1870 Quelques Mots Sur (... ) Lannes Charles Bpt6k5789466t

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1870 : quelques mots sur

l'Algérie : à propos de
l'enquête / par le comte
Charles de Montebello

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Lannes, Charles (1837-1917). Auteur du texte. 1870 : quelques
mots sur l'Algérie : à propos de l'enquête / par le comte Charles
de Montebello. 1870.

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1870
QUELQUES MOTS

CHEVALIER DE LA LÉGION D'HONNEUR


COLON PROPRIÉTAIRE AUX OULED-RHAMOUNS
PRÈS DE CONSTANTINE (ALGÉRIE)

L'opinion publique est une puissance


souveraine à laquelle appartient tou-
jours la dernière victoire.
NAPOLÉON III

PARIS
CHALLAMEL AINE, LIBRAIRE-ÉDITEUR
COMMISSIONNAIRE POUR LA MARINE, LES COLONIES ET L'ORIENT
30, RUE DES BOULANGERS ET RUE DE BELLECHASSE, 27
QUELQUES MOTS

SUR L'ALGÉRIE
A PROPOS DE L'ENQUETE

L'opinion publique est une puissance


souveraine à laquelle appartient tou-
jours la dernière victoire.
NAPOLÉON III.

L'opinion publique vient de, se manifester d'une


manière éclatante dans l'enquête dirigée avec tant de
soin et d'intelligence par M. le comte Lehon.
Les procès-verbaux de cette enquête, où sont dé-
voilés les vices d'une organisation condamnée depuis
longtemps, renferment tous les voeux des Algériens ;
tous unanimement protestent contre l'état actuel des
choses, et chacun, donne son opinion particulière pour
y porter remède.
Au moment où va paraître, pour être soumis à la
discussion, le projet de sénatus-consulte émané de la
commission chargée d'examiner les questions fonda-
mentales touchant à la constitution de l'Algérie, nous
— 4 —
avons pensé qu'il ne serait pas sans quelque intérêt
de faire une sorte de dépouillement de l'enquête de
M. le comte Lehon, de façon à présenter, dans un
tableau, d'une manière moins éparse et plus métho-
dique, les résultats principaux de cette enquête au
point de vue politique.
Après avoir placé sous les yeux du lecteur ce tableau
de la résultante des voeux des Algériens, nous discute-
rons d'une manière générale la grande question qui
doit surtout nous préoccuper.

TABLEAU

DE LA RÉSULTANTE DES VOEUX DES TROIS PROVINCES

ALGÉRIENNES.

ASSIMILATION PROGRESSIVE A LA METROPOLE


avec toutes les exceptions que réclame la situation parti-
culière du pays et comme conséquences :
Élection de trois députés au Corps législatif, —
conseils électifs.
Unité administrative, établie en principe : régime
civil; plus de distinction de territoires, sauf à proclamer
l'état de siège quand la sécurité publique l'exigera; simplifi-
cation des rouages de l'administration; assimilation complète
du régime communal de l'Algérie avec celui de la France,
et conséquemment application de la loi du 24 juillet 1867
sur les conseils municipaux ; les indigènes seront préparés à
cette assimilitation ; ils nommeront leurs djemmaas selon
leurs coutumes particulières, et leurs communes seront
créées, non comme on vient de le faire par une consoli-
dation de l'autorité militaire et des bureaux arabes, mais
— 5 —
sous l'influence des principes de liberté civile et communale,
d'après des statuts locaux.
Unité de législation, établie en principe : inamovibi-
lité de la magistrature ; jury en matière criminelle et
d'expropriation; la propriété individuelle chez les indigènes
sera constituée le plus tôt possible conformément au Godé
Napoléon ; on leur imposera une législation conforme, autant
que possible, à la législationfrançaise, de manière à améliorer
leur état social sans troubler leurs convictions religieuses ;
restriction de la juridiction des tribunaux indigènes aux
questions de statut personnel; les indigènes éliront leurs
djemmaas judiciaires.—Préparerle code rural avec les modi-
fications qui peuvent être nécessaires à son application à
l'Algérie. — Étendre les libertés commerciales et faciliter
les transactions, les relations et le commerce dans tout le
territoire, etc., etc., etc.
Établissement de l'impôt foncier sur tout le terri-
toire algérien à mesure que la propriété individuelle sera
constituée ; sa perception par des agents financiers et déli-
vrance de quittances individuelles ; là où la propriété ne sera
pas encore constituée, la répartition des impôts se fera par
des djemmaas, élues ad hoc.
DÉVELOPPEMENT DE LA COLONISATION par l'appel à l'im-
migration et la création de nouveaux centres; vendre des
terres obtenues par l'expropriation; laisser toute liberté aux
acquéreurs, toutefois, en les sollicitant par des travaux
publics, à se grouper en un centre, autant que possible, mais
sans en imposer l'obligation à qui que ce soit.—Achèvement
des lignes ferrées, des ports et des routes ; révision de la loi
de 1851 sur les eaux en ce qu'elle a de trop absolu (1); accor-

(1) Cette loi déclare l'État propriétaire de toutes les eaux, même
celles qui se trouvent sur un fonds privé.
- 6 —

der des subventions pour l'établissement des puits artésiens;


créer des barrages, réservoirs et tous les travaux destinés à
faciliter les irrigations. — Créer des fermes modèles, des
stations agricoles à l'instar de celles établies en Allemagne
où des savants se tiennent constamment à la disposition des
cultivateurs pour leur communiquer le résultat des essais
qu'ils font et leur indiquer les améliorations qu'ils ont
reconnues nécessaires. — Créer dans chaque arrondissement
un comptoir d'escompte pouvant prêter aux colons comme
aux Arabes à un taux modéré, etc., etc., etc.
DONNER A L'INSTRUCTION PUBLIQUE le plus grand dévelop-
pement possible, par la création d'écoles mixtes et l'in-
stitution d'établissements d'enseignement secondaire spé-
cial, etc., etc., etc.
SÉCURITÉ du territoire, des biens et des personnes, orga-
nisation d'une nombreuse gendarmerie mixte et de milices.
L'armée, maintenue à un effectif respectable, aura pour
mission de maintenir l'ordre le plus parfait, de prévenir les
révoltes des tribus ou de les comprimer rapidement si elles
venaient à éclater, etc., etc., etc.

Nous voyons par ce tableau que la principale ques-


tion, celle sur laquelle les colons sont unanimes, est
l'assimilation.
L'Algérie a été soumise jusqu'ici à un régime excep-
tionnel des plus arbitraires, qui a eu, sans doute, sa
raison d'être, tant que la conquête n'était pas conso-
lidée ; mais ce système, organisé au jour le jour, sans
la moindre stabilité, n'est plus maintenant qu'un ob-
stacle évident à la prospérité de l'Algérie et à la civi-
lisation des Arabes.
Aujourd'hui que l'Algérie est parfaitement soumise,
que l'armée a achevé d'accomplir sa tâche glorieuse,
les colons réclament avec énergie leurs droits de ci-
toyens fiançais auxquels ils n'avaient jamais renoncé,
et ils demandent unanimement l'assimilation à la mé-
tropole.
Par assimilation ils entendent :
Que les trois provinces algériennes soient adminis-
trées comme trois départements français, sans distinc-
tion de territoire civil ni militaire ; que l'autorité ci-
vile ait seule la direction de toutes les affaires adminis-
tratives et judiciaires et que l'autorité militaire n'ait
d'autre mission que celle du maintien de la sécurité
et de la défense du pays;
Que la liberté soit donnée à la colonie en rendant à
chaque colon les mêmes droits que ceux qu'il avait en
France, entre autres la faculté dénommer ses repré-
sentants au Corps législatif et ses membres au conseil
général, etc. ; que la propriété arabe soit constituée
comme la française, qu'elle puisse être vendue, hypo-
théquée, expropriéepour cause d'utilité publique, etc. ;
que les lois françaises soient appliquées indistincte-
ment aux indigènes comme aux Européens, etc.
Mais la majorité des Algériens ne réclame pas de
suite une assimilation aussi absolue; elle comprend
que l'assimilation ne peut être complète immédiate-
ment, sans transition; elle veut y arriver vite, mais
progressivement et avec toutes les exceptions qu'exige
la situation particulière du pays; elle veut y préparer
les Arabes en améliorant leur état social sans troubler
leurs convictions religieuses; elle croit qu'il n'est pas
nécessaire d'appliquer de suite à la colonie toutes les
lois françaises d'une manière absolue, cette colonie
ayant encore besoin de se peupler et de s'installer, et
l'assimilation complète pouvant faire peser des charges
trop lourdes, surtout sur les petites populations rura-
les, en y apportant l'impôt, l'enregistrement, le ser-
vice militaire, etc.
Ces voeux de la majorité des colons sont, comme on
le voit, modérés, légitimes et très-acceptables.
Ajoutons que l'assimilation ne profiterait pas seule-
ment aux colons; elle entraînerait avec elle la fusion
des hommes et des intérêts et serait ainsi le meilleur
moyen de civilisation.
Un système autonomique aurait aussi, peut-être,
certains avantages, s'il était établi avec des lois plus
libérales que les lois françaises tout en restant inspi-
rées des mêmes principes de justice, de liberté et d'é-
galité ; mais ce système aurait des inconvénients et les
colons n'en veuleut pas; d'ailleurs les relations entre
la France et l'Algérie sont devenues aussi fréquentes
et aussi faciles que celles qui existent entre la France
et la Corse, et la proximité est telle que beaucoup
d'Algériens viennent constamment en France, où ils
ont aussi des intérêts sérieux à surveiller.
-—A première vue, toutefois, ne paraît-il pas exorbi-
tant de prétendre assimiler à la France une vaste con-
trée de plus de 60 millions d'hectares, qui, sur
2,920,000 âmes environ, comprend à peine 240,000
Européens, tout le reste étant indigène !
C'est là la grande objection que nous opposent nos
— 9 —
adversaires, les partisans du régime militaire et du
royaume arabe. Ces adversaires sont heureusement
peu nombreux, mais ils sont redoutables à cause de
leur mérite personnel et de la haute position qu'ils
occupent pour la plupart; ils sont de bonne foi, nous
le savons et nous le comprenons, car il est naturel
qu'ils défendent et cherchent même à compléter l'oeu-
vre à laquelle ils sont habitués à rêver et qu'ils ont
créée eux-mêmes.
Mais il est facile de leur répondre, et nous allons le
faire.
Pour cela, disons d'abord quelques mots sur la po-
pulation musulmane de l'Algérie.
Cette population comprend principalement deux
peuples d'origine très-différente : le peuple berbère
ou kabyle et le peuple arabe, et, contrairement à l'o-
pinion commune, l'Algérie est plutôt kabyle qu'arabe.
Le peuple berbère est autochthone, né des en-
trailles mêmes de la terre africaine; le peuple arabe,
d'origine asiatique, est étranger.
Les Berbères sont beaucoup plus nombreux que les
Arabes; leurs tribus sont répandues, savoir : sur le lit-
toral, de la Tunisie au Maroc, sous le nom de Kabyles;
de Constantine, où ils
— dans le sud de la province
portent le nom de Chaouia; — dans les principaux
massifs de montagnes des provinces d'Alger et d'Oran,
sous le nom de Djebelia; — dans les oasis du Sahara,
sous les noms de Beni-Mzab, de Rouaga et de Braber ;
la population totale de toutes ces tribus est dé plus
de 1 million. — En outre, il existe, dispersé sur tout
— 10 —
le territoire algérien, environ 1 million d'indigènes,
d'origine berbère, que les Arabes, par la conquête,
ont soumis à leurs lois; ces indigènes, appelés à tort
Arabes, n'ont pas tout à fait perdu la physionomie du
Kabyle; ils recherchent la vie sédentaire et habitent
plus volontiers le gourbi que la tente ; ils reprendraient
donc facilement leurs coutumes primitives si nous le
voulions sérieusement...
— 11 —
Il serait donc facile d'assimiler les Berbères complè-
tement à nous et, en modifiant quelque peu leurs
institutions, l'administration des départements ber-
bères pourrait être assimilée à celle de nos divisions
territoriales en France.
Malheureusement la fusion serait moins facile avec
l'Arabe, qui diffère essentiellement du Berbère : prin-
cipalement pasteurs, mauvais agriculteurs, les Arabes
n'habitent que la tente qu'ils déplacent aussi souvent
que les besoins de leurs troupeaux et les saisons l'exi-
gent; ils ne possèdent pas la terre, mais ils l'occu-
pent simplement en commun avec tous les membres
de la tribu ; ils sont nonchalants et fatalistes ; ils sont
aveuglés par leur fanatisme religieux et ne reconnais-
sent d'autres lois que celles du Coran ; la tribu arabe,
qui est surtout une unité générique, a une organisation
toute patriarcale qui détruit toute individualité; elle
est gouvernée par un chef, appelé caïd, qui est nommé
par le Gouvernement et elle se subdivise en douars ou
groupe familial, campant en commun et ayant pour
chef le cheik.
En un mot, tandis que le Kabyle est républicain et
démocrate, l'Arabe a des institutions théocratiques et
aristocratiques, et c'est le communisme avec la féo-
dalité qui forme le fondement de son organisation.
L'élément berbère nous offre donc une base bien
plus solide à nos tentatives de civilisations. Eh bien !
jusqu'ici, on a plutôt cherché à arabiser le Kabyle qu'à
kabyliser l'Arabe ; on a visé à la création d'un vaste
royaume arabe avec tous les vices inhérents à la féo-
— 12 —
dalité, au communisme et au despotisme militaire
établi le plus arbitrairement; c'est cette fatale erreur
qui est la cause de tous nos maux, de la plupart des
insurrections qui ont éclaté en Algérie et de l'affreuse
famine de 1867 où plus de deux cent mille Arabes sont
morts d'inanition... (1).
Il eût été assurément plus rationnel et plus juste
de rêver à la création d'une vaste confédération ka-
byle, où une organisation démocratique et libérale
eût été plus conforme à nos institutions.
Mais n'est-il pas plus naturel encore de penser au-
jourd'hui sérieusement à l'assimilation de l'Algérie à
la France? La difficulté ne serait pas si grande qu'on
le croit, puisque déjà, comme on vient de le voir, les
Berbères purs, au nombre d'un million, sont presque
assimilés ; un million d'anciens Berbères arabisés ne
demanderait pas mieux que de l'être, et tous les ha-
bitants des villes, maures, koulouglis, nègres etisraé-
lites au nombre de 180,000 au moins, le sont
,
tout à fait depuis longtemps. Sur la population indi-
gène, qui est de 2,680,000 âmes, il ne reste donc plus
en définitive que 500,000 Arabes purs à assimiler.
C'est là que gît la véritable, la seule difficulté...
Or, cette difficulté est déjà à peu près résolue :
le sénatus-consulte de 1863 a déjà sapé, par sa base
fondamentale, l'organisation sociale tout entière de
ces Arabes, en décrétant la constitution de la pro-
priété individuelle. Ce décret, accueilli par eux avec

(1) On sait que les Kabyles n'ont pas été atteints par le fléau.
— 13 —
enthousiasme, doit détruire infailliblement le com-
munisme et la féodalité ; il changera absolument les
moeurs et les lois musulmanes ; les Arabes pourront
vendre des terres aux Européens qui viendront alors
s'établir au milieu d'eux, et par ce contact salutaire la
fusion deviendra complète.
Le plus fort de la besogne est donc fait, et il ne reste
plus qu'à suivre immédiatement le programme (1) mo-
déré que les colons proposent.
— Nous venons d'exposer que la constitution de la
propriété individuelle est le principe fondamental de
la fusion des races; malheureusement il est difficile
de constituer cette propriété sur tous les points à la
fois ; il est bon de procéder d'abord par les tribus les
plus rapprochées des centres de populations euro-
péennes ; mais alors, plus loin vers le sud, la propriété
ne sera établie qu'après un certain temps, et jusque-là
les Arabes de ces régions resteront avec leurs préjugés
sous la domination morale des marabouts et des chefs
féodaux.
Eh bien ! ici encore les Kabyles pourront rendre les
plus grands services à notre cause :
Attirons-les dans ces contrées; donnons ou vendons-
leur des terres, bien choisies et bien situées, qui au-
ront été rendues disponibles par l'expropriation pour
cause d'utilité publique; sur ces terres, on établira
des villages régis par les mêmes lois que ceux dû
Djurdjura et, avec toutes leurs qualités qui les rap-

(1) Voir le tableau.


— 14 —
prochent de nous, les Kabyles deviendront les inter-
médiaires de nos moeurs, de nos coutumes et de notre
civilisation, vis-à-vis du peuple arabe qui acceptera
plus facilement les exemples donnés par des coreli-
gionnaires et se préparera ainsi à suivre bientôt les
nôtres.
L'histoire nous apprend que les Kabyles consentent
volontiers à s'expatrier pour aller coloniser ailleurs ;
on trouve, en effet, dans les tribus du Tell et dans le
Sahara, des Kabyles, des Zouaoua qui, à diverses
époques, sont venus, sans y être obligés, s'installer
sur des terres éloignées de leur pays natal. Aujour-
d'hui trop à l'étroit dans leurs montagnes ils
, ,
émigrent déjà en grand nombre pour aller travailler
chez les colons et chez les Arabes, et cette émigration
augmentant chaque jour, beaucoup accepteront avec
reconnaissance les terres que nous leur offrirons ou
leur vendrons, à bon marché, dans des positions fa-
vorables à la fois h la culture et au but que nous nous
proposons d'atteindre.
Un de nos anciens camarades, M. Aucapitaine, dont
nous déplorons la mort prématurée, nous a donné à
ce sujet des idées que nous trouvons fort justes :
« Les Kabyles, dit ce chef de bureau arabe, sont
« d'excellents soldats ; ils fournissent l'élite des tirail-
« leurs algériens, comme discipline, courage et abné-
« gation. Doués
de l'esprit d'entreprise, ils ont suivi
« les aigles françaises sur les champs de guerre de la
« Crimée et de l'Italie, au Sénégal, en Cochinchine,
« au Mexique. Partout ils ont vaillamment scellé de
— 15 —

« leur sang la brillante réputation acquise par les


« troupes indigènes de l'Algérie. En un moment dif-
«
ficile, des villages kabyles installés en pays arabe
« offriraient les éléments de fortes colonies militaires,
« ressource précieuse pour les éventualités de l'avenir
« dans les parties méridionales du pays, éloignées par
« leur position du contact des Européens et dont une
« guerre continentale peut diminuer ou éloigner in-
« stantanément les garnisons permanentes. Ces villages,
« installés de préférence dans les endroits monta-
« gneux du sud, isoleraient et pourraient au besoin
« surveiller les tribus arabes de cette portion de l'Al-
« gérie, en même temps que leur démontrer, par un
« exemple pratique et constant, la supériorité delà
« vie sédentaire et municipale sur leur existence no-
« made et féodale. »
Ancien capitaine de tirailleurs algériens, nous
avons appris, nous aussi, à connaître les Kabyles et les
Arabes, et nous sommes partisan de ces sortes de
colonies militaires parce que nous en avons visité et
étudié de semblables, au Caucase, où nous avons pris
part aux expéditions de l'armée russe en 1860 et
1861 ; nous les avons vus au combat, ces braves cosa-
ques de la ligne du Caucase, et nous savons quels
services ils ont rendus à la Russie.
En résumé, les Kabyles peuvent nous aider à ré-
générer le peuple arabe et en même temps à nous dé-
fendre, au besoin, contre lui.
— Nous ne saurions trop le répéter, nous ne vou-
lons pas brusquement et sans transition imposer toute
— 16 —
notre administration et toutes nos lois aux Arabes;
nous voulons y arriver progressivement et en ména-
geant leurs convictions religieuses.
Cependant il est de certaines lois que nous devons,
dès à présent, leur faire accepter, afin de les préser-
ver d'un péril imminent et certain, et il serait inhu-
main de notre part de manquer à ce devoir sacré, qui
nous est tracé par notre rôle de conquérant civilisa-
teur.
En effet, en nous établissant chez eux sans cher-
cher à les assimiler à nous, nous avons été la cause
de leur malheur. M. le docteur Warnier, dans une de
ses excellentes brochures, nous le fait parfaitement
comprendre :
«
Avant la conquête, dit-il, il y avait peu de dé-
«
bouchés, et conséquemment l'Arabe ne pouvait faire
«
facilement écouler ses produits; ses silos restaient
«
pleins et les troupeaux ainsi que la laine ne man-
« quaient jamais pour sa nourriture, ses vêtements et
« ses
habitations. Il avait ainsi, malgré lui, des ré-
« serves
considérables qui le mettaient toujours à
«
l'abri de la disette et malgré son imprévoyance
«
habituelle, il traversait sans accidents les séries de
«
bonnes et de mauvaises années qui se succèdent
«
périodiquement en Algérie. Aujourd'hui tout est
«
changé, les débouchés sont devenus faciles; nous
« avons ouvert des ports et des routes ; notre com-
« merce a pris un développement sérieux; alors, dans
«
les bonnes années, l'Arabe, excité par l'appât de
«
l'argent, vend ses grains, ses troupeaux et ses laines,
— 17 —
« même avant la récolte, et au lieu de laisser dans
«
les silos des réserves pour les mauvaises années, il
«
enfouit ses écus dans une cachette secrète ou bien il
«
les dépense follement, »
Telle est la cause principale de la disette de 1867,
où notre gouvernement militaire s'est montré aussi
imprévoyant que les Arabes eux-mêmes...
Notons bien que le Kabyle n'a pas été atteint par le
fléau et qu'il a beaucoup gagné, au contraire; par la
conquête, la valeur de tous les produits du pays ayant
atteint des prix bien plus élevés que ceux du passé.
De tels engagements n'ont-ils pas pour résultat de
nous montrer la voie que nous devons suivre sans hé-
sitation à l'avenir ?...
— Si les Arabes étaient moins fatalistes, ils seraient
déjà venus eux-mêmes implorer les bénéfices de notre
civilisation ; mais leur nature est telle qu'ils ne vien-
dront pas à nous si nous n'allons pas vers eux; devons-
nous donc pour cela les laisser périr sans leur porter
secours !
Nos adversaires déclarent cependant qu'il serait
inique d'imposer des lois aux Arabes et de toucher,
sans leur consentement, à leur organisation sociale !
De pareilles objections, ne tombent-elles pas d'elles-
mêmes, après ce que nous venons de dire?
— 18 —
motif, et nous les avons châtiées de la façon la plus
énergique
Pourquoi nous défendez-vous de faire du bien aux
indigènes, malgré eux, vous qui leur avez fait si sou-
vent un mal inutile ? Vous avez toujours agi par la
force, tandis que nous, nous voulons agir par la dou-
ceur; nous savons déjà, du reste, que le plus grand
nombre acceptera volontiers nos réformes :
Nous avons interrogé, en effet, des Arabes de grande
tente, des chefs nommés par le Gouvernement et enfin
des prolétaires, après leur avoir bien expliqué ce que
nous entendions par assimilation.
Le Grand Seigneur et le marabout nous ont ré-
pondu : Nous avons la conviction que tôt ou tard vous
serez forcés d'abandonner votre conquête; rendez-
nous donc dès à présent notre ancienne autorité avec
tous nos privilèges et retournez tranquillement chez
vous.
Les chefs nommés par le gouvernement, les fonction-
naires nous ont affirmé que tout allait pour le mieux et
qu'on ne pourrait rien changer à l'état actuel des choses
sans mécontenter et peut-être même révolter leurs admi-
nistrés. Mais ces administrés, les Fellahs, les Khammés,
tous les autres Arabes, les masses enfin nous ont ré-
pondu : Sauvez-nous de notre affreuse misère par
tous les moyens que vous voudrez, mais gardez le se-
cret de ce que nous venons de vous dire.
Le gouvernement, jusqu'ici, n'a consulté que les sei-
gneurs et les fonctionnaires ; nous ne devons pas nous
en étonner, car ce Gouvernement est militaire et que,
— 19 —
comme tel, il ne peut procéder autrement que par la
voie hiérarchique ; aussi, nous a-t-il toujours trompés
en se trompant lui-même.
Quoi qu'il en soit, il est aujourd'hui incontestable
que la majorité des Arabes est docile à l'assimilation,
telle que nous la demandons ; tous, on peut le dire,
attendent avec impatience leurs titres de propriété ; ils
comprennent déjà les avantages que nous voulons leur
offrir, et comment ne les accepteraient-ils pas avec re-
connaissance? Puisque nous voulons leur donner la
liberté en les affranchissant de l'autorité arbitraire
qui pèse sur eux, en leur restituant leurs djemmaas et
en leur donnant la propriété individuelle.

Maintenant que nous avons démontré, d'une ma-


nière technique, que l'assimilation est facile, néces-
saire ; qu'elle est d'ailleurs un bien pour l'Arabe au-
tant que pour le colon et que la majorité des indigènes
y est docile, élevons-nous au-dessus des mesquines
objections de nos contradicteurs et sans craindre de
nous répéter, reprenons toute la question dans son
ensemble pour la traiter du plus haut que nous pour
rons :
Quelque chose qu'on entreprenne, pour arriver à
des résultats sérieux, il faut d'abord savoir nettement
ce qu'on veut; ensuite, le vouloir résolument.
Il s'agit aujourd'hui de doter l'Algérie d'une orga-
nisation nouvelle.
— 20 —
Que se propose le Gouvernement français ? Est-ce
simplement de répondre aux doléances des colons, en
les relevant de l'état 'd'infériorité civile et politique
dont ils se plaignent avec tant de raison, en leur ren-
dant, en un mot, leurs droits de citoyens dans toute
leur étendue?
Si c'est là tout ce qu'on se propose rien n'est plus
juste assurément, mais est-ce assez?
Quand les colons revendiquent avec une ardeur et
une persévérance qui les honorent, des droits dont on
n'aurait jamais dû les priver; quand ils émettent sur
les réformes à introduire dans le Gouvernement actuel
de l'Algérie, des idées, sans douté fort sages, ils se
placent surtout au point de vue de leurs intérêts par-
liculiers comme colons.
Mais, ces intérêts satisfaits dans le présent, un au-
tre intérêt peut rester en souffrance, un intérêt géné-
ral et partant supérieur, l'intérêt de la patrie fran-
çaise tout entière.
L'homme politique doit voir les choses de plus
haut; son regard doit embrasser en même temps et le
présent et l'avenir.
Qui n'a lu, avec un sentiment de tristesse patrioti-
que, ce chapitre d'un livre récent (1) de M. Prévost-
Paradol, où l'éloquent écrivain, frappé du développe-
ment prodigieux, universel, de la race anglo-saxonne,
en présence de la Russie et de ses tendances pansla-
vistes, de la Prusse, c'est-à-dire, bientôt peut-être, de

(1) La France nouvelle.


— 21 —
l'unité germanique, se demande avec inquiétude si
nous n'avons pas à craindre pour l'influence future de
la race française, pour le rang et peut-être même pour
l'existence indépendante de notre chère patrie, res-
serrée entre ses étroites frontières. Ce n'est pas du
côté du Rhin que nous devons tourner nos regards,
conclut M. Prévost-Paradol ; c'est en Algérie qu'il faut
porter toutes nos espérances d'accroissement, et nous
pensons comme lui, que l'Algérie ne doit pas être seu-
lement pour nous une colonie, pas même une France
nouvelle, mais le prolongement de la patrie française
sur la rive africaine. N'est-il pas évident, en effet,
qu'avec la télégraphie électrique, les chemins de fer
et la navigation à vapeur, l'Algérie est à nos portes,
qu'elle est moins éloignée de Paris que ne l'était, il y
a quarante ans, Marseille ou Bordeaux?
Que de fois, pendant les années que j'ai passées en
Afrique à différentes époques, en expédition dans le
Sahara, les steppes, la Kabylie, le soir sous la tente,
après de longues marches militaires, que de fois ne
me suis-je pas demandé si tant de fatigues, tant d'hé-
roïsme, tant de sang versé, tant de trésors répandus,
et tant de sacrifices devaient demeurer stériles ; si
tout cela ne devait aboutir qu'à l'établissement de
quelques milliers de colons dans une position infé-
rieure et précaire, en présence d'une race irréconci-
liable, destinée elle-même à croupir éternellement
dans la misère d'un communisme barbare, sous le
joug dégradant de la servitude féodale ! Et toujours
m'apparaissait la même vision : je voyais, comme aux
- 22 —

beaux jours de la domination romaine, toutes les races


qui peuplent cette terre se fondre dans la même cité,
sous une législation uniforme, développant dans la
même liberté toutes leurs facultés productives; les
villes s'élevaient par centaines, le désert s'effaçait de-
vant la charrue, des millions d'hommes industrieux
couvraient ce sol si admirablement situé pour exercer
un jour une grande influence; un champ sans limite
s'ouvrait à l'activité intelligente de la race française
que la Providence me semblait avoir destinée à entraî-
ner dans son orbite la plus belle partie du continent
africain.
N'était-ce donc là qu'un mirage, qu'une vision dé-
cevante!
Non ! non !
Toutes les réflexions que nous avons pu faire de-
puis nous ont confirmé dans cette idée que notre vi-
sion doit être un jour une réalité, si, du moins, la
France est assez heureuse pour trouver enfin des
hommes d'État qui ne lui fassent pas manquer sa
fortune.
Notre foi est si grande sur ce point qu'elle s'est
déjà traduite par des oeuvres et que nous n'avons pas
hésité à faire de l'Algérie, en y acquérant des terres
considérables» le centre même de nos intérêts*
Si c'est ainsi que doit être comprise la question

algérienne, le système d'organisation si longtemps
cherché est tout trouvé : il n'y en a qu'un qui soit
raisonnable, c'est l'assimilation, l'assimilation la plus
— 23 —
complète, dans le temps le plus prochain possible, pour
les indigènes comme pour les Européens.
Tant qu'il ne s'agissait que d'une colonie, quand
on voyait d'un côté 240,000 Européens, de l'autre
2,680,000 indigènes, on pouvait encore balancer à la
rigueur ; car s'il était impossible de soumettre les
colons au régime arabe, il pouvait paraître difficile
de soumettre 2,680,000 indigènes au régime français.
L'accessoire ne pouvait guère emporter le principal.
Mais du moment que l'Algérie n'est plus qu'une partie
intégrante de la France, quoi de plus naturel (si du
moins la chose peut se réaliser sans que la justice soit
violée), quoi de plus légitime que de faire plier les
convenances de deux millions et demi d'Arabes de-
vant les intérêts supérieurs de 40 millions de Fran-
çais !
Il nous semble impossible que cette idée n'obtienne
pas l'assentiment de tous les esprits sérieux qui vou-
dront bien peser les avantages de toute sorte que
contient le système de l'assimilation immédiate. Et
d'abord, c'est un système parfaitement simple, par-
faitement intelligible ; ce qui n'est pas un médiocre
avantage.
C'est le système définitif; car tout le monde, à peu
près, s'accorde sur ce point que les systèmes multiples
qu'on propose tendent tous à préparer les indigènes à
l'unité administrative. Ce n'est donc pour eux qu'une
question de temps.
Mais, nous dirait-on peut-être, est-ce que vous avez
la prétention de changer d'un coup de baguette l'état
— 24 —
actuel des choses? Et vous semble-t-il que vous aurez
consommé l'assimilation par cela seul que vous l'au-
riez décrétée? —Non, certes, nous ne sommes pas si
fou et nous voulons qu'on apporte à l'application du
système tous les tempéraments que les circonstances
auront rendus nécessaires. — Mais alors, en quoi
différez-vous des partisans des systèmes mixtes? —
Nous en différons en ce point, et cette différence est,
à notre avis, très-importante, d'abord que les sys-
tèmes mixtes maintiennent, au moins partiellement,
et que le système de l'assimilation abolit d'une ma-
nière absolue le gouvernement militaire dont l'in-
fluence a été si funeste à la colonie.
Nous ne voulons pas récriminer; mais la cause est
maintenant entendue : s'il faut juger de l'arbre par
ses fruits, l'administration "militaire est irrévocable-
ment condamnée.
A Dieu ne plaise qu'on puisse trouver dans nos pa-
roles rien d'offensant pour l'armée française ni pour les
officiers si distingués de nos bureaux arabes! Ce n'est
pas nous qui voudrions porter atteinte à notre propre
honneur de soldat ! Ce ne sont pas les hommes que
nous attaquons, c'est le système. L'armée, nous n'en
doutons pas, est appelée à rendre encore, en Algérie,
d'immenses services, soit en maintenant l'ordre inté-
rieur si nécessaire à l'organisation définitive du pays,
soit en la protégeant contre toute attaque extérieure,
soit, sans doute, dans l'avenir, en portant au loin,
avec le drapeau de la France, les bienfaits de la civili-
sation.
— 25 —
Mais il ne faut point qu'elle sorte de ses attribu-
tions naturelles. L'armée doit être le bras et non la
tête. Entre le commandement absolu et l'obéissance
passive, il n'y a pas de place pour l'activité libre.
Il est de l'essence du gouvernement militaire de tuer
le progrès : l'histoire l'a prouvé cent fois, en Algérie
comme ailleurs.
Un autre point sur lequel nous différons des parti-
sans d'une organisation mixte et qui n'a pas moins de
gravité, est celui-ci :
Tout système mixte est un système nécessairement
provisoire ; c'est un système d'atermoiements indéfi-
nis, dans lequel on s'endort et qui laisse les choses
exactement dans l'état où on les a trouvées, quand elles
ne tombent pas dans un état pire. Dans vingt ans, dans
trente ans, il faudra recommencer, et le point, de dé-
part sera le même;
Tandis qu'en décrétant dès aujourd'hui l'assimila-
tion complète, ce n'est plus vers un but perdu dans
les brumes de l'avenir que vous avez à marcher; c'est
vers un but parfaitement clair, parfaitement défini.
Vous vous mettez résolument en ronte et ces obstacles
qui vous effrayaient parce que la distance les grossis-
sait à vos yeux « major e loginque; » ils s'évanouissent
à mesure que vous en approchez. Ce sont les bâtons
flottant sur l'onde :

De loin c'est quelque chose et de près ce n'est rien.


— 26 —
Et ne dites pas que rien ne presse ! Qui peut savoir
le prix du temps perdu ?
C'est parce que vous n'avez fait que du provisoire,
parce que vous ne saviez pas au juste ce que vous vou-
liez, que vous n'avez que médiocrement réussi. Une
idée claire, un but bien défini, vous donneront une
puissance incalculable.
On comprend à merveille que les âmes aventureuses,
celles de toutes qui ont le plus besoin de liberté, aient
été fort peu tentées jusqu'ici d'échanger la liberté
relative dont elles jouissent en France, contre le ré-
gime de servitude civile et politique que leur offrait
l'Algérie; qu'elles préférassent, malgré la distance, au
prix de difficultés sans nombre, porter leur activité
dans la libre Amérique. Mais du jour où elles seront
assurées de trouver, sur n'importe quel point de la
France algérienne, avec la terre à bon marché, toutes
les garanties de liberté civile et politique que nous
travaillons à nous donner dans la mère patrie, qui
peut dire quel puissant essor prendra notre colonisa-
tion ?
—Les difficultés, d'ailleurs, sont-ellesdonc si grandes
qu'on le proclame ? Dans la première partie de notre
travail, nous avons prouvé que non ; mais nous voulons
le répéter encore : La population algérienne se compose
de trois éléments principaux: 1° les colons français,
2° lesBerbères ; 3° les Arabes.
Quant aux colons français, l'assimilation peut se faire
d'un trait de plume. Il n'y a qu'à écrire qu'ils sont as-
similés, ce seul mot. dit tout. Être citoyen français
— 27 -
c'est aroir, en principe, le droit d'élire: pour l'admi-
nistration communale, les conseillers municipaux;
pour l'administration départementale, les conseillers
généraux; pour l'administration générale les députés
au Corps législatif, etc., etc.
Les Berbères purs jouissent, comme nous l'avons dé-
montré plus haut, d'une organisation communale à
peu près semblable à la nôtre et fondée sur la propriété
individuelle. Quoi de plus facile que de consacrer cet
état de choses en lui faisant subir, s'il le fallait, quel-
ques légères modifications pour l'adapter complètement
à notre système administratif? Au lieu de cela, le gou-
vernement militaire semble avoir pris à tâche de bri-
ser les institutions sur lesquelles nous pouvions nous
appuyer, pour en créer d'autres qui devaient fortifier
la résistance et qui ont amené des soulèvements qu'il
a fallu réprimer par de sanglantes expéditions! Voilà
comment nous avons compris notre mission et nos in-
térêts ! Nous avons sacrifié les Kabyles dont les insti-
tutions et l'esprit démocratique devaient rendre aisée
la fusion avec nous, pour favoriser le communisme et
la féodalité arabe, centre et cause durables de toutes
les résistances opposées à notre action en Algérie.
Voilà l'obstacle ! Est-il donc insurmontable? Voyons.
Quelle est. la force relative de l'élément arabe au-
quel nous avons tout sacrifié?
Il y a en Algérie peut-être 500,000 Arabes purs;
mettons un million et demi en comptant les Ber-
bères arabisés. Est-ce devant un million et demi
d'indigènes que doivent s'arrêter les progrès de la ci-
— 28 —
vilisation française? Faut-il laisser éternellement in-
divise, entre les mains de ce peuple, qui ne la cultive
presque pas, la plus grande partie du sol, qui demeure-
rait ainsi à jamais inaccessible à des bras plus actifs et
plus industrieux? Personne n'oserait répondre : oui!
car de la solution de cette difficulté dépend l'avenir
de la civilisation.
S'agit-il donc de spolier les Arabes, de violer vis-à-
vis d'eux les principes de la justice éternelle?
Non!
Est-il besoin d'avoir recours à quelque mesure nou-
velle ou tyrannique pour réaliser le système de l'assi-
milation complète et immédiate?
Point du tout !
Le gouvernement lui-même l'a découverte, cette me-
sure, il l'a décrétée; c'est la constitution de la propriété
individuelle.Il ne s'agit maintenant que de l'appliquer
résolument, et cela, dans le plus bref délai possible.
La constitution de la propriété individuelle trouvera
peut-être quelque opposition parmi les chefsde grande
tente, véritables seigneurs féodaux de l'Algérie, qui ont
eu seuls jusqu'ici le privilège de se faire écouter de
l'administration militaire ; mais elle sera certainement
accueillie avec transport par cette nombreuse popula-
tion de Khrammes et de Fellahs, qui compose le pro-
létariat arabe. Ce serait mal connaître les hommes que
d'en douter. Des esprits grossiers et superficiels ont
dit : « Grattez l'Arabe et vous trouverez un sauvage ; »
,
nous disons, nous, avec plus de respect pour la na-
ture humaine ; « Grattez l'Arabe et vous trouverez un
— 29 —
homme. » Or nous savons que le plus sûr moyen de se
concilier les hommes, c'est d'être juste et de leur faire
du bien.
Nous serons justes envers eux, car en les faisant
propriétaires nous leur accorderons la liberté et l'éga-
lité qui sont la justice même, et nous leur ferons en-
core du bien en mettant entre leurs mains l'instru-
ment de leur prospérité future, L'Arabe, devenu pro-
priétaire, trouvera ce qui lui a manqué jusqu'ici : la
stabilité et le crédit; son activité et son industrie se
développeront en proportion des avantages qu'elles
pourront lui procurer; en se particularisant, ses in-
térêts s'incorporeront au sol; l'influence féodale de la
tribu, s'affaiblissant, n'aura plus pour nous aucun
danger; de ce territoire dont il ne pourra cultiver
qu'une partie, l'autre partie passera dans les mains
des colons européens, et ceux-ci, se mêlant de la
sorte à la population arabe, vivant avec elle sur le
pied de l'égalité civile et politique, par la vie com-
mune, par un échange quotidien de bons rapports
et de services, ne tarderont pas à nous la concilier,
au point de lui faire bénir la conquête. Il ne saurait
en être autrement; car que pourraient-ils demander
de plus que l'égalité?
Nous ne voudrions pas nous laisser emporter par
notre imagination ; mais il nous semble que les Arabes,
ainsi francisés, pourraient bien être un jour un aimant
qui attirerait à nous les autres populations africaines.
— Si l'assimilation est facile au point de vue moral,
— 30 —
elle ne l'est pas moins au point de vue législatif,
administratif, judiciaire.
La propriété individuelle entraîne, en effet, natu-
rellement l'application de notre statut réel et, par
conséquent, de notre organisation judiciaire et de
notre système d'impôts. Croit-on que les Arabes aient
une bien grande répugnance à accepter ces réformes
et qu'ils ne préfèrent pas nos magistrats incorrup-
tibles et nos honnêtes percepteurs à leur cadis et à
leurs caïds qui ne sont, à leurs yeux mêmes, que des
juges prévaricateurs et des concussionnaires omnipo-
tents ?
Quant au statut personnel, pourquoi ne pas les y
soumettre pour tout ce qui est d'ordre purement civil ?
Et pour ce qui est d'ordre religieux, laissons-les libres
de régler leurs intérêts à leur manière; c'est l'applica-
tion même du principe de la liberté de conscience.
En partageant la propriété indivise entre les mem-
bres de chaque douar, on créera des groupes naturels
d'intérêts, qui formeront des communes, lesquelles
nommeront, pour s'administrer, leurs djemmaas et
leurs cheiks, c'est-à-dire leurs conseils municipaux et
leurs maires. Les autres divisions administratives
sont faciles à créer, car elles sont à peu près artifi-
cielles.
Mais, nous dira-t-on peut-être, irez-vous jusqu'à
accorder aux indigènes le droit de nommer des dépu-
tés? —Pourquoi pas ? — S'il s'agissait de faire entrer
les Arabes dans le Corps législatif de la colonie, on
pourrait craindre qu'à raison de leur nombre, leur
— 31 —
influence n'y fût prépondérante et conséquemment
dangereuse. Mais il s'agit, dans notre système, de les
faire entrer dans le Corps législatif français. Croit-on
que, si notre influence n'a pas beaucoup à y gagner,
elle aurait beaucoup à y perdre ?
— Nous terminerons ici cette étude sur la question
algérienne. Il n'échappera point aux personnes bien-
veillantes qui nous feront l'honneur de nous lire, que
nous n'avons pas eu la prétention de l'épuiser. Nous
essayerons peut-être un jour de la développer davan-
tage. Pour le moment, nous avons voulu seulement,
en notre double qualité de colon et de Français, payer
notre tribut de dévouement à la colonie et à la France.
Par une étude attentive de tous les détails, nous avons
essayé de nous faire une idée bien nette de la situation
actuelle de l'Algérie et de l'influence qu'ont exercée sur
la colonisation les différents systèmes d'administration
appliqués jusqu'à ce jour. Puis, nous élevant plus
haut et condensant en quelques pages rapides les ré-
flexions exposées dans notre première partie, nous
nous sommes demandé ce que devaient faire nos
hommes d'État pour que la France remplît en Afrique
sa mission, nous n'osons dire providentielle, car ce
mot, dans ces derniers temps, a perdu quelque peu de
son éclat; nous dirons modestement le rôle que lui
assigne l'intérêt de son avenir et la nature des choses.
Nous avons pensé que le système le plus raisonna-
ble, celui qui conduit le plus directement et le plus
promptement au but, c'est le système de l'assimilation
complète et immédiate. Nous avons essayé de le dé-^
— 32 —
montrer: en effet, à moins de les considérer comme
étant dans un étal permanent de rébellion latente, mais
légitime, nous ne pouvons nous empêcher de regar-
der comme françaises, indépendamment de toute na-
turalisation, les diverses populations incorporées au
sol de l'Algérie à l'époque de la conquête, et dès lors,
nous pensons qu'il y a tout avantage à leur appliquer
sans retard notre constitution civile et politique.
— Osons-nous espérer que nos idées seront prises en
considération? Elles paraîtront peut-être trop radica-
les. Pourtant, ce que nos hommes d'État devraient re-
chercher avant tout, c'est la netteté de la pensée, la
décision de l'esprit; nous voudrions les voir marcher
en Algérie d'un pas ferme à un but déterminé. C'est
ce que nous attendons avec confiance du gouverne-
ment qui vient d'inaugurer enfin, avec le régime par-
lementaire, une ère nouvelle de liberté et de progrès
pour la France.

81. — Paris. — Imprimerie de CUSSET et Ce, rue Racine 26.

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