Les - Derniers - Feux - de - La - Guerre - D'algérie., Pierre Pellissier
Les - Derniers - Feux - de - La - Guerre - D'algérie., Pierre Pellissier
Les - Derniers - Feux - de - La - Guerre - D'algérie., Pierre Pellissier
75013 Paris
Tél. : 01 44 16 08 00
Des soldats de l’armée française et des tirailleurs du 4e régiment de tirailleurs algériens (RTA)
affrontent des opposants à l’indépendance de l’Algérie, le 26 mars 1962, devant la Grande Poste
de la rue d’Isly, à Alger, lors d’une manifestation à l’appel de l’Organisation armée secrète
(OAS).
© AFP/Photo
ISBN : 978-2-262-08584-1
« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé
du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux,
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prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle.
L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété
intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »
le 5 juin 1961).
Alfred de Vigny
chap. III).
SOMMAIRE
Couverture
Titre
Du même auteur
Copyright
1 - Naissance du FLN
2 - Cessez-le-feu, le 19 mars
3 - Bab el-Oued, le 23 mars
4 - Rue d’Isly, le 26 mars
6 - La journée des succès
7 - Le temps des désillusions
8 - La prison ou l’exil
9 - Vers l’indépendance
10 - Oran, le 5 juillet
11 - Le grand départ
12 - Les bilans impossibles
Annexes
Sources
Index
Remerciements
Principales abréviations utilisées
Naissance du FLN
Cessez-le-feu, le 19 mars
Dans le même article, les journalistes ajoutent trois détails : bien avant
le lever du jour, de telles affiches avaient le plus souvent disparu ; ce même
matin du 19 mars a été diffusée l’émission la plus longue de la radio pirate
de l’OAS ; une trentaine de minutes, mais fortement brouillée ; enfin, des
jeunes Algérois ont distribué des tracts à l’intention des militaires du
contingent :
Militaires de toutes armes, pour votre sécurité, tenez-vous à distance des
gendarmes et des CRS. Éloignez-vous des points tenus par ces mercenaires du
pouvoir. Refusez de participer aux patrouilles mixtes.
2. Les pseudonymes des clandestins sont donnés en italiques. Dans la mesure du possible, nous
les accompagnerons de leur patronyme, s’il est connu.
Bab el-Oued, le 23 mars
Il est probable que lui était reprochée la fuite des éléments de l’OAS qui
avaient échappé au bouclage en fuyant par les égouts et par le cimetière vers Saint-
Eugène. La matinée de ce 24 mars est marquée par les problèmes de
commandement occasionnés par l’attitude du commandant Bazin qui est venu
rejoindre ses troupes dans la nuit et qui, ouvertement, s’est montré trop disposé à ne
respecter aucun ordre concernant l’étanchéité du bouclage. Le commandant Bazin
utilisait, par le truchement du poste d’entrée de l’hôpital Maillot, un contact
téléphonique assez fréquent avec les responsables de l’OAS, dont le sous-préfet
Achard.
Ces jours de mars, Bab el-Oued a perdu sa foi, peut être sa confiance
envers Achard et envers l’OAS ; mais bien plus encore envers l’armée
française et les autorités légales. C’est désormais un quartier sans âme, sans
espérance ; un quartier qui ne songe plus à être le fer de lance d’un combat,
dont l’issue était déjà bien compromise par les accords d’Évian et l’annonce
du cessez-le-feu.
Seul signe d’humanité pour ce drame : la présence d’ambulances de la
Croix-Rouge venues enlever les blessés. Elles chargent des hommes soignés
dans les cliniques du quartier ou aux points de secours improvisés, mais
beaucoup repartiront vides. Les habitants de Bab el-Oued ne veulent confier
aux secours ni leurs blessés ni leurs morts. Il ne restera qu’un bilan très
approximatif : sans doute une vingtaine de morts et 80 blessés chez les
habitants, 15 morts et 77 blessés parmi les forces de l’ordre. Bilan incertain,
mais qui peut s’expliquer par les circonstances : laisser partir un blessé,
c’est aussi le livrer aux forces de l’ordre, peut être à la justice. Quant aux
morts, une rumeur, invérifiable, surgira très vite : les forces de l’ordre
auraient jeté des cadavres à la mer !
Le colonel Puigt nuance d’ailleurs ces signes apparents d’humanité :
Le colonel Borreil, que je suis allé voir à son PC place Dutertre, s’est inquiété
immédiatement des secours éventuels à porter aux victimes d’un tel déploiement de
tirs incontrôlés. Il n’avait à sa disposition qu’un personnel médical réduit à une
ambulance et deux infirmiers aux ordres d’un médecin auxiliaire. Je calmai un peu
ses inquiétudes en lui précisant que je disposais moi-même du personnel sanitaire
de mon régiment sous les ordres d’un médecin capitaine, et que j’avais recueilli, à
la suite de la fusillade, une équipe de la Croix-Rouge avec ambulance,
complètement affolée par le danger occasionné par la « pléthore » extravagante de
l’usage des armes à feu. Mais l’ambulancière chef du détachement, conduite auprès
du colonel, précisera avoir reçu l’ordre formel de ne porter secours qu’aux seuls
blessés musulmans.
Rue d’Isly, le 26 mars
26 mars. Ce matin, quand j’ai lu que la population du Grand Alger était invitée
à se rendre en cortège pacifique à Bab el-Oued pour témoigner sa solidarité aux
habitants de ce quartier, j’ai frémi. L’avertissement du préfet de police – je crois
qu’il y en a eu deux – m’a donné la certitude que le sang coulerait. J’ai littéralement
« vu » le spectacle au carrefour de la Grande Poste, trois heures avant sa réalité. Je
crois que ces pressentiments (j’avais eu le même le jour des Barricades) sont chez
moi une malédiction. Je ne puis croire que l’OAS ni les autorités civiles ou
militaires avaient prévu le drame (d’autres disent « voulu »). La présence de
tirailleurs dans le service d’ordre a peut-être été seulement une erreur tragique. Ces
soldats, dont certains ont servi la France pendant dix ans, sont probablement
travaillés par la propagande et les menaces FLN. Ils ont à se dédouaner, et peut-être
risquent-ils d’être plus à redouter que les fellaghas.
Pourtant, j’avais causé avec quelques-uns d’entre eux, de ceux qui ont tiré, à
l’entrée de la rue d’Isly. Les mêmes têtes que ceux de Tunisie et d’Italie. De braves
gens et des gens braves, mais que j’ai vu tendus, tourmentés. Ils cherchaient à être
rassurés. J’imagine comment ils se sont crispés à mesure que la rue grossissait et
avançait. Mais quelles instructions avaient-ils, eux qui pour la plupart n’ont pas
d’instruction ? Comment leur a-t-on défini leur devoir, en cas de poussée ? Il me
paraît impensable qu’on leur ait dit de tirer sans sommation. L’attitude de soldats et
de sous-officiers et officiers Européens le prouve. Ont-ils obéi à d’autres consignes
ou ont-ils eu des réflexes propres de panique, sinon d’hostilité ? Quant aux
« manifestants », de toute évidence, ils ne pouvaient avoir prévu cette tuerie. M. B,
qui était au premier rang derrière les drapeaux, et qui a reçu au moins une balle
dans la cuisse, m’a dit à la clinique : « C’était une kermesse [sic]. » Il le croyait
fermement.
Ce sont des moments effrayants. Les manifestants, pris pour cible sans
savoir par qui, se jettent au sol dans un désordre total. Des tirailleurs,
calmes et déterminés, tirent sur les façades d’où partent encore des rafales ;
d’autres, affolés, redoutant les réactions de la foule, tentent de se cacher en
se mêlant aux manifestants.
Les témoins sont bouleversés, choqués ; leurs récits sont donc souvent
imprécis. Il y a, parmi eux, un photographe, qui n’est pas là par hasard ;
Robert Rolando savait que le climat serait tendu, il s’attendait à des
incidents. Il travaille habituellement pour un quotidien, La Dépêche
d’Algérie ; il n’est pas de service. Il est pourtant là avec son matériel de
prise de vue et une idée en tête : retrouver ses deux fils, Yves et Rémi, de 17
et 16 ans, venus manifester. D’entrée, Robert Rolando est au centre du
drame : il est stoppé par les tirs des CRS embusqués derrière leur camion
placé en barrage au niveau du carrefour de l’Agha, à l’angle de la rue
Charras. Il doit chercher un refuge : il se plaque le long d’un mur. Le
professionnel reprend le dessus : le photographe Robert Rolando multiplie
les prises de vue…
Il ne reste aujourd’hui que trois de ses clichés ; toutes les autres photos
sont restées à La Dépêche d’Algérie, nationalisée aussitôt l’indépendance
proclamée. Or ces trois clichés, Rolando les commentera, laissant un
témoignage écrit aussi bref que précis. Il note, pour la première photo, la
présence d’un CRS agenouillé en position de tir, abrité derrière un car. Sur
le deuxième cliché, une douzaine de personnes sont couchées les unes sur
les autres, à l’angle de la rue Charras, devant la vitrine d’un libraire ; à
quelques mètres d’eux, trois personnes agenouillées cherchent refuge entre
deux voitures. À propos de la troisième vue, Robert Rolando précise que
trois personnes, dont une femme blonde, viennent d’être tuées ; un homme
blessé reste assis… C’est un de ces trois clichés que La Dépêche
d’Algérie a transmis à la presse métropolitaine et que France soir publie
dès le lendemain avec une légende étonnante : « Un commando OAS tire
sur les forces de l’ordre, les CRS ripostent… Deux morts et deux blessés
chez les attaquants. »
Le calme revenu, le premier bilan fait état de 1 CRS tué et de 6 blessés
du côté des forces de l’ordre ; de 57 morts et de 147 blessés chez les civils ;
en réalité, 84 ou 85 morts selon les familles et les services hospitaliers.
Christian Fouchet entend encore tirer les leçons du drame. Il revient à la
télévision, pour une nouvelle intervention aux allures de redite :
Une chose est d’être partisan de l’Algérie française. Chacun a le droit de l’être.
Une autre chose est d’être un assassin, et personne n’a le droit de l’être. Une autre
est d’être le complice des assassins, ou de les protéger, et cela non plus, personne
n’a le droit de l’être. Que croyez-vous ? Qu’espérez-vous ? Oh ! ceux qui vous
guident, qui vous guident vers la mort, qui vous guident vers le drame, pour Alger
et pour vous, eux le savent. Ils savent bien qu’ils n’ont plus qu’une chose à faire
pour sauver leur mise, c’est de s’appuyer sur votre sacrifice. Ils se trompent, car
leur partie est perdue, elle est archiperdue. Ne vous engloutissez pas avec eux.
Le 27 mars au matin, Alger est dans un état second. La ville s’est
littéralement mise en grève, mais les rues du centre sont bourrées de monde,
des passants d’une extrême nervosité venant par petits groupes porter des
fleurs sur le théâtre principal de la fusillade de la veille. Des flaques de sang
coagulé leur indiquent quelques lieux : depuis l’angle de la rue Pasteur et de
la rue d’Isly jusqu’à la Grande Poste ; le trottoir devant le Crédit foncier
d’Algérie est rouge sur une dizaine de mètres et la façade de la banque est
tachée de sang à hauteur d’homme.
Surgit le temps des questions. En premier, il convient de savoir si tout a
été fait pour éviter ce drame que trop de témoins pressentaient. Les trois
journalistes du Figaro sont persuadés du contraire :
En présence de la convocation par le tract OAS de la foule algéroise conviée à
se rassembler sur le plateau des Glières, puis à se rendre en cortège, à travers tout
Alger jusqu’à Bab el-Oued, la réaction du préfet de police aurait dû être ferme et
rapide et ne prêter à aucune équivoque. Il fallait soit interdire dès le début tout
rassemblement de personnes, soit le canaliser et l’encadrer par des forces de police,
solides, calmes et accoutumées aux mouvements de rues. Aucune de ces deux
attitudes n’a été résolument adoptée. L’autorité a laissé les Algérois se rassembler
en nombre, agitant des drapeaux, chantant et poussant des cris. Aucune mesure de
dispersion n’a été prise dès l’origine de la manifestation. Quant au service d’ordre,
il était à la fois insuffisant et inexpérimenté. Avant le sanglant événement, nous
avons eu l’occasion de circuler longuement parmi ces soldats. Le carrefour
boulevard Pasteur-rue d’Isly, où le feu a été ouvert pour la première fois, était
occupé par une section d’environ vingt-cinq hommes du 4e régiment de tirailleurs
arrivé depuis quelques heures de Médéa. Elle était commandée par un jeune
lieutenant visiblement à bout de nerfs. Les soldats eux-mêmes faisaient preuve
d’une nervosité croissante. Aucun autre officier d’un grade plus élevé n’a été
aperçu aux alentours. Aucun fonctionnaire de la préfecture de police ni aucun
officier de police n’était là pour lui prêter main-forte. Or, il s’agissait là du point
crucial2.
1. Roger Holeindre, membre fondateur du Front national, est élu député de Seine-Saint-Denis
en 1986. Il est décédé en 2020.
6
La journée des succès
1. Les rares listes disponibles citent Ali, tandis que des témoins parlent de Mohamed.
7
Le temps des désillusions
Commence alors, pour ce groupe, une galère de trois jours. Ils sont
armés, mais ils n’ont que peu de vivres et presque pas d’eau. Ils comptent
sur le soutien des habitants du douar, mais s’aperçoivent très vite que ceux-
ci sont de plus en plus réticents. Le lieutenant Prohom ne connaît pas
encore la défection du bachagha Boualam. Après une nuit à la belle étoile,
son groupe reçoit un renfort inattendu : une équipe aux ordres du lieutenant
Pierre Delhomme, un ancien d’Indochine, officier des commandos de l’air.
Delhomme a beaucoup plus l’expérience de l’Algérie que Prohom ; il
oriente donc les hommes vers le nord pour sortir du massif et tenter de
s’échapper par la plaine. Désormais, ils se cachent le jour, ne marchent que
la nuit – jusqu’au moment où Delhomme décide d’aller en reconnaissance
avec un de ses hommes ; il espère trouver des Français et de l’aide. Marc
Prohom n’apprendra la suite que bien plus tard, à la prison de la Santé !
Delhomme a bien trouvé de l’aide : une Jeep militaire qui l’a pris en charge,
en flairant la bonne affaire…
Ne voyant pas revenir leur nouveau compagnon, le lieutenant Prohom et
son groupe reprennent leur marche. Ils savent qu’ils ont atteint la plaine,
mais ignorent qu’elle est désormais contrôlée par les fellaghas. Ils
investissent une ferme abandonnée, où ils passent la nuit. Vers midi, « aux
heures chaudes, où les gens restent à l’ombre », Marc Prohom décide
d’explorer les environs ; il enfile une djellaba par-dessus son treillis,
s’éloigne avec un garçon connu dans la clandestinité à Alger, Pierre
Aoustin ; le parfait compagnon pour cette reconnaissance, puisque Aoustin
parle parfaitement l’arabe. Marc Prohom raconte :
À peine avions-nous parcouru quelques centaines de mètres que des Arabes
sortis de nulle part nous interpelèrent. Perre leur répondit : nul doute que sa réponse
ne leur parut pas convaincante, puisqu’ils commencèrent à nous lapider proprement.
Il reçut une pierre au visage ; voyant qu’ils étaient prêts à nous faire un mauvais
parti, je sors le PM que j’avais heureusement emporté et que je cachais sous ma
djellaba et fis feu dans leur direction.
Les deux hommes refluent vers la ferme où le groupe les attend. Leurs
compagnons, alertés par la rafale que Prohom vient de tirer, sont déjà tous
sur le pied de guerre. Ils s’enfuient plein est. Ils n’iront plus très loin :
plusieurs automitrailleuses les encerclent. Par haut-parleur, il leur est intimé
l’ordre de s’arrêter. Marc Prohom encore :
Que faire ? Ouvrir le feu ? Cela me parut complètement absurde. Je laissai là
mes hommes pour aller parlementer ; je rencontrai un capitaine de gendarmerie qui
commandait le détachement ; il s’engagea personnellement à ce que le groupe soit
traité correctement. Je retournai auprès de mes hommes pour leur demander de
mettre bas les armes, toute résistance étant inutile ; nous avions fait ce que nous
avions pu, mais le but de notre action n’était pas là, en l’occurrence une lutte
fratricide, car il n’y avait là que des Français.
Les survivants du maquis Albert marchent jusqu’au petit convoi qui les
attend : deux 6 × 6 et un half-track que commande un lieutenant. L’infirmier
est là, lui aussi. Ils sont ravitaillés, désaltérés, embarqués et prennent la
route. Pour où ? se demande Muzzati qui sait seulement que leur sort sera
meilleur que celui qui aurait été le leur si l’ALN les avait capturés. Ce sera
Affreville !
Le lieutenant de dragons tend la main à Muzzati :
— Mon lieutenant, je vous prie de transmettre tous mes remerciements à votre
colonel… Sans votre aide, je ne sais pas ce que nous serions devenus ; je ne
l’oublierai jamais.
— Je crois que pour nous tous c’était une question d’éthique. Adieu et bonne
chance.
Les survivants retrouvent une cache fréquentée deux mois plus tôt. Ils
s’installent dans ce hangar, où seront enterrés les armes, les munitions et les
uniformes. Guy va jusqu’au bar, qui avait été leur point de chute à leur
arrivée à Affreville. Il parvient à joindre Normandie, qui redoutait que tout
le commando ait été exterminé par les fellaghas. Le réseau se mobilise pour
les tirer d’affaire, évacuer les blessés, préparer le voyage des rescapés pour
Alger. Ils partent dans le double fond d’un camion chargé de meubles.
Normandie confie ce qu’il sait de l’accrochage de l’oued Kramme : une
dizaine de corps affreusement mutilés et impossibles à identifier, puis la
dépouille du commandant Bazin, criblé de balles, comme si les fellaghas
l’avaient particulièrement ciblé.
Giorgio Muzzati et ses hommes parviennent à Alger, où ils plongent
dans l’anonymat en attendant que l’OAS fasse appel à eux. La chance
abandonne le seul harki rescapé du maquis, Ahmed. Il avait été prévenu, à
Affreville, qu’Alger n’était pas nécessairement accueillante envers les
musulmans. Comme ses camarades, il est hébergé, mais il doit vivre caché.
Un jour pourtant, lassé de n’être qu’un clandestin privé de liberté, il sort de
sa retraite, marche dans la rue ; imprudence fatale pour un musulman égaré
en quartier européen !
1. Fell, pour fellagha, parfois aussi felouze, ou viet en souvenir de l’Indochine.
8
La prison ou l’exil
Il a presque tout dit dans ces phrases. De façon suffisamment claire pour
que toute autre interprétation soit fallacieuse : non, Boualam n’a pas choisi
de partir, non, Boualam n’a pas déserté. Il a plus simplement été prié de
partir, poussé vers l’exil. Une autre phrase, dans le même livre, nous éclaire
davantage :
Un Boualam ne manque jamais ses engagements et c’est cette conception du
devoir qui me condamne, dans les circonstances présentes, au silence sur les
péripéties de ce qui fut l’ultime drame de conscience des soldats douloureusement
fidèles devant le baroud, des soldats douloureusement perdus.
Vers l’indépendance
Peu de jours après, le 29 juin 1962, dans la matinée, avec 16 de ses
collègues, pratiquement tous pieds-noirs, Rastoll est invité à quitter le
territoire algérien « en raison de l’évolution politique et par mesure de
sécurité ».
Tout est en place pour le drame menaçant Oran. Quelques jours
d’inquiétude encore, puis les Européens se rassurent, sans être certains
d’avoir échappé au pire – aux massacres du 5 juillet… Mais où sont les
Collines de l’OAS oranaise ? Loin de la terre qu’elles entendaient défendre.
Pour ses militants, les faits sont là : le FLN et l’ALN s’installent, l’armée
française ne bougera plus, les accords Mostefaï-Susini n’ont été qu’un
pétard mouillé, rien ne peut plus empêcher le référendum prévu pour le
1er juillet… Vers le 20 juin, la décision est prise de préparer le départ.
Il est mis de l’ordre dans ce qui reste des finances, essentiellement le
produit des hold-up – ce qui passera ensuite pour le trésor de guerre de
l’OAS. Les comptes, toujours tenus avec précision, sont présentés au
général Gardy. Les responsables dressent l’état de leurs effectifs, pour que
soit accordé à chacun ce qui peut être considéré comme une compensation.
Une autre part est destinée au CNR, ce « Comité national de la Résistance »
supposé prendre la place de l’OAS, mais bien dépourvu de moyens ; et
Georges Bidault est supposé en avoir besoin. Puis s’engagent des
négociations avec ce qui reste ou s’installe comme pouvoirs, avec
certainement des moments difficiles, puisque, le 25 juin, les citernes
d’essence voisines du port d’Oran sont incendiées. Il faudra trois jours pour
maîtriser l’incendie qui – curieusement – ne remet pas en cause les rotations
des navires. Car, au cœur de ces négociations, s’achevant le 28 juin, figure
l’amélioration des conditions de l’exode, une augmentation des rotations
maritimes et aériennes, l’autorisation pour des navires étrangers d’accoster
à Oran pour embarquer des réfugiés. L’OAS, en contrepartie, s’engage à
quitter l’Algérie le 29 juin, après avoir reçu quelques assurances sur son
impunité.
Le 28 juin au soir, une voix se fait entendre sur la longueur d’onde de la
radio pirate du mouvement, celle de Léonard, que tous les Oranais
connaissent désormais ; Léonard, c’est Charles Micheletti, le père de
Claude, le patron des Collines :
Un peu partout, Oran brûle. Oran est détruite. Ceux qui ont, par la trahison,
livré l’Algérie au FLN, au communisme, nous traitent de destructeurs,
d’incendiaires. Eux les traîtres, eux les lâches, eux les assassins ! Certes, ils auraient
voulu, ces Judas, ayant perçu leurs deniers, que nous laissions à leurs employeurs
l’Algérie qu’ils leur ont vendue. Non et non : les vrais patriotes, quand ils sont
obligés d’abandonner leur terre, ne la laissent jamais intacte à l’ennemie.
2. Claude Micheletti donne le texte intégral dans son livre Fors l’honneur. La guérilla OAS à
Oran en 1961/62, Jean Curutchet Éditions, 2002.
10
Oran, le 5 juillet
Un mois plus tard, le 4 août, le général Katz fera l’objet d’une citation à
l’ordre de l’armée comportant l’attribution de la croix de la Valeur militaire
avec palme pour « avoir su rétablir et préserver avec force et dignité
l’autorité légale et l’ordre public ». Sa cinquième étoile – celle de général
d’armée – suivra. Qui a osé désobéir ? Bien peu d’officiers décideront
d’oublier les ordres de Katz ; souvent, quelques lieutenants qui ne pensent
peut-être plus à faire carrière dans l’armée, ou quelques audacieux habitués
à renâcler ; une immense minorité, à vrai dire. Les ordres sont les ordres…
Mais comment ne pas citer quelques-unes de ces exceptions ? À
commencer par l’amiral d’escadre Jean Barthélemy, commandant la base de
Mers el-Kébir. Durant l’après-midi de ce 5 juillet, il a un entretien
téléphonique orageux avec le général Katz : il ne supporte pas que les
forces françaises soient consignées dans leurs cantonnements, alors que la
tuerie se propage. Il tient tête au général et envoie des fusiliers marins en
camion jusqu’à Oran pour sauver ceux qui peuvent encore l’être. L’amiral
n’agit pas sur un coup de tête, c’est même le début d’une récidive : entre le
1er juin et le 31 juillet, ce sont 19 300 civils que l’amiral Barthélemy
parviendra à transférer en métropole.
Autre rebelle, le lieutenant Rabah Kheliff, commandant la 4e compagnie
du 30e bataillon de chasseurs portés, stationné à proximité d’Oran. Seul
officier de souche nord-africaine du bataillon, il apprend, comme ses
camarades, que des événements alarmants se déroulent en ville ; que des
inconnus ramassent les pieds-noirs, les musulmans francophiles et les
embarquent dans des camions. Il connaît aussi les ordres de Katz, qu’il a dû
contresigner comme tous les officiers concernés. Il réagit pourtant,
téléphone à ses camarades commandants de compagnie – tous européens –
qui lui répondent que les ordres sont de ne pas bouger. Il réplique :
« Mais enfin, ce n’est pas possible, on ne va pas laisser les gens se faire trucider
comme ça sans lever le petit doigt. Moi, je ne peux pas. Ma conscience me
l’interdit. » Je téléphone à l’échelon supérieur, au colonel commandant le secteur. Je
tombe sur son adjoint et lui explique mon cas. Il me répond : « Écoutez, mon
garçon, nous avons les mêmes renseignements que vous, c’est affreux. Faites selon
votre conscience, quant à moi, je ne vous ai rien dit. » En clair, je n’étais pas
couvert.
Mes parents habitaient rue de Tlemcen à Oran. Mon père, Joseph Vallet, avait
été enlevé le 5 juillet, mais nous ne le savions pas, nous n’avions pas de nouvelles.
Le 6 juillet, tôt le matin, mon mari est parti à Oran pour avoir des places, avion ou
bateau, par mon oncle Alfred Vallet, cadre à la Transat. J’ai su par la suite que mon
oncle avait été enlevé la veille. Il n’a jamais été retrouvé. Mon mari non plus n’a
jamais été retrouvé. Dans le courant de cette matinée du 6 juillet, mes cousins et
amis sont venus me dire qu’il se passait du mauvais à Oran et nous avons
commencé à nous inquiéter pour mon mari. Dans l’après-midi, mon cousin s’est
rendu à la gendarmerie, où ces messieurs les gendarmes lui ont annoncé les faits
suivants : ils rentraient d’Oran dans leur fourgon quand ils ont vu mon mari avec
d’autres Européens arrêtés à la hauteur des Arènes d’Oran (sortie d’Oran sur la
route de Misserghin), debout, près de leur voiture, entourés d’Arabes en tenues
disparates, militaires et armés. Ils ont pensé que ce n’était qu’un contrôle d’identité
(alors qu’ils savaient pertinemment ce qui s’était passé la veille, le 5 juillet). Ils
n’ont pas jugé bon de venir m’avertir, encore moins de s’inquiéter de son retour ou
non, à Misserghin. C’est bien une des preuves qu’ils avaient reçu des ordres de non-
intervention. Ensuite… toute la désespérance qui a suivi : démarches au
commissariat, au consulat, au rectorat, pour rien. La Croix-Rouge a été inexistante,
pour ne pas dire au-dessous de tout.
Viviane Ezagouri, la fille de Joseph Pinto, a perdu son père, mais son
témoignage éclaire singulièrement sur l’ambiance oranaise, ce 5 juillet, où
elle circule en voiture avec son fiancé :
Nous sommes arrêtés à un barrage par trois personnes en civil qui inspectent
notre véhicule avec beaucoup de correction. Sur le trottoir d’en face, des femmes et
des hommes armés demandent au chef de contrôle, en arabe, de nous laisser entre
leurs mains. Face à nous, dans la rue Séguier, un homme est à terre, lynché par les
gens qui veulent nous faire subir le même sort. Le chef du contrôle nous demande
de rejoindre une caserne qui se trouve rue du Camp-Saint-Philippe, 300 mètres plus
haut. Je ne tiens pas à y aller. Mon fiancé demande avec insistance au chef de nous
accompagner à notre domicile, n’étant plus très loin. Il prétexte sa responsabilité et
avec réticence finit par accepter. Il monte dans notre véhicule et après plusieurs
arrêts, nous sommes obligés de descendre du véhicule pour d’autres contrôles, en
pleine fusillade. Nous parvenons à notre domicile sains et saufs. Un peu avant notre
sortie le matin, mon père est descendu dans la rue sans nous dire ses intentions. Il
n’est jamais revenu.
Deux jours plus tard, Ben Bella rentre en Algérie ; il regroupe ses forces
à Tlemcen, en passe de devenir la « capitale bis ». Afin de contrer le GPRA,
Ben Bella réunit là ses alliés, dont Ferhat Abbas, évincé du gouvernement
provisoire en 1961. Le 14 juillet, Ben Bella et Boumediene font une entrée
triomphale à Oran. Ben Kheda et Krim Belkacem en font de même à Tizi-
Ouzou, accueillis par les éléments de la Wilaya III.
La page du 5 juillet 1962 ne sera jamais définitivement tournée. La
responsabilité du général Katz est évidente ; elle n’explique pas tout,
surtout pas les arrière-pensées du « groupe de Tlemcen ». Ni Boumediene
ni Ben Bella n’entendent accepter les accords d’Évian ; ni l’un ni l’autre ne
veulent en Algérie d’une présence européenne, mais bel et bien instaurer cet
État islamiste oublié, deux ans plus tôt, par les congressistes de la
Soummam.
Le 12 juillet marque une nouvelle étape dans les curieux rapports que le
général Katz noue avec Ben Bella, l’ennemi d’hier : une réception officielle
organisée par Katz leur donne l’occasion d’une première rencontre, sous le
signe de l’amabilité. Ben Bella, tout sourire, bavarde avec le général
français. Celui-ci tient à lui transmettre les amitiés d’Edmond Michelet.
Après quoi, Katz demande à être présenté au commandant de la wilaya 5, le
colonel Othman. Les deux chefs militaires boivent l’orangeade de la
réconciliation, sous le regard satisfait de Ben Bella. Les rares images de la
scène publiées par la presse française provoquent des réactions, comme la
question écrite de l’ancien ministre André Marie, publié au Journal officiel
du 4 août. Celui-ci demande à Pierre Messmer, ministre des Armées :
… quelques précisions sur certaines informations récentes concernant un
général ex-chef des forces militaires françaises à Oran, dont on connaît le rôle
éminent qu’il a joué dans la « liquidation de l’affaire algérienne » et dont la presse
annonce le prochain retour en métropole. Il demande notamment, au vu des photos
publiées :
1) si c’est de sa propre initiative ou sur les instructions du gouvernement que ce
général a accueilli Ben Bella à son quartier général ;
2) si c’est à la victoire de la politique algérienne française ou à celle des armes
FLN qu’il a levé son verre au cours de cette réception ;
3) s’il est exact qu’il a profité de cette singulière rencontre pour transmettre à
Ben Bella l’amical souvenir d’un ancien garde des sceaux, en exercice lors de la
détention de Ben Bella en métropole ;
4) si, dans l’affirmative, il a encore agi de sa propre initiative ou sur la demande
expresse de cet ancien ministre qui, d’ailleurs, a nié avoir chargé ledit général d’une
telle mission.
Le grand départ
Entre le 1er juin et le 26 juin, il a été enregistré 169 000 retours vers la
métropole. Ce rythme de passages correspond exactement à celui des départs de
juillet 1961. Ce sont bien des vacanciers, jusqu’à ce que la preuve du contraire soit
apportée.
Mais le pire des dérapages est sûrement celui du Conseil des ministres
du 18 juillet 1962, lorsque Louis Joxe accuse les rapatriés d’avoir tous été
des soutiens de l’OAS :
Les pieds-noirs vont inoculer le fascisme en France. Dans beaucoup de cas, il
n’est pas souhaitable qu’ils retournent en Algérie, ni qu’ils s’installent en France,
où ils seraient une mauvaise graine ! Il vaudrait mieux qu’ils s’installent en
Argentine, ou au Brésil, ou en Australie.
Les bilans impossibles
Tous les Algériens servant dans les différentes compagnies du 3e zouaves, soit
comme engagés, soit comme appelés FSNA, furent affectés à notre unité. Ils furent
bientôt rejoints par des Algériens en provenance d’autres régiments du
Constantinois ; plus de 400 Algériens furent affectés à la 403e UFL et, du fait des
libérations d’appelés et des désertions, près de trois cents y demeurèrent jusqu’au
bout.
Jacques Macé note aussi une curieuse adaptation des « recrues » à leur
nouveau statut :
En dehors des missions de protection qui leur étaient confiées, les chefs de
section occupaient leurs hommes par des exercices et des marches. Pour maintenir
la cadence, ils tentaient de leur apprendre, sans grand succès, des chants militaires.
Un jour, une section rentra au camp en chantant avec ardeur en arabe. L’aspirant qui
la commandait en était tout fier. Nous étions cependant quelques-uns à écouter la
radio et à nous tenir informés des événements. Le dialogue suivant s’engagea :
— Vous avez entendu comme ils chantent bien, mes gars, quand ils veulent ?
— Ce sont eux qui vous ont proposé cet air, mon lieutenant ?
— Affirmatif.
— Vous savez ce que c’est ?
— Non. Mais ils m’ont dit que c’était un chant très connu.
— C’est l’hymne du FLN, futur hymne national de la République algérienne.
Nous étions livrés aux ordres d’une armée arabe, commandés par des Arabes
que nous venions de combattre un mois auparavant. Certes, les gradés étaient de
bons militaires français. Mais tous les hommes étaient arabes. Ils étaient contents de
leur indépendance et nous le faisaient sentir. L’échéance fatidique approchait : le
1er juillet 1962, l’indépendance fut officielle. Nous sentions qu’il allait se passer
quelque chose. Les bruits les plus alarmants circulaient : trois « gus » avaient été
égorgés par leur peloton à El-Arricha ou ailleurs. Nous étions une quinzaine de
Français, y compris les gradés, perdus en plein djebel. Ce qui nous rassurait, c’est
que les gradés étaient à la même enseigne que nous. Effectivement, le 30 juin au
soir, un camion du régiment vint nous chercher. Le paquetage fut vite bouclé. Le
soupir de soulagement qui souleva nos poitrines à la sortie du camp reste, dix ans
plus tard, présent à ma mémoire. L’aventure « Force locale » était terminée. Dans la
nuit, le drapeau FLN remplaça le tricolore. L’épuration commença aussitôt. Tel
sergent assomma un autre sergent farouchement francophile, lui. Depuis dix ans, ils
mangeaient au mess l’un en face de l’autre […]. Nous venions de combattre le
FLN, depuis seize mois pour ma part. Du jour au lendemain, nous devions le servir.
Nous avions la nette impression d’avoir été livrés aux vaincus comme prisonniers
de guerre. Nous n’étions pas volontaires. Pour respecter je ne sais quelle clause
d’armistice, nous devions servir cette armée au drapeau incertain.
Au camp du 6e RT, au col des Zarifètes, non loin de Tlemcen, Pierre
Latanne assiste, vers la fin de l’été 1962, à la destruction d’une partie du
matériel :
Un lieutenant ami organise un gigantesque tas de matériel (rangers, tenues, tout
à l’état neuf ; livres de la bibliothèque du régiment) pour y mettre le feu.
J’étais outré. J’ai piqué au passage un magnifique ouvrage sur l’aéronautique,
magnifique livre album de grande taille relié cuir, et une paire de rangers
pointure 42… Manque de pot, rentré en France, je me suis aperçu que j’avais piqué
deux chaussures du même pied. Bien mal acquis… Il y a eu aussi beaucoup de
matériel radio détruit pour ne pas le laisser aux fels. J’ignore ce que l’on a fait des
véhicules et des armes.
1. Neuf unités de tirailleurs (les 1er, 2e, 3e, 4e, 5e, 6e, 7e, 21e, 22e), composées
majoritairement de Français de souche nord-africaine (FSNA), engagés volontaires, participèrent à la
guerre d’Algérie.
Annexe no 1
Que sont-ils devenus ?
Tous ces hommes qui ont choisi la rébellion, souvent pour honorer la
parole donnée, parfois par désespoir, connaîtront des fortunes diverses,
autour de ces deux thèmes essentiels qui ont un point commun : ne pas se
renier. Leur choix était donc court : accepter la sanction ou se faire oublier.
Les uns, qu’ils aient été faits prisonniers dans l’Ouarsenis, qu’ils aient été
arrêtés à Alger, Oran ou Constantine, savaient qu’ils achèveraient leur
parcours devant un tribunal, puis en détention. Les autres ont cherché le
chemin de l’exil, l’ont trouvé et sont partis vers l’Italie, l’Espagne,
l’Afrique du Sud ou l’Argentine.
Une semaine plus tard, comme les 68 députés et les 34 sénateurs
d’Algérie, il n’a plus le droit de siéger. Ils sont démis de leurs mandats par
le général de Gaulle : l’Algérie est indépendante depuis le 4 juillet 1962 !
MARÉCHAL Christian
Condamné à Paris à cinq ans de prison avec sursis, il ne peut pas
rejoindre l’Algérie pour des raisons administratives. Il se fixe à Saint-Cloud
(Hauts-de-Seine), dont il est originaire, avec son épouse, Nicole Pujol.
Celle-ci l’avait suivi à Paris durant son incarcération, délaissant donc ses
fonctions d’agent de liaison auprès du capitaine Montagnon à Alger. La
sœur de Nicole, Bernadette Pujol, est, elle, dans le maquis de l’Ouarsenis.
Christian Maréchal a été conseiller municipal Front national de Saint-
Cloud.
Signée par Raoul Salan, cette instruction est datée du 3 janvier 1962 et
intitulée « Au sujet de l’action ». Elle passe en revue toutes les données que
les clandestins peuvent apprécier à cette date. À propos de ceux que Salan
désigne sous l’appellation d’« adversaires », le texte commence par trois
remarques :
A. Au premier signal de danger, le pouvoir paraît décidé à retirer toutes
les troupes des grands centres pour procéder dans un deuxième temps à
l’investissement de ces derniers et à notre destruction complète.
B. Depuis plus de un mois, nous assistons à une normalisation des
actions des polices traditionnelles et des forces de l’ordre, opérant dans le
cadre de la stricte légalité. Elles sont remplacées par des commandos de
polices latérales et spéciales, opérant en semi-clandestinité sous des
étiquettes diverses.
C. L’aveu public que vient de faire le chef de l’État en annonçant le
retrait massif des unités militaires d’Algérie, et, de ce fait, le
« désengagement » de plus en plus marqué. Tels sont les faits capitaux qui
déterminent et conditionnent notre ligne de conduite à tenir.
À propos d’un éventuel blocus des grands centres, Raoul Salan
poursuit : « Si les choses se déroulaient pour le mieux, à notre avantage,
nous pourrions être appelés à aller jusqu’à la sécession de plus ou moins
longue durée. Il ne faut pas perdre de vue que la situation économique
locale, sans apport extérieur, créerait un état certainement difficile. »
Suivent trois remarques à propos de la métropole qui ne lui paraît pas en
état d’apporter un support actif à l’OAS Algérie ; sur le rôle de l’armée en
Algérie qui ne « jouera pas pour nous » ; sur l’engagement éventuel
d’autres régiments, puisque « les unités favorables ou sympathisantes sont
maintenant en garnison en France ou en Allemagne ».
ALGÉRIE
A. La population. Dans ce chapitre, le général Salan insiste sur le rôle
de la population européenne : elle « doit être convaincue de l’obligation de
s’intégrer complètement au combat et de participer activement et
physiquement à la lutte dans des conditions particulières. C’est vers la
mobilisation générale de tous et imposée à tous qu’il faut tendre sans
tarder ».
B. Les actions. À propos des actions à déclencher, Raoul Salan cite
comme modèle l’attentat contre la villa du MPC au soir du 31 décembre :
« C’est une action d’éclat dont je ne pourrais trop souligner l’intérêt capital
que j’y porte, quels que soient les résultats enregistrés. Ce genre
d’opérations doit devenir plus fréquent. Je donne un feu vert général dans
ce sens. »
C. Les militaires. Aux officiers et sous-officiers manifestant l’intention
de rejoindre l’OAS, Raoul Salan demande de se décider sans se demander
s’ils rendraient de meilleurs services en restant dans leurs unités. Et pour les
cadres des unités relevant du contingent, il ajoute : « Il faut bien se
convaincre qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes et qu’en cas de nécessité,
ces mêmes officiers risquent de se trouver paralysés dans leurs unités, sans
pouvoir nous être du moindre secours. »
D. Les maquis. « Dans la mesure où les possibilités matérielles locales
le permettent, l’idée de maquis doit se préciser et se généraliser, quelle que
soit la forme adoptée. Dans ce domaine aussi, je laisse la plus large
initiative aux commandements locaux, à charge pour ces derniers de rendre
compte des réalisations. La recherche systématique de l’efficacité et des
résultats doit dominer toute notre ligne de conduite, à l’exclusion de toute
autre considération. »
Raoul Salan achève ainsi ce paragraphe « Algérie » : « Notre action
positive dans tous les domaines doit contribuer à jeter le désarroi chez
l’adversaire, aussi bien gaulliste que FLN, faire perdre aux premiers toute
autorité sur le pays et inquiéter suffisamment les autres pour les faire hésiter
malgré les offres alléchantes de négociations. Cela ne modifie en rien notre
position générale de clandestinité. C’est dire sans que nous ayons à nous
dévoiler un seul instant, sans prise de pouvoir apparent. En bref, nous ne
nous enfermerons pas, notre lutte doit se dérouler partout et au grand air,
pas de terrain préalablement choisi, le combat doit être partout avec la
participation de tous. C’est dans ce sens que doit être éduquée la
population en général. »
MÉTROPOLE
« Les conditions sont différentes en métropole, mais dans la mesure du
possible, la ligne de conduite doit rester sensiblement identique. Quelques
points particuliers seront toutefois plus approfondis. »
A. L’action psychologique. « De manière à consolider les positions de
l’OAS et à élargir le champ des sympathies, un effort particulier sera fait
dans ce domaine. Les émissions pirates, qui frappent beaucoup l’opinion
nationale et internationale, devront se généraliser. »
B. Les actions. « C’est là un des aspects fondamentaux du problème
métropolitain. Il faut obtenir une unité totale et inconditionnelle de tous les
mouvements sous le sigle et l’obédience de l’OAS. En Algérie, cela est
pratiquement réalisé. Il subsistera certes toujours quelques bavures, mais il
faut à tout prix présenter un front homogène et compact à l’adversaire. À
défaut de mieux, il convient que ce dernier en soit convaincu. Ainsi la
délégation générale Métropole posera la question à tous les groupes isolés.
Elle exigera d’eux une réponse sans ambiguïté et, en cas de manœuvres ou
de déviationnisme, rendra publique la non-appartenance du groupe en
question à l’organisation. »
C. L’armée. « Compte tenu du grand nombre d’unités rapatriées
d’Algérie, c’est en métropole que doit s’affirmer l’action sur l’armée, aussi
bien pour les isolés que pour les collectivités. Des contacts permanents et à
tous les échelons doivent être entretenus. »
Le texte s’achève ainsi : « Je ne me dissimule pas qu’une diffusion trop
large risque d’entraîner des fuites, mais si ces inconvénients doivent être
compensés par un surcroît d’efficacité et de réalisation, les dangers seraient
ainsi largement compensés. »
SOURCES
Bibliographie
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BOUALAM, bachagha Saïd, Mon pays, la France, France-Empire, 1962.
DARD, Olivier, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2005.
FERRANDI, Jean, 600 jours avec Salan et l’OAS, Fayard, 1969.
FLEURY, Georges, Histoire secrète de l’OAS, Grasset, 2002.
—, Le Baroudeur. Les quatre guerres du général Delayen, Grasset, 1979.
—, Nous les combattants d’Algérie 1954-1962, Bourin, 2010.
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MAURIAC, Jean, L’Après-de Gaulle, Fayard, 2007.
MICHELETTI, Claude, Fors l’honneur, La guérilla à Oran en 1961/1962,
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MONTAGNON, Pierre, La Guerre d’Algérie, genèse et engrenage d’une
tragédie, Pygmalion / Gérard Watelet, 1984.
—, L’Honneur, pas les honneurs, mémoires, tome II, Bernard Giovanangeli
Éditeur, 2019.
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2003.
ZELLER, Guillaume, Oran 5 juillet 1962, Tallandier, 2012.
Autres publications
Le Figaro Histoire, « Algérie, la guerre sans nom », no 17.
Historia « La fin de la guerre d’Algérie », no 400, puis no 424 bis.
275
Gardy, général 32, 34, 53, 66, 120-121, 157-158, 176, 179, 187-189, 279
Gaulle, Charles de, général 13-19, 22, 24, 26-27, 29-30, 44-46, 62, 73, 89, 91-
92, 112-113, 120, 152, 165, 176, 191, 197, 219-220, 223, 227, 237, 254, 274, 284,
293, 295, N3
Gautier, Simone 81
Gély, Nicolas 32
Geromini, capitaine 159
Ghéram, Mohamed (voir aussi Augustin) 114
Ginier Josué (voir aussi Jésus de Bab el-Oued) 38
Godard, Yves, colonel 32, 34, 53, 66, 70, 78, 121, 158-159, 179, 279
Gonnaud, Michel 114-115, 123, 135, 280, 316
Gorel, Raymond, intendant militaire 281
Grillot, lieutenant 100
Grout de Beaufort, Gilles, lieutenant 260
Guerfi, Messaoud 258
Guillaume, Pierre, lieutenant de vaisseau 105, 120, 157, 164, 281
Guy 96, 143, 148
Hamel, Roland 184, 186
Hanoun, Alain 55, 60, 316
Hersant, Robert, député, journaliste 14
Holeindre, Roger, député 95, N1
Holstein, Michel, sous-lieutenant 110, 124, 126, 137-139, 164, 283
Hugues, André, député 14
Isella, maire en Algérie 30
Jeannot, professeur 183
Jésus de Bab el-Oued (voir aussi Ginier, Josué) 38
Jordi, Jean-Jacques, historien 266-267
Jouhaud, Edmond, général 14, 31, 34, 66, 71, 99-102, 104-107, 114, 116-120,
126, 128, 135, 137-141, 161, 163-164, 283, 287-288, 291, 316
93, 97-99, 102-104, 106, 114, 120, 152, 157-160, 163-166, 175, 272, 276-278,
Salva, éleveur 55
Sandor, sergent 150
Sarradet, Jean 113
Souètre, Jean-René, capitaine 94, 189, 293-294
Souiah, préfet 209
Susini, Jean-Jacques 31-34, 70, 111, 113, 158, 176, 178-182, 187, 222, 281,
* Les noms figurant en italiques sont des pseudonymes. Ils sont accompagnés des patronymes
réels des personnages, lorsque ceux-ci ont été identifiés.
REMERCIEMENTS
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