Mediation Et Scenes Nationales
Mediation Et Scenes Nationales
Mediation Et Scenes Nationales
1
Je tiens à remercier toutes les
personnes qui m’ont aidée dans
l’élaboration de ce mémoire,
2
RESUME
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION 7
Contextualisation 9
Quelle culture valorise t-on dans les Scènes nationales ? 9
La diversification de l’offre
Public/Publics/Population 11
La démocratisation culturelle 13
Quelques chiffres 15
4
II – La médiation culturelle en action 27
A- Médiation et communication 27
CONCLUSION 43
BIBLIOGRAPHIE 46
5
INTRODUCTION
J’ai travaillé pendant quatre ans dans un théâtre jeune public situé
dans un immeuble dans le quartier de Chambéry le haut, quartier dit
« sensible » comme marionnettiste et animateur socioculturel, ma mission
principale étant la sensibilisation des enfants du quartier à l’art de la
marionnette et l’accès du plus grand nombre d’enfants à nos spectacles.
Pour ce faire, j’ai établi progressivement un contact quotidien avec les
habitants, un partenariat avec les associations, bibliothèques, les centres
socioculturels, les écoles et artistes du quartier, et mis en place des actions
visant à tisser des liens forts entre la population du quartier, de
l’agglomération et la structure, ou plus modestement entre nos spectateurs et
les oeuvres présentées. Ces actions que je qualifierais de médiation
culturelle consistaient en l’organisation de répétitions publiques,
d’interventions dans l’espace public ou encore de moments conviviaux à
l’issue des spectacles afin que les spectateurs puissent échanger avec les
artistes.
Les projets du théâtre de la Louve, financés en grande partie par des
subventions de la politique de la ville visent à travers l’action culturelle, à
retisser du lien social. La multiplication des projets, l’enracinement et le
rayonnement de l’association sur le territoire (le quartier), les nombreux
partenariats mis en place nous ont permis d’accueillir de plus en plus
d’enfants du quartier, mais aussi de toute l’agglomération.
Cependant il convient de reconnaître que la majorité des enfants
ayant peu l’occasion de se rendre dans une salle de spectacle fréquentent
essentiellement notre théâtre dans le cadre de séances scolaires ou avec
6
les maisons de l’enfance. Lors des séances tout public le dimanche après-
midi, la grande majorité des spectateurs était des familles de classes
moyennes- supérieures, n’habitant pas le quartier. Néanmoins, la gratuité
accordée aux enfants de l’immeuble a sans doute contribué à tisser des liens
forts avec un groupe d’enfants, qui sont devenus nos plus fidèles
spectateurs et qui ont peut-être commencé là leur « carrière de
spectateur 1».
La sensibilisation, l’accompagnement des publics était au cœur de notre
démarche.
1
L’ex pression est empruntée à Pedler Emmanuel et Djakouane Aurélien, Carrières de spectateurs au
théâtre public et à l’opéra, Les modalités de prescription culturelles en questions, des prescriptions
incantatoires aux prescriptions opératoires in Donnat Olivier, Tolila Paul (dir), Le(s)Publics de la
culture, Presses de sciences po, 2003
7
CONTEXTUALISATION
2
Lamarre Chantal, sur le site la Scène nationale « Culture Commune »,
http://www.culture-commune.asso.fr/culturecommune.htm
3
Renard Jacques, Un pavé dans la culture, L’Harmattan, 2002
8
En un demi-siècle, la France s’est dotée sur tout son territoire d’un
ensemble d’équipements culturels qui a permis de rapprocher
géographiquement les œuvres de la population.
On peut dire que ce qui est valorisé dans les Scènes nationales, c’est
la « culture légitime qui suppose un socle stable de références4 ».
C’est la création artistique professionnelle qui est leur objectif prioritaire, et
non comme la qualifie Michel de Certeau « la culture ordinaire ».
Le rapport « Pour un débat national sur l’avenir du spectacle vivant est
assez sévère sur l’état de ce réseau aujourd’hui : « la plupart d’entre elles
n’ont pas de vrais projets artistiques, n’ont aucune relation directe avec les
artistes et se limitent à des actes de programmation … pour nuancer ce
constat, il faudrait rappeler l’ambiguïté majeure dont est victime ce réseau :
sa mission prioritaire est-elle la conquête et l’élargissement des publics ou la
diffusion des compagnies ? 5». Deux directeurs de Scènes nationales, Alain
Grasset et Francis Peduzzi, avaient déjà en 1998 dénoncé le malaise
engendré par « le divorce entre les préoccupations du monde artistique et
celles d’une population censée s’y reconnaître6».
4
Mayol pierre, De la culture légitimée à l’éclectisme culturel, Ville-école-intégration, Enjeux n°133,
juin 2003
5
Latarjet Bernard, Pour un débat national sur l’avenir du spectacle vivant, Ministère de la culture et
de la communication, avril 2004, p88
6
Peduzzi Francis, Grasset Alain, Contribution, Ministère de la culture et de la communication, 1998
9
Il semble bien que ce soit la création contemporaine professionnelle, se
caractérisant par une certaine excellence artistique qui est privilégiée dans
les Scènes nationales.
7
Mayol Pierre, De la culture légitime à l’éclectisme culturel, Ville-Ecole-Intégration, Enjeux n°133,
juin 2003
10
importante du projet artistique de la structure, car il est selon son directeur
« le point de contact entre la scène nationale et la population ».
La programmation de ce festival largement financé par la ville d’Annecy
permet donc une plus grande implantation territoriale.
Antoine Hachin, responsable de l’action culturelle de Dieppe Scène nationale
pense que « par la richesse et la diversité des propositions, nous espérons
toujours faire découvrir à de nouveaux publics les plaisirs de la rencontre
avec la création contemporaine8 ».
C’est l’idée qu’en élargissant la palette des genres de spectacles présentés,
on peut accroître et élargir le cercle des spectateurs.
8
Hachin Antoine, L’action culturelle, art de la rencontre, sur le site de Dieppe Scène nationale,
disponible sur le site http://www.dsn.asso.fr/news/action_culturelle.htm
11
En effet, «lorsque 21% des personnes peu ou pas diplômées
déclarent avoir vu un spectacle de théâtre de rue au cours des douze
derniers mois, ce pourcentage atteint 49% chez les personnes diplômées9 ».
Public/Publics/Population
La démocratisation culturelle
9
Guy Jean-Michel, les publics du spectacle vivant, in : Donnat Olivier et Tolila Paul (dir), Le(s)
public(s) de la culture, vol 2 p 166, Presses universitaires de sciences po, 2003
10
Passeron Jean-Claude, conclusion in Donnat Olivier et Tolila Paul (dir), Le(s) public(s) de la
culture, vol 1, p370
12
Cet idéal était déjà présent dans le préambule de la constitution de
1946 qui garantissait l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à la culture, mais
aussi dans le décret relatif aux attributions du ministre chargé de la culture
dès la création de ce ministère en 1959.
Il convient cependant, à la suite d’Olivier Donnat de s’interroger sur le
sens même du terme accessible11. S’il s’agit d’une accessibilité
géographique, cette mission semble plutôt bien remplie aujourd’hui, mais si
rendre accessible signifie réduire les barrières symboliques de l’accès aux
œuvres, le bilan est clairement plus réservé.
Les enquêtes du Département des Etudes et de la Prospective (DEP)
depuis 1973 sur les pratiques culturelles des français dont la dernière est
parue en 1998, et dirigée par Olivier Donnat, mettait à jour un certain échec
des politiques publiques en matière de démocratisation culturelle : ceux qui
vont au théâtre aujourd’hui sont globalement les mêmes qu’il y a trente ans,
c’est à dire faisant partie des catégories socio-professionnelles plutôt
favorisées socialement et ayant généralement fait des études supérieures
(étudiants, cadres, professions intellectuelles supérieures). Aller au spectacle
demeure « une pratique rare, chère et réservée12 ».
Cependant Aurélien Djakouane et Emmanuel Pedler vont plus loin et
précisent que« les pratiques culturelles sont le fruit de minorités, y compris à
l’intérieur même des groupes les plus formés. Il devient abusif de prétendre
que les pratiques culturelles savantes sont les pratiques dominantes des
groupes dominants13. »
11
Donnat Olivier, La question de la démocratisation culturelle, in modern & Contemporary France,
vol 11 Number1, Feb 2003, p 9-20
12
Jean Michel Guy, les publics du spectacle vivant, in Donnat Olivier et Tolila Paul (dir), Le(s)
public(s) de la culture, vol 2(cdrom), Presses de sciences po, 2003
13
Pedler Emmanuel et Djakouane Aurélien, carrières de spectateurs au théâtre public et à l’opéra,
Les modalités de prescription culturelles en questions, des prescriptions incantatoires aux
prescriptions opératoires in Donnat Olivier, Tolila Paul (dir), Le(s)Publics de la culture, presses de
sciences po, 2003, P204
13
Quelques chiffres
14
vivant en 1998, sous l’impulsion du Ministère de la culture et de la
communication dirigé alors par Catherine Trautmann.
Cette charte est le rappel « d’un engagement fort de l’Etat en faveur
de la création artistique et du développement culturel14 », qui en échange
demande aux institutions culturelles d’assumer leurs missions de services
publics, à savoir leurs responsabilités artistiques mais aussi sociales et
territoriales.
Alors se repose la question de la nature du lien qui nous unit à une
œuvre. Deux conceptions du rapport à l’œuvre émergent du paysage
culturel.
Pour certains dont Malraux, ce rapport relève de l’ordre de
l’inexplicable, du choc esthétique. Cette relation directe et immédiate entre
l’œuvre et le public ne doit en aucun cas être perturbé par des
intermédiaires. Ainsi, Pierre Moinot en Mai 61, dans Les principes de la
politique culturelle des maisons de la culture précisait que « le partage de la
culture doit éviter le détour de la pédagogie, de la vulgarisation ou de toute
autre forme de médiation15 ».
Pour d’autres ce rapport nécessite une sensibilisation, une initiation,
ou encore une éducation artistique : «la mission de sensibilisation des
publics et d’action éducative des établissements artistiques et culturels
constitue l’un des fondements de l’intervention publique en matière
culturelle16».
Jacques Duhamel écrivait déjà il y a trente ans que « les œuvres d’art
n’ont de valeur qu’en fonction de leur action sur les individus. Il ne suffit donc
pas à une œuvre d’art d’être exposée pour qu’un contact vrai s’établisse17»
et s’interrogeait sur la question de la sensibilisation des publics.
14
La charte des missions de service public pour le spectacle vivant, in lettre d’information, bimensuel
n°40, Ministère de la culture et de la communication, 16 décembre 1998
15
Urfalino Philippe, L’invention de la politique culturelle, Paris, Comité d’histoire du ministère de la
culture – La documentation française, 1996
16
Vistel Jacques, directeur de cabinet du ministère de la culture, circulaire du 23 mars 2001 relative à
la mise en œuvre du plan d’actions à cinq ans en faveur de l’éducation artistique et culturelle pour
tous.
17
Duhamel Jacques, L’ère de la culture cité par Caune jean, la culture en action: de Vilar à Lang, le
sens perdu, Presses universitaires de Grenoble, p 175
15
Ainsi, en m’appuyant sur le contexte évoqué précédemment, je vais tenter de
répondre à la question de départ : quelle est la place de la médiation
culturelle dans les scènes nationales, à travers la problématique suivante.
Problématique :
16
I- LA MEDIATION CULTURELLE, UN NOUVEAU MYTHE ?
18
Caune Jean, Le sens des pratiques culturelles, pour une éthique de la médiation, PUG, 1999
19
Bordeaux Marie-Christine, Education artistique et enseignement musical : rappel historique et
repères conceptuels, 6janvier 2004, in http://www.lesla.univ-lyon2.fr
17
Dans les années 60, la politique culturelle de l’Etat privilégie un
contact immédiat avec les œuvres, qui sont choisies pour leur caractère
universel et leur transcendance et refuse toute forme de médiation autre que
celle de l’œuvre.
Dans les années 70, la conception culturelle de l’Etat privilégie une
conception de l’art comme facteur de transformation sociale et une
médiation par l’expression.
Les années 80 sont caractérisées selon Jean Caune par le
développement de la communication culturelle et la médiatisation des
œuvres.
Marie-Christine Bordeaux complète cette typologie pour les années
90, en caractérisant cette période par « l’essor inattendue de la médiation
éducative, fondée sur l’initiation aux langages et aux codes ».20
20
ibid
21
Trautmann Catherine, Conférence de presse sur les réformes engagées pour une démocratisation de
la culture, 26/02/1998
22
Caillet Elisabeth, citée dans Jammet Yves (dir), Médiation culturelle et politique de la ville, édité
par l’association de prévention du site de la Villette, mars 2003
18
Il m’a paru intéressant de me pencher sur ce qu’en disent les acteurs
culturels.
Joseph Paléni, le directeur de l’auditorium de Seynod semble refuser
le concept même de médiation : « la médiation ? Connais pas. Je
connaissais les médiateurs au niveau des conflits guerriers… là, ça avait un
sens23 ». Christine Prato de l’Hexagone de Meylan24 déclare, « je ne fais
pas de la médiation culturelle, je fais de l’action culturelle et de la relation
avec les publics…à la limite, on peut dire que c’est de la médiation dans
l’action ».
Ces exemples illustrent une certaine réticence à parler de médiation
culturelle dans le domaine du spectacle vivant.
• L’éducation populaire
Née au 19e siècle, elle a alors pour ambition d’aider à l’émancipation
des classes laborieuses en leur permettant d’accéder au « savoir », dans un
but de transformation sociale. Puis cette notion a évolué d’une part vers
l’animation socio-culturelle plutôt centrée sur l’accès aux pratiques culturelles
individuelles et sur les relations sociales engendrées par ces activités, et
d’autres part vers l’action culturelle.
• L’action culturelle
L’action culturelle est comprise par le ministère de la culture à
l’époque de Malraux comme un « mode d’intervention culturelle, comme un
23
Paléni Joseph, directeur de l’Auditorium de Seynod, entretien du 1/07/2004
24
Prato Christine, directrice de la communication et de la relation avec les publics à l’Hexagone de
Meylan, Scène nationale, entretien du 9 juillet 2004
19
ensemble d’institutions et de pratiques chargées de diffuser le patrimoine
artistique et de contribuer à la production d’une culture contemporaine25».
Ce terme aujourd’hui, pour le Ministère de la culture « tend à se
confondre avec l’objectif de démocratisation culturelle, et recouvre des
politiques liées à l’aide à des populations en particulières difficultés26 ».
L’action culturelle dans les années 80-90, héritière de conceptions
diverses et contradictoires est devenue peu crédible et ses acteurs peu
légitimés, ses actions étant jugées trop sociales. Elle est critiquée de
l’intérieur par les artistes et les acteurs culturels.
Une nouvelle réflexion est engagée plaçant l’artiste au centre des
actions visant à réduire le fossé entre l’art et la société. On parle alors de
médiation culturelle.
25
Caune , Jean, La culture en action, De Vilar à Lang : le sens perdu, PUG, 1992, p 17
26
Bordeaux Marie-Christine, Médiation culturelle et communication, extrait de La médiation
culturelle dans les arts de la scène, thèse de 3e cycle, sous la direction de Jean Davallon, université
d’Avignon,, laboratoire culture et communication
27
Garcia Salvador, directeur de Bonlieu Scène nationale, entretien réalisé en mai 2004.
28
Caune Jean, La culture en action, de Vilar à Lang : le sens perdu , PUG, 1992, p 21
20
• La médiation, une sensibilisation
29
Bardugoni Catherine, Une part de secret in passages public(s), p.37
30
Scott Richard, Traces... pour la médiation culturelle, p 63
31
Carasso Jean-Gabriel, disponible sur le site internet : http://www.univ-paris.fr
32
Caune Jean, communications à l’œuvre, p28
33
Gourbeyre Françoise, directrice du Dôme Théâtre d’Albertville, entretien du 7/07/2004
21
Au-delà de la rencontre d’une œuvre et d’un individu, la médiation
serait-elle le « chaînon manquant34 » dont parle Jean Canne, qui aurait pour
fonction de renouer les liens entre le social et le politique, fonction assurée
jusqu’alors par les partis politiques, les syndicats et les associations. La
médiation devrait-elle contribuer comme le suggère toujours ce dernier « à
tisser des liens entre le passé, le présent et l’avenir ?35 »
Les moyens mis en œuvre pour les actions de médiation, pour créer
des liens entre l’œuvre et le spectateur sont divers et oscillent entre le
monde de la connaissance et le monde du sensible, entre décodage et
sensibilisation.
34
Caune Jean, Le sens des pratiques culturelles : pour une éthique de la médiation, PUG, 1999, p 136
35
idem
36 36
Bordeaux Marie-Christine, Education artistique et enseignement musical, rappels historiques et
repères conceptuels, intervention du 6 janvier 2004, disponible sur le site http://lesla-univ-lyon2.fr
22
procède par des débats, des conférences, analyses et critiques de
spectacles, des rencontres avec l’auteur qui tente d’expliquer le sens de son
œuvre et sa démarche de création.
Ainsi à la Scène nationale de Saint Quentin en Yvelines, une école du
spectateur a été mise en place où sont proposées pour la saison 2004/2005,
des actions en lien avec les spectacles programmés au cours de la saison,
cherchant à « approfondir (…) la richesse du spectacle vivant37 ». Y sont
notamment organisées des conférences qui visent à « mettre en perspective
les axes forts de la programmation, développer ses connaissances,
s’interroger…38».
37
disponible sur le site du théâtre de Saint Quentin en Yvelines :
http://www.theatresaintquentinyvelines.org
38
ibid
39
Bordeaux Marie-Christine, La médiation dans les arts de la scène, mémoire de DEA de muséologie,
université de Saint-Etienne, 1999/ 2000, p 56
23
déchiffrer pas plus qu’elle ne se réduit à la visée intentionnelle du
créateur40. »
40
Caune Jean, la culture en action: de Vilar à Lang, le sens perdu, PUG, 1992, p232
41
Caune Jean, Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles, PUG, 1999, p143
42
http://www.reseo.org
43
Christine Prato, directrice des relations avec les publics et de la communication, Scène nationale de
Meylan, entretien du 9/07/04
24
artistiques peuvent proposer comme schèmes de perception et
d’expression.44».
Pourtant on voit se développer dans de nombreuses Scènes
nationales des ateliers ayant pour rôles de « développer des activités
créatrices, de créer des opportunités de rencontre et de jeu, de croiser et de
mettre en dialogue des expériences45 », et qui n’ont pas pour objectifs
premiers de faire lien avec des œuvres.
Ainsi à Bonlieu Scène nationale, ont été mis en place des ateliers de
danse au cours de la saison 2003/2004, encadrés par des danseurs de la
compagnie Abou Lagraa, compagnie associée. Le travail résultant de ces
ateliers sera présenté à l’ouverture de la saison 2004/2005 avec la
participation des danseurs de la compagnie, lors d’une soirée festive où la
Scène nationale se transformera en une « Boite de danse ».
Notons que l’organisation de cette soirée festive a soulevé au sein de
l’équipe du théâtre une certaine appréhension que cette action soit perçue
comme un « gala de fin d’année, une animation socioculturelle ».
44
in Caune Jean, La médiation culturelle : une construction du lien social in enjeux de la de
l’information et de la communication n°1, GRESEC, Grenoble, 2000
45
Le Granit, Scène nationale de Belfort, in Plaquettes de présentation de saison 2004/2005, p 76
25
II- LA MEDIATION CULTURELLE EN ACTION
46
Colbert François, Le marketing des arts et de la culture, Gaétan Morin éditeur, 1993
26
Ce sont bien là des techniques de communication et de marketing
visant à informer pour faire venir le public et remplir les salles. Pourtant des
actions de médiation sont proposées mais ne sont valorisées ni dans le
discours, ni dans la plaquette de saison.
Autre entretien avec le directeur de la Scène nationale d’Annecy, Salvador
Garcia : « la médiation, c’est autant de la communication que de la relation
avec les publics ; il faut trouver le bon public pour la bonne œuvre ».
Ces réflexions suggèrent que ces institutions culturelles ont du
apprendre la gestion, le management et à cibler les publics, termes relevant
du marketing. On parle donc bien d’entreprises culturelles et l’usager des
Scènes nationales peut être considéré dans une certaine mesure comme un
consommateur. C’est à ce titre qu’on utilise la communication comme outil
promotionnel pour faire venir le public et pour l’image de l’entreprise.
47
Pedler Emmanuel et Djakouane Aurélien, Carrières de spectateurs au théâtre public et à l’opéra,
Les modalités de prescription culturelles en questions, des prescriptions incantatoires aux
prescriptions opératoires in : Donnat Olivier, Tolila Paul (dir), Le(s)Publics de la culture, Presses de
sciences po, 2003
27
moins elles en mettent dans un travail de médiation réelle qui ne soit pas de
la communication48 ». Par ailleurs le Syndeac rappelle au sujet des contrats
d’objectifs pour les Scènes nationales, au sujet des plaquettes de
présentation de saison : « on se défiera d’éditions par trop dispendieuses
(…) réservant ainsi le maximum de moyens à la meilleure médiation qui soit :
la rencontre entre les spectateurs, les artistes, et les œuvres49. »
Pour Elisabeth Caillet, on parle de médiation « comme si accoler
médiation à coté de communication donnait à cette dernière une nouvelle
légitimité50 », et pour Jean Caune, « la communication est un mot qui ne
prend pas en compte l’identité singulière de chacune des personnes51 ».Ceci
nous renvoie à la notion de médiation culturelle comme partage, échange,
vécu d’expérience.
On peut alors considérer que ce qu’on appelle la médiation culturelle
est une forme interactive de la communication impliquant des échanges
entre les personnes alors que ce qu’on appelle généralement communication
dans les institutions culturelles relève de la communication hiérarchique du
haut vers le bas (bottom down)52.
Dans cette perspective, les nouvelles techniques d’information et de
communication semblent pleines de potentialités nouvelles, notamment les
sites Internet des Scènes nationales.
L’intérêt de ces sites réside dans les informations données sur les
œuvres (extraits de spectacles, musique, …) qui peuvent susciter le désir et
la curiosité, « comme un pont virtuel entre le virtuel et le spectacle vivant53 ».
Mais le véritable intérêt se situe au-delà, dans la possibilité qu’a l’internaute
de passer des œuvres proposées aux différentes actions de médiation qu’y
48
Tsvi Hercberg, cité par Petermann Odile, La médiation culturelle : Du sens à l’action, Dess
Développement culturel et direction de projet Lyon II / ARSEC, p 31
49
Disponible sur le site du Syndeac : http://www.syndeac.org
50
Caillet Elisabeth, l’ambiguïté de la médiation : entre savoir et présence. Publics et musées n°6,
1994, p68
51
Caune Jean, La communication à l’œuvre, p 25
52
Bonniel Jacques, communication et médiation, compte rendu de la demi journée de réflexion
organisée par l’association médiation culturelle Rhône-Alpes, disponible sur
http://mediationculturelle.free.fr
53
Françoise Roussel et Martine kahane, in Fourteau Claude (dir), Les institutions culturelles au plus
près du public, journée d’études organisée au musée du Louvre, 21-22 mars 2002
28
s’y rattachent (conférences, rencontres, ateliers, …), selon sa propre
démarche et son propre vécu, en suivant un chemin qui lui est personnel.
54
Prato Christine, « Exposition, livres, spectacle vivant…la médiation culturelle est-elle une ou
plurielle », soirée de réflexion organisée par l’association Médiation culturelle Rhône-Alpes, musée
Dauphinois, Grenoble, le 13 mai 2004.
29
ils font corps55 ». Les institutions culturelles font donc confiance en priorité
aux artistes pour aller à la rencontre du public.
Les résistances
Pourtant ces répétitions publiques ne semblent pas très nombreuses,
les artistes n’y étant pas très favorables, la présence du public inhibant l’acte
créateur. « Il est important pour les acteurs, par nature craintifs et
hypersensibles, de savoir qu’ils sont parfaitement protégés par le silence,
l’intimité et la discrétion 57» pour être alors en mesure de s’ouvrir à eux-
même et aux autres.
Si les artistes sont considérés dans les institutions comme les plus
habilités à parler de leur travail ou animer un atelier, c’est qu’ils interviennent
en tant qu’artistes. Ce travail doit donc être considéré comme un
55
Sumkay Christine, La médiation théâtrale, un nouveau rôle pour les acteurs, in La médiation
théâtrale, actes du 5eme congrès de sociologie du théâtre, à Mons, Belgique, Lansman, 1997
56
Contratto Graziella, in plaquette de saison de la Scène nationale de Chambéry et de la Savoie,
2004/2005, p18
57
Brook Peter, Points de suspension 44ans d’exploration théâtrale 1946- 1990, seuil, 1992
30
prolongement du travail de création et de diffusion. Ainsi, le Syndeac58
soutient l’idée que les organismes sociaux que sont l’UNEDIC et L’URSSAF
devraient davantage prendre en compte ces actions de médiations assurées
par des artistes intermittents dans le décompte de leurs droits à l’assurance
chômage. Le rapport Latarjet59 constate que les collectivités publiques qui
soutiennent l’action culturelle et le spectacle vivant se rejoignent pour dire
que dans les actions de sensibilisation, l’artiste joue pleinement son rôle et
exerce son métier en toute légitimité.
Cependant, même au sein de la profession, on est loin du consensus
sur cette question, une partie des artistes estimant encore que ces actions
de médiation ne relèvent pas de leur ressort. Subsiste encore cette crainte
d’instrumentalisation de la démarche artistique par les institutions culturelles.
En outre, l’une des réalités des Scènes nationales est que leur choix,
leur projet consiste à diffuser un nombre parfois très important de spectacles,
ce qui implique des séjours de deux ou trois jours des artistes dans la
structure et rend rares, voire impossibles de véritables temps de médiation.
Citons l’exemple de Bonlieu scène nationale où le nombre de
représentations tout public et scolaires est passé de 111 en 2000/2001 à 211
en 2003/2004 soit un quasi doublement en trois ans. Comment les artistes
auraient-ils le temps d’intervenir dans des actions de médiation- pas plus que
les permanents de la structure dont le nombre n’a pas augmenté en
proportion? Quelques années plus tôt, Francis Peduzzi et Alain Grasset dans
leur livre60 recueillaient déjà des témoignages de directeurs de Scène
nationale à Cherbourg ou Meylan qui exprimaient une prise de conscience
de cette même réalité.
Par la création de cellules de production, appelées aussi « camps de
base61 », les Scènes nationales d’Annecy et de Chambéry souhaitent être de
58
L’éducation artistique, une responsabilité démocratique, disponible sur le site du SYNDEAC,
http://www.syndeac.org
59
Latarjet Bernard (coord), Pour un débat national sur l’avenir du spectacle vivant, compte rendu de
mission, ministère de la culture et de la communication, avril 2004
60
Grasset Alain, Peduzzi Francis, Contribution, Ministère de la culture, p 59-60
61
Plaquette de saison, Scène nationale de Chambéry, saison 2004/2005, p 3
31
« véritables lieux de création au service des publics ». Les quatre artistes
associés dans chacune des deux structures « prendront le temps de la
rencontre, de la complicité avec les publics de la cité et du département 62».
Cette rencontre entre artistes et publics ne sera effective que si un projet de
médiation culturelle sous-tend ces cellules de création.
Alain Liévaux, pendant dix ans directeur du Théâtre du Merlan, situé
dans les quartiers nord de Marseille avait quant à lui pris une décision
radicale : abandonner la programmation de saison et l’achat de spectacles
pour travailler avec des compagnies en résidence, et présenter leurs
spectacles sur trois ou quatre semaines, en prenant le parti de miser
davantage sur le « bouche à oreille » et sur le travail des médiateurs que sur
des techniques de communication.
L’idée selon laquelle le métier de médiateur culturel n’a pas lieu d’être
dans les institutions culturelles du spectacle vivant semble très répandue.
Alors que les médiateurs et l’usage du mot semblent accepté dans les
musées ou les bibliothèques, très peu de scènes nationales comptent des
médiateurs dans leur effectif.
On constate toutefois l’existence de certaines exceptions dont les plus
notables sont deux scènes nationales atypiques, qui ont recruté plusieurs
médiateurs : le théâtre du Merlan, situé dans les quartiers Nord de Marseille
dirigé jusqu’en 2003 par Alain Liévaux qui a été son directeur pendant dix
ans et Culture Commune dirigé par Chantal Lamarre. Atypiques car ces deux
structures situées dans des zones fortement marquées économiquement et
socialement, avec un très fort taux de chômage et une majorité de la
population absolument pas habituée à fréquenter un lieu de spectacle, ont
visiblement à cœur de toucher et sensibiliser ces populations.
62
Ibid
32
Elles ont estimé que l’embauche de médiateurs pourrait y contribuer,
afin de « créer de toutes façons et en tout lieux possibles les conditions de la
rencontre entre des œuvres et un public, mais aussi entre des artistes et une
population63 ». Ces deux structures se sont données les moyens de travailler
à la transformation du territoire, d’engager un réel partenariat avec les
associations locales en embauchant des médiateurs : 4 à Culture commune
et deux au théâtre du Merlan, mais elles constituent une exception dans le
paysage des Scènes nationales.
Jean Gabriel Carasso est sceptique quand à l’émergence de « ce
nouveau métier qui serait censé résoudre, comme par enchantement, toutes
les difficultés64 ». Selon lui un médiateur isolé ne peut rien faire, mais seule
la médiation en chaîne pourrait parvenir à réduire l’écart entre l’œuvre et le
public. Cette médiation en chaîne associe artistes, acteurs culturels au sein
de l’institution , mais aussi la famille, les amis, les journalistes et les
enseignants.
63
Lamarre Chantal, directrice, sur le site de Culture commune :
http://www.culture-commune.asso.fr/culturecommune.htm
64
Carasso Jean Gabriel in La médiation théâtrale, actes du 5 eme congrès international de sociologie
du théâtre à Mons, Belgique, mars 1997
65
Gourbeyre Françoise, Directrice du Dôme théâtre, Scène conventionnée, entretien du 7/07/04
66
Christine Prato, directrice des relations avec les publics et de la communication, Scène nationale de
Meylan, entretien du 9/07/04
33
apparaît centrale dans le contrat d’objectif de cette structure67 et du projet de
la structure, ce qui témoigne de la difficulté qu’a le mot même de médiation à
s’imposer dans les institutions du spectacle vivant.
.
Si jusque dans les années 70, l’Etat ne concevait même pas l’idée
d’un soutien à l’éducation artistique, une prise de conscience, une réflexion
s’est progressivement mise en place et dotée de moyens d’actions à
destination du jeune public.
L’éducation artistique, c’est :
- voir des œuvres, assister à des représentations
- pratiquer, notamment au cours d’ateliers encadrés par des artistes
-avoir une approche analytique des œuvres (rencontres, conférences)
Dans cette définition du Ministère de la culture68, on retrouve les
différents procédés de la médiation dont j’ai parlé précédemment, et que
Marie-Christine Bordeaux qualifie de « modes de transmission culturelle69 » :
voir, faire et interpréter.
La position du Ministère de la Culture, très tranchée dans sa relation
à l’éducation dès la création du ministère par Malraux, a considérablement
évoluée dans ce domaine puisque des politiques transministérielles ont été
impulsées avec le Ministère de l’Education et le Ministère de la Jeunesse et
des sports. On peut citer le protocole d’accord entre le Ministère de la
67
Contrat d’objectifs de la Scène nationale de Meylan pour la période 2003/2004-2006/2007
68
La médiation éducative des structurest artistiques et culturelles relevant du Ministère de la culture,
article disponible sur le site : http://www.educart.culture.fr
69
Bordeaux Marie-Christine, Education artistique et enseignement musical, rappel historique et
repères conceptuels disponible sur le site http://:lesla.univ-lyon2.fr
34
Culture et celui de l’ Education nationale signé en 1983, et celui signé en 89
par le Ministère de la Culture et Jeunesse et Sports.
Enfin en 2000 est annoncé le plan de 5 ans pour le développement de
l’art et la culture à l’école, concernant les Ministères de la Culture et de
l’Education nationale. Une circulaire paraît en 2001 à destination des DRAC
insistant sur la nécessité d’une mobilisation des institutions culturelles dans
le domaine de l’action éducative et d’un travail de formation des enseignants
et des médiateurs.
Aujourd’hui, le secteur du jeune public est bien un domaine privilégié
de la médiation culturelle : le vieil antagonisme entre culture, éducation et
éducation populaire semble avoir quelque peu cédé et des axes communs
s’être dégagés autour de l’éducation artistique.
70
Juppé-Leblond Christine, Lesage Gérard, Pour une éducation aux arts et à la culture, Ministère
délégué à l’enseignement scolaire et Ministère de la culture et de la communication, janvier 2003
35
les territoires, de ne pas avoir suffisamment contribué ou encouragé le
passage de l’expérimentation à la généralisation des pratiques.
36
de ces séances était de faire percevoir par le ressenti et l’écoute de soi les
émotions qui habitent les personnages de la pièce.
Franck Berthier confiait aux élèves, à l’issue d’un atelier : « Si on
arrive, nous, gens de théâtre (…) à provoquer l’envie d’être au plus près de
sa vérité et d’être mieux en lien avec les autres, ce sera une grande réussite
au-delà de l’acte artistique.»
37
Ces Parcours culturels à l’initiative de la ville d’Annecy sont basés sur un
partenariat entre la ville, l’éducation nationale, la DRAC Rhône-Alpes et les
institutions culturelles.
La ville d’Annecy par cette action semble bien avoir devancé à
l’échelle de son territoire la volonté de l’Etat de généraliser les actions de
médiation à destination du jeune public.
38
ce dernier mode de transmission ayant, selon elle, généralement « été
négligé jusqu’à présent71» .
Une évaluation des effets des dispositifs d’éducation artistique de la ville
d’Annecy a été commanditée par la commune à l’Observatoire des
politiques culturelles dont les conclusions seront rendues en juin 2005,
l’objectif étant d’évaluer l’incidence de 7 années d’expérimentation sur les
pratiques culturelles des enfants et de leurs familles.
71
Bordeaux Marie-Christine, Education artistique et enseignement musical, rappel historique et
repères conceptuels disponible sur le site http://:lesla.univ-lyon2.fr
72
Anselme Léo, rapport sur L’élaboration d’un réseau du spectacle vivant dans la communauté
d’agglomération d’Annecy, ARSEC, mars 2003
39
D- De l’expérimentation à la généralisation des pratiques de médiation
culturelle
73
Latarjet Bernard, (dir), Un débat national sur l’avenir du spectacle vivant,
compte rendu de mission ministère de la culture et de la communication, avril 2004
74
ibid
40
sa conception esthétique, l’autre se servant des artistes pour tisser du lien
social, entre culturel et socioculturel sont source d’immobilisme, même si un
rapprochement entre le ministère de la culture et les fédérations d’éducation
populaire est perceptible depuis quelques années.
75
ibid
76
Juppé-Leblond Christine, Lesage Gérard, Pour une éducation aux arts et à la culture, Ministère
délégué à l’enseignement scolaire et Ministère de la culture et de la communication, janvier 2003
41
CONCLUSION
77
Bordeaux Marie-Christine, Education artistique et enseignement musical, rappels historiques et
repères conceptuels, intervention du 6 janvier 2004, disponible sur le site http://lesla-univ-lyon2.fr
42
L’évolution de la notion de public et d’œuvres ?
78
Henry Philippe, Arts théâtraux : des projets pour d’autres rapports à l’art et aux populations ?,
Donnat Olivier, Tolila Paul, Le(s) public(s) de la culture, vol2(Cdrom), Presses de Sciences Po, 2003
79
Hurstel Jean, in Carnets Culture, Dunkerque…la médiation dans tous ses états, journées de
réflexion, édition Région Nord-Pas de Calais, Octobre 95
43
Il convient cependant de préciser que ce type de projets reste très
marginal dans les scènes nationales qui de par leurs missions restent
davantage des vitrines de la création contemporaine professionnelle que des
lieux d’expérimentations sociales et culturelles.
81
Latarjet Bernard (dir), Un débat national sur l’avenir du spectacle vivant, compte rendu de mission,
ministère de la culture et de la communication, avril 2004
44
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
Caune Jean, la culture en action: de Vilar à Lang : le sens perdu, PUG, 1992
Donnat Olivier et Tolila Paul (dir), Le(s) public(s) de la culture, vol 1et vol
2(CDrom), Presses de sciences po, 2003
RAPPORTS :
45
MEMOIRES / THESES
ARTICLES :
46
ACTES DE JOURNEES DE REFLEXION, DE COLLOQUES
47
48