Culture Générale 2016 BTS
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Selon vous, des cérémonies collectives, liées à la mémoire des faits passés,
sont-elles nécessaires dans notre société ?
Vous répondrez à cette question d'une façon argumentée en vous appuyant sur
les documents du corpus, vos lectures et vos connaissances personnelles.
Chaque année se voit désormais2 associer à une grande commémoration (1985 : Victor Hugo,
1987 : millénaire capétien, 1989 : Bicentenaire de la Révolution française, 1996 : Clovis...)
qui mobilise, plus ou moins largement, les médias et l'éducation nationale tandis qu'une foule
d'opportunités de commémorer sont offertes aux collectivités locales privilégiant les domaines
littéraire et scientifique (anniversaire de la naissance ou de la mort d'un auteur ou d'un savant,
d'une invention ou d'une publication...). De nombreuses commémorations se voient dotées
d'un comité spécifique qui peut prendre la forme d'une mission interministérielle
(Bicentenaire de la Révolution française, célébration du Bimillénaire) ou recevoir le haut
patronage du président de la République (comité dirigé par Marceau Long pour la
commémoration du baptême de Clovis). Les uns après les autres, les ministères se dotent
d'une cellule historique. La France est entrée dans « l'ère de la commémoration ».
Commémorer devient une activité majeure de « l'État culturel », précisément parce que c'est
de la culture qu'on attend désormais le liant capable de réduire le sentiment de délitement3 qui
se développe sous le coup des ruptures et des changements d'échelles qui affectent la société
contemporaine. La notion de rituel elle-même, très largement discréditée dans les années 68,
est revisitée et la réintroduction de rituels préconisée.
Patrick GARCIA
Exercices de mémoire ? Les pratiques commémoratives dans la France contemporaine. La
mémoire, entre histoire et politique, juillet-août 2001.
En ce moment qui marque le passage d'un temps, fin d'un siècle et début d'un autre, les
Européens, et tout particulièrement les Français, semblent obsédés par un culte, celui de la
mémoire. Comme saisis de nostalgie pour un passé qui s'éloigne irrévocablement, ils vénèrent
volontiers ses reliques et s'adonnent avec ferveur à des rites conjuratoires1, censés le maintenir
vivant. On inaugure, paraît-il, un musée par jour en Europe, et des activités naguère utilitaires
deviennent objet de contemplation: on parle d'un musée de la Crêpe ici, d'un Pôle de l'âne là...
[...] Cette préoccupation compulsive avec le passé ne peut être considérée comme allant de
soi, elle demande à être interprétée. Le culte de la mémoire ne sert pas toujours les bonnes
causes et on ne saurait s'en étonner. [...]
Il est superflu de se demander s'il faut ou non connaître la vérité sur le passé : la réponse, ici,
est toujours affirmative. Il n'en va pas de même des buts qu'on veut servir à l'aide de ce rappel
du passé, et le jugement que nous portons là-dessus provient d'un choix de valeurs, non de la
fidélité du souvenir.
Affirmer son identité est, pour tout un chacun, légitime. On n'a pas à rougir de ce qu'on
préfère les siens aux inconnus. Si votre mère ou votre fils ont été victimes de la violence, ces
souvenirs vous font plus souffrir que la mort de gens inconnus, et vous vous appliquez
davantage à en maintenir la mémoire vive. Il y a néanmoins une dignité et un mérite plus
grands à passer de son propre malheur, ou de celui de ses proches, au malheur des autres. La
commémoration rituelle n'est pas seulement d'une faible utilité pour l'éducation de la
population quand on se limite à confirmer dans le passé l'image négative des autres ou sa
propre image positive; elle contribue aussi à détourner notre attention des urgences présentes,
tout en nous procurant une bonne conscience à peu de frais. La répétition lancinante du « Plus
jamais ça » au lendemain de la Première Guerre mondiale, n'a en rien empêché l'avènement de
la Seconde. Qu'on nous rappelle aujourd'hui avec minutie les souffrances passées des uns, la
résistance des autres, nous rend peut-être vigilants à l'égard de Hitler et de Pétain, mais nous
aide aussi à ignorer les dangers actuels – puisque ceux-ci ne menacent pas les mêmes acteurs
et ne prennent pas les mêmes formes.
On dit volontiers de nos jours que la mémoire a des droits imprescriptibles et qu'on doit se
constituer en militants de la mémoire. Il faut bien se rendre compte que lorsqu'on entend ces
appels contre l'oubli ou en faveur du devoir de mémoire, ce n'est, la plupart du temps, pas à un
travail de recouvrement de la mémoire, d'établissement et d'interprétation des faits du passé
qu'on nous invite (rien ni personne, dans des pays démocratiques comme les Etats d'Europe de
l'Ouest, n'empêche quiconque de poursuivre ce travail), mais plutôt à la défense d'une
sélection de faits parmi d'autres, celle qui assure à ses protagonistes de se maintenir dans le
rôle de héros, de victime ou de moralisateur, par opposition à tout autre sélection, risquant de
leur attribuer d'autres rôles moins gratifiants. [...]
Si l'on ne veut pas que le passé revienne, il ne suffit pas de le réciter. Qui ne connaît pas la
formule fatiguée du philosophe américain George Santayana, selon laquelle ceux qui oublient
le passé sont condamnés à le répéter ? Or, sous cette forme générale, la maxime est ou fausse
ou dépourvue de sens. Le passé historique, pas plus que l'ordre de la nature, n'a de sens en lui-
même, ne sécrète tout seul aucune valeur; sens et valeur leur viennent des sujets humains qui
Tzvetan TODOROV
« La vocation de la mémoire », La mémoire entre histoire et politique, juillet-août 2001.
DOCUMENT 3
L'événement est passé presque inaperçu et n'aura finalement pas étonné grand monde, comme
s'il était dans l'ordre des choses. En janvier, la Commission européenne confirmait qu'elle
renonçait à célébrer le centenaire de la Grande Guerre. « Trop de cicatrices, trop lourd, trop
risqué », écrivait Le Monde. « À la décharge de la Commission, l'affaire n'était pas simple.
Trop de cicatrices... » relevait, en juillet, dans nos colonnes, le romancier Pierre Lemaître,
prix Goncourt 2013 pour Au revoir là-haut (Albin Michel), son éblouissante fresque sur le
conflit.
L'Europe aurait pu saisir cette occasion presque rêvée pour dénoncer « les nationalismes qui
ressurgissent et ont été parmi les moteurs du déclenchement de cette guerre », relevait-il. Mais
elle ne l'a pas fait. Elle aurait pu souligner la nécessité de construire une mémoire collective,
de rompre avec les visions nationales du conflit qui ont caractérisé beaucoup de
commémorations. Mais elle ne l'a pas fait. Elle aurait simplement pu honorer en grande
pompe la mémoire des millions de morts lors d'une grande manifestation dans un lieu
symbolique de sa construction, elle qui finit par fatiguer les jeunes générations en se
présentant comme un gage de paix, celui du « Plus jamais ça ». Mais elle ne l'a pas fait, «
incapable de se raconter sa propre histoire », poursuivait l'écrivain.
Finalement, « Bruxelles1» a donc suivi l'air du temps et, par manque d'imagination et de
courage, n'a pas voulu, pas pu, réagir à la désaffection que manifestent, d'élections en
élections, les citoyens. C'est en illustrant le drame de 1914-1918, en réexpliquant qu'il n'a
finalement trouvé une issue qu'en 1940-1945 avec, à la clé, une autre explosion de violences
et de massacres, mais aussi la prise de conscience d'un bien commun et l'éclosion d'un idéal
de paix, que l'Union aurait pu lancer un message positif et, en quelque sorte, fédérer une
mémoire et une conscience. Raté ...
Jean-Pierre STROOBANTS
« Le rendez-vous manqué de l'Europe avec le centenaire », Le Monde, mardi 11 novembre
2014.
DOCUMENT 4
En 1840, le roi Louis-Philippe ordonne le transfert à l'église Saint-Louis des Invalides des
cendres de Napoléon Ier, mort à Sainte-Hélène en 1821, dans le cadre d'une cérémonie
solennelle. Victor Hugo, témoin de l'événement, évoque le passage du cortège dans les rues
de Paris.
Voici les chevaux de selle des maréchaux et des généraux qui tiennent le cordon du poêle1
impérial.
Voici les quatre-vingt-six sous-officiers légionnaires portant les bannières des quatre-vingt-
six départements. Rien de plus beau que ce carré, au-dessus duquel frissonne une forêt de
drapeaux. On croirait voir marcher un champ de dahlias gigantesques. [...]
Je puis le regarder à mon aise. L'ensemble a de la grandeur. C'est une énorme masse, dorée
entièrement, dont les étages vont pyramidant au-dessus des quatre grosses roues dorées qui la
portent. Sous le crêpe violet semé d'abeilles, qui le recouvre du haut en bas, on distingue
d'assez beaux détails : les aigles effarés du soubassement, les quatorze Victoires du
couronnement portant sur une table d'or un simulacre de cercueil. Le vrai cercueil est
invisible. On l'a déposé dans la cave du soubassement, ce qui diminue l'émotion.
C'est là le grave défaut de ce char. Il cache ce qu'on voudrait voir, ce que la France a
réclamé, ce que le peuple attend, ce que tous les yeux cherchent, le cercueil de Napoléon.
Sur le faux sarcophage on a déposé les insignes de l'Empereur, la couronne, l'épée, le sceptre
et le manteau. Dans la gorge dorée qui sépare les Victoires du faîte des aigles du
soubassement, on voit distinctement, malgré la dorure déjà à demi écaillée, les lignes de
suture des planches de sapin. Autre défaut. Cet or n'est qu'en apparence. Sapin et carton-
pierre, voilà la réalité. J'aurais voulu pour le char de l'Empereur une magnificence qui fût
sincère. [...]
L'avenue est décorée ou plutôt déshonorée dans toute sa longueur par d'affreuses statues en
plâtre figurant des Renommées et par des colonnes triomphales surmontées d'aigles dorés et
posés en porte-à-faux sur des piédestaux en marbre gris.
Les gamins se divertissent à faire des trous dans ce marbre qui est en toile.
Sur chaque colonne on lit entre deux faisceaux de drapeaux tricolores le nom et la date d'une
des victoires de Bonaparte.
Un médiocre décor d'opéra occupe le sommet de l'arc de triomphe, l'empereur debout sur un
char entouré de Renommées, ayant à sa droite la Gloire et à sa gauche la Grandeur. Que
signifie une statue de la grandeur ? Comment exprimer la grandeur par une statue ? Est-ce en
la faisant plus grande que les autres ? Ceci est du galimatias monumental.
Ce décor, mal doré, regarde Paris. En tournant autour de l’arc, on le voit par derrière. C'est
une vraie ferme de théâtre. Du côté de Neuilly l'empereur, les Gloires et les Renommées ne
sont plus que des châssis grossièrement chantournés2.
Victor HUGO
« Funérailles de l'Empereur, le 15 décembre 1840 », Choses vues 1830-1848.
1. Drap recouvrant le cercueil, muni de quatre cordons qui pendent aux quatre coins.
2. Découpés.