L'Art
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L'Art
L’expression « Beaux-Arts » est très tardive dans l’histoire : elle apparaît en 1798, dans la cinquième édition du
dictionnaire de l’académie française. La distinction entre « beaux-arts » et « arts » apparaît pour la première fois
dans un dictionnaire en 1752 : « Ensemble des activités et des œuvres où se manifeste la recherche d’une
expression artistique…Ils sont distingués des arts proprement dits, en ce que ceux-ci sont pour l’utilité, ceux-là
pour l’agrément. Les beaux-arts sont enfants du génie ; ils ont la nature pour modèle, le goût pour maître, le
plaisir pour but. »
Pendant longtemps donc aucune distinction entre artisan et artiste.
Dans les 2 cas, l’art est « une matière animée par une idée » mais comment approfondir le concept pour légitimer
une distinction entre artiste et artisan ?
Question directrice de la leçon :
Qu’est-ce qui peut distinguer l’œuvre technique de l’œuvre d’art ?
(Remarque : je vous propose une classification des beaux-arts du + matériel au – matériel - la liste reste ouverte.
• Architecture : 3D, intériorité de l’œuvre faite pour être pénétrée.
• Sculpture, toute en extériorité.
• Danse : 3D mais c’est du vivant (le corps) - Pantomine
• Peinture : 2D - l’arabesque et le dessin
• Musique (sons) - opéra
• Cinéma ou photographie (lumière, mouvement).
• Littérature (dont la matière première est le langage)
- Théâtre (requiert des corps).
- Poésie (se dit).
- Roman (ni sonorité, ni corps).)
Définition de « artiste » par le dictionnaire de l’académie française en 1694 : « l’artiste travaille dans un art
comme la peinture, l’orfèvrerie, l’horlogerie, etc… et y excelle. Il se dit de ceux qui font les opérations chimiques
(les alchimistes) ».
Pas de différence entre technicien artisan et artiste.
Définition du même mot mais en 1762, dictionnaire de l’académie française : « est artiste celui qui travaille dans
un art où le génie et la main doivent concourir : un peintre, un architecte sont des artistes. L’artisan est un ouvrier
dans un art mécanique, un homme de métier ».
Cette définition fait la différence entre l’artiste et l’artisan.
16ème siècle : l’artiste commence à signer ses œuvres (veut se distinguer de l’artisan). Mais certains artisans
signent également leurs œuvres (ils veulent se distinguer des autres artisans et ainsi se rapprocher des artistes).
Lorsqu’on applique le terme « art » à des œuvres datant d’avant le 18ème siècle, le terme est anachronique. Il en
est souvent de même pour l’art primitif.
Cette notion est relative historiquement.
Cette distinction historique de l’art et de la technique va être contestée, notamment au 20ème siècle (surréalisme,
dadaïsme, etc…) Ces mouvements initient la contestation.
Par exemple : Marcel Duchamp expose un urinoir (qu’il n’a pas fait lui-même, c’est une œuvre technique) dans
un musée ; c’est une provocation qui vise à critiquer cette distinction entre artiste et artisan : il affirme qu’une
œuvre d’art n’en est une que par des critères extérieurs (publicité, titre, signature). « Tout est art ».
Malgré tout, n’y a-t-il pas une distinction essentielle entre ces deux termes ?
B) L’artiste n’est pas un simple technicien :
Alain : professeur de philosophie du 20ème siècle rend compte de la pensée de Kant sur l’art.
« Il reste à dire maintenant en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Toutes les fois que l’idée précède et règle
l’exécution, c’est industrie (technique). Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans l’industrie, redresse
l’idée en ce sens que l’artisan trouve mieux qu’il n’avait pensé dès qu’il essaye ; en cela il est artiste, mais par
éclairs. Toujours est-il que la représentation d’une idée dans une chose, je dis même d’une idée bien définie
comme le dessin d’une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu’une machine bien réglée
d’abord ferait l’œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu’il
ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu’il emploiera à l’œuvre qu’il commence ; l’idée lui vient à mesure
qu’il fait ; il serait même rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu’il est
spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est là le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce
de nature, et s’étonne lui-même. Un beau vers n’est pas d’abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre
beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu’il la fait ; et le portrait naît sous le
pinceau.
(…) Ainsi la règle du beau n’apparaît que dans l’œuvre, et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut servir jamais,
d’aucune manière, à faire une autre œuvre. »
Alain, Système des beaux-arts, Editions Gallimard, Paris, 1926.
Le contenu (d’une œuvre d’art) peut-être tout à fait indifférent et ne présenter pour nous, dans la vie ordinaire,
en dehors de sa représentation artistique, qu'un intérêt momentané. C'est ainsi, par exemple, que la peinture
hollandaise a su recréer les apparences fugitives de la nature et en tirer mille et mille effets. Velours, éclats de
métaux, lumière, chevaux, soldats, vieilles femmes, paysans répandant autour d'eux la fumée de leurs pipes, le
vin brillant dans des verres transparents, gars en vestes sales jouant aux cartes, tous ces sujets et des centaines
d'autres qui, dans la vie courante, nous intéressent à peine, car nous-mêmes, lorsque nous jouons aux cartes ou
lorsque nous buvons et bavardons de choses et d'autres, y trouvons des intérêts tout à fait différents, défilent
devant nos yeux lorsque nous regardons ces tableaux. (…) Grâce à cette idéalité, l'art imprime une valeur à des
objets insignifiants en soi et que, malgré leur insignifiance, il fixe pour lui en en faisant son but et en attirant
notre attention sur des choses qui, sans lui, nous échappaient complètement. L'art remplit le même rôle par
rapport au temps et, ici encore, il agit en idéalisant. Il rend durable ce qui, à l'état naturel, n'est que fugitif et
passager ; qu'il s'agisse d'un sourire instantané, d'une rapide contraction sarcastique de la bouche, ou de
manifestations à peine perceptibles de la vie spirituelle de l'homme, ainsi que d'accidents et d'événements qui
vont et viennent, qui sont là pendant un moment pour être oubliés aussitôt, tout cela l'art l'arrache à l'existence
périssable et évanescente, se montrant en cela encore supérieur à la nature. Hegel, Esthétique.
Expliquez, en vous appuyant sur des œuvres d’art précises, comment le regard habituel et utilitaire que nous
posons sur les choses de la vie quotidienne est métamorphosé lorsque ces mêmes choses font l’objet d’une
représentation artistique et s’offrent au regard contemplatif qu’implique le jugement esthétique.
Corrigé exercice 1 :
Indéterminabilité de l’œuvre d’art du point de vue des manières de faire et du but que l’on se fixe.
Au contraire, le technicien sait d’avance ce qu’il va faire. « Il y a technique toutes les fois que l’idée précède et
règle l’exécution. » (l.2) Le maçon sait qu’il a à construire tel mur, avec telle hauteur, telle fondation… Il suit un
plan. Subordination pratique de l’exécution sur le concept. Au contraire, l’artiste n’a pas un plan déterminé
d’avance : l’idée, le concept sont contemporains de la création (pas d’antériorité logique). « L’idée lui vient à
mesure qu’il fait » (l.9-10). Tout au plus, il peut avoir des idées générales mais elles restent indéterminées. Par
exemple, le peintre de portrait : il ne sait pas exactement l’expression qu’il donnera au visage (grave, pensive…)
Cependant, l’artisan peut être « artiste par éclairs » quand « l’exécution redresse l’idée » (l.3).
Il y a donc 2 types de création mais qui ne sont pas absolument exclusives l’une de l’autre : il y a de l’artiste dans
le technicien et du technicien dans l’artiste (la règle des trois unités du théâtre classique, les lois de la perspective
en peinture, de l’harmonie en musique…). Mais bien sûr, une œuvre artistique ne se réduit pas à ces procédés
techniques. Un artiste possède au-delà de ces règles l’en plus qui échappe aux déterminations. Il y a chez
Baudelaire plus que le simple respect des règles de versification.
Rq. : Dans les écoles artistiques, on apprend des techniques, le conservatoire pour la composition, les beaux-arts
pour la peinture, la sculpture…Une école n’est pas suffisante pour produire le génie.
Mais dans un autre sens, on peut dire que « le génie fait école » au sens où il est à l’origine d’un courant
artistique. Il est original, créateur, novateur et il est imité par le disciple. Dans l’histoire de l’art, il y a les maîtres
et les petits maîtres. Le problème de l’imitation est le même que l’enseignement. Toute imitation est limitée (l.
16-17). Que se passe-t-il pour l’imitation ?
Le disciple intelligent va extraire de l’œuvre tout ce qui est déterminable.
Le mauvais disciple veut plagier, copier au geste près et c’est souvent l’échec.
Ex. : Picasso invente des problèmes artistiques et se donne des règles pour les résoudre. Comment rendre le
volume d’un corps sans utiliser les 2 techniques classiques de la perspective et du clair-obscur ? Il prétend donner
le volume d’une autre façon, par l’art de la décomposition et de la recomposition des corps en mélangeant les
perspectives (de face, de profil). Il rompt avec les codes réalistes. La mauvaise peinture des imitateurs de Picasso,
c’est une singerie. Le choix des angles pour décomposer et recomposer les corps, cela est indéterminable.
l.4-7 : l’œuvre technique peut être reproduite. Puisque tout est déterminable, tout peut être refait. La
reproductibilité de l’œuvre technique est inscrite dans sa définition. S’il y a une touche artistique par éclair, il n’y
a pas de reproductibilité parfaite. On peut distinguer ici l’industrie de l’artisanat. Le pot de fleurs de l’artisan
n’est pas entièrement reproductible. Quant à l’œuvre artistique, elle est singulière. Comme il y a de
l’indéterminable, il y a du non répétable. Ce qui peut se répéter – grâce à l’industrie – ce n’est pas l’œuvre mais
sa reproduction. Par exemple, on peut faire mille photos de la Joconde, mille disques d’une symphonie de
Mozart.
Hegel appelle « idéalité » la manière dont les idées et la sensibilité de l’artiste métamorphosent le regard
habituel que nous posons sur les choses lorsque celles-ci deviennent l’objet d’une représentation artistique.
L’idée même de re-présentation est dans cette perspective critiquable, qu’on songe à l’art abstrait et non figuratif
où l’idéalité peut éliminer tout support réel ou du moins est-il non reconnaissable. Cela est d’autant plus évident
pour la musique. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la citation suivante Kant, qui marque la rupture entre
l’art et sa prétention à imiter le réel (entendons par « imiter » la volonté de copier le réel pris pour modèle) :
« L’art n’est pas la représentation d’une belle chose mais la belle représentation d’une chose. » Kant.
Hegel explique dans son texte que l’objet représenté passe d’utilitaire, moyen à fin en soi (l’objet devient
intéressant en dehors de son utilité ; dans une nature morte par exemple, la pomme va être vue pour le plaisir
contemplatif qu’elle génère et non pour être mangée).
L’art est « idéalité » également parce qu’il immortalise ce qui est passager, fugitif dans l’existence réelle. L’objet
passe du passager à l’éternel. L’art immobilise, fixe l’instantané, capte la vie avant qu’elle ne s’anéantisse (par
exemple le sourire de la Joconde).
Il ne faut pas confondre l’idéalité de l’œuvre d’art avec l’acte d’enjoliver le réel. L’idéalité n’est pas une retouche
du réel mais le passage à un autre type d’être. L’art nous apprend à voir – y compris la nature. Les beautés de la
nature doivent peut-être beaucoup aux peintres car une fois que l’on a acquis une culture artistique, que l’on
sait percevoir différemment, on peut retourner à la nature et la voir différemment. L’art en ce sens est une école
du regard et une pédagogie de la sensibilité. On pourrait même dire avec provocation que ce n’est pas l’art qui
imite la nature mais que c’est la nature qui imite l’art. Par ex., dans Un amour de Swann de Proust, le narrateur
tombe amoureux d’Odette parce qu’elle ressemble à un tableau de Botticelli. Cette idéalisation, tjs originale (en
rupture contre les stéréotypes) permet d’expliquer qu’il puisse y avoir une certaine beauté de l’horreur, de
l’immoral et du malheur. La Charogne de Baudelaire, Le radeau de la Méduse de Géricault : l’horreur n’est pas
dépassée mais métamorphosée.
On peut éprouver un plaisir esthétique à la description d’une charogne avariée et puante à la lecture du poème
qui suit. Nous ne sommes évidemment pas dans les mêmes dispositions lorsque nous rencontrons par hasard le
corps d’un animal décomposé sur le bord de la route. De même, le tableau de Géricault contemplé au Louvre n’a
rien à voir avec la découverte par exemple de cadavres de naufragés-migrants qu’on retrouve en mer.
Répondez à cette question à l’aide du texte suivant pour la semaine du 31 mai. Le travail n’est pas à remettre sur
atrium ou par mail. Il donnera lieu à un oral noté en présentiel, quand le cours que nous faisons actuellement
sera terminé.
En ce qui concerne l'agréable, chacun consent à ce que son jugement, qu'il fonde sur un sentiment personnel et
privé, et en vertu duquel il dit d'un objet qu'il lui plaît, soit du même coup restreint à sa seule personne. C'est
pourquoi, s'il dit : "Le vin des Canaries est agréable", il admettra volontiers qu'un autre le reprenne et lui rappelle
qu'il doit plutôt dire : "cela est agréable pour moi" ; et ce, non seulement pour ce qui est du goût de la langue,
du palais et du gosier, mais aussi pour ce qui peut être agréable aux yeux ou à l'oreille de chacun. La couleur
violette sera douce et aimable pour l'un, morte et sans vie pour l'autre. L'un aimera le son des instruments à
vent, l'autre leur préférera celui des instruments à corde. Ce serait folie d'en disputer pour récuser comme
inexact le jugement d'autrui qui diffère du nôtre, tout comme s'il s'opposait à lui de façon logique ; en ce qui
concerne l'agréable, c'est donc le principe suivant qui est valable : A chacun son goût (pour ce qui est du goût
des sens).
Il en va tout autrement du beau. Il serait (bien au contraire) ridicule que quelqu'un qui se pique d'avoir du goût
songeât à s'en justifier en disant : cet objet (l'édifice que nous avons devant les yeux, le vêtement que porte tel
ou tel, le concert que nous entendons, le poème qui se trouve soumis à notre appréciation) est beau pour moi.
Car il n'y a pas lieu de l'appeler beau, si ce dernier ne fait que de lui plaire à lui. Il y a beaucoup de choses qui
peuvent avoir de l'attrait et de l'agrément, mais, de cela, personne ne se soucie ; en revanche, s'il affirme que
quelque chose est beau, c'est qu'il attend des autres qu'ils éprouvent la même satisfaction ; il ne juge pas pour
lui seulement mais pour tout le monde, et il parle alors de la beauté comme si c'était une propriété des choses.
C'est pourquoi il dit : cette chose est belle ; et ce, en comptant sur l'adhésion des autres à son jugement
exprimant la satisfaction qui est la sienne, non pas parce qu'il aurait maintes fois constaté que leur jugement
concordait avec le sien ; mais bien plutôt, il exige d'eux cette adhésion. Il les blâme s'ils jugent autrement, il leur
dénie le goût tout en demandant qu'ils en aient; et ainsi on ne peut pas dire : à chacun son goût. Cela reviendrait
à dire qu'il n'y a point de goût, c'est-à-dire qu'il n'y a point de jugement esthétique qui puisse légitimement
réclamer l'assentiment universel.»
(Kant, Critique de la faculté de juger, Analytique du beau, §7).
Corrigé :
Kant distingue l’agréable du beau.
L’agréable est une sensation : une couleur, un son, un goût est agréable ; il a un ancrage physiologique et
présuppose le plaisir d’un organe. Comme toute sensation, l’agréable est subjectif et rebelle à toute
argumentation. Aucun argument ne me fera aimer un plat que je n’aime pas. On peut vanter les qualités
nutritives d’une viande saignante à un végétarien, je sais qu’il ne se l’appréciera pas pour autant.
Au contraire quand je juge d’une chose belle, je m’attends à ce que les autres soient d’accord avec moi. Il faut
mettre cette idée en rapport avec cette autre définition kantienne du beau qui « obéit à des règles
indéterminables » : s’il y a des règles, c’est qu’elles sont produites par l’entendement ; donc, elles devraient être
déterminables et on devrait pouvoir se mettre d’accord sur ces règles… d’où toutes les prétentions de jurys et
des critiques d’art mais cela ne peut apparaître que comme un dogmatisme insoutenable (les jurys et les critiques
ratent de vrais artistes, s’opposent…)
Le jugement du beau se présente certes comme un jugement de connaissance, objectif. Je fais comme si la
beauté était une propriété de la chose comme la sève est une propriété de l’arbre (on s’attend à ce que tout le
monde pense comme nous). Mais de fait, je sais bien que le jugement esthétique (sur le beau) relève du sujet et
de son appréciation personnelle.
La définition du beau est donc paradoxale : on s’attend à ce qu’il y ait accord universel alors qu’il n’en est rien.
On peut « être d’accord » (de façon immédiate) mais on ne peut « se mettre d’accord » sur la beauté d’une
œuvre d’art.
Enjeu : si l’on refuse cette définition paradoxale du beau qui répondrait à des règles indéterminables ( qui
légitime une prétention à l’universel du chef-d’œuvre) et qui se distinguerait de l’agréable, alors il est inévitable
de considérer qu’en matière de jugement esthétique c’est le relativisme qui prévaut. Mais cela ne va pas sans
tension : peut-on conclure que tout se vaut, mes photographies de vacances et les photographies de Man Ray ?
Le dernier tube à la mode et le requiem de Mozart ? Le plaisir esthétique est-il du même ordre que le plaisir qu’il
y a à manger une bonne dinde aux marrons ?
Conclusion qui ouvre sur l’art contemporain ( qui vaut comme critique de ce qui a été expliqué précédemment)
L’art contemporain déconstruit la notion même d’œuvre d’art, pour faire en sorte que l’objet ordinaire et l’œuvre
se confondent. Et ce qui est remarquable, c’est qu’en retour, tout devient de l’art, puisqu’il n’y a plus rien qui
s’élève au-dessus des objets ordinaires. C'est l'ère du relativisme : tout se vaut, tout est de l’art. Et n'importe qui
peut être artiste.
Avant même ou en même temps qu’on discourt théoriquement sur l’art, l’art n’est-il pas lui-même, par ses
œuvres, un « discours visuel et auditif » inlassablement ouvert sur lui-même, questionnant le sens de sa
pratique : il suffit de mettre côte à côte les Vieux qui mangent de Goya avec la Piétà de Michelangelo et les
œuvres parlent d’elles-mêmes ; les ready made de Marcel Duchamp n’interrogent-ils pas la légitimité de la
distinction tardive que l’histoire a pu faire entre art et technique, Interrelation of volumes (Construction y = ax2
+ bx + 18 ) de Georges Vantongerloo ne peut-elle pas s’interpréter comme une mathématisation possible de la
manière de faire de l’artiste qui met en question les notions mêmes de création et de génie, les séries répétitives
des Ménines de Picasso ou les boîtes de brillo d’Andy Warhol ne refusent-t-elle pas l’unicité de l’œuvre d’art,
les « événements » ou « installations » éphémères (body art, land art) ne nient-t-elles pas l’éternité des œuvres
qui ont trouvé leur place dans les musées, l’usage des déchets, de matériaux pauvres ne délocalise-t-il pas ou du
moins ne dénonce-t-il pas avec provocation le détournement « économique » ou « imaginaire » de l’art qu’une
certaine bourgeoisie capitalisante ou bien pensante s’approprie? L’art n’existe peut-être vraiment que pour celui
ou celle qui accepte, au moins temporairement, d’oublier la réalité et de changer de regard pour pénétrer dans
le monde des œuvres et du discours qui les accompagnent.
L’idée même d’« œuvre » au sens où je produis quelque chose qui se sépare de moi n’est-elle pas contestable ?
Ne peut-on pas faire de sa vie une œuvre d’art ? Où situer ce point fragile qui délimite l’esthétisme de l’éthique ?
« Ready made » qui remettent en question la distinction art/technique : un objet technique ne peut-il pas être
une œuvre d’art ?
Pourquoi ne pas envisager de peindre des peintures en série, de la même façon qu’on produit en série des
objets techniques ?
Les Ménines de Picasso Les Ménines de Picasso
Une œuvre d’art ne peut-elle pas être mise sous formule mathématique avec des règles parfaitement
déterminables ?