Gogacz Esse Et Essentia STH

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LE LANGAGE DE SAINT THOMAS D'AQUIN DANS

LE «DE ENTE ET ESSENTIA»

par MIECZYSLAW GOGACZ (Varsovie/Warszawa)

1. Dans le «De ente et essentia», Thomas d'Aquin se sert de trois


langages philosophiques. Ce sont: le langage aristotélicien, le langage néo-
platonicien et le langage de ses propres conceptions existentielles.
Le langage philosophique d'Aristote est essentiel dans le traité. C'est dans
ce langage que Thomas pense et c'est à l'aide de celui-ci qu'il arrive à ses
découvertes. C'est cependant un langage qui n'est pas toujors uniforme car
il est puisé à trois disciplines philosophiques: à la métaphysique, à la logique
et à la théorie de la connaissance. Le langage de la théorie de la connaissance
peut être facilement identifié et apparaît très nettement en complément du
thème principal. Connaissant Aristote, il est également facile de distinguer
dans le texte le langage de la métaphysique de celui de la logique. Mais
Thomas, dans son traité, mélange souvent la problématique de la logique
avec la problématique de la métaphysique et il est difficile de différencier les
langages eux-mêmes, c'est-à-dire de savoir si les termes méthaphysiques
donnés déterminent des situations délimitées ou si les termes logiques
donnés servent à décrire un être réel conçu de manière métaphysique.
Ajoutons que le langage de la logique et le langage de la métaphysique se
distinguent historiquement et fondamentalement. La différence historique
consiste en ce que certains termes philosophiques apparaisent uniquement
dans des traités métaphysiques. La différence fondamentale se ramène au
fait que les termes logiques et les concepts logiques, en tant que significa-
tions de ces termes, montrent toujours la délimitation de ces concepts, alors
que, par contre, les termes métaphysiques et les concepts métaphysiques,
en tant que significations de ces termes, montrent des êtres réels ou des
éléments structuraux internes des êtres qui sont quelque chose dans une
réalité authentique, quelque chose en soi et non uniquement quelque chose
de connu.
Thomas construit ses analyses métaphysiques principalement à l'aide des
termes suivants: la puissance et l'acte, la matière et la forme, l'essence et la
nature, la substance et les attributs. Du langage de la logique, Thomas
emprunte des termes tels que: la définition, l'espèce, le genre, la différence.
Notons aussi que, dans le texte du «De ente et essentia», Thomas introduit
les différents termes dans un ordre bien déterminé. Cet ordre est fixé
justement par la métaphysique et la logique d'Aristote. Thomas parle

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d'abord de l'essence et de la nature et explique ce que c'est que l'être. Il


introduit ensuite le concept de la substance et des attributs, pour se servir
plus tard, en méditant sur la structure de la substance, des notions de la
forme et de la matière, de l'âme et du corps. Ce n'est que dans le quatrième
chapitre qu'il introduit les notions de l'acte et de la puissance, pour
montrer, à l'aide de ces notions, le lien et la différence entre l'existence et
l'essence.
Les termes d'existence et d'essence appartiennent déjà à un autre langage
philosophique, le troisième dans le traité.
Thomas définit ces termes antérieurs, principalement les termes «es-
sence» et «forme», à l'aide des notions de l'espèce, du genre et de la
différence. Il se sert cependant des significations et des délimitations de ces
notions de telle façon que la différence entre la métaphysique et là logique
s'efface nettement. Cette différence ne devient visible que dans le troisième
chapitre. C'est donc pour cela que nous affirmons que les termes métaphy-
siques — l'essence, la forme — déterminent souvent des situations délimitées
et que les termes logiques — l'espèce, le genre — désignent parfois l'être
réel. On a l'impression que Thomas, qui utilise fréquemment dans les
premiers chapitres le langage de la logique - langage universellement connu
et employé par toutes les orientations philosophiques —, veut, à l'aide de ce
langage, valider la terminologie de la métaphysique d'Aristote, et, de ce fait,
consolider la position de ses propres idées.
Nous savons, bien sûr, qu'Avicenne mélangeait la métaphysique à la
logique d'une façon idéale. La raison en pourrait être la suivante: le néo-
platonisme, considéré par Avicenne égallement comme pensée d'Aristote,
n'observait pas la limite entre les concepts et les êtres réels.
Thomas respectait nettement cette limite et défend cette conception dès le
troisième chapitre de son traité. Il s'est donc servi d'une convention recon-
nue comme point de départ ou bien il a assigné au langage de la logique le
rôle d'autorité qui introduirait dans le monde de la science la terminologie
de la métaphysique aristotélicienne, compromise pourtant par David de
Dinant et Siger de Brabant.
Le langage néo-platonicien, principalement le langage du «Liber de
causis » remplit, dans le traité, le rôle de commentaire, presque littéralement
le rôle de second langage, à l'aide duquel Thomas définit le sens des termes
qui expriment ses propositions méthapysiques. Ce langage appâraît
nettement dans les chapitres quatre et cinq. Il est pratiquement inexistant
dans les chapitres antérieurs et à la fin du traité. Il n'apparaît pas là où
Thomas est sûr de ses analyses et où le langage de la logique défend
suffisamment bien ses discernements métaphysiques. Dans les chapitres
antérieurs et dans le dernier chapitre, le danger et la présence du néo-
platonisme fait apparaître le terme «esse», présent par ailleurs dans tout le
traité. Thomas donne cependant à ce terme des significations tellement
diverses que nous pouvons considérer les premiers chapitres comme en-

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tièrement aristotéliciens. Nous classons parmi les termes néo-platoniciens


présents dans le traité, à part le terme «esse», également ceux de fini et
d'infini, de parfait, d'unité, de pluralité, de possibilité.
Le langage des conceptions existentielles de Thomas apparaît et s'épuise
pratiquement dans le chapitre quatre. Dans le chapitre cinq, Thomas répète
encore ses thèses dans le langage du quatrième chapitre, mais il les traduit
aussi en langage néo-platonicien. Ce langage de Thomas n'est pas facile à
mettre en relief. Thomas, en effect, tantôt se sert des termes d'Aristote tels
que la forme, l'acte, la puissance, tantôt il utilise le terme «essence», qui
apparaît plus souvent chez Boèce et Avicenne que chez Aristote, et tantôt,
encore, il emploie le terme «esse». A tous ces termes qui proviennent
d'Aristote, de Boèce ou d'Avicenne néo-platonicien, ou du «Liber de
causis», Thomas attribue un sens nouveau et ordonne leurs significations de
façon à leur faire déterminer d'autres états de l'être.
«Esse» n'est plus un fondement pour les formes, mais ce sont les formes
qui sont le «receptaculum» pour «esse». La forme n'est plus uniquement
en acte, mais, en relation avec «esse», elle est en puissance. «Esse» est donc
acte. L'essence ne constitue pas l'être entier, comme le pensaient Aristote
et Avicenne, mais elle est puissance face à l'existence. Dans le quatrième
chapitre, «esse» est en effect en même temps acte et existence.
Ayant changé la signification de termes connus, Thomas appelle à l'aide
la logique. If fait apparaître des significations nouvelles de ces termes en se
servant à nouveau des concepts de l'espèce, du genre et de la différence. Il
appelle également à l'aide les notions de substance, de matière, de forme,
d'attribut, pour défendre, en utilisant ces termes déjà justifiés, les nouvelles
significations qu'il a introduites et sa métaphysique existentielle. Dans le
quatrième chapitre, Thomas se sert donc du langage aristotélicien et de son
propre langage construit à base de termes appartenant à la métaphysique
d'Aristote ou tirés du «Liber de causis». Il explique la signification des
termes de son langage par la terminologie du néo-platonisme, les termes
d'Aristote et le langage de la logique. Il s'exprime donc, dans le quatrième
chapitre, principalement en trois langages: le langage aristotélicien, son
propre langage et le langage néo-platonicien. Outre cela, il utilise le langage
de la logique qui est celui d'Aristote et d'Avicenne.
2. Le chapitre quatre, ainsi que tout le traité, est extrêmement clair et
facile à comprendre. Cette pluralité des langages n'obscurcit pas la pensee,
mais, au contraire, elle la simplifie et la rend plus compréhensible. Thomas
écrit donc d'une façon admirable. La pluralité des langages philosophiques
présents dans le traité ne fait que montrer et mettre en évidence les diffé-
rents aspects de la même pensée. Elle n'est que la transposition de celle-ci
dans d'autres langages choisis par rapport à de nombreuses orientations
philosophiques.
Nous pouvons ajouter que Thomas fait nettement la différence entre
orientations et courants philosophiques. Et c'est en ayant conscience de

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leurs principaux accents qu'il a pu préciser sa propre conception, qui dé-


passe toutes les thèses précédentes en les complétant, jusqu'au point de
constituer une autre théorie de l'être, une théorie nouvelle, existentielle.
Thomas, néanmoins, ne mélangeait pas les langages. C'est grâce à cela sa
théorie est facile à comprendre. Thomas ne se perd pas dans les notions et
les langages d'autres courants philosophiques et n'en fait pas la synthèse.
Mais il existe un danger pour le lecteur d'aujourd'hui du «De ente et
essentia». C'est celui de mélanger, dans ce traité, les langages et les con-
cepts. Et pendant très longtemps, peut-être pour ces raisons-là, on a con-
sidéré la métaphysique de Thomas en tant que synthèse de toute la tradition
philosophique, c'est-à-dire en tant que mélange incompréhensiblement
cohérent de tous les courants philosophiques. Cette cohérence était attribuée
au génie de Thomas. Mais ce génie incontestable de Thomas se traduit non
par l'accomplissement de cette sythèse, mais par la mise en évidence des
imprécisions et des défauts dans les théories métaphysique qui lui étaient
connues. Et Thomas ne rectifiait pas ces défauts et ces imprécisions, mais
s'inspirait d'eux pour découvrir des aspects négligés dans la description de
l'être. Il a décrit ces aspects et formulé une métaphysique existentielle de
l'être. Il a présenté sa conception aux lecteurs. Et pour être bien compris des
adeptes d'Aristo te et des néo-platoniciens, il s'est servi du langage de ces
deux courants. Dans des passages plus difficiles, en outre, il a présenté sa
pensée à l'aide du langage de différentes disciplines philosphiques. Thomas
était, bien sûr, trop intelligent pour faire une synthèse qui, dans sa struc-
ture, devait être un mélange de concepts hétérogènes et incohérents.
Comment d'ailleurs aurait-il pu lier le hiérarchisme des êtres avec la théorie
de l'existence qui exclut le hiérarchisme? Thomas a créé une nouvelle théorie
de l'être qu'il devait exposer sous la forme d'un langage et d'un système de
pensée compréhensibles. Dans la sphère personnelle, que Thomas appelait
sagesse, it était en possession de tous ces langages et de toutes ces philo-
sophies. Mais il n'a pas fait de ce mélange une structure méthodologique de
sa théorie de l'être. Ce sont uniquement le langage et l'exposition de
l'argumentation qui ont plusieurs niveaux. Aujourd'hui, lorsque nous
présentons une pensée cohérente, nous évitons également la pluralité des
langages.
Tout ceci ne veut pas dire que le «De ente et essentia» soit un texte,
modèle. Non. C'est une composition de nombreux courants, méthods,
arguments et langages. Et c'est la distinction de tout cela qui permet de
découvrir la très grande métaphysique de Thomas.
Il aurait fallu illustrer cette variété du contenu du traité en y décelant les
différents courants philosophiques, les disciplines et les méthodes. Nous
allons seulement illustrer la pluralité des langages.
3. Les termes propres au langage philosophique d'Aristote, tels que
l'être, l'essence, la nature, la substance, l'accident, ainsi que des termes
utilisés par Boèce, Avicenne, Averroès, Thomas les précise, leur redonne

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leur sens premier, aristotélicien, ou leur choisit les significations qui lui
conviennent dans la tradition. Ces opérations sont très nettes si l'on
considère l'exemple de l'analyse de la substance et des attributs ainsi que de
l'essence, souvent identique avec la forme dans des êtres différents.
Ce qu'il y a de plus intéressant dans les analyses de Thomas, ce sont ses
efforts en vue de transformer la signification de certains termes.
Dans le texte de Thomas, la première transformation dans la signification
des termes concerne l'expression «principe d'individuation — individua-
tionis principium 1 ». Thomas a deux théories à sa disposition: le principe de
l'individuation est la matière, ce qui a été proclamé par Aristote; le principe
d'individuation est le corps, composé de matière et de forme corporelle, ce
qui a été proclamé par Avicenne. Thomas introduit la notion de la matière
définie. Elle n'est ni matière première ni corps. C'est une matière à laquelle
la forme assigne trois dimensions dans une substance composée 2 .
Ajoutons encore que Thomas précise la notion du corps qui, vis-à-vis de
l'âme, remplit le rôle du principe d'individuation. Le corps n'est pas sub-
stance comme chez Avicenne. Il est une partie constituante de la substance
composée. Il n'y a donc pas de forme à part. Les trois dimensions y sont
fixées par l'âme qui est l'unique forme de toute la chose donnée. Le corps
est donc constitué plutôt par ces trois dimentions appartenant à la catégorie
du nombre, lorsque le corps se trouve dans la substance en tant que
matière définie liée avec la forme qui a fait naître en elle ces trois dimen-
sions 3 .
Venons-en au terme le plus difficile, celui d'« esse». Thomas, soulignons-
le, observe nettement la différence entre les termes « ens — être » et « essentia
— essence». Il utilise le terme «esse» pour la première fois en montrant
l'équivalence du terme «essentia» avec le terme aristotélicien «quod quid
erat esse». «Esse» remplit ici des fonctions grammaticales et non sémanti-
ques. A part cela, Thomas emploie le terme «esse» dans les expressions:
«aliquid habet esse», «ens habet esse», «esse nobilius habet». Il résulte du
contexte que «esse» ne signifie pas encore ici existence. Il désigne le carac-
tère particulier de l'être. Ces trois cas de l'emploi du terme «esse» se
retrouvent déjà dans le premier chapitre.
D'après le deuxième chapitre, quelque chose qui advient à un être, et qui
lui est donné de l'extérieur, par exemple la forme à la matière, ne fait pas

1 Roland—Gosselin, « D e ente et essentia» de Saint Thomas d'Aquin, Paris, 1948, p. 10.


2 «Dico materiam signatam quae sub determinatis dimensionibus consideratur».
Roland—Gosselin, op. cit. p. 11. Le texte cité ne comprend pas tous les éléments donnés lors
de la définition du principe d'individuation dans le texte du traité. J'ai puisé ces éléments dans
le texte complet de Thomas et principalement dans sa définition du corps qui est le principe
d'individuation de l'âme humaine. «Potest ergo hoc nomen corpus significare rem quamdam
quae habet talem formam ex qua sequitur in ipsa designabilitas trium dimensionum ».
Roland—Gosselin, p. 13.
3 O p . cit. Roland-Gosselin, p. 1 2 - 1 3 .

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que la matière soit réelle, ne cause pas son «esse», mais cause l'«esse» de la
totalité, c'est-à-dire de la forme et de la matière. Un tel «esse» peut
également être causé par les attributs, par exemple la blancheur fait que
quelque chose est blanc. Dans ce raisonnement, Thomas n'attribue donc
pas au terme « esse » la signification et le rôle du terme « existence » et il ne
proclame pas non plus la thèse selon laquelle les attributs causent
l'existence. Dans la phrase « esse substantiae compositae non est tantum esse
formae nec tantum esse materiae, sed ipsius compositi» 4 , le terme «esse»
veut dire uniquement que la substance est. Il est difficile, en effect,
d'admettre que Thomas pût parler d'une existence isolée de la forme et de la
matière. Il nous dit que ni la forme ni la matière ne sont séparées. Il utilise,
en effect, ces termes au sens aristotélicien. Rien ne montre qu'il les utilise au
sens néo-platonicien. Toutefois, il ne dit pas que chaque forme et chaque
matière ont leur fondement dans ce qui est leur «esse». D'ailleurs l'emploi
du terme «esse», dans ce chapitre, est plus proche de la notion de «re-
ceptaculum» que de celle de l'acte qui est, d'après Thomas, l'existence. Le
terme «esse», dans le deuxième chapitre signifie donc que quelque chose
est.
Dans le troisième chapitre, Thomas déclare que la nature a un autre
« esse » dans les substances et un autre dans l'intellect. Dans les substances
cet «esse» est différencié selon la substance donnée. Aucun «esse» substan-
tiel ne revient de droit à la nature en tant que concept. Il est difficile de dire,
en effect, si l'essence de l'homme en tant qu'être humain peut avoir son
«esse» dans une substance donnée. Si cet «esse» se réalisait dans une
substance donnée, un autre être humain n'aurait pas d'«esse» propre aux
êtres humains. La nature, en tant que nature, conçue en tant qu'espèce, ne
revient donc pas de droit à la substance en tant que substance. Elle
appartient au concept de la nature. Le concept d'«esse», justement, est
abstrait. La généralité et l'universalité du concept de la nature — «essence,
forme» — ont leur source non dans l'intellect, mais dans la fonction de
définition de plusieurs substance.
Même si, d'après le troisième chapitre, la nature possède P« esse » dans les
substance et dans l'intellect, il ne s'agit pas ici d'une existence réele de la
nature, tout au moins dans le cas d'une existence abstraite. Il est difficile de
dire, par ailleurs, que la nature a une existence réelle dans la substance, car,
alors, une autre substance ne posséderait plus de nature réelle, puisque
celle-ci résiderait dans une seule substance. Dans le cas de l'«esse» de la
nature dans la substance, il ne s'agit donc pas non plus d'une existence
réelle. Le terme «esse», dans le troisième chapitre, est donc employé pour
indiquer le fait d'exister ou d'être parmi les autres. Il ne signifie pas
«existence».

4
Roland-Gosselin, p. 10.

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Nous savons déjà que Thomas différencie les notions de l'être, de


l'essence de la forme, en accord, d'ailleurs, avec la terminologie du «Liber
de causis». La forme, la nature ou l'essence se lient avec l'«esse» pour
constituer une substance cohérente simple. Le fait que Thomas se rapporte
au « Liber de causis » voudrait dire que par « esse » il comprend le sujet de la
forme. Et Thomas ne rectifie pas pour le moment cette possibilité. Par
ailleurs, en considérant l'indépendance de l'«esse» de la forme vis-à-vis de
la matière, il déclare que la forme donne l'«esse» à la matière. Encore une
fois, il est difficile d'admettre que, selon Thomas, ce soit la forme qui donne
l'existence à la matière, car, alors, la matière, liée directement à l'existence
grâce à la fonction de la causalité que remplit la forme, deviendrait
substance composée d'«esse» et, précisément, de matière. Thomas exclut
pourtant la substantialité de la matière. S'il comprenait par «esse»
l'existence qui lie la forme à la matière et a sa source dans la forme, il
contredirait ses analyses postérieurs. Thomas, en effect, ajoute tout de suite
que la forme ne peut pas être la source de 1'« esse », car, alors, un être donné
serait une cause pour lui-même. Thomas exclut cette éventualité. Accorder
1'« esse » à la forme, c'est tout simplement faire de la matière une « partie » de
la substance. Thomas ajoute que la cause de l'«esse» pourait être un être
dans lequel l'essence est identifiée à l'«esse». C'est alors «esse tantum —
l'existence seule». Dans ces analyses «esse» ne peut pas non plus désigner
l'existence. Il peut signifier l'être au sens courant ou le receptaculum néo-
platonicien, qui est devenu un être ne renfermant ni formes ni matières. La
situation ne serait pas meilleure, si l'on appelait cet «esse tantum» cause
première, être premier ou même Dieu. Avicenne affirme la même chose et
nous retrouvons les mêmes concepts dans le «Liber de causis».

Ce n'est que lorsque Thomas démontre que l'essence, identique à la


forme dans les intelligences et les âmes, est une puissance vis-à-vis de
l'«esse» reçu de Dieu, que nous apprenons que, dans un être composé
d'«esse» et de forme, cet «esse» est acte. Il est une existence qui actualise
une essence, celle-ci étant la puissance. Dieu, étant uniquement «esse», est
donc aussi acte de l'existence.
Thomas change la signification traditionnelle de «esse» très lentement,
dans des analyses longues et soignées. Ce n'est pas un fondement, mais un
acte dans la structure d'un être donné.
Nous devons donc constater que le terme «esse», dans «De ente et
essentia» possède des significations differéntes: il est une abstraction, il est
la présence d'un être dont la réalité n'est pas déterminée d'une façon très
précise, il est le fondement et il est l'existence. Cet « esse » tantôt signifie une
notion, et tantôt est compris d'une manière courante comme la présence
d'un être, en tant que quelque chose qui est contraire à la notion, tantôt
encore, il est compris comme le fondement, dans le sens du « receptaculum »
néo-platonicien, et, tantôt enfin, bien sûr, comme l'acte de l'existence.

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Dans le chapitre cinq, le terme « esse » désigne tous les états de l'être qui
ont été énumérés plus haut et Thomas s'en sert en lui faisant prendre tour à
tour toutes les significations utilisées jusqu'ici. Il essaie également de
démontrer que l'«esse», en tant qu'acte de l'existence, n'entre pas en
collusion avec la thèse néo-platonicienne du «Liber de causis» selon
laquelle l'intelligence est composée d'«esse» et de forme.
Dans le chapitre six, la situation est semblable. Thomas se sert de toutes
les significations du terme «esse», en donnant la prépondérance à celle qui
veut dire «présence d'un être parmi les autres».
4. En résumant cette analyse qui ne fait que signaler les problèmes sans
les présenter de façon détaillée, répétons que l'analyse des transformations
que Thomas imprime à la signification d'«esse» et à celle d'autres, termes
ainsi que l'analyse en général du langage philosophique du « D e ente et
essentia» nous a non seulement fait découvrir la pluralité des langages, mais
nous permet encore de préciser la théorie existentielle de l'être renfermée
dans ce traité, et qui se trouve liée avec différents langages philosophiques et
différents courants philosophiques. Cette théorie nous apparaît nettement
lorsque Thomas donne au terme «esse» la signification de l'acte de
l'existence.

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