Algérie - Aujourd'hui - Enjeu Mémoriel
Algérie - Aujourd'hui - Enjeu Mémoriel
Algérie - Aujourd'hui - Enjeu Mémoriel
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l'enjeu mémoriel,
c'est la
colonisation !
ujourd’hui quandije parle à mes amis la cour d'Alger à la fin des années 1970, directrice
aÀ \ français des méfaits de la colonisa- des droits des femmes à l'Unesco, elle est une
tion, je sens parfois un léger ennui figure du paysage intellectuel algérien. Dans son
dans leur regard. Comme s'ils se dernier livre, La tristesse est un mur entre deux jar-
GUILLAUME SOUVANT/AFP — DR
A disaient: Ah oui. vous en êtes dins, elle dialogue de manière directe et amicale
À. encore là... » Wassyla Tamzali, avec l’historienne Michelle Perrot. D’une voix
assise dans un petit café du quartier du Marais, à claire, elle reprend : « J'ai 81 ans. C’est seulement
Paris, finit son SMS avant d’entamer la conversa- maintenant, beaucoup plus qu’en 1962, que je
tion. À 80 ans passés, elle manie avec dextérité prends la mesure de ce qui a été commis. La coloni-
emoji et pensée décoloniale. Ancienne avocate à sation, c'est l'irréparable.… »
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Jean-François I a notamment publié | israéliens et palestiniens | |
Mondot Journal d'un prof de (Stock, 2006) Î d
Soïixante ans nous séparent de l'indépendance Benjamin Stora n’a pas été épargné. Une partie de
de l'Algérie. Ceux qui avaient 25 ans en 1962 sont la presse algérienne n’a retenu de son rapport que
désormais octogénaires. Une génération s’efface, l'absence d’excuses. Certains spécialistes ont
pas ses blessures ni ses interrogations ou ses com- regretté l’absence d’un discours sur les crimes de
bats. Réfléchir sur la guerre d'Algérie suppose la colonisation, d’autres ont questionné la notion
désormais de se pencher sur la transmission des de réconciliation (au détriment de la justice, selon
mémoires. Peut-on soigner, atténuer ou apaiser l'historien Noureddine Amara). Tandis que d’autres
« l’irréparable » ? En tout cas, le président de la estiment qu'il fallait s'appuyer sur ses propositions,
République a jugé que le temps d’agir était venu. comme l'historien Gilles Manceron. Au téléphone,
En juillet 2020 Emmanuel Macron a commandé à Benjamin Stora ne se montre guère surpris par ces
l'historien Benjamin Stora un rapport sur les «ques- critiques : «En matière derelationsfranco-algériennes,
tions mémorielles portant sur la colonisation et la je ne connais pas de propositions consensuelles. » Sa
guerre d'Algérie». Dans sa lettre de mission, il pré- stratégie était soigneusement mûrie : « J'ai voulu
cisait : « Je souhaite m'inscrire dans une volonté présenter des préconisations concrètes pour faire
nouvelle de réconciliation des peuples français et avancer les choses. Et c’estce qu'ils’estpassé. Les lignes
algérien. » ont bougé. Je parle ici de réalisations effectives : la
Quelques mois plus tard, en janvier 2021, reconnaissance de l'assassinat d'Ali Boumendjel, la
Benjamin Stora rendait son rapport. Ilse concluait reconnaissance de celui de Maurice Audin, la recon-
par 22 préconisations de natures très diverses : de naissance du 17 octobre 1961 désigné pour la pre-
l'entrée de Gisèle Halimi au Panthéon à la recon- mière fois comme un crime, ce sont autant d'exemples
naissance des camps d’internement des harkis concrets qui mettent à nu la réalité du système colo-
GONZALO FUENTES/POOL/AFP
comme lieu de mémoire, en passant par l'ouverture, nial. » Il assume son cap pragmatique : « On peut
quinze ans en avance, des archives de sûreté, l’éva- faire autant de grands discours que l’on veut-ily en
luation des conséquences des 17 essais nucléaires a déjà eu beaucoup. Ilexiste un telincendiemémoriel
LAHCENE ABIB
français dans le Sahara jusqu’en 1967. Depuisun que cela ne suffira pas. Il faut des discours, mais aussi
an, ses conclusions et ses préconisations ont été des actes, des symboles, et se mettre en mouvement
abondamment commentées, débattues, soupesées. sur toutes ces questions. »
«Un incendie mémoriel » … L'expression revient, mon doctorat»). Son père, proche des milieux FLN,
dans sa bouche et dans ses livres (parfois opposée à ne lui a pas raconté sa guerre : «Je pense qu’il n'ar-
une autre formule, «les eaux glacées de l'oubli»). Qui rivait pas à penser ensemble le geste héroïque de l’in-
sont, en France, les brûlés de cette mémoire avec dépendance et le fait d’être réduit àune main-d'œuvre
l'Algérie ? Combien sont-ils ? Benjamin Stora, dans de basse qualité, sous-payé, soumis à une menace d’ex-
son rapport, évalue le nombre de personnes affecti- pulsion en cas de trouble à l’ordre public. ne pouvait
vement reliées à la guerre d'Algérie : 1,5 million d’ap- pas parler. » Comment at-elle pris connaissance de
pelés du contingent, 1 million d’Européens ayant l'existence d’une guerre entre le pays de ses parents
quitté l'Algérie, 1 million d’Algériens ayant quitté le etson pays de naissance ? «Un jour, à l'école, un élève
sol natal. En comptant les enfants (1,5 enfant par m'a demandé : demain, s’il y a une guerre entre la
personne), Stora arrive à 7 millions de personnes, France et l'Algérie, tu choisis quel camp ? »
c’est-à-dire 10 % de la population française. La première génération serre les dents, la deu-
xième prend la parole. Comment, vis-à-vis de la
Le rapport aux grands-parents guerre d'Algérie, se comporte la troisième ? Le jeune
Cette inclusion des enfants dans la liste est presque sociologue Paul Max Morin a voulu répondre à cette
un acquis de la recherche. Les ouvrages d'Henry question, devenue son sujet de thèsel., Son enquête
Rousso sur Vichy ont mis en évidence, dans les porte sur un échantillon de 3000 jeunes âgés de 18
familles percutées par les grandes tragédies histo- à 25 ans. « On entend souvent dans l’espace public
riques, la séquence traumatisme-refoulement-résur- l'idée que les descendants de familles algériennes
gence. Et montré que la deuxième génération était ressentiraient un problème particulier à l'égard de la
celle de la libération de la parole (et des revendica- guerre d'Algérie. Ce n’est pas ce que j'observe. Pour
tions). L'historienne Naïma Huber-Yahi témoigne eux, comme d’ailleurs pour les descen-
de ce processus, observéausein desaproprefamille. dants de pieds-noirs ou d’appelés, cette NOTE
NéeàTourcoingen 1977, filledeparentsalgériens, histoireestavanttout d'ordre intime. Ce 1.PM. Morin,
LAHCENE ABIB
son travail porte sur l’histoire culturelle de qu’ils’yjoue, c'estlerapportauxgrands- LeS Jeunes et la
guerre d'Algérie,
Timmigration maghrébine (« La seule fois où mes parents. Ils en retiennent un héritage à paraître aux PUF
parents m'ont aidée à faire mes devoirs, c'était pour affectif plus que politique : des noms de en mars 2022.
colon
CHRONOLOGIE
parol
d'Em
2021-2022. Une politique de réconciliation <lla
soldai
20 janvier 2021 Remise Emmanuel Macron qualifie la fusillade de la rue d'Isly de harkis mis au jour
du rapport Stora sur « la ces exactions de à Alger en 1962, qui fit dans le Gard. et nu
mémoire de la colonisation «crime inexcusable pour des dizaines de victimes 15 février 2022 Le Sénat chefd
et de la guerre d'Algérie » à la République ». parmi les partisans de adopte un projet de loi 1954.
Emmanuel Macron. 23 décembre 2021 l'Algérie française. stipulant la reconnaissance étaien
2 mars 2021 La France Ouverture, avec quinze ans 8 février 2022 Cérémonie de la nation envers les etdea
reconnaît l'assassinat d'avance, des archives officielle d'hommage harkis et les autres rapatriés perspe
de l'avocat et militant relatives aux affaires aux morts du métro d'Algérie ainsi qu’une et à ce
politique Ali Boumendjel judiciaires et aux enquêtes Charonne. réparation financière des en situ
pendant la « bataille d'Alger » de police, portant sur la 14 février 2022 La ministre préjudices subis par eux et L'at
en 1957. période comprise entre déléguée chargée de la leurs familles. ration
16 octobre 2021 le 1° novembre 1954 et Mémoire et des Anciens 49 mars 2022 nisati
Commémoration des le 31 décembre 1966. Combattants inaugure Commémoration du coloni:
répressions du 17 octobre 26 janvier 2022 Le chef de les fouilles par l'Inrap 60° anniversaire du cessez-
Éric Z
1961 au bord de la Seine. l'État juge « impardonnable » d'un cimetière d'enfants le-feu du 19 mars 1962.
quelqu
Diff
| Dans les manuels algériens Fa
« L'axe central des manuels de la guerre dans les images très violentes sur encore de Fehrat Abbas, me
d'histoire algériens reste manuels avec l'exaltation la dureté des combats montrant ainsi qu'il Y Emr
| la période 1954-1962, d’un peuple unanime pendant la guerre de eut d’autres voix que celle
| avec le FLN comme unique (« un seul héros, le peuple »), libération. Les harkis, s'ils du FLN. Malgré cette de c:
fer de lance de la nation la sanctification des sont cités, ne le sont que évolution, pour laquelle des # En
| algérienne combattant combattants tués durant pour être stigmatisés et il historiens critiques comme déjà
pour sa libération », la guerre (chiffre officiel n'est rien dit de la manière Abdelmadjid Merdaci et histo
résume l'historien Tramor constamment martelé : dont ils sont parfois enrôlés. d’autres ont joué un rôle ind
Quemeneur, spécialiste 1,5 million de morts) Des évolutions eurent lieu important, le roman national déro;
de l'Algérie. Après érigés au rang de martyrs. dans les années 1980 et algérien reste unanimiste, acces
l'indépendance, les Cette histoire binaire, au début des années 2000, minorant toute diversité & étudi
gouvernements algériens dispensée dès l'âge de avec notamment politique ou culturelle. $ Ellep
se sont définis comme les 10-11 ans, oppose les héros l'introduction du nom Z dere
héritiers du FLN. D'où une {ou les martyrs) et les de Messali Hadj, fondateur ë L'ouv
vision idéologique figée traîtres, avec parfois des du nationalisme algérien, ou Ë du _
TRAGÉDI
ALGÉRIE
1830-2022,
LA COLONISATION
EN PROCES
GUERRE
D'INDÉPENDANCE
DE SÉTIF À
LA BATAILLE D’ALGER
UNE MÉMOIRE
ENFIN APAISÉE ?
RAT
magazine-livre
des'passionnés
Les meilleurs historiens retracent ici le temps
d'histoire
long de l'Algérie : les violences de la conquête
et du régime colonial, les huit ans d’une guerre
qui déchira tous les camps, maïs aussi les
drames qui ont suivi indépendance en 1962.
Raccommoder les mémoires implique de
regarder en face cette histoire partagée.
Avec
Fatima Besnaci-Lancou, membre du conseil scientifique du mémorial de Rivesaltes
Hélène Blais, École normale supérieure de Paris
Emmanuel Blanchard, université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Raphaëlle Branche, université de Nanterre
Pierre Darmon, ancien directeur de recherche au CNRS
Didier Guignard, CNRS, Institut de recherches et d'études sur les mondes arabes
Anaïs Kien, France Culture
Jean-François Mondot, journaliste et écrivain
M’hamed Oualdi, Sciences Po Paris
Guy Pervillé, professeur émérite à l’université Toulouse-Il-Jean-Jaurès
Jean-Pierre Peyroulou, professeur agrégé et docteur en histoire
Malika Rahal, CNRS, directrice de l’Institut d'histoire du temps présent
Carole Reynaud-Paligot, universités de Bourgogne et Paris-l
Benjamin Stora, université Paris-XII|
Christelle Taraud, NYU Paris
Sylvie Thénault, CNRS
Tassadit Yacine, anthropologue
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