Gogacz Esse Et Essentia STH
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leur sens premier, aristotélicien, ou leur choisit les significations qui lui
conviennent dans la tradition. Ces opérations sont très nettes si l'on
considère l'exemple de l'analyse de la substance et des attributs ainsi que de
l'essence, souvent identique avec la forme dans des êtres différents.
Ce qu'il y a de plus intéressant dans les analyses de Thomas, ce sont ses
efforts en vue de transformer la signification de certains termes.
Dans le texte de Thomas, la première transformation dans la signification
des termes concerne l'expression «principe d'individuation — individua-
tionis principium 1 ». Thomas a deux théories à sa disposition: le principe de
l'individuation est la matière, ce qui a été proclamé par Aristote; le principe
d'individuation est le corps, composé de matière et de forme corporelle, ce
qui a été proclamé par Avicenne. Thomas introduit la notion de la matière
définie. Elle n'est ni matière première ni corps. C'est une matière à laquelle
la forme assigne trois dimensions dans une substance composée 2 .
Ajoutons encore que Thomas précise la notion du corps qui, vis-à-vis de
l'âme, remplit le rôle du principe d'individuation. Le corps n'est pas sub-
stance comme chez Avicenne. Il est une partie constituante de la substance
composée. Il n'y a donc pas de forme à part. Les trois dimensions y sont
fixées par l'âme qui est l'unique forme de toute la chose donnée. Le corps
est donc constitué plutôt par ces trois dimentions appartenant à la catégorie
du nombre, lorsque le corps se trouve dans la substance en tant que
matière définie liée avec la forme qui a fait naître en elle ces trois dimen-
sions 3 .
Venons-en au terme le plus difficile, celui d'« esse». Thomas, soulignons-
le, observe nettement la différence entre les termes « ens — être » et « essentia
— essence». Il utilise le terme «esse» pour la première fois en montrant
l'équivalence du terme «essentia» avec le terme aristotélicien «quod quid
erat esse». «Esse» remplit ici des fonctions grammaticales et non sémanti-
ques. A part cela, Thomas emploie le terme «esse» dans les expressions:
«aliquid habet esse», «ens habet esse», «esse nobilius habet». Il résulte du
contexte que «esse» ne signifie pas encore ici existence. Il désigne le carac-
tère particulier de l'être. Ces trois cas de l'emploi du terme «esse» se
retrouvent déjà dans le premier chapitre.
D'après le deuxième chapitre, quelque chose qui advient à un être, et qui
lui est donné de l'extérieur, par exemple la forme à la matière, ne fait pas
que la matière soit réelle, ne cause pas son «esse», mais cause l'«esse» de la
totalité, c'est-à-dire de la forme et de la matière. Un tel «esse» peut
également être causé par les attributs, par exemple la blancheur fait que
quelque chose est blanc. Dans ce raisonnement, Thomas n'attribue donc
pas au terme « esse » la signification et le rôle du terme « existence » et il ne
proclame pas non plus la thèse selon laquelle les attributs causent
l'existence. Dans la phrase « esse substantiae compositae non est tantum esse
formae nec tantum esse materiae, sed ipsius compositi» 4 , le terme «esse»
veut dire uniquement que la substance est. Il est difficile, en effect,
d'admettre que Thomas pût parler d'une existence isolée de la forme et de la
matière. Il nous dit que ni la forme ni la matière ne sont séparées. Il utilise,
en effect, ces termes au sens aristotélicien. Rien ne montre qu'il les utilise au
sens néo-platonicien. Toutefois, il ne dit pas que chaque forme et chaque
matière ont leur fondement dans ce qui est leur «esse». D'ailleurs l'emploi
du terme «esse», dans ce chapitre, est plus proche de la notion de «re-
ceptaculum» que de celle de l'acte qui est, d'après Thomas, l'existence. Le
terme «esse», dans le deuxième chapitre signifie donc que quelque chose
est.
Dans le troisième chapitre, Thomas déclare que la nature a un autre
« esse » dans les substances et un autre dans l'intellect. Dans les substances
cet «esse» est différencié selon la substance donnée. Aucun «esse» substan-
tiel ne revient de droit à la nature en tant que concept. Il est difficile de dire,
en effect, si l'essence de l'homme en tant qu'être humain peut avoir son
«esse» dans une substance donnée. Si cet «esse» se réalisait dans une
substance donnée, un autre être humain n'aurait pas d'«esse» propre aux
êtres humains. La nature, en tant que nature, conçue en tant qu'espèce, ne
revient donc pas de droit à la substance en tant que substance. Elle
appartient au concept de la nature. Le concept d'«esse», justement, est
abstrait. La généralité et l'universalité du concept de la nature — «essence,
forme» — ont leur source non dans l'intellect, mais dans la fonction de
définition de plusieurs substance.
Même si, d'après le troisième chapitre, la nature possède P« esse » dans les
substance et dans l'intellect, il ne s'agit pas ici d'une existence réele de la
nature, tout au moins dans le cas d'une existence abstraite. Il est difficile de
dire, par ailleurs, que la nature a une existence réelle dans la substance, car,
alors, une autre substance ne posséderait plus de nature réelle, puisque
celle-ci résiderait dans une seule substance. Dans le cas de l'«esse» de la
nature dans la substance, il ne s'agit donc pas non plus d'une existence
réelle. Le terme «esse», dans le troisième chapitre, est donc employé pour
indiquer le fait d'exister ou d'être parmi les autres. Il ne signifie pas
«existence».
4
Roland-Gosselin, p. 10.
Dans le chapitre cinq, le terme « esse » désigne tous les états de l'être qui
ont été énumérés plus haut et Thomas s'en sert en lui faisant prendre tour à
tour toutes les significations utilisées jusqu'ici. Il essaie également de
démontrer que l'«esse», en tant qu'acte de l'existence, n'entre pas en
collusion avec la thèse néo-platonicienne du «Liber de causis» selon
laquelle l'intelligence est composée d'«esse» et de forme.
Dans le chapitre six, la situation est semblable. Thomas se sert de toutes
les significations du terme «esse», en donnant la prépondérance à celle qui
veut dire «présence d'un être parmi les autres».
4. En résumant cette analyse qui ne fait que signaler les problèmes sans
les présenter de façon détaillée, répétons que l'analyse des transformations
que Thomas imprime à la signification d'«esse» et à celle d'autres, termes
ainsi que l'analyse en général du langage philosophique du « D e ente et
essentia» nous a non seulement fait découvrir la pluralité des langages, mais
nous permet encore de préciser la théorie existentielle de l'être renfermée
dans ce traité, et qui se trouve liée avec différents langages philosophiques et
différents courants philosophiques. Cette théorie nous apparaît nettement
lorsque Thomas donne au terme «esse» la signification de l'acte de
l'existence.