La Guerre
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Policy Brief
F é v r i e r
Les répercussions
économiques de la guerre
en Ukraine pour l'Afrique
et le Maroc
Par Abdelaaziz Ait Ali, Fahd Azaroual,
Oumayma Bourhriba et Uri Dadush
PB - 11/22
La guerre russo-ukrainienne aura des répercussions économiques et politiques dans les années
à venir. Dans cette note, nous nous intéressons aux implications économiques de la guerre sur
l’économie africaine à court et à long terme. Le conflit survient alors que l’Afrique s’efforce de
mettre son économie sur la voie de la reprise, dans un contexte de pressions inflationnistes
mondiales et de volatilité des marchés financiers et des matières premières. Alors que les
exportateurs d’énergie vont pouvoir profiter de la crise, d’autres, comme le Maroc, seront
durement touchés par la flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, ce qui va
accentuer leurs déséquilibres extérieurs et leurs inquiétudes à propos de la hausse des prix et
de l’évolution de la dette publique.
L’invasion de grande ampleur de l’Ukraine par la Russie le 24 février aura des répercussions
politiques et économiques majeures sur le reste de la planète qui se feront sentir au cours
des mois et des années à venir. La présente note est axée sur les conséquences économiques
de la guerre pour les 54 pays africains et leur population d’un milliard d’habitants. Une
attention particulière est accordée au Maroc, pays à revenu moyen de la tranche inférieure
qui importe plus de 90 % de son énergie et la moitié de ses besoins en céréales et qui
figure parmi les nations africaines les plus exposées à la crise.
Les perspectives économiques de l’Afrique n’étaient déjà pas favorables avant l’invasion.
L’Afrique reste très exposée à la pandémie et, selon la BM (2022), le revenu par habitant
dans la plupart des pays africains restera inférieur aux niveaux pré-pandémiques, au moins
jusqu’en 2023. L’inflation médiane a été annoncée à 5,1 % en glissement annuel à la fin de
l’année 2021. L’Afrique, et notamment du Nord, est particulièrement touchée par les prix
élevés des denrées alimentaires qui représentent près de 40 % du budget des ménages
dans de nombreux pays. Les niveaux de pauvreté, mesurés à 1,90 dollar par jour, sont
passés de 34 % avant la pandémie à 39 % (Perspectives économiques en Afrique 2021).
Selon la classification de la Banque africaine de développement (BAD), les 43 pays africains
importateurs d’énergie souffrent aussi indirectement des prix élevés du charbon, du gaz
et du pétrole, car ils augmentent les coûts de production des engrais et des denrées
alimentaires qui sont tous deux à forte intensité énergétique.
L’économie ukrainienne est bien plus diversifiée que celle de la Russie, mais elle est beaucoup
plus petite et ne représente que 0,2 % de la production mondiale. Elle joue en revanche
un rôle essentiel sur le marché international des produits alimentaires, puisqu’elle fournit 6
% des exportations mondiales de céréales et 10 % des exportations d’huile végétale et de
graines oléagineuses. Ce pourcentage est encore plus important pour le blé, qui atteint 10
% des exportations mondiales et l’huile de tournesol, qui représente 50 % des exportations
mondiales. Les régions de Donetsk et de Louhansk, où les opérations militaires font rage,
représentent 8% de la production ukrainienne de blé et 9% des graines de tournesol (IFPRI,
2022). D’autres régions productrices importantes se situent aux frontières du Belarus et de
la Russie, d’où les attaques militaires ont été lancées. La saison de récolte a lieu en été et
les exportations se font à l’automne. La perturbation de la capacité d’approvisionnement
et des voies de transport de l’Ukraine pendant et après le conflit aura certainement un effet
immédiat important sur le prix de ces denrées.
Ensemble, la Russie et l’Ukraine sont des acteurs majeurs dans les secteurs de l’énergie,
de l’alimentation et des engrais (tableau 1). La Russie joue un rôle central sur les marchés
de l’énergie ; ses exportations représentent respectivement environ 11 % et 9 % des
importations mondiales de pétrole et de gaz1. La Russie représente 5 % des importations
mondiales de céréales et 24 % de celles de blé. Les exportations russes d’huile de tournesol
sont également essentielles pour le marché mondial, car elles représentent 23 % des
importations mondiales de ce produit. La Russie est également le premier fournisseur au
monde d’engrais (avec 12,5 % des importations mondiales d’engrais manufacturés) et un
des premiers fournisseurs de métaux, notamment de palladium, de nickel et d’aluminium.
1. Les chiffres d’une source peuvent être différents selon la nomenclature commerciale utilisée.
Engrais
Céréales 6,0 20,0 12,5 20
manufacturés
Graines
Charbon/coke/
oléagineuses et 3,1 5,0 11,6 4,0
briquettes
fruitières
Pétrole et
Fer et acier 2,3 18,8 produits 10,9 45,5
pétroliers
Source : WITS
Même si le conflit porte un coup à l’économie russe, notamment en raison des sanctions
imposées à quelques-unes de ses banques et à certains de ses ressortissants, et de la forte
dévaluation du rouble qui affectera le pouvoir d’achat des Russes, et si la guerre dévaste
l’économie ukrainienne, les effets directs sur le PIB mondial seront faibles en raison de la
part modeste de ces économies dans la production mondiale. Ceci est particulièrement vrai
si le conflit est de courte durée, comme beaucoup le prévoient, compte tenu de l’avantage
militaire écrasant de la Russie.
Les principaux effets de la guerre se manifestent déjà dans la volatilité des marchés financiers
et des produits de base et ils seront visibles dans les semaines et les mois à venir dans
les agrégats relatifs à l’inflation et compliqueront les calculs des banques centrales déjà
déterminées à resserrer leur politique monétaire. A mesure que le risque d’invasion perçu
augmentait, puis se confirmait, les cours du pétrole sont passés de 88 dollars US le baril
à 98 dollars US le baril, et les cours du blé de 759 cents US à 878 cents US par bushel. Au
cours de la même période, les marchés des valeurs boursières en Europe et aux États-Unis
ont respectivement reculé de 8 % et de 5,7 %. Le rendement des bons du Trésor américain
à 10 ans a augmenté de 18 points de base, et le prix des plus grands ETF (exchange-traded
funds – fonds négociés en bourse) d’obligations à haut rendement, comme HYG2, a perdu
2,1% de sa valeur depuis le 1er février. Les indices boursiers se sont toutefois redressés au
cours des dernières séances, en partie parce que les sanctions annoncées contre la Russie
ont été moins sévères que prévu.
2. HYG est l’un des ETF d’obligations à haut rendement les plus utilisés (Bloomberg).
3. Cet indicateur est disponible quotidiennement mais n’est publié qu’une fois par semaine. Il reflète la fréquence des articles de 10 grands
journaux américains qui contiennent des mots spécifiques. L’indice a connu des pics à l’approche d’élections présidentielles serrées, des deux
guerres du Golfe, des attentats du 11 septembre, du différend sur le plafond de la dette en 2011, etc.
Les exportateurs de pétrole tireront de gros bénéfices de la hausse des cours du pétrole
et du gaz de ces dernières semaines, sachant que les exportations de pétrole de l’Algérie
représentent 18,9 % de son PIB, celles de l’Angola 36,5 % et celles du Nigeria 10,3 %.
Ainsi, une augmentation de 20 à 30 % des cours du pétrole et du gaz, correspondant à ce
qui a été observé ces derniers mois, si elle se maintient, entraînera une hausse de 4 à 6
% du revenu national de l’Algérie. Si ces pays sont également dépendants, à des degrés
divers, d’importations de denrées alimentaires (le Nigeria étant le moins dépendant), le
coût supplémentaire de la hausse des prix des denrées alimentaires serait éclipsé par les
gains réalisés sur les exportations d’énergie.
Les effets de la guerre sur les importateurs d’énergie africains, qui ont également tendance
à être des importateurs de produits alimentaires, sont fortement négatifs. Le Maroc est la
plus grande économie africaine la plus susceptible de subir un choc négatif important du
fait de la guerre, car ses importations de pétrole, de gaz et de charbon représentaient 6,4
% du PIB en 2019, soit environ le double de celles de l’Égypte et de l’Afrique du Sud, qui
réalisent également d’importantes exportations d’énergie. Le Maroc est également un gros
importateur de céréales. Le coût des céréales importées en tant que part du PIB s’élevait à
1,4 % en 2019, mais en raison d’une mauvaise récolte attendue en 2022, les importations
pourraient être deux fois plus importantes, soit trois fois plus importantes que celles de
2021. Cela signifie que l’effet combiné de la hausse des cours du pétrole et des céréales,
s’il se maintient, pourrait coûter au Maroc entre 1 et 2 % du revenu national cette année.
Au-delà de l’impact sur la balance extérieure du Maroc, la flambée des cours du pétrole
et des denrées alimentaires aggravera le déficit budgétaire déjà élevé, estimé à 6,5 % du
PIB cette année, dans la mesure où le gaz butane est subventionné. La hausse des prix
intensifiera également les pressions inflationnistes, comme dans le cas de l’essence et des
autres carburants dont les prix sont libéralisés. Avec les syndicats qui font pression sur les
autorités pour qu’elles ajustent les salaires afin de compenser la hausse des prix, l’inflation
semble destinée à être encore plus élevée.
La plupart des importateurs d’énergie africains sont des économies pauvres et peu
industrialisées, avec des secteurs agricoles importants. Ils ne sont pas relativement aussi
dépendants des importations d’énergie et de céréales que le Maroc, mais ils ont moins
de marge de manœuvre budgétaire pour réagir. De plus, une proportion plus importante
de leur population est proche des seuils de pauvreté et plus exposée aux chocs des prix
alimentaires que ce n’est le cas au Maroc.
Il convient de noter que, selon l’ampleur et la durée des sanctions contre la Russie et la
réaction de cette dernière, l’Afrique pourrait voir se présenter de nouvelles opportunités
d’exportation vers l’Europe (son marché le plus important) et la Russie, avec une réorientation
des exportations européennes vers la Russie et des exportations russes vers l’Europe. Parmi
Les effets de la guerre au niveau sectoriel sur l’Afrique, qui sont négatifs pour la plupart
des pays, seront probablement amplifiés par l’effet de la détérioration des conditions
macroéconomiques. La hausse des cours du pétrole et des taux directeurs à l’échelle
internationale pour lutter contre l’inflation, le creusement des écarts sur les actifs à risque
en raison de la persistance de l’incertitude, et le ralentissement de l’économie européenne,
se répercuteront éventuellement sur l’Afrique. Les pays africains qui ont accès aux marchés
internationaux pourraient voir leurs coûts d’emprunt augmenter de 1 ou 2 %. Cela ne
devrait pas poser de problème aux pays ayant une faible dette extérieure et des déficits
courants gérables, dont le Maroc. Cela étant, de nombreux pays d’Afrique, en particulier
ceux qui sont tributaires des financements publics, ont atteint des niveaux élevés de dette
extérieure dans le sillage de la pandémie et sont désormais particulièrement exposés.
• J. Glauber et D. Laborde “How will Russia’s invasion of Ukraine affect global food
security?” International Food Policy Research Institute, 24 février, 2022.
• L. Thomas et J. Strupczewski, “Ukraine crisis will hit the economy, but EU is ready,
officials say” Reuters, 25 février 2022.
• T. Orva et I. Macfee “Russia invades Ukraine, damaging the global economy”, Oxford
Economics, 24 février 2022.
Fahd Azaroual
Fahd Azaroual is a Research Assistant in Economics at the Policy Center for the New South. His research
areas cover macroeconomics. He is currently working on themes related to Economic growth and business
cycles. Fahd holds a master’s degree in applied economics, and is currently a PhD student at Mohammed
V University in Rabat. He joined the Policy Center for the New South in October 2019.
Oumayma Bourhriba
Oumayma Bourhriba is an Economist at the Policy Center for the New South. Her research area covers
macroeconomic policies… Read more
Uri Dadush
Uri Dadush is Senior Fellow at the Policy Center for the New South in Rabat, Morocco and a non-resident
scholar at Bruegel. He is based in Washington, DC, and is Principal of Economic Policy International,
LLC… Read more
Le PCNS défend le concept d’un « nouveau Sud » ouvert, responsable et entreprenant ; un Sud qui
définit ses propres narratifs, ainsi que les cartes mentales autour des bassins de la Méditerranée et de
l’Atlantique Sud, dans le cadre d’un rapport décomplexé avec le reste du monde. Le think tank se propose
d'accompagner, par ses travaux, l'élaboration des politiques publiques en Afrique, et de donner la parole
aux experts du Sud sur les évolutions géopolitiques qui les concernent. Ce positionnement, axé sur le
dialogue et les partenariats, consiste à cultiver une expertise et une excellence africaines, à même de
contribuer au diagnostic et aux solutions des défis africains. Read more
RePEc