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UNE
OUVERTURE DE VERBUM DOMINI 56
Patrick Prétot
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SaCRaMENtaLItÉ DE La paROLE
Et LItuRgIE DES hEuRES
uNE OuVERtuRE DE Verbum Domini 56
Patrick PrétOt
Institut Catholique de Paris
UR « Religion, Culture et Société » – EA 7403
Introduction
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1. Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini du pape Benoît XVI aux
évêques, au clergé, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs sur la parole de Dieu dans
la vie et dans la mission de l’église (30 septembre 2010), texte original latin disponible sur
le site du Vatican (nous utilisons cette version électronique) ; tr. fr. : BEnOît XVI, La Parole
du Seigneur. Exhortation apostolique, Paris, Bayard – Fleurus-Mame – cerf, 2010, désormais
cité BEnOît XVI, Verbum Domini.
2. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 52.
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Dans la célébration de la liturgie, la sainte écriture a une importance
extrême. c’est d’elle que sont tirés les textes qu’on lit et que l’homélie
explique, ainsi que les psaumes que l’on chante ; c’est sous son inspiration
et sous son impulsion que les prières, les oraisons et les hymnes liturgiques
ont jailli, et c’est d’elle que les actions et les symboles reçoivent leur signifi-
cation3.
Mais si la liturgie est bien le « lieu privilégié » de la Parole, c’est en effet
d’abord parce que la proclamation liturgique des saintes écritures est bien
plus qu’un « enseignement » : elle une manifestation privilégiée de la
présence du christ qui parle à son Peuple comme l’affirme aussi
Sacrosanctum Concilium : « Il est là présent dans sa parole, car c’est lui qui
parle tandis qu’on lit dans l’église les saintes écritures »4. Et c’est dans cette
dynamique qu’au début de l’exhortation apostolique, Benoît XVI souligne
que le synode ne fut pas seulement un lieu de réflexion mais « une profonde
expérience de rencontre avec le christ, Verbe du Père, qui est présent là où
deux ou trois sont réunis en son nom (cf. Mt 18,20) »5.
cependant, il convient de souligner aussitôt que cette manifestation de
la présence du christ dans sa Parole n’est pas limitée à la seule célébration
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3. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 24, qui ajoute « Aussi, pour
procurer la restauration, le progrès et l’adaptation de la liturgie, il faut promouvoir ce goût
savoureux et vivant de la sainte écriture dont témoigne la vénérable tradition des rites aussi
bien orientaux qu’occidentaux ».
4. Ibid., nº 7.
5. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 1.
6. Ibid., nº 52.
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La sacramentalité de la Parole se comprend alors par analogie à la présence
réelle du christ sous les espèces du pain et du vin consacrés. En nous
approchant de l’autel et en prenant part au banquet eucharistique, nous
communions réellement au corps et au sang du christ. La proclamation de
la Parole de Dieu dans la célébration implique la reconnaissance que le christ
lui-même est présent et s’adresse à nous pour être écouté7.
certes Benoît XVI prend soin de faire remarquer qu’il ne s’agit pas d’une
nouveauté absolue en renvoyant à la constitution conciliaire sur la liturgie8,
au Catéchisme de l’Église catholique9 et à l’encyclique Fides et ratio
(14 septembre 1998) de Jean-Paul II10. certes encore, on peut dire que ceci
fait partie des marques de la recherche théologique récente : parmi d’autres
théologiens11, on peut relever ici en particulier, qu’on retrouve ici l’un des
axes majeurs de la contribution de Louis-Marie chauvet au renouveau de la
théologie sacramentaire12. On peut relever d’ailleurs que Verbum Domini
reprend à sa manière l’une des approches du professeur parisien qui avait
emprunté aux sciences humaines la catégorie de « performativité »13 :
En rappelant le caractère performatif de la Parole de Dieu dans l’action
sacramentelle et l’approfondissement de la relation entre la Parole et l’Eucha-
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[…] De là, nous comprenons que le Mystère de l’Incarnation est vraiment
à l’origine de la sacramentalité de la Parole de Dieu : « le Verbe s’est fait
chair » (Jn 1,14), la réalité du mystère révélé nous est offerte dans la
« chair » du Fils14.
L’horizon de l’affirmation plonge d’ailleurs des racines dans la doctrine
sacramentelle classique dans la mesure où la proclamation est présentée
comme un « signe » qui opère ce qu’il signifie :
La Parole de Dieu se rend perceptible à la foi par le « signe » des paroles et
des gestes humains. La foi, donc, reconnaît le Verbe de Dieu, en accueillant
les gestes et les paroles par lesquels il se présente lui-même à nous. La
perspective sacramentelle de la révélation indique, par conséquent, la
modalité historico-salvifique par laquelle le Verbe de Dieu entre dans le
temps et l’espace, devenant l’interlocuteur de l’homme, qui est appelé à
accueillir dans la foi le don qui lui est fait15.
Il n’est pas sans importance de relever que Benoît XVI rappelle
également le caractère traditionnel de l’affirmation en s’appuyant sur saint
Jérôme pour qui « le corps du christ et son sang sont vraiment la Parole de
l’écriture, c’est l’enseignement de Dieu » et c’est pourquoi « quand nous
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actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles », qui profitera à la
vie spirituelle des fidèles et à l’action pastorale de l’église17.
Dans cet article après avoir rappelé comment les liturgistes ont reçu
l’exhortation apostolique de Benoît XVI, nous voudrions prolonger la
réflexion sur la « sacramentalité de la Parole » en vue d’approfondir la
signification de la liturgie des heures dans la vie de l’église. Il convient en
premier lieu de répondre à deux questions : pourquoi la proclamation
liturgique des écritures est-elle une manifestation spécifique de la puissance
de la Parole à l’œuvre dans la vie de l’église ? Et pourquoi la liturgie des
heures offre-t-elle une forme essentielle de la liturgie de la Parole ?
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L’église a toujours été consciente que durant l’action liturgique, la Parole de
Dieu est accompagnée par l’action intime de l’Esprit saint qui la rend
efficace dans les cœurs des fidèles. En fait, c’est grâce au Paraclet que « la
Parole de Dieu devient le fondement de l’action liturgique, la règle et le
support de toute la vie. L’œuvre de l’Esprit saint […] suggère au cœur de
chacun tout ce qui, dans la proclamation de la Parole de Dieu, est prononcé
pour l’assemblée des fidèles dans son ensemble ; et tandis qu’elle renforce
l’unité de tous, elle ravive aussi la diversité des charismes et pousse à
l’action sous des formes multiples »21.
La liturgie de la Parole est donc une épiphanie du grand dialogue qui sous-
tend la foi chrétienne comme Alliance, ce que le concile Vatican II a magnifi-
quement exprimé au début du premier chapitre de la constitution Dei
Verbum : dans la révélation chrétienne, Dieu se révèle comme celui qui
s’adresse aux hommes « comme à des amis », et surtout que cet entretien est
communion, dans la mesure où Dieu invite « à partager sa propre vie »22. Plus
encore, par l’action de l’Esprit-saint, toute liturgie de la Parole accomplit à
sa manière l’œuvre du salut comme il en va de la liturgie eucharistique elle-
même : la manifestation de la personne du christ qui parle est inséparable de
celle du christ qui sauve en livrant sa propre vie, ce sacrifice définitif qui
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Parole de Dieu parce qu’elle met en contact les fidèles avec l’écriture
sainte et avec la tradition vivante de l’église »24.
Bien sûr on pourrait objecter que ce type de célébration est trop rarement
proposé aux fidèles pour qu’un tel énoncé n’ait d’autre valeur que celle d’une
affirmation de principe, voire celle d’un de ces vœux pieux qui restent sans
impact sur le réel25. Plus encore, il est assez fréquent d’entendre que la
liturgie des heures est trop complexe pour pouvoir constituer aujourd’hui
une véritable proposition pour le peuple chrétien. Les représentations d’un
passé où l’office divin apparaissait avant tout comme l’obligation, voire
l’apanage exclusif des clercs et de certains religieux, demeurent prégnantes
dans les mentalités26.
Dès lors, qu’il y ait dans la liturgie des heures « l’une des fonctions
principales de l’église » et ceci, parce qu’elle est « prière de l’église avec
le christ et adressée au christ »27 demeure très peu perçu. De même, que
l’office divin soit non seulement la liturgie quotidienne des chrétiens, mais
avec l’Eucharistie (et les sacrements) la source fondamentale de la vie
spirituelle, continue de faire figure d’utopie28. tout au plus, concédera-
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Dans un tel contexte, on peut comprendre que Benoît XVI ait estimé
nécessaire de rappeler encore une fois, avec vigueur, la valeur et l’impor-
tance de la liturgie des heures :
On doit avant tout rappeler la dignité théologique et ecclésiale de cette prière.
En effet, « dans la liturgie des heures, l’église, exerçant la fonction sacerdo-
tale de son chef, offre à Dieu “incessamment” (1 th 5,17) le sacrifice de
louange, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui confessent son nom (cf. he 13,15).
cette prière est “la voix de l’épouse elle-même qui s’adresse à son époux ;
et mieux encore, c’est la prière du christ que celui-ci, avec son corps,
présente au Père” »30.
On remarquera que cette affirmation de la valeur de l’office divin part de
son analogie avec l’eucharistie et fait fonctionner trois lignes interprétatives.
En premier lieu, dans et par la liturgie des heures, l’église (et donc le corps
des fidèles du christ structuré par les ministères) exerce la fonction sacerdo-
tale du christ. évidemment ceci est de grande portée, au regard de l’ensei-
gnement de Vatican II qui, par une approche renouvelée du mystère
liturgique, a refondé l’unité de la liturgie et des sacrements, précisément à
partir de l’action commune du christ et de l’église31 :
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renouvellent en profondeur la problématique classique en ce domaine : la
valeur de la liturgie des heures repose sur la nature de la liturgie elle-même
comme mémorial actualisant de l’œuvre salvifique du christ.
En second lieu, et en l’appuyant sur l’épître aux hébreux, Benoît XVI
souligne la dimension sacrificielle de l’office divin qui est « le sacrifice de
louange, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui confessent son nom »34. une
certaine apologétique antiprotestante avait conduit à souligner si fortement
le lien entre la messe et le sacrifice du christ sur la croix, que sans être bien
sûr oublié, le caractère sacrificiel de la liturgie des heures apparaissait
comme une sorte d’image valorisant parfois son caractère coûteux35. Là
encore sans rien enlever à la valeur éminente de la messe, cette notation
désigne la continuité profonde de ces deux actes liturgiques. sans la liturgie
des heures, la vie eucharistique risque d’être privée de cet horizon de la
Pâque du christ qui transforme la croix en sacrifice de louange, conformé-
ment au Psaume 39 que la liturgie chante notamment durant la semaine
sainte en y reconnaissant la voix du seigneur Jésus :
tu ne voulais ni offrande ni sacrifice tu as ouvert mes oreilles ;
tu ne demandais ni holocauste ni victime alors j’ai dit : « Voici, je viens. »
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l’épouse elle-même qui s’adresse à son époux »37, et en même temps la
prière que le christ tête du corps, présente au Père. conformément au dogme
christologique de chalcédoine, la liturgie des heures conjugue et distingue
deux approches du mystère. Avec la figure du corps, elle insiste sur l’unité
entre le christ et son église alors qu’avec l’image nuptiale, elle souligne la
distinction entre le christ-époux et l’église-épouse. cette dimension nuptiale
de l’office divin manifeste l’union du christ et de l’église que réalise toute
célébration liturgique, mais bien sûr au plus haut point la célébration
eucharistique. Or comme le souligne encore le concile, parler ainsi c’est
mettre en lumière l’efficacité de cette forme de célébration de la Parole, une
efficacité qui lui vient du mystère du christ :
Par conséquent, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du christ prêtre
et de son corps qui est l’église, est l’action sacrée par excellence dont nulle
autre action de l’église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au
même degré38.
Même si la redécouverte plénière de la place de la liturgie des heures
dans la vie de l’église semble encore un long chemin qui reste à parcourir,
l’enseignement du magistère catholique récent sur ce point est donc très
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Parole de Dieu et par la prière des psaumes, si bien que toute activité trouve
son point de référence dans la louange offerte à Dieu41.
On ne saurait trop insister sur le fait que la place de la liturgie des
heures comme chemin quotidien du chrétien est inséparablement liée aux
psaumes, car précisément, c’est grâce aux psaumes que toute la vie humaine
est assumée dans le christ et donc intégrée dans l’Alliance comme l’exprime
avec force Verbum Domini. D’une part, Benoît XVI relève comment les
psaumes (qui constituent la trame fondamentale de l’office divin) donnent
« forme » au grand dialogue entre Dieu et son peuple, puisque « le Dieu qui
parle, nous apprend comment nous pouvons parler avec Lui » et que dans
le livre des Psaumes, « Dieu nous donne les paroles avec lesquelles nous
pouvons nous adresser à Lui ». Et ce colloque avec Dieu transforme « la vie
même en un mouvement vers Dieu » de telle sorte que « la parole que
l’homme adresse à Dieu devient à son tour Parole de Dieu, confirmant le
caractère de dialogue de toute la révélation chrétienne »42. Mais il souligne
aussi que les psaumes assument l’intégralité de la vie humaine et à ce titre
la liturgie des heures est bien le sacrifice spirituel que l’apôtre Paul désigne
dans l’épître aux romains43 :
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41. Ibid., qui précise: « ceux qui sont tenus par leur état de vie à la récitation de la Liturgie
des heures doivent vivre cet engagement en faveur de toute l’église. Les évêques, les
prêtres et les diacres ordonnés en vue du sacerdoce, qui ont reçu de l’église la mission de la
célébrer, ont l’obligation d’acquitter chaque jour toutes les heures [CIC, cc. 276 § 3 ; 1174
§ 1]. […] En outre, je recommande aux communautés de vie consacrée d’être exemplaires
dans la célébration de la Liturgie des heures, au point de constituer une référence et une source
d’inspiration pour la vie spirituelle et pastorale de toute l’église ».
42. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 24.
43. cf. rm 12,1 : « Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter
votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu :
c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte » ; sur ce thème voir Benoît XVI,
audience du 7 janvier 2009 sur « le culte que les chrétiens doivent rendre à Dieu dans la pensée
de saint Paul », sur http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2009/documents/
hf_ben-xvi_aud_20090107.html (consulté le 11 février 2018).
44. BEnOît XVI, Verbum Domini, nº 24 ; cf. PGLH, nº 107 : « En s’appliquant au sens
littéral des psaumes, celui qui les chante s’attache à leur importance pour la vie humaine des
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croyants. Il est certain, en effet, que chaque psaume a été composé dans des circonstances
particulières, que les titres qui les précèdent dans le psautier hébraïque cherchent à évoquer.
Mais quoi qu’il en soit de son origine historique, chaque psaume a un sens littéral que, même
à notre époque, nous ne pouvons pas négliger. Et bien que ces poèmes soient nés en Orient
il y a de nombreux siècles, ils expriment bien les douleurs et l’espérance, la misère et la
confiance des hommes de toute époque et de toute région, et, surtout, ils chantent la foi en
Dieu, ainsi que la révélation et la rédemption ».
45. Martin KLöcKEnEr, « Bible et liturgie : leur relation réciproque dans Verbum
Domini », La Maison-Dieu, nº 274, 2013, p. 17-51.
46. Bruno BürKI, « Verbum Domini, la Parole de Dieu », La Maison-Dieu, nº 274, 2013,
p. 53-81.
47. « Wort des lebendigen Gottes » ; voir Die Feier der heiligen Messe. Messbuch für
die Bistümer des deutschen Sprachgebietes. Authentische Ausgabe für den liturgischen
Gebrauch. Kleinausgabe. Das Messbuch deutsch für alle Tage des Jahres, Einsiedeln –
ratisbonne (e.a.), Benziger – Pustet, 2e éd., 1988, p. 334 ; la version française du Missel
romain oriente la réponse de l’assemblée dans une autre direction : « nous rendons gloire
à Dieu ».
48. cf. le célèbre chant Ein Haus voll Glorie schauet (Gotteslob, nº 639) dont la
cinquième strophe, se référant à l’église « Peuple de Dieu en chemin » de Lumen Gentium
(Lg 6, 8 etc.), commence par : « Sein wandernd Volk will leiten / der Herr in dieser Zeit »
(« c’est son peuple en chemin / que veut conduire le seigneur en ce temps »).
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convient de ne jamais perdre de vue sa dimension eschatologique essentielle
comme le précise encore h. de Lubac : « Et par cette mystérieuse interac-
tion, c’est le corps mystique, en fin de compte, qui se construit, dans les
conditions de la vie présente, jusqu’au jour de son achèvement »49.
En historien des institutions liturgiques, M. Klöckener relève par ailleurs
que la lecture de l’écriture dans la liturgie fut considérée comme « critère dans
le processus de formation du canon ». ceci constitue à ses yeux « un défi pour
la théologie et pour la vie ecclésiale contemporaine », car si c’est « dans la
liturgie que l’écriture sainte trouve sa première place dans la vie de l’église »,
« cette relation fondatrice » se cherche encore50. Il analyse également « le
déclin de la proclamation de l’écriture dans la liturgie et sa revalorisation par
l’église lors du concile Vatican II »: « à partir du Moyen Âge, il n’existe plus
de proclamation, au sens strict du terme, faite à toute la communauté à
l’intérieur de la liturgie »51. ce constat sur l’histoire des pratiques éclaire en
creux l’affirmation de Dei Verbum 21 que « l’église a toujours vénéré les
divines écritures » : cette formule n’est pas à comprendre comme un constat
historique mais comme un principe théologique52. car il faut bien dire que
l’histoire des livres liturgiques manifeste elle-même un fait majeur : la place
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du salut sous l’inspiration de l’Esprit saint »59, une manière donc de dire que
la Parole de Dieu en liturgie est avant tout un mémorial. La Parole de Dieu
– qui n’est autre que Jésus christ lui-même – est liée aux actes de cette
histoire qui réalise parmi nous le salut divin. c’est pourquoi elle fait vivre
la communion ecclésiale.
Mais B. Bürki appelle surtout à une véritable vigilance quant à ce motif
de la sacramentalité de la Parole. Il relève que si « en bonne théologie », on
doit parler de « la présence actuelle du christ dans la vie de l’église » et du
fait que « l’église accueille la Parole », on ne peut oublier le fait « initial »
« d’un non-recevoir à l’égard de la Parole divine »60. Il y là une tension qui
constitue l’un des « principaux objectifs » de son étude qui entend poser la
question : « quel rapport entre l’église du christ qui est aussi assemblée
humaine, et le divin Verbe lui-même? »61. La réponse vient en conclusion sous
la forme d’une théologie de la Parole pensée à partir du mystère pascal :
La Parole de Dieu est Jésus christ dans son existence terrestre qui culmine
dans la croix victorieuse du ressuscité. Le mystère pascal est la clé de
compréhension pour l’ensemble de la Parole divine. ce mystère est alors situé
au cœur de la célébration liturgique de l’église comme de toute prédication
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59. Ibid.
60. Ibid., p. 58 qui, tout en citant Jn 1,11 (« Il est venu dans son propre bien, et les siens
ne l’ont pas accueilli »), précise : « ce n’est certes pas une incrédulité exclusivement juive
qui est à déplorer, dans le quatrième évangile ».
61. Ibid.
62. Ibid., p. 80.
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de la Parole dans l’Eucharistie demeure réduite à sa dimension didactique
tandis que la problématique des « deux tables » (dont nous avons vu qu’elle
ne pouvait se recommander de Dei Verbum 21) empêche de rendre compte
de l’unité mystérique de l’action eucharistique. c’est le même mystère –
celui du christ qui s’offre en sacrifice pour sauver le monde – qui se réalise
dans les deux parties de la messe.
Mais ces apories valent surtout pour la liturgie des heures, dans la
mesure où elle reste abordée comme pratique « non sacramentelle » (à la
différence de l’action eucharistique), à caractère dévotionnel ou ascétique.
Or le lien intrinsèque entre l’Incarnation et la sacramentalité de la Parole est
décisif pour penser la liturgie des heures. chanter les psaumes, c’est d’abord
faire corps par la médiation du corps propre du croyant (c’est « se tenir »)
et en même temps, c’est édifier le corps communautaire de l’assemblée qui
manifeste un Dieu qui s’est fait chair pour habiter parmi les hommes.
La liturgie des heures continue donc souvent d’apparaître comme une
observance spécifique de la vie monastique ou religieuse. certes, c’est
l’Eucharistie qui est « source et sommet » de la vie de l’église63, mais une
concentration sur la messe comme forme liturgique quasi unique, fait que la
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l’envoi du Fils65. De plus, l’absence de perception de la dimension sacrificielle
de la liturgie des heures, en tant que « sacrifice des lèvres » rend difficile d’y
reconnaître une expression du sacerdoce baptismal et du sacrifice spirituel des
chrétiens.
Mais il convient surtout de se demander si la catégorie de « présence »
lorsqu’elle est appliquée à la liturgie des heures, n’est pas une sorte de piège.
On oublie trop souvent que la notion de « présence » est analogique. La
problématique médiévale de la présence sacramentelle, à savoir que la
présence est réalisée lors de la consécration eucharistique, c’est-à-dire par
la prononciation par le prêtre agissant in persona Christi capitis des verba
Christi, demeure le référent principal, voire absolu de la plupart des catholi-
ques. La présence est donc perçue avant tout sous le mode de la « présence
réelle » dans l’hostie consacrée, présence que l’on adore au tabernacle ou
dans l’ostensoir. Dans un tel contexte, la présence du christ dans sa Parole
et la performativité de la proclamation des écritures dans l’assemblée, si
fortement affirmée dans Verbum Domini, ne peut demeurer qu’un
programme, car ces représentations courantes empêchent d’entrer vraiment
dans les perspectives théologiques ouvertes par Benoît XVI.
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65. ceci se traduit notamment par le chant des cantiques évangéliques : Benedictus
(laudes), Magnificat (vêpres) et nunc dimittis (complies).
66. On peut penser par exemple aux hologrammes qui permettent à une personne d’être
« présente » dans plusieurs lieux en même temps.
67. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 7 : « Pour l’accomplissement d’une
si grande œuvre, le christ est toujours là auprès de son église, surtout dans les actions liturgi-
ques. Il est là présent dans le sacrifice de la messe [20], et dans la personne du ministre, “le
même offrant maintenant par le ministère des prêtres, qui s’offrit alors lui-même sur la croix”
et, au plus haut degré, sous les espèces eucharistiques. Il est présent, par sa puissance, dans
les sacrements au point que lorsque quelqu’un baptise, c’est le christ lui-même qui baptise.
Il est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’église les saintes
écritures. Enfin il est là présent lorsque l’église prie et chante les psaumes, lui qui a promis :
“Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux” (Mt 18,20) ».
68. sur ce point, nous devons beaucoup au mémoire de christine VErny, « Le Christ et
l’Église dans la liturgie de la dédicace » Recherche sur la nature sponsale du lien entre le
Christ et l’Église, mémoire de master en théologie avec spécialisation en sacramentaire et
liturgie, Institut supérieur de liturgie, theologicum, Institut catholique de Paris, 2017.
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DOSSIER
Pour l’accomplissement d’une si grande œuvre, le christ est toujours là
auprès de son église, surtout dans les actions liturgiques. […] Effectivement,
pour l’accomplissement de cette grande œuvre par laquelle Dieu est parfai-
tement glorifié et les hommes sanctifiés, le christ s’associe toujours l’église,
son épouse bien-aimée, qui l’invoque comme son seigneur et qui, par la
médiation de celui-ci, rend son culte au Père éternel69.
L’adverbe « effectivement » qui traduit le latin « reapse », mais que l’on
pourrait aussi traduire par « en réalité » ou « au fond », tend à identifier la
présence à l’accomplissement de l’œuvre du salut actualisée dans la liturgie.
Or la présence dans la liturgie des heures ne peut être pensée sur le même
mode que la présence eucharistique. c’est en effet le dialogue entre le
christ époux et l’église épouse qui rend compte de la nature spécifique de
la liturgie des heures, et c’est ce qu’exprime Sacrosanctum Concilium à
propos de l’office divin :
Lorsque cet admirable cantique de louange est accompli selon la règle par
les prêtres ou par d’autres, délégués à cela par l’institution de l’église, ou par
les fidèles priant avec le prêtre selon la forme approuvée, alors c’est vraiment
la voix de l’épouse elle-même qui s’adresse à l’époux; et mieux encore, c’est
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69. Ibid. : « Reapse tanto in opere, quo Deus perfecte glorificatur et homines sanctifi-
cantur, Christus Ecclesiam, sponsam suam dilectissimam, sibi semper consociat, quae
Dominum suum invocat et per ipsum Aeterno Patri cultum tribuit ».
70. cOncILE VAtIcAn II, constitution sur la liturgie, nº 84.
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