AUX ORIGINES DE LA COUR PERMANENTE D'ARBITRAGE: LA PREMIÈRE CONFÉRENCE DE

LA HAYE (1899)
Author(s): Laurent Barcelo
Source: Guerres mondiales et conflits contemporains, No. 189 (Mars 1998), pp. 17-29
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/25732480
Accessed: 01-01-2023 14:00 UTC

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 AUX ORIGINES DE LA COUR
PERMANENTE D'ARBITRAGE :
LA PREMIERE CONFERENCE
DE LA HAYE (1899)

La convocation

La fin aout 1898 reserve aux chancelleries europeennes une surprise

de taille, en l'espece d'une circulaire redigee, sur l'ordre de son souverain,
par le ministre russe des Affaires etrangeres, le comte Mouraview. En par
tant du constat que ? les aspirations a un apaisement general se sont parti
culierement affirmees dans la conscience des nations civilisees ? au cours
des vingt dernieres annees, il a semble propice aux dirigeants russes
d'avancer que ?le maintien de la paix generale et une reduction possible
des armements excessifs qui pesent sur toutes les nations se presentent
comme l'ideal auquel devraient tendre les efforts de tous les gouverne
ments ?1. Mu par une soudaine revelation humanitaire, le gouvernement
imperial croit done le moment ? tres favorable a la recherche des moyens
les plus efficaces d'assurer la paix et de mettre avant tout un terme au
developpement progressif des armements actuels ?2.
Le 30 decembre, une seconde circulaire fait echo aux reponses des
destinataires et precise les ordres du jour d'une conference internationale.
? L'accueil empresse ? des puissances ne signifie pas fol enthousiasme, et
Mouraview peut constater que ? malgre le grand courant d'opinion qu'il
s'etait produit en faveur des idees de pacification generale, l'horizon poli
tique a sensiblement change d'aspect ? : ? Plusieurs puissances ont procede
a des armements nouveaux, s'efforcant d'accroitre encore leurs forces
militaires, et, en presence de cette situation incertaine, on pourrait etre
amene a se demander si les puissances ont juge le moment actuel oppor

1. MAE, serie C administrative 26 ; la problematique de cet article a ete developpee par l'auteur
dans: Paul d'Estournelles de Constant (1852-1924) : la formation d'un esprit europeen ; Vexpression d'une
idee europeenne (1852-1907), these pour le doctorat sous la direction du Pr Elisabeth du Reau, Univer
site de la Sorbonne nouvelle Paris III, 1994.
2. Ibid., Mouraview precise : ? Les crises economiques, dues en grande partie au regime des
armements a outrance, et le danger continuel qui git dans cet amoncellement du materiel de guerre,
transforment la paix armee de nos jours en un fardeau ecrasant que les peuples ont de plus en plus de
peine a porter. ?
Guerres mondiales et conflits contemporains, n? 189/1998

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 18 Laurent Barcelo

tun pour la discussion internationale des idees emises dans la circulaire du

12 aout. ?3 Selon F adage, les puissances sont tentees de profiter de la paix
pour preparer Teventualite d'une guerre.
Sans doute echaudees par les reticences allemandes, le Reichstag etant
favorable a un programme naval de grande envergure, mais aussi par la
mefiance generate qu'inspire la notion de reduction des armements, les
vues du tsar s'etaient Hmitees. La volonte originelle de reunir une confe
rence sur le desarmement avait cede a celle de ne tenir qu'une ? confe
rence de la paix ?, et il n'etait plus question que de maintien du statu quo,
pour un terme a fixer, en matiere d'effectifs et de budgets. Quant au lieu
susceptible d'accueillir une telle manifestation, le comte faisait savoir que
son ? auguste maitre ? avait juge ? utile ? que la reunion ne siegeat pas sur
le sol de Tune des grandes puissances. Le probleme sera resolu le
6 avril 1899, lorsque le ministre des Affaires etrangeres des Pays-Bas fera
diffuser une note qui confirmera l'acceptation de la reine Wilhelmine
pour faire de La Haye le siege de la Conference, a mi-chemin de
Bruxelles et de Copenhague, prealablement pressenties.

Les reactions. ? Le 23 janvier 1899, le ministre francais des Affaires

etrangeres, Theophile Delcasse, revele a la Chambre la position de son
administration sur rinitiative russe. L'arbitrage etait au gout du jour lors
que la premiere circulaire lui etait parvenue. Alors que les deputes profi
taient de leurs vacances d'ete, l'Espagne, en mauvaise posture, demandait
en effet la mediation francaise dans le conflit qui l'opposait aux Etats
Unis.
Les preUminaires de paix a peine signes, Delcasse devait done se pen
cher sur la circulaire Mouraview : ? L'impression fut profonde et non
moins vif l'etonnement. ? Mais le ministre de signaler que la France se
rangea en hate derriere la grande cause, ? d'abord parce [...] qu'on ne peut
que souhaiter de voir rendre inutiles ces inventions, ces perfectionne
ments des armements [...], encore parce que le souverain qui les soumet a
l'examen du monde est le chef d'une grande nation alliee et amie, [...]
enfin [...] parce que la France elle-meme [...] a concu et voulu executer le
meme dessein magnanime ? au cours de son histoire. En outre, comme
? elle avait la certitude que dans la Conference projetee, on ne lui deman
derait rien qui fut de nature a la diminuer soit dans le present, soit dans
Favenir ?, la France, ?la premiere de toutes les grandes puissances ?, a
tenu a adresser ? son adhesion a la circulaire ?.
Reste a savoir ce qui diminuerait le pays et dans quelles Umites ? ses
representants au futur congres international travailleront de tout leur pou
voir a la realisation de la proposition humanitaire ?4. L'acceptation, en fait,
ne semble motivee que par le souci d'assurer a la France un fauteuil de
choix pour suivre le spectacle. L'inquietude est legitime, attendu que la

3. Ibid.
4. JORF, debats Chambre, 23 janvier 1899.

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Aux origines de la Cour permanente ^arbitrage 19

decision des dirigeants russes, d'une portee tout de meme peu commune,
a ete prise sans une consultation prealable de leur alliee. L'effet est d'au
tant plus facheux qu'une partie des Francais reprochait a la Russie sa pru
dence dans la crise de Fachoda. Bien des questions se posent done, sur la
solidite reelle des liens franco-russes, que le ministre ne manquerait pas de
formuler dans les semaines suivantes5.
Certains, dans l'hemicycle, se font une haute conception du role a
tenir par la Republique. Des le lendemain, le socialiste Edouard Vaillant
presente une motion qui invite le gouvernement a donner a ses delegues
le mandat de proposer l'etude de quatre points. ? La constitution d'un tri
bunal international d'arbitrage pour tout differend entre les gouverne
ments des pays representes a la Conference ? est placee au premier rang de
ses preoccupations. II preconise ensuite ?la transformation parallele des
forces militaires offensives de chaque pays en forces defensives par la
transformation progressive des armees permanentes en milices nationales
sedentaires ?, puis ? une reduction semblable et graduelle de l'armement
et des depenses mihtaires ?, enfin ?la reunion periodique de conferences
internationales en vue de retablissement d'une legislation internationale et
d'offices internationaux : pour la protection du travail et des travailleurs;
pour le reglement des conditions internationales de la production, du
commerce, des transports, de l'echange et rorganisation normale de tou
tes les relations internationales ?6. Seul le premier point est retenu pour le
vote ; 228 deputes y sont favorables, mais 303 rejettent la motion.
En Angleterre, le 9 mars, le premier lord de l'amiraute, Goschen,
expose son point de vue devant la Chambre des communes. II afBrme que
les Anglais sont ? prets a diminuer ou a modifier [leur] programme [naval]
de constructions nouvelles et a [s']en tenir a la proportion actuelle ?,
laquelle est a leur avantage. II va meme plus loin en declarant, ? au nom
du gouvernement de Sa Majeste, que si les autres grandes puissances nava
les sont disposees a diminuer leurs programmes de construction, [ils sont]
prets a entrer dans cette voie en modifiant le [leur] ? ; FAngleterre ne
presse pas non plus le mouvement mais s'affirme prete a le suivre, tant
qu'il n'entame pas sa preponderance.
L'initiative russe a au moins ce merite d'etoffer les chroniques que les
grands quotidiens reservent a la politique internationale. Le ? bulletin de
l'etranger?, qui orne la premiere page du Temps, recommande le
18 fevrier au gouvernement francais d'aller a la Conference ?les yeux
ouverts ?. Le programme est juge ? digne d'attention ?, et la France, en
raison de ses relations avec la Russie et sous peine de trahir ses ideaux, ne
peut repondre que par rafBrmative a Tappel. Mais la courtoisie n'impH
que pas Talienation de la Uberte : ? II y aura lieu de discuter fort et ferme.
L'acceptation de Tinvitation du tsar n'implique nullement Fadhesion a un

5. Sur ce point, voir l'analyse de Pierre Renouvin dans La politique exterieure de Theophile Delcasse
(1898-1905), Paris, CDU/SEDES.
6. JORF, debats Chambre, 24 janvier 1899.

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 20 Laurent Barcelo

programme aussi complexe. II y a a prendre et a laisser dans cet ordre du

jour. ?7
La presse, pas plus que les dirigeants, ne parvient a s'imaginer precise
ment ce que sera la Conference. Le 31 mars, le scepticisme a quelque peu
gagne Le Temps. Certes, l'idee de la Conference n'est pas nee dans F esprit
torture de quelques ?revolutionnaires partisans des Etats-Unis d'Eu
rope ? ; elle est enoncee sous la responsabilite d'un chef d'Etat. Mais
Fevolution du contexte remarquee par Mouraview se poursuit. Le
? monde civilise ? prepare la reunion ? en se hatant d'augmenter ses arme
ments, d'accroitre ses forces et de se mettre en etat de rendre, sans incon
venient pratique, un hommage platonique aux grands principes d'huma
nite et de conciliation ?8.
C'est que les circulates renferment trop de desinteressement pour que
les milieux dirigeants ne s'interrogent sur les motivations du tsar. La sur
prise que cause a Guillaume II F ? elucubration ? est ressentie comme
? personnellement desagreable ?. II croit discerner ? une part de diablerie ?
derriere le grand dessein : ? Ceux qui refuseront seront accuses de vouloir
troubler la paix, alors que la Russie n'en peut plus et que, nous autres,
nous pouvons rattraper le temps perdu ! ?9
A y regarder de pres, il semble que les motivations de Fautocrate, dont
Fhistoire retient le comportement gauche et sa permeabilite a Finfluence
de son entourage, soient d'ordre ? a la fois sentimental et politique, econo
mique et financier ?10. Son aversion pour la guerre parait reelle ; les convic
tions de certains de ses conseillers et surtout la lecture des ouvrages de Jean
de Bloch passent pour avoir conforte sa position11. L'idee de reunir une
conference sur le desarmement, ensuite, semble avoir ete encouragee,
sinon suggeree, par son ministre de Witte, qui escomptait qu'un tel geste
attirerait a son pays les sympathies de la finance internationale.
Les dirigeants europeens privilegient sans doute les explications les
plus pragmatiques, issues de la degradation de la vie economique et
sociale de Fempire. Le malaise interieur croissant ne permet pas de
mener la grande politique exterieure que certains, notamment le prince
Ukhtomski, redacteur des Nouvelles de Petersbourg, pour lequel la Russie

7. Le Temps, 18 fevrier 1899. Paul Valery, de son cote, promet a la manifestation ? peut-etre
un role extremement historique ? : ? Tout le monde y sera emu et sceptique ? ; ? Cette experience
[...] sera un curieux sujet d'etude, une tres fine [...] comedie politique ou les caracteres seront les
nationalites et dont les nuances seront les differentes et ingenieuses manieres employees par les divers
peuples pour... parler de l'humanite [...], au fond ce qu'on veut le plus, c'est se partager la Chine sans
casser des oeufs?. Cf. G. Thuillier, Paul Valery et la politique, XI, La revue administrative, n? 106, 1965,
p. 368-371.
8. Le Temps, 31 mars 1899.
9. Propos rapportes par Maurice Baumont, L'essor industriel et Vimperialisme colonial
(1878-1904), Paris, PUF, coll. ? Peuples et civilisations ?, 1965, p. 316.
10. Ibid.
11. De nationality polonaise, ancien banquier de profession, de Bloch (1836-1902) avait pris la
Russie comme sujet de ses etudes economiques. Apres s'etre penche sur Les finances de la Russie au
XDC siecle, il avait decrit Vetat economique de la Russie dans le passe et le present, puis Le credit et I'etat de
Veconomie rurale en Russie et dans les pays etrangers. Ce ne sont pas tant ces ouvrages qui captivaient le
tsar que les six volumes parus en 1898 sur La guerre aux points de vue technique, economique et politique.

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Aux origines de la Cour permanente d'arbitrage 21

aurait une ? mission historique ? a remplir, esperent. La convocation de

la Conference peut done apparaitre comme une manoeuvre pour geler
les rapports de force en Europe, le temps d'assainir Teconomie tout en se
gardant les mains libres en Asie. La position de Guillaume II pour parer
?le coup imbecile d'un jeune reveur? est prise : il se preterait a la
? comedie de la Conference ?, mais ? en gardant Tepee au cote pour la
valse ?12.

Le travail preparatoire

La forme. ? Le privilege d'assister a la Conference est d'autant plus

grand qu'elle marque une rupture avec cette habitude des grandes puis
sances de se constituer en ? gouvernement de fait international? pour
regler une crise grave13. En effet, elle se propose de codifier les relations
entre les Etats, en erigeant la recherche de la paix en dogme. La reproba
tion de la guerre n'est certes pas. nouvelle, mais T offensive des tenants de
la paix par le droit et Tepanouissement des facteurs moraux lui conferent
une vigueur plus consequents.
La Conference a cette autre particularite d'enteriner T apparition de
nouveaux protagonistes, extra-europeens, sur la scene poUtique et econo
mique internationale ; 26 Etats sont convies a participer aux debats; la
prise de conscience d'une ? mondialisation du monde ? beneficie surtout a
l'Asie, representee par la Chine, le Japon, la Perse et le Siam.
L'elaboration des cartons d'invitation genere quelques difficultes qui,
avant meme qu'elle ne se tienne, font douter de Tissue de la reunion. La
participation du Transvaal est rejetee, pour menager TAngleterre. Aux
yeux des dirigeants finlandais ou philippins, refoules, la representation de
la Bulgarie prete a discussion. En vertu de Tarticle ler du traite de BerHn,
en effet, la Bulgarie n'etait qu'une province autonome sous la suzerainete
du sultan. L'obligation pour les Bulgares de signer TActe final du
29 juillet 1899 au bas dudit acte, et non pas suivant Tordre alphabetique,
instituera certes une difference vis-a-vis des autres Etats. Mais en signant
des conventions que les representants turcs ne ratifieraient pas dans Tim
mediat, la Bulgarie usera d'une souverainete qu'elle ne possede pas.
La decision de ne pas convier le pape Leon XIII provoque egalement
des debats. La presse catholique s'etonne que le pape soit exclu d'une
conference dite de la paix, d'autant que son arbitrage avait ete sollicite a
plusieurs reprises. La loi des garanties du 13 mai 1871 ? en faisait une per
sonne internationale, propre et distincte : ne fallait-il done pas le conside
rer comme partie, au meme titre que les Etats pleinement souverains de la
communaute internationale ? ?14 Les objections du gouvernement italien,

12. Maurice Baumont, L'essor industriel.., o.c, p. 317.

13. Gabriel Lepointe, Le mouvement vers la conciliation et Varbitrage en droit international au debut du
XX? siecle, Bruxelles, Librairie encyclopedique, 1961.
14. Ernest Lemonon, La seconde conference de La Haye, Paris, Librairie generate de droit et de
jurisprudence, 1908, p. 19-20.

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22 Laurent Barcelo

craignant de voir le pape poser la question romaine devant la Conference,

seront cependant les plus fortes. La decision fera jurisprudence ; Pie X ne
sera pas convie, en 1907, a la seconde Conference internationale de la
paix.

Le fond. ? Le 21 avril 1899, la reine Wilhelmine recoit la liste des

delegues francais. Leon Bourgeois conduit la representation, seconde par
Paul d'Estournelles de Constant, un diplomate passe a la politique
en 1895, et Georges Bihourd, ministre de France en poste a La Haye.
Trois delegues techniques, le contre-amiral Pephan, le general Mounier
et surtout le juriste Louis Renault, pour lequel la fonction de jurisconsulte
avait ete retablie en 1891 au Quai d'Orsay, les assistent, ainsi que deux
secretaires d'ambassade et deux attaches a la legation, Jarousse de Sillac et
Octave Homberg.
La Conference approchant, les delegues francais se repartissent les
taches selon leurs inclinations. Louis Renault fait le tri des questions juri
diques inopportunes tandis que Leon Bourgeois consulte l'etat-major
pour faire la part des questions militaires a traiter. Le dernier des points de
la circulaire Mouraview, qui propose 1' ? acceptation, en principe, de
l'usage des bons offices, de la mediation et de l'arbitrage facultatif ? retient
Tattention de Paul d'Estournelles de Constant15. Ce point, s'il devait faire
fortune, permettrait en effet une extension du procede arbitral, jusqu'a
present essentiellement bilateral et ponctuel, a la societe internationale
dans son ensemble.
Le delegue nourrit de grandes ambitions pour la Conference, dont il
espere qu'elle s'erigera en un centre de decision autonome pour donner
naissance, quitte a passer outre les recommandations prudentes des diri
geants, a une veritable codification des relations internationales. Pour les
avoir cotoyes dans la diplomatic, il connait certains des delegues influents
? TAnglais Sir Julian Pauncefote, avec lequel il avait negocie la suppres
sion des capitulations en Tunisie ; de Staal, ministre de Russie a Lon
dres ?, et il mise sur la promiscuite pour rassembler les hommes et depas
ser l'attachement aux interets nationaux. Un projet de resolution est ainsi
elabore, pour encourager l'avenement d'un comite de concihation.
Les principes de la loi du 27 decembre 1892 sur la concihation et l'ar
bitrage en matiere de differends collectifs entre patrons et ouvriers l'inspi
rent. Un projet d'elaboration d'une structure de conciliation depose le
24 novembre 1891 avait ete refoule par la Chambre, mais la Belgique

15. La Conference aura une reelle importance sur revolution de Paul d'Estournelles de Cons
tant, depute de la Sarthe et europeaniste convaincu. Le sinologue Emile Barbe contribue a sa prepara
tion en lui conseillant de saines lectures : Bismarck, Bossuet, le De regimine principum de saint Thomas
d'Aquin, le Traite de paix perpetuelle elabore par Kant et les ouvrages du juriste Meringhac. La lecture
de Nietzsche est vivement deconseillee par Barbe, qui ne manifeste que peu d'egard pour ce ? boiard
polonais germanise ? ; ? un individualiste qui veut arriver au developpement de quelque type supe
rieur de l'humanite par la guerre ?. Cf Laurent Barcelo, Paul d'Estournelles de Constant, Vexpression
d'une idee europeenne, Paris, L'Harmattan, 1995, p. 105-106.

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Aux origines de la Cour permanente d'arbitrage 23

avait institue, dans le meme temps, un comite permanent de conciliation

nomine par le gouvernement qui pourrait servir de modele. Son caractere
permanent, en effet, lui conferait l'avantage de la prevention d'un conflit
ouvert. Le raisonnement trahit une conception des relations entre les Etats
comme une projection possible des relations entre les individus.
La Conference reunie a Berlin en 1884, a propos du Congo, s'avere
egalement un interessant champ d'etude. Par la voix de leur delegue Kas
son, les Etats-Unis s'y etaient affirmes ? heureux de prendre part a une
declaration par laquelle chacune des puissances signataires s'engagerait a
soumettre a un arbitrage, conformement aux usages modernes des nations
civilisees, toute contestation qui pourrait surgir entre elles au sujet du
droit de possessions et territoires dans la zone commerciale ?. Le plenipo
tentiaire italien avait ensuite contracte et generalise la formule, pour la
faire figurer dans l'Acte final sous cette forme : ? Dans le but de prevenir
[...] les consequences d'une guerre [...], les Etats [...] s'engagent, avant
d'en appeler aux armes, a recourir a Faction mediatrice d'une puissance
amie. ? Dans sa forme definitive, l'article 12 de l'Acte final de Berlin
enoncait que, dans le cas ou des difficultes surviendraient entre les parties
contractantes, celles-ci s'engageaient ? a faire appel a la mediation (ou a
s'en remettre a l'arbitrage) d'une ou de plusieurs puissances amies ?16.
En faisant la synthese du modele beige de comite permanent de conci
liation dans le domaine social et de l'article 12 de l'acte de Berlin, d'Es
tournelles de Constant elabore done un texte de resolution qu'il entend
soumettre a la Conference. Le projet est presente lors de la reunion tenue
le 13 mai au ministere des Affaires etrangeres afin d'arreter les instructions
de la delegation.
Face a un Delcasse ? muet et embarrasse ? et finalement reticent17,
d'Estournelles affirme que la Conference, si elle devait echouer, provo
querait une immense baisse de prestige des gouvernements aux yeux de
1'opinion, sensible au theme de la paix. Pour eviter une disillusion, dont
saurait profiter la propagande revolutionnaire, la France se doit de mon
trer la voie ? de s'elever dans le monde a une place unique, en contribuant
par son autorite morale et intellectuelle au salut commun des Etats ?. Le
gouvernement de la Republique peut donner a la France le moyen d'at
teindre la vocation promise, en autorisant ses delegues a proposer a la
Conference la resolution suivante : ? Dans le cas ou un dissentiment
grave, menacant de degenerer en conflit aigu s'eleverait entre les puissan
ces signataires du present acte ou des puissances qui y adhereraient par la
suite, ces puissances s'engageraient a ne pas en appeler aux armes sans
avoir prealablement recours au comite international permanent de conci
liation [...] Les avis de ce comite seront purement consultatifs. ?

16. Ibid.
17. Ibid. La reunion a ete relatee dans Gilles Cottereau ? Hommage a Paul d'Estournelles de
Constant ?, Colloque de la societe francaise pour le droit international, Le Mans, 1980, Aspects actuels
du droit international des transports, Paris, Pedone, 1981.

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24 Laurent Barcelo

D'apres son auteur, l'initiative presenterait cet avantage pour la France

de lui offrir l'appoint de l'opinion internationale en cas degression. Au
nombre des vertus que contient cette idee, s'impose egalement le fait de
proteger les Etats des fanatismes et des ambitions individuelles, sans porter
pour autant atteinte a leur souverainete, puisque la sanction envisagee est
d'ordre moral et repose sur le poids de l'opinion. Mais Delcasse n'envi
sage pas tout a fait d'instituer la France comme ? la directrice, la vigie de
l'Europe menacee, en semant le germe d'une federation tot ou tard inevi
table ?. Lorsqu'il apportera un peu plus tard de l'ordre dans ses papiers et
qu'il remettra la main sur sa proposition, Paul d'Estournelles griffonnera
en marge : ? Voici la fameuse note [...] que j'ai tenu a lire au conseil,
lequel etait purement negatif et a trouve cela dangereux ! Ce qui n'empe
che pas que nous avons fait mieux que cela ! ?18

Le deroulement

Le 15 mai 1899, au soir, la delegation francaise arrive a La Haye.

Le 18, jour anniversaire de la naissance du tsar, l'ensemble des represen
tants procede a l'ouverture solennelle de la Conference. L'orientation des
debats, leur degre d'interet ainsi que leur issue posent assez de problemes
pour qu'ils ne soient pas contraries par des carences de forme et de proto
cole. Or la participation inedite de certains Etats pose des problemes pra
tiques d'un type nouveau. Plusieurs points de la procedure suivie lors de
la Conference internationale du travail tenue a Berlin en mars 1890 sont
repris: l'election du president par l'Assemblee, l'adoption du francais
comme langue ofBcielle ? afin de prevenir, au moins dans la forme, un
dialogue de sourds ?, le vote par appel nominal des Etats suivant l'ordre
alphabetique, chaque nation representant une voix, 1'organisation du
secretariat et de la redaction des proces-verbaux pour chaque seance, ainsi
que la creation de commissions mixtes pour etudier chaque probleme
specifique avant de le soumettre a l'ensemble.
Les delegues se repartissent done en trois commissions, respective
ment placees sous la direction du president de la Chambre beige des
deputes Beenaert, du Russe de Martens et de Leon Bourgeois, pour etu
dier la question de la limitation des armements, celle des lois et coutu
mes de la guerre et de la reactualisation de la Convention de Geneve, et
examiner enfin les moyens eventuels de reglement pacifique des diffe
rends internationaux.
Ces mesures trahissent le manque d'habitude de reunions d'une telle
envergure. Le fait de n' etudier les questions que dans le cadre de la Con
ference presente en effet le risque de la voir s'eterniser et de lasser ainsi
l'opinion. L'analyse prealable eut prevenu cet inconvenient, en laissant a
l'assemblee pleniere le soin de discuter des domaines deja singuHerement
defriches. D'autre part, tout le monde ne pratique pas la langue franchise.

18. Ibid et Archives departementales de la Sarthe, Fonds d'Estournelles, 12 J 303.

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Aux origines de la Cour permanente d'arbitrage 25

Or, il n'a ete prevu, ni de corps de traducteurs ni d'ailleurs des techniciens

charges du secretariat. II incombe done aux delegues de s'acquitter de ces
taches, et le devouement des representants francais sera bien utile pour
rediger les proces-verbaux des seances, en concedant parfois a Fhumour :
? Proces-verbal (tres confidentiel)
Conflit de hors d'oeuvres
Potage mediation
Consomme protocole final
Filet de boeuf aux bons offices
Tourne dos a la guerre
Arbitrage de volailles
Cailles roties sur enquete
Salade au compromis
Liste d'artichauts sauce facultative
Revision de peche sans appel
Bombes glacees
Litige de patisseries
Fruits de circonstances
Fromages asphyxiants
Dessert amical
Vins obligatoires. ?19

La premiere seance du comite se tient le 26 mai dans la salle d'Orange

de la ? Maison royale du bois ?, a proximite de La Haye. Les peintures qui
representent Hercule et Minerve ouvrant les portes du temple de Janus,
ferme par la guerre, au genie de la paix, sont censees inspirer les delegues.
Ni le public ni la presse ne sont autorises a assister aux debats. La fre
quence des reunions est variable, pour satisfaire le besoin des delegues de
consulter leurs gouvernements et de voir leurs farnilles. Mais au fur et a
mesure que les debats avancent, les difficultes surgissent. La perspective
d'un recours obligatoire a l'arbitrage, en particulier, ne souleve guere
Tenthousiasme dans les rangs allemands.
De Tavis du premier delegue de la representation germanique, le
prince de Miinster, la Conference ? a ete mise en scene par des Arme
niens, des jeunes Turcs, des pacifistes, des socialistes [...]. [Elle] a attire a
La Haye la pire des racailles poUtiques du monde entier, des journalistes
de la pire espece [...]. La reclame que les Russes font avec leur jeune mai
tre detourne Tattention de ce qui se passe en Russie, ou Ton peut tran
quillement continuer la russification et Fasiatification ?2(). Tandis que cer
tains se piquent au jeu et aspirent a un resultat, son souci, d'accord avec
ses superieurs, est surtout de stopper net toute velleite de ? convention
pour le reglement pacifique des conflits internationaux ?, sans pour autant
se mettre au ban des nations, ni preter le flanc a Topinion.

19. Ibid.
20. Maurice Baumont, L'essor industriel, o.c, p. 317.

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26 Laurent Barcelo

De fait, l'Angleterre serait bien inspiree en affichant un comportement

retors. Or c'est precisement Lord Pauncefote qui donne une nouvelle
impulsion au debat en proposant le 9 juin, lors de la sixieme seance, l'exa
men en premiere lecture d'un projet de constitution d'un tribunal perma
nent d'arbitrage. Miinster percoit le danger de l'intransigeance : l'AHema
gne apparaitrait comme le ? trouble-fete, qui se met en travers de tous les
efforts tendant a consolider la paix ?21. Delcasse approuve, qui lui confie
qu'il a ? a cette conference le, meme interet que [lui] ?. Seulement, ? pour
epargner le tsar et eviter un fiasco complet ? qui les mettrait en delicatesse
avec l'opinion, ? quelques concessions ? en matiere d'arbitrage peuvent
etre faites, tant qu'elles ne limitent ? en aucun cas ? ? l'entiere indepen
dance des grands Etats ?. Guillaume II tonne ? Non ?, ? convaincu que
l'objet de toute cette "fumisterie" etait de lui faire perdre l'avantage d'une
mobilisation rapide et que tous ne songeaient qu'a 1' "handicaper", les
"slavophiles, infames" par "leurs hypocrisies et leurs mensonges", aussi
bien que les "pharisiens hypocrites" d'Amerique, qui faisaient dire des
prieres pour le succes de la Conference ?22.
Les debats atteignent le paroxysme de leur intensite le ler juillet, lors
de la 12e seance consacree a la seconde lecture des projets russes et britan
niques. II s'agit de ? trouver un moyen capable de faire fonctionner la
Cour permanente d'arbitrage, d'accoutumer [...] les puissances a recourir
a cette innovation ?23. Appuye par Leon Bourgeois et le comte Nigra,
d'Estournelles de Constant reprend la problematique ebauchee devant
Delcasse. En agitant le spectre de Topinion furieuse, il cherche a ? aider
les gouvernements a prendre parti, [les] mettre en demeure de se pronon
cer pour ou contre Tarbitrage ? a partir du moment ou un intermediaire
leur proposerait d'y recourir, afin qu'il devienne ? tout aussi difficile a un
gouvernement de decliner le recours a l'arbitrage qu'il lui etait difficile
jusqu'a ce jour de l'accepter dans les cas graves ?24. L'idee pose de nom
breux problemes, sur la qualite de l'intermediaire, l'etendue de ses prero
gatives, la realite de son autorite morale.
D'Estournelles de Constant prend pourtant a sa charge 1'elaboration
du projet de resolution, qu'il presente deux jours plus tard en stipulant
que, faute de temps pour consulter son gouvernement, qui, du reste, l'au
rait refusee, sa proposition n'engage que lui. D'apres les termes du projet,
?les puissances considerant comme un devoir, dans le cas ou un conflit
aigu menacerait d'eclater entre deux ou plusieurs d'entre elles, de rappeler
a celles-ci que la Cour permanente d'arbitrage leur est ouverte, donnent

21. MAE, serie C administrative 26.

22. Maurice Baumont, L'essor industriel, o.c, p. 318.
23. MAE, serie C administrative 26 ; Memoires et documents France 2137, archives de la dele
gation francaise a la Conference de La Haye. Les proces-verbaux des reunions ont ete rapportes et
analyses par des juristes dans les ouvrages fondamentaux de Meringhac, La conference de la paix
de 1899 ; etude des travaux de La Haye, Paris, Rousseau ed., 1900, et surtout de Wehberg, La contribu
tion des conferences de La Haye au droit international, Recueils de l'Academie de droit international, Paris,
Sirey, 1931.
24. Ibid.

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Aux origines de la Cour permanente d'arbitrage 27

mandat au secretaire general du bureau de se mettre le cas echeant a la

disposition de chacune des parties interessees en s'adressant par ecrit a
leurs representants aux Pays-Bas ?. Selon son auteur, Tarticle introduit
l'obligation morale dans les relations internationales, definit la mediation
comme un acte pacifique et non une ingerence, substitue ? a 1'idee de
droit Fidee superieure de devoir ?25, contournant ainsi la question epi
neuse des sanctions economiques ou militaires.
Comme prevu, des objections sont elevees par le delegue allemand.
Le 20 juillet, apres avoir remarque le ? courant puissant en faveur de 1'ar
bitrage obligatoire ? au sein du comite, celui-ci constate que son gouver
nement ? n'aurait pas ete en mesure d'adopter un projet par lequel l'arbi
trage aurait ete rendu obligatoire ?. A defaut d'avoir pu conduire la
Conference a l'echec, le representant germanique etait voue a jeter ? de la
poudre aux yeux de l'opinion ?, en consentant un tribunal d'arbitrage
? facultatif, artificiel et complique ?, qui ne touche ? ni l'honneur ni les
interets vitaux ?, et a confectionner ? un filet avec de grands trous ?. Mal
heureusement, ? on pouvait encore [s'y] prendre ?26.
Ces reticences contribuent a limiter la portee de 1'article mais ne l'em
pechent pas de figurer, moins ce qu'il comporte de contraignant, dans la
convention finale. Desormais, en theorie, ?les puissances considerent
comme un devoir, dans le cas ou un conflit aigu menacerait d'eclater entre
deux ou plusieurs d'entre elles, de rappeler a celles-ci que la Cour perma
nente d'arbitrage leur est ouverte ?. Enfin, a defaut d'une resolution, Leon
Bourgeois parvient in extremis a faire adopter a runanimite, le voeu selon
lequel ?la Conference considere que la limitation progressive des arme
ments qui pesent actuellement sur le monde est grandement desirable pour
l'accroissement du bien-etre moral et materiel de Fhumanite ?27.

Le bilan

La Conference de la paix prend fin le 29 juillet 1899. Par rapport aux

attentes de l'opinion, et malgre la pression des comites pacifistes, elle
parait decevante. Son objet, la question du desarmement, en a ete elague
apres que l'Allemagne eut refute la tentative visant a fixer les proportions
entre les forces militaires d'un Etat et sa population, en objectant que ces
proportions devaient varier selon le regime militaire de l'Etat. En fait, elle
ne s'est guere bornee qu'a ? humaniser la guerre ?, en proscrivant l'utilisa
tion des gaz asphyxiants et, pour cinq ans, le lancement de projectiles du
haut des ballons. Quant a la Cour permanente, elle n'a de permanent que
le greffe et la liste d'arbitres potentiels nommes par les gouvernements
pour juger le cas echeant un recours purement facultatif.

25. Ibid.
26. Les propos du premier delegue allemand sont cites par Maurice Baumont, L'essor industriel,
o.c, p. 318.
27. MAE, serie C administrative 26 ; Memoires et documents France 2137, archives de la dele
gation francaise a la Conference de La Haye.

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 28 Laurent Barcelo

Les plus optimistes preferent retenir l'avenement de principes, d'enga

gements moraux sur la scene internationale. Les Etats sont assimiles a des
individus doues de conscience, susceptibles d'enteriner et de respecter un
code de civilites. Certes, la notion de sanction morale peut sembler n'etre
qu'un leurre, mais elle constitue l'impulsion primitive donnee a une codi
fication des relations internationales, a la genese d'une organisation con
cue comme une ? societe ? composee d'individus dotes d'un meme droit
civique. D'autres, Clemenceau en tete, railleront l'echec, ?l'avortement
fameux ?, les ? gestes de style ? et 1' ? inanite des paroles ?. Grace a la
? proposition bizarre ? faite par le tsar, ce ? despote primitif [...] dont l'au
torite repose uniquement sur la force des armes, [...] Leon Bourgeois
perora doctement, d'Estournelles de Constant ecrivit des lettres mirobo
lantes. La belle palabre achevee, nous fumes pacifies tout juste comme
devant ?28.
Quand ces lignes furent ecrites, aucun differend n'avait ete soumis a la
juridiction de La Haye. II faudra attendre 1902 et une initiative de Theo
dore Roosevelt pour proceder a l'ouverture de la Cour. En 1904, puis
en 1905, elle tranchera dans deux affaires de droit de preference sur les
creances des nations europeennes vis-a-vis du Venezuela, ensuite des trois
puissances principales du vieux continent au Japon. L'incident de Hull,
egalement, permettra de huiler le systeme des commissions d'enquete.
Plusieurs traites bilateraux d'arbitrage, en outre, seront signes; la France,
notamment, s'entendra avec la Grande-Bretagne, avant que 1'entente cor
diale soit scellee, l'ltalie, TEspagne, les Pays-Bas, la Suede, la Norvege, la
Suisse, le Danemark, le Portugal, les Etats-Unis. Les dirigeants, cepen
dant, tendront toujours plus volontiers a s'en remettre a un chef d'Etat
plutot qu'a la juridiction.
Ces resultats sembleront maigres en regard des problemes poses, sur le
seul chapitre des lois et coutumes de la guerre sur terre, par la guerre du
Transvaal, la guerre des Boxers ou le conflit russo-japonais. Des rivalites
menaceront de degenerer en conflit ouvert, ainsi le contentieux franco
allemand sur le Maroc, sans que Texistence de la Cour ni le poids moral
de T opinion soient tres dissuasifs.
Le decalage entre les resultats de la Conference et les attentes des orga
nisations pacifistes pose la question des enjeux veritables de la manifesta
tion. Pour Leon Bourgeois, il s'agit de ? former entre les Etats un reseau
de conventions universelles qui fut comme un premier lien de la societe
des nations; [c'est] encore de creer ou de developper au milieu d'eux des
institutions de droit public international, propres a diminuer les risques de
la guerre, a en restreindre en tout cas les effets desastreux, et chargees
d'etablir et de maintenir entre les diverses puissances une continuite de
rapports juridiques. De la naitrait pour elles TobUgation contractuelle, et
surtout la necessite morale, de se determiner, soit dans leurs difficultes
diplomatiques, soit dans leurs conflits armes, non plus sous l'impulsion

28. Le Bloc, 7 avril 1901.

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Aux origines de la Cour permanente d'arbitrage 29

exclusive de l'interet et suivant les entrainements de la force, mais selon

des principes d'equite mutuelle, de justice et d'humanite, solennellement
reconnus et proclames a l'avance, et places ainsi sous la sauvegarde du
monde entier ?.
Ernest Lemonon, avocat a la cour d'appel de Paris et auteur d'un
ouvrage de reference sur le travail accompli a La Haye, souligne pour sa
part les malentendus engendres par le ? titre pompeux ? de ? Conference
de la paix ?. La denomination de ? Conference de droit international ?,
plus en accord avec la nature des debats, presenterait la vertu de ne pas
leurrer F opinion et done, de rendre certaines dispositions relatives au
droit de la guerre moins deplacees29. Cette critique s'applique avec la
meme pertinence a la seconde Conference de La Haye, reunie en 1907
sous l'autorite morale du tsar mais d'apres une initiative du president des
Etats-Unis. Comme la precedents, elle souffre de l'inexistence de com
missions preparatories, gages d'efficacite en matiere de contenu et d'in
tensite des debats. De plus, si les dispositions prises en ce qui concerne
l'ouverture des hostilites et les lois et coutumes de la guerre sur terre, les
droits et devoirs des puissances neutres en cas de conflits, la pose des
mines sous-marines, completent les resultats de 1899, en revanche les dis
cussions relatives a la creation d'un tribunal arbitral veritablement contrai
gnant et a la limitation des armements tournent court ou ne debouchent,
dans le premier cas, que sur la formulation d'un simple voeu.
En fait, des 1899, les competences de la future Cour permanente de
justice internationale (CPji) de la SDN, voire de la Cour internationale de
justice, sont fixees. Seuls les Etats qui ont accepte et reconnu la creation
de la Cour ont qualite pour se presenter devant elle, cette demarche etant
tout entiere subordonnee a la decision des dirigeants, selon la nature du
contentieux.
Laurent BARCELO,
Docteur en histoire
Centre de recherche DDMC, Paris III.

29. Ernest Lemonon, o.c, p. 783.

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