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SACRAMENTALITÉ DE LA PAROLE ET LITURGIE DES HEURES.

UNE
OUVERTURE DE VERBUM DOMINI 56

Patrick Prétot

Institut Catholique de Paris | « Transversalités »

2018/2 n° 145 | pages 65 à 82


ISSN 1286-9449
ISBN 9791094264188
DOI 10.3917/trans.145.0065
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-transversalites-2018-2-page-65.htm
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Transversalités, Avril-Juin 2018, n° 145, p. 65-82

SaCRaMENtaLItÉ DE La paROLE
Et LItuRgIE DES hEuRES
uNE OuVERtuRE DE Verbum Domini 56
Patrick PrétOt
Institut Catholique de Paris
UR « Religion, Culture et Société » – EA 7403

Introduction
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De toute évidence, l’exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini
du pape Benoît XVI, publiée le 30 septembre 2010 à la suite du synode tenu
à rome à l’automne 2008, constitue un grand document du magistère romain1.
Or en présentant l’église comme « la demeure de la Parole », Verbum Domini
désigne la spécificité de la proclamation liturgique des écritures :
En considérant l’église comme « la demeure de la Parole », on doit avant
tout prêter attention à la sainte Liturgie. c’est vraiment le lieu privilégié où
Dieu nous parle dans notre vie actuelle, où il parle aujourd’hui à son peuple
qui écoute et qui répond. chaque action liturgique est par nature nourrie par
les saintes écritures2.
Le  lien  décisif  entre  liturgie  et  Parole  de  Dieu  avait  certes  déjà  été
affirmé la constitution conciliaire sur la liturgie :

1.  Exhortation  apostolique  post-synodale  Verbum Domini du  pape  Benoît  XVI  aux
évêques, au clergé, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs sur la parole de Dieu dans
la vie et dans la mission de l’église (30 septembre 2010), texte original latin disponible sur
le site du Vatican (nous utilisons cette version électronique) ; tr. fr. : BEnOît XVI, La Parole
du Seigneur. Exhortation apostolique, Paris, Bayard – Fleurus-Mame – cerf, 2010, désormais
cité BEnOît XVI, Verbum Domini.
2. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 52.

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DOSSIER

Dans  la  célébration  de  la  liturgie,  la  sainte  écriture  a  une  importance
extrême.  c’est  d’elle  que  sont  tirés  les  textes  qu’on  lit  et  que  l’homélie
explique, ainsi que les psaumes que l’on chante ; c’est sous son inspiration
et sous son impulsion que les prières, les oraisons et les hymnes liturgiques
ont jailli, et c’est d’elle que les actions et les symboles reçoivent leur signifi-
cation3.
Mais si la liturgie est bien le « lieu privilégié » de la Parole, c’est en effet
d’abord parce que la proclamation liturgique des saintes écritures est bien
plus  qu’un  «  enseignement  » :  elle  une  manifestation  privilégiée  de  la
présence  du  christ  qui  parle  à  son  Peuple  comme  l’affirme  aussi
Sacrosanctum Concilium : « Il est là présent dans sa parole, car c’est lui qui
parle tandis qu’on lit dans l’église les saintes écritures »4. Et c’est dans cette
dynamique qu’au début de l’exhortation apostolique, Benoît XVI souligne
que le synode ne fut pas seulement un lieu de réflexion mais « une profonde
expérience de rencontre avec le christ, Verbe du Père, qui est présent là où
deux ou trois sont réunis en son nom (cf. Mt 18,20) »5.
cependant, il convient de souligner aussitôt que cette manifestation de
la présence du christ dans sa Parole n’est pas limitée à la seule célébration
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liturgique. si celle-ci est certes le « lieu privilégié » où Dieu « parle dans
notre vie actuelle »6, elle met à l’écoute d’un Dieu qui parle aussi au-delà
de la liturgie : dans la vie quotidienne, dans la méditation personnelle des
écritures  (lectio divina),  dans  la  rencontre  des  frères  et  notamment  des
pauvres, mais encore dans ces événements que Jean XXIII désignait par
l’expression « les signes des temps ».
Dans l’ensemble de l’exhortation, le numéro 56 revêt une importance
particulière pour le liturgiste, car il affirme le principe de « la sacramenta-
lité de la Parole », ce qui comme tel n’avait jamais été exprimé aussi claire-
ment. On notera aussitôt que Verbum Domini vise l’acte spécifique de la
proclamation  des  écritures  dans  l’assemblée  liturgique,  un  acte  qui  fait
advenir la Parole de Dieu dans la célébration. En effet note Benoît XVI :

3.  cOncILE VAtIcAn II,  constitution  sur  la  liturgie,  nº  24,  qui  ajoute  « Aussi,  pour
procurer la restauration, le progrès et l’adaptation de la liturgie, il faut promouvoir ce goût
savoureux et vivant de la sainte écriture dont témoigne la vénérable tradition des rites aussi
bien orientaux qu’occidentaux ».
4. Ibid., nº 7.
5. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 1.
6. Ibid., nº 52.

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sAcrAMEntALIté DE LA PArOLE Et LIturgIE DEs hEurEs

La sacramentalité de la Parole se comprend alors par analogie à la présence
réelle  du  christ  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin  consacrés.  En  nous
approchant  de  l’autel  et  en  prenant  part  au  banquet  eucharistique,  nous
communions réellement au corps et au sang du christ. La proclamation de
la Parole de Dieu dans la célébration implique la reconnaissance que le christ
lui-même est présent et s’adresse à nous pour être écouté7.
certes Benoît XVI prend soin de faire remarquer qu’il ne s’agit pas d’une
nouveauté absolue en renvoyant à la constitution conciliaire sur la liturgie8,
au  Catéchisme de l’Église catholique9 et  à  l’encyclique  Fides et ratio
(14 septembre 1998) de Jean-Paul II10. certes encore, on peut dire que ceci
fait partie des marques de la recherche théologique récente : parmi d’autres
théologiens11, on peut relever ici en particulier, qu’on retrouve ici l’un des
axes majeurs de la contribution de Louis-Marie chauvet au renouveau de la
théologie sacramentaire12. On peut relever d’ailleurs que Verbum Domini
reprend à sa manière l’une des approches du professeur parisien qui avait
emprunté aux sciences humaines la catégorie de « performativité »13 :
En  rappelant  le  caractère  performatif  de  la  Parole  de  Dieu  dans  l’action
sacramentelle et l’approfondissement de la relation entre la Parole et l’Eucha-
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ristie, nous sommes conduits à poursuivre avec un thème important, relevé
durant l’Assemblée du synode, concernant la sacramentalité de la Parole.

7. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 56.


8. La note [198] renvoie au nº 7 de la constitution Sacrosanctum Concilium ; cf. ci-dessus,
note 4.
9. cf. note [197] qui renvoie à Catéchisme de l’Église catholique, nº 1373-1374.
10. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 56 : « À ce propos, il est utile de rappeler que le Pape
Jean-Paul II avait fait référence à “la perspective sacramentelle de la révélation et, en particu-
lier, au signe eucharistique dans lequel l’unité indivisible entre la réalité et sa signification
permet de saisir la profondeur du Mystère” » ; la note [196] renvoie à Fides et ratio, nº 13.
11. Voir par ex. Edward schILLEBEEcKX, L’économie sacramentelle du salut. Réflexion
théologique sur la doctrine sacramentaire de saint Thomas, à la lumière de la tradition et
de la problématique sacramentaire contemporaine, Fribourg, éditions Academic Press –
éditions saint Paul, 2004; cf. Marc-Antoine BêchétOILLE, « Les sacrements: gestes et paroles
de  la  foi.  L’hylémorphisme  sacramentel  chez  Edward  schillebeeckx  »,  La Maison-Dieu,
nº 277, 2014, p. 141-176 ; Karl rAhnEr, Kirche und Sakramente, herder Verlag, 1960 ; tr. fr.
Église et sacrements, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « quaestiones disputatae », 1970.
12. Louis-Marie chAuVEt, Symbole et sacrement. Une relecture sacramentelle de l’exis-
tence chrétienne, Paris, cerf, coll. « cogitatio fidei », nº 144, 1987, ch. VI, « Le rapport
écriture/sacrement  »,  p.  195-232,  spécialement  III  «  La  sacramentalité  de  l’écriture  »,
p. 218-232 ; ID., Le corps, chemin de Dieu. Les sacrements, Paris, Bayard, coll. « theologia »,
2010, « Parole et sacrement », p. 105-130.
13. cf. John Langshaw AustIn, How To Do Things With Words, Oxford, clarendon, 1962;
tr. fr. Quand dire, c’est faire, Paris, seuil, 1970.

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DOSSIER

[…] De là, nous comprenons que le Mystère de l’Incarnation est vraiment
à l’origine de la sacramentalité de la Parole de Dieu : « le Verbe s’est fait
chair  »  (Jn  1,14),  la  réalité  du  mystère  révélé  nous  est  offerte  dans  la
« chair » du Fils14.
L’horizon de l’affirmation plonge d’ailleurs des racines dans la doctrine
sacramentelle  classique  dans  la  mesure  où  la  proclamation  est  présentée
comme un « signe » qui opère ce qu’il signifie :
La Parole de Dieu se rend perceptible à la foi par le « signe » des paroles et
des gestes humains. La foi, donc, reconnaît le Verbe de Dieu, en accueillant
les  gestes  et  les  paroles  par  lesquels  il  se  présente  lui-même  à  nous.  La
perspective  sacramentelle  de  la  révélation  indique,  par  conséquent,  la
modalité  historico-salvifique  par  laquelle  le Verbe  de  Dieu  entre  dans  le
temps  et  l’espace,  devenant  l’interlocuteur  de  l’homme,  qui  est  appelé  à
accueillir dans la foi le don qui lui est fait15.
Il  n’est  pas  sans  importance  de  relever  que  Benoît  XVI  rappelle
également le caractère traditionnel de l’affirmation en s’appuyant sur saint
Jérôme pour qui « le corps du christ et son sang sont vraiment la Parole de
l’écriture, c’est l’enseignement de Dieu » et c’est pourquoi « quand nous
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écoutons la Parole de Dieu, c’est la Parole de Dieu et la chair du christ et
son sang qui tombent dans nos oreilles »16.
toutefois, pour ne pas trop presser l’affirmation, il convient de ne pas
oublier le caractère analogique de la présence du christ dans la Parole :
Le christ, réellement présent dans les espèces du pain et du vin, est présent
analogiquement dans la Parole proclamée dans la liturgie. Approfondir le
sens  de  la  sacramentalité  de  la  Parole  de  Dieu,  peut  donc  favoriser  une
compréhension plus unifiée du mystère de la révélation se réalisant « par des

14. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 56.


15. Ibid.
16. Ibid. : « sur l’attitude à avoir aussi bien envers l’Eucharistie qu’envers la Parole
de Dieu, saint Jérôme affirme : “nous lisons les saintes écritures. Je pense que l’évangile
est le corps du christ ; je pense que les saintes écritures sont son enseignement. Et quand
il dit : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang
(Jn 6,53), ses paroles se réfèrent au Mystère [eucharistique], toutefois, le corps du christ
et son sang sont vraiment la Parole de l’écriture, c’est l’enseignement de Dieu. quand nous
nous  référons  au  Mystère  [eucharistique]  et  qu’une  miette  de  pain  tombe,  nous  nous
sentons perdus. Et quand nous écoutons la Parole de Dieu, c’est la Parole de Dieu et la chair
du christ et son sang qui tombent dans nos oreilles, et nous nous pensons à autre chose.
Pouvons-nous imaginer le grand danger que nous courons ?” » [In Psalmum 147, CCL 78,
337-338].

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actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles », qui profitera à la
vie spirituelle des fidèles et à l’action pastorale de l’église17.
Dans  cet  article  après  avoir  rappelé  comment  les  liturgistes  ont  reçu
l’exhortation  apostolique  de  Benoît  XVI,  nous  voudrions  prolonger  la
réflexion  sur  la  «  sacramentalité  de  la  Parole  »  en  vue  d’approfondir  la
signification de la liturgie des heures dans la vie de l’église. Il convient en
premier  lieu  de  répondre  à  deux  questions :  pourquoi  la  proclamation
liturgique des écritures est-elle une manifestation spécifique de la puissance
de la Parole à l’œuvre dans la vie de l’église ? Et pourquoi la liturgie des
heures offre-t-elle une forme essentielle de la liturgie de la Parole ?

Le statut privilégié de la proclamation de la parole dans la liturgie


comme  le  souligne  Benoît  XVI,  le  privilège  de  la  liturgie  est  de
manifester  que  Dieu  «  parle  aujourd’hui  à  son  peuple  qui  écoute  et  qui
répond »18. Et c’est la dimension pneumatologique qui constitue le véritable
fondement de cette spécificité :
En  effet,  «  la  célébration  liturgique  devient  elle-même  une  proclamation
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continue, pleine et efficace de la Parole de Dieu. c’est pourquoi, la Parole
de  Dieu,  assidûment  proclamée  dans  la  liturgie  est  toujours  vivante  et
efficace par la puissance de l’Esprit saint, et manifeste l’amour agissant du
Père qui ne cesse jamais d’agir pour tous les hommes »19.
Et  Benoît  XVI  n’hésite  pas  à  affirmer  non  seulement,  que  c’est  le
seigneur lui-même qui parle tandis qu’on proclame dans l’assemblée les
saintes écritures20, mais que cette proclamation liturgique comporte une
réelle  efficacité  et  revêt  donc  une  véritable  dimension  sacramentelle,  si
l’on tient avec la doctrine classique en ce domaine, que le sacrement est un
signe qui opère un don de grâce :

17. Ibid., qui renvoie sur ce point à cOncILE VAtIcAn II, constitution dogmatique sur la


révélation divine Dei Verbum, nº 2.
18. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 52.
19. Ibid., qui renvoie à Présentation générale du Lectionnaire romain (PGLR), nº 4, dans
AssOcIAtIOn éPIscOPALE LIturgIquE POur LEs PAys FrAncOPhOnEs (AELF), Découvrir le
lectionnaire romain. Présentation générale du Lectionnaire romain incluse dans son intégra-
lité, Paris, AELF – Mame – Magnificat, 2014, p. 23 ; on peut souligner combien le texte
pontifical s’inspire de ce grand texte de la réforme liturgique de Vatican II, qui traduit pour
la liturgie le meilleur de la doctrine conciliaire sur la Parole de Dieu.
20. cf. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 7.

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DOSSIER

L’église a toujours été consciente que durant l’action liturgique, la Parole de
Dieu  est  accompagnée  par  l’action  intime  de  l’Esprit  saint  qui  la  rend
efficace dans les cœurs des fidèles. En fait, c’est grâce au Paraclet que « la
Parole de Dieu devient le fondement de l’action liturgique, la règle et le
support de toute la vie. L’œuvre de l’Esprit saint […] suggère au cœur de
chacun tout ce qui, dans la proclamation de la Parole de Dieu, est prononcé
pour l’assemblée des fidèles dans son ensemble ; et tandis qu’elle renforce
l’unité  de  tous,  elle  ravive  aussi  la  diversité  des  charismes  et  pousse  à
l’action sous des formes multiples »21.
La liturgie de la Parole est donc une épiphanie du grand dialogue qui sous-
tend la foi chrétienne comme Alliance, ce que le concile Vatican II a magnifi-
quement  exprimé  au  début  du  premier  chapitre  de  la  constitution  Dei
Verbum :  dans  la  révélation  chrétienne,  Dieu  se  révèle  comme  celui  qui
s’adresse aux hommes « comme à des amis », et surtout que cet entretien est
communion, dans la mesure où Dieu invite « à partager sa propre vie »22. Plus
encore, par l’action de l’Esprit-saint, toute liturgie de la Parole accomplit à
sa manière l’œuvre du salut comme il en va de la liturgie eucharistique elle-
même : la manifestation de la personne du christ qui parle est inséparable de
celle du christ qui sauve en livrant sa propre vie, ce sacrifice définitif qui
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réalise  le  dessein  de  Dieu  pour  l’humanité.  L’action  eucharistique  et  la
liturgie de la Parole constituent ainsi les deux faces inséparables du mystère
du salut qui s’accomplit par l’Esprit dans la liturgie23.

La liturgie des heures : la liturgie de la parole au quotidien


Verbum Domini souligne que la liturgie des heures (appelée également
« office divin », opus Dei) constitue une « forme privilégiée d’écoute de la

21. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 52, qui renvoie à renvoie à Présentation générale


du Lectionnaire romain (PGLR), nº 9 dans AELF, Découvrir le lectionnaire romain, op. cit.,
p. 27.
22. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la révélation, Dei verbum, nº 2 : « Il a plu à Dieu,
dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler en personne et de faire connaître le mystère de sa
volonté (cf. ép 1,9) […]. Par cette révélation, le Dieu invisible (cf. col 1,15 ; 1 tm 1,17)
s’adresse aux hommes en son surabondant amour comme à des amis (cf. Ex 33,11 ; Jn 15,14-
15), il s’entretient avec eux (cf. Ba 3,38) pour les inviter et les admettre à partager sa propre
vie ».
23. cf. à propos de la messe, cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 56 : « Les
deux parties qui constituent en quelque sorte la messe, c’est-à-dire la liturgie de la parole et
la liturgie eucharistique, sont si étroitement unies entre elles qu’elles constituent un seul acte
de culte ».

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sAcrAMEntALIté DE LA PArOLE Et LIturgIE DEs hEurEs

Parole  de  Dieu  parce  qu’elle  met  en  contact  les  fidèles  avec  l’écriture
sainte et avec la tradition vivante de l’église »24.
Bien sûr on pourrait objecter que ce type de célébration est trop rarement
proposé aux fidèles pour qu’un tel énoncé n’ait d’autre valeur que celle d’une
affirmation de principe, voire celle d’un de ces vœux pieux qui restent sans
impact  sur  le  réel25.  Plus  encore,  il  est  assez  fréquent  d’entendre  que  la
liturgie des heures est trop complexe pour pouvoir constituer aujourd’hui
une véritable proposition pour le peuple chrétien. Les représentations d’un
passé  où  l’office  divin  apparaissait  avant  tout  comme  l’obligation,  voire
l’apanage exclusif des clercs et de certains religieux, demeurent prégnantes
dans les mentalités26.
Dès lors, qu’il y ait dans la liturgie des heures « l’une des fonctions
principales de l’église » et ceci, parce qu’elle est « prière de l’église avec
le christ et adressée au christ »27 demeure très peu perçu. De même, que
l’office divin soit non seulement la liturgie quotidienne des chrétiens, mais
avec  l’Eucharistie  (et  les  sacrements)  la  source  fondamentale  de  la  vie
spirituelle, continue de faire figure d’utopie28. tout au plus, concédera-
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t-on  que  cette  forme  liturgique  convient  aux  prêtres,  religieux  et
religieuses29 et éventuellement à certaines catégories spécifiques de fidèles.

24. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 62, qui renvoie à la proposition nº 19 de l’assem-


blée synodale.
25. On notera cependant que des sessions organisées par le snPLs, des publications sur
les  psaumes  et  avant  tout  le  travail  de  promotion  mené  par  la  revue  Magnificat ont  fait
connaître les ressources de cette forme liturgique.
26. Pour l’histoire de la séparation entre liturgie des heures et peuple chrétien, voir
Aimé georges MArtIMOrt, L’Église en prière, t. IV, La liturgie et le temps, éd. nouvelle,
Paris,  Desclée,  1983,  section  III  «  La  prière  des  heures  »,  p.  167-293,  spécialement
p. 197-201.
27. Présentation générale de la liturgie des Heures (en abrégé PGLH), nos 1 et 2 dans
cEntrE nAtIOnAL DE PAstOrALE LIturgIquE,  Prière du temps présent : comment s’y
retrouver ?, Paris, cerf – Desclée – Desclée de Brouwer – Mame, 1991, 1999, p. 114-
115.
28. Il arrive même que l’on tienne ceux qui reprennent sur ce point l’enseignement même
de l’église, pour des rêveurs en décalage par rapport aux réalités ; cf. robert tAFt, La liturgie
des Heures en orient et en occident. origine et sens de l’office divin,  trad.  georges
Passelecq, turnhout, Brepols, coll. « Mysteria », nº 2, 1991, qui dans l’avant-propos p. 5, cite
J. D. crichton : « L’église professe une doctrine élevée sur l’office divin. Mais sa pratique
se maintient à un niveau très bas ».
29. Il est fréquent alors de souligner que pour eux, il s’agit d’ailleurs d’une obligation,
qui pour la vie religieuse est réglée par les règles ou constitutions des ordres et congrégations.

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DOSSIER

Dans un tel contexte, on peut comprendre que Benoît XVI ait estimé
nécessaire de rappeler encore une fois, avec vigueur, la valeur et l’impor-
tance de la liturgie des heures :
On doit avant tout rappeler la dignité théologique et ecclésiale de cette prière.
En effet, « dans la liturgie des heures, l’église, exerçant la fonction sacerdo-
tale de son chef, offre à Dieu “incessamment” (1 th 5,17) le sacrifice de
louange, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui confessent son nom (cf. he 13,15).
cette prière est “la voix de l’épouse elle-même qui s’adresse à son époux ;
et  mieux  encore,  c’est  la  prière  du  christ  que  celui-ci,  avec  son  corps,
présente au Père” »30.
On remarquera que cette affirmation de la valeur de l’office divin part de
son analogie avec l’eucharistie et fait fonctionner trois lignes interprétatives.
En premier lieu, dans et par la liturgie des heures, l’église (et donc le corps
des fidèles du christ structuré par les ministères) exerce la fonction sacerdo-
tale du christ. évidemment ceci est de grande portée, au regard de l’ensei-
gnement  de  Vatican  II  qui,  par  une  approche  renouvelée  du  mystère
liturgique, a refondé l’unité de la liturgie et des sacrements, précisément à
partir de l’action commune du christ et de l’église31 :
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c’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la
fonction sacerdotale de Jésus christ, exercice dans lequel la sanctification de
l’homme  est  signifiée  par  des  signes  sensibles  et  réalisée  d’une  manière
propre à chacun d’eux, et dans lequel le culte public intégral est exercé par le
corps mystique de Jésus christ, c’est-à-dire par le chef et par ses membres32.
D’une certaine manière, ceci fait passer au second plan et même constitue
une réelle prise de distance avec la distinction classique qui plaçait l’office
divin  dans  la  catégorie  des  sacramentaux  et  donc  ipso facto en  position
seconde par rapport aux sacrements en général et à l’eucharistie en particu-
lier. si le statut de la liturgie des heures a été longtemps soutenu par la
discipline ecclésiastique (pour les diacres et les prêtres, le bréviaire était sous
le régime de « l’obligation »)33, Vatican II et ici à sa suite Verbum Domini

30. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 62, qui renvoie à PGLH, nº 15.


31. cf. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 2.
32.  cOncILE VAtIcAn II,  constitution  sur  la  liturgie,  nº  7 ;  cf.  PIE XII,  Encyclique
Mediator Dei, 1947, Acta Apostolicae Sedis, vol. 39, 1947, p. 528.
33. Codex Iuris Canonici, 1917, c. 135 : « Les clercs des ordres majeurs, à l’exception
de ceux que visent les can. 213-214, sont tenus par l’obligation de réciter entièrement chaque
jour  les  heures  canoniques,  conformément  à  leurs  propres  livres  liturgiques,  dûment
approuvés ».

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sAcrAMEntALIté DE LA PArOLE Et LIturgIE DEs hEurEs

renouvellent en profondeur la problématique classique en ce domaine : la
valeur de la liturgie des heures repose sur la nature de la liturgie elle-même
comme mémorial actualisant de l’œuvre salvifique du christ.
En second lieu, et en l’appuyant sur l’épître aux hébreux, Benoît XVI
souligne la dimension sacrificielle de l’office divin qui est « le sacrifice de
louange,  c’est-à-dire  le  fruit  des  lèvres  qui  confessent  son  nom  »34.  une
certaine apologétique antiprotestante avait conduit à souligner si fortement
le lien entre la messe et le sacrifice du christ sur la croix, que sans être bien
sûr  oublié,  le  caractère  sacrificiel  de  la  liturgie  des  heures  apparaissait
comme  une  sorte  d’image  valorisant  parfois  son  caractère  coûteux35.  Là
encore sans rien enlever à la valeur éminente de la messe, cette notation
désigne la continuité profonde de ces deux actes liturgiques. sans la liturgie
des heures, la vie eucharistique risque d’être privée de cet horizon de la
Pâque du christ qui transforme la croix en sacrifice de louange, conformé-
ment au Psaume 39 que la liturgie chante notamment durant la semaine
sainte en y reconnaissant la voix du seigneur Jésus :
tu ne voulais ni offrande ni sacrifice tu as ouvert mes oreilles ;
tu ne demandais ni holocauste ni victime alors j’ai dit : « Voici, je viens. »
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Dans le livre est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse.
Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles.
Vois, je ne retiens pas mes lèvres, seigneur, tu le sais.
J’ai dit ton amour et ta vérité à la grande assemblée36.
Enfin, et sur ce point l’exhortation apostolique reprend l’enseignement
de  Sacrosanctum Concilium sur  l’office  divin,  il  s’agit  de  «  la  voix  de

34. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 62 : cf. he 13,15.


35. cf. Règle de saint Benoît, ch. 16 « nous ferons comme l’a dit le prophète : “sept fois
le jour, j’ai chanté tes louanges”. nous remplirons ce nombre sacré de sept, si nous nous
acquittons des devoirs de notre service (nostrae servitutis officia persolvamus) à Laudes,
Prime, tierce, sexte, none, Vêpres et complies » ; ch. 50 (à propos des moines en voyage),
Benoît parle de l’office, comme « travail pénible de notre servitude » (servitutis pensum).
36. Psaume 39,7-11 ; cf. he 10,5-10 : « Aussi, en entrant dans le monde, le christ dit : tu
n’as  voulu  ni  sacrifice  ni  offrande,  mais  tu  m’as  formé  un  corps.  tu  n’as  pas  agréé  les
holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu,
pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre. Le christ commence donc par
dire : tu n’as pas voulu ni agréé les sacrifices et les offrandes, les holocaustes et les sacrifices
pour le péché, ceux que la Loi prescrit d’offrir. Puis il déclare : Me voici, je suis venu pour
faire ta volonté. Ainsi, il supprime le premier état de choses pour établir le second. Et c’est
grâce à cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l’offrande que Jésus christ a faite de
son corps, une fois pour toutes ».

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DOSSIER

l’épouse elle-même qui s’adresse à son époux »37, et en même temps la
prière que le christ tête du corps, présente au Père. conformément au dogme
christologique de chalcédoine, la liturgie des heures conjugue et distingue
deux approches du mystère. Avec la figure du corps, elle insiste sur l’unité
entre le christ et son église alors qu’avec l’image nuptiale, elle souligne la
distinction entre le christ-époux et l’église-épouse. cette dimension nuptiale
de l’office divin manifeste l’union du christ et de l’église que réalise toute
célébration  liturgique,  mais  bien  sûr  au  plus  haut  point  la  célébration
eucharistique. Or comme le souligne encore le concile, parler ainsi c’est
mettre en lumière l’efficacité de cette forme de célébration de la Parole, une
efficacité qui lui vient du mystère du christ :
Par conséquent, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du christ prêtre
et de son corps qui est l’église, est l’action sacrée par excellence dont nulle
autre  action  de  l’église  ne  peut  atteindre  l’efficacité  au  même  titre  et  au
même degré38.
Même si la redécouverte plénière de la place de la liturgie des heures
dans la vie de l’église semble encore un long chemin qui reste à parcourir,
l’enseignement du magistère catholique récent sur ce point est donc très
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clair : depuis Vatican II, il souligne constamment que la liturgie des heures
est « l’office de l’église »39, et qu’il faut en favoriser la célébration40 et ceci,
pour la raison essentielle qu’il s’agit de la prière quotidienne du peuple de
Dieu :
Dans  la  liturgie  des  heures,  prière  publique  de  l’église,  apparaît  l’idéal
chrétien  de  sanctification  de  toute  la  journée,  rythmée  par  l’écoute  de  la

37. cf. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 85.


38. Ibid., nº 7.
39. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 62 : « À ce sujet, le concile Vatican II avait affirmé :
“tous ceux qui assurent cette charge accomplissent l’office de l’église et, en même temps,
participent  de  l’honneur  suprême  de  l’épouse  du  christ,  parce  qu’en  s’acquittant  des
louanges divines, ils se tiennent devant le trône de Dieu au nom de la Mère église” » ; la note
renvoie à cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium,
nº 85.
40. Ibid., « Le synode a exprimé le désir de voir se diffuser plus largement dans le Peuple
de Dieu ce genre de prière, surtout la récitation des Laudes et des Vêpres. un tel dévelop-
pement ne pourra que faire grandir parmi les fidèles la familiarité avec la Parole de Dieu. On
doit souligner aussi la valeur de la Liturgie des heures prévue pour les premières Vêpres du
dimanche  et  des  solennités,  notamment  dans  les  églises  catholiques  orientales.  c’est
pourquoi je recommande que, là où c’est possible, les paroisses et les communautés de vie
religieuse favorisent cette prière en y associant les fidèles ».

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Parole de Dieu et par la prière des psaumes, si bien que toute activité trouve
son point de référence dans la louange offerte à Dieu41.
On  ne  saurait  trop  insister  sur  le  fait  que  la  place  de  la  liturgie  des
heures comme chemin quotidien du chrétien est inséparablement liée aux
psaumes, car précisément, c’est grâce aux psaumes que toute la vie humaine
est assumée dans le christ et donc intégrée dans l’Alliance comme l’exprime
avec force Verbum Domini. D’une part, Benoît XVI relève comment les
psaumes (qui constituent la trame fondamentale de l’office divin) donnent
« forme » au grand dialogue entre Dieu et son peuple, puisque « le Dieu qui
parle, nous apprend comment nous pouvons parler avec Lui » et que dans
le livre des Psaumes, « Dieu nous donne les paroles avec lesquelles nous
pouvons nous adresser à Lui ». Et ce colloque avec Dieu transforme « la vie
même  en  un  mouvement  vers  Dieu  »  de  telle  sorte  que  «  la  parole  que
l’homme adresse à Dieu devient à son tour Parole de Dieu, confirmant le
caractère de dialogue de toute la révélation chrétienne »42. Mais il souligne
aussi que les psaumes assument l’intégralité de la vie humaine et à ce titre
la liturgie des heures est bien le sacrifice spirituel que l’apôtre Paul désigne
dans l’épître aux romains43 :
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Dans les Psaumes, en effet, nous trouvons toute la gamme des sentiments que
l’homme  peut  éprouver  dans  son  existence  et  qui  prennent  place  avec
sagesse devant Dieu : joie et douleur, angoisse et espérance, peur et anxiété
trouvent  ici  leur  expression.  […]  L’existence  tout  entière  de  l’homme
devient, dans cette perspective, un dialogue avec Dieu qui parle et écoute,
qui appelle et engage notre vie. La Parole de Dieu révèle que toute l’exis-
tence de l’homme se situe dans le champ de l’appel divin44.

41. Ibid., qui précise: « ceux qui sont tenus par leur état de vie à la récitation de la Liturgie
des  heures  doivent  vivre  cet  engagement  en  faveur  de  toute  l’église.  Les  évêques,  les
prêtres et les diacres ordonnés en vue du sacerdoce, qui ont reçu de l’église la mission de la
célébrer, ont l’obligation d’acquitter chaque jour toutes les heures [CIC, cc. 276 § 3 ; 1174
§ 1]. […] En outre, je recommande aux communautés de vie consacrée d’être exemplaires
dans la célébration de la Liturgie des heures, au point de constituer une référence et une source
d’inspiration pour la vie spirituelle et pastorale de toute l’église ».
42. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 24.
43. cf. rm 12,1 : « Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter
votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu :
c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte » ; sur ce thème voir Benoît XVI,
audience du 7 janvier 2009 sur « le culte que les chrétiens doivent rendre à Dieu dans la pensée
de saint Paul », sur http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2009/documents/
hf_ben-xvi_aud_20090107.html (consulté le 11 février 2018).
44. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 24 ; cf. PGLH, nº 107 : « En s’appliquant au sens
littéral des psaumes, celui qui les chante s’attache à leur importance pour la vie humaine des 

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DOSSIER

un document salué par les liturgistes


On ne s’étonnera donc pas que des liturgistes aient salué ce document qui
a fait notamment l’objet d’une lecture croisée dans la revue La Maison-Dieu
de la part de deux liturgistes, l’un catholique, le professeur Martin Klöckener,
titulaire de la chaire de liturgie à l’université de Fribourg, suisse45 et l’autre
réformé, le professeur émérite Bruno Bürki46.
Martin Klöckener note en premier lieu que le missel en langue allemande
comporte après les lectures non évangéliques, l’acclamation « Parole du Dieu
vivant »47. cette formule liturgique souligne à sa manière qu’il s’agit de la
Parole d’un Dieu qui agit dans la communauté et se révèle à travers cette
Parole, comme « le Vivant qui conduit son peuple en chemin »48. La Parole
en liturgie est non seulement un discours qui par la médiation du lecteur se
présenterait comme une parole adressée. Il s’agit bien plutôt d’une Parole
vivante qui « fait » l’église en tant qu’elle est la communauté qui se reçoit
d’un Dieu vivant qui lui parle. On retrouve ici la grande intuition du jésuite
henri  de  Lubac  qui  est  à  la  source  d’une  formule  érigée  en  adage
fondamental pour la réflexion en théologie sacramentaire : « c’est l’église
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qui fait l’Eucharistie, mais c’est aussi l’Eucharistie qui fait l’église ». On
pourrait transposer : « si l’église annonce la Parole, c’est la Parole qui fait
l’église  ».  Mais  pour  comprendre  correctement  ce  «  faire  église  »,  il

croyants. Il est certain, en effet, que chaque psaume a été composé dans des circonstances
particulières, que les titres qui les précèdent dans le psautier hébraïque cherchent à évoquer.
Mais quoi qu’il en soit de son origine historique, chaque psaume a un sens littéral que, même
à notre époque, nous ne pouvons pas négliger. Et bien que ces poèmes soient nés en Orient
il y a de nombreux siècles, ils expriment bien les douleurs et l’espérance, la misère et la
confiance des hommes de toute époque et de toute région, et, surtout, ils chantent la foi en
Dieu, ainsi que la révélation et la rédemption ».
45.  Martin  KLöcKEnEr,  «  Bible  et  liturgie :  leur  relation  réciproque  dans  Verbum
Domini », La Maison-Dieu, nº 274, 2013, p. 17-51.
46. Bruno BürKI, « Verbum Domini, la Parole de Dieu », La Maison-Dieu, nº 274, 2013,
p. 53-81.
47. « Wort des lebendigen Gottes » ; voir Die Feier der heiligen Messe. Messbuch für
die Bistümer des deutschen Sprachgebietes. Authentische Ausgabe für den liturgischen
Gebrauch. Kleinausgabe. Das Messbuch deutsch für alle Tage des Jahres, Einsiedeln –
ratisbonne (e.a.), Benziger – Pustet, 2e éd., 1988, p. 334 ; la version française du Missel
romain oriente la réponse de l’assemblée dans une autre direction : « nous rendons gloire
à Dieu ».
48.  cf.  le  célèbre  chant  Ein Haus voll Glorie schauet (Gotteslob,  nº  639)  dont  la
cinquième strophe, se référant à l’église « Peuple de Dieu en chemin » de Lumen Gentium
(Lg 6, 8 etc.), commence par : « Sein wandernd Volk will leiten / der Herr in dieser Zeit »
(« c’est son peuple en chemin / que veut conduire le seigneur en ce temps »).

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convient de ne jamais perdre de vue sa dimension eschatologique essentielle
comme le précise encore h. de Lubac : « Et par cette mystérieuse interac-
tion, c’est le corps mystique, en fin de compte, qui se construit, dans les
conditions de la vie présente, jusqu’au jour de son achèvement »49.
En historien des institutions liturgiques, M. Klöckener relève par ailleurs
que la lecture de l’écriture dans la liturgie fut considérée comme « critère dans
le processus de formation du canon ». ceci constitue à ses yeux « un défi pour
la théologie et pour la vie ecclésiale contemporaine », car si c’est « dans la
liturgie que l’écriture sainte trouve sa première place dans la vie de l’église »,
« cette relation fondatrice » se cherche encore50. Il analyse également « le
déclin de la proclamation de l’écriture dans la liturgie et sa revalorisation par
l’église lors du concile Vatican II »: « à partir du Moyen Âge, il n’existe plus
de  proclamation,  au  sens  strict  du  terme,  faite  à  toute  la  communauté  à
l’intérieur de la liturgie »51. ce constat sur l’histoire des pratiques éclaire en
creux l’affirmation de Dei Verbum 21 que « l’église a toujours vénéré les
divines écritures » : cette formule n’est pas à comprendre comme un constat
historique mais comme un principe théologique52. car il faut bien dire que
l’histoire des livres liturgiques manifeste elle-même un fait majeur : la place
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de la Parole de Dieu en liturgie n’a pas toujours été ce qu’elle aurait dû être !
Ainsi dans le rituel post-tridentin (1614), la plus grande partie des célébra-
tions  liturgiques,  «  ne  comprenait  aucune  lecture  scripturaire  »53.  c’est
pourquoi la réforme de Vatican II a, sur ce point, opéré une transformation
profonde (non toujours reçue) en redonnant place à la Parole de Dieu dans

49. henri de LuBAc, Méditation sur l’Église, 1re éd. 1953, rééd., Paris, cerf, Œuvres


complètes VIII, 2003, p. 113 : « tout nous invite donc à considérer les rapports de l’église
et de l’Eucharistie. De l’une à l’autre, on peut dire que la causalité est réciproque. chacune
a pour ainsi dire été confiée à l’autre par le sauveur. c’est l’église qui fait l’Eucharistie, mais
c’est aussi l’Eucharistie qui fait l’église. Dans le premier cas, il s’agit de l’église telle que
nous l’avons envisagée au sens actif, dans son pouvoir de sanctification ; dans le second cas,
il s’agit de l’église au sens passif, de l’église des sanctifiés. Et par cette mystérieuse interac-
tion, c’est le corps mystique, en fin de compte, qui se construit, dans les conditions de la vie
présente, jusqu’au jour de son achèvement ».
50.  Martin  KLöcKEnEr,  «  Bible  et  liturgie :  leur  relation  réciproque  dans  Verbum
Domini », art. cit., p. 22-27.
51. Ibid., p. 27-31, citation p. 27-28.
52. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la révélation, Dei Verbum, nº 21.
53.  Martin  KLöcKEnEr,  «  Bible  et  liturgie :  leur  relation  réciproque  dans  Verbum
Domini », art. cit., p. 30, qui renvoie à l’index de Rituale Romanum. Editio princeps (1614),
edizione anastatica, introduzione e appendice a cura di Manlio sodi – Juan Javier Flores
Arcas, cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, « Monumenta liturgica concilii triden-
tini », nº 5, 2004, p. 439.

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DOSSIER

toutes  les  actions  liturgiques  y  compris  le  Livre des bénédictions54.  En


d’autres termes, si dans le passé et pour les clercs avant tout, la liturgie des
heures fut longtemps le lieu principal du contact avec la Bible, notamment
à travers le psautier, l’église au XXe siècle a voulu que la proclamation des
écritures redevienne un élément central et essentiel de la vie liturgique.
tout en soulignant l’unité entre Parole et sacrement dans la liturgie avec
ses conséquences pour la célébration eucharistique et donc pour la nature
propre de la liturgie de la Parole dans la messe55, Martin Klöckener souligne
tout en renvoyant à Dei Verbum 21, qui ne parle pas de « deux tables », mais
« d’une seule »56, que cette affirmation de l’unité de la Parole et de l’Eucha-
ristie comprend « également, dans une certaine mesure », celle « du caractère
sacramentel des deux » car « dans cette interprétation, c’est non seulement
le corps du christ, mais aussi la Parole de Dieu, qui sont le pain de vie »57.
En mettant en dialogue Verbum Domini avec la théologie de la Parole
d’un Karl Barth, Bruno Bürki de son côté souligne combien le texte invite
à  «  ne  pas  considérer  la  Parole  de  Dieu  dans  une  isolation  quasiment
abstraite,  exclusivement  pour  elle-même  »58.  En  héritier  du  Mouvement
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liturgique qui a rejoint très souvent le mouvement œcuménique, il relève
également que les chrétiens ne sont pas des « gens du Livre » comme on a
pu le dire parfois, mais ceux qui « vivent de la divine Parole dans l’histoire

54. De benedictionibus, rome, 31 mai 1984, tr. fr. Livre des bénédictions. Rituel romain,


Paris, chalet – tardy, 1988 (ce livre ne comporte pas de table scripturaire).
55. Martin KLöcKEnEr, « Bible et liturgie: leur relation réciproque dans Verbum Domini »,
art. cit., p. 34 : « La théologie devra continuer à défendre la signification de l’unité entre Parole
et sacrement qui, pour citer encore une fois le concile, représentent “un seul acte de culte”
(sc 56). La question ne concerne pas seulement la théologie sacramentaire et la forme de
célébration liturgique, mais elle est également importante pour le dialogue œcuménique ».
56. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la révélation, Dei Verbum, nº 21 : « L’église a
toujours  vénéré  les  divines  écritures,  comme  elle  le  fait  aussi  pour  le  corps  même  du
seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur
la table de la Parole de Dieu et sur celle du corps du christ, pour l’offrir aux fidèles ».
57.  Martin  KLöcKEnEr,  «  Bible  et  liturgie :  leur  relation  réciproque  dans  Verbum
Domini », art. cit., p. 35, qui renvoie au commentaire de Joseph ratzinger sur le chap. V de
Dei Verbum (LThK.E 3, p. 571-581) : « Le texte souligne ainsi encore une fois ce qui a été
rendu évident déjà dans la constitution sur la liturgie : la liturgie de la Parole n’est pas une
avant-messe à laquelle on peut plus ou moins renoncer, mais elle se situe fondamentalement
sur le même plan que la liturgie sacramentelle au sens strict. L’église comme communauté
du corps du christ est aussi la communauté du Logos, vivant à partir de la Parole ; c’est ainsi
que “chair” et “Parole” sont les deux manières par lesquelles le “corps du christ”, de Parole
devenue chair, nous rejoint et devient notre “pain” ».
58. Bruno BürKI, « Verbum Domini, la Parole de Dieu », art. cit., p. 78.

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du salut sous l’inspiration de l’Esprit saint »59, une manière donc de dire que
la Parole de Dieu en liturgie est avant tout un mémorial. La Parole de Dieu
– qui n’est autre que Jésus christ lui-même – est liée aux actes de cette
histoire qui réalise parmi nous le salut divin. c’est pourquoi elle fait vivre
la communion ecclésiale.
Mais B. Bürki appelle surtout à une véritable vigilance quant à ce motif
de la sacramentalité de la Parole. Il relève que si « en bonne théologie », on
doit parler de « la présence actuelle du christ dans la vie de l’église » et du
fait que « l’église accueille la Parole », on ne peut oublier le fait « initial »
« d’un non-recevoir à l’égard de la Parole divine »60. Il y là une tension qui
constitue l’un des « principaux objectifs » de son étude qui entend poser la
question : « quel rapport entre l’église du christ qui est aussi assemblée
humaine, et le divin Verbe lui-même? »61. La réponse vient en conclusion sous
la forme d’une théologie de la Parole pensée à partir du mystère pascal :
La Parole de Dieu est Jésus christ dans son existence terrestre qui culmine
dans  la  croix  victorieuse  du  ressuscité.  Le  mystère  pascal  est  la  clé  de
compréhension pour l’ensemble de la Parole divine. ce mystère est alors situé
au cœur de la célébration liturgique de l’église comme de toute prédication
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chrétienne, depuis les apôtres du nouveau testament, saint Paul notamment62.
Parler de sacramentalité de la Parole dans la liturgie implique donc de ne
pas tomber dans une forme de fidéisme qui conduirait à vider le mystère de
la Parole : celle-ci est appelée à être reçue et la sacramentalité se joue dans
la structure dialogale de la liturgie.

Conclusion : Dépasser les représentations qui empêchent de penser


ce parcours manifeste la très grande richesse de l’exhortation Verbum
Domini pour la théologie sacramentaire et liturgique. Mais parce qu’en cette
matière,  les  questions  affectent  l’ensemble  du  peuple  chrétien  (et  non
seulement les théologiens), on ne peut traiter par prétérition les représenta-
tions spontanées qui informent les convictions. Ainsi trop souvent la liturgie

59. Ibid.
60. Ibid., p. 58 qui, tout en citant Jn 1,11 (« Il est venu dans son propre bien, et les siens
ne l’ont pas accueilli »), précise : « ce n’est certes pas une incrédulité exclusivement juive
qui est à déplorer, dans le quatrième évangile ».
61. Ibid.
62. Ibid., p. 80.

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de la Parole dans l’Eucharistie demeure réduite à sa dimension didactique
tandis que la problématique des « deux tables » (dont nous avons vu qu’elle
ne pouvait se recommander de Dei Verbum 21) empêche de rendre compte
de l’unité mystérique de l’action eucharistique. c’est le même mystère –
celui du christ qui s’offre en sacrifice pour sauver le monde – qui se réalise
dans les deux parties de la messe.
Mais  ces  apories  valent  surtout  pour  la  liturgie  des  heures,  dans  la
mesure où elle reste abordée comme pratique « non sacramentelle » (à la
différence de l’action eucharistique), à caractère dévotionnel ou ascétique.
Or le lien intrinsèque entre l’Incarnation et la sacramentalité de la Parole est
décisif pour penser la liturgie des heures. chanter les psaumes, c’est d’abord
faire corps par la médiation du corps propre du croyant (c’est « se tenir »)
et en même temps, c’est édifier le corps communautaire de l’assemblée qui
manifeste un Dieu qui s’est fait chair pour habiter parmi les hommes.
La liturgie des heures continue donc souvent d’apparaître comme une
observance  spécifique  de  la  vie  monastique  ou  religieuse.  certes,  c’est
l’Eucharistie qui est « source et sommet » de la vie de l’église63, mais une
concentration sur la messe comme forme liturgique quasi unique, fait que la
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dimension sacramentelle de l’office divin ne peut émerger. Il serait important
ici de rappeler une des marques fondamentales des premiers siècles chrétiens:
si le dimanche est par excellence le jour du rassemblement eucharistique64,
la prière quotidienne et donc la liturgie des heures constitue cet autre rythme
qui permet de manifester le rassemblement eucharistique dominical comme
mémorial hebdomadaire de la Pâque, tandis que la liturgie des heures est le
mémorial quotidien de l’œuvre de création et de rédemption accomplie par

63. cOncILE VAtIcAn II, constitution dogmatique sur l’église, Lumen gentium nº 11 (sur


l’exercice du sacerdoce commun dans la liturgie): « Participant au sacrifice eucharistique, source
et sommet de toute la vie chrétienne, ils offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes
avec elle ; ainsi, tant par l’oblation que par la sainte communion, tous, non pas indifféremment
mais chacun à sa manière, prennent leur part originale dans l’action liturgique. Il s’ensuit sous
une forme concrète qu’ils manifestent, ayant été renouvelés par le corps du christ au cours de
la sainte liturgie eucharistique, l’unité du Peuple de Dieu que ce grand sacrement signifie en
perfection et réalise admirablement » ; cf. aussi constitution sur la liturgie, nº 10.
64. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 106 : « L’église célèbre le mystère
pascal, en vertu d’une tradition apostolique qui remonte au jour même de la résurrection du
christ, chaque huitième jour, qui est nommé à bon droit le jour du seigneur, ou dimanche. ce
jour-là, en effet, les fidèles doivent se rassembler pour que, entendant la Parole de Dieu et
participant à l’Eucharistie, ils fassent mémoire de la passion, de la résurrection et de la gloire
du seigneur Jésus, et rendent grâces à Dieu qui les “a régénérés pour une vivante espérance
par la résurrection de Jésus christ d’entre les morts” (1 P 1,3) ».

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l’envoi du Fils65. De plus, l’absence de perception de la dimension sacrificielle
de la liturgie des heures, en tant que « sacrifice des lèvres » rend difficile d’y
reconnaître une expression du sacerdoce baptismal et du sacrifice spirituel des
chrétiens.
Mais il convient surtout de se demander si la catégorie de « présence »
lorsqu’elle est appliquée à la liturgie des heures, n’est pas une sorte de piège.
On oublie trop souvent que la notion de « présence » est analogique. La
problématique  médiévale  de  la  présence  sacramentelle,  à  savoir  que  la
présence est réalisée lors de la consécration eucharistique, c’est-à-dire par
la prononciation par le prêtre agissant in persona Christi capitis des verba
Christi, demeure le référent principal, voire absolu de la plupart des catholi-
ques. La présence est donc perçue avant tout sous le mode de la « présence
réelle » dans l’hostie consacrée, présence que l’on adore au tabernacle ou
dans l’ostensoir. Dans un tel contexte, la présence du christ dans sa Parole
et la performativité de la proclamation des écritures dans l’assemblée, si
fortement  affirmée  dans  Verbum Domini,  ne  peut  demeurer  qu’un
programme, car ces représentations courantes empêchent d’entrer vraiment
dans les perspectives théologiques ouvertes par Benoît XVI.
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Or  à  l’heure  où  les  technologies  viennent  brouiller  la  notion  de
« présence »66, il convient de souligner que dans le nº 7 de la constitution
conciliaire sur la liturgie, qui expose la doctrine des différentes modalités de
la présence du christ dans la liturgie67, c’est la deuxième partie du texte qui
fonde la première68 :

65.  ceci  se  traduit  notamment  par  le  chant  des  cantiques  évangéliques :  Benedictus
(laudes), Magnificat (vêpres) et nunc dimittis (complies).
66. On peut penser par exemple aux hologrammes qui permettent à une personne d’être
« présente » dans plusieurs lieux en même temps.
67. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 7 : « Pour l’accomplissement d’une
si grande œuvre, le christ est toujours là auprès de son église, surtout dans les actions liturgi-
ques. Il est là présent dans le sacrifice de la messe [20], et dans la personne du ministre, “le
même offrant maintenant par le ministère des prêtres, qui s’offrit alors lui-même sur la croix”
et, au plus haut degré, sous les espèces eucharistiques. Il est présent, par sa puissance, dans
les sacrements au point que lorsque quelqu’un baptise, c’est le christ lui-même qui baptise.
Il est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’église les saintes
écritures. Enfin il est là présent lorsque l’église prie et chante les psaumes, lui qui a promis :
“Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux” (Mt 18,20) ».
68. sur ce point, nous devons beaucoup au mémoire de christine VErny, « Le Christ et
l’Église dans la liturgie de la dédicace » Recherche sur la nature sponsale du lien entre le
Christ et l’Église, mémoire de master en théologie avec spécialisation en sacramentaire et
liturgie, Institut supérieur de liturgie, theologicum, Institut catholique de Paris, 2017.

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DOSSIER

Pour  l’accomplissement  d’une  si  grande  œuvre,  le  christ  est  toujours  là
auprès de son église, surtout dans les actions liturgiques. […] Effectivement,
pour l’accomplissement de cette grande œuvre par laquelle Dieu est parfai-
tement glorifié et les hommes sanctifiés, le christ s’associe toujours l’église,
son épouse bien-aimée, qui l’invoque comme son seigneur et qui, par la
médiation de celui-ci, rend son culte au Père éternel69.
L’adverbe « effectivement » qui traduit le latin « reapse », mais que l’on
pourrait aussi traduire par « en réalité » ou « au fond », tend à identifier la
présence à l’accomplissement de l’œuvre du salut actualisée dans la liturgie.
Or la présence dans la liturgie des heures ne peut être pensée sur le même
mode  que  la  présence  eucharistique.  c’est  en  effet  le  dialogue  entre  le
christ époux et l’église épouse qui rend compte de la nature spécifique de
la liturgie des heures, et c’est ce qu’exprime Sacrosanctum Concilium à
propos de l’office divin :
Lorsque cet admirable cantique de louange est accompli selon la règle par
les prêtres ou par d’autres, délégués à cela par l’institution de l’église, ou par
les fidèles priant avec le prêtre selon la forme approuvée, alors c’est vraiment
la voix de l’épouse elle-même qui s’adresse à l’époux; et mieux encore, c’est
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la prière du christ que celui-ci, uni à son corps, présente au Père70.
Dans la lumière de la sponsalité, la catégorie de présence n’a plus cette
dimension statique: elle prend la forme d’une réalité relationnelle qui fait entrer
dans une dynamique. La question est moins celle de présence du christ dans
sa Parole que celle de la convocation des fidèles à être présents à sa présence.
Il s’agit d’accueillir le christ qui chante par la voix des fidèles. ce n’est pas
d’abord le chœur des moines qui se donne à entendre mais la voix du christ.
Et  comme  on  l’a  vu  plus  haut  à  propos  des  psaumes,  les  mots  qui  sont
prononcés deviennent par l’Esprit agissant dans l’assemblée d’église, vraiment
Parole de Dieu. Ainsi, la liturgie des heures « divinise » les fidèles et fait de
l’assemblée le signe efficace de l’épouse qui s’unit au christ son époux.
En  définitive,  Verbum Domini permet  de  penser  que  l’eucharistie  et
l’office divin constituent non seulement deux formes de la liturgie, mais deux
réalités liturgiques nécessaires l’une à l’autre.
Patrick PrétOt

69. Ibid. : « Reapse tanto in opere, quo Deus perfecte glorificatur et homines sanctifi-
cantur, Christus Ecclesiam, sponsam suam dilectissimam, sibi semper consociat, quae
Dominum suum invocat et per ipsum Aeterno Patri cultum tribuit ».
70. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 84.

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