Les - Derniers - Feux - de - La - Guerre - D'algérie., Pierre Pellissier

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DU MÊME AUTEUR

Un certain Raymond Barre, Hachette, 1977.


La Vie quotidienne à l’Élysée au temps de V. Giscard d’Estaing, Hachette, 1978.
Les Grognards de Cabrera, en coll. avec Jérôme Phelipeau, Hachette, 1979.
Philippe Pétain, Hachette, 1980.
Émile de Girardin, prince de la Presse, Denoël, 1985. Prix Napoléon III, 1986.
Une couronne pour deux, en coll. avec N. Kern et D. Séguin, JC Lattès, 1986.
Charles Pasqua, JC Lattès, 1987.
Brasillach le Maudit, Denoël, 1989. Prix des Amis de R. Brasillach, 1990.
Tous nuls, Denoël, 1989.
Saint-Cyr, génération Indochine-Algérie, Plon, 1992 ; Perrin, 1998. Prix des Écrivains combattants,
1993 ; prix de la Légion d’honneur, 1994.
La Bataille d’Alger, Perrin, 1995 ; Tempus, 2002.
Jacques Faizant, dessinateur de légendes, en coll avec Olivier Raynaud, JC Lattès, 1996.
Au secours, nos élus nous ruinent, Denoël, 1997 ; GLM, 1997.
La Légende de Jacques Anquetil, Rageot, 1997.
De Lattre, Perrin, 1998 ; Tempus, 2015.
Le 6 février 1934, Perrin, 2000 ; GLM, 2000.
Massu, Perrin, 2003, nouvelle édition 2018. Prix Robert Joseph des Écrivains combattants, 2003.
Diên Biên Phu, Perrin, 2004 ; Tempus, 2014. Prix Jean Sainteny de l’Académie des sciences morales
et politiques.
Nous les Français combattants 39-45, en coll avec Pierre Messmer et Michel Tauriac, Tallandier,
2005 ; GLM, 2005. Prix Dulac de l’Académie des sciences morales et politiques.
Proper Mérimée, Tallandier, 2009. Prix Second Empire 2009, de la Fondation Napoléon ; prix de la
Biographie 2009, du Nouveau Cercle de l’Union.
Fachoda et la mission Marchand 1896-1899, Perrin, 2011  ; GLM, 2001. Prix Maurice Travers, de
l’Académie des sciences morales et politiques.
Solférino, 24 juin 1859, Perrin, 2012 ; GLM, 2012.
Salan, quarante années de commandement, Perrin, 2014 ; GLM, 2015 ; Tempus, 2020.
Pauvres indigènes, Godefroy de Bouillon, 2015.

PARTICIPATIONS RÉCENTES À DES OUVRAGES COLLECTIFS

Le Siècle de sang, Perrin-L’Express, 2014.


Les Énigmes de l’histoire de France, Perrin/Le Figaro Magazine, 2018.
© Perrin, un département de Place des Éditeurs, 2022

92, avenue de France

75013 Paris

Tél. : 01 44 16 08 00

Des soldats de l’armée française et des tirailleurs du 4e régiment de tirailleurs algériens (RTA)
affrontent des opposants à l’indépendance de l’Algérie, le 26 mars 1962, devant la Grande Poste
de la rue d’Isly, à Alger, lors d’une manifestation à l’appel de l’Organisation armée secrète
(OAS).

© AFP/Photo

ISBN : 978-2-262-08584-1

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé
du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux,
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prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle.
L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété
intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

Ce document numérique a été réalisé par PCA


«  Monsieur le président, on peut demander beaucoup à un
soldat, en particulier de mourir, c’est son métier. On ne peut lui
demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de
se renier, de se parjurer… »
Hélie Denoix de Saint Marc

(devant le haut tribunal militaire,

le 5 juin 1961).

« L’abnégation du guerrier est une croix plus lourde que celle


du martyr. Il faut l’avoir portée longtemps pour en savoir la
grandeur et le poids. »
 
«  Leur couronne est une couronne d’épines, et parmi ses
pointes je ne pense pas qu’il en soit de plus douloureuse que celle
de l’obéissance passive. »

Alfred de Vigny

(Servitude et grandeur militaire,

chap. III).
SOMMAIRE
Couverture

Titre

Du même auteur

Copyright

Principales abréviations utilisées

1 - Naissance du FLN

2 - Cessez-le-feu, le 19 mars

3 - Bab el-Oued, le 23 mars

4 - Rue d’Isly, le 26 mars

5 - Convois vers l’Ouarsenis

6 - La journée des succès

7 - Le temps des désillusions

8 - La prison ou l’exil

9 - Vers l’indépendance

10 - Oran, le 5 juillet

11 - Le grand départ

12 - Les bilans impossibles
Annexes

Annexe no 1 - Que sont-ils devenus ?

Annexe no 2 - L’instruction no 19 de l’OAS

Sources

Index

Remerciements
Principales abréviations utilisées

ALN Armée de libération nationale (branche armée du FLN).

Auxiliaires temporaires occasionnels (policiers au service de l’ALN après


ATO
le cessez-le-feu).

DBFM Demi-brigade de fusiliers marins.

EMT État-major tactique.

FIS Front islamique du salut.

FLN Front de libération nationale.

FSE Français de souche européenne.

FSNA Français de souche nord-africaine.

GMPR Groupement mobile de protection rapprochée.

GMS Groupement mobile de sécurité.

Gouvernement provisoire de la République algérienne (durant la guerre


GPRA
d’indépendance).

Katiba L’équivalent d’une compagnie de l’armée française.

MNA Mouvement nationaliste algérien.

MPC Mouvement pour la communauté, ou pour la coopération.

OAS Organisation armée secrète.

OPA Organisation politico-administrative (branche politique du FLN).


Rama Régiment d’artillerie de marine.

REC Régiment étranger de cavalerie (Légion étrangère).

REI Régiment étranger d’infanterie (Légion étrangère).

REP Régiment étranger parachutiste (Légion étrangère).

RIMa Régiment d’infanterie de marine.

Régiments (ou bataillons) de tirailleurs algériens (tous devenus RT ou BT


RTA (ou BTA)
en 1959).

SAS Section administrative spécialisée.

SAU Section administrative urbaine.

SDECE Service de documentation extérieure et de contre-espionnage.

UFL Unité de la Force locale.

Wilaya L’équivalent d’une région (civile ou militaire).

ZAA Zone autonome d’Alger (administration du FLN).


1

Naissance du FLN

Tout commence le 1er novembre 1954 ; mais, en Algérie, le feu couvait


depuis longtemps. Ce jour-là explose une bouffée de violence qui n’a rien
d’improvisé  : soixante-dix attentats  ; une trentaine de bombes éclatent la
même nuit, à travers l’Algérois, l’Oranais et le Constantinois. Il y a aussi
une embuscade dans les Aurès, entre Biskra et Harris. Les victimes
deviennent presque des symboles  : un vieux bachagha, ami de la France,
Hadj Sadok, et les Monnerot, deux jeunes enseignants arrivant de
métropole  ; les deux hommes sont assassinés, la femme survivra dans la
douleur. La nuit tragique fait au total huit morts, dont six Européens.
Les terroristes ne cherchent pas l’anonymat. Les 1er et 2 novembre, les
agences de presse, les journaux parisiens reçoivent un document, également
diffusé depuis Le  Caire. Ce texte réclame l’indépendance pour l’Algérie,
dans le respect des principes islamiques. Surtout, il porte, vers le milieu du
texte, une signature :
Notre action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi obstiné
et aveugle qui s’est toujours refusé à accorder la moindre liberté par des moyens de
lutte pacifique. Ce sont là, nous pensons, des raisons suffisantes qui font que notre
mouvement de rénovation se présente sous l’étiquette de FRONT DE
LIBÉRATION NATIONALE.
De l’enchaînement qui s’ensuit naît une guerre qui, officiellement, n’en
sera jamais une. Quelques gouvernements parleront hypocritement
d’«  événements  », d’autres évoqueront les nécessités du maintien de
l’ordre, même lorsque Guy Mollet, président du Conseil socialiste, décidera
d’envoyer combattre en Algérie les jeunes appelés du contingent.
La IVe  République, sans volonté, s’essouffle, s’épuise, agonise. En
repoussant à coups de tomates Guy Mollet, venu leur imposer le général
Catroux comme résident général, les Algérois prennent conscience de leur
puissance. En mai 1958, une manifestation à Alger, en hommage à quatre
soldats français prisonniers du FLN assassinés en Tunisie, tourne en
quelques jours au coup d’État. Du balcon du gouvernement général, le
général Salan lance un appel au général de Gaulle. Le président de la
République, René Coty, prend lui aussi contact avec l’ancien chef de la
France libre. La République peut se suicider ; la relève est prête.
Mais est-ce bien la relève espérée ? La réponse appartient à Charles de
Gaulle, entrant en scène à Alger, avec un tonitruant : « Je vous ai compris. »
Après quoi il semble chercher sa voie : une fois – mais une seule –, il salue
l’Algérie française –  la scène se produit le 6  juin 1958, à Mostaganem.
Après quoi, mois après mois, puis semaines après semaines, il invente des
nouvelles formules pour évoquer l’avenir d’une Algérie qui paraît à ses
auditoires de moins en moins proche de la France…
Les réactions des pieds-noirs (les Français d’Algérie) puis des militaires
sont connues : le doute, la méfiance, la colère, la révolte. En janvier 1960,
la publication d’un entretien du général Massu dans un quotidien bavarois
entraîne son rappel. Massu est désormais interdit de séjour en Algérie. Les
pieds-noirs d’Alger répondent par la semaine des barricades. En avril 1961,
le putsch des généraux n’est qu’une brève tentative ; elle conduit Maurice
Challe et André Zeller en prison, puis Raoul Salan et Edmond Jouhaud dans
la clandestinité.
L’Algérie dérape vers le drame. Qui a lancé l’idée d’une partition
d’avec la France ? Les pistes ne manquent pas. Déjà, dans une étude publiée
en juin  1957, Raymond Aron considère que l’indépendance de la colonie
est inéluctable, tout en envisageant une enclave française entre Alger et
Oran. Quelques mois plus tard, une proposition de loi signée par quatre
députés –  Robert Hersant, André Hugues, Jean de Lipkowski et Pierre
Naudet – va dans le même sens. Leur idée est de regrouper les Français et
les musulmans attachés à la France entre Alger et Oran, avec deux
territoires concédés au gouvernement provisoire de la République
algérienne (GPRA) : le Constantinois et la région de Tlemcen.
De Gaulle lui-même a pensé à cette solution  ; il en a surtout joué…
C’est le 16 septembre 1959, dans l’un de ses discours, qu’il lance une idée
proche de la partition pour l’Algérie. Il parle de la sécession en précisant :
«  Il va de soi que, dans cette hypothèse, ceux des Algériens de toutes
origines qui voudraient rester français le resteraient de toute façon et que la
France réaliserait, si cela était nécessaire, leur regroupement et leur
établissement. » Une simple esquisse en apparence, ou un ballon d’essai…
L’idée fait son chemin, et l’un de ses ministres, Alain Peyrefitte,
reprend le thème en le développant. C’est d’ailleurs le Général qui lui
suggère d’approfondir l’idée qu’il vient de lancer  : s’il voulait bien écrire
quelques articles pour la presse… Peyrefitte s’exécute ; son premier papier
est publié par La Vie française, le 4 août 1961. Georges Pompidou relance
Peyrefitte  : pourquoi ne développerait-il pas le sujet plus amplement  ? Et
voici l’auteur préparant une série de quatre articles pour Le Monde  ; ils
paraissent en septembre, après avoir été relus par le chef de l’État lui-
même. Puis René Brouillet, directeur de cabinet à l’Élysée, enfonce le clou :
un tel sujet mériterait bien un ouvrage… Peyrefitte cède, développe son
travail et trouve un éditeur, la maison Plon. Son plan tient en quatre points :
une zone française entre Alger et Oran, deux zones pour le GPRA à l’est et
à l’ouest, un accès au Sahara qui deviendrait autonome et une sorte de
capitale imitée du Berlin de l’époque que se partageraient les deux États.
C’est vers la fin novembre  1961 que le général de Gaulle se dévoile et
stupéfie Alain Peyrefitte. Celui-ci raconte la scène :
« Alors, commence de Gaulle, on me dit que vous voulez publier un livre sur le
partage de l’Algérie. Mais ne savez-vous pas que cette solution n’en est pas une ?
Elle ne tient pas debout ! » Et il balaya mes arguments en faveur de la partition avec
autant de vigueur que, quelques mois plus tôt, il avait balayé mes objections à cette
même hypothèse […]. J’étais atterré. Depuis juillet, je n’avais rien fait d’autre : tant
de réflexions anéanties ! Tant de travail inutile ! Je me levai : « J’ai compris, je vais
demander à mon éditeur de mettre au pilon la composition de mon livre.  » Le
général me raccompagna en silence. Puis, au moment d’ouvrir la porte, il laissa
tomber  : «  Je  ne vous le demande pas. Cela peut encore servir. Ce que je vous
demande, c’est de ne pas laisser entendre que je suis favorable à cette solution. »

Au détour d’une phrase, Peyrefitte avoue donc avoir été contre la


partition quelques mois plus tôt, et rabroué par de Gaulle qui affectait
encore de tenir à cette idée. Michel Debré, le Premier ministre, que ce
virage accable, en parle aussi à Peyrefitte : « La partition, lui confie-t-il, a
d’abord été une idée de fond du Général ; puis, comme il le fait souvent, il y
a renoncé en tant que telle, mais a continué à la poursuivre comme moyen
tactique. »
Désormais, la partie qui se joue entre Paris et le GPRA est bien
engagée. Elle va se poursuivre, mais avec des cartes truquées.
Le FLN a aussi ses leurres, ou, plus exactement, le moyen de contrôler
les populations qu’il veut entraîner dans la rébellion  : le 15  juin 1955, il
décide le boycott du tabac et des alcools !
En s’abstenant de l’usage des tabacs et des alcools, les Algériens manifesteront
unanimement leur approbation au combat libérateur que mène notre glorieuse
Armée de libération nationale. Boycotter le tabac et l’alcool, c’est enfin montrer au
monde que le peuple algérien est mûr, qu’il est capable de suivre un mot d’ordre,
qu’il sait ce qu’il veut et où il va…

Le FLN ne plaisante pas. Il ne s’agit pas de «  porter un grand coup à


l’économie impérialiste », comme il est aussi écrit dans ce texte. En réalité,
la rébellion confie aux petits gradés de son OPA –  l’organisation politico-
administrative qui s’implante – le soin de lui dénoncer tous ceux qui osent
braver ses interdictions.
Des semaines avant que s’engagent les négociations, avant même les
entretiens secrets préalables à ces rencontres, de Gaulle lance d’autres
jalons, souvent contradictoires. Dès le 16  septembre 1959, il évoque
l’autodétermination, avec trois options possibles  ; la sécession qui, à ses
yeux, n’apportera que la misère et le chaos ; la francisation à laquelle il ne
croit pas, mais qui lui évite de prononcer le mot «  intégration  » qu’il
exècre  ; l’association, c’est-à-dire l’Algérie gouvernée par les Algériens
avec l’assistance de la France. Les musulmans découvrent l’espoir, les
Européens apprennent l’inquiétude ; les militaires sombrent dans le doute.
Entre le 3 et le 5 mars 1960, le Général effectue une de ses « tournées des
popotes », autrement dit une visite aux seuls militaires, qu’il rencontre dans
leurs postes ou leurs casernements. Pour eux, il choisit des formules chocs :
« Il n’y aura pas de Diên Biên Phu en Algérie. » « Il faut que nos armées
l’emportent définitivement. » « Il n’est pas question de rétablir le système
d’avant, mais l’indépendance est aussi impossible. »
Les négociations avec le GPRA sont engagées, secrètement puis
discrètement, dès 1960. Un semblant de clarté apparaît dès le début 1961,
puisque le référendum du 8 janvier portant sur l’autodétermination est déjà
une carte blanche accordée à de Gaulle pour régler le problème algérien.
La suite est encore longue, agitée, incertaine. Il y a des moments de
poses pour les rencontres entre la France et les rebelles. Le contentieux est
délicat, les dossiers sont épais, les positions divergentes. Au fil des
semaines, quatre sujets s’imposent : le cessez-le-feu, le sort des populations
européennes, le Sahara et la base navale de Mers el-Kébir.
Lorsque les négociations sortent de l’ombre, il devient évident que tous,
Français, pieds-noirs et Algériens, devront être patients. C’est le 27  mars
1961 qu’est officiellement annoncé le début des négociations entre la
France et le GPRA, qui doivent commencer le 7  avril à Évian. Les
rencontres sont précédées de quelques tensions parce que le GPRA entend
être le seul négociateur algérien, alors que la France souhaite consulter le
Mouvement national algérien (MNA) au même titre que le FLN, ainsi que
les élus musulmans d’Algérie. Puis, à Évian, il y a l’attentat qui coûte la vie
au maire de la ville  ; il y a aussi une série d’actions violentes, dont
l’Organisation de l’armée secrète (OAS) revendique la paternité le 9 avril :
« L’OAS frappe où elle veut, quand elle veut. » Pour les négociations, c’est
l’impasse.
Le 11, dans le cadre d’une conférence de presse, de Gaulle précise un
peu plus sa marche vers l’indépendance, en évoquant cet État «  souverain
au-dedans et au-dehors » auquel aspirent les Algériens. Il ajoute cependant
un mot pour les Français d’Algérie : « Ces populations-là, nous aurons donc
d’abord à les regrouper, en assurant leur protection. » Et ensuite ? Ensuite,
on verra bien…
L’échec du putsch des généraux du 21  avril 1961 ne change guère le
climat  : les pieds-noirs sont inquiets  ; l’ambiance reste lourde  ; l’OAS
entend démontrer que le revers des quatre généraux rebelles ne l’a pas
affectée. L’armée, elle, est littéralement épurée  : des régiments sont
déplacés, tous les officiers réputés avoir été proches des putschistes sont
soit mutés, soit arrêtés puis jugés ; une centaine d’entre eux attendent leur
jugement au fort de l’Est, en banlieue parisienne. Les peines sont légères,
mais, même assorties du sursis, elles coûtent leur carrière à ces officiers,
immédiatement chassés de l’armée.
Alger prend l’habitude des concerts nocturnes, le fracas des casseroles
scandant à peu près le rythme « Algérie française  », trois brèves et deux
longues dans la traduction en morse… Les avertisseurs des automobiles
usent du même ti-ti-ti-ta-ta. Une manière de folklore, si derrière ces
manifestations n’apparaissaient le doute, la crainte et déjà la peur. Pendant
ce temps, les autorités tentent de reprendre le contrôle du pays : couvre-feu,
perquisitions, mutations au sein de l’armée, arrestations, dissolution du
1er  REP et de deux régiments parachutistes, suspension des quotidiens
d’Alger –  à l’exception du Journal d’Alger. Le 3  mai, l’OAS diffuse un
tract prônant la révolte :
Une grande armée des maquis s’organise. La provocation du régime a
neutralisé certains chefs félons. Les purs restent avec nous et poursuivent le
combat…

Le même tract recommande aux Algérois de conserver leurs armes,


d’abattre ceux qui voudraient les arrêter, d’incendier les locaux
administratifs, de tuer tous les traîtres, petits ou grands.
C’est finalement le 20 mai 1961 que les négociations entre la France et
le GPRA s’ouvrent à Évian. La délégation française est conduite par Louis
Joxe, le ministre chargé des Affaires algériennes. Les Algériens choisissent
Belkacem Krim, le ministre des Affaires étrangères du GPRA. Les
rencontres ont lieu à l’Hôtel du Parc. La délégation algérienne réside en
Suisse. Les premiers dossiers sont entrouverts. Il apparaît, malgré les règles
de silence acceptées par les deux délégations, que le cessez-le-feu est la
première difficulté  ; le Sahara, que revendiquent les Algériens, en est une
seconde. Louis Joxe évoque avec insistance une possible partition.
La seule mesure concrète est unilatérale, elle a été annoncée dès
l’ouverture des négociations, le 20 mai : la France décide d’une trêve d’un
mois en Algérie. Toutes les actions militaires sont suspendues, sauf
tentatives de passage des barrages aux frontières, sauf attaques de l’Armée
de libération nationale (ALN) « d’une certaine ampleur » contre les forces
françaises. Six mille militants du FLN prisonniers seront libérés en
Algérie ; Ben Bella, Aït Ahmed, Boudiaf et Khider quittent leur prison de
l’île d’Aix pour une résidence surveillée, le château de Turquan. Pour les
Algériens, ce délai de un mois «  montre qu’il s’agit d’une manœuvre de
diversion, d’un véritable chantage ».
Le 27  mai, recevant des parlementaires à l’Élysée, de Gaulle leur
annonce qu’il va retirer une division d’Algérie, que d’autres unités
militaires suivront et que, si rien n’avance dans les négociations, il faudra
envisager un partage «  au moins provisoire  » du territoire algérien. Le
13 juin, les deux délégations reconnaissent être dans l’impasse. L’heure de
la séparation vient de sonner. En Algérie, OAS et FLN reprennent leurs
combats. À chacun son attentat, à chacun ses victimes. Les méthodes se
confondent parfois, même si les extrémistes FLN se manifestent davantage
en milieu rural et que leurs homologues de l’OAS agissent surtout en zone
urbaine. Le Général, pour sa part, fidèle à ses habitudes, poursuit ses visites
des régions françaises. À la fin juin, il est dans l’Est, où il fait un nouveau
pas en avant ; c’est à Verdun qu’il parle pour la première fois de l’Algérie
comme d’un «  État indépendant  ». Mais comme s’il voulait nuancer son
propos, à Épinal, deux jours plus tard, il envisage, à défaut d’une
association des deux pays, un regroupement des populations françaises de
souche autour d’Alger et d’Oran, car «  il est plus facile de protéger deux
départements que treize ».
La réponse du FLN est immédiate  : en perte d’influence sur le terrain
militaire, les tenants de l’indépendance décident d’une grève générale pour
le 1er juillet :
Les Français usent de stratagèmes, vous exigerez d’eux la reprise de
négociations loyales et sincères avec le GPRA, vous direz non à la partition, même
provisoire. Vous enlèverez aux colonialistes toute illusion. Vous clamerez
hautement que vous ne tolérerez aucune amputation, aucune division du territoire
national, le Sahara étant lui aussi partie intégrante de l’Algérie.

La grève est effectivement suivie  : 90  % des musulmans quittent leur


travail à Alger ou à Oran. Cette journée de protestation est une réussite pour
le FLN  : elle est largement suivie, dans le secteur privé comme dans le
service public. Si Alger, Oran et la Kabylie sont restés calmes, ailleurs
l’affaire a parfois tourné au drame : le bilan officiel fait état de 80 morts et
266 blessés, dont 51 morts chez les manifestants. Pourtant, quatre jours plus
tard, les négociateurs se retrouvent au château de Lugrin, en Haute-Savoie.
Entre le 20 juillet, date de la reprise des contacts, et le 28 juillet, date d’une
nouvelle rupture, le Sahara est l’objet majeur des dissensions.
À la mi-août, la France claironne la fin de la trêve et rend aux militaires
leur liberté d’action. Il est vrai que le FLN n’a jamais reconnu cette trêve et
qu’il a multiplié ses attentats. Mais, comme il le fait souvent, le général de
Gaulle alterne le chaud et le froid  : s’il rend aux militaires le droit de
riposter, il tient le 5 septembre une curieuse conférence de presse à l’Élysée.
À la surprise générale, il reconnaît que tous les Algériens pensent que le
Sahara doit faire partie de l’Algérie  ; que pas un seul gouvernement
algérien, quelle que soit son orientation, ne cessera de revendiquer la
souveraineté algérienne sur le Sahara… Une page se tourne : de Gaulle, en
deux phrases, vient d’abandonner le Sahara !
La première bombe nucléaire ayant explosé à Reggane, au cœur du
Sahara, le 13  février  1960, le site sera-t-il désormais jugé inutile1  ? Le
pétrole coule, il faut bien que l’Algérie l’exporte. Ne serait-ce plus qu’une
affaire commerciale  ? Toujours est-il que les retombées des propos
présidentiels sont immédiates  : espoir du côté musulman, ressentiment et
craintes chez les Européens. Les deux communautés s’affrontent de plus en
plus sévèrement, au détriment des civils des deux parties broyés par
l’enchaînement des violences ; il faut que l’OAS lance un appel au calme :
L’armée secrète est là. Elle a pris l’entière responsabilité du combat pour
l’Algérie française. Elle frappe les vrais responsables, ne frappez pas les innocents.

Le chef de l’État ne parlera pratiquement plus du Sahara. Son silence


est absolu lors de son voyage de septembre, dans les départements du
Centre, où il insiste sur sa détermination à mettre fin à l’affaire algérienne :
«  Nous devons terminer notre œuvre de décolonisation en Algérie, nous
voulons que les Algériens prennent en main leur destin, qu’ils le prennent
nous leur offrons. »
La tension monte encore en Algérie…
 
Le 21 septembre, une émission de la RTF est interrompue ; un sabotage
permet de diffuser une émission-pirate de l’OAS, qui est un appel à la
manifestation  ! Elle exhorte les pieds-noirs à organiser le lendemain un
concert de casseroles ou de tous autres engins sonores ; puis, le 25, à hisser
les drapeaux de l’OAS sur les toits ou les balcons. Le 22, dans la soirée, le
vacarme est assourdissant  ; casseroles, avertisseurs, chants, sifflets,
trompettes, trombones… Et la télévision d’État doit encore céder l’antenne
à la radio-pirate de l’OAS. Le 25, l’opération oriflamme est plus discrète ; il
n’est pas prudent de se faire repérer par certains services officiels ou
officieux.
Terrorisme, contre-terrorisme, attentats des uns contre les autres,
plasticages… la violence ne cesse de monter  ; 70 explosions au soir du
31  octobre, pour la seule ville d’Alger. Le plus grave est ailleurs, dans le
Constantinois, à Médéa, où les assassinats d’Européens et la répression font
des dizaines de morts. Le climat s’alourdit encore, le 2 novembre, après une
ouverture du général de Gaulle pour de nouvelles négociations. En
admettant la représentation du FLN, il conduit les députés de la tendance
« Algérie française » à réclamer celle de l’OAS.
Ce mois de novembre va être consacré pour une large partie au sort des
Algériens détenus en France. Ben Bella, Aït Ahmed et Khider, qui faisaient
une grève de la faim, après avoir quitté la prison de l’île d’Aix pour le
château de Turquan, passent par l’hôpital de Garches et arrivent dans une
maison de convalescence, le château d’Aunoy. Le Maroc fournit le
personnel et la France assure la sécurité. Les hommes, désormais installés à
Aunoy, doivent-ils être associés aux négociations  ? le GPRA le veut, la
France le refuse. Le 20  novembre, autre concession de Paris  : tous les
pensionnaires algériens des prisons françaises, arrêtés pour leurs liens avec
le FLN, deviennent des détenus politiques.
Le général Salan, dans la clandestinité, suit les événements. Il devine
que les négociations finiront par déboucher sur un accord entre les deux
parties, accord dont il a tout à craindre. Le 15 décembre, il s’adresse à tous
ses artisans qui se tiennent en réserve à travers l’Europe :
Les jours ou, tout au plus, les semaines à venir pourraient constituer un tournant
décisif dans l’histoire de l’Algérie et, partant, de la France tout entière. De ce fait,
l’état-major de l’OAS donne à tous les patriotes dignes du nom, et réfugiés en pays
étrangers, où en cas de nécessité leur action ne pourra qu’être très limitée, de
rejoindre sans délai le territoire national en Algérie ou en métropole et de se mettre
au service de la cause dans le cadre de l’organisation de l’armée secrète.

En Algérie, embuscades et attentats se multiplient  ; Alger et Oran, le


31  décembre au soir, s’adonnent à leurs concerts de casseroles et
d’avertisseurs. Quelques heures plus tôt, de Gaulle a annoncé le prochain
regroupement en Europe des forces françaises, avec le rappel dès le mois de
janvier 1962 de deux nouvelles divisions et des forces aériennes. La fin de
l’année est sinistre pour les Européens d’Algérie. Sinistre, douloureuse,
inquiétante, seulement scandée par les stroungas, comme les pieds-noirs ont
baptisé les déflagrations quotidiennes des attentats au plastic.

1.  La France utilise jusqu’en 1966 un site dans le massif du Hoggar.


2

Cessez-le-feu, le 19 mars

1962 s’annonce comme l’année des décisions, donc de tous les


dangers ; pour l’Algérie, pour la population européenne et pour une bonne
partie de l’armée. À présent, nul ne peut plus douter de la volonté du
général de Gaulle de renoncer à la présence française sur l’autre rive de la
Méditerranée.
Déjà, des postes militaires sont abandonnés. L’ALN, bien diminuée,
étrillée même par les opérations décidées par le général Challe, peut
réapparaître dans le bled. Déjà une forme de résistance s’est imposée  :
l’OAS est en place ; elle a son organigramme, ses commandos qui tentent
de contrer le pouvoir politique. Se sont aussi installés en Algérie,
essentiellement à Alger, de mystérieux supplétifs, venant souvent de
métropole  ; ils tentent de rendre coup pour coup à l’OAS. Ces nouveaux
venus se cachent derrière le sigle MPC qui peut, selon les besoins, signifier
«  Mouvement pour la coopération  » aussi bien que «  Mouvement pour la
communauté  ». Le responsable en est Lucien Bitterlin, très actif dans la
lutte contre l’OAS. Ce n’est, de toute façon, que le faux nez dont sont
affublés ces clandestins, qui traverseront cette tragédie sous l’appellation de
« barbouzes ».
Dans la Dépêche algérienne  du 1er  février 1962 est rapportée une
confidence de De Gaulle au vice-président des Maires de France, M. Isella,
pied-noir maire de Hamma-Plaisance : « Je n’ai jamais cru à la francisation.
Il est certain que l’autodétermination conduira à l’indépendance. »
Mais venons-en à l’OAS. L’Organisation de l’armée secrète, dite aussi
Organisation armée secrète, est née à Madrid en janvier  1961, dans de
curieuses circonstances. Le jeune reporter du Figaro, venu suivre en
décembre  1960, à Oran, les premières manifestations de rue du FLN, est
contacté à son hôtel par un personnage qui se veut discret. Celui-ci refuse
de se présenter, mais lui annonce avoir des informations à offrir. Dans une
arrière-salle de bistrot, il parle effectivement de la résistance qui s’organise,
de la volonté des pieds-noirs de rester chez eux  : «  Nous serons l’armée
secrète de la résistance ou quelque chose comme ça  ; le nom n’est pas
encore arrêté, mais nous nous défendrons contre l’abandon. »
Le journaliste regrettera longtemps que ce passage de son reportage ait
été coupé par sa direction… D’autant que le mouvement de révolte en
gestation va rapidement avoir son appellation : Organisation armée secrète,
ou OAS. C’est, à Madrid, vers la mi-janvier que Lagaillarde et Susini, pour
une fois d’accord, proposent cette dénomination pour le mouvement qui se
met en place. Raoul Salan accepte, sans enthousiasme cependant, si l’on en
juge par le commentaire qu’il livre à son aide de camp, le capitaine Jean
Ferrandi : « Pauvres Algérois, ils ont déjà eu l’USRAF, Le FAF et le FNF1.
Avec cette histoire d’OAS, ils n’arriveront jamais à s’y reconnaître. Enfin,
si ça les amuse et ça leur fait passer le temps en attendant mieux, il n’y a
qu’à laisser faire. »
Les Algérois sont très vite informés  : début mars, des milliers
d’exemplaires d’un tract signé OAS sont déversés dans les boîtes à lettres
d’Alger. Dans les semaines suivantes, l’organigramme de l’organisation se
met progressivement en place. Depuis l’échec du putsch d’avril 1961, nous
l’avons vu, les généraux Salan et Jouhaud ont choisi la clandestinité. À
leurs côtés apparaissent aux commandes de l’OAS des officiers en
coquetterie avec l’armée. Le général Gardy, ancien inspecteur général de la
Légion étrangère, contrôle l’ensemble de l’Algérois. Le colonel Gardes est
chargé de l’action psychologique et de l’organisation des masses. Le
colonel Godard prend en main les relations militaires. Jean-Jacques Susini,
au nom de l’action politico-psychologique, contrôle toute la propagande. Le
docteur Perez est responsable du renseignement et des opérations à
l’échelon national. Le capitaine Roger Degueldre, qui a déserté le 1er REP,
est subordonné à Perez et devient patron des commandos Delta. Ce sont les
petits groupes armés qui vont s’en prendre aux musulmans proches du FLN,
tout comme d’ailleurs aux Européens soupçonnés de jouer double jeu. Ils
seront également les artisans de l’essentiel des attentats au plastic.
Depuis sa récente évasion de la prison parisienne de la Santé, le colonel
Vaudrey commande le Grand Alger ; il est assisté par des patrons de sous-
secteurs, presque tous des capitaines qui ont déserté ou ont été écartés de
l’armée  ; parmi eux les capitaines Montagnon, Branca, Le Pivain, Picot
d’Assignies, et deux civils, Jacques Achard, un moment militaire, un temps
administrateur des colonies, à l’occasion sous-préfet, et Nicolas Gély,
ingénieur agronome de son état. C’est Achard qui, semble-t-il, a trouvé
l’appellation de ces chefs de sous-secteurs : le « soviet des capitaines ».
Guy Branca et Pierre Montagnon sont deux complices, qui ont basculé
ensemble dans la clandestinité. Après avoir entraîné le 2e REP derrière les
généraux putschistes, ils sont jugés, condamnés le 21 juillet 1961 à un an de
prison avec sursis, mais chassés de l’armée. Ils patientent en métropole,
décidés à rejoindre l’OAS. Ils le font le 18 septembre, à bord d’un avion du
SDECE en partance de Persan-Beaumont, l’aérodrome des services
secrets…
Tous ces rebelles apprennent à vivre dans la clandestinité, sous de
fausses identités, en changeant souvent de domicile. Il leur faut sans cesse
improviser, innover, inventer. Branca, pour ses déplacements, opte pour la
marche à pied ; Montagnon suit le conseil de Susini, qui lui a indiqué une
famille habitant rue de Constantine, les Pujol, médecins de leur état. L’une
des jeunes filles de la famille, étudiante, a des loisirs. Et Nicole Pujol
conduit ainsi à travers Alger un Montagnon ravi  : «  Une 2  CV d’un âge
certain ne saurait transporter un cadre de l’OAS. » Ils manquent pourtant de
se faire arrêter  : devant un barrage militaire, l’auto cale  ; la jeune fille
descend, lève le capot, tripote quelques fils, remet le contact ; les militaires,
admiratifs, applaudissent. Pierre Montagnon peut repartir, avec son « agent
de liaison  » que l’OAS a dotée d’une carte tricolore à ne pas présenter à
n’importe qui…
Il est impossible que cette accumulation de structures, comme les
complications qu’engendre la vie clandestine, soient sans conséquence sur
la vie quotidienne du mouvement. Les colonels s’en agacent. L’un d’entre
eux, Godard, rédige un texte critique envers cette organisation. Certes, il
épargne Gardy, Perez, Degueldre et Jouhaud ; il est bien plus sévère envers
Susini et Ferrandi  ; surtout, il montre du doigt les capitaines qui sont
accusés de prendre trop de liberté par rapport à cette hiérarchie de
circonstance, oubliant volontiers qu’ils dépendent de Vaudrey.
Il est exact que le «  soviet  » n’a guère de contacts avec le colonel
recherché par toutes les polices de France depuis son évasion. Il est
d’ailleurs difficile pour un chef vivant dans la clandestinité de diriger une
équipe. Vaudrey n’a pas eu le temps d’assimiler les lois de la clandestinité,
de concevoir son rôle, ni de réussir dans les contacts avec ses chefs de sous-
secteur. Ceux-ci le trouvent éloigné des réalités, trop porté sur les notes de
service, sur des objectifs abstraits. En clair, le courant ne passe pas entre
l’officier et le « soviet des capitaines » !
Face à l’OAS, les «  barbouzes  » n’ont bien évidemment aucune
existence légale. Leurs aventures – leurs mésaventures surtout  – ne seront
vraiment connues qu’après les événements. Il sera alors évident que
l’homme chargé du recrutement était un avocat parisien, député de l’Yonne,
Pierre Lemarchand. Son épouse s’occupait des formalités annexes,
notamment de fournir des fausses identités aux clandestins, éventuellement
d’assurer leurs inhumations dans des cimetières de la région parisienne…
Des dirigeants du paravent MPC donneront, tardivement, quelques chiffres
sur l’activité de ces « barbouzes ». Selon eux, 26 d’entre eux seraient morts
à Alger ; ils n’auraient éliminé qu’une cinquantaine de militants de l’OAS.
Vu par l’OAS, le bilan est foncièrement différent : ses commandos auraient
abattu cent dix adversaires, soit sensiblement la moitié des effectifs des
« barbouzes », l’organisation perdant quatre cents de ses hommes dans ces
affrontements clandestins.
 
Le ministre de l’Intérieur, Roger Frey, tente encore, le 10 février 1962,
devant les députés, de nier la réalité d’une telle organisation : « Il n’existe
aucun personnel chargé de la lutte anti-OAS en dehors des cadres normaux
des forces du maintien de l’ordre.  » Il faut attendre le 7  mars pour que le
délégué général Jean Morin reçoive l’ordre de rapatrier vers la métropole
les « barbouzes » survivants…
Les derniers affrontements entre ces clandestins et l’OAS sont
sanglants. Vers la fin janvier  1962, Mme  Lemarchand expédie à ses
hommes deux caisses de matériel, pour un total de 722 kilos : une machine
d’imprimerie offset et ses accessoires. À Alger, la livraison est annoncée
pour le 29 janvier, à la villa Andréa, 8, rue Fabre, à El-Biar, où l’attend l’un
des patrons des clandestins, Jim Alcheik. Les douaniers tardant à venir
contrôler la nature de l’expédition, les destinataires décident d’ouvrir les
caisses. Celles-ci ont été bourrées d’explosif, certainement sur le port
d’Alger, pendant leur transit. La déflagration est énorme ; la villa Andréa se
disloque, la terrasse de béton descend au rez-de-chaussée ; des hurlements,
des râles – 19 morts au total. Dans la soirée, Pierre Lemarchand fait évacuer
vers Rocher Noir les rares barbouzes ayant échappé au massacre.
Le général Salan, par le biais de la radio pirate de l’OAS, félicite les
exécutants pour cet attentat hors du commun et pour deux hold-up
retentissants à Alger et Oran, puis ajoute  : «  Je profite de cette occasion
pour renouveler un feu vert général pour toutes les actions payantes, telles
que celles qui viennent d’être exécutées. »
L’OAS utilise désormais régulièrement les émissions de radio pour faire
connaître ses actions. Dans la majorité des cas, ce sont des émissions
clandestines  ; à l’occasion, elles deviennent des émissions pirates, dans la
mesure où, à la radio comme à la télévision, elles se substituent aux
émissions officielles. Des équipes diffusent chaque midi une sorte de
journal parlé : « La Voix de l’OAS. » L’une de celles-ci est installée à Bab
el-Oued, l’émetteur étant perché sur une terrasse. Dès la prise d’antenne est
diffusé cet air que chantonne toute l’Algérie : « C’est nous les Africains qui
revenons de loin.  » Suit le générique  : «  Ici Radio France, la voix de
l’Algérie française.  » Le chef d’équipe, Libert Nerucci, Bill2 pour ses
camarades, affine ses réglages en attendant l’intervention, quotidienne elle
aussi, des appareils de brouillage. Son travail consiste à laisser glisser la
fréquence pour côtoyer le parasite sans en subir les effets. Sur le
magnétophone tourne la galette d’une bande enregistrée.
En règle générale, pour protéger l’équipe de Bill, des guetteurs à l’allure
de promeneurs sont postés dans la rue. Sur la terrasse de l’immeuble, un
garçon est chargé de détecter les hélicoptères qui se montreraient trop
curieux. Les incidents sont rares et, lorsqu’ils se produisent, ils ne sont
jamais dramatiques. Il y a bien des soldats du contingent patrouillant à
travers Bab el-Oued, des appelés du 9e  régiment de zouaves préférant par
prudence l’indifférence à la curiosité déplacée. Du côté de l’OAS, le patron
du Delta local, Jésus de Bab el-Oued, en réalité Josué Ginier, veille au
respect des ordres  : éviter tout incident avec le contingent. Dès lors,
l’entente est possible.
L’émission achevée, l’un des complices décroche le fil électrique
branché chez le voisin le plus proche, le roule et le glisse dans la cantine
militaire où sont déjà entassés les matériels indispensables à l’émission. Bill
est satisfait, il a dû avoir bon nombre d’Algérois comme auditeurs  ; il
recommencera demain.
En ville, les attentats se multiplient, au couteau, au revolver, à la
grenade ou à l’explosif. Il y a des lynchages entre communautés. À Oran,
un immeuble est assiégé par les militaires français, décidés à déloger un
groupe de l’ALN caché là. Dans le massif de Kerrata, l’ALN tend une
embuscade à l’armée française et tue 18 militaires. En milieu urbain
s’installe une nouvelle forme de ségrégation  : musulmans comme
Européens se regroupent dans les quartiers où ils se savent majoritaires. Les
deux communautés sont à présent sur la défensive. Et le 10  janvier, le
GPRA annonce une étrange décision : des mesures en vue de briser l’OAS.
Le GPRA sait ce qu’il peut craindre des commandos de l’OAS  ; il y voit
aussi une difficulté pour le gouvernement français et il n’a strictement
aucune raison de donner un coup de main à celui-ci. Il y a donc bien un
virage notable, un feu vert pour que les militants du FLN puissent riposter à
l’OAS, lorsque certains des leurs sont en ligne de mire.
 
De ce fait, le climat se durcit considérablement. Les événements
prennent l’apparence d’un combat entre les deux organisations, préoccupées
l’une comme l’autre par l’issue des négociations que mènent la France et le
GPRA. Chaque journée apporte son bilan tragique. Le 11  janvier,
18  attentats font 6  morts et 30  blessés à Alger. Le 12  janvier, à
Mostaganem, les obsèques de deux victimes du FLN se soldent par la mort
d’un gendarme mobile et le lynchage de plusieurs musulmans. Le
13  janvier, 51  musulmans s’évadent de la prison d’Orléansville  ; des
inconnus abattent 5 musulmans à Alger ; 3 militaires sont tués à Boghari ; à
Oran, 8  attentats font 4  morts (3  Européens et 1  musulman). Durant le
week-end des 13 et 14  janvier, seront décomptés 48  tués, dont
35  musulmans et des centaines de blessés  ; les deux attentats les plus
sévères sont perpétrés, l’un par l’OAS, l’autre par le FLN.
La situation est devenue impossible pour les autorités : le gouvernement
ne contrôle plus les deux grandes villes d’Algérie, Alger et Oran. Les deux
camps ennemis y règlent leurs problèmes par la violence. Il faut une
réaction gouvernementale  ; elle suit une visite de Louis Joxe à Alger, le
15 janvier 1962 : dès le surlendemain, le Conseil des ministres annonce que
les fouilles et les contrôles des automobiles seront multipliés, il est interdit
de conduire une voiture dont on n’est pas le propriétaire, il est interdit de
circuler en groupe de plus de deux personnes. Le week-end suivant est l’un
des plus sanglants  : 49  morts et plus de 80  blessés dans des attentats,
souvent d’origine incertaine.
Les semaines suivantes ne connaîtront pas le retour au calme  : une
vingtaine de morts chaque jour, dans un camp comme dans l’autre. Le
15 février, la délégation générale publie un bilan pour la première quinzaine
de février : 507 attentats ont causé 256 morts et 400 blessés !
Le 19  février 1962, Paris et Tunis, où siège le GPRA, annoncent
simultanément que des négociations secrètes se sont bien déroulées entre le
12 et le 18  février aux Rousses, en territoire français, à deux pas de la
frontière suisse. Des échanges de vues, certes, mais aucune décision
essentielle, semble-t-il  ; à un détail près  : Ben Khedda, le président du
GPRA, reçoit le 28  février carte blanche pour mener à leur terme les
négociations avec la France.
L’OAS a conscience que l’échéance approche. Le ton monte encore,
comme la violence et le rythme des attentats. Faut-il aller au-delà, briser ce
qui a pu s’ébaucher aux Rousses et risque de se concrétiser ensuite ? C’est
le sens du document que le général Salan diffuse le 23 février : l’instruction
no 193. Le texte est adressé aux dirigeants de l’OAS. C’est une réplique très
théorique aux possibles initiatives gouvernementales pour imposer les
accords qui sont en préparation. La note s’ouvre sur une constatation
inévitable  : «  L’irréversible est sur le point de se produire.  » Salan cite
ensuite les objectifs qu’il prête au gouvernement : l’étouffement des grands
centres urbains par des moyens puissants et des mesures extrêmes, la
sécurité des grands axes, l’abandon presque total des campagnes.
La même note étudie les atouts à la disposition de l’OAS, son auteur
citant au premier rang la population :
Malgré les quelques imperfections qui subsisteront toujours, j’estime que la
population des grands centres urbains est parvenue à un degré de structuration et
d’organisation suffisant pour la considérer comme un outil valable.

L’armée retient ensuite son attention :


Pendant les deux dernières semaines, il semble qu’un courant nouveau se soit
dessiné au sein de certaines unités. Il n’est plus exclu qu’à la faveur de l’annonce
d’un cessez-le-feu, ou toute autre formule qui conduit à l’abandon, certaines unités
militaires entraînées par les jeunes cadres se décident à franchir le pas et à entrer
dans la lutte.

Quant aux maquis en projet, ils deviennent prioritaires :


En l’état actuel, nos maquis sont loin de représenter un outil déterminant pour
notre manœuvre. J’insiste aussi impérativement pour que les projets en cours soient
mis à exécution sans tarder, même si le degré de préparation n’est pas parfait.

C’est vers le mois de janvier 1962 que les contacts entre le capitaine Le


Pivain et le commandant Paul Bazin se resserrent. Le tirailleur assiste Le
Pivain en lui fournissant des munitions et des armes récupérées sur l’ALN.
Il l’assure que son bataillon peut basculer. Les officiers seraient d’accord,
les sous-officiers sont encore plus décidés, les musulmans engagés
volontaires prêts à suivre. Le Pivain introduit Bazin auprès du «  soviet  ».
Leurs propositions sont étudiées, reconnues difficiles, mais prises en
compte. Parmi les données étudiées figure bien évidemment la réaction
possible des troupes restant dans la légalité. Le «  soviet  » ne prend en
compte que les gardes mobiles, dont la valeur combattante leur paraît
maigrichonne ; de simples briseurs de grève, juge Montagnon. Ils évoquent
aussi une intervention aérienne contre  le maquis qu’envisage Bazin  ; le
« soviet » l’estime impensable.
Le 1er  février, tout paraît au point. L’exécution n’est plus qu’une
question de jours  ; elle dépendra de l’activité du 5e  BT qui part
fréquemment en opération. Le «  soviet  » s’occupe du ravitaillement  :
Achard annonce détenir 5  000  rations individuelles  ; Le Pivain en aurait
autant à sa disposition. Il faut mieux et plus. Abeille trouve un local,
mobilise des sympathisants. Pierre Montagnon se souvient de leur travail à
la chaîne, où l’efficacité prend le pas sur la sécurité.
 
Les femmes déballent, les hommes emballent. Ces petits paquets
confectionnés avec soin qu’il faut défaire pour les reconditionner par lots
ont un aspect touchant. Sur plus d’un, on lit  : «  Bravo les gars  ! De tout
cœur avec vous ! Merci ! »
Le 6 février, après une nouvelle réunion des officiers de tirailleurs et du
« soviet », deux des officiers du 5e BT sont conduits au général Salan. Le
lendemain, c’est le drame : Le Pivain est abattu dans une rue d’Alger par un
garde mobile, lequel a tiré à courte distance, de sang-froid. Le Pivain aurait-
il été dénoncé  ? Cela se dit aussitôt. Il est acquis que le numéro
minéralogique de la voiture de Le Pivain avait été communiqué à la police.
Il est aussi possible que sa rigueur, dans son commandement, ait provoqué
cette dénonciation. Les conséquences sont immédiates, le trouble est
évident chez les officiers de tirailleurs, leur renoncement suivra. Le 5e  BT
est expédié en opération dans l’Orléanvillois, l’OAS ne peut plus guère
rêver à des désertions collectives.
L’enterrement de Philippe Le Pivain est l’une des dernières grosses
manifestations algéroises. Des milliers de personnes suivent le catafalque.
Le cortège est conduit par son père, l’amiral Louis Le Pivain, et par son
frère, lieutenant de vaisseau. Par sécurité, le « soviet des capitaines » a été
prié de ne pas assister à la cérémonie, étroitement surveillée par la police.
En quelques jours, la machine s’emballe  : le terrorisme prend une
ampleur insensée. Il y a même de l’inattendu, comme cet échange de
correspondance entre le clandestin Salan et le maréchal Juin, définitivement
brouillé avec son camarade de promotion à Saint-Cyr, le général de Gaulle.
C’est le 7 mars que Juin répond à une lettre inquiète de Salan redoutant les
conséquences des négociations en cours :
C’est vous dire qu’en tant que pied-noir et plus encore que je suis français,
combien je comprends votre état d’âme. Je ne l’ai jamais dissimulé, ce qui m’a
conduit voilà plus d’un an et demi à rompre avec le pouvoir. Je resterai donc dans
cette ligne aussi longtemps que ce dit pouvoir ne modifiera pas la sienne que
j’estime fondée sur des idées fausses plus propres à diviser qu’à rassembler. Je
demeure inquiet toutefois par les mesures que pourrait prendre le gouvernement en
vue de faciliter l’introduction en Algérie de forces FLN, me réservant de lancer le
cas échéant un appel pour éviter que la résistance que vous incarnez ne soit acculée
non à un Sedan, mais à un Diên Biên Phu…

De Gaulle, que Juin avait informé de cet échange de correspondance,


entre dans une énorme colère :
—  C’est inadmissible. Il faut mettre Juin à la retraite, dit-il à Pierre
Messmer.
— Mais cela ne se pratique pas pour un maréchal.
—  Si, vous allez le faire. D’ailleurs, ne vous préoccupez pas de
l’informer, je le fais moi-même.
En effet, la sanction tombe : Juin n’aura plus de bureau aux Invalides,
plus d’aide de camp, plus de frais de représentation. Il ne conserve que son
logement de fonction, sa voiture et son chauffeur, tout en étant prié de ne
pas quitter son domicile. Et le maréchal n’ira pas témoigner pour Raoul
Salan devant le tribunal dans quelques semaines…
C’est également le 7  mars que les négociations entre la France et le
GPRA reprennent à Évian. Au programme des séances de travail, une sorte
d’inventaire des conclusions déjà arrêtées, que les deux parties relisent,
ajoutant une phrase, retranchant trois mots, ergotant sur la ponctuation. Le
18, l’accord est signé. Il est annoncé le soir même par le général de Gaulle,
dans une allocution télévisée. Il y a là une phrase qui fera mal aux
militaires, une phrase qui retire une partie de son sens à l’accord si
fraîchement signé, puisque de Gaulle accorde tout le mérite du cessez-le-feu
à « sa » république, cinquième du nom, « qui par son action courageuse, au
prix de pertes glorieuses, de beaucoup de méritoires efforts, s’est assuré la
maîtrise du terrain dans chaque région et aux frontières ». Ainsi donc, si les
mots ont encore un sens, l’armée française était bel et bien maîtresse du
terrain le jour où a été annoncé le cessez-le-feu  ! Le 19  mars, à midi, le
général Ailleret donne à l’armée l’ordre de cessez-le-feu. Christian Fouchet
est nommé haut-commissaire de France en Algérie et rejoint
immédiatement son poste. Abderrahmane Farès, aussitôt libéré de prison,
prend la tête de « l’exécutif provisoire » algérien.
Dans les rues d’Alger, c’est la stupeur. L’équipe des envoyés spéciaux
du Figaro racontent comment la ville réagit à l’annonce du cessez-le-feu ;
les consignes de grève y ont été entendues, comme partout en Algérie :
Pas un magasin, dans le quartier européen, n’a ouvert. Des pierres se sont
abattues, à Belcourt, sur une épicerie musulmane qui avait timidement ouvert le
rideau et qui l’a refermé presque immédiatement. Pas un autobus ne roule. Le gaz
cependant fonctionne et l’eau continue à couler […]. Vers 11  heures, l’électricité,
d’abord coupée, est revenue dans certains quartiers de la ville, à la suite de la
remise en marche d’une usine sur l’intervention des pouvoirs publics. Elle devait
être coupée de nouveau dans l’après-midi. Le téléphone et l’automatique ont
fonctionné, sauf pour les liaisons privées entre Alger et Oran. Sur tous les murs,
sauf à Bab el-Oued, les affiches du cessez-le-feu : de grands placards représentant
deux enfants –  un musulman et un Européen  – qui sourient, qu’encadre
l’inscription : Pour nos enfants, paix en Algérie.

Dans le même article, les journalistes ajoutent trois détails : bien avant
le lever du jour, de telles affiches avaient le plus souvent disparu ; ce même
matin du 19 mars a été diffusée l’émission la plus longue de la radio pirate
de l’OAS ; une trentaine de minutes, mais fortement brouillée ; enfin, des
jeunes Algérois ont distribué des tracts à l’intention des militaires du
contingent :
Militaires de toutes armes, pour votre sécurité, tenez-vous à distance des
gendarmes et des CRS. Éloignez-vous des points tenus par ces mercenaires du
pouvoir. Refusez de participer aux patrouilles mixtes.

En fin de journée, la préfecture de police d’Alger diffuse un


communiqué :
En raison du manque d’éclairage et afin de faciliter la tâche des forces de
l’ordre dans leur mission de protection des populations, le couvre-feu est institué à
partir de ce jour pour les piétons aux mêmes conditions que celles déjà en vigueur
pour les véhicules, c’est-à-dire de 21 heures à 5 heures.

Ce qui signifie que le couvre-feu est avancé de trois heures.


 
Le même jour, le président Kennedy adresse ses félicitations à Ben
Khedda, le chef du GPRA. Et, depuis Moscou, Khrouchtchev annonce au
même Ben Khedda qu’il reconnaît de jure le GPRA.
Le 20 mars, Salan se fait de nouveau entendre, dans une émission de la
radio pirate  : «  Je donne à nos combattants ordre de harceler toutes les
positions ennemies dans les grandes villes.  » Ce même jour, un tract,
également signé par Salan, enjoint aux cadres de l’armée de refuser
désormais d’obéir aux ordres qui leur sont donnés. Un délai de réflexion
leur est accordé, mais il est précisé qu’à partir du 22 mars, le surlendemain
donc, « ils seront considérés comme au service d’un État étranger ».
Et les attentats commis par les deux camps se multiplient  : le 20, à
Oran, une fusillade entre militaires et Européens fait 10  morts et
10  blessés  ; à Alger, un attentat au mortier, place du Gouvernement, tue
24  personnes et en blesse 50  ; à Saint-Denis-du-Sig, dans l’Oranais, un
accrochage entre harkis et manifestants du FLN se solde par 48 morts.
1.  USRAF : Union pour le salut et le renouveau de l’Algérie française  ; FAF  : Front Algérie
française ; FNF : Front national français.

2.  Les pseudonymes des clandestins sont donnés en italiques. Dans la mesure du possible, nous
les accompagnerons de leur patronyme, s’il est connu.

3.  L’essentiel de cette instruction est donné en annexe, ici.


3

Bab el-Oued, le 23 mars

Comme souvent à Alger, en ce début de printemps 1962 se produit le


20  mars l’attentat dont personne n’a jamais connu exactement l’origine.
Peut-être une action de l’OAS, plus que jamais en alerte ; peut-être le geste
d’un provocateur, répondant à sa façon à l’ordre de cessez-le-feu proclamé
la veille  ; ou un inconnu répondant aux consignes de Raoul Salan…
Toujours est-il qu’un tir de mortier vise la place du Gouvernement où se
retrouvent volontiers les Arabes. Le résultat est là : une vingtaine de morts,
une soixantaine de blessés. L’OAS monte alors en ligne. Dès le 23,
l’organisation fait coller des affichettes sur les murs de l’avenue de la
Bouzaréa, une sorte d’avertissement aux militaires :
 
REJOIGNEZ-NOUS, SANS QUOI VOUS SEREZ CONSIDÉRÉS COMME DES ENNEMIS
ET TRAITÉS COMME TELS.
 
Il s’agit de faire savoir aux forces de l’ordre qu’elles doivent renoncer à
pénétrer dans Bab el-Oued !
Vivent là près de 70  000  habitants, entourés par des quartiers arabes,
dont la Casbah, sa voisine immédiate. Bab el-Oued est certes une partie
d’Alger, mais différente, où tous les caractères paraissent amplifiés, presque
caricaturés. Cette population est méditerranéenne jusqu’à l’excès  ; elle se
proclame très «  Algérie française  », avec une certaine exubérance, de la
décontraction même, beaucoup de spontanéité en tout cas. L’appartenance à
la France y est revendiquée de façon charnelle plus qu’intellectuelle. Il est
vrai que Bab el-Oued est peuplé d’ouvriers, d’artisans ; ce n’est pas à eux
qu’une certaine opinion métropolitaine pourrait reprocher d’avoir « fait suer
le burnous ».
Les événements, au fil des mois, ont ancré les habitants du quartier dans
leur résolution. Ils ont tous appris que ceux d’entre eux qui fréquentaient
encore la Casbah pour leurs affaires, avaient des contacts amicaux avec ces
voisins, parlaient arabe, avaient pourtant fini par être égorgés… Puis les
jeunes femmes qui ont posé des bombes dans le cœur d’Alger, en 1957, au
Milk Bar  ou au Coq hardi, s’appelaient Djamila Bouhired ou Zohra Drif.
Elles ont réussi à passer facilement pour des Européennes, auxquelles elles
empruntaient les tenues vestimentaires, mais elles sortaient de la Casbah…
Suit, en janvier 1960, la semaine des barricades. Le commando que dirige
Pierre Lagaillarde s’installe au centre-ville. Les hommes sont assiégés par
des militaires  ; les deux camps sympathisent, échangent des fruits, des
boissons. Alger se persuade que l’armée est de son côté ; Bab el-Oued n’en
doutera plus…
Depuis, l’ambiance a changé. Au-dessus de la Casbah, l’ancien refuge
des pirates barbaresques, il y a la prison Barberousse, où la guillotine
fonctionne très régulièrement. L’OAS a confié le secteur à l’ancien
administrateur des colonies, Jacques Achard. Celui-ci a-t-il agi seul, suivant
simplement les consignes de Salan, sans rendre de comptes à personne  ?
C’est ce que prétend le colonel Godard, dont les relations avec le « soviet
des capitaines » sont tendues. Celui-ci note, dès le 23 mars, que Gardes était
parti du côté de l’Ouarsenis, que Gardy n’a pas été informé, que Vaudrey
n’a jamais donné son feu vert… À dire vrai, Godard connaît mal les sous-
secteurs et plus mal encore ceux qui les gèrent quotidiennement. La version
que livre Pierre Montagnon est nettement plus crédible  : puisque la
population musulmane s’est déjà repliée vers d’autres quartiers, Bab el-
Oued peut devenir plus qu’une place forte, un véritable symbole  : un
territoire contrôlé par l’OAS !
Montagnon considère que Degueldre a été l’instigateur du projet, sans
en cacher les risques :
Réussi, le coup manifeste hautement notre force. Il nous reconnaît pignon sur
rue. Il introduit un trouble-fête dans la mascarade d’Évian. Sur le terrain, ce succès
localisé peut faire école. L’échec par contre pourrait bien signifier le
commencement de la fin. Nous n’avons pas le choix, acculés à la défensive.

Le drame est immédiat. Il est environ 7  heures du matin, ce 23  mars,


lorsqu’un petit commando de clandestins surprend une patrouille du
9e zouaves, regagnant la caserne Pélissier en bord de mer. Les hommes se
laissent désarmer, ils peuvent repartir. Un coup de main pour une fois sans
victime… Entre 9 et 10  heures, une seconde patrouille de militaires,
composée pour l’essentiel d’appelés du contingent, entre dans Bab el-Oued.
Leurs deux camions dérapent sur des flaques d’huile de vidange répandue
aux carrefours  ; une tactique préconisée par Salan lui-même, pour contrer
les opérations des forces de l’ordre en ville. Des poignées de gros clous ont
également été dispersés sur la chaussée. Les inconnus, sans aucun doute
membres ou sympathisants de l’OAS, tentent de s’emparer des armes à
bord des camions. Nul ne saura s’il s’agit de commandos Delta, qui
dépendent de Degueldre, ou des Alpha, que contrôle Achard, les plus
nombreux à Bab el-Oued. Les militaires veulent se défendre  ; un caporal
musulman arme son pistolet-mitrailleur. Le claquement de la culasse
déclenche la fusillade.
L’un des témoins, Alain-Robert Perez, est formel  : ces jeunes appelés
étaient des soldats du 9e zouaves, le régiment qui, depuis des années, veille
sur Bab el-Oued. D’autres sont moins péremptoires, évoquant une unité du
train, voire des transmissions. La fusillade est aussi brève qu’intense  ; le
bilan est lourd : 7 morts et 15 blessés du côté des forces de l’ordre. Alain
Hanoun se souvient que l’un des deux camions a été détourné, caché à
quelques kilomètres de là, chez Marcel Salva, éleveur de bétail, producteur
de lait, mais aussi ancien footballeur professionnel de bonne réputation.
Ancien arrière du Racing Club de Paris et de l’équipe de France, il était
encore le capitaine entraîneur du Gallia Sports d’Alger, l’un des clubs
phares d’AFN.
Mais Bab el-Oued est bien un quartier singulier. Les rares témoins
approchant du lieu du carnage découvrent le même spectacle : des hommes
et des femmes viennent au secours des blessés, les aident, leur apportent un
café, un pull pour ceux qui leur paraissent frigorifiés. Les témoignages ne
divergent que sur un point  : les uns ont vu des garçons du commando
secourir leurs blessés, les autres parleront seulement des femmes du
quartier. Peut-être étaient-ce les deux d’ailleurs, ce qui serait conforme à
une certaine façon d’être de Bab el-Oued.
Selon un autre témoin, le docteur Thiodet, cet accrochage aurait
inquiété Achard, multipliant, dès cet instant, les allers-retours entre la place
des Trois-Horloges, où se trouve son PC, et la clinique Durando, où il se
cache volontiers. Le commandant en chef, Charles Ailleret, fou de rage,
décide du blocage de tout le quartier. Dès le début de l’après-midi, Bab el-
Oued est encerclé. Les gendarmes mobiles, arrivés sur les lieux, ouvrent le
feu sur les façades des immeubles. Ailleret n’entend pas se laisser dépasser,
il engage aussi les blindés de l’armée, qui viennent renforcer le blocus.
L’aviation est également employée : les petits chasseurs jaunes, les T6 qui
traquent habituellement les fellaghas dans le djebel, survolent le quartier.
Après un premier vol de reconnaissance, ils reviennent sur le quartier,
mitraillent les immeubles, ouvrent le feu sur les imprudents se risquant sur
leurs balcons ou leurs terrasses ; ces terrasses qui sont un des lieux de vie
prisés des habitants, venant chercher là l’air du soir, au besoin boire
l’anisette accompagnée de sa kémia, aux odeurs de crevettes grillées.
Les T6 insistent, visent les derniers tireurs embusqués, lancent des
roquettes. Les militaires patrouillent jusqu’à la tombée de la nuit, ouvrant le
feu dès qu’une silhouette apparaît sur un balcon ou derrière une fenêtre,
qu’il est désormais interdit d’ouvrir. Avec leurs half-tracks, ils écrasent des
voitures en stationnement, arrachent les rideaux métalliques des boutiques.
Face à 20 000 hommes déterminés, 150 rebelles équipés d’un armement
hétéroclite résistent, avec leurs vieilles Sten ou d’énormes Thomson dont
l’armée était dotée il y a encore peu de temps. Il est vrai que ces hommes-là
connaissent chaque mètre du terrain et qu’ils savent pouvoir compter sur la
complicité des habitants. Leur résistance n’aura pourtant qu’un temps.
L’essentiel des commandos de l’OAS, soit une grosse centaine d’hommes,
parviennent à s’échapper dès le 23, puis au matin du 24. Ils le doivent à
l’assistance des habitants, aux passages repérés par les égouts et à une unité
militaire, le 5e tirailleurs, qui ne met aucun zèle à déployer ses éléments de
bouclage.
 
Ce 5e tirailleurs est un régiment composé pour l’essentiel de musulmans
engagés volontaires, des Berbères souvent originaires de l’Ouarsenis. Il
n’existe que quand l’état-major le décide. Habituellement donc, il se
décompose en deux bataillons autonomes, le 5e  BT aux ordres du
commandant Bazin et le 17e  BT du commandant Benos. Lorsqu’ils se
rejoignent pour former le 5e tirailleurs, ils passent sous le commandement
du colonel Puigt. Le 23 mars, c’est ce régiment, parmi d’autres, qu’engage
le général Ailleret. Sans doute n’a-t-il pas le choix, ou connaît-il mal les
hommes… Tout en acceptant la mission du 5e  tirailleurs, mis à la
disposition du colonel Caraveo, le colonel Puigt la refuse, puisqu’il dépose
immédiatement sa demande de mise à la retraite anticipée. Il expliquera lui-
même la suite de l’affaire : il confie le bouclage au commandant Bazin, le
commandement de l’EMT1 –  le premier état-major tactique  – donc  ; le
5e BT étant entre parenthèses. Bazin ne veut pas de cette mission, explique
Puigt :
Il me refuse catégoriquement d’en assumer l’exécution, me reprochant de ne
pas tenir parole. J’avais affirmé, antérieurement, que je n’accepterais jamais une
mission de maintien de l’ordre dans Alger. Il fut remplacé par son adjoint le
capitaine Puychaffray. L’un et l’autre ignoraient la décision que j’avais prise en ce
qui concernait mon propre avenir.

Après avoir précisé que le colonel Caraveo écope, à ce moment, de


trente jours d’arrêts de forteresse, le colonel Puigt précise :

Il est probable que lui était reprochée la fuite des éléments de l’OAS qui
avaient échappé au bouclage en fuyant par les égouts et par le cimetière vers Saint-
Eugène. La matinée de ce 24  mars est marquée par les problèmes de
commandement occasionnés par l’attitude du commandant Bazin qui est venu
rejoindre ses troupes dans la nuit et qui, ouvertement, s’est montré trop disposé à ne
respecter aucun ordre concernant l’étanchéité du bouclage. Le commandant Bazin
utilisait, par le truchement du poste d’entrée de l’hôpital Maillot, un contact
téléphonique assez fréquent avec les responsables de l’OAS, dont le sous-préfet
Achard.

Le docteur Triodet se souvient que Jacques Achard a disparu, lui aussi.


Tout a été fait pour lui éviter son arrestation  : il portera, désormais, la
cicatrice d’une appendicectomie factice, également pratiquée sur d’autres
hommes à protéger…
Les informations, et surtout les nouvelles désagréables, se propagent
vite à travers les quartiers d’Alger. La ville apprend les événements de Bab
el-Oued et s’en émeut. Là-bas, les rafles ont commencé. Cinq bataillons
interdisent l’entrée et la sortie du quartier. La fouille, immeuble par
immeuble, est menée par six escadrons de gendarmes mobiles, deux
compagnies de CRS, deux bataillons d’infanterie, deux sections spécialisées
pour les actions dans les grottes, deux sections de détection des
transmissions. Plus de 7 000 appartements sont fouillés, en réalité dévastés :
les gendarmes et les CRS, qui se savent les mal-aimés des Algérois, brisent
les meubles, la vaisselle, les téléviseurs, crèvent les canapés, cassent les
réfrigérateurs, jettent le ravitaillement sur les trottoirs. Dans les rues gisent
les débris de ces saccages commis par les forces de l’ordre : de la vaisselle,
des instruments ménagers, des jouets brisés. Certes, ils découvrent des
armes  : 600 ou 700  pistolets ou fusils qui, le plus souvent, n’ont jamais
servi, sans compter des centaines de grenades récupérées intactes.
Plus de 3  000  hommes et adolescents sont arrêtés, conduits vers des
centres de transit pour « vérification d’identité ». Alain Hanoun se souvient
être ainsi parti vers le camp de Beni-Messous, à 5 ou 6 kilomètres d’Alger.
Il est resté là huit ou dix jours  ; les uns logent dans des baraquements en
dur, les autres sous les énormes tentes dites Marabout en usage dans
l’armée.
C’est ensuite que le siège commence réellement. Les habitants de Bab
el-Oued sont privés de téléphone, d’électricité, rationnés en eau, en
nourriture. Les magasins et les pharmacies ne peuvent ouvrir que de 6 à
8  heures du matin  ; c’est aussi le créneau horaire accordé aux femmes
voulant se ravitailler, et tant pis si elles ne trouvent rien à manger pour leurs
familles. Nicolas Loffredo, maire du quartier, laissera ce témoignage
sidérant :
Nous sommes intervenus auprès des autorités en faisant remarquer que des
bébés étaient en train de mourir. Un officier de gendarmerie m’a répondu : « Tant
mieux  ! Plus il en crèvera, mieux ça vaudra  ! Il y en aura moins pour nous tirer
dessus. » Et comme nous demandions qu’on enlève au moins les morts, il a éclaté :
« Vos cadavres, mangez-les ! »

Des victimes innocentes, il y en a durant ce siège. Beaucoup n’ont en


rien participé au combat, sûrement pas ce gamin de 15  ans, Serge Garcia,
tué dans l’appartement familial, ni la petite Ghislaine Grès, 10 ans, abattue
d’une rafale à l’intérieur du logement de ses parents… Sur une liste de vingt
victimes apparaissent un Lopez « tué chez lui », un Rodriguez « tué dans sa
cuisine », un Villemeux « tué sur son palier ». La sœur de Ghislaine Grès
n’a jamais pu oublier :
Je suis en train de poser les assiettes à leur place quand des claquements secs
m’explosent aux oreilles. Je ne me souviens d’aucun cri, mais je me rue dans la
chambre. Papa est plaqué contre les persiennes qu’il n’ouvre pas  ; il doit hurler,
mais je ne l’entends pas. Derrière lui, je vois les pantoufles bleues de Ghislaine ; le
corps est effondré derrière le lit […]. J’ouvre la porte d’entrée et hurle : « Ghislaine
est tombée. » Je me refuse à employer tout autre terme. Je ne sais combien de fois
j’égosille cette phrase, mais très vite un flot de voisins envahit l’appartement.
Georges [leur frère, 18  ans] est un des premiers à entrer. Contrairement à moi, il
plonge au-dessus du lit, puis se rejette violemment en arrière et se roule alors au sol
en éructant des cris inarticulés  ; maman se précipite pour le calmer. Des voisins
ceinturent papa pour le décoller de la fenêtre, les Jeep des gardes mobiles qu’il
invective continuent de tourner dans la rue. Maintenant je l’entends, il crie  :
« Assassin, assassin, tu as tué ma fille… »

La Marine nationale a-t-elle été priée d’intervenir  ? Une seule


certitude  : il y a bien deux escorteurs de l’escadre de Méditerranée, à ce
moment, face à Bab el-Oued, le Maillé-Brezé et le Surcouf. Celui-ci, le
bâtiment amiral, tourne ses canons vers le large… Sans doute la
conséquence d’un ou de plusieurs  lointains conflits entre la Royale  et le
général de Gaulle.
Il faut venir en aide à Bab el-Oued ! Le 25 mars, vers 9 ou 10 heures du
matin, commence l’opération «  vivres  ». Des camions parcourent les rues
du centre-ville pour recueillir tout ce que les Algérois destinent aux gens du
quartier assiégé : des conserves, des paquets de pâtes, des bouteilles d’eau
minérale, du pain. Tout cela est chargé dans les camions qui se dirigent vers
le blocus. S’organise alors le ravitaillement, par un ingénieux système de
va-et-vient qui, en d’autres temps plus calmes, sert à sécher le linge  :
passent ainsi d’un immeuble à l’autre des couffins de fruits, de légumes.
Parfois un pain est jeté vers une fenêtre. La débrouille a ses limites  ; les
forces de l’ordre y mettent fin. L’opération «  vivres  » va céder la place à
une autre forme d’assistance  : une marche vers Bab el-Oued, puisque la
préfecture vient de s’opposer à la poursuite des collectes organisées en ville
au profit des assiégés.
Sans doute est-ce ce dimanche 25 mars que Mgr Duval décide de venir
visiter les assiégés. Il descend depuis Notre-Dame-d’Afrique, fait quelques
pas dans le quartier. Reconnu, hué, il est contraint de repartir… Il sait
parfaitement que là, il est désormais « Mohamed ben Duval ».
Une romancière et traductrice, proche de la NRF, Rose Celli, note ses
impressions dans son Journal d’Algérie, resté inédit :
Bab el-Oued, soixante mille âmes. Ils ont parqué comme des bêtes, pendant six
jours, soixante mille âmes. Nuit et jour, pendant six jours, ils ont braqué les
mitrailleuses contre les portes et les fenêtres. Ils ont emmené les hommes dans des
camions, empêché les femmes d’aller au marché, les enfants de jouer dans la rue ;
ils ont empêché les boulangers de faire du pain. Pendant six jours, ils ont fait un
camp de concentration de soixante mille âmes.
Qu’il s’agisse de six jours ou de six mois ou de six ans, le viol est de même
nature. C’est le même crime.
Ils ne l’auraient pas fait dans les «  beaux quartiers  ». Ils l’ont fait dans un
quartier de pauvres. Même la police et l’armée allemande n’auraient pas osé cela à
Belleville. Et trois jours plus tard, ils ont tiré à bout portant sur la foule sans armes.
Ils  prennent sur des Français sans arme leur revanche de la honte bue à Évian. À
Évian, ils ont tout lâché ; contre les Français d’Algérie, ils ont résolu de déployer
une farouche énergie.
C’est le gage promis au FLN. Sans Bab el-Oued et sans le massacre de lundi,
jamais le FLN n’aurait consenti à mettre le pied à Rocher Noir. À lui aussi, il fallait
des garanties. Les a-t-il exigées pendant les douze jours d’Évian  ? Il lui fallait la
preuve palpable de l’énergie du pouvoir contre les pieds-noirs. Il fallait du sang
français pour sceller le pacte.

Ces jours de mars, Bab el-Oued a perdu sa foi, peut être sa confiance
envers Achard et envers l’OAS  ; mais bien plus encore envers l’armée
française et les autorités légales. C’est désormais un quartier sans âme, sans
espérance ; un quartier qui ne songe plus à être le fer de lance d’un combat,
dont l’issue était déjà bien compromise par les accords d’Évian et l’annonce
du cessez-le-feu.
Seul signe d’humanité pour ce drame : la présence d’ambulances de la
Croix-Rouge venues enlever les blessés. Elles chargent des hommes soignés
dans les cliniques du quartier ou aux points de secours improvisés, mais
beaucoup repartiront vides. Les habitants de Bab el-Oued ne veulent confier
aux secours ni leurs blessés ni leurs morts. Il ne restera qu’un bilan très
approximatif  : sans doute une vingtaine de morts et 80  blessés chez les
habitants, 15 morts et 77 blessés parmi les forces de l’ordre. Bilan incertain,
mais qui peut s’expliquer par les circonstances  : laisser partir un blessé,
c’est aussi le livrer aux forces de l’ordre, peut être à la justice. Quant aux
morts, une rumeur, invérifiable, surgira très vite  : les forces de l’ordre
auraient jeté des cadavres à la mer !
Le colonel Puigt nuance d’ailleurs ces signes apparents d’humanité :
Le colonel Borreil, que je suis allé voir à son PC place Dutertre, s’est inquiété
immédiatement des secours éventuels à porter aux victimes d’un tel déploiement de
tirs incontrôlés. Il n’avait à sa disposition qu’un personnel médical réduit à une
ambulance et deux infirmiers aux ordres d’un médecin auxiliaire. Je calmai un peu
ses inquiétudes en lui précisant que je disposais moi-même du personnel sanitaire
de mon régiment sous les ordres d’un médecin capitaine, et que j’avais recueilli, à
la suite de la fusillade, une équipe de la Croix-Rouge avec ambulance,
complètement affolée par le danger occasionné par la « pléthore » extravagante de
l’usage des armes à feu. Mais l’ambulancière chef du détachement, conduite auprès
du colonel, précisera avoir reçu l’ordre formel de ne porter secours qu’aux seuls
blessés musulmans.

Il faudra être patient à Bab el-Oued  : la levée du siège attendra le


29  mars. D’autres événements, plus graves, auront pris la relève au cœur
d’Alger. La situation ainsi créée à Bab el-Oued inquiète le colonel Godard ;
il décide d’en informer le général Salan. Accompagné du général Gardy, il
se rend le 25  mars rue Desfontaines où ils sont accueillis dans un petit
bureau en rez-de-chaussée ; le bureau de Ferrandi, pense Godard. Celui-ci
a en tête ses propositions de réorganisation à soumettre à Salan, qui écoute
mais ne cache guère une certaine lassitude : « Tout n’est pas parfait, mais ce
qu’il y a a au moins le mérite d’exister. »
Les trois hommes se séparent en froid. Le soir, même, ils apprennent
l’arrestation de Jouhaud à Oran ; tous les projets sont à revoir. Gardy partit
pour Oran prendre la relève de Jouhaud, Godard prend la responsabilité de
l’Algérois, alors qu’à ses yeux aucun problème n’est réglé à Alger-ville. Et
dans le même temps, le nouveau haut-commissaire, Christian Fouchet,
s’installe à Rocher Noir.
4

Rue d’Isly, le 26 mars

Le siège de Bab el-Oued ne peut laisser les Algérois indifférents.


L’interdiction préfectorale de collecter des vivres au profit des assiégés ne
peut que les irriter. L’OAS décide de réagir. Ce n’est plus à la demande de
Jacques Achard qu’Alger se mobilise pour apporter son soutien au quartier
littéralement interdit  ; celui-ci se cache pour se faire oublier. Le colonel
Vaudrey tente de reprendre une influence en berne depuis un bon moment ;
c’est donc lui qui lance le mouvement. Il annonce une manifestation –
 aussitôt interdite. Le « soviet des capitaines » juge sévèrement l’initiative
de Vaudrey. Mais ceux-ci n’ont plus leur mot à dire : ils viennent de céder
leurs sous-secteurs à d’autres hommes. Le « soviet  » est en partance pour
une mission différente, quelque part dans l’Ouarsenis. Une phrase du
capitaine Branca résume leur pensée : « Vaudrey veut sa petite guerre, mais
c’est une sacrée c…  ». Jean-Jacques Susini n’a pas été informé, il
désapprouve et le fait savoir à Vaudrey. Ceux qui auraient voulu que la
manifestation soit annulée ne peuvent rien en dire, ce serait désavouer
Vaudrey, le patron en titre pour la ville d’Alger ; ce serait aussi risquer de
dévoiler l’opération qui se monte pour l’Ouarsenis.
Mais qu’importe… Les Algérois se retrouvent le 26  mars aussi
nombreux que possible sur le plateau des Glières, à proximité de la Grande
Poste. Ils doivent partir, drapeaux en tête, depuis la rue d’Isly. Le cortège se
gonflera d’autres manifestants arrivant par l’avenue Pasteur, puis ils
marcheront vers le quartier assiégé par les troupes d’Ailleret. Les tracts
diffusés par l’OAS sont nets et précis  : aucun manifestant ne doit être
armé ! Le colonel Godard confirme : « Les manifestants n’étaient ni armés
ni agressifs. Il y avait, parmi eux, moins d’hommes que de femmes et de
gosses. Les couffins qu’ils traînaient ne recelaient aucune grenade. Ils
n’étaient gonflés que de générosité avec des victuailles et des
médicaments. »
Le témoignage du capitaine Ferrandi, l’aide de camp de Salan, est
formel : jamais Vaudrey n’a informé le chef de l’OAS. Celui-ci a appris la
manifestation par le tract trouvé dans sa boîte aux lettres, comme n’importe
quel Algérois. Salan, qui a déjà ses soucis avec les colonels, est
certainement préoccupé par deux autres événements majeurs. Christian
Fouchet est désormais haut-commissaire en Algérie ; le général Jouhaud et
le commandant Camelin, appréhendés la veille, sont maintenant en prison.
Les colonels, eux, n’ont plus nécessairement la cote auprès de Salan.
Ailleret, informé des préparatifs algérois, tente de s’organiser pour
contrer la manifestation. Il n’a pas de grandes recherches à entreprendre
pour connaître les intentions de la foule  : ce 26  mars, une émission de la
radio pirate de l’OAS informe largement toute l’agglomération algéroise du
projet. Il y a également le tract que fait diffuser Vaudrey :
Déjà un grand élan de solidarité s’est manifesté spontanément par des collectes
de vivres frais. IL FAUT ALLER PLUS LOIN. En une manifestation de masse,
pacifique et unanime, tous les habitants de Maison-Carrée, Hussein-Dey, El-Biar
rejoindront à partir de 15  heures ceux du centre, pour gagner ensemble et en
cortège, drapeaux en tête, sans aucune arme, sans cri, par les grandes artères, le
périmètre du bouclage de Bab el-Oued. NON, LES ALGÉROIS NE LAISSERONT
PAS MOURIR DE FAIM LES ENFANTS DE BAB EL-OUED. ILS
S’OPPOSERONT JUSQU’AU BOUT À L’OPPRESSION SANGUINAIRE DU
POUVOIR FASCISTE. Il va de soi que la grève sera générale à partir de 14 heures.
Le commandant en chef doit faire face. C’est l’organisation du service
d’ordre qui pose problème ce 26 mars, problème qui n’a jamais été résolu1.
Qui a choisi de faire venir dans les rues d’Alger le 4e  régiment de
tirailleurs  ? Pour quelle mission  ? Sans doute l’attitude du 5e  tirailleurs,
trois jours plus tôt, a-t-elle joué  : le colonel Puigt démissionnaire, le
commandant Bazin et ses adjoints négligeant le bouclage de Bab el-Oued.
Ailleret n’a pas pu ignorer tout cela. Mais pourquoi donc choisir le
4e tirailleurs ?
C’est un régiment en provenance du secteur d’Aumale n’ayant aucune
compétence pour assurer le maintien de l’ordre en ville. Même s’il a perdu,
lui aussi, son appellation d’origine, celle de «  tirailleur algérien  », il est
composé à 60 % d’engagés volontaires musulmans, les 40 % restants étant
des appelés du contingent, toujours divisés en deux catégories : Français de
souche européenne (FSE) ou Français de souche nord-africaine (FSNA). Il
existerait un ordre daté du 16  mars interdisant d’utiliser le 4e RT en ville,
ordre qui paraît inconnu à Alger ce 26 mars. Le chef du bataillon qui va être
engagé, le commandant Poupat, reçoit oralement la mission d’arrêter les
manifestants en ouvrant le feu si nécessaire. Il demande une confirmation
écrite, qu’il n’obtient pas.
Un des clandestins de l’OAS, Serge Jourdes, chargé par l’organisation
de la zone ouest Mitidja, rencontre fréquemment Degueldre et Perez chez
ce dernier, boulevard du Telemly. Il se souvient des ordres reçus  : «  Jean
Claude [Perez] nous interdit d’aller à la manifestation. Il redoute un
dangereux traquenard, compte tenu des menaces de Christian Fouchet,
nouveau haut-commissaire en Algérie, proférées à la télévision le 25 mars
au soir. » L’homme qui vient s’installer à Rocher Noir, l’envoyé du général
de Gaulle, Christian Fouchet, a effectivement tenu à parler, la veille au soir,
à la télévision. Il a fortement déplu. Son ton a semblé arrogant, son regard
menaçant, son discours choquant :
Ceux qui vous disent que votre avenir est de vous insurger contre la
République, de protéger des assassins et de tirer sur des gendarmes et des soldats
français sont des fous et des criminels. Pour eux, qu’ils le sachent, il n’y a plus de
salut. Mais au nom du ciel, ne vous solidarisez pas avec ceux. Chassez-les !…

Des années plus tard, écrivant ce chapitre de ses Mémoires, Christian


Fouchet précisera : « C’était un texte très simple et presque improvisé, mais
où je mis toute ma conviction. » Au point, effectivement, de faire peur aux
Algérois.
Tout est en place pour déboucher sur un drame. Tout ou presque tout,
car il reste à savoir qui a ouvert le feu. Un Algérois en vue, poète et
journaliste, Edmond Brua, note ses premières impressions dans un texte qui
restera inédit, Les Derniers Jours d’Alger :

26 mars. Ce matin, quand j’ai lu que la population du Grand Alger était invitée
à se rendre en cortège pacifique à Bab el-Oued pour témoigner sa solidarité aux
habitants de ce quartier, j’ai frémi. L’avertissement du préfet de police –  je crois
qu’il y en a eu deux – m’a donné la certitude que le sang coulerait. J’ai littéralement
« vu » le spectacle au carrefour de la Grande Poste, trois heures avant sa réalité. Je
crois que ces pressentiments (j’avais eu le même le jour des Barricades) sont chez
moi une malédiction. Je ne puis croire que l’OAS ni les autorités civiles ou
militaires avaient prévu le drame (d’autres disent «  voulu  »). La présence de
tirailleurs dans le service d’ordre a peut-être été seulement une erreur tragique. Ces
soldats, dont certains ont servi la France pendant dix ans, sont probablement
travaillés par la propagande et les menaces FLN. Ils ont à se dédouaner, et peut-être
risquent-ils d’être plus à redouter que les fellaghas.
Pourtant, j’avais causé avec quelques-uns d’entre eux, de ceux qui ont tiré, à
l’entrée de la rue d’Isly. Les mêmes têtes que ceux de Tunisie et d’Italie. De braves
gens et des gens braves, mais que j’ai vu tendus, tourmentés. Ils cherchaient à être
rassurés. J’imagine comment ils se sont crispés à mesure que la rue grossissait et
avançait. Mais quelles instructions avaient-ils, eux qui pour la plupart n’ont pas
d’instruction  ? Comment leur a-t-on défini leur devoir, en cas de poussée  ? Il me
paraît impensable qu’on leur ait dit de tirer sans sommation. L’attitude de soldats et
de sous-officiers et officiers Européens le prouve. Ont-ils obéi à d’autres consignes
ou ont-ils eu des réflexes propres de panique, sinon d’hostilité  ? Quant aux
« manifestants », de toute évidence, ils ne pouvaient avoir prévu cette tuerie. M. B,
qui était au premier rang derrière les drapeaux, et qui a reçu au moins une balle
dans la cuisse, m’a dit à la clinique  : «  C’était une kermesse [sic].  » Il le croyait
fermement.

Il est 14  h  45 lorsqu’un lieutenant du 4e  tirailleurs, Daoud Ouchène,


supplie la foule : « Dispersez-vous, nous avons ordre de tirer. » Ouchène et
sa section se trouvent face à quelque 3 000 Algérois en marche vers Bab el-
Oued, qu’ils bloquent à l’entrée de la rue d’Isly. Ses objurgations à la
dispersion n’étant pas écoutées, et face à la poussée continue de la foule, le
lieutenant décide d’appliquer à la lettre la consigne reçue, au cas où il se
sentirait débordé  : il ordonne à un sergent européen de tirer une rafale de
pistolet-mitrailleur en l’air. L’homme n’a pas le temps de tirer car une
rafale, partie d’ailleurs, tue deux passants devant lui  ! Alors qu’il est
presque 15 heures, la manifestation tourne à la tragédie. Commence en effet
une fusillade infernale. Les manifestants, surpris, apeurés, se jettent au sol.
Les premiers tirs ne proviennent ni de la foule, qui n’est d’ailleurs
nullement agressive, ni des tirailleurs parfois affolés d’être là, parfois
agacés d’être insultés par les manifestants. Ceux-là doutent de la loyauté
d’une troupe musulmane, certainement troublée par les accords d’Évian et
le cessez-le-feu annoncé il y a tout juste une semaine.
Les trois envoyés spéciaux du Figaro, Étienne Anthérieu, Gérard Marin
et Max Olivier-Lacamp, savent travailler ensemble ; ils vont mettre bout à
bout leurs observations, notant ainsi qu’un tirailleur s’affole, croyant que sa
section est visée par ces tirs venant de nulle part :

La fusillade provoque une panique indescriptible. Elle dure une dizaine de


minutes et nous semble interminable. Nous nous couchons à plat ventre à côté
d’une palissade, à un angle de carrefour. Autour de nous les gens crient et courent
dans tous les sens, affolés, se traînant sur les coudes et les genoux pour chercher un
abri précaire sous les portes cochères où les poursuivent les rafales. D’autres, dans
une fuite éperdue, perdent leurs chaussures. Nous voyons une jeune mère tourner en
rond, comme folle, son bébé dans les bras. Un homme, courageusement, surgit sous
les balles, et plaque la malheureuse sur la chaussée. Des hommes pleurent de rage et
d’indignation. En face de nous, quatre hommes et une femme s’écroulent sur le
trottoir, parmi les débris d’une vitrine qui a volé en éclats sous les tirs.
Les premiers tirs sont partis de trois endroits différents  : du quatrième
étage d’un immeuble au 64 de la rue d’Isly, puis des hauteurs de
l’immeuble de la Warner Bros, à l’angle de la rue d’Isly et de l’avenue
Pasteur, enfin des fenêtres d’un troisième immeuble, rue Alfred Lelluch,
face à la Grande Poste. Trois fusils-mitrailleurs semble-t-il, pour les
témoins qui se référeront à la cadence de tir et aux détonations  ; il est
difficile, en effet, de confondre à l’oreille un fusil-mitrailleur et un pistolet-
mitrailleur.
Pris de panique, les tirailleurs ripostent, tirant plus au hasard que sur des
objectifs précis. C’est Ouchène, leur chef de section, qui a commandé le
feu. Ses hommes sont au contact direct des manifestants. Une vingtaine, à
ses côtés, tentent de canaliser la foule, de pallier l’insuffisance de barrières.
Une vingtaine d’autres sont plus en arrière. Mais, sous la pression de la
foule, le barrage cède, les tirailleurs sont bousculés, une centaine de
manifestants se précipitent vers la rue d’Isly. Sans doute conscient d’un
malentendu, puis pressé par des manifestants qui entourent son détachement
et lui demandent d’arrêter le carnage, Ouchène ordonne presque aussitôt de
cesser le tir. Il n’est pas entendu…
L’officier ne peut plus rien contrôler, ses hommes continuent de tirer,
vident leurs chargeurs à tout va. Ils ne sont pas les seuls à ouvrir le feu. Le
colonel Godard, qui était sur place, écrira :
J’ai vu des militaires de l’infanterie de marine, embusqués sous le porche du
lycée Delacroix, « allumer » allègrement les fenêtres des immeubles d’en face. J’ai
vu aussi des énergumènes casqués s’acharner sur des blessés gisant devant le Coq
hardi, alors que boulevard Laferrière, des guerriers, planqués sous des camions,
faisaient feu à volonté.

Ce sont des moments effrayants. Les manifestants, pris pour cible sans
savoir par qui, se jettent au sol dans un désordre total. Des tirailleurs,
calmes et déterminés, tirent sur les façades d’où partent encore des rafales ;
d’autres, affolés, redoutant les réactions de la foule, tentent de se cacher en
se mêlant aux manifestants.
Les témoins sont bouleversés, choqués ; leurs récits sont donc souvent
imprécis. Il y a, parmi eux, un photographe, qui n’est pas là par hasard  ;
Robert Rolando savait que le climat serait tendu, il s’attendait à des
incidents. Il travaille habituellement pour un quotidien, La Dépêche
d’Algérie  ; il n’est pas de service. Il est pourtant là avec son matériel de
prise de vue et une idée en tête : retrouver ses deux fils, Yves et Rémi, de 17
et 16  ans, venus manifester. D’entrée, Robert Rolando est au centre du
drame : il est stoppé par les tirs des CRS embusqués derrière leur camion
placé en barrage au niveau du carrefour de l’Agha, à l’angle de la rue
Charras. Il doit chercher un refuge  : il se plaque le long d’un mur. Le
professionnel reprend le dessus : le photographe Robert Rolando multiplie
les prises de vue…
Il ne reste aujourd’hui que trois de ses clichés ; toutes les autres photos
sont restées à La Dépêche d’Algérie, nationalisée aussitôt l’indépendance
proclamée. Or ces trois clichés, Rolando les commentera, laissant un
témoignage écrit aussi bref que précis. Il note, pour la première photo, la
présence d’un CRS agenouillé en position de tir, abrité derrière un car. Sur
le deuxième cliché, une douzaine de personnes sont couchées les unes sur
les autres, à l’angle de la rue Charras, devant la vitrine d’un libraire  ; à
quelques mètres d’eux, trois personnes agenouillées cherchent refuge entre
deux voitures. À propos de la troisième vue, Robert Rolando précise que
trois personnes, dont une femme blonde, viennent d’être tuées ; un homme
blessé reste assis… C’est un de ces trois clichés que La Dépêche
d’Algérie a transmis à la presse métropolitaine et que France soir  publie
dès le lendemain avec une légende étonnante  : «  Un commando OAS tire
sur les forces de l’ordre, les CRS ripostent… Deux morts et deux blessés
chez les attaquants. »
Le calme revenu, le premier bilan fait état de 1 CRS tué et de 6 blessés
du côté des forces de l’ordre ; de 57 morts et de 147 blessés chez les civils ;
en réalité, 84 ou 85 morts selon les familles et les services hospitaliers.
Christian Fouchet entend encore tirer les leçons du drame. Il revient à la
télévision, pour une nouvelle intervention aux allures de redite :
Une chose est d’être partisan de l’Algérie française. Chacun a le droit de l’être.
Une autre chose est d’être un assassin, et personne n’a le droit de l’être. Une autre
est d’être le complice des assassins, ou de les protéger, et cela non plus, personne
n’a le droit de l’être. Que croyez-vous  ? Qu’espérez-vous  ? Oh  ! ceux qui vous
guident, qui vous guident vers la mort, qui vous guident vers le drame, pour Alger
et pour vous, eux le savent. Ils savent bien qu’ils n’ont plus qu’une chose à faire
pour sauver leur mise, c’est de s’appuyer sur votre sacrifice. Ils se trompent, car
leur partie est perdue, elle est archiperdue. Ne vous engloutissez pas avec eux.

La tuerie achevée, un autre drame s’amorce. Les familles recherchent


leurs disparus  ; elles affluent à l’hôpital Mustapha où les employés de la
morgue sont débordés. L’un des dirigeants de l’OAS pour Alger, le
capitaine Branca, demande au lieutenant Prohom d’aller aux
renseignements à l’hôpital Mustapha, à la morgue, donc. «  Un spectacle
dantesque m’attendait, se souviendra Marc Prohom. Plusieurs dizaines
corps avaient été déposés à même le sol, reposant dans des flaques de
sang… »
Le témoignage de Simone Gautier, qui a perdu son époux, tué dans la
fusillade, suffit amplement pour savoir ce qui se passe à la morgue de
l’hôpital Mustapha :
Dès leur arrivée, ils furent dénudés et rendus bien propres, bien lavés de tout ce
sang, bien rangés les uns sur les autres, sur les tables et même par terre, chacun
cherchant le sien, tirant par les pieds quand il en restait, hurlant en découvrant le
visage fracassé… C’est vrai qu’au début on pataugeait dans le sang. Et tout ce sang
sur soi reste indélébile. Je n’insisterai pas sur tous ces détails désagréables. Mais,
tout de même, là, quelle chance pour les familles ! Ils étaient là, pas entiers, mais
bien là. Les ambulances, déjà sur place, avaient fait du bon travail. Du bonheur, en
somme, malgré nos pleurs et nos cris.
Et l’État français, sans doute par compassion devant cette douleur, jeta à la rue,
en pleine nuit, hors de l’hôpital, abandonnant leurs morts, ces familles dont je
faisais partie. Quelle douleur, alors que chacun était si heureux d’avoir récupéré son
mort et de finir la nuit près de lui. Mais c’était pour notre bien. Ils furent mis en
bière en pleine nuit, dans un couvre-feu absolu, dans une interdiction absolue de la
présence de leur famille afin de nous épargner cette douleur, par charité chrétienne
sans doute ?
Ces cercueils plombés ont été dispersés dans les différents cimetières de la ville
et les familles couraient un peu partout pour retrouver « leur » mort, enfermé dans
une boîte, posée là, plombée. Il y avait un nom sur une étiquette. À prendre ou à
laisser, si vous me pardonnez ce vécu ! personne ne sait encore aujourd’hui, si celui
qu’on a mis au fond du trou, creusé « à la va-vite » dans la nuit, personne ne sait si
celui-là, c’est bien le sien…

Le 27  mars au matin, Alger est dans un état second. La ville s’est
littéralement mise en grève, mais les rues du centre sont bourrées de monde,
des passants d’une extrême nervosité venant par petits groupes porter des
fleurs sur le théâtre principal de la fusillade de la veille. Des flaques de sang
coagulé leur indiquent quelques lieux : depuis l’angle de la rue Pasteur et de
la rue d’Isly jusqu’à la Grande Poste  ; le trottoir devant le Crédit foncier
d’Algérie est rouge sur une dizaine de mètres et la façade de la banque est
tachée de sang à hauteur d’homme.
Surgit le temps des questions. En premier, il convient de savoir si tout a
été fait pour éviter ce drame que trop de témoins pressentaient. Les trois
journalistes du Figaro sont persuadés du contraire :
En présence de la convocation par le tract OAS de la foule algéroise conviée à
se rassembler sur le plateau des Glières, puis à se rendre en cortège, à travers tout
Alger jusqu’à Bab el-Oued, la réaction du préfet de police aurait dû être ferme et
rapide et ne prêter à aucune équivoque. Il fallait soit interdire dès le début tout
rassemblement de personnes, soit le canaliser et l’encadrer par des forces de police,
solides, calmes et accoutumées aux mouvements de rues. Aucune de ces deux
attitudes n’a été résolument adoptée. L’autorité a laissé les Algérois se rassembler
en nombre, agitant des drapeaux, chantant et poussant des cris. Aucune mesure de
dispersion n’a été prise dès l’origine de la manifestation. Quant au service d’ordre,
il était à la fois insuffisant et inexpérimenté. Avant le sanglant événement, nous
avons eu l’occasion de circuler longuement parmi ces soldats. Le carrefour
boulevard Pasteur-rue d’Isly, où le feu a été ouvert pour la première fois, était
occupé par une section d’environ vingt-cinq hommes du 4e régiment de tirailleurs
arrivé depuis quelques heures de Médéa. Elle était commandée par un jeune
lieutenant visiblement à bout de nerfs. Les soldats eux-mêmes faisaient preuve
d’une nervosité croissante. Aucun autre officier d’un grade plus élevé n’a été
aperçu aux alentours. Aucun fonctionnaire de la préfecture de police ni aucun
officier de police n’était là pour lui prêter main-forte. Or, il s’agissait là du point
crucial2.

Suit la question essentielle : qui a ouvert le feu ? Celle-ci restera sans


réponse  ; officiellement en tout cas, car officieusement tout se dit, se
murmure, se répercute, chargé de sous-entendus. Oui, le 4e tirailleurs a usé
de ses armes  ; le fait n’a jamais été nié par personne. Il existe même un
relevé précis du nombre cartouches tirées. Mais ces jeunes militaires ont-ils
été les premiers à ouvrir le feu ? Sûrement pas. Trop de témoins ont évoqué
les trois armes automatiques installées autour de la rue d’Isly. Il  est aussi
reconnu que des unités du service d’ordre occupaient certaines terrasses de
ces immeubles.
Le bilan de la fusillade est un élément essentiel pour approcher la
réalité : les tirs de la rue d’Isly ont fait plus de 200 tués et blessés du côté
des civils, mais seulement 1 mort et 6 blessés, dont deux graves, du côté des
forces de l’ordre. Si les fusils-mitrailleurs avaient été aux mains de l’OAS,
le bilan serait assurément tout autre. D’ailleurs, un homme bien renseigné,
le capitaine Montagnon – écarté du 2e REP avant de rejoindre l’OAS –, sera
formel : aucun des commandos de l’OAS, les Delta, ne possédait de telles
armes  ; lui-même n’avait aucun fusil-mitrailleur dans l’arsenal qu’il
s’apprêtait à distribuer aux jeunes gens qui allaient prendre le maquis avec
lui, dans l’Ouarsenis ; des volontaires dont le départ avait été initialement
prévu pour la nuit du 23 au 24 mars.
Il y a cependant ces trois fusils-mitrailleurs parfaitement identifiés par
la foule  ; puis, pour chacune de ces armes, des tireurs qui ont disparu en
abandonnant les étuis de leurs cartouches. Mais trois ou quatre fusils-
mitrailleurs ? Le chiffre de trois a longtemps été retenu. C’est au cours du
procès du lieutenant-colonel Bastien-Thiry3, qui se tient du 28  janvier au
4 mars 1962 à Vincennes, qu’apparaît un quatrième tireur…
Celui-ci était embusqué au cinquième étage d’un immeuble de la rue
Alfred-Lelluch. Il avait dans son champ de tir la rue Chanzy, où ont été tués
ou blessés de nombreux civils voulant échapper aux tirs de la rue d’Isly. Ce
tireur n’a pas eu le loisir de disparaître : pris à partie par d’autres tireurs du
service d’ordre qui ne savaient pas tout, il est blessé puis, très discrètement
évacué sur une civière, et embarqué dans une ambulance kaki.
Devant le tribunal militaire siégeant au fort de Vincennes, maître Tixier-
Vignancour va plus loin et jette le nom du tireur  : Trang Tong Ton, un
Vietnamien, né le 25 juin 1932 à Hanoi. Depuis, le silence est retombé. Il ne
reste qu’une silhouette imprécise, un Vietnamien recruté pour Alger,
comme des dizaines d’autres barbouzes engagés par des services très
spéciaux de la République pour combattre l’OAS. À ce même procès,
maître Tixier-Vignancour lève aussi quelques voiles intéressants recouvrant
les vérités officielles. Est-ce le 4e tirailleurs qui devait venir à Alger ? Sans
doute pas, puisque Ailleret avait sollicité quelques jours plus tôt le
lieutenant-colonel Puigt commandant le 5e tirailleurs…
Quant à ces FM – qu’il y en ait eu trois ou quatre –, ils n’ont, de toute
évidence, jamais visé les forces de l’ordre, qui n’ont eu que 1  mort à
déplorer. Il faudrait donc en conclure que l’OAS s’était, ce 26  mars,
trompée d’adversaire pour ne massacrer délibérément que les Algérois  !
Pour être complet, ajoutons que les témoignages de source médicale
précisent que toutes les victimes ont été touchées par des balles d’armes
légères, 9  mm ou 7,5  mm, ou parfois par de graves coupures dues aux
chutes des vitrines brisées. Il n’a été relevé aucune blessure par éclatements
de grenades, ce qui confirme qu’aucun de ces engins n’a été jeté des
fenêtres ou des balcons.
Le lieutenant du 4e tirailleurs, Daoud Ouchène, a quitté l’armée après de
longs mois passés à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce. Il a son idée sur
l’événement : dans une lettre en date du 14 novembre 1987, il écrira : « Je
pense aussi que dans un prochain avenir, dès que ma santé me le permettra,
j’écrirai un livre sur ce massacre déclenché par les barbouzes. » Si tant est
qu’il l’ait commencé, il n’a jamais achevé ce manuscrit.
Le témoignage du journaliste du Figaro, Gérard Marin, a aussi son
importance. Avec ses confrères Anthérieu et Olivier-Lacamp, il a vécu ce
26 mars au cœur du drame. Quarante ans plus tard, dans un article évoquant
l’affaire, il revivra la tragédie :
Tandis que médecins et ambulanciers s’affairent dans le hululement des sirènes,
qu’un aumônier prie penché sur des mourants, je lis – avec la peur et le chagrin –
l’hébétude sur le visage des survivants. Pourquoi  ? Pourquoi cette boucherie
systématique, alors que tant de manifestations tricolores avaient été dispersées
jusque-là à coups de canon à eau ?
Je n’oublierai jamais, parmi les victimes rescapées, cette très jeune fille à la
robe claire tachée de sang, et qui pleurait, qui pleurait à gros sanglots. Sur les siens,
sur sa terre natale, sur ses illusions aussi…
L’Algérie française est bel et bien morte avec les 88 civils innocents massacrés
rue d’Isly le 26  mars. Un martyre d’une écœurante lâcheté qui précédera celui de
milliers d’Européens enlevés et assassinés par la suite par le FLN et l’ignoble
liquidation de quelque 120 000 harkis pour crime de fidélité à la France.

Quelle signification, enfin, donner à une confidence de Christian


Fouchet au journaliste Jean Mauriac ? C’est le 28 octobre 1969 que Fouchet
fait un étrange aveu à son interlocuteur, qui le reproduit dans son livre
L’Après de Gaulle :
J’en ai voulu au Général de m’avoir limogé au lendemain de Mai 1968. C’était
une faute politique. Il m’a reproché de ne pas avoir maintenu l’ordre  : «  Vous
n’avez pas osé faire tirer. —  J’aurais osé s’il l’avait fallu, lui ai-je répondu.
Souvenez-vous de l’Algérie, de la rue d’Isly. Là, j’ai osé et je ne le regrette pas,
parce qu’il fallait montrer que l’armée n’était pas complice de la population
algéroise. »
1.  Si les archives militaires pour les « événements » d’Algérie sont accessibles depuis 1992, le
dossier concernant la rue d’Isly ne devrait l’être qu’en 2062.

2.  En gras dans le texte.

3.  Jean Bastien-Thiry était l’organisateur de l’attentat du Petit-Clamart auquel de Gaulle a


échappé le 22 avril. Il a été exécuté une semaine après sa condamnation.
5

Convois vers l’Ouarsenis

D’où a pu surgir l’idée de zones que pourraient contrôler des éléments


de l’armée entrés en dissidence, ces éventuels maquis pour l’Algérie
française  ? L’idée vient de loin  ; de toute évidence, des élucubrations
officieuses sur une éventuelle partition, avec un découpage de l’Algérie en
deux zones, musulmane et européenne. Élucubrations, dans la mesure où
celui qui va manier ce leurre est persuadé que l’idée est irréalisable…
Qu’importe à de Gaulle  ; il a trouvé un argument pouvant jouer son rôle
dans les négociations avec le GPRA.
Le 16 septembre 1959, de Gaulle a lancé l’idée d’autodétermination. Il
a évoqué ce jour-là les trois solutions possibles : d’abord la sécession, avec
un aboutissement qui «  serait invraisemblable et désastreux  »  ; ensuite la
francisation, à laquelle il ne croit pas ; enfin, le gouvernement des Algériens
par les Algériens appuyé sur l’aide de la France et en union étroite avec
elle, pour l’économie, l’enseignement, la défense, les relations extérieures.
«  Dans ce cas, précise-t-il, le régime intérieur de l’Algérie devrait être de
type fédéral, afin que les communautés diverses, française, arabe, kabyle,
mozabite, etc., qui cohabitent dans le pays, y trouvent des garanties quant à
leur vie propre et un cadre pour leur coopération.  » De type fédéral  ? La
partition apparaît encore, discrètement, comme une toile de fond.
C’est en évoquant la sécession que de Gaulle lâche une phrase qui peut
être également interprétée comme une allusion à la partition : « Il va de soi
que, dans cette hypothèse, ceux des Algériens de toutes origines qui
voudraient rester français le resteraient de toute façon et que la France
réaliserait, si cela était nécessaire, leur regroupement et leur
établissement. »
Il ne manque plus que le mot, mais l’idée est bien là ; même imprécise,
comme il est souvent d’usage chez le Général. Ainsi cette idée de partition
semble-t-elle n’avoir eu qu’un seul objectif : sauver ce qui pouvait encore
être utile à la France –  le Sahara pour ses réserves pétrolières et les sites
d’expérimentation pour l’arme nucléaire, ou la base maritime de Mers el-
Kébir.
C’est en janvier  1962 que l’OAS s’intéresse à son tour à la notion de
partition. Le mouvement clandestin a certainement été piégé, lui aussi, par
l’éventualité d’un tel partage, qu’il tente de récupérer ; l’idée essentielle de
l’organisation était jusqu’alors de conserver à la France l’intégralité des
treize départements algériens. Le capitaine Ferrandi note, le 30 janvier, que
l’idée d’une «  République française indépendante d’Algérie  » progresse,
que Salan s’y intéresse  : «  L’éventualité, en tout cas, n’est plus à écarter,
écrit Ferrandi. Sa réalisation suppose cependant l’acquisition de bases
territoriales solides à partir desquelles l’action d’un véritable gouvernement
pourra se développer. Je me réjouis, pour ma part, que l’hypothèse revienne
de plus en plus dans nos conversations : l’organisation d’un “réduit” franco-
musulman commence enfin à être sérieusement évoquée. ».
Certes, il y a déjà eu des tentatives de maquis, rares, éparses, dont
certaines laisseront pourtant des traces, même si ces premières tentatives
n’ont connu que de très modestes résultats et beaucoup de mésaventures.
L’un des plus anciens, parmi ces maquis, s’était installé début février 1961
près de Mostaganem. Il est mis sur pied par deux officiers, le capitaine de
réserve André de Brousse de Montpeyroux, et le capitaine des parachutistes
de l’armée de l’air, Jean-René Souètre. Ils ont, avec eux, une vingtaine
d’hommes. Tous sont encerclés le 23 février 1961 ; neuf sont capturés, dont
Souètre et Montpeyroux. Ceux-ci feront un détour par la case prison, avant
de s’évader du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise où ils étaient détenus. Les
autres parviennent à disparaître avec leur stock d’armes et tentent de
rejoindre d’autres maquis en formation.
 
Il y a celui de Zaccar, qui devait s’emparer d’Affreville, mais qui sera
prié par l’OAS d’Alger d’attendre la date décidée pour l’action générale. De
son côté, Marc Peyras met une structure en place, aidé par deux régiments
qui lui fournissent armes et munitions. Peyras luttera directement contre les
cellules FLN et permettra d’implanter un groupe de maquisards dit «  Le
Pivain » du nom de l’ancien officier du 2e étranger, membre du « soviet des
capitaines  », tué à Alger le 7  février 1962. Peyras et ses hommes se
maintiennent, mais sans espoir de renfort déterminant. Vers Relizane, le
lieutenant Planchot installe une équipe  ; lui aussi sait très vite qu’il ne
pourra compter sur aucun renfort militaire.
Il a existé dans l’Est algérien, non loin de la frontière tunisienne, un
maquis Bonaparte. C’est ce maquis qui a diffusé, à la fin 1961, une
proclamation étonnante  : «  Jours et nuits dans nos montagnes, traquant le
FLN, sans véhicules, sans artillerie, sans hélicoptères pour évacuer leurs
blessés, ils sont là, musulmans et Européens, au coude à coude pour que
vive l’Algérie française. »
À la tête de ce maquis se trouve un ancien d’Indochine, Roger
Holeindre1, qui dirige 25 jeunes gens, Européens et musulmans. Encerclé le
6 février, Holeindre refuse d’ouvrir le feu sur l’armée française. La prison
les attend. Est-ce une homonymie, ou un élément détaché, une sorte de
filiale  ? Toujours est-il qu’un autre commando, s’appelant lui aussi
Bonaparte, arrive, dans la nuit du 19 au 20 février 1962, avec cinq véhicules
à la SAS de Mostaganem dont le patron, le capitaine Favarel, est
curieusement absent ce soir-là. Là est stocké tout l’armement de réserve des
SAS du département  ! Le commando embarque 163 fusils, 50 pistolets-
mitrailleurs, un million de cartouches, 500 tenues militaires. Plus important
est le groupe de Giorgio Muzzati, le maquis Albert, déjà implanté aux
abords de l’Ouarsenis, à proximité du douar des Beni Boudouane, fief du
bachagha Boualam.
Muzzati, ancien de Diên Biên Phu, adjudant-chef déserteur de la
Légion, est recruté en décembre 1961, par un certain Normandie, également
surnommé Le Chinois. Il reçoit pour mission de s’installer sur place, dans
l’Ouarsenis donc, d’observer et d’attendre l’arrivée de renforts. Ceux-ci
tardent à apparaître. Les premiers à rejoindre se font appeler Guy, un
parachutiste déserteur originaire de Lille, et Pierre, qui a quitté un
commando de chasse pour rejoindre l’OAS. Les trois hommes, devenus
maquisards, apprennent à se méfier de tout, des bergers, donc des
troupeaux, des chiens, des fellaghas, de l’armée française  ; avec
l’interdiction formelle d’allumer le moindre feu. Ils n’ont, pour se
ravitailler, que deux ou trois fermes d’Européens, auxquels ils doivent faire
croire qu’ils sont quelques dizaines. «  Nous en étions à la phase
d’implantation et de reconnaissance, écrit Muzzati. Des précurseurs, des
observateurs, des courants d’air. »
Courant janvier arrivent les premiers renforts. Ils étaient 3, les voici 15.
Début février surgit le gros de la troupe ; ils étaient 15, les voici 30. Parmi
les arrivants, un sergent-chef, trois sergents, un caporal, trois légionnaires,
deux gendarmes, un garde mobile et deux CRS, puis quelques harkis et
deuxième classe. Muzzati note avec une certaine amertume que les jeunes
pieds-noirs sont totalement absents de ce recrutement.
Le maquis, prenant donc de l’importance, change de territoire. Il
délaisse la vallée du Chellif, voisinant avec la route Alger-Oran, pour
s’enfoncer plus au sud, près des limites de la zone interdite. De telles zones
existent dans toute l’Algérie. Elles ont permis de regrouper, autour des SAS
ou des postes militaires, la population locale et ses troupeaux. Le bled étant
réputé à l’abandon, l’armée et l’aviation peuvent y ouvrir le feu quand bon
leur semble. La théorie est intéressante, la pratique est sensiblement
différente : les zones interdites deviennent le refuge des katibas de l’ALN.
C’est dans ce contexte que, le 10 février, Salan reçoit une visite qui le
conforte dans son idée de partition : le commandant Bazin vient proposer au
patron de l’OAS l’apport d’un ou deux bataillons ; le sien, le 5e BT, puis le
17e BT. Ces deux bataillons peuvent être réunis et deviennent à la demande
le 5e régiment de tirailleurs ; celui de Bab el-Oued, donc, que commandait
le colonel Puigt avant sa démission. Salan écoute Bazin, compte beaucoup
sur son apport  ; il a besoin d’une forte présence musulmane dans cette
opération, pour rassurer les populations locales. Il connaît certainement les
liens unissant Paul Bazin et Jacques Achard ; on n’approche pas Salan aussi
facilement que cela…
 
Un autre officier, Henri-Jean Lousteau, se présente à Salan. Compromis
dans le putsch des généraux, il a été jugé par le tribunal militaire spécial,
acquitté, mais éloigné de l’armée. Il est bien décidé à reprendre le combat
pour l’Algérie française. Il réclame une fonction au sein de l’OAS. Le
général Salan lui en trouve une immédiatement  : qu’il se tienne prêt, un
maquis est en préparation. Le colonel Gardes y travaille, il aura sûrement
besoin de ses compétences. Un jeune aspirant médecin, Jacques Mugica,
suit Lousteau. Les deux hommes ont déjà un passé en commun : le putsch
d’avril  1961 et leur passage devant le tribunal militaire spécial. Muté en
métropole, à l’hôpital Villemin, Mugica entend rejoindre l’Algérie, ce qui
lui est refusé  ; il adhère à l’OAS-Métropole, déserte en février  1962, et
rejoint Alger le 26  mars, jour de la fusillade de la rue d’Isly. Ce qui
explique son absence dans le train des futurs maquisards parti le soir même.
Lousteau et Mugica accompagneront donc Gardes.
Ferrandi voit déjà plus loin :
Le fait prend une singulière importance dans le cadre de divers projets
d’organisations de zones insurrectionnelles. D’autant plus que dans la région
d’Affreville, toujours aux portes de l’Ouarsenis, une ébauche de maquis paraît
favorablement se dessiner avec l’appui des officiers SAS et des GMPR locaux. Il
semble que nous assistions à un véritable réveil de certaines unités militaires. Il
convient donc d’accélérer nos plans. C’est dans ce sens que l’ordre vient d’être
donné à la population de préparer des rations alimentaires destinées à subvenir aux
besoins de nos futurs réduits  : soixante-dix mille rations semblent pouvoir être
rassemblées dans un délai assez bref.

Jouhaud, le numéro 2 de l’OAS, a entendu Salan  : il prépare lui aussi


l’implantation de maquis, réduits favorables à l’Algérie française. Il sait
pourtant que leur réussite ne peut venir que de ralliements, nombreux,
d’unités qui refuseront l’abandon d’une parcelle du territoire national. Ses
projets de maquis concernent tous l’Ouest algérien. L’un de ses adjoints, le
commandant Lucien Camelin, déserteur de la Légion, est entré en contact
avec le 5e étranger, stationné autour de Marnia. Ce qu’il annonce à Jouhaud
est plus qu’enthousiasmant  : son principal espoir repose sur l’adhésion de
ce régiment de la Légion. Son patron, le colonel Buzy-Debat, amènerait, en
plus de son régiment, un bataillon d’infanterie de marine, deux escadrons de
hussards, des éléments du 20e groupe d’artillerie aéroportée. Serait aussi de
l’aventure la harka de la demi-brigade de fusiliers marin, autrement dit ce
qui était le commando Yatagan, créé par le futur général Delayen. Cette
unité est intégralement composée d’anciens combattants du FLN ralliés à la
France. Delayen, venant de passer chef de bataillon, est parti, en juin 1959,
vers d’autres horizons ; Yatagan est devenu Tempête ; l’encadrement n’est
plus exactement le même  ; les hommes, eux, sont toujours là, aussi
résolus… Mais, en ce mois de mars 1962, Delayen s’inquiète pour l’avenir
de son commando : il a appris que les hommes allaient volontiers au combat
en arborant des brassards tricolores, ornés du sigle de l’OAS. Jouhaud peut
être satisfait. Ce que lui annonce Camelin est un projet concernant près de
3  000  combattants, entraînés, encadrés  ; avec ce qu’il faut de musulmans,
pour espérer le soutien des populations locales. Ce maquis devrait tenir
l’Ouest oranais et viser la ville de Tlemcen.
Un deuxième projet concerne la région de Sidi Bel Abbes et Mercier-
Lacombe, où une compagnie de la Légion devrait encadrer 400 harkis. Un
troisième maquis tiendrait les environs de Mascara, avec trois GMS, le
centre d’instruction de la Légion de Mascara et le commando Georges, une
unité proche de Bigeard, qui en avait confié le commandement au lieutenant
Grillot. Avec, sans doute, le 1er  étranger de cavalerie qui pose ses
conditions : il veut être assuré de la participation du commando Georges !
Le 2e  étranger laisse entendre qu’il ne sera peut-être pas de la première
vague, mais qu’il surgira dans un second temps. Déjà apparaît un premier
problème : Jouhaud commence avoir de sérieux doutes sur l’engagement du
commando Georges.
Quant au projet pour la région de Sidi Bel Abbes et Mercier-Lacombe,
Jouhaud comprend assez vite qu’il vaut mieux ne plus y penser : de récents
contacts avec Sidi Bel Abbes, la maison mère de la Légion étrangère,
viennent de se solder par un échec complet. Les officiers semblent craindre
que leur engagement conduise à une disparition de tous leurs régiments ; la
dissolution du 1er  REP, après le putsch des généraux, est un mauvais
souvenir à la Légion. Jouhaud est plus sévère dans son jugement de cette
défection  : «  La maison mère de la Légion était pourrie par des officiers
devenus fonctionnaires, ne cherchant qu’à se maintenir dans cette ville de
garnison agréable, où ils avaient des relations… » Jouhaud ne pense plus, à
ce moment, pouvoir renforcer des embryons de maquis existants vers
Relizane et Mostaganem. Il reste confiant pourtant : il sait qu’il pourra tenir
le Tlemcenois, qu’il pourra certainement mettre en place un deuxième
maquis dans la région de Mascara-Saïda.
Reste l’intendance… L’OAS oranaise a son trésor de guerre, qu’elle va
encore améliorer de façon spectaculaire, par un hold-up ; mais Jouhaud veut
mieux. Il souhaite la participation de la population et invente le « colis du
soldat », une idée déjà ébauchée autour d’Alger. À Oran, le travail est plus
fignolé  : chaque paquet doit comprendre des conserves, du sucre, du
chocolat, des boîtes de pansement individuel pour les premiers soins. Bon
nombre de magasins seront en état de fournir à leur clientèle –  au prix
uniforme de 600  francs anciens  – des colis conformes aux instructions de
l’OAS.
L’Est algérien pose un problème : les villes s’organisent, surtout Bône,
mais il manque une tête. Salan avait choisi Jouhaud pour Oran et l’ouest du
pays. Mais rien pour l’Est. Jusqu’au jour de janvier  1962 où le colonel
Chateau-Jobert passe à l’OAS. Celui-ci, bien décidé à rejoindre le
mouvement, piaffait d’impatience à Cherbourg, à l’état-major du préfet
maritime. En janvier  1962, une occasion se présente : Chateau-Jobert doit
faire un stage à Versailles. Il part en réalité pour Marseille, où des amis
l’hébergent. Un contretemps, pour ne pas naviguer avec un convoi de CRS,
puis il embarque le 29  janvier. Un petit comité d’accueil l’attend au
débarquement  ; il est facilement reconnu, même s’il ne porte plus son
légendaire collier de barbe. Le 31  janvier, Salan a enfin son patron pour
Constantine :
Chateau-Jobert trouvera sur place des personnalités de premier plan qui lui
apporteront leur intelligence et leur dynamisme. Je suis certain aussi qu’il saura très
vite marquer de son empreinte les camarades militaires de l’Est algérien qui
viendront plus nombreux collaborer à la lutte pour l’Algérie française.

Avant de prendre l’avion pour Constantine, Chateau-Jobert prend soin


de déchirer ses papiers d’identité ; celui qui doit l’accompagner s’étonne :
le colonel paraît hésiter quelques instants avant de détruire sa carte de
Compagnon de la Libération, une carte à trois volets frappée d’un glaive et
d’une croix de Lorraine. Dès le lendemain, le colonel est logé à
Constantine. Il fait la connaissance de tous les responsables du mouvement,
il peut se mettre au travail. Il sait pourtant que la capitulation est
programmée et que la fin est proche. Des années plus tard, il avouera ses
raisons à Roger Besse qui l’a accueilli à Alger : il avait tenu à participer à
ce baroud d’honneur.
Dès ce moment, il ne reste qu’une zone négligée  : la Kabylie. Dans
cette dernière région, il y a certes, ici et là, des gens se réclamant de l’OAS,
des embryons d’organisation, rien d’éminemment probant. Des arrestations
cependant… Christian Maréchal effectue là son service militaire dans une
base aérienne  ; il se sent seul, un ou deux complices l’assistent pour
distribuer des tracts, coller des affiches, diffuser un bulletin auprès des
militaires ; puis, un jour de décembre 1961, c’est l’arrestation.
Une lettre écrite de la main de Maréchal a été trouvée parmi les papiers
saisis sur Dovecar, sergent déserteur du 1er REP. Un premier séjour dans un
hôpital tout neuf d’Alger, où une compagnie des CRS garde une dizaine de
suspects, puis Maréchal est transféré vers Paris et la prison de la Santé. Là,
le détenu connaît une longue attente avant sa comparution devant le
tribunal, qui le condamne à cinq ans de prison avec sursis – le temps de se
faire quelques relations, puisqu’il connaîtra notamment en prison Camelin
et Ferrandi. Après quoi, libéré, Maréchal ne peut retourner en Algérie pour
des raisons administratives.
Le quatrième projet sur lequel planche l’équipe Jouhaud n’est qu’une
assistance à ce que prépare Gardes, à l’initiative de Salan  : le maquis de
l’Ouarsenis. Celui-ci dépendra en grande partie du soutien de la harka du
bachagha Boualam. Jouhaud prévoit des GMC (véhicules militaires de
transport) pour que Gardes puisse acheminer vers le bled ses hommes
arrivant d’Alger.
Une dernière réunion de préparation a lieu le samedi 10 mars, en début
d’après-midi, dans un appartement de la rue d’Alsace-Lorraine. Y
participent notamment le commandant Lucien Camelin, le lieutenant de
vaisseau Pierre Guillaume et un capitaine représentant le 5e  étranger. Les
détails sont fignolés ; les hommes fixent les conditions de transmission, les
codes à respecter ; le représentant des GMS reçoit un mois d’avance sur les
soldes destinées aux harkis. Le plan Jouhaud est adopté, le déclenchement
est fixé au jeudi 15  mars à 0  heure. Le général ne laissera qu’un bref
commentaire  : «  Nous venions de nous engager pour l’opération de la
dernière chance. Il fallait vaincre ou mourir. Je regardai avec admiration
mes camarades qui venaient de prendre une telle décision, rompant avec la
tradition militaire de l’obéissance. »
Le lendemain 11  mars, nouvelle et grave déception pour Jouhaud  : le
colonel Buzy-Debat, supposé entraîner le 5e étranger, est en opération dans
les monts de Tlemcen. Il envoie son adjoint contacter les hussards, qui
décident qu’il devient urgent d’attendre. Le commando Tempête de la
DBFM est injoignable. L’infanterie coloniale viendra si d’autres viennent.
Le commando Georges est de plus en plus incertain.
Le plan de Jouhaud est surtout contrarié par un ordre venu d’Alger  :
Salan demande le report de l’opération ! Celui-ci veut que rien ne soit tenté,
dans l’Oranais comme dans la région de Tlemcen, avant le lancement du
maquis de l’Ouarsenis, qui pourrait intervenir à partir du 17 mars. D’autant
que Jouhaud sera directement concerné. Un émissaire, que lui adresse
Salan, l’informe qu’il sera, à distance, le coordonnateur de cette affaire,
même s’il ne peut se rendre à Lamartine. Jouhaud s’étonne, il estime que
Gardes est suffisamment compétent pour tenir l’Ouarsenis. À cet émissaire
–  qui se fait appeler Augustin et dont il ne sait que penser  –, Jouhaud
explique qu’il assistera Gardes dans son ravitaillement, qu’il lui confiera
des camions GMC pour faciliter ses déplacements, qu’il aimerait qu’Alger
lui détache le capitaine Branca, un officier issu de la Légion, pour ses
contacts avec Bel Abbes. À noter que le mystérieux Augustin est un
Français musulman, à la fois conseiller et émissaire du bachagha Boualam ;
dont Pierre Montagnon précisera qu’il penchait résolument pour
l’insurrection, alors que le bachagha, son patron, lui paraissait plus réservé.
« Je décidai donc de différer la date de mon opération, écrit Jouhaud, et sur
le moment, je me demandai si je n’avais pas eu tort. Le réflexe d’obéissance
aux ordres du général Salan ne me conduisait-il pas à l’erreur que nous
reprochions aux cadres de l’armée ? »
Le 18  mars, le capitaine Branca arrive d’Alger à Oran, pour organiser
les relations avec la Légion et notamment le ravitaillement du maquis
Gardes. Le maquis du Zaccar restera discret en attendant le feu vert, qui ne
lui parviendra que le 29  mars. Edmond Jouhaud n’assistera jamais au
lancement de l’opération « Ouarsenis ». Il est arrêté le 25 mars.

1.  Roger Holeindre, membre fondateur du Front national, est élu député de Seine-Saint-Denis
en 1986. Il est décédé en 2020.
6

La journée des succès

Le choix de l’Ouarsenis pour implanter un maquis « Algérie française »


n’est pas le fruit du hasard. La décision a été précédée par des semaines de
réflexion, de préparation. L’Ouarsenis est finalement choisi parce que le
bachagha Boualam, réputé maître des lieux, a évincé l’ALN de son
domaine. De plus, la zone est déjà partiellement abandonnée par les troupes
françaises. En réalité, Pierre Montagnon écrira que les maquisards vont
tenter d’occuper un tout petit coin de l’Ouarsenis… Ce  n’est pas
nécessairement le plus apte à les accueillir  ; il manque de reliefs bien
marqués ; il y a peu de massifs boisés pour échapper aux observations ; les
replis n’ont pas été prévus. Certes, il se dit que les katibas rebelles
chercheraient à s’infiltrer dans la région, mais celle-ci reste calme.
Le groupe s’apprêtant à quitter Alger compte sur l’apport de diverses
harkas, d’unités territoriales, de compagnies de la Légion et d’autres
éléments de l’armée régulière. Cet apport annoncé explique l’importance de
l’encadrement parmi l’effectif se préparant à quitter Alger. Il y a les
capitaines Guy Branca, Pierre Montagnon, Claude Pouilloux. Sont aussi de
l’aventure les lieutenants Pierre Delhomme, Gérard Porte, Marc Prohom,
les sous-lieutenants Gabriel Castello, Michel Holstein, Rémy Madaoui.
Leur parcours est parfois atypique : ainsi Madaoui a servi parmi les troupes
de l’ALN  ; pris dans la frénésie de trahisons s’emparant du FLN, il a été
soupçonné, torturé. Il est parvenu à s’évader et s’est engagé dans l’armée
française  ; la tournure des événements, devenant incertaine, l’a poussé à
rejoindre l’OAS.
Le départ clandestin vers le maquis, déjà reporté, avait finalement été
programmé pour la nuit du 23 au 24 mars. Les tragédies de Bab el-Oued et
de la rue d’Isly ont tout remis en question. Les événements eux-mêmes, le
transport des hommes, la discrétion nécessaire imposent le report. Sont
successivement étudiés des départs individuels, puis un simulacre de convoi
militaire auquel les conjurés devront renoncer. Le commandant Bazin
devait fournir les camions, mais il a été engagé dans le bouclage de Bab el-
Oued, ce qui l’a privé de ses véhicules, puis aussitôt après expédié aux
arrêts de rigueur dans sa base arrière. Ce sont les cheminots qui apportent la
solution, non pas deux ou trois wagons accrochés à un convoi régulier, mais
un train de marchandises spécial. C’est la solution finalement retenue  ;
encore faut-il des complicités, notamment chez les cheminots, puis une gare
discrète, les préparatifs matériels ne pouvant être menés qu’à l’abri des
curieux.
Au point de départ, aux abords de Maison-Carrée, ils ne sont que 44 sur
les rangs  ; des défections et des arrestations ont réduit les effectifs. Ils se
gonfleront en chemin : embarquent très vite, à Baba Ali, 8 légionnaires du
2e REC, puis, vers Blida, 10 parachutistes. Partis d’Alger ou des environs
immédiats, ils sont 80 à rejoindre les Beni Boudouane. Parallèlement au
train fantôme, font route une camionnette et une DS Citroën véhiculant les
cinq hommes de l’équipe radio recrutée par Susini. Le responsable est
Libert Nerucci, qui est plus souvent appelé Bill.
Nerucci a déjà un passé compliqué ; il a été impliqué dans une purge qui
a beaucoup troublé l’OAS : l’affaire Leroy-Villard. Michel Leroy, venant du
Front nationaliste, et René Villard, de France-Résurrection, agissaient pour
l’OAS, mais en prenant des libertés exagérées  ; il y avait même de la
concurrence, donc de la rivalité, entre les commandos Delta de Degueldre et
les commandos Z de Leroy… Jusqu’au jour où Leroy et Villard ont été
soupçonnés de contacts avec des hommes du pouvoir : ils auraient travaillé
ensemble autour de l’idée de partition, qui n’est pas un objectif de l’OAS,
toujours attachée, à ce moment, au maintien des treize départements
d’Algérie dans la République.
Avec qui Leroy et Villard sont-ils en contact ? Avec Constantin Melnik.
Si celui-ci a bien été, dans le passé, le patron du service action du SDECE,
il ne l’est plus  ; il est désormais membre du cabinet du Premier ministre
Michel Debré, qui, lui, reste effectivement attaché à l’atout que pourrait
représenter la partition dans les négociations avec le FLN.
Constantin Melnik écrirait plus tard ce qu’il pensait de la situation de
l’Algérie aux premières semaines de 1962 – une vision plus proche de celle
de Michel Debré que de celle de Charles de Gaulle :
Malgré la dureté des temps, la République n’était pas menacée, mais une
situation nouvelle était née. En Algérie, l’État et l’armée, confiés à des incapables,
n’étaient plus que des cocottes en papier face à des rebelles exaltés par l’approche
de leur victoire. Une solution honorable devenait impossible de l’autre côté de la
Méditerranée. L’affolement avait gagné les «  compagnons  », mais, au lieu de les
calmer et de renforcer l’État, de Gaulle leur avait confié toutes les commandes,
ébranlant ainsi encore plus les structures administratives et gouvernementales. Une
République nouvelle avait surgi sur ces tristes décombres –  si l’on peut encore
parler de République.

Qu’importent ces nuances très politiciennes  : Leroy et Villard sont


isolés au sein même de leur groupe. L’un de leurs proches, Jean Sarradet,
entendu par l’OAS, reconnaît les contacts de Leroy et Villard, mais en les
condamnant. La décision finale revient à Susini  : «  Leroy et Villard ont
trahi ; ils ont été exécutés parce qu’il ne peut y avoir qu’une seule OAS de
La Calle à Marnia… » Les commandos Z, aux ordres de Leroy et Villard,
sont plus proches du « soviet » que de leurs patrons ; ils ne bronchent pas.
Des hommes venant des commandos Z garderont la confiance du « soviet ».
Sarradet deviendra plus tard l’adjoint du colonel Vaudrey. Libert Nerucci,
que le « soviet des capitaines » sait courageux, honnête et sincèrement en
désaccord avec les tractations de Leroy et Villard, sera donc de l’aventure
dans l’Ouarsenis.
Avec Bill voyagent son vieux complice Jo, puis Augustin, qu’ils
prennent au passage vers Telemly. Ledit Augustin – celui qui avait intrigué
Jouhaud  – tient son pseudonyme du général Salan, qui le consulte
fréquemment sur les affaires musulmanes. Augustin, de son vrai nom
Mohamed Ghéram, est l’un des neveux du bachagha Boualam. Les trois
hommes roulent dans la DS passablement trafiquée  : des blindages aux
portières, deux sacs de sable empilés derrière la banquette arrière, un début
d’arsenal dans les ailes avant… Le camion, prêté par un Algérois, est
conduit par un garçon qui a surtout hâte de s’éclipser ; il transporte tout le
matériel nécessaire aux émissions, autrement dit pour les contacts avec
l’organisation à Alger et pour les bulletins d’informations pirates à
l’intention du public. La route est libre  : Boufarik est oublié, Affreville
s’annonce. Le patron du secteur d’Orléansville, Pauline, les attend ; il va les
conduire à Lamartine, aux portes du douar des Beni Boudouane.
À l’instant du départ du train fantôme, les anciens officiers du 2e REP
distribuent aux futurs maquisards des uniformes et parfois des armes.
Pourquoi «  parfois des armes  »  ? Parce que Madouani est formel, il en a
reçu une en dotation avant d’embarquer dans le train  ; mais Gonnaud ne
sera équipé que plus tard, à l’arrivée aux environs de Miliana. Michel
Gonnaud est un pied-noir, fils, petit-fils et arrière-petit-fils d’officier  ;
démobilisé, il s’était installé dans le Grand Sud, où Jacques Achard l’a
enrôlé dans l’OAS.
Pour l’instant, tous embarquent dans les wagons de marchandise. Partis
vers 2 heures du matin, ils voyagent toute une nuit. Au lever du jour, leur
train s’arrête sous un tunnel, au-delà de Miliana. La première partie de leur
voyage s’arrête là. Les anciens officiers du 2e  REP savent que le colonel
Gardes, arrivé en élément précurseur, les attend à quelques kilomètres, dans
une ferme proche de La Varende. Le colonel Gardes a organisé là une
première réunion : il est temps de savoir qui va rejoindre le groupe arrivant
d’Alger.
 
Autour d’une longue table de cuisine, où ont pris place les conjurés, le
capitaine Montagnon découvre des hommes qu’il ne connaît pas
nécessairement  : des officiers du secteur, des responsables de l’OAS
oranaise, notamment un homme pouvant passer pour Eurasien ou Asiatique,
qui se dit Oscar et qui est d’autres fois Normandie, puis le capitaine Arfeux,
qui vient de Sidi Bel Abbes. Il y a aussi deux hommes, directement arrivés
avec Gardes : le commandant Henri Lousteau et le jeune aspirant médecin
du contingent, Jacques Mugica. Le commandant Bazin les rejoint depuis sa
base arrière, située à Pont du Caïd où il purge ses arrêts de rigueur ; il est
seul, désespérément seul…
Gardes paraît satisfait des ralliements qui lui sont annoncés. Autour du
général Jouhaud, changeant fréquemment de domicile depuis qu’il a, par
prudence, abandonné un immeuble du Front-de-mer, les conjurés ont bien
travaillé. Ils ont reçu des assurances de GMS, les groupes mobiles de
sécurité répartis dans tout l’Oranais, qui seraient prêts à soutenir le
mouvement. Jouhaud s’en félicite  : les GMS ont donné un accord
inconditionnel et la présence de musulmans parmi eux devrait rassurer les
populations indigènes. Les représentants de Jouhaud apportent encore plus
et mieux au colonel Gardes, du moins le croient-ils…
Il y a quelques jours, le 10  mars, se réunissaient encore autour de
Jouhaud, dans un appartement de l’avenue d’Alsace-Lorraine, des
animateurs de l’OAS oranaise et des représentants des unités annoncées. Le
patron de l’OAS, ce soir-là, leur annonce que l’opération sera lancée le
15 mars à 0 heure. Tous sont d’accord. Tous, sauf l’état-major algérois qui
impose un délai supplémentaire à Jouhaud  : les conjurés sont priés de
patienter, puisqu’ils devront entrer en action en même temps que le futur
maquis de l’Ouarsenis. Le général Jouhaud regrettera d’avoir accepté ce
contretemps  ; il l’écrira des années plus tard  : «  J’ai certes commis une
erreur, j’en conviens, et je la regrette. » Il ne pouvait imaginer, ce 10 mars,
qu’il ne lui restait que deux semaines de liberté !
C’est le dimanche 25 mars que Jouhaud est arrêté dans l’immeuble du
15, boulevard du Front-de-mer, le Panoramic, cet immeuble qu’il habitait
encore quelques semaines plus tôt. Il vient, accompagné de Camelin, le
temps d’un déjeuner  ; ils vont rencontrer d’autres convives, discuter de
demandes d’armement et du financement de l’entreprise. Le quartier du
Front-de-mer leur paraît soudain bien agité. Des hélicoptères survolent les
immeubles. Par une fenêtre, ils aperçoivent sur des terrasses voisines des
soldats casqués, équipés de jumelles, observant l’immeuble en question. Sur
le boulevard, l’agitation est évidente : des gendarmes mobiles, des CRS, des
automitrailleuses. Ils s’attendent à une visite des appartements, classiques
en semaine, bien plus rares un dimanche, surtout en début après-midi. Les
portes sont enfoncées, les appartements visités ; ils sont souvent vides pour
la plupart. Les CRS entrent chez leur hôte Claude Raymond, une jeune
femme qui tient son rôle au sein de l’OAS oranaise  ; c’est elle qui, entre
autres tâches, code les messages que s’échangent les dirigeants.
Toutes les personnes présentes sont invitées à mettre les mains en l’air
et à décliner leur identité. Les choses semblent bien se passer, Jouhaud et
Camelin ont de fausses identités crédibles –  Jouhaud est devenu Jerbert,
inspecteur de l’enseignement technique, Camelin est désormais devenu le
docteur Sabattier. Mais pourquoi ont-ils tant d’argent liquide sur eux  ? Et
pourquoi ce permis de conduire vierge dans la poche de l’un d’entre eux ?
Et pourquoi cette édition pirate de L’Écho d’Oran  soigneusement rangée
dans un tiroir ?
Les voici tous suspects, entraînés par les CRS et les gendarmes mobiles
vers les automitrailleuses. À Oran, en ce temps-là, toute intervention de la
police tourne à l’opération militaire. Où va-t-on les conduire  ? Ils n’en
savent rien, le parcours est long, hésitant. Ils s’éloignent du centre-ville, y
reviennent, stationnent devant la mairie et se retrouvent finalement dans les
locaux de la police judiciaire. Ils doivent donner papiers, montres, monnaie,
parapher la décharge que Jouhaud commence à signer de son vrai nom
avant de se reprendre. Un premier interrogatoire lui paraît réconfortant : il
lui est même annoncé qu’il sera libéré dès le lendemain matin, au lever du
couvre-feu.
Un second interrogatoire est plus inquiétant. Les questions sont trop
précises, notamment sur l’enseignement technique ; puis il y a cette photo
que s’échangent deux policiers et sur laquelle Jouhaud se reconnaît. Il est
prié de ne plus nier l’évidence. Alors il avoue, d’une seule phrase, qu’il ne
voudra jamais compléter : « Oui, je suis bien le général Jouhaud, né à Bou-
Sfer, chef de l’OAS en Oranie. » Edmond Jouhaud, plus tard, apprendra une
fraction de la vérité  : la fouille de l’immeuble le Panoramic  avait été
décidée après des relevés goniométriques laissant supposer qu’un émetteur
de l’OAS était caché là. Puis le policier qui lui avait restitué montre, papier
et monnaie, avec la promesse de le libérer le lendemain matin, l’avait
parfaitement identifié, mais avait décidé de ne pas le reconnaître.
L’OAS, informée de l’arrestation de Jouhaud et Camelin, peut-elle les
délivrer  ? L’opération a été envisagée, les clandestins sachant qu’ils
risquaient de perdre dans l’opération une douzaine des leurs. Ce n’est pas ce
risque qui les a découragés, mais la certitude que leurs chefs n’étaient déjà
plus en Algérie. Ils n’arrivent à la prison parisienne de la Santé que le
lendemain… Claude Raymond, elle, découvre la Petite-Roquette.
Il reste à comprendre pourquoi autant d’unités paraissant prêtes à
franchir Rubicon ont reculé ; pourquoi tant d’officiers d’accord pour entrer
en dissidence ont renoncé  ; pourquoi un complot paraissant solidement
construit s’est effondré comme un château de cartes. Les dates sont-elles
l’une des raisons principales expliquant les défections ? C’est une évidence,
pour une bonne part, sans doute  : l’annonce des accords d’Évian, puis le
cessez-le-feu ont profondément modifié les données du problème. Il ne faut
pourtant pas négliger un autre élément, pour comprendre les renoncements
qui se multiplient  : depuis le rappel du général Massu, depuis la semaine
des barricades, depuis le putsch des généraux, l’armée n’est plus
exactement la même. Le pouvoir a multiplié les mutations pour les hommes
comme pour les unités  ; les mises à la retraite ou les arrestations ont
profondément modifié l’état d’esprit. C’est désormais l’armée de De Gaulle
qui est en Algérie !
Lorsqu’il apprend la capture de Jouhaud, le général Salan désigne
immédiatement son successeur, le général Gardy. En réalité, c’est toute
l’organisation oranaise qui échappe à Alger  : après Jouhaud et Camelin,
c’est le lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume qui est également arrêté, le
28  mars, à un contrôle routier, entre Tlemcen et Oran. Pendant quelques
jours, il parvient à cacher sa véritable identité à la police. Dès lors, Salan
peut subodorer que la mise en place des maquis ne sera pas une affaire
facile. Certes, il a encore la conviction que le commandant Bazin apportera
une aide substantielle, avec le 5e  tirailleurs et peut-être le 17e. Mais, là
encore, les enthousiasmes d’un moment ne sont que des feux de paille !
Le 28  mars, le point est rapidement fait  : compte tenu de l’apport des
petits maquis déjà en place dans la région, ils seront au mieux une petite
centaine à entrer en dissidence. Giorgio Muzzati, adjudant déserteur de la
Légion, tient déjà le maquis dans la région, avec une quarantaine
d’hommes, dont plusieurs harkis : le maquis Albert. Ceci explique peut-être
cela : le colonel Godard, citant Gardes, affirmera que celui-ci est tombé des
nues « en voyant se pointer à l’aube du 29 mars un commando d’Alger, fort
de 150  hommes portant le béret vert  ». Le chiffre est faux  ; le détail
concernant les bérets verts est prématuré, l’anecdote qu’ajoute Godard plus
que douteuse  : Gardy, pour rallier Oran et ses nouvelles fonctions, aurait
voyagé dans le même train, ignorant que le maquis de l’Ouarsenis allait
l’accompagner jusqu’à Affreville ; or le train très spécial n’avait pas Oran
comme terminus.
Lorsque Pierre Montagnon écrit ce chapitre, pour son livre sur la guerre
d’Algérie, il précise que Gardes a immédiatement fixé les missions de
chacun. Il confie à Branca la tâche de rejoindre Sidi Bel Abbes  ; il sera
accompagné du capitaine Arfeux, qui enfile un uniforme de simple
légionnaire pour conduire une Jeep ; ils sont encore supposés revenir avec
la Légion étrangère… Montagnon doit donner le signal de l’insurrection
avec ses hommes et un renfort attendu, puisque le rejoignent aussitôt une
quinzaine d’hommes du maquis Albert, détachés par Giorgio Muzzati, dont
le sergent-chef Marc Chastaing.
La journée du 29 mars est celle de la mise en place des maquisards. La
veille au soir, la nuit venue, les hommes ont encore quelque 80 kilomètres à
faire pour rejoindre leur première étape, le fief du bachagha Boualam, près
de Lamartine. Le parcours est effectué en convoi  ; des camions roulent
précédés par deux automitrailleuses, devant lesquelles s’ouvrent tous les
barrages possibles – puisqu’il y a encore, dans l’armée française, des unités
prêtes à aider ceux qui ne marchent pas dans le droit chemin. Cette escorte
est fournie par le 5e régiment de chasseurs d’Afrique.
 
Lamartine est la première déception pour Gardes et Montagnon  : le
bachagha Boualam est de tout cœur avec eux, du moins le leur dit-il, mais il
ne peut les suivre : « Je suis trop vieux pour faire un rebelle, mais, preuve
que je suis d’accord avec vous, je vous donne mon fils Mohamed1. Vous
aurez ainsi un Boualam avec vous.  » Il leur confie bien un fils  ; certes,
celui-ci sera accompagné de quelques hommes, notamment un mokadem
(garde champêtre) qui connaît admirablement le terrain, les pistes, les
points d’eau, les populations. Les conjurés attendaient plus et mieux.
Gardes et Montagnon décident de ne pas perdre de temps, même s’il y a
encore des renforts à recevoir –  tous ceux promis à Gardes par les
représentants de l’OAS oranaise. Les conjurés se divisent alors en plusieurs
groupes. Le premier détachement suit le commandant Bazin ; ce n’est pas
un convoi automobile, c’est simplement une colonne d’hommes marchant
vers Duperrey, à proximité de la base arrière du 5e spahis. Les hommes sont
accompagnés par 14  mulets. Michel Gonnaud se souvient que 13  bêtes
étaient chargées des vivres et des munitions, la quatorzième portant une part
du trésor de guerre, quelque 40 millions de francs pour les menus frais de
l’expédition. L’essentiel des vivres doivent provenir de la collecte organisée
auprès des épiceries d’Oran, l’argent étant certainement une petite partie
des 2  milliards tirés des coffres de la succursale oranaise de la Banque
d’Algérie, celle du boulevard Gallieni, un prélèvement réalisé avec
l’aimable participation des employés…
Le deuxième groupe, déjà sur place, le maquis Albert, garde ses
positions. Le troisième groupe, sous la direction de Pierre Montagnon, doit
s’emparer au plus vite des premiers objectifs : les postes de Dra-Messaoud
et Moulay Abd el-Kader que tiennent des unités d’infanterie et des harkis
de Boualam déjà sur place. Puis suivent les deux autres objectifs  : la
côte 505 et Bel Has. Quatre postes à prendre dans la matinée du 29 mars !
Le succès est complet : il n’est pas nécessaire de tirer le moindre coup
de feu. Les garnisons de Moulay Abd el-Kader et de Dra-Messaoud se
laissent surprendre au petit matin. Pour Dra-Messaoud, c’est l’affaire de
Madaoui, Pouilloux et Prohom. Montagnon s’occupe de Moulay Abd el-
Kader, accompagné de Delhomme, Holstein et Chastaing  ; ils sont
accompagnés par l’équipe radio de Nerucci.
Pour augmenter leurs chances, Montagnon a recours à une ruse
personnelle : il distribue des bérets verts aux conjurés, sachant combien la
coiffure habituelle des paras de la Légion peut influencer l’adversaire. Ce
sont ces bérets verts qui ont censément troublé Gardes à la descente du
train… Il faudra ensuite deux bonnes heures aux hommes du commando
pour s’emparer du poste installé sur la côte  505, au nord-est. La première
phase de l’installation est achevée  ; les rebelles sont installés, les harkis
restent sur place et les appelés du contingent sont invités à rejoindre la base
arrière de leur unité, même si Montagnon leur suggère plus précisément de
rentrer chez eux, en métropole. Après quoi le dernier groupe des conjurés
file plein sud pour tenter de rejoindre le quatrième objectif, Bel Has.
En fin de matinée, ce 29  mars, le bachagha Boualam rejoint Moulay
Abd el-Kader où l’attendent Gardes et Montagnon. L’émetteur radio est en
place, les antennes sont tirées, la longueur d’onde est réglée, la liaison avec
Alger fonctionne. Boualam va pouvoir lancer un appel radiodiffusé
déclarant que l’Ouarsenis restera terre française. Ces hommes s’engagent,
de toute évidence, dans une aventure dont ils mesurent les risques. Peuvent-
ils encore croire à un sursaut des populations menacées  ? Veulent-ils
imaginer une autre issue que l’indépendance annoncée  ? Croient-ils
vraiment que leur maquis sera rejoint par d’autres déjà en place aux
environs  ? Supposent-ils que des unités de l’armée française choisiront la
rébellion ? Le bref passage du bachagha Boualam à Moulay Abd el-Kader
met certainement fin à leurs illusions, si illusions il y avait.
Ils ont choisi une sorte de fuite en avant qu’ils savent sans retour, pour
l’honneur…
Il est possible que l’état-major français ait déjà eu des aperçus sur les
préparatifs en cours pour l’Ouarsenis. La réaction des troupes légalistes est
cependant d’une rapidité confondante. Il existe à cela une explication
simple  : les trois postes conquis par les maquisards, sans que soit tiré un
coup de feu, doivent assurer, chaque matin à 8  heures, une vacation radio
avec leur PC de bataillon. Or, pour deux de ces postes, les liaisons ne sont
pas établies le 29 au matin. Le jour même, les hommes que dirige le sous-
lieutenant Michel Holstein, installés dans le poste de la côte  505, voient
l’aviation surgir. Les Corsair de l’aéronavale plongent, larguent leurs bidons
de napalm et disparaissent dans le ciel. Pierre Montagnon observe depuis
Moulay Abd el-Kader. Il s’inquiète du sort de ses camarades, pour lesquels
il redoute le pire. Montagnon sera toujours formel : ce sont bien des Corsair
qui ont effectué ce raid. Il les connaît pour avoir souvent bénéficié de leurs
appuis-feux en opération. Par la suite, l’Aéronavale niera cette
intervention ; il est facile, en ces périodes pour le moins troublées, d’oublier
de modestes détails dans les comptes rendus officiels. Montagnon réagit
sans perdre de temps : il faut évacuer les positions de Dra-Messaoud et de
Moulay Abd el-Kader  ; le capitaine donne l’ordre de dispersion. Son
dernier soin est de distribuer aux populations autochtones son surplus de
vivres et d’armement ; ils en auront sûrement besoin quand le FLN mettra
la main sur le douar des Beni Boudouane.
Ce même 29  mars, le convoi, qui avait déposé les hommes au poste
militaire de la côte  505, poursuit sa route. Il se dirige vers Bel Has, le
dernier objectif des maquisards. Il n’y parviendra jamais. Les petits T-6
jaunes de l’armée de l’air interviennent. Pris sous le feu des aviateurs, les
hommes se dispersent, cherchent leur sécurité dans les talwegs
environnants. Pour Gardes, pour les capitaines, il manque l’essentiel des
troupes. Non seulement la Légion ne donne pas de nouvelles, Branca et
Arfeux restant silencieux, mais il manque également les deux bataillons de
tirailleurs et l’essentiel des harkis du bachagha Boualam sur lesquels
comptaient les conjurés. Une telle défection autorise une question  :
pourquoi, aussitôt après son appel lancé sur les ondes de l’OAS, le
bachagha Boualam s’est-il éclipsé ?
Ils apprendront très vite –  mais après leur échec  – que le départ de la
smala de Boualam a été rapide, parfaitement organisé : avec sa famille, ses
proches, avec des enfants dont les parents ont été assassinés par le FLN.
Avec une poignée de ses harkis, Saïd Boualam gagne Orléansville, où des
avions militaires les attendent. Ils atterrissent à Istres. Le fils cadet,
Mohamed, arrivé en précurseur, a déjà trouvé un ensemble de bâtiments en
mauvais état près de Mas-Thibert, en Camargue. Les Boualam acceptent la
demeure délabrée qu’est le mas Fondu.
Pierre Montagnon a quelques raisons de s’interroger sur cette défection
et offre une première réponse :
Quel officier supérieur, quel fonctionnaire français révélera un jour le
marchandage imposé à Boualam  ? La sécurité dans l’exil, pour lui et les siens,
contre les commandos de l’OAS.

Désormais, les jours du maquis de l’Ouarsenis sont comptés.

1.  Les rares listes disponibles citent Ali, tandis que des témoins parlent de Mohamed.
7

Le temps des désillusions

Après le raid aérien, les maquisards chassés de la côte 505 se dispersent


dans le djebel  ; les rescapés du convoi roulant vers Bel Has tentent
vainement de rejoindre leurs camarades. Le climat évolue très vite  : une
partie des populations réputées acquises au bachagha Boualam paraissent
déjà prendre leurs distances avec les maquisards de l’OAS. Certains vont
encore les protéger, les informer, les ravitailler au besoin, mais en quelques
heures l’ambiance se détériore. Les hommes éparpillés à travers les Beni
Boudouane le ressentent différemment, d’ailleurs : ici de l’aide, ailleurs de
la méfiance. Les autorités – civiles ou militaires, sans doute même civiles et
militaires  – exploitent les hésitations de Saïd Boualam avant qu’il
n’entraîne sa smala en Camargue. Désormais, plusieurs groupes de
maquisards cherchent une issue à leur entreprise.
 
Avec le lieutenant Prohom, un groupe restreint s’éloigne de Moulay
Abd el-Kader. Ils enferment la petite garnison, emportent un maximum
d’armes, s’éloignent du poste. Ils observent un hélicoptère Alouette, qui les
survole un moment, puis se pose à quelques mètres d’eux. Marc Prohom se
souvient :
J’aperçus un quatre galons, assis à côté du pilote, parlant au micro  ; courant
vers eux, je les fis descendre sous la menace de nos armes et leur demandai de nous
suivre. Ce commandant était fort compréhensif quand je lui expliquai ce que nous
faisions là, mais au bout d’une heure de marche, ou de course plutôt, il me conseilla
très simplement de le libérer ainsi que le pilote, m’expliquant que ses camarades ne
les voyant pas revenir, ignorant qui nous étions, allaient réagir très violemment.
Cela me parut frappé au coin du bon sens ; je lui rendis donc son arme et le libérai
avec son pilote, en lui demandant seulement d’indiquer à son retour une autre
direction que celle que nous allions prendre. Et je pense qu’il le fit, puisque, bien
que plusieurs avions d’observation survolassent la zone, aucun ne sembla nous voir.

Commence alors, pour ce groupe, une galère de trois jours. Ils sont
armés, mais ils n’ont que peu de vivres et presque pas d’eau. Ils comptent
sur le soutien des habitants du douar, mais s’aperçoivent très vite que ceux-
ci sont de plus en plus réticents. Le lieutenant Prohom ne connaît pas
encore la défection du bachagha Boualam. Après une nuit à la belle étoile,
son groupe reçoit un renfort inattendu : une équipe aux ordres du lieutenant
Pierre Delhomme, un ancien d’Indochine, officier des commandos de l’air.
Delhomme a beaucoup plus l’expérience de l’Algérie que Prohom  ; il
oriente donc les hommes vers le nord pour sortir du massif et tenter de
s’échapper par la plaine. Désormais, ils se cachent le jour, ne marchent que
la nuit – jusqu’au moment où Delhomme décide d’aller en reconnaissance
avec un de ses hommes ; il espère trouver des Français et de l’aide. Marc
Prohom n’apprendra la suite que bien plus tard, à la prison de la Santé  !
Delhomme a bien trouvé de l’aide : une Jeep militaire qui l’a pris en charge,
en flairant la bonne affaire…
Ne voyant pas revenir leur nouveau compagnon, le lieutenant Prohom et
son groupe reprennent leur marche. Ils savent qu’ils ont atteint la plaine,
mais ignorent qu’elle est désormais contrôlée par les fellaghas. Ils
investissent une ferme abandonnée, où ils passent la nuit. Vers midi, « aux
heures chaudes, où les gens restent à l’ombre  », Marc Prohom décide
d’explorer les environs  ; il enfile une djellaba par-dessus son treillis,
s’éloigne avec un garçon connu dans la clandestinité à Alger, Pierre
Aoustin ; le parfait compagnon pour cette reconnaissance, puisque Aoustin
parle parfaitement l’arabe. Marc Prohom raconte :
À peine avions-nous parcouru quelques centaines de mètres que des Arabes
sortis de nulle part nous interpelèrent. Perre leur répondit : nul doute que sa réponse
ne leur parut pas convaincante, puisqu’ils commencèrent à nous lapider proprement.
Il reçut une pierre au visage  ; voyant qu’ils étaient prêts à nous faire un mauvais
parti, je sors le PM que j’avais heureusement emporté et que je cachais sous ma
djellaba et fis feu dans leur direction.

Les deux hommes refluent vers la ferme où le groupe les attend. Leurs
compagnons, alertés par la rafale que Prohom vient de tirer, sont déjà tous
sur le pied de guerre. Ils s’enfuient plein est. Ils n’iront plus très loin  :
plusieurs automitrailleuses les encerclent. Par haut-parleur, il leur est intimé
l’ordre de s’arrêter. Marc Prohom encore :
Que faire ? Ouvrir le feu ? Cela me parut complètement absurde. Je laissai là
mes hommes pour aller parlementer ; je rencontrai un capitaine de gendarmerie qui
commandait le détachement ; il s’engagea personnellement à ce que le groupe soit
traité correctement. Je retournai auprès de mes hommes pour leur demander de
mettre bas les armes, toute résistance étant inutile  ; nous avions fait ce que nous
avions pu, mais le but de notre action n’était pas là, en l’occurrence une lutte
fratricide, car il n’y avait là que des Français.

Discrètement, un homme s’approche de Marc Prohom ; il lui glisse que


Pierre Aoustin refuse de se rendre, qu’il est parti se cacher. Prohom estime
que c’est pure folie, qu’il n’a aucune chance d’échapper au FLN. Doit-il
aller le chercher ? Le convaincre ? Il ne s’en reconnaît pas le droit. Aoustin
a choisi sa liberté. Marc Prohom n’oubliera jamais son ami :
 
Il fut effectivement pris. Quand  ? Je ne sais pas exactement et il a
disparu à tout jamais. C’est un drame toujours brûlant en moi.
 
Des camions s’approchent, ils rendent leurs armes aux militaires, effarés
de l’arsenal que traînent avec eux les maquisards. Ils embarquent tous dans
les véhicules, sauf Marc Prohom :
Le capitaine me fit monter dans sa Jeep, en ayant cette élégance d’un autre âge
de me laisser conserver mon arme jusqu’à notre destination, Orléansville. C’était le
1er avril.

Désormais, leur avenir leur apparaît comme un énorme point


d’interrogation  : ils étaient des hommes libres luttant pour leur terre, les
voici prisonniers d’un régime contre lequel ils se sont rebellés, dont « nous
n’espérions ni ne demandions du reste aucune indulgence ou
compréhension ».
Le 2  avril, ce qui avait été le commando Prohom quitte Orléansville
pour Alger ; ils sont embarqués dans des camions, menottés aux ridelles. Ils
filent jusqu’à l’école de police de Hussein-Dey. Ils y trouvent l’ambiance
exécrable : un long bâtiment coupé par des cages grillagées, dans lesquelles
ils s’entassent à cinq ou six, dormant sur le sol, avec un seau dans un coin
en guise de toilettes.
 
Un autre petit groupe, pensant échapper à l’ALN comme à l’armée
française, se dirige vers Duperrey, à une soixantaine de kilomètres. Les
hommes marchent comme ils le peuvent, sans vivres, presque sans
munitions, se relayant pour porter Antoine Villegras, le garde mobile blessé
à la cuisse, celui qui a déserté Alger après avoir incendié les citernes
d’essence de son unité. Au détour d’une piste, ils croisent une Jeep et un
camion militaire. L’armée française…
« Vous êtes les rescapés du 5e spahis ? » La question ainsi formulée ne
leur paraît pas être une interrogation, plutôt un mot de passe. Ils jouent le
jeu, embarquent dans le camion, roulent vers un poste militaire où ils sont
convenablement accueillis. S’ils veulent se restaurer, le mess les attend.
Michel Gonnaud se souvient qu’ils ont déposé leurs armes avant d’entrer
dans la salle. Les voici à table, réconfortés, sensibles aux attentions des
cavaliers. Une pause, une très courte pause… Certainement en décalage par
rapport à son régiment, un aspirant du contingent a pu joindre un autre PC
et dénoncer la présence des rescapés. De là vient le détachement qui arrête
les maquisards dès leur sortie de table. Ils savent désormais ce qui les
attend : un tribunal, une condamnation, la prison…
 
D’autres fuyards parviennent à se fondre dans la nature. Filer vers Oran,
pour ceux qui espèrent y trouver un refuge, des amis. Rejoindre Alger, c’est
se lancer dans un parcours beaucoup plus risqué ; le seul possible, pourtant,
pour des hommes comme le colonel Gardes, le commandant Lousteau ou
l’aspirant-médecin Mugica. Ils filent tous les trois vers Orléansville, et de
là, séparément, rentrent à Alger. Leur tâche n’est pas achevée.
Libert Nerucci apprend par Gardes que leur affaire a échoué  : «  C’est
fichu, personne ne nous rejoindra. Nous descendons dans la vallée et
rejoindrons Affreville. Si vous voulez vous joindre à nous, mettez-vous en
uniforme et tenez-vous à la disposition du capitaine Montagnon.  » Bill
préfère disparaître, accompagné seulement de quelques garçons ; peut-être
une vieille défiance née de l’affaire Leroy-Villard. Ils quittent Dra-
Messaoud après avoir neutralisé le matériel radio à coups de marteau. Ils
sont en treillis, leurs vêtements civils dans les sacs à dos, avec quelques
boîtes de conserve. Ils prennent deux grenades chacun, parfois une arme.
Bill décide de les entraîner vers un oued, un chemin trois fois plus long que
l’itinéraire proposé par Gardes pour atteindre la route nationale allant vers
Affreville. Mais il préfère…
L’équipe Nerucci souffre de cette marche, au cœur de l’oued, les pieds
dans l’eau. Ils avancent cachés par les lauriers-roses qui les dissimulent aux
hélicoptères. Ils découvrent que des musulmans osent encore les ravitailler,
les héberger. Jusqu’à leur dernière rencontre : une quinzaine de cavaliers de
l’armée française et un lieutenant qui s’approche d’eux. Il leur adresse un
salut amical : « Ne vous inquiétez pas, nous venions à votre rencontre. Vous
nous avez été signalés depuis ce matin. Nous savons ce qui se passe, nous
allons vous aider dans la mesure de nos moyens… »
Arrive effectivement un Dodge 4 × 4. Les équipiers de Bill sont invités
à monter à bord, à abandonner le matériel compromettant, à enfiler leurs
tenues civiles. Après quoi, le lieutenant donne ses consignes  : il va les
déposer, deux par deux, sur la route nationale ; qu’ils ne se regroupent pas,
qu’ils évitent les barrages de gendarmes ; les militaires, eux, fermeront les
yeux. Tous se retrouveront à Affreville. Tous repartiront pour Alger. Avec
un dernier rendez-vous à Bab el-Oued.
 
Le capitaine Pierre Montagnon a observé un va-et-vient d’hélicoptères
autour de Dra-Messaoud ; il a suivi le véritable raid aérien contre le poste
de la côte  505 où les appareils ont largué du napalm. Il  a songé à ce que
pouvaient endurer Holstein et ses compagnons sur leur piton bombardé. À
ce moment, Montagnon pense encore pouvoir se maintenir dans les Beni
Boudouane. Il sait que l’opération sera difficile, surtout si les militaires
maintiennent la pression pour en finir avec les rebelles. Il envisage de
regagner Dra-Messaoud lorsqu’un harki lui annonce que le poste vient
d’être repris par l’armée. Delhomme lui demande l’autorisation de
décamper ; elle lui est accordée. Gardes part vers Lamartine avec Lousteau
et Mugica. Nerucci et ses hommes sabotent le matériel radio et s’éloignent à
leur tour. Restent une quinzaine d’hommes avec Montagnon, ils savent que
l’armée progresse vers eux, qu’elle n’est plus qu’à 3 ou 4  kilomètres.
Montagnon, avec ses compagnons, notamment Chapelard et Quiniou,
choisissent la discrétion. Ils vont attendre la nuit pour s’éloigner  :
« Maintenant, c’est mon tour, écrira-t-il. Je suis devenu le fell1 qui attendait
la nuit pour fuir. »
Entre le 30  mars et le 6  avril, le groupe Montagnon se gonfle,
récupérant d’autres maquisards, comme Holstein et son groupe qui avaient
quitté la côte 505 quelques instants avant le bombardement. Ils retrouvent
un moment Delhomme et quelques autres, dont Prohom, qui vont
poursuivre leur chemin. L’essentiel est de se disperser en attendant des
heures et des jours plus calmes. La population du douar, si elle paraît
incertaine à d’autres fuyards, est plus ouverte devant le groupe Montagnon,
qu’elle renseigne et ravitaille. À tel point que Montagne repense à son
implantation…
 
Les nouvelles s’enchaînent le 31  mars. Une bonne  : c’est au tour de
Chastaing de réapparaître. Une mauvaise : le bachagha Boualam est revenu,
mais pour récupérer les armes des harkis, comme celles laissées aux civils.
Une autre crainte s’installe, les ronflements des moteurs d’avions
deviennent une hantise, un possible héliportage engendre la terreur. Tous se
tiennent prêts pour un départ rapide  : ils portent désormais une djellaba,
marchent avec des espadrilles locales, dont les semelles sont découpées
dans de vieux pneus. Chapelard prend en charge la logistique  : à lui le
ravitaillement, les points d’eaux, les douches aménagées dans l’oued, des
caches creusées pour les munitions. Au soir du 2  avril, ils apprennent, en
écoutant une petite radio, que Bernard, Delhomme et Pouilloux auraient été
capturés. Montagnon fait ses comptes : « Chastaing, quinze ; Holstein, huit ;
moi, quatorze. Au maximum quatre ou cinq égarés à récupérer. Avec ce
modeste effectif initial, il va falloir tenir et préparer la riposte. »
Par sécurité, le groupe éclate, s’éparpille  ; trois ou quatre hommes à
chaque fois. Montagnon a repéré un PC de l’armée en cours d’installation
sur un piton, à 3 kilomètres de là. L’action qui s’engage paraît leur tourner
le dos… jusqu’à midi tout au moins. Dès cet instant, l’armée progresse vers
eux. Des fumigènes largués par un Piper leur laissent supposer que
Holstein, qu’ils savent à proximité, devient une cible. En milieu d’après-
midi, l’armée donne l’impression de démonter son opération ; les camions
se regroupent, partent vers la plaine. Alors Montagnon décide de leur
donner ses dernières nouvelles. Une radio, qu’ils ont encore, est mise en
batterie, réglée sur la fréquence des unités, et le message est envoyé  :
« Tous, tous, ici la voix de l’OAS. L’Algérie restera française. Je répète  :
l’Algérie restera française. »
Le 4 avril, les hommes redoutent une nouvelle incursion de l’armée, ils
cherchent ceux d’entre eux qui pourraient se trouver à proximité. Leur
arrive aussi un musulman apportant des nouvelles de Mohamed Boualam,
caché près de Lamartine. En confiance, Montagnon confie à l’inconnu un
message à transmettre au fils Boualam  : il est avec une quarantaine
d’hommes ; il compte bien s’implanter dans la région et recruter des harkis ;
il souhaite un contact avec Normandie, demande l’aide d’un médecin.
 
Le 5  avril, Chapelard reçoit une mission très particulière  : gagner
Affreville, éventuellement Alger, rapporter du ravitaillement, des
médicaments aussi, puisque l’infirmier du groupe souffre d’une mauvaise
angine. Le fils Boualam transmet sa réponse par le même porteur  :
Normandie est alerté, Gardes et Lousteau ont échappé aux recherches, il
viendra les voir dans deux jours et leur fait porter 10  000  francs pour
acheter de la viande.
Le 6 avril, les maquisards aperçoivent une Jeep et cinq camions GMC,
soit une compagnie entière sur leurs traces ! Montagnon entend les soldats
débarquer de leurs véhicules. Il faut fuir, dévaler la pente, choisir le cours
d’un oued, baisser la tête parce qu’une mitrailleuse vient de cracher une
première rafale. Les tirs se multiplient  ; les adversaires sont là, si proches
que les maquisards voient leurs visages. Montagnon crie : « Halte au feu ! »
Les rafales continuent ; il se lève et hurle encore : « Halte au feu ! »
Une bonne quinzaine des militaires les entourent.
— Y a-t-il un officier ? demande Montagnon.
— Oui, mais posez d’abord votre arme.
Un sous-lieutenant s’avance, salue le capitaine rebelle. Le capitaine
commandant le détachement le regarde et déclare, penaud  : «  Je
m’excuse. » Autour d’eux, les militaires du 2e Rama cherchent les derniers
maquisards. Il n’y aura que trois évadés, capturés deux jours plus tard par le
FLN qui les relâchera le 6 octobre, après de sérieuses tortures.
Désormais, les derniers rescapés des Beni Boudouane vont suivre le
même chemin que tous leurs camarades déjà arrêtés : Orléansville, la route
pour Alger, l’école de police de Hussein-Dey, jusqu’au 12  avril, date à
laquelle Pierre Montagnon s’envole pour Paris et la prison de la Santé.
 
Isolé, le commandant Paul Bazin a été récupéré par le maquis Albert
que commande Georgio Muzzati, crapahutant depuis des semaines dans la
région. Muzzati, isolé avec ses hommes, tente de s’organiser. Il y a des
vivres, des munitions, qu’il faut transporter pour tenter de survivre. Ils font
main basse sur une douzaine d’ânes, aussitôt chargés et confiés aux harkis
faisant partie de l’équipée.
Le 9 avril, c’est une colonne de l’ALN qui tente de surprendre le dernier
groupe s’efforçant de survivre dans ce coin de l’Ouarsenis. Les hommes
d’Albert ont fait halte dans un douar bâti auprès d’une piste carrossable.
Muzzati part en reconnaissance avec cinq maquisards. Ils ne font que
quelques centaines de mètres, entendent un coup de feu, suivi de tirs
nourris. Ils rebroussent chemin, aperçoivent des silhouettes en treillis,
coiffées de chapeaux de brousse, embusquées derrière des rochers, leur
tournant le dos. Ceux-là tiennent la piste sous leurs tirs. Muzzati hurle  :
«  Halte au feu, halte au feu  !  » Les hommes en treillis se retournent vers
eux, paraissant hésiter. Le patron d’Albert découvre alors des camions
arrêtés à la hauteur du douar. Sur chaque véhicule flotte le drapeau du FLN.
Les six maquisards ouvrent le feu, prenant à revers les fellaghas, dont aucun
ne survivra. Pour Muzzati, c’est une victoire  : ils sont restés maîtres du
terrain. À un détail près : les ânes, affolés, se sont enfuis avec les munitions
et le ravitaillement ; il faut les récupérer ! « Alors que la prudence la plus
élémentaire aurait dû nous pousser à quitter rapidement les lieux, écrit
Muzzati, nous perdîmes un temps précieux. »
La riposte de l’ALN ne tarde pas  : une katiba est alertée par les
déflagrations de la fusillade  ; elle se porte vers les lieux de l’accrochage,
l’oued Kramme. Les hommes d’Albert sont pris sous les tirs de
mitrailleuses. Les rafales prennent la piste en enfilade. Le groupe Muzzati
ne peut plus rejoindre le groupe Bazin, chacun se trouvant d’un côté opposé
de la piste. Muzzati est sur la lisière nord, avec ses maquisards et quelques
ânes récupérés  ; ils se retranchent dans un ravin, dont chacune des
extrémités est verrouillée par des maquisards. Ils savent qu’ils doivent tenir
jusqu’à la nuit pour échapper aux fellaghas. Bazin est du côté sud avec une
quinzaine de maquisards embusqués derrière les rochers où se trouvaient les
fellaghas abattus par les hommes de Muzzati. Les deux groupes combattent
durant tout l’après-midi. Jusqu’au silence, jusqu’aux cris de victoire des
fellaghas qu’entendent les hommes de Muzzati, jusqu’aux cris de terreur, de
douleur, des maquisards que l’ALN achève.
De l’autre côté de la piste qu’ils ne peuvent toujours pas traverser, les
hommes de Muzzati sont incapables d’intervenir, fixés au sol par les tirs de
l’adversaire. La seule chance du groupe tient à l’incompétence du patron de
l’ALN : il ne commande pas l’assaut du deuxième groupe, il ne tient pas les
crêtes dominant le ravin.
Giorgio Muzzati fait l’inventaire de son groupe  : Guy, deux anciens
gendarmes, deux sous-officiers et quatre autres rescapés du maquis de
l’Ouarsenis. Une dizaine d’hommes au total, dont six sont blessés et deux
d’entre eux incapables de marcher seuls. Ils supportent les tirs de mortier de
l’adversaire, ripostent au besoin et attendent la nuit. S’ils arrivent à
s’extirper de leur ravin, à grimper vers la crête et à passer le col qui les
domine, l’espérance peut revenir. Ils se séparent en deux groupes : les uns
escaladent la pente vers la crête ; les autres, depuis leur ravin, continuent de
tirer sur les fellaghas. Lorsque tous atteignent la crête, ils entendent l’ALN
déclencher une fusillade infernale, pour exterminer ces dix hommes qui ne
sont plus là…
Arrivé sur la crête, Muzzati découvre un étrange spectacle  : d’autres
camions incendiés brûlent encore, des voitures particulières sont
abandonnées, des cadavres gisent en travers de la piste. Le corps du
commandant Bazin est là, allongé au milieu de la piste ; il tient encore un
pistolet à la main. Muzzati comprend immédiatement ce qui vient de se
passer. Au moment de reprendre sa marche, le groupe aux ordres du
commandant Bazin a vu surgir un convoi roulant sans précautions
particulières, s’imaginant à l’abri de l’OAS. Bazin est prêt au combat, il sait
faire. Lui aussi s’est engagé à ne pas ouvrir le feu contre l’armée française.
Certes l’ALN a reçu des armes de l’armée française, certes elle se déplace
dans des camions de l’armée française, mais ce sont des combattants
algériens de l’ALN qui ne sont que le bras armé du FLN.
À leur approche, Bazin improvise un semblant d’embuscade. Il sait où il
est, qu’il n’aura plus droit au moindre appui, terrestre ou aérien. Il s’engage
dans une manière de baroud d’honneur  : le commando réussit à mettre
17  fellaghas hors de combat. Puis le rapport de forces s’inverse  : l’ALN
prend le dessus, se venge en massacrant ses adversaires. Blessé, notamment
à la cuisse, le commandant Bazin meurt sur place. Paul Bazin ne saura
jamais comment le général Jouhaud a salué sa disparition : « Je connais peu
de sacrifices, de dons de soi aussi chevaleresques que celui de cet officier
qui regardait comme la pire des impiétés de préférer l’existence à
l’honneur. »
 
Giorgio Muzzati et les survivants de son groupe décident de sortir de la
nasse et de regagner Alger. Ils savent que l’affaire ne sera pas aisée  ; ils
manquent d’eau, de vivres, ils doivent se cacher, éviter les mechtas
habitées, se garder des troupeaux et surtout de leurs chiens, des hélicoptères
aussi qui ne cessent de tournoyer au-dessus d’eux. Ils ne peuvent utilement
marcher que la nuit venue. Attil, un des deux harkis survivants, est persuadé
pouvoir survivre là où il a toujours vécu. Il décide de rester ; Muzzati cède.
Il ne reverra jamais Attil, qui sera abattu sans que personne ne sache s’il a
été victime des CRS de l’armée régulière ou de l’ALN. Les survivants
d’Albert sont à une vingtaine de kilomètres du dernier accrochage avec
l’ALN lorsqu’un guetteur donne l’alerte  : un cavalier se dirige vers eux.
Muzzati ne sait trop quoi faire lorsque l’homme descend de son cheval : un
adjudant d’un régiment de dragons. Muzzati et lui se saluent, un curieux
dialogue s’engage, que Muzzati rapportera fidèlement dans son livre
Dernier baroud pour l’honneur :
— C’est le colonel qui m’envoie. Nous vous recherchons depuis tôt ce matin.
C’est lui qui vous a repérés en effectuant une reconnaissance avec l’Alouette.
Combien êtes-vous là-dedans ?
— Nous sommes dix-huit, avec quatre blessés.
— Bon, écoutez-moi car le temps presse. Un bouclage est en train de se mettre
en place et vous devez sortir de là le plus vite possible. Vos blessés sont-ils en état
de marcher ?
— Ils tiendront le coup, je crois.
— Il le faut, car il nous est impossible d’envoyer un véhicule jusqu’ici. Je m’en
vais. Dans une heure, faites mouvement vers le nord-est. Environ 3 kilomètres, des
camions vous attendent pour vous conduire en sûreté hors du bouclage. C’est tout
ce que nous pouvons faire pour vous. Je vais essayer d’envoyer un infirmier pour
s’occuper de vos blessés dès que vous arriverez aux camions.
—  Comptez sur moi… Merci. Dites-moi, vous étiez sur les lieux de
l’accrochage ? Avez-vous pu récupérer les corps de nos camarades ?
— Non, pas personnellement. Je crois savoir que l’on a pu relever une dizaine
de corps, dont celui d’un officier. Pour autant que je sache, vous êtes les seuls
survivants. Une chance qu’on ait pu vous localiser… Tous les douars des alentours
sont en ébullition et il y a des fellaghas partout. Vous vous trouviez en pleine zone
de regroupement… chez eux quoi !

Les survivants du maquis Albert marchent jusqu’au petit convoi qui les
attend : deux 6 × 6 et un half-track que commande un lieutenant. L’infirmier
est là, lui aussi. Ils sont ravitaillés, désaltérés, embarqués et prennent la
route. Pour où ? se demande Muzzati qui sait seulement que leur sort sera
meilleur que celui qui aurait été le leur si l’ALN les avait capturés. Ce sera
Affreville !
Le lieutenant de dragons tend la main à Muzzati :
— Mon lieutenant, je vous prie de transmettre tous mes remerciements à votre
colonel… Sans votre aide, je ne sais pas ce que nous serions devenus  ; je ne
l’oublierai jamais.
— Je crois que pour nous tous c’était une question d’éthique. Adieu et bonne
chance.

Les survivants retrouvent une cache fréquentée deux mois plus tôt. Ils
s’installent dans ce hangar, où seront enterrés les armes, les munitions et les
uniformes. Guy va jusqu’au bar, qui avait été leur point de chute à leur
arrivée à Affreville. Il parvient à joindre Normandie, qui redoutait que tout
le commando ait été exterminé par les fellaghas. Le réseau se mobilise pour
les tirer d’affaire, évacuer les blessés, préparer le voyage des rescapés pour
Alger. Ils partent dans le double fond d’un camion chargé de meubles.
Normandie confie ce qu’il sait de l’accrochage de l’oued Kramme  : une
dizaine de corps affreusement mutilés et impossibles à identifier, puis la
dépouille du commandant Bazin, criblé de balles, comme si les fellaghas
l’avaient particulièrement ciblé.
Giorgio Muzzati et ses hommes parviennent à Alger, où ils plongent
dans l’anonymat en attendant que l’OAS fasse appel à eux. La chance
abandonne le seul harki rescapé du maquis, Ahmed. Il avait été prévenu, à
Affreville, qu’Alger n’était pas nécessairement accueillante envers les
musulmans. Comme ses camarades, il est hébergé, mais il doit vivre caché.
Un jour pourtant, lassé de n’être qu’un clandestin privé de liberté, il sort de
sa retraite, marche dans la rue ; imprudence fatale pour un musulman égaré
en quartier européen !

1.  Fell, pour fellagha, parfois aussi felouze, ou viet en souvenir de l’Indochine.
8

La prison ou l’exil

Que sont devenus les maquisards de l’Ouarsenis au terme de leur


aventure ? Un bilan précis restera nécessairement incomplet et partiellement
inexact. Il est évident que les volontaires ne signaient pas un acte
d’engagement avant de plonger dans l’illégalité, que personne ne les
contraignait à donner leur identité ni même leur profession. Restent,
aujourd’hui, deux listes disponibles.
La première de ces listes nominatives n’est que partielle  : 83 noms
seulement, ce qui exclut l’identité d’hommes arrivant d’autres maquis de
moindre importance numérique, qui se sont pourtant ralliés à la tentative du
colonel Gardes1. Ce sont parfois des noms, ou simplement un prénom  ;
pour les civils, la profession est rarement citée  ; pour les militaires, les
grades sont indiqués et parfois leurs unités d’origine. Sur ce premier
document se trouvent pratiquement tous les officiers déjà cités. Quant au
gros de la troupe, il est divers et varié. Outre les déserteurs, parachutistes ou
légionnaires, apparaissent quelques jeunes Algérois qui sont parfois patrons
de bar, comme les frères Amédée et Pierre Bernard, ou architectes, comme
Morvan ; un pêcheur dont ne subsistera qu’un prénom, José ; comme pour
Pierre  X, supposé être un ancien du bataillon de Corée. Il y a aussi deux
femmes, identifiées sous les noms de Bernadette Praloran et Bernadette
Pujol. N’apparaissent ainsi, sur ce premier relevé, que quatre hommes du
maquis Albert, Giorgio Muzzati, Gilbert Brochet, Marc Chastaing et Guy
Derauw, alors que plusieurs harkis (6 ou 8) ont participé à l’entreprise
Albert. Il est fait état de six morts dans les combats de l’Ouarsenis  : le
commandant Bazin, Pierre Aoustin, Michel Bevilacqua, Roland Escriva,
Jean-Claude Marquès et le sergent Sandor. Il est précisé que 31 hommes et
une femme, Bernadette Pujol, ont été arrêtés. Aucune indication ne
concerne l’autre femme présente sur la liste, Bernadette Praloran. Il en est
de même pour une trentaine d’autres maquisards, qui ne sont donc pas
morts dans les combats et n’ont pas été arrêtés  ; sans doute rescapés et à
confondre avec ceux réputés avoir échappé au bouclage, soit une petite
quarantaine d’inconnus.
La seconde liste concerne 103 volontaires2. Elle est plus complète que
la précédente  ; ce qui ne veut pourtant pas dire qu’elles se recoupent. Là
encore, les harkis paraissent oubliés. Une seule femme est citée dans cette
seconde version, Bernadette Pujol. Elle est d’ailleurs l’unique femme ayant
réellement participé à l’aventure ; elle n’a pas jugé utile de se cacher sous
un pseudonyme, même si certains participants assurent qu’elle se faisait
appeler Ivoire ou Livoire ; elle se camoufle pourtant. Avant de prendre le
maquis, elle s’est fait couper les cheveux aussi court que possible et elle a
ajouté sur son treillis des galons d’aspirant. Il n’est pas certain qu’elle ait pu
abuser grand monde… Sur cette seconde liste, il est précisé qu’elle a été
arrêtée, jugée et condamnée avec sursis.
Après l’échec, un lieutenant déserteur s’échappe avec une douzaine
d’hommes. Ils tentent d’implanter un autre maquis à Meurad, près de
Marengo, où ils devront veiller à la sécurité du bachagha Larradji. Le
lieutenant prend le pseudonyme de Bernadette. Cette tentative, aussi, tourne
court  : la moitié de l’effectif regagne discrètement Alger, l’autre moitié
essaie de rejoindre un autre maquis, cherchant en vain à s’implanter dans
l’Orléanvillois. Il existe une autre trace plus précise d’une Bernadette
Praloran : selon plusieurs sources, celle-ci – ou une parfaite homonyme – a
été mêlée à l’attentat du Petit-Clamart visant le général de Gaulle. Les
32 maquisards arrêtés sont tous aux mains de l’armée française. L’ALN ne
s’est pas encombrée de prisonniers, elle a préféré la solution la plus
radicale… Arrêtés ou fuyards à court terme, ils connaîtront pratiquement
tous le même sort : la clandestinité, l’exil ou la prison.
La défection du bachagha Boualam, laissant seulement son fils et son
garde champêtre rejoindre le maquis de l’Ouarsenis, pose des problèmes
d’une autre dimension. Qui est exactement Saïd Boualam, l’homme sur qui
reposaient toutes les espérances de Salan, de Gardes, des officiers qui se
sont engagés dans cette galère  ? C’est un Algérien né en 1906, un ancien
capitaine de l’armée française, au 1er régiment de tirailleurs algériens, où il
a servi pendant vingt et un ans, comme ses père et grand-père. Il est
commandeur de la Légion d’honneur, député à l’Assemblée nationale, dont
il a été élu à quatre reprises vice-président. D’autres Boualam ont combattu
pour la France au Mexique, à Solférino, au Tonkin, en Syrie, au Maroc, en
Tunisie. Face à la rébellion, Saïd Boualam est un adversaire résolu, tenace,
que rien ne décourage : ni l’assassinat de son fils Abd el-Kader ni celui de
dix-sept cousins, neveux et oncles, tous abattus par le FLN. Son titre de
bachagha fait officiellement de lui un «  caïd des services civils  ». Cet
attachement à la France, il le résumera dans l’un de ses livres :
Quand les Français débarquèrent sur nos côtes, le mot Algérie n’existait pas.
Notre histoire commence en 1830, comme celle de la France, en tant que peuple, a
commencé avec les Capétiens. En 1830, cette terre d’Afrique du Nord, c’est le
chaos, deux millions d’esclaves rançonnés par les pillards ou les féodaux, rongés
par la syphilis, le trachome, le choléra, la malaria  ; des déserts, des marais
pestilentiels, plus rien de ce qui avait été la paix romaine.

Les «  événements d’Algérie  » –  puisque jamais un gouvernement


français ne voudra parler de guerre – donnent à Saïd Boualam l’occasion de
démontrer son attachement à la France. En juin  1956, il est à l’origine de
l’échec d’un maquis communiste que tentaient d’implanter dans son fief des
déserteurs européens. Avant les autorités civiles ou militaires, il détecte la
présence de ces Européens sur ses terres  ; à leur tête, Henri Laban, un
militant communiste, et Henri Maillot, aspirant déserteur, communiste lui
aussi, qui avait emporté dans sa fuite 85  fusils, 120  pistolets-mitrailleurs
Sten et 140  revolvers. Le 5  juin 1956, le maquis est anéanti. Suivent les
représailles du FLN contre le clan Boualam  : des menaces, des tirs de
harcèlements, des attentats contre des bergers isolés. Le douar résiste avec
les 24  fusils de la harka que Boualam met sur pied. Le 26  juillet, c’est le
frère du bachagha, Alexandre, qui est assassiné par le FLN  ; le 28  janvier
1958, son fils Abd el-Kader tombe à son tour sous les balles du FLN. Le
bachagha ne cède pas ; il recrute d’autres harkis, équipe son fief des Beni
Boudouane, où 150 hommes sont armés, avec beaucoup de fusils de chasse
et quelques rares pistolets-mitrailleurs. Ils sont décidés à lutter contre
l’ALN, mais ils ne seront pas nécessairement bien utilisés, faute d’une
autonomie suffisante.
L’épisode Maillot-Laban ne doit pas être sous-estimé : c’est un élément
déterminant dans la détérioration des relations entre les communistes et
les nationalistes algériens. Dès juin 1955, le PCA a créé ses groupes armés,
« les combattants de la libération », en espérant travailler avec l’ALN. Mais
le FLN tient les communistes à distance. L’échec du duo Maillot-Laban ne
facilite pas les choses  : il y a encore des contacts, en juillet et août  1956,
entre le PCA et le FLN, mais avec la plus grande défiance des Algériens.
Ceux-ci ne cachent pas leurs exigences  : ils réclament la disparition des
« combattants de la libération », qu’ils obtiennent, et la dissolution du PCA,
qui leur est refusée. Les raisons du FLN sont clairement expliquées aux
communistes : il doit tenir à distance le PCA pour ne pas laisser accréditer
la thèse d’une collusion entre nationalistes et communistes, risquant d’isoler
la résistance algérienne des gouvernements anticommunistes. Le PCA est
d’un avis contraire  : «  La participation des communistes algériens au
combat patriotique de leur peuple ne peut que profiter à l’Algérie sur le
double plan intérieur et extérieur. » Le FLN s’y refuse, obtenant cependant
du PCA que leur échange de lettres ne soit pas rendu public.
Saïd Boualam a lui-même abordé les événements de mars-avril  1962
dans son livre Mon pays, la France3. Ses lignes laissent entrevoir une
profonde blessure :
Je dois dire que sans l’armée française, sans certains de ses officiers, je ne
serais pas en vie aujourd’hui, ni moi ni ceux de ma famille. Après l’affaire Gardes
dans l’Ouarsenis, tous mes harkis, tous mes hommes avaient été désarmés, l’armée
française se retirait peu à peu, laissant ses postes à l’ALN, les cuisines encore toutes
chaudes. Le FLN était à mes portes. Partir était un devoir, je voulais préserver tous
ces enfants que j’avais auprès de moi, ces orphelins dont les familles ont été
égorgées par le FLN […]. Ce n’était pas une question de jours, c’était une question
d’heures. Je pleurai de tristesse, d’humiliation, d’impuissance, de rage aussi, de
rage d’avoir été trompé, bafoué.

Il a presque tout dit dans ces phrases. De façon suffisamment claire pour
que toute autre interprétation soit fallacieuse : non, Boualam n’a pas choisi
de partir, non, Boualam n’a pas déserté. Il a plus simplement été prié de
partir, poussé vers l’exil. Une autre phrase, dans le même livre, nous éclaire
davantage :
Un Boualam ne manque jamais ses engagements et c’est cette conception du
devoir qui me condamne, dans les circonstances présentes, au silence sur les
péripéties de ce qui fut l’ultime drame de conscience des soldats douloureusement
fidèles devant le baroud, des soldats douloureusement perdus.

Ce qu’il ne peut dire clairement, Boualam le laisse percevoir : oui, ses


harkis ont été privés d’armes  ! Comment ont-ils été désarmés  ? Par un
horrible stratagème : il leur a été proposé de rendre leurs fusils de chasse,
leur armement essentiel, en échange d’armes de guerre ; ils ont accepté, ils
ont donné, mais n’ont rien reçu en retour !
Successeur de Jouhaud, nommé par Salan, le général Gardy tente de
s’imposer à Oran. Il sait que sa tâche est délicate, les deux adjoints de
Jouhaud, Camelin et Guillaume, ayant été arrêtés eux aussi. L’OAS
oranaise ne ressemble en rien à son homologue algéroise. Ici, les dirigeants
comme les militants sont pratiquement tous des enfants du pays, alors
qu’Alger est aux mains d’officiers qui ont choisi l’illégalité et les
commandos Delta sont des cellules paramilitaires tenues en main par
Degueldre, même s’il y a bon nombre de civils dans leurs rangs. Gardy doit
prendre en compte cet aspect hétérogène des choses.
Une des premières manifestations de Gardy est la publication d’un texte
destiné aux Oranais, qu’il fait diffuser le 9 juin :
Dans un premier temps et pour sauvegarder l’essentiel, il n’est d’autre salut que
de créer une ou plusieurs plates-formes territoriales, libérées des pouvoirs du
gouvernement actuel de la France et des forces de l’ALN. Sur ces territoires,
amorces d’une Algérie libre attachée à l’Occident, seront rassemblées les
populations européennes et musulmanes qui n’entendent pas vivre sous la
contrainte du FLN et des communistes…

Gardy reprend ainsi, tout en précisant les contours, la notion de partition


qu’avaient envisagée Salan et Jouhaud. À deux détails près. Le maquis de
l’Ouarsenis vient de s’achever sur un échec  ; le maquis des monts de
Tlemcen n’a pas vu le jour, pas plus que celui de Mostaganem-Arzew.
Ancien inspecteur général de la Légion étrangère, Gardy doit aussi savoir
que la Légion ne bougera plus, quelles que soient les raisons qui puissent
expliquer ce renoncement.
Il y a aussi deux données politiques compromettant les projets de Gardy.
Quatre jours plus tôt, le 5  juin, depuis la cellule de sa prison, Jouhaud a
demandé l’arrêt définitif des actions de l’OAS ; et il n’a sûrement pas pris
cette décision pour tenter de sauver sa tête, lui qui vient d’être condamné à
mort. Viennent, au second plan, puisqu’elles sont très discrètes, les
négociations que mènent Jean-Jacques Susini pour l’OAS et le docteur
Mostefaï pour le GPRA.
Resté à Alger, alors que les capitaines du « soviet » sont partis pour une
aventure sans lendemain dans l’Ouarsenis, Godard est amer. Il prend
contact avec Gardes dès que celui-ci réintègre Alger. Godard et Vaudrey
rédigent une note pour Salan, lui expliquant leur affliction et surtout leur
inquiétude de voir Alger dégarnie par une opération malheureuse : « J’ai su
par la suite, écrira Godard, que le général n’avait pas apprécié notre prose. »
Le pire attend les derniers responsables Algérois de l’OAS, après
l’arrestation de la plupart des capitaines dans l’Ouarsenis : ils apprennent le
9  avril l’arrestation de Degueldre. Onze jours plus tard, Salan sera la
prochaine proie des forces de l’ordre.
Le 19  avril, Ferrandi apprend, par l’un de ses agents de liaisons, que
l’adjudant Lavanceau insiste pour rencontrer le général Salan. Lavanceau a
déjà cherché à approcher le général  ; une tentative sans résultat. Il insiste
cependant, sous le prétexte d’informations importantes à communiquer à
Salan. Il veut lui parler d’un rapprochement possible entre l’OAS et le
MNA. Ferrandi a des doutes à propos de l’adjudant, mais il sait aussi que
celui-ci est un adjoint du capitaine Geromini, en charge des affaires
musulmanes de la Ville de Paris, comme il connaît l’intérêt de Salan pour
un contact avec le MNA. Alors Ferrandi oublie ses réticences et prévient
Salan.
Le lendemain 20  avril, le général Salan doit recevoir Lavanceau. Il
l’attend au rez-de-chaussée de la rue Desfontaines, dans ce studio où le
général et Ferrandi travaillent habituellement. Ce que l’adjudant expose à
Salan est totalement dépourvu d’intérêt. Salan s’agace et décide de se
retirer. Lavanceau s’incruste, il veut un mot d’introduction du général pour
certains milieux parisiens. Salan n’a pas le temps de lui répondre  : les
gendarmes sont déjà là, aux aguets. Lavanceau leur ouvre la porte et les
appelle : « Entrez, ils sont là. » Ferrandi tente d’ouvrir une seconde porte,
n’y parvient pas. Et d’ailleurs les gendarmes sont aussi derrière cette issue.
C’est fini !
Depuis le dernier étage, où elles habitent, Mme  Salan et sa fille
Dominique ont entendu les camions de la gendarmerie, puis beaucoup de
bruit au rez-de-chaussée. Dominique décide d’aller voir  : «  Je me suis
arrêtée au bas de l’escalier. Mon père était devant moi, les menottes aux
poignets. Dans son regard, je n’ai lu ni peur ni angoisse. Simplement
quelque chose qui ressemblait à du soulagement.  » Elle remonte vers leur
appartement, elle a l’impression d’être livide. Au troisième étage, une porte
s’ouvre, celle d’un médecin installé là. Il l’arrête et lui propose un
remontant. Elle avale une boisson – un cognac, croit-elle – que lui tend cet
homme, supposé ne rien savoir de ses voisins.
Les deux prisonniers partent pour la caserne des Tagarins et, de là, vers
l’aéroport de la Réghaïa, où les attend le général Ailleret. Celui-ci s’avance
vers Salan et lui crie : « J’espère que vous me reconnaissez. Vous avez tué
assez de gens. Le moment est venu de payer pour vos crimes.  » Le soir
même, les deux hommes sont incarcérés à Paris, à la prison de la Santé. Le
lendemain, Mme Salan et sa fille, qui ont été arrêtées dans la journée, sont
transférées en métropole pour y être inculpées de faux et usage de faux – à
cause de leurs papiers d’identité  – et d’atteinte à la sécurité publique.
Mme Salan se retrouve à la prison de Fresnes, Dominique est déposée près
de l’église Saint-Augustin où un ami du général possède un hôtel. À la fin
avril, Mme  Salan est placée en résidence surveillée dans une abbaye
bénédictine de Palaiseau. Un juge versaillais leur accorde bientôt deux non-
lieux.
Les premiers rescapés de l’Ouarsenis capturés par l’armée française
avaient été, dès le lendemain de leur arrestation, transférés à l’école de
police de Hussein-Dey. Le 17 avril, le capitaine Montagnon et ses hommes
les rejoignent. Ils avaient échappé pendant quelques jours aux recherches,
aidés par des harkis du bachagha Boualam. Marc Prohom se souvient d’une
autre arrivée. Au soir du 8  avril surgissent des gardes mobiles, pistolets-
mitrailleurs à la hanche :
Ils se postent devant nos cages à poules ; nous les regardons sans bouger, nous
demandant ce que cela signifiait. La raison de ce branle-bas apparut derrière eux :
Roger Degueldre ! Roger arrêté ! Ce fut un coup de massue terrible pour nous tous ;
c’était en effet une catastrophe pour l’OAS, mais en plus nous savions bien ce qui
l’attendait, et lui le tout premier.

Degueldre a été pris à l’issue d’une réunion à Alger, chez le docteur


Perez, boulevard du Telemly  ; un rendez-vous ordinaire, comme ces
clandestins en tenaient tous les lundis. Les participants, alertés par une
activité inhabituelle dans l’immeuble, comprennent que des perquisitions
sont en cours. À l’exception d’Achard et de Degueldre, tous les clandestins
se précipitent vers la cache aménagée au fond d’un placard. Certains de la
qualité de leurs faux papiers, les deux audacieux décident de partir. Achard
passe sans dommage  ; Degueldre est immédiatement identifié par un
officier de gendarmerie, ancien de Saint-Cyr, qui l’avait aperçu plusieurs
fois à Zéralda, la base arrière du 1er REP. Il apprendra ensuite que toutes les
polices d’Alger connaissaient depuis peu son pseudonyme, Esposito.
Pour éviter une intervention des commandos Delta qui pourraient tenter
de le libérer, ce qu’ils envisagent un moment, sans savoir où est enfermé
leur patron, Degueldre est immédiatement transféré en métropole. Deux
jours plus tard, Prohom et ses camarades se retrouvent, à leur tour, à la
Santé, à Paris. Ils apprennent que Degueldre et Pierre Delhomme sont déjà
dans la même prison, mais au secret. Et le 20  avril, c’est le général Salan
qui arrive…
Un immense chahut salue sa présence. Les «  droit commun  » en
profitent pour tenter un début de rébellion  : leurs portes sont plus fragiles
que celles gardant les détenus OAS. Les «  droit commun  » les enfoncent,
déclenchant l’intervention de compagnies de CRS. Suivent des
affrontements très violents, des gaz lacrymogènes à profusion, puis
l’isolement des officiers et, pour eux seuls, la suppression du courrier et des
visites. Le changement de cellule rapproche Degueldre, Montagnon,
Delhomme et Prohom ; ils peuvent s’entrevoir à l’occasion des promenades
de l’un ou l’autre.
Condamné à mort, Degueldre est exécuté le 6  juillet 1962, dans des
conditions abominables : les hommes désignés pour le peloton d’exécution
ont leurs faiblesses ou leurs sympathies. Une seule balle touche à la cuisse
le condamné qui, lucide, attend le coup de grâce. Le sous-officier, en charge
de la besogne, manque son coup, le pistolet s’enraye, il faut une autre arme,
qui ne fonctionne pas mieux. Des minutes passent. Degueldre souffre,
attend, sait que tout est fini…
Le statut de prisonniers politiques ayant été accordé aux détenus OAS –
  après une grève de la faim  –, leurs conditions de vie s’améliorent. Marc
Prohom retrouve le capitaine Ferrandi, fait la connaissance de Lucien
Camelin et de Pierre Guillaume. Une mauvaise plaisanterie, une bombe à
eau écrasant le képi d’un gardien, vaut à Prohom un transfert à Poissy, où il
apprend que son incartade a été le prétexte de l’éloignement de plusieurs
d’entre eux, jugés trop turbulents. Camelin est aussi à Poissy, Pierre
Guillaume est parti pour Melun. Commence leur tour de France des prisons,
avec inévitablement une escale à Fresnes, où ils attendent leurs jugements,
en janvier 1963 – des peines qui seront considérées comme légères pour les
anciens de l’Ouarsenis : un an de prison pour les civils et les légionnaires,
trois ans pour Marc Prohom et pour Michel Holstein, six ans pour Pierre
Montagnon, et leurs transferts vers d’autres prisons. Marc Prohom connaît,
à Rouen, une prison au nom étrange, Bonne-Nouvelle. Il y retrouve Jacques
Mugica, puis Lucien Camelin et Pierre Guillaume, bien plus lourdement
condamnés.
Edmond Jouhaud, condamné à mort le 13  avril 1962, passe deux cent
vingt-neuf nuits à attendre son exécution. Salan sauve sa tête le 23  mai
1962, il est condamné à la détention criminelle à perpétuité. Mais comment
exécuter l’adjoint, puisque le chef ne le sera pas  ? Georges Pompidou,
Premier ministre, et Jean Foyer, garde des Sceaux, décident de sauver
Jouhaud. Ils affrontent de Gaulle à plusieurs reprises, seuls ou ensemble,
évoquant même leur sortie du gouvernement. Pompidou confie à Alain
Peyrefitte l’état d’esprit du chef de l’État à ce propos : « Aucun président de
la République, et lui moins que tout autre, ne saurait admettre une pression
ou même un conseil. Et pourtant, j’estime ne pas avoir le droit de le laisser
commettre cette erreur, ou de rester au gouvernement s’il la commet. »
Lorsque de Gaulle aura signé à contrecœur la grâce de Jouhaud, Alain
Peyrefitte évoquera les rôles de Pompidou et Foyer. Il n’était pas persuadé
que les menaces de démission de Pompidou aient été suffisantes. Il pense
que Jouhaud a joué son propre rôle, en lançant depuis sa cellule un appel à
l’OAS pour mettre fin aux combats. Peyrefitte ajoute que Salan avait
accepté de se joindre à Jouhaud, mais quelque temps après, pour ne pas
paraître manœuvrer pour acheter la grâce de Jouhaud.
Vient le temps des amnisties. Les portes des prisons s’entrouvrent. La
liberté leur est rendue, mais pas tous leurs droits, qui ne leur seront
partiellement restitués que plus tard et progressivement. Entre 1965 et 1966,
ils quittent presque tous leurs cachots. Mais Tulle conserve quatre
pensionnaires : Challe et Zeller sont libérés en 1967, puis, quelques mois
plus tard, Jouhaud. Raoul Salan reste seul dans sa cellule jusqu’au 15 juin
1968.
Pour l’accueillir à sa sortie, Lucienne, sa femme, ne peut être là  : elle
vient d’être victime d’un malaise. Dominique, sa fille, est seule lorsque son
père franchit le seuil de la prison. Attendent à distance une vingtaine de
journalistes avec micros, caméras, appareils photo :
Je sentais mon père un peu crispé. L’émotion nous gagnait peu à peu. Alors
l’humour a pris le dessus. « Allons, viens, lui dis-je. En fin de compte, six ans, ce
n’est pas cher payé. » Il me regarda d’abord interloqué, puis franchement amusé. Et
c’est la main dans la main, riant comme des enfants, que nous abordâmes les
correspondants de presse quelque peu étonnés.

1.  Disponible sur le site Internet deltas-collines.org


2.  Disponible sur le site Internet adimad.fr

3.  Le terme de la rédaction du livre est daté du 9 septembre 1962.


9

Vers l’indépendance

L’annonce du cessez-le-feu, le 19  mars 1962, a eu des conséquences


immédiates : les affaires sanglantes de Bab el-Oued et de la rue d’Isly ; des
tueries marquant le divorce entre les civils Européens et une armée qui n’est
plus celle qu’ils avaient connue autour du 13  mai 1958, ou lors de la
semaine des barricades de janvier 1960. Le maquis de l’Ouarsenis n’a pas
été le signal d’une relance, mais une brève aventure sans issue. Désormais,
l’horizon est sombre, presque obscur pour la population européenne,
comme pour les musulmans qui entendent rester fidèles à la France.
L’Algérie s’apprête à connaître une période totalement inédite. Ce pays
qui, depuis l’Antiquité, a supporté toutes les occupations et dominations
possibles, devient un État. S’ouvre le temps des grandes transitions, qui sera
aussi celui des grandes trahisons. Les Algériens sont bien peu nombreux à
avoir connu les dessous de leur révolution  : les luttes des clans et des
camps  ; les ambitions de leurs chefs, divergentes et parfois même
contradictoires. Les pieds-noirs ont supporté les attentats, la guérilla, sans
trop connaître ceux qui, depuis Tunis, dirigeaient leurs adversaires. Les
Européens, sur l’autre rive de la Méditerranée, ont rarement compris le
drame que vivaient leurs compatriotes ; au point, pour une petite minorité,
de pactiser avec la rébellion.
Un bref retour en arrière ; quelques dates, quelques faits permettent de
mieux saisir l’enchaînement des événements. Avril  1962 est déjà un mois
difficile, avec l’installation de l’exécutif provisoire à Rocher Noir. C’est
Paul Delouvrier qui avait choisi ce site, pour échapper à l’ambiance
algéroise surchauffée. Sur quelques centaines d’hectares, il a fait surgir une
petite ville, gardée comme une forteresse, avec ses bâtiments de bureaux et
ses quartiers résidentiels. À son départ vient s’installer là l’exécutif
provisoire, que va diriger Abderrahmane Farès, chargé de missions courtes
et précises  : il doit préparer le référendum d’autodétermination, gérer les
affaires publiques et assumer le maintien de l’ordre. Cela jusqu’à la mise en
place définitive du nouvel État algérien. Il y cohabite avec Christian
Fouchet, partageant les risques d’attentats, puisque l’OAS est encore
imprévisible et fait de ces lieux un objectif qu’elle menacera sans pouvoir
l’atteindre.
Pour le maintien de l’ordre, le président Farès peut s’appuyer sur deux
formations : la Force locale et les auxiliaires temporaires occasionnels, ou
ATO. Précisons que la Force locale est supposée remplacer à la fois l’armée
française et l’ALN, qui n’ont plus le droit d’effectuer des missions
opérationnelles. Les effectifs de l’armée algérienne diminuent rapidement
avec la désertion massive des soldats musulmans préférant rejoindre les
rangs de l’ALN. Les auxiliaires temporaires occasionnels doivent remplacer
les éléments de la police française, que le FLN estime trop proches de
l’OAS  ; ils sont donc choisis parmi les cadres du FLN sortant de prison,
mais échoueront dans leur tâche, faute de formation suffisante. Christian
Fouchet doit veiller à la bonne marche de cet exécutif dont Abderrahmane
Farès est le président et Roger Roth le vice-président.
La principale difficulté tient précisément au maintien de l’ordre, aucune
autorité ne contrôlant plus ni Alger ni Oran. Christian Fouchet en fait
rapidement l’expérience. Quelques jours après son arrivée en Algérie,
accompagné d’Ailleret, il va visiter Oran. La ville lui a été présentée
comme la plus troublée de l’Algérie et entièrement de cœur avec l’OAS.
Il relatera sa visite dans l’un de ses livres :
Je m’en aperçus dès mon arrivée, quand la voiture qui était venue me chercher
à l’aérodrome s’arrêta à l’entrée de la ville, où m’attendait une escorte, puis s’inséra
entre deux voitures blindées dont les servants étaient à leurs armes, les bandes de
cartouches engagées dans les mitrailleuses. «  Oran est jusqu’à nouvel ordre une
ville française, dis-je à Ailleret. Je n’entends pas y pénétrer dans un tel équipage.
— Il est malheureusement impossible d’en prendre un autre, me répondit le général.
Au cas où vous voudriez entrer à pied, en remontant le trottoir qui est devant vous,
j’aurai naturellement l’honneur de vous escorter. Mais votre arrivée a été annoncée
et l’on vous attend. Je ne pense pas que nous ferions cent mètres avant d’être
descendus tous les deux. »

Le 12 avril sont signalés les premiers enlèvements d’Européens par des


groupes FLN ; leur nombre ne cessera plus de croître au cours des semaines
suivantes. Le 15  avril marque le début de l’exode des pieds-noirs, que les
consignes de l’OAS ne parviennent plus à endiguer. Le 22  avril,
200 détenus FLN sont libérés et quittent Fresnes pour retourner en Algérie.
Parmi eux Yacef Saadi, l’homme qui, en 1957, avait déclenché la bataille
d’Alger avec ses terroristes et ses poseuses de bombes.
Mai marque un nouveau pas dans l’escalade. Dès le 2, sur le port
d’Alger, un attentat à la voiture piégée perpétré par l’OAS fait une
soixantaine de morts et une centaine de blessés. Le FLN réplique avec des
enlèvements de pieds-noirs dont beaucoup disparaîtront à jamais. Le 9 mai,
les cadavres de 41 Européens assassinés par le FLN sont retrouvés à Oran.
Le 20  mai, l’équipe du commandant Azzedine, que le GPRA vient
d’installer à Alger, demande –  et obtient  – la fermeture d’une centaine de
bars, cafés et restaurants servant de points de ralliement aux activistes
européens, ainsi que l’expulsion de 111  policiers et les mutations en
métropole de plus de 100 officiers et sous-officiers de l’armée, que le FLN
soupçonne de sympathie envers l’OAS. Le 27  mai, 14  000  détenus FLN
sont libérés en application des accords d’Évian. Une unité de la Force locale
s’installe à Alger. Azzedine, le patron de la Zone autonome d’Alger, décide
de l’occupation des quartiers européens. Des familles musulmanes viennent
s’installer dans des appartements déclarés «  biens vacants  ». Le 29  mai,
35 cadavres d’Européens sont découverts à la Bouzaréah. Et là, nous avons
les explications d’Azzedine, tirées de son livre Et Alger ne brûla pas :
Un OAS exécuté, il faut, à l’évidence, l’enterrer. Dans une région où existent
des terrains vagues, le problème est facile à résoudre. En revanche, dans la Casbah
où il n’y a pas le moindre terrain vague, l’OAS exécuté est inhumé avec un
simulacre de rite musulman…

Un autre «  charnier  », découvert à Kouba, agace Azzedine  ; réflexion


faite, il prétendra que c’est plutôt une « tombe collective »…
Désormais, entre 9 000 et 10 000 pieds-noirs quittent quotidiennement
l’Algérie. Est-ce la crainte du lendemain  ? La pression des hommes de la
ZAA ? Azzedine a encore réponse toute prête :
L’exode massif des pieds-noirs est aussi la conséquence des enlèvements
perpétrés par des groupes de la Zone autonome. Sans chercher à minimiser nos
bavures, et encore moins ma responsabilité dans ces affaires, il convient de
souligner que nous nous battons pied à pied et que ces enlèvements s’inscrivent
dans le cadre de notre tactique générale de démantèlement des derniers bastions
OAS.

Au cours du mois de juin, 328  000  pieds-noirs quittent l’Algérie. Le


total des départs, à la date du 30, approche les 700 000 personnes.
Côté algérien, le nouveau pouvoir se prépare à prendre la place des
autorités françaises. Pour Alger, le GPRA a donc rappelé le commandant
Azzedine, ancien patron du FLN pour la France, repassé en Algérie avec de
faux papiers et qui attendait discrètement son heure. Mais peut-être pas
calmement, puisque la zone FLN d’Alger, la ZAA, dont il est le
responsable, enregistre 435 enlèvements d’Européens entre le 20 mars et le
3  juin… Libérés le jour même de la signature des accords d’Évian, le
18 mars, après cinq ans et demi d’emprisonnement, Aït Ahmed, Ben Bella,
Rabah Bitat, Boudiaf et Khider embarquent immédiatement à Orly à
destination de Genève-Cointrin. Ils tiennent à rencontrer sans tarder les
négociateurs d’Évian. Les retrouvailles tournent au conflit. «  La voilà, la
sale bande », dit Khider en adressant aux négociateurs. « Le pouvoir est à
vous. Prenez-le », réplique Bentobbal. » Le ton est donné !
Ben Bella refait ainsi surface, après une longue éclipse. En
octobre  1956, il devait gagner Tunis en provenance de Rabat, lorsque son
avion a été intercepté par les Français. Il passe les années suivantes dans les
prisons – ou les châteaux – français. Sans doute est-ce sa chance. Il paraît
ne plus être considéré comme un trublion ni comme un danger par le FLN
ou le GPRA, alors qu’il s’était singularisé en refusant les conclusions du
congrès de la Soummam d’août  1956. Il n’a pas assisté à ce rendez-vous,
mais il a condamné l’oubli, dans le texte final, du caractère islamiste des
futures institutions de l’Algérie. Le FLN a passé l’éponge, sans imaginer
que la détention et l’ambition pouvaient avoir changé l’homme : Ben Bella,
lui, s’imagine déjà le chef du nouvel État algérien.
Les accords d’Évian signés, Ben Bella reprend donc sa liberté et ses
intrigues. Il devient l’allié du chef d’état-major de l’ALN, le colonel
Boumediene. Désormais, deux factions vont revendiquer ouvertement le
pouvoir  : d’un côté l’autorité civile et l’organe qui l’incarne, le GPRA,
appuyé par les wilayas  III et IV  ; de l’autre côté, le pouvoir militaire
représenté par le «  clan d’Oujda  » et son «  armée des frontières  », la
wilaya  V, dirigée par le colonel Boumediene. Celui-ci est bien décidé à
refuser de reconnaître toute légitimité au GPRA et aux accords d’Évian.
Mais il a besoin d’appuis politiques, notamment auprès des chefs
historiques de l’insurrection algérienne toujours emprisonnés en France.
Avant la signature du cessez-le-feu, prévoyant, Boumediene avait
chargé Abdelaziz Bouteflika, l’un de ses hommes de confiance, de se rendre
clandestinement en France pour y rencontrer Boudiaf détenu au château
d’Aunoy avec Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider, Mostefa Lacheraf,
Ahmed ben Bella et Rabah Bitat. Bouteflika propose un soutien militaire en
échange d’un appui politique pour Boumediene, Boudiaf refuse, tout
comme Aït Ahmed, également contacté. Bouteflika se tourne alors vers Ben
Bella, qui accepte l’offre sans hésitation. Boumediene a désormais récupéré
un des chefs « historiques » du FLN…
Dès sa libération, Ben Bella se démarque de ses codétenus d’hier. Il
n’occupera jamais ses fonctions de vice-président du GPRA, qu’il traite
d’«  océan de saletés  ». Il s’en prend directement à Krim Belkacem, le
signataire des accords d’Évian, qu’il accuse d’avoir bradé l’Algérie et de
l’avoir « livrée au néocolonialisme ».
Le 3  juillet, les résultats du référendum ayant été validés, puis
l’indépendance de l’Algérie proclamée, Ben Khedda, accompagné de
plusieurs ministres, dont Hocine Aït Ahmed, arrivent à l’aéroport d’Alger.
Trois journées de fêtes attendent les représentants du GPRA  ; elles
consacreront l’indépendance. Simultanément, les troupes stationnées aux
frontières est et ouest de l’Algérie font mouvement, sur ordre de l’état-
major, en direction de Constantine pour les unes et de Tlemcen pour les
autres. Du côté d’Oran, c’est le grand désordre. Ben Bella n’est pas encore
arrivé, il est pourtant le personnage central des événements qui se préparent.
Côté français, les premiers rôles changent de main. Au Rocher Noir,
Jean Morin, dernier délégué général, vient de céder la place à un curieux
tandem  : Christian Fouchet, promu haut-commissaire, flanqué de Bernard
Tricot, que Raoul Salan avait surnommé «  le destructeur  ». Ce sont deux
hommes proches de l’Élysée, choisis par de Gaulle. À eux d’en finir avec
l’OAS, mais aussi avec l’Algérie française.
Lorsque Gardy remplace Jouhaud, le général Katz est déjà à Oran
depuis deux mois. Il avait dû observer avec une attention certaine les
méthodes d’Ailleret contre les habitants de Bab el-Oued.
Depuis le 19  mars, Katz a noué des relations courtoises avec les
représentants du FLN s’installant à Oran.
À Alger, où le FLN tente de prendre de l’importance, c’est l’OAS qui
baisse la tête. L’arrestation de Degueldre, le patron des commandos Delta,
est durement ressentie. Les militants reconnaissent que rien ne peut plus
continuer comme avant. En théorie, le capitaine Mura est le successeur de
Degueldre. Or, Mura est depuis peu à Alger, il s’est récemment évadé du
camp de Saint-Maurice-l’Ardoise. Paul Nocetti, un civil algérois, proche de
Degueldre, connu de tous les  militants, est donc l’homme qui va
continuer de gérer ce qui peut encore l’être. Il dirige l’OAS vers sa fin, avec
l’aide de Susini.
La période est incertaine. Apparaissent des divergences de vues entre
deux tendances bien marquées opposant ceux qui n’ont pas encore choisi de
disparaître. Existent d’un côté les partisans de la terre brûlée, rejoints par
Libert Nerucci, rescapé de l’Ouarsenis, qui sera compromis dans l’incendie
de la faculté d’Alger. De l’autre côté survit le clan des modérés, ceux qui ne
veulent pas détruire les locaux universitaires ou administratifs, préférant
s’en prendre seulement au FLN. Cette dernière tendance entend se limiter à
des actions contre les forces de l’ordre, à la protection de la population, à
l’armement et au soutien du MNA dans sa lutte à mort contre le FLN.
Jean-Paul Musset1, patron d’un commando Delta, a rejoint le clan le
plus modéré. Il se souvient que les chiffres des actions prêtées à l’OAS par
certains journaux, en mai et juin, dépassaient largement ses possibilités
d’action. Ils prenaient  en compte les bilans de la lutte entre  le FLN et le
MNA. Une lettre adressée dès le 29  mars par un responsable MNA à son
bureau politique peut en témoigner :
Partout, dans le Grand Alger, des équipes FLN armées, munies, dit-on, de
laissez-passer et de permis de port d’armes, se disant combattants de l’ALN-FLN,
violent les demeures, y perquisitionnent, font des enlèvements dans la rue ou à
domicile. Toute personne suspecte de MNA est enlevée, questionnée, torturée et
parfois exécutée. À tous ces frères, ils exigent d’eux la démission du MNA.
Coté rébellion survient une étrange manœuvre diplomatique  : le FLN
tente un rapprochement avec l’OAS ! L’affaire est initiée par le président de
l’exécutif provisoire, Abderrahmane Farès, dès le début mai 1962. Farès est
un curieux personnage  : notaire de son état, membre de l’Assemblée
nationale constituante française en 1946, président de l’Assemblée
algérienne en 1953, il se rallie en 1956 au FLN dont il devient le trésorier. Il
paraît être un intermédiaire écouté entre le GPRA et la France. Arrêté par
Paris en 1961, officiellement pour «  atteinte à la sûreté de l’État  », mais
peut-être plus par mesure de protection, il est libéré dès la signature des
accords d’Évian. D’avril à septembre 1962, il est le président de l’exécutif
provisoire, en charge de la préparation du référendum d’autodétermination
de l’Algérie. Il n’a donc aucune autorité pour mener des négociations avec
l’OAS.
Le premier contact est pourtant pris le 18  mai 1962. Farès rencontre
Susini dans une ferme, à Alma, à une trentaine de kilomètres d’Alger. Un
semblant d’accord se dessine. Farès est sans doute trop conciliant, puisqu’il
accepte des concessions pour la population européenne allant jusqu’à des
« garanties militaires », ce qui sous-entend la création d’unités européennes.
Farès disparaît d’ailleurs de ce jeu complexe quelques jours plus tard,
laissant son «  partenaire  », Jean-Jacques Susini, dans l’indécision et en
position de faiblesse envers ses amis de l’OAS qui ne sont pas
nécessairement sur la même ligne.
Susini, cherchant une autre filière, contacte l’ancien maire d’Alger,
Jacques Chevallier. Farès réapparaît alors, reconnaît qu’il n’est pas en état
de signer un accord, cherche une porte de sortie. Chevallier rencontre divers
intermédiaires, dont le docteur Mostefaï. Celui-ci, découvrant l’ampleur des
contacts et surtout des engagements pris par Farès, annonce qu’il doit être
mis fin à ces négociations. Susini se retrouve dans la pire des situations. Il
n’est plus suivi par ses amis algérois, il est désavoué par les Oranais,
comme par Chateau-Jobert à Constantine.
Pourtant, Farès refait surface : le 30 mai, il accepte un rendez-vous pour
le 1er  juin, à la villa de Chevallier, le  Bordj. Ce jour-là, OAS et FLN
tombent d’accord pour une trêve des attentats. Les discussions tournent
désormais autour d’une Algérie «  démocratique, laïque et sociale  », avec,
en annexe, un statut particulier pour les minorités européenne et israélite.
Tout cela doit être approfondi le 4 juin. Susini voit s’opposer à son projet
Godard et Perez, partisans de poursuivre le combat en Algérie comme en
métropole. Le clan oranais mené par Gardy et le constantinois par Chateau-
Jobert désapprouvent également. Farès, quant à lui, comprend qu’il a
largement outrepassé les limites de ses compétences. L’échec est évident
dès le 5  juin  ! Échec donc, reprise des attentats des deux côtés, sans que
toutes les portes se referment, ni pour les Algériens ni pour l’OAS.
À la mi-juin, Mostefaï se retrouve l’unique négociateur pour le FLN  ;
Chevallier reste le seul intermédiaire entre les deux parties  ; Susini, pour
l’OAS, allonge le catalogue de ses exigences. Il y a encore des tensions, des
contacts, des renvois, des textes revus et corrigés jusqu’au 16 juin, jour où
Susini obtient de Mostefaï que l’OAS figure dans le document final. Le
lendemain en fin d’après-midi, Mostefaï révèle l’essentiel de l’accord. Il
annonce accepter la présence d’Européens dans les forces de l’ordre,
comme il leur garantit les mêmes droits civiques que les Algériens  ;
l’amnistie suivra, mais «  le moment venu  »… Le même soir, Susini
annonce l’accord et donne l’ordre « à partir de ce soir minuit, de suspendre
les combats et d’arrêter les destructions ».
Les réactions sont aussi vives du côté du FLN que de l’OAS. Mostefaï
est désavoué, Susini n’est pas écouté, les tractations supposées vont être
quotidiennement détricotées. Signé au nom du FLN, cet accord est tour à
tour renié par Ben Bella, puis par le GPRA via Hocine Aït Ahmed, ministre
d’État sans portefeuille. Depuis Le  Caire où il se trouve, Aït Ahmed
désavoue l’initiative algéroise :
L’accord conclu dimanche à Alger l’a été entre l’exécutif provisoire en Algérie
et l’OAS. Il ne touche ni de près ni de loin les accords d’Évian qui ont été signés
par le gouvernement français et le GPRA.

Pour être certain d’être parfaitement compris, il ajoute même :


Il n’y a pas eu dernièrement de négociations comme on l’a prétendu entre le
FLN et l’OAS. C’est pour cela que je dois affirmer que le GPRA et, sous une forme
plus étendue, le FLN n’ont aucune relation de près ou de loin avec cet accord dont
il n’accepte aucune des conditions, quoi qu’en aient dit les nouvelles tendancieuses
répandues à ce sujet.

Quelques jours encore et il ne restera rien des accords Mostefaï-Susini.


Ils ont pourtant aggravé les divisions troublant le FLN. Ils n’ont pas été
compris par les Européens dont le souci principal est d’échapper à l’Algérie
nouvelle. D’autant que le général Jouhaud a annoncé le 5  juin, depuis sa
cellule, que « l’indépendance est un fait pratiquement acquis, qui sonne le
glas de nos espérances ».
Désormais, il n’est plus question de trêves ni de négociations.
L’ambiance, déjà lourde, devient de plus en plus pesante. Le terrorisme, que
pratiquent les deux camps, fait toujours des victimes. Les frontières
s’ouvrent, et les katibas stationnées en Tunisie comme au Maroc entrent en
Algérie  ; les nouvelles autorités se mettent en place. L’armée française
poursuit son désengagement, abandonne les postes isolés, se replie sur les
villes, laissant les djebels et leurs populations à l’abandon.
L’OAS algéroise a déjà reçu l’ordre de dispersion. Les derniers
commandos s’évaporent le 2  juillet  : leur exode a occupé tout le mois de
juin. Le départ  des commandos et  des hommes de secteurs se fait dans
l’ordre ; ils partent individuellement, par voie maritime ou aérienne, aidés
par des civils travaillant dans les agences de voyages. Les uns usent de leurs
cartes d’identité en règle, les autres de faux-vrais papiers dont ils possèdent
souvent des jeux complets. Sauf de rares exceptions, les évacuations ne
posent aucun problème. Parmi les dirigeants, le docteur Jean-Claude Perez
et le colonel Chateau-Jobert partent pour l’Espagne, Susini va se cacher en
Italie, Gardes réapparaîtra bien plus tard en Argentine. Avant de renoncer et
de se résigner eux aussi au départ, les Oranais des Collines ont encore du
travail… D’autres anciens de l’OAS déjà emprisonnés, errent, selon leurs
incartades ou les humeurs de leurs geôliers, entre la Santé, Fresnes, Melun,
Poissy, Toul, Rouen, l’île d’Aix, l’île de Ré ou Tulle…
Avant de prendre, eux aussi, le chemin de l’exil, les militants oranais de
l’OAS ont eu le temps d’entrevoir quelle allait être l’ambiance dans leur
ville, avec l’installation des premiers éléments du FLN. Ils ont accès à des
rapports de gendarmerie suffisamment clairs. L’un de ceux-ci, émanant de
la gendarmerie de La Sénia, daté du 1er  mai, fait état de l’assassinat
d’automobilistes européens, précisant que les corps ont été jetés dans le
Petit Lac. Le 8  mai, deux gendarmes de la brigade d’Oran établissent un
rapport sur les séquestrations arbitraires et les assassinats reconnus par un
certain Kaday Chouail-Chaila, arrêté le 3 mai. Celui-ci évoque les cas d’une
vingtaine d’Européens, arrêtés, étranglés ou égorgés, puis jetés dans le Petit
Lac. Dans son récit, il fait également référence à la situation locale : « Toute
l’organisation FLN de la région dépend de l’ALN, mais nos membres
agissent à leur guise. Chacun profite de la situation selon son rang et son
autorité.  » Il signale également un centre médical suspect, dit «  du Petit
Lac  », où exerceraient des Européens, notamment un certain docteur
Nouvion et un possible professeur Jeannot. Au fil des auditions, le bilan des
tueurs s’allonge  : 20  Européens, 10  Arabes, puis encore 5  Européens
passagers d’une Simca et ceux d’une Versailles… Kaday Chouail-Chaila
n’en finit plus d’énumérer ces meurtres en série : « Je sais que de nombreux
Européens, qui ont été ainsi lynchés par la foule, ont été conduits morts au
Petit Lac. Des femmes et même des enfants sont morts ainsi. Les véhicules
de ces victimes sont gardés par nous et les pièces de certaines servent à
réparer d’autres2. »
Ainsi des gendarmes continuent-ils imperturbablement leurs enquêtes.
Pourtant apparaissent, notamment à Oran, d’étranges rapprochements entre
l’ALN et les forces françaises, quelque chose s’apparentant à du copinage
entre Katz et les nouvelles autorités. Pour ces curieux rapports entre deux
forces, hier encore adverses, apparaît le témoignage d’un policier pied-noir,
en poste à Saïda, André Rastoll. Il est venu vérifier à La Sénia que sa
femme et son fils étaient bien en partance pour la métropole. Après quoi,
avec son ami Roland Hamel, il quitte La Sénia pour Arzew, vers 15 heures.
Certes, Rastoll ne donne pas la date exacte –  il cite le mercredi suivant la
fête des Pères de juin  –, mais son récit est précis. Ils traversent Oran
lorsqu’ils se trouvent arrêtés par un barrage : un half-track dont le serveur
de la mitrailleuse est en position de tir, une automitrailleuse, quatre ou cinq
gardes mobiles en protection. Un des gendarmes s’approche de la 4  CV
Renault. Rastoll lui dit qu’ils sont deux policiers de Saïda. Ils l’entendent
crier : « Il y en a deux, là ! » Surgit alors un Arabe en tenue militaire ; il
s’installe à l’arrière de la 4 CV, arme la MAT 49 qu’il pointe sur la tête de
Rastoll. Celui-ci l’entend crier aux gendarmes  : «  Deux de moins à
dédommager en France… »
Les deux hommes se sentent pris au piège. Avec d’autres voitures déjà
interceptées, ils partent en cortège vers le quartier dit du Village nègre. Il
n’y a aucune circulation dans l’autre sens. Ils se retrouvent au fond d’une
impasse, sur un vaste parking  ; c’est un des PC du FLN, comme le leur
confirme l’homme à la MAT  49. Alors Rastoll, en arabe, lui demande à
parler à un responsable  : son père, explique-t-il, a servi en Italie dans la
même compagnie de tabors qu’Ahmed ben Bella  ; à Monte Cassino, Ben
Bella commandait la 3e section, le père Rastoll la 4e… Surgit un individu
débraillé, un couteau de boucher passé dans la ceinture, avec du sang frais
sur la lame. Tout à côté, d’autres hommes entourent plusieurs Français
qu’ils sont en train d’égorger. Ils aperçoivent, derrière eux, un ami d’Arzew,
François Perles, propriétaire du cinéma L’Éden. Trois coups de feu  :
François Perles vient d’être assassiné !
L’homme à la MAT 49 a bien passé le message à ses chefs. Ils repartent
tous les trois vers le centre d’Oran. À proximité de la mairie, leur
«  gardien  » demande aux deux Européens de s’arrêter  ; il leur rend leurs
armes de service, les chargeurs vides, les cartouches en vrac ; il descend de
la 4 CV et leur souhaite bonne chance. Rastoll et Hamel filent vers Arzew.
À 19 heures, ils arrivent chez l’oncle de Rastoll, François Cano :
Avec lui, nous sommes allés prévenir une autorité et aviser le frère de François
Perles, Michel. Je ne lui ai rien caché en ce qui concernait François, à savoir que
j’avais bien entendu trois coups de feu et que je pensais qu’il avait été tué. Il n’a
plus été revu vivant.

Peu de jours après, le 29  juin 1962, dans la matinée, avec 16 de ses
collègues, pratiquement tous pieds-noirs, Rastoll est invité à quitter le
territoire algérien «  en raison de l’évolution politique et par mesure de
sécurité ».
Tout est en place pour le drame menaçant Oran. Quelques jours
d’inquiétude encore, puis les Européens se rassurent, sans être certains
d’avoir échappé au pire –  aux massacres du 5  juillet… Mais où sont les
Collines de l’OAS oranaise ? Loin de la terre qu’elles entendaient défendre.
Pour ses militants, les faits sont là : le FLN et l’ALN s’installent, l’armée
française ne bougera plus, les accords Mostefaï-Susini n’ont été qu’un
pétard mouillé, rien ne peut plus empêcher le référendum prévu pour le
1er juillet… Vers le 20 juin, la décision est prise de préparer le départ.
Il est mis de l’ordre dans ce qui reste des finances, essentiellement le
produit des hold-up –  ce qui passera ensuite pour le trésor de guerre de
l’OAS. Les comptes, toujours tenus avec précision, sont présentés au
général Gardy. Les responsables dressent l’état de leurs effectifs, pour que
soit accordé à chacun ce qui peut être considéré comme une compensation.
Une autre part est destinée au CNR, ce « Comité national de la Résistance »
supposé prendre la place de l’OAS, mais bien dépourvu de moyens  ; et
Georges Bidault est supposé en avoir besoin. Puis s’engagent des
négociations avec ce qui reste ou s’installe comme pouvoirs, avec
certainement des moments difficiles, puisque, le 25  juin, les citernes
d’essence voisines du port d’Oran sont incendiées. Il faudra trois jours pour
maîtriser l’incendie qui – curieusement – ne remet pas en cause les rotations
des navires. Car, au cœur de ces négociations, s’achevant le 28 juin, figure
l’amélioration des conditions de l’exode, une augmentation des rotations
maritimes et aériennes, l’autorisation pour des navires étrangers d’accoster
à Oran pour embarquer des réfugiés. L’OAS, en contrepartie, s’engage à
quitter l’Algérie le 29  juin, après avoir reçu quelques assurances sur son
impunité.
Le 28 juin au soir, une voix se fait entendre sur la longueur d’onde de la
radio pirate du mouvement, celle de Léonard, que tous les Oranais
connaissent désormais  ; Léonard, c’est Charles Micheletti, le père de
Claude, le patron des Collines :
Un peu partout, Oran brûle. Oran est détruite. Ceux qui ont, par la trahison,
livré l’Algérie au FLN, au communisme, nous traitent de destructeurs,
d’incendiaires. Eux les traîtres, eux les lâches, eux les assassins ! Certes, ils auraient
voulu, ces Judas, ayant perçu leurs deniers, que nous laissions à leurs employeurs
l’Algérie qu’ils leur ont vendue. Non et non  : les vrais patriotes, quand ils sont
obligés d’abandonner leur terre, ne la laissent jamais intacte à l’ennemie.

Le 29  juin, l’essentiel des troupes de l’OAS quittent Oran. L’accord


s’est conclu avec les autorités locales  : elles ne tenteront rien contre les
hommes et leurs chefs. Gardy a cédé à la pression de ses amis ; depuis deux
jours déjà, il navigue sur un voilier de plaisance. Les Micheletti et certains
de leurs hommes sont à bord d’un chalutier naviguant vers l’Espagne ; ils
croient filer vers Alicante, ils débarqueront à Alméria. Puis ce sera Madrid,
où Lagaillarde veut les connaître. Ils rejoignent Gardy, Souètre et quelques
autres à San Sebastian, où ils apprennent le martyre d’Oran, le 5 juillet. Le
périple des Micheletti continue par l’Italie, l’Allemagne, avant l’adieu aux
armes. Il y a des vies à reconstruire.
1.  L’intéressé a préféré paraître sous pseudonyme.

2.  Claude Micheletti donne le texte intégral dans son livre Fors l’honneur. La guérilla OAS à
Oran en 1961/62, Jean Curutchet Éditions, 2002.
10

Oran, le 5 juillet

Les quatre premiers jours de juillet  1962 sont relativement calmes à


Oran. Certes, les enlèvements se succèdent ; certes, il y a encore, ici et là,
des attentats, mais aucune manifestation de masse de la population
musulmane. Le transfert de souveraineté à l’exécutif provisoire a eu lieu le
3  juillet. Désormais, l’Algérie est indépendante. Le général de Gaulle l’a
« reconnu » officiellement, mais il ne l’a pas encore « proclamé ». Il le fera
au soir du 5  juillet, dans une allocution télévisée. La proclamation de
l’indépendance coïncide avec le 132e  anniversaire de la prise d’Alger par
les Français.
Un officier de l’ALN tient un rôle particulier en ce début juillet  : le
capitaine Bakhti, de son vrai nom Nemiche. C’est l’homme de main du trio
Ben Bella-Boumediene-Bouteflika. Bakhti est né à Oran en mars  1922. Il
fait partie de la « commission de réconciliation » instaurée le 21 juin. Elle
est composée de notables européens « libéraux », dont le premier adjoint au
maire, et de musulmans «  engagés  ». Voulant rassurer les Européens,
troublés par les événements, Bakhti leur déclare le 3 juillet : « Vous pourrez
vivre avec nous autant que vous voudrez et avec toutes les garanties
accordées par le GPRA. L’ALN est présente à Oran. Pas question
d’égorgements. Bien au contraire, nous vous garantissons une vie meilleure
que celle que vous connaissiez auparavant ! »
Jusqu’au 4  juillet, il n’y a donc, en ville, que quelques défilés de
voitures surchargées de musulmans, hommes et femmes hurlant des
slogans, avec des youyous plutôt bon enfant… Les Européens se laissent
aller à un certain soulagement ; ils avaient tant redouté le 1er juillet et son
référendum ; puis le 3, avec l’arrivée à Oran de sept katibas de l’ALN.
Du côté des forces françaises –  environ 18  000  hommes  –, le général
Katz estime avoir pris toutes les dispositions nécessaires pour que les
manifestations, annoncées pour le 5 juillet, se passent dans le calme le plus
absolu. En accord avec le capitaine Bakhti, ils se seraient engagés à ce que
les réjouissances algériennes ne débordent pas en ville européenne. Les
fêtes marquant la célébration de l’indépendance peuvent commencer…
Ce que Katz n’a pas claironné, ce sont les ordres écrits donnés aux
militaires  : les troupes sont toutes consignées dans leurs cantonnements
avec interdiction d’en sortir, quelle que soit la tournure que prendront les
festivités. Et là, rien ne se passera comme prévu  ! Des quartiers arabes,
notamment depuis le Village nègre, des milliers de musulmans gagnent la
ville européenne. Constatant que de nombreux manifestants tentent de
dissimuler sous leurs vêtements des haches, des gourdins, des couteaux et
parfois même des armes à feu, les Européens comprennent que la fête
risque de mal tourner. Ils se barricadent chez eux, alertent les familles, leurs
amis.
Quelques minutes avant midi, un silence incompréhensible s’établit
soudain devant le théâtre municipal où s’est rassemblée la foule, au cœur de
la ville européenne. Des responsables du FLN sont présents, ils encadrent la
meute et semblent attendre quelque chose… Quatre coups de feu isolés se
font entendre. Le signal  ! L’attitude de plusieurs hommes paraît
correspondre à la mise en route d’un plan prémédité : ils partent en courant
dans toutes les directions, criant : « C’est l’OAS. C’est l’OAS qui nous tire
dessus ! » À son tour, la foule se met à courir en s’égosillant : « OAS, OAS,
OAS  !  » Le rassemblement –  aux dires de Katz  – devait être pacifique.
Pourtant des hommes en armes surgissent. Bien décidés à affoler les
manifestants, ils tirent dans toutes les directions, y compris sur la foule, aux
cris de : « OAS assassins ! »
Bientôt les tirs sont dirigés sur les sentinelles françaises en faction
devant la mairie  ; d’autres tireurs ciblent le Château-Neuf, où est installé
l’état-major de Katz  ; est aussi visé l’hôtel Martinez voisin, où sont
hébergés nombre d’officiers français. Après un moment d’hésitation, les
soldats français ripostent à leur tour, avant de se barricader.
Commence alors ce qu’il faut bien appeler le plus grand pogrom
antieuropéen que l’Algérie ait jamais connu. Des centaines d’hommes, de
femmes, d’enfants sont enlevés  ; ils sont égorgés, émasculés, mutilés,
étripés. Des hommes sont entraînés jusqu’au Village nègre, suppliciés,
accrochés aux crochets des bouchers où ils vont agoniser. Les pieds-noirs
ne sont pas les seuls visés  ; le FLN connaît les musulmans attachés à la
présence française ou au service des Français. Ceux-là vont le payer de leur
vie. Ce sont des victimes par dizaine ou par centaines, qu’il faudrait
pourtant ajouter à un bilan supposé. Mais quelle famille algérienne aurait
osé aller se plaindre auprès des « vainqueurs » d’avoir eu en son sein des
hommes ou des femmes ayant collaboré avec les Français ?…
Pendant ce temps, l’armée française est calfeutrée dans ses postes. Un
hélicoptère survole la ville. À son bord, le général Katz essaye d’apprécier
la situation. D’après le rapport des sentinelles, sur la seule place d’Armes, il
y a au moins 20 cadavres d’Européens affreusement mutilés. Mais du haut
de son appareil, celui qui deviendra pour les Oranais le « boucher d’Oran »
conclut que la ville semble calme. Tout est, apparemment, rentré dans
l’ordre ! Il vaut mieux éviter un affrontement avec le FLN, pense-t-il ! Et
les drapeaux français sont systématiquement amenés, pour ne pas exciter
davantage la multitude.
En ville, la chasse est lancée. Chaque Européen devient une proie, un
gibier poursuivi par la foule acharnée à sa joie, déchaînée. Quand les pieds-
noirs aperçoivent des véhicules de l’armée française, ils tentent d’y
grimper… Ils sont, la plupart du temps, repoussés à coups de crosse. Les
ordres sont les ordres…
Des hommes de l’ALN en tenue de combat flambant neuve et des civils
armés envahissent les immeubles. Ils ressortent, entraînant des files
d’Européens de tous les sexes, de tous les âges. Ces malheureux prennent la
direction d’Eckmühl, du Petit Lac ou de la Ville nouvelle, mains sur la tête,
sous les crachats, les injures, les coups et les huées de la populace. Pour
eux, c’est la fin ; ils le savent. Ils n’ont plus qu’un espoir : que la mort les
prenne le plus vite possible et leur épargne le supplice qui les attend.
Vers 17 heures, enfin, le bruit caractéristique d’un convoi de camions se
fait entendre. C’est la gendarmerie mobile ; l’arme damnée du général Katz
prend position. Dès cet instant, la manifestation prend fin et la populace
disparaît… Mais il est trop tard. Des centaines de cadavres jonchent les
rues, le sang macule trottoirs et caniveaux, les appartements sont dévastés,
les magasins pillés. Tout est fini. La ville est plongée dans un silence de
mort, de cette mort qui pendant cinq heures s’est abattue sur elle.
Désormais, l’angoisse étreint les survivants. Chacun tremble pour les siens,
les gens se cherchent, beaucoup demeurent encore cachés, de peur de voir
la tornade s’abattre de nouveau sur leur quartier. Le nombre des disparitions
s’allonge d’heure en heure, aggravant le tourment des familles. À l’hôpital,
la morgue est pleine à craquer et des odeurs fétides s’en dégagent. La
plupart des corps entassés là sont mutilés, méconnaissables. Les
ambulances, parcourant enfin la ville, déchargent des cadavres sur les
trottoirs afin de laisser la place à ceux qui pourraient encore être sauvés.
Pourquoi l’intervention des gendarmes mobiles s’est-elle produite si
tardivement  ? Aurait-on décidé, à Paris ou ailleurs, de faire payer aux
Oranais leur passion pour l’Algérie française  ? Leur trop grande fidélité à
l’OAS  ? Où est passé le capitaine Bakhti, l’homme fort, l’homme de
confiance de Katz, qui avait déclaré le 3 juillet qu’il ne saurait être question
d’égorgements ? Depuis Paris, où l’on s’attendait à cette explosion de folie
furieuse, aurait-on ordonné à Katz « de ne pas bouger, de laisser faire » ? Et
Katz, qui ne songe qu’à ajouter une étoile supplémentaire sur son képi,
aurait obtempéré aveuglément…
Personne n’a pu ni confirmer ni infirmer l’existence d’un message de
Paris, capté à la poste centrale vers 16  h  30, ordonnant de faire
immédiatement cesser la tuerie. Il y avait certainement d’autres liaisons
radio plus discrètes et donc plus efficaces entre Paris et l’état-major d’Oran.
En réalité, Katz a pu être simplement informé de la détermination du
général de Gaulle, déclarant au Conseil des ministres du 24 mai 1962 :
La France ne doit avoir aucune responsabilité dans le maintien de l’ordre après
l’autodétermination. Elle aura le devoir d’assister les autorités algériennes, mais ce
sera de l’assistance technique. Si les gens s’entre-massacrent, ce sera l’affaire des
autorités algériennes.

Un mois plus tard, le 4 août, le général Katz fera l’objet d’une citation à
l’ordre de l’armée comportant l’attribution de la croix de la Valeur militaire
avec palme pour «  avoir su rétablir et préserver avec force et dignité
l’autorité légale et l’ordre public ». Sa cinquième étoile – celle de général
d’armée  – suivra. Qui a osé désobéir  ? Bien peu d’officiers décideront
d’oublier les ordres de Katz ; souvent, quelques lieutenants qui ne pensent
peut-être plus à faire carrière dans l’armée, ou quelques audacieux habitués
à renâcler ; une immense minorité, à vrai dire. Les ordres sont les ordres…
Mais comment ne pas citer quelques-unes de ces exceptions  ? À
commencer par l’amiral d’escadre Jean Barthélemy, commandant la base de
Mers el-Kébir. Durant l’après-midi de ce 5  juillet, il a un entretien
téléphonique orageux avec le général Katz  : il ne supporte pas que les
forces françaises soient consignées dans leurs cantonnements, alors que la
tuerie se propage. Il tient tête au général et envoie des fusiliers marins en
camion jusqu’à Oran pour sauver ceux qui peuvent encore l’être. L’amiral
n’agit pas sur un coup de tête, c’est même le début d’une récidive : entre le
1er  juin et le 31  juillet, ce sont 19  300  civils que l’amiral Barthélemy
parviendra à transférer en métropole.
Autre rebelle, le lieutenant Rabah Kheliff, commandant la 4e compagnie
du 30e  bataillon de chasseurs portés, stationné à proximité d’Oran. Seul
officier de souche nord-africaine du bataillon, il apprend, comme ses
camarades, que des événements alarmants se déroulent en ville  ; que des
inconnus ramassent les pieds-noirs, les musulmans francophiles et les
embarquent dans des camions. Il connaît aussi les ordres de Katz, qu’il a dû
contresigner comme tous les officiers concernés. Il réagit pourtant,
téléphone à ses camarades commandants de compagnie – tous européens –
qui lui répondent que les ordres sont de ne pas bouger. Il réplique :
« Mais enfin, ce n’est pas possible, on ne va pas laisser les gens se faire trucider
comme ça sans lever le petit doigt. Moi, je ne peux pas. Ma conscience me
l’interdit. » Je téléphone à l’échelon supérieur, au colonel commandant le secteur. Je
tombe sur son adjoint et lui explique mon cas. Il me répond  : «  Écoutez, mon
garçon, nous avons les mêmes renseignements que vous, c’est affreux. Faites selon
votre conscience, quant à moi, je ne vous ai rien dit.  » En clair, je n’étais pas
couvert.

Le lieutenant Kheliff embarque l’équivalent de quelques sections dans


des camions et file à Oran :
J’arrive à la préfecture  : il y avait là une section de l’ALN, des camions de
l’ALN et des colonnes de femmes, d’enfants et de vieillards dont je ne voyais pas le
bout. Plusieurs centaines en colonnes par trois ou quatre qui attendaient là, avant de
se faire zigouiller. J’avise une espèce de planton devant la préfecture et lui demande
où se trouve le préfet, il me dit : « Mon lieutenant regardez, c’est ce monsieur qui
monte.  » En quatre ou cinq enjambées, je rattrape ce gros monsieur avec une
chéchia rouge. Je crois lui avoir dit  : «  Monsieur le préfet, je vous donne cinq
minutes pour libérer tous ces gens-là, sinon on fera tout sauter.  » Il ne m’a pas
répondu, il a redescendu l’escalier, s’est dirigé vers le responsable de la section
ALN. Ils ont discuté quelques minutes et la section est partie. Le préfet est venu et
m’a dit : « C’est fait, mon lieutenant » et il a dit aux gens : « Mesdames, messieurs
vous êtes libres, vous pouvez rentrer chez vous. »
Je reverrai toujours cette scène hallucinante de femmes, d’enfants et de
vieillards qui pleuraient, poussaient des cris hystériques, courant, tombant les uns
sur les autres. Quelqu’un est venu me trouver et m’a signalé qu’il y avait des gens
blessés, je les ai fait mettre à l’abri pour les faire soigner.  Puis j’ai installé des
patrouilles sur les axes routiers qui menaient au port ou à l’aéroport, car j’ai appris
qu’on arrêtait les gens qui fuyaient, qu’ils soient musulmans ou Européens,
d’ailleurs. C’était la population ou des gens armés ne faisant même pas partie de
l’ALN qui les arrêtaient, les volaient, les tuaient. J’ai donc mis des contrôles pour
éviter cela et je les ai arrachés littéralement aux mains de la population.

Le lieutenant Kheliff conclut son témoignage en notant : « J’ai fait cela


en ayant le sentiment de ne faire que mon devoir. » La sanction est pourtant
immédiate. Convoqué par le général Katz, il s’entend dire  : «  Si vous
n’étiez pas arabe, je vous casserais ! » Kheliff est mis aux arrêts de rigueur,
puis il est muté en France aussitôt que possible.
En cherchant bien, on comprend que quelques cantonnements ont
entrouvert leurs portes à des Européens fuyant le carnage. Et parmi ceux-ci,
celui d’une compagnie du 2e  zouaves, cantonnée au lycée Jules Ferry. Le
capitaine Croguenec récupère ainsi deux journalistes de Paris Match, le
reporter Serge Lenz et le photographe Jean-Pierre Biot. Puis le capitaine
décide d’aller délivrer les Européens que des zouaves, perchés sur le toit du
lycée, ont vu marcher, mains sur la tête, vers le commissariat central. Il part
en Jeep, sans arme, avec le sergent Brenugat, entre dans le hall du
commissariat. Les soldats de l’ALN le laissent faire. Il annonce aux
Européens qu’ils sont libres s’ils veulent bien suivent sa Jeep… Il sauve
ainsi plusieurs centaines de vies. Une compagnie du 8e RIMa ouvre le feu à
la gare d’Oran où des Algériens tentent d’arrêter tous les Européens
descendant des trains pour gagner le port ou l’aérodrome. Des hommes des
2e  et 4e  zouaves ouvrent le feu près de l’Hôtel de Ville. C’est tout, ou
presque tout.
L’association Le Cercle algérianiste national de Perpignan conserve des
témoignages de ces disparitions, fournis par les familles. Beaucoup de leurs
récits concernent la journée du 5 juillet ; toujours l’évocation d’un disparu,
souvent l’absence de réaction des militaires ou de ce qu’il restait de
l’administration, parfois un éclairage particulier sur cette journée de
massacre et ses à-côtés odieux.
Mélanie Prieto, dont le mari a disparu à 40 ans, s’est heurtée au silence
des autorités :
Mon époux, Grégoire Prieto, a été enlevé, ainsi qu’un ami douanier, à hauteur
du cinéma Rex à Oran. Ils étaient de retour de leur travail au port. Malgré les
recherches de leur administration, nous n’avons pas eu de détails sur leur
«  devenir  ». Je passe ici toutes les angoisses, les voyages en Suisse auprès de la
Croix-Rouge, afin que la lumière se fasse. Rien n’a été mené jusqu’au bout. Le
silence ordonné par le gouvernement en place a été suivi avec rigueur et lâcheté.

Marie-Claude Teuma est en instance de départ pour la métropole


lorsque son père disparaît :
Mon père, Paul Teuma, a été enlevé le 5 juillet 1962 à Oran, en compagnie de
trois de ses collaborateurs sur la route de Lartigues. Ils allaient livrer une base
militaire. Mon père dirigeait les établissements Montserrat situés à Saint-Eugène, à
Oran. Je ne peux malheureusement pas vous donner plus de détails, et pour cause,
j’étais moi-même bloquée à l’aéroport de La Sénia, d’où j’ai pu décoller après avoir
passé trois jours et trois nuits en attente d’un vol pour la métropole. On ne pouvait
pas choisir notre destination. Nous étions munis d’un numéro d’entrée. C’était le
5 juillet 1962, j’avais 17 ans.

Hermine Menchon raconte la disparition de son neveu Norbert


Legendre, âgé de 24 ans :
Midi. Quelques employés des PTT et amis se rendaient au restaurant pour
déjeuner. En cours de route, les balles commencèrent à siffler. Norbert fut atteint à
l’oreille et demanda à l’un de ses camarades de l’accompagner à l’hôpital, où il fut
marqué « entrant ». Le lendemain, le camarade revint le voir, il était là. Quand les
parents apprirent le drame, au bout de quatre à cinq jours vu les difficultés pour
voyager ou communiquer, ils vinrent rendre visite à leur fils. Et là, il n’y était pas,
personne ne savait quoi que ce soit. Et si quelqu’un était au courant, comme les
bonnes sœurs en tant qu’infirmières, tout le monde ignorait ce malade. Il n’était pas
inscrit chez les «  sortants  ». La suite, nous la connaissons tous  : disparu  ! Les
démarches effectuées, ce sont les parents qui ont essayé de s’en occuper, mais sans
résultat. La Croix-Rouge ayant refusé de s’occuper des disparus en Algérie, le
gouvernement de l’époque avait demandé aux parents s’ils le considéraient comme
étant décédé. Il fallait établir un dossier.

Andrée Lescalier pleure la disparition de son mari, et aussi celle de son


père Joseph Vallet. Son témoignage montre que les massacres ont débordé
sur le 6 juillet :

Mes parents habitaient rue de Tlemcen à Oran. Mon père, Joseph Vallet, avait
été enlevé le 5 juillet, mais nous ne le savions pas, nous n’avions pas de nouvelles.
Le 6 juillet, tôt le matin, mon mari est parti à Oran pour avoir des places, avion ou
bateau, par mon oncle Alfred Vallet, cadre à la Transat. J’ai su par la suite que mon
oncle avait été enlevé la veille. Il n’a jamais été retrouvé. Mon mari non plus n’a
jamais été retrouvé. Dans le courant de cette matinée du 6  juillet, mes cousins et
amis sont venus me dire qu’il se passait du mauvais à Oran et nous avons
commencé à nous inquiéter pour mon mari. Dans l’après-midi, mon cousin s’est
rendu à la gendarmerie, où ces messieurs les gendarmes lui ont annoncé les faits
suivants : ils rentraient d’Oran dans leur fourgon quand ils ont vu mon mari avec
d’autres Européens arrêtés à la hauteur des Arènes d’Oran (sortie d’Oran sur la
route de Misserghin), debout, près de leur voiture, entourés d’Arabes en tenues
disparates, militaires et armés. Ils ont pensé que ce n’était qu’un contrôle d’identité
(alors qu’ils savaient pertinemment ce qui s’était passé la veille, le 5  juillet). Ils
n’ont pas jugé bon de venir m’avertir, encore moins de s’inquiéter de son retour ou
non, à Misserghin. C’est bien une des preuves qu’ils avaient reçu des ordres de non-
intervention. Ensuite… toute la désespérance qui a suivi  : démarches au
commissariat, au consulat, au rectorat, pour rien. La Croix-Rouge a été inexistante,
pour ne pas dire au-dessous de tout.

Viviane Ezagouri, la fille de Joseph Pinto, a perdu son père, mais son
témoignage éclaire singulièrement sur l’ambiance oranaise, ce 5 juillet, où
elle circule en voiture avec son fiancé :
Nous sommes arrêtés à un barrage par trois personnes en civil qui inspectent
notre véhicule avec beaucoup de correction. Sur le trottoir d’en face, des femmes et
des hommes armés demandent au chef de contrôle, en arabe, de nous laisser entre
leurs mains. Face à nous, dans la rue Séguier, un homme est à terre, lynché par les
gens qui veulent nous faire subir le même sort. Le chef du contrôle nous demande
de rejoindre une caserne qui se trouve rue du Camp-Saint-Philippe, 300 mètres plus
haut. Je ne tiens pas à y aller. Mon fiancé demande avec insistance au chef de nous
accompagner à notre domicile, n’étant plus très loin. Il prétexte sa responsabilité et
avec réticence finit par accepter. Il monte dans notre véhicule et après plusieurs
arrêts, nous sommes obligés de descendre du véhicule pour d’autres contrôles, en
pleine fusillade. Nous parvenons à notre domicile sains et saufs. Un peu avant notre
sortie le matin, mon père est descendu dans la rue sans nous dire ses intentions. Il
n’est jamais revenu.

La seule aide que reçoit cette famille est presque symbolique  : un


gendarme a accepté de venir le soir chez eux avec des photos d’hommes, de
femmes, de jeunes qui avaient été massacrés par la foule. Ils ne
reconnaissent pas leur père. À l’hôpital d’Oran, les grilles restent fermées,
les militaires de l’ALN empêchent les gens d’entrer. Un journaliste
américain leur parle des nombreuses personnes parquées au Palais des
sports, dont il est impossible de s’approcher. À la préfecture, aucune
information, aucun espoir d’être renseigné.
Charles Moha, âgé de 19  ans, a survécu au 5  juillet, mais il témoigne
des tortures infligées aux victimes, après leurs arrestations par des militaires
FLN :
Cet enlèvement s’est produit au matin vers 8 heures, au carrefour dit « Tir au
Pistolet » à Eckmülh, quartier sur les hauteurs d’Oran. Je précise qu’à ce moment,
j’attendais un autobus qui m’emmenait à mon travail, un salon de coiffure situé 27,
rue de Tlemcen. Donc, subitement, une camionnette tôlée de marque Citroën s’est
arrêtée. Trois hommes vêtus d’uniformes militaires se sont emparés de moi avec
violence et m’ont jeté littéralement dans ce fourgon. Il s’est arrêté peu après et deux
autres personnes, le père et le fils, propriétaires d’un bar, ont été enlevés à leur tour
et m’ont rejoint à bord du véhicule qui s’est dirigé vers le lycée Ardaillon,
transformé en caserne, où j’ai subi pendant trois semaines des interrogatoires
répétés durant toute la journée et souvent la nuit, afin que je réponde sur des
questions concernant des membres du réseau OAS, recherchés activement par ces
militaires. J’ai donc subi des blessures provoquées par des coups de poing, de pied
sur toutes les parties du corps. Ils ont appliqué des cigarettes allumées sur mon dos
pour savoir si tel nom prononcé par ces tortionnaires avait eu une appartenance
avec l’OAS. Après ces interrogatoires, on m’emmenait dans les sous-sols de cette
caserne, privé de nourriture avec 25 autres Européens qui connaissaient le même
sort que moi. Je dois préciser que ma mère avait été avertie par une voisine
algérienne ; le fils, militaire et chargé de la surveillance dans cette caserne, m’avait
rencontré, et j’avais donc alerté sa propre mère afin que celle-ci précise à la mienne
que j’étais toujours vivant, mais enfermé. Les démarches répétées de ma mère
auprès des autorités, les appels pressants de la Croix-Rouge française ont fait
aboutir à ma libération et à celle des 25 personnes présentes. Cette libération a eu
lieu le 25 juillet.

Le 10 juillet, les journalistes sont conviés à une conférence de presse du


capitaine Bakhti, le responsable de la zone autonome d’Oran. Il leur
annonce vouloir faire la lumière sur les massacres. Vers 18 heures, au lycée
Ardaillon, celui qui a servi de prison cinq jours plus tôt, le capitaine
annonce que tout le monde va être conduit en un lieu où sont détenus plus
de 200  bandits responsables des massacres. L’information fait sensation.
D’autant que Bakhti évoque des bandits sans indiquer leurs origines.
Pourrait-il s’agir de militants de l’OAS, comme Katz l’a déjà prétendu  ?
Peut-être le FLN a-t-il eu « l’idée » de puiser dans la masse des « disparus »
européens pour les faire passer pour ces 200 bandits et pour de redoutables
activistes ?
Quelques minutes plus tard, les journalistes prennent la direction de
Pont-Albin, un petit village situé à une dizaine de kilomètres d’Oran, où
sont installés les détachements de l’ALN. Là, le capitaine Bakhti leur
présente les 200  meurtriers qui, explique-t-il, composent un gang
d’assassins de la pire espèce, sévissant dans les faubourgs du Petit Lac, de
Victor-Hugo et de Lamur.
Aux dires de l’officier, ce sont eux qui ont provoqué les massacres. À
leur tête se trouvait un assassin notoire : Moueden Attou, connu parmi les
militants FLN qui le redoutaient pour sa violence. Bakhti explique que lors
de son arrestation, Attou a tenté de résister et a été abattu. De plus, 2 tonnes
de matériels de guerre, armes et fournitures diverses, ont été récupérés,
ainsi que des quantités d’objets volés aux Européens autour du 5 juillet.
Un journaliste demande au capitaine Bakhti pourquoi le gouvernement
français tient tellement à faire porter la responsabilité du massacre sur
l’OAS. L’officier algérien répond que le gouvernement français et ceux qui
le servent détiennent, seuls, la responsabilité de leurs propos… Bakhti ne
prend pas le moindre risque d’être démenti. Dès le 5  juillet, le nouveau
préfet d’Oran, M. Souiah, déclarait à la radio : « Nous ne pouvons tolérer de
pareils actes criminels à un moment où il est demandé une mobilisation
générale de toutes les énergies saines.  » Le lendemain, le préfet insiste
encore, rejetant la responsabilité de l’émeute sur des éléments
provocateurs  ; puis il donne l’ordre de désarmer ces éléments incontrôlés.
La version officielle, côté FLN, est parfaitement rodée.
Depuis, deux questions se posent, toujours sans réponse. Les
200  suspects auraient été jugés, mais où, quand, comment et avec quelles
condamnations  ? Puis, ledit Attou était-il encore réellement en vie le
5  juillet  ? L’homme avait déjà une mauvaise réputation au sein du FLN  ;
d’un naturel irascible, il s’opposait volontiers aux siens. Et ceux-ci, à
l’occasion, lui rendaient la politesse, comme l’a expliqué Chouail-Chaila
aux gendarmes de la brigade d’Oran, le 8  mai  : «  Attou a été récemment
battu et blessé très sévèrement par des officiers de l’ALN pour sa
conduite. »
La suite a sa petite part de mystère. Il s’est dit que le FLN, ou l’ALN,
pour se débarrasser d’Attou, aurait transmis son signalement à la
gendarmerie française. Celle-ci, sachant que l’homme ne risquait plus
grand-chose devant la justice, aurait repassé les informations à l’OAS.
Claude Micheletti met le point final à ces péripéties hypothétiques :
Le 5  juillet, le chef de bande Attou, né le 17  août 1921 à Thiersville,
département d’Oran, de nationalité française, demeurant à Oran, côté du Petit Lac,
Bloc 12  no  22, carte d’identité no  FU 68038, est mort depuis plusieurs semaines
déjà. Notre justice était passée, le hors-la-loi avait été abattu par un de nos
commandos, au cours d’un de ces attentats qualifiés d’aveugles, dénoncés par le
pouvoir.
Autre point noir de ce 10 juillet, le capitaine Bakhti n’a aucune envie de
voir les journalistes aller traîner du côté du Petit Lac, où auraient été
abandonnées de nombreuses victimes du 5  juillet, et même des semaines
précédentes. Le Petit Lac est situé à la périphérie d’Oran, en plein quartier
arabe. C’est une grande étendue d’eau salée servant de dépotoir clandestin
et aux abords duquel aucun Européen ne s’aventure plus depuis longtemps.
Or, au fil des témoignages qui affluent, les autorités militaires sont bien
forcées de noter qu’il est souvent question du Petit Lac, qui serait un des
lieux où se pratiquent des exécutions en série… Mais, bien sûr, aucune
intervention des troupes françaises  : les ordres sont les ordres… Il y aura
quelques reconnaissances aériennes, cependant, dont les prises de vues
laissent apparaître ce qui peut être des fosses communes. Puis rien,
plus rien.
Le 11  août 1962, L’Écho d’Oran informe ses lecteurs que la décharge
du Petit Lac va disparaître : « Le gouvernement algérien a commencé son
œuvre de salubrité. Cela représente 15 hectares d’immondices de 5 mètres
de haut. L’odeur qui s’en échappait était devenue insoutenable. » Ainsi vont
être effacées les dernières traces du carnage du 5 juillet.
Qu’en est-il d’une autre possibilité  ? Est-il vrai que les assassins du
5 juillet auraient aussi été des vampires de la pire espèce ? Est-il exact que
certaines de leurs victimes auraient été vidées de leur sang, pour que des
hommes de l’ALN, blessés, puissent être transfusés  ? D’autres historiens
ont enquêté, fouillé, exploré. Le bilan de leurs recherches n’est pas
exactement celui qui pourrait soulager les familles des disparus, en quête
d’une vérité insaisissable. Il y aurait eu, effectivement, en Algérie des
enlèvements d’Européens suivis de transfusions, jusqu’à l’expiration des
victimes  ; mais à d’autres moments, et pas nécessairement ce 5  juillet, à
Oran. Sauf peut-être pour des patients curieusement disparus durant leur
séjour à l’hôpital, comme Norbert Legendre. Grégor Mathias, auteur de Des
vampires à la fin de la guerre d’Algérie, évoque le cas de plusieurs
centaines de civils et de militaires qui auraient pu être des victimes de ces
procédés. Mais tous auraient disparu entre le 19  mars et le 3  juillet 1962,
Notons seulement, alors que le conditionnel paraît de règle, que de tels faits
ont effectivement existé… Parmi les rares traces de ces pratiques figure un
rapport des gendarmes de La Sénia, en date du 28 avril 1962. Ils entendent
un jeune musulman de 17 ans, appréhendé pour vol de voiture. Celui-ci leur
raconte que les Européens arrêtés à des contrôles routiers sont généralement
tués et leurs corps jetés dans le Petit Lac : « Quelques victimes européennes
ont été, selon l’informateur, vidées de leur sang pour permettre de sauver la
vie de blessés algériens. »
Le 9  juillet, le GPRA organise un grand meeting au stade municipal
d’Alger. Ben Khedda déclare :
Le gouvernement, qui est reconnu aujourd’hui par trente-trois États, est la seule
autorité en Algérie. Tous les Algériens doivent le reconnaître et cela dans l’intérêt
suprême de la nation.

Deux jours plus tard, Ben Bella rentre en Algérie ; il regroupe ses forces
à Tlemcen, en passe de devenir la « capitale bis ». Afin de contrer le GPRA,
Ben Bella réunit là ses alliés, dont Ferhat Abbas, évincé du gouvernement
provisoire en 1961. Le 14 juillet, Ben Bella et Boumediene font une entrée
triomphale à Oran. Ben Kheda et Krim Belkacem en font de même à Tizi-
Ouzou, accueillis par les éléments de la Wilaya III.
La page du 5  juillet 1962 ne sera jamais définitivement tournée. La
responsabilité du général Katz est évidente  ; elle n’explique pas tout,
surtout pas les arrière-pensées du « groupe de Tlemcen ». Ni Boumediene
ni Ben Bella n’entendent accepter les accords d’Évian ; ni l’un ni l’autre ne
veulent en Algérie d’une présence européenne, mais bel et bien instaurer cet
État islamiste oublié, deux ans plus tôt, par les congressistes de la
Soummam.
Le 12 juillet marque une nouvelle étape dans les curieux rapports que le
général Katz noue avec Ben Bella, l’ennemi d’hier : une réception officielle
organisée par Katz leur donne l’occasion d’une première rencontre, sous le
signe de l’amabilité. Ben Bella, tout sourire, bavarde avec le général
français. Celui-ci tient à lui transmettre les amitiés d’Edmond Michelet.
Après quoi, Katz demande à être présenté au commandant de la wilaya 5, le
colonel Othman. Les deux chefs militaires boivent l’orangeade de la
réconciliation, sous le regard satisfait de Ben Bella. Les rares images de la
scène publiées par la presse française provoquent des réactions, comme la
question écrite de l’ancien ministre André Marie, publié au Journal officiel
du 4 août. Celui-ci demande à Pierre Messmer, ministre des Armées :
…  quelques précisions sur certaines informations récentes concernant un
général ex-chef des forces militaires françaises à Oran, dont on connaît le rôle
éminent qu’il a joué dans la « liquidation de l’affaire algérienne » et dont la presse
annonce le prochain retour en métropole. Il demande notamment, au vu des photos
publiées :
1) si c’est de sa propre initiative ou sur les instructions du gouvernement que ce
général a accueilli Ben Bella à son quartier général ;
2) si c’est à la victoire de la politique algérienne française ou à celle des armes
FLN qu’il a levé son verre au cours de cette réception ;
3) s’il est exact qu’il a profité de cette singulière rencontre pour transmettre à
Ben Bella l’amical souvenir d’un ancien garde des sceaux, en exercice lors de la
détention de Ben Bella en métropole ;
4) si, dans l’affirmative, il a encore agi de sa propre initiative ou sur la demande
expresse de cet ancien ministre qui, d’ailleurs, a nié avoir chargé ledit général d’une
telle mission.

La réponse, si elle est parue au Journal officiel, est passée inaperçue.


11

Le grand départ

C’est au cours du mois de juin  1962 que le général Franco décide de


venir au secours des pieds-noirs oranais, souvent de lointaine origine
espagnole. Le consulat général, représentant Madrid à Oran, annonce qu’un
rapatriement direct vers la péninsule Ibérique va être organisé.
Dans le bled, où l’insécurité devient permanente, où l’inquiétude gagne
les populations, les préparatifs sont rapides : les valises sont faites – parfois
de simples ballots  –, les voitures chargées. Des convois se forment.
Personne ne sait ce qu’il adviendra de ces chargements, résumant souvent
l’histoire d’une vie. À ces gens fuyant leurs campagnes s’ajoutent des
habitants d’Oran et des environs immédiats. Avant la fin du mois, ils sont
plus de 3 000 à occuper des terrains vagues voisins de l’usine thermique du
port  ; un immense campement sans confort, sous la chaleur algérienne du
mois de juin. Il n’y a ni eau ni vivres ; les candidats au départ doivent se
ravitailler dans les zones d’embarquement, elles-mêmes saturées, ou aller
jusqu’au quartier de la Marine. Souvent, ces familles comprennent que leur
déménagement n’a aucun sens  ; elles refont leurs bagages plus
sommairement, se contentent d’une ou deux valises et abandonnent tout le
superflu. Les voitures, qui ne partiront jamais, sont abandonnées sur les
quais. L’inquiétude ne cesse de croître.
Personne, parmi la petite communauté d’origine hispanique, n’ose
ouvertement poser la question qui restera sans réponse  : pourquoi Franco
tend-il ainsi la main à des familles qui avaient souvent quitté le pays, selon
les époques, pour fuir la misère, la guerre civile ou le régime franquiste ?
Le 26  juin, une bouffée d’espoir s’enfle  : deux navires sont en vue,
paraissant attendre l’autorisation d’aborder à l’intérieur des eaux
territoriales. Ce sont deux ferry-boats partis des Baléares, le Victoria et le
Virgen de Africa. Ils assurent ordinairement la liaison entre Barcelone et
Palma de Majorque.
Madrid a informé Paris de son initiative, qui n’a guère été appréciée par
l’Élysée, bien que la France se désintéresse apparemment du sort des
populations qui ne songent plus qu’à fuir l’Algérie. Le ton monte entre
Madrid et Paris  ; les autorités françaises font traîner les négociations.
Franco lance un ultimatum à la France, au risque de déclencher un incident
diplomatique. Curieusement, la France avait déjà reçu des offres
d’assistance des États-Unis, de l’Italie, de la Grèce, qui ont toutes été
refusées. La France minimise la situation et refuse de laisser croire qu’un
vent de panique souffle sur l’Algérie.
Le 28  juin, les deux bâtiments sont toujours à la limite des eaux
territoriales. Eux aussi ont des problèmes : les équipages ont embarqué pour
un simple aller-retour ; les voici à la limite de leurs stocks de vivres. Une
vedette vient à terre, embarque ce que le consulat espagnol a pu prévoir
pour ravitailler les deux navires. Le lendemain, la France refuse encore
l’accès des deux navires au port d’Oran. Madrid hausse le ton  : les
Espagnols savent que la France, dès le référendum sur l’autodétermination,
dans quarante-huit heures, renoncera à sa souveraineté sur l’Algérie,
laissant les populations européennes face au pire des risques.
Le 30, à 10  heures du matin, Franco donne l’ordre à ses capitaines,
Alejandro Sánchez Blanco et Joaquim Vilanueva, d’embarquer cette
« misère humaine », attendant, sans espoir, sur les quais, l’aide de la France.
De Gaulle est informé que Franco est résolu à un affrontement militaire.
L’aviation espagnole est en alerte sur les bases aériennes de San Javier et
d’Albacete  ; les appareils sont armés, prêts à décoller. Deux navires de
guerre ont déjà quitté le port de Carthagène et mis le cap sur l’Algérie.
Ce même jour, à 13 heures, de Gaulle s’incline : les deux ferry-boats de
Franco sont autorisés à accoster. Ils vont embarquer 2  200  passagers,
85 voitures et un camion. Un dernier incident oppose les marins espagnols à
une compagnie de CRS, qui a reçu l’ordre de monter à bord des bateaux
pour y relever l’identité de tous les pieds-noirs quittant Oran et, surtout,
interpeller les membres de l’OAS fichés qui pourraient être à bord.
L’engagement pris par Katz envers l’OAS serait donc resté sans effet, s’il a
bien été transmis aux CRS. Les deux commandants écartent cette
prétention : leurs navires sont territoires espagnols ! C’est ainsi que les tout
derniers membres de l’OAS oranaise peuvent ainsi s’esbigner ; les militants
des Collines ne pouvaient savoir pas ce qui attendait leur ville, moins d’une
semaine plus tard.
À 15  h  30, les deux navires larguent les amarres. Ils prennent la mer
avec une importante surcharge de passagers, puisque, en théorie, le Victoria
ne peut prendre que 808 passagers et le Virgen de Africa  900. Les deux
ferry-boats gagnent le port d’Alicante, escortés par deux bâtiments de la
marine de guerre, sans doute venus de Carthagène, survolés par l’aviation
militaire espagnole. À bord, pour les 2  200  passagers, c’est un immense
soulagement et, dans le même temps, une certaine détresse face à l’avenir, à
l’inconnu.
Le 1er  juillet, vers 2 heures du matin, les bateaux sont à Alicante. Les
quais sont éclairés pour faciliter le débarquement. Le personnel de la Croix-
Rouge monte à bord, avec des boissons, des sandwichs, s’occupe des
enfants, aide les réfugiés à porter leurs bagages. Les contrôles d’identité ne
posent aucune difficulté. Certaines familles, totalement démunies, reçoivent
une aide financière. Mais pourquoi les autorités d’Alicante font-elles partir
un immense chapelet de pétards, de feux d’artifice, en guise de bienvenue ?
Les réfugiés se figent soudainement, comme si le port d’accueil leur offrait
une de ces nuits bleues qu’ils connaissaient trop, là-bas en Algérie  ; une
dernière nuit de stroungas.
Aussitôt après les accords d’Évian, un exode généralisé avait été la
crainte majeure de l’OAS. Celle-ci avait même tenté, par tous les moyens y
compris les menaces, de limiter les départs des pieds-noirs, qu’ils aient ou
non des attaches en métropole. Pendant quelque temps, les dockers
ralentissent les départs, les commandos OAS deviennent plus insistants.
Puis il se raconte que le FLN et l’OAS négocieraient secrètement des
accords, corrigeant ou annulant ceux passés entre le GPRA et le
gouvernement français. L’échec des négociations entre Mostefaï et Susini
change tout…
Les préparatifs de départ reprennent, mais se résument à l’essentiel  :
emporter les pièces d’identité, quelques vêtements, une poignée de
souvenirs. Il faut même faire le tri parmi les photos résumant la vie de deux
ou trois générations, en sauver une poignée, brûler le reste. Si l’on excepte
les initiatives locales et les fuites en bateaux de pêche et autres chalutiers,
Alger et Oran sont les deux points de départ les plus encombrés. Dans l’une
et l’autre ville, le désordre est le même  : des milliers de personnes
s’entassent dans les aéroports, sur les quais des ports. Il n’y a plus, depuis
des jours, de sièges ou de bancs disponibles ; les gens sont assis ou allongés
sur les carrelages encombrés de détritus. Surtout ne pas céder sa place, ne
pas perdre les petits mètres carrés qu’occupe la famille entassée. Alger-
Maison-Blanche, Oran-La Sénia ne sont plus que de gigantesques
capharnaüms. L’essentiel est d’obtenir un billet, au prix d’attentes
indéterminées devant des guichets qui sont parfois ouverts, souvent fermés ;
les points de vente ouvrant occasionnellement et déménageant sans préavis.
À Oran, les compagnies de transport – aussi bien maritimes qu’aériennes –
réclament, pour délivrer un billet, le laissez-passer accordé par l’OAS.
Il se raconte même que de Gaulle aurait donné l’ordre à son
gouvernement de ne pas utiliser les navires de guerre pour abréger l’attente
des milliers de candidats au départ. Il est effectivement demandé aux trois
compagnies de navigation desservant ordinairement l’Algérie (la Transat, la
Compagnie de navigation mixte et la Société générale des transports
maritimes) de réduire le nombre de leurs rotations hebdomadaires ; il n’y en
a que 16 en février, 7 en mars et 3 en avril… Les vols d’Air France et d’Air
Algérie sont également réduits de moitié. De tels ordres engendrent leur lot
de désobéissance  ; un certain nombre de commandants de bord oublient
ouvertement les règlements relatifs au nombre des passagers. Quelques
chiffres subsistent : certains bateaux acceptent beaucoup plus de passagers
que la limite maximale autorisée. Ainsi le Jean Laborde, des Messageries
maritimes, quitte Oran pour Marseille avec 1  430  passagers au lieu des
420  autorisés  ; le Cambodge a une capacité de 440  passagers, mais, alors
qu’une fusillade éclate sur les quais d’Oran, il prend la mer avec
1 233 personnes à bord ; le Kairouan, pour 1 172 places, part une fois avec
1 900 passagers, une autre fois avec 2 200…
Il est aisé de deviner les conditions de vie à bord : la foule se précipite,
emplit les cales, grimpe vers les ponts intermédiaires, envahit les ponts
supérieurs. Certains passagers – ceux qui ont obtenu les précieux billets –
ont parfois une cabine et même une place au restaurant. Les autres voyagent
tant bien que mal ; à fond de cale, incommodées par les odeurs de fioul et
de vomi. Les familles s’installent sur les ballots. Sur les ponts, les hommes
tendent des couvertures pour protéger les enfants du soleil et du vent. Des
gens qui ne se connaissent pas échangent boissons ou sandwichs. Les
équipages assistent ceux qui n’ont plus rien. Les uns veulent jeter un dernier
regard vers la ville qu’ils ne reverront jamais  ; les autres pleurent
discrètement. Pour tous, une vie vient de s’effondrer.
Et à l’arrivée ? Rien n’est réellement organisé, surtout pas à Marseille.
Combien sont-ils à partir ? Les chiffres divergent, pour une estimation
finale voisine de 1  million de retours. Une ventilation par périodes donne
150  000  départs avant le 31  décembre 1961, puis 70  000 entre janvier et
avril  1962, 80  000 en mai, 300  000 en juin, près de 200  000 entre
l’indépendance et la fin 1962. Sur les 200 000 pieds-noirs restés en Algérie
après l’indépendance, plus de la moitié choisiront ensuite l’exil, étant
expropriés de leurs exploitations agricoles, auxquelles ils étaient attachés,
sans indemnisation dès 1963. Par la suite il y aura bien peu de retours vers
la terre natale pour ces pieds-noirs un temps expatriés, puisque le
gouvernement algérien, bafouant les accords d’Évian, a confisqué toutes les
habitations devenues « biens vacants ».
Les trois ports de débarquement sont, par ordre d’importance, Marseille,
Nice et Port-Vendres. Cet afflux d’arrivants est fort mal accepté par le maire
de Marseille, Gaston Defferre, qui s’emporte contre eux, dans une interview
publiée par Paris Presse  : «  Ils fuient. Tant pis  ! En tout cas, je ne les
recevrai pas ici. D’ailleurs, nous n’avons pas de place. Rien n’est prêt.
Qu’ils aillent se faire pendre où ils voudront ! En aucun cas et à aucun prix
je ne veux des pieds-noirs à Marseille. » C’est ce que veulent aussi imposer
les dockers de la CGT, brandissant leurs banderoles : « Pieds-noirs, rentrez
chez vous ! » Ou : « Pieds-noirs, à la mer ! » Ces dockers joignent le geste à
la parole en jetant à la mer des bagages, des containers ; un bon quart des
biens débarqués sont volés ou endommagés.
Du côté du gouvernement, les maladresses ne manquent pas. En
témoignent quelques déclarations parfois tonitruantes. Louis Joxe ouvre le
feu au Conseil des ministres du 24  mai 1962, à propos de ces départs  :
« Certes, ils sont saisonniers : à la fin mai ce sont des vacances anticipées, à
l’arrivée des grandes chaleurs. Mais cet exode est stimulé par la peur. Il faut
donc des moyens de transport plus abondants, si l’on veut éviter la
panique.  » Robert Boulin enchaîne au Conseil des ministres du 30  mai
1962  : «  Ce sont des vacanciers. Il n’y a pas d’exode, contrairement à ce
que dit la presse. » Avant d’ajouter :
Les journaux parlent d’un flot de réfugiés lamentables, de miséreux et de sans-
abri  ; tout cela est faux. S’il y a des gens qui font la queue sur les aérodromes et
devant les grilles des quais, c’est seulement parce que l’ensemble des services civils
d’Algérie sont en grève, à cause des consignes de l’OAS. L’an dernier, il y avait la
même quantité de départ et pas de queues du tout […]. Enfin les dispositions prises
permettent de faire face au rapatriement d’un millier de harkis et de leurs familles,
soit environ, au total, 5  000  personnes qui semblent préférer ne pas demeurer en
Algérie après l’indépendance.

Curieusement, Alain Peyrefitte, rapportant ces propos de Robert Boulin


dans son livre C’était de Gaulle, préfère corriger ce chiffre de 5  000  : il
considère que celui de 400  000  personnes serait plus vraisemblable  ! Le
même Boulin récidive au Conseil des ministres qui se tient un mois plus
tard :

Entre le 1er  juin et le 26  juin, il a été enregistré 169  000  retours vers la
métropole. Ce rythme de passages correspond exactement à celui des départs de
juillet 1961. Ce sont bien des vacanciers, jusqu’à ce que la preuve du contraire soit
apportée.

Mais le pire des dérapages est sûrement celui du Conseil des ministres
du 18 juillet 1962, lorsque Louis Joxe accuse les rapatriés d’avoir tous été
des soutiens de l’OAS :
Les pieds-noirs vont inoculer le fascisme en France. Dans beaucoup de cas, il
n’est pas souhaitable qu’ils retournent en Algérie, ni qu’ils s’installent en France,
où ils seraient une mauvaise graine  ! Il vaudrait mieux qu’ils s’installent en
Argentine, ou au Brésil, ou en Australie.

Georges Pompidou, Premier ministre, appuie cette idée :


Pourquoi ne pas demander aux Affaires étrangères de proposer des immigrants
aux pays d’Amérique du Sud ou à l’Australie ? Ils représenteraient la France et la
culture française.
De Gaulle tranche :
Mais non, plutôt en Nouvelle-Calédonie ou bien en Guyane, qui est sous-
peuplée et où on demande des défricheurs et des pionniers.

Qu’était-il prévu pour leur accueil  ? Rien, ou presque rien. Certes, il


existait une loi du 26  décembre 1961, dite «  loi Boulin  », du nom du
secrétaire d’État aux rapatriés. À première vue, si l’on se réfère à son
article 1, elle paraît même, sinon généreuse, du moins suffisante :
Les Français, ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d’événements
politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la
souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, pourront bénéficier de
la solidarité nationale affirmée par le préambule de la Constitution de 1946, dans les
conditions fixées par la présente loi. Cette solidarité se manifeste par un ensemble
de mesures de nature à intégrer les Français rapatriés dans les structures
économiques et sociales de la nation. Ces mesures consisteront, en particulier, à
accorder aux rapatriés des prestations de retour, des prestations temporaires de
subsistance, des prêts à taux réduit et des subventions d’installation et de
reclassement, des facilités d’accès à la profession et d’admission dans les
établissements scolaires, des prestations sociales, ainsi que des secours
exceptionnels. Les programmes de construction de logements bénéficiant de l’aide
de l’État seront complétés par l’adjonction de contingents supplémentaires de
logements pour les rapatriés.

La seule inconnue, quand ce projet est rédigé, tient au nombre de


citoyens français qui vont devoir fuir l’Algérie. Bientôt survient le jour où
l’OAS met le feu aux services de l’état civil d’Alger  ; les pieds-noirs,
rapatriés en métropole, apprennent à demander un acte de naissance à un
service installé à Nantes. Là, un fonctionnaire les déclare « supposés nés à
Alger, à Constantine, à Oran », mention déconcertante suivie de la date de
naissance que les intéressés veulent bien donner.
Si l’exode est plus qu’un tourment pour les civils, oubliés, délaissés,
malmenés, ce n’est pas pour autant une étape facile pour les militaires
installés en Algérie et contraints, eux aussi, de rembarquer,
individuellement ou avec leurs unités.
Officier du génie, passé par tous les lieux où a pu combattre un saint-
cyrien depuis qu’il a quitté Coëtquidan en 1948, le capitaine Cadart reçoit,
en février  1962, sa mutation pour Paris. Qui prépare son départ envisage
bien évidemment un déménagement. Jean-Paul Cadart y songe. Il reçoit des
conseils de toutes sortes : « Remplissez un dossier », « Vous recevrez des
indemnités de l’armée », « Mais vos meubles resteront ici. Pourquoi avoir
apporté votre mobilier ici ? ».
«  Si l’on ne m’avait pas dit d’avoir confiance, je ne l’aurais pas
apporté », répond Cadart.
Le 5e  REI n’a pas rallié les rebelles. Il n’a donc pas pris le maquis,
quelque part entre Tlemcen et la frontière marocaine, comme l’avait
souhaité Jouhaud. Le régiment n’est pourtant pas au-dessus de tout
soupçon ; il va connaître les curiosités des officiers de la Sécurité militaire.
À ceux-ci, il est demandé d’aller enquêter sur l’état d’esprit des officiers. Le
capitaine Delefosse est un des légionnaires qui se trouvent sur la sellette. Il
doit répondre aux questions les plus curieuses : « Qu’a dit ce lieutenant ? »,
«  Que pensait ce commandant  ?  », «  Et vous-même, capitaine Delefosse,
n’avez-vous pas rendu les honneurs au commandant Camelin ? »
«  Il avait été mon capitaine au 3e  REI puis mon commandant au
5e REI », répond Delefosse.
Jean Delefosse est épargné. Il est muté, sur sa demande, au centre de
formation des sous-officiers de la Légion, à Arzew, à quelques kilomètres à
l’est d’Oran. C’est là qu’il va connaître les heures sombres du mois de juin ;
les jours ou des milliers de familles attendent de s’expatrier vers la
métropole, si elles trouvent des places sur un paquebot au port d’Oran, ou
dans un avion à La Sénia. De toute façon, rien n’a été prévu pour le départ
de tous ces gens que gagne la panique. Rien pour les civils, presque rien
pour les fonctionnaires, pas grand-chose pour les militaires.
 
Ces derniers, rentrant individuellement, savent simplement qu’un
immense hangar du port d’Oran est à leur disposition ; ce qui est aussi vain
que déconcertant. En réalité, avant de déposer là les quelques bagages de la
famille, ils doivent dessiner à la craie, sur le sol de béton, un espace de 1 ou
2  mètres carrés où ils empileront ce qu’ils espèrent sauver, sans même
savoir s’ils retrouveront un jour le maigre reliquat de leurs pénates.
Le capitaine Delefosse se plie à cette règle aux apparences absurdes,
puis il regagne Arzew. où la panique s’est aussi installée. Sur le port, il voit
les pêcheurs embarquant leurs familles, leurs amis, entassant sur leurs
chalutiers tout ce qu’ils peuvent charger. Et les embarcations, pleines à ras
bord, prennent la mer, rarement vers la France, bien plus souvent vers
l’Espagne.
C’est le 2  septembre que le capitaine Delefosse, sa femme et leurs
enfants embarquent à Oran. Il laisse ses illusions sur la terre d’Algérie,
s’éloignant avec une immense tristesse, marqué par ce qui est à ses yeux
l’échec de la France. Il ne sera pas, pourtant, un homme perdu, un de ceux
qui vont partir en quête d’un avenir improbable, ou plus simplement d’un
emploi, d’un logement, d’un présent à reconstruire  : il est attendu à
Montauban, affecté au centre d’études pratiques du combat de nuit. Il va
essayer là de reprendre goût au métier des armes. Il a aussi une chance que
ne connaîtront pas tous ses camarades : le paquetage abandonné à même le
sol dans le hangar du port d’Oran lui parvient à Montauban, accompagné
d’une facture en bonne et due forme dont il devra s’acquitter !
Oran connaît la panique, comme Marnia, Tlemcen ou Sidi Bel Abbes. Il
est évident que la Légion étrangère, installée là depuis sa création, devra,
elle aussi, partir. Son patron, le colonel Vaillant, avait certainement cru
quelques bonnes paroles du pouvoir  : il pensait rester là bien plus
longtemps, si l’on se réfère au texte qu’il avait fait diffuser à travers la ville
le 17 juin :
Elle [la Légion] est ici pour vous aider et vous protéger pendant la période de
l’autodétermination. Elle restera longtemps à Bel Abbes au-delà de cette période.
Le ministre de la Défense, Pierre Messmer, après avoir dissous le
1er REP en 1961, paraît vouloir sauver les autres unités légionnaires. N’est-
il pas, lui-même, un ancien officier de la Légion ?… Mais ce sera ailleurs
qu’en Algérie, bien qu’il faille revoir les règlements particuliers de ces
unités, en théorie interdites de séjour en métropole. Le départ se prépare au
quartier Viénot. Les habitants de Sidi Bel Abbes le savent et veulent partir,
eux aussi ; en juin, le vent de l’exode pousse tous ces civils vers l’aéroport
de La Sénia. D’autres filent vers les ports d’Oran, d’Arzew ou de Beni-Saf
d’où s’enfuient des bateaux de pêche.
Le commandant Delayen est en instance de départ pour Tahiti  ; il est
temps qu’il redécouvre les charmes du Pacifique, estiment ses chefs, qui
aiment bien ce vieux baroudeur et souhaitent lui éviter quelques tentations,
donc beaucoup d’ennuis. Delayen est inquiet, il veut savoir ce que les
marins feront de son commando Yatagan. Il est reçu au ministère de la
Marine par un ancien de la DBFM qui le rassure : « Nous ramènerons tous
ceux qui veulent venir en France. Heureusement, dans la Marine, nous
avons des bateaux. » Delayen apprend ainsi qu’un camp est en préparation
pour eux dans l’Ardèche, à Largentières. Il va pouvoir partir rassuré.
Pour la France, la plaie sera longue à cicatriser. Elle n’est d’ailleurs pas
refermée pour tous ceux que le drame de l’indépendance a frappés, qu’ils en
aient été les victimes ou les témoins. Si leurs aînés ont rarement oublié, les
plus jeunes générations en savent peu, et de moins en moins…
Reste l’envers du décor, ce que les Algériens ont fait de leur nation  !
Cette histoire est leur histoire ; eux seuls peuvent l’assumer. Il est pourtant
difficile de fermer les yeux sur ce qu’ils ont connu depuis juillet  1965  ;
même si cela ne concerne plus les Français.
L’Algérie va, pour des décennies, plonger dans la guerre des chefs, les
querelles de personnes, les crises politiques, la guerre civile. Contentons-
nous d’une poignée de dates et de quelques événements lancés à la volée.
L’indépendance toute fraîche, Ben Bella et Boumediene s’opposent à
Boudiaf et Belkacem : le clan de Tlemcen l’emporte et s’installe à Alger en
septembre. Avec eux ressurgit Ferhat Abbas, qui devient le président. Dans
un an, il devra céder la place à Ben Bella… Celui-ci dirige le pays jusqu’en
1965, avec Boumediene, désormais ministre de la Défense et vice-président
du Conseil. En octobre 1963, l’Algérie entre en guerre contre le Maroc, puis
combat une révolte des Kabyles, soutenue par Aït Ahmed. Celui-ci est
arrêté, condamné à mort en 1964 ; il s’évade en 1966. Autre opposant à Ben
Bella, l’ex-vice-président du GPRA, Mohamed Boudiaf, est arrêté en 1963,
puis condamné à s’exiler l’année suivante. Houari Boumediene arrache le
pouvoir à Ben Bella en 1965. Celui-ci retourne en prison jusqu’en 1979,
puis s’exile en Suisse. Il ne rentrera en Algérie qu’en 1990, pour y mourir
en 2012.
Boumediene règne en autocrate jusqu’en 1978, perpétuant le système du
parti unique, mais dirigeant surtout grâce à l’armée. Sous sa présidence,
Krim Belkacem est assassiné à Francfort en 1970. Bendjedid succède en
1978 à Boumediene, décédé à 48  ans. L’Algérie connaît à partir de 1980
une crise économique, compliquée par l’affairisme et la corruption.
Commence la crise qui fera le lit de l’islamisme.
Le Front islamique du salut (FIS) remporte les élections municipales du
21 juin 1990, puis arrive en tête du premier tour des élections législatives
du 26 décembre 1991. En réaction, l’armée interrompt le processus
électoral. Le 11  janvier 1992, le président Chadli Bendjedid annonce sa
démission et, le 14 janvier, un Haut Comité d’État est mis en place. Cette
évolution entraîne l’Algérie dans une décennie de violences et de
terrorisme, la «  décennie noire  ». Le temps des assassinats, des attentats.
Des milliers de morts et de disparus.
En 1992, Mohamed Boudiaf réapparaît après vingt-huit ans d’exil et
prend la tête du pays. Il est un des chefs historiques de la guerre d’Algérie
et fondateurs du FLN. Il souhaite une Algérie démocratique tournée vers la
modernité. Six mois après son accession au pouvoir, il est assassiné alors
qu’il prononce un discours à Bône, le 29 juin 1992.
Apparaît alors Liamine Zéroual, dirigeant l’Algérie en tant que
président du Haut Comité d’État, puis comme président de la République
entre 1994 et 1999. L’Algérie est entraînée dans une véritable guerre civile.
En sept ans, l’engrenage entre le terrorisme et la répression fait des milliers
de morts, selon les organisations internationales.
Abdelaziz Bouteflika succède à Zéroual. Il est élu en 1999, réélu en
2004, puis renouvelé pour un troisième mandat en 2009, grâce à une
modification de la Constitution, qui interdisait jusqu’alors d’effectuer plus
de deux mandats présidentiels… Il est réélu une quatrième fois en 2014,
puis « démissionné » en 2019, ne pouvant plus exercer le pouvoir pour des
raisons médicales, alors qu’il envisageait cependant un cinquième
mandat… Parmi les reproches qui ont été faits à Bouteflika figurent : la loi
dite de la «  concorde civile  », avec l’amnistie offerte sans garanties aux
islamistes ; la gestion des émeutes de Kabylie entre 2001 et 2002, qui feront
plus de 100 morts et des milliers de blessés ; le népotisme puis le tribalisme
plaçant aux postes clés ses frères, cousins et autres parents, puis des
hommes originaires de la région de Tlemcen. La suite reste à écrire. Elle
appartient aux Algériens et à eux seuls…
12

Les bilans impossibles

Le 1er juillet 1962 sonne le glas pour l’Algérie française. Le référendum


d’autodétermination est organisé, mais il ne concerne que l’Algérie  :
600 000 pieds-noirs ne peuvent pas voter : beaucoup ont déjà choisi l’exil,
sachant ce qui les attendait, un avenir se résumant en deux mots : « la valise
ou le cercueil  ». Ce qui est encore la métropole est tenue à l’écart du
scrutin ; qu’importe son avis ! Le référendum est approuvé par 99,72 % des
votants. Le 3  juillet, de Gaulle se débarrasse du fardeau  : il reconnaît
l’indépendance de l’Algérie.
Cela ne peut être la fin des épreuves ; ni pour les civils européens, ces
pieds-noirs déracinés à jamais, désormais en quête d’un logement, d’un
emploi, d’un avenir  ; ni pour la minorité qui choisira de rester au pays
natal ; encore moins pour les militaires ou assimilés, bien que des régiments
aient déjà été rapatriés en métropole ou en Allemagne.
Les accords d’Évian paraissent rapidement à sens unique, strictement
respectés par la France, parfaitement malmenés par l’Algérie. Les pieds-
noirs, qui ont espéré pouvoir rester en Algérie, l’apprennent vite à leurs
dépens. La constitution algérienne, qui sera adoptée par référendum le
8  septembre 1963, instaure le régime du parti unique. Une semaine plus
tard, Ben Bella devient président de la République. Dans les quarante-huit
heures qui suivent, il nationalise les trois derniers journaux quotidiens
détenus par des Français  : La Dépêche d’Algérie, L’Écho d’Oran et La
Dépêche de Constantine, et ce sans avertissement, consultation ou
indemnisation. Au nom des accords signés, la France laisse faire !
Le 1er octobre 1963, Ben Bella, depuis le Forum d’Alger, annonce : « À
partir de cette minute, il n’y a plus un seul hectare de terre qui appartienne à
des colons. » Entre 5 000 et 6 000 Européens sont aussitôt expropriés. La
France ne réplique pas  ; il faut bien préserver les bases sahariennes utiles
aux essais nucléaires et aux pétroliers. De 1963 à 1966, la France fera
quatre essais atmosphériques et treize essais nucléaires sous terre à
Reggane, dans le Sahara algérien. Bien que les relations soient désormais
tendues avec la France, elles ne cessent jamais complètement, et
l’immigration de travailleurs algériens en France continue. Au nom des
accords signés…
L’Algérie poursuit sur sa lancée  : en octobre, la suite des
nationalisations est décidée, touchant cette fois les entreprises industrielles :
les moulins, les salines, les minoteries, les entreprises de transport, les
grands hôtels, les papeteries, les cartonneries, le tabac et les allumettes…
La France se contente d’engager avec Alger des conversations sur le prix du
vin et des agrumes qu’elle importe. Au nom des accords signés…
Très vite se posent d’autres problèmes propres à la France, à propos
d’organismes récemment inventés, de groupes humains mis en danger par
cette indépendance toute fraîche, pour l’avenir. Qui avait proposé la
création d’une Force locale  ? Il semble que ce soit une idée ancienne
lancée, dès janvier 1961, par un Comité des Affaires algériennes, donc bien
avant les accords d’Évian. En théorie, les effectifs de la Force locale,
hybrides franco-algériens, devaient compter entre 30  000  et
35 000 hommes ; le chiffre théorique sera porté à 80 000 à la demande du
GPRA. La Force locale devait composer, dans l’esprit des Français,
l’embryon d’une future armée algérienne, supposée remplacer l’ALN.
Durant les négociations d’Évian, le GPRA sera bien plus réservé  : les
Algériens entendent s’appuyer uniquement sur l’ALN. Ils s’opposent donc
à la présence de supplétifs de l’armée française dans la Force locale,
notamment les anciens des GMS, des gendarmes auxiliaires ou des
moghzani, ces supplétifs qui travaillaient aux côtés des SAS.
Pourtant, la Force locale est créée par l’arrêté interministériel du
30  mars 1962, une douzaine de jours après le cessez-le-feu. Il est prévu
d’utiliser les unités existantes en y puisant des soldats musulmans, qu’ils
soient engagés ou appelés, puisque de jeunes Arabes répondaient encore à
l’appel sous les drapeaux de la France. Cette nouvelle force est placée sous
l’autorité de l’exécutif provisoire dès le 21  avril 1962  ; elle relève, en
réalité, de l’autorité du haut-commissaire en Algérie, Christian Fouchet.
Les unités composant cette Force locale sont curieusement classées de
401 à 514 et apparaissent donc sous le sigle 401e  UFL, 402e  UFL (UFL
pour Unité de la Force locale). Pour l’encadrement de ces unités très
particulières – les volontaires ne courant pas les rues –, des petits gradés ou
des sous-officiers du contingent, parfois même des cadres d’active, y sont
mutés d’office. Inefficaces, parce que travaillant dans l’improvisation, les
Forces locales sont rapidement confrontées aux désertions massives des
Algériens incorporés dans ses rangs. Ceux-ci préfèrent prudemment
rejoindre les rangs de l’ALN. Les UFL perdent rapidement de leur utilité,
ce qui avait été prévu, puisque Pierre Messmer, alors ministre des Armées,
déclarait au Conseil des ministres du 18 avril 1962 : « Ce qui manque, c’est
l’impulsion. Cette force ne reçoit pas d’ordres. D’où certains flottements
dans ces unités qui pourrissent dans l’inaction. » En pratique, les unités de
la Force locale ne couperont jamais le cordon ombilical avec les régiments
français dont elles étaient issues. Elles seront dissoutes dès le 17  juillet
1962.
Les mutations d’office d’Européens vers la Force locale n’engendreront
pas de souvenirs émus ni beaucoup de récits. Les rares anciens à évoquer
cette période ne laissent entrevoir que de l’amertume.
Sergent au 3e  zouaves, Jacques Macé a laissé une trace écrite de ses
aventures à la 403e UFL :

Tous les Algériens servant dans les différentes compagnies du 3e zouaves, soit
comme engagés, soit comme appelés FSNA, furent affectés à notre unité. Ils furent
bientôt rejoints par des Algériens en provenance d’autres régiments du
Constantinois ; plus de 400 Algériens furent affectés à la 403e UFL et, du fait des
libérations d’appelés et des désertions, près de trois cents y demeurèrent jusqu’au
bout.

Jacques Macé note aussi une curieuse adaptation des « recrues » à leur
nouveau statut :
En dehors des missions de protection qui leur étaient confiées, les chefs de
section occupaient leurs hommes par des exercices et des marches. Pour maintenir
la cadence, ils tentaient de leur apprendre, sans grand succès, des chants militaires.
Un jour, une section rentra au camp en chantant avec ardeur en arabe. L’aspirant qui
la commandait en était tout fier. Nous étions cependant quelques-uns à écouter la
radio et à nous tenir informés des événements. Le dialogue suivant s’engagea :
— Vous avez entendu comme ils chantent bien, mes gars, quand ils veulent ?
— Ce sont eux qui vous ont proposé cet air, mon lieutenant ?
— Affirmatif.
— Vous savez ce que c’est ?
— Non. Mais ils m’ont dit que c’était un chant très connu.
— C’est l’hymne du FLN, futur hymne national de la République algérienne.

L’expérience de Jacques Macé dans la Force locale s’achève le 30 juin


1962. Les appelés de souche européenne doivent rejoindre la compagnie de
zouaves cantonnée à Bône :
Le 5 juillet, au lendemain de l’Indépendance, une unité de l’ALN avait encerclé
le camp. Les contacts furent froids, mais corrects. Les officiers français se retirèrent
sous la protection de la Légion. Les appelés algériens furent libérés et renvoyés
dans leurs foyers. En ce qui concerne les engagés, sans doute y eut-il quelques
règlements de compte… Une partie d’entre eux furent affectés aux travaux de
déminage de la ligne Morice et je doute que beaucoup en soient revenus. Mais
certains, qui avaient sans doute préparé leur conversion de longue date, furent
incorporés dans l’armée nationale ou l’administration algérienne. J’appris quelques
mois plus tard que l’un de nos anciens sergents-chefs était commissaire de police à
Bône.

Autre ancien d’une Force locale, la 504e  UFL, Camille Renaud a


raconté ce séjour forcé dans le supplément au no 369 du magazine Historia.
Il a été muté de force dans cette unité à son retour de permission :

Nous étions livrés aux ordres d’une armée arabe, commandés par des Arabes
que nous venions de combattre un mois auparavant. Certes, les gradés étaient de
bons militaires français. Mais tous les hommes étaient arabes. Ils étaient contents de
leur indépendance et nous le faisaient sentir. L’échéance fatidique approchait  : le
1er  juillet 1962, l’indépendance fut officielle. Nous sentions qu’il allait se passer
quelque chose. Les bruits les plus alarmants circulaient : trois « gus » avaient été
égorgés par leur peloton à El-Arricha ou ailleurs. Nous étions une quinzaine de
Français, y compris les gradés, perdus en plein djebel. Ce qui nous rassurait, c’est
que les gradés étaient à la même enseigne que nous. Effectivement, le 30  juin au
soir, un camion du régiment vint nous chercher. Le paquetage fut vite bouclé. Le
soupir de soulagement qui souleva nos poitrines à la sortie du camp reste, dix ans
plus tard, présent à ma mémoire. L’aventure « Force locale » était terminée. Dans la
nuit, le drapeau FLN remplaça le tricolore. L’épuration commença aussitôt. Tel
sergent assomma un autre sergent farouchement francophile, lui. Depuis dix ans, ils
mangeaient au mess l’un en face de l’autre […]. Nous venions de combattre le
FLN, depuis seize mois pour ma part. Du jour au lendemain, nous devions le servir.
Nous avions la nette impression d’avoir été livrés aux vaincus comme prisonniers
de guerre. Nous n’étions pas volontaires. Pour respecter je ne sais quelle clause
d’armistice, nous devions servir cette armée au drapeau incertain.

Gérard Margolis a 21  ans. Il est sous-lieutenant du contingent,


«  détaché  » de mars à juillet du 6e  RTA de Tlemcen à la Force locale
d’Oran. Son témoignage permet de comprendre que les « événements » du
5 juillet n’avaient rien de spontané :
Dans la nuit du 4 juillet 1962, vers 3 heures du matin, notre compagnie a été
investie par un détachement de l’ALN arrivant du Maroc. Nous avons été désarmés
manu militari et, sans explications aucune, mais avec des regards menaçants,
emmenés les mains en l’air dans une banlieue lointaine du quartier arabe. Nous
nous sommes arrêtés vers 5 heures du matin dans un endroit désert. Le capitaine et
moi-même avons été séparés de nos hommes et tout laissait présager que nous
allions être exécutés, car les conciliabules entre les chefs de l’ALN de notre groupe
semblaient ne faire aucun doute sur leur issue.
Nous avons été sauvés par l’intervention in extremis des chefs locaux du FLN
que nous connaissions bien pour avoir été en contact quotidien avec eux. Ils ont pu
témoigner de notre travail de trois mois pour contenir les débordements de l’OAS
ainsi que de notre parti pris pour l’indépendance de l’Algérie.  Le jour même, le
général Katz nous a fait tous deux embarquer définitivement pour la métropole.
Que sont devenus les 200 tirailleurs algériens ? J’aimerais bien le savoir.

Tous les «  Français de souche européenne  », mutés de force dans une


UFL, n’ont pu raconter leurs souvenirs, bons ou mauvais. Jean-Claude
Rousseau, maintenu sous les drapeaux le 1er mai 1962, à la fin de la durée
légale de son service, a été muté le 1er avril à la 470e UFL. Le 2 juillet, il est
porté disparu. Il ne reste de lui que le texte de la citation qui lui a été
accordée à titre posthume :

Jeune soldat courageux et dynamique de la 470e compagnie de la Force locale


stationnée à Reibell (Algérie).  Le 2  juillet, son unité, ayant été encerclée par des
éléments rebelles, a fait preuve d’abnégation et d’un mépris total du danger en
refusant de se laisser désarmer. A été tué au cours du combat qui s’est engagé.

L’armée dite régulière maintiendra plusieurs mois après l’indépendance


des unités sur place, soit environ 250  000  hommes. Il y a des
déménagements à organiser, de l’armement et des munitions à transférer.
Les régiments, essentiellement composés d’appelés du contingent, sont mis
à contribution.
Un jeune chasseur alpin, Roger Bové, se souvient de convois
ferroviaires entre Alger et Batna en septembre  1962  : il faut charger des
wagons à bestiaux avec le matériel que la France entend récupérer. En
chemin, la vieille locomotive diesel s’essouffle, s’arrête  ; les chasseurs
alpins descendent pour se dégourdir les jambes. Ils se retrouvent lapidés  ;
une volée de pierres, des plus petites aux plus grosses  : «  Nous étions un
semblant d’armée fantoche sur une terre à présent étrangère et en temps de
paix. Alors, une fois de plus, on a dû subir une nouvelle humiliation. » Les
chasseurs alpins, toujours avec Roger Bové comme témoin, survivent
enfermés dans leur cantonnement, un fort dans lequel ils vont célébrer le
11  novembre à huis clos  : «  En ce 11  novembre qui tombe un dimanche,
immortel anniversaire de l’armistice de 1918, nous sommes consignés au
fort, dans l’impossibilité de défiler avec notre drapeau dans les rues de
Bordj […]. Je ne comprendrai jamais pourquoi le gouvernement algérien
nous oblige et nous force à vivre terrés comme de vulgaires lapins, et
surtout en vase clos. » Par-dessus les murs du casernement, ils entendent les
injures que leur lancent les Algériens, ils voient, perchés sur la clôture, des
gamins leur adressant des bras d’honneur. L’intendance tente de leur faire
oublier ce jour sinistre  : au réfectoire, c’est un menu de gala qui leur est
servi.
André Aussignac apporte un sinistre éclairage sur certaines méthodes de
l’ALN. Il est un appelé du 23e RIMa stationné à Alger. Il quitte sa caserne
de Maison-Carrée, en uniforme, le 21 juillet 1962, lorsqu’il est enlevé par
des soldats de l’ALN qui déchirent ses papiers d’identité et le jettent dans
une camionnette. Avec 17 autres Européens, civils ou militaires, il se
retrouve dans une briqueterie, la peur au ventre. Quelques jours à craindre
que le four ne soit rallumé, puis suivent plusieurs semaines de marche
forcée, jusqu’à Miliana, où les captifs vont découvrir les travaux forcés
dans les couloirs souterrains de la mine de fer. Ils sont 60 dans le groupe
d’Aussignac à travailler sans repos, à crever de soif et de faim. D’autres
groupes piochent le minerai dans d’autres galeries  ; ils seraient donc
plusieurs centaines à Miliana. Parmi ses compagnons, il ne compte plus les
décès, les uns à bout de forces, les autres par suicide. S’évader  ? C’est
impossible. Il connaît deux échecs suivis de sanctions et de tortures. Il
réussit pourtant à sa troisième tentative. Il est sauvé par des pieds-noirs qui
le découvrent évanoui, nu, dans un fossé. Ils réussissent à l’embarquer pour
Marseille à bord d’un chalutier.
André Aussignac rejoint Bordeaux. Sa famille, sa fiancée, découvrent
un fantôme : de 70 kilos, il n’en pèse plus que 40. Ses mésaventures ne sont
pas achevées  : le 22  juillet 1963, les gendarmes viennent l’arrêter pour
« désertion en temps de paix » ! À l’hôpital militaire où il est conduit, une
fiche est épinglée sur la porte de sa chambre : « Individu dangereux, à ne
pas mettre en contact avec les autres recrues…  » Le tribunal militaire de
Bordeaux l’acquitte le 4  septembre 1963  ; la Sécurité militaire lui intime
l’ordre de se taire. Le 24 novembre 1963, le sénateur Étienne Dailly évoque
son cas au Sénat. André Aussignac ne parlera qu’à partir de 2002, en
accordant notamment une interview à l’hebdomadaire Le Point.
Certes, l’armée de métier n’a jamais eu d’existence légale durant les
«  événements d’Algérie  », puisque toutes les unités avaient leur petit
contingent d’appelés pour entretenir la fiction d’une armée de conscription.
Pourtant, ces appelés étaient rares, discrètement éparpillés chez les
parachutistes ou les tirailleurs. Or, l’armée devait aussi régler le sort de ces
hommes sous contrat, dont elle n’allait plus avoir l’usage.
Une dizaine de régiments ou de bataillons de tirailleurs algériens ont
traversé les «  événements », tous organisés sur le même modèle  : environ
80  % d’engagés volontaires, dits FSNA, le reste étant composés à parts
égales d’appelés du contingent, FSNA ou FSE, pour respecter les vieilles
dénominations administratives.
Au fil des mois, ces régiments1 allaient être dissous, souvent loin de
l’Algérie. Les appelés avaient été démobilisés ou mutés. Mais les hommes
sous contrat  ? Ont-ils été mutés dans d’autres unités  ? Ont-ils choisi
l’ALN  ? Le décompte paraît impossible à faire. Les unités de tirailleurs
paraissent bien avoir disparu, au terme de sinistres cérémonies, sur la pointe
des Pataugas, presque sans tambour ni trompette, sans nouba ni mouflon…
après avoir servi sur tous les champs de bataille du monde pendant plus de
un siècle.
Ainsi le 6e  RT, régiment de tradition de Tlemcen, est-il dissous au
printemps 1963, au camp de Sissonne. Le lieutenant Latanne avait quitté le
régiment dès la fin octobre  1962. Il se souvient de l’étrange ambiance au
lendemain du 5 juillet :
Il y a eu au régiment beaucoup de désertions après l’indépendance et la crainte
pour nous que les déserteurs ne se livrent  à des exactions pour  prouver
leurs  bons  sentiments  à  l’égard  des fellaghas. Dans  certaines  unités,  il  y a  eu  de
nombreux cadres français abattus par les déserteurs avant leur départ.

Au camp du 6e  RT, au col des Zarifètes, non loin de Tlemcen, Pierre
Latanne assiste, vers la fin de l’été 1962, à la destruction d’une partie du
matériel :
Un lieutenant ami organise un gigantesque tas de matériel (rangers, tenues, tout
à l’état neuf  ; livres de la bibliothèque du régiment) pour y mettre le feu.
J’étais  outré. J’ai  piqué au passage un magnifique ouvrage sur l’aéronautique,
magnifique livre album de grande taille relié cuir, et une paire de rangers
pointure 42… Manque de pot, rentré en France, je me suis aperçu que j’avais piqué
deux chaussures  du même pied. Bien mal acquis… Il  y  a  eu aussi beaucoup de
matériel radio détruit pour ne pas le laisser aux fels. J’ignore ce que l’on a fait des
véhicules et des armes.

La Légion étrangère quitte Sidi Bel Abbes aux premiers jours de


juillet  1962, sûrement bien plus tôt qu’il avait été annoncé au colonel
Vaillant.
Il n’y a pas de problème d’effectifs à la Légion : tous les hommes sont
des engagés sous contrat, sauf les Français, officiellement interdits dans ces
unités –  même si des francophones, Suisses, Canadiens ou Belges, ont
parfois l’accent chantant de la Provence ou la gouaille de titis parisiens…
La Légion part en ordre, ayant pris tout ce qu’elle peut transporter, y
compris le monument aux morts de Bel Abbes, démonté pierre par pierre et
qui sera reconstruit à Aubagne, la nouvelle maison mère. Là arriveront
presque clandestinement, à la fin septembre  1962, les reliques les plus
précieuses de la Légion : la main artificielle du capitaine Danjou, le héros
de Camerone ; les cendres du général Rollet, une des gloires de la Légion,
l’essentiel des richesses du musée…
Le colonel Vaillant continue de veiller au grain. Il a tout vu, tout connu,
tout su des tentations de ses officiers. Il a décidé de tout oublier pour sauver
sa Légion. Quelques mois plus tard, avec les généraux Lefort et Olié, un
détachement de légionnaires part pour le Mexique à l’occasion du
centenaire de la bataille de Camerone. Il s’agit, en réalité, de déplacer la
tombe du capitaine Danjou qui gêne les travaux d’agrandissement de la
gare. Vaillant peut être rassuré : « sa » Légion retourne au Mexique, intacte,
avec des putschistes d’avant-hier et des antiputschistes, avec ceux qui ont
choisi l’OAS et ceux qui se sont récusés  ; ceux qui ont espéré rejoindre
l’Ouarsenis et ceux qui ont refusé…
Le sort réservé aux harkis est un drame absolu, la honte de la France,
tant par l’ampleur du massacre que par la lâcheté du gouvernement en
place. Le «  Secours de France  » a retrouvé une citation du prix Nobel
d’économie, Maurice Allais, par ailleurs partisan de l’indépendance de
l’Algérie ; il qualifiait cet abandon de « décision barbare qui restera comme
un opprobre ineffaçable pour notre pays […] un crime contre l’humanité ».
Essayons d’être précis, car il faut bien savoir qui sont – ou ne sont pas –
ces « harkis ». Si nous nous en tenons à la définition la plus stricte, donc la
plus exacte, il devrait s’agir de supplétifs de l’armée française, autrement de
ces FSNA servant aux côtés des forces régulières. Ce sont des hommes
recrutés pour défendre les habitants des douars pour des raisons précises :
leurs régions comme leurs populations n’ont guère de secrets pour ces
paysans ou ces chasseurs. Leurs atouts sont la mobilité, la connaissance du
terrain, l’aide spontanée ou parfois sous contrainte de la population. Ils sont
également précieux pour retrouver les caches d’armes de l’ALN et les
rebelles disséminés et dissimulés dans la nature. Nombre d’entre eux sont
d’anciens fellaghas, faits prisonniers et «  retournés  », ou ayant fui l’ALN
parce qu’ils refusaient les exactions pratiquées contre leurs compatriotes.
Ceux-là connaissent bien les habitudes et les façons d’agir des fellaghas, et
ils ont pu ainsi contribuer efficacement à contrecarrer leurs actions. Leur
effectif réel approche les 250 000 hommes.
Peut-être convient-il de rappeler que, s’ils touchaient une solde,
modeste, ils n’avaient pas à espérer de retraite, d’assistance sociale, et les
familles ne percevaient aucune pension en cas de mort au combat. Mais très
vite après les «  événements  », le terme «  harki  » a été élargi à d’autres
catégories de musulmans ayant choisi de servir la France. Sous cette
appellation ont été regroupés les moghazni au service des SAS, les
membres des GMS, les employés civils de services officiels tels que les
mokadem ou gardes champêtres et autres appariteurs. Autant d’hommes qui
avaient tout à redouter du FLN devenant maître de l’Algérie, pour leur vie
et celles de leurs familles.
Des mesures avaient bien été mises à l’étude, ce qui ne signifie pas
qu’elles aient été efficaces. Dès le 25  janvier 1962, alors que le flux de
rapatriés européens prend de l’importance, de Gaulle donne ses instructions
au Conseil des ministres  : «  On ne peut pas accepter de recevoir tous les
musulmans qui viendraient à déclarer qu’ils ne s’entendront pas avec leur
gouvernement  ! Le terme de rapatriés ne s’applique évidemment pas aux
musulmans ; ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères ! » De Gaulle
lancera même, le 3  avril 1962, au cours d’une séance du Comité des
Affaires algériennes  : «  Il faut se débarrasser sans délai de ce magma de
supplétifs qui n’a jamais servi à rien. »
Le 4 mars 1962, avant le cessez-le-feu, le général Ailleret demande aux
autorités militaires de recevoir les demandes des harkis qui souhaiteraient
aller en métropole. Le 8  mars, le ministre des Armées, Pierre Messmer,
envoie une note d’information précisant les conditions de reclassement des
harkis dans l’armée française. Ceux-ci pourront bénéficier d’un contrat de
six mois non renouvelable, bénéficiant ainsi de la protection de l’armée
pendant cette période. La note précise :
Ils disposeront d’un large délai pour choisir leur voie, et nous pourrons les aider
efficacement d’abord en les démobilisant intellectuellement, en les employant à des
tâches non militaires… La difficulté d’une adaptation brutale en France d’un harki
doit être expliquée aux intéressés.

Indépendamment de cette possibilité de contrat de six mois, il leur est


offert le choix entre un licenciement avec prime ou un engagement dans
l’armée régulière, sous réserve d’être célibataire et en bonne condition
physique. Du 1er mars au 1er mai 1962, les effectifs des harkis se dégonflent
très artificiellement  : les désertions représentent 3,5  % des départs, les
engagements dans l’armée 6 %, les contrats civils 11 % et les licenciements
avec prime 80 %.
Dès les premiers massacres de harkis, au mois de mars et avril 1962, les
ministres français sont tenus informés. À partir de mars 1962, les contacts
entre le FLN et la population se multiplient. Les harkis reçoivent aussi bien
des menaces que des promesses de pardon, conditionnées le plus souvent au
reversement de leurs primes de licenciement au profit des autorités
algériennes… De nombreux musulmans, venus se placer sous la protection
de l’armée française pour échapper aux menaces, demandent à partir pour la
métropole. Il ne s’agit donc plus seulement des harkis, mais de toutes les
catégories d’anciens supplétifs.
Le 12 mai 1962, Pierre Messmer adresse un télégramme à Alger :
Il me revient que plusieurs groupes d’anciens harkis seraient récemment arrivés
en métropole. Je vous communiquerai dès qu’ils seront en ma possession les
renseignements précis sur l’importance et l’origine de ces groupes ainsi que, si
possible, sur les responsables de leur mise en route. Dès maintenant, toutefois, je
vous prie d’effectuer sans délai enquête en vue déterminer conditions départ
d’Algérie de ces groupes incontrôlés et sanctionner officiers qui pourraient en être à
l’origine.

Le 16 mai suit une autre directive, de Louis Joxe à Christian Fouchet :


Les renseignements qui me parviennent sur les rapatriements prématurés des
supplétifs indiquent l’existence de véritables réseaux tissés sur l’Algérie et la
métropole et dont la partie algérienne a souvent pour origine un chef SAS. Je vous
envoie au fur et à mesure la documentation que je reçois à ce sujet. Vous voudrez
bien faire rechercher tant dans l’armée que dans l’administration les promoteurs et
les complices de ces entreprises et faire prendre les sanctions appropriées. Les
supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement seront,
en principe, renvoyés en Algérie où ils devront rejoindre, avant qu’il soit statué sur
leur destination définitive, le personnel déjà regroupé selon les directives des 7 et
11 avril. Je n’ignore pas que ce renvoi peut être interprété par les propagandistes de
la sédition comme un refus d’assurer l’avenir de ceux qui nous sont demeurés
fidèles, il conviendra donc d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure ;
mais ce qu’il faut surtout obtenir, c’est que le gouvernement ne soit plus amené à
prendre une telle décision.

Combien de harkis furent exécutés  ? Le nombre ne sera jamais connu


avec exactitude. Le chiffre le plus souvent avancé tourne autour de
60 000 victimes ; sans doute n’est-ce qu’une moyenne entre les estimations
hautes et basses. Les conditions de leurs mises à mort sont insupportables,
de l’égorgement aux mutilations extrêmes, jusqu’aux plongeons au fond
d’un puits ou dans l’huile bouillante… Combien passèrent des années dans
les geôles algériennes  ? Nous l’ignorons, même si de rares témoignages
peuvent aujourd’hui nous éclairer.
Messaoud Guerfi est l’un de ceux qui ont cru pouvoir rester au pays. Il
avait ses raisons pour cela : une famille à charge, sa mère et quatre frères
dont le plus jeune était âgé de 6 ans. Il pense être en état de les faire vivre ;
la famille a un peu de terre, un petit magasin. Pourtant un jour, le FLN vient
l’arrêter. Il est emprisonné, interrogé, sans violence note-t-il. Il est libéré et
s’imagine tiré d’affaire. C’est sans compter sur une dénonciation… Cette
fois, c’est un camp de travail qui l’attend, à la frontière algéro-tunisienne. Il
s’agit de déminer la ligne Morice. Bien peu d’hommes expédiés là par le
FLN y ont survécu. Messaoud Guerfi, lui, bénéficie d’un jour de repos.
C’est suffisant pour disparaître, aidé par sa famille. Un bateau pour
Marseille, la douane franchie et les choses s’éclaircissent… Son ancien chef
de bataillon prend les choses en main. Il trouve un travail, s’intègre,
accueille d’autres familles. Aujourd’hui retraité, il se consacre à ses
compatriotes, qu’il assiste dans leurs démarches administratives.
Ammar Kenouia a servi de 1957 à 1962 dans une harka. Il est un de
ceux qui, croyant aux accords d’Évian, sont restés en Algérie après
l’indépendance. Le mauvais choix… Arrêté, il est emprisonné à Maison-
Carrée avec d’autres harkis. En 1964, après une visite de la Croix-Rouge
qui prend leurs noms, il est transféré à Berrouaghia où il attend d’être jugé,
éventuellement condamné. Il connaît alors les travaux forcés à travers le
Sahara, à Colomb-Béchar, Tindouf, Reggane. Avec ses codétenus, il
démonte les installations de recherche nucléaire des Français. La chance
tourne en 1968 : il est en résidence forcée à Colomb-Béchar, avec le droit
de sortir en ville une fois par semaine. Il gagne un peu d’argent :
À plusieurs nous avons économisé. Nous avons pris un taxi jusqu’à la première
gare, puis le train pour Alger et nous sommes allés au consulat de France, qui nous
a rapatriés. Je suis arrivé en France le 3 octobre 1968. J’avais été enfermé pendant
six ans. Aujourd’hui, je pense à tous ceux qui n’ont pas eu ma chance, au père de
ma femme, un ancien sergent-chef de l’arme française jeté vivant dans un puits, aux
harkis et à leurs familles massacrés dans des conditions terribles.

Il semblerait qu’en 1962 soient officiellement arrivés en France


42  500  harkis et leurs familles et que 40  000  autres y soient entrés
clandestinement, parfois individuellement, plus souvent sauvés par les
officiers qui ne pouvaient se résoudre à abandonner leurs hommes.
Contrairement aux Européens, ils ne sont pas considérés comme des
« rapatriés », mais comme des « réfugiés ». Parmi ces réfugiés clandestins
figurent les hommes de  l’ancien commando Yatagan, attaché à la DBFM,
évacué parce que la Marine nationale avait ses navires. Un autre commando
réputé, Georges, n’a pas eu cette chance  ; rares sont ceux qui ont survécu
aux tueurs du FLN. Il ne faut pas oublier un petit groupe de « harkettes »,
jeunes femmes enrôlées et armées pour la sauvegarde d’un douar : aucune
d’entre elles n’a échappé au massacre.
Des officiers ont volé des bateaux de pêche, comme l’ancien patron de
la SAS de Bordj Arima, dans les Beni Ouarsous, Gilles Grout de Beaufort,
détournant une barcasse à Beni-Saf. D’autres ont affrété un navire à leurs
frais, comme le colonel Lallemand, commandant le 22e  RI, à Ténès, qui a
fait embarquer tous ses harkis et leurs familles ayant choisi la France. Son
fils, lieutenant, fait braquer des fusils-mitrailleurs sur les gendarmes
mobiles voulant s’opposant au départ. Le sous-lieutenant de Kervonaël, du
28e dragons, rapatrie 30 harkis avec leurs familles et les transporte en taxi
d’Affreville à Alger. Mais là, surprise, les gendarmes aident tout le monde à
embarquer. Ces harkis sont installés dans un domaine agricole familial du
Minervois. Le 9  juillet 1962, le lieutenant Meyer évacue ses hommes de
Geryville à Oran par la route. Le colonel Fresson, patron du 23e spahis, lui
fournit une escorte blindée, avec consigne d’ouvrir le feu sur l’ALN en cas
de barrage routier !
Il ne faut pas s’y tromper, ils n’ont été que quelques dizaines à agir de la
sorte, à oublier les ordres reçus et souvent à le payer de la suite de leur
carrière.
Que fait la France pour ceux qu’elle considère comme des réfugiés  ?
Elle les installe dans des camps dits de transit ou de reclassement. Sept sites
sont choisis. Ils ont tous un passé déjà lourd  : Bias (Lot-et-Garonne),
Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), La Rye-Le Vigeant (Vienne), Larzac-La
Cavalerie (Aveyron), Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard), Rivesaltes
(Pyrénées-Orientales). Au fil des décennies ont été internés dans ces camps
les réfugiés espagnols républicains, puis, sous Vichy, les juifs et les
tziganes. Ensuite ce sont les prisonniers de guerre allemands, des rapatriés
asiatiques ou eurasiens d’Indochine, enfin les Algériens suspectés
d’appartenir au FLN, et même, pour Saint-Maurice-l’Ardoise, des
sympathisants OAS qui parfois, après une évasion réussie, rejoindront
l’Algérie. Suit la création de chantiers forestiers, qui sont des manières de
ghetto, sans grand espoir d’intégration. Parce que ces réfugiés sont isolés, la
langue reste un barrage, les enfants fréquentant rarement les écoles.
La famille Chaouaou arrive à Marseille le 30  novembre 1962. La
traversée s’est faite sur un cargo à bestiaux, sans aucun confort sanitaire.
Des cars les attendent sur le quai pour les conduire à Saint-Maurice-
l’Ardoise. Ils passent l’hiver dans des tentes militaires, dites Marabout,
qu’ils partagent à deux ou trois familles, sans chauffage, sans hygiène. Au
bout de six mois en ce lieu, ils se retrouvent en avril 1963 au camp Joffre, à
Rivesaltes, camp de transit où ils s’entassent dans des baraquements
insalubres. Il y a chaque matin un rassemblement pour diriger les hommes
vers de modestes travaux ou un semblant d’apprentissage, le droit de
circuler étant strictement contrôlé. Des commerçants viennent au camp
vendre des fruits et des légumes. Les jeunes filles sont autorisées à
participer à la récolte des abricots et aux vendanges. Un service
administratif cherche des emplois pour les hommes, souvent vers les zones
industrielles du Nord ou de Lorraine, ou vers les chantiers forestiers de la
Provence. La famille Chaouaou et quelques autres partent pour Orléans en
octobre 1963. Là les attendent des appartements préfabriqués, une vie plus
normale ; mais la barrière de la langue subsiste pour les plus âgés.
Le calvaire de Mohamed Djafour et de sa famille commence le
22 juillet 1962, dans leur village de Kabylie. Son père, qui a combattu pour
la France pendant la Seconde Guerre mondiale, est enlevé par deux
membres du FLN. Il dit à son fils  : «  Attends-moi là, je reviens tout de
suite. » Mohamed ne reverra son père que des mois plus tard, dans un camp
de travail  : «  Le FLN, explique-t-il, forçait les familles à venir voir les
prisonniers travailler sur le bord des routes, une fois par mois. On les voyait
se faire battre à coups de crosses de fusils et de gourdins. »
Pour la famille Djafour, une opportunité pour fuir se présente en 1968.
Le père bénéficie à partir de cette année-là de permissions de vingt-quatre
heures. La famille élabore un plan d’évasion. Surveillés par les policiers et
le FLN, ils parviennent pourtant à rejoindre l’ambassade de France à Alger :
« On avait deux maisons, 30 hectares de terres, d’arbres fruitiers, d’oliviers,
des troupeaux de chèvres. » Ils laissent tous ces biens derrière eux lorsqu’ils
prennent le bateau pour Marseille, en 1968.
Tayeb Kacem se souvient de l’attitude de leurs voisins  : «  Sur notre
appartement, HARKIS était marqué à la craie blanche. On n’osait pas effacer.
Les gens disaient ce mot dans la rue sur notre passage. On nous balançait
des cailloux dans notre cour.  » La famille Kacem laisse ses biens derrière
elle lorsqu’elle prend le bateau pour Marseille, en 1963. Après une année
dans des centres de transit, les Kacem sont transférés au camp de Bias, dans
le Lot-et-Garonne. «  On le surnommait le camp des “irrécupérables”  :
c’était celui pour les victimes de guerre sévèrement blessées, explique
Tayeb Kacem. Grâce à mon oncle, militaire, on a pu sortir du camp. Mais
certains sont restés jusqu’à la fermeture, en 1975. » C’est également le cas
de la famille Djafour, arrivée en 1968, qui restera là sept ans : « On a vécu
un enfer. Les instructeurs n’en avaient rien à faire de nous. Il y avait des
morts, des bagarres à la hache, à la carabine  », se souvient Mohamed
Djafour. Quelques cas parmi des milliers…
L’armée française a elle aussi ses doutes. Combien de militaires ont
disparu en Algérie  ? Elle s’en inquiète encore en 2020, puisqu’une
association qui entend élever un monument en souvenir de ces disparus
travaille toujours à leur recensement, la Soldis, animée par le général
Henry-Jean Fournier. La Soldis estime à environ un millier le nombre des
hommes de tous âges et de tous grades disparus en opération, dans une
embuscade, ou bien faits prisonniers, mais jamais libérés. Étant entendu que
le concours des familles est nécessaire à cette association et que les
précisions sont de rigueur, pour ne pas mêler une poignée de déserteurs, ni
d’ailleurs d’hommes décédés accidentellement ou de maladie, à ces
victimes du conflit2.
Restent les civils européens disparus. Le chiffre exact restera, lui aussi,
inconnu. Pour la période des « événements », entre le 1er novembre 1954 et
le 19  mars 1962, le chiffre de 875 Européens disparus est généralement
retenu ; mais pour les mois qui ont suivi le cessez-le-feu, il sera question de
3 000 à 6 000 disparitions d’Européens et de 30 000 à 150 000 disparitions
de musulmans. Dans un article du Figaro paru le 12 novembre 1964, il est
fait état de 6 000 ou 6 500 enlèvements entre le 19 mars et le 31 décembre
1962  ; ce sont des chiffres d’enlèvements et non pas de disparus,
simplement la certitude que les enlèvements – et donc les disparitions – se
sont poursuivis bien après l’indépendance.
Une première statistique est présentée devant l’Assemblée nationale par
Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, le 4  août 1962. Celui-ci
annonce le chiffre officiel des disparus durant les «  événements  », donc
avant le 19 mars 1962 : 375 au total. Il évoque également le bilan des morts
et des blessés entre 1954 et mars  1962  : 2  788  tués et 7  541  blessés. Il
s’agit, en fait, des seuls Français dits « de souche européenne ». Louis Joxe
reconnaît que les Français de souche nord-africaine furent beaucoup plus
nombreux parmi les victimes du terrorisme FLN  : 16  378  tués,
13 610 blessés et 13 296 disparus avant le 19 mars 1962. Mais tout cela ne
concerne que la période antérieure au 19 mars.
Selon le secrétaire d’État aux Affaires algériennes Jean de Broglie,
intervenant devant le Sénat le 24  novembre 1964, sur 3  018  personnes
signalées comme disparues du 19 mars au 31 décembre 1962, seules 1 245
auraient été retrouvées. Cela fait donc 1 773 disparus.
Guy Pervillé, professeur d’histoire contemporaine à l’université de
Toulouse-Jean-Jaurès, retient les chiffres déjà cités par Louis Joxe  :
375 disparus avant l’indépendance, donc avant les massacres d’Oran ; puis
il confirme le bilan avancé par Louis Joxe pour les FSNA –  victimes du
terrorisme FLN : 16 378 tués et 13 296 disparus ; soit 29 674 victimes du
FLN et, parmi celles-ci, bon nombre de harkis.
Jean-Jacques Jordi, historien, a travaillé à la mission interministérielle
aux rapatriés de 2008 à 2010. Après l’étude des dossiers du Quai d’Orsay,
datant de 2007, il retient 2  267  cas d’Européens posant problème. Mais il
n’enregistre que le chiffre de 1  614  disparus. Il explique notamment cette
différence par les cas de personnes rentrées en France ou vivant toujours en
Algérie et celles dont les corps ont été retrouvés et inhumés.
Jean-Jacques Jordi note également que la France a eu connaissance de
«  camps de travail  » où des détenus européens étaient écroués sous des
noms d’emprunt, pour déjouer les recherches de la Croix-Rouge. De tels
camps ont existé au Maroc et en Tunisie. Il fait aussi état d’enlèvements de
femmes autour de l’indépendance, celles-ci se retrouvant dans des maisons
de tolérance. Celles qui ont échappé à l’enlèvement, mais pas au viol, ont
pu porter plainte contre leurs agresseurs, pour constater qu’aucun de ceux-ci
n’allait faire l’objet de poursuites.
 
Sur le mémorial national de Perpignan, le Cercle algérianiste a gravé sur
ses stèles 2  413  noms d’hommes, de femmes ou d’enfants, civils et
militaires, de tous âges, de toutes confessions, disparus en Algérie entre
1954 et 1963, la plupart après le 19 mars 1962. Un arrêté paru au Journal
officiel du 12 avril 2020 – en application du paragraphe 2 de l’article L 213
du code du patrimoine –  permet aux citoyens, aux chercheurs et aux
administrations l’accès aux archives publiques relatives aux disparus durant
la guerre d’Algérie, conservées aux Archives nationales. Il est toutefois
précisé que cet arrêté ne concerne qu’une centaine de dossiers. Une très
discrète goutte d’eau…
Des chiffres, rien que des chiffres, froids, glaçants, pour oublier, ou
pour cacher, des détresses sans fin. Et comment ne pas citer le président
Boumediene, déclarant le 26  janvier 1971, soit neuf ans après
l’indépendance :
À Paris, on semble ignorer que nous détenons un grand nombre d’otages
français. Quand il le faudra, nous en communiquerons la liste à la presse, d’où une
émotion considérable en France. Alors, pour obtenir la libération de ces otages, il
faudra y mettre le prix…

1.  Neuf unités de tirailleurs (les 1er, 2e, 3e, 4e, 5e, 6e, 7e, 21e, 22e), composées
majoritairement de Français de souche nord-africaine (FSNA), engagés volontaires, participèrent à la
guerre d’Algérie.

2.  Soldis Algérie, 15, rue Thiers, 24000 Périgueux.


ANNEXES

 
Annexe no 1

Que sont-ils devenus ?

Tous ces hommes qui ont choisi la rébellion, souvent pour honorer la
parole donnée, parfois par désespoir, connaîtront des fortunes diverses,
autour de ces deux thèmes essentiels qui ont un point commun : ne pas se
renier. Leur choix était donc court : accepter la sanction ou se faire oublier.
Les uns, qu’ils aient été faits prisonniers dans l’Ouarsenis, qu’ils aient été
arrêtés à Alger, Oran ou Constantine, savaient qu’ils achèveraient leur
parcours devant un tribunal, puis en détention. Les autres ont cherché le
chemin de l’exil, l’ont trouvé et sont partis vers l’Italie, l’Espagne,
l’Afrique du Sud ou l’Argentine.

ACHARD Jacques (1927-1984)


Jacques Achard fréquente Raoul Salan en Indochine : administrateur de
la France d’outre-mer, il l’assiste dans le transfert des Nungs, du Tonkin,
tombé aux mains du Viêt-minh, vers la Cochinchine. Ensuite, il appartient à
son cabinet civil à Alger, en 1958. Sous-préfet de Collo (Algérie), puis
attaché d’ambassade à Abidjan, il quitte la Côte d’Ivoire pour rallier Salan
en exil en Espagne, avant de participer au putsch de 1961. Il rejoint l’OAS
et fait partie, à Alger, du «  soviet des capitaines  ». En  1962, il s’exile en
Belgique, en Espagne puis au Mexique, avant de rentrer en France en 1971.
BAZIN Paul, commandant (1917-1962)
Saint-cyrien de la promotion 1938-1939, « De la plus grande France »,
Paul Bazin a combattu en Italie, où il a été blessé à Castiglione d’Occia, en
Indochine, où il a été blessé une seconde fois au Cambodge, puis en
Algérie. Le plus long de sa carrière s’étant déroulé chez les tirailleurs,
tunisiens puis algériens, avec un passage aux affaires sahariennes, il était,
plus que d’autres, déchiré par le drame se jouant en cette année 1962. Il est
le dernier officier français tombé au combat face à l’ALN. Son corps est
récupéré par une unité régulière de l’armée et est identifié. Il est ensuite
rendu à sa famille et repose depuis au cimetière de Garches (Hauts-de-
Seine). Dans son annuaire, la société la Saint-Cyrienne n’oublie aucun des
officiers s’étant engagés du côté de l’OAS. Paul Bazin y figure donc, avec
la mention –  légale  – «  Mort pour la France  », qui lui a été reconnue en
janvier  1967. Ses enfants ont été déclarés officiellement pupilles de la
Nation. Il était chevalier de la Légion d’honneur, croix de guerre 39-45,
croix de guerre des TOE avec palme, croix de la valeur militaire.

BOUALAM Ali, fils du bachagha


Il figure en 14e  position sur une des listes des maquisards de
l’Ouarsenis, sans autre précision. Le bachagha n’ayant eu que deux fils en
âge de rejoindre le maquis, il peut donc s’agir effectivement de Ali, mais
Mohamed est également cité par plusieurs auteurs. Abd el-Kader, le
troisième fils du bachagha, avait déjà été assassiné par le FLN.

BOUALAM, bachagha Saïd (1906-1982)


À partir de juillet 1962, le bachagha se retire en Camargue, avec tous les
siens, à Mas-Thibert. Lors de son arrivée en métropole, Boualam est
toujours vice-président de l’Assemblée nationale, où il intervient une
dernière fois le 28 juin 1962 :
Nous avions gagné et vous nous avez désarmés. Nous avions battu l’ALN et
vous l’avez implanté. Nous avions choisi, nous étions déterminés et vous nous
laissez exterminer. Le choix était alors simple : ou nous laisser égorger, ou fuir vers
la métropole pour sauver nos enfants…

Une semaine plus tard, comme les 68 députés et les 34  sénateurs
d’Algérie, il n’a plus le droit de siéger. Ils sont démis de leurs mandats par
le général de Gaulle : l’Algérie est indépendante depuis le 4 juillet 1962 !

BRANCA Guy, capitaine du 2e REP (1926-2016)


Cet officier de la Légion ne s’attarde pas dans l’Ouarsenis  : avec son
camarade Arfeux, il gagne Sidi Bel Abbes en Jeep pour tenter de rallier la
Légion à leur combat. Mais, rien ne se produisant, Branca rejoint Alger
pour y continuer le combat. Le 6  juillet 1962, costumé en officier de
marine, il embarque sur un bâtiment de la Royale, gagne Toulon, se réfugie
un temps en Corse, puis s’exile en Afrique du Sud. Le temps de l’amnistie
venu, il se fixe à Orange, sans jamais oublier son engagement pour
l’Algérie française. Commandeur de la Légion d’honneur, titulaire de onze
citations, dont six avec palmes.

CAMELIN Lucien, commandant (1924-1982)


Lors du putsch des généraux, il tente de rejoindre Oran avec ses
légionnaires du 5e REI. Jugé le 20 juillet 1961, il est condamné à trois ans
de prison avec sursis, donc rayé des cadres de l’armée. Il passe
immédiatement en Algérie et rejoint l’OAS ; il devient l’adjoint du général
Jouhaud pour l’Oranie. Arrêté, il est condamné à dix ans de réclusion, qu’il
effectue à la Santé, puis à Tulle. Officier la Légion d’honneur, titulaire de
onze citations dont trois avec palmes.

CHATEAU-JOBERT Pierre, colonel (1912-2005)


Ancien des Forces françaises libres –  dans lesquelles il sert sous le
pseudonyme de Conan –, il participe à la Seconde Guerre mondiale, avant
d’effectuer deux séjours en Indochine. Il rejoint ensuite l’état-major
d’Alger, puis commande le 2e RPC, avec lequel il est parachuté à Port-Saïd
en novembre  1956. En 1961, il est au Niger, mais il se solidarise avec
Maurice Challe, ce qu’il paye de plusieurs mois de forteresse. Lorsqu’il
rallie l’OAS, Salan le nomme responsable du Constantinois. Il quitte
l’Algérie le 30  juin 1962 à bord d’un cargo qui le ramène en métropole,
après quoi il s’exile en Espagne et tente d’y poursuivre le combat.
Condamné à mort par contumace, il réapparaît à Morlaix en
novembre 1968, après l’amnistie de juin 1968. Commandeur de la Légion
d’honneur, compagnon de la Libération, il est titulaire de onze citations.

DELHOMME Pierre, capitaine (1927-2002)


Né à Sétif (Algérie), il s’engage en 1947 dans l’armée de l’air et fait
deux séjours en Indochine. En 1956, appartenant aux commandos de l’air, il
est nommé sous-lieutenant au feu (fait rarissime). Il participe au putsch des
généraux, choisit de déserter et rejoint l’OAS. Au maquis de l’Ouarsenis, il
est blessé et fait prisonnier. Il refuse de passer en jugement. Il y fait lire une
déclaration par laquelle il s’accuse de ne pas avoir exécuté le chef de l’État
alors qu’il en avait eu l’occasion. Il se retrouve condamné trois fois : à trois
ans, puis à vingt ans de prison, enfin à la réclusion criminelle à perpétuité.
Une tentative d’évasion lui vaut un transfert pour trois ans à la centrale de
Ensisheim, après quoi il se retrouve au bagne de l’île de Ré, jusqu’à
l’amnistie de 1966.

FERRANDI Jean, capitaine (1920-1989)


Après les campagnes de France et d’Allemagne, il est en Indochine à
partir de 1945, où il effectue plusieurs séjours, notamment au 2e  Bureau,
service qui met en garde le général Navarre sur les risques pris avec
l’implantation du camp de Diên Biên Phu. De juin à octobre 1954, il est au
cabinet du général Salan, revenu en Indochine comme adjoint du général
Ely. Il suit Salan à Alger dès sa nomination, puis à Paris après sa mutation.
En 1959, Jean Ferrandi songe à une carrière civile et il obtient sa mise en
disponibilité. Dès l’été 1960, il rejoint le général Salan interdit de séjour en
Algérie et qui s’exile en Espagne, où il l’accompagne. Un ordre du
ministère des Armées annule sa mise en disponibilité et lui ordonne de
rejoindre le 31  décembre le centre d’instruction des troupes de marine à
Fréjus. Ferrandi répond par une demande de mise à la retraite. Il est déclaré
déserteur le 16  janvier 1961, inculpé et condamné en mars  1961, par
contumace, à dix ans de prison.
Condamné à mort par contumace le 2 mars 1962 pour sa participation
au putsch d’Alger, il est finalement condamné à une lourde peine de
détention criminelle après son arrestation d’avril 1962. Gracié, il est libéré
en 1966.

GARDES Jean, colonel (1914-2000)


Dès sa sortie de Saint-Cyr, il participe aux combats de la guerre 1939-
1945  ; prisonnier, il s’évade, gagne l’Afrique du Nord et participe à la
campagne d’Italie. Puis il rejoint l’Indochine, où il combat avec un bataillon
de tirailleurs algériens. Affecté au Maroc, il prend en charge le 2e  Bureau
chargé du renseignement. Ses services avisent Alger du décollage d’un
avion à destination de Tunis avec, à son bord, plusieurs chefs FLN, dont
Ben Bella. En 1958, il est à Alger, où le général Salan le nomme à la tête de
l’action psychologique. Compromis dans l’affaire des barricades, il est jugé
à Paris, acquitté, mais reste sans affectation. Il rejoint l’OAS. Après l’échec
du maquis de l’Ouarsenis, il disparaît, gagne l’Argentine, qui a une très
ancienne tradition d’hospitalité envers les personnes en délicatesse avec le
régime politique de leur pays. Il monte une usine de charcuterie aux
environs de Buenos Aires ; il y fait fabriquer les « pâtés de la tante Claire »
qui fournissent la table du restaurant que tient Mme  Gardes mère, rue du
Bac, à Paris. Amnistié, il rentre en France et renoue avec les milieux
politiques proches de l’extrême droite.

GARDY Paul, général (1901-1975)


Ancien inspecteur général de la Légion étrangère, il quitte Oran à la fin
juin 1962 et poursuit en exil sa vie de clandestin. Il avait été condamné mort
par contumace le 11  juillet 1961 pour sa participation au putsch des
généraux d’avril et avait déjà choisi de disparaître. Il rejoint en Argentine sa
fille, Nicole, et son gendre, Michel Bésineau. Il meurt, comme beaucoup
d’Argentins, à un passage à niveau, où il est de bon ton de foncer sans
s’occuper de rien. Mais lui ne jouait pas à la roulette russe : il ignorait que
des routes importantes pouvaient couper des voies ferrées sans aucune
protection…

GODARD Yves, colonel (1911-1975)


Officier de carrière. Évadé d’Allemagne, il commande les FFI du
plateau des Glières en 1944. il sert au 11e  choc, en Indochine, puis en
Algérie, participe au putsch du 22 avril 1961 et entre dans la clandestinité.
Il est en 1962 un des dirigeants de l’OAS, puis il disparaît jusqu’en 1967.
Condamné à mort deux fois par contumace, amnistié en 1968, il se fixe en
Belgique, où il dirige une entreprise de revêtement de sol. Il meurt en 1975
à Lesines. Il était commandeur de la Légion d’honneur.

GONNAUD Michel (?-2013)


Sa présence au maquis de l’Ouarsenis lui coûte dix ans de réclusion
criminelle, peine ramenée à cinq ans, puis réduite à deux ans de prison. Il
est interné au camp de Thol. Libéré, il reprend contact avec ses amis
algérois, notamment Jacques Roseau, président d’une association
représentant les rapatriés, le Recours-France. Ensemble, ils gèrent une
boutique de vêtements d’enfants, Mini-Fring, rue d’Auteuil à Paris, puis
deux succursales en banlieue. Ils montent également une société d’édition
publicitaire, Alpha-Presse. Les deux hommes se séparent en 1978, Roseau
étant trop accaparé par ses activités militantes. Michel Gonnaud se retire à
Villeneuve-Loubet, dans les Alpes-Maritimes, où il finit sa vie.

GOREL Raymond, colonel (1914-1968)


Intendant militaire, il demande un congé spécial qui lui permet de
rejoindre l’OAS. Sous le pseudonyme de Cimeterre, il devient le
responsable financier du mouvement clandestin. Arrêté à Marseille en 1962,
il est jugé et condamné à douze ans de réclusion. Interné à Fresnes, puis à
Toul, il bénéficie des lois d’amnistie. Il disparaît le 20 décembre 1968, en
quittant son domicile de Malakoff. Il aurait été soupçonné de détenir les
reliquats du trésor de guerre de l’OAS. Jean-Jacques Susini est un moment
suspecté de son enlèvement, puis blanchi, faute de preuves.

GUILLAUME Pierre, lieutenant de vaisseau (1925-2002)


Élève de l’École navale, il sert en Indochine. En 1954, il décide de
rentrer en métropole à la voile, sur un ketch de 8  mètres, aventure qui
s’achève sept mois plus tard par un naufrage sur la côte somalienne. La
mort au combat de son frère conduit les sous-officiers de son commando à
demander son remplacement par Pierre Guillaume, qui sera donc breveté
parachutiste avant de prendre la tête du commando « Guillaume ». Retourné
dans la marine, il choisit d’appuyer le putsch d’avril  1961. Devant le
tribunal, il proclame haut et fort sa responsabilité ; il est condamné à quatre
mois de prison avec sursis et, comme il l’avait annoncé au tribunal, il
rejoint aussitôt l’OAS. Le général Salan l’affecte auprès du général
Jouhaud, qui lui confie l’intérieur de l’Oranais. Arrêté le 24 mars 1962, il
est transféré dès le lendemain à Paris, condamné à huit ans de détention
criminelle ; il connaît les prisons de Fresnes, Melun, Rouen, puis Tulle. Il
est libéré le 1er  avril 1966. Commence pour lui une nouvelle vie dans les
milieux maritimes, ce qui le conduit à fournir un bâtiment à Bob Denard et
à participer à l’affaire des Comores. Il rejoint ensuite l’Arabie saoudite, où
il participe notamment à la cartographie des côtes et aux études
hydrographiques. Rentré en France, il se partage entre la Bretagne et Paris,
participant chaque semaine à une émission de Radio Courtoisie. Son
surnom de Crabe tambour lui vient du film éponyme de Pierre
Schoendoerffer, inspiré d’une partie de ses aventures. Officier de la Légion
d’honneur, titulaire de huit citations, dont deux avec palmes.

HOLSTEIN Michel, sous-lieutenant


Né à Sétif en Algérie, il intègre Saint-Cyr en 1959. Il est en stage
d’application à l’école de Saint-Maixent lorsqu’il déserte en
décembre  1961, à  l’occasion d’une permission chez ses parents à Sétif.
Passé à l’OAS, il devient à Alger l’adjoint du capitaine Montagnon. Arrêté
aux dernières heures du maquis de l’Ouarsenis, il est transféré à l’école de
police de Hussein-Dey où il retrouve Montagnon, Madaoui, Pouilloux et
Prohom. Ils sont bientôt de nouveau réunis à Paris, tous détenus à la prison
de la Santé.
Condamné à trois ans de prison, puis amnistié.

JOUHAUD Edmond, général (1905-1995)


Arrêté le 25 mars 1962, il est condamné à mort le 13 avril 1962 par le
haut tribunal militaire. Sa peine est commuée en détention criminelle à
perpétuité le 28 novembre 1962, après deux cent quatre-vingt-dix-neuf nuits
passées dans la cellule de condamné à mort, à attendre son exécution.
Libéré de la prison de Tulle en décembre 1967, il est amnistié en 1968 et
réintégré dans ses grade et prérogatives en 1982. Il est élu en 1969 à la
présidence du Front national des rapatriés. Grand officier de la Légion
d’honneur, il était titulaire des croix de guerre 1939-1945, des territoires
d’outre-mer et de la valeur militaire.

KATZ Joseph, général (1907-2001)


Le 4  août 1962, un mois après les massacres d’Oran, est attribué au
général Katz la croix de la valeur militaire avec palme  : il aurait su, le
5  juillet, «  rétablir et préserver avec force et dignité l’autorité légale et
l’ordre public ». Il quitte Oran le 13 août 1962 pour un commandement en
Allemagne. Il est nommé fin 1963 à la tête de la région militaire de
Bordeaux, avec rang et appellation de général de corps d’armée. Début
1968, le général de Gaulle élève Joseph Katz au rang et à l’appellation de
général d’armée. Sa carrière militaire prend fin cette même année. De 1970
à 1976, il est conseiller général UDR de l’Allier.

KHELIFF Rabah, lieutenant (?-2003)


Cet ancien enfant de troupe kabyle s’engage pour l’Indochine à 18 ans ;
il est blessé à Diên Biên Phu. En 1962, il sert au 10e bataillon de chasseurs,
stationné près d’Oran. Le 5 juillet, son assistance aux pieds-noirs en danger,
comme aux musulmans menacés par le FLN, lui vaut d’être expulsé par le
général Katz. Rabah Kheliff achève sa carrière militaire comme capitaine,
avant de se consacrer à la défense des harkis et des anciens combattants
musulmans, créant l’Union nationale des anciens combattants français
musulmans (UNACFM). Commandeur de la Légion d’honneur.

LOUSTEAU Henri-Jean, colonel (1923-2010)


Entré dans la Résistance dès 1942, Henri-Jean Lousteau sert en
Indochine de 1945 à 1954. Après un passage par des cabinets ministériels,
puis un séjour en Nouvelle-Calédonie, il devient, en 1957, un des plus
jeunes commandants de l’armée française. Revenu en Algérie, il sert à la
tête d’un bataillon opérationnel du 1er  RIMa en Kabylie et participe au
putsch des généraux. Il est arrêté, jugé, acquitté, et choisit d’entrer dans la
clandestinité. Ayant regagné Alger au début 1962, il contacte le général
Salan qui lui demande de se tenir prêt à suivre le colonel Gardes dans
l’Ouarsenis. Il participe à l’entreprise ; il est un des rares à pouvoir ensuite
regagner Alger. Il choisit alors de disparaître et s’exile pour une vingtaine
d’années, employé au Brésil, en Espagne et au Portugal par une grosse
société industrielle française.

MADAOUI Rémy, sous-lieutenant (né en 1940)


À 15 ans, en 1955, ce jeune Algérien quitte sa famille pour rejoindre un
maquis FLN, avec lequel il combat pendant cinq ans. Il devient alors
officier des services de renseignements de la wilaya 4 (Algérois). En 1950,
au cours d’une purge interne au FLN qui fait des milliers de victimes, il est
arrêté et torturé par les siens. Il réussit à s’évader et à rejoindre un poste
militaire français. Il choisit alors de continuer la lutte armée contre le FLN
qui, à ses yeux, ne défend plus le peuple algérien. Devenu sous-lieutenant
dans un commando, il combat contre ses anciens amis, dans la région où il
était maquisard. En 1962, en désespoir de cause, il déserte, rejoint l’OAS à
Alger, puis le maquis OAS de l’Ouarsenis. Fait prisonnier, jugé, il purge
une peine de deux ans de prison, notamment à Toul, avant d’émigrer aux
États-Unis en 1965. Après des études universitaires dans l’État de
Pennsylvanie, il poursuit une brillante carrière dans le secteur privé.

MARÉCHAL Christian
Condamné à Paris à cinq ans de prison avec sursis, il ne peut pas
rejoindre l’Algérie pour des raisons administratives. Il se fixe à Saint-Cloud
(Hauts-de-Seine), dont il est originaire, avec son épouse, Nicole Pujol.
Celle-ci l’avait suivi à Paris durant son incarcération, délaissant donc ses
fonctions d’agent de liaison auprès du capitaine Montagnon à Alger. La
sœur de Nicole, Bernadette Pujol, est, elle, dans le maquis de l’Ouarsenis.
Christian Maréchal a été conseiller municipal Front national de Saint-
Cloud.

MICHELETTI Claude (1936-2004)


Fin juin 1962, avec son père, il quitte Oran pour l’Espagne, puis l’Italie.
Il vit ainsi en exil jusqu’à l’amnistie de 1968, suivie par son retour à Nice.
Dans ses dernières années, Claude Micheletti veut rendre hommage à son
père et à tous ses compagnons de lutte, les anciens des Collines. Il s’attelle
ainsi à un long travail d’archiviste et entreprend de sélectionner les
nombreux documents, fichiers et rapports en sa possession. C’est ainsi qu’il
rédige son livre, paru en 2002, sous le titre Fors l’honneur. Le père et le fils
n’ont été ni poursuivis ni condamnés.

MONTAGNON Pierre (né en 1931)


En avril 1961, il est l’un des officiers qui rallient le 2e REP au putsch
des généraux, en l’absence de son chef de corps (le lieutenant-colonel
Darmuzai). Condamné à un an de prison avec sursis, il est chassé de
l’armée et devient un des cadres opérationnel de l’OAS où il est
responsable du secteur est d’Alger (le quartier Hussein-Dey). Jugé en
janvier  1963, il est condamné à six ans de réclusion et, à la faveur d’une
amnistie, libéré en décembre  1964. Il devient chef d’entreprise dans la
distribution de matériel de chauffage et, dans le même temps, commence
une carrière d’auteur. Il publie dès 1965 son premier roman, Pas même un
caillou, qui sera suivi par une vingtaine d’ouvrages historiques, dont
La  Guerre d’Algérie, primé par l’Académie française. Commandeur de la
Légion d’honneur, titulaire de dix citations, dont quatre avec palmes.

MUGICA Jacques (1934-2002)


Après son acquittement par le tribunal militaire spécial pour sa
participation au putsch des généraux, il demande aussitôt à repartir pour la
Kabylie, ce qui lui est refusé  ; il est alors affecté à l’hôpital Villemin à
Paris. Il entre dans l’OAS métropolitaine et, à la tête d’un petit groupe,
combat le FLN à Paris et en proche banlieue. Puis il rejoint clandestinement
Alger. À la chute du maquis de Ouarsenis, Mugica échappe au bouclage mis
en place et regagne Alger. Il est arrêté, condamné et passe deux ans en
prison. À sa sortie, il reprend ses études à la faculté de médecine de Paris et
obtient en 1965 un diplôme de cardiologie. Spécialiste de médecine cardio-
pulmonaire, il rejoint la clinique chirurgicale Val-d’Or à Saint-Cloud
(Hauts-de-Seine), dont il deviendra médecin-chef en 1970. Entre-temps, il
crée le premier centre interdisciplinaire mondial consacré aux dispositifs de
stimulation cardiaque (pacemakers). L’intégration, sous l’égide de Jacques
Mugica, d’équipes de médecins, d’ingénieurs et d’industriels conduit à des
progrès décisifs en matière de stimulation cardiaque, ce qui lui vaut d’être
considéré par ses pairs comme le pionnier de cette discipline.

MUZZATI Giorgio (1931-2009)


Le patron du maquis Albert, ancien adjudant de la Légion étrangère,
échappe au bouclage de l’Ouarsenis. Avec quelques-uns de ses hommes, il
regagne clandestinement Alger, s’y fait oublier et rejoint la métropole. Il
n’en a pas fini avec l’OAS qui lui confie différentes missions en métropole ;
il est obligé de participer à quelques hold-up pour survivre. Puis il rejoint
l’organisation en Espagne, où se côtoient toutes les tendances de l’OAS.
Il est arrêté en octobre 1963, jugé deux fois par la Cour de sûreté de l’État,
condamné huit et dix ans de réclusion pour ses activités en métropole. Il n’a
pas été jugé pour son action clandestine en Algérie. Il effectue sa peine à
l’île de Ré jusqu’à sa libération en octobre 1963.

NERUCCI Libert (né en 1930)


Avec son équipe radio, il parvient quitter le maquis de l’Ouarsenis et à
rejoindre Alger, où il reprend le combat clandestin, à partir de son fief de
Bab el-Oued. Il est de ceux qui tentent de freiner l’exode des pieds-noirs,
puis y renoncent. Quelques attentats encore, contre le FLN ou de supposés
barbouzes  ; puis Susini lui demande de participer à l’opération «  Terre
brûlée » ; Nerucci accepte d’incendier la faculté d’Alger et autant d’écoles
communales qu’il le pourra. Après quoi, il quitte clandestinement l’Algérie
et refait sa vie, sans connaître ni jugement ni condamnation.

OUCHÈNE Daoud (1936-1987)


D’origine berbère, fils de caïd, lieutenant au 4e  RT, il n’a pas pu
empêcher ses tirailleurs de participer à la fusillade de la rue d’Isly. Il a
quitté l’armée après de longs mois passés à l’hôpital parisien du Val-de-
Grâce. Il n’a jamais oublié l’énorme choc psychologique qu’a été pour lui le
massacre de la rue d’Isly. Autorisé en janvier  1968 à changer de nom, il
devient Michel Duchêne et se fixe en Haute-Savoie. Il projette d’écrire un
livre sur le drame ; rongé par la maladie, il n’en aura pas le loisir.

POUILLOUX Claude, capitaine


Capitaine au 2e  REP. Sérieusement blessé sur le Chélia en
décembre  1960, avec fracture du tibia. Lors du putsch des généraux, avec
une jambe dans le plâtre, il s’efforce de rejoindre son régiment dans sa
voiture personnelle  ; il n’est pas sanctionné. Il passe sa convalescence en
métropole et réapparaît le 26 mars à Alger, à la grande satisfaction de Pierre
Montagnon, qu’il accompagne dans l’Ouarsenis. Arrêté, transféré à Paris, il
est condamné à quatre ans de réclusion qu’il effectue à Toul. Il est libéré en
décembre 1964.

PROHOM Marc, lieutenant (né en 1936)


Né à Alger, fils d’un éminent universitaire algérois, saint-cyrien,
lieutenant au 27e  BCA, il est jugé suspect en Algérie et muté à l’École
militaire de haute montagne de Chamonix. Il décide de déserter et rejoint
clandestinement Alger. Arrêté lors de l’échec du maquis de l’Ouarsenis, il
est jugé, puis condamné à trois ans de prison. Détenu à la Santé, déplacé à
Poissy, il revient à Fresnes dans l’attente de son jugement, puis il effectue
sa peine à Rouen, où il constate que la prison s’appelle curieusement
« Bonne-Nouvelle ». Il est libéré en juillet 1964. Il se reconvertit dans la vie
civile et devient libraire à Nantes.

SALAN Raoul, général (1899-1984)


L’instruction du procès de chef de l’OAS est brève – du 26 au 28 avril,
puis les 2 et 3  mai  –, la justice est pressée  : le procès Salan s’ouvre le
15 mai et s’achève une semaine plus tard. Raoul Salan échappe à la peine
de mort. Il passe l’été et l’automne à Fresnes, puis il est transféré à la veille
de Noël à Tulle, où se retrouvent notamment les autres généraux
putschistes. Après huit ans de détention, Salan est libéré en juin 1968 ; il est
le dernier à quitter la prison de Tulle. Il  va désormais se consacrer à la
rédaction de ses mémoires. Il n’achèvera que les quatre premiers tomes. Le
cinquième volume devait être consacré à sa rébellion et à l’OAS  ; il n’en
reste qu’une ébauche. Dominique Salan se souvient pourtant qu’une
cinquantaine de pages avaient été écrites. Dans son testament rédigé après
sa sortie de prison, le général dit refuser les honneurs militaires qui lui
avaient été proposés par Valéry Giscard d’Estaing. Il est, selon sa volonté,
enterré discrètement à Vichy. Sur la pierre tombale sont posés un casque des
combattants de 1914-1918 et une simple plaque : « Raoul Salan, soldat de
la Grande Guerre. » Plus tard, François Mitterrand proposera des honneurs
militaires posthumes, que la famille refusera. Il était commandeur de la
Légion d’honneur, titulaire de 17 citations, dont 14 avec palmes.

SOUÈTRE Jean-René, capitaine (1930-2001)


Officier des commandos de l’air, il est le créateur, en février 1961, d’un
maquis Algérie française à Bouguirat, dans l’arrière-pays de Mostaganem.
Arrêté, jugé par le tribunal militaire spécial, il est condamné à trois ans de
prison avec sursis. Son aversion proclamée pour le général de Gaulle lui
vaut une mutation en métropole. Arrêté peu après, il est libéré lors du
putsch des généraux. De nouveau arrêté, jugé, il est condamné à trois ans de
prison avec sursis  ; il est cependant interné au camp de Saint-Maurice-
l’Ardoise (Gard). En février  1962, Jean-René Souètre s’évade avec
17 codétenus et regagne l’Algérie. Il est un des responsables de l’OAS pour
l’Oranie. Condamné à mort par contumace, il est contraint à la
clandestinité. Après juin  1962 et sa condamnation, Jean Souètre vit en
Espagne. En 1966, il est conseiller de Moïse Tshombe, en exil en Espagne.
Durant les combats de juillet  1967 au Katanga, il est aux côtés de Bob
Denard. Amnistié en 1966, il entame une carrière civile.

SUSINI Jean-Jacques (1933-2017)


Après l’arrestation de Raoul Salan et d’Edmond Jouhaud, il prend le
commandement de l’OAS. Il rejoint l’Italie, le 20  juillet 1962, où il reste
pendant cinq ans sous une fausse identité. Il réussit à emporter ses archives
et confiera plus tard ces documents à Olivier Dard, qui écrira alors Voyage
au cœur de l’OAS. Il est condamné deux fois par contumace à la peine de
mort par la Cour de sûreté de l’État, pour son appartenance à l’OAS et
comme inspirateur de l’attentat manqué contre de Gaulle, à Toulon, en août
1964. Amnistié sur décision du Général en 1968, avec les autres dirigeants
de l’OAS encore incarcérés, il revient en France. Après quelques autres
difficultés avec la justice, et deux fois acquitté, il termine ses études de
médecine en 1978, puis passe un DEA de sciences économiques. Il dirige
une PME et travaille comme consultant. Il finit ses jours à Paris, à deux pas
du boulevard Pereire, où il recevra l’auteur préparant sa biographie du
général Salan.

VAUDREY Roland, colonel (1912-1965)


Condamné pour sa participation au « complot de Paris », il est enfermé
à la Santé  ; il s’évade à la faveur d’une hospitalisation et regagne
clandestinement l’Algérie. Dès son arrivée, Salan lui confie la
responsabilité de la zone d’Alger, où il va découvrir le problématique
amalgame entre civils et militaires, officiers subalternes et officiers
supérieurs. Mais il se consacre entièrement à sa mission, sans ambitions
personnelles. Il sera l’un des tout derniers à quitter le territoire algérien,
s’enfuit vers le Portugal, la Suisse, l’Italie, avant de se fixer en Belgique où
il décède, emporté par une leucémie. Commandeur de la Légion d’honneur,
titulaire de dix-sept citations, dont onze avec palmes.
Annexe no 2

L’instruction no 19 de l’OAS

Signée par Raoul Salan, cette instruction est datée du 3 janvier 1962 et
intitulée « Au sujet de l’action ». Elle passe en revue toutes les données que
les clandestins peuvent apprécier à cette date. À propos de ceux que Salan
désigne sous l’appellation d’«  adversaires  », le texte commence par trois
remarques :
A. Au premier signal de danger, le pouvoir paraît décidé à retirer toutes
les troupes des grands centres pour procéder dans un deuxième temps à
l’investissement de ces derniers et à notre destruction complète.
B.  Depuis plus de un mois, nous assistons à une normalisation des
actions des polices traditionnelles et des forces de l’ordre, opérant dans le
cadre de la stricte légalité. Elles sont remplacées par des commandos de
polices latérales et spéciales, opérant en semi-clandestinité sous des
étiquettes diverses.
C.  L’aveu public que vient de faire le chef de l’État en annonçant le
retrait massif des unités militaires d’Algérie, et, de ce fait, le
« désengagement » de plus en plus marqué. Tels sont les faits capitaux qui
déterminent et conditionnent notre ligne de conduite à tenir.
 
À propos d’un éventuel blocus des grands centres, Raoul Salan
poursuit  : «  Si les choses se déroulaient pour le mieux, à notre avantage,
nous pourrions être appelés à aller jusqu’à la sécession de plus ou moins
longue durée. Il ne faut pas perdre de vue que la situation économique
locale, sans apport extérieur, créerait un état certainement difficile. »
Suivent trois remarques à propos de la métropole qui ne lui paraît pas en
état d’apporter un support actif à l’OAS Algérie ; sur le rôle de l’armée en
Algérie qui ne «  jouera pas pour nous  »  ; sur l’engagement éventuel
d’autres régiments, puisque « les unités favorables ou sympathisantes sont
maintenant en garnison en France ou en Allemagne ».

ALGÉRIE
A. La population. Dans ce chapitre, le général Salan insiste sur le rôle
de la population européenne : elle « doit être convaincue de l’obligation de
s’intégrer complètement au combat et de participer activement et
physiquement à la lutte dans des conditions particulières. C’est vers la
mobilisation générale de tous et imposée à tous qu’il faut tendre sans
tarder ».
B.  Les actions. À propos des actions à déclencher, Raoul Salan cite
comme modèle l’attentat contre la villa du MPC au soir du 31 décembre :
« C’est une action d’éclat dont je ne pourrais trop souligner l’intérêt capital
que j’y porte, quels que soient les résultats enregistrés. Ce genre
d’opérations doit devenir plus fréquent. Je donne un feu vert général dans
ce sens. »
C. Les militaires. Aux officiers et sous-officiers manifestant l’intention
de rejoindre l’OAS, Raoul Salan demande de se décider sans se demander
s’ils rendraient de meilleurs services en restant dans leurs unités. Et pour les
cadres des unités relevant du contingent, il ajoute  : «  Il faut bien se
convaincre qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes et qu’en cas de nécessité,
ces mêmes officiers risquent de se trouver paralysés dans leurs unités, sans
pouvoir nous être du moindre secours. »
D. Les maquis. « Dans la mesure où les possibilités matérielles locales
le permettent, l’idée de maquis doit se préciser et se généraliser, quelle que
soit la  forme adoptée. Dans ce domaine aussi, je laisse la plus large
initiative aux commandements locaux, à charge pour ces derniers de rendre
compte des réalisations. La recherche systématique de l’efficacité et des
résultats doit dominer toute notre ligne de conduite, à l’exclusion de toute
autre considération. »
 
Raoul Salan achève ainsi ce paragraphe «  Algérie  »  : «  Notre action
positive dans tous les domaines doit contribuer à jeter le désarroi chez
l’adversaire, aussi bien gaulliste que FLN, faire perdre aux premiers toute
autorité sur le pays et inquiéter suffisamment les autres pour les faire hésiter
malgré les offres alléchantes de négociations. Cela ne modifie en rien notre
position générale de clandestinité. C’est dire sans que nous ayons à nous
dévoiler un seul instant, sans prise de pouvoir apparent. En bref, nous ne
nous enfermerons pas, notre lutte doit se dérouler partout et au grand air,
pas de terrain préalablement choisi, le combat doit être partout avec la
participation de tous. C’est dans ce sens que doit être éduquée la
population en général. »

MÉTROPOLE
« Les conditions sont différentes en métropole, mais dans la mesure du
possible, la ligne de conduite doit rester sensiblement identique. Quelques
points particuliers seront toutefois plus approfondis. »
A. L’action psychologique. « De manière à consolider les positions de
l’OAS et à élargir le champ des sympathies, un effort particulier sera fait
dans ce domaine. Les émissions pirates, qui frappent beaucoup l’opinion
nationale et internationale, devront se généraliser. »
B.  Les actions. «  C’est là un des aspects fondamentaux du problème
métropolitain. Il faut obtenir une unité totale et inconditionnelle de tous les
mouvements sous le sigle et l’obédience de l’OAS. En Algérie, cela est
pratiquement réalisé. Il subsistera certes toujours quelques bavures, mais il
faut à tout prix présenter un front homogène et compact à l’adversaire. À
défaut de mieux, il convient que ce dernier en soit convaincu. Ainsi la
délégation générale Métropole posera la question à tous les groupes isolés.
Elle exigera d’eux une réponse sans ambiguïté et, en cas de manœuvres ou
de déviationnisme, rendra publique la non-appartenance du groupe en
question à l’organisation. »
C.  L’armée. «  Compte tenu du grand nombre d’unités rapatriées
d’Algérie, c’est en métropole que doit s’affirmer l’action sur l’armée, aussi
bien pour les isolés que pour les collectivités. Des contacts permanents et à
tous les échelons doivent être entretenus. »
Le texte s’achève ainsi : « Je ne me dissimule pas qu’une diffusion trop
large risque d’entraîner des fuites, mais si ces inconvénients doivent être
compensés par un surcroît d’efficacité et de réalisation, les dangers seraient
ainsi largement compensés. »
SOURCES

Bibliographie
L’Année politique, volumes  1958, 1959, 1960, 1961, 1962, 1963, Presses
universitaires de France.
AZZEDINE, commandant, Et Alger ne brûla pas, Stock, 1980.
BOUALAM, bachagha Saïd, Mon pays, la France, France-Empire, 1962.
DARD, Olivier, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2005.
FERRANDI, Jean, 600 jours avec Salan et l’OAS, Fayard, 1969.
FLEURY, Georges, Histoire secrète de l’OAS, Grasset, 2002.
—, Le Baroudeur. Les quatre guerres du général Delayen, Grasset, 1979.
—, Nous les combattants d’Algérie 1954-1962, Bourin, 2010.
FOUCHET, Christian, Au service du général de Gaulle, Plon, 1971.
GANDY, Alain, Salan, Perrin, 1990.
HARBI, Mohamed, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune Afrique,
1981.
JOUHAUD, Edmond, Ô mon pays perdu, Fayard, 1969.
—, Ce que je n’ai pas dit. Sakiet, OAS, Évian, Fayard, 1977.
LE MIRE, Henri, Histoire militaire de la guerre d’Algérie, Albin Michel,
1982.
MAURIAC, Jean, L’Après-de Gaulle, Fayard, 2007.
MICHELETTI, Claude, Fors l’honneur, La guérilla à Oran en 1961/1962,
Jean Curutchet Éditions, 2002.
MONTAGNON, Pierre, La Guerre d’Algérie, genèse et engrenage d’une
tragédie, Pygmalion / Gérard Watelet, 1984.
—, L’Honneur, pas les honneurs, mémoires, tome II, Bernard Giovanangeli
Éditeur, 2019.
MUZZATI, Georgio, Dernier baroud pour l’honneur. Un rescapé de Diên
Biên Phu dans les maquis OAS, Éditions Italiques, 2005.
NERUCCI, Libert, Alger baroud d’honneur, Les Presses du Midi, 1996.
PELLISSIER, Pierre, Saint-Cyr. Génération Indochine, Algérie, Plon, 1992.
—, Salan, quarante années de commandement, Perrin, 2014, Tempus, 2020.
PEYREFITTE, Alain, C’était de Gaulle, Éditions de Fallois / Fayard, 1994.
PUJO, Bernard, Juin, maréchal de France, Albin Michel, 1988.
SALAN, Dominique, Raoul Salan, le destin d’un homme simple, Atlantica,
2003.
ZELLER, Guillaume, Oran 5 juillet 1962, Tallandier, 2012.

Autres publications
Le Figaro Histoire, « Algérie, la guerre sans nom », no 17.
Historia « La fin de la guerre d’Algérie », no 400, puis no 424 bis.

Principales sources Internet


www.alger26mars1962.fr (site de Simone Gautier). Indispensable pour les
événements Algérois du mois de mars 1962 à Alger.
marienoelyvonpriouforcelocale19mars1962 (site de Yvon Priou). Le plus
précis pour les Forces locales.
www.salan.asso.fr
harkisdordogne.com

Autres sources écrites


L’intégrale des archives du général Salan, consultées par l’auteur,
préparant son Raoul Salan aux éditions Perrin, avant leur dépôt au service
historique des Armées à Vincennes.
Les citations empruntées au colonel Godard proviennent d’un document
– partiellement dactylographié – déposé à la Hoover Institution de Stanford
University, près de San Francisco, et dont l’association «  Les Amis de
Raoul Salan » a obtenu des photocopies publiées dans leur bulletin.
Les archives du Figaro quotidien de mars 1962.
 
Les sources des récits de témoins sont également à retenir, pour les bateaux
de Franco :
José Castano : popodoran.canalblog.com/archives
Jo Torroja : L’Écho de l’Oranie, mai-juin 2015.
Roger Bové et Ammar Kenioua, Nous les combattants d’Algérie 1954-
1962, Bourin éditeur, 2010.
Jacques Macé, ancien du 3e zouaves, membre d’une UFL, Guerre
d’Algérie Magazine, no 6, novembre-décembre 2002.
 
André Rastoll, policier arrêté en juin 1962 à Oran : Geneviève de Ternant,
Agonie d’Oran, éditions Jacques Gandini, 2001.
 
 
Enfin, Harkis. Histoire d’un abandon, film de Marcela Feraru, diffusé par le
« Secours de France ».
INDEX*

Abbas, Ferhat 213, 234


Abeille 43
Achard, Jacques 32, 43, 53, 55-56, 59, 64, 69, 98, 115, 162, 272
Ahmed 148
Ailleret, Charles, général 46, 56, 58, 70-72, 87, 160, 169-170, 176, 254
Aït Ahmed, Hocine 21, 26, 173-175, 180-181, 234
Alcheik, Jim 36
Allais, Maurice, prix Nobel 252
Anthérieu, Étienne, journaliste 76, 88
Aoustin, Pierre 131-133, 150
Arfeux, capitaine 115, 121, 127, 274
Aron, Raymond, éditorialiste 14
Attil, harki 145
Attou, Moueden 209-211
Augustin (voir aussi Mohamed Ghéram) 106, 114
Aussignac, André 247-249
Azzedine, commandant 171-172
Bakhti, capitaine (voir aussi Nemiche) 191-192, 197, 208-209, 211
Barthélemy, Jean, amiral 198
Bastien-Thiry, colonel 86, N3
Bazin, Paul, commandant 42-43, 57-59, 72, 97, 110, 115, 120, 123, 141, 143-

145, 148, 150, 272-273

Belkacem, Krim 21, 175, 214, 234-235


Ben Bella, Ahmed 21, 26, 173-175, 180, 185, 191, 213-215, 234, 238, 278
Bendjedid, Chadli 235
Ben Khedda, Benyoucef 40, 48-49, 175, 213
Benos, commandant 57
Bentobbal, Lakhdar 173
Bernadette, lieutenant 151
Bernard, Amédée et Pierre 150
Bevilacqua, Michel 150
Bidault, Georges, ministre 187
Bigeard, Marcel, général 100
Bill (voir aussi Nerruci) 37-38, 111, 114, 135-136
Biot, Jean-Pierre, journaliste 201
Bitat, Rabah 173-174
Bitterlin, Lucien 30
Blanco, Alejandro Sánchez 219
Boualam, Abd el-Kader 153, 273
Boualam, Alexandre 154
Boualam, Ali 273, N1
Boualam, Mohamed 122-123, 127, 140, 273, N1
Boualam, Saïd, bachagha 95, 104, 106, 109, 114, 122, 124-125, 127-129, 131,

138, 152-156, 161, 273-274

Boudiaf, Mohamed 21, 173-174, 234-235


Bouhired, Djamila 52
Boulin, Robert, ministre 226, 228
Boumediene, Houari, colonel 174, 191, 213-214, 234-235, 268
Bouteflika, Abdelaziz 174, 191, 236
Branca, Guy, capitaine 32-33, 69, 81, 106-107, 110, 121, 127, 274
Brenugat, sergent 201
Brochet, Gilbert 150
Brouillet, René 15
Brousse de Montpeyroux, André de, capitaine de réserve 93-94
Brua, Edmond, journaliste, auteur 74
Buzy-Debat, colonel 99, 105
Cadart, Jean-Paul, capitaine 229
Camelin, Lucien, commandant 71, 99-100, 104-105, 117-120, 157, 164, 230,

275

Cano, François 186


Caraveo, colonel 58
Catroux, général 12
Challe, Maurice, général 13, 29, 165, 276
Chaouaou, famille 262
Chapelard 137, 139-140
Chastaing, Marc, sergent-chef 122, 124, 138-139, 150
Chateau-Jobert, colonel 102-103, 179, 182, 275
Chevallier, Jacques, maire d’Alger 179-180
Chouail-Chaila, Kaday 183-184, 210
Coty, René, président de la République 13
Croguenec, capitaine 201
Debré, Michel, Premier ministre 16, 112
Degueldre, Roger, capitaine 32, 34, 54-55, 73, 112, 157, 159, 161-163, 176
Delayen, commandant 100, 233
Delefosse, Jean, capitaine 230-231, 316
Delhomme, Pierre, sous-lieutenant 110, 124, 131, 137-139, 162-163, 276
Delouvrier, Paul 168
Denoix de Saint Marc, Hélie, commandant 1
Derauw, Guy 150
Djafour, Mohamed 263-264
Dovecar, Albert, sergent 104
Drif, Zohra 52
Duchêne, Michel (voir aussi Ouchène) 291
Escriva, Roland 150
Esposito 1
Voir (voir Degueldre)
Ezagouri, Viviane 205
Farès, Abderrahmane 47, 168-169, 178-179
Favarel, capitaine 95
Ferrandi, Jean, capitaine 31, 34, 66, 70, 93, 98, 104, 159-160, 164, 277
Fouchet, Christian 46, 67, 71, 73, 80, 88, 168-169, 175, 240, 256
Franco, Francesco, général 217-220
Fresson, colonel 261
Frey, Roger, ministre 35
Gardes, Jean, colonel 32, 53, 98, 104-107, 115-116, 121-125, 127, 135-137, 140,
149, 152, 155, 158, 182, 278, 285

Gardy, général 32, 34, 53, 66, 120-121, 157-158, 176, 179, 187-189, 279
Gaulle, Charles de, général 13-19, 22, 24, 26-27, 29-30, 44-46, 62, 73, 89, 91-

92, 112-113, 120, 152, 165, 176, 191, 197, 219-220, 223, 227, 237, 254, 274, 284,

293, 295, N3
Gautier, Simone 81
Gély, Nicolas 32
Geromini, capitaine 159
Ghéram, Mohamed (voir aussi Augustin) 114
Ginier Josué (voir aussi Jésus de Bab el-Oued) 38
Godard, Yves, colonel 32, 34, 53, 66, 70, 78, 121, 158-159, 179, 279
Gonnaud, Michel 114-115, 123, 135, 280, 316
Gorel, Raymond, intendant militaire 281
Grillot, lieutenant 100
Grout de Beaufort, Gilles, lieutenant 260
Guerfi, Messaoud 258
Guillaume, Pierre, lieutenant de vaisseau 105, 120, 157, 164, 281
Guy 96, 143, 148
Hamel, Roland 184, 186
Hanoun, Alain 55, 60, 316
Hersant, Robert, député, journaliste 14
Holeindre, Roger, député 95, N1
Holstein, Michel, sous-lieutenant 110, 124, 126, 137-139, 164, 283
Hugues, André, député 14
Isella, maire en Algérie 30
Jeannot, professeur 183
Jésus de Bab el-Oued (voir aussi Ginier, Josué) 38
Jordi, Jean-Jacques, historien 266-267
Jouhaud, Edmond, général 14, 31, 34, 66, 71, 99-102, 104-107, 114, 116-120,

145, 157-158, 164-165, 176, 181, 230, 275, 282-283, 294

Joxe, Louis, ministre 21, 40, 225, 227, 256, 265-266


Kacem, Tayeb 263-264
Katz, Joseph, général 176, 184, 192-199, 201, 208, 214, 220, 245, 284-285
Kervonaël, sous-lieutenant de 260
Kheliff, Rabah, capitaine 199, 201, 284-285
Khider, Mohamed 21, 26, 173-174
Laban, Henri 153-154
Lacheraf, Mostefa 174
Lagaillarde, Pierre 31, 53, 189
Lallemand, colonel 260
Lavanceau, Jean-Marie, adjudant 159-160
Legendre, Norbert 203, 212
Lemarchand, Pierre, député 35-36
Lenz, Serge, journaliste 201
Léonard 188
Le Pivain, Louis, amiral 44
Le Pivain, Philippe, capitaine 32, 42-44
Leroy, Michel 111-113, 136
Lescalier, Andrée 204
Lipkowski, Jean de, député 14
Lousteau, Henri-Georges, commandant 98, 115, 135, 137, 140, 285
Madaoui, Rémy, sous-lieutenant 110, 124, 283, 286
Maillot, Henri, aspirant 153-154
Maréchal, Christian 104, 286-287, 316
Marie, André, ancien ministre 214
Marin, Gérard, journaliste 76, 87, 316
Marquès, Jean-Claude 150
Massu, Jacques, général 13, 120
Mathias, Grégor, écrivain 212
Mauriac, Jean, journaliste 88
Melnick, Constantin 112
Menchon, Hermine 203
Messmer, Pierre, ministre 45, 214, 232, 241, 254, 256
Meyer, lieutenant 260
Michelet, Edmond, ministre 214
Micheletti, Charles 188-189
Micheletti, Claude 188-189, 210, 287, N2
Moha, Charles 207
Mollet, Guy, président du Conseil 12
Monnerot, époux, instituteurs 11
Montagnon, Pierre, capitaine 32-34, 43, 53-54, 85, 106, 109-110, 115, 121-

126, 128, 135, 137-141, 161, 163-164, 283, 287-288, 291, 316

Morin, Jean, délégué général en Algérie 35, 175


Morvan, architecte 150
Mostefaï, docteur 158, 179-181, 187, 222
Mugica, Jacques, aspirant médecin 98, 115, 135, 137, 164, 288-289
Mura, capitaine 176
Musset, Jean-Paul 177
Muzzati, Giorgio, adjudant-chef 95-96, 121-122, 141-148, 150, 289
Naudet, Pierre, député 14
Nemiche (voir aussi Bakhti) 191
Nerucci, Libert (voir aussi Bill) 37, 111, 113, 124, 135-137, 176, 290
Nocetti, Paul 176
Normandie 96, 115, 140, 148
Nouvion, docteur 183
Olié, Jean, général 252
Olivier-Lacamp, Max, journaliste 76, 88
Oscar 115
Othman, colonel 214
Ouchène, lieutenant Daoud (voir aussi Duchêne) 75, 77-78, 87, 291
Pauline 114
Perez, Alain-Robert 55
Perez, Jean-Claude, docteur 32, 34, 73, 162, 179, 182
Perles, François 185-186
Pervillé, Guy, historien 266
Peyras, Marc 94
Peyrefitte, Alain, écrivain 15-16, 165, 226
Picot d’Assignies, Olivier, lieutenant 32
Pinto, Joseph 205
Planchot, lieutenant 94
Pompidou, Georges, ministre 15, 164-165, 227
Pouilloux, Claude, capitaine 110, 124, 139, 283, 291
Poupat, commandant 72
Praloran, Bernadette 150, 152
Prietro, Grégoire 202
Prietro, Mélanie 202
Prohom, Marc, lieutenant 81, 110, 124, 130-134, 138, 161-164, 283, 292, 316
Puigt, colonel du 5e RT 58, 65, 72, 87, 97
Pujol, Bernadette 150-151, 287
Pujol, Nicole 33, 287, 316
Quiniou 137
Rastoll, André 184-186
Raymond, Claude 117, 119
Rolando, Robert, photographe 79-80
Rolando, Yves et Rémy, fils de Robert 79
Roth, Roger 169
Saadi, Yacef 170
Sadok Hadj 11
Salan, Dominique 160-161, 166, 293, 316
Salan, Lucienne 160-161, 166
Salan, Raoul, général 13-14, 27, 31, 36, 41, 44-46, 49, 51, 53-54, 66, 70-71,

93, 97-99, 102-104, 106, 114, 120, 152, 157-160, 163-166, 175, 272, 276-278,

282, 285, 292-295, 297-300, 316

Salva, éleveur 55
Sandor, sergent 150
Sarradet, Jean 113
Souètre, Jean-René, capitaine 94, 189, 293-294
Souiah, préfet 209
Susini, Jean-Jacques 31-34, 70, 111, 113, 158, 176, 178-182, 187, 222, 281,

290, 294, 316

Teuma, Marie-Claude 203


Teuma, Paul 203
Thiodet, docteur 56
Tixier-Vignancour, Jean-Louis, avocat 86
Trang Tong Ton 86
Tricot, Bernard 175
Vaillant, colonel 232, 251-252
Vallet, Joseph 204
Vaudrey, Roland, colonel 32, 34, 53, 69-71, 113, 158, 295
Vigny, Alfred de 1
Vilanueva, Joaquim 219
Villard, René 111-113, 136
Villegras, Antoine 134
Zeller, André, général 14, 165
Zéroual, Liamine 235-236

* Les noms figurant en italiques sont des pseudonymes. Ils sont accompagnés des patronymes
réels des personnages, lorsque ceux-ci ont été identifiés.
REMERCIEMENTS

L’auteur tient à remercier chaleureusement Laurent Theis, Benoît Yvert


et Christophe Parry, grâce à qui ce livre existe.
 
Que soient également remerciés :
 
Mes amis et frères d’armes du 6e bataillon de tirailleurs algériens, Jean
Brua et Pierre Latanne, pour leur soutien et leurs apports.
 
Ceux qui ont accepté de mettre leur site et association au service de
l’auteur :
Suzanne Gautier pour www.alger26mars1962.fr ;
 
Thierry Rolando pour le «  Cercle algérianiste national », 1, rue du
Général-Derroja à Perpignan ;
 
Roger Saboureau pour le «  Secours de France  », 29, rue de
Sablonville, 92200 Neuilly-sur-Seine.
 
Tous ceux qui m’ont accompagné dans mes recherches présentes ou
antérieures (parfois disparus depuis) :
Pierre Montagnon qui, le tout premier, m’a entretenu du maquis de
l’Ouarsenis, et que j’ai continué de suivre pas à pas  ; relayé par Marc
Prohom, qui a bien voulu me confier les pages rédigées à l’intention de ses
enfants et restées inédites ; puis Michel Gonnaud.
 
Retrouveront aussi traces de leurs apports Jean-Paul Cadart, Jean
Delefosse, Alain Hanoun, Yvon Priou, Nicole Pujol et son époux Christian
Maréchal.
 
Puis Mmes Jeanne-Marie Bazin-Borloo et Dominique Salan ;
Jean-Jacques Susini et Bernard Zeller, qui m’ont beaucoup aidé à
découvrir Raoul Salan.
 
Avec une pensée particulière pour Max Clos, Gérard Marin, Serge
Bromberger et son épouse Marie Elbe, mes équipiers du Figaro qui, à Alger
en décembre  1960, ont initié le coureur de djebel aux autres problèmes
algériens.
 
Enfin, ceux qui m’ont apporté une aide, pratique, technique et
relationnelle, pour ce travail  : Patrice Boissy, Philippe Guérin, Patrick
Morancy et Hervé Pignel-Dupont.
Suivez toute l’actualité des Éditions Perrin sur

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