Les Preuves Pénales
Les Preuves Pénales
Les Preuves Pénales
Introduction :
La preuve se décline en autant de moyens qu’il est de nécessité d’établir la réalité d’une
infraction, a fortiori suivant sa gravité. Elle est ainsi un défi lancé à la matière pénale qui a dû
s’adapter à l’évolution de la criminalité pour trouver au-delà du droit des relais pour y répondre. A la
croisée du droit et des faits, la preuve s’est diversifiée autant qu’elle s’est réinventée, au gré des
évolutions techniques et scientifiques, dans une matière en constante évolution.
DOMAT a défini la preuve comme « ce qui persuade l’esprit d’une vérité », ce qu’exprime
également la maxime latine « idem est non esse et non probari ». C’est pourquoi « les preuves de la
culpabilité doivent être plus claires que le jour à midi », selon un adage de l’Ancien droit inspiré du
Code de Justinien. Il s’agira essentiellement pour la partie poursuivante de rapporter la preuve de la
culpabilité d’un auteur présumé par la démonstration de la constitution d’une infraction recouvrant
ses éléments matériel et moral (à l’exception des contraventions, par principe purement matérielles).
La preuve revêt ainsi une importance particulière en matière pénale en ce qu’elle engage l’honneur
et la liberté de la personne mise en cause. Eu égard aux intérêts en présence, elle doit résister à la
tolérance de ceux qui pourrait la tenir trop facile pour acquise sous la pression des nécessités de la
répression. « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent »
(Voltaire, Zadig ou la destinée, 1747).
Le verdict (ou la vérité dite) n’est que l’aboutissement du procès pénal de sorte que la preuve
pénale dont il ressort est nécessairement tributaire de la conception que l’on peut avoir de cette
notion, évolutive dans le temps et dans l’espace. Du Vème siècle jusqu’au Moyen-Age, la procédure
rejoignait largement le modèle accusatoire avec des preuves qui pouvaient parfois ressembler
davantage à des épreuves (ordalies, serments purgatoires, etc.). Progressivement (et notamment à
partir du XIIIème siècle), la procédure pénale française va se départir de ce modèle pour celui de
l’inquisitoire qui trouvera notamment à s’exprimer dans l’ordonnance criminelle de Saint-Germain-
en-Laye de 1670. La Révolution française, portée notamment par les critiques de Montesquieu et de
Cesare Beccaria dans leur ouvrage respectif (L’esprit des lois, 1748 et le Traité des délits et des peines,
1764), marquent l’avènement d’un autre système de justice pénale : là où le principe de légalité est
désormais consacré, le système des preuves légales est abandonné pour que soit enfin proclamée la
présomption d’innocence. La législation criminelle a ainsi successivement oscillé entre deux systèmes
de preuve avant de consacrer à l’article 427 du Code de procédure pénale le principe selon lequel «
les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve ». L’administration de la preuve est
donc gouvernée, en procédure pénale, par le principe de liberté tandis qu’en procédure civile, seuls
certains modes de preuve dont la valeur probante est déterminée sont admis (articles 1341 à 1369
du Code civil). S’opposent alors deux principes gouvernant l’administration de la preuve : le système
de la preuve libre et le système de la preuve légale. Alors que le premier consiste à prouver un fait
par tous moyens propres à en établir l’existence, le second implique non seulement d’organiser
légalement les moyens de rechercher et d’établir la culpabilité, mais aussi de la tenir légalement pour
démontrée toutes les fois où les preuves légalement exigées auront été rapportées.
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Sans doute le choix du législateur était-il dicté par la teneur des intérêts en présence. Deux
parties vont alors s’affronter et chacune va apporter, au soutien de ses prétentions et pour défendre
sa position, les preuves qu’elle estime déterminantes et qui sont susceptibles d’emporter la
conviction du juge ou plus précisément, en matière pénale, son intime conviction. On le sait, la
charge de la preuve de la culpabilité repose sur le Ministère public mais cette règle, contrairement à
la présentation qui en est souvent faite, tient moins au principe de la présomption d’innocence qu’à
un principe de droit commun (voir l’article 1315 al. 1er du Code civil repris par l’adage « actori
incumbit probatio » selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur). Cela ne signifie pas
que l’accusation ait le monopole dans la recherche des preuves, bien au contraire, le juge comme les
personnes privées disposent également de prérogatives afin de rechercher et d’administrer les
preuves qu’ils auront pu recueillir.
Toutes les parties au procès pénal sont ainsi engagées sur le terrain probatoire même si celui-
ci relève du pré-carré des autorités policières et judiciaires qui veillent à sauvegarder l’objectif à
valeur constitutionnelle de protection de l’ordre public. A mesure où celui-ci est exposé par une
criminalité toujours plus organisée et exacerbée sous le prisme du terrorisme, les autorités policières
et judiciaires ont vu leurs pouvoirs renforcés au gré des lois successives que l’on songe à celle du 9
mars 2004, du 14 mars 2011, du 6 décembre 2013, du 13 novembre 2014, du 24 juillet 2015 et
dernièrement à celle du 3 juin 2016. C’est alors que les intérêts privés se trouvent engagés dès lors
que se trouvent exposés les droits et libertés individuels que les lois du 15 juin 2000, du 14 avril 2011
et du 27 mai 2014 ont renforcé.
Aussi convient-il de se demander sur le terrain probatoire, comment la matière pénale
parvient-elle à concilier cet impératif de protection de l’ordre public avec la nécessaire préservation
des droits et libertés des justiciables.
Dans l'objectif d'apporter une réponse équilibrée à cette interrogation primordiale, la matière
pénale oscille entre un principe de liberté encadré (I.) et un principe de légalité cantonné (II.).
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autorisée et encadrée par la loi (voir, à ce propos, la jurisprudence de la CEDH en matière
d'interceptions de télécommunications ou de géolocalisation dynamique) et, d'autre part,
que certaines méthodes sont prohibées (en cas d'atteinte à la dignité de l'Homme : mauvais
traitements, sérum de vérité, hypnose ; en cas d'atteinte à la dignité de la justice : ex. de la
loyauté de la preuve)
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- ceci se justifie par le fait que les règles relatives aux nullités de procédure ne concernent
que les investigations menées par les autorités publiques. Ceci est également expliqué par le
fait qu'en toute hypothèse, la preuve déloyale ou illégale sera soumise au contradictoire et
pourra donc être critiquée par la partie à laquelle on l'oppose. De manière sous-jacente,
cette position jurisprudentielle se comprend comme une volonté de rétablir l'égalité des
armes, l'accusation disposant de considérables moyens d'investigations dont ne disposent
pas les particuliers (ce qui renvoie, dans une certaine mesure, à la jurisprudence civiliste
relative au "droit à la preuve"). Pour autant, une critique est possible dès lors que, poussée
à l'extrême, cette jurisprudence pourrait mener à déclarer recevables des aveux
obtenus à la suite d'actes de torture exercés par des particuliers ...
2. Vers une effectivité de l'illégalité des preuves produites par les particuliers
- pour autant, ce risque est limité, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation qui
affirme que la preuve obtenue au moyen d'une infraction pénale, si elle est recevable devant
les juridictions répressives, est susceptible d'engager la responsabilité pénale du plaideur
qui l'a ainsi obtenue ;
- par ailleurs, sous l'impulsion de la jurisprudence européenne relative à la protection des
droits et libertés fondamentaux (voir, par ex., CEDH, 10 octobre 2006, L. L. c/ France ),
l'action des particuliers, même dans la perspective de l'obtention d'une preuve, peut se
trouvée cantonnée par la Cour de cassation, en particulier à l'aune du droit au respect de la
vie privée (voir : Cass. crim., 24 avril 2007, n° 06-88.051 : à propos d'une preuve produite en
violation du secret professionnel, la Chambre criminelle a estimé que la juridiction de fond
devait rechercher si l'examen public et contradictoire devant elle de telles pièces
« constituait une mesure nécessaire et proportionnée à la défense de l'ordre et à la protection
des droits de la partie civile au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'Homme »).