le Père avait logiquement souffert sur la croix) . L'arianisme constituera une antithèse extrême aux idées de
Sabellius qui se répandaient dans la Pentapole, la région d'Afrique où naquit à cette époque Arius (1. ORTIZ
DE URBINA, Nicée et Constantinople, p. 33-34).
56 P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 40. Cette influence fut directe ou par l'entremise du Juif
alexandrin Philon. La Triade platonicienne affirmait l'inégalité des trois hypostases tout en préservant une
certaine continuité entre le premier principe et le second. Le platonisme reconnaissait aussi la supériorité du
modèle sur l'image et admettait le jeu des intermédiaires entre l'Un et le multiple (J . WOLINSKI, «De
l'économie trinitaire à la " théologie" ... », p. 231). Comme le souligne Weinandy, « the model (pré-nicéen), of
necessity, always conceives an ontological hierarchy, for the Father himself alone constitutes the whole of
what it means to be God » (T. G. WEINANDY, Athanasius, p. 50) .
57 J. WOLINSKI, « De l'économie trinitaire à la "théologie" ... », p. 230. « La subordination est le corollaire de la
provenance d'un autre, qui, de ce fait, est déclaré "plus ancien" » (ibid., p. 231).
58 Il s'agissait en fait de la seule approche connue par les théologiens précédant Nicée (ibid. , p. 230).
59 Ibid., p. 231.
1. La controverse arienne 19
Cependant, si en général la foi des Pères en la vraie divinité du Fils ne semble pas
devoir être mise en cause, il n'en demeure pas moins que leur langage traduit une pensée
imprécise sur le sujet:
Une ambiguïté réelle demeurait dans les esprits, au moment exact où ils
essayaient de traduire dans les catégories culturelles grecques les affirmations
traditionnelles de la foi sur le Fils et l'Esprit. La gravité de la crise arienne ne
s'explique pas ,autrement. Mais cette même gravité suppose aussi que l'Église
anté-nicéenne ne s'était pas paisiblement habituée à l'idée du
subordinatianisme. 63
60 ({ Il existe une différence fondamentale entre les deux types de théologie» (P. H. POIRIER, Christianisme de
l'Antiquité .. ., p. 41).
61 ({ Le subordinatianisme débouchera néanmoins sur une impasse et une situation de crise, lorsque Arius
affirmera non seulement que le Fils et l'Esprit sont soumis ou subordonnés au Père, mais qu'ils sont des
créatures du Père» (ibid.)
62 J. WOLINSKI, ({ De l'économie trinitaire à la "théologie" ... », p. 229-330. ({ On a souvent tendance à traiter le
subordinatianisme comme s'il s'agissait d'une hérésie. Cette façon de voir est anachronique et
historiquement fausse. En effet, ce que nous appelons "subordinatianisme" est une tendance commune à
tous les théologiensanté-nicéens, selon laquelle le Fils est considéré comme inférieur au Père [ ... ]
Cependant, la conviction de foi que véhiculait le subordinatianisme pré-nicéen était fondamentalement juste.
Car il s'agissait d'affirmer la priorité du Père, en tant qu'il est la source et la cause de la divinité du Fils et de
l'Esprit. En ce sens, le Père est "plus grand" , ce qu'indique l'ordre traditionnel des personnes divines qui
pose un premier, un deuxième et un troisième. Ce subordinatianisme était compatible avec la confession que
le Fils et l'Esprit sont Dieu comme le Père» (P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 41).
63 B SESBOÜÉ, ({ La divinité du Fils et du Saint-Esprit. .. », p. 239. Comme Letham le fait remarquer, ({ the
conceptual and linguistic resources dÎd not exist ta distinguish between the way of God is one and the way
he is three. For now, this tendency was generally held within bounds by placing the relations of the three
firmly within the Godhead » (R. LETHAM, The Holy Trinity, p. 109).
1. La controverse arienne 20
demandait seulement davantage de pression d'un côté comme de l'autre pour qu'une
éruption se produise et que la crise éclate64 .
Appuyé par ses amis et probablement par le clergé de sa paroisse, Arius , malgré les
avertissements d'Alexandre, continua d'enseigner sa doctrine. Refusant ainsi de se
rétracter, il se vit condamner et déposer par un synode alexandrin rassemblant une
centaine d'évêques égyptiens et libyens qui se serait tenu en 321 65 . La discorde ecclésiale
était si bien connue que les païens et les Juifs de la cité en faisaient un sujet de raillerie 66 .
Expulsé d'Alexandrie, le prêtre déchu fut à ce moment-là accueilli par des partisans en
Palestine où ils purent à la suite d'un concile, former une communauté ecclésiale. Puis,
après avoir pris contact avec celui-ci, le presbytre se rendit auprès de l'influent évêque de
Nicomédie. Eusèbe le prit sous sa protection et devint par la suite le champion de sa
cause 67 . Arius resserra aussi ses liens avec d'anciens condisciples. Ce parti de la
première heure joua de son influence au concile de Nicée (sans se prononcer cependant
ouvertement pour Arius) et davantage dans la suite 68 . Pendant ce temps, Alexandre fit
connaître la décision du concile alexandrin à tous les évêques (ou du moins aux
principaux) par une lettre synodale, les appelant à s'y rallier. Arius et les siens prirent la
plume à leur tour pour se défendre. On assista alors à une polémique épistolaire très vive
entre Alexandre et Arius. Les pressions se multiplièrent auprès d'Alexandre pour qu'il
réhabilite son ancien presbytre, deux synodes ayant tranché en faveur de ce dernier, ce
que le vieil évêque refusa catégoriquement. Au milieu de l'année 323, la dispute atteignit
un sommet69 .
Peu après sa victoire sur Licinius, Constantin prit connaissance de la discorde et,
1
64 Ibid., p. 108-109. En raison de l'importance et de l'impact de la théologie origéniste marquée par l'ambiguïté
du langage subordinatianiste, Basil Studer, préfère parler, au lieu d'une crise « arienne», d'une controverse
origéniste (B. STUDER, Trinity and Incarnation. The Faith of the Early Church, Edinburgh, T. & T. Clark, 1993,
p. 102):
65 R. WILLIAMS, Arius, p. 56.
66 1. OgTIZ DE URBINA, Nicée et Constantinople, p. 39.
67 Après le mort d'Arius, Eusèbe se distancera des affirmations les plus radicales de celui-ci.
68 Ibid., p. 42.
69 R. WILLIAMS , Arius, p. 57.
1. La controverse arienne 21
vue de remédier à la situation. Bien que considérant avec sérieux cette crise, laquelle, à
partir d'Alexandrie, s'était propagée comme un violent incendie en Égypte, dans la Lybie et
dans la Thébaïde, menaçant alors de s'étendre à d'autres régions, le nouvel empereur
d'Orient jugea dans un premier temps le débat alexandrin comme puérifo. Le conflit
s'envenimant, celui-ci se laissa persuader d'intervenir et envoya son conseiller
théologique , Osius, évêque de Cordoue , dans la métropole égyptienne avec pour mission
de remettre une lettre à Alexandre dans laquelle il ordonnait personnellement aux deux
protagonistes de se réconcilier. Ce fut peine perdue, une telle démarche étant d'avance
vouée ' à l'échec en raison de l'importance de l'enjeu doctrinal 71 . Craignant que ces
convulsions ecclésiales ne mettent en péril la paix même de l'Empire72 , l' « évêque du
dehors» décida alors de convoquer le premier concile universel de l'histoire de l'Église.
70 1. ORT/Z DE URS/NA, Nicée et Constantinople, p. 23. «Instinctivement, il ne voyait dans les disputes
théologiques que des confrontations d'opinions libres. Elles n'arrivaient à l'intéresser que par leurs
répercussions sur l'ordre public}) (É. BOULARAND, L'hérésie d'Arius ... , p. 184). «Although he had
undoubtedly become a Christian of sorts his theology was ambiguous and confused - he used the name
"Christ" .for both Father and Son - and retained many pagan elements. He never partook of the central
Christian rite of the eucharist }) (cf., L. BARNARD, Studies in Athanasius' Apologia Secunda, p. 143-144). « His
religious goes far to explain his action in the Arian controversy }) (ibid., p. 144).
71 « L'affaire n'était pas une subtilité sans importance, f\l1ais un point qui intéressait au fond le dogme chrétien
tout entier}) (1. ORTIZ DE URSINA, Nicée et Constantinople, p. 26).
72 « This not only caused great difficulties for the Emperors, some of whom were uncertain which Church party
to support, but also for the relations between the Eastern and Western halves of Christendom. Arianism dealt
a mortal blow to the unity of the Church so ardently desired by Constantine and his theological mentor
Eusebius, Bishop of Caesarea. For Eusebius polytheism went with polyarchy and anarchy, monotheism with
monarchy. The unity of the Christian faith was a corollary of the Imperial government }) (L. BARNARD, Studies
in Athanasius' Apologia Secunda, p. 141-142).
73 " s'agit d'un acte personnel de l'empereur et probablement de son idée. En plus de la question arienne, on
devait aussi y régler celle de la date de Pâques (P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 53).
74 Cité par C. PIETRI, « L'épanouissement du débat théologique et ses difficultés sous Constantin ... », dans J.-
M. MAYEUR et al., dir., Histoire du christianisme, p. 264. « ... this was probably the tirst and original meaning
of the terms " Oecumenial" as applied to the Councils» (G. FLOROVSKY, «The Authority of the Ancient
Councils and the Tradition of the Fathers, An Introduction», dans E. FERGUSON , éd., Sfudies in Earty
Christianity : A Collection of Scholarly Essays , Vol. XIII. Church, Ministry, and Organisation in the Early
Church Era, New York,lLondres , Garland, 1993, p. 179). Les huit premiers conciles œcuméniques furent
1. La controverse arienne 22
motivation qui anima Constantin et ses successeurs dans l'emploi de ce moyen pour
régler les conflits ecclésiaux 75 .
Probablement présidé par Osius, le concile se tint en 325 dans le palais impérial de la
ville de Nicée située dans la province de Bithynie 76 . Alexandre y exerça un rôle important.
Le nombre exact de participants -demeure inconnu, mais on estime qu'au moins 200
évêques, en grande majorité des Orientaux , y assistèrenf 8. Athanase relate que les
77
Pères nicéens s'appliquèrent à trouver une formule à laquelle Arius et les siens ne
79
pourraient d'aucune manière acquiescer . Le presbytre alexandrin y fut condamné et exilé
80
avec quelques supporters et une formule de foi élaborée dont on ignore jusqu'à ce jour
81
les modalitésrédactionnelles . Ce « symbole» allait devenir le premier à recevo ir
l'assentiment universel de l'Église. Il déclarait le Fils « engendré, non créé» , « de la
substance (oùolo) d~ Père» et « consubstantiel (OJ.lOOUOIOS-) au Père »82. Le terme
homoousios, malgré son usage « orthodoxe» déjà attesté dans l'Église 83 , souleva
cependant la controverse parmi les évêques orientaux. On lui reprochait son origine extra-
convoqués par décret impérial (P. H. POIRIER, Christianisme de J'Antiquité ... , p. 54).
75 L. BARNARD, Studies in Athanasius' Apologia Secunda, p. 147.
76 Le concile aurait dû dans un premier temps se tenir à Ancyre. Mais Constantin décida que l'événement se
déroulerait à Nicée, cité située plus à proximité de Nicomédie, la capitale de la province, afin de lui permettre
d'être présent et d'influencer l'issue des débats (ibid., p. 150-151). Le choix de Nicée reposerait aussi sur
son climat plus agréable ainsi qu'au désir, selon Barnes, de Constantin de ne pas s'éloigner de la capitale en
raison de troubles politiques (R. WILLIAMS, Arius, p. 67).
77 L'épiscopat occidental ne participa qu'en petit nombre aux huit premiers conciles œcuméniques tenus en
Orient (1. ORTIZ DE URBINA, Nicée et Constantinople, p. 19-20).
78 D'après les recensions disponibles d'une copie de la liste originale, lesquelles présentent plusieurs
difficultés. Athanase établit le nombre à 300, pour ensuite l'arrondir au chiffre symbolique de 318 (celui du
nombre d'hommes avec lesquels Abraham délivra son neveu Loth). Eusèbe de Césarée l'estime à environ
250 et Eustache de d'Antioche (qui participa au concile) à plus de 270 (voir ibid., et É. BOULARAND, L'hérésie
d'Arius ... , p. 203-207). Si des actes officiels du concile furent rédigés, ceux-ci ont complètement disparus (1.
ORTIZ DE URBINA, Nicée et Constantinople, p. 53). .
79 R. WILLIAMS, Arius, p. 69.
80 Le presbytre aurait été non seulement excommunié mais aussi dégradé. Cette double punition
ecclésiastique et civile (excommunication et exil) représentait un précédant et allait jeter la semence d'une
amère confusion dans les années à venir : même si l'empereur levait la pénalité civile, il ne possédait aucun
pouvoir au niveau ecclésial (Ibid., p. 70-71)
81 Plusieurs y voient une composition d'Eusèbe de Césarée (ou le symbole baptismal de son Église) modifié
(voir ibid. et 1. ORTIZ DE URBINA, Nicée et Constantinople, p. 71-73).
82 Pour le texte du symbole, voir annexe 1, p. 171 .
83 Selon Marrou, si on en faisait, semble-t-il, déjà un usage normal en Occident et même officiel en Égypte
depuis la remontrance de Denys de Rome à Denys d'Alexandrie (en raison du refus de ce dernier d'employer
le terme), il soulevait cependant ailleurs beaucoup d'objection (H.-1. MARROU, L'Église de l'Antiquité tardive,
p. 41). Hanson mentionne qu'il n'est pas fréquemment rencontré dans la littérature prè-nicéenne et faisait
déjà l'objet de dispute alors dans les cercles théologiques (R. P. C. HANSON, The Search for the Christian
Doctrine of Gad, p. 25). Il n'existe aucun indice quant à l'identité de celui qui aurait introdùit l'expression dans
1. La controverse arienne 23
84
biblique, son sens ambigu et trop matériel , ainsi que son emploi par certains
85
hérétiques . Il semblait aussi vulnérable à une interprétation sabellienne ou modaliste 86 .
Mais le parti des « orthodoxes» tint ferme·, voyant dans ce mot l'unique moyen d'éradiquer
l'erreur véhiculée par Arius et ses adhérents 87 . Pour ses défenseurs, la formule de foi
nicéenne, caractérisée par l'homoousios, allait devenir l'expression même de l'orthodoxie
88
chrétienne .
On a débattu à savoir si l'homoousios signifiait pour les pères nicéens une identité
générique, c'est le sens que ce mot aurait ·eu généralement avant l'événem~nt conciliaire ,
ou numérique, tel que le comprendront plus tard les théologiens catholiques. Selon
Fortman, le symbole n'affirme pas explicitement l'unité de substance. Il penche cependant
pour la position traditionnelle (numérique) rappelant notamment que c'est là le sens
qu'Athanase a donné à ce mot89 . Mais Kelly considère paradoxal l'emploi par les Pères
conciliaires d'un terme courant utilisé désormais en un sens entièrement nouveau et
inattendu . " lui parait beaucoup plus probable que ceux-ci désirèrent avant tout
Constantin exerça une grande pression pour l'acceptation du symbole, croyant sans
doute que l'ambiguïté des termes employés suffirait pour recoudre la déchirure opérée
dans l'Église 92 . Les évêques y apposèrent en effet majoritairement leur signature . Pour la
première fois dans l'histoire de l'Église, on introduisait dans une formule de foi un terme
philosophique et non-biblique93 . Il s'agissait d'une véritable révolution selon Gwatkin, une
révolution « conservatrice» mais néanmoins une révolution 94 . Toutefois , le consensus
arraché à l'épiscopat demeurait des plus fragiles.
Studer affirme qu'avec l'avènement de Nicée, il n'est pas exagéré de parler d'une
nouvelle théologie, d'un véritable point tournant dans l'histoire de l'Église:
The orthodox faith, settled at Nicea for the first time for the whole of
Christianity, at first only had reference to the divinity of Christ. However, this
definition subsequently proved decisive for faith in the true divinity of the Holy
Spirit, and in consequence also pointed the way towards a formulation of faith
in the one Lord Jesus Christ, true God and true man. Even soteriology, the
doctrine of the work of Christ, was not left untouched by the Nicene faith.
Furthermore, Nicene orthodoxy made a deep impact on the worship of the
Church and in Christian spirituality. So it is not too much to regard Nicea as the
starting point of a new theology and to label as the Nicene era the fourth
century in particular, in which the faith of Nicea gradually became the common
confession to ail Christians. 95
d'une définition précise (L. AYRES, Nicaea and ils Legacy, p. 88-100).
90 Voir J. N. D. KELLY, Initiation à la doctrine ... , p. 244-248.
91 J. LIÉBAERT, Les Pères de l'Église, p. 139.
92 L. BARNARD, Studies in Athanasius' Apologia Secunda, p. 152.
93 1. ORTIZ DE URBINA, Nicée et Constantinople, p. 77.
94 « Now the plan proposed was nothing less than a revolution - no doubt in its deepest meaning conservative,
but none the less externally a revolution » (H. M. GWATKIN, Studies of Arianism, Cambridge, Deighton Bell
and Co., 1900p. 48).
95 B. STUDER, Trinily and Incarnation, p. 102. In the perspective of the Nicene faith in Jesus-Christ, the true and
eternal Son of God, it became possible to view the relationship between Father and Son in purely theological
terms, without considering his mediatorship in creation and salvation . This had not been sa in pre-Nicene
theology. For this latter had closely linked the generation of the Son with God's saving activity (ibid. , p. 113).
Non pas que la question sotériologique se voit écartée: « si une sorte d'acharnement théologique s'attache à
1. La controverse arienne 25
Si l'hérésie arienne semblait balayée pour le moment, les vaincus ulcérés protesteront
avec vigueur et trouveront un avocat dans la personne de l'évêque de Nicomédie qui,
avec Théognis, revint bientôt sur sa signature 96 . Plus encore, les divergences
théologiques des adversaires de l'arianisme en ressortirent avec plus de force. Il devint
rapidement évident que les évêques signataires avaient interprété l'homoousios de
différentes manières 97 . En fait, «le grand synode sacerdotal», loin de régler la
controverse, servit plutôt à mettre en lumière l'a~biguïté et l'inadéquation du langage
théologique de l'époque en matière trinitaire et christologique 98 et jeta l'Église dans une
période trouble aux événements extraordinairement complexes où allaient se multiplier les
synodes 99 . Cette hétérogénéité doctrinale allait p~rdurer pendant plus d'un demi-siècle
'pour ne trouver son dénouement final qu'au concile de Constantinople célébré en 381 et
qui marqua le triomphe de la foi nicéenne.
La nouvelle crise générée par l'homoousios polarisa les évêques en deux groupes.
D'un côté, les anti-nicéens dirigés dans un premier temps par Eusèbe de Césarée, puis,
après son retour d'exil, par Eusèbe de Nicomédie, véritable chef de cette importante
coalition , d'où le nom d'eusébiens. Composé de la majorité de l'épiscopat oriental , ce
regroupement formait, bien que disparate théologiquement, un front commun se qualifiant
d'anti-sabellien. À l'opposé, le camp des « orthodoxes» fidèles à Nicée, peu nombreux,
mais soutenu par l'Église d'Occident et du sein duquel allait émerger une personnalité des
plus remarquables : Athanase d'Alexandrie. Ses partisans qualifiaient leurs opposants
des questions de plus en plus spéculatives, c'est toujours dans la conviction que de la nature de Dieu, de la
nature de son Fils devenu le Christ, de la nature de l'Esprit répandu par Jésus, dépend la réalité même du
salut apporté aux hommes. La sotériologie reste primordiale dans l'élaboration des dogmes trinitaire et
christologique» (B. SESBOÜÉ, « La divinité du Fils et du Saint-Esprit. .. », p. 236).
96 Selon Sozomène, les deux hommes avaient signé le credo mais non l'anathème qui y était attaché (R.
WILLIAMS, Arius, p. 72). .
97 But c1early the bishops had understood homoousios in different ways : for anti-Arians, such as Athanasius, it
meant the personal identity of the Son with the Father, so excluding Arianism; for others it merely carried the
idea of a broader identity; still others were confused but signed the creed at the Emperor's behest. Everyone
read his own theology into the Creed and there were no "Nicene" theologians as such» (L. BARNARD,
. Studies in Athanasius' Apologia Secunda, p. 152).
98 « The victory of Niçaea was rather a surprise than a solid conquest. As it was not the spontaneous and
deliberate purpose of the bishops present (almast ail Eastern, it must be naticed), but a ' revolutian which a
minority had forced through by sheer strength of clearer Christian thought, a reaction was inevitable as saon
as the half-canvinced conservatives returned home» (H. M. GWATKIN, Studies of A ria nism, p. 54).
99 R. WILLIAMS, Arius, p. 72. Williams croit cependant qu'il n'est pas nécessaire de multiplier le nombre de
synodes perçus comme pratiquement de nature œcuménique, les décrets de Nicée permettant désormais la
tenue de conciles provinciaux deux fois l'an (ibid.)
1. La controverse arienne 26
d'ariens. Mais dans la réalité, si le parti des eusébiens comptait en son rang, bien que
cherchant à s'y dissimuler, une petite minorité véritablement arienne 100, la vaste majorité
de ses membres s'opposait fortement à cette doctrine. Il s'agissait en fait de conservateurs
héritiers de l'époque subordinatienne et qui craignaient que l'homoousios ne fut qu'une
innovation non nécessaire 101.
100 De cette faction arienne sortira un groupe plus radical, les anoméens (du terme anomoios,
« dissemblable ») ou eunoméens (du nom d'Eunome) ainsi que les homéens (homoios, « semblable »)
lesquelles agréent avec les anoméens sur le statut de créature du Fils mais qui le considèrent, contrairement
à ces derniers, semblable au Père (E. J. FORTMAN, The Triune God, p. 71-72; voir aussi J. N. D. KELLY,
Initiation à la doctrine ..., p. 258-259 et 261). .
101 « Thus it was not a fall from the f~ith but a hesitation to define it more closely. » (H. M. GWATKIN , Studies of
A rianism , p. 56) . « Many of them had an orthodox instinCt, but liUle discernment; others were disciples of
Origen, or preferred simple biblical expression to a scholastic terminology;others had no firm convictions, but
only uncertain opinions, and were therefore easily swayed by the arguments of the stronger party or by mere
external considerations (P. SHAFF, History of the Christian Church, vol. III. Nicene and Post-Nicene
Ch ristia nity, From Constantine the Great to Gregory the Great, A.D. 311-590, Peabody, Hendrickson
Publisher, 2002, p. 628). De ce « parti centre» émergeront plus tard, en réaction à l'arianisme extrémiste,
les homéousiens (du terme homoiousios, «' d'une substance semblable») dont le nom le plus associé à ce
groupe demeure celui de Basile d'Ancyre. Formant « l'aile droite» du parti eusébien, les homéousiens
deviendront majoritaires et finiront par ce joindre aux pro-nicéens (Voir J. N. D. KELLY, Initiation à la
doctrine ... , p. 248-250, 259-261; E. J. FORTMAN , The Triune God, p. 71-72; R. P. C. HANSON, The Search for
the Christian Doctrine of Gad, p. 348-357; Sur le parti homéousien voir aussi A. L. WINRICH, «A Sense of
Tradition: The Homoiousian Church Party» dans M. R. BARNES et D. H. WILLIAMS, éd. , Arianism after Arius,
Edinburg, T. & T. Clark, 1993, p. 81-100). Selon Winrich, les partis tels qu'ils se constituèrent alors
représentent un phénomène nouveau dans l'Église, leur existence se trouvant fermement liée au cadre
e
institutionnel ecclésial du 4 siècle (ibid., p. 82). Ayres distingue quatre traditions ou «trajectoires»
théologiques présentes dans la période 300-30 : théologies eusébiennes (comprenant celles d'Eusèbe de
Nicomédie, d'Eusèbe de Césarée, d'Astérius, puis d'Arius); théologie axée fortement sur la corrélation
éternelle Père/Fils (Alexandre et Athanase d'Alexandrie); théologie de Marcel d'Ancyre (très controversée et
associée au modalisme); théologie occidentale (cf L. AYRES, « Articulating Identity », dans F. YOUNG et al.,
e
éd., Early Christian Lite ra ture, The Cambridge History of (3 partie: « Foundation of a New Culture: From
Diocletian to Cyril, Context and Interpretation »), Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 421-426.
102 H. M. GWATKIN, Studies of Arianism, p. 49.
103 Certains ont vu dans le symbole de Constantinople un développement de la pensée nicéenne et de
l'interprétation qu'en fit Athanase qui mourut en 373, ne pouvant ainsi participer à sa rédaction. Harnark
croyait ainsi à la victoire de l'homoiousios sur /'homoousios, les homéousiens donnant à ce dernier terme le
sens du premier. J. N. D. Kelly y voyait, plus qu'une simple modification de la formule nicéenne, deux textes
entièrement différents. W. A. 8ienert défend la continuité des deux symboles , considérant notamment la
1. La controverse arienne 27
Constantin ayant voué ses œuvres à la destruction par un édit impérial daté de 333, la
connaissance présente de la doctrine d'Arius repose principalement sür ce qu'en rapporte
Athanase d'Alexandrie dans ses écrits et dans lesquels il cite quelques extraits de la
Thalie 106, ainsi que sur trois lettres attribuées à la main de 1'« hérésiarque» 107 . La
légendaire et violente opposition de l'évêque alexandrin aux thèses d'Arius rend
cependant ses écrits suspects aux yeux des chercheurs contemporains 108. De plus,
certaines allégations d'Athanase relatives' à l'enseignement d'Arius pourraient contenir des
éléments étrangers à celui-ci. En effet, bien que mort en 336 et donc avant l'apparition des
œuvres anti-ariennes de son détracteur juré, Arius avait vu un corps d'opinions supportant
ses idées surgir à la suite de ses démêlées avec Alexandre, ce qui suppose un
développement ultérieur de sa pensée. Athanase considérait ces vues comme
bataille passionnée d'Athanase pour la reconnaissance de l'orthodoxie nicéenne comme un lien historique
entre les deux credo (Voir W . A. BIENERT, « The Significance of Athanasius of Alexandria for Nicene
Orthodoxy », Irish Thealagical Quaterly, 48,3-4 [1981], p. 181-195).
104 « The opposing parties, from the outset, has little understanding of the others' theological and philosophical
presuppositions and it was a tragedy that the controversy became entangled with the rivalries of sees and
the clash of dominant p~rsonalities. Arius' cause, which certainly represented a theological direction, was
taken up by the brilliant court politician, Eusebius of Nicomedia, who organised a campaign on his behalf.
Very quickly the Christian East became embroiled with bishops taking different sides or maintaining a
mediating position» (L. BARNARD, Studies in Athanasius' Apalagia Secunda, p. 150). Barnard, sans éliminer
complètement l'aspect doctrinal, considère le conflit principalement de nature politique (ibid., p. 154).
105 P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 57.
106La Thalie ou Banquet, ce qui signifie « chanson à boire », consiste en un « poème théologique» 'd'Arius
dans lequel il vulgarise sa doctrine (ibid., p. 43). L'interprétation de plusieurs passages tirés de ces extraits,
probablement cités assez librement à certains endroits, suscite la controverse parmi les spécialistes (R.
WILLIAMS, Arius, p. 62). Selon Boularand, le fait qu'Athanase cite comme il le fait la Thalie longtemps après
sa rédaction serait un signe de l'efficacité de celle-ci (É. BOULARAND, L'hérésie d'Arius ... , p. 55).
107Ces écrits restants sont au nombre de quatre, soit, en plus des quelques extraits de la Thalie déjà citée, la
Lettre à Eusèbe de Nicamédie, la Lettre (d'Arius et ses campagnons) à Alexandre d'Alexandrie (profession
de foi) et la Lettre d'Arius et d'Euzoïus à Constantin (335), ces deux derniers documents consistant en des
confessions de foi (P . H. POIRIER, Christianisme de J'Antiquité ..., p. 43).
108 R. P. C. HANSON, The Search far the Christian Doctrine of God, p. 10.
1. La controverse arienne 28
La doctrine d'Arius repose sur deux grands présupposés, le premier concernant l'unité
divine et le deuxième la christologie. Dans un premier temps, le presbytre alexandrin
désire sauvegarder la monarchie divine. Le Père est l'unique inengendré. L'existence de
deux principes premiers, de deux Dieux, anéantirait la vérité monothéiste. Les Écritures le
déclarant engendré par le Père, le Fi ls diffère nécessairement de celui-ci. De plus,
l'éternité de Dieu étant liée à son caractère d'inengendré, accorder cette éternité au Fils
revient à affirmer son co-inengendrement avec Dieu. Conséquemment, le terme
« engendré» équivaut métaphoriquement à « fait» 110 . Créé ex nihilo hors du temps
cosmique 1 11 par la volonté du Père, le Fils n'existe pas par lui-même ni ne participe à la
nature divine indivisible, ce qui exclut toute idée d'émanation ou de consubstantialité
(homoousios) , ces termes réduisant Dieu à des catégories physiques 112. Il Y eut de ce fait
un moment où le Fils n'existait pas et où Dieu n'était pas Père 113 . En tant que créature, ce
Fils possède une science limitée, aussi bien de lui-même que de son Père qu'il ne peut
109 Ibid., p. 19. « Maurice Wiles emphasizes that even though Athanasius militantly attacked Arius, he had no
confrontation with him personally, for 'Arius was dead before 'Athanasius embarked on any large scale
theological debate issues that Arius had raised. And then his real quarrel was with the living . The dead Arius
was not even a whipping boy, but a whip.' Arius belonged ta the past, to the world of the third century and its
problematic, Athanasius to the fourth and a new way of thought. He was not a significant writer, nor was he
regarded as such by the people of his own day. He was hardly ever quoted by friend or foe. He was never
seen as a founding father of a movement. The polemics that arase later in the fourth century were directed at
others than he. His name is simply a term of theological abuse» (R. LETHAM, The Holy Trinity, p. 110).
Hanson ne croit pas qu'Arius fut le fondateur d'une école de théologie (R. P. C. HANSON, The Search for the
Christian Doctrine of God, p. 127).
110Arius se fondait sur les équations très répandues, tant en philosophie qu'en théologie (chrétienne ou
païenne), suivantes:
engendré (gennètos) = fait, créé (génètos) = non-Dieu
inengendré (agennètos) =non fait, non créé (agénètos) =Dieu.
« L'équivalence entre les deux séries de termes était facilitée pour les locuteurs hellénophones par le fait que
ces deux termes ne diffèrent l'un de l'autre que par une seule lettre: gen!]ètos vs génètos, c'est-à-dire
engendré vs fait ou créé; agen!]ètos vs agénètos c'est-à-dire inengendré vs non fait ou non créé. La
confusion des termes était en outre facilitée par le fait que, dans l'univers de l'expérience, tout ce qui est
engendré est par le fait même créé ou fait» (P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 43-44).
111Cette idée d'Arius que le Logos fut créé à partir de rien fut celle qui choqua le plus ses contemporains selon
Hanson (R. P. C. HANSON, The Search for the Christian Doctrine of God, p. 24).
112 J. N. D. KEllY, Initiation à la doctrine ... , p. 239. Il en résulterait aussi un changement dans la divinité
immuable.
113 « Dieu n'a pas toujours été Père, mais il y eut un moment où Dieu était seul et n'était pas encore Père [ .. .]
Le Fils n'a pas toujours été, car, puisque toutes choses ont été tirées .du néant et Que toutes sont des
créatures et des choses faîtes , le Verbe de Dieu lui aussi a été tiré du néant' et il y eut un moment où il n'était
pas» (Discours contre les ariens 1,5).
1. La controverse arienne 29
114
connaître directement , détenant les titres de Verbe et de Sagesse par participation
gracieuse au Logos et à la Sagesse éternels et inhérents à Dieu 115 . Appartenant,
contrairement à la divinité, au monde du devenir et de la contingence, et dépendant de la
grâce, il possédait en tant qu'agent libre, comme toute autre créature raisonnable, la
capacité de pécher. Mais, en prévision de sa parfaite obéissance, le Père lui a accordé sa
grâce par anticipation dès le commencement et l'a glorifié 116 . Gwatkin voyait dans cette
affirmation une forme de pélagianisme lequel représentait selon lui un élément essentiel
du système arien 117.
Créature unique en son genre, distincte de toutes les autres et si glorieuse et sublime
qu'elle mérite qu'on l'appelle Dieu, le Logos fut engendré directement par le Père pour
devenir l'instrument de la création du monde 118. En effet, l'infinie transcendance de l'Être
divin incommunicable et inaccessible requérait l'aide d'un intermédiaire pour amener à
l'existence un univers lui-même incapable de soutenir la présence divine. L'Esprit-Saint,
première création du Fils, possède une nature différente et inférieure à ce dernier119 . La
Trinité d'Arius, de nature phénoménale, se compose donc de trois substances
hétérogènes et aux gloires dissemblables à l'infinie, séparées l'une de l'autre sans
114 « En effet, dit-il, non seulement le Fils ne connaît pas exactement le Père, - car il lui manque de quoi le
comprendre - mais le Fils lui-même ne connaît pas sa propre substance» (Discours contre les ariens l, 6) .
Mais, selon Gwatkin, les prémisses propres à Arius ne pouvaient que conduire à une impasse tôt au tard: il
proclame un Dieu mystérieux dont la connaissance exhaustive demeure inaccessible au Fils lui-même tout
en discourant comme si les relations humaines pouvaient donner une connaissance exhaustive du divin :
« He forgets tirst that metaphor would cease to be metaphor if there were nothing beyond it; then that it
would cease to be true if its main idea were misleading. He begins by pressing the metaphor of Sonship, and
works round to the conclusion that it is no proper Sonship at ail » (H. M. GWATKIN, Studies of A ria nism , p. 27).
115 « Il dit donc qu'il y a deux sagesses: l'une est la propre Sagesse de Dieu et elle coexiste avec lui; quant au
Fils, il fut fait en cette Sagesse là et, parce qu'il y participe, il a été appelé Sagesse et Verbe [ ... ] De même
encore, il dit qu'il y a en Dieu un autre Verbe en dehors du Fils , et que le Fils, parce qu'il participe à ce
Verbe, a été·appelé par grâce, Verbe et Fils» (Discours contre les ariens l, 5) . Gregg et Groh soulignent le
lien enseignant/élève établi par l'arianisme entre Dieu et le Logos, lequel reçoit par grâce la sagesse divine
(R. C. GREGG et D. E. GROH, Early Arianism - A View of Sa/vation, p. 163-164).
116 Ibid. Selon Arius, il ne s'agit donc pas de la part de Dieu d'une action arbitraire mais rationnelle, « knowing
that his firstborn among creatures is and will always be worthy of the highest degree of grace, a perfect
channel for creative and redemptive action, and so a perfect "image" of the divine, wholly transparent to the
Father» (R. WILLIAMS, Arius, p. 114-115).
117 « 80th schemes depend on the same false dualism of God and man, the same rigid and mechanical
conception of law, the same heathenizing and external view of sin, the same denial of the Christian idea of
grace as a true communication of a higher principle of life. The same false freedom which Arius daims for
God he also vindicates for man; but the liberty of God is nothing but caprice, the freedom of man a godless
independence. God and man must stand apart eternally; for Arianism can allow no real meaning to the idea
either of a divine love which is the expression of the divine nature, or of its complement in a human service
which is perfect freedom » (H.M. GWATKIN, Studies of Arianism, p. 25).
118 Discours contre les ariens 1,5.
1. La controverse arienne 30
Les historiens insistent tant sur la diversité des sources de la doctrine d'Arius que sur
les influences potentielles dont celle-ci aurait été l'objet. Selon Boularand, il demeure
cependant impossible de faire la preuve de sa dépendance avec la plupart d'entre elles
bien que, pour mieux la comprendre, il faille s'y rapporter 123 . Sesboüé pense que la
doctrine d'Arius s'enracine dans le subordinatianisme anté-nicéen et ses nombreuses
ambiguïtés 124. Néanmoins, selon Poirier, à l'instar de tout autre courant théologique qui
aurait pu contribuer à son élaboration, «moins qu'une source» le subordinatianisme
consisterait plutôt en « un antécédent de la doctrine d'Arius, le cadre conceptuel dans
lequel il se situe, comme la plupart des chrétiens et des théologiens de son époque» 125.
Kannengiesser qualifie Arius d'épigone et d'avatar d'Origène 126 .
119 Il faut cependant noter que la question du Saint-Esprit ne se trouve pas au cœur du débat à ce moment.
120 Discours contre les ariens 1,6
121 « Even his true humanity was not to be Jeff intact. Now that the Logos was so far degraded a human spirit
was unnecessary, and onJy introduced the needless difficulty of the union of two finite spirits in one person»
(H. M. GWATKIN, Studies of Arianism, p. 25).
122 C.KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 99.
123 É. BOULARAND, L'hérésie d'Arius ... , p. 85.
124 B. SESBOÜÉ, « La divinité du Fils et du Saint-Esprit. .. », p. 239. Alexandre croyait effectivement que la
doctrine d'Arius découlait du subordinatianisme de Paul de Samosate et de Lucien d'Antioche (J. QUASTEN,
Initiation aux Pères ... , p. 43).
125 P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité .. " p, 45,
126 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 96-97.
1. La controverse arienne 31
Arius aurait aussi trouvé son inspiration doctrinale dans la philosophie, notamment
dans le néo-platonisme de Plotin (205-270) et de ses successeurs 130. Peut-être
condisciple d'Origène, ce philosophe avait entrepris lors de son séjour à Alexandrie, où
son souvenir demeurait vivant, de repenser les doctrines platoniciennes en les confrontant
à d'autres traditions. Il en vint ainsi à énoncer l'absolue transcendance du Principe premier
ou l'Un sur les deux autres qu'il nommait Intelligence et Âme, ces trois hypostases
correspondant à trois degrés de réalités auxquelles appartiennent tous les êtres 131. Mais il
établit, à la différence du moyen-platonisme (qui affirmait une certaine continuité entre les
deux premiers principes), une coupure radicale entre l'Un (qu'Arius associa à Dieu, le
127 On a vu dans ce phénomène l'héritage de Lucien d'Antioche. Hanson croit qu'Arius fut le représentant
probable de l'école de Lucien (R. P. C. HANSON, The Search for the Christian Doctrine of God, p. 98). Mais
Williams croit qu'il n'existe aucun un support réel à l'idée qu'Arius aurait été un littéraliste, Athanase ne lui
reprochant pas de négliger le sens spirituel des textes mais plutôt le caractère privé et arbitraire de son
exégèse qui mettait de côté la foi et la pratique de l'Église catholique (R. WILLIAMS, Arius, p. 110).
128 Par exemple Colossiens 1. 15 : « Il est l'image du Dieu invisible, premier-né de toute la création. »
129 Voir P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 45.
1301bid.,p. 45-46. Il n'existe cependant aucune certitude au sujet d'une quelconque formation philosophique
d'Arius selon Williams (R. WILLIAMS, Arius, p. 31).
131 Vient en premier, le « Principe» ou 1'« Unique », immuable et entièrement inaccessible à l'intelligence. En
deuxième, la « Raison », analogue à l'antique « Verbe », donateur des formes de l'école aristotélicienne, et à
l'âme du monde professée par les stoïciens. Enfin, on retrouve 1'« Âme» : « La Raison découle du Principe
comme le rayon du soleil et comme le fleuve de sa source; cependant, elle possède pour sa part un
caractère divin et elle est créatrice du monde visible. Supérieure à elle, le "Principe" est le seul 'inengendré'
et dépasse toute catégorie» (1. ORTll DE URBINA, Nicée et Constantinople, p. 31).
1. La controverse arienne 32
Père) et les hypostases suivantes, donc l'Intelligence (le Fils pour Arius), marquées par le
multiple 132 . Ainsi, selon P.-H. Poirier:
H. M. Gwatkin voyait dans la doctrine d'Arius une « inevitable reaction of heathen forms
of thought against the definite establishment of the Christian view of Gad» 134.
Essentiellement païen selon lui, l'arianisme consistait plus en une philosophie qu'une
religion, bien que gardant un lien formel avec le christianisme en faisant appel de façon
obsolète à la tradition et en se référant à des textes isolés de l'Écriture pour appuyer ses
conclusions, lesquelles auraient pu être atteintes sans leur aide 135. La doctrine d'Arius
subordonnait la Révélation à la philosophie 136. L'Église, suite à la fin des persécutions et à
sa reconnaissance officielle par l'Empire, se voyait envahie par une multitude de gens et
de curieux dont beaucoup embrassaient le christianisme superficiellement. L'arianisme
o.ffrait à de telles personnes la possibilité de se «convertir» sans nécessairement
abandonner leurs raisonnements hérités du paganisme: « ln other words, the world was
ready to accept the gospel as a sublime monotheism, and the Lord's divinity was the one
great stumbling-block which seemed to hinder its conversion. Arianism was therefore a
welcome explanation of the difficulty. »137
Pour Sesboüé, avec Arius « l'aporie du mystère trinitaire est levée», « réintégré dans
les catégories philosophiques et de la théologie naturelle» 138. Mais la question qu'Arius
132Voir à ce sujet P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 45-46; A. PIGLER, « La surabondance de l'Un
puissance de toute chose chez Plotin », Laval théologique et philosophique, 59, 2 (2003), p. 257-277.
133 P. H. POIRIER, Christianisme de l'Antiquité ... , p. 47. Cependant, pour Hanson, Arius fut éclectique.en
matière philosophique, sa doctrine de la création du Fils à partir du néant ne possédant aucun parallèle dans
la philosophie grecque (R. P. C. HANSON, The Search Ior the Christian Doctrine of God, p. 98). Voir aussi C.
G. STEAD, « Was Arius a Neoplanist? », Studia Patristica, XXXII (1997), p. 39-52.
134 H. M. GWATKIN, Studies of Arianism, p. 16.
135 Ibid., p. 20.
136 Ibid., p. 28.
137 Ibid., p. 30. Selon Gwatkin, l'Église orientale, plus nombreuse et plus érudite que celle d'Occident, était plus
encline à se laisser influencer par 'le paganisme. Il souligne aussi la force persistante du paganisme à
l'époque nicéenne, notamment à Alexandrie (ibid., p. 16-17). «And now that persecution seemed to have
passed away for ever, it was inevitable that heathen thought inside the church should endeavor to seize for
itself the central doctrine of the faith » (ibid., p. 17).
138 B. SESBOÜÉ, Dieu peut-il avoir un Fils? Le débat trinitaire du IV siècle [fextes en main], Paris, Le Cerf,
1. La controverse arienne 33
pose à la foi chrétienne, à savoir « Comment Dieu peut-il avoir un Fils?» , loin d'être
médiocre, lance à l'Église un défi de taille et surtout vital :
Conclusion
À peine sortie de la grande persécution ordonnée au tout début du IVe siècle par
Dioclétien, l'Église, tout particulièrerllent en Orient, dut faire face. à un problème doctrinal
majeur. Son unité même se trouvait menacée sur la question. C'est à Alexandrie, centre
culturel et philosophique de l'Empire qui devint un important lieu de dévèloppement
théologique de l'Église, que la controverse vit le jour. Probablement influencé par le néo-
platonisme, le presbytre Arius y développa une forme radicale de subordinatianisme. Ce
courant théologique largement répandu visait à contrer le sabellianisme qui niait le nombre
dans l'unité divine. Cependant, à l'exemple d'Origène, les subordinatianistes tentaient
d'expliquer le lien Père/Fils (et Esprit) de façon équivoque parce qu'ils réfléchissaient à
partir d'un point de vue économique et cosmologique.
1993, p. 28.
139 E. J. FORTMAN, The Triune Gad, p. 64.
1. La controverse arienne 34
le rôle de l'âme en Jésus de Nazareth, puisse posséder I-a nature divine dans son sens
propre. Seule une créature pouvait expérimenter un tel abaissement.
Introduction
« Although the fourth century became known as the period of the 'Arian Controversy',
the dominating figure was not Arius but Athanasius. »1 En effet, si son contemporain plus
jeune, l'empereur Constantin, fut le centre de la vie politique et séculière autour de laquelle
a évolué l'ère nicéenne, Athanase se situa quant à lui au cœur de l'activité ecclésiastique
et théologique de cette période fort mouvementée et aux événements des plus
complexes 2 . Le nom du primat égyptien allait devenir célèbre en raison du combat qu'il
poursuivit sans réserve jusqu'à sa mort contre l'adversaire « arien» en vue de la défense
de la pleine et entière divinité du Fils de Dieu qu'il croyait clairement exprimée dans le
symbole de Nicée. À cette bataille s'ajouta aussi celle menée pour la sauvegarde de
l'identité de l'Église contre les tentatives interventionnistes du pouvoir impérial chrétien en
matière de foi. Aussi a-t-on parlé du «siècle d'Athanase ». Ce deuxième chapitre
cherchera à mettre en lumière ce personnage aujourd'hui hautement controversé, comme
de son vivant d'ailleurs, notamment en ce qui concerne ses origines et la formation dont il
bénéficia, son style littéraire et les fondements de sa doctrine, ainsi que les motifs et la
vision théologique qui l'habitaient. La dernière partie visera à justifier la pertinence du
choix du traité Sur l'incarnation du Verbe pour l'étude de la doctrine athanasienne du
Logos et du salut de l'homme.
tracer de façon claire 3 , les spécialistes ne peuvent s'appuyer pour leurs travaux que sur un
nombre limité de sources disponibles dont plusieurs démontrent une réelle hostilité envers
4
le sujet . " reste donc beaucoup à apprendre sur l'homme, notamment en ce qui a trait à
son caractère et aux motifs qui l'animèrent. L'importance de poursuivre ces recherches
réside notamment en ce que la majorité des informations touchant les controverses
doctrinales et les conflits ecclésiaux de cette période proviennent soit de la plume
d'Athanase soit de celle de ses supporters 5 .
3 D. W .-H . HARNOLD, The Early Episcopal Career of Athanasius of Alexandria, Nbtre Dame (Indiana) , University
of Notre Dame Press, 1991, p. 9.
4 « The discovery of the authentic Athanasius remains a challenge for the historian of Christian thought » (C.
Kannengiesser, «Athanasius », p. 49. « Because of this reason, it is nearly impossible at this moment to
extract apurer historical narrative of Athanasius without subjective judgements. It is for the same reason that
we do not have a conclusive biography of the bishop and that various , or even opposite views towards him
are found amongst scholars» (N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius. A Key for Proper
Understanding of this Important Church Father [Série XXIII; Théologie, 733], New York, Peter Lang -
Publications Universitaires Européennes, 2002, p. 31)
5 Ainsi, les historiens antiques de l'Église tels Socrate et Sozomène construisirent leurs récits du lif siècle
principalement à partir de sources athanasiennes. «A few sources do record other traditions, such as the
historian Sabinus of Heraclea, whose work was used by both Socrates and Sozomen, and Philostorgius,
whose history survive by being excerpted and paraphrased by Photius and o.f course the conciliar statements
against Athanasius and his responses to them » (J. BEHR, The Nicene Faith, p. 164-165).
6 « Aux yeux de ses contemporains déjà, Athanase faisait figure de personnage mythique; même des païens
lui attribuaient un savoir supérieur et surnaturel [ ... ] "Si tu trouves un passage des écrits de saint Athanase",
note un abbé du lif siècle, "et que tu n'aies pas de papier sous la main, écris-le sur tes vêtements" » (H.
VON CAMPENHAUSEN, Les pères grecs [Livre de vie, 95], Paris, Éditions de l'Orante, 1963, p. 110). Grégoire
de Naziance débute son enthousiaste panégyrique dédié au patriarche en déclarant que lorsqu'il loue
Athanase, c'est la vertu elle-même qu'il loue (P. SCHAFF, History of the Christian Church, vol. 3, p. 889).
Robertson, protestant, souligne avec intérêt, que malgré sa réputation, on ne rapporte aucun miracle relié à
l'évêque (A. ROBERTSON, Athanasius: Select Wiitings and Letfers [Nicene and Post-Nicene Fathers, vol. 4,
série 2], Peabdody, Hendrickson Publisher, 1994, p. Ixvii-Ixviii).
7 N. Kwok-kit Ng, The Spirituality of Athanasius, p. 274.
2. Athanase , évêque d'Alexandrie 37
Les tenants de cette position centriste, tout en reconnaissant certains défauts ainsi que
de réelles faiblesses chez' l'individu, tant dans sa carrière épiscopale que dans ses écrits
historico-apologétiques, travaillent néanmoins, à des degrés divers, à la réhabilitation de
10
ce dernier . Bienert rejette ainsi l'analyse négative décrite plus haut comme ne rendant
pas justice ' à l'évêque 11 . Arnold, sans absoudre complètement l'individu des charges
portées contre lui par la majorité des spécialistes contemporains, discerne dans ce
commentaire d'Harnark datant de la fin du XIXe siècle, une épitaphe plus près de la
réalité: « If we measure him by the standard of his time, we can discover nothing ignoble
or weak about him. » 12 Soulignant qu'à cette époque la croyance religieuse représentait
l'un des plus importants motifs animant les hommes et influençant leur comportement,
Kwok-Kit Ng écrit que « like many early church fathers, Athanasius seems to have acted
and lived faithfully according to his religious belief. He applied his theology and spirituality
conscientiously in his episcopal and literary career » 13.
8 Hanson se range aux côtés de Schwartz, bien que reconnaissant dans l'évêque un véritable théologien (R. P.
C. HANSON, The Search for the Christian Doctrine of God, p. 421-422, voir aussi p. 239-244). Athanase eut
néanmoins toujours ses supporters pendant cette période (voir N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of
Athanasius, p. 1-30; D. W.-H . HARNOLD, The Early Episcopal Career... , p. 9-23; J. D. ERNEST, The Bible in
Athanasius of Alexandria, Boston/Leiden, Brill Academic Publisher, 2004, p. 1-5).
9 Voir ibid., p. 2; T. D. BARNES, Athanasius and Constantius, p. 33.
10 On peut citer dans leurs rangs des noms comme W. H. C. Frend, Frances Young, Leslie W. Barnard ,
Christopher Stead, Martin Tetz, Duane W.-H. Arnold, N. Kwok-kit Ng, Charles Kannengiesser, (N . KWOK-KIT
NG, The Spirituality of Athanasius, p. 27-28; J. D. ERNEST, The Bible in Athanasius .. ., p. 2-3).
11 « Recent studies (l'article a paru en 1981) emphasise, against these caricatures, the deep religious spirit in
which the unity of his thought and actions is rooted and which notably affected his understanding of the role
of the bishop in the Church » (W. A. BIENERT, « The Significance of Athanasius of Alexandria for Nicene
Orthodoxy », p. 184).
12 A. VON HARNARK cité dans D. W.-H. HARNOLD, The Early Episcopal Career..., p. 186. Arnold rappelle
l'importance de ne pas imposer les présupposés et les standards éthiques contemporains à un primat
alexandrin du Ive
siècle. Il faut plutôt chercher à laisser le sujet parler de son époque et de sa situation
propre (ibid., p. 10). Celui-ci croit cependant qu'il faut admettre qu'à première vue Athanase ne représente
pas une personnalité attractive (ibid. , p. 176).
13 N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 322. Plus loin, l'auteur écrit: « His behavior was decisively
determined by is own religious conviction (ibid., p. 330). « From the se facts, we have definite reasons to
believe that Athanasius' theology is a faithful outward expression of his inner spirituality, ant that his spiritual
teachings are concepts that are matters of intense personal conviction» (ibid., p. 273). « For most church
2 . Athanase, évêque d'Alexandrie 38
fathers, theology is the outward expression of internai spirituality, which is determined by one's own personal
experience, social culture and communal belief. Living in the ancient world, Athanasius has a deep
reverence for tradition and antiquity (ibid., p. 52). « As spirituality, as weil as theology, is closely related with
one's own experience, it is impossible to understand the theological system of Athanasius without
considering his background. Unfortunately, due to the modern disciplinary division between theology and
church histol)', most Athanasius scholars only focus their attentions either on this thought or on his life »
(ibid., p. 53).
14 C. KANNENGIESSER, cité dans ibid., p. 282. « The change from the nineteenth-century view of Athanasius has
been influenced more by a climate of criticism than with new documentary sources» (O. W .-H . HARNOLD, The
Early Episcopal Career ... , p. 183). Kwok-kit Ng a aussi souligné que les critiques modernes de l'évêque
alexandrin ont aussi élaboré une nouvelle version de la crise arienne, différente de celle traditionnellement
admise, s'accordant, malgré certaines divergences, pour poser un regard négatif sur le personnage
d'Athanase (N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 281-282). «Under their portraitures, the
original noble image of this Alexandrian bishop was totally altered » (ibid., p. 282).
15 C. KANNENGIESSER, «Athanasius », dans The Oxford Companion to Christian Thought, A. HASTINGS, éd. ,
Oxford, Oxford , University Press, 2000, p. 48. Ce dernier fait demeure crucial selon lui pour une juste
compréhension du sujet et de ses œuvres dogmatiques anti-ariennes. Selon Ernest, si l'Arius de
Kannengiesser demeurera probablement contesté, en raison de la rareté des sources disponibles à ce sujet,
la question de la motivation pastorale dans les écrits anti-ariens est, quant à elle, bien établie (J. D. ERNEST,
The Bible in Athanasius .. . , p. 3) .
16 S. P. ROSENBERG, « Interpreting Atonement in Augustine's preaching », dans HILL, E. etA. JAMES III, éd., The
Glory of the Atonement. Bib ilica l, Theological & Pratical Perspectives, Illinois, InterVasity Press, 2004, p.
226-227. « Interpretation of the major figures of Late Antiquity focuses on their writings, which were primarily
occasional works written in response to a question or an issue and which thus cannot really be said to be
either normative or regular forms of communication (even if they are extensive). Developing our
understanding of the individual primarily through these materials - occasional communications that are often
controversial by nature - not surprisingly leads to a perception that the individual was a controversialist. It
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 39
Né aux environs de 298 18 , l'origine de celui qu'on appellera un jour Athanase le Grand
demeure incertaine. Barnes le croit issu d'une humble famille alexandrine 19. Une source
arabe, mais remontant à un document écrit en copte, fait naître l'homme dans un village
de la Haute-Égypte 20 . Anatolios cite la biogr aphie d'un évêque égyptien datant du Xe siècle
et décrivant Athanase comme le fils d'une éminente femme très riche adonnée au culte
des idoles et de ce fait provenant d'une famille païenne. Le même texte contient le récit de
son baptême qu'il reçut encore jeune avec sa mère. Après le décès de celle-ci , Alexandre ,
alors évêque de l'Église d'Alexandrie, le prit sous sa tutelle. L'ayant instruit, il l'ordonna
comme diacre et en fit son secrétaire personnel ainsi qu'un ministre de la Parole 21 .
L'influence de cet origéniste modéré prédominera dans la vie de son protégé.
Kannengiesser suggère que le jeune Athanase, dépeint plus tard comme « un des
ascètes »22, fut éduqué dans un premier temps par des moines égyptiens 23 . Il aurait
accompagné Alexandre au grand concile de Nicée en tant que son princ!pal diacre, ce qui
also focuses on their concerns more narrowly than the person actually did, so there is a danger of
misconstruing their notions by lack of proper emphasis » (ibid.)
17 Ibid., p. 227.
18 La date demeure incertaine. Les années 298-299 reposent sur des sources stipulant que lorsqu'il accéda à
l'épiscopat, des clercs peu favorables à cette nomination objectèrent qu'il n'avait pas encore l'âge requis de
trente ans (C. Kannengiesser, Le Verbe de Dieu ... , p. 23). Thomson écrit aux environs de 295 (R. W.
THOMSON, Athanasius: Contre Gentes and De Incamatione [Oxford Early Christian Texts] , éd . et trad .,
Oxford, The Clarendon Press, 1971, p. xi). Il avait ainsi au moins quatre ou cinq ans lorsque la persécution
dioclétienne débuta.
19 Constance en 346 fait référence à Alexandrie en tant que« terre ancestrale» de l'évêque (dans ATHANASE
D'ALEXANDRIE, Apologie contre les ariens 51. 2) qu'il ridiculise onze ans plus tard en raison de sa vile origine
(dans id., Apologie à l'empereur Constance, apologie pour sa fuite 30). Barnes pense qu'Athanase peut être
cru lorsqu'il proteste devant Constance n'être qu'un pauvre homme (T. D. BARNES, Athanasius and
Constantius, p. 10-11).
20 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu .. ., p. 23.
21 K. ANATOllOS, Athanasius, p. 3. Il s'agit du texte de l'évêque égyptien Sévère Ibn al-Muqaffa. Reconnaissant
l'impossibilité de vérifier l'exactitude de ces faits, Anatolios souligne que ceux-ci correspondent en grande
partie à la connaissance que les spécialistes ont présentement d'Athanase, notamment en ce qui concerne
la relation étroite de celui-ci à Alexandre et la continuité théologique existant entre les deux hommes. Le
diacre Athanase serait peut-être l'auteur d'au moins une importante lettre doctrinale d'Alexandre (Henos
somatos) (ibid., p. 4).
22 Apologie contre les ariens 6.
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Selon Camelot, l'homme possédait une solide culture littéraire et philosophique, mais
surtout scripturaire et théologique 25 . Kannengiesser présume qu'Athanase acquit ce
bagage intellectuel de façon progressive tout au long de sa carrière et probablement
jamais d'une manière méthodique 26 . En effet, comme le mentionne Grégoire de Naziance,
la formation qu'il reçut d'Alexandre paraît plutôt de nature informelle 27 . Athanase évolua au
milieu de l'ordre nouveau, tant du point de vue des relations de l'Église et de l'empire que
théologique:
Athanase est le premier des Pères grecs à n'avoir pas grandi dans les
trad itions académiques de la philosophie chrétienne. C'est un
« ecclésiastique» qui, tout en ayant de bonnes connaissances de théologie,
reçut sa formation dans les bureaux de l'administration alexandrine. Sa patrie
spirituelle n'est pas « l'école», mais l'Église, ses offices et l'administration
cléricale. 28
alexandrine 30 . Dans ses écrits plus tardifs, Athanase démontre effectivement une bonne
connaissance des premiers écrivains chrétiens et se réfère respectueusement à
Origène 31 . On peut aussi relever dans certains de ses textes une familiarité avec la
théologie d'Irénée dont les écrits devinrent accessibles tôt en Égypte après leur
composition 32 . Pour Liébaert le style d'Athanase, exception faite de son ton plus violent,
ressemble beaucoup à celui de l'évêque de Lyon du Ile siècle 33 .
30 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 4.
31 R. WILLIAMS, Arius, p. 149. Selon Kannengiesser, Athanase sera le seul évêque alexandrin, peut-être le seul
au monde, à défendre ouvertement Origène dans ses écrits après le concile de Nicée (C. KANNENGIESSER, Le
Verbe de Dieu ... , p. 31).
32 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 4-5; C. KANNENGIESSER, « Athanasius », p. 47.
33 J. lIÉBAERT, Les Pères de l'Église, p. 167-168. Anatolios conclut que la vision théologique d'Athanase
s'inspire largement de celle d'Irénée (K. ANATOLlOS, Athanasius. The Coherence of his Thought, London,
Routledge, 2005, p 6-7, 19-25). Voir aussi idem, «The Influence of Irenaeus on Athanasius», Studia
Patristica, XXXVI (1999), p. 463-476.
34 E. P. MEIJERING, Orlhodox and Platonism in Athanasius. Synthesis or Antithesis, Leinden, E. J. Brill, 1968, p.
2. Ainsi Cavallera croyait que sans en être ignorant, il dédaignait l'usage de cette discipline (F. CAVALLERA,
Saint Athanase, p. 38). «Gregory proclaims that he studied non-Christian matters only enough to avoid
seeming either to be totally unacquainted with them or to have decide to des pise them out of sheer
ignorance» (T. D. BARNES, Athanasius and Constantius, p. 11).
35 Cité par E. P. MEIJERING, Orlhodox and Platonism ... , p. 2.
36 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 4.
37 Notamment des alexandrins Clément et Origène (N, KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 52).
38 R. P. C. HANSON, The Search for the Christian Doctrine of.God, p. 422.
39 J. D. ERNEST, The Bible in Athanasius ... , p. 363.
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 42
While many of the Christian leaders of the fourth century were weil trained
in the technologized classical rhetoric that was being taught in Antioch and
other leading centers , Athanasius, without being totally innocent of that art,
was not a master of it either, or of the pagan mythology that gave its
practitioners, pagan and Christian, much of their illustrative material. He
practiced rather the alternative popular rhetoric that used stories (especially
lives and gospels) to reach and move the masses. 42
40 « Naturally, the structure and method or argument of this work correspond in certain way with Aristotle's
analysis, but that does not suffice to show that Athanasius consciously employed rhetorical methods » (T. D.
BARNES, Athanasius and Constantius, p. 11). Selon Barnes, le contraste avec des écrivains comme Tertullien
ou Basile de Césarée et Grégoire de Naziance se veut décisif en la matière. De plus, la comparaison avec
des écrivains égyptiens tels Sérapion de Thmuis ou Pierre, successeur d'Athanase, mettrait en lumière l:In .
niveau de l'emploi de la rhétorique qui demeurerait absent chez Athanase, même dans ses œuvres les plus
élaborées (ibid.) Au contraire, Kannengiesser écrit qu'« il (Athanase) organise ses exposés selon les règles
de rhétorique enseignées dans les écoles» (C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu .... , p. 110).
41 G. S. STEAD, cité par K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 243-244.
42 JAMES D. ERNEST, The Bible in Athanasius ... , p. 362-363.
43 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu .. ., p. 25.
44 Ibid., p. 32. Cependant, comme le souligne Kannengiesser, Athanase devait approcher ce chiffre sinon
l'irrégularité de sa consécration aurait été par trop flagrante (ibid.)
45 Selon Kwok-Kit Ng, une telle intimidation eusébienne exercée contre la hiérarchie alexandrine est certaine.
Concernant les évêques mélétiens, ceux-ci auraient tenté de faire élire un des leurs à la mort d'Alexandre, ce
qui démontrerait que les efforts de réconciliation au sein de l'Église alexandrine n'avaient pas atteint
pleinement leur but (N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 295). Arnold mentionne, outre la
question arienne et mélétienne, le désir d'une plus grande liberté de la part de l'épiscopat libyen face au
siège métropolitain, le problème des communautés monastiques indisciplinées, d'autres groupes
schismatiques ainsi que l'attitude ambiguë des évêques tant d'Orient que d'Occident envers l'Église
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 43
temps sauvé afin d'éviter d'avoir à porter une telle charge. Ce compte-rendu, longtemps
considéré comme non valide et négligé par un grand nombre d'historiens contemporains
s'harmonise plus, selon Kwok-Kit Ng, avec l'arrière plan et la spiritualité de l'homme 46 . Une
fois en place, le nouveau pasteur, malgré les menaces mélitienne et arienne , semble
néanmoins avoir placé de grands efforts à guider spirituellement son troupeau , comme en
témoignent ses fameuses lettres festales 47 . Kannengiesser, en plus du ton nettement
pastoral, discerne dans celles-ci la sereine expression poétique de la pensée et des
émotions d'une âme contemplative 48 peu attirée par les controverses doctrinales dont sa
communauté avait été témoin 49 . De même, les conflits politiques avec ses ennemis
n'occupèrent apparemment qu'une place plutôt secondaire dans sa vie qu'il voulait
50
entièrement consacrée à l'exposition du mystère chrétien , considérant son ministère
comme une vocation suprême reçue de Dieu 51 .
alexandrine au moment où Athanase fut ordonné. « That he was a controversial figure, even in the early
years of his episcopate, cannot be denied. That many of the controversies were inherited must also be
accepted» (O . W.-H. HARNOLD, The Early Episcopal Career... , p. 178-179).
46 On a plutôt préféré la version d'Épiphane affirmant qu'Athanase avait été envoyé hors d'Alexandrie à ce
moment pour affaire ecclésiastique. Kwok-Kit Ng fait référence à une lettre qu'Athanase écrira à un moine
plongé dans une situation semblable. Les raisons que l'évêque donne à ce dernier pour accepter le siège qui
. lui est proposé seraient en fait celles-là mêmes qui l'auraient poussé lui-même poussé à accepter l'ordination
épiscopale. Deux raisons prédominent : il s'agit d'un appel divin, l'obéissance consistant en la plus
importante des vertus chrétiennes, et l'épiscopat est aussi essentiel pour les progrès spirituels du troupeau
comme pour la conversion des païens (N. KWOK-KIT NG, The Sp iritua lity of Athanasius, p. 296-297).
47 Celles-ci, appartenant déjà à la tradition alexandrine, avaient pour but d'annoncer la date de la fête de
Pâque et encourager les fidèles à s'y préparer adéquatement.
48 C. KANNENGIESSER, cité par N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 298.
49 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 25.
50 N. KWOK-KIT NG, The Spiritu ality of Athanasius, p. 309.
51 Ibid., p. 311. « Of course, in front of the seemingly unavoidable battle, he had put certain amount of attention
and effort on it. He had not only done it carefully, but also wisely. It is this side of Athanasius that modern
historians often emphasise » (ibid.)
52 Arius fera parvenir une confession de foi à l'empereur que celui-ci reconnaîtra comme orthodoxe.
53 Il fut accusé d'avoir ordonné à l'un de ses presbytres de briser le calice et de renverser l'autel d'un prêtre
mélétien, Ischyras, d'avoir intrigué en vue du meurtre de l'évêque Arsenius et enfin d'avoir facilité sa propre
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 44
tenu à Tyr en 335 et condamné par le pouvoir impérial au bannissement, le premier d'une
série de cinq. Athanase se rendit alors à Trèves, la capitale nordique des Gaules, où,
assigné à résidence par l'empereur, il séjourna pendant dix-huit mois. Sur les quarante-
cinq années que dura son épiscopat, l'hiérarque alexandrin allait en passer dix-sept en
exil. Véritable force de la nature, il fit preuve d'une ténacité peu commune, même
lorsqu'en 358-360, la foi nicéenne sembla en pleine débâcle, ses défenseurs ayant subi
l'exil ou encore ayant abandonné celle-ci l'un après l'autre 54 .
L'infatigable patriarche, traité par ses antagonistes « de " trublion" , d'obstiné, d'évêque
ambitieux, de hiérarque intolérant et despotique »55, sortit néanmoins vainqueur de la
crise, en imposant une forme d'orthodoxie qui prévaut encore seize siècles plus tard dans
les principales Église orientales et occidentales. Il mourrut en l'an 373, selon les termes de
Marrou, « chargé d'années et de gloire »56. S'il faut admettre que le défenseur indéfectible
du symbole de Nicée se vit pendant longtemps coiffé d'une auréole quelque peu gonflée,
voir mythique, il ne fut certes pas le seul à batailler en faveur de l'orthodoxie dont le
triomphe ne fut célébré que plusieurs décennies après la mort de l'évêque 5 ? , il reste
cependant que sa contribution au développement du dogme peut difficilement être
exagérée 58 .
élection au siège épiscopal d'Alexandrie en usant de corruption. Athanase se défendit devant l'empereur en
personne et put produire la preuve que l'accusation de meurtre était fausse (K. ANATOllOS, Athanasius, p. 12-
13). Les véritables raisons pour lesquelles l'empereur fit exiler l'evêque demeurent obscures . Arnold soulève
l'hypothèse que Constantin aurait agi ainsi principalement en vue de préserver l'unité de l'Église orientale
(raison donnée par Socrate et Sozomène) ou pour la protection d'Athanase contre ses ennemis (c'est
l'explication que ce dernier donnera plus tard dans son Apologie contre les ariens (voir D. W .-H. HARNOLD,
The Early Episcopal Career... , p. 170-172); « If the many accusations against Athanasius during the early
years of his episcopate cannot be dismissed out of hand, they must at least be considered unproved » (Ibid.,
p. 186). Pour Athanase, l'opposition et l'hostilité dont il subira les contrecoups pendant longtemps trouvaient
leur source dans sa position stricte à l'égard de la formule nicéenne (C . KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu .. .,
p.58) .
54 Même le vieil Osius de Cordoue se détachera du consubstantiel, bien que restant fidèle à la personne
d'Athanase. Le pape Libère cèdera aussi momentanément à la pression impériale. Jérôme se lamentera sur
le fait que « tout l'univers gémit et s'étonne de se voir arien» (P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... ,
« Introduction », p. 10). Pour une chronologie de la vie d'Athanase, voir annexe 2, p. 172.
55 H. VON CAMPENHAUSEN, Les pères grecs, p. 105.
56 H.-I. MARROU, L'Église de l'Antiquité tardive, p. 51.
57 « Athanase ne résume pas à lui seul tout le développement de la doctrine trinitaire jusqu'à saint Basile» (F.
CAVALLERA, Saint Athanase, p. 29).
58 R. LETHAM, The Holy Trinify, p. 127. C'est aussi la pensée du spécialiste orthodoxe John Behr pour qui « this
shadow si de to the legendary figure does not do much to reduce his significance for Christian history and
theology : Nicene Christianity exists by virtue of his constancy and vision» (J . BEHR, The Nicene Faith, p.
167). « ... s'il n'a pas toujours été celui que la légende, qui personnifie volontiers toute une époque dans un
homme, lui attribue, il n'en reste pas moins considérable. Saint Athanase domine, on peut le dire sans
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 45
Pour Liébaert, celui que Grégoire de Naziance appela « le pilier de l'Église », a mené
un double combat, soit celui de la préservation de la doctrine et celui de la sauvegarde de
conteste, toutes les personnalités de ce siècle fécond en hommes d'Église supérieurs» (F. CAVALLERA, Saint
Athanase, p. 2) .
59 « ... and it would be part of the achievement of his episcopate to transform this conglomeration of desert-
dwellers who were suspicious of authority and its pomp into a fairly cohesive group who were intensely loyal
to him and zealous for doctrinal orthodoxy » (K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 3) .
60 Par ses œuvres, notamment La vie d'Antoine, Athanase contribuera de façon significative au
développement d'une théologie de l'ascèse et de la vie monacale en popularisant cet idéal et l'exportant hors
des frontières de l'Égypte (VOIR J . BEHR, The Nicene Faith, p. 163-164). « Athanasius, a man of the common
touch, spontaneously took the lead in the most popular religious revival of his own time, the monastic
movement. Long before any other Christian hierarch, he acted in solidarity on mystical ground with solitaries
and communities, male and female, addressing to them most of his writings» (C. KANNENGIESSER,
« Athanasius », p. 49).
61 P. TH . CAMELOT, Contre les païens ..., « Introduction », p. 12. Camelot souligne aussi l'esprit compréhensif et
conciliant de l'évêque lors du synode de 362 qui rassembla les forces catholiques dispersées par la
persécution (ibid.) Quasten a écrit que, « malgré son hostilité à tout compromis avec l'erreur, et l'âpreté qu'il
lui opposait», l'homme « sut, ce qui est rare dans un pareil caractère, se montrer capable, même dans la
chaleur de la bataille, de tolérance et de modération à l'égard de ceux que la bonne foi avait entraînés », se
montrant compréhensif et patient envers nombre d'évêques orientaux qui avaient rejeté l'homoousios en
raison d'une mauvaise interprétation ou d'une mauvaise compréhension du terme (J. QUASTEN, Initiation aux
Pères ... , t. III, p. 46). « He had the not too common gift of seeing the proportions of things. A great crisis was
fully appreciate by him; he always saw at once where principles separated or united men, where the bond or
the divergence was merely accidentaI. With Arius and Arianism no compromise was to be thought of; but he
did not fail to distinguish men really at one with him on essentials, even where their conduct toward himself
had been indefensible. So long as the cause was advanced, personal questions were insignificant » (A.
ROBERTSON, Athanasius : Select Writings ... , p. Ixvii).
2. Athanase , évêque d'Alexandrie 46
62 J. LIÉBAERT, Les Pères de l'Église, p. 159. Bienert reconnaît aussi que l'évêque combat pour sauvegarder
l'indépendance de l'Église face au désir de l'État de contrôler cette dernière (W. A. BIENERT, «The
Significance of Athanasius of Alexandria for Nicene Orthodoxy », p. 183-184). « The survival of the church as
he perceived it lay at the heart of his struggle » (O. W.-H . HARNOLD, The Early Episcopal Career ... , p. 176-
177). « Ainsi l'idée de la "liberté" de l'Église fut-elle pour la première fois défendue par Athanase et ses amis
contre un prince chrétien» (H. VON CAMPENHAUSEN, Les Pères grecs, p. 107) et ce, bien que « l'Église liée à
l'État sera dorénavant pour lui une donnée absolue» (ibid., p. 98).
67 Ibid. Quasten, à l'instar de plusieurs autres, voit un défaut dans ces répétitions : «Athanase montre
cependant une certaine négligence dans la forme, et manque d'ordre dans la disposition de sa matière, ce
qui entraîne la prolixité et de fréquentes répétitions» (J. QUASTEN, Initiation aux Pères ... , t. III, p. 50. Le Père
Camelot considère cela au contraire comme une des forces de l'évêque (P. TH . CAMELOT, Contre les
païens ... , « Introduction », p. 44).
68 F. CAVALLERA, Saint Athanase, p. 36.
parlait, sans préparation, avec une véhémence et une clarté qui entraînait la
persuasion» 71 : « Il ne se présente pas comme un érudit de profession et laisse volontiers
aux autres le soin de pénétrer les secrets de la science; mais sa connaissance de
l'Écriture, son talent de controversiste et la profondeur de sa conviction lui ont acquis
l'admiration des siècles à venir. »72
70 Ibid. Photius a écrit: {( Quant au style, il est clair, comme partout dans ses ouvrages, et sobre et simple; il
est encore véhément, profond et très vigoureux dans ses démonstrations. Sa fécondité dans ce domaine est
telle qu'il étonne» (dans J. QUASTEN, Initiation aux Pères ... , t. III, p. 50).
71 E. GIBBON, Cité par A. MARTIN, Athanase d'Alexandrie et l'Église d'Égypte ... , p. 10.
72 J. QUASTEN, Initiation aux Pères .. . , t. III, p. 50. « Assurément cette simple et vigoureuse profession de foi
laisse place pour une construction plus élaborée, plus scientifique au sens propre du terme. Aussi bien, si
peu systématique que soit sa pensée, avons-nous déjà perçu chez Athanase cette réflexion de l'intelligence
chrétienne en travail sur l'objet de sa foi. Mais s'il leur arrive d'être organisée sur un plan différent, les
constructions théologiques ultérieures' sont les héritières légitimes et nécessaires de la foi des Pères. On ne
saurait imaginer que la pensée chrétienne n'a fait aucun progrès depuis le IVe siècle; mais l'historien et le
croyant ne peuvent que se réjouir de retrouver jusque dans les synthèses scolastiques l'héritage des
Athanase, des Grégoire ou des Augustin, et une fidélité indéfectible à l' " esprit des Pères"» (P. TH.
CAMELOT, Contre les païens ... , « Introduction », p. 104).
73 F. L. CROSS, cité par A. MARTIN, Athanase d'Alexandrie et l'Église d'Égypte ... , p. 10.
74 Cavallera considère sa valeur comme presque nulle à ce sujet (F. CAVALLERA, Saint Athanase, p. 34). « Ni
sa foi, ni sa piété ne trouvent à gagner, à scruter des profondeurs au-dessus de l'humaine intelligence. " veut
que l'esprit respecte le mystère et s'arrête où l'Écriture reste muette» (ibid., p. 36). Hanson pense qu'il fut
peut-être le seul de sa génération à ne pas succomber à la tentation séduisante mais dommageable de
spéculer sur la relation entre le Fils préexistant et le Logos des philosophes (R. P. G. HANSON , The Search
for the Christian Doctrine of God, p. 422) ,
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 48
divine unité, le Père, le Fils, l'Esprit Saint! S'il ne cherche pas à caractériser
leurs relations abstraites, il a appris de l'Écriture et il redit à plaisir les intimes
liens qui les unissent par la Paternité, la Filiation et le Don. Il étudie leur rôle et
montre leur amour pour l'homme dans la Création, l'Incarnation et la
Rédemption, dont la fin est la déification qui nous rend fils adoptifs du Père,
dans le Fils, par l'Esprit Saint. 75
75 Ibid., p. 34-35. « The importance of Athanasius' dogmatic theology does not lie in his originality, but in his
subordination of reason to faith. He was concerned with the exposition of a given tradition, no with
speculative metaphysics. » (R. W. THOMSON, Athanasius: Contre Gentes ... , p. xix).
76 C. KANNENGIESSER, « Athanasius of Alexandria and the Foundation ... », p. 110.
77 Pour les principales œuvres athanasiennes, voir annexe 2, p. 172.
78 R. BERNARD, L'image de Dieu d'après Saint Athanase [Théologie 25], Paris, Éditions Montaignes, 1952, p.
14. « " est resté fameux pour la constance inébranlable de son option doctrinale et politique en faveur du
dogme proclamé au concile de Nicée en 325. Mais ses écrits révèlent une continuité plus remarquable
encore au niveau de sa conviction croyante et dans sa manière d'exprimer celle-ci» (C . KANNENGIESSER, Le
Verbe de Dieu ... , p. 24) .
79 A. PETTERSEN, « A Reconsideration of the Date of the Contra Gentes - De Incarnation of Athanasius of
Alexandria », Studia Patristica, XVII (1982), p. 1037.
80 R. BERNARD, L'image de Dieu ... , p. 11-12.
81 « He was a man of one mould and one idea, and in this respect one-sided; yet in the best sense, as the
same is true of most great men who are borne along with a mighty and comprehensive thought, and
subordinate ail others to it. So Paul lived and laboured for Christ crucified, Gregory VII, for the Roman
hierarchy, Luther for the doctrine of justification by faith, Calvin for the idea of the sovereign grace of God. ft
was the passion and the life-work of Athanasius to vindicate the deity of Christ, which he rightly regarded as
the corner-stone of the edifice of the Christian faith, and without which he could conceive no redemption » (P.
SHAFF, History of the Christian Ch urch , vol. 3, p. 890).
82 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 25.
83 Ibid., p. 24. « ... Ia christologie de celui-ci demeurera toujours empreinte d'un mysticisme contemplatif, plus
qu'elle ne sera dictée par les polémiques du jour, qui pourtant ne manqueront pas» (ibid. p. 25-26)
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 49
84 J. D. ERNEST, The Bible in Athanasius .. . , p. 367. « ... the Bible permeates his writings because it permeates
(although of course not without admixture of his own circumstances and tendencies) his mind and heart
(ibid., p. ix) .
85 K. ANATOllOS, Athanasius,p. 4 .
86 H. M. GWATKIN, Studies of A rianism , p. 48.
87 J . lIÉBAERT, Les Pères de l'Église, p. 167-168. Sur l'utilisation des formules baptismales durant cette
période, voir R. WILLIAMS, « Baptism and the Arian Controversy », dans BARNES, M. R. et D. H. WILLIAMS, éd.,
Arianism after Arius, p. 149-180.
88 J . D. ERNEST, The Bible in Athanasius ... , p. 368-369.
89 « It is not his aim ordinarily to prove doctrine by Scripture, nor does he appeal ta the private judgement of
the individual Christian in order to determine what Scripture means; but he assumes that there is a tradition ,
substantive, independent and authoritative, such as to supply for us the true sense of Scripture in doctrinal
matters- a tradition carried on from generation to generation by practice of catechising, and by other
ministrations of Holy Church » (NEWMAN, cité dans A. LOUTH, « Reason and Revelation in Saint Athanasius »,
Scottish Journal of The%gy, 23, 4 [1970], p. 390-391).
90 A. LOUTH, « Reason and Revelation ... », p. 391 .« But this idea of the scope of faith applied to Scripture does
not mean the squeezing of Scripture into an alien framework provided by Tradition. Scripture and Tradition
are interwoven : each interpreted by the other. That this is so seen in that Athanasius often determines the
" scope of Scripture" by comparing Scripture with itself. Seeing the "scope of divine Scripture" is as much
seeing Scri pture as a whole, as seeing Scripture in accordance with apostolic tradition» (ibid., p. 392).
I~_ _ ~_ _ ~---- _ _ _ _ -
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 50
toutefois qu'Athanase accorde la priorité non à une regula fide; post-biblique mais à la
source même du salut, ad fontes, la Parole de Dieu 91 :
Non pas que ses convictions résultent d'une étude indépendante ou « scientifique )}
des textes sacrés 93 , ni qu'il adhère au principe protestant de la sola scriptura. Les livres
canoniques sont aussi les livres de la tradition et Athanase lui-même se considère comme
héritier d'une succession de docteurs 94 : « Neither Athanasius nor anyone el se involved in
the Arian controversy theorized regarding the inspiration and authority of Scripture or the
relation of Scripture to tradition. )}95 De fait, si ses adversaires se réclament de la tradition ,
Athanase le fait aussi 96 . Mais il s'appuie avant tout sur les textes bibliques qui, selon lui,
exposent formellement le statut incréé du Logos incarné, lui servant dès lors de
paradigmes pour sa compréhension du reste de l'Écriture97 :
91 J. D. ERNtST, The Bible in Athanasius ..., p. 369. ({ ... he acknowledged no other fons» (ibid.).
92 Ibid.,
93 « His exegesis cannot be called scientific because he did not consistently apply any elaborated method »
(Ibid.)
94 Ibid., p, 369-370. « But in his polemical setting he distinguished correct and incorrect ways of relating to
such a succession» (ibid.) Sur cette question voir G. D. DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original
Research and New Perspectives [Patristic Theological Librairy, 1], Rollinsford, Orthodox Reasearch Institute,
2005, p. 160-167.
95 Ibid., p. 370.
96 H. M. GWATKIN, Studies of Arianism, p. 48.
97 Selon Athanase, le skopos doit rester fermement en vue dans l'interprétation des textes les plus difficiles (R.
P. C. HANSON-, The Search for the Christian Doctrine of God, 436). « Interpretation cornes in when we set
about understanding ail the other statements of Scripture in line with the basic texts » (J. D. ERNEST, The
Bible in Athanasius ... , p. 371).
98 Ibid., p. 369. ({ The Council of Nicea appealed both to Scripture and to tradition, but whereas the appeals to
Scripture were definite and decisive (particular biblical texts were offered in proof of particular points) the
appeal to tradition were always vague» (Ibid., p. 370). Pour Gwatkin, il n'est pas exagéré de considérer la
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 51
théologie nicéenne comme s'appuyant sur l'Écriture, l'arianisme (le parti opposé comprenant un grand
nombre de traditionalistes) sur la tradition: « Justice is not always done to the ground of Scripture, on which
the fathers of Nicaea specially took their stand» (H. M. GWATKIN, Studies of Arianism, p. 47). Cela ne signifie
pour l'auteur que les deux réalités furent placées sur le terrain de l'Écriture contre celui de la tradition. Une
telle approche serait anachronique: « Athanasius never raises the question in this exact shape, for he never
contemplates the possibility (how could he?) of the whole church having worshiped a mere creature from the
first» (Ibid.) «And. no Council was accepted as valid in advance, and many Councils were actually
disavowed, in spite of their formai regularity [ ... ] those Councils which were actually recognized as
"Oecumenical", in the sense of their binding and infallible authority, were recognized, immediately or after a
delay, not because of their formai canonical competence, but because of their charismatic character : under
the guidance of the Holy Spirit they have witnessed to the Truth, in conformity with the Scripture as handed
down in Apostolic Tradition» (G. FLOROVSKY, « The Authority of the Ancient Councils ... », p. 179-180).
99 Athanase développe, selon Kannengiesser, son originalité chistologique à partir d'une nouvelle méthode
d'interprétation des Écritures, soit sa constante référence au texte sacré, ce qui est passé totalement
e
inaperçu chez les écrivains du XX siècle obsédés par l'aspect politique et dénominationnel chez l'évêque
(C. KANNENGIESSER, « Athanasius of Alexandria and the Foundation ... », p. 106-107). « But his essential and
too liUle recognized originality in Christology will always be that he developed his exposition on the basis of a
new interpretative technique geared to the needs of the controversy with the Arians and to the genius of his
epoch . Nobody doubts that in this regard he has even been somewhat influenced by the very exegesis of the
Arians» (ibid., p. 111). Toujours selon Kannengiesser, « the Athanasian notion of faith seems "institutional" ,
resting entirely on the historical revelation of God as communicate by the Gospel narratives» (C.
KANNENGIESSER, cité par N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 57).
100 J. QUASTEN, Initiation aux Pères ... , t. III, p. 23. « Par contre, la fidélité à l'ancien principe d'interprétation est
en partie responsable de spéculations vagues comme celle du monophysisme et du monothélisme» (ibid.)
101 Le mot oKorro5 signifie « but », « visée », « intention ». Dans le contexte présent il prend le sens de « ce
que la foi vise à inculquer» ou « l'enseignement fondamental ». Le skopos de l'Écriture concerne les deux
modes d'existence du Sauveur, soit avant et après son incarnation (voir A. Rousseau, Les Trois Discours
contre les ariens, p. 266, note 49).M. F. Wiles parle d'une « exégèse des deux natures» appelée à devenir
la méthode d'interprétation standard des textes christologique lors des grandes controverses du ve
siècle (M.
F. WllES, dans T. E. POlLARD, Johannine Ch ris to 10gy and the Early Church [Society for New Testament
Studies Momograph Series, 13], Cambridge, University Press, 1970, p. 238. Voir à ce sujet T. F. TORRANCE,
Divine Meaning. Studies in Patristic Hermeneutics, Edinburgh, T& T Clark, 1995, p. 235-244. .
102 « ln Athanasius' eyes Scripture is no longer the leUer which cast a veil over ail truth and ail wisdom which
are in principle conceivable; it carries the message of a single truth of its own' » (H. SIEBEN , cité dans R. P. C.
Hanson, The Search for the Christian Doctrine of God, p. 422).
2. Athanase , évêque d'Alexandrie 52
Athanase considère la clarté de l'Écriture, dans ses grandes lignes, de nature telle, que
seul un esprit pervers ou impie peut l'interpréter erronément : «Neither the perverse
reader nor the reverend reader reads in a detached manner. To open the book is to find
oneself fully engaged in its story. » 105 La compréhension du message révélé requiert ainsi
une intime communion avec Dieu et une vie sainte:
Mais outre l'étude des Écritures et la science véritable, il faut une vie bonne ,
une âme pure, et la vertu selon le Christ, pour que l'esprit, marchant dans ce
sens, puisse obtenir et saisir ce qu'il désire. Car sans une pensée pure et
l'imitation de la vie des saints, personne ne pourra comprendre les paroles des
saints [ ... ] ainsi celui qui veut comprendre la pensée de Dieu doit au préalable
purifier et laver son âme par sa manière de vivre, et se rendre près des saints
eux-mêmes par l'imitation de leurs actions, afin que, unis à eux par la conduite
de vie, il comprenne aussi ce que Dieu a révélé .. . 106
109
power of the Spirit.
108 « The absolute lordship of Christ is thus simultaneously an implicit epistemological principle for
Athanasius's theology and a foundational rule for Christian living, the two aspects mutually reinforcing one
another}) (K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 84; voir sur le sujet, ibid. p. 83-86).
109 A. J. PHILIPPOU, cité par A. LOUTH, « Reason and Revelation ... », p. 396.
110 « Associated with this process is the other remarkable development whereby the tirst universal synod of
Christendom came to be understood as the tirst, basic, Ecumenical Council. This process too cannot be
understood apart from the influence of Athanasius» (W. A. BIENERT, «The Significance of Athanasius of
Alexandria for Nicene Orthodoxy », p. 184).
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2. Athanase , évêque d'Alexandrie 54
111 J. LIÉBAERT, Les Pères de l'Église, p. 165. Concernant le combat de l'évêque contre les ariens,
Kannengiesser déclare: « How he did it reveal the true genius of his personal assimilation of the Bible» (C .
KANNENGIESSER, « Athanasius », p. 48.
112 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 109.
113 CH. HAURET, Comment I~ « défenseur de Nicée » .. ., p . 82.
114 H. VON CAMPENHAUSEN, Les pères grecs, p. 107.
115 P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... , « Introduction », p. 13.
116 J. D. ERNEST, The Bible in Athanasius ... , p . 369.
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118
athanasienne . Le symbole nicéen devint alors l'arme ultime pour combattre les
opposants ariens 119. À noter l'affirmation de Gwatkin à l'effet que malgré la vénération du
patriarche pour Nicée, ses écrits ne renferment cependant aucune trace d'une théorie
mécanique concernant l'infaillibilité concil iaire : « His. bellef is plainly independent; and if
'the great and holy synod' had decided the other way, he would undoubtedly have treated
it as a gang of blasphemers. »120
Selon Hauret, jamais l'homme ne fit sien le terme homoousios, le citant dans ses
apologies « moins par prédilection personnelle que par déférence pour le symbole
universel» 121, tout en demeurant, contrairement à ce que certains ont pensé, dans le
cadre de l'orthodoxie nicéenne 122. Le défenseur de Nicée n'insista pas sur le terme tant
que fut reconnue sa portée, la vérité ne se trouvant pas pour Athanase dans le mot lui-
même mais dans la réalité qu'il désigne 123 , ce qui le conduisit selon Cavallera à employer
« des synonymes imprécis, dangereux même et qui, chez d'autres écrivains, sont devenus
autant de signes caractéristiques de l'hétérodoxie» 124. Athanase se sentait moins
concerné par une exactitude terminologique que par une juste théologie 125.
125 N. KWOK-KIT NG, The Sp iritua lity of Athanasius, p. 63; J. B. WALKER, « Convenance épistémologique de
l' "Homoousion" ... », p. 257. «The significance of Athanasius' career was, however, much wider than the
triumph of the Nicene expression homoousios. In the field of theology Athanasius brought controversy away
from philosophic speculation to the problem of elucidating a faith already imparted to the church, where
principles rather than specific words were ali-important» (R. W. THOMSON, Athanasius: Contra Gentes ... , p.
xi). « He was more concerned for theological ideas than for words and formulas; even upon the shibboleth
homoousios he would not obstinately insist. provided only the great truth of the essential and, eternal
Godhead of Christ were not sacrificed (P. SHAFF, History of the Christian Church, vol. III, p. 891).
126 J. B. WALKER, « Convenance épistémologique de l' "Homoousion" ... », p. 257.
127 H. M. GWATKIN, Studies of Arianism, p. 48. O. H. WILLIAMS écrit que, même lorsque devenu la norme de la
foi orthodoxe, le credo de Nicée ne remplace jamais les symboles locaux et les formules doctrinales propres
aux églises individuelles, ceux-ci continuent au Iveet ve siècles d'opérer tant au niveau catéchétique que
liturgique Gomme standards autorisés de la foi des églises. Là où sont connus de tels symboles, Nicée (et
Constantinople) agit en tant que norme herméneutique pour définir tant l'orthodoxie que l'erreur doctrinales,
mais sans usurper le langage traditionnel utilisé dans ces milieux ecclésiaux tant pour l'adoration que pour
baptiser leurs membres (O. H. WILLIAMS, « Constantine, Nicaea and the "Fall" of the Church », p. 125). Sur
l'importance grandissante des credo baptismaux à cette époque, voir aussi L. AYRES, Nicaea and its Legacy,
p.85-86).
128J. B. WALKER, « Convenance épistémologique de l' "Homoousion" .. . ' », p. 257; Lettre aux évêques africains
5-6. Comme l'a écrit Liébaert, les Écritures et la tradition ayant été reconnues formellement comme le
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 57
salvifique dans le monde ». Letham affirme qu'« Athanasius relates his view of God closely
to salvation »129. En effet, les arguments visant à"établir l'unité ontologique du Fils avec le
Père demeurent indissociables chez l'alexandrin d'une vision sotériologique particulière
laquelle repose sur une conception non moins spécifique de la relation existant entre Dieu
et sa création . Or, ce rapport Dieu/création, fondamental pour le système théologique
athanasien, s'exprime avant tout sous l'angle christologique 130 :
His conception of the relation between God and creation may thus be
considered as the architectonie center of Athanasius's theological vision; his
account of this relation provides the overarching framework in which his
various doctrines acquire their distinctive resonance. Yet it must be remember
that this central focus on the relation between Gad and creation is at the same
time always a Christological focus. Precisely because Athanasius was deeply
immersed in debate on whether the Son is a creature, the issue of the relative
status of God and creation was always directly a Christological issue for him.
His account of the relation between God and creation is thus ultimately a
Christology conceived in the most universal terms. 131
fondement de la foi suite à la lutte menée contre le gnosticisme, le marcionisme ainsi que le montanisme, les
nouvelles hérésies ne mettront guère plus en doute l'autorité des Écritures (J. lIÉBART, L'Incarnation, p. 74).
129 R. LETHAM, The Holy Trinity, p. 128
130 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 39.
131 Ibid., p. 39-40. «Writing under pressure of the Arian challenge, Athanasius saw his primary task as
securing the divine status of the Son as the basis of salvation » (P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God
trom Origen to Athanasius, Oxford, Clarendon Press, 1994, p. 250).
132 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 23 et 37. Non pas, insiste Kannengiesser, qu'il fut l'inventeur
d'une nouvelle christologie (id., « Athanasius of Alexandria and the Foundation ... », p. 105). Mais,« ... as an
th
intellectual leader engaged in pastoral ministry, the 4 century " pope" of Alexandria showed a theological
capacity to reformulate the Christian message according to the needs of the church in his time, authoritatively
interpreting Nicene orthodoxy for both east and west» (id., « Athanasius », p. 49). "
133 Le Contra Gentes veut démontrer la rationalité de la foi chrétienne mise au défi par les païens, expliquant la
base épistémologique de cette foi (N. Kwok-kit Ng, The Spirituality of Athanasius, p. 303). Thomson,
traducteur anglais du double traité, y voit deux parties d'une simple composition (R. W. THOMSON,
Athanasius, Contra Gentes ... , p. v]. Mais Kannengiesser croit qu'il demeure impossible de savoir si les deux
traités circulèrent ainsi jumelés dès le début de leur composition, ni lequel des deux fut rédigé en premier.
« On échappe difficilement à l'impression que la synthèse doctrinale du second traité imposa une reprise en
profondeur du premier. De même, on perçoit sans peine que cette synthèse sur un Logos de Dieu, sauveur
des hommes parce qu'il est d'abord leur créateur, appelait comme un préalable nécessaire, une réfutation
systématique de l'idolâtrie et une récupération théologique du Logos divin, conçu, depuis Platon, par les
- -- - - - - --
2. Athanase , évêque d'Alexandrie 58
théologique athanasienne 134. 8ehr souligne qu'on peut difficilement surévaluer son
importance en raison de son impact massif sur la théologie postérieure 135.
anciens philosophes grecs et célébré, du temps même d'Athanase, par les maîtres d'un platonisme toujours
populaire» (C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu .. . , p. 33).
134 Ibid., p. 32. Behr considère les deux textes comme la meilleure introduction à cette théologie (J. BEHR, The
Nicene Faith, p. 168). « ... Ia doctrine de ce tràité, en particulier concernant l'incarnation du Verbe , est en
parfaite continuité avec l'enseignement de saint Athanase en ses autres œuvres; on y trouve déjà , très
largement esquissés, les grands thèmes de sa théologie» (P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... ,
« Introduction », p. 15 ); Weinandy abonde aussi dans ce sens (T. G. WEINANDY, Athanasius, p. 60).
135 J. BEHR, The Nicene Faith, p; 168. « .. . it was quoted as an authoritative text, if no during the author's
lifetime, at least very shortly after his death, and had a powerful influence on the development of later
Christian theology » (G. C. STEAD, «Athanasius' De Incarnatione : An Edition Reviewed », The Journal of
e
Theological Studies, 31, 2 partie [1980], p. 378).
136« Tout cela s'adresse à ceux du dehors» (Sur l'Incarnation du Verbe 25, 1). Le traité Sur l'incarnation du
Verbe met en lumière une connaissance de la tradition théologique alexandrine du Ille siècle, et on y a vu
des affinités avec les œuvres d'Eusèbe de Césarée, étant clair qu'il connaissait bien les écrits de son
prédécesseur Alexandre (J. QUASTEN, Initiation aux Pères ..., t. III, p. 53). Barnes considérait le traité comme
appartenant à un style apologétique démodé à l'époque de sa rédaction (T. D. BARNES, Athanasius and
Constantius, p. 12). Selon Kannengiesser, Sur l'incarnation du Verbe manifeste une profonde connaissance
des maîtres de la tradition alexandrine du Ille siècle (C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 38) .
137 Athanase s'adresse dans son traité à un personnage ayant déjà embrassé le christianisme : « Eh Bien!
Poursuivons, très cher et authentique ami du Christ» (Sur l'Incarnation du Verbe 1. 1). Barnes croit que
l'œuvre fut rédigée principalement pour les chrétiens (T. D. BARNES, Athanasius and Constantius, p. 12; voir
A. Pettersen, « A Reconsideration of the Date of the Contra Gentes - De Incarnatione ... », Studia Patristica,
XVII, 3e partie [1982], p. 1037. Behr y voit presque une œuvre catéchétique (J . BEHR, The Nicene Faith, p.
168).
138 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 37.
139Ibid., p. 36-37. Pour cette âme de pasteur, une telle connaissance n'est pas réservée, comme le pensait
Origène, à une élite dans l'Église, les « parfaits ».
140 R. LETHAM, The Holy Trin ity , p. 128.
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 59
faveur, ce que nous te proposons, ami du Christ. » 141 John Behr exprime ce fait de la
manière suivante:
And, indeed, the work is not a treatise .on disputed points of abstract
theology, but presents, in simple yet elegant prose, a clear exposition of
Athanasius' theological vision, one which is based on key intuitions that he had
learnt from Alexander and that had been upheld at Nicaea, and which
continued thereafter to drive his struggle to give fuller expression to Nicene
theology. In a comprehensive and compelling manner, Athanasius expounds
the central mystery of Christian theology, the Incarnation, but in a manner that
embrace ail aspects of God's work, from creation to recreation. Here, if
anywhere, is the "real" Nicene theology, using Newman's terms as borrowed
by Vaggione, "not doctrine per se, but doctrine imagined," that which was
capable on inspiring faith in real men and woman, given flesh, as it were, to
words of doctrine. 142
141 Sur l'incarnation du Verbe 56. 1. «Athanase a discerné du premier coup, comme par instinct, ce qui pour
les Pères fait "le fond de la religion" : le mystère de ,'Incarnation. Plus qu'une réfutation du polythéisme ou
de l'idolâtrie ou une démonstration de l'existence de Dieu, il s'agit d' "une profession de foi, sans cesse
reprise, au Verbe, et au Verbe incarné: 'Le Verbe de Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne
Dieu' " » (P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... , « Introduction », p. 103). (N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of
Athanasius, p. 82).
142 J. BEHR, The Nicene Faith, p. 168.
143 H. M. GWATKIN, StuçJies of Arianism, p. 28. Gwatkin datait aussi l'œuvre antérieurement à la controverse. Il
ajoute cependant que « we can already see in it the firm grasp of fundamental principles which enabled him
so thoroughly to master the controversy when it came before him »(ibid.) Ainsi Quasten la situait en 318 (J.
QUASTEN, Initiation aux Pères .... t. III, p. 53). Camelot considérait très vraisemblable sa composition, avec
celle du Contra Gentes, comme datant d'avant 323 (P. TH. CAMELOT, Contre les païens ...• « Introduction ».p.
16). Cette œuvre n'en demeure pas moins selon lui « parfaitement cohérente à l'ensemble de la théologie
athanasienne» (ibid., p. 7). C'est aussi la pensée de Thomson (R. THOMSON, Athanasius: Contra Gentes ... ,
p. xix) . « .. . Selon Behr. lequel s'accorde avec Anatolios, la date de 318. Athanase étant né vers 298, en
ferait un ouvrage écrit à un âge exceptionnellement jeune (J . BEHR, The Nicene Faith. p. 169). Voir aussi les
arguments de Meijering concernant la datation du traité avant l'appariton de la crise arienne (E. P. MEIJERING.
Athanasius: Contra Gentes [Philosophia Patrum. Interpretation of Patristic Texts, 7], introduction, traduction
et commentaires, Leiden, E. J. Brill, 1984, p. 1-5). Il convient de souligner la thèse de Norberg pour qui
l'ouvrage aurait été rédigé aux environs de 362-363 à l'époque du règne de Julien l'Apostat (H. NORDBERG,
« A Reconsideration of the Date of St. Athanasius' Contra Gentes and De Incarnatione ». Studia Patristica, III
[1961], p. 262-266).
144 Leroux croyait qu'Athanase avait écrit le double traité alors qu'il était encore diacre. et ce. pour occuper ses
loisirs: « Ce premier ouvrage trahit la jeunesse de l'auteur et ne présente pas beaucoup d'idées originales»,
mais il ajoute: « il offre pourtant un certain intérêt, car Athanase y plante les bases de ce qui sera la ligne de
conduite de toute sa vie» (J.-M. LEROUX, Athanase d'Alexandrie, p. 17). Pollard le considère comme anté-
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 60
l'évêque Uusqu'en 335) ne mentionnent pas non plus le problème arien 145 . Pettersen
souligne que le genre littéraire du traité, lequel consiste en un écrit catéchétique et non en
un ouvrage polémique, peut expliquer raisonnablement cette absence 146. Ces dernières
années, les spécialistes tendent à dater l'œuvre du début de la carrière épiscopale
d'Athanase. Ainsi, pour Ernest :
The authorial stance adopted from the beginning of the first treatise is that
of the young bishop rather than that of a younger deacon, and language
deploring those who would divide Christ makes most sense as alluding to the
Melitians, who were formally in schism only after 328, when they believed
Athanasius had been consecrated as bishop illegitimately in a kind of coup
meant to keep them out power. 147
Kannengiesser considère qu'à cette époque le jeune évêque, tout occupé à l'édification
de son Église, ne possédait que peu d'intérêt pour la controverse arienne datant de la
génération précédente et condamnée par les autorités de l'Église et de l'Empire 148. Tant le
contenu de son double traité que celui de ses lettres festales révèleraient, selon Kwok-Kit
Ng, une aversion à prendre du temps pour répondre aux arguments et aux attaques de
ses ennemis : «At this early stage, he appears ta be more attracted by religious
achievements of the church than by the political struggle with the Arians or the
Melitians. »149 Ernest croit discerner une visée prophylactique anti-arienne dans l'utilisation
que fait Athanase des Écritures dans sa double apologie 150 . Sesboüé et Kannengiesser
datent la publication du Sur l'incarnation du Verbe aux alentours de 335, soit à l'époque du
nlceen (T. E. POLLARD, Johannine Christ%gy ..., p.132). Mais, pour Kannengiesser, lequel apprecle
différemment l'œuvre, « comment aurait-il dans ce cas rédigé son double traité apologétique avant le
scandale intellectuel causé par Arius dans la chrétienté alexandrine, à moins de passer pour un Mozart de la
patristique, ce qui serait une autre façon de lui faire trop d'honneur?» (C. Kannengiesser, Le Verbe de
Dieu ... , p. 32
145 Ibid., p. 33. Camelot, bien que datant l'œuvre plus tôt, reconnaît néanmoins ce fait, citant à propos Loofs
(P. TH. CAMELOT, Contre les païens.", « Introduction », p. 15).
146 A. PETTERSEN, « A Reconsideration of the Date ... », p. 1038). Concernant toujours l'argument du silence,
Pettersen ajoute aussi que si l'œuvre datait des environs de 318, en suivant le même raisonnement, on
s'attendrait à ce qu'Athanase mentionne le nom d'Arius qui faisait alors l'actualité au sein de l'Église
alexandrine (ibid.. p. 1039).
147 J . D. ERNEST. The Bible in Athanasius .... p. 45. Selon Barnes, ce double traité fut rédigé tôt dans sa
carrière en vue s'obtenir des lettres de créance en tant que théologien possédant une certaine connaissance
de la pensée philosophique grecque (T. D. BARNES, Athanasius and Constantius, p. 12).
148 C. KANNENGIESSER. Le Verbe de Dieu ... , p. 38.
149 N. KWOK-KIT NG. The Spirituality of Athanasius, p. 303.
150 J. D. ERNEST. The Bib/e in Athanasius .... p. 44.
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 61
premier exil de primat 151 . E. Schwartz situe la rédaction du traité vers 336 152 . En faveur de
cette datation viendrait s'ajouter l'argument de la réserve qu'imposaient alors les tensions
existantes avec le pouvoir impérial. Anatolios et Ernest suggèrent cependant que le ton
triomphaliste du traité ne s'harmonise guère avec la condamnation dont Athanase fut
l'objet au concile de Tyr et avec le bannissement qui s'ensuivit. Ils situent de ce fait sa
rédaction, avec Pettersen, entre 328 et 335 153 .
Conclusion
Personnage des plus controversés, Athanase n'en réussit pas moins à faire triompher
le parti pro-nicéen. L'évêque appartient à la deuxième génération de l'ère nicéenne,
évoluant au sein d'une nouvelle réalité sociale et ecclésiale en raison notamment de
l'avènement d'un empereur chrétien et des nouveaux liens tissés entre l'État et l'Église. Il
151 B. SESBOÜÉ, Dieu peut-il avoir un Fils?, p. 25; C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 32'.
152 J. QUASTEN, Initiation aux Pères ... , t. III, p. 53.
153 K. ANATOllOS, Athanasius, p. 12; J. D. ERNEST, The Bible in Athanasius ..., p. 44-45. Abordant la question
sous l'angle géographique plutôt que chronologique (les lieux mentionnés dans le double traité), Slusser
considère comme évid.ent qu'Athanase écrivit l'ouvrage avant 335. Combinant les arguments de
Kannengiesser et de Pettersen, il voit dans l'ouvrage athanasien une catéchèse anti-arienne datant du début
des années 330 (M. SLUSSER, «Athanasius, Contra Gentes and De Incamatione : Place and Date of
Composition », The Journal of Theological Studies, 37 [1986], p. 115-117).
154 C. KANNENGIESSER, Le verbe de Dieu ... , p. 31.
155 C. KANNENGIESSER, «Athanasius», p. 48. «His earliest writings are in fact the key to his life and his
dogmatic argumentation» (F. M. YOUNG, « Athanasius », dans From Nicaea to Cha/ce do. A Guide to the
Literature and ifs Background, Philadelphie, Fortress Press, 1983, p. 68).
2. Athanase, évêque d'Alexandrie 62
se démarque aussi des Pères grecs qui l'ont précédé par le caractère « ecclésiastique»
de sa formation théologique. En effet, après avoir probablement fréquenté les moines
d'Égypte, ce qui expliquerait son fort penchant pour l'ascèse., il ne fréquenta pas les
grandes écoles d'Alexandrie, mais reçut son instruction directement de son eveque
Alexandre, origéniste modéré et artisan de la première heure de la foi de Nicée. Ayant
succédé à son père spirituel à la tête de la plus importante communauté chrétienne
d'Orient, le jeune primat allait continuer avec une rare énergie le combat entrepris contre
l'arianisme par son prédécesseur quelques années auparavant. Nourri de la riche tradition
ecclésiale alexandrine, Athanase reprit ainsi et développa les intuitions théologiques les
plus centrales de son évêque en les épurant de tout reliquat de subordinatianisme .
Sur l'incarnation du Verbe constitue l'ouvrage par excellence pour étudier la doctrine
athanasienne du Logos et du salut de l'homme. Probablement rédigée entre 328 et 335,
cette apologie/catéchèse profondément nicéenne et , représentative du style peu
systématique, mais clair, cohérent, sobre et ferme de l'auteur, constitue une synthèse
doctrinale de la foi chrétienne avec, pour centre, l'acte sotériologique de l'incarnation du
Verbe Dieu. Cette parfaite divinité du Logos consubstantiel au Père, sans laquelle pour
Athanase il n'existe aucune possibilité de salut pour l'humanité, fera l'objet de l'étude du
prochain chapitre.
3. LE VERBE DIVIN
1ntrod uction
Dans le Sur l'incarnation du Verbe, Athanase cherche à persuader son lecteur que le
Logos fait homme et qui a été crucifié n'est nul autre que Dieu 1. Dès le début, l'auteur
rappelle avoir déjà signalé dans son ouvrage précédent, Contre les païens, « quelques
points au sujet de la divinité du Verbe du Père, de sa providence et de sa puissance
universelles »2. Il énonce alors presque aussitôt le sujet de l'exposé qui va suivre:
Eh bien! Poursuivons, très cher et authentique ami du Christ, et, selon la foi
de notre religion, décrivons en détail l'incarnation du Verbe, exposons sa
divine manifestation en notre faveur, celle que les Juifs calomnient et dont les
Grecs se moquent, mais que nous adorons; ainsi tu posséderas davantage
encore, à cause de l'apparente bassesse du Verbe, une piété plus grande et
plus riche à son égard. 3
1 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 74. « Then the purpose of the De Incamatione Verbi is described : it is meant as
a defense of the incarnation of the Word and the divinity of the Word against the Jews and the Greeks » (E.
P. MEIJERING, Orthodoxy and Plafonism ... , p. 41). Kannengiesser discerne une manœuvre anti-arienne dans
l'accent mis sur la divinité du Logos dans l'ensemble du traité. On ne retrouve pas un tel phénomène chez
Origène pour qui la remise en question de la divinité du Fils était tout simplement impensable (C.
KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 101). Anatolios, tout comme Bienert, voit dans le Surl'incamation du
Verbe un ouvrage destiné à corriger l'approche fortement subordinatianiste d'Eusèbe de Césarée (cf., K.
ANATOllOS, « The Influence of Irenaeus on Athanasius », Studia Patristica, XXXVI [2001], p. 463-464).
2 Sur l'incarnation du Verbe 1. 1.
3 Ibid. Athanase qualifie aussi la seconde épiphanie du Christ comme de « glorieuse et vraiment divine» (ibid.,
56 . 3).
4 Camelot traduit l'expression par « l'apparente humiliation du Verbe» (P. TH. CAMELOT, Contre les païens .. .,
p. 207). Kannengiesser juge cette expression anti-arienne. La « bassesse» du Logos constitue en effet un
thème théologique arien majeur (C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 101).
3. Le Verbe divin 64
En effet, plus elle est moquée (l'apparente bassesse) par les infidèles, et
mieux elle témoigne de sa divinité. Car ce que les hommes ne comprennent
pas, parce que soi-disant impossible, lui, le montre possible; ce dont les
hommes se moquent comme d'une chose malséante, lui, prouve que cela
convient à sa bonté; la simple réalité humaine que les hommes ridiculisent au
nom de leur sagesse, lui, montre par sa puissance qu'elle est divine. Il détruit
l'illusion des idoles par sa prétendue bassesse, grâce à la croix. Il convertit en
secret les moqueurs et les infidèles, si bien qu'ils reconnaissent sa divinité et
sa puissance. 5
Athanase s'inspire grandement d'Origène sur cette question. On retrouve en effet dans
son traité la titulature christologique complète telle qu'énumérée par l'érudit alexandrin
dans son premier tome du Sur les principes : « Sagesse», « Fils» , « Logos »,
{( Puissance », « Image» 10. En fait, Athanase aurait puisé dans cet ouvrage sa conception
même de l'incarnation divine 11. Comme l'a écrit Kannengiesser, « le Dieu d'Athanase sera ,
en grande partie, celui de la théologie origénienne }) 12 . À l'instar du docteur du troisième
siècle, et suivant une tradition pouvant remonter à Clément d'Alexandrie, Athanase
privilégie dans son apologie le titre de Logos pour désigner le Fils de Dieu. Il mentionne
effectivement celui-ci 142 fo is dans son traité, les deux autres appellations les plus
fréquemment employées, « Christ» et « Sauveur», s'y retrouvant respectivement 82 et 64
fois 13 .
Athanase jumelle le terme « Logos» (Aoyos) à d'autres noms divins ainsi qu'à de
nombreuses épithètes 14. Parmi ces multiples combinaisons, il manifeste une prédilection
toute particulière pour l'association des titres «Dieu» et «Verbe», «le Dieu Verbe»
(8eos AoyoS)15. Par l'expression « le Verbe incorporel (àaoJ-lOTos), incorruptible
(a<p8opTo5) et immatériel (aUÀo5)) 16, il associe au Fils, de façon inusitée dans les
traditions chrétienne et platonicienne, trois attributs dans le but manifeste de souligner
encore une fois la déité du Logos incarné 17. Quant à la formule « le Ve'rbe véritable de
Dieu» (6 àÀfJ8tvàs TOÛ 8EOÛ 8Eàs !\oyoS)18, celle-ci pourrait, selon Kannengiesser, se
traduire par « Dieu de Dieu Verbe vrai» pour rendre plus explicite sa proximité du
symbole nicéen : « Dieu de Dieu, vrai Dieu du vrai Dieu» 19. À noter aussi l'expression
AÙTOÀOyOS que l'auteur emploie une seule fois vers la fin de son traité 20 .
Athanase n'éprouve aucun besoin de justifier par l'Écriture son usage massif du titre de
« !\oyoS» dans son traité. Celui-ci s'imposait plus que tout autre dans le m,ilieu
théologique alexandrin . De plus, en raison de son caractère philosophique, ce terme
permettait certainement à l'apologiste de jeter un pont entre chrétiens et non-chrétiens 21 .
Néanmoins, Kannengiesser émet l'hypothèse que le choix de ce nom pourrait aussi
éclairer la conception athanasienne de l'incarnation 22 . En effet, toujours dans son premier
tome du Sur les principes, Origène souligne que les divers titres christologiques
scripturaires (Èrrlvotut) établissant la divinité du Fils se complètent et s'appellent les uns
les autres de façon cohérente. Par exemple, en tant que source de tout principe et
fondement absolu de tout ce qui existe hors de Dieu, le Fils se voit appeler Sagesse
divine; en tant que Verbe, le même Fils agit comme interprète des mystères divins et se
23
révèle à sa création . Toujours selon Kannengiesser, Athanase bénéficie de cette
« invention systématique» sans précédent à cette époque, prenant garde aux divers titres
17 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 103. On ne retrouve aucune mention de cette incorporalité du
Verbe dans le reste du corpus athanasien. Eusèbe de Césarée semble le seul auteur à avoir appliqué cette
épithète au Logos avant qu'Athanase n'en fasse un point caractéristique de son Sur l'incarnation du Verbe
(id. , Sur l'incarnation du Verbe, p. 288-289, note 2). En ce qui concerne l'incorruptibilité de Dieu, peu attestée
elle aussi chez les auteurs classiques, elle est mentionnée par Justin, Clément d'Alexandrie et Origène. Il
faut néanmoins attendre ce passage du De Incarnatione pour voir nommé le Dieu incorruptible en la
personne du Verbe, à moins d'en discerner une mention également chez Clément. Athanase insiste
beaucoup sur l'incorruptibilité du Logos dans son traité (en vue de souligner notammeht celle de son corps).
Cependant, là aussi, plus rien de semblable ne paraîtra dans ses œuvres postérieures (ibid.)
18 Sur l'incarnation du Verbe 46. 1.
19 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 107. Camelot traduit l'expression par « vrai Dieu Verbe de
Dieu ».
20 Sur l'incarnation du Verbe 54.3. Kannengiesser traduit l'expression par « le Verbe même» de Dieu (ibid.)
21 C. KANNENGIESSER, ibid., « Introduction », p. 87
22 Id. , Le Verbe de Dieu ... , p. 87.
23 Voir ibid., p. 87-89. « Ils (les titres divins attribués au Fils) se complètent et s'appellent les uns les autres ; ils
s'enchaînent selon une cohérence qui restitue, sous des angles variés, la vision une de l'unique Fils de
Dieu »' (ibid., p. 88).
3. Le Verbe divin 67
24 Ibid., p. 89. Sur la question du concept des epinoiai chez Origène, voir A . GRILLMEIER, Le Christ dans la
tradition chrétienne, t. 1. De l'âge apostolique à Chalcédoine (451) [« Cogitatio Fidei », 72], Paris, Cerf, 1973,
p. 193-195.
25 Par exemple, Dieu est appelé « la source de la vie» dans Psaumes 36. 10 et Jésus se nomme lui-même
« la Vie» dans l'Évangile johannique (voir K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 78) . Hanson souligne que les mots
favoris d'Athanase pour exprimer cette relation sont tous tirés de l'Écriture: « image» (II Corinthiens 4. 4;
Colossiens 1. 15); « rayonnement» ou « reflet» et « empreinte» (Hébreux 1. 3); «vérité» (Jean 1. 14; 14.
6); etc. (R . P. C. HANSON, The Search for the Christian Doctrine of God, p. 426-427) .
26 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 77-80. «Ali these relations are non-reversible, even images indicate intrinsic
correlationality as weil as distinction : the outpouring is not the same as the fountain [ .. . ] but the fountain is
not a fountain apart from the outpouring » (ibid., p. 79-80).
27 « Logos », The Oxford Oictionary of the Christian Church, Oxford, Oxford University Press, 1985, p. 833.
28 Le contact établi entre la culture grecque et la communauté chrétienne influença l'idée du Verbe dans
l'Église. Le Logos des apologistes consiste ainsi en «une mosaïque» de conceptions chrétiennes et
grecques, surtout stoïciennes. Clément et Origène, dans leur désir d'édifier une véritable philosophie
chrétienne, confrontent le christianisme, et la notion du Logos divin, avec la philosophie grecque. Origène,
faisant allusion au texte biblique de l'Exode, parlait des dépouilles ravies par les Hébreux aux païens en vue
de les consacrer au culte de Yahvé: « Dans la doctrine du Verbe que les premiers Alexandrins élaborèrent
et qui ne prend une forme vraiment systématique qu'avec Origène, la provenance de ces dépouilles est
particulièrement délicate à préciser. Un éclectisme très large a présidé à leur choix, guidé d'ailleurs ou au
moins favorisé par ces compilations des différentes philosophies qui avaient cours à leur époque et où ils
puisèrent très probablement une connaissance assez mêlée de leurs doctrines» (L. SOUYER, L'Incarnation et
l'Église-Corps du Christ ... , p. 54-55). Selon Souyer, si l'idée d'un Verbe ou Logos divin précède l'avènement
du christianisme, « il n'est rien de plus protéiforme que ce Logos, tour à tour stoïcien, néo-platonicien,
philonien ou gnostique», celui de l'Évangile johannique se démarquant de ces nombreux courants (ibid., p.
52) : « Mais ce qui se déploie à travers l'Évangile johannique après avoir été placé sous cette enseigne n'a
rien de commun de commun avec quoi que ce soit qu'aucune philosophie grecque ait jamais défini sur le
Verbe. Le fait que le Logos de Jean est à la fois divin, dans un sens assurément très strict, très judaïque, et
en même temps incarné le met en contradiction et avec l'émanatisme gnostique, et avec la via media
philonienne, et avec l'idéalisme platonicien, tous aussi bien qu'avec l'immanentisme stoïcien . Ses
présupposés sont Juifs et non grecs; c'est dans la Sagesse des Proverbes et dans la Parole créatrice de la
Genèse qu'il faut presque exclusivement les chercher» (ibid., p. 53).
29 Irénée fut « le premier théologien de l'Eglise chrétienne à être délibérément bibliste » (G. T. ARMSTRONG, cité
par A. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne , p 143) ainsi qu'un interprète du credo traditionnel
(A. GRILLMEIER, ibid.) Souyer ne croit pas , contrairement à d'autres , que l'Évêque d'Alexandrie fut, du moins
directement, influencé par Irénée: « la similitude n'est pas niable mais la dépendance n'est aucunement
prouvée» (L. BOUYER, L'Incarnation etl'Église-Corps du Christ ... , p. 54) .
3. Le Verbe divin 68
dans le cadre d'une théologie au sens strict du Logos , sans rapport nécessaire à sa venue
en chair dans ce monde, mais en fonction même de l'acte d'incarnation et du salut des
hommes qui en résulte 30 . Le célèbre primat alexandrin s'oppose en effet à l'élaboration
d'un discours doctrinal sur le Père et le Fils isolé de l'événement historique et
sotériologique du mystère de l'incarnation. Cette approche christocentrique constitue une
caractéristique et une constante de la théologie athanasienne . Ce phénomène représente
selon Kannengiesser,
30 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ..., p. 105-106. « Athanase a fait par rapport à Origène ce que Marx a
fait par rapport à Hegel; il a ramené la spéculation géniale au ras des humbles réalités vécues. En effet,
Origène était capable de contempler Dieu en soi et son mystère trinitaire hors de toute considération de la
réalité de nncarnation divine. Il n'ignorait certes pas cette dernière, mais elle n'imposait pas à sa pensée une
médiation nécessaire pour énoncer Dieu» (ibid., p. 89) .
31 Id., «Athanasius of Alexandria and the Foundation ... », p.112. « He was the tirst Christian writer to publish
a treatise " On the Incarnation of the Word". Likewise in his singular way, which happens to be more intuitive
than speculative and a generation before Gregory of Nyssa, he disassociates himself from the
systematisation of Christian theology received from Origen. This innovation, which shook the foundation of
the traditional structures but respected the language and authority of the tradition, was in the last analysis
more oriented toward the future than the disrespectful and f1ashy but basically very traditionalist argument of
the Arians » (ibid., p. 113).
32 Quatrième titre le plus employé dans le traité avec 42 mentions (C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du
Verbe, « Introduction », p. 88).
33 Le titre de « Fils» sera plus utilisé dans les Discours contre les ariens. Dans le Sur l'incarnation du Verbe,
on le retrouve en cinquième position par ordre décroissant avec 21 mentions (ibid., p. 89).
34 Au sixième rang avec 18 emplois (ibid.)
35 Athanase l'emploie 9 fois (ibid., p. 90).
36 Une dizaine de fois en plus de deux emplois d'AùToÇ(ù~ «( la Vie en soi », 20. 1 et 21. 4). Ce titre
johannique et origénien est relié dans le traité au thème de la victoire sur la mort (ibid., p. 91).
37 On retrouve ce nom à 6 reprises dans le traité. Il désigne le créateur, le maître de la création (ibid.)
38 On en recense 4 mentions (ibid., p. 91-92).
3. Le Verbe divin 69
titres auraient pu convenir à Arius. Néanmoins, « c'est leur densité et la doctrine du salut
avec laquelle ils sont associés qui leur donnent un ton proprement athanasien »39 :
Exprimant ainsi dans son ouvrage la foi de l'Église sous l'angle christologique,
Athanase considère comme fondamental le fait que les hommes reconnaissent le Logos
incarné en tant que le « propre Verbe du Père ». L'accent mis sur cette ferme relation
dans le Sur l'incarnation du Verbe s'exprime par l'accumulation et °la multiplication des
titres christologiques, sans l'apport de termes techniques 41 . Selon Ayres , bien que
reconnaissant le statut unique du Fils, Athanase n'exprime pas dans ses premières
œuvres le lien qui unit celui-ci avec le Père sous l'angle de la corrélation, ne possédant
42
pas encore le vocabulaire lui permettant d'articuler distinctement cette réalité révélée .
« Aussi, n'étant jaloux de l'être d'aucune chose, il (Dieu) les a fait toutes à partir du
néant par son propre Verbe, notre Seigneur Jésus-Christ [ ... ] mais selon son Image il les
fit (les hommes), leur donnant part à la puissance de son propre Verbe »43 . L'expression
« propre Verbe du Père » consiste en une formule abrégée de « propre à l'essence du
Père» 44. Ce concept de « propre (iOl05) à l'essence}) joue un rôle prépondérant dans
0
l'argumentation athanasienne : « Aux yeux d'Athanase, cette formule, pour nous assez
obscure, est tellement chargée d'orthodoxie qu'il l'érige en critère de la foi authentique. »45
Athanase lui témoigne une indéfectible prédilection à travers le temps sur tout autre terme,
48
dont l'homoousios . " lui permet de placer le lecteur devant un insurmontable dilemme,
une irréductible opposition : « de le dire (le Logos) dissemblable du Père selon la
substance, ou de le dire semblable au Père et lui appartenant en propre »49. Fidèle à sa
thèse, Kannengiesser discerne dans l'emploi de cette expression dans le Sur l'incarnation
du Verbe , une précision anti-arienne 50 .
Ainsi, pour Athanase, Dieu ne se conçoit pas sans son Logos, le propre de son
essence. En effet, considérer le Fils comme ontologiquement hétérogène au Père, c'est
porter atteinte à la perfection de l'Être divin: « Quand donc Dieu a-t-il été sans ce qui lui
est propre? [.. ] Que celui qui pense seulement cela considère à quel point il enlève à la
45 Dans sa Lettre sur les Décrets du concile de Nicée, l'évêque fait valoir le poids de .Ia tradition alexandrine
(Origène, Denys et Théognoste) en faveur de cette expression. Denis de Rome l'aurait aussi utilisée. Dans
sa Lettre aux évêques égyptiens, il écrit que son prédécesseur Alexandre aurait retranché de la communion
catholique Arius parce que ce dernier soutenait « que le Christ n'est pas propre à l'essence du Père, ni sa
propre Sagesse» (ibid., p. 13-14). Voir aussi à ce sujet A. LOUTH, «The Use of the Term ïOl05 in
Alexandrian Theology from Alexander to Cyril », Studia Patristica, XIX (1989), p. 198.
46 K. Anatolios, Athanasius, p. 76. « The natural and ontological " belonging" of the Son to the Father is th us
distinguished from the Son's mankind humanity " his own" through the Incarnation» (ibid.) « For Athanasius
a necessary corollary of the revelatory relation of the Son to the Father was their full ontological unity which
could only be properly defended against distortion and misunderstanding if it wa~ set out in sorne terms
which closely connected the Son to the ousia of the Father » (R. P. C. HANSON, The Search for the Christian
Doctrine of God, p. 426-426). Voir aussi A. ROUSSEAU, Les Trois Discours contre les ariens, p. 43, note 12.
47 Discours contre les ariens 1, 16.
48 C. HAURET, Comment le défenseur... , p. 11. « He also retains (dans les Discours contre les ariens) and
intensifies usage of the terminology whereby the Son is described as "proper to" or " belonging to" (idios) the
Father's being » (K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 77; voir aussi C. STEAD, « Was Arius a Neoplatonist? », p. 41-
43).
49 Discours contre les ariens l, 9; voir C. HAURET, Comment le défenseur..., p. 12. «The combination of the
affirmation that the Son is idios to the being of the Father and the negation that he is " from outside" the
Fathers being became a cornerstone of Athanasius's own Trinitarian terminology» (K. ANATOLlOS,
Athanasius, p. 67).
50 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 102. Selon Williams, pour Arius, déclarer que le Fils est propre à
l'essence du Père pouvait signifier le déni de son existence indépendante (sabellianisme) : «The Son
therefore has his own properties, his own essential characteristics, which for Arius must logically be other
than the essential characteristics of the (essential eternal) Father. Hence Arius can say that the Son cannat
possess the Father's attributes as essentially proper ta him, being "entirely unlike the Father's substance and
property" : what makes the Son what he is cannot be what makes the Father what he is, and thus he cannot
by nature or inalienability possess any of the essential and defining properties of the Father » (R. WILLIAMS ,
Arius, p. 196).
3. Le Verbe divin 71
51 Discours contre les ariens l, 20 ; « Si Dieu est source et lumière et Père, il n'est permis de dire ni que cette
source est tarie, ni que cette lumière est sans éclat, ni non plus que ce Dieu est sans Verbe, de crainte que
Dieu soit privé de sagesse, de raison et de splendeur» (Lettres à Sérapion sur la divinité du Saint-Esprit Il,
1).
52 Jean 14.6.
53 Proverbes 8. 12.
54 Discours contre les ariens l, 19.
55 C. HAURET, Comment le défenseur... , p. 15.
56 « Against the Arian Christology, Athanasius insists that the Son did not exist merely by the Father's free will.
His intimate relation with the Father is by nature, and not by grace » (voir A. PETTERSEN, Athanasius and the
Human Body, Bristol, The Bristol Press, 1990p. 170-171). Pour Arius, «the names Father and Son did not
implya natural continuity between the two, but rather a relational continuity created by free act of God's will »
(P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ... , p. 128) : «Therefore, God must create the Son's substance
(hypostasis) from that Father and his role in the world must be similar to that of a Neoplatonic demiurge » (J.
R. MEYER, «Athanasius' Son of God Theology », p. 228). Eusèbe de Césarée affirmait avec emphase aussi
cet aspect volontariste de la relation Père/Fils et reliait fermement la question cosmologique avec celle de la
Trinité (ibid., p. 230) .
3. Le Verbe divin 72
affirmation nierait la suprême liberté divineS? En réalité, Dieu « veut» son Logos comme il
se « veut» lui-même : « De même que Dieu veut son essence, ainsi il veut le Fils qui est
propre à son essence. »58 Excluant fermement toute possibilité d'une volonté antérieure au
Fils, Athanase voit au contraire dans celui-ci «la volonté vivante du Père »59. À la
différence d'Origène qui liait fermement en Dieu cette volonté avec la nature, l'évêque
alexandrin opère une plus grande différenciation entre celles-ci 60 , plaçant résolument
l'essence de Dieu au-dessus de sa volonté 61 :
Or supérieur à la volonté est le fait que Dieu est, par nature, Père de son
propre Verbe. Si donc ce qui est premier, c'est-à-dire ce qui est selon la
nature,· ne s'est pas réalisé, comme ils le prétendent dans leur folie, comment
ce qui est second, c'est-à-dire ce qui est selon sa volonté, pourrait-il avoir lieu?
Ce qui est premier, c'est le Verbe, et ce qui est second, la création [ ... ] Car le
Fils est proprement et véritablement issu de cette substance bienheureuse et
éternellement existante, tandis que les êtres issus de sa volonté sont
constitués à partir du dehors et sont créés par l'entremise du propre Engendré
issu de cette substance. 62
Car les choses qui n'étaient pas d'abord mais surviennent du dehors, le
Créateur décide de les faire; mais s'il s'agit de son propre Verbe , qu'il
1 1
engendre de lui-même par nature, il ne délibère pas au préalable, car c'est en
lui que le Père fait et crée tous les être qu'il décide de faire et de créer [ ... ]
Ainsi donc, la décision de Dieu relative à tous les êtres qui sont régénérés ou
qui sont produits tout d'une fois est dans le Verbe, en qui il fait et régénère
ceux qu'il lui plaît [ ... ] Si celui en qui il fait les choses est identiquement celui
en qui est sa décision, et si dans le Christ est la volonté du Père, comment le
Fils pourrait-il lui-même venir à l'existence à la suite d'une décision ou d'une
volonté? Car si, selon vous, il existe lui aussi à la suite d'une décision , il est
nécessaire que la décision le concernant réside dans un autre Verbe, par
l'entremise duquel il viendra lui-même à l'existence; car il a montré que la
décision de Dieu ne réside pas dans les êtres venant à l'existence, mais en
69
celui par qui et en qui toutes les créatures viennent à l'existence.
Athanase est le premier auteur chrétien qui nous ait légué une spéculation aussi
élaborée sur la questiC?n de la volonté divine 70 .
Le Fils est l'Image (EIKwv) du Père: « ... il les fait participer en sa bonté à sa propre
Image, notre Seigneur Jésus-Christ; il les crée selon son image et ressemblance . Par une
telle faveur, ils connaîtraient l'Image, je veux dire le Verbe du Père» 71 . Bien que peu utilisé
dans le Sur l'incarnation du Verbe, le titre d'Image n'en demeure pas moins parmi les
notions centrales du traité 72 . En fait, le thème de l'image représente un grand axe de la
doctrine athanasienne 73, cet attribut servant à marquer selon Bernard la parfaite
transcendance du Verbe 74 : « Et comment celui qui est l'Ouvrier et le Créateur pourrait-il
se voir lui-même dans une substance créée et relevant du devenir? Car il faut que l'Image
soit telle qu'est le Père de celle-ci. »75 Pour l'apologiste, explique Kannengiesser, l'unité de
l'Image avec le Père réside tant au niveau de l'être que de l'agir: « Selon l'être du Père,
elle nous en fournit l'intelligibilité; elle est pour nous sa représentation parfaite 76 . Selon
l'agir du Père, l'Image est puissance opérative; l'agir paternel se définit et s'accomplit par
elle. »77
Chez ' Origène, tout comme chez Plotin, l'image consiste en une réalité inférieure au
modèle78 . Si Alexandre, en origéniste modéré, remet timidement en question ce postulat
70 M. J. MEIJERING, Orthodoxy and Platonism .. ., p. 70. Il en est de même avec Plotin du coté des philosophes
païens (ibid.) Pour mieux connaître les similarités mais aussi les différences entre les deux hommes sur le
sujet, voir ibid., p. 74-75, 80-81.
71 Sur l'incarnation du Verbe 11. 3. Voir aussi par exemple 3. 3; 7. 4; 12. 1; 13. 7; 14. 1; 20. 1; etc.
72 C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, « Introduction », p. 92.
73 R. BERNARD, L'image de Dieu ... , p. 13.
74 Cf. ibid., p. 21. « Ce Verbe donc, comme je l'ai dit, n'est pas comme celui de l'homme, composé de syllabes,
mais il est l'image absolument ressemblante du Père. Les hommes, qui sont composés de parties et issus du
néant, ont aussi un verbe composé et inconsistant. Mais Dieu est, et il n'est pas composé; aussi son Verbe
est, et il n'est pas composé, mais il est Dieu unique et monogène, le Dieu bon procédant du Père comme
d'une source bonne» (Contre les païens 41) .
75 Discours contre les ariens l, 20.
76 C'est là le rôle donné au Verbe depuis Justin et Irénée dans l'interprétation des théophanies de l'Ancien
Testament (C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 72, « Introduction », note 1).
77 Ibid.
78 « Je pense de même au sujet du Sauveur qu'on dirait avec raison qu'il est l'image de la bonté de Dieu mais
non le Bien-en-soi (aulogalhon) . Et peut-être que le Fils lui aussi est bon, mais non bon tout simplement. Et
de même qu'il est image du Dieu invisible (Colossiens 1. 15), et pour cela Dieu, sans être celui dont le Christ
dit: "Afin qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu" (Jean 17. 3) , de même il est l'image de sa bonté, mais
--~ I
3. Le Verbe divin 75
Le Verbe est « l'image tout à fait semblable au Père» 82 faisant l'objet de la part des
hommes de la contemplation qui revient à Dieu seul et par laquelle ils peuvent connaître
aussi le Père 83 . Réservé uniquement au Logos , l'attribut d'Image ne sera jamais appliqué
par Athanase à la créature 84 .
Bien entendu, Athanase emploie aussi dans son traité apologétique et catéchétique le
titre scripturaire de « Fils}) pour désigner le Logos, « seul Fils monogène et véritable du
Père »85. Arius affectionnait le passage de l'Évangile johannique où Jésus déclare que « le
Père est plus grand que moi })86. Selon J. R. Meyer, l'évêque alexandrin fait face à la thèse
non comme le Père identique au Bien» (ORIGÈNE, «Fragment de Justinien », tiré de la Lettre à Ménas,
traduite et commentée par H. CROUZEL, dans J. WOLINSKI, « De l'économie à la "théologie" ... », p. 215).
79 Ainsi s'exprime le prédécesseur d'Athanase : « Nous avons appris que (le Fils) est immuable et invariable
comme le Père, Fils parfait et libre de toute indigence, ressemblant au Père, ne lui cédant que sur un point,
l' " inengendré". Il est l'image très exacte et tout à fait ressemblante du Père. En effet, il est clair que l'image
contient tout ce par quoi se réalise la ressemblance "plus grande" , comme le Seigneur nous l'a enseigné
quand il a dit : " mon Père est plus grand que moi" (Jean 14. 28) » (ALEXANDRE D'ALEXANDRIE, Lettre à
Alexandre de Thessalonique (324), cité par J. WOLINSKI, « De l'économie à la "théologiè~' ... », p. 228-229).
Tout en reconnaissant que le Logos remplit un rôle d'intermédiaire entre l'Incréé et le créé, Alexandre rejette
cependant tout subordinatianisme ontologique et nie que le Père ne puisse agir directement dans la création
(voir L. AYRES, Nicaea and its Legacy, p. 43-45).
80 Jean 14.' 9.
81 Discours contre les ariens l, 21; « Car il faut que l'Image soit !elle qu'est le Père de celle-ci» (ibid., 20).
82 Contre les païens 46.
83 R. BERNARD, L'image de Dieu .. . , p. 21. Voir Contre les païens 34 .
84 R. BERNARD, L'image de Dieu ... , p. 23-24. Bernard considère qu'Athanase apporte un progrès décisif dans la
précision de la terminologie (ibid., p. 23). Toujours selon Bernard, le titre d'Image se rapporte chez Athanase
toujours au Verbe en tant que Verbe éternel et non en tant que Verbe incarné (ibid., p. 24).
85 Sur l'incarnation du Verbe 20. 1.
86 Jean 14. 28. « Here was irrefutable scriptural proof of the metaphysical priority of the Father over the Son
who is a separate and yet perfect creature of Gad (KTlo~a yap fOTI Kat rroll1~a uié5') » (J. R. MfVfR,
«Athanasius' Son of God Theology », Recherches de théologie et philosophie médiévales, t. LXVI , 2 [1999],
p. 225).
3. Le Verbe divin 76
For Athanasius the Son's sharing on the Father's being is signified by the
fact that he is begolten from the Father : the concept of generation entails the
idea that there is a community of nature between the begetter and the one
begotten. The Bible, in its use of the words Father and Son ta identify the
Father and the Son, and in the pattern of its use of generative language,
provides authoritative evidence that the Son is begotten from the Father, and
Athanasius devotes much of Contra Arianos to providing an alternative to the
Arian reading of the biblicallanguage of begetting and making. 90
87 Ibid.
88 J. R. MEYER, «Athanasius' Son of God Theology », p. 226.
89 Ibid., p. 236. « ... Ie Fils est donc hétérogène aux choses du devenir et d'une autre substance qu'elles; pour
mieux dire, il est propre à la substance du Père et de même nature que lui. C'est pourquoi aussi le Fils lui-
même n'a pas dit: "Le Père m'est supérieur", de peur qu'on n'aille supposer qu'il serait étranger à la nature
de celui-ci, mais il a dit: " Le Père est plus grand que moi" , non par la grandeur ni par la durée, mais du fait
de sa génération à partir du Père lui-même. Bien plus, en se servant de l'expression "plus grand", il montre
encore qu'il appartient en propre à la substance du Père» (Discours contre les ariens l, 58). ({ However,
building on Origen, Athanasius consistently thereafter points to eternal generation as exemplifying the Son's
oneness with the Father, and opposing the idea that he is a creature» (R. Letham, The Holy Trinity, p. 135;
Discours contre les ariens 1,31).
90 P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ... , p. 188.
91 J. R. MEYER, «Athanasius' Son of Gad Theology », p. 236.
92 Ibid. L'un des concepts fondamentaux de la doctrine arienne définit l'essence véritable de la divinité comme
non-engendrée, ce qui exclut que le Verbe possède celle-ci au sens plein du terme (H. M. GWATKIN, Studies
of Arianism, p. 23). Mais, selon Athanase, ce mot peut signifier deux choses : premièrement ce qui existe
sans procéder d'une génération ou d'une cause quelconque, ce qui ne peut être appliqué au Fils;
deuxièmement, ce qui n'est pas créé et dans ce sens peut-être appliqué au Fils (R. P. C. HANSON, The
Search for the Christian Doctrine of God, p. 433).
3. Le Verbe divin 77
d'àyEVllT05, lequel, en plus de son origine extra biblique, sert à désigner Dieu en rapport
uniquement avec la création tirée du néant par sa volonté 93 :
Le terme « non venu à l'existence» (O:yEVfjTOS") n'a donc pas non plus sa
signification à cause du Fils, mais à cause des choses qui ont été faites par
l'entremise du Fils. Et c'est en toute convenance, car Dieu n'est pas comme
les êtres du devenir, mais il en est le Créateur et l'Artisan par l'entremise du
Fils. Et de même que le terme « non venu à l'existence» a sa signification
relativement aux êtres du devenir, ainsi le terme « Père» est propre à faire
connaître le Fils. Et, tandis que celui qui donne à Dieu les noms d'Ouvrier, de
Créateur et de « non venu à l'existence» voit et comprend les créatures et les
êtres du devenir, celui qui appelle Dieu du nom de Père conçoit et contemple
immédiatement le Fils [ .. . ] Car en disant Dieu « non venu à l'existence », ces
gens, ainsi qu'on l'a dit, le disent seulement Créateur et Artisan, d'après les
œuvres qui ont été faites par lui, estimant qu'ils pourront de ce fait, selon leur
bon plaisir, donner à entendre que le Verbe est une chose faite; en revanche,
celui qui appelle Dieu du nom de Père le désigne à partir du Fils, n'ignorant
pas que, le Fils existant, c'est nécessairement par l'entremise du Fils que tous
les êtres du devenir ont été créés. 94
Athanase estime qu'une telle inversion accomplie par les ariens dans l'ordre des
priorités des termes « Père» et « Incréé », trouve son origine dans une erreur
d'épistémologie théologique. Leur conception inadéquate de Dieu procède, tout comme
chez les Grecs, d'une méconnaissance du Fils 95 :
93 Voir R. LETHAM , The Holy Trinity, p. 137. Voir Sur l'incarnation du Verbe 11. 1 où Dieu est appelé « l'Incréé»
en rapport aux choses issues du néant.
94 Discours contre les ariens l, 33. Selon Meyer, «"Unoriginate" is a exclusively intra-trinitarian term that is
used in conjunction with " originate" to declare the Father as the absolute origin of the Godhead. And we can
understand Fatherhood or paternity only in light of Sonship filiation» (J. R. MEYER, « Athanasius' Son of God
Theology », p. 240).
95 P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ... , p. 186. Athanase établit clairement dans le Sur /'incarnation du
Verbe (ainsi que dans le Contre les païens) que pour l'homme déchu, le résultat d'une telle épistémologie
résulte en une compréhension idolâtre de Dieu. Une bonne épistémologie selon lui doit impérativement
prendre en considération le Verbe pour comprendre Dieu (ibid.) L'évêque écrira plus tard : ({ Comment, en
effet, parlera-t-il avec vérité du Père, alors qu'il nie le Fils qui révèle le Père? » (Discours contre les ariens l,
8).
96 Discours contre les ariens 1, 34. Athanase de poursuivre : « Car ce terme est étranger à l'Écriture , et il est
sujet à caution du fait des significations différentes, susceptibles d'orienter dans des directions multiples
l'esprit de celui qu'on interroge à son sujet; au contraire , le terme " Père" est simple, il figure dans l'Écriture, il
3. Le Verbe divin 78
Suivant ce qu'il considère être la logique même des Écritures, l'évêque établit une
différence entre l'acte divin d'« engendrer» et celui de «faire» ou de «créer »97 . Le
premier terme se rapporte au Fils 98 , le deuxième à la créature tirée du néant. Le premier
implique la consubstantialité entre celui qui engendre et l'engendré99 , le deuxième une
dissemblance ontologique entre le Créateur et la créature 100. Athanase soutient que le
caractère pleinement divin du Fils ne peut être maintenu que par une telle distinction 101.
On retrouve ici l'écho de la formule nicéenne proclamant le Fils « engendré, non créé» :
... il ne fait pas partie des êtres du devenir et n'est pas une chose faite ,
mais il est éternellement avec le Père, comme on l'a déjà montré, même si ces
gens-là varient maintes fois leur langage dans le seul but de pouvoir dire
contre le Seigneur qu'il est issu du néant et qu'il n'était pas avant d'être
engendré. Et si enfin, refoulés de toutes parts , ils veulent faire porter leur
question sur ce qui existe sans avoir été engendré de personne et sans avoir
de Père, nous lel,Jr répondrons que le seul et unique «non venu à
l'existence», ainsi compris, est le Père, mais ils ne gagneront rien à cette
réponse. En effet, dire de la sorte que Dieu est « non venu à l'existence» ne
prouve pas que le Fils est venu à l'existence, puisqu'il est clair, à la suite des
précédentes démonstrations, que le Verbe est tel qu'est celui qui l'a engendré.
Par conséquent, si Dieu est « non venu à l'existence », son Image, qui est son
Verbe et sa Sagesse, n'est pas pour autant venue à l'existence mais est une
chose engendrée. Car quelle ressemblance pourrait-il y avoir entre le « venu à
l'existence» et le « non venu à l'existence» ?102
The " eternal begetting" of the Son by the Father and the correlative "eternal
begottenness" of the Son do not imply an ontological priority of the Father over
the Son. Why not? Ontological priority involves creation, and the Son is not
created by the Father; the Father is prior to the Son inasmuch as he is Father
and Unoriginate (the Son is Originate). So, although the Son is in creation as a
real man, that relation does not alter the incarnate Logos. Ascribing ontological
est plus vrai et il évoque seulement le Fils. Le terme " non venu à l'existence" a été inventé par les Grecs, qui
ne connaissent par le Fils; quant au terme "Père" , c'est le Seigneur qui l'a fait connaître et nous en fait le
don » (ibid.)
97 Sur le sujet, voir la note 106 du chapitre 2 concernant l'équation répandue à cette époque entre engendré
(gennètos) = fait ou créé (génètos) ce qui signifie non-Dieu, et ce qui est inengendré (agennètos) = non fait,
non créé (agénèfos) = Dieu.
98 Psaumes 2. 7; 109. 3; Proverbes 8. 25.
99 M. J. MEIJERING, Orthodoxy and Platonism .. . , p. 61.
100 Genèse 1. 1; Jean 1. 3. Le texte exceptionnel de Proverbes 8. 22 doit être compris selon Athanase à la
lumière de cette loi du langage biblique et éclairé par Colossiens 1. 15 (B. SESBOÜÉ, « La divinité du Fils et
de l'Esprit. .. », p. 253). Pour Athanase, le discours arien repose sur une confusion entre les deux réalités
(ibid.) Cette question sera plus développée au chapitre suivant.
101 M.<J . MEIJERING, Orthodoxy and Plalonism ... , p. 170.
102 Discours contre les ariens l, 31 .
3. Le Verbe divin 79
priority rather than relational priority ta the Father in the intra-trinitarian Father-
Son relation occurs when we read Jesus' human experience back into the
eternal, hypostatic relations of the Trinity. This is precisely what Arius did, and
it led him to radicalize the latent subordinationism present in Origen's
thought. 103
He certainly thought of the Father as the "Origin" (arche) of the Son in that
he eternally begot the Son. He thus declared "we know only one Origin
(arche)", but he immediately associated the Son with that Origin, for " we
profess to have no other form of Godhead than that of the Only God,,109. While
the Son is associated with the arche of the Father in this way, he cannot be
thought of as an arche ' subsisting in himself, for by his very nature he is
inseparable from the Father of whom he is the Son. Sy the same token,
however, the Father cannot be thought of as arche apart from the Son, for
precisely as Father he is Father of the Son [ ... ] While accepting the formulation
of "one Seing, three Persons" he had such a strong view of the complete
identity, equality and unity of the three Persons within the Godhead, that he
declined to advance a view of the Monarchy in which the oneness of God was
defined by reference to the Persan of the Father. While the Father was on
occasion denoted as the "author" (aitios) and the "origin" (arche) of the Son
that was meant to express the truth that the Father is Father of the Son and
that the Son is Son of the Father, but not to withdraw anything form the
complete equality of the Son with the Father, for the Sonship of the Son is as
ultimate as the Fatherhood of the Father. 110
110T. F. Torrance, « The Doctrine of the Holy Trinity ... », p. 402-403. Voir Discours contre les ariens III, 31;
Lettre sur les décrets du concile de Nicée 49. « However, as G. C. Stead has shown, Athanasius maintains a
certain traditional hierarchy between the Father and the Son. He uses è~oéuato5 only in the context of the
Nicene creed and never exchanges the role of the Father and on the Son on this issue» (N. KWOK-KIT NG,
The Spirituality of Athanasius, p. 60; voir aussi, C. STEAD, « Was Arius a Neoplatonist? », p. 49).
111 P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ... , p. 184.
112 R. P. C. HANSON, The Sea'rch for the Christian Doctrine of God, p. 429.
113 Discours contre les ariens l, 16. Les titres qu'emploie Athanase pour désigner le Logos, tels Sagesse,
Parole, Puissance, suggèrent que le Fils est l'agent actif et l'expression du Père invisible et immuable :
« While the Father is the source of goodness, the Son is the active goodness acting on and revealing to the
creation» (KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 60-61).
114 Discours contre les ariens l, 42; Lettres à Sérapion l, 1. Voir L. SOUYER, L'Incarnation et l'Église-Corps du
Christ ... , p. 68. Selon Widdicombe, bien que la plus claire menace de l'arianisme concernait le statut divin du
Logos, Athanase considérait que cela touchait aussi directement à celui de Dieu en tant que Père et de ce
fait à la conception même de la nature divine (P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ...,p. 159). En se
positionnant théologiquement comme il le fait, «Athanasius laid the foundations for the development of a
fundamental precept of later trinitarian thought - that the Father - Son relation is part of the definition of the
Word of God » (ibid., p. 1).
115 Ibid., p. 145.
116 J . R. MEYER, « Athanasius' Son of God Theology », p. 236. Une telle séparation déjà opérée par Alexandre
implique selon Lampe une compréhension de la génération éternelle différente de celle d'Origène (G . W. H.
LAMPE, « Christian Theology on the Patristic Period », p. 93).
3. Le Verbe divin 81
« Dieu n'est pas un homme» 117. Suivant Irénée, Athanase considère que celle-ci possède
un caractère indicible 118. Il s'agit aussi d'un acte impassible et éternel qui découle de la
perfection même de la nature qui engendre sans division ou émanation en raison de sa
simplicité: « ... de même l'Engendré n'est pas le produit d'une passion ni d'une division de
cette substance bienheureuse . » 119
En effet, affirme Athanase, les concepts humains tels que ceux de «filiation », de
« logos », d'« éclat» ou d'« image », bien que tirés des Écritures, ne peuvent s'appliquer
intégralement à l'essence inexprimable de la déité 120. De telles «illustrations»
(TTapaéEly~aTa) procurées par Dieu lui-même, et donc divinement inspirées, visent à
permettre aux hommes de mieux appréhender celui-ci. Elles font ainsi office de « bornes
indicatrices» destinées à servir de jalons à toute réflexion sur la Personne de Dieu 121. Il
n'en demeure pas moins qu'il s'agit là d'un langage analogique qu'Athanase s'efforce de
purifier de tous éléments incompatibles avec l'infinie transcendance divine 122. On ne peut,
selon lui, au risque d'une grave confusion, tirer de la réalité humaine des généralisations
pour les appliquer illégitimement à la déité, ce dont il accuse les ariens 123. Habité par un
profond sens de l'ineffabilité divine, Athanase, pour qui l'homoousios, loin de diminuer
117 Discours contre les ariens l, 27; cf., Nombres 23. 19.
118J . N. D. KELLY, Initiation à la doctrine ..., p. 254. Irénée, citant le texte d'Ésaïe 53. 8 que l'on rendait alors par
« qui s'est soucié de sa génération? », considérait l'engendrement du Fils par le Père comme ineffable. Cette
interprétation recevra la faveur des Pères dans la suite. Seuls le Père et le Fils connaissent en quoi consiste
véritablement cette génération (R . LETHAM, The Holy Trinity, p. 92-93). Voir Discours contre les ariens Il, 36
et III, 66.
119 Ibid., 1, 16; voir aussi Lettres à Sérapion l, 16.
120 C. HAURET, Comment le « défenseur de Nicée »... , p. 42.
121 J. B. Walker, « Convenance épistémologique de l' "homoousion" ... », p. 261-262
122 Cf., ibid., p. 260-262; R. K. TACELLI, « Of one substance: Saint Athanasius and the Meaning of Christian
Doctrine », The Downside Re vie W, 108, 371 (1990), p. 99-100; R.LETHAM, The Holy Trinity, p. 136). Pour
Athanase, ces analogies ne peuvent dissiper toute obscurité. Hauret exprime la pensée de ce dernier
comme suit: « Dieu s'environne de mystère et il ne se livre pas grâce à des discours apodictiques. La raison
animée de piété peut, sans doute, parler en toute vérité et certitude des divines personnes, de leurs relations
mutuelles, mais une zone importante demeure ihaccessible ~ Alors, nous conseille Athanase, un seul parti
nous reste : nous taire et croire» (C . HAURET, Comment le « défenseur de Nicée» ... , p. 38). Voir Lettre sur
les décrets du concile de Nicée 12 et Lettres à Sérapion l, 20.
123 Pour l'alexandrin, l'arianisme pèche principalement par anthropomorphisme et en définitive par rationalisme
(C. HAURET, Comment le « défenseur de Nicée » .. ., p. 37-38). Une telle connaissance de Dieu dérivée de
l'observation de l'ordre de la nature des choses qui possèdent une origine résulte en une compréhension
idolâtre de Dieu (P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of Gad ... , p. 186); « S'ils discutent au sujet d'un homme,
qu'ils raisonnent humainement au sujet de son verbe comme au sujet de son fils; mais s'ils traitent du Dieu
qui a créé les hOl1)mes, qu'ils ne pensent plus humainement, mais autrement, c'est-à-dire d'une manière
supérieure à la nature des hommes» (Discours contre les ariens Il, 35).
3. Le Verbe divin 82
l'abîme ontologique qui sépare Dieu de la créature, accentue au contraire celui-ci 124 , se
tient ainsi dans la lignée de la tradition alexandrine et de sa lutte contre
l'anthropomorphisme 125 :
Mais s'il se trouve que les mêmes mots sont attribués par les saintes
Écritures à Dieu et aux hommes, c'est le propre des gens perspicaces , selon
l'exhortation de Paul, de faire attention à la lecture, de l'interpréter ainsi et de
discerner le sens précis des mots selon la nature de chaque être , au lieu d'en
brouiller la signification, afin de ne pas entendre du point du vue de l'homme
ce qui a rapport à Dieu, ni d'attribuer à Dieu ce qui convient aux hommes. 126
Par exemple, si les hommes sont engendrés et engendrent ensuite à leur tour de façon
successive , dans le temps, et ce, en raison de leur nature imparfaite, en Dieu, le Père est
proprement et éternellement Père tout comme le Fils est proprement et éternellement
Fils 127. Ces deux titres divins, contrairement à ce qu'en pensent les ariens, dépassent
l'idée de la simple métaphore, possédant pour la paternité et la filiation humaines un
caractère paradigmatique 128 : « Because they are characteristics which are true of God, as
Scripture testifies, fatherhood and sonship are fully and properly realized in the Godhead
[ ... ] The attributes of fatherhood and sonship, contingently expressed in human nature, are
essentially expressed in the divine nature. »129 Dragas voit en Athanase le théologien du
Fils éternel par excellence 130.
Athanase, se situant toujours sur le plan ontologique, accorde une grande importance
au concept de participation (IJ E TaÀalJ~avEI). Au chapitre 17 du Sur l'incarnation du Verbe , il
affirme clairement la parfaite transcendance du Logos sur la création en niant toute
participation de ce dernier à celle-ci: « Car étant présent dans l'univers, il ne participe pas
à tous les êtres, mais ce sont eux plutôt qui reçoivent de lui vie et nourriture. »131 Athanase
s'oppose non seulement catégoriquement à toute participation du Verbe créateur vis-à-vis
de son œuvre, mais il affirme aussi avec force que le Fils possède un caractère opposé à
toute forme de participation, laquelle demeure la marque ou la caractéristique propre à ce
qui possède une origine ex nihilo 132 . En fait, s'il emploie parfois le terme pour parler du
Fils, il n'agit ainsi, souligne Meijering, qu'en lui attribuant un sens très particulier 133 .
3. Le Verbe divin 84
tout~s les autres images formées d'après le Père, unique prototype. Le docteur alexandrin
émet aussi l'idée que le Logos demeure Dieu par sa contemplation du Père:
... Origène explique que nous sommes avec le Fils, sous le rapport du
« ,",oyo5 », dans la même relation que le Fils avec le Père, sous le rapport de
la divinité : «Ainsi en effet est l'AùTo8E05 et vrai Dieu le Père à l'égard de
l'image et des images de l'image (c'est pourquoi les hommes sont dits " à
l'image" et non images) , ainsi l' AÙTO,",OYOÇ à l'égard du ,",oyo5 qui est en
chacun. L'un et l'autre jouent le rôle de source, le Père, de la divinité, le Fils,
du ,",oyoç » . 135
Si, dans le Sur l'incarnation du Verbe (comme dans le Contre les païens), l'apologiste
n'insiste pas autant sur ce thème de la participation qu'il le fera plus tard, élaborant alors
plus profondément le concept, il n'en démontre pas moins déjà une idée claire du sujet 136.
Ce rejet de toute participation du Logos consiste en une de ses plus importantes armes
dirigées contre l'arianisme 137 .
Conclusion
Athanase qualifie son traité Sur l'incarnation du Verbe d'« exposé élémentaire, une
esquisse sur la foi au Christ et sur sa divine manifestation en notre faveur» 138. Cette
pleine déité du Logos à laquelle rendent témoignage les «théologiens» 139,
l'apologiste/catéchiste l'exprime notamment par une série de titres et d'épithètes largement
inspirés d'Origène et · auxquels il restera fidèle jusqu'à la fin 140. Cette riche et dense
titulature athanasienne attribuée au Verbe incarné s'enracine profondément dans le
terreau fertile de l'Écriture sainte et dans la terminologie du symbole de Nicée. Le primat
égyptien en explicitera le sens scripturaire et conciliaire dans ses écrits postérieurs. Pour
l'auteur du traité, adorer un Logos consubstantiellement inférieur au Père signifie
135 ORIGÈNE D'ALEXANDRIE, O. C. 3. cité par R. BERNARD, L'image de Dieu ... , p. 33. Si Athanase n'appelle pas le
Fils AÙT09E05, le Père étant la fontaine de la divinité, la Source première, il n'hésite cependant pas à
l'appeler TOV 9EOV /\oyov avec l'article (Contre les païens 2; 33; 40-41) : « Sans doute, conformément à
l'habitude scripturaire, 0 6EOS-, pris absolument, désigne le Père, mais Athanase est plus enclin à insister sur
l'unité du Fils et du Père qu'à entrer dans des subtilités à tendance subordinatienne : le Verbe est E'is- Kal
llovoyEv~5 6EOS- (Contre les païens 41) » (ibid., p. 34). Selon Bernard, Origène place de façon analogue à
Philon le Verbe dans une position insoutenable d'intermédiaire entre Dieu et le créé (ibid., p. 32-33).
136 Ibid., p. 32 et 34
137 Ibid., p. 32.
138 Sur l'incarnation du Verbe 56. 1.
139 Ibid. Ce terme désigne toujours chez Athanase les auteurs sacrés, tout comme chez Eusèbe de Césarée
(C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 299, note 2).
3. Le Verbe divin 85
« ... par qui tout a été créé dans le ciel et sur la terre ... »
Symbole de Nicée
Introduction
Pour l'auteur du Sur l'incarnation du Verbe, il n'existe qu'un seul et unique Créateur,
Dieu, lequel « a djsposé et fait tous les êtres» 1 . Aussi s'élève-t-il contre « les hérétiques »2
qui « inventent pour leur compte un démiurge de toutes choses différent du Père de notre
Seigneur Jésus-Christ »3. Or, en raison de sa nature même, si, à la suite d'une libre
décision, Dieu décrète de créer l'univers à partir du néant, il demeure impossible que son
propre Logos, le Fils monogène, n'intervienne pas dans cet acte souverain 4 . Comme cela
à déjà été mentionné, Anatolios considère. que la relation telle que conçue par Athanase
entre Dieu et sa création, doit être considérée comme le centre architectonique de la
vision théologique de l'évêque 5 . Ce fait se retrouve, selon lui, de façon intrinsèque dans le
traité Sur l'incarnation du Verbe 6 . L'auteur y explique que la réalité du Logos fait chair,
thème central du traité, ne peut s'expliquer rationnellement qu'en prenant en considération
l'origine même de l'univers, et tout particulièrement celle de l'humanité7 :
Dans le Sur l'incarnation du Verbe, Athanase écrit que « Dieu, qui détient la domination
sur l'univers, fit le genre humain par son Verbe» 10, le «puissant et le démiurge de
l'univers» 11. Si les Grecs admettent l'existence d'un Logos divin, « chef de l'univers» et en
qui « le Père a produit la création» 12, à ce démiurge des philosophes, être intermédiaire
13
entre Dieu et le cosmos, l'apologiste oppose le Fils éternellement engendré du Père .
Déclarer le Verbe créateur selon Athanase signifie le reconnaître comme pleinement Dieu.
En .effet, la création consistant en une œuvre proprement divine, aucun être créé, aussi
élevé en dignité soit-il, ne peut prétendre au titre de démiurge 14. L'auteur du traité s'élève
ainsi contre l'idée d'une création étrangère au Père, attribuant à ce dernier l'action
créatrice du Fils dépeinte dans le prologue de l'Évangile johannique: « "Tout fut par lui, et
hommes appartient à la tradition apologétique chrétienne dès le Ile siècle» (C . KANNENGIESSER, Sur
l'incarnation du Verbe, p. 263, note 4).
9 P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ... , p. 149.
10 Sur l'incarnation du Verbe 11. 1.
11 Ibid., 8. 3. Athanase préfère employer les termes OTlI.l10upyo5 et XT10TTJ5 plutôt que celui d'àyÉllT05 pour
parler de Dieu en raison de la place qu'il accorde à la création dans son système théologique, sans pour
autant rejeter totalement àyÉVllT05, qu'il utilise occasionnellement avec réserve (P. CHRISTOU, « Uncreated-
Created, Unbegotten-Begotten ... », p. 401). Dans la première des Lettres à Sérapion, le terme sert
nettement à distinguer le Fils du reste de la création (J . LEBON, Lettres à Sérapion sur la divinité du Saint-
Esprit, p. 81, note 2).
12 Sur l'incarnation du Verbe 41. 4.
13 J. B. BERCHEM, «Le rôle du Verbe dans l'œuvre de la création et de la sanctification d'après saint
Athanase », A ngelicum , XV (1938), p.205.
14 L. BOUYER, L'Incarnation et l'Église-Corps du Christ ... , p. 65. «Car aucune des choses faites n'est cause
efficiente. Car toutes choses ont été faites par l'entremise du Verbe, qui n'eût point réalisé toutes choses si
lui aussi avait été du nombre des créatures» (Discours contre les ariens Il, 21) .
4. Le Verbe créateur 88
sans lui rien ne fut 15", comment y aurait-il un autre démiurge que le Père du Christ? »16
Ainsi, « ce- que réalise le Père, le Fils aussi le réalise et [ .. . ] ce que le Fils crée est aussi
créature du Père» 17.
15 Jean 1. 3.
16 Sur l'inca ma tian du Verbe 2. 6.
17 Discours contre les ariens Il, 21. «Athanasius / ... / insist that, when the Father acts through the Son, he
does not employ something other than his own resources to do his work » (R. WILLIAMS, « Baptism and the
Arian Controversy», p. 151).
18 L. SOUYER, L'lncamation et l'Église-Corps du Christ ... , p. 57.
19 « ... tu ne penseras pas que le Sauveur a porté un corps par une conséquence de sa nature [ ... ] étant
incorporel de par sa nature et Verbe» (Sur l'incamation du Verbe 1. 3). Camelot traduit: « ... et que tu
n'ailles pas penser que c'est par une nécessité de nature que le Sauveur a" pris un corps ». Selon Meijering,
Athanase veut ici signifier clairement que le Logos ri'est sujet à aucune nécessité (E. P. MEIJERING,
Orlhodoxy and Platonism ... , p. 41).
20 « Que le Verbe, tout en étant véritablement divin, ne soit qu'un moyen, un instrument dont Dieu se sert pour
créer, cela résulte, donc en dernière analyse de ce fait que Dieu crée par nécessité, de ce que c'est la
création qui est sa vie» (L. SOUYER, L'lncamation et l'Église-Corps du Christ ... , p. 57). «Car, si (selon
Origène) ce qui est essentiel à la vie de Dieu c'est la création, la production du Verbe créateur, loin d'être
une fin en soi deviendra ipso facto un simple moyen: le Verbe existera pour créer le monde, ce qui ne rend
pas sa propre existence contingente, puisque celle du monde ne l'est pas, mais le place dans la position
fausse qui est celle du Logos philonien, même si l'idée d'une filiation directe entre Philon et Origène ne
s'impose pas» (ibid., p. 56). Voir Discours contre les ariens 1,29.
21 «Athanase peut bien utiliser tel ou tel développement philosophique grec, ses bases sont purement
chrétiennes, car son Dieu est transcendant et indépendant du monde. De cela proviendra une conception du
Verbe qui sera très neuve par l'élaboration intellectuelle qu'elle représentera, mais qui plongera toutes ses
racines dans le christianisme traditionnel» (L. SOUYER, L'ln"camation et l'Église-Corps du Christ ... , p. 57).
22 Ibid., «Athanasius' corrections of Arianism required rethinking sorne basic Origenian assumptions,
especially the mediatory activity of the Son in the world . In the end Athanasius preserves God's divine
transcendence and unity while at the same initiating a study of the distinction of the three divine persans that
proved to be quite remarkable » (J. R. MEYER, «Athanasius' Son of God Theology », p. 226).
23 L. SOUYER, L'lncamation et l'Église-Corps du Christ ... , p. 57.
4. Le Verbe créateur 89
Il n'est plus de ce Dieu comme des dieux grecs au beau visage sans âme :
il possède une vie intérieure dont toutes les œuvres extérieures ne sont qu'un
retentissement qui ne l'accroît ,ni ne l'altère 24 ; au lieu qu'eux ne vivaient que
dans les hauts faits relatés par le roman mythologique, lui possède une vie
intime qui ne doit rien au monde et ne lui demande rien. Car sa transcendance
ne fait pas de lui le premier moteur immobile d'Aristote qui ne vit que dans son
œuvre inférieure à lui-même: au contraire, il jouit éternellement d'une vie où le
multiple n'altère en rien l'unité qu'il anime., Son Verbe n'est pâs l'intermédiaire
par lequel son être deviendra actif dans des êtres inférieurs, en évitant grâce à
lui de déchoir, mais un autre lui-même où il se retrouve parfaitement et jouit de
se connaître et d'être.25
totalement distinctes26 . Les ariens errent en ne discernant pas d'autre vie en Dieu que son
27
activité créatrice ad extra . Or, seule la reconnaissance de la capacité génératrice
inhérente à la nature divine permet d'expliquer la création de toute chose. L'aptitude à
créer et la volonté de le faire jaillissent en effet dans l'Être de Dieu de la relation Père/Fils,
fondement même de cette action créatrice 28 . Williams résume la pensée de
l'ecclésiastique alexandrin comme suit:
So if God wills to create, this must be because there is something about his
very essence that makes this possible; once we accept that he is eternally
engaged in generating the Son, we see that he is always producing what is
other - tirst by nature, th en by tree action relating to what is outside his own
lite. Creation would make no sense without eternal begetting; they are two
radically different categories, yet there is an analogy such that one is
impossible and unintelligible without the other. 29
24 « And since creation takes place in (or through) the Logos, but outside God, it does not alter God's nature or
compromise the integrity of the Father-Son relationship» (J. R. MEYER, «Athanasius' Son of God
Theology» , p. 239).
25 L. BOUYER, L'Incarnation et l'Église-Corps du Christ ... , p. 57-58. Athanase considère l'arianisme comme un
système de pensée ayant adopté les conceptions religieuses grecques touchant les rapports entre Dieu et le
monde. Selon Bouyer, tous les griefs d'Athanase portés contre les ariens et les eusébiens se résument à les
déclarer des «hellénisants», terme qui revêt chez l'évêque et les chrétiens de son temps le sens
de« paganisants» (id., «Homoousios, sa signification historique dans le symbole de foi», Revue des
sciences philosophiques et théologiques, 30 (1941-1942), p. 56) .
26 N. KWOK-KIT NG, Nathan, The Spiritu ality of Athanasius, p. 66.
27 L. BOUYER, L'Incarnation et l'Église-Corps du Christ ..., p. 58
28 P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ... , p. 187-188.
29 R. WILLIAMS, « Athanasius and the Arian Crisis », dans G. R. Evans, éd, The First Christian Th eologians. An
Introduction to Theology in the Early Church,. MA (USA), Blackewll Publishing, 2004, p. 163; « Si donc ce qui
est premier, c'est-à-dire selon la nature (le propre Verbe de Dieu), ne s'est pas réalisé, comme ils le
prétendent dans leur folie , comment ce qui est second, c'est-à-dire ce qui est selon la volonté, pourrait-il
avoir lieu? Ce qui est premier, c'est le Verbe, et ce qui est second, la création» (Discours contre les ariens Il ,
2; voir aussi III, 62) .
4. Le Verbe créateur 90
Dieu possède ainsi en lui-même, dans cette relation interne à son Être, le récipient et
l'expression de son éternelle bonté dont la réalisation ne nécessite absolument rien
d'externe à lui-même 30 : « Car Dieu est bon; bien plus il est la source de la bonté. » 31 Ainsi
réalisée premièrement dans cette relation, l'àya8ov divin se manifeste aussi dans l'acte
créateur accompli par la Parole monogène, « Dieu, le Verbe du Père très bon »32 , qui
partage depuis toujours l'être et la bonté du Père 33 . L'un des corollaires de cette parfaite
autosuffisance divine réside dans le fait que la créature uniquement, et non le Créateur,
bénéficie de l'acte de création 34 :
30 P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ... , p. 183-184. Athanase associe, avec Origène, la paternité divine
non seulement à l'attribut d'immuabilité mais aussi à celui de bonté (ibid., p. 182).
31 Sur l'incarnation du Verbe 3. 3. Il s'agit d'une citation presque littérale de PLATON, Timée 29c (C.
KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 270, note 1) : « For Athanasius, these are indeedliterally
flourishes that embellish his early writing concerning the creative act of God : but they are more than literary
flourishes for their focus for Athanasius important insights into nature of both God and God's creation (A.
PETTERSEN, « A Good Seing Would Envy None Life }) The%gy Today, 35, 1 [1998], p. 59).
32 Sur l'incarnation du Verbe 9 . 1.
33 P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of Gad ... , p. 18~.
34 A. PETTERSEN, dans N. KWOK-KIT NG, Nathan, The Spirituality of Athanasius, p. 66.
35 P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of Gad ... , p. 184; voir Discours contre les ariens 1,29 et Il,68-70.
36 Alexandre décrit le Verbe en tant que «nature médiatrice», par laquelle le Père a amené l'univers à
l'existence. Il n'explique cependant pas le sens de cette expression. Selon Sehr, cette médiation du Logos
chez Alexandre semble se situer sur le plan fonctionnel plutôt que sur le plan ontologique, le prédécesseur
d'Athanase plaçant résolument le Fils dans la sphère divine (J. SEHR, The Nicene Faith, p. 129). Sur le rôle
de médiateur attribué au Logos chez les théologiens pré-nicéens (au sein de la Trinité en relation avec la
création) et le déplacement de celui-ci dans l'acte d'incarnation par Athanase, voir G. REMY, «Du Logos
intermédiaire au Christ médiateur chez les Pères gre~s », Revue Thomiste, t. XCVI, 1 (1996), p. 399-418 :
« Autre est donc l'efficience créatrice immédiate du Logos en raison de son immanence réciproque avec le
Père; autre son action dans l'économie du salut, où il entre en dialogue avec l'élu de Dieu (tels les
prophètes) en qualité de médiateur. Autrement dit, une fonction incompatible avec l'œuvre de création
s'avère parfaitement légitime dans l'économie du salut» (ibid., p. 418) .
4. Le Verbe créateur 91
the Arian Controversy. »37 La parfaite transcendance de l'Être de Dieu ne s'oppose pas à
la capacité d'immanence de celui-ci 38 . Convaincu de défendre ce qu'il considère la vérité
scripturaire, Athanase rejette, à l'instar d'lrénée 39 , toute vision hiérarchisée de l'univers, se
démarquant ainsi encore une fois d'Origène40 . Le Verbe n'agit pas comme substitut du
Père là où ce dernier ne peut agir41 . Le divin et l'univers se rencontrent chez Athanase de
façon immédiate et non médiatisée. Anatolios formule la thèse que le caractère
emphatique que revêt ce point théologique chez l'alexandrin représente ce que ce dernier
partage de plus fondamental avec Irénée de Lyon 42 .
37 R. P. C. HANSON , The Search for the Christian Doctrine of Gad, p. 447. Athanase objecte d'ailleurs que, si
Dieu, en raison de sa transcendance absolue, nécessite l'aide un médiateur pour amener le monde à
l'existence, alors il devra aussi soll iciter l'assistance d'un autre médiateur pour créer son Logos (Discours
contre les ariens Il, 24 et 30).
38 J . SEHR, The Nicene Faith, p. 173.
39 « Athanasius shows clear dependence on Irenaeus when he insist that creative activity belongs only to God
and cannot be exercised by any subordinate or intermediate level of divinity » (K. ANATOLlOS, Athanasius, p.
54-55). Kwok-Kit Ng préfère plutôt penser que les deux hommes fondent leurs doctrines sur les mêmes .
données bibliques (N. KWOK-KIT NG, The Sp;;ituality of Athanasius, p. 72).
40 À l'époque d'Athanase, deux visions du monde dominaient dans l'Église. Certains Pères, par exemple
Irénée, Tertullien et Hippolyte, opéraient une coupure radicale entre le Créateur et les créatures.
L'incarnation consistait donc en la venue du Créateur dans le monde créé. D'autres penseurs, utilisant
l'approche philosophique, particulièrement les gnostiques, considéraient l'univers comme hiérarchiquement
ordonné avec des émanations médiatrices entre le Dieu transcendant d'en haut et le monde matériel, d'en
bas (cf. , ibid., p. 63). Certains spécialistes, tel J. S. Lyman, suggèrent qu'Origène soutenait aussi une vision
hiérarchisée de l'univers (ibid.) G. Florovsky déclare de façon explicite : « Actually, in Origen's conception
there was but one eternal hierarchical system of beings, a "chain of being". He could never escape the
cosmological patter of Middle Platonism » (G. FLOROVSKY, « The Concept of Creation in Saint Athanasius »,
Studia Patristica, VI [1962], p. 41.) Voir aussi K. ANATOLlOS, « The Influence of Irenaeus on Athanasius », p.
464-465.
41 R. P. HANSON, The Search for the Christian Doctrine of God, p. 427~
42 K. ANATOLlOS, « The Influence of Irenaeus on Athanasius», p. 464. « ... this Irenaean focus on the
communion between God and world is determinative for both the literary structure and the logical argument
(dans Je Sur l'incarnation du Verbe). However, what is distinctive about Athanasius's adoption of this
perspective at this stage of his tareer is that he characteristically privileges its more dialectical and
epistemological version, which nevertheless is also present in Irenaeus. » A ce stade, Athanase aurait subi
l'influence d'Origène (ibid., p. 465). Williams a écrit: « You might signal the shift between the beginning of
the century of Athanasius' theology by saying that in the early period theologians were anxious to secure the
belief that the Logos was a divine agent (so that there was a real Incarnation of a hèavenly Seing in Jesus),
while Athanasius sought to secure the belief that the Logos was a divine agent (so that what was bestowed
through the Incarnation was genuinely the gift of divine and immortal liberty, love, and rationality») (R.
WILLIAMS, «Athanasius and the Arian Crisis », p. 165).
43 « En effet, si la vie de Dieu s'exerce en créant, pour que cette vie soit éternelle il faut bien qu'il ait toujours
créé . Et c'est de cette interdépendance de Dieu et de la création que naît inévitablement la position diminuée
du Verbe» (L. SOUYER, L'Incarnation et l'Église-Corps du Christ ... , p. 56) . Se fondant sur le caractère
4. Le Verbe créateur 92
système d'Origène renferme une contradiction inhérente pouvant conduire à deux options
opposées: le rejet de l'éternité de l'univers ou de celle du Logos'. Si les ariens choisirent la
deuxième, Athanase, prit résolument position pour la première44 .
Pour Kwok-Kit Ng, « Athanasius' doctrine of creation started from the biblical data with
special consideration on what he believed to be the Nicene Christology »45 :
Bouyer, de son côté, tentant de résumer succinctement les motifs pour lesquels le
successeur d'Alexandre adhère au symbole conciliaire, écrit que ce dernier
immuable de Dieu, Origène pense que celui-ci ne peut qu'être Créateur de toute éternité. De cette conviction
jaillit l'idée d'une création subsistant éternellement dans la divine Sagesse de Dieu : Kwok-Kit Ng précise
qu'une cosmologie hiérarchisée rend plausible et explicable une telle doctrine (N. KWOK-KIT NG, The
Spiritua/ity of Athanasius, p. 63).
44 G. FLOROVSKY, « The Concept of Creation ... , p. 42-43). Athanase rejette aussi dans son apologie le concept '
platonicien d'une matière préexistante à partir de laquelle Dieu aurait façonné le monde, une telle idée ne
pouvant qu'affaiblir la capacité divine de créer: « Mais d'autres, parmi lesquels Platon, qui est grand chez les
Grecs, assurent que Dieu a fait l'univers à partir d'une matière préexistante et sans origine. Dieu n'aurait rien
pu faire, si la matière n'avait pas préexisté, tout comme le bois doit exister avant le menuisier pour être
travaillé par lui. Ceux qui tiennent ce langage ne réalisent pas qu'ils attribuent une faiblesse à Dieu » (Sur
l'incarnation du Verbe 2. 3). « ... Alexander and Athanasius chose 1.. ./ (seeking) to base the doctrine of
eternal generation no longer on cosmology but soteriology. Berkhof has pointed out that the re-interpretation
of the doctrine on this basis involved a radical alteration of the Logos-doctrine, for the Logos is now
considered to be eternal and one with the Father for the reason that no incarnate demi-god can restore fallen
creation to fellowship with God. Secause of this shift in emphasis there is a vast difference between the
Logos.,. doctrine of Athanasius and that of Origen, a difference which involves a total reorientation of the whole
doctrine of God and of the person and work of Christ» (T. E. POLL.ARD, Johannine Christ%gy ... , p.130-131).
« He (Athanase) has overcome the philosophical Logos-doctrine in principle and argues on the basis of the
doctrine of salvation » (F . LOOFS, cité par ibid., p. 132).
45 N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 71 .
46/bid.
.. . Ies êtres ne sont pas faits spontanément, comme s'ils n'avaient pas été
l'objet d'une Providence, ni à partir d'une matière préexistante, comme si Dieu
était impuissant; mais à partir du néant et sans qu'elles aient existé d'aucune
façon auparavant Dieu a suscité toutes choses dans l'être par le Verbe,
comme il le dit par Moïse : « Au commencement Dieu créa le ciel et la
terre» 48 . . . 49
A l'époque des disputes entre l'évêque d'Alexandrie et les ariens, la doctrine d'une
création ex nihilo demeure entièrement inconnue de la philosophie païenne et comporte
des incertitudes dans sa formulation au sein de l'Église 50 . Athanase rompt avec le passé
en exposant plus clairement ce concept auquel il greffe son axiome d'une radicale
distinction ontologique entre ce qui ne possède aucune origine et ce qui origine, entre
51
« Celui qui est» et les choses créées à partir de rien . L'apologiste se réfère souvent à
Dieu comme à l'Être véritable et immuable, en contraste avec l'ensemble de la réalité
créée, instable et sujette à la dissolution (~eopa) de par sa propre nature tirée du néant52 .
Il n'existe aucune similitude d'être ou de nature entre Dieu et sa création 53 . La principale
démarcation athanasienne se situe donc, comme l'observe Florovsky, entre ces deux
réalités, et non, comme pour les ariens, entre le Père et le Fils 54 . Si Origène effectuait une
distinction essentielle entre le spirituel et le matériel 55 , Athanase considère, de son côté,
l'ensemble de la création, malgré des différences de gradation, comme constituant une
seule et unique réalité face à l'Incréé qui seul possède une nature incorruptible 56 .
48 Genèse 1. 1
49 Sur l'incarnation du Verbe 3. 1. Voir aussi 3. 3.
50 A. PETTERSEN, Athanasius and the Hurnan Body, p. 5. « Sallust, the Neo-Platonist philosopher who was by
no means idiosyncratic in this thinking, saw the cosmos and ail therein as an expression of the goodness of
God; and since God had never been without his goodness, the whole cosmos had always existed, as light
perpetually emanates trom the visible sun» (ibid.)
51 Ibid.; P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ... , p. 149-150; Discours contre les ariens 1,21 .
52 « Athanase est un passionné de consistance ontologique solide. On peut dire que toute son œuvre se
ramène à défendre ce qui est - ou plutôt Celui qui est - contre tout ce qui n'est qu'apparence et prétention
sans fondement. Il y a consistance divine, absolue, transcendante; en dehors de là il n'y a qu'évanescence»
(R. BERNARD, L'Image de Dieu ... , p. 28-29).
53 P. WIDDICOMBE, The Fatherhood of God ... , p. 150. À noter qu'Athanase inclut le temps parmi les créatures
ou choses créées (ibid., p. 151). Cette différenciation représente l'une des principales originalités de la
pensée d'Athanase (L. BOUYER, L'Incarnation et l'Église-Corps du Christ ... , p. 357).
54 G. FLOROVSKY, dans N. KWOK-KIT NG, The Sp iritu ality of Athanasius, p.66.
55 A. LOUTH, dans ibid., p. 55.
56 J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme dans la théologie d'Athanase d'Alexandrie, [Studies in the History of
Christian Thought, vol. IV], Leiden, E. J. Srill, p. 350. Athanase se démarque ainsi, non seulement d'Origène,
mais aussi d'un grand nombre de penseurs (platoniciens et néo-platoniciens) et d'écrivains chrétiens de son
4. Le Verbe créateur 94
temps qui opéraient plutôt la distinction ontologique entre le spirituel et le matériel, cette dernière réalité
représentant un obstacle pour atteindre la divinité invisible et immatérielle. Il se sert de sa doctrine d'une
création ex nihilo pour rompre radicalement avec le néo-platonisme de ses jours et le platonisme chrétien
professé par ses prédécesseurs origénistes. Il résulte de cette approche notamment que l'âme humaine
appartient autant que le corps physique à la réalité créée et que contrairement au dualisme hellénistique, les
deux ne s'opposant aucunement (Voir A. PETTERSEN, Athanasius and the Human Body, p. 20-21). Voir aussi
E. P. MEIJERING, Orthodoxy and Platonism ... , p. 43).
57 Pettersen, dans N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 65.
58 N. KWOK-KIT NG, ibid.
59 Voir ibid., p. 64. « The created order is fragile and transitory; it has come from nothing, and is, as it were,
suspended over non-being. Any permanence it can ever attain it can only have from its relation to the Creator
Word; in itself it is subject to the natural corruption bound up with death, [ ... ] corruption, decay, going. to
pieces, ending in death, SaVaTOS" : that is the natural state of the created order, or rather its state considered
in itself, apart from its being sustained by its relationship to God » (A. LOUTH, « Athanasius' Understanding of
the Humanity of Christ », Studia Patristica, XVI, 2e partie [1985], p. 312). L'axiome, qu'un être issu du néant
ne peut toujours se maintenir dans l'être, formulé en premier lieu par Aristote, était connu dans le moyen-
platonisme (C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 271, note #2)
60 Sur l'incarnation du Verbe 1. 1; voir aussi 14. 6. L'auteur fait allusion à Actes 17. 28 (C. KANNENGIESSER,
ibid., p. 261 , not~ #1.
61 Sur l'incarnation du Verbe 17. 6; voir aussi Contre les païens 44.
62 Sur l'incarnation du Verbe 18. 6.
63 Ibid., 9. 4.
4. Le Verbe créateur 95
Ainsi, présent dans toute la création, il reste extérieur à tout par son
essence, mais il est en tout par ses puissances, ordonnant toutes choses et
développant partout vers toutes choses sa providence, vivifiant un chacun et
tous les êtres à la fois, contenant l'univers sans être contenu par lui, mais
demeurant en son seul Père tout entier et à tous égards. 66
Dans le Sur l'incarnation du Verbe, tout comme dans le Contre les païens, l'évêque
semble se référer au Logos stoïcien remplissant et contenant la totalité de l'univers dont il
assure l'ordre et l'unité67 : «C'est pourquoi le Verbe de Dieu incorporel, incorruptible et
immatériel vient dans nos contrées, bien qu'il n'en fût pas loin auparavant. Car il n'a laissé
aucune partie de la création vide, mais il a tout rempli partout, lui qui demeure auprès du
Père. »68 Cependant, ~i pour l'apologiste « il n'est pas insensé que le Verbe soit dans la
création », comme l'âme dans un corps69, celui-ci corrige le panthéisme matérialiste de la
doctrine stoïcienne en faisant appel au concept platonicien de participation, lequel
présume une différence ontologique radicale entre le sujet et l'objet de celle-ci 70 :
The world is a receptacle for the activity of the Word, and it is only in virtue
of this radical receptivity that the cosmos is a harmonious order. Thus, for
Athanasius, the participation modelis used to evoke the deeply religious truth
64 R. BERNARD, L'image de Dieu .. ., p. 36. Berchem lie l'expression {( participation au Verbe» à celle d'« image
du Verbe» employée pour exprimer le fait que la création porte l'empreinte de son Créateur (cf., J. B.
BERCHEM, « Le rôle du Verbe dans l'œuvre de la création ... », p. 21 D, 212-213).
65 N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 64-65.
66 Sur /'incarnation du Verbe 17. 1; « Car de même qu'il vient tout entier par ses puissances en chacun et en
tous, distribuant toutes choses avec largesse [ ... ] puisqu'il contient toutes choses, qu'il se trouve à la fois en
toutes et en chaque partie, et s'y montre invisiblement; de même, puisqu'il donne à tout être l'ordre et la vie»
(ibid., 42. 6).
67 Voir P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... , p. 237 et N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p. 65.
Kannengiesser y discerne des « formules imprégnées de stoïcisme populaire». L'idée de Dieu contenant
toutes choses sans être contenu lui-même plonge ses racines et est familière à l'ensemble de la tradition
chrétienne des premiers siècles, sans que "on puisse y trouver un parallèle dans la littérature hellénistique
(C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 324-325, note 1). Meijering préfère y voir une référence à
la pensée philonienne et au moyen platonisme (E. P. MEIJERING, Orfhodoxy and Platonism ... , p. 53--54).
68 Sur /'incarnation du Verbe 8. 1; voir Éphésiens 4. 6-10 et Contre les païens 41.
69 Sur l'incarnation du Verbe 42, 3. Le Logos remplit alors le rôle de l'âme de l'univers, ce dernier celui du
corps (owl1a) du Logos. Concernant cette conception de l'univers en tant qu'un corps qu'Athanase reprend
de la pensée grecque avec quelques modifications, voir E. P. MEIJERING, Orfhodoxy and Platonism ... , p. 54-
55.
70 K. ANATOLlOS, Athanasius. The Coherence ... , p. 50, voir aussi p. 51-52 .
4. Le Verbe créateur 96
that the universe has its beginning and groun'd not only temporally but
epistemologically and ontologically in God. The intelligibility and reality of the
universe is grounded in the reality of the Word. In this way, the pervasiveness
of the Word's power within the universe is still emphasized, along with a
simultaneous reaffirmation of his transcendence. 71
Car Dieu est bon; bien plus, il est la source de la bonté. Or, un être bon ne
saurait avoir de jalousie envers personne 7S . Aussi, n'étant jaloux de l'être
d'aucune chose, il les a fait toutes à partir du néant par son propre Verbe,
notre Seigneur Jésus-Christ. Parmi ces choses, il prit en pitié le genre humain
avant tout sur terre; et le voyant incapable, selon la loi de sa propre origine, de
se maintenir toujours ,- il lui fit une largesse plus grande; .1 ne créa pas
71 Ibid., p. 51. Voir aussi A. GAUDEL, «La théologie du Logos chez saint Athanase (suite)>> Revue des
sciences religieuses, 9 (1929), p. 8.
72 Voir P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... , p. 237, note 1. S'opposant à toute doctrine qui rejette ou
amenuise la totale dépendance du monde à l'égard de Dieu et de son Logos, Athanase repousse aussi
l'épicurisme qui ne tient pas compte de l'ordre de l'univers et de son unité (A. GAUDEL, « La théologie du
Logos ... », p. 5).
73 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 43.
74 Id., Athanasius. The Coherence ... , p. 32. We remarked earlier that, while the relation between created and
uncreated is the governing paradigm in Athanasius's ontology, it is the relation between God and humanity
that is most central significance (ibid., p. 34).
75 " s'agit selon Kannengiesser d'une citation presque littérale de Platon (Timée 29 c).On la retrouve à mots
couverts chez Philon, Clément d'Alexandrie et mêlée à une citation plus longue chez Origène (C.
KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 270, note 1). Meijering la signale dans le moyen-platonisme et
chez Irénée (E. P. MEIJERING, Orfhodoxy and Platonism ... , p. 40-41).
4. Le Verbe créateur 97
simplement les hommes, comme tous les vivants sans raison qui sont sur la
terre; mais selon son Image il les fit. .. 76
Dieu fit ainsi « la largesse la plus grande» (TTÀÉOV XaptSO\lEVOS), une « extra grâce »77,
à l'humanité pour deux raisons précises: premièrement, l'incapacité de celle-ci à atteindre
l'incorruptibilité, car «par nature, l'homme est mort, puisqu'il est issu du néant »78;
deuxièmement, son impuissance à parvenir à la connaissance de son Créateur par elle-
même79 :
Quand Dieu, qui détient la domination sur l'univers, fit le genre humain par
son Verbe, il remarqua bien la faiblesse de la nature des hommes, incapable
de connaître par ses propres moyens le démiurge, de se faire la moindre idée
de Dieu, du fait qu'II est l'Incréé, mais les choses sont issues du néant; il est
l'Incorporel, mais les hommes ici-bas ont été formés d'un corps; bref, grande
est la déficience des créatures s'il s'agit de la compréhension et de la
connaissance du créateur. 8o
Here the relation between God and humanity in the context of the possibility
of human knowledge of God, is conceived to be radically determined by the
global distinctiàn between created and uncreated. It is the fact that humanity
was made from nothing, a fact which it shares with ail the rest of creation, that
76 Sur l'incarnation du Verbe 3. 3. Voir aussi 11. 3. « Comme pour la plupart des Pères de l'Église les termes
bibliques décrivant la création de l'homme KaT' EiKova Kat KaS' àJ.lOIWOlV 8EOÛ revêtent pour Athanase une
signification importante bien que le thème de l'image de Dieu ne s'épanouisse pas autant chez lui que chez
Irénée, Origène et Grégoire de Nysse» (J . ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 26).
77 J. BEHR, The Nicene Faith, p. 188.
78 Sur l'incarnation du Verbe 4. 5.
79 J. ROLDANUS , Le Christ et l'homme ... , p. 34.
80 Sur /'incarnation du Verbe 11. 1.
81 Ibid., 11 . 1-3.
~ ~~ - - ---~--- - - - - - --
4. Le Verbe créateur 98
Par sa grâce (Xapls-) Dieu n'attribue pas à l'homme la qualité d'image proprement dite,
mais plutôt celle d'être selon l'Image, KaT' EIKova 84 . En effet, la propriété d'image divine
appartenant exclusivement au propre Logos du Père, la créature humaine ne peut
participer à celle-ci que par grâce 85 , « la grâce de la participation au Verbe »86. Une telle
différentiation entre l'Image et selon l'Image, si elle représente selon Bernard une pensée
maîtresse du discours athanasien 87 , ne constitue toutefois pas une innovation en soi 88 .
L'originalité du discours athanasien réside plutôt dans la manière de l'exprimer ainsi que
dans le rapprochement effectué entre les deux données scripturaires, les subordonnant
l'une à l'autre en une synthèse théologique claire 89 .
Athanase fait non seulement reposer son raisonnement sur une lecture littérale du texte
grec de la Septante de Genèse 1, 26, mais il en appelle aussi aux enseignements
pauliniens 90 et poursuit une tradition exégétique bien établie à son époque 91 . Néanmoins, il
ne se limite pas à cette tradition qui, sous l'influence du platonisme, concevait encore
l'image comme inférieure ou seconde à son archétype : « ... Athanasius fought for a
decisive break with the tradition in support of the Nicene definition, insisting on the
uniqueness of the Logos-Image as "necessarily" equal to its archetype in every respect.
There is a fundamental difference between the Son and ourselves. »92 Selon Louth, le
sens du « selon l'Image de Dieu» d'Athanase demeure difficile à saisir. On peut
cependant résumer cela par deux mots: grâce et relation 93 . Anatolios écrit:
Thus, the dialectical simultaneity of God's beyondness and the divine love
that mitigates this beyondness characterizes God's relation with created
humanity from the very beginning of creation. Creation is understood as the act
whereby the one who is "beyond ail being" becomes the generous source of
created being, and desires to grant humanity knowledge of and communion
with himself. 94
En effet, « Dieu ne nous a' pas seulement faits à partir du néant, mais il nous a donné
aussi de vivre selon Dieu par la grâce du Verbe »95. La création selon l'Image apparaît
alors comme une grâce surnaturelle et supplémentaire, accordée par Dieu à l'homme en
vue de remédier chez ce dernier aux lacunes inhérentes à sa nature ou <pUOl s- , celle-ci
pour Athanase, commande toute cette doctrine. Il y a d'abord ce point de théologie trinitaire, qui a ses
répercussions dans l'anthropologie pour autant précisément 'que la relation ElKWV KaT' EiKova signifie une
participation de l'homme aux relations intimes des Personnes divines. Évidemment. cela n'éclatera
manifestement que dans les œuvres antiariennes, et dans le Contra Gentes-De /ncarnatione Athanase nous
parle surtout de l'homme. Mais dès maintenant on voit bien quel est le centre de référence de la doctrine.
Nous parlons d'un point de théologie trinitaire, et non de christologie» (ibid., p. 24).
90 Voir Colossiens 1. 15; II Corinthiens 4. 4 et / Corinthiens 15. 45-49. Dans ce dernier passage, Paul cite
Genèse 2.7 et démontre la différence entre le premier Adam de la terre et le second, Christ, du ciel: « Thus,
it is c1ear that the image-likeness of Gen 1 : 26 cannot be on the same plane as Christ's image relation to the
Father» (G. LADNER, cité dans K. E. NORMAN, Deification. The Content of Athanasius Soteri%gy, thèse
doctorale, Duke University (É.-U.), 1980, p. 84).
91 Tradition exégétique incluant Tatien, Irénée, Clément et Origène (R. BERNARD, L'image de Dieu ... , p. 10).
92 K. E. NORMAN, Deification, p. 84-85. « ... l'homme ne possède pas la propriété d'image, il participe de l'Image
q~iest une Personne et qui est identiquement Dieu» (R. BERNARD, L'image de Dieu"" p. 27).
93 A. LOUTH, « Athanasius' Understanding of the Humanity of Christ}), p. ,313.
94 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 40-41.
95 Sur l'incarnation du Verbe 5. 1. Athanase ne divise cependant pas , si ce n'est que théoriquement, la création
de l'homme en deux actes distincts non plus qu'en deux moments séparés(voir J. ROLDANUS, Le Christ et
l'homme ... , p. 35 et 46); J. BEHR, The Nicene Faith, p. 190).
4. Le Verbe créateur 100
96 J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme .... , p. 33-34, vois aussi p. 37. It is also important, as Anatolios notes, not
to misconstrue Athanasius' words here in terms of later scholastic nature-grace models; Athanasius uses
these terms ''within the more radical framework of the fundamental distinction between created and
uncreated"» (K. ANATollas, Athanasius. The Coherence .. . , p. 55). Athanasius does not use the word
"nature" (<pUOIS), or the phrase " accbrding to nature" (KaTa <puai v), to refer to how things were originally
created and intended by God. Rather "nature" here signifies created existence taken in and by itself» (J.
BEHR,· The Nicene Faith, p. 190). Bernard préfère transcrire plutôt que traduire le mot XaplS, « car il est clair
que la XaplS athanasienne inclut des valeurs que nous mettons maintenant, non dans la grâce, mais dans la
nature» (R. BERNARD, L'image de Dieu ... , p. 45). Sur cette question de la relation grâce/nature chez
Athanase, voir ibid., p. 57-70; J. B. BERCHEM, « Le rôle du Verbe ... » (l'article au complet); A . PETTERSEN,
Athanasius and the Human Body, p. 17-18; A. GAUDEL, « La théologie du Logos ... », p. 13; G. D. DRAGAS,
Saint Athanasius of Alexandria. Original Research ... , p. 25-78.
97 L. BaUYER, L'Incarnation et l'Église-Corps du Christ ... , p. 37.
98 Sur l'incarnation du Verbe 3.3.
99 J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 46.
100 Ibid., p. 45 et 47. « The purpose of this relationship to the Logos of God, according to De Incarnatione, is ta
give human creatures the ability ta understand the nature of their creator. » (K. E. NORMAN, Deification, p.
86). .
101 J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 49.
102 Sur l'incarnation du Verbe 11. 2. Voir par exemple 3. 3; 6. 1 et 4; 7. 1; etc. Aux créatures ÀOylKOIS est
attribué par Athanase d'être KaT' ElKOVa (R. BERNARD, L'image de Dieu ..., p. 24. Sur la relation entre le selon
l'image et le caractère logique de l'homme, voir ibid., p. 39-42, ainsi que J. ROLDANUS , Le Christ et
l'homme ..., p. 46-50.
4. Le Verbe créateur 101
pensée concernant Dieu 103. Une telle accentuation du terme ÀOy1K05 en liaison avec le
titre divin de /\OY05, appartient à toute la tradition alexandrine 104. Cependant, le jeu de
mots athanasien ne renvoie plus comme chez Origène aux purs esprits préexistants à la
création du monde terrestre, mais à l'homme vivant dans le paradis terrestre dans son état
de perfection originelle 105.
103 Ibid., p. 49. Selon Roldanus, le terme « logique» se réfère chez Athanase à la possession de la
connaissance de Dieu (ibid., p. 47) . Voir Sur /'incarnation du Verbe 13. 2-3 où Athanase associe le caractère
logique de l'homme avec sa qualité d'être selon l'Image et le fait d'avoir reçu à l'origine une notion de Dieu.
104 C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 272, note 3. Selon Roldanus, la traduction par
« raisonnable» (celle de Camelot) ne rend pas le sens du mot grec et de plus fait perdre de vue son rapport
avec I\oyos. Crouzel proposait comme traduction plus exacte le terme « verbifié ». La signification de ce
terme est plus théologique et surnaturelle que philosophique (J . ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 38)
105 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 102. L'évêque maintiendra ces notions anthropologiques tout au
long de sa vie (idem., «Athanasius of Alexandria and the Foundation .. . », p. 111. À noter qu'Athanase
désigne le paradis comme un terme figuratif ou symbolique (Contre les païens 2) .
106 P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... , « Introduction », p. 29).
107Camelot croit qu'Athanase, du moins virtuellement, adopte la trichotomie esprit-âme-corps courante à son
époque (ibid., p. 161, note 2). Roldanus, tout comme Louth, considère peu probable qu'Athanase ait voulu
distinguer l'âme (~X~), en tant que sensitive et donc inférieure, du voûs, siège de l'intellect et demeure par
excellence de l'image du Logos dans l'homme (voir J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 53-55); « But
what is it in man, as created, that makes capax dei? What is it that makes the image possible? Athanasius is
silent, or at least ambiguous. It is, it seems, in the soul; but Athanasius shews no inclination to identify Tà
KaT' EIKova with man's voûs say (A. LOUTH, «Athanasius' Understanding of the Humanity of Christ », p. 313).
Kannengiesser affirme qu'Athanase ne fait aucunement mention dans le Sur l'incamation du Verbe d'une
âme chez Adam mais d'un noûs, et ce, aussi longtemps qu'il reste immergé dans la contemplation du Logos . .
Ce n'est qu'au moment de la chute, lorsque l'homme détourne son attention du Logos, qu'il est fait pour la
première fois mention d'une âme, celle-ci étant emprisonnée dans les plaisirs du corps. Il s'agit selon
Kannengiesser d'un trait original de l'anthropologie athanasienne qui permet de mieux ·saisir et comprendre
sa christologie (C. KANNENGIESSER, «Athanasius of Alexandria and the Foundation ... », p. 106-108; voir
aussi idem., Le Verbe de Dieu ... , p. 124-128). Anatolios, qui pense que la ~UK~ n'est pas explicitement
différenciée par Athanase du voûs, écrit que le voûs est cependant toujours ass.ocié par l'évêque avec l'idée
de communion avec Dieu (K. ANATOLlOS, Athanasius. The Coherence ... , p. 61-62). «When Athanasius
idealizes the soul, he almost invariably refers to it as the seat of reason, nous. The notion that man perceives
God through his nous is especially frequent in the early chapters of the CG [ ... ] Eusebius take the same
view, which of course is exceedingly common and is weil represented in Philo ... » (C. STEAD, «Knowledge of
God in Eusebius and Athanasius», dans id., Doctrine and Philosophy in Early Ch ris tia nity: Arius, Athanasius,
Augustine, Aldershot - Burlington (É.-U.), AhsgateNariorum , 2000, p. 234, voir aussi p. 235). Voir aussi
Gaudel sur la question du. voûs Ka8apos athanasien et sur l'influence plotinienne exercée sur les Pères dits
platoniciens (A. GAUDEL, « La théologie du Logos .. . », p. 14-21).
4 . Le Verbe créateur 102
" mind", he appears to presume the Platonic tripartition of the soul into
appetitive, reasonable, and spirited parts. Yet .these are analytical categories
for Plato, delineating parts of soul, whereas for Athanasius, the distinction
between "soul" and "mind" refers more to determinations of the self in its
relation to God. If the body is conceived as the starting point of the Godward
ascent, the "mind", or nous, conceived along the fines of the biblical notion of
the " heart", is the locus of communion with God. The " soul", on the other
hand, is an intermediate category, generally correlated by Athanasius to the
body as its "pilot" or governor. It governs the body precisely by orienting it
toward the divine contemplation whose locus is the " mind" . " Mind" therefore
refers to the determination of the soul which is properly ordered toward
communion with God. 108
Décrite en termes platoniciens, l'âme parfaite ou idéale, celle d'Adam avant la chute,
possède une nature contemplative et ascétique. Dans un tel état de pureté, inconscient de
son propre moi et non centré sur le monde sensible, la ~UK~ (ou le voûs-) humaine se
tourne spontanément vers le Verbe créateur dans une vision extatique 109. Une telle activité
théocentrique, que Stead' appelle la « connaissance idéale» 110, possède une vertu
transformatrice et vivifiante. Athanase la conçoit, à l'instar d'Irénée pour qui « la vie de
l'homme, c'est la vue de Dieu» 11\ comme une pénétration de l'âme par Dieu, une
semence d'éternité 112 :
Par nature, l'homme est mortel, puisqu'il est issu du néant. S'il avait
conservé au moyen de la contemplation sa ressemblance avec celui qui est, il
aurait réduit la corruption selon la nature et serait resté incorruptible, comme la
sagesse le déclare: « L'observation des lois garantit l'incorruptibilité. »113 Et
étant incorruptible, il aurait désormais vécu la vie de Dieu , selon ce que la
divine Écriture exprime quelque part: « J'ai dit, vous êtes des dieux, et tous fils
du Très-Haut. .. »114. 115
Cette communion mystique au Verbe devait ainsi assurer la béatitude du genre humain
et lui donner part à l'immortalité, l'homme étant appelé à expérimenter dans le Paradis, par
sa connaissance du Créateur, « une vie de vrai bonheur et de félicité» 116. Ainsi , écrit
Athanase, Dieu créa les êtres humains selon sa propre Image afin que « possédant
comme des ombres du Logos 11 7 et devenus " logiques" , ils puissent demeurer dans la
béatitude, en vivant dans le paradis la vraie vie, celle même des saints» 118. Par l'octroi de
cette grâce, le Verbe divin accordait à l'homme non seulement la capacité de le
contempler, « mais plaçait en lui le chemin du salut par la vision béatifiante» 11 9 : « Dès le
principe , Dieu a donné à sa créature une vocation divine, il l'appelait à participer à son
Verbe, qui est sa propre image, et lui donnait en cette ressemblance le principe et le
germe de l'immortalité. » 120
ou perdre leur participation à ce Verbe démiurge 121. Ainsi, selon Dragas, le Sur
l'incarnation du Verbe « makes it plain that charis is man's distinctive ability for free
response and interaction with God» 122. La possession de cette libre volonté place
l'homme au-dessus du reste de la création et au-dessous de l'Être divin dont la nature
immuable transcende la volonté 123 ~ Aussi, dans le but de préserver l'homme dans son état
d'intégrité originelle, Dieu plaça celui-ci dans un cadre délimité tant sur le plan
géographique que moral: ·
Sachant de plus que la volonté des hommes pouvait incliner d'un côté
comme de l'autre, il prit les devants et il fortifia par une loi et un lieu déterminé
la grâce qui lui avait été offerte. " les introduisit, en effet, dans son paradis et
leur donna une loi : s'ils gardaient la grâce et restaient vertueux, ils auraient
dans le paradis une vie sans tristesse ni douleur ni souci, en plus de la
promesse de l'immortalité dans les cieux. Mais s'ils transgressaient la loi et
que, s'en détournant, ils devenaient mauvais, ils sauraient que la corruption
selon la nature les attendait dans la mort, qu'ils ne vivraient plus au paradis,
mais mourant désormais hors de là ils demeureraient dans la mort et la
corruption. C'est bien ce que la divine Écriture signifie d'avance en faisant
parler Dieu : « Tu mangeras de tout arbre qui est dans le paradis; mais de
l'arbre de la connaissance du bien et du mal vous n'en mangerez pas; le jour
où vous en mangerez, vous verrez la mort» 124, qu'est-ce à dire sinon ne pas
125
mourir seulement, mais demeurer vraiment dans la corruption de la mort.
Athanase suit ici encore une fois Irénée qui voit dans le commandement divin un
moyen d'orienter la liberté de l'homme 126. Pour l'évêque lyonnais, la gloire de ce dernier
réside dans sa persévérance à servir Dieu 127. Demeurer dans cet état originel de
réceptivité de la grâce du Logos représente la quintessence de la vocation de la créature
humaine 128 . John 8ehr explique:
Human beings certainly depend for their continuance on the power of God;
their perseverance in the state willed by God depends totally upon the grace
already bestowed. God remains the primary agent, bestowing the gift of which
human being are the passive recipients. But the fact that human beings are
created with free will (rrpoalpEoIS) modifies the nature of this passivity, for they
have the possibility of turning away from the gift itself. In a further initiative,
God secured the grace already given, remaining good, they could live the life
of paradise. Thus, unlike the rest of creation , human beings are charged with
receiving and keeping this gift active/y. Although the general paradigm of the
relation between God and creation , in terms of activity and passivity remains , a
new fundament dynamic is introduced : human beings are themselves active,
insofar as they must keep themselves receptive to such grace, even if it is only
by receiving this grace that they are able to be active in this manner. 129
129 J. BEHR, The Nicene Faith, p. 189-190. «As Anatolios point out, Athanasius does not use terminology
suggesting " governance" to describe God's activity toward human beings » (ibid., p. 189.) Young écrit que
dans la tradition alexandrine, la réceptivité constitue une caractéristique propre à l'être humain (F. M. YOUNG,
« A Reconsideration of Alexandrian Christology », Journal of Ecclesiastical History, XXII, 2 [1971], p. 114).
130 K. ANATOllOS, Athanasius. The Coherence ... , p. 61.
131 J. BEHR, The Nicene Faith, p. 190; R. BERNARD, L'image de Dieu ... , p. 27. « Despite this similarity to the
Alexandrian exegetical tradition, he does not subscribe to the idea of spiritual advancement from KaT' eiKova
to likeness, since this would imply a defective creation »; « Instead of the similitude being the fulfilment or
perfection of the image by a restoration or moral progression, O~OICù0l5 with Gad is itself the content of that
image» (Ladner, dans K. E. NORMAN, Deification, p. 83). Voir Sur J'incarnation du Verbe 4, 6 où Athanase
emploie le terme ressemblance en le qualifiant de don gracieux que l'homme devait conserver, ne faisant de
ce fait aucunement mention d'un progrès.
132 R. BERNARD, L'image de Dieu ... , p. 28. Comme l'a écrit Bernard, «Athanase est un passionné de
consistance ontologique solide. On peut dire que toute son œuvre se ramène à défendre ce qui est - ou
plutôt Celui qui est - contre tout ce qui n'est qu'apparence et prétention sans fondement. Il y a consistance
divine, absolue, transcendante; en dehors de là il n'y a qu'évanescence. Dans l'Image, il pense plus à l'être
qu'au paraître; et dans le KaT' €iKOVa c'est encore le fondement ontologique accordé à l'homme qui lui
importe: il prend l'anthropologie par le biais de la participation» (ibid., p. 28-29) . Stead croit vraisemblable
4 . Le Verbe créateur 106
Pour Athanase, toute connaissance de Dieu passe nécessairement par celle du Fils 134.
Comme l'a écrit Gaudel, « l'action créatrice du Verbe dans le monde et dans l'homme est
essentiellement révélatrice» 135. Cette action pourvoit ainsi à deux moyens permettant aux
hommes de contempler le Logos et par lui le Père.
Le premier, plus immédiat, réside dans la grâce participative au Verbe: « Par une telle
faveur, ils connaîtraient l'Image, je veux dire le Verbe du Père; ils pourraient par lui se faire
une idée du Père» 136 :
Ainsi, pour saint Athanase, comme pour les Platoniciens, l'homme tel qu'il
est sorti des mains de Dieu possède non seulement en lui-même l'œil de la
contemplation, mais trouve en lui, du fait qu'il est créé à l'image du Verbe,
l'objet de sa contemplation; en se recueillant et en se connaissant lui-même
dans sa pureté primitive, il ne peut pas ne pas trouver reproduit dans les traits
mêmes de son âme comme les reflets du Verbe, Image du Père. 137
Or, bien que « la grâce d'être selon l'Image se suffisait à elle-même pour connaître le
Dieu Verbe et par lui le Père» 138, néanmoins, en raison de la faiblesse inhérente à la
nature des hommes, le Logos leur a ménagé, dans sa bonté pour eux, une autre voie par
laquelle il se révèle plus facilement, celle de la contemplation du monde:
qu'Athanase ait été influencé par Eusèbe à ce sujet (C. STEAD, «Knowledge of God in Eusebius and
Athanasius », p. 233).
133 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 48-49.
134 « Athanasius' approach to the knowledge of God was strictty through the Son, and not otherwise » (T. F.
Torrance, « The Doctrine of the Holy Trinity ... », p. 395); « That is to say, for us to know the Son is to know
the Father in accordance with what he is in his own essential Nature, in the indivisibility of the Father from the
Son and of the Son from the Father, and thus to know God in the internaI relations of his eternal Seing»
(ibid., p. 396). « Et il est le rayonnement (le Fils) en lequel il (le Père) illumine toutes choses et se révèle à
ceux qu'il veut. Il est son Empreinte et son Image en lesquelles il est vu et connu, et c'est pourquoi lui et le
Père sont un, car celui qui le voit voit également le Père» (Discours contre les ariens 1, 16; cf., Lettre sur les
décrets du concile de Nicée 41-54) .
135 A. GAUDEL, « La théologie du Logos ... », p. 14.
136 Sur l'incarnation du Verbe 11 . 3.
137 A. GAUDEL, « La théologie du Logos ... }) , p. 20-21 .
138 Sur l'incarnation du Verbe 12. 1; J . BEHR , The Nicene Faith , p. 192.
-- - ----------~
Conclusion
Le Père amène toutes choses à l'existence ex nihilo et soutient cet univers fragile
ontologiquement par l'entremise de son Verbe éternel et incorruptible. En raison de la
nature divine de celui-ci, Athanase établit dans le Sur l'incarnation du Verbe une claire
distinction entre ce Verbe et sa création. L'homoousios de Ni,cée lui sert de fondement
épistémologique non seulement dans l'élaboration de son discours trinitaire, mais aussi à
sa doctrine de la créatiQn 143. Ainsi, parce que consubstantiel au Père, le Logos démiurge
ne participe en rien au monde qu'il a tiré du néant, mais plutôt fait participer celui-ci
gracieusement à sa volonté et à sa puissance divines. L'humanité, objet de la part de son
Créateur d'une sollicitude et d'un amour particulier, se voit revêtue d'une grâce plus
excellente . Celle-ci consiste dans le don de porter l'image de l'Image en vue de posséder
une juste connaissance contemplative du Verbe et par lui du Père.
Néanmoins, le but d'Athanase dans son traité ne consiste pas tant à expliquer de façon
rationnelle l'origine de l'univers et de l'homme qu'à démontrer le lien logique entre l'activité
139Sur l'incarnation du Verbe 12. 1, 3; « ... par les œuvres de sa Providence on peut le découvrir, et, par lui le
Père .. . » (ibid., 41. 4, voir aussi 14. 6); « ... mais si elle a été faite par l'entremise du Fils et si toutes choses
subsistent en lui, de toute nécessité celui qui voit correctement la création voit aussi le Verbe qui l'a créée et,
par lui, il commence à concevoir le Père» (Discours contre les arifJns l, 12; voir aussi Contre les païens 35 et
38) .
140 Sur l'incarnation du Verbe 37. 4.
141 Ibid., 17. 2. « Invisible, il est connu à partir des œuvres de la création .. . » (ibid., 18. 3).
142 A. GAUDEL, « La théologie du Logos ... », p. 14-15,24.
143 J. B. WALKER , « Convenance épistémologique de l' " homoousion" ... », p. 256.
4. Le Verbe créateur 108
For Athanasius, as the Son of God was the original acting agent within the
order of creation, so the Son will now be the acting soteriological agent within
the order of redemption. Following the biblical historical narrative of God's
revelation, Athanasius insightfully perceives that the Son of God, as the
Father's Word and Wisdom, inextricably conjoins protology and soteriology
and, ultimately, eschatology.147
« ... qui est descendu [du ciel] pour nous les hommes /. . ./ et s'est
incarné ... »
Symbole de Nicée
Introduction
1 G. D. DRAGAS, «The Eternal Son ... », p. 27. Selon cet auteur, Athanase considère la doctrine du Logos
essentielle non seulement à une juste compréhension de la Trinité mais aussi de la personne du Christ (ibid.)
2 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 113; « Athanasius of Alexandria and the Foundation of Traditional
Christology », p. 107. «This contribution of systematic order directly influenced the Great Catechism of
Gregory of Nyssa; it influenced Ambrose of Milan and Cyril of Alexandria » (ibid.)
3 G. D. DRAGAS, « The Eternal Son ... », p. 38.
4 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 111-112.
5 S. SESBOÜÉ, « Christologie et sotériologie. Éphèse et Chalcédoine (Ive -ve siècles) ». dans B. SESBOÜÉ et J.
WOllNSKY, Le Dieu du salut, p. 351.
6 C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 109.
----1
5. Le Verbe incarné 110
Athanase débute son traité Sur l'incarnation du Verbe en exprimant le motif premier de
cet acte d'incarnation du Logos incorporel par nature: la philanthropie (<plÀav8pwTTta) et la
bonté (àya8ov)7 de son Père envers les hommes déchus et son désir de les sauver :
Cet amour du Père pour les hommes se trouve aussi dans le Fils qui les a créés :
7 Cf., Contre les païens 35 où Athanase décrit Dieu comme étant « bon et ami des hommes, et qui a souci des
âmes qu'il a créées» (cf., Tite 3. 4). Camelot rapporte que cette épithète attribuée aux divinités par Platon
était aussi familière aux stoïciens. Athanase semble s'inspirer du livre de la Sagesse qui fait de la
philanthropie un attribut de la Sagesse divine (P. TH . CAMELOT, Contre les païens ... , p. 179, note 1).
8 Sur l'incarnation du Verbe 1. 3.
9 Ibid., 4. 2-3. Voir aussi 8. 1 et 34. 2. « ln his conception of the Christian accounts of creation and salvation,
Athanasius thus ties the natural and ontological "belonging" of the Son of the Father to an account of the
gratuitous descending love of God which is manifested in the life and death of Christ. The Son is the fully
divine Creator who is other than creation, to whom creation is indebted for its being. The Son is also the fully
divine Saviour, as the God who humbled himself for the sake of our advancement. In Athanasius's
theological vision, Trinitarian theology and kenotic Christology are closely intertwined and mutually
correlative; both are consistent with a core emphasis on the divine posture toward humanity as one of
philanthropia, the divine love that bridges the transcendent natural inaccessibility of the divine essence» (K.
ANATOLlOS, Athanasius, p. 55-56). « C'est donc spécialement dans son DI qu'Athanase décrit l'homme
comme l'objet de l'action de Dieu aussi bien dans la création que dans le salut» (J. ROLDANUS, Le Christ et
5. Le Verbe incarné 111
Ainsi donc Dieu a fait l'homme et il voulait qu'il restât dans l'incorruptibilité.
Mais les hommes, devenant négligents et se détournant de la contemplation
de Dieu, concevant et imaginant pour eux-mêmes le mal, comme on l'a dit
dans ce qui précède, reçurent la sentence de ' mort, dont ils avaient été
menacés auparavant, et ils ne demeurèrent plus dès lors tels qu'ils avaient
commencé d'être; mais ils se corrompaient au gré de leurs pensées et la mort
établit sur eux leur empire. Car la transgression du commandement les
ramena à leur nature, pour que, issus du néant, ils supportassent de même à
juste titre dans le cours du temps la corruption tournée vers le néant. En effet,
si leur nature était autrefois le néant, et s'ils furent appelés à l'être par la
présence et la philanthropie du Verbe, il s'ensuit que les hommes privés de la
connaissance de Dieu et se détournant vers le néant - car le mal est du néant,
mais le bien est l'être, puisqu'il est issu de Dieu qui est, sont aussi privés de
l'être qui serait éternel. Voilà ce que signifie qu'une fois décomposés, ils
restent dans la mort et la corruption. 12
Suivant Origène, Athanase définit l'être, lequel possède son archétype en Dieu, comme
étant bon, le mal ne pàssédant pas d'existence réelle 13. Pour continuer d'« exister », l'être
humain devait demeurer dans sa bonté originelle 14. La mention de la création de
l'humanité et de sa chute au début du Sur l'incarnation du Verbe ne réside cependant pas
tant, comme dans le Contre les païens, en une exposition de l'origine et de la nature du
l'homme .. ., p. 23; voir aussi J. BEHR, The Nicene Faith, p. 178; J. B. BERCHEM, « Le Christ sanctificateur
d'après Saint Athanase », Angelicum, XV [1938], p. 515) .
10 P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... , « Introduction », p. 57. « Athanasius' words leave no doubt that
human sin has provoked the incarnation» (E. P. MEIJERING, Orthodoxy and Platonism ... , p. 42).
11 Contre les pa ïens 7.
12 Sur l'incarnation du Verbe 4. 4-5. Athanase préfère parler des hommes et non d'Adam lorsqu'il se réfère aux
origines de l'humanité (C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 277, note 2). La perte de la
connaissance divinè implique la perte de la vie éternelle (E. P. MEIJERING, Orlhodoxy and Platonism ... , p.
49).
13 « ... l'être, c'est le bien, le néant, c'est le mal. J'appelle bien l'être puisqu'il a son exemplaire en Dieu qui est
l'Être. Et j'appelle mal le néant, puisque n'existant pas, il n'est qu'une fiction de l'imagination humaine»
(Contre les païens 4); « ... Ie mal ne vient pas de Dieu, n'est pas de Dieu, n'a pas existé au commencement,
il n'a pas de substance» (ibid., 7). Camelot voit ici un thème néo-platonicien (P. TH. CAMELOT, Contre les
païens .. . , p. 215, note 3).
14 Cf., Sur l'incarnation du Verbe 5. 1.
5. Le Verbe incarné 112
péché, que dans un étalage des effets désastreux de celui-ci sur ceux qu'Athanase
qualifie d'« inventeurs du mal» 15 :
21
monde , définissant celle-ci essentiellement comme la vénération de la créature au lieu
du Créateu~2, une telle perversion des êtres créés selon l'Image revêt néanmoins pour
Athanase un caractère absurde (aTorrov) et inconvenant (eXrrpETÉs) , une réalité qu'il
considère comme indigne de la bonté divine:
Toutefois, Athanase considère tout aussi absurde que Dieu, après avoir décrété la mort
de l'homme si celui-ci désobéissait à son commandement, ne mette pas sa menace à
21 Sur /'incarnation du Verbe 5. 1. En qualifiant les hommes d'« inventeurs du mal », Athanase désire ici
souligner la responsabilité personnelle des hommes dans leur esclavage du péché, peut-être en vue de
contrer les vues du gnosticisme à ce sujet (C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe , p. 281, note 2).
Selon Brakke, pour Athanase « the tirst sin 1../ was not pride or disobedience, but a loss of moral nerve, a
failure ot persevere in renunciation of the body and attention to God : Athanasius described it with such
terms as " negligence" (KOTOÀtywpEÎV), "hesitation" (OKVEÎV) , "Iack of attention" (à~EÀIO), and " forgetting"
(ÈrnÀov8civE080t) : the result was "evil" (KOKIO). The consequent disorientation of the mind extended to the
affections of the soul : human desires became seltish, detiling, and oriented toward the pleasure of the
body» (O. BRAKKE, Athanasius and the Politics of Asceticism (Oxford Early Christian Studies), Clarendon
Press, Oxford, 1995. p. 147; cf., L. SOUYER, L'Incarnation et l'Église-Corps du Christ. .. , p. 38) .
22 J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 22.
23 Sur l'incarnation du Verbe 6. 4-10. « Puisque les hommes s'étaient donc rendus déraisonnables à ce point
et que la tromperie des démons jetait son ombre de tous côtés et cachait la connaissance du vrai Dieu, que
devait faire Dieu ? Se taire devant une pareille situation, accepter que les hommes soient égarés par les
démons et ne connaissent pas Dieu? Mais à quoi bon l'homme aurait-il, à l'origine, commencé d'exister
selon l'Image de Dieu? Il fallait simplement le créer dépourvu de raison ou bien, s'il devait être raisonnable,
ne pas -le laisser vivre la vie des êtres sans raison . Mais enfin, pourquoi leur avoir donné à l'origine une
notion de Dieu? S'il ne mérite plus de la recevoir à présent, elle ne devait pas lui être donnée à l'origine.
Mais quel avantage pour Dieu le créateur, quelle gloire pour lui, si les hommes faits par lui ne l'adorent pas,
mais pensent que d'autres sont leurs créateurs? » (ibid., 13. 1-4).
5. Le Verbe incarné 114
exécution une fois la transgression comm ise, ce qui ferait de lui un menteur et détruirait sa
véracité 24 :
Mais tout comme cela avait sa raison d'être, il fallait aussi bien maintenir par
antithèse le principe de la véracité de Dieu dans sa législation concernant la
mort. Il était absurde que, pour notre utilité et notre conservation, Dieu, le père
de la vérité, parût menteur. Que devait-il arriver dans ces conditions ou que
fallait-il que Dieu fit? Exiger des hommes le repentir de la transgression? En
effet, cela pouvait sembler digne de Dieu: de même qu'ils étaient passés de la
transgression à la corruption, de même repasseraient-ils du repentir à
l'Incorruptibilité. Mais le repentir ne sauvegarderait pas ce qui convient à Dieu ;
il demeurerait toujours aussi peu véridique, si les hommes n'étaient pas
soumis au pouvoir de la mort; d'ailleurs, le repentir ne libère pas des conditions
de la nature, il 'met seulement un terme aux péchés. Certes s'il ne s'était agi
que de la faute et non de la corruption qui s'ensuit, le repentir aurait pu suffire.
Mais si, une fois que la transgression eut pris les devants, les hommes se
trouvaient au pouvoir de la corruption due à leur nature et dépouillés de la
grâce de leur conformité à l'Image, que faire d'autre?25
... de qui avait-on besoin pour cette grâce et cette restauration, sinon du
Verbe de Dieu qui au commencement avait créé toutes choses de rien? C'était
à lui de ramener le corruptible à l'incorruptibilité, et de trouver ce qui en toutes
choses convenait au Père. Étant le Verbe de Dieu, au-dessus de tout, seul par
24 Ibid., 6.3. Voir sur le sujet E. MÜHLENBERG, « Vérité et bonté de Dieu, une interprétation de De incamatione,
chapitre IV, en perspective historique », dans C. KANNENGIESSER, éd ., Politique et théologie chez Athanase
d'Alexandrie ..., p. 215-230.
25 Sur l'incarnation du Verbe 7. 1-4. « ... Ia mort, comme je l'ai dit, puisait désormais sa force contre nous dans
la loi et il n'était pas possible d'esquiver la loi, puisqu'elle avait été portée par Dieu à cause de la
transgression; bref, ce qui se produisait était vraiment à la fois absurde et inconvenant» (ibid., 6. 2) .
26 A. PETIERSEN, Athanasius and the Human Body, p. 13. Selon certains spécialistes, comme Louth, Athanase
peint dans le Contre les Païens un portrait plus positif de l'homme et de sa capacité de rétablir sa
communion avec Dieu que dans le Sur l'incarnation du Verbe où il affirme que le Verbe seul peut rétablir
cette relation brisée. Pettersen tente d'expliquer la différence de ton entre les deux parties du traité par le but
assigné à chacune par leur auteur : « Synergism is as central to the doctrine of revelation in the Contra
Gentes as monergism is to the doctrine of salvation in the De Incarnatione» (ibid., p. 14; voir aussi J.
ROLDANUS , Le Christ et l'homme ... , p. 23).
27 C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 287, note 2. Selon Bernard, l'absence de valeur
ontologique de la J.lETCXVOIO rendait celle-ci insuffisante pour vaincre l'empire de la <t>8opa et accomplir la
rédemption de l'homme (R. BERNARD, L'image de Dieu ... , p. 31). « Here we see the centrality of sin within
Athanasius' thought and the calamitous consequence of death and corruption that are sin's penalty. While he
does not have a developed notion of Original Sin as found in Augustine and later western tradition,
Athanasius does, nonetheless, graphically portray the aggressive cancerous nature of sin ~ithin the human
race as witnessed within humankind's sinful history (G. T. WEINANDY, Athanasius, p. 31).
5. Le Verbe incarné 115
conséquent il était capable de recréer toutes choses, de souffrir pour tous les
hommes et d'être au nom de tous un digne ambassadeur auprès du Père.28
Vie même qui jaillit de l'ousia du Père, le Logos possède la puissance nécessaire pour
vaincre la corruption et la mort29 :
Les Grecs, souligne Athanase, trouvent aussi inconvenante l'idée de l'apparition ici-bas
du Verbe dans un corps humain. L'auteur du traité rappelle que leurs propres philosophes
reconnaissent que le Logos habite la totalité de l'univers, mouvant et gouvernant chaque
partie de celui-ci comme un grand corps. L'absurdité selon lui réside bien plutôt dans le
refus d'admettre la possibilité que le Verbe démiurge puisse se manifester plus
particulièrement dans une petite partie de ce monde 31 .
Par souci pastoral, comme cela a déjà été mentionné, Athanase se sert pour la
rédaction de son traité d'un vocabulaire non technique. Néanmoins, pour Kannengiesser
l'usage de termes usuels tirés du langage quotidien ne rime nullement chez cet auteur
avec un manque de rigueur ou de constance 32 :
Parmi les substantifs évoquant l'incarnation, deux se trouvent mentionnés dès le début
de l'ouvrage, soit « incarnation» (Èvav8pwTTllOlS') et «épiphanie» (ÈTTl<pavEla)
« . .. décrivons en détail l'incarnation du Verbe, exposons sa divine manifestation »38.
'Evav8pwTTllOl5, terme stéréotypé de l'époque et dépourvu d'accent théologique prononcé,
désigne le « devenir homme» ou 1'« inhumanation » du Logos 39 et semble équivaloir au
mot moderne « incarnation» , Bien que canonisé à Nicée, Athanase ne l'utilisera que
rarement dans ses écrits ultérieurs 40 . ETTI<pavEla, « apparition, manifestation », dépouillé ici
de sa connotation eschatologique néo-testamentaire41 , se rapporte à la présence
corporelle du Logos 42 . C'est sous ce double mode que l'auteur étudie le mystère
christologique 43 . Athanase n'emploiera plus jamais par la suite près de la moitié de ces
verbes et de ces substantifs dans le sens qu'il leur donne dans ce traité 44 .
condition humaine, insistant sur la réalité de l'incarnation 46 : « c'est pour notre salut qu'il a
été pris d'amour jusqu'à se rendre humain et paraître dans un corps »47, qu'« il se
présente comme un homme »48. Cette initiative du Verbe ne se limite cependant pas à une
« entrée dans un corps» ni à une simple théophanie, ce que prouvent sa naissance
virginale et l'appropriation d'un corps humain pouvant expérimenter la mort :
Dans cette union, Athanase ne reconnaît qu'un seul et unique sujet en la personne de
Jésus-Christ, le Verbe du Père à qui appartiennent simultanément les attributs humains et
divins 50 :
46 R. LETHAM, The Holy Trin ity , p. 133; A. LOUTH , ({ Athanasius' Understanding of the Humanity of Christ », p.
309; Sur J'incarnation du Verbe 34 . 2; Discours contre les ariens 2, 61; Lettre à Épictète 5.
47 Sur l'incarnation du Verbe 4. 3; 18. 1, 3; 44. 2.
48 Ibid., 14.8.
49 Ibid., 8. 2. Citant Jean 1. 14, ({ le Verbe s'est fait chair», il écrit plus tard que « le Logos s'est donc fait
homme, et non pas: il est venu (ou entré dans) vers un homme» (Discours contre les ariens III, 30). « La
conception virginale du Christ, comprise par les premières générations chrétiennes comme un signe
messianique et un événement eschatologique, devient chez Athanase la garantie la plus certaine de
l'absolue transcendance du Logos sur son propre corps et la marque de son incarnation, envisagée comme
une initiative gratuite du Sauveur» (C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 292, note 1).
50 ({ Si nous reconnaissons ce qu'a de propre chacun des deux éléments et si nous comprenons que les deux
séries d'actions émanent d'un unique sujet, notre foi est correcte et jamais nous ne nous égarerons )}
(Discours contre les ariens III, 35). Cf., T. E. POLLARD, Johannine Christology ... , p. 237; J. N. D. KELLY,
Initiation à la doctrine .. ., p. 297; T. G. WEINANDY, Athanasius, p. 37.
51 Sur /'incarnation du Verbe 18. 1-2. Camelot traduit: {{ ... et puisqu'il s'était fait homme, il convenait que cela
fût affirmé de lui comme d'un homme, pour qu'on vît bien qu'il avait un corps véritable et non point
5. Le Verbe incarné 119
Par cet acte d'« inhumanation », le Logos fait sien tout ce qui appartient à l'humanité :
« Admire la philanthropie du Verbe, qui se laisse outrager pour nous. »52 Athanase recourt
à la communication des idiomes tout en préservant la distinction des deux réalités
ontologiques qui ne connaissent dans le Christ ni confusion ni changement 53 . Le devenir-
homme du Logos ne signifie aucunement pour lui une transformation de la divinité
immuable et éternelle en un être contingent et temporel 54 . Par exemple, bien qu'endurant
les outrages des hommes, le Verbe « n'en subissait aucun dommage, étant impassible et
incorruptible, étant Verbe même de Dieu; mais dans sa propre impassibilité il conservait et
tirait hors de danger les hommes souffrants, pour lesquels il endurait tout cela »55 . En tant
qu'homme, le Logos expérimentait réellement la passion et la mort en faveur de tous; en
56
tant que Dieu, il demeurait impassible et incorruptible .
Il résulte de ce fait que la personne de Jésus possède un caractère unique. Bien que
véritablement homme, il ne constitue cependant pas un homme ordinaire, ni ne doit être
considéré comme tel: « ... ce n'est pas simplement un homme, mais le Fils de Dieu et le
Sauveur de tous. »57 L'unité divino-humaine dans la personne de Jésus-Christ possède
pour Athanase un caractère asymétrique, les deux réalités ontologiques ne pouvant être
placées sur le même plan 58 . Néanmoins, c'est précisément en tant qu'homme que le
Verbe dévoile sa parfaite divinité : « .. . par les œuvres qu'il réalisait dans le corps, il se
faisait connaître non pour un homme, mais pour le Dieu Verbe. »59 Cette égalité avec le
imaginaire. » Camelot pense que l'interprétation que fait ici Athanase du texte évangélique s'apparenterait
plus à la christologie antiochienne qu'à celle de Cyrille (P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... , p. 239, note 1).
52 Sur l'incarnation du Verbe 34. 2.
53 T. E. POLLARD, Johannine Christ%gy ... , p. 236; T. G. WEINANDY, Athanasius, p. 37. 87
54 Ibid., p. 83-87. Cf., G. D. DRAGAS, « The Eternal Son », p. 33-37; J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... », p.
262; Lettre à Épictète 5.
55 Sur l'incarnation du Verbe 54. 3.
56 T. G. WEINANDY, Athanasius, p. 37. Soulignant que l'apôtre Pierre affirme que le Christ « a souffert pour nous
dans sa chair» (1 Pierre 4. 1; Discours contre les ariens III, 34), Athanase poursuit: « Ces passions n'étaient
pas par nature propres au Verbe en tant que Verbe, mais le Verbe était dans la chair qui éprouvait ces
passions}) (ibid., 55) .
57 Sur l'incarnation du Verbe 19. 3. Voir aussi 16. 1; 34.3; 37. 3. Selon Dragas, Athanase ne s'exprime pas
ainsi pour nier l'authenticité de l'humanité du Christ mais pour spécifier que la venue dans la chair du Logos
ne modifie en rien sa divinité (G. D. DRAGAS, Saint Athanasius of A/exandria. Original Research ... , p. 19-20).
58 K. ANATOLlOS, « Athanasius », p. 68 . « For St. Athanasius the Person of Christ reveals the Person of God in
a humanized form. God is personally present in the eternal Son who has also become man. This does not
means an annihilation of human personhood, but calls for a new understanding of it » (G. D. DRAGAS, « The
Eternal Son », p. 31) .
59 Sur J'incarnation du Verbe 18. 1.
5. Le Verbe incarné 120
Père se révèle premièrement selon Athanase par les miracles que l'homme Jésus
accomplissait, puis, tout particulièrement par la mort qu'il subit sur la croix:
En effet, commander aux démons et les chasser n'est pas œuvre humaine
mais divine. Or, à le voir guérir les maladies auxquelles est sujet le genre
humain, comment le tenir encore pour un homme et non pour Dieu? Il purifiait
des lépreux, faisait marcher des boiteux, ouvrait les oreilles des sourds, faisait
voir des aveugles; bref, il chassait loin des hommes toutes les maladies et
toute infirmité et le premier venu pouvait donc contempler sa divinité. 60
... mais, chose admirable, dans sa mort même [ ... ] toute la création
confesse que celui qui se fait connaître et souffre dans le corps, n'est pas un
simple homme, mais le Fils de Dieu et le Sauveur de tous. Le soleil se
détourna, la terre tremblait, les montagnes se fendaient, tous furent saisis de
frayeur; mais ces prodiges montraient que sur la croix était le Christ Dieu , que
toute la création était sa servante, témoignant par sa frayeur de la présence du
maître. Voilà comment le Dieu Verbe se manifesta lui-même aux hommes par
ses œuvres. 61
60 Ibid., 18.4. Ainsi, « à voir son pouvoir sur les démons, ou les démons confesser qu'il est leur Seigneur, qui
hésiterait encore et demanderait si c'est bien lui le Fils de Dieu, et sa Sagesse, et sa Puissance? » (ibid., 19.
2).
61 Ibid., 19. 3-4.« What is important to grasp in the above is not that the bodily actions - miracles, suffering and
the cross - were symbols that pointed to the divine presence of the World. Rather, for Athanasius, because
the Son of God actually existed as man, it was his very human actions that manifested in a human manner
that the actual doer of these human actions was the divine Son of God » (T. G. WEINANDY, Athanasius, p.
38).
62 Sur l'incarnation du Verbe 1. 2. Cf. , J. BEHR, The Nicene Faith, p. 185.
5. Le Verbe incarné 121
Pour tenter d'expliquer cette absence, du moins en apparence, d'une âme raisonnable
dans le Christ athanasien, on a proposé que le successeur d'Alexandre ait été un ardent
défenseur du schéma Logos-sarx « orthodoxe» 69. Associée habituellement à l'école
d'Alexandrie, cette structure christologique unitaire (désireuse de sauvegarder l'unique
sujet du Logos dans la personne du Sauveur) différait de celle du type Logos-anthropos
(ou anthropos-Logos) dite dualiste (parce que plaçant l'accent sur les deux natures du
Christ) et rattachée à 1'« école» antiochienne, en ne reconnaissant aucun rôle à la tux~
du Verbe incarné dans l'interprétation de la nature et de l'activité sotériologique de celui-
7D
ci . Pour Athanase et les théologiens alexandrins, Dieu demeure en effet la seule source
possible de salut pour l'homme déchu, de là la prééminence accordée au Logos divin dans
l'incarnation : « .. . so they did not speak of two distinct natures, but of the Logos prior to
the Incarnation and the Logos in the incarnate state. »71 S'ils s'unissaient avec les
antiochiens pour défendre l'immutabilité du Verbe contre les ariens , ils différaient
cependant de ceux-ci en faisant du Logos éternel l'unique sujet des expériences vécues et
des actions accomplies dans la chair.
70 A. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne , p. 206-207. Voir aussi M. YOUNG , « A reconsideration of
Alexandrian Christology», p. 106. Pour comparer les deux structures christologiques, voir P.H. POIRIER,
Christianisme de l'Antiquité ..., module VII, p. 4-8.
71 F. M. YOUNG, « A reconsideration of Alexandrian Christology », p. 104. « It is weil known that much patristic
discussion about the person of Christ was motivated by a concern to safeguard the accomplishment of
redemption and that differing conceptions of salvation contributed to the christological controve~sy. If a
patristic writer believes that salvation is largely a human task, a matter of achieving the vocation that God has
set before us, then he is likely to see Christ as the leader who has tirst achieved the human calling and now
assists us to follow him. Therefore, Christ must not simply be fully human , but his humanity must also have a
measure of autonomy and must receive prominence in one's conception of his person, in order for his
achievement of redemption to be of any saving signiticance for us. On the other hand , if a patristic writer
sees salvation as more of a divine rescue operation, an act of God to deliver people from a morass from
which they cannot extricate themselves, then he is more likely to argue that only if God the Son was truly and
personally present on earth is salvation possible. In this case, the writer is not likely to be as concerned with
distinguishing the deity and humanity of Christ as he is with maintaining that Christ is "God with us" in the
fullest possible sense. God presence in Christ must be a direct, personal presence, not a mediated one» (O.
FAIRBAIRN, Grace and Christology in the Early Church, Oxford, Oxford University Press, 2003.p. 12).
72 F. M. YOUNG, « A reconsideration of Alexandrian Christology» , p. 104-105. La christologie alexandrine
consiste pour Young en une construction théologique remarquablement claire et consistante, et ce tout
particulièrement lorsqu'elle est replacée dans son contexte sotériologique (ibid., p. 103). « The tradition
represented by Cyril of Alexandria, and later by the Monophysites, derives from Athanasius's polemic on
behalf of Nicene orthodoxy. Anti-Arian and anti-Nestorian arguments are based on the sa me presupposition,
namely, the soteriological position expounded in the De Incamatione » (ibid.) « ln spite of docetic tendencies
in their attempts to do justice to his belief, the Alexandrines in fact, gave a better account of traditional
Christian belief that the Antiochene school, which divided the nature and faHed to expound their unity in the
Incarnation» (ibid., p. 113). Pour McGuckin la tradition alexandrine se caractérise par une cohérence
dynamique (J . MCGUCKIN, Saint Cyril of A lexandria and the Christological Controversy, Crestwood-New York,
St Vladimir Press, 2004.p. 175).
73 « Yet there are a number of reasons for suggesting that within the terms of their soteriological and
anthropological outlook, a positive use of the idea of Christ's human was unnecessary, and its absence did
not imply an inadequate or docetic interpretation of the Incarnation» (F. M. YOUNG, «A reconsideration of
Alexandrian Christology », p. 107).
5. Le Verbe incarné 123
74 Ibid., p. 109. Stead soulève aussi le fait que la condamnation d'Apollinaire n'a aucunement amoindri le
respect que les théologiens, tant alexandrins qu'antiochiens, rendaient au défenseur de l'orthodoxie
nicéenne (C. STEAD, ({ The Scriptures and the Soul of Christ in Athanasius », Vigiliae Christianae, 36 (1982),
p.234).
75 Pour Platon, cette union est semblable à celle d'un prisonnier dans un corps: « Il suit de là que de tout être
spirituel qui s'emprisonne dans un corps on pourra dire qu'il "devient homme", puisqu'il se trouve être un
esprit incarné» (J. lIÉBAERT, La doctrine christologique de Saint Cyrille d'Alexandrie avant la querelle
nestorienne (Mémoires et travaux, fascicule LVIII), Lille, Facultés catholiques, 1951, p. 148; voir aussi M.
RICHARD, ({ Saint Athanase et la psychologie du Christ. .. », p. 12-13). « Il semble qu'il ait été victime de ses
opinions philosophiques f ... f Même si son sens chrétien lui a fait trouver souvent des solutions justes aux
difficultés soulevées par les hérétiques, ses raisonnements sont viciés par cette notion incomplète de
l'humanité du Christ et ne peuvent être retenus tels quels. Il faut donc reconnaître franchement que son
autorité comme théologien de l'Incarnation a été surestimée. En ce qui concerne la psychologie humaine du
Christ notamment, elle est évidemment nulle» (ibid., p. 54).
76 J. N. D. KEllY, Initiati~n à la doctrine ... , p. 297-298.
77 La pensée de l'évêque a peut-être évoluée vers 362 lorsqu'il présida le synode d'Alexandrie dont la formule
de foi déclare que {{ le Sauveur n'a pas eu un corps sans âme, ni sensibilité, ni intelligence. Car il est
impossible que, le Seigneur s'étant fait homme pour nous, son corps ait été sans intelligence, et le salut non
seulement de notre corps, mais aussi de notre âme a été opéré par le Verbe lui-même» (Tome aux
Antiochiens 7, dans ibid., p. 298-299). Cf., Lettre à Épictète 7 ou l'évêque répète l'argument sotériologique.
Kelly et Richard pensent cependant qu'il s'agit là d'une reconnaissance purement formelle, le primat
n'accordant pas d'importance théologique à une telle âme dans ses écrits postérieurs à l'événement (ibid.; M.
RICHARD, ({ Saint Athanase et la psychologie du Christ. .. », p. 46-54). Certains émettent aussi l'idée
qu'Athanase a pu, comme le fit Apollinaire, interpréter la formule alexandrine (celle-ci ayant été proposée
selon Kelly par les tenants d'une christologie .Logos-sarx) comme se référant non pas une âme humaine
dans le Christ mais au Logos en tant que principe vivificateur du corps et tenant lieu d'intelligence ou d'âme à
l'être théandrique (J. N. D. KEllY, Initiation à la doctrine ... , p. 299-300) .
78 Ainsi, selon Liébaert, bien qu'insistant sur l'équivalence de la formule johannique aapç ÈyÉVETO avec
av8pwTfoS" yÉyovEv (équivalence reconnue par tous), Athanase ne les met cependant pas sur un plan
5. Le Verbe incarné · 124
79
présence . Cherchant à expliquer l'absence de toute mention d'un tel facteur
psychologique, il évoque notamment l'utilisation aux chapitres 17 et 18 du Sur l'incarnation
du Verbe de l'analogie sto·icienne du Logos présent dans l'univers comme l'âme de
l'homme dans son corps80 : « On se trouve en présence d'une tentative pour faire du
Verbe divin la force d'où jaillissent toute vie et tout mouvement. »81 Ainsi, selon Grillmeier,
« Athanase parle si souvent des fonctions vivifiantes du Logos à l'égard de la chair qu'il en
oublie complètement l'âme humaine du Christ »82.
Behr estime que l'apparente absence d'une psychologie du Christ chez Athanase
83
s'explique par le désir de l'ecclésiastique de demeurer fidèle au langage de l'Écriture . On
retrouve trois substantifs anthropologiques reliés à l'incarnation du Verbe dans les écrits
athanasiens : «homme» (av8pwITos), « chair» (ocXp~) et « corps» (owIlO) . Leurs
significations respectives font l'objet de controverses parmi les spécialistes. Certains
considèrent que l'alexandrin reprend la coutume scripturaire consistant à désigner
l'intégralité de la nature humaine (incluant une âme) par le terme oapç : « Athanasius
identique, la deuxième exprimant selon lui la condition nouvelle du Logos, alors que le devenu chair se
réfèrerait à l'élément assumé (J. lIÉBAERT, L'incarnation, p. 135).
79 A. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, p. 253; cf., J. lIÉBAERT, L'incarnation, p. 133.
80 A. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, p. 231-233. «Ces influences (philosophiques)
marquent incontestablement le portrait du Christ donné dans les premiers écrits, comme le Contra Gentes et
le De incarnatione, bien qu'on ne saurait nier la substance vraiment chrétienne de cette présentation. Mais le
trait décisif de la doctrine stoïco-alexandrine du Logos y figure au tout premier plan. (ibid., p. 231) .
81 Ibid. Kannengiesser écrit que la notion du corps humain associée à l'incarnation du Logos chez Athanase
semble provenir de la culture philosophique marquée par le stoïcisme populaire de son époque, tout comme
sa conception du cosmos englobant celle de ce corps : « Dans les deux cas, l'accent est mis sur ce qui
assure à l'être en question son harmonie, son unité interne, son fonctionnement régulier. Dans les deux cas
aussi, la philosophie stoïcienne ouvrait la voie vers une présence régulatrice et vivifiante du Logos divin» (C .
KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 114).
82 A. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, p. 233. « Tout le portrait athanasien du Christ porte la
marque de cette immédiateté du Logos, qui met partout en relief l'activité physique de celui-ci, activité
simultanémen"t médiatisée, toutefois, par la réalité corporelle de l'humanité du Christ. Athanase ne nie
évidemment pas ici que la sarx humaine du Christ remplisse ses fonction naturelles; celles-ci doivent aussi
être attribuées au Logos, mais selon un mode distinct de celui de ses actes propres à la divinité» (ibid., p.
235).
83 « Athanasius' own approach to the questionat issue, how Jesus Christ is both divine and human, is not to
catalogue the constituent elements of his being, but to look at how he is spoken of in Scriptures }) (J. BEHR,
« The Nicene Faith , p. 215-217). Or, les occurrences christologiques du terme «âme» demeurent peu
nombreuses dans la Bible (G. D. DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original Research ..., p. 15).
5. Le Verbe incarné 125
constantly reiterates the Nicene formula - the Logos, in becoming flesh, became man - a
rebuttal of the Arian denial of a human soul in Jesus. »84
Cependant, Athanase associe aussi souvent l'incarnation du Verbe avec le mot oc3~a
dont il favorise tout particulièrement l'emploi dans le Sur l'incarnation du Verbe. On
recense en effet 143 mentions christologiques de ce terme dans l'apologie qui ignore
l'usage similaire de oap~ pourtant canonisé par Jean 1. 1485 . Deux notions-clés explicitent
de ce fait la conception de l'incarnation dans le traité: celle du Logos et celle du corps qu'il
assume 86 .
Les spécialistes divergent sur le sens à donner au terme oc3~a lorsqu'il est utilisé ainsi
par Athanase en relation directe avec l'incarnation. Compris littéralement, il signifierait que
le Verbe athanasien a assumé un corps humain dépourvu d'âme. Interprétés
figurativement, les termes av8pwTTo5, oaps et oc3~a auraient été employés de façon
interchangeable. .Cependant, dans ce cas oc3~a désignerait toujours à la base la
composante matérielle de l'homme. Ce n'est qu'en tant que métonymie ou synecdoque
84 R. LETHAM, The Holy Trinity, p. 133; P. TH . CAMELOT, Contre les païens ... , « Introduction », p. 74-75, note 1 ;
L. SauvER, L'Incarnation et l'Église-corps du Christ ... , p. 101; C. STEAD, «The Scripture and the Soul of
Christ. .. », p. 233.
85 Plus 6 mentions du KUplOKèv awJ.lo (C . KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, « Introduction », p. 139,
note 1). D'après Kannengiesser, en vue d'exposer le sens et la convenance de l'incarnation, Athanase
exploite les différents échos philosophiques du terme dont le sens paulinien demeure restreint (ibid. , note 2).
86 Ibid., p. 142.
87 Sur l'incarnation du Verbe 4. 3; 1. 3; 18. 1; 10. 4. « Étant le puissant et le démiurge de runivers, en la
Vierge, il se construit à lui-même le corps comme un temple, et il se l'approprie comme un instrument pour
se faire connaître et pour habiter en lui» (ibid., 8. 3).
88 G. T. WEINANDY, Athanasius, p. 46. Sur l'incarnation du Verbe 8. 2-3.
89 C. KANNENGIESSER, ibid., « Introduction » , p. 140.
5. Le Verbe incarné 126
qu'il désignerait l'homme dans son ensemble 90 . Pettersen fait appel à une signification plus
holistique du terme, oc3~a se référant selon lui directement à la personne entière et non
indirectement91 .
Weinandy juge que le silence d'Athanase sur l'âme du Christ dans sa controverse avec
les ariens ne procède ni d'une simple ignorance de celle-ci, ni du fait que l'ecclésiastique
la considère comme dépourvue de toute valeur sotériologique. Selon lui, l'évêque ne
pouvait ignorer que certaines qualités humaines qu'il attribuait à la chair ou au corps, telles
la crainte et l'ignorance, appartiennent à l'âme ou à l'intellect 92 . Athanase viserait plutôt à
sauvegarder la divinité du Logos sans placer une telle âme entre ce dernier et son
humanité: « For Athanasius, if the soul became the exclusive centre and so subject of the
human experiences, then the divinity of the Logos may be preserved, but the truth of the
Incarnation would be abandoned. »93 Pour pouvoir défendre le caractère théandrique du
Verbe incarné, le défenseur de Nicée utilise, en harmonie avec le but (OKOTTOS-) de
94
l'Écriture , 1'« exégèse des deux natures », opérant ainsi une claire différenciation entre
ce qui se réfère à l'humanité du Sauveur et ce qui se rapporte à sa divinité 95 .
For, on the one head , it is clear that Athanasius sought at ail costs to deny
that any passions, whether physical or psychological, belong to the asomatic
realm. The Arians argued that the passions endured in the Incarnation were
suffered by the Logos; and they therefore concluded that the Logos was
passible and creaturely. The Alexandrian bishop countered this view; he
safeguarded the divinity of the Logos from this attack by referring ail passions
to the assumed body [ ... ] On the other hand, whilst in contemporary
philosophy the human soul was thought to be in its own being o:rrcx8~ 5, it was
also believed to suffer the rrcx8~ of its body - the soul was united to a body
which, in its own bodily being , suffered. Such was current Neo-Platonic
teaching [ ... ] But whatever the consequences of such anthropological thought,
it is clear that ail passions are, for Athanasius, necessarily part of created
world. The body is, then, an individual's material means of expression . In it the
individual lives, be it for better or for worse, and apart from it, a person dies,
and dissolves to the inactivity of non-being. 96
De son côté, Louth propose que l'emploi de l'analogie stoïcienne aux chapitres 17 et
18 du Sur l'incarnation du Verbe (souligné précédemment par Grillmeier), éclaire, du
moins en partie, l'utilisation privilégiée que fait Athanase du ,terme oWIJCX dans son traité
pour désigner la nature humaine du Christ97 . Cette analogie viserait à signifier dans un
premier temps l'idée d'une manifestation visible d'une puissance invisible :
... mais lui, le Dieu Verbe uni au corps, ordonnait tout l'univers, et par les
œuvres qu'il réalisait dans le corps, il se faisait connaître non pour un homme,
mais pour le Dieu Verbe [... ] Mais de même qu'il était connu par là selon sa
présence corporelle, de même les œuvres qu'il accomplissait grâce au corps le
faisaient reconnaître pour le Fils de Dieu. Invisible (le Verbe), il est connu à
partir des œuvres de la création; de même, devenu homme et soustrait aux
96 A. PETTERSEN, Athanasius and the Human Body, p. 6-7; J. ROlDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 261 .
'Pettersen écrit que l'utilisation christologique que fait Athanase du ow~a s'insère dans une conception
théologique du corps humain qui diffère de celle rencontrée dans le platonisme et l'origénisme. L'attribution
des passions physiques et psychologiques au corps du Logos se réfère aussi chez Athanase à la doctrine de
la création ex nihilo. Ces passions, tant physiques que psychologiques, appartiennent en effet à l'ordre de la
réalité créée et corporelle radicalement différente de celle du Verbe Dieu incréé et incorporel. Athanase
désire ainsi souligner le caractère concret et historique de l'incarnation (A. PElTERSEN, Athanasius and the
Human Body. p. 27).
97 «What Athanasius is trying to express in using this analogy, is that in Christ there is the manifestation of an
invisible power. In the case of the KOO~05 - and this. it seems to me, is the point of the Âoyo5 - KOO~05
analogy of Athanasius - we can discern the presence of the Logos from its effects. We have an invisible
presence with visible effects. This is the case of the soul in the body of an individual man. The Stoics
extended this and spoke of the cosmos as the body of the Logos. Athanasius develops this in two instances :
ln the Incarnation, we have the Logos in an individual body; and after the resurrection, which according to
Athanasius renders the body of the Logos invisible, the Risen Lord, though invisible, is present in the Church
(Sur /'incarnation du Verbe 32). In both these cases Athanasius refers back to the Stoic use of the soul-body
analogy» (A. LOUTH, « Athanasius' Understanding of the Humanity of Christ », p. 309-310) .
5. Le Verbe incarné 128
regards dans un corps, on saurait par ses œuvres que ce n'était pas un
homme, mais la Puissance et le Verbe de Dieu .qui les accomplissait. 9a
Origen had been able to speak of a real incarnation of the Logos without
compromising the cosmological role of the Logos by his use of the pre-existent
soul of Jesus. That soul by reason of its unbroken contemplation of the Logos
had become virtually identical with the Logos (Origen uses the familiar iron in
the fire analogy) so much so that when this soul descended into a body for the
salvation of men, Origen could speak of that descent into a body as the
incarnation of the Logos. Athanasius stands in the same traditions as Origen
(so much is clear from his Contra Gentes), but when he comes to speak of the
Incarnation of the Logos he can no longer use Origen's notion of the pre-
existent soul of Christ. If however he were sim ply to substitute the Logos for
the soul of Christ, and have the Logos descending into a body as Origen saw
the soul of Christ descending into a body, then he would risk compromising the
cosmological function of the Logos. In Contra Gentes 33, Athanasius speaks of
the soul as being bound to (OUVOÉOET01) its body. It is precisely this that
Athanasius denies of the incarnate Logos in dl 17: où yàp OUVEOÉOETO Tc.3
OWIlOT1. And it is in this chapter that Athanasius makes most explicit the
parallelism of Logos-cosmos and Incarnate Logos-soma ... 101
... il n'était pas enfermé dans le corps; il n'était pas dans le corps sans être
ailleurs. Il ne donnait pas le mouvement à celui-là, pendant que l'univers aurait
été privé de sa puissance et de' sa providence. Mais, suprême merveille, étant
98 Sur l'incarnation du Verbe 18. 1-3; ({ Car il est propre à Dieu d'être invisible, mais d'être connu à partir de
ses œuvres» (ibid., 32. 1). « .. . puisqu'iI donne à tout être l'ordre et la vie, et qu'il veut se faire connaître aux
hommes, il n'y a rien d'étrange s'il se sert du corps humain comme d'un instrument pour laisser paraître la
vérité et faire connaître son Père (ibid., 42. 6); « et lui-même (le Verbe) s'est rendu visible par son corps,
pour que nous ayons une idée du Père invisible» (ibid., 54. 2) . Le ow~a du Verbe incarné manifeste ainsi le
caractère concret et l'historicité de l'incarnation, lui servant d'instrument pour agir et se faire connaître dans
le monde (A. PETTERSEN, Athanasius and the Human Body, p. 27).
99 Les tenants du schéma Verbe-chair auraiènt cherché à se distancer de cette doctrine en mettant de côté
l'âme du Christ (A. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, p. 208-210; J. N. D. KELLY, Initiation à
e
la doctrine ... , p. 292). La christologie « divisive » de Paul de Samosate condamnée au 3 siècle pourrait
peut-être aussi avoir incité les alexandrins dans le même sens (A. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition
chrétienne, p. 207-208; cf., R. WILLIAMS, Arius, p. 161). Lampe souligne que le concile d'Antioche qui
condamna Paul et sa doctrine affirma que la personne du Christ consistait en l'union du Logos et de la chair,
comme l'âme et le corps dans l'être humain, le Logos étant en Christ ce que 1'« homme intérieur» est en
nous (G. W . H. LAMPE, « Christian Theology in the Patristic Period », p. 89) .
100 A. LOUTH, «Athanasius' Understanding of the Humanity of Christ », p. 310.
101 Ibid., p. 310.
5. Le Verbe incarné 129
le Verbe, il n'était pas contenu par aucun être particulier, mais plutôt lui-même
les contenait tous. Ainsi présent dans toute la création , il reste extérieur à tout
par son essence, mais il est en tout par ses puissances , ordonnant toutes
choses et développant partout vers toutes choses sa providence, vivifiant un
chacun et tous les êtres, contenant l'univers sans être contenu par lui, mais
demeurant en son seul Père tout entier et à tous égards. De même, étant dans
le corps humain et lui donnant la vie, il donnait également la vie à tous les
êtres, il était en tous et il était en dehors dé tous; il ne se rendait pas moins
visible par sa puissance dans l'univers .. . 102
Le Sur l'incarnation du Verbe affirme effectivement par deux séries d'énoncés à la fois
la parfaite transcendance du Verbe sur l'ensemble de la création et la pleine réalité de son
incarnation telle que comprise par l'auteur du traité 103. Mais Louth estime que
l'ecclésiastique alexandrin va plus loin encore dans sa distanciation d'Origène, n'opérant
plus comme ce dernier une différentiation ontologique entre le spirituel coéternel avec
Dieu et la réalité physique, mais entre l'Incréé et le créé : « So whereas for Origen the
historical incarnation is the union of the spiritual and the material - the union of the soul of
Jesus and the Logos being eternal - for Athanasius the historical incarnation is the union of
the Uncreated Logos and a created human nature. }) 104 Toujours selon Louth, Athanase ne
cherche aucunement à expliciter en quoi consiste réellement la nature humaine du
105
Christ . Envisageant l'homme sous son caractère de créature, Athanase considère que
le Logos divin s'incarne réellement en prenant un aWjJo sans avoir à recourir à une \f1ux~
intermédiaire le préservant d'un contact trop direct avec la matière créée ex nihilo 106 .
102 Sur l'incarnation du Verbe 17. 1-2. Athanase continue : « Il n'était pas lié par le corps, mais il le dominait
plutôt. si bien qu'il était à la fois en lui et en tous les êtres, et il était extérieur à tous et ne se reposait que
dans le Père. Et le plus admirable, c'est qu'il vivait comme un hommè, et que comme Verbe il engendrait
tous les êtres à la vie, et comme Fils il était avec le Père. Ainsi, quand la Vierge enfanta, il ne subit rien et il
ne fut pas souillé par sa présence dans le corps; mais plutôt il sanctifia aussi ce corps (ibid., 17. 4-5)
103C. KANNENGIESSER, Sur /'incarnation du Verbe, p. 50; P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... , « Introduction »,
p.73.
104A. LOUTH, « Athanasius' Understanding of the Humanity of Christ », p. 311. Pettersen explique qu'Athanase
définit premièrement le oWJ..lO comme ce qui est créé à partir du néant et qui par conséquent n'est pas
autosuffisant, étant maintenu à l'existence par la volonté divine (A. PETTERSEN, Athanasius and the Human
Body, p. 5).
105 A. LOUTH, «Athanasius' Understanding of the Humanity of Christ », p. 313. «The Incarnation for
Athanasius means simply : the union of the uncreated Word and created humanity so that the power of the
Word can be manifested in the human situation (this he often seems to see in a rather physical way - the
World takes man's place) » (ibid.)
106 A. LOUTH, « Athanasius' Understanding of the Humanity of Christ », p. 313. Voir Discours contre les ariens
Il, 8; 25; 31; 47. Voir C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 114. Stead voit dans l'approche
athanasienne une « prudent and realistic accommodation to the exigencies of his time » (C . STEAD, «The '
Scripture and the Soul of Christ in Athanasius », p. 249). Weinandy souligne l'association que fait Athanase à
5. Le Verbe incarné 130
Anatolios estime aussi que, du moins dans le Sur l'incarnation du Verbe , l'alexandrin
développe le sujet sous l'angle de la distinction Créateur/créature 107 : « ... the focus is not
in the relation of the Logos to the body (comme l'affirme Grillmeier) , so much as on the
body as mediating between God and the world . »108 On ne peut donc parler d'une
approche analytique, le schéma Logos-sarx athanasienne possédant pas selon Anatolios
un caractère christologique dans le strict sens de ce terme , mais plutôt « dialectique» 109 .
Une telle christologie met plutôt l'accent sur le lien opéré par l'acte d'incarnation entre ces
deux réalités si radicalement opposées sur le plan ontologique. En tant que son instrument
ou opyovov, le oc3~o du Christ devient non seulement le lieu de l'auto-révélation du Dieu
invisible 110 mais aussi de la descente du Logos au niveau du sensible auquel les hommes
ont été liés par la chute 111. En effet, selon les termes même d'Athanase, « ce qui est le
plus proche» des hommes, « c'est le corps et ses sens» 112. Assumer un corps humain
pour le Logos révèle à quel point celui-ci s'est approché de sa créature déchue et
manifeste son extrême condescendance envers celle-ci 113 . Il s'agit d'une conception de
l'incarnation de nature épistémologique et ontologique 114 :
maintes reprises dans le Sur J'incarnation du Verbe des termes av8pc.ùTTo5 et oc.3~a dans le contexte de
l'incarnation (T. G. WEINANDY, Athanasius, p. 46).
107 K. ANATOLlOS, Athanasius. The Coherence ..., p. 70-72.
108 Ibid., p. 72.
109 Ibid., p. 71-73.
110 .
Ibid., p. 72.
111 K. ANATOLlOS, Athanasius, p. 56.
112 Contre les païens 38.
113 K. ANATOLlOS , Athanasius, p. 56; Athanasius. The Coherence ... , p. 73.
114 Ibid., p. 72. « Within this dialectical relationship , the content of the notion of Christ's body as instrument has
to be interpreted not in terms of the mode by which it is moved by the Logos, but rather in terms of its
functions as mediating, both epistemologically and ontologically, between God and the world insofar as it is a
visible immanent manifestation of the invisible God » (ibid.)
5. Le Verbe incarné 131
115 Sur l'incarnation du Verbe 8. 1-3. « Car une fois l'esprit des hommes tombés dans le sensible, le Verbe
s'abaissa jusqu'à paraître dans un corps, afin de centrer les hommes sur lui-même en tant qu'homme et de
détourner vers lui leur sens; désormais ils le verraient comme un homme; par ses œuvres il les
persuaderaient qu'il n'est pas un homme seulement, mais Dieu, Verbe et Sagesse du Dieu véritable» (ibid. ,
16. 1).
116 Cf. A. PElTERSEN, Athanasius and the Human Body, p. 20. Selon McGuckin, Apollinaire aurait adopté l'idée
platonicienne voulant que le voûS' ne constitue pas seulement une part essentielle de l'être humain mais bien
plutôt l'homme essentiel. Athanase, bien qu'usant de la philosophie, demeure quant à lui fidèle au concept
anthropologique sémitique biblique (moins sophistiqué) dans lequel le corps représente une composante
fondamentale de l'homme (J. MCGuCKIN, Saint Cyril of Alexandria .. ., p. 181-182). « Surprisingly then, and in
a striking departure from a prevailing Platonic identification of humanness with the soul (which is basically the
position of Origen), it seems that for Athanasius the " selfness" of being human resides particularly in the
body» (K. ANATOLlOS, Athanasius. The Coherence .. ., p. 64.)
117 Ibid., p. 62.
118 Ibid., p. 63. " possède une fonction sacramentelle, voire même qu'il consiste en un sacrement (A.
PElTERSEN, Athanasius and the Human Body, p. 3).
119Ibid., p. 6. « Existence in and through a body is not open to qualification (such as the belief in a higher,
more exalted, asomatic existence») (ibid., p. 3 et 21).« The body - as the creaturely organ, properly
animated by its soul, and rightly the expression of its minds - is central to the bishop's thinking )} (ibid., p. 25).
120 G. D. DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original Research .. . , p. 1. J. McGuckin acquiesce à la thèse
de Dragas (dans Saint Cyril of Alexandria ... , p. 182, note 16). De même, selon Pollard, bien qu'il soit
possible que, du moins jusqu'en 362, Athanase utilise un vocabulaire indiquant une psychologie incomplète
du Christ. Néanmoins,« his understanding of the soteriological significance of the Christ-event points beyond
the Logos-Sarx or Logos-Soma terminology which he uses towards a God-man theology » (T. E. POLLARD,
Johannine Christology ... , p. 137; voir aussi p., 236). « By forcing ail Patristic Christology to fall into either of
two camps - Logos/Sarx vs Logos/Anthropos, thus making the presence or absence of a human soul in
Christ the heart of every christological issue, Grillmeier has not only wrongly interpreted such Fathers as
Athanasius and Cyril of Alexandria , but he has also taught a whole generation of students what is
erroneous » (T. G. Weinandy, Athanasius, p. 46). Dans son troisième Discours contre les ariens, Athanase
5. Le Verbe incarné 132
considère aWJ.la et av8pwTTo5 comme des synonymes 121 : " Av8pWTT05 se réfèrerait à ce
que le Logos est devenu en lui-même et aWJ.la à ce que ce dernier a assumé pour lui-
même. "Av8pWTT05 possède ainsi un sens personnel ou hypostatique alors que aWJ.1 a
désigne la nature créée de l'être humain et sujette à la corruption 122 :
On this basis, we may conclude that the anthropic becoming of the Logos in
Athanasius' Christology is a personal becoming (refers to his person of
hypostasis) and the creaturely becoming is a somatic one (refers to the human
body or nature). Athanasius' Christology, then , involves a hypostatic becoming
of the Logos and also his assumption of a body or human creaturely existence.
The former is the KaT' EIKova, and the latter, with man's corporal being as a
part of Creation. 123
cite ' Jean 1. 14 (<< le Verbe s'est fait chair») pour mettre l'accent sur la réalité de l'incarnation du Logos
ajoutant : « L'Écriture a coutume d'appeler chair l'homme» (Discours contre les ariens 111,30).
121 D'après Dragas, une étude sémantique du double traité Contre les païens - Sur l'incarnation du Verbe ainsi
que des trois Discours contre les ariens révèlerait que le terme oap~ équivaut à av8pwTToS" ou à oWlJa selon
les verbes employés, (ce qu'il nomme oap~1 et oap~2) : «" Av8pCùTTOS" applies primarily to the theological
becoming of man, though it is undoubtedly a holistic concept and involves the whole reality of man» (G. D.
DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original Research .. ., p. 1-8).
122 Id., «The Eternal Son », p. 35; Saint Athanasius of Alexandria. Original Research ... , p. 8. Pettersen
souligne que oWIJO est aussi utilisé traditionnellement dans la littérature grecque pour désigner un cadavre
ou le corps menacé immédiatement par la mort. Cela expliquerait naturellement son utilisation par Athanase
concernant la mort sacrificielle du Christ : « Naturally the whole man is involved in the death of his physical
body» (A. PETTERSEN, Athanasius and the Human Body, p. 27).
123 G. D. DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original Research ... , p. 8. « ... it is here 1.. ./ the two aspects
of his doctrine of Christ: the hypostatic (anthropic) and the substantial (somatic), which correspond to the
duality of his theological anthropology (ibid., p. 15). « These two aspects of Athanasius' Christology became
the criterion of orthodox Christology in the struggle between orthodoxy and heresy which followed his dead. It
is this Christological duality in unity of Athanasius that prevails at the Synod of Chalcedon in AD 451 and
receives further refinements in the post-Chalcedonian era ... » (ibid., p. 15-16).
124 C. KANNENGIESSER, «AoyoS" et VOÛ5 chez Athanase d'Alexandrie», Studia Patristica, XI (1972), p. 199.
125 Id., Le Verbe de Dieu ... , p. 126. Il ne faut cependant pas, selon Kannengiesser, penser que pour Athanase
le Verbe prend littéralement la place du voûS" dans son corps humain, ce qui signifierait « quitter la visée
d'une analogie de type sotériologique» (id., Sur l'incarnation du Verbe , « Introduction », p. 152-153).
5. Le Verbe incarné 133
inopportun et non nécessaire pour Athanase, sans la nier pour autant, de parler d'une âme
humaine du Christ 126 .
construit à lui-même» comme « son propre temple (voa5) et son instrument (opyovov)
corporel» 133.
L'idée que la chair qui meurt sur la croix est bien celle du Logos et non celle d'un autre,
demeure centrale dans la sotériologie d'Athanase 134. Là réside la différence entre la mort
126 /d., « AOY 0 5 et VOÛ5 . .. », p . 201. Ainsi, bien que similaire à celui d'Arius, le silence d'Athanase au sujet de
l'âme du Christ s'expliquerait à partir de présupposés très différents (ibid.)
127 Son combat contre l'arianisme aurait conduit Athanase à donner à ce terme un sens technique plus
spécifique que celui que lui donne le Nouveau Testament (O. FAIRBAIRN, Grace and Christ%gy in the Early
Church, p. 86).
128 A. LOUTH, « The Use of the Term 'tÔl05 ... », p. 198.
129 Athanase utilise idios pour décrire la relation Fils/Père, du corps au Verbe dans l'incarnation et des attributs
à leur sujet (ibid., p. 197)
130 Sur l'incarnation du Verbe 8.2; 9. 1; 10. 1.4.
131Sur l'incarnation du Verbe 21.7; 8. 4. Le Logos exerce sur son corps une seigneurie semblable à celle dont
dépend l'univers dans son ensemble (C. KANNENGIESSER, ibid., « Introduction », p . 139).
132 Sur l'incarnation du Verbe 8. 3-4.
133 Sur /'incarnation du Verbe 8. 3; 9. 2. Avant son utilisation par Athanase, l'image du temple servant à
désigner l'humanité du Verbe incarné se trouve uniquement chez Eustathe d'Antioche et Eusèbe de Césarée
(C. KANNENGIESSER, ibid., p. 293, note 2). L'abondant , emploi christologique que fait Athanase du terme
opyavov demeure au Ive siècle une particularité propre à l'évêque (ibid., note 3). «
134 D. FAIRBAIRN, Grace and Christ%gy in the Early Church, p. 87.
5. Le Verbe incarné 134
d'un homme pour l'humanité et celle du Fils 135. Ce n'est qu'après que le terme ';0105 , suite
à la controverse arienne, eut revêtu son sens spécifiquement alexandi-in, qu'il pouvait être
utilisé efficacement en christologie: « If the world could have indicated a close relationship
between two separate people (as it could have in its earlier, more general usage), then it
could not have safeguarded the Athanasian emphasis that the crucifixion brought about
the death of the Logos' own flesh . »136 Ainsi, à l'instar de son usage trinitaire, le terme
'i0105, lorsque appliqué à la relation du Logos et de son corps, signifie que le Fils ne
demeure pas extérieur (ÈKTOS- CXÙTOÛ) à celui-ci 137 .
Conclusion
135 A. LOUTH, « The Utilisation of the Term ïotOÇ .. . », p. 200. Cf. Discours contre les ariens Il, 68 .
136 D. FAIRBAIRN , Grace and Christ%gy in the Early Ch urch , p. 87.
137 A. LOUTH, « The Utilisation of the Term ïotOÇ ... », p. 199. Le contraste entre « propre» et « extérieur» est
central dans l'explication athanasienne de l'unique qualité de la relation tenue entre le Verbe et son corps, ce
qui rend l'incarnation effective pour le salut. « He describes the body as the Word's "own" (idion) (Discours
contre les ariens III, 32). The Word was not "external" to the body, nor was the flesh "external" to the Word.
Rather, the affections of the body became "proper" (idia) to the Word, and thereby we become "proper"
(idiodl) to the Word, and may have a share in eternallife » (ibid., p. 200).
138 B. STUDER, Dieu Sauveur, p. 158.
5. Le Verbe incarné 135
aussi expliquer et éclairer son discours christologique. De plus, en plaçant l'accent sur le
oWJ.lO du Verbe, Athanase veut démontrer jusqu'à quel point celui-ci a condescendu à
s'identifier avec sa créature déchue en vue de la relever.
Introduction
« .. .et pour notre salut 1.. .1 a souffert et est ressuscité le troisième jour, est
monté aux cieux; il viendra juger les vivants et les morts. »
Symbole de Nicée
pour vaincre la corruption et la mort auxquelles fut assujetti l'homme pécheur, ainsi que
pour renouveler en lui la connaissance divine. Mais, pour accomplir cela, le Sauveur doit
premièrement payer la dette du péché en s'offrant en sacrifice sur la croix. Nombre de
spécialistes supposent ou affirment pourtant qu'Athanase associe directement la
rédemption à l'entrée du Logos dans son corps, dévalorisant de ce fait l'événement de la
Passion. Ce dernier chapitre traitera, à la suite des deux premiers thèmes déjà cités, cette
question de la place et de la signification de la croix dans la sotériologie athanasienne.
Suivra alors le thème de la résurrection et, pour clore, celui de la déification que
mentionne Athanase à la fin de son traité comme le but final et le couronnement du salut.
Il convient cependant, pour une meilleure compréhension du sujet, de débuter les pages
qui suivent par un bref survol des différentes théories sur la rédemption présentes dans
l'Église à l'époque où vécut le célèbre évêque.
7 J. N. D. KELLY, Initiation à la doctrine ... , p. 387. « Celui qui veut comprendre ce qu'est la sotériologie aux
quatrième et cinquième siècles sera profondément déçu s'il s'attend à y trouver l'équivalent des synthèses
savamment élaborées de la théologie de cette époque sur la Trinité et l'incarnation. Pour ces deux mystères
la controverse a obligé l'Église à formuler des définitions assez précises; mais le mystère de la rédemption
ne deviendra objet de disputes entre écoles rivales qu'au douzième siècle quand le Cur deus homo (c. 1097)
d'Anselme attirera l'attention sur ce problème» (ibid.) Voir aussi F. A. JAMES III, «The Atonement in Church
History », dans C. E. HILL et F. A. JAMES III, éd., The Glory of the Atonement, p. 209; S. P. ROSENBERG,
« Interpreting Atonement in Augustine's preaching », p. 224. Selon John Burnady, les Pères ont élaboré
« many theories of the meaning and method of the Atonement, but one of them had been found so defective
or misleading as to evoke from the Church a formai statement of "orthodox" doctrine» (cité par V. BRÜMMER,
Atonement, Christ%gy and the Trinity. Making Sense of Christian Doctrine, É.-U.lAngleterre, Asghate, 2005 j
p,66) .
8 Ibid., p. 66. Voir aussi B. SESBOÜÉ, « Christologie et sotériologie ... », p. 343-344.
6. Le Verbe Sauveur 138
Sauveur victorieux 9 ; le fDodèle dit « réaliste», centré sur les souffrances vicariales que le
Fils a endurées dans sa chair sur la croix et plaçant l'accent sur le châtiment encouru par
le péché plutôt que sur sa transmission 10. À cette triade de conceptions du salut, qu'il
nomme respectivement celle de la solidarité, du conflit et de la satisfaction , Doval en
ajoute une quatrième, soit celle de l'illumination (enlightenment mode!) : par son
incarnation , le Logos apporte aux hommes la connaissance salvatrice et réformatrice
permettant à ceux-ci de se convertir et de passer du péché à la vertu 11.
Kelly ne considère pas ces idées comme nécessairement incompatibles les unes avec
les autres, certains théologiens de cette époque en soutenant parfois plus qu'une à la fois.
Ainsi, toujours selon Kelly, bien qu'accordant la prédominance à la théorie physique dans
son système sotériologique, Athanase aurait aussi adopté le modèle réaliste 12 . Tout en
reconnaissant la véracité d'une telle observation, Kwok-Kit ajoute qu'en fait l'alexandrin a
tenté d'intégrer, bien qu'imparfaitement, un plus grand nombre de conceptions du salut 13 .
De son côté, Doval estime que le Sur l'incarnation du Verbe révèle qu'Athanase .expose
les quatre modèles classiques déjà mentionnés de façon cohérente, démontrant ainsi sa
compréhension du salut en tant que comportant de multiples facettes 14.
9 L'idée d'une rançon offerte au diable remonte à Irénée et Origène, celle d'une perte de ses droits
apparaissant aux environs du Ive siècle en raison d'une prise de conscience de l'incongruité de devoir offrir
une compensation au démon (J. N. D. KELLY, Initiation à la doctrine ... , p. 388).
10 Ibid., p. 387-388.
11 A. J. DOVAL, « Multiple Models of Atonement in Athanasius' De Incamatione », Studia Patristica, XLI (2006),
p. 151. Studer écrit qu'Athanase reprend vraisemblablement divers thèmes traditionnels, que ce soit celui de
la rançon, du sacrifice d'expiation pour la multitude, la victoire de la croix, le triomphe sur le démon, la
préparation du chemin vers le ciel, la pax christiana à travers laquelle s'imposent la monarchie et le
monothéisme, etc. (8. STUDER, Dieu Sauveur, p. 159). Hess, soulignant les racines alexandrines de la
plupart des motifs sotériologiques énumérés par Athanase, classe ceux-ci en deux catégories: ceux qui se
réfèrent à la délivrance (mort sacrificielle, expiation vicariale offerte pour le péché, rançon, paiement de la
dette de l'humanité); ceux qui portent sur la restauration (Christ en tant que premier-né de la nouvelle
création, illumination par le Logos, la rénovation de l'humanité, adoption filiale et rédemption) (H. HESS,
« The Place of Divinization ... », p. 371). Voir aussi les 5 modèles populaires dans l'Église ancienne proposés
par Slusser dans N. KWOK-KITNG, The Spirituality of Athanasius, p. 73.
12 J. N. D. KELLY, Initiation à la doctrine ... p. 389.
13 N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athan.asius, p. 73-74.
14 A. J. DOVAL, « Multiple Models of Atonement. .. », p. 151". Doval ne croit pas cependant que le traité présente
une doctrine complète du salut, mais que les principes de base de la doctrine athanasienne sur le sujet y
sont discernables (ibid. , p. 156). « When one examines the question of how we are reconciled in the writings
of the Fathers, we find a vision that is far more integrated, dynamic and substantive than is sometimes
allowèd - particularly of the Latin Fathers )} (S. P. ROSENBERG, « Interpreting Atonement. .. », p. 225).
6. Le Verbe Sauveur 139
, ... choosing death, rather than life in communion with God, human beings
have no way out of their predicaments but are condemned to remain in the
corruption of death; turning their minds away fram what is truly real , they
themselves give existence to evil, which in itself has no existence, but is
conjured up by human imagination.15
La venue dans la chair du Fils éternel poursuit principalement deux buts : délivrer les
hommes du pouvoir de la mort et de la corruption et renouveler en eux la connaissance de
Dieu 16 : {( Qu'ils sachent que le Seigneur n'est pas venu seulement se montrer, mais
soigner et enseigner ceux qui souffraient. » 17 Mais, pour pouvoir restaurer la science
divine dans l'homme, le Verbe démiurge devait premièrement mettre fin à la corruption
(cpSopàj et à la mort (SaVaTOS) auxquelles sa créature avait été assujettie par sa propre
faute, ce qu'il fit en prenant un corps mortel:
Aussi le Verbe de Dieu est venu lui-même, afin d'être en mesure, lui qui est
l'Image du Père, de restaurer l'être-selon-l'Image des hommes. Par ailleurs,
cela ne pouvait pas se produire, si la mort et la corruption n'étaient pas bien
anéanties. Aussi prit-il à juste titre un corps mortel, afin de pouvoir aussi
anéantir en lui la mort, et de restaurer les hommes faits selon l'Image. 18
Pour Athanase, « the presence of the Word in its body enables the Word to encompass
and overcome ail the effects of .corruption in man »21. Mais, ajoute l'auteur du traité, le
Logos doit pour cela livrer son corps à la mort afin de vaincre celle-ci par la puissance de
la résurrection et ainsi délivrer les hommes en leur restituant l'incorruptibilité (0:<p80POlO)
originelle:
L
6. Le Verbe Sauveur 141
« Car la corruption même, comprise dans la mort, n'a plus de prise sur les hommes, à
cause du Verbe logé en eux par le moyen de son corps individuel. »26 Néanmoins, il
enseigne aussi que la participation à cette grâce repose sur une relation particulière avec
le Chrisf7.
25 Ibid., p. 353; J. N. D. KELLY, Initiation à la doctrine ... , p. 390-391; L. BOUYER, L'Incarnation et l'Église-corps
du Christ ..., p. 84-131. « Humanity ascended ta heaven in Christ, who was no mere substitute for men, but
the perfect "Platonic" Form of mankind in which men could participate and be incorporated through the
Spirit» (F. M. YOUNG, The Use of Sacrificial Ideas in Greek Christian Writérs From the New Testament ta
John Chrysostom [Patristic Monograph Series, 5], Cambridge (Massachussetts), The Philadelphia Patristic
Foundation Ltd ., 1979 p. 214) .
26 Sur l'incarnation du Verbe 9. 2.
27 J. N. D. KELLY, Initiation à la doctrine ... , p. 390-391. «This may not seem far from the Pauline conception
that Christians are " in Christ" and die and rise with him, crucifying the old self and accepting new life; but
even the language of participation as Platonic overtones, and the most satisfactory understanding of
Athanasius' viewpoint is in terms of such philosophical presuppositions - by this time they were common
currency in intellectual circles, so that their use implies not great philosophical sophistication. The humanity
in Athanasius' thought is certainly not quite ordinary humanity, if only because its relation to our humanity is
different from that of any other man» (F. M. YOUNG, From Nicaea ta Chalcedon, p. 74). Voir Sur l'incarnation
du Verbe 27-32.
28 Les Pères semblent effectivement pariois attribuer toute valeur rédemptrice à la seule union hypostatique
(B. SESBOÜÉ, « Christologie et sotériologie ... », p. 347).
29 J. N. D. KELLY, Initiation à la doctrine .. " p. 388. «Cette insistance (sur l'incarnation) n'est que la
conséquence de l'intérêt particulier porté par ces théologiens à cette restauration de l'homme dont la
rédemption, quelle que soit l'idée qu'on s'en fasse, est le point culminant» (ibid.; voir aussi p. 181-182 où
Kelly affirme l'importance de la croix et du sacrifice du Christ chez Irénée de Lyon : «Tout au plus
l'incarnation est-elle ici le présupposé de la rédemption. »)
30 GROSS, cité par S. SESBOÜÉ, « Christologie et sotériologie .. . », p. 349. Gross réfute ainsi la théorie
d'Harnack. Voir aussi J. PELIKAN, The Christian Tradition, A History of the Development of Doctrine, vol. 1.
The Emergence of the Catholic Tradition (100-600), Chicago et Londres, The University of Chicago Press, p.
144-146 : « Yet the language of Irenaeus and Clement also shows that neither the teaching nor the example
of Christ could be isolated from de message of the cross. According to Irenaeus, it was not only by
recapitu lating each stage of human development that Christ brought salvation, but especially by the
obedience of his passion, which on the tree of the cross undid the damage done by the tree of
disobedience» (ibid., p. 146).
31 B. SESBOÜÉ, « Christologie et sotériologie ... », p. 349.
6. Le Verbe Sauveur 142
Pettersen, à l'instar d'Anatolios, refuse quant à lui la thèse voulant qu'Athanase exprime
l'idée d'une humanité générique. Il soutient plutôt que les fréquentes références de
l'ecclésiastique au oWJlO du Verbe en tant que le sien propre et, hormis le péché,
semblable en toutes choses à celui des hommes, indique qu'Athanase considère
clairement ce corps comme une entité individuelle 32 . Concernant l'interprétation que fait
l'évêque dans son troisième Discours contre les ariens de Jean 17. 11 , « afin qu'ils soient
un comme nous »33, Pettersen explique que :
Speaking not of ail mankind but ail Christians, the bishop recognises that
oneness of heart and mind, and not sim ply consubstantiality, is signified. The
implication is that human nature is not to be conceived simple as a concrete
idea in which ail participate. Mere consubstantiality is not the oneness
intended. For their common human nature is qualified by an individuality which
lies in each's unique response to God, although made through their bodies in
relation to their physical neighbours. That is the huma'nity from which Christ's
body is OÙK O:ÀÀOTplOV . 34
Lorsqu'un grand roi entre dans une grande ville et habite en l'une de ses
maisons, cette ville s'estime l'objet d'une extrême faveur et ni ennemi ni
brigand ne marche contre elle pour la saccager; on la juge plutôt digne de tous
les égards à cause du roi qui habite une seule de ses demeures. Il en va de
même pour le roi de l'univers. À sa venue dans nos contrées et une fois qu'il
fut logé dans un corps semblable aux nôtres, toute entreprise des ennemis a
cessé contre les hommes et la corruption de la mort a disparu, elle qui depuis
longtemps sévissait contre eux. 37
Mais encore une fois les hommes dans leur déraison méprisèrent le don qui
leur était fait; ils se détournèrent de Dieu et souillèrent à ce point leur âme
qu'ils n'oublièrent pas seulement l'idée de Dieu, mais se forgèrent toutes
sortes d'autres dieux à sa place. Car ils se firent des idoles à la place de la
vérité; ils préférèrent le néant au Dieu qui est, servant la créature plutôt que le
créateur; et ce qu'il y a de pire, ils transférèrent le culte de Dieu à des idoles de
bois, de pierre ou de toute autre matière, à des hommes aussi. .. 46
« Seul Dieu et son Verbe étaient méconnus» des hommes, et ce, malgré le fait que le
Seigneur « ne leur avait pas donné une seule possibilité de le connaître, mais il en avait
déployé pour eux un grand nombre de toutes sortes» 47 :
. continued to have a function in Athanasius' spirituality as the second benefit of the Word's incarnation, but
Athanasius subordinated such knowledge to the life of virtue » (ibid., p. 152) .
. 43 N. KWOK-KIT NG, The Spirituality of Athanasius, p 86-89. « ln terms of soteriology, Athanasius in certain
extent may still be said to be a follower of Clement and Origen » (ibid., p. 88) .
44 Ibid., P 91.
45 J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 12; P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... », « Introduction », p. 57.
Voir aussi L. SOUYER, L'Incarnation et l'Église-corps ... , p. 40.
46 Sur l'incarnation du Verbe 11. 4.
47 Ibid., 11. 7.
48 Ibid., 12. 1. Aux ch. 11-13 du Sur l'incarnation du Verbe, Athanase décrit les différents moyens par lesquels
Dieu peut être connu: création selon l'Image, création, Écriture, incarnation (P. MEIJERING, Orthodoxyand
Platonism .. . , p. 47). Au chapitre 34 du Contre les païens, Athanase explique que la création constitue une
révélation inférieure à celle de la contemplation de l'âme. Philon distinguait de façon similaire entre la
connaissance directe de Dieu par l'esprit et la connaIssance indirecte par la création. Théophile et Irénée
expriment aussi cette idée (ibid., p. 31).
6. Le Verbe Sauveur 145
De qui donc, une fo is encore, avait-on besoin sinon du Verbe de Dieu qui
voit et l'âme et l'esprit. Qui meut tous les êtres de la création et par eux fait
connaître le Père? À lui par qui sa providence propre et par l'ordre qu'il fait
régner dans l'univers enseigne le Père, il revenait de renouveler cet
enseignement. Comment donc cela se ferait-il? [ ... ] il se présente comme un
homme, prenant un corps semblable aux leurs, et selon l'ici-bas, je veux dire à
travers les actions corporelles, pour que ceux qui ne voulaient pas le connaître
à partir de sa providence et sa domination universelles reconnaissent grâce
aux œuvres de son corps le Dieu Verbe dans le corps et par lui le Père. 51
49 Sur l'incarnation du Verbe 14. 1. « Car on ne rejette pas la figure ni la matière elle-même, sur laquelle elle a
été tracée, mais on la reproduit sur elle. De la même façon, le Fils très saint du Père, étant l'Image du Père,
est venu dans nos contrées, pour renouveler l'homme fait d'après lui ... » (ibid., 14. 1-2). Kannengiesser
souligne que dans le Sur l'incarnation du Verbe, le Logos ne serait Image du Père qu'en relation avec
l'économie du salut (C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu ... , p. 103-105). ({ Origène n'actualisait pas ses
titres divins de cette ' manière. Arius non plus; sa théologie philosophique s'harmonisait mal avec la
conscience de foi communautaire et créait plutôt des difficultés insurmontables à celle-ci, causant ainsi sa
perte. Chez Athanase, au contraire, les titres du Verbe incarné orientent le discours théorique vers une
célébration du mystère de l'incarnation salutaire de plus en plus proche de la catéchèse commune, reçue par
les fidèles» (ibid., p. 105).
50 T. E. POLLARD, Johannine Christology ... , p. 135-136. « The knowledge of God provided by these means, is
thus derivative of the knowledge of God provided by Christ himself, the one to whom ail of creation testifies
and who alone is found throughout the Scripture, knowledge which should have been enjoyed by ail human
beings by virtue of being created by him and in him, the image of God. That these provisions, as with
creation itself, are described in terms which Athanasius draws from the apostolic proclamation of Christ is
because, quite simply, there is no other way of knowing God - for from the beginning, human beings have
turned away the gifts offered, transgressing the law and turning to knowledge gained through the senses of
things pertaining ta the earth. It is only through Jesus Christ , the Word and Image of the Father, that
knowledge of God and his creation, its origin and God's providence in sustaining the world and providing
means to know him, is derived » (J. BEHR, The Nicene Faith, p. 192; cf., L. SOUYER, L'Incarnation et l'Église-
corps du Christ. .. , p. 86-87). « Jesus-Christ is the epistemological source or apx~ of our knowledge of God
(Discours contre les ariens l, 48; Il, 47-48), and, as, such, he is the E~OOS (form, shape, or figure) of the
Godhead (Discours contre les ariens III, 3; 6; 16). Ali true knowledge of Gad cornes from Christ and is in
conformity with his nature, and the condescension of the Logos to our human mode of existence penetrates
our ways of knowirig and speaking in order ta impart knowledge of the one true God }) (J. R. MEYER,
« Athanasius' Son of God Theology », p. 243).
51 Sur l'incarnation du Verbe 14.6-8. Kannengiesser souligne que "argumentation athanasienne repose ici sur
la notion du Logos comme le seul apte à pénétrer dans l'âme ('lNx~) et l'esprit (voûs) des hommes (C.
KANNENGIESSER, ibid. , p. 317, note 1).
6. Le Verbe Sauveur 146
Ainsi, l'esprit de l'homme étant descendu au niveau du monde sensible, le Verbe paraît
lui-même dans un corps humain pour se faire connaître, et par lui le Père, à sa créature
devenue ignorante des réalités divines:
Car une fois l'esprit de l'homme tombé dans le sensible, le Verbe s'abaissa
jusqu'à paraître dans un corps, afin de centrer les hommes sur lui-même en
tant qu'homme et de détourner vers lui leur sens; désormais ils le verraient
comme un homme; par ses œuvres il les persuaderait qu'il n'est pas un
homme seulement, mais Dieu, Verbe et Sagesse du Dieu véritable.52
Conscient de l'état de faiblesse spirituelle de l'humanité, Dieu agit envers elle comme
un bon enseignant qui descend au niveau de ses étudiants 53 :
52 Sur l'incarnation du Verbe 16. 1. «L'incarnation du Logos modifie de fond en comble le statut de
l'épistémologie théologique fondée sur la notion biblique de KaT' EiKova. La médiation des sens, bien loin de
constituer une infirmité de l'esprit humain ou une simple démarche préliminaire dans la ' saisie salvatrice du
Logos , devient le mode par excellence de cette saisie, le Logos ne se laissant connaître en vérité qu'à
travers sa manifestation corporelle. Ainsi passe-t-on de l'intuition intellectuelle, magnifiée dans le
commentaire philosophique du chap. 1er sur Genèse 1, 26-27, au plan de la foi, le seul où l'homme devient
susceptible d'atteindre son unité totale» (C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 323, note 2; cf.,
B. STUDER, Trinity and Incarnation, p. 5 et T. G. WEINANDY, Athanasius, p. 36.)
53 P. MEIJERING, Orfhodoxy and Platonism ..., p. 50.
54 1 Corinthiens 1. 21.
55 Sur l'incarnation du Verbe 15. 1-2. «En hommes ne pensant que choses humaines, partout où ils
appliqueraient leurs sens, ils se verraient attirés et ils apprendraient la vérité en tous lieux. Car ils étaient ou
bien saisis d'un transport sacré pour la création, mais ils la voyaient confesser le Christ Seigneur; ou bien
leur pensée était prévenue en faveur des hommes, au point de les prendre pour des dieux, mais s'ils les
comparaient avec les œuvres du Sauveur, ils voyaient que parmi les hommes seul le Sauveur est Fils ·de
Dieu, aucune œuvre chez ceux-là ne valant celles que réalisait le Verbe de Dieu. Même pour les démons ils
étaient prévenus, mais en les voyant chassés par le Seigneur, ils découvraient que lui est le Verbe de Dieu,
et que les démons ne sont pas des dieux [ ... ] Voilà pourquoi il est né, est apparu comme un homme, est
mort, est ressuscité, émoussant et obscurcissant par ses propres œuvres tout ce Que les hommes avaient
fait, afin que partout où les hommes étaient attirés, il les ramène et leur enseigne son véritable Père, comme
lui-même le dit: " Je suis venu sauver et trouver ce qui était perdu" (Luc 19. 10) » (ibid., 15. 3, 7).
6. Le Verbe Sauveur 147
The Logos shines everywhere, by vivifying and instructing ail other men
who are attracted by this being who has become similar to them. Thus men
become capable of union with God again by the mediation of the incarnate
Logos as they had been in the beginning by the mediation of their nous in
ecstasy in the Logos. Henceforth Christ take the place of that which was the
Logos nonincarnate for Adam. But because Christ is the Logos in the body,
there is no longer a question of mim icking the angels as the Platonized Adam
had done without great success or, as according to Origen, the " perfect"
Christians had tried to do. It is a question of man realizing ail his personal
perfection even now in body, in social life, in the community of the Church , and
in the present experience of faith. Thus a spiritualist anthropology rethought in
an original manner led Athanasius to centre his existence in faith on the divine
reality of the incarnate Logos. He would never change this position in his latter
writings distributed over the more than thirty remaining years of his life. 57
in sin »59 . De même, bien qu'exprimant une opinion plus balancée, Robertson écrit :
« Athanasius felt [ ... ] the supremacy of the cross as the purpose of the Saviour's coming,
but he does not in fact give to it the central place in his system of thought which it occupies
in his instincts. »60
ln others words, "incarnation" does not simply refer to the birth of Jesus
from Mary, conflating Jn 1.14, which does not speak of a birth, with the infancy
narrative, which do not speak of a previously existing heavenly being, but
rather refers ta this birth when seen from, and · then described in, the
59 R. LETHAM, The Holy Trinity, p. 133; R. P. C. HANSON, The Search for the Christian Doctrine, p. 450-451.
60 A. ROBERTSON, Athanasius: Select Writings .. . p. 40-41, voir aussi Ixix-Ixx. «Athanasius is willing to make
the death of Christ for us debt, owing to our trespasses, the « special cause» of the incarnation. Be he
returns quickly to his more common way of seeing things, namely, restoration of the image of God » (J.
PIPER, Contending for Our Ali. Defending Truth and Treasuring Christ in the Lives of Athanasius, John Owen,
and J. Gresham Machen, Wheaton (Illinois), Crossway Books, 2006, p. 61). « We may admit that Athanasius
did not see the fullness of what Christ achieved on the cross in terms of law and justification. But what he
saw may' be blind to. The implication of the incarnation are vast, and one reads Athanasius with the sense
that we are paupers in our perception of what he saw. However lop-sided his view of the cross may have
been, he saw clearly that the incarnation of the divine Son of God was essential. Withoutit the gospel is
lost» (ibid., p. 61-62).
61 J. BEHR, The Nicene Faith, p. 171. Leur appréciation inclut aussi le Contre les Païens. Tout en
reconnaissant qu'à première vue Athanase semble accorder une place secondaire à la croix du Christ,
Berchem écrit néanmoins que « la Passion du Sauveur devient l'action rédemptrice et sanctificatrice par
excellence» (J . B. BERCHEM, «Le Christ sanctificateur ... », p. 544-545). « ... l'incarnation n'a pas tout
accompli. La Passion est le couronnement, l'achèvement des actions sanctificatrices du Sauveur / .. .! elle est
l'acte suprême de sanctification du Verbe incarné» (ibid., p. 550).
62 Sur l'incarnation du Verbe 1. 1.
63 J. BEHR, The Nicene Faith, p. 184. Behr croie qu'Athanase fait alors allusion à la fO,lie de la prédication de la
croix mentionnée par l'apôtre Paul en 1 Corinthiens 1. 23 (ibid.) « The "apparent degradation of the Word'" is
not simply a kenotic or self-deprecating act of a divine person assuming human nature, but is "this apparent
degradation through the cross" » (ibid.) Anatolios précise aussi que l'apologie met l'accent spécifiquement
sur le scandale de la croix (K. ANATOLlOS, Athanasius. The Coherence ... , p. 67). Selon J.-P. Jossua, lorsque
les Pères se réfèrent à l'incarnation, ils ont dans esprit ce qui constitue le Christ pour toute la durée de son
existence et l'accomplissement de tous les mystères, l'incarnation conditionnant la valeur salvifique de la
croix (J.-P. JOSSUA, dans B. SESBOÜÉ, « Christologie et sotériologie .. . », p. 350).
6. Le Verbe Sauveur 149
perspective of the Cross. But this perspective considerably enlarges the scope
of what is meant by "incarnation".64
Behr rejette de ce fait la thèse voulant qu'Athanase ait dévalorisé les souffrances du
Christ expérimentées au Calvaire, et ce au profit d'une théorie physique de la
65
rédemption . L'évêque voit en effet dans la mort du Logos incarné sur la croix « le point
capital de notre foi» 66 ainsi que « la raison principale de sa venue» 67 ici-bas. Athanase
comprend , toujours selon Behr, l'incarnation à la lumière de la Passion 68 , considérant que
« ce n'est pas autrement que par la croix que devait s'opérer le salut de toUS» 69 :
64 J. BEHR, The Nicene Faith, p. 185. « To understand the coherence of Athanasius' theology, it is nec~ssary to
retain his perspective and be sensitive to the connection he assumes and layers of meaning he deploys.
Neglecting the overall aim of the work, as an apology for the Cross, and the way in which the birth and the
Passion of Christ, along with the relation of Christ to the Christian, are spoken of as "Incarnation" , can lead
to serious distortions. Assuming, anachronistica"y, that "Incarnation" refers solely to the birth from Mary of
the divine Word in or as Jesus tends to lead, for example, to a approach which holds that the proper task of
Christology is to analyse the composition of the being of Jesus Christ, to determine whether he has the
requisite elements of a true human being, or whether the divine Word has replaced the soul, the question
which has beset modern scholarship on Athanasius» (ibid., p. 186).
65 « Separating Athanasius' understanding of who Christ is from what Christ has done, specifica"y his saving
Passion, also results in ascribing to Athanasius what is often referred to as a "physical theory of
redemption" » (ibid., p. 186-187);
66 Sur l'incarnation du Verbe 19. 4.
67 Ibid., 20. 2.
68 J. BEHR , The Nicene Faith, p. 197.
69 Sur l'incarnation du Verbe 26. 1.
70 Ibid., 9. 1.
71 K. ANATOllOS, Athanasius, p. 59. Anatolios y voit aussi un langage eucharistique (ibid.)
72 Sur l'incarnation du Verbe 7. 5 : « ... seul par conséquent il était capable de recréer toutes choses, de souffrir
pour tous les hommes et d'être au nom de tous un digne ambassadeur (TTpEa~Eûaal) auprès de son Père. »
6. Le Verbe Sauveur 150
bas pour offrir (rrpoa<pÉpw) son propre temple (vaàs-) en rançon (ÀUTpOV, d:VTltUKOV) pour
payer la dette contractée par les transgresseurs et libérer ceux-ci de la malédiction de la
loi par son sacrifice (8uala) :
Ainsi, « par le sacrifice de son propre corps », le Verbe « a mis fin à la loi dirigée contre
nous 76 » : « ... puisque tous mourraient en lui, la loi visant la corruption des hommes serait
abrogée (attendu qu'elle se trouvait intégralement appliquée dans le corps du Seigneur,
sans avoir désormais à sévir contre les hommes ses semblables). »77 À l'accusation
courante faite à l'encontre de la sotériologie athanasienne que celle-ci semble peu
concernée par la question du péché, se concentrant plutôt sur les thèmes de la mortalité
et de la perversion intellectuelle78 , Young répond:
73 Ibid., 9. 1-2., « ... aussi, après avoir donné les preuves de sa divinité par ses œuvres, il offrit enfin le sacrifice
pour tous, livrant au nom de tous son temple à la mort, afin de les dégager et de les délivrer tous de l'antique
transgression» (ibid., 20. 2).
74 Deutéronome 21.23; Galates 3. 13.
7S Sur l'incarnation du Verbe 25. 1-2. « .. .et par sa mort, le salut se réalisa pour tous, et toute la création a été
rachetée (ÀEÀUTpWTOI) . C'est lui qui est la vie de tous, et qui, tel une brebis livra son corps à la mort en
rançon (àVTI4NXov) pour le salut de tous, même si les Juifs restent incrédules» (Ibid., 37. 7) .
76 Ibid., 10. 5.
77 Ibid., 8. 4.
78 <~ Athanasius stresses death rather than the guilt of man. In this respect he is a real Eastern theologian. It is
no reason to condemn him. We must see the difference between Athanasius and someone like Anselm
against the background of the difference between East and West. The Western and Eastern churches
supplement each other » (VAN HARRLEM, cité par F. M. YOUNG, The Use of Sacrificialldeas .. . , p. 196).
6. Le Verbe Sauveur 151
been a case of a mere trespass, repentance could have solved the problem;
but man's situation was worse, for the result of sin had been corruption of his
nature and loss of grace, and this only the re-creating power of the Logos
could restore. 79
obsolètes depuis la venue du Saint des saints 82 , il s'agit d'un sacrifice offert « à la place de
tous» (ciVTI TTcXVTWV) et « pour tous» (ÙTTÈp TTcXVTWV)83. Kelly pense que, malgré les
apparences, Athanase n'exprime pas tant l'idée d'une substitution que le fait que la mort
de tous ait été accomplie dans le corps du Seigneur84 . Pour Dragas, le langage sacrificiel
athanasien possède un caractère « réaliste », plutôt que légalljuridique 85 , non pas dans le
79 Ibid. Dans ses Discours contre les ariens, Athanase parle plus de l'œuvre du Christ comme une rédemption
du péché et de la malédiction de la loi (ibid., 197-198). Bouyer rejette aussi le reproche fait parfois à
Athanase d'avoir estompé l'idée de la rédemption du péché par celle de la délivrance de la mort (L. BOUYER,
L'Incarnation et l'Église-corps du Christ. .. , p. 45; Cf., C. KANNENGIESSER, Sur l'incarnation du Verbe, p. 339,
note #2).
80 J. R. MEYER, «Athanasius' Utilisation of Paul. .. », p. 146. Meyer souligne que la thèse de l'omission par
Athanase d'une âme humaine du Christ a conduit à dévaloriser la compréhension par l'évêque de la mort du
Sauveur (ibid.)
81 G. D. DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original Research ... , p. 93 et 125. On retrouve mentionnés
dans le Sur l'incarnation du Verbe plusieurs aspects de la mort du Christ, et ce, selon Roldanus, de façon
passablement développée (ROlDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 265).
82 Sur l'incarnation du Verbe 39-40.
83 G. D. DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original Research ... , p. 126. Par exemple, Sur l'incarnation
du. Verbe 7. 5; 9. 1, 2; 20. 2, 5; 25. 6.
84 J. N. D. KEllY, Initiation à la doctrine ... , p. 392. «This langage (concernant la mort du Christ) suggest the
idea of penal substitution - Christ suffering punishment in our place - but this is not what he means. Taking
into account what he says about solidarity, we suffer and die in union with Christ rather than having Christ do
this for us » (A. J. DOVAl, « Multiple Models of Atonement. .. », p. 153).
85 G. D. DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original Research ... , p. 126-127. Camelot croit que lorsque
Athanase mentionne le paiement de la dette (TO Oq,EIÀO\lEVOV) devenu nécessaire, il ne désigne pas tant
l'idée d'une sorte de marchandage avec Dieu, que celle d'une loi naturelle imposée à l'humanité en raison de
sa désobéissance et que le Fils incarné doit accomplir en son corps: « ... il s'en faut que sa théologie de la
rédemption ait cet aspect rigidement juridique où il est sans doute excessif de voir la théologie
traditionnelle» (P. TH. CAMELOT, Contre les païens .. ., «Introduction», p. 79.); « Ce n'est pas simple
substitution d'une victime à une autre, c'est notre mort à nous qui mystérieusement s'accomplit dans le Christ
. à qui nous sommes unis par l'incarnation .. . » (ibid., p. 80).
6. Le Verbe Sauveur 152
sens platonicien du terme, mais comme désignant une véritable substitution (civTltuxov)86.
Meyer écrit:
Cependant, dans son premier Discours contre les ariens, Athanase écrit que le Logos
s'incarne « afin de s'offrir lui-même au Père pour nous par sa mort »90. Dragas ne voit
aucune contradiction entre ces deux propositions, la mort découlant de la sentence
91
prononcée par Dieu comme punition imposée à l'homme pour avoir transgressée sa loi .
86 « Thus, the inner logic, as it were, of this substitutionary act is not to be traced to an abstract principle of
forensic sacrificial transaction but ta the headship of the Divine Logos in creation, whereby he is related to ail
human beings and as such can act in their behalf as their true representative. Thus, the substitutionary
offering of one single body (humanity) for ail rests on the fact that it is the "Dominical body" (TC KuplaKcv
oc.3~a), that it is to say, the body of him who is "above ail" (0 urrÈp rravTCùv) and "for ail" (0 Èrrl rravTCùv) and,
therefore, the one who can also be "instead of ail" (0 cXvTI rraVTCùV) , as the representative of ail » (G. D.
DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original Research .. . , p. 1~7).
87 J. R. MEYER, « Athanasius' Use of Paul. .. », p. 150. Fiddes considère qu'Athanase défend une approche du
salut de nature juridique analogue à la théorie de Calvin (P. FIDDES dans ibid.) De même, citant Sur
J'incarnation du Verbe 9. 2, Morris écrit: « This is not expressed in the exact terms in which the later church
expressed the penal theory, but it is essentially the same » (L. MORRIS, The Cross of Jesus, Grand Rapids
(Michigan), William B. Eerdmans Publishing Company, 1988.p. 12-13).
88 F. M. YOUNG, The Use of Sacrificialldeas ... , p. 202.
89 Sur l'incarnation du Verbe 14.4. Voir aussi 9. 1; 16.4; 20. 2; 25. 6; 31.4.
90 Discours contre les ariens l, 41.
91 « Thus, the offering of Christ huma nity to death is, in fact, an offering in fulfillment of God's law concerning
death - a fact which makes it possible to speak of Christ's sacrifice as having been offered both to death (to
God's just judgement) and to Gad» (G. D. DRAGAS, Saint Athanasius of Alexandria. Original Research ... , p.
128).
92 Cf., Sur l'incarnation du Verbe 25.5-6. Bien qu'utilisant le vocabulaire classique de la rançon, Athanase fait
moins mention du diable que la plupart des Pères. Selon Young, Athanase utilise plus dans le Sur
J'incarnation du Verbe le langage du sacrifice, bien qu'expliquant la mort du Christ en termes de victoire sur
l'ennemi (cf., Sur J'incarnation du Verbe 25), alors que dans ses Discours contre les ariens il fait usage plus
6. Le Verbe Sauveur 153
93
payée au diable . En définitive, c'est au Père que le Fils offre son sacrifice et paie la
94
rançon résolvant ainsi le dilemme surgissant de l'oppostition entre la bonté de Dieu
envers les hommes et la véracité de son jugement exigeant la mort des pécheurs 95 .
Si, par sa mort sur la croix, le Logos incarné rend aux hommes l'immortalité et
l'incorruptibilité, en tant que « prémices de l'universelle résurrection »96, il mérite aussi
pour ceux-ci la vie après la mort97 . Comme l'a écrit Berchem, du point de vue
sotériolog ique, cette mort et ce retour à la vie du Sauveur ne forment pour Athanase
qu'une seule et unique réalité 98 . Afin d'attester sa victoire réelle sur la corruption et la mort,
la résurrection du Verbe, laquelle possède un caractère tout aussi convenable ou
approprié que la crucifixion , ne s'accomplit que le troisième jour après la mise au
99
tombeau . Parce que celui de la Vie même, le corps du Fils ne pouvait connaître la
corruption 100, le Logos « portant comme le trophée de sa vi'ctoire sur la mort
l'incorruptibilité et l'impassibilité acquises dans ce corps» 101.
particulièrement de celui de la rançon, en tant que vocabulaire traditionnel (F. M. YOUNG, The Use of
Sacrificialldeas ... , p. 137-203).
93 Ibid., p. 203. Dragas considère de son côté comme implicite l'idée d'une rançon offerte au diable dans les
écrits athanasiens, appliquant cependant le même raisonnement qu'il emploie au sujet de la mort : la
domination du diable sur les hommes découle de la malédiction de la loi imposée par Dieu (G ~ D. DRAGAS,
Saint Athanasius of Alexandria. Original Research ... , p. 128-129). « Thus, a careful examination of the
textual data shows that there is no problem concerning the recipient of Christ's sacrifice, because the
identification of him with ail three, death, the devil and God, witnesses to different nuances of meaning, ail of
which are determined by their connection with the divine law concerning death » (ibid., p. 129).
94 « ... not in the sense that he requ ires it for himself, but in the sense that it is required for the mending of the
relation between the Creator and the creature which secures the creature's life and well-being » (ibid.)
95 Cf., J . B. BERCHEM, « Le Christ sanctificateur. .. », p. 552.
96 Sur l'incamation du Verbe 20. 2. Athanase affirme clairement la différence entre la résurrection du Christ et
celle, futu re, des chrétiens (A. PETTERSEN, Athanasius and the Hurnan Body, p. 59).
97 J. B. BERCHEM, « Le Christ sanctificateur. .. », p. 556. « Mais la corruption a cessé et a disparu par la grâce
de résurrection; désormais nous nous décomposerons selon la condition mortelle de notre corps pendant la
seule durée que Dieu a fixée à chacun, afin que nous puissions obtenir une meilleure résurrection» (Sur
l'incarnation du Verbe 21. 1).
98 J . B. BERCHEM, « Le Christ sanctificateur... », p. 556.
99 Sur l'incamation du Verbe 26. 1, 3-4.
100 Sur l'incamation du Verbe 21 . 7.
101 Ibid., 26. 1; « Car c'était un trophée contre la mort que de manifester cette résurrection aux yeux de tous, et
de les convaincre tous du fait que la corruption était supprimée par lui et que l'incorruptibilité des corps était
ainsi acquise : pour tous, en gage et comme preuve de la résurrection universelle, il gardait son corps
incorruptible» (ibid., 22. 4; voir aussi 32. 6) .
- - - - - - -- - - - -
Néanmoins, pour Athanase, les preuves les plus évidentes de la victoire du divin Verbe
incarné sur la corruption résident dans le témoignage même de ses disciples tout
particulièrement en face de la mort 102 :
Que la mort ait été détruite et que la croix représente la victoire remportée
sur elle, qu'elle n'ait plus de force désormais, mais qu'elle soit vraiment morte,
on en a une preuve non négligeable et un témoignage évident dans le fait que
tous les disciples du Christ la méprisent, tous marchent contre elle et ne la
craignent plus, mais par le signe de la croix et la foi au Christ ils la foulent aux
pieds comme morte. Jadis, avant la divine venue du Sauveur, tous pleuraient
les mourants comme s'ils étaient destinés à la corruption. Mais depuis que le
Sauveur a ressuscité son corps, la mort n'est plus effrayante, tous ceux qui
croient au Christ la foulent aux pieds comme une chose qui ne compte pas et
ils préfèrent mourir plutôt que de renier la foi au Christ. Car ils savent vraiment
que s'ils meurent, ils ne périssent pas; mais vivent et deviennent incorruptibles
grâce à la résurrection. 103
nous ouvrir le chemin qui fait monter au ciel)} 105; {( Dès que le Christ et ' sa foi sont
nommés, aussitôt toute l'idolâtrie est détruite, toute la tromperie des démons est réfutée;
aucun démon ne supporte même ce nom, mais dès qu'il l'entend il prend la fuite et
disparaît. Voilà qui n'est pas l'œuvre d'un mort, mais celle d'un viva.nt et par-dessus tout
celle d'un Dieu. )} 106 Tout celà atteste pour l'auteur du Sur l'incarnation du Verbe la parfaite
divinité du Christ 107 .
105 Ibid., 25. 5. « Il prit pour lui un corps capable de mourir, afin de l'offrir au nom de tous comme le sien
propre, et, souffrant au nom de tous par suite de son entrée dans ce corps, afin de "réduire à l'impuissance
celui qui a la puissance de la mort, c'est-à-dire le diable, et d'affranchir ceux qui, leur vie entière, étaient
tenus en esclavage par la crainte de la mort" » (ibid., 20. 6. Athanase cite Hébreux 2.14-15).
106 Ibid.• 30. 6. «Car le Seigneur a touché toutes les parties de la création. il les a toutes délivrées et
détrompées de toute erreur. comme dit Paul : "II a dépouillé les principautés et les puissances, et il a
triomphé sur la croix" (Colossiens 2. 15), afin que personne ne puisse plus désormais être égaré. mais qu'on
trouve en tous lieux le véritable Verbe du Père» (ibid.• 45. 5). « ... Ie salut opéré par le Logos, à travers la
Pâque évangélique du Christ, paraît vérifiable à partir de l'expérience ecclésiale. Dans l'ordre de l'actualité
politique des Églises, au seuil de l'ère constantinienne, des évidences nouvelles sont gagnées. qui éclairent
de façon expérimentale la réalité et le sens de la passion glorieuse du Christ» (C. KANNENGIESSER, «Le
mystère pascal du Christ..·. », p. 410).
107 Sur l'incarnation du Verbe 30 . 6.
108 Ibid., 54. 3. On considère habituellement Irénée comme le fondateur de la doctrine de la theosis (G.
HALLONSTEN, « Theosis in Recent Research : A Renewal of Interest and a Need for Clarity», dans M. J.
CHRISTENSEN et J. A. WITTUNG, éd., Partakers of the Divine Nature. The History and Development of
Deification in the Christian Tradition. Grand Rapids. Baker Academie, 2007, p. 285).
109 V. KHARLAMOV, « Rhetorical Application of Theosis in Greek Patristic Theology », dans M. J. CHRISTENSEN et
J. A. WITTUNG, éd .• Partakers of the Divine Nature, p. 120. Certains, comme Gross et Roldanus préfèrent
parler uniquement de divinisation (J . ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 162). Dans le texte présent, les
termes « divinisation» et « déification» sont employés de façon synonymique.
110 V. KHARLAMOV, «Rhetorical Application of Theosis ... », p. 120. Par exemple : «Car, de même que le
Seigneur en revêtant le corps est devenu homme, de même nous, les hommes,' nous sommes divinisés par
le Verbe pour avoir été assumés par le moyen de sa chair et nous héritons désormais la vie éternelle»
(Discours contre les ariens III, 34).
6. Le Verbe Sauveur 156
time, theologically very indefinite »111. Largement répandue dans le monde païen, la notion
de déification semble faire partie à cette époque du paysage de la théologie chrétienne
populaire 112. Sous l'influence du pape égyptien, elle deviendra un thème dominant au sein
de l'Église orientale 113 .
Athanase utilise effectivement avec une plus grande fréquence que tout autre écrivain
de l'Église avant lui les termes techniques associés à la theosis. Mais, fait remarquer
Russel, ces emplois se trouvent localisés dans les œuvres du corpus athanasien qui
visent directement les opposants au symbole de Nicée, ce même vocabulaire demeurant
absent dans les ouvrages où le pasteur aborde la question sotériologique de façon plus
générale, telles les Lettres testa/es, ou dans ses écrits concernant la vie spirituelle comme
la Vie d'Antoine 117 : « Deification is primarily a weapon in Athanasius' dogmatic armoury
against Arianism. »118 En fait, l'Alexandrin utiliserait de façon rhétorique la terminologie
reliée à la déification tant pour attaquer la theosis païenne que l'erreur arienne, allant
111Ibid. Une telle imprécision ne constitue pas un fait exclusif à Athanase, aucun Père du Ive et du ve siècles
ne donnant une définition exacte de ce concept (ibid., p. 115).
112Kharlamov pense que, dans son application pratique, le concept de theosis peut s'apparenter à celui de la
« nouvelle naissance» répandu dans les milieux protestants évangéliques. Il souligne qu'il ne faut cependant
pas exagérer la popularité de la theosis à cette époque dans l'Église, soulignant que peu d'écrivains en
dehors d'Alexandrie et de la Cappadoce utilisent un vocabulaire associé à ce thème, bien que, jusqu'à
Nestorius, aucun ne s'objecte ouvertement à cette notion (ibid.)
113 H. HESS, « The Place of Divinization ... », p. 369.
114W. VOLKER, dans K. E. NORMAN, Deification. The Content of Athanasius Soteriology, Thèse doctorale, Duke
University, 1980. p. 78 .
115 Ibid., p. 77-78. « .. ,the divinization of the CHristian is not, as for the majority of the earlier Fathers, a more or
less secondary and casual element, but the central idea of his theology » (J. GROSS, cité dans ibid., p. 78)
Roldanus voit aussi dans la déification l'aspect le plus central à la sotériologie de l'évêque (J. ROLDANUS, Le
Christ et l'homme ... , p. 162).
116 B. STUDER, Dieu Sauveur, p. 159.
117 N. RUSSELL, The Doctrine of Deification in the Greek Pa tris tic Tradition [Oxford Early Christian Studies], G.
CLARK et A . LOUTH, éd., Oxford, Oxford University Press, 2004.p. 166-167.
118 Ibid., p. 167.
6. Le Verbe Sauveur 157
jusqu'à bâtir un pont entre les deux119 . Pour Athanase, en tant que prérogative
appartenant à Dieu seul , le pouvoir déificateur attribué au Verbe constitue une preuve de
sa consubstantialité avec le Père et le pivot de son argumentation contre l'arianisme :
« The ide a that one who was god by grace alone would be able of bestow on man his own
kind of divinity overlooks the absoluteness of the essential distinction which exists between
what it is to be God and what it is to be man. »120
Se fondant entre autres sur une analyse semblable, Hess affirme que le thème de la
déification ne remplit pas une fonction centrale dans la théologie athanasienne 121 . De son
côté, Russel écrit qu'il ne faut pas en conclure que la theosis possède pour Athanase une
importance secondaire ou mineure:
119Kharlamov pense que l'utilisation par Athanase du concept de divinisation contre ses opposants ariens peut
suggérer que celui-ci était tout aussi populaire chez ces derniers. sinon plus. que chez les écrivains anti-
ariens (V. KHARLAMOV. « Rhetorical Application of Theosis ... ». p. 119).
120 C. R. STRANGE. «Athanasius on Divinization ». p. 345. Cf.• P. TH . CAMELOT. Contre les païens ... .
« Introduction ». p. 93; N. RUSSELL. The Doctrine of Deification .... p. 171 et 176; J. ROLDANUS. Le Christ et
l'homme .. .. p. 163.
121H. HESS, «The Place of Divinization ... }), p. 371. «The fact that the reference to the divinization motif
occurs only orice in DI. as a apologetic work. is significant » (ibid.• p. 372-373).
122 N. RUSSELL. The Doctrine of Deification .... p. 167;
123 8EOTTOIÉW demeure aussi le verbe préféré d'Athanase pour désigner la divinisation non chrétienne. Il l'utilise
pas moins d'une cinquantaine de fois dans son corpus littéraire, une vingtaine dans un contexte païen et une
trentaine avec une connotation chrétienne. Son usage en relation avec le paganisme se situe
majoritairement dans le Contre les païens. Après sa première utilisation chrétienne à la fin du Sur
l'incarnation du Verbe. on retrouve 8EOTTOIÉW associé à la religion païenne deux autres fois seulement dans le
corpus athanasien, soit dans une des Lettres à Sérapion (IV, 14). ainsi que dans la Vie d'Antoine (76). Deux
autres mots. ÈK8EICXSW et 8EOTTOIÎO, sont aussi utilisés uniquement dans un sens païen . 8Eonoloç est
employé chrétiennement une fois dans le De Synodis. Deux autres vocables, eXrro6EoCù et o:rro6Éwol5,
demeurent totalement absents sous la plume d'Athanase (N. RUSSELL, The Doctrine of Deification .... p. 167-
168) .
6. Le Verbe Sauveur 158
l'homme prélapsaire 124 ou encore pour expliquer que les références bibliques sur le sujet
ne portent aucunement ombrage au caractère ontologique unique du Verbe 125 :
« Athanasius thus goes further than his predecessors in distinguist:ling even linguistically
between pagan deification and its ChrisÜan counterpart. »126
Les Pères, incluant Athanase, rejettent fermement l'idée que par la theosis l'homme
puisse devenir Dieu dans le plein sens de ce terme 127 . Tout en acquiesçant à cette
affirmation, Cullen et Young croient néanmoins que l'énoncé du Sur l'incarnation du Verbe
« did mean something more than " divine" » 128. Pour Cullin, Athanase, à la suite d'Irénée,
conçoit la déification comme le renouvellement ontologique de la nature humaine déchue
et vouée à la corruption par son aliénation d'avec Dieu 129 . Toutefois , la 8EOTTO IT) O IS" introduit
aussi la possibilité d'une filiation divine (U10TT01Ê1V), Athanase identifiant plus fermement
qu'aucun a~tre écrivain avant lui la déification et l'adoption 130 . Elle consiste également en
131
la connaissance de Dieu génératrice d'une vie vertueuse et imitatrice de celui-ci . Cette
transformation du croyant constitue un processus dynamique 132. Mais, explique Studer,
Athanase se distancie aussi d'Irénée en ce qu'il ne considère pas la divinisation comme le .
124« Et étant incorruptible, il (l'homme) aurait désormais vécu la vie de Dieu, selon ce que la divine Écriture
exprime quelque part: " J'ai dit, vous êtes des dieux et tous les.fils du Très-Haut; mais vous mourez comme
des hommes et vous tombez comme l'un d'entre les chefs" » (Sur l'incamation du Verbe 4.6) .
125 Discours contre les ariens l, 9 et 39. Athanase se réfère toujours à Psaumes 82. 6 et Jean 10. 35 (V.
KHARLAMOV, « Rhetorical Application of Theosis ... », p. 180).« This exalted estimate of man before the fall as
fully participating in the divine image and thus already ail but deified, constitutes the unique viewpoint if
Athanasius in the Patristic tradition» (K. E. NORMAN, Deification, p. 87-88).
126 N. RUSSELL, The Doctrine of Deification .. . , p. 168.
127 M. WILES, cité par C. R. STRANGE, « Athanasius on Divinization », p. 342. Kharla-mov considère qu'une
lecture attentive de l'énoncé athanasien révèle qu'il s'agit avant tout d'une affirmation sur l'incarnation du
Verbe que sur la déification de l'homme : « The symmetrical structure of this " exchange formula" by no
means assumes a relationship between equal participants» (V. KHARLAMOV, {( Rhetorical Application of
Theosis ... », p. 120). « And in spite of ail the theological difficulties and uncertainties that can arise from this
statement, the rhetorical significance of this formula and the influence it had in the emergence of the notion
of deification can hardly be overstated » (ibid.) .
128 J. CULlIN, dans ibid., p. 120; F. M. YOUNG, From Nicaea to Chalcedon, p. 301, note # 50.
129 V. KHARLAMOV, « Rhetorical Application of Theosis ... », p. 121.
130Ibid. Selon Russell, pour Athanase, « adoption is synonymous of deification » (N. RUSSELL, The Doctrine of
Deification ... , p. 175; cf. J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme .. ., p. 128 et 163).
131 V. KHARLAMOV, « Rhetorical Application of Theosis .. . », p. 121
132 Premièrement la rédemption des péchés, puis, par la résurrection, la rédemption de la corruption, et
finalement l'exaltation dans les cieux (ibid.) « La divinisation de l'homme 1. . ./ inclut d'une part la victoire sur la
mort, le rétablissement de l'immortalité, et d'autre part le rétablissement de la connaissance de Dieu, la
restauration de la ressemblance avec Dieu ou de la condition d'enfant de Dieu» (B. STUDER, Dieu Sauveur,
p. 159. Camelot estime que la déification constitue pour Athanase, après le recouvrement de l'immortalité et
le renouvellement de la connaissance divine, le troisième but visé par l'incarnation du Verbe en faveur des
hommes déchus (P. TH. CAMELOT, Contre les païens ... , « Introduction », p. 90).
6. Le Verbe Sauveur 159
simple résultat d'un long développement, mais en tant qu'une véritable nouvelle création
débutant grâce à la foi et qui place l'homme dans une condition meilleure qu'avant la
133
chute . Comme l'exprime Kharlamov, «in Athanasius we have a very complex
theological environment where such concepts as salvation, deification , divine filiation , and
sanctification are often implemented synonymously, interrelationally, and
interchangeability in an explicitly trinitarian context » 134 .
À l'instar de la plupart des Pères grecs Athanase attache une grande importance au
texte de 1/ Pierre 1. 4 138 . Sans rompre la distinction ontologique Créateur/création, le
défenseur de la foi nicéenne conçoit que, dans l'union véritable mais asymétrique du
Verbe Dieu et de l'humanité, les attributs de celle-ci se voient orientés et transformés par
la vertu de la nature divine 139 . En acceptant de revêtir les infirmités de l'homme, le Verbe
fait participer sa créature déchue à ses perfections 140. L'incarnation a forgé un lien entre la
divinité et l'économie, le Fils monogène du Père devenant aussi le Premier-né de la
création et de la nouvelle création 141.
Conclusion
Selon Michael Winter, le Sur l'incarnation du Verbe constitue peut-être le plus important
traité de la période patristique sur le sujet de la rédemption 142 . Athanase amalgame dans
son apologie les principales théories sotériologiques de son époque. Pour lui, comme pour
Irénée, le Verbe s'incarne dans un premier temps en vue de vaincre la corruption et la
mort devenues le lot de tous les hommes en raison de la chute. " doit aussi renouveler le
KaT' E1Kova originel et la connaissance divine dans sa créature. Mais pour atterndre ces
deux buts, il doit nécessairement offrir son propre corps en sacrifice au Père pour payer la
dette du péché et mettre fin à la malédiction qui pèse sur l'humanité. L'incarnation
138 J. ROLDANUS, Le Christ et l'homme ... , p. 128. Kharlamov explique qu'Athanase tend habituellement à
décrire l'action divine dirigée vers l'homme en termes de déification, se servant du langage de la participation
pour dépeindre le mouvement inverse : « God deifies, while we participate. » De plus, cette participation
indique le plus souvent le processus même de la déification, lorsque la référence à cette dernière se réfère
au résultat final du processus ou son agent divin (V. KHARLAMOV, « Rhetorical Application of Theosis .. . », p.
119-120).
139K. ANATOLlOS, Athanasius. The Coherence ... , p. 149. « But we do not cease to be human by receiving the
Spirit any more than the Word cease to be divine by assuming a body. On the contrary, his assumed body
becomes divine and immortal. The statements may be symmetrical but the relationship is not one between
equal parties. Christ in his incarnation deifies a human body, and makes avaibles the Spirit, who in turn
deifies believes, though without swamping their humanity » (ibid., p. 175). De même, écrit Strange, Athanase
« believed that when the true God became trully man, he did not do so to make it possible for men to become
gods in the sense in which he was God, but in order to transform what it means to be a man» (C. R.
STRANGE, « Athanasius on Divinization », p. 342).
140 J . lIÉBAERT, La doctrine christ%gique de saint Cyrille ... , p. 231.
141 « He acknowledges that "the same cannot be both Only-begotten and First-born" as such, but only " in
different relations" , yet he insisted on applying both titi es to the Son» (C. R. STRANGE, «Athanasius on
Divinization », p. 345; Discours contre les ariens Il,62). « Fresh possibilities of grace and glory had become
available to man. A link had been forged between the Godhead and the economy and trom his solidarity with
the God-man it has become possible for man to enjoy a genuine share in the divine nature. This was the
heart of Athanasius's case» (ibid.) .
142M. WINTER, The Atonement. Prob/ems in The%gy, Collegeville (Minnesota), The Liturgical Press, 1995, p.
47.
6. Le Verbe Sauveur 161
Athanase paraît à une époque où l'Église entière se trouvait engagée dans une double
crise d'identité. Premièrement, le corps ecclésial devait se redéfinir face à la nouvelle
réalité politique et sociale découlant de la conversion de l'empereur romain au
christianisme. Deuxièmement, ce même corps se trouvait devant la nécessité de clarifier
ses affirmations concernant la révélation de Dieu en Jésus-Christ telles qu'élaborées à
partir des Écritures saintes et transmises par la tradition. Arme servant à contrer le
modalisme, le subordinatianisme professé par la majorité des évêques et des théologiens
d'alors se révélait, par l'énoncé radical qu'en fit Arius, conduire à une impasse. Celui-ci,
désirant sauvegarder la transcendance et l'unicité divines ainsi que la réalité personnelle
du Fils, plaçait résolument ce dernier du côté de la créature. L'auteur de la Thalie ,
probablement influencé par le néo-platonisme, professait de ce fait une trinité hétérogène
sur le plan ontologique, se revendiquant à la fois des Écritures et de la tradition de l'Église.
vivifiante de Dieu que seul le Verbe peut dispenser, ils sombrèrent dans la corruption et
l'esclavage du péché, lesquels se manifestent tout particulièrement par l'idolâtrie.
Athanase, comme Augustin plus tard, peint un sombre portrait de l'homme postlapsaire
croulant sous la malédiction divine et désormais soumis au règne de la mort. Suivant la
tradition théologique alexandrine, il affirme que Dieu seul possède la puissance de sauver
sa créature déchue et de la guérir d'un tel mal. De là la nécessité, comme l ' affi~me le
symbole qu'il défend avec tant d'acharnement, que le Verbe possède la plénitude de la
divinité. Pour le pasteur d'Alexandrie, la foi nicéenne ne concerne pas la théologie trinitaire
dans le sens moderne de cette expression. Selon lui, loin de vouloir sonder les mystères
de la vie intratrinitaire, les Pères conciliaires désiraient plutôt préserver l'intégrité et la
puissance salvifique de l'Évangile.
sacrés. En d'autres mots, le Verbe fait chair devient chez l'évêque l'élément central et
unificateur des données de la Révélation, revêtant ainsi un caractère hautement
épistémologique. Parce qu'homoousios au Père, le Logos en s'incarnant fait connaître de
façon visible et corporelle aux hommes tombés dans l'ignorance spirituelle le Dieu trine
invisible et incorporel. En Christ et en Christ seul réside la compréhension chrétienne de
l'Être divin. Ainsi, le caractère hautement christocentrique et sotériologique de la pensée
athanasienne, tel que révélé dans le Sur l'incarnation du Verbe, génère naturellement
chez lui une vision tout aussi théocentrique et trinitaire comme en témoignent
éloquemment ses écrits postérieurs. La doctrine athanasienne se démarque par sa
cohérence et par son aspect éminemment pratique.
En fait, Athanase joue un rôle primordial non seulement dans le processus de formation
du dogme trinitaire mais aussi dans l'élaboration de la christologique traditionnelle de
l'Église. Là aussi, tout en demeurant fidèle à la tradition de son milieu ecclésial, .il fait
preuve d'originalité, notamment en introduisant un concept anthropologique original en
relation avec la personne du Christ. Sous sa plume, l'homme ne se voit jamais qualifié
Conclusion 167
Victorieux sur la mort, le Verbe dépouille de leur autorité et de leur puissance le diable
et ses armées démoniaques qui retenaient jusque-là les hommes dans l'ignorance et dans
l'idolâtrie. La résurrection et les fruits qui en découlent dans le monde ainsi que dans la
communauté chrétienne. manifestent encore une fois la pleine et entière divinité du Logos
incarné. Seul Dieu peut accomplir de si grandes choses. Un tel salut ne possède
cependant pas un caractère automatique. Il requiert la foi et l'assentiment volontaire des
hommes. Le couronnement de l'œuvre rédemptrice réside dans la déification des
rachetés, leur transformation à l'image de l'Image faite chair. Il s'agit plus que d'une simple
restauration de 'l'homme à son état primitif. En raison de l'incarnation, la grâce ne réside
plus à « l'extérieur» du chrétien comme avant la chute. Désormais « intérieure », cette
grâce place celui qui a cru dans une ' meilleure position que celle dont jouissait l'humanité
pré-Iapsaire. L'« inhumanation» du Verbe incorruptible et impassible, puisque
consubstantiel au Père, assure à la nature humaine une stabilité étrangère à la première
création.
Conclusion 169
1 Le terme « évangélique» doit être pris dans son sens historique et moderne. Étaient auparavant
évangéliques les Églises qui se voulaient fondées sur l'Écriture seule. Ce qualificatif a cependant connu une
e
évolution marquée au XX siècle.
2 Plusieurs cercles évangéliques québécois sont héritiers ou se réclament plutôt de la réforme radicale
(mouvement anabaptiste) dans laquelle on retrouve historiquement, de façon plus ou moins prononcée selon
les milieux, une tendance à dévaluer la théologie et la Révélation écrite au profit d'une communication plus
directe par le Saint-Esprit accordée à chaque croyant.
Conclusion 170
La question se pose : que peut réellement produire une prédication amputée de ces
vérités et où conduira-t-elle les Églises protestantes et évangéliques du Québec? Au delà
d'une simple impression ou d'un vague sentiment religieux, de surcroît souvent
temporaires, que peut réellement produire le message proclamé actuellement dans ces
milieux sur le cœur de l'homme et sur la société? Pour Athanase, la puissance salvifique
du Christ réside fondamentalement dans l'identité de ce dernier : « Qui dites-vous que je
4
suis? » L'auteur du Sur l'incarnation du Verbe considère la réponse à cette question
déterminante pour la vie ou la mort même du christianisme.
3 En fait, selon Letham, nombre de chrétiens occidentaux demeurent en pratique des modalistes (R. LETHAM,
The Holy Trinity, p. 5). Cette conclusion demeure peut-être trop optimiste ... Les théologiens baptistes
calvinistes qui rédigèrent la Confession de foi de Londres en 1677 écrivirent, suivant en cela la Confession
de foi de Westminster (presbytérienne), à la fin de l'article intitulé « Dieu et la Sainte Trinité» : « La doctrine
de la Trinité est le fondement de toute notre communion avec Dieu et de notre dépendance, source de
réconfort, de lui» (Confession de foi baptiste de Londres de 1689, traduit de l'anglais et publié par
l'Association d'églises réformées baptistes du Québec, Québec, 2007, p. 12).
4 Matthieu 16. 15.
ANNEXE 1
1
SYMBOLE DE NICÉE
Années Événements
2 Tiré de N. KWOK-KIT NG , The Spirituality of Athanasius, p. 17-18; C. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu .... ,
p.189-190.
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