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L'art de la délicatesse

© Flammarion, Paris, 2016


ISBN : 978-2-0813-9273-1
Dominique Loreau

L'art de la délicatesse
Laissez la beauté se poser
sur votre vie

Flammarion
Sommaire
Prologue................................................................ 5
1. Le luxe, un état d’esprit plutôt qu’une affaire
de moyens ......................................................... 7
2. L’art de dépenser intelligemment ................... 25
3. Artisanat et sur mesure, antidotes au bling-
bling .................................................................. 49
4. L’importance de la qualité ............................... 61
5. Comment discerner la qualité......................... 75
6. L’élégance : simplicité et raffinement ............. 87
7. Le luxe, c’est un style bien à soi ...................... 97
8. Habiter un lieu avec naturel et liberté ............ 105
9. Le luxe de posséder peu................................... 113
10. Enrichir sa vie en captant la beauté.............. 125
11. S’offrir un petit moment de luxe chaque
jour.................................................................... 135
12. L’utilité des occupations inutiles .................. 149
13. Voyager avec un but ...................................... 165
14. Vivre en harmonie avec les autres ................ 179
Conclusion............................................................ 189

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Prologue

Le luxe, terme commun par excellence, invite immé-


diatement à cette question : comment le définir ?
Argent, abondance, apparat, magnificence, confort,
débauche, dépense, éclat, étalage, excès, faste, for-
tune, gaspillage, opulence, plaisance, profusion, raf-
finement, richesse, splendeur, superflu, ostentation,
prestige ?
Ou bien…
Temps, oisiveté, liberté, indépendance financière et
émotionnelle, autonomie, détachement, joie de
vivre, passions, raffinement, légèreté, simplicité,
délicatesse ?
Le luxe, c’est un peu tout cela car la notion de luxe,
comme celle de la simplicité, varie selon les indivi-
dus, les cultures, les époques, les âges, les niveaux
sociaux et aussi les degrés de conscience. Luxe et
simplicité ont, de tous temps, eu la réputation d’être
incompatibles. Mais est-ce vraiment avéré ? Non,

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DOMINIQUE LOREAU

bien au contraire : plus un mode de vie est simple,


plus il est luxueux. Encore faut-il, pour en convenir,
définir ce que l’on entend par « luxe ». Marques, pro-
duits de luxe, qualité, artisanat… ces termes
résonnent chez la plupart des personnes comme les
attributs immédiats du luxe en termes de biens de
consommation. Mais est-il possible de vivre
« luxueusement » sans un compte en banque bien
rempli ? Oui, fort heureusement, et c’est bien de ce
luxe dont il va s’agir dans les pages qui suivent. Je
suis convaincue que, comme bien d’autres choses
dans la vie, ce n’est qu’affaire de sens des valeurs,
de bon goût, d’attitude, d’une certaine façon de
consommer et de concevoir la vie.
Chacun, quel qu’il soit, est dans le fond semblable à
ses pairs : il a besoin de sécurité, de petits plaisirs et
de donner un sens à sa vie. Au-delà d’une définition
moralisatrice, culpabilisante ou tabou, on pourrait
être tenté de dire que le luxe se résume à ceci : bon-
heur, bien-être et « juste » être. Autrement dit, ce
serait surtout une question de choix et d’attitude et
un état d’esprit à cultiver. Le luxe, ce serait finale-
ment l’art de mener sa vie avec richesse et plénitude,
élégance et simplicité. Ce luxe-là n’est pas un rêve
inaccessible. Il s’apprend, s’éduque, s’acquiert.
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LE LUXE, UN ÉTAT
D'ESPRIT PLUTÔT
QU'UNE AFFAIRE
DE MOYENS
Lorsqu’on évoque le luxe, on pense d’abord à la
consommation, à une belle voiture, à un hôtel
quatre étoiles ou à une croisière sur les côtes de
l’Antarctique. Mais le luxe signifie tellement plus !
Soyons justes : l’argent est nécessaire. Sans lui, nulle
liberté ne serait possible. De plus, il faut un mini-
mum pour payer ne serait-ce que le droit de
vivre (impôts, assurances, électricité, eau, nourri-
ture, vêtements…) ! Mais peu suffit s’il est bien uti-
lisé. Luxe et bonheur n’ont rien à voir avec un
compte en banque archi rempli. Il est possible de
mener une vie luxueuse sans grands moyens tout
comme il s’avère évident que de nombreux riches
mènent des vies d’esclaves. Bien vivre est, en effet,
plus qu’une question de moyens : c’est savoir entre-
tenir un rapport sain à l’argent et l’employer à bon
escient. C’est une affaire de goût, de bon sens et
d’intelligence. Il est parfaitement possible de mener
une existence élégante et raffinée même sans être
très argenté.

Avant que l’argent n’existe…

Avant que l’argent n’existe, on échangeait un service


contre un autre, un poisson contre une botte de
légumes. C’est plus tard, afin d’éviter les mésen-
tentes, que l’idée de créer ce que l’on appelle l’argent

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DOMINIQUE LOREAU

fut inventée. La valeur des choses, c’est donc ce que


l’on est prêt à échanger contre de l’argent. Mais
l’argent, lui, est une convention que l’on s’est fixée
personnellement avec tout. Ce qui a de la valeur pour
les uns n’en a pas forcément pour les autres. Nous
sommes seuls à pouvoir affirmer ce qui a de la valeur
ou non à nos yeux.
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : l’argent ne
devrait servir, en principe, que pour « huiler les méca-
nismes du quotidien ». Toinette Lipp, célèbre auteur
d’un ouvrage sur le thème de la simplicité, disait
qu’elle ne comptait jamais ce qu’elle dépensait mais,
en contrepartie, qu’elle n’achetait que ce dont elle
avait besoin et jamais plus que ce qu’elle pouvait
consommer. Le luxe, c’est donc ne pas être esclave de
l’argent, ne pas avoir de dettes mais avoir de quoi
s’assurer une vieillesse raisonnablement confortable,
rester à l’abri du besoin (le bonheur est impossible
sans sécurité) et avoir de quoi se faire des petits plai-
sirs, de temps en temps, sans trop compter.

KK ou le luxe sans argent

KK est une amie rencontrée dans un café à Kyoto.


Elle me fascine : elle déménage tous les six mois
dans de vieux appartements en tatami loués au
mois, ne voulant pas s’attacher à un lieu ; elle pra-
tique deux métiers à mi-temps simultanément pour

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L’ART DE LA DÉLICATESSE

ne pas se lasser, dit ne tenir qu’à deux objets, sa


poêle et sa casserole (pour ne pas s’embarrasser
d’appareils électriques, précise-t-elle). Il n’y a chez
elle qu’une table basse et un futon. Elle accroche
directement ses vêtements au rebord de son placard
à literie sans porte. Elle ne s’intéresse pas aux pos-
sessions matérielles mais fait d’interminables pro-
menades, seule, dans ce Kyoto qu’elle adore et dont
elle connaît tous les recoins, s’arrêtant de temps en
temps pour manger son o bento fait maison ou siro-
tant le thé de son Thermos. Ses gestes sont très élé-
gants, le ton de sa voix posé, elle lit Shakespeare
et Tanizaki et se parfume avec un peu de poudre
d’encens de kiara sur la nuque. Elle possède deux
kimonos anciens qu’elle a achetés à crédit et qu’elle
revendra sans doute pour aller, un jour, à Paris. Sa
vie est libre.

Vivre avec soin : un plaisir peu coûteux et gratifiant

Vivre avec soin est une des joies que les personnes
occupées à gagner toujours et encore plus d’argent
malheureusement méconnaissent. Etant donné que
le luxe est lié à un sens des valeurs, il peut se définir,
pour certains, par une certaine façon de vivre : la
minutie. Etre fidèle à ses objets, à ses habitudes, fait
partie des petits plaisirs gratuits et merveilleux qui

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DOMINIQUE LOREAU

nous rappellent à nous-mêmes. Vivre avec soin, cela


peut être, par exemple, anticiper, crayon et papier
en main, chaque occasion (tenue de soirée, contenu
du sac de voyage pour un week-end, apéritif préparé
pour des amis…) puis garder ces listes. Elles pour-
ront être réutilisées, peaufinées, et s’avérer bien
utiles la veille d’un départ décidé en catastrophe.

L’art de savoir profiter de peu avec style

« Le luxe, pour moi, n’est pas l’acquisition de


choses chères ; c’est vivre d’une façon où
vous êtes capable d’apprécier les choses. »
OSCAR DE LA RENTA

Vivre de façon luxueuse ne dépend pas forcément


de l’argent. Ce qu’il faut, c’est surtout savoir dépen-
ser de manière intelligente et peu désirer ; mais pour
cela, il faut du bon sens, un grain de folie et surtout
des connaissances comme, par exemple, une carte
qui accumule les miles (pourquoi payer en liquide
et perdre ainsi des voyages gratuits ?) permettant de
s’offrir un voyage « gratuit » à l’autre bout du monde
à peu près tous les deux ou trois ans. Une de mes
amies n’est pas très argentée (une artiste !) mais elle
mène une vie de luxe : elle s’offre quelques semaines
en Sicile chaque printemps. Certes, la petite maison

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L’ART DE LA DÉLICATESSE

qu’elle loue là-bas ne possède que le confort le plus


rudimentaire, la cuisine est à l’extérieur et il n’y a
pas de rideaux à l’unique fenêtre de sa chambre
mais elle se réveille avec le spectacle de la mer sous
les yeux et achète ses olives à ses voisins. Lorsqu’elle
est à Paris, elle n’hésite pas à faire un petit aller-
retour dans la journée jusqu’à Londres pour visiter
une exposition : une alerte l’avertit, sur son ordina-
teur, de toutes les bonnes affaires en promo, y
compris des billets incroyablement peu chers sur
l’Eurostar.

Accroître la valeur de certaines choses sans


dépenser le moindre centime

« Aujourd’hui les gens connaissent le prix


de tout et la valeur de rien. »
OSCAR WILDE, APHORISMES

On dit que c’est Sen no Rykyu, le grand maître de


thé japonais, qui fut le premier à créer la valeur des
choses en transformant, par exemple, un simple
panier à poisson d’osier en vase pour la chambre
du thé. Avant lui n’étaient utilisés que des objets
précieux, provenant de lointaines contrées, rares et
chers. Mais c’est lui qui a su enseigner au peuple
japonais que la valeur des choses n’est pas une

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DOMINIQUE LOREAU

affaire d’argent mais d’attitude et d’appréciation.


L’exposition sur le luxe tenue au Victoria and Albert
Museum de Londres présentait, pour illustrer cette
théorie, un service à thé ni cher ni particulièrement
décoratif mais original car composé de trois tasses
de formes différentes, destinées à mettre en valeur
chacun des arômes de thés particuliers. Pour les
connaisseurs, ce set est irremplaçable et il prouve
que le luxe peut avoir une valeur autre que mar-
chande : celle de prendre, tout simplement, du plai-
sir à cultiver certaines passions comme celle du thé,
et d’utiliser les objets avec originalité et créativité.

Le zen : accorder du respect aux choses

La cérémonie du thé requiert, généralement, des


objets de grand prix. Ce ne sont pourtant pas ces
objets qui font la beauté de la cérémonie ; c’est le
respect porté à chacun. Une cérémonie peut être
parfaitement menée avec l’objet le plus humble.
C’est ce qu’a prouvé un maître du thé en demandant
à ses invités de deviner la provenance du bol appa-
remment très ancien dans lequel il venait de leur
servir le thé. Nul n’a pu répondre mais quel ne fut
pas l’étonnement général lorsque le maître dévoila
que ce bol provenait… d’une brocante parisienne !
Ce vieux bol, dit-il, n’avait coûté que 1 euro. Le pot

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L’ART DE LA DÉLICATESSE

contenant l’eau, quant à lui, provenait d’une autre


brocante, en Italie. Autre preuve qu’il suffit, comme
nous l’enseigne le zen, d’utiliser un objet avec res-
pect et amour pour lui donner de la valeur.

De beaux gestes peuvent modifier la valeur d’un


instant

Lorsque l’on veut accompagner son thé d’une pâtis-


serie, pourquoi ne pas le faire comme s’il s’agissait
d’une petite cérémonie de thé privée à domicile ?
Après avoir dégusté votre pâtisserie, utilisez, à la
place de votre tasse à thé habituelle, un bol dans
lequel vous aurez fouetté un peu de poudre de thé
vert dans de l’eau tiède et tenez-le, pour boire, à
deux mains comme lors d’une vraie cérémonie. A
lui seul, ce geste vous fera vous replonger dans
l’ambiance extrêmement relaxante de cette pratique
zen et créera une belle rupture d’avec l’agitation du
quotidien. Il suffit parfois de bien peu pour transfor-
mer les gestes du quotidien en quelque chose de
beau et solennel.

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DOMINIQUE LOREAU

L’amour pour les choses portant l’empreinte


du temps

« L’amour d’Ozu pour les objets était aussi


important à ses yeux que les personnages
ou les dialogues : c’était tout simplement
l’amour de la vie. »
WIM WENDERS, OZU

« Certaines valeurs sont invisibles pour les yeux.


Seul le cœur les connaît », disait le Petit Prince. Le
bol à soupe de mon grand-père, tout ébréché et
jauni, est l’une des vaisselles préférées de ma mère.
Il lui est beaucoup plus précieux que ses beaux
verres en cristal de Daum. Certaines choses ne
s’achètent pas avec l’argent : la patine par exemple.
Qu’il s’agisse d’une théière en terre rouge ressem-
blant, à force de milliers d’infusions, au cuivre,
d’une pierre moussue sur le devant de sa porte ou
d’un bol en laque rouge aux reflets profonds et
riches, certains objets ne font qu’embellir avec le
temps. Une céramique n’est appréciée que lors-
qu’elle commence à se craqueler et changer de cou-
leur. Même le plus luxueux des sacs à main ne
devient beau qu’après avoir été porté plusieurs
années. De tels objets acquièrent de la dignité, de la
grâce, de l’élégance au fil du temps. Ils nous
enseignent la valeur du passé et la beauté déposée
par le temps sur les choses.

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L’ART DE LA DÉLICATESSE

Le juste milieu, un luxe réservé à ceux dotés de bon


sens et d’intelligence

« Un moine demanda un jour à un


vieillard : “Quelle est la voie ?” “Notre bon
sens, voilà l’unique Voie, répondit ce
dernier” ».
ADAGE ZEN

Seuls ceux qui connaissent l’art de mettre en pra-


tique la sagesse du juste milieu, peuvent parvenir à
un équilibre tel que même le luxe devient superflu.
Le juste milieu est en effet l’une des multiples
facettes du luxe : parvenir à mener une vie calme,
sans hauts ni bas qui apporte un bien-être compa-
rable à nul autre et apprécié seulement par ceux qui
en connaissent la valeur. Un exemple : bien dormir.
Dans nos grandes villes agitées, bruyantes et aux
multiples obligations sociales, trouver l’isolement et
la tranquillité relève presque de l’héroïsme. Refuser
une soirée pour se coucher tôt, trouver un apparte-
ment où ne parvient pas le bruit des voitures, est
devenu, que ce soit à Paris, à Tokyo ou à New-York,
un luxe. Dormir d’un sommeil profond, serein,
qu’aucun mauvais rêve ne vient troubler, dans le
calme d’une chambre aux fenêtres ouvertes, et se
réveiller avec une forme éclatante est un luxe dont
même bien des personnes fortunées ne peuvent

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Tant que nous avons des choix, nous vivons une
forme de luxe.
Peut-être que le luxe extrême est tout simplement se
dire… qu’on est heureux. Nous pouvons vivre dans
un « luxe permanent » mais pour cela il faut arriver
à développer un certain état d’esprit, une attitude
« d’hédoniste » face à la vie. Profiter des jouissances
mais rechercher la frugalité, apprécier la solitude
mais avoir des amis vrais, vivre comme un esthète
mais ne pas s’attacher aux choses, être à la fois pro-
fond et léger, superficiel et réfléchi, sage et excen-
trique, insouciant et responsable. Le luxe, c’est
parvenir à une sérénité faisant accepter toutes les
situations, à une sagesse amenant au détachement
des biens matériels. C’est vivre dans la délicatesse,
se respecter soi-même et respecter l’autre. C’est ne
plus trop se préoccuper de l’argent et savoir voyager
aussi bien dans les conditions les plus modestes
qu’en classe affaire. C’est, ultimement, ne plus être
attaché à rien ni même à la simplicité mais se sentir
à l’aise aussi bien chez soi que partout ailleurs, qu’il
s’agisse d’une vieille échoppe de thé ou d’un hôtel
cinq étoiles. C’est atteindre un stade où ces choses-
là n’ont plus d’importance. C’est profiter pleinement
de chaque instant tout en acceptant le fait que tout
a une fin. La seule façon pour accepter cela, est de
vivre de façon lucide et détachée. Libre de tout.
Y compris de soi.

191
DU MÊME AUTEUR
DANS LA MÊME COLLECTION

L’art de l’essentiel
Vivre heureux dans un petit espace

Mise en page Pixellence/Meta-systems


59100 Roubaix

N° d’édition : L.01EPMN000888.N001
Dépôt légal : octobre 2016

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