Compte-Rendu Hélène

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CR Alice Roullet de La Bouillerie

« Les mythes grecs comme actes politiques : performance poétique et


célébration rituelle, de Sappho à Euripide. La figure Hélène »

Claude Calame
Helléniste et anthropologue, Claude Calame est actuellement directeur
d’études à l’EHESS et attaché au centre AniHiMA de recherches
comparées sur les sociétés anciennes. Il s’intéresse aux manifestations
symboliques de la culture grecque et en particulier aux questions
d’énonciation et à la dimensions pragmatique de la poésie grecque.
Dans cette intervention, Claude Calame nous propose une lecture
politique et pragmatique des mythes grecques notamment en étudiant
la figure Hélène dans divers textes poétiques.

Qu’est-ce que la mythologie grecque ? Claude Calame y répond dans un ouvrage éponyme
notamment lors d’un chapitre consacré à Hélène. Aujourd’hui, on associe le mythe à la question du
récit, on le définit comme « une histoire traditionnelle à portée sociale mettant en scène dans un
temps transcendant des personnages aux qualités surnaturelles et par conséquent fabuleuses »1. Or
cette approche du mythe n’a rien à voir avec ce que l’on appelait mûthos en Grèce antique. La
définition des mythes tels que nous les connaissons aujourd’hui vient des concrétions ultérieures,
des dictionnaires et compilations qui ont arrangé les choses d’autres façons. Ainsi ni les catégories
modernes de la littérature, ni celles des mythes ne sont pertinentes pour étudier la poésie antique.

Claude Calame article son propos en 4 parties:


1. Montrer en quoi la tragédie grecque attique ne doit pas être considérée comme une simple
manifestation littéraire, et en relever les aspects rituels.
2. En ce qui concerne le mythe et la narration : revenir sur les différentes formes poétiques qui
ont porté à notre connaissance ces récits, qui permettent constamment de les refaçonner, en
se focalisant sur les formes de la poésie « lyrique ».
3. Interroger la pertinence du concept de poésie « lyrique » appliqué à la Grèce par le biais d’un
commentaire de deux poèmes de Sappho, et un d’Alcée.
4. La tragédie d’Euripide sur Hélène.
Introduction : retour sur le mythe d’Hélène

1
C. CALAME, Poétique des mythes en Grèce antique, Paris, Hachette, 2000 ; trad. angl. Greek Mythology :
Poetics, Pragmatics and Fiction, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; trad. it. : Poetiche dei miti nella
Grecia antica, Lecce, Argo, 2011.

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LECTURE d’un extrait d’Hélène Euripide :

«  Ma patrie, à moi, n'est pas inconnue,


C'est Sparte, Tyndare est mon père ; l'on dit
Que Zeus a volé vers ma mère, Léda,
Sous la forme d'un cygne poursuivi par un aigle,
Et s'est glissé sournoisement dans sa couche, si ce qu'on dit est vrai.
On m'appelle Hélène ; et les maux dont j'ai souffert,
Je vais vous en parler. »

Hélène est une figure qui appartient par excellence au domaine de la mythologie, du mythe.
Elle est l’héroïne de la guerre de Troie, la protagoniste féminine de l’Illiade. Elle est souvent
considérée comme la cause de la guerre de Troie menée par les grecs alliés contre les troyens car elle
est enlevée par Pâris avec son propre consentement : ainsi déclare-t-elle au début de l’Iliade (début
du chant III) « comme j’aurais dû préférer la mort cruelle quand j’ai suivi ton fils ici abandonnant ma
chambre nuptiale, mes proches, ma fille bien aimée, les charmantes compagnes de mon âge ».
Dans L’Iliade, Achille, Era, Athena accusent Hélène d’être la cause de la mort de tant de
guerriers : Athéniens et Troyens. Mais Hélène est cependant disculpée par Priam dans le chant III qui
considère qu’elle n’est pas « coupable »( aítios) mais que « ce sont les dieux qui sont coupables ».
Rappelons que l’intrigue de la guerre de Troie ne se noue pas elle-même dans l’Illiade. Elle
était d’abord déployée et racontée dans un poème Homérique Les Kúpria. Dans le déroulement de
cette intrigue, Zeus décide d’alléger la terre d’une population de mortels trop nombreux et
arrogants. Ainsi, il provoque l’amour de Pélée, le mortel, pour la Déesse Téthys, et de cette union
nait Achille. Il provoque ensuite la rivalité entre Era, Athéna et Aphrodite. Pâris est alors appelé
comme arbitre et attribut le prix de la beauté à Aphrodite, qui, en signe de reconnaissance, suscite
l’amour de Pâris pour Hélène, jeune épouse de Ménélas, roi de Sparte. C’est pourquoi, dans cette
intrigue, Pâris, jeune fils de Priam, enlève Hélène pour la conduire à Troie. Les rois prétendants qui
avaient promis de défendre les droits de celui qu’elle choisirait pour époux créent une coalition,
équipent une flotte et traversent la mer pour tenter d’arracher Hélène aux Troyens. De là nait la
Guerre de Troie dont la dixième année est représentée dans l’Iliade. Ainsi, les deux protagonistes de
la guerre de Troie dans l’intrigue conçue des Kupria sont Achille et Hélène, à part égale.

1.Les aspects rituels de la tragédie grecque

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Il s’agit ici de montrer quelles sont les réalités religieuses, culturelles et politiques qui
accompagnent la représentation de la tragédie d’Euripide.

Pour commencer, on peut noter que les vers préludes de la tragédie d’Euripide ne sont pas
placés dans la bouche d’une femme mais dans celle d’un acteur, c’est l’acteur masqué qui joue le
personnage d’Hélène (v. 16-23). Ces mots sont donc prononcés face au public de l’Athènes de la fin
du Ve siècle, de la fin de l’époque « classique » de Périclès et Socrate, qui est assemblé dans un
théâtre.
Plus précisément, ce théâtre à Athènes est lui-même inclus dans le sanctuaire consacré à
Dyonisos « Eleuthéreus ». En effet, il se trouve ainsi enserré dans le périmètre d’un sanctuaire dans
lequel on pénètre en passant devant deux temples consacrés au dieu. Plutôt que d’un théâtre il s’agit
d’un sanctuaire théâtre.
Le qualificatif « Dyonisos Eleuthéreus » peut être interprété de trois manières différentes.
D’abord, il peut vouloir dire « Le libérateur », ensuite « Le dieu qui vient d’Euleuthère » et faire ainsi
référence à une statue qui avait été ramenée d’un petit sanctuaire à la limite de l’attique pour être
introduite au centre même d’Athènes. Enfin, cette épiclèse peut aussi être interprétée en référence à
Euleutheros, désignant l’homme libre, c’est-à-dire la qualité qui définit le citoyen athénien.

La représentation des tragédies (Eschyle, Sophocle, Euripide) s’inscrivait dans un « musicos


agôn », dans un « concours en art des muses ». Il incluait un concours de tragédies suivies par des
drames satiriques et des comédies. A cela était ajouté un concours de dix dithyrambes chantés par
un chœur de cinquante adultes. Chacun de ces chœurs représentait l’un des dix Dèmes qui
subdivisaient l’attique.
Ces trois concours musicaux (comédie, tragédie, Dithyrambe) formaient l’essentiel des
honneurs rituels, de l’offrande musicale offerte à Dionysos à l’occasion des grandes dyonisies, fin
mars début avril. Il s’agissait du plus grand festival cultuel inscrit dans le calendrier athénien (avec les
grandes Panathénées, qui étaient aussi marquées par des concours musicaux, des récitations
rapsodiques). Cette célébration s’inscrit dans un calendrier à la fois cultuel mais aussi d’ordre
politique, civique. Les grandes Dyonisies étaient précédées par d’impressionnantes processions qui
pénétraient dans le théâtre. Cette célébration avait enfin une forte dimension politique car lors des
derniers jours se déroulait l’Ecclesia qui se tenait dans le théâtre même, au sein du sanctuaire de
Dyonisis, autour de l’attribution du prix pour les trois concours.

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Enfin, si l’on tente de saisir ces mises en scène dramatiques en terme indigène, selon une
perspective anthropologique, on s’aperçoit que le groupe choral occupe une place centrale. En effet,
lors des Dionysies, la jury prenait une décision concernant le choix du chœur qui allait être attribué à
un poète. Ainsi, le poète « demande un chœur » qu’on lui attribue, et propose la mise en scène d’une
tragédie qui est constituée de parties récitées et d’autres chorales. Suite à la décision de l’archonte
éponyme, le poète obtient un chœur et devient donc chorodéidáskalos  : la personne qui instruit le
chœur. Ce dernier s’occupe alors de la mise en scène et de la composition du texte en dialogue avec
le groupe choral. Il est donc impossible de comprendre la tragédie attique comme performance
musicale, à la fois rituelle et politique, sans se référer à la poésie chorale, et de manière plus large à
la poésie « mélique ».

2. La question du mythe

L’Hélène représentée face au public athénien à la fin du VIe siècle dans le cadre religieux
évoqué précédemment, met en doute le récit de sa naissance : elle se demande si elle est vraiment
née de l’union de sa mère Léla avec Zeus, métamorphosé en cygne. Ce récit ne pourrait-il pas
correspondre à ce que nous considérons, nous, comme un mythe ?
Cependant, le mot employé par Hélène, qui se présente comme un personnage existant, vivant
dans le présent de la représentation tragique, n’est pas « mûthos » mais « lógos ». De là sont nés
différents malentendus entretenus par la notion moderne de mythe - défini comme un récit fabuleux
auquel on ne peut accorder créance. On a eu recours à un terme grec (mûthos) pour désigner une
catégorie moderne. Or le terme mûthos est largement employé dans la poésie grecque et homérique
jusqu’à Platon pour désigner toute forme de discours développé, argumenté, de discours
« efficace ». Les mots prononcés par Hélène dans L’Iliade (chant III cité plus haut) quand elle s’accuse
elle-même sont désignés par le terme de mûthos. Parfois l’argument de ce mûthos s’appuie sur un
récit, un exemple tiré de la tradition héroïque, sur un exemple qui est pour nous «  mythique », mais
pas toujours. Dans la poésie homérique, le récit est plutôt désigné par le terme lógos (de manière
plus fréquente que par le terme muthos).

Dès lors, quelle a été la désignation indigène propre pour renvoyer à tous ces récits héroïques
qui pour nous constituent la mythologie grecque ? Chez les historiens, Hérodote, Thucydide les
termes employés sont :
- « tà pâlaiá » : les choses du temps d’autres fois
- « tà archadia » les actions des origines

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- « tà patria » actions de nos pères et ancêtres.

Chez Thucidide, la valeur de vérité historique de ces récits qui pour nous sont de mythes, n’est
jamais mise en cause. Ainsi, Thucidide donne-t-il comme un fait historique la domination de Minos
sur la mer Egée, qui anticipe la domination impérialiste d’Athènes sur le bassin de la mer Egée.
D’autre part, Hérodote considère qu’il faudrait introduire entre le temps des dieux et le temps
des hommes, le temps des héros. Hérodote fait remonter la chronologie et la généalogie à Héraclès.
Mais pour se référer aux récits qu’il rapporte, et à ses propres récits, il emploie uniquement le terme
de Lógos. A l’inverse, Thucydide emploie plus fréquemment le terme mûthos – mais ce terme prend
le sens d’ un discours argumenté.

De là, une double perspective est exigée pour étudier les mythes grecs. D’une part une
perspective anthropologique qui est sensible aux situations d’énonciation de ces récits, avec leurs
implications religieuses, sociales, politiques comme c’est le cas pour la tragédie. D’autre part, la
perspective linguistique qui est sensible aux stratégies énonciatives des différentes formes poétiques
qui mettent en scène ces différents récits. Ces stratégies énonciatives renvoient à une pragmatique
(avec des effets d’ordre politique au sens large) mais surtout avec ses effets émotionnels, et,
puisqu’il s’agit de poésie avec des effets esthétiques.

3. Commentaire de textes poétiques selon une perspective pragmatique  : Sappho et


Alcée

Claude Calame souhaite situer le commentaire de texte dans une perspective de pragmatique
interne pour montrer comment dans le poème même est tissé de la relation entre l’exemple
héroïque, mythique et la situation présente, chez Sappho puis chez Alcée. Dans un deuxième temps
on étudiera un autre poème de Sappho qui pose la question de la pragmatique externe. Il s’agit de
s’interroger sur les circonstances d’énonciation des poèmes.

o Le poème de Sappho fr. 16 Voigt

La première strophe se prête au jeu de la définition afin de savoir ce qu’est ici Kalliston  : la plus
belle chose. Ce jeu de la définition était pratiqué aux banquets (exemple dans les dialogues de Platon
où pose question de vertu etc). Ce qui est intéressant c’est que l’objet lui-même Kalliston  est
remplacé par un sentiment : la plus belle chose c’est en fait « c’est ce que l’on aime ». Or ici on ne

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précise pas l’identité du sujet qui est saisi par l’amour. De manière claire, la guerre d’un côté est donc
opposée à l’Eros comme action.
Hélène est ici citée en exemple : le mythe illustre le propos général, le récit devient un
argument d’ordre narratif. Ce qui est intéressant dans version particulière que Sappho donne
d’Hélène, c’est qu’elle est à la fois objet et sujet de désir. C’est par sa beauté qu’elle suscite l’amour
(Pâris lui-même n’est pas explicitement mentionné), mais elle aussi saisie par Aphrodite, elle est elle-
même amoureuse.

Ce qui est pragmatique c’est que Hélène est donnée comme exemple pour évoquer le souvenir
d’Anactoria, la jeune femme absente. Anactoria est absente mais le « je » poétique dit que sa grâce
sollicite l’eros - (eraton), suscite ainsi le désir amoureux. Le terme « Eraton » du début de la
dernière strophe fait échos à « Erataï » qui clos la première strophe. Ainsi, par un mouvement
circulaire, à l’indéfini « l’on aime » se substitue le « je » poétique. Il est intéressant de relever que du
point de vue du genre et des relations érotiques, ce passage du passé héroïque au présent du chant
de ce poème mélique s’accompagne du passage d’une relation d’hétérosexuelle à une relation
homoérotique. La relation établie entre le « je » poétique (peut-être Sappho) et Anactoria, qui est
évoquée dans la grâce de sa démarche et de son regard, nous confronte aux relations d’homo-
érotisme dans le groupe de Sappho.

Questions  :
Ici c’est Aphrodite qui a tenté la femme, est-ce que c’est la même image que dans la tragédie
Hyppolite d’Euripide  ? Aphrodite a le même pouvoir dans cette tragédie que celui qu’elle semble
exercer à l’égard d’Hélène – c’est elle qui suscite l’amour d’Hélène et l’amour chez Phèdre pour son
Beau-fils. Dans l’Hippolyte d’Euripide, le second chant du chœur est une hymne à Eros qui montre la
force destructrice d’Eros  : il est à la fois doux et celui qui pique, symbolisé par les flèches de son arc.

Ainsi, on a souvent donné différentes définitions à partir de Hegel du héros tragique victime de son
destin. En réalité le héros assume le destin que lui a imposé sa moïra et que les dieux contribuent à
accomplir. En effet, Hélène est bien aussi sujet de désir.

o Le poème d’Alcée : fr. 42 Voigt

Il est intéressant de comparer le poème de Sappho à celui d’Alcée, contemporain de Sappho,


qui vit à Lesbos, à Mytilène au même moment.

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Hélène est de nouveau donnée comme la cause de la guerre de Troie comme dans l’Iliade.
Mais le poème s’adresse directement à la protagoniste du mythe en la dénommant. Alors que Pâris
n’est pas mentionné dans le poème de Sappho, ici Hélène est opposée directement à Achille par la
focalisation sur le mariage harmonieux, divin dont Achille est issu (union entre Téthys la déesse et
Pelée le mortel).
Cela donne une orientation masculine à ce texte car Hélène apparait comme la cause de la
guerre de Troie alors qu’Achille est présenté de manière positive, comme victime, rejetons de cette
union divine et harmonieuse. Cela est paradoxal car Achille qui est le plus souvent le protagoniste
masculin principal, le guerrier qui supporte toute l’action de la guerre dans l’Iliade, est présenté
simplement comme issu d’un mariage en amour réciproque.
Il s’agit d’une illustration presque allégorique de l’harmonie qui devrait régner sur la cité en
contraste avec cette guerre de Troie dont Hélène semble être la protagoniste principale.

Ces deux poèmes sont composés et chantés dans la même conjoncture culturelle et politique de la
Mythilène de la fin du VIIe et du début Vie siècle – et on constate que ces poètes tout en reprenant la
même figure d’Hélène, en orientent l’argument et l’action héroïque de manière différente.

On peut noter la très nette opposition entre les deux figures féminines  : la figure de Téthys  qui
incarne l’image de la femme parfaite et la figure d’Hélène qui est celle du désordre et de destruction.
En effet, l’enlèvement d’Hélène par Pâris intervient non seulement quand elle est épouse mais
aussi quand elle est mère. Le fait qu’elle cède à Aphrodite, à l’amour qu’elle ressent pour Pâris, lui fait
rompre le dessein du destin de la femme en Grèce qui est Parthénos (jeune fille), Numphé (jeune
épouse) jusqu’à la naissance de premier enfant où elle devient mère. Aphrodite et Eros sont présentes
à chaque étape. A la différence, chez Sappho il n’est pas question de mariage, elle est sortie de la
filiation légitime et placée dans un autre ordre.

o Le poème de Sappho Fr. 17 Voigt

Pour compléter le propos du point de vue de la pragmatique externe de la poésie mélique des
poèmes de Sappho, Claude Calame s’intéresse à un autre poème qui ne porte plus sur la figure
d’Hélène mais qui reste dans le domaine de la guerre de Troie.
Tout d’abord, il s’agit d’une invocation rituelle, et même hymnique à Era. Elle est référée du
point de vue énonciatif et temporel autant que du point de vue spatial, à l’occasion du chant de ce
poème : « ici, maintenant ». Cette invocation rituelle d’Era, désignée en tant que « puissante », est
suivie de l’indication sur l’origine de la fête qui a été instituée par les Atrides. Avec la référence aux
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Atrides, on passe naturellement du point de vue temporel dans l’ordre du passé héroïque de la
guerre de Troie. Il s’agit donc ici encore de l’évocation d’un mythe, d’une référence au temps des
héros et en particulier « à leur retour ». Un poème homérique intitulé les Nostoï est d’ailleurs
consacré aux différents retours des héros athéniens, le plus connu étant celui d’Agamemnon à
Spartes et celui d’Ulysse.
Ce Nostos des Atrides nous est connu par l’Odyssée qui fait allusion à ce retour particulier au
chant III vers 165 qui mentionne l’étape que font à Lesbos Ménélas, Diomède et Nestor. Mais
Agamemnon n’est pas mentionné dans cette version-là. Ainsi, dans ce poème, Sappho lègue une
version différente orientée sur l’ile de Lesbos et de tradition éolienne. Ce récit bref sur le mode
mélique est inséré dans un acte de culte puisque la prière, quand elle est reprise avec une adresse au
vers 9 à la déesse Era est aussi adressée à Zeus et Dyonisos. Or cette triade divine nous est connue
par autre fragment d’Alcée (129) où sont évoquées les mêmes trois divinités : d’abord Zeus, puis Era
et Dyonisos. A l’inverse, dans le poème de Sappho, on donne la priorité à Era. Cette triade était en
effet l’objet d’un culte dans un sanctuaire sur l’île de Lesbos.

Du point de vue énonciatif, il y a un retour au présent à partir du vers 11, après l’invocation
des autres divinités. C’est donc un retour au temps de l’énonciation marqué par la relation forte
établie entre le passé héroïque et le hic et nunc de l’autre. Cela peut être rapproché des catégories
linguistiques proposées par Benvéniste avec d’un côté le récit au passé à la troisième personne et le
discours à la première personne marqué par le retour au présent.
Du point de vue du genre, c’est d’abord Era qui est invoquée alors que dans le poème
correspondant d’Alcée c’est Zeus qui est évoqué en premier. De plus, la célébration rituelle qui se
déroule dans ce sanctuaire de Messène est également désignée. C’est donc un exemple d’un poème
mélique d’ordre cultuel. Il manque les dernières strophes qui nous auraient sûrement indiqué le
contenu que Sappho donnait à cette cérémonie.

De manière générale, du point de vue de leur contenu, les mythes grecs correspondent à la
narration des actes héroïques qui constituent le passé des cités de la Grèce en général. Les héros
sont généralement proches des dieux, doués de force surhumaine (Héraclès et Achille), portés à
dépasser les limites assignées à l’homme et femme mortels.
Du point de vu énonciatif, de leur présentation, l’historicité de ces récits n’est pas remise en
cause puisqu’il s’agit du passé héroïque de la cité, mais un passé mis en relation avec le présent,
c’est-à-dire dans une conjoncture rituelle, religieuse mais aussi dans une conjoncture historique et de
manière plus générale culturelle.

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Quant à leur forme, ces récits anciens sont toujours réorientés, recréés et refaçonnés
(Plathein) dans des formes poétiques particulières : les récits homériques, les formes méliques,
l’élégie et enfin la tragédie avec la dimension chorale qui lui est constitutive. Les formes poétiques
souvent chantées sont destinés à des performances musicales dans des circonstances rituelles et
culturelles particulières. Ces récits agissent par le charme de la poésie et du chant. Quand on écoute
un poème, l’effet évoqué c’est celui d’un « terpei », du plaisir : un charme d’ordre érotique et
esthétique du poème mélique.
Mais ces poèmes agissent aussi en tant que savoirs sur la communauté politique en question
et ont donc un effet aussi bien sur le plan moral que du point de vue politique par le biais
esthétique, par leur forme poétique. Dans cette mesure, ils s’inscrivent dans une mémoire culturelle
qui est constamment activée par ces reprises poétiques.

Vu l’opposition forte entre Sappho et Alcée, et vu que nous avons évoqués tous les aspects
communautaires de la Grèce antique  : y a-t-il eu des travaux sur Sappho et son rapport à Alcée, que
pensons-nous en général de cette rivalité  ?
Stephano Cacciani en a fait une comparaison. Il s’intéresse à l’ hetairai de Sappho et d’Alcée
et considère que leurs fonctions sont très marquées du point de vue du genre. Dans le groupe de
Sappho c’est l’éducation musicale reçue par l’intermédiaire de la performance musicale de certains
de ses poèmes qui préparaient la femme à sa fonction de femme adulte alors que chez Alcée c’est la
dimension politique et citoyenne qui est plus marquée par rapport à Sappho. Même si dans des
poèmes d’Alcée Eros et Aphrodite jouent aussi un rôle, ce n’est pas la même fonction que chez
Sappho. On peut se référer à l’indication donnée par la biographie byzantine de Sappho qui parle de
«  ses compagnes  » en les qualifiant de hetairai.

4.La tragédie d’Euripide Hélène

L’intrigue de la tragédie d’Euripide dont la figure centrale est Hélène est fondée sur la version
mise en scène par le poète mélique de Stésichore qui donne de l’enlèvement d’Hélène et du
déroulement de la guerre de Troie une version très différente de celle qui est sous-jacente à l’Iliade :
Hélène aurait été enlevée par Hermès et transportée en Egypte. Seule l’image, l’Eidolon d’Hélène
serait finalement arrivée à Troie. C’est cette version à laquelle Platon fait allusion dans le Phèdre.
Dans la tragédie d’Euripide, Hélène se trouve en Égypte auprès du roi Protée. A la mort du roi,
le fils de Protée (Théoclymène) tombe amoureux d’Hélène et souhaite l’épouser. C’est la raison pour
laquelle Hélène trouve refuge auprès de la tombe du roi Protée. Au retour de Troie, Ménélas est

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détourné vers l’Égypte, et il débarque à Pharos après un long Nostos (7 années d’errances en mer)
transportant avec lui l’Eidôlon d’Hélène qui l’avait suivi à Troie. On assiste alors à une scène de
reconnaissance entre l’Hélène réfugiée en Égypte et Ménélas lui-même. A la fin, avec la complicité de
Théonorée, sœur de Théoclimène, et avec l’aide d’Era, Ménélas déguisé feint de devoir reconduire
Hélène à Sparte pour qu’elle puisse rendre les derniers honneurs à son époux (faussement) défunt
Ménélas. Théoclymène fait préparer un navire sur lequel Ménélas s’embarque avec Hélène non sans
avoir massacré les marins égyptiens mis à sa disposition. La conclusion de la tragédie se fait avec un
long chant choral ci-dessous et avec l’intervention des Dioscures qui interviennent « ex machina »
pour résoudre l’intrigue.

Cette histoire relève de l’ordre du mythe mais c’est sans compter le rôle que joue l’apparition des
Dioscures et le rôle rituel joué par le groupe choral, un chœur de captives grecques qui reconduit
l’action héroïque dramatisée à la temporalité cultuelle, religieuse mais aussi à la temporalité civique
et politique du présent.

Lecture : Euripide, Hélène 1451-1477, 1495-1511 et 1662-1679

Ici, par l’intermédiaire du chant choral il y a une mise en scène de la traversée maritime
d’Hélène jusque vers Sparte. Du point de vue temporel et de l’espace on se trouve dans l’ordre du
« mythe ».
Dans la première strophe de son chant le groupe choral rejette sa propre performance
musicale en tant que « mélos » dans un chœur extérieur qui est d’ordre métaphorique (jeu de
création poétique propre à Euripide). En effet, c’est la nef qui emmène Hélène vers Sparte qui
devient la Chorège qui n’est pas différents des groupes choraux de dauphins qui raccompagnent
Hélène et Ménélas du côté de Sparte.
C’est un phénomène qu’on retrouve souvent dans les chants de la tragédie où le chœur
projette sa propre performance chorale, musicale dans l’évocation d’un autre chœur situé dans un
autre espace et un autre temps.

Dans la deuxième partie de ce passage, on peut noter l’évocation des célébration rituelles que
l’héroïque retrouve. On peut noter la mention d’un sanctuaire consacré aux Leuccipides qui existe au
moment même de la représentation de la tragédie à la fin du Vème siècle à Athènes, mais aussi
l’évocation du temple d’Athéna Chalkioikos, divinité tutélaire de Sparte, et celle des chœurs et
cortèges de Hyacinthos.

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Pour rappel, Les Leucippides sont les filles d’Apollon dont le lieu de culte en relation avec le
Dromos qui est un champ de courses rituelles à Sparte auprès duquel se trouvait un sanctuaire
d’Hélène en tant qu’Héroïne. En effet, à Sparte au Vème siècle, Hélène était l’objet d’un culte
héroïque dans la cité mais aussi en tant qu’épouse de Ménélas, en tant que déesse. Dans la légende,
les Leuccipides, deux jeunes fille sont enlevées par les Dioscures. Par ailleurs, Hyacinthos est le jeune
aimé d’Apollon qui est tué dans un exercice de lancer de disque. L’histoire raconte que du sang de
l’adolescent nait une fleur qui est la Hyacinthe. Le récit sert d’explication au culte rendu à Apollon
amiclé qui était très important à Sparte. En effet il est célébré dans le festival qui porte le nom des
Hyacinthies qui présentait des performances musicales, chorégraphiques de la part des enfants,
Aedes, Ephèbes mais aussi un cortège de jeunes filles qui étaient présentées aux représentants de la
cité à l’occasion de ces honneurs rendus à Apollon amicléa.
Ces allusions à ces figures qui appartiennent à la tradition et période héroïques fondatrice de
Sparte et l’allusion aux différents honneurs rituels dont ils sont l’objet sont loin d’être indifférents à
la conclusion de la tragédie.

Après cette évocation rituelle, le chœur s’adresse directement aux Dioscures. Dans cette
longue intervention conclusive du chœur on peut relever que cette invocation correspond à une
demande d’intervenir « ici et maintenant » dans l’action dramatisée avec la demande de favoriser le
retour d’Hélène en cours au moment où se déroule l’action autour de l’orchestra. Cette prière va se
révéler comme une prière efficace dans la mesure où c’est à travers cette évocation et invocation
que les Dioscures vont finir par apparaître face au chœur sur le mode de l’apparition ex machina.
Dans ce chant du chœur, on observe l’illustration des 3 fonctions attribuées au chœur tragique :
- fonction interprétative où le groupe choral fait commentaire de l’action héroïque dramatisée,
qui se déroule sous ses yeux
- fonction affective dans la mesure où le chœur (mètre employé, pas de danse) exprime les
émotions qui sont celles que suscitent l’action dramatisée devant lui.
- fonction performative dans la mesure où le chœur en ce qui concerne Euripide illustré par ce
chant intervient dans l’action par des moyens rituels.

Comme conséquence de ces vers que leur adresse le groupe des captives qui restent en
Egypte, les Dioscures finissent par apparaître. [lecture de la fin d’Euripide]
Les Dioscures interviennent après la décision de Théoclimène de tuer sa soeur. Ils
interviennent ainsi ex machina à la demande expresse du groupe choral, pour annoncer qu’Hélène
est destinée à retrouver son époux mais aussi son oikos, sa maisonée et sa famille. Les Disocures
présentent cette conclusion comme étant celle de la volonté des Dieux.

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Cette conclusion étiologique de la tragédie, portée par l’intervention des Dioscures conduit à
l’institution d’un double culte : Hélène qui sera vénérée comme une déesse au côté des Dioscures (ce
qui rappelle le culte héroïque des Dioscures et le culte divin dont Hélène bénéficiait à Spart)sera
aussi vénérée sur îlot où a été enlevée par Hermès face à l’Attique pour éviter de rejoindre Troie.
C’est en donnant son nom à cet îlot qu’Hélène devient la figure héroïque qui incarne la présence
rituelle et cultuelle d’Hélène en attique consacrée par la dénomination de cet îlot : l’îlot d’Hélène.

Ainsi, ce retour à l’Attique signifie un retour à la réalité politico-religieuse des spectateurs athéniens
de la fin du Ve siècle. Comme c’est souvent le cas dans la tragédie attique, il y a une coïncidence
entre l’action héroïque dramatisée, le mythe et la situation présente vécue par les spectateurs
dans leur pratique rituelle et politique. Cette coïncidence, de même que dans les différentes formes
de la poésie mélique, est établie par les chants du chœur, ce qui montre bien le caractère
fondamental de cette dimension chorale de la tragédie en général.

Vous avez souligné l’importance du choix du chœur, le fait que le poète tragique demande un chœur.
Or la lecture faite du texte confirme cette importance majeure du chœur. Quand on étudie la tragédie
les parties chorales sont les plus difficiles – parties complexes du point de vue métrique et
linguistique. Les comprendre demande une très grande culture antique mais ils sont fondamentaux.
Ainsi ce rétablissement du rôle du chœur dans le fonctionnement de la tragédie en tant que concours
et en tant que situation performative, religieuse et scénique est fondamental.

Comment le public Athénien pouvait-il percevoir ce texte qu’il ne lisait pas  ? Non seulement par
l’intermédiaire de la musique, de la rythmie mais surtout il ne faut pas oublier que l’éducation du
futur citoyen était fondée sur les exercices gymniques mais aussi sur l’exercice de la poésie chorale
comme cela est souvent évoqué par Platon. Il faut faire référence à cette éducation chorale partagée
pour comprendre la manière dont le public pouvait percevoir ces textes, les comprendre et y adhérer.
Par ailleurs dans les grandes Dionysies on peut noter la grande participation des spectateurs qui
n’étaient pas passifs lors des représentations. On pourrait faire un parallèle avec la récitation des
poètes dans le monde arabe qui déplace les foules au momen.

Pour conclure, Claude Calame choisit de revenir à la scène évoqué au début de l’exposé, celle où
Hélène s’accuse d’être la responsable de la guerre de Troie et où Priam souligne que ce sont les
« dieux qui sont coupables ». Cette scène est suivie d’une deuxième scène dans le chant VI où Hélène
est confrontée à Hector et dit « Zeus nous a fait un dur destin, afin que nous soyons plus tard chantés

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des hommes à venir ». Dans cette remarque réflexive, Hélène se considère ainsi elle-même comme
l’objet d’un chant homérique futur.

Ce dernier extrait donne une belle illustration de ce qu’Aristote appelle «  péripétie  » dans la tragédie
antique, qui désigne tout type de changement, qu’il soit heureux ou malheureux. La connotation
«  tragique  » (au sens moderne) de la péripétie sera apportée par le théâtre élisabéthain qui ne
conçoit la péripétie que dans le sens du désastre  : toutes les fins des tragédies élisabéthaines
s’achèvent dans le désastre. Pour un spectateur moderne, il y a quelque chose qui est d’inattendu
dans la fin de cette tragédie d’Euripide. En effet, cette fin ne correspond pas à ce que l’auditeur
moderne pense du tragique  : notre notion du tragique doit être donc remise en perspective.

Cette réflexion réflexive d’Hélène  peut-elle être perçue comme une marque de profondeur
d’ordre poétique  ?
Ce type de réflexivité n’est pas nécessairement métalittéraire, métapoétique ou métathéatrale.
Elle n’est pas si particulière dans la mesure où l’on pense à la toile de Pénélope qui tisse les faits de la
guerre de Troie. On peut aussi penser aux récits de Démodocos qui sont insérés avant le récit d’Ulysse
et qui racontent par exemple l’introduction du cheval de Troie dans la cité de Troie. Ainsi, ces
dimensions réflexives appartiennent à ce genre de poésie. Il y en a de même chez Sappho, un moment
où elle se met elle-même en scène  : Aphrodite s’adresse à Sappho en lui demandant qui elle doit
ramener à son amour.

Y a-t-il une plasticité particulière autour du nom d’Hélène  ? (cf vers d’Eschyle)
Ce qui est certain, c’est que pour les grecs les noms propres sont en général des noms parlants. Ca va
jusqu’à la dénomination de la Chorège dont le nom propre désigne la fonction. Ce jeu sur les noms, on
en trouve des manifestations dans l’Odyssée elle-même où le nom d’Ulysse peut être associé à
différents verbes. Ce jeu sur le nom fait partie de la poétique grecque.

Conclusion critique, ouverture sur mon travail de recherche.

Ainsi, Claude Calame envisage-t-il d’abord les mythes selon leurs circonstances d’énonciation
et non à partir du contenu et de la structure du récit en lui-même, ce qui démarque son approche de
l’anthropologie de celle de Claude Levi-Strauss. En effet, Claude Calame prend ses distances avec ses
collèges Algirdas Julien Greimas et Marcel Détienne qui défendaient une anthropologie structurale
en prônant l’immanence du texte, s’appuyant sur son analyse syntaxique et narratologique pour
reconstruire les structures du sens, avec ses différents niveaux hiérarchiques à l’intérieur même du

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texte. Claude Calame choisit d’étudier les diverses variations des mythes à la lumière de leurs
circonstances d’énonciation qui impliquent « de la part du poème en performance des effets de sens,
et des effets esthétiques, affectifs, d’ordre religieux, dans des conditions institutionnelles, rituelles,
culturelles précises. »2 Ainsi, Claude Calame insiste sur la nécessité de concevoir la poésie grecque
comme une poésie mélique et non lyrique. Il s’agit de prendre en compte son caractère de
performance lié à la catégorie du « mélos », qui comprend à la fois le lógos qui désigne le discours et
la parole chantée, l’harmonia renvoyant à l’harmonie musicale, et le rhuthmos qui évoque la cadence
et partie chorégraphiée. Il s’agit aussi d’étudier en quoi le poème homérique compris comme
performance constitue en un acte rituel de culte mais également contribue à la fabrication de l’être
social, de l’identité culturelle, religieuse et sexuelle des citoyens athéniens.

Cette approche permet de questionner notre façon moderne de nous rapporter aux mythes
comme simples récits héroïques invraisemblables, et vient éclairer et interroger la méthodologie que
j’emploie pour mon propre travail de recherche. En effet, je m’intéresse à la mise en musique du
mythe d’Hélène par Saint-Saëns dans son opéra Hélène. En choisissant ce sujet, j’avais d’abord pour
projet de m’inspirer de la méthode structuraliste d’analyse des mythes pour étudier la musique de
Saint-Saëns. Je souhaitais employer l’approche développée par Eero Tarasti dans Mythes et musique
qui analyse l’œuvre de Wagner en faisant des liens entre les leitmotivs de la musique et les
mythèmes qui structurent le livret de Wagner. Toutefois, cette approche m’a semblée de moins en
moins pertinente pour me rapporter à l’oeuvre de Saint-Saëns. En effet, ce compositeur s’intéresse
au mythe d’Hélène au moment où l’anthropologie se constitue comme une science à la fin du
XIXème siècle, et où l’on observe un intérêt croissant pour la Grèce antique, stimulé par de
nombreuses découvertes archéologiques. De plus, même si Saint-Saëns envisage le mythe dans une
perspective toujours romantique en faisant du récit mythique du rapt consenti d’Hélène le sujet de
son opéra, il est également soucieux d’acquérir une véritable connaissance historique et
anthropologique sur la musique antique comme en témoigne ses recherches sur les lyres et cithares
antiques (conférence et publication d’articles) ainsi que son ouvrage intitulé Notes sur les décors de
théâtre dans l’antiquité romaine (1886). Ainsi, il me semble intéressant d’envisager la piste selon
laquelle Saint-Saëns aurait cherché dans son opéra Hélène (dont il écrit le livret et dans lequel il fait
intervenir des chœurs) à réactualiser certaines pratiques musicales antiques, à appliquer à sa
création des connaissances qu’il a pu acquérir dans ses recherches anthropologiques. La place des
chœurs dans leur dimension rituelle, mais aussi la version du mythe d’Hélène, qu’il choisit de rendre

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Barbu Daniel, Matthey Philippe, Meylan Nicolas, Ibañez Diego, Calame Claude. Entretien avec Claude
Calame. In: ASDIWAL. Revue genevoise d'anthropologie et d'histoire des religions, n°9, 2014. pp. 9-23.

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innocente à la façon d’Euripide, sont des pistes d’études qui m’ont été ouvertes par cette
intervention et qui me semblent désormais plus pertinentes pour étudier cet opéra.

Bibliographie

Barbu Daniel, Matthey Philippe, Meylan Nicolas, Ibañez Diego, Calame Claude. Entretien avec Claude
Calame. In: ASDIWAL. Revue genevoise d'anthropologie et d'histoire des religions, n°9, 2014. pp. 9-23.

C. CALAME, Qu’est-ce que la mythologie grecque ? Paris, Éditions Gallimard (« Folio essais », 598),
2015

C. CALAME, Poétique des mythes en Grèce antique, Paris, Hachette, 2000 ; trad. angl. Greek
Mythology : Poetics, Pragmatics and Fiction, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; trad. it. :
Poetiche dei miti nella Grecia antica, Lecce, Argo, 2011.

S. LETEURE, « Les incursions musicales et intellectuelles du compositeur Camille Saint-Saëns dans


l’évolutionnisme », 18 mai 2010, Société d’anthropologie de Paris et Springer-Verlag France 2011

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