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perspectives revue trimestrielle

de l'éducation
Rédacteur en chef : Zaghloul Morsy
Rédacteur en chef adjoint : Leslie J. Limage

U n e edition de Perspectives est également disponible


dans les langues suivantes :

Anglais

prospects
quarterly review of education
(ISSN 0033-1538), Unesco

Espagnol

perspectivas
revista trimestral de educación
(ISSN 0304-3053)1 Unesco

\AMÂLÊÈJÎ
•• •

(ISSN 0254-119-X), Unesco

Russe

nepcneKTMBbi
(ISSN 0207-8953), Moscou

Chinois

ïfc W fê M
(ISSN 0254-8682), Beijing

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perspectives
Vol. XVIII, n° i, 1988 (65)

Jalons 3

POSITIONS /CONTROVERSES
L'éducation des surdoués c o m m e problème : le cas de la Hongrie
Zoltân Báthory et András Joô II
Formation à l'autoformation : une expérience en cours
Gordana Zindovic Vukadinovic 25

DOSSIER
L'enseignement à distance
I. Thèmes fondamentaux
L'enseignement à distance : u n état de la question Anthony Kaye 41
L a planification des projets d'enseignement à distance
Armando Vïllarroel 55
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance
Onkar Singh Dewal 63
L e problème de la qualité et de la pertinence du matériel
pédagogique dans l'enseignement à distance Anthony B . Zahlan 75
Formation à distance et communication assistée par ordinateur
France Henri 87
L e régime économique de l'enseignement de masse à distance
Greville Rumble 93

TENDANCES ET CAS
L a décentralisation de l'éducation au Mexique Carlos Órnelas 109
L e programme d'éducation rurale et d'agriculture ( R E A P ) du
Belize Zellynne Jennings 119

Revue de publications

Profils d'éducateurs : Wilhelm von Humboldt (1767-1835)


Karl-Heinz Günther 131
Comptes rendus : L'enseignement à distance Juma Esau Nyirenda,
José Luis García Garrido, Nicole Mercier 141

ISSN 0304-3045
Prière d'adresser toute correspondance au Rédacteur en chef,

perspectives
Unesco, 7 , place de Fontenoy, 75700 Paris, France.

Les articles signés expriment l'opinion de leurs auteurs et n o n pas


nécessairement celle de l'Unesco ou de la rédaction.

Les appellations employées dans Perspectives et la présentation des données


qui yfigurentn'impliquent de la part d u Secrétariat de l'Unesco
aucune prise de position quant au statut juridique
des pays, territoires, villes o u zones, ou de leurs autorités, ni quant au tracé
de leurs frontières o u limites.

© Unesco 1988
Les textes publiés peuvent être librement reproduits et traduits
(sauf pour les illustrations et lorsque le droit de reproduction ou de traduction
est réservé et signalé par la mention « © Auteur(s) » )
à condition qu'il soit fait mention de l'auteur et de la source.

« T o u s les documents et les publications Unesco épuisés


sont disponibles sur microfiche pour la s o m m e de 15 F F .
Chaque fiche correspond à 96 pages.
Veuillez adresser votre c o m m a n d e en m ê m e temps que le paiement
au Service Ventes-Périodiques, U P P / V ,
1, rue Miollis, 75015 Paris. »

Publié par l'Organisation des Nations Unies


pour l'éducation, la science et la culture
7, place de Fontenoy, 75700 Paris
Imprimerie des Presses Universitaires de France, V e n d ô m e .
Jalons
Enseignement à distance : une révolution tranquille

Tandis que les systèmes formels d'éducation, à tous les niveaux et dans
toutes les régions du monde, se débattent dans une crise dont Philip
Coombs, dans deux ouvrages retentissants1, et l' Unesco* ont été de scru-
puleux analystes, un système parallèle émerge, se ramifie et prend un
poids qui défie — positivement — Véducation de type traditionnel.
Pour ceux que les chiffres et les statistiques n'impressionnent pas, il en
est tout de même qui ne peuvent laisser indifférent. O n peut, en effet,
ne pas être impressionné d'apprendre (article d'Anthony Kaye) qu'en
U R S S , « mille deux cents établissements d'enseignement à distance
comptent en 1983 environ un million et demi d'étudiants au niveau
supérieur » et qu'en Chine, la même année, « 40 % des effectifs de l'ensei-
gnement supérieur au niveau national [sont constitués par ceux qui] pour-
suivent leurs études à distance » ; on ne peut s'empêcher de penser que,
si l'un et l'autre sont des pays parmi les plus peuplés du monde, l'un
est un pays dit « développé », l'autre en développement et qu'ici et là
le recours à l'enseignement à distance a été jugé utile, sinon indispen-
sable. Plus encore, si l'on consent à oublier les chiffres et que l'on repère
sur un planisphère tous les pays où est pratiquée une forme ou l'autre
d'enseignement à distance, on s'apercevra qu'il s'agit d'un bon tiers
des pays de la planète, du plus petit au plus grand.
Allons plus loin. Ces pays recourent à l'enseignement à distance au
niveau de la formation élémentaire (à l'intention des adultes, il est vrai),
secondaire, postsecondaire et pour la formation des maîtres pour répondre
tant aux exigences du système formel (par exemple, pour passer un
examen de fin d'études secondaires ou un concours de l'enseignement
supérieur) qu'à des choix individuels, de type strictement non formel ;
bref, l'enseignement à distance est dispensé pour tous les âges, pour tous
les besoins et pour tous les goûts.
Poussons encore plus loin. Les balbutiements de l'enseignement à dis-
tance sont à peu près contemporains, en Europe, de l'institution postale
sous forme d'enseignement par correspondance. Cela remonte donc déjà
au milieu du XIXe siècle. Vint ensuite l'enseignement par la radio un
siècle plus tard, dans les années 1940, puis par la télévision, par les audio-
cassettes et vidéocassettes, et maintenant par l'ordinateur et l'utilisation
intégrée des autres moyens. Voilà au moins une approche qui a su
constamment, et pour ainsi dire, au vol, saisir et employer judicieusement
chaque nouvelle conquête technologique (à la différence de l'école) et qui
a su combiner ce qui paraît encore impossible au système formel : travailler

Perspectiva, vol. XVIII, n° i, 1988


Jalons

tout en apprenant, se perfectionner, moduler son effort et son rythme


selon une démarche quiri'exigeni le face-à-face, ni l'horaire imposé,
ni la disqualification, bref, une option fondée sur Vautoresponsabilité.
Et ce phénomène, avec son succès, pourrait fort bien changer, à terme,
tout le paysage de Véducation et de la formation. C'est aujourd'hui une
révolution tranquille ; il convient de se demander si, demain, ce ne sera
pas, pratiquement, une des réponses majeures à tout ce qui fait la spécifi-
cité et le monopole du système formel. Une réponse payante, aux deux
sens du mot.
Anthony Kaye,enseignant à la prestigieuse Open University britannique,
ne pouvait être mieux choisi pour nous aider à cerner les points clés et
les questions à se poser dans tout projet de mise sur pied d'un enseignement
à distance (dans le présent numéro), et à identifier quelques-unes des
expériences les plus remarquables conduites dans ce domaine à travers
le monde et qui seront analysées dans la prochaine livraison. Qu'il en soit
ici vivement remercié.
Comme on peut s'en douter, il existe une littérature considérable
consacrée à l'enseignement à distance. La plupart de nos auteurs ont eu
la courtoisie scientifique de rappeler que, là encore, l'Unesco a fait œuvre
de pionnier en 1975 en commandant et publiant l'ouvrage intitulé
Études ouvertes3, suivi par bien d'autres publications, rapports d'en-
quêtes et de réunions. Parallèlement, la question de l'enseignement à
distance, sous divers aspects opérationnels adaptés à la fois aux systèmes
éducatifs des États membres, à leur contexte économique et culturel, et
naturellement à leurs besoins, afiguréen bonne place dans les programmes
biennaux successifs de l'Organisation, y compris celui qui est actuelle-
ment en cours d'exécution (1988-1989).
Ainsi, dans le cadre du sous-programme intitulé « Amélioration des
contenus et des méthodes de l'éducation », sont prévus « un soutien tech-
nique et des services consultatifs [...] à des institutions nationales et à des
organisations non gouvernementales pour des activités deformation visant
à développer des systèmes et programmes d'enseignement à distance ».
Dans un autre, intitulé « Développement et amélioration de l'enseigne-
ment supérieur pour le progrès de la société », plusieurs activités sont
également prévues : « l'organisation d'un atelier pour la formation des
personnels de l'enseignement supérieur à distance » / un « appui technique
[...] à des réseaux d'institutions assurant un enseignement supérieur à
distance, notamment pour en développer la méthodologie, mettre au
point des matériels pédagogiques, en promouvoir l'échange et à aider à
la formation du personnel enseignant » ; pour la région Asie et Pacifique,
un « appui technique etfinancierpour le développement de la production
à l'échelle régionale de matériel pédagogique destiné à l'enseignement à
distance » ; pour la région Europe, V « organisation de réunions et [la]
préparation d'études sur des thèmes recommandés par les conférences des
Jalons

ministres de l'éducation de cette région et par le Comité consultatif du


Centre européen de VUnesco pour renseignement supérieur »y parmi
ces thèmes figure précisément celui qui a pour titre les « Méthodes,
techniques et supports de l'enseignement ¡apprentissage et utilisation des
ordinateurs dans l'enseignement supérieur, notamment l'enseignement à
distance » y pour la région des États arabes, V « organisation d'une
consultation et [la] réalisation d'études » portant sur différents thèmes
dont à nouveau l'enseignement supérieur à distance.
Dans ce bref rappel, encore une fois, nous nous en sommes tenus au
domaine de compétence qui fait la spécificité de Perspectives, l'éducation,
à l'exclusion de ce que les autres secteurs de l'Unesco (sciences, sciences
sociales, culture et communication) examinent, proposent et réalisent
en matière d'enseignement à distance.

Égalité de chances,
institutionnalisation de l'innovation

Si l'on devait définir ce qu'il y a de commun entre les articles consacrés


à des expériences conduites dans des pays aussi différents que la Hongrie
(Bâthory et Joó), le Mexique (Órnelas) et le Belize (Jennings), on
pourrait dire qu'il se résume à la difficulté de mettre en œuvre des inno-
vations positives, politiquement décidées, tout en ne déviant pas des
principes fondamentaux de l'égalité des chances d'accès et de réussite.
Pour le cas de la Hongrie, il s'agit de « savoir si l'amélioration sou-
haitable de l'éducation actuellement dispensée aux surdoués doit être
confiée à quelques écoles de haut niveau [...] ou s'il convient, pour la
réaliser, d'élever le niveau et l'efficacité du système scolaire tout entier y
s'il faut, pour atteindre le résultat recherché, procéder à une concentra-
tion des moyens ou à leur répartition égalitaire y en d'autres termes,
si l'on doit opter pour une solution élitiste ou pour une solution démo-
cratique ».
De plus en plus nombreux sont les pays, développés ou en développe-
ment, qui ont conçu et mis en œuvre une politique d'éducation des enfants
et adolescents talentueux. Dans un monde de plus en plus compétitif,
il est évident que cette catégorie de la jeunesse — ces h a p p y few — cons-
titue un capital précieux, un investissement dans l'avenir qu'aucun pays
ne saurait négliger y mais cela doit-il se faire au détriment de la majorité
des jeunes, « normaux », et de l'autre catégorie, de plus en plus nombreuse
des enfants que le système scolaire estime inférieurs à la moyenne hypo-
thétiquefixée? A notre connaissance, c'est là un dilemme qu'aucun pays
n'a encore êquitablement tranché.
Prenons le cas du Mexique. La complexité des systèmes éducatifs, les
Jalons

pesanteurs de toutes sortes qui les caractérisent, ce qu'ils exigent pour


fonctionner et produire plus efficacement, font que Vidée de décentralisa-
tion, quand elle est politiquement décidée, élaborée et mise en œuvre,
devrait, en principe, guérir bien des maux et combler bien des insuffisances.
La décision fut proclamée au Mexique, au plus haut niveau, en 1982.
Six ans plus tard, Órnelas nous décrit les tribulations et distorsions de
toutes sortes subies par ce principe qui, la bureaucratie et les privilèges
aidant, n'a pas réussi à s'enraciner.
Tournons-nous maintenant vers le Belize. Voilà un petit pays qui a
récemment accédé à l'indépendance, avec les formidables problèmes de
transition, de prise en main de son destin et de mise sur pied d'une poli-
tique nationale, notamment en matière d'éducation. Pays à vocation
purement agricole, il était normal (et exemplaire) qu'il centre son
système éducatif et de formation sur ce secteur, sans cependant négliger
les autres. D'où le programme R E A P que nous décrit Jennings. Avec
ses faiblesses et ses promesses, ce programme, somme toute, semble avoir
réussi ; mais faut-il, comme au Mexique, qu'une orientation positive
soit remise en cause dès qu'un changement de majorité appelle au pouvoir
une autre équipe politique ?

L'Europe d'hier et d'aujourd'hui

Une note d'espoir pour terminer. Dans la série de nos « profils », nous
donnons au lecteur à connaître une des plus grandes figures éducatives
et culturelles du XIXe siècle : Wilhelm von Humboldt. Il est rare pour
un éducateur d'avoir pour contemporains et amis des hommes aussi
représentatifs, de leur pays et de l'Europe, que Goethe, Schiller,
Fichte, Herder, Schleiermacher... C'était l'Europe de la Révolution
française, des conquêtes napoléoniennes, de l'effondrement du Saint-
Empire romain germanique, du Congrès de Vienne avec les conséquences
considérables qu'ont eues et auront de tels événements, exacerbant les
nationalismes, déclenchant de nouvelles révolutions et poussant l'Europe
à une sorte d'autobalkanisation porteuse de menaces de guerres — et de
guerres effectives —, d'intérêts particuliers et de tentations d'hégé-
monisme.
Deux siècles plus tard, aujourd'hui, l'Europe renoue avec sa vocation,
qui est d'être unie et complémentaire. Pour l'heure, il ne s'agit encore que
de douze pays, ceux de la « Communauté européenne ». Cela représente
quelque trois cent vingt millions de personnes où la jeunesse est prépon-
dérante. Dans cet « espace sans frontières » circuleront institutionnellement
et dès le 31 décembre 1992 entre autres les idées, c'est-à-dire les pro-
fesseurs, les chercheurs, les jeunes. C'est dire que l'éducation et la forma-
Jalons 7

ñon y seront déterminantes. Des programmes tels qu'Erasmus (échanges


universitaires) et Cometí (échanges universités-entreprises) connaissent
dès à présent un remarquable succès.
Voilà une autre Europe en perspective, mais voilà aussi un itinéraire
qui a pris deux siècles pour être parcouru. Combien de temps prendra-t-il
aux autres régions de la planète qui, elles aussi, ont le plus urgent besoin
d'unir leurs efforts, de sefixerun avenir commun et d'y tendre concrète-
ment ? Sur cette urgence, les jeunes ont assurément leur mot à dire. •

Z. M .

Notes
i. Philip H . C o o m b s , The world educational crisis, N e w York, Oxford University Press, 1968,
et The morid crisis in education: the view from the eighties, N e w York, Oxford University
Press, 1985.
2. Edgar Faure et al., Apprendre à être, Paris, Unesco-Fayard, 1972.
3. N . Mackenzie, R . Postgate et J. Scupham (dir. publ.), Études ouvertes. Systèmes d'instruc-
tion postsecondaires à distance, Pans, Unesco, 1977 (version originale anglaise, 1975).
POSITIONS

CONTROVERSES
L'éducation des surdoués
c o m m e problème :
le cas de la Hongrie
Zoltán Báthory et András Joó

Il est vital pour la société hongroise que ceux de ses m e m b r e s qui sont
particulièrement doués puissent faire fructifier pleinement leurs apti-
tudes et leurs facultés créatrices, pour leur satisfaction propre et
pour le bénéfice de la c o m m u n a u t é tout entière. T o u s les spécialistes
s'accordent à reconnaître que, compte tenu des espoirs croissants
que la société place en ses m e m b r e s les plus talentueux, il est désor-
mais urgent d'apporter une solution globale aux problèmes que pose
leur éducation1. D'après u n e étude statistique entre 1980 et 1984,
plus de trois cents articles ont été consacrés en Hongrie au développe-
ment des aptitudes, des talents, de la créativité, etc. (Felkai, 1983),
ce qui témoigne de l'intérêt grandissant des spécialistes c o m m e d u
grand public pour cette question. Tout le m o n d e semble aussi
d'accord pour considérer que le talent est une manifestation globale
de la personnalité, incluant des éléments autres qu'intellectuels. Il
s'agit là d'un changement radical par rapport à la conception uni-
dimensionnelle qui prévalait autrefois. Les spécialistes de l'éducation
peuvent désormais, sur ces bases nouvelles, tenter d'arriver à u n e
compréhension plus large de ce qu'est le « talent », considéré aujour-
d'hui c o m m e englobant, outre une aptitude intellectuelle générale
exceptionnelle, des aptitudes spécifiques de tout ordre et la créativité.
Cette interprétation large va aussi dans le sens des besoins de la
société.

Zoltán Báthory (Hongrie) est chercheur à l'Institut pédagogique national (Budapest),


où elle dirige le Département de didactique. Principaux domaines de recherche : le
processus de l'enseignement et de l'apprentissage ; la théorie du curriculum; l'évaluation
pédagogique.

András Joó (Hongrie), psychologue de formation, est chercheur à l'Institut pédagogique


national (Budapest). Principaux domaines de recherche : psychologie de l'enseignement;
méthodologie de la recherche en éducation.

Perspectives, vol. XVIII, n» i, 1988


Zoltán Báthory et András Joó

Les spécialistes diffèrent cependant sur le point de savoir si


l'amélioration souhaitable de l'éducation actuellement dispensée aux
surdoués doit être confiée à quelques écoles de haut niveau (dont le
passé plus ou moins proche nous offre de nombreux exemples), ou
s'il convient, pour la réaliser, d'élever le niveau et l'efficacité d u
système scolaire tout entier ; s'il faut, pour atteindre le résultat
recherché, procéder à une concentration des moyens ou à leur répar-
tition égalitaire ; en d'autres termes, si l'on doit opter pour une
solution élitiste ou pour une solution démocratique. L a tradition
scolaire hongroise, surtout celle de l'enseignement secondaire prépa-
ratoire à l'université, et les difficultés que connaît actuellement notre
économie semblent plaider en faveur d'une solution élitiste ; d'un
autre côté, le développement de la société hongroise à ce jour et ses
perspectives futures, en particulier la participation croissante de la
population dans les domaines essentiels de la vie publique, appelle
plutôt une réponse démocratique. C'est dans ce contexte social et
économique contradictoire qu'il nous faut trouver une solution
durable et constructive à nos problèmes pédagogiques. Avant d'aller
plus loin, u n bref retour en arrière s'impose.

L e s antécédents historiques

C'est au début d u siècle que les critiques bourgeois radicaux et socia-


listes de la société hongroise ont proclamé la nécessité de dépister
et d'encourager les talents que comptait le pays, et c'est dans le pro-
longement intellectuel de la réforme pédagogique de 1906 que fut
fondée la Société hongroise de psychopédagogie, laquelle, tout au
long de son existence (jusqu'en 1944), s'était donné pour tâche
d'étudier les problèmes techniques que posent le dépistage et l'édu-
cation des enfants particulièrement doués. A la m ê m e époque fut
créé, sur le modèle de l'École normale supérieure française, le Collège
Eötvös, qui acquit par la suite une grande réputation et où n o m b r e
des m e m b r e s de l'actuelle élite culturelle hongroise ont reçu une
formation que, dans l'ensemble, ils évoquent aujourd'hui encore
avec nostalgie2. Certains autres lycées et collèges c o m m e ceux de
Papa, Sárospatak, Tata, Turkeve, toutes villes où se perpétue u n e
longue tradition d'érudition, ont eux aussi inspiré l'évolution de la
pensée contemporaine en matière d'éducation des surdoués. Entre
les deux guerres furent lancés, à l'initiative d'intellectuels progres-
sistes et d'écrivains populaires, u n certain n o m b r e de mouvements
ayant pour but la prospection des dons chez les enfants de paysans
pauvres et la scolarisation de ces derniers. Malgré ces initiatives
L'éducation des surdoués c o m m e problème : le cas de la Hongrie

progressistes, la politique officielle de l'éducation n'en était pas moins


essentiellement axée sur la satisfaction des intérêts de l'élite diri-
geante et des classes moyennes, la consolidation des avantages conférés
par la naissance grâce au maintien et à la création de lycées de haut
niveau. Ainsi, Gyula Kornis, l'un des représentants marquants de
la politique scolaire dans la Hongrie de l'entre-deux-guerres, écrivait :
« Il est dans l'ordre naturel des choses que les meilleurs s'attachent
en priorité à élever le niveau de la classe sociale dont ils sont issus. »
Après 1945, combler le retard dont souffrent, en matière d'éduca-
tion, les classes ouvrière et paysanne s'impose c o m m e une tâche
urgente. O n crée, à u n rythme quasiment « révolutionnaire » pour
l'époque, l'école de huit classes (école générale), école égalitaire, qui
fournit à tous les enfants la m ê m e culture de base. Cette réforme
scolaire, d'inspiration résolument démocratique, aurait p u jeter les
bases d'un système d'éducation de masse propre à mettre en valeur le
potentiel des sujets doués, mais elle ne s'est pas attaquée avec une
vigueur suffisante au problème des inégalités. Par ailleurs, ni la vogue
du « volontarisme » qui a sévi dans les années 1950, ni la suppression
presque totale des études de psychologie et de sociologie n'étaient
de nature à favoriser le développement de l'enseignement général
et son amélioration.
L'extension et la généralisation de l'enseignement secondaire ne
progressent que lentement et continuent à poser u n problème encore
non résolu3 à ce jour. C e n'est pas l'un des moindres facteurs qui
empêchent l'école de consacrer toute l'attention voulue aux plus talen-
tueux de ses élèves, alors m ê m e que l'importance des effectifs de
l'enseignement secondaire constitue à cet égard u n élément positif.

L e s p r o b l è m e s actuels

Les autorités de l'éducation se trouvent aujourd'hui dans une situa-


tion rendue délicate par la conjonction de deux facteurs : a) la
plupart des problèmes concernant l'éducation des surdoués n'ont
pas été posés dans u n cadre officiel, et l'on a l'impression que les
pouvoirs publics n'ont c o m m e n c é à se préoccuper de cette question
que sous la poussée de l'opinion : b) la virulence avec laquelle le
groupe restreint que constituent les intéressés proclame son attache-
ment à l'école élitiste. O n assiste depuis quelques années à la multi-
plication d'articles exaltant l'école élitiste, avec des phrases grandi-
loquentes d u genre : « Les écoles d'élite représentent notre seule
chance de salut. » Pour tenter de répondre à ces revendications, les
responsables de l'éducation ont hâtivement entrepris de systématiser
Zoltán Báthory et Andres Joó

et d'actualiser u n tant soit peu le comportement traditionnel de


l'école à l'égard des sujets particulièrement doués, se montrant, hélas,
incapables de réagir à l'offensive élitiste autrement que par u n
« dépoussiérage » des vieilles méthodes.
L e débat qui se poursuit maintenant depuis des années est instructif
en ce sens qu'il nous met, au-delà de l'aspect purement scolaire de la
question, en mesure d'analyser les notions philosophiques et les hypo-
thèses plus générales dont procèdent les différents points de vue, de
préciser les conceptions qui les sous-tendent et d'apprécier à leur
juste mesure les différentes dimensions — rationnelles, idéologiques
et affectives — d u problème.

Pourquoi développer les talents ?

L'avènement d'une nouvelle ère technologique et la prise de cons-


cience d u rôle grandissant des technologies de pointe confèrent au
développement des talents la dimension d'une entreprise d'ampleur
nationale, en vertu d'un raisonnement qui, quelque peu simplifié,
est le suivant : la compétitivité des économies nationales sur le marché
international dépend de plus en plus de leur performance dans le
domaine des technologies d'avant-garde, performance qui requiert
une infrastructure intellectuelle dont la mise en place exige à son
tour que l'on mette en œuvre les moyens propres à garantir la for-
mation de spécialistes (chercheurs, concepteurs, chefs d'entre-
prise, etc.) de ces technologies de pointe. Ajoutons à cela qu'en
raison de sa pauvreté en matières premières la Hongrie doit recourir,
pour combler le déficit de sa balance commerciale, à des productions
d'une haute technicité, requérant u n important apport de matière
grise. N o u s avons u n sérieux atout dans ce domaine : l'intelligentsia
hongroise a toujours été fortement motivée et soucieuse de sa c o m p é -
titivité sur le plan mondial, si bien que, d u moins pour ce qui est de la
confiance en soi et de l'ambition, il semble que les conditions requises
pour nous permettre de réaliser notre objectif soient réunies.
C e raisonnement, ou plutôt la situation dont il procède, apporte
de l'eau au moulin de ceux qui demandent que notre système d'ensei-
gnement, « ne fût-ce que pour répondre aux exigences de l'économie »,
fasse une place plus grande à la formation des élites selon u n pro-
cessus correspondant à l'élitisation existant dans la production.
Il y a lieu de signaler ici u n aspect qui, nous semble-t-il, est u n
des éléments d u contexte affectif dans lequel se situe le débat. A u
regard de l'impératif de « qualité », les établissements d'enseignement
dont le recrutement est plus large, qui s'adressent à des tranches
L'éducation des surdoués c o m m e problème : le cas de la Hongrie

d'âge plus jeunes et dont les fonctions sont plus diversifiées, sont
généralement exposés à la critique. D a n s une excellente étude datant
de 1982 et consacrée à l'analyse des jugements portés sur la culture et
l'éducation depuis le milieu d u siècle dernier, Péter Lukács souligne
que, tout au long de la période ainsi couverte, les plus éminents
professeurs d'université n'ont cessé, dans leur majorité, de se
plaindre d'une détérioration de la qualité et d ' u n abaissement d u
niveau dans ces domaines. Incontestablement, le système scolaire
hongrois actuel donne plus que jamais prise aux critiques (souvent
exprimées sous forme de clichés) de ceux qui voudraient que soit
améliorée la « qualité » de l'instruction théorique et de la culture
générale dans des établissements (écoles générales et écoles secon-
daires) où cette « qualité » n'est qu'un des objectifs de l'enseignement
dispensé. Alors que, dans les années i960 et 1970, la politique hon-
groise de l'éducation s'attachait avant tout à interpréter les « exi-
gences de la société » en termes politiques, sociaux et éthiques (en
favorisant, par exemple, la mobilité sociale, la participation de la
c o m m u n a u t é à l'effort national et la création de conditions propices
à l'expression et à la réalisation d u potentiel des individus), elle doit
aujourd'hui répondre aux exigences de la société concernant la
croissance économique et l'accroissement de la productivité. A notre
avis, l'apparition d'un fort courant élitiste réclamant une réforme
radicale de la politique suivie à l'égard des surdoués est directement
liée à ces nouvelles exigences.
L'existence d'opinions divergentes, certaines prises de décision et
l'émergence d'idées novatrices sont autant de facteurs qui ont con-
tribué au lancement de plusieurs projets de recherche, dont certains
sont encore en cours, et qui se répartissent en deux catégories, selon
qu'ils portent essentiellement sur des problèmes pédagogiques et
psychologiques généraux (dépistage des talents, développement des
aptitudes spéciales et élaboration d'outils psychométriques) ou sur des
problèmes précis d'organisation, de gestion et d'évaluation qui se
posent dans le cadre du système scolaire hongrois. N o u s allons tenter
de présenter une esquisse des résultats obtenus jusqu'à présent sur
ces deux plans et d'en tirer quelques conclusions.

Questions générales
d'ordre psychologique et p é d a g o g i q u e

U n des problèmes, souvent relégué de façon délibérée à Parrière-plan,


que soulève l'éducation des surdoués est de savoir qui, en dernière
analyse, doit être responsable de la sélection. U n e opinion courante,
i6 Zoltán Báthory et András Joó

m ê m e dans les milieux professionnels plus ou moins bien informés,


veut que l'élaboration de testsfiablessoit Parfaire des psychologues,
point de vue qui appelle certaines réserves.
U n e sélection basée sur des tests soulève en effet deux problèmes
fondamentaux... et insolubles : d'une part, il n'existe d'accord uni-
versel ni sur la nature des éléments que ces tests doivent mesurer
(le quotient intellectuel, la créativité, la personnalité, les c o m p é -
tences particulières ou les attitudes), ni sur le coefficient de pondéra-
tion à appliquer à chacun de ces facteurs si c'est leur ensemble qui
est pris en considération ; d'autre part, à supposer m ê m e que l'on
parvienne à se mettre d'accord sur une procédure de sélection par
tests (sur la base d'un choix qui sera nécessairement arbitraire, quelle
que soit la technicité des critères retenus) demeurerait la question
de la validité de cette sélection dans le temps, rien ne permettant
d'assurer qu'à quelques années de distance les m ê m e s tests, adminis-
trés aux m ê m e s sujets, donneraient les m ê m e s résultats.
Autre objection importante, cette fois d'ordre sociopolitique : la
rigidité d'un système d'éducation des surdoués fondé sur une sélec-
tion précoce. E n effet, les sujets qui, malgré leurs dons, n'ont pas
été sélectionnés ont par la suite de moins en moins de chances de
réussir dans les études pour lesquelles ils étaient aptes puisque ceux
qui fréquentent les écoles d'élite, m ê m e s'ils ne sont pas particulière-
ment doués, bénéficieront toujours d'un atout supplémentaire le
m o m e n t venu (nous pensons surtout à l'admission à l'université). C e
phénomène, aux dimensions sociologiques multiples, se répète infail-
liblement à chaque étape de la scolarité et, dans la mesure où il
existe des écoles réservées à l'élite, ses conséquences peuvent être éli-
minées, fût-ce par une manipulation des critères d'admission.
S'agissant des tests, il faut non seulement s'interroger sur la fia-
bilité de leurs résultats, mais sur ce qui leur échappe à peu près totale-
ment : ce quelque chose d'indispensable et de difficilement mesurable
auquel, lors d'une interview, se référait Péminent physicien hongrois
Imre Fényes en ces termes : « Aussi paradoxal que cela puisse paraître,
à m o n avis, ce qui est fondamental pour u n chercheur, ce n'est ni
l'aptitude à penser logiquement, ni 1' "intelligence", mais les qualités
morales. »

A m p l e u r des effectifs
et résultats scolaires des surdoués

Depuis le milieu des années i960, l'AIEE 4 procède à des enquêtes


systématiques sur l'efficacité des systèmes scolaires des différents
L'éducation des surdoués c o m m e problème : le cas de la Hongrie

pays. Pour ce faire, elle établit une corrélation entre les résultats d'une
population scolaire donnée (variable dépendante) et les caractéristiques
du système d'enseignement (variables indépendantes). Ainsi, dans
le cadre d'une évaluation de l'enseignement des sciences menées
en 1970, on a comparé les résultats scolaires des élèves des classes
terminales (candidats au baccalauréat) de dix-neuf pays. L'analyse
pays par pays des données recueillies montre que ces résultats
dépendent, dans une large mesure, de l'importance relative, dans
l'échantillon national retenu, d u n o m b r e d'élèves ayant fréquenté
des établissements secondaires préparant expressément à l'université
ou à d'autres établissements d'enseignement supérieur. Plus les effec-
tifs totaux d u secondaire sont élevés, plus les résultats moyens ont
tendance à baisser. Si l'on ne prend en considération que les meilleurs
élèves des écoles secondaires (par exemple, 1 % de l'effectif total, ou
5 %, ou encore 9 % c o m m e dans ce cas précis), on constate que le
rapport est inversé : plus les effectifs des écoles secondaires sont
nombreux, plus la moyenne des résultats a tendance à augmenter
(Comber-Keeves, 1973, p . 173-177). D a n s le cas des treize pays
développés ayant atteint u n niveau de développement comparable,
les coefficients de corrélation entre l'ampleur des effectifs et les
résultats obtenus étaient respectivement de + 0,66 pour la moyenne
nationale et de 0,28 pour les élèves les plus brillants (le premier
chiffre a une valeur statistique significative, mais pas le second).
A supposer m ê m e que les résultats recueillis, relativement peu
nombreux, ne fassent qu'indiquer u n e tendance, cette inversion
des rapports a valeur d'argument probant pour ceux qui estiment que
l'extension et la démocratisation de l'enseignement secondaire, et,
de façon générale, l'amélioration de l'éducation de masse, constituent
les seules bases solides sur lesquelles on puisse édifier l'éducation des
surdoués.
Les dirigeants sportifs ont depuis longtemps découvert que l'excel-
lence des résultats est étroitement liée à l'ampleur des effectifs et si,
parfois, dans le m o u v e m e n t sportif, l'élitisme a p u l'emporter, il
n'en est pas moins vrai que seul u n sport de masse produit des
résultats durables et u n état d'esprit sain.
A la lumière de cette analyse et des considérations psychologiques
exposées plus haut, la tendance actuelle en Hongrie est à rejeter,
c o m m e mal fondée et extrême : la thèse selon laquelle la seule solu-
tion consisterait à faire revivre les anciens lycées réservés à une
élite et à en créer de nouveaux 5 . Les arguments avancés à l'appui
de cette thèse permettent d'en discerner aisément lafinalité: il s'agit,
dès lors que l'éducation de masse a eu pour effet direct de faire déjà
baisser la m o y e n n e des résultats, de « sauver » du moins les plus doués
(ceux dont les talents sont supérieurs à la moyenne), car eux seuls
Zoltán Báthory et András Joó

sont capables de renverser la tendance générale actuelle au déclin


intellectuel et moral.
A cette conception d'une éducation « salvatrice » d'une minorité,
les pays développés (dans le sens européen d u terme), et surtout
ceux qui ont adopté le modèle de l'école polyvalente à la suédoise,
préfèrent en général nettement, c o m m e présentant de nombreux
avantages, l'éducation de masse. L a raison en est simple : les pays
développés, ayant vaincu la pauvreté, n'ont plus besoin de prendre
des dispositions particulières pour que leurs ressortissants les plus
doués puissent s'épanouir ; u n système scolaire unique, ouvert et
accessible à tous, suffit à tous les besoins, pour peu qu'il fonctionne
raisonnablement bien.
A notre sens, les défauts dont souffre actuellement l'éducation des
surdoués en Hongrie et les conflits auxquels elle donne lieu tiennent
avant tout au fait que, si au cours des quarante dernières années
l'éducation hongroise, de la maternelle au secondaire, a évolué dans
le sens d'une éducation de masse, notre système scolaire, développé
par certains aspects, demeure arriéré à d'autres égards. Il en résulte
de nombreux dysfonctionnements qui affectent toutes ses fonctions
pédagogiques, de l'éducation des handicapés à celle des surdoués.
Les problèmes les plus graves tiennent à la relative insuffisance des
lycées classiques et des collèges techniques préparant aux études
supérieures, ainsi qu'à leur structure interne fondée sur la sélection.
Ainsi, sur cent élèves fréquentant l'école générale, vingt ou vingt et u n
accèdent à l'école secondaire et sept ou huit poursuivent des études
universitaires.
D'autre part, il est de notoriété publique que l'existence de fait
(bien que non officiellement reconnue) d'écoles de niveaux qualitatifs
différents accentue encore l'inégalité des chances et perpétue la
stratification de la société hongroise. Il faut probablement attribuer
au mauvais fonctionnement manifeste d u système scolaire hongrois,
lui-même d û au passage d u sous-développement au développement,
le fait que la formule d u « sauvetage » des surdoués paraît plus pro-
metteuse et plus acceptable que l'approche consistant à préconiser
à leur intention u n enseignement différencié. Il nous faut donc nous
attacher maintenant à identifier les caractéristiques d u système
d'enseignement hongrois qui attestent son développement, et les
processus qui vont dans le sens d'un progrès, d u moins à long terme.
E n effet, si nous voulons, c o m m e c'est notre intention, que le prin-
cipe d'une éducation différenciée pour les surdoués apparaisse
c o m m e une solution de rechange réaliste, il nous faut prendre pour
point de départ de notre analyse l'état actuel d u système éducatif
dans son ensemble. Cette analyse, il va sans dire, ne pourra être que
partielle.
L'éducation des surdoués c o m m e problème : le cas de la Hongrie

U n indicateur du développement

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler le résultat des recherches


de l'AIEE mentionnées plus haut. Il s'agissait de montrer la relation
entre le niveau de développement économique des divers pays étudiés
et l'efficacité de leur système scolaire. L'indicateur du développement
économique a été établi selon la méthode économique habituelle ;
en revanche, l'efficacité des systèmes scolaires a été évaluée selon une
méthode hardiment novatrice, sur la base des résultats de tests de
lecture et de vérification des connaissances scientifiques auxquels ont
été soumis des élèves de dix et de quatorze ans (respectivement ins-
crits, dans le cas de la Hongrie, les premiers en quatrième et cinquième
année de l'école générale, les seconds en huitième année de l'école
générale et en première année des lycées classiques, collèges tech-
niques et écoles professionnelles). C e second indicateur a donc été
calculé sur la base de données empiriques (Passow et al.31976, p. 19-
20, 172-174).
Il est apparu qu'au-delà d'un certain seuil de développement
économique il était impossible d'établir, et encore moins d'inter-
préter, une quelconque corrélation entre le niveau de développement
économique et les résultats scolaires mesurés. A signaler qu'en
revanche cette relation est très nette dans les pays en développement,
où les résultats sont d'autant moins bons que le niveau de développe-
ment est moins élevé. E n ce qui concerne la Hongrie, on arrive à
deux constatations très intéressantes :
Bien que la Hongrie ait été classée dernière des treize pays concernés
en termes de développement économique (chiffres de 1970), les
élèves hongrois ont obtenu des résultats relativement élevés
puisque ceux de dix ans ont été classés neuvièmes et ceux de
quatorze ans premiers.
L a progression des résultats entre dix et quatorze ans en Hongrie
est u n phénomène presque unique. O n ne l'a constaté, et dans une
moindre mesure, que dans deux autres pays.
Il semble donc que l'enseignement hongrois soit plus efficace que ne
pourrait le laisser penser la performance économique d u pays. Il
semblerait aussi qu'il n'y ait pas lieu de redouter une modification
sensible de cet état de choses dans u n avenir proche, m ê m e dans
l'hypothèse où la productivité augmenterait sensiblement sans que
progresse parallèlement le rendement de notre éducation. E n fait,
on pourrait rétorquer à ceux qui font valoir les avantages économiques
d'une éducation élitiste que c'est avant tout dans l'économie elle-même
(dans son organisation, sa capacité d'innovation, etc.) que doivent
être recherchés les moyens de la croissance économique.
Zoltán Báthory et András Joó

Dans la mesure où le diagnostic qui précède est juste, nous


croyons devoir recommander aux établissements scolaires et aux
maîtres concernés par l'éducation des surdoués d'avoir recours, en
matière d'organisation, à des solutions et à des méthodes propres à
renforcer la qualité de l'éducation à tous les niveaux d u système, ce
qui, actuellement, n'est malheureusement pas toujours le cas, c o m m e
en témoignent, par exemple, le système des « classes de niveau »,
qui touche 10 % des élèves des écoles générales (de dix à quatorze
ans) et la prédilection des écoles secondaires (et surtout des lycées)
pour les concours. Cette constatation ne doit cependant pas nous
faire oublier que d'autres méthodes et d'autres procédures, moins
connues et moins répandues, ont également cours qui vont incontesta-
blement dans le sens d'un enseignement différencié en fonction des
aptitudes et des intérêts des élèves.

Les concours

Depuis plus de deux décennies, des concours nationaux sont orga-


nisés en Hongrie pour les élèves de troisième et quatrième année
des écoles secondaires. Leur enjeu est d'importance, car les dix
premiers sont dispensés de l'examen d'entrée à l'université pour
ce qui est des matières dans lesquelles ils se sont distingués, ce qui
n'est pas u n mince avantage. Il n'est pas surprenant qu'au fil des
années se soit instaurée une rivalité feutrée entre les écoles secondaires
à l'occasion de ces événements annuels.
N o u s avons analysé en détail les résultats de ces concours sur dix
années (de 1974 à 1983). N o u s avons attribué aux professeurs des
diverses disciplines u n n o m b r e de points inversement propor-
tionnel aux rangs obtenus par leurs élèves au concours6 puis nous
avons additionné les résultats au niveau de l'établissement, le n o m b r e
de points obtenus par u n professeur et u n établissement étant d'autant
plus élevé qu'ils avaient enregistré u n plus grand n o m b r e de réus-
sites aux concours pendant les dix années étudiées. Sur les cinq
cent trente-neuf écoles secondaires que comptait le pays (en 1983),
deux cent vingt ont obtenu des points, mais vingt-cinq seulement
plus de cent. D u point de vue des concours, ces dernières écoles
peuvent donc être considérées c o m m e particulièrement performantes.
N o u s avons par ailleurs établi que, parmi ces établissements « parti-
culièrement performants » (vingt-deux lycées et trois établissements
d'enseignement technique ou mixte), vingt-trois étaient situés dans
la capitale ou dans les grandes villes et deux dans des petites villes,
et que les six collèges préparant à l'entrée à l'université appartenaient
tous à ce groupe.
L'éducation des surdoués c o m m e problème : le cas de la Hongrie 21

D e u x conclusions peuvent, dans l'immédiat, être tirées de ces


données :
Étant donné que certains lycées fournissent régulièrement de bons
candidats aux concours, il est très probable qu'ils réunissent les
meilleures conditions de réussite : origine sociale élevée des élevés,
compétence des professeurs et ressources matérielles. Lorsque
nous parlons d'écoles d'élite, c'est essentiellement à ces établis-
sements que nous pensons.
Certains professeurs particulièrement remarquables obtiennent régu-
lièrement des résultats brillants, indépendamment d u niveau
m o y e n de l'établissement et de l'origine sociale de l'ensemble des
élèves. Cette constatation met en lumière l'importance décisive
du facteur humain dans l'efficacité de l'enseignement ; d'autre
part, elle nous permet d'entrevoir le sens dans lequel il convien-
drait d'œuvrer pour démocratiser l'enseignement des surdoués
et faire en sorte qu'il soit de qualité, alors m ê m e que le niveau
général est m o y e n .
Signalons encore les succès remportés par les élèves hongrois dans
les concours internationaux, en particulier aux olympiades de mathé-
matiques, succès dus, pour une grande part, au niveau élevé de nos
concours nationaux.
L'analyse des résultats des concours nationaux nous permet
également d'affiner notre compréhension d u processus de sélection
évoqué plus haut. N o u s avons v u que 20 à 21 % seulement des élèves
des écoles générales accédaient à l'enseignement secondaire, et que 7
ou 8 % d'entre eux poursuivaient des études universitaires ; mais
ces chiffres ne reflètent pas le fait que les chances d'accéder à l'échelon
supérieur peuvent varier grandement à l'intérieur d'une m ê m e caté-
gorie d'établissement. E n revanche, les résultats des concours natio-
naux, qui sont étroitement liés aux possibilités d'entrée à l'université,
donnent une juste idée des inégalités entre les divers lycées.
Pour mesurer ces différences, il est c o m m o d e de recourir à la
courbe de Lorenz, bien connue des économistes (on trouvera une
explication de ce graphique, par exemple, dans l'ouvrage de synthèse
de Samuelson), qui, fondamentalement, permet de déterminer
c o m m e n t le total des points attribuables en fonction des résultats
obtenus (concours nationaux) se répartit entre les établissements ou
groupes d'établissements classés selon leur rang (par exemple des
10 % les plus faibles aux 10 % les meilleurs). L'avantage de cette
méthode est qu'elle permet de comparer les effets quantitatifs des
différents facteurs qui sont sources d'inégalité. E n effet, en cas d'éga-
lité absolue, les 10 % les plus faibles obtiendraient 10 % des points
réalisables, les 20 % suivants 20 % des points, et ainsi de suite.
Cette égalité absolue serait représentée sur le graphique par une
Zoltán Báthory et András Joó

ligne droite à 45 o . Toutefois, dans la réalité, caractérisée par des


inégalités, les 10 % les plus faibles obtiennent beaucoup moins
de 10 % des points réalisables ; cette situation réelle sera représentée
par une courbe située au-dessous de la droite à 4 5 o , et l'ampleur
de l'inégalité qui la caractérise mesurée par l'espace compris entre
cette courbe et la droite. N o u s avons pris pour base de notre analyse
de l'inégalité des chances de réussite aux concours la s o m m e des
résultats obtenus dans deux disciplines : histoire et langue hongroises,
d'une part, physique et biologie, d'autre part.
Il apparaît, à la lumière d'une comparaison entre ces deux disci-
plines, que l'inégalité est attribuable à plusieurs facteurs importants :
dans le cas de l'histoire et de la langue hongroises, nous pouvons
postuler u n e forte influence des facteurs familiaux, sources d'inéga-
lités qui seront probablement attribuées simplement aux « différences
sociales » ; en physique et en biologie, il semble que les établissements
e u x - m ê m e s puissent sensiblement améliorer leurs chances (en se
dotant des équipements voulus — appareils et laboratoires — et en
les utilisant efficacement). Si nous acceptons cette hypothèse, nous
trouverons aussi la réponse au point de savoir si les « investissements
scolaires » (par exemple, l'achat des équipements indispensables à
l'enseignement des sciences) tendent à accroître ou à réduire les
inégalités entre écoles.
Les résultats que nous avons obtenus montrent que les disparités
entre les divers lycées sont bien moindres en physique et en biologie
qu'en histoire et langue hongroises ou que dans ces deux disciplines
considérées conjointement. (En pourcentage, on obtient les valeurs
suivantes : histoire et langue hongroises, 69,1 % ; toutes disciplines
réunies, 58,4 % ; physique et biologie, 47,2 %.) Ces résultats, que
nous comptons affiner encore, nous permettent déjà d'affirmer qu'une
forte influence des conditions proprement scolaires (exemple de la
physique et de la biologie) n'augmente nullement, mais au contraire
réduit les inégalités dues aux facteurs extrascolaires (familiaux).
Pour en revenir au concours en tant que méthode d'enseignement,
nous aimerions souligner que, si la compétition, que ce soit sur le
plan intellectuel, sur le plan artistique ou sur le plan sportif, est
vraisemblablement appelée à demeurer u n e composante importante
de la vie scolaire, il faut bien voir aussi qu'elle peut favoriser l'égoïsme
et u n individualisme forcené. Les concours ne favorisent pas tou-
jours l'effort collectif. D e plus, beaucoup d'élèves très capables répu-
gnent à faire montre de leurs capacités et réussissent médiocrement
dans les concours. Pour toutes ces raisons, les concours ne sauraient,
selon nous, constituer l'unique, voire la principale, méthode d'ensei-
gnement des surdoués.
L a notion fondamentale à retenir en matière d'éducation doit,
L'éducation des surdoués c o m m e problème : le cas de la Hongrie

selon nous, être celle de différenciation, qui nous semble satisfaire


à toutes les exigences pédagogiques ; elle suppose, d'une part, que
l'on tienne pleinement compte des différences biologiques et sociales
des élèves, et des inégalités qui existent entre les différentes caté-
gories d'établissements et à l'intérieur de ces catégories ; elle implique
d'autre part, que l'on s'efforce de mettre en place des organismes,
des méthodes et des structures pédagogiques susceptibles, pour peu
que l'on fasse preuve de logique et de souplesse, et moyennant
l'adoption éventuelle d e priorités ou de mesures compensatoires,
d'être constamment adaptées en fonction des inégalités naissantes.
N o u s croyons possible, sur la base de ce principe de différenciation,
d'instaurer une politique pédagogique extrêmement souple, capable
de s'adapter aux divers problèmes et inégalités, et qui, tout en tenant
compte des différences de façon réaliste, aille dans le sens de l'éga-
lité. C e n'est pas par hasard, mais en s'appuyant sur ces réflexions,
que l'Institut pédagogique national a choisi justement l'enseignement
différencié pour fondement de sa politique d'éducation des surdoués7.

L a principale difficulté à laquelle se heurte l'éducation des sur-


doués ( c o m m e d'ailleurs toute entreprise pédagogique) réside, à
notre avis, dans l'ampleur des disparités sociales et pédagogiques,
dans leur complexité, et dans l'insuffisance des ressources. N o u s ne
croyons pas cependant, c o m m e nous avons essayé de le montrer,
que ces insuffisances justifient une réponse élitiste, qui serait géné-
ratrice de disparités plus grandes encore. C'est pourquoi nous avons
tenu à démontrer que les disparités dues à l'insuffisance des res-
sources sur le plan scolaire (résultats en physique et en biologie)
sont nettement moindres que les disparités dues à des facteurs extra-
scolaires (langue et histoire de la Hongrie). L a solution nous paraît
résider dans u n système scolaire et pédagogique différencié doté
d'une très grande autonomie technique. •

Notes
i. Cette tâche a été confiée en 1983 à une équipe de l'Institut pédagogique national de B u d a -
pest. L a thèse relative à l'éducation des surdoués a été publiée dans le numéro de juin 1984
du bulletin Pályaválasztás (Le choix d'un métier).
2 . Joseph Eötvös, célèbre écrivain et réformateur de l'éducation d u XIX e siècle, fut le fonda-
teur de l'école publique hongroise.
3. A lafinde leur scolarité dans les écoles générales à huit classes, les élèves ont le choix entre
trois types d'établissements secondaires : lycées, lycées techniques et collèges profession-
nels. Les deux premiers conduisent en quatre ans au baccalauréat ; les collèges profes-
sionnels décernent au bout de trois ans un diplôme d'ouvrier qualifié. L a moitié environ de
la population scolaire opte pour ces derniers, 20 % pour le lycée et 30 % pour le lycée
technique. L e lycée est la principale voie d'accès à l'enseignement supérieur.
Zoltán Báthory et András Joó

4. L'Association internationale pour l'évaluation éducative (AIEE) est une organisation inter-
nationale non gouvernementale qui mène des enquêtes comparatives dans le domaine péda-
gogique. L'Institut pédagogique national hongrois(IPN) participe depuis 1968 aux enquêtes
entreprises par l'AIEE. C'est en 1970-1971 que s'est achevée l'enquête dite « des six
matières » (lecture, sciences de la nature, anglais, français, littérature, instruction civique)
à laquelle l'IPN a pris part pour les trois premières matières.
5. Les tenants de cette thèse se sont exprimés avec force, par exemple, dans le débat lancé par
l'hebdomadaire Elet es irodalom (Vie et littérature), numéros de mars à septembre 1984.
6. 10 points au premier, 9 points au second, et ainsi de suite, 1 point étant attribué au dixième.
7. Voir note 1.

Références
C O M B E R , L . C . ; K E E V E S , J. P. 1973. Science education in nineteen countries. Stockholm, Inter-
national Studies in Evaluation I. Almqvist and Wiksell.
FELKAI, Laszlo. 1983. « L'éducation des surdoués. Choix de textes hongrois et étrangers >.
Manuscrit. Institut pédagogique national.
L D K Â C S , Péter. 1982. « Normes, sélection et politique de l'éducation ». Dans : K O Z M A , T a m a s
(dir. publ.). Recherches à l'appui de la planification, Institut pédagogique national, vol. 62.
P A S S O W , A . H . ; N O A H , H . J. ; E C K S T E I N , M . A . ; M A L L E A , J. R . 1976. National case study : An
empirical comparative study of twenty-one educational systems. International Studies in Eva-
luation VIII. Stockholm, Almqvist and Wicksell.
S A M U E L S O N , P. A . 1969. L'économique. Paris, Armand Colin.
Formation
à Fautoformation : une
expérience en cours
Gordana Zindovic Vukadinovic

D e s besoins n o u v e a u x

L e fait que les systèmes éducatifs présentent des différences, décou-


lant de spécificités d'ordre culturel, philosophique et technologique
ne signifie pas que les problèmes auxquels se heurtent les établis-
sements scolaires dans le m o n d e d'aujourd'hui soient fondamen-
talement différents. Exception faite de quelques programmes
expérimentaux et initiatives originales lancées ici et là, l'école opère
en règle générale sur la base d'un transfert de connaissances selon
u n processus en vertu duquel les connaissances sont « données »
par l'enseignant et « reçues » par l'élève, et qui s'est perpétué presque
sans changements depuis les origines de l'enseignement scolaire.
D a n s le cadre de ce système, caractérisé par le rôle dominant et
l'intervention active de l'enseignant, par opposition à la passivité
de l'élève, c'est essentiellement par l'intermédiaire de l'enseignant
que l'élève acquiert u n certain n o m b r e de connaissances soigneu-
sement sélectionnées, solidement structurées et « prétraitées ». S'il
est fait appel à d'autres sources de connaissances, celles-ci auront été
choisies par l'enseignant o u fourniront, dans le cas des manuels
scolaires, des informations organisées selon les m ê m e s principes
que ceux sur lesquels se fonde l'enseignement de type traditionnel.

G o r d a n a Zindovié Vukadinovié (Yougoslavie). Pédagogue spécialisée dans l'appli-


cation des techniques audiovisuelles à l'éducation; conseillère en technologie de l'éducation
auprès de l'Institut pour le promotion de l'éducation dans la République socialiste de
Serbie (Yougoslavie). M™" Zindovic Vukadinovic est la coordinatrice nationale du
programme CODIESE, dans le cadre duquel elle dirige le projet sur l'autoformation.
Elle est l'auteur de programmes expérimentaux tendant à transformer des bibliothèques
scolaires de Serbie en médiathèques ainsi que de nombreux articles sur la technologie de
l'éducation.

Perspectives, vol. XVIII, n° 1,1988


Gordana Zindovic Vukadinovié

Si l'on admet que ce type d'enseignement a pour avantage de


transmettre u n savoir bien organisé, ce que nul ne conteste d'ailleurs,
pourquoi les méthodes pédagogiques auxquelles il fait appel sont-
elles aujourd'hui si largement critiquées et remises en cause ?
Force est de mentionner ici u n facteur que l'on ne cesse d'invoquer
aujourd'hui à tout propos : le développement scientifique et tech-
nique, avec toutes les répercussions qu'il a sur la culture, au sens
le plus large du terme, et sur la qualité de la vie des individus et des
groupes sociaux. L ' u n des résultats de ce développement, en parti-
culier des progrès technologiques dans le domaine des médias, est
la rapidité avec laquelle l'information se propage dans le m o n d e
entier. L e seul fait que ces techniques permettent d'organiser u n
enseignement à distance à l'intention de groupes ou d'individus isolés
ou de personnes qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas en
mesure de fréquenter des établissements d'enseignement en dit
long sur la question. E n raison de l'absence de contact direct entre
l'enseignant et l'élève que suppose ce type d'enseignement, celui-ci
fait appel à des méthodes de transmission et de communication de
l'information différentes de celles qui s'appliquent en classe dans le
cadre d u m ê m e processus éducatif. L'expérience bien connue des
« universités ouvertes » constitue une grande source d'inspiration
pour qui souhaite modifier et améliorer les méthodes d'enseignement
scolaire.
L a rapidité avec laquelle se succèdent les nouvelles découvertes
et se propage l'information les concernant, de m ê m e que la vitesse
à laquelle ces découvertes trouvent des applications techniques qui
influent directement sur la vie de tous les jours entraînent tout
naturellement la nécessité d'une adaptation rapide et d'études
continues. L'adaptation culturelle, par laquelle nous entendons
non pas le rejet ou la perte de sa propre culture en tant qu'identité
ethnique, mais l'assimilation de nouvelles cultures et l'enrichissement
de la sienne propre, est l'une des conditions de la survie de l ' h o m m e
contemporain.
Notre culture contemporaine, qualifiée de culture « technologique »,
« industrielle » ou « de masse », a la propriété soit d'améliorer notre
vie, soit de la mettre en péril, selon que nous s o m m e s plus ou moins
capables d'en saisir, assimiler, adapter, utiliser et transformer les
« produits ». L'adaptation culturelle suppose donc l'aptitude à
préserver et à améliorer la qualité de la vie de chacun.
L a notion d'éducation permanente découle de ces besoins et leur
apporte une réponse. Elle se fonde sur le fait bien connu que le rôle
social de l'individu évolue tout au long de sa vie. Cette évolution est
conditionnée par son développement psychologique et physique
ainsi que par des facteurs sociaux, culturels et économiques qui,
Formation à l'autoformation : une expérience en cours

en se modifiant e u x - m ê m e s , influent sur sa vie de différentes manières


et à différentes périodes. Tout cela exige qu'il acquière de nouvelles
compétences, connaissances, attitudes et qu'il réapprenne, voire
m ê m e qu'il désapprenne, ce qu'il aura précédemment acquis1.
L'individu doit être préparé à acquérir de nouvelles compétences,
connaissances et attitudes bien avant qu'il n'atteigne le stade de sa
vie où il lui faudra exercer pleinement sa capacité d'apprentissage
permanent. Il est donc logique que cette préparation c o m m e n c e
dès les tout premiers temps de sa scolarité.
Si l'on tient compte d u fait que l'enseignement scolaire tel qu'il est
pratiqué dans le système traditionnel2 fait appel à des méthodes
pédagogiques qui développent u n type de cognition convergente
plutôt que divergente3, on comprend mieux les critiques dont il est
l'objet et les problèmes auxquels il se heurte aujourd'hui. D e toute
évidence, l'enseignement est censé produire simultanément deux
types de résultats également importants, en dotant l'individu, d'une
part, de connaissances bien organisées, homogènes et systématisées,
d'autre part, des capacités, aptitudes et techniques d'apprentissage
que suppose l'ouverture au changement et à l'acquisition de nouvelles
connaissances.
C o m m e n t apprendre aux élèves à utiliser d'une manière indépen-
dante (en fonction de leurs propres centres d'intérêt, objectifs et à
leur propre rythme) les sources d'information les plus diverses
(allant des sources humaines à celles qui font appel aux technologies
les plus avancées), c o m m e n t susciter u n environnement éducatif
stimulant et c o m m e n t , par l'auto-apprentissage, parvenir au stade
de l'éducation permanente ? Telles sont les questions qui, sous une
forme ou une autre et dans des contextes différents, se posent partout
dans le m o n d e .
N u l ne conteste plus l'importance de l'auto-apprentissage. E n
effet, si la « cité éducative » relève peut-être de l'utopie, la nécessité
d'apprendre sa vie durant est ressentie c o m m e u n besoin réel par
dés êtres confrontés à tous les défis d u m o n d e moderne.
A u niveau de la pratique scolaire, cette prise de conscience se
traduit, d'une part, par l'amélioration et la transformation des
méthodes de transfert des connaissances, d'autre part, par la mise
au point et l'adoption de méthodes d'auto-apprentissage.
Gordana Zindoviè Vukadinovic

Apprentissage centré sur l'enseignant


et apprentissage autodirigé

A la notion d'auto-apprentissage sont associés différents termes et


concepts donnant lieu à des interprétations diverses. N o u s ne nous
attarderons ici que sur ceux que nous jugeons les plus pertinents
dans le cadre d u sujet qui nous occupe, à savoir l'auto-apprentissage,
l'apprentissage autodirigé et l'apprentissage centré sur l'enseignant.
N o u s avons retenu ici, quelque illogique qu'elle puisse paraître
à première vue, la distinction entre auto-apprentissage et apprentis-
sage autodirigé qui est faite dans le Glossaire des termes de technologie
éducative publié par PUnesco 4 . Avant d'exprimer notre opinion à ce
sujet, examinons d'abord en quoi consiste cette distinction.
L'auto-apprentissage est décrit c o m m e une « technique d'appren-
tissage » et l'apprentissage autodirigé c o m m e une « forme d'appren-
tissage ». D a n s le premier cas, il s'agit d'une technique « impliquant
l'utilisation, par les élèves, de matériaux d'apprentissage (parti-
culièrement de matériaux d'enseignement programmé, d'ensembles
pédagogiques et de systèmes audiovisuels) comportant des stimuli,
u n dispositif d'expression des réponses, u n retour d'information
et une procédure de validation, le tout permettant aux élèves
d'apprendre soit sans l'intervention d'un enseignant, soit avec u n
m i n i m u m de guidage de la part de l'enseignant ».
D a n s le cas de l'apprentissage autodirigé, l'élève ne reçoit pas de
matériel préparé à l'avance ni d'instruments de travail prêts à l'emploi,
mais il « assume la responsabilité de son propre apprentissage et,
en totalité ou en partie, intervient dans le choix des décisions concer-
nant la détermination et la mise en œuvre de cet apprentissage :
définition des objectifs, choix des contenus et progressions, sélection
des méthodes et techniques ».
Cette distinction entre auto-apprentissage et apprentissage auto-
dirigé porte à conclure que ce dernier peut être le résultat de
l'application de la « technique d'apprentissage » susmentionnée,
autrement dit que l'apprentissage autodirigé est le résultat de l'auto-
apprentissage.
L a principale objection que l'on peut faire à cette distinction est
que l'apprentissage fait partie intégrante de toute action éducative
et de tout processus pédagogique, de sorte que l'apprentissage auto-
dirigé, plus qu'un résultat de l'auto-apprentissage, en est u n élément
inhérent.
Cela étant, si l'on admet que, s o m m e toute, l'apprentissage auto-
dirigé, tel que nous l'avons défini, suppose une capacité et une indé-
pendance accrues, il n'est pas tout à fait faux d'y voir u n résultat.
Formation à l'autoformation : une expérience en cours

L a définition que nous avons donnée plus haut de l'auto-


apprentissage comprend aussi des éléments qui relèvent de l'appren-
tissage centré sur l'enseignant. Qu'il y ait ou non u n contact direct
avec l'enseignant, ce dernier est responsable d u matériel préparé et
il guide l'élève utilisateur en programmant, en sélectionnant, en
organisant le matériel et les instruments mis à sa disposition. C e type
de guidage est caractéristique de l'université ouverte, de sorte qu'il
est difficile de dire quand l'acquisition des connaissances cesse d'être
centrée sur l'enseignant pour devenir autodirigée.
L a distinction établie par M . S . Knowles 5 entre apprentissage
centré sur l'enseignant et apprentissage autodirigé, le premier
relevant de la « pédagogie » et le second de 1' « andragogie », fait
clairement ressortir les spécificités de ces deux types d'études, qui
se différencient tant par le climat général qui les caractérise qu'au
niveau de la planification et de l'identification des besoins, de la
formulation des objectifs et de l'élaboration des plans d'études,
ainsi que des activités d'apprentissage elles-mêmes et de l'évaluation.
Ainsi, l'apprentissage centré sur l'enseignant fait appel à l'autorité
et au jugement de l'enseignant ainsi qu'à la concurrence entre élèves,
tandis que le climat qui préside à l'apprentissage autodirigé est
informel, fondé sur le respect mutuel, le consensus, la collaboration
et l'encouragement. Par conséquent, l'apprentissage centré sur
l'enseignant se caractérise par le rôle dominant que joue ce dernier
à tous les niveaux susmentionnés : élaboration des plans d'études,
formulation des objectifs, planification des activités d'apprentissage
et évaluation. E n revanche, l'apprentissage autodirigé se caractérise
par une participation à la prise de décision, une évaluation mutuelle,
la négociation des projets et contrats pédagogiques, des projets axés
sur la résolution des problèmes et l'évaluation mutuelle d'infor-
mations recueillies par les élèves.

Concilier les d e u x types d'apprentissage

Q u e l'on choisisse d'établir u n e nette distinction entre les notions


d'auto-apprentissage et d'apprentissage autodirigé, o u que l'on
considère ces deux notions c o m m e équivalentes, ce qui est affaire de
convention entre experts o u personnes intéressées, il n e saurait y
avoir de confusion entre l'acquisition de connaissances centrée sur
l'enseignant et l'apprentissage autodirigé, ni le moindre doute quant
à la possibilité de les voir coexister dans l'enseignement de type
traditionnel et dans l'éducation n o n scolaire6. C e qui peut, en
revanche, prêter à confusion, c'est l'idée que l'apprentissage auto-
Gordana Zindovic Vukadinovic

dirigé est le propre de l'éducation non scolaire, ce qui, bien entendu,


est faux. L'erreur consistant à croire que l'enseignement extra-muros
et l'éducation n o n scolaire (ces deux notions ne devant pas être
confondues) impliquent nécessairement une acquisition des connais-
sances autodirigée vient de ce que, concurremment au processus
d'apprentissage, il y a acquisition fortuite de connaissances o u ,
mieux encore, d'informations ne répondant à aucune fin précise,
ne faisant l'objet d'aucune sélection o u intégration fonctionnelle,
glanée plus ou moins au hasard des sources qui se trouvent être à
portée de la main et que les intéressés subissent plus qu'ils ne les
choisissent dans u n but précis. Cette erreur est entretenue en parti-
culier par les médias, qui assimilent souvent apprentissage indé-
pendant et apprentissage autodirigé, ce en quoi ils ont également tort.
L'apprentissage autodirigé — c'est là u n point essentiel à retenir —
n'est jamais fortuit ni accidentel, mais toujours intentionnel et
conscient7, et il dépend, dans une large mesure, de la motivation
interne de l'apprenant.
Ainsi, l'indépendance et laflexibilitésont subordonnées à certaines
règles caractéristiques de l'enseignement scolaire et de sa méthode
directive, mais — et c'est là la différence capitale — la responsabilité
de l'éducation incombe à l'apprenant lui-même qui, de ce fait, est
investi de toutes les fonctions de l'enseignant, depuis la définition
des objectifs jusqu'à l'évaluation des progrès accomplis. Pour par-
venir à ce stade, l'élève doit avoir suivi au préalable u n apprentissage
centré sur l'enseignant.
L'adoption à l'école de l'auto-apprentissage en tant que stratégie
fonctionnelle et novatrice se répercutant sur le contenu et l'organi-
sation de l'enseignement ainsi que sur les conditions de travail des
élèves et des enseignants est l'objet d ' u n projet c o m m u n auquel
participent des institutions de cinq pays m e m b r e s 8 d u réseau
C O D I E S E E (Coopération en matière de recherche et de dévelop-
pement de l'innovation éducative dans le sud et le sud-est de l'Europe)
mis en place par l'Unesco. U n de ses objectifs est de faire en sorte
que les deux types d'acquisition des connaissances susmentionnés
soient utilisés de façon complémentaire dans la pratique quotidienne
de l'enseignement scolaire.
C o m m e n t , dans u n système où tout — structuration et étude des
disciplines scientifiques, méthodes et moyens d'apprentissage — est
essentiellement axé sur l'acquisition programmée et dirigée des
connaissances, enseigner les techniques, inculquer les aptitudes et
compétences qu'exige l'apprentissage autodirigé? O n ne saurait
escompter u n changement radical, mais plutôt la mise en place
d'une série d'innovations tendant à faire prendre conscience au
système éducatif de la valeur de l'auto-apprentissage en tant qu'élé-
Formation à Pautoformation : une expérience en cours 31

ment formateur de la personnalité. L'enseignement traditionnel a


autant pour tâche d' « enseigner à apprendre » que d'inculquer des
connaissances bien organisées.
L'auto-apprentissage est également perçu c o m m e u n facteur
propre à atténuer les différences sociales. Si le droit à l'éducation est
incontestablement le premier et le plus important des droits de
l ' h o m m e , pour qu'il y ait véritablement démocratisation de l'édu-
cation il faut que chaque enfant puisse apprendre et progresser à
son propre rythme et selon ses propres capacités, quel que soit le
type d'acquisition des connaissances privilégié (centré sur l'enseignant
ou autodirigé) à tel ou tel stade de son éducation. Les éventuels effets
négatifs dus à l'environnement social ou familial de l'élève se trouvent
ainsi atténués. Les enfants qui suivent leur scolarité obligatoire sont
issus de milieux sociaux différents et de familles présentant des
niveaux d'instruction divers. Pour certains, les livres, la vidéo et les
ordinateurs font partie de l'environnement quotidien, tandis que
pour d'autres ces instruments constituent des sources mystérieuses
d'information, u n m o n d e magique qu'ils ne pourront découvrir
qu'à l'école, si l'occasion leur en est donnée, dans le cadre d'activités
d'auto-apprentissage. C'est là une façon peut-être quelque peu
simpliste de présenter les choses, mais elle ne vise qu'à attirer
l'attention sur l'ampleur des conséquences sociales d u recours à
l'auto-apprentissage.

L'AUTO-APPRENTISSAGE EN TANT QU'INNOVATION :


LE PROJET CODIESEE9

Les résultats d'une analyse portant sur les caractéristiques de l'ensei-


gnement obligatoire dans les pays participants ont révélé que celui-ci
était essentiellement de type « traditionnel », ce qui signifie que
l'apprentissage centré sur l'enseignant y constitue la pratique
dominante.
A peu près tout le m o n d e s'accorde à reconnaître les avantages et
la valeur de l'auto-apprentissage. O n attend donc de ce programme
expérimental qu'en plus de vérifier l'efficacité des méthodes et des
techniques instaurées à l'intention d u groupe d'âge de dix à quinze
ans, il mette en lumière des résultats susceptibles d'être généralisés
et intégrés dans une stratégie globale d'introduction de l'auto-
apprentissage dans l'enseignement obligatoire.
L e thème d u p r o g r a m m e expérimental — « Apprendre à connaître
d'autres pays », en l'occurrence les pays participant au C O D I E S E E —,
qui relève d u domaine de la compréhension internationale, a été
choisi pour u n e double raison : d'une part, parce que apprendre à
Gordana Zindoviè Vukadinovii

connaître d'autres pays peut avoir u n effet motivant sur les élèves ;
d'autre part, parce qu'il s'agit d'un p r o g r a m m e propice à la coopé-
ration et à l'échange de matériels. D e plus, il se prête à une approche
interdisciplinaire englobant la culture, la géographie et l'histoire
des pays visés et permettant donc de combiner des éléments
empruntés aux matières obligatoires d u programme.
L'assise théorique d u projet comprend les éléments suivants :
a) caractéristiques de l'auto-apprentissage ; b) aptitudes et capacités
qu'il convient d'inculquer aux élèves o u d'améliorer ; c) organisation
du travail scolaire au niveau des méthodes pédagogiques ; d) éva-
luation.
Les caractéristiques de l'auto-apprentissage et de l'apprentissage
autodirigé ont déjà été examinées en détail, de sorte qu'il n'est pas
nécessaire d'y revenir. Il importe cependant que le lecteur sache que,
dans le cadre de ce projet, l'initiation à l'auto-apprentissage comporte
à la fois la mise en œuvre de techniques pédagogiques appropriées
et d ' u n apprentissage autodirigé effectif, ce qui signifie de façon
plus précise que le p r o g r a m m e expérimental comprend u n cours,
donné par l'enseignant, sur les techniques et capacités spécifiques
d'auto-apprentissage, ainsi que des projets individuels et des projets
de groupe mettant en jeu tous les mécanismes de l'apprentissage
autodirigé, de l'évaluation et de l'auto-évaluation.
Parmi les caractéristiques essentielles de l'auto-apprentissage, il
convient de souligner ici 1' « apprentissage horizontal », qui implique
u n contact direct entre l'apprenant et diverses sources scolaires et
non scolaires et fait également appel aux possibilités offertes à cet
égard par la collectivité, la famille et les médias. A u regard des deux
systèmes parallèles d'enseignement — scolaire et n o n scolaire —,
l'accent est mis sur la force de cohésion de l'auto-apprentissage.
C e n'est pas prendre des désirs pour des réalités que de tabler sur
l'acquisition d'un certain n o m b r e d'aptitudes et de capacités. L'école
les développe déjà, dans u n e plus o u moins large mesure, soit déli-
bérément, soit accessoirement, dans le cadre de l'influence exercée
sur la formation de la personnalité. C e qu'il faut désormais, c'est
les exercer d'une façon systématique et les améliorer, tant pour
favoriser le processus éducatif en cours que c o m m e préparation à
l'éducation permanente.
Ces aptitudes et capacités sont les suivantes : a) l'aptitude à pla-
nifier des activités personnelles et des activités de groupe, y compris
l'aptitude à en définir les objectifs ; b) l'aptitude à identifier et la
capacité d'utiliser diverses sources d'information (verbale, écrite,
audiovisuelle et informatisée) ; c) la faculté de lire, de regarder et
d'écouter en fonction de différents objectifs (relever les faits perti-
nents, dégager les idées principales, distinguer l'essentiel de l'accès-
Formation à l'autoformation : line expérience en cours

soire, lire rapidement et en diagonale, décoder les messages visuels,


comparer l'information) ; d) la capacité d'enregistrer, de paraphraser,
de citer et de systématiser des données, de rédiger des résumés,
d'établir une documentation personnelle et de coder des messages
(établissement de diagrammes, de tableaux, de représentations
graphiques, de messages visuels, etc.) ; e) des aptitudes spéciales
correspondant à des disciplines particulières, notamment scienti-
fiques (discernement, systématisation, observation, expérimen-
tation, etc.) ; f) la connaissance d'une langue étrangère (assimilation
du vocabulaire et des structures de base indispensables à la c o m -
préhension) ; g) la faculté de procéder, à tous les stades d u travail,
et à une auto-évaluation et à l'évaluation des résultats ; h) la capacité
de résoudre les problèmes, en tant que résultat global des aptitudes
et capacités susmentionnées.
Sur le plan de l'approche pédagogique, l'organisation de l'auto-
apprentissage porte sur les activités, méthodes, matériels et moyens
scolaires et extrascolaires ainsi que sur l'évaluation, tous éléments
qui sont également considérés c o m m e essentiels d u point de vue de
l'introduction d'innovations éducatives. Aussi les programmes
d'enseignement scolaire sont-ils analysés en vue de définir et de
traduire en termes opérationnels les objectifs dont la réalisation
exige une action propre à contribuer au développement des aptitudes
et capacités énumérées ci-dessus. Il importe également de les ana-
lyser en fonction de l'intégration d u contenu de l'enseignement dans
des ensembles interdisciplinaires destinés à l'étude des phénomènes
naturels et sociaux. Il convient aussi d'insister sur l'effet stimulant
qui découle de la diversité des contenus de l'enseignement et des
formes de travail avec les élèves ainsi que de la mise en œuvre de
projets individuels et de groupe.
A u domaine des activités scolaires et périscolaires se rattachent
un certain n o m b r e de questions de portée plus large : place accordée
au processus d'acquisition des connaissances, résultats obtenus, for-
mation des enseignants. L e processus d'acquisition des connaissances
est considéré c o m m e l'élément le plus important de la préparation
à l'éducation permanente, tandis qu'en ce qui concerne la formation
des enseignants l'accent est mis sur l'amélioration et le développe-
ment de leurs aptitudes et capacités dans les domaines précédem-
ment cités. L'enseignant qui pratique lui-même 1' « auto-apprentis-
sage » sera le mieux à m ê m e d'aider les élèves. C'est pourquoi, au
niveau de la formation et du perfectionnement en cours d'emploi des
enseignants, les méthodes d'auto-apprentissage sont considérées
c o m m e les plus propres à les préparer à admettre u n type d'acquisi-
tion des connaissances dont l'autorité personnelle ne soit pas un trait
dominant.
Gordana Zindovic Vukadtruwie

Organiser les sources d'information disponibles dans les écoles de


manière à en permettre l'accès à tous les élèves, combiner ces sources
avec celles qu'offre l'environnement local, créer et développer des
médiathèques scolaires constituent autant d'innovations destinées à
améliorer les conditions d'études et à susciter u n climat propice à
l'auto-apprentissage. D'autres nouveautés, bien que n'étant pas de
caractère organisationnel, devraient être incorporées dans les pro-
g r a m m e s d'enseignement, notamment l'étude de langages machine
spéciaux, l'initiation à l'informatique, l'étude d u fonctionnement des
systèmes d'information et des moyens de repérer les informations
pertinentes.
Bien qu'il existe déjà u n système de notation et d'évaluation des
résultats et des progrès de l'élève, il est indispensable de mettre en
place u n système spécial d'évaluation et d'auto-évaluation d u pro-
cessus d'auto-apprentissage. Les méthodes et les instruments utilisés
pour contrôler et évaluer le travail accompli et les résultats obtenus
tant par les enseignants que par les élèves devraient assurer u n retour
d'information sur l'efficacité des nouvelles méthodes, destiné à en
permettre l'amélioration et l'adaptation constantes. U n e deuxième
catégorie d'instruments est destinée à l'auto-évaluation. Ceux-ci
peuvent être utilisés soit individuellement, soit en groupe, avec ou
sans l'aide d'un enseignant, pour évaluer les progrès réalisés et déter-
miner dans quelle mesure les objectifs fixés ont été atteints.
Il s'agit, en dernière analyse, de mettre en place u n système d'éva-
luation et d'auto-évaluation stimulant qui ne soit pas perçu par les
élèves c o m m e u n m o y e n de contrôle o u c o m m e une source éventuelle
de sanctions, mais c o m m e quelque chose de tout à fait normal et
d'utile à leurs progrès. Enfin, cette activité doit permettre de définir
des critères d'évaluation et d'auto-évaluation.

M i s e e n pratique d u projet :
l'expérience d e la Yougoslavie

E n Yougoslavie, u n programme expérimental d'activités dirigées,


intitulé « Préparons l'avenir en apprenant à connaître le m o n d e qui
nous entoure », a été lancé ; il présente deux caractéristiques princi-
pales. D ' u n e part, il s'agit d'une combinaison originale de cours
d'auto-apprentissage donnés par l'enseignant et d'activités auto-
dirigées qui permettent aux élèves de mettre en pratique les connais-
sances acquises durant les cours. Les techniques de l'apprentissage
autodirigé sont appliquées à des thèmes se rapportant à l'objet
central de l'étude : apprendre à connaître d'autres pays. Pour le reste,
Formation à l'autoformation : une expérience en cours

les élèves participant au programme sont libres de choisir les activités


personnelles qu'ils souhaitent entreprendre. D a n s le cas qui nous
occupe, il a été convenu que l'enseignant devait intervenir, mais
uniquement pour encourager les élèves les plus faibles à prendre part
sans gêne et sans crainte aux activités qui leur sont offertes. Ainsi,
des groupes de trente élèves de cinquième année primaire (âge :
onze ans) 10 , hétérogènes en termes de performances, ont été formés
dans deux écoles, l'une en milieu urbain et l'autre en milieu rural.
Après évaluation de l'intérêt suscité par ce programme expérimental
et de la mesure dans laquelle il avait fait progresser l'acquisition des
aptitudes et capacités requises11, il a été appliqué à des élèves de la
classe supérieure (sixième année d'enseignement scolaire). Pour
mieux comprendre la démarche suivie dans la mise en œuvre d u
projet, il convient de noter que les enseignants avaient librement
choisi d'y participer. Les deux enseignants chargés d u programme
étaient, dans la première école, l'enseignant de la langue maternelle
et, dans la deuxième, le responsable de la médiathèque.
U n e enquête visant à déterminer lesquelles, parmi les activités
destinées à leur permettre de mieux connaître les pays du C O D I E S E E ,
intéressaient le plus les élèves a révélé qu'ils étaient également dési-
reux de lire, d'écouter, de regarder et de collectionner d u matériel
dont ils souhaitaient avant tout tirer des informations portant sur les
coutumes traditionnelles, l'histoire, la langue, la musique, les films
pour enfants et le m o d e de vie. Les objets qu'ils préféraient collec-
tionner, selon cette première enquête, étaient les pièces de monnaie,
les badges et les cartes postales.
C e projet a été conçu c o m m e une expérience mettant en jeu des
groupes parallèles, les groupes témoins se trouvant dans d'autres
écoles. Il se fonde, d'une part, sur les bases théoriques conjointement
adoptées qui ont été mentionnées ci-dessus et une méthodologie de
recherche correspondante, d'autre part, sur la détermination préalable
des capacités, connaissances et centres d'intérêt des élèves. D e u x
types d'activités ont ainsi été mis en œuvre dans les groupes consti-
tués : u n cours de formation aux techniques de l'apprentissage auto-
dirigé ; des activités de recherche et de traitement de données inté-
ressant le domaine identifié c o m m e présentant u n intérêt particulier.
Parmi les moyens de recueillir d u matériel pour les projets de
recherche, on peut citer la correspondance, la constitution de collec-
tions de prospectus touristiques, de cartes postales, d'articles de jour-
naux, d'extraits d'ouvrages littéraires et de souvenirs, l'enregistre-
ment de programmes, des entretiens avec les parents et avec d'autres
adultes ayant voyagé.
L e cours d'auto-apprentissage, en vue duquel l'enseignant dirigeant
du groupe ainsi que les maîtres enseignant des matières en rapport
Gordana Zindovià Vukadinovic

avec le programme (langue maternelle, histoire, géographie, art,


musique) ont été préalablement formés, se divise en unités d'ensei-
gnement qui sont maîtrisées progressivement à l'aide d'instructions
et de matériel de travail préparés à l'avance pour chaque élève. Il
ne s'agit pas d'enseignement programmé, mais d'un système d'exer-
cices organisés selon une suite logique. C e matériel permet à l'ensei-
gnant de se cantonner dans u n rôle de consultant et d'organisateur.
Les unités d'enseignement comprennent les exercices suivants :
planification d u travail, consultation d'ouvrages de référence, lecture
rapide, recherche de certains faits et chiffres, identification d'une
idée directrice, établissement de l'ordre de succession des faits,
prise de notes, rédaction de résumés, citations, indication des sources,
consultation de fichiers, de bibliographies et d'index, comparaison
de données provenant de différentes sources, classement par ordre
d'importance et de valeur informative, préparation d'exposés écrits
et oraux, élaboration de projets, etc.
Les textes et les matériels figurant dans les manuels à l'usage des
élèves portent sur les pays dont ils étudient la culture, la géographie
et l'histoire, de sorte que l'apprentissage des techniques ne constitue
pas une fin en soi, mais permet d'obtenir des informations utiles de
caractère éducatif. Celles-ci servent à la fois à favoriser l'application
de notre programme d'auto-apprentissage et à améliorer les connais-
sances et les résultats de l'élève dans les disciplines visées qui sont des
disciplines d'enseignement obligatoires. L e transfert des connais-
sances s'effectue donc de deux manières : par u n enseignement de
type traditionnel et par des projets de recherche entrepris par les
élèves des deux groupes. C e choix d u contenu des exercices permet
de rendre l'ensemble d u cours plus intéressant.
Les élèves sont censés mener à bien ce programme expérimental
au cours de la huitième année d'enseignement scolaire, qui est la
dernière année d u cycle d'enseignement obligatoire ; ils passent alors
u n examen final destiné à déterminer dans quelle mesure ils possè-
dent les capacités requises et maîtrisent les facultés nécessaires à
l'apprentissage autodirigé. L ' e x a m e n final auquel auront été soumis
les groupes témoins permettra d'évaluer le développement psycholo-
gique et physique des élèves de ce groupe d'âge, l'accroissement de
leur culture générale et, enfin, l'efficacité des méthodes et des tech-
niques employées pour former les élèves à l'auto-apprentissage.
Quelques observations initiales peuvent, d'ores et déjà, être for-
mulées quant aux résultats de cette initiative. Les élèves témoignent
d'emblée d'une forte motivation due avant tout au sujet étudié, preuve
que le choix d'un contenu qui corresponde aux centres d'intérêt
des élèves n'est pas le moindre des facteurs qui conditionnent leur
adhésion à une initiative pédagogique. Autre élément important de
Formation à l'autoformation : u n e expérience en cours

cette motivation : il s'agit d'activités libres qui permettent aux élèves


de fixer e u x - m ê m e s le rythme auquel ils travaillent et auquel ils
assimilent le cours qui leur est proposé, celui-ci étant conçu de telle
sorte que chaque unité d'enseignement peut être étudiée aussi long-
temps que le souhaite le groupe ou l'individu et que ces activités, qui
n'ont pas u n caractère obligatoire, s'apparentent davantage à u n jeu
auquel on se livre entre amis qu'à des études. U n autre facteur qui
contribue à renforcer la motivation des élèves est le fait que ces
activités donnent aux enfants introvertis et manquant d'assurance
l'occasion de s'affirmer et d'avoir confiance en e u x - m ê m e s .
Pour soutenir la motivation des élèves et des enseignants, il faut
en permanence garder le contact, prendre de nouvelles initiatives et
disposer d'une information en [retour concernant les résultats obtenus.
L e sentiment de faire quelque chose d'utile qui bénéficie d u soutien
de leur entourage a u n effet simulant tant sur les élèves que sur les
enseignants. U n autre indice positif qui a été observé est l'amélio-
ration, attribuable aux activités de groupe, des méthodes utilisées et
des résultats obtenus dans le cadre de l'enseignement traditionnel.

Plutôt que de tirer des « conclusions » c o m m e il est d'usage de le


faire au terme de ce genre d'aiticle, nous aimerions terminer par une
impression personnelle. L'expérience dont nous avons rendu compte
constitue une entreprise pédagogique extrêmement délicate, qui peut
avoir des effets positifs d'une portée considérable, mais qui comporte
aussi de grands risques. N o u s nous s o m m e s déjà suffisamment
étendus sur ses conséquences positives. Quant aux risques, ils
dépendent de l'aptitude ou de l'inaptitude de l'éducateur à trouver
la juste mesure, c'est-à-dire à laisser toute liberté aux élèves sans
pour autant se décharger pleinement sur eux de la lourde responsa-
bilité de leur éducation. L a réponse réside sans doute dans u n juste
équilibre entre apprentissage centré sur l'enseignant et apprentissage
autodirigé. •

Notes
i. R . H . Dave, Education permanente et programme scolaires\UE Monographie i, H a m b o u r g ,
Institut de l'Unesco pour l'éducation, 1973.
2 . L'enseignement traditionnel englobe tous les types d'établissements et.formes d'ensei-
gnement conduisant à l'obtention des titres ou diplômes officiels susceptibles d'assurer
une promotion sociale (enseignement général obligatoire, tous les types et niveaux d'ensei-
gnement professionnel débouchant sur u n diplôme professionnel).
3. L a cognition divergente suppose la recherche de solutions complexes et lointaines, l'apti-
tude à penser en termes nouveaux er originaux, à s'écarter des méthodes établies et sté-
réotypées pour résoudre les problèmes, u n esprit ouvert aux idées nouvelles et la capacité
d'invention.
Gordana Zindovié Vúkadinovié

4. Glossaire des termes de technologie éducative, Paris, Unesco, 1984.


5. Malcolm S . Knowles, Self-directed learning. A guide for learners and teachers, Cambridge,
N e w York Books, 1975.
6. L e terme d' « éducation non scolaire » désigne tout type d'éducation que l'on acquiert o u
que l'on peut acquérir en dehors d u système d'enseignement traditionnel, au sein de la
famille ou de la société, en groupe ou individuellement par l'intermédiaire des médias, etc.
L'éducation non scolaire peut s'avérer aussi efficace, sinon plus, que l'enseignement de
type traditionnel pour peu qu'elle s'assigne u n objectif précis et qu'elle s'accompagne
d'une motivation interne et d'une aptitude à l'apprentissage autodirigé.
7. Rodney Skager, Organizing schools to encourage self-direction in learners. H a m b o u r g , Ins-
titut de l'Unesco pour l'éducation/Pergamon Press, 1984.
8. Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Turquie et Yougoslavie.
9. L'auto-apprentissage dans le contexte de l'éducation permanente et son influence sur les
programmes d'enseignement, l'organisation du travail scolaire et les conditions de travail
des élèves et des enseignants, tel est le thème d u Programme d u C O D I E S E E dans le
cadre duquel un projet expérimental d'auto-apprentissage a été lancé dans deux établis-
sements d'enseignement de chacun des cinq pays participants. L'exécution de ce projet a
c o m m e n c é pendant l'année scolaire 1984-1985 et u n compte rendu des résultats obtenus
devrait être présenté à la fin de 1988. L a coopération établie avec l'Institut de l'Unesco
pour l'éducation à H a m b o u r g s'est révélée extrêmement fructueuse.
10. L e cycle d'instruction élémentaire de huit années est obligatoire en Yougoslavie.
11. Les instruments utilisés pour cette évaluation sont ceux qui ont été mis au point par le
D r Magdalena Jovanovié-IIié au cours des travaux de recherche sur l'auto-apprentissage
qu'elle a effectués à l'Institut de recherche pédagogique de Serbie (Yougoslavie).

Bibliographie
D A V E , R . H . 1973. Éducation permanente et programme scolaire. Résultats provisoires d'une étude
exploratoire sur le programme scolaire, les structures et la formation des enseignants dans la pers-
pective de l'éducation permanente. H a m b o u r g , Institut de l'Unesco pour l'éducation, I U E
Monographie 1.
G O A D , L . H . 1984. Preparing teachers for lifelong education. The report of a multinational study
on some developments in teacher education in the perspective of lifelong education. H a m b o u r g ,
Pergamon Press/Institut de l'Unesco pour l'éducation.
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de l'Unesco pour l'éducation/Pergamon Press.
DOSSIER

L'enseignement à distance
I. Thèmes fondamentaux
I/enseignement à distance :
un état de la question
Anthony Kaye

Le Conseil international de l'enseignement à g r a m m e organisé par l'Université chinoise par


distance a estimé à environ dix millions le n o m - la radio et la télévision ( R T V U ) pour u n tiers
bre d'étudiants qui, dans le m o n d e , préparent d'entre eux et, pour le reste, de cours télévisés
actuellement u n diplôme d'études supérieures et par correspondance mis en place par les
par l'enseignement à distance. Quant aux per- universités au niveau local (Yu X u , 1986). A u
sonnes qui font, par ce moyen, des études dans cours des quinze dernières années, des établis-
d'autres domaines et à d'autres niveaux (qu'il sements ou des organismes se consacrant exclu-
s'agisse, par exemple, de formation perma- sivement à l'enseignement à distance ont été
nente, d'enseignement technique ou de forma- créés au Canada, au Costa Rica, en Espagne,
tion professionnelle), nulle organisation n'en a aux États-Unis d'Amérique, en Hollande, à
jamais évalué le nombre, mais il doit être d u H o n g K o n g , en Inde, en Indonésie, en Italie,
m ê m e ordre, sinon supérieur. Dans la seule au Japon, au Pakistan, au Royaume-Uni, à Sri
Union soviétique, les quelque mille deux cents Lanka, à Taïwan, en Thaïlande, au Venezuela,
établissements d'enseignement à distance c o m p - et dans plusieurs autres pays encore (sur ce
tent environ u n million et demi d'étudiants au point, voir, entre autres, Rumble et Harry,
niveau supérieur, ce qui représente approxima- 1982; Harry et Raggatt, 1984).
tivement 30 % de l'ensemble des effectifs d u L'enseignement à distance a une longue his-
troisième degré (Uyin, 1983). E n Chine, en 1983, toire que certains font remonter aux cours de
40 % environ des effectifs de l'enseignement su- sténographie par correspondance organisés par
périeur au niveau national (soit u n million de Isaac Pitman, lorsque les premiers services pos-
personnes approximativement) poursuivaient taux réguliers furent mis en place en Grande-
leurs études à distance, dans le cadre d u pro- Bretagne, en 1840 ; mais c'est l'Institut Tous-
saint et Langenescheidt, créé à Berlin en 1856
et spécialisé dans l'enseignement des langues,
Anthony K a y e (Royaume-Uni) est maître de confé-
qui fut le premier organisme d'enseignement par
rences en technologie de l'éducation à l'Open Universitycorrespondance à proprement parler (Dieuzeide,
(Grande-Bretagne). Il a travaillé dans le domaine de 1985). O n assista dès lors, dans de nombreux
l'enseignement à distance en qualité de consultant auprèspays, à u n développement régulier des services
de V Unesco, de la Banque mondiale et du British d'enseignement par correspondance — souvent
Council. Il a participé au projet ETV en Côte-d'Ivoire associés à des séances d'apprentissage en « face-
de 1973 à 1975 et a enseigné à l'Université de Montréal. à-face ». Jusqu'à une date récente, toutefois,
Il se consacre actuellement à l'étude de l'application des
ces services ont souvent été considérés c o m m e
méthodes de communication informatisée à l'enseigne-
un pis-aller par rapport à l'éducation tradi-
ment à distance et a collaboré à un certain nombre
d'ouvrages, dont L e savoir à domicile : pédagogie et
tionnelle. E n Union soviétique aussi, où, au
problématique de la formation à distance (avec France cours des années 1950, les possibilités d'études
Henri), Distance teaching for higher and adult à temps partiel ont connu u n rapide dévelop-
education (avec Greville Rumble) et Using the media pement, le recours aux moyens d'enseignement
for adult basic education (avec Keith Harry). par correspondance, m ê m e dans le cas de per-

Perspectives, vol. XVIII, n° 1,1988


42 Anthony Kaye

sonnes déjà engagées dans la vie active, a été, Penalver et Escotet, 1981 ; Stewart et al, 1983 ;
à l'origine, considéré c o m m e u n expédient. Thorpe et Grugeon, 1987 ; Y o u n g et al, 1980).
Dans certains pays européens, les cours par U n certain nombre de facteurs permettent de
correspondance proposés par quelques orga- mesurer l'intérêt que les gouvernements et les
nismes privés, qui semblaient plus soucieux établissements d'enseignement public portent
de réaliser des bénéfices rapides que d'instruire à l'enseignement à distance. Ainsi, la création
leurs clients, n'ont guère contribué à améliorer d'associations régionales destinés à développer
l'image de marque de l'enseignement à dis- la collaboration entre les universités, les respon-
tance en dépit de la grande qualité de quelques sables de projets et les départements concernés
institutions responsables et réputées, telle des ministères de l'éducation traduit le souci des
Liber Hermods, qui, fondée en 1898, en milieux officiels de mettre les possibilités d'édu-
Suède, a compté à certaines époques plus de cation à la disposition d'un plus large public.
cent cinquante mille étudiants par an. A u nombre de ces associations, on peut notam-
Depuis une quinzaine d'années, toutefois, u n ment citer :
certain nombre de facteurs ont profondément L ' A S P E S A (Association australienne et du Paci-
modifié l'image de l'enseignement à distance, fique Sud pour les études externes), qui
qui apparaît aujourd'hui c o m m e u n m o y e n publie la revue Distance éducation.
adapté et efficace d'éducation et de formation L'Asociación Iberoamericana de Educación Su-
des adultes. L ' u n des premiers indices impor- perior a Distancia.
tants de cette évolution fut sans aucun doute L'Association des écoles européennes d'ensei-
la publication par l'Unesco de l'ouvrage intitulé gnement par correspondance.
Études ouvertes : systèmes d'instruction post- L'Association africaine d'enseignement à dis-
secondaire à distance (MacKenzie et al., 1975). tance.
Cet ouvrage, qui rassemblait des études portant L'Association des universités ouvertes d'Asie.
sur les premières expériences d'utilisation des E n outre, des associations nationales d'enseigne-
méthodes multimédias pour l'enseignement à ment à distance dotées de secrétariats perma-
distance, a contribué à donner de ce domaine nents ont été établies dans u n certain nombre
une nouvelle définition qui allait bien au-delà de pays, dont l'Argentine, le Brésil, le Canada,
des seuls cours par correspondance. Les recher- les États-Unis d'Amérique, la Norvège, la
ches dont s'inspire cet ouvrage ont c o m - Nouvelle-Zélande et la Suède. Certains orga-
mencé en 1972. Dix ans plus tard, le Conseil nismes d'aide nationaux et internationaux (telles
international de l'enseignement par corres- l'Agence internationale pour le développement
pondance, lors de son douzième Congrès m o n - (AID) des États-Unis d'Amérique, l'Agence
dial à Vancouver, devenait le Conseil inter- canadienne de développement internationale
national de l'enseignement à distance. L'en- ( A C D I ) , l'Overseas Development Adminis-
semble des communications présentées à cette tration ( O D A ) , la Banque mondiale, l'Unesco)
occasion (Daniel et al., 1982), qui émanaient ont accordé leur soutien à l'enseignement à
de cent vingt auteurs représentant quelque distance et à ses techniques en participant au
vingt-cinq pays, est une indication évidente d u financement de nouveaux projets.
regain d'intérêt suscité par cette question de- Il est donc évident que l'enseignement à dis-
puis la publication à!Études ouvertes. L e nombre tance est aujourd'hui considéré c o m m e u n
d'ouvrages universitaires consacrés à l'ensei- m o y e n efficace, approprié et satisfaisant d'élar-
gnement à distance en tant que domaine spéci- gir les possibilités d'éducation dans u n grand
fique d'analyse et de recherche en est une nombre de pays et de situations. Toutefois, il
autre (voir, entre autres, Chang et al., 1983 ; n'est pas certain que le concept d' « enseigne-
Cirigliano, 1983 ; Escotet, 1980 ; Galvis Pan- ment à distance » ait partout le m ê m e sens, étant
queva, 1982 ; Henri et Kaye, 1985 ; Holmberg, donné la diversité des modèles d'enseignement
1981 ; Kaye et Rumble, 1981 ; Neil, 1981 ; à distance adoptés selon les pays.
L'enseignement à distance : u n état de la question 43

Dans le dossier que l'on trouvera dans la pré-


Le problème de la définition sente livraison de Perspectives et dans la pro-
chaine, nous nous intéresserons à l'enseigne-
L'expression « enseignement ouvert » est deve- ment à distance en tant que tel et nous n'utilise-
nue dans certains milieux u n mot d'ordre ou u n rons le concept d' « enseignement ouvert » que
slogan au cours des dix dernières années et on dans la mesure où il présente simultanément les
laisse souvent entendre qu'elle est synonyme caractéristiques suivantes :
d'enseignement à distance. L a prolifération des L e recours à des médias (librement accessibles)
« universités ouvertes », dont la plupart offrent tels que la presse écrite, la radio et la télévi-
un enseignement à distance, n'a pas contribué sion c o m m e élément majeur de l'apprentis-
à éclairer le débat. Il va de soi, par exemple, que sage.
les systèmes d'enseignement à distance qui met- L a séparation physique d u personnel chargé
tent leurs matériels didactiques à la disposition des cours et des étudiants, et, partant, 1' « ou-
du public (par l'intermédiaire de librairies et verture » des services d'enseignement, qui
au m o y e n d'émissions de radio et de télévision) permet d'affranchir l'apprenant des con-
sont plus « ouverts », au sens où ils sont plus traintes spatiales et temporelles propres aux
visibles, que les établissements qui dispensent établissements où l'apprentissage se fait en
tout leur enseignement dans le secret des salles présence du maître.
de cours et des amphithéâtres. Néanmoins, le L'importance accordée à l'éloignement en tant
terme « ouvert » est souvent employé pour dési- que facteur favorisant l'autonomie dans le
gner des établissements qui, à l'instar de l'Open processus d'apprentissage.
University britannique, accueillent tous ceux U n e fois la distinction faite entre l'enseigne-
qui veulent s'y inscrire. Il ne s'agit pourtant pas ment ouvert et l'enseignement à distance, le
là d'un trait distinctif des systèmes d'enseigne- problème que pose la définition précise de la
ment à distance. Parmi les huit cent trente-sept nature de l'enseignement à distance reste toute-
programmes d'enseignement à distance réper- fois entier. U n e chose est cependant certaine :
toriés dans la base de données de l'Université la diversité considérable des systèmes, des pro-
des Nations Unies et du Centre international jets et des établissements d'enseignement « à
pour la formation à distance ( U N U / I C D L ) , distance » exclut pratiquement que l'on défi-
dix-huit pour cent seulement ne pratiquent pas nisse ce type d'enseignement autrement qu'en
de sélection préalable. Il faut donc en conclure l'opposant à l'enseignement traditionnel, qui se
que l'immense majorité des programmes d'en- déroule en présence d'un maître (« face-à-face »),
seignement à distance ne sont manifestement avec, pour cadre, la salle de classe. C e dernier
pas ouverts à tous et qu'ils ont, au contraire, modèle est resté pratiquement inchangé par-
tendance à adopter les m ê m e s critères de sélec- delà les siècles et les cultures. E n revanche, les
tion que d'autres établissements d'enseignement. modèles d'enseignement à distance ont évolué
Plus récemment, la notion d' « enseignement sous l'effet d'influences nombreuses et diverses
ouvert » a été associée, dans certains pays occi- (techniques de communication, conceptions de
dentaux, à une conception éminemment h u - l'éducation des adultes propres aux différents
maniste et « andragogique » de l'éducation, systèmes culturels, impératifs économiques, en-
d'une part, à l'élaboration et à la diffusion de tre autres) et ont revêtu une grande diversité de
jeux d'auxiliaires didactiques conçus pour formes. Il est néanmoins possible d'identifier u n
l'auto-apprentissage et Pautoformation dans de certain nombre de caractéristiques qui, ensem-
nombreux domaines techniques et profession- ble, forment la base d'une définition de travail
nels (Hodgson et al., 1987), d'autre part. générale de l'enseignement à distance. L'analyse
D a n s cette optique, l'enseignement à distance présentée ici s'inspire de celle de Keegan (1980),
devient u n sous-ensemble de 1' « enseignement qui enumere six caractéristiques propres à l'en-
ouvert » (Thorpe et Grugeon, 1987). seignement à distance.
44 Anthony Kaye

diane, les étudiants partageant leur temps par


LA SÉPARATION moitié entre les cours et les séminaires et l'étude
ENSEIGNANT/APPRENANT individuelle. Les divers modèles d'enseigne-
ment à distance se situeraient en différents
Dans le cadre de renseignement à distance, les points de la partie de l'axe qui correspond à une
activités d'enseignement et d'apprentissage sont faible proportion d'activités d'apprentissage di-
le plus souvent dissociées dans le temps et dans rect dans le temps d'apprentissage total. A titre
l'espace, le système enseignement/apprentissage d'exemple, dans le système soviétique d'ensei-
reposant sur cette prémisse essentielle. Cela ne gnement supérieur à distance, ce face-à-face
signifie pas, pour autant, que l'apprentissage enseignant/enseigné représente environ 30 %
« direct » (auprès d u maître) n'intervienne pas du temps d'apprentissage, alors que cette pro-
dans l'enseignement à distance ni que l'étude portion n'est que de 5 à 10 % pour de nombreux
autonome (« à distance ») soit absente des sys- cours offerts par l'Open University britannique.
tèmes d'enseignement traditionnels (ceux qui Bien que la figure 1 représente sous la forme
ont pour cadre la salle de classe, par exemple). d'un axe continu la proportion d u temps d'ap-
Graphiquement, l'enseignement à distance et prentissage consacré à l'étude autonome/à dis-
l'enseignement dispensé en classe pourraient tance et l'enseignement direct respectivement,
figurer les deux extrémités d'un axe (voir fig. i) il existe une différence qualitative essentielle
sur lequel la proportion de l'enseignement face entre la conception d'un programme d'enseigne-
à face dans le temps d'apprentissage varie d'en- ment à distance et celle d'un programme ayant
viron ioo % (enseignement dispensé en classe pour cadre la salle de cours. Dans le premier cas,
et en milieu scolaire) à o % approximativement on postule que le processus d'enseignement/
dans le cas des cours par correspondance tradi- apprentissage repose avant tout sur l'étude auto-
tionnels qui ne font aucune place à l'apprentis- n o m e de matériels didactiques spécialement pré-
sage direct. Sur cet axe, l'enseignement univer- parés, l'apprentissage direct intervenant sou-
sitaire traditionnel tel qu'il est dispensé dans de vent à titre de soutien et de dépannage. Dans le
nombreux pays occuperait une position m é - second cas, en revanche, l'enseignement dis-

Proportion d'activités Proportion d'activités


d'enseignement direct d'enseignement " à distance"

100% 100%

0%

Salle de classe en Université Cours par


milieu scolaire traditionnelle correspondance

F I G . 1. Proportion d'activités d'enseignement direct et à distance dans différentes situations pédagogiques


(d'après Cropley et Kahl, 1983)
L'enseignement à distance : un état de la question 45

pensé directement par le maître constitue le nification de ces systèmes (voir l'article d'Ar-
m o d e principal de transmission des connais- m a n d o Villarroel dans le présent dossier).
sances et d'éveil de l'intelligence de l'étudiant.

LE RECOURS
LE RÔLE DE L'ÉTABLISSEMENT AUX MÉDIAS PÉDAGOGIQUES

L e rôle d'un établissement qui assure u n ensei- L'enseignement à distance est, par excellence,
gnement à distance est très différent de celui u n enseignement médiatisé. L'essentiel des
d'un établissement traditionnel. Dans le cas d u fonctions assurées normalement par des ensei-
second, l'enseignant est le point de contact es- gnants en chair et en os dans une salle de cours
sentiel avec les étudiants, le plus visible, et ou u n amphithéâtre — mise en contexte, trans-
représente bien souvent le facteur décisif de mission de connaissances, analyse de con-
leur réussite ou de leur échec. S'agissant de cepts — est alors effectué par l'intermédiaire
l'enseignement à distance, on serait tenté de de divers moyens techniques : imprimés, pro-
dire que l'activité pédagogique est assurée par grammes de radio et de télévision, cassettes,
l'établissement, et non par l'enseignant lui- bases de données, disquettes, etc. L'enseigne-
m ê m e . Les cours sont souvent le fruit de la col- ment direct n'intervient que pour résoudre des
laboration de spécialistes de tel domaine parti- problèmes de compréhension et pour le travail
culier, d'enseignants, de rédacteurs, de produc- collectif ou en laboratoire.
teurs et d'administrateurs. L'établissement se L'utilisation des médias dans l'enseignement
charge, en règle générale, de la distribution des à distance appelle, à m o n avis, trois grandes
matériels didactiques, de l'évaluation d u travail observations.
des étudiants et de l'organisation des activités E n premier lieu, l'élaboration, la production
d'enseignement en direct au niveau local : il a et la diffusion de matériels didactiques pour
donc pour les étudiants une « présence » diffé- l'enseignement à distance exigent des moyens
rente de celle d'un établissement traditionnel. appropriés (crédits, personnel qualifié, équipe-
E n outre, c'est cette présence de l'établissement ment et matériel techniques) si l'on veut exploi-
qui distingue l'enseignement à distance de ter pleinement le potentiel des différents médias.
l'étude personnelle et autodirigée. L a préparation par u n enseignant de documents
Notons que le terme « établissement » tel qu'il d'accompagnement et de transparents qui seront
est employé dans le présent article ne signifie utilisés en classe et qui pourront faire l'objet
pas nécessairement que la totalité des activités d'une explication immédiate en cas de problème
relevant de l'enseignement à distance est assurée de compréhension n'est en rien comparable à
par un seul organisme ; ces responsabilités peu- l'élaboration de matériels destinés à u n enseigne-
vent être partagées — et tel est souvent le ment médiatisé et conçus pour des personnes
cas — entre plusieurs établissements et orga- qui étudient seules et ne peuvent compter sur
nismes travaillant de concert (l'Open Univer- aucune aide immédiate.
sity et la B B C , par exemple) au sein d'un consor- M a deuxième remarque, qui rejoint la pre-
tium (le Norsk Fjernundervisning, entre autres) mière, est que la préparation de matériels
ou dans le cadre d'un réseau (tel le British d'auto-apprentissage de bonne qualité pour
Columbia Knowledge Network). L'important, l'enseignement à distance est une activité com-
c'est qu'un plan, dont la préparation et l'orga- plexe, qui demande beaucoup de temps. Les m a -
nisation sont délibérées, et u n système de dis- tériels doivent être pédagogiquement bien con-
tribution et d'appui président à l'ensemble d u çus ; en d'autres termes, ils doivent être adaptés
programme d'études ainsi qu'à des activités à la situation de l'étudiant qui apprend à dis-
d'apprentissage spécifiques pour une analyse tance (voir à cet égard l'article d'Onkar Singh
des principaux facteurs intervenant dans la pla- Dewal dans le présent dossier) et de très grande
46 Anthony Kaye

qualité, car il est probable qu'ils seront utilisés Nations Unies utilisent l'imprimé c o m m e sup-
par u n grand nombre d'étudiants et serviront port principal et près d'un sur dix repose
de modèles, dans un pays donné, pour les maté- exclusivement sur lui (voir plus loin le ta-
riels didactiques dans une discipline particulière. bleau 1).
L'article d'Anthony B . Zahlan, qui figure dans
le présent dossier, porte expressément sur la
question de la qualité et de la pertinence des LA COMMUNICATION
matériels utilisés dans l'enseignement à dis- BIDIRECTIONNELLE
tance. Ces problèmes se posent de façon parti-
culièrement aiguë dans de nombreux pays en U n programme d'enseignement à distance ne se
développement qui ne disposent pas toujours limite pas à la fourniture de matériels d'auto-
des moyens nécessaires pour élaborer des maté- apprentissage. L a communication bidirection-
riels de bonne qualité. O r ceux qui sont conçus nelle entre l'étudiant et son tuteur, mentor ou
à l'étranger sont souvent inadaptés. conseiller, en est un élément essentiel. Dans les
Enfin, si, à la limite, o n peut pratiquement programmes d'enseignement à distance qui
tout apprendre par n'importe quel m o y e n d'en- s'adressent à u n grand nombre d'étudiants, les
seignement ou presque (Schramm, 1972), il est tuteurs interviennent généralement en qualité
évident que certains médias sont mieux adaptés d'intermédiaires et ne sont pas associés à l'éla-
que d'autres à des objectifs pédagogiques précis. boration des matériels didactiques. Pour enca-
Les projets d'enseignement à distance doivent drer ses étudiants, l'Open University britan-
utiliser au mieux les divers supports disponibles nique emploie ainsi plus de cinq mille tuteurs
et tenter d'intégrer les nouvelles techniques à à temps partiel, recrutés dans les universités et
mesure qu'elles apparaissent. Tel est déjà, dans les collèges universitaires traditionnels ; le corps
une large mesure, le cas de la radio et de la télé- professoral de l'établissement, responsable de la
vision. L a plupart des planificateurs de l'ensei- préparation des matériels pédagogiques, n'est
gnement à distance hésiteraient aujourd'hui à pas tenu de participer aux activités de tutorat
concevoir u n système fondé sur la radio ou la par correspondance. A l'Université Athabasca
télévision, mais ils en feraient volontiers usage, au Canada, en revanche, le corps enseignant
assure le tutorat des cours qu'il dispense, des
le cas échéant, pour certaines fonctions précises
tuteurs à temps partiel étant recrutés à l'exté-
( c o m m e la présentation d'expériences de labora-
rieur, si besoin est, pour les cours particulière-
toire, l'audition d'œuvres poétiques ou drama-
ment chargés. Étudiants et tuteurs c o m m u n i -
tiques, la diffusion régulière de nouvelles et d'in-
quent traditionnellement par la voie postale et
formations sur les réactions des étudiants, etc.).
l'enseignement par correspondance reste une
Après la radio et la télévision, les « nouveaux »
composante essentielle de la majorité des pro-
médias électroniques qui font appel à l'informa-
grammes, bien que le contact direct et l'encadre-
tique commencent déjà à avoir u n fort impact ment par téléphone jouent aussi u n grand rôle
sur de nombreux projets d'enseignement à dis- (Abrioux, 1985). M ê m e lorsqu'on utilise d'au-
tance, tant au niveau de la production (l'édition tres médias (le téléphone, par exemple, voire la
électronique, par exemple) qu'à celui des ser- télémessagerie ou la téléconférence) pour établir
vices d'appui (accès aux bases de données en le dialogue entre l'étudiant et son tuteur, il est
ligne, communication plus facile entre les étu- peu probable qu'ils remplacent u n jour l'enca-
diants et entre tuteurs et étudiants). drement par correspondance. Dans de n o m -
Toutefois, l'imprimé a été, est et restera dans breux programmes d'enseignement à distance,
un avenir prévisible le support privilégié de le niveau de l'étudiant est évalué sur la base de
l'enseignement à distance : 91 % des program- son travail écrit, l'étudiant attendant du tuteur
m e s d'enseignement à distance répertoriés dans ou de l'enseignant qu'il lui retourne ses travaux
la base de données du Centre international pour accompagnés de commentaires et d'une appré-
la formation à distance de l'Université des
L'enseignement à distance : u n état de la question 47

dation, c o m m e il le ferait dans u n établissement séances de tutorat dans les centres d'études et
traditionnel. de documentation locaux, d'organiser des pro-
grammes de rencontre de plus longue durée
(sessions d'une journée, de week-end, voire plus
LES RENCONTRES longues encore, avec hébergement sur place),
de recruter et de former les tuteurs à temps
L'interaction et les discussions entre étudiants partiel.
suivant les m ê m e s cours constituent une c o m -
posante importante d u processus éducatif, que
l'on a tendance à considérer c o m m e natu- LE MODÈLE INDUSTRIEL
relle dans les établissements où l'apprentissage
s'opère essentiellement dans la classe, le labo- Selon Peters (1973), la préparation et la distri-
ratoire, l'amphithéâtre et la bibliothèque. Dans bution des matériels d'enseignement à distance
le cadre de la plupart des programmes d'ensei- et l'organisation des programmes d'enseigne-
gnement à distance, il est prévu que les étudiants ment (la gestion d'une infrastructure régionale,
rencontrent, régulièrement ou de temps à autre, par exemple) s'apparentent au m o d e de pro-
leurs tuteurs, leurs professeurs et leurs c o m p a - duction industriel. Il est incontestable que les
gnons d'études ; les objectifs pédagogiques de grandes institutions d'enseignement à distance,
ces rencontres sont déterminés à l'avance avec notamment celles qui utilisent intensivement
d'autant plus de soin que ce type d'activité est tout u n éventail de moyens techniques, ont d û
coûteux et qu'il ne va pas de soi (voir, à cet appliquer le modèle de la « chaîne de fabrica-
égard, dans le présent numéro, l'article d'Onkar tion » à l'élaboration, à la fabrication, au stockage
Singh Dewal sur les objectifs pédagogiques des et à la distribution de leurs matériels. L a diver-
« programmes de contact »). D e nombreux éta- sité des compétences que requièrent ces diffé-
blissements recommandent ainsi que ces séances rents procédés exclut qu'une seule personne soit
soient expressément consacrées à des discus- responsable de la totalité des étapes de la con-
sions de groupe, à la résolution de problèmes, au ception et de la production des matériels ;
rattrapage et aux activités pratiques ou de labo- aussi, la spécialisation, la coordination entre les
ratoire, en d'autres termes, à des fonctions qui départements, la planification selon la méthode
ne peuvent être assurées de façon satisfaisante du chemin critique, la recherche incessante des
par les matériels d'enseignement médiatisés. E n perfectionnements et le contrôle de qualité se
conséquence, les tuteurs sont souvent invités à révèlent aujourd'hui de plus en plus indispen-
ne pas consacrer trop de temps à des exposés ou sables aux grands systèmes d'enseignement à
à des conférences à caractère magistral, cette distance. L a comparaison avec la chaîne de
fonction pédagogique étant normalement assu- fabrication d'une usine prend tout son sens
rée par les matériels pédagogiques proprement lorsqu'en visitant une université spécialisée dans
dits. l'enseignement à distance on découvre que les
L'importance et la nature des rencontres de principaux bâtiments qui, sur u n campus ordi-
groupe dans le cadre de l'enseignement à dis- naire, abritent les amphithéâtres et les dortoirs
dance, ainsi que leur organisation, varient consi- des étudiants, sont ici les entrepôts, les impri-
dérablement selon les cas. D e nombreux établis- meries, les ateliers et les studios de radio et de
sements (l'Université ouverte Sukhothai T h a m - télévision.
mathirat en Thaïlande et l'Open University L a nature complexe des systèmes d'enseigne-
britannique, notamment) ont mis en place u n ment à distance, le long délai nécessaire à l'éla-
réseau permanent de centres régionaux dans boration des matériels et la division d u travail
l'ensemble d u pays. D'autres ( c o m m e la R T V U qui va de pair avec la spécificité de nombreuses
chinoise) utilisent u n réseau préexistant. Ces composantes d u processus ainsi qu'avec la
centres régionaux sont chargés d'organiser les nécessité de servir u n public très nombreux font |
48 Anthony Kaye

que les méthodes de planification et de gestion formulées ci-dessus) et des informations four-
traditionnellement utilisées dans le secteur de nies par la base de données d u Centre interna-
l'éducation sont inadaptées aux projets d'en- tional pour l'apprentissage à distance de l'Uni-
seignement à distance et qu'il faut élaborer pour versité des Nations Unies ( U N U / I C D L ) , où
ce secteur des modèles de gestion et de planifi- sont répertoriés plus de huit cents programmes
cation qui lui soient propres (Rumble, 1987 ; d'enseignement à distance mis en place par quel-
Villaroel, 1987). que cinq cents établissements répartis à travers
le m o n d e (il est regrettable, toutefois, que les
établissements des pays socialistes soient aussi
Quelques tendances actuelles mal représentés). Les organismes répertoriés
dans la base de données U N U / I C D L sont clas-
Il n'est pas possible d'établir u n bilan précis sés en trois catégories :
de la situation de l'enseignement à distance dans Les organismes qui ont pour seule vocation d'as-
le m o n d e , et ce, pour deux raisons au moins. L a surer la formation à distance (type A ) . Beau-
première tient, on l'a déjà dit, à l'extrême diver- coup d'universités « ouvertes » nouvelles ap-
sité des systèmes (publics et privés) et des ni- partiennent à cette catégorie.
veaux auxquels cet enseignement est dispensé, Les organismes traditionnels comportant u n
qui vont du secondaire aux études du troisième département d'enseignement à distance ou
cycle, sans oublier la formation technique et d'études externes (type B ) . Ces organismes
professionnelle. Il en résulte que la responsabi- mixtes sont très nombreux, notamment au
lité des services d'enseignement à distance peut niveau universitaire, dans u n certain nombre
fort bien, à l'intérieur m ê m e d'un pays, être de pays (dont l'Australie, la Chine, les États-
partagée entre de multiples organisations, minis- Unis, l'Inde et la Zambie).
tères et départements. L a seconde tient au Les organismes traditionnels qui dispensent
caractère très fragmentaire des publications dis- quelques cours de formation à distance, mais
ponibles sur la situation de l'enseignement à où il n'existe pas de département spécialisé
distance dans de nombreux pays, dont le n o m - dans ce domaine (type C ) .
bre semble inversement proportionnel à celui Les informations contenues dans les tableaux 1
des étudiants concernés (Daniel, 1987). L'in- et 2 sont présentées suivant ce classement.
formation publiée sur l'enseignement à distance
en Union soviétique et en Chine est ainsi très
rare, alors que dans ces deux pays les établisse- LES NOUVEAUX ÉTABLISSEMENTS
ments d'enseignement à distance regroupent
vraisemblablement plus de la moitié des étu- L'évolution la plus remarquable au cours des
diants qui, dans le m o n d e , préparent u n diplôme
dernières années est la création, dans plusieurs
d'enseignement supérieur à domicile. Les p u - pays d'Asie, d'établissements d'enseignement à
blications dont on dispose effectivement con- distance d'un type nouveau qui s'adressent à u n
cernent le plus souvent les nouveaux types très grand nombre d'étudiants. L'Université
d'établissements conçus spécifiquement pour centrale par la radio et la télévision, qui a été
l'enseignement à distance et ont tendance à fondée en Chine en 1979 pour appuyer et co-
passer sous silence les services traditionnels de ordonner l'enseignement dispensé par les uni-
cours par correspondance et d'études externes versités des ondes provinciales, compte au-
qui, pendant des décennies, ont connu un grand jourd'hui plus de 600 000 étudiants (voir l'étude
succès dans de nombreux pays, des États-Unis de Zhao Yuhui dans la prochaine livraison de
d'Amérique à l'Union soviétique. Perspectives). E n Thaïlande, l'Université o u -
Les quelques généralisations qui suivent s'ins- verte Sukhothai Thammirat, fondée en 1978,
pirent des dernières publications (qui doivent admettait ses premiers étudiants deux ans plus
être interprétées en tenant compte des réserves | tard et compte en accueillir 500000 d'ici
L'enseignement à distance : un état de la question 49

à 1990 (Srisa-an, 1984). E n Indonésie, l'Uni- ments d'enseignement à distance ont été mis en
versitas Terbuka, créée en 1984, a reçu plus place pendant les années 1970 au Canada (dont
de 250 000 demandes d'inscription à ses pre- la Télé-Université au Québec, l'Université
miers cours et a p u accepter 60 000 étudiants Athabasca en Alberta et l'Open Learning Insti-
l'année de son ouverture (voir l'étude de Setijadi tute en Colombie britannique). Plus récemment,
dans la prochaine livraison de Perspectives). toutefois, l'effort a surtout porté sur le dévelop-
L'Université des ondes, créée au Japon en 1985, pement des services de cours par correspon-
offre u n certain nombre de programmes litté- dance et d'études externes fournis par les éta-
raires et associe plusieurs formules : télévision, blissements traditionnels : d'une part, parce que
cours par correspondance et séances dans des la crise économique obligeait à trouver de nou-
centres d'études. L'Université par correspon- veaux marchés ; d'autre part, parce que les
dance de Corée du Sud, fondée en 1982, compte adultes étaient nombreux à manifester u n inté-
environ 250 000 étudiants inscrits dans les dif- rêt accru pour les études à temps partiel et le
férents programmes proposés dans treize d o - recyclage. A u x États-Unis d'Amérique, quelque
maines différents. E n Inde, l'Université ouverte soixante-dix universités traditionnelles dispen-
nationale Indira-Gandhi ( I G N O U ) a été créée sent des cours de formation à distance à environ
en 1985 pour servir de base à u n système na- 150 000 étudiants au total (Markowitz, 1983).
tional d'enseignement à distance et coordonner E n Europe, après la création de l'Open Univer-
les activités des nombreuses universités où exis- sity en Grande-Bretagne, de l'Universidad N a -
tent des départements d'enseignement par cor- cional de Educación a Distancia en Espagne
respondance ainsi que celles des nouvelles uni- en 1970 et de la Fernuniversität en République
versités ouvertes d'État. Il y a tout lieu de penser fédérale d'Allemagne en 1974, seul u n petit
que P I G N O U accueillera un très grand nombre nombre d'établissements a été créé récemment,
d'étudiants dans les prochaines années. dont l'Open Universiteit aux Pays-Bas, qui a
Ces nouveaux projets de grande envergure commencé à fonctionner en 1984, et l'Open
s'expliquent par de puissantes motivations poli- College au Royaume-Uni, qui prépare actuel-
tiques liées à la nécessité de mettre en place lement toute une g a m m e de cours et de pro-
rapidement des services d'enseignement ren- grammes d'enseignement à distance axés essen-
tables à l'intention d'un très large public. Leur tiellement sur la formation professionnelle.
raison d'être économique est analysée dans l'ar-
ticle de Greville Rumble figurant dans la pré-
sente livraison. LA CLIENTÈLE DE L'ENSEIGNEMENT
Hors de la région Asie, l'enseignement à A DISTANCE
distance n'a pas évolué avec autant de dyna-
misme. Les établissements existant en Australie, Soulignons de nouveau que la diversité des
en Nouvelle-Zélande et dans de nombreux pays services d'enseignement à distance rend hasar-
d'Afrique continuent à accueillir u n nombre deuse toute généralisation concernant les carac-
important d'étudiants non intégrés au système téristiques des étudiants. D e nombreux orga-
traditionnel. Après lafloraisond'établissements nismes d'enseignement à distance, notamment
qu'a connue l'Amérique latine dans les an- certains des plus importants (en Union sovié-
nées 1970 (entre autres, la création de l'Uni- tique et en Chine, par exemple), ont une clien-
versidad Nacional Abierta au Venezuela et tèle de jeunes adultes semblable à celle des
de l'Universidad Nacional de Educación a universités traditionnelles. D'autres (parmi les-
Distancia au Costa Rica), aucun grand projet quels nombre d'universités « ouvertes » et de
nouveau n'est à signaler, à l'exception de programmes par correspondance « mixtes »)
l'Universidad Abierta y a Distancia prévue en attirent souvent des étudiants plus âgés qui ont,
Colombie au début des années 1980. E n A m é - en moyenne, un peu plus de trente ans. U n e
rique du Nord, u n certain nombre d'établisse- minorité de programmes (environ 10 % selon
50 Anthony Kaye

les données de la base U N U / I C D L ) s'adressent posée en plus grande proportion d'étudiants in-
aux enfants qui, pour des raisons diverses, sont dépendants et fortement motivés que la clien-
dans l'impossibilité de suivre une scolarité tra- tèle des établissements traditionnels. Cette ob-
ditionnelle (c'est le cas de l'École par corres- servation vaut surtout pour les étudiants
pondance de Sydney, en Australie, et de cer- adultes qui font des études à temps partiel
tains des cours offerts par le Centre national tout en assumant leurs responsabilités profes-
d'enseignement à distance, en France). sionnelles et familiales (voir à ce sujet l'étude
Selon les données de l ' U N U / I C D L , la répar- de cas d'Ismail dans le prochain dossier de Pers-
tition des programmes d'enseignement à dis- pectives).
tance par niveau d'études s'établit c o m m e suit :
Niveau primaire (enfants et adultes), 7 %.
Niveau secondaire (enfants et adultes), 25 %. MOYENS ET MÉTHODES
Niveau universitaire, premier et deuxième cy- D'ENSEIGNEMENT
cle, 20 %.
Niveau universitaire, troisième cycle, 9 %. C o m m e nous l'avons déjà dit, Yimprimé est le
Niveau postsecondaire (perfectionnement), principal support de la majorité des programmes
12 % . d'enseignement à distance, ce que confirment
Formation permanente des adultes, 27 %. les données d u tableau 1 ci-dessous, emprun-
Tous ceux qui affirment avec optimisme, mais tées à la base de données de l ' U N U / I C D L .
souvent sans grand réalisme, que les pratiques La R T V U chinoise elle-même, qui a tradi-
de l'enseignement à distance reposent sur des tionnellement privilégié la télévision, envisage
principes pédagogiques c o m m u n s ( c o m m e l'au- de recourir davantage aux matériels imprimés
tonomie de l'apprenant adulte et l'application diffusés par correspondance.
de principes « andragogiques » lors de la concep- La lecture du tableau 1 fait toutefois appa-
tion des cours) feraient bien de songer à la raître quelques caractéristiques intéressantes.
grande variété des programmes offerts et, par- E n premier lieu, seule une minorité de pro-
tant, à la diversité liée à l'âge, aux motivations grammes (9 %) reposent exclusivement sur
et à la formation des étudiants auxquels ils l'imprimé, ce qui traduit une évolution impor-
s'adressent. La seule hypothèse que l'on puisse tante par rapport au m o d e d'études tradition-
raisonnablement formuler à propos d'une nel, la correspondance, qui était encore si
grande partie de la clientèle de l'enseignement répandu il y a vingt ans. E n deuxième lieu, le
à distance est que celle-ci est sans doute c o m - support le plus populaire après l'imprimé est,

T A B L E A U I. Supports utilisés dans les programmes d'enseignement à distance

Nombre de programmes d'enseignement à distance utilisant :

Jeux
Type d'auxiliaires
d'éta- Imprimé Imprimé Radio TV Audio Vidéo pédagogiques
blissement" seul + autre + autre -t- autre + autre + autre

A (n = 317) 20 297 80 60 113 64 63


B (n = 291) 26 265 35 143 59 47
C (n = 231) 30 201 26 31 110 56 41
Total %
(n = 839) 9% 9i% 18% 15% 44% 21% 18%
T y p e A : établissements consacrés à l'enseignement à distance ; type B : établissements traditionnels où il existe des départements
spécialisés dans l'enseignement à distance ; type C : établissements traditionnels o ù les programmes d'enseignement à distance ne
relèvent pas d ' u n département spécialisé.
L'enseignement à distance : u n état de la question 51

T A B L E A U 2. — Infrastructures disponibles pour l'organisation de rencontres de groupes


dans le cadre des programmes d'enseignement à distance

N o m b r e de programmes d'enseignement à distance disposant de :

Type services centres établissement


d'établissement0 régionaux d'études avec internat

A (317 programmes) 85 "3 53


B (291 programmes) 79 104 92
C (231 programmes) 44 55 50
Total %
(839 programmes) 25 32 23

a. T y p e A : établissements consacrés à l'enseignement à distance ; type B : établissements traditionnels où il existe des départements
spécialisés dans l'enseignement à distance ; type C : établissements traditionnels où les programmes d'enseignement à distance
ne relèvent pas d'un département spécialisé.

de loin, la modeste cassette audio (qui apparaît qui font appel à l'informatique (pour une vue
dans 44 % des programmes). E n troisième d'ensemble de certaines de ces technologies et
lieu, une proportion importante de programmes et l'intérêt qu'elles présentent pour l'ensei-
utilisent des moyens relativement coûteux : la gnement à distance, voir Ruggles et al., 1982 ;
télévision (15 %), les vidéocassettes (21 %) Bates, 1984 ; Bacsich et al., 1986).
et les jeux de matériel pour travaux pratiques Dans le cas précis de l'enseignement à dis-
(18 %). tance, les domaines où l'application de techni-
Si l'enseignement à distance se distingue des ques informatisées peut avoir des effets impor-
cours par correspondance par l'emploi intégré tants sont au nombre de trois. L e premier est
de divers médias, il présente une autre carac- celui de la production des matériels d'enseigne-
téristique fondamentale, à savoir l'existence ment : l'informatique a révolutionné l'édition
d'une infrastructure qui permet le contact entre en permettant d'accélérer considérablement la
étudiants et tuteurs et l'organisation de ren- production et de fabriquer des matériels impri-
contres de groupe, de sessions de travail avec més de grande qualité sans que les coûts aug-
hébergement sur place. L e tableau 2 montre mentent pour autant. Ainsi que le montre
dans quelle mesure les différents programmes l'étude consacrée à l'Universitas Terbuka (qui
d'enseignement à distance répertoriés dans la paraîtra dans la prochaine livraison de Perspec-
base de données de l ' U N U / I C D L ont recours tives), les pays développés n'ont pas le m o n o -
à une organisation régionale, à des centres pole de cette technologie. L'Universitas Ter-
d'études et à des établissements avec internat. buka fabrique ses matériels imprimés à l'aide
Il en ressort qu'un quart des programmes envi- de micro-ordinateurs et d'imprimantes laser, ce
ron disposent d'une infrastructure destinée qui lui permet d'éliminer les coûts de c o m p o -
expressément aux activités de groupe. sition et de réduire sensiblement les délais de
production. L'utilisation de l'électronique pour
la préparation et le stockage des textes de
LES N O U V E L L E S T E C H N O L O G I E S l'enseignement à distance présente naturelle-
ET L ' E N S E I G N E M E N T A D I S T A N C E ment l'avantage important d'en permettre une
révision et une actualisation plus rapide et plus
Si, au cours des années 1970, la télévision simple.
avait fait son apparition dans de nombreux sys- La deuxième application importante des
tèmes d'enseignement à distance, elle cède au- techniques informatiques concerne le stockage
jourd'hui la place aux nouvelles technologies et la recherche rapide de l'information, que
52 Anthony Kaye

celle-ci soit conservée sur vidéodisque ou dans dont les matériels, qu'ils soient fournis à
une base de données. Dans les pays où l'accès l'étudiant sous forme de disquettes ou par
en ligne aux bases de données s'opère facile- accès direct à des bases de données, entrent
ment (c'est notamment le cas en France, o ù pour l'essentiel dans la m ê m e catégorie que les
l'on peut consulter les bases de données vidéo- autres matériels d'enseignement.
tex, ou en Amérique d u Nord, o ù existent des
systèmes tels que CompuServe ou T h e Source), Cette présentation brève et générale de l'ensei-
ces techniques présentent u n potentiel évident gnement à distance a pour objet de définir le
pour l'enseignement à distance. A u x États-Unis cadre des articles plus fouillés et plus spécialisés
d'Amérique, par exemple, il existe déjà u n qui composent la suite de ce dossier en deux
« Electronic University Network » dont le fichier parties. L a première série d'articles, contenue
électronique répertorie plus de quatre-vingts dans la présente livraison de Perspectives, est
bases de données en ligne, et qui peut être consacrée à certains des thèmes fondamentaux
utilisé dans le cadre de programmes d'études que nous venons d'identifier, à savoir :
externes (Electronic University Network, 1987). Les facteurs à prendre en considération pour
Enfin, et c'est peut-être le plus intéressant, planifier les projets d'enseignement à dis-
des services de communication informatisés (la tance, eu égard, en particulier, à l'emploi de
télémessagerie ou la téléconférence, par exem- l'analyse de systèmes (Villarroel).
ple) peuvent être utilisés pour permettre aux Les principaux problèmes pédagogiques posés
étudiants, aux tuteurs et aux concepteurs des par les divers médias et méthodes d'ensei-
programmes de dialoguer à distance, voire pour gnement et d'apprentissage utilisés dans la
organiser des séminaires et des débats à partir formation à distance (Dewal).
de terminaux personnels. Ces techniques sont à Les questions de qualité et de pertinence des
l'essai dans u n certain nombre d'institutions matériels pédagogiques utilisés dans l'ensei-
(voir, par exemple, Kaye, 1987) et les possibi- gnement à distance (Zahlan).
lités qu'elles présentent sont étudiées en détail L a possibilité qu'offrent les nouvelles tech-
par Henri dans u n autre article d u présent nologies informatiques de renforcer, quali-
dossier. tativement et quantitativement, la c o m m u -
nication entre étudiants et entre tuteurs et
L'intégration de ces nouvelles techniques et
étudiants dans le cadre des programmes
de leurs applications aux méthodes actuelles
d'enseignement à distance (Henri).
de l'enseignement à distance ne s'opérera pas
U n e analyse critique des arguments économi-
nécessairement en douceur. Les institutions qui
ques avancés en faveur de l'enseignement à
utilisent 1' « ancienne » technique de l'imprimé
distance, par opposition à l'enseignement
depuis leur création risquent fort d'avoir beau-
traditionnel dispensé en classe ou à l'univer-
coup de mal à passer à l'édition électronique.
sité (Rumble).
Par ailleurs, la possibilité qu'auront les étu-
C e choix particulier de thèmes repose sur la
diants de consulter des bases de données en
conviction que les problèmes cruciaux qu'il
ligne pose des problèmes, potentiellement déli-
convient d'examiner dans ce domaine sont ceux
cats, de contrôle, de propriété et d'actualisation
de la qualité des matériels didactiques fournis
des matériels stockés dans ces bases de don-
aux étudiants, d u niveau, de la nature et de
nées. Enfin, l'introduction de modes de c o m m u -
l'importance de l'interaction entre les appre-
nication informatisés va modifier le rôle d u
nants et entre ces derniers et leurs tuteurs/
tuteur et ses fonctions, et faciliter considéra-
professeurs. Ces deux problèmes influent sur la
blement le contact entre les étudiants et les
conception et la planification d'ensemble des
concepteurs des programmes. Ces problèmes
systèmes d'enseignement à distance et, au
sont fondamentalement différents de ceux que
premier chef, sur la structure de leur coût.
pose l'utilisation, dans la formation à distance,
L a seconde partie d u dossier (qui paraîtra
de l'enseignement assisté par ordinateur ( E A O ) ,
L'enseignement à distance : un ¿tat de la question 53

dans la prochaine livraison de Perspectives) C R O P L E Y , A . ; K A H L , T . 1983. « Distance education and


distance learning: some psychological consideration >.
contiendra plusieurs études de cas consacrés à Distance education, vol. 4 , n° 1, p . 27-30.
différents systèmes d'enseignement à distance. D A N I E L , J. 1987. World trends in higher distance education.
Ces études, qui ne prétendent pas être exhaus- Sudbury, Ontario, Laurentian University. (Miméo-
tives, ont pour but d'illustrer la diversité des graphie.)
D A N I E L , J. ; S T R O U D , M . ; T H O M P S O N , J. (dir. publ.). 1982.
services offerts dans ce domaine selon les
Learning at a distance: a world perspective. E d m o n t o n ,
pays, tout en présentant le phénomène de Athabasca University/Conseil international de l'ensei-
l'enseignement à distance sous des éclairages gnement par correspondance.
différents. Y seront ainsi exposées les vues D I E U Z E I D E , H . 1985. « Les enjeux politiques ». D a n s :
d'un planificateur (projet de l'Université o u - H E N R I , F . ; K A Y E , A . (dir. publ.). Le savoir à domicile :
pédagogie et problématique de la formation à distance.
verte al-Quds), d'un doyen ( C R T V U chinoise),
Québec, Les Presses de l'Université du Québec.
d'un administrateur (Centre national d'ensei- Electronic University Network. 1987. Catalog. Californie,
gnement à distance en France), d'un recteur TeleLearning, Inc.
d'université (l'Universitas Terbuka en Indoné- E S C O T E T , M . 1980. Tendencias de la educación superior a
sie), d'un professeur de sciences de l'éducation distancia. San José, Editorial U N E D .
G A L V I S P A N Q U E V A , A . 1982. Universidades a distancia en
(l'enseignement à distance en Pologne), d'un América latina: un análisis comparativo en lo metodo-
concepteur de programmes (Programme d'étu- lógico. San José, Editorial U N E D .
des externes de l'Université de Zambie) et enfin, H A R R Y , K . ; R A G G A T T , P . (dir. publ.). 1984. Trends in
ce qui est particulièrement intéressant, d'un étu- distance higher education. Milton Keynes, O p e n Univer-
sity Distance Education Research G r o u p .
diant {Open University britannique). L e point de
H E N R I , F . ; K A Y E , A . (dir. publ.). 1985. Le savoir à domi-
vue de l'étudiant n'est en effet guère apparent cile : pédagogie et problématique de la formation à distance.
dans la littérature consacrée à la formation à dis- Québec, Les Presses de l'Université du Québec.
tance ou ne s'exprime qu'à travers les écrits de H O D G S O N , V . ; M A N N , S. ; S N E L L , R . (dir. publ.). 1987.

chercheurs ou de spécialistes de l'évaluation. Il Beyond distance teaching—towards open learning. Milton


Keynes, T h e Society for Research into Higher E d u -
faut espérer que cet article, qui servira de conclu-
cation/The O p e n University Press.
sion au dossier, contribuera à corriger le désé- H O L M B E R G , B . 1981. Status and trends of distance education.
quilibre et permettra au lecteur d'appréhender Londres, K o g a n Page.
directement les préoccupations des adultes qui I L Y I N , V . V . 1983. « T h e U S S R Financial and Economic
prennent la décision, souvent difficile, de faire Institute for Distance Education ». Distance education,
vol. 4 , n° 2 , p . 142-148.
des études à distance. • K A Y E , A . R . 1987. « Introducing computer-mediated c o m -
munication into a distance education system ». Canadian
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cation, vol. 7, n° 1, p. 92-105.
L a planification des projets
d'enseignement à distance
Armando Villarroel

L a documentation concernant les débuts de E n partant d u principe que les éléments pré-
l'enseignement à distance dans les universités cités jouent u n rôle déterminant dans la mise
spécialisées d u Costa Rica, d'Espagne, d u en œuvre des programmes d'enseignement à
R o y a u m e - U n i et d u Venezuela (Perry, 1977; distance, nous essayerons d'analyser globale-
Villarroel, 1987) fait apparaître entre ces dif- ment leur influence et la manière dont les pro-
férents cas de nombreux points c o m m u n s déjà cessus qui en résultent sont planifiés. N o u s
visibles à l'époque. Ainsi, il fallait justifier la commencerons par décrire très succinctement
création d'institutions différentes des établis- les caractéristiques dont il faut particulièrement
sements traditionnels déjà en place dans ces tenir compte pour la planification; puis nous
pays et il était impératif, pour obtenir des cré- évoquerons l'utilisation de l'analyse systémique
dits de fonctionnement, d'expliquer avec de so- c o m m e instrument théorique et méthodologi-
lides arguments les raisons d'ordre social pour que de planification; enfin, compte tenu des
lesquelles ce type d'enseignement devait être conclusions que nous aurons tirées de ces ana-
assuré parallèlement à l'enseignement tradi- lyses, nous étudierons les sous-systèmes qui
tionnel. L'argument le plus souvent invoqué caractérisent le mieux ces programmes et qui
était et demeure qu'en raison de sa souplesse et jouent u n rôle dans la planification.
de son faible coût cet enseignement permet de
répondre aux besoins de groupes de population
qui, à cause de l'éloignement géographique ou L'enseignement à distance
d'un handicap social, n'auraient pas, autrement, et sa planification
la possibilité d'accéder à l'éducation.
Par ailleurs, aussi bien les fondateurs de ces Avant d'examiner les principales caractéristi-
institutions que le corps enseignant dans son ques des systèmes d'enseignement à distance, il
ensemble s'inquiétaient évidemment de savoir nous paraît nécessaire de souligner à nouveau
c o m m e n t il fallait mettre en pratique une que ce type d'enseignement est une innovation
conception nouvelle et sans précédent. Ces deux qui, une fois adoptée, doit s'intégrer au système
aspects, interdépendants dès le départ, ont en- éducatif tout en conservant ses caractéristiques
gagé les institutions intéressées à fournir u n propres et en surmontant les obstacles qui pour-
effort particulier pour concevoir une planifica- raient s'opposer à son implantation. Cette si-
tion adaptée à leurs caractéristiques propres. tuation ne peut manquer d'avoir des effets sur
le processus général de planification. D e m ê m e ,
nous marquerons les différences entre l'ensei-
gnement à distance et l'enseignement tradition-
A r m a n d o Villarroel (Venezuela) est vice-recteur de nel, afin de clarifier les observations qui vont
V Universidad Nacional Abierta du Venezuela, ancien suivre.
coordonnateur des études à distance à l'Université
d'État de Pennsylvanie et auteur, notamment, d'un S'agissant de l'aspect novateur de l'enseigne-
ouvrage sur les aspects opérationnels de l'enseignement ment à distance, il est certain, c o m m e le souli-
universitaire à distance. gnent divers auteurs (Kaye et R u m b l e , 1981 ;

Perspectives, vol. XVIII, n° I, 1988


56 Armando Villarroel

Holmberg, 1985 ; Villarroel, 1987) qu'il y a à prentissage revêt u n caractère formel en ce


peine dix ans la notion et le terme m ê m e étaient sens qu'on utilise des moyens techniques pour
pratiquement inconnus de nombreux spécialis- transmettre l'information, qu'on encourage la
tes de l'éducation, ce qui n'est plus d u tout le communication à double sens puisque l'étudiant
cas aujourd'hui. C o m m e l'indique Holmberg peut consulter le tuteur et que l'on a largement
(1985), l'enseignement à distance revêt des recours à des approches industrielles pour réali-
formes diverses dont la plupart sont très ré- ser certaines tâches éducatives, notamment la
centes, surtout celles qui s'adressent à u n grand production de moyens d'enseignement.
nombre de personnes. Il peut être dispensé, par C o m p t e tenu de ce qui précède, nous étudie-
exemple, dans le cadre : a) d'universités indé- rons quatre aspects de l'enseignement à distance
pendantes spécialisées dans l'enseignement à qui jouent u n rôle dans sa planification. D ' a u -
distance ; b) d'unités d'enseignement à distance tres auraient p u être retenus, mais nous pen-
fonctionnant à l'intérieur d'universités tradi- sons que ceux que nous avons choisis permet-
tionnelles ; c) d'institutions de services qui pra- tront de donner une idée assez complète des
tiquent l'enseignement à distance pour le compte situations qui se présentent.
d'universités traditionnelles ; d) d'institutions
publiques ou privées qui pratiquent ce type
d'enseignement de façon parallèle; e) d'un UNE HAUTE EFFICACITÉ
effort c o m m u n à plusieurs institutions. OPÉRATIONNELLE
L e caractère généralement novateur de ces
programmes est u n aspect dont il faut tenir Étant donné que l'enseignement à distance sup-
compte pour leur planification si l'on veut dé- pose l'existence de divers processus interdépen-
finir avec une relative précision les structures, dants, dont l'aboutissement dépend de la réus-
les fonctions et les procédures. C o m m e avec site d'étapes antérieures elles-mêmes liées entre
toute innovation, lorsque l'enseignement à dis- elles, tout ce qui concerne l'efficacité revêt une
tance est introduit dans une institution, il faut grande importance. Si l'on n'accorde pas l'at-
s'attendre à une certaine instabilité, car il faut tention voulue à l'efficacité opérationnelle, on
que l'organisation s'adapte à des situations dont ne pourra pas sortir de certaines impasses aux-
on n'a guère l'expérience. C e phénomène s'at- quelles m è n e souvent la mise en œuvre des pro-
ténue à mesure que la situation se stabilise et grammes. Cette efficacité opérationnelle ne se
que l'organisation se met en place, ce qui se confond évidemment pas avec la qualité intrin-
produit à des stades plus avancés auxquels peu sèque de l'enseignement, mais nous savons tous
d'établissements spécialisés dans l'enseignement qu'il faut réunir trois conditions de base :
à distance sont parvenus jusqu'à présent, bien a) que le produit éducatif soit de bonne qua-
que des progrès aient été réalisés dans cette lité ; b) que les infrastructures soient telles que
voie. C'est pourquoi l'expérience relativement l'on puisse atteindre les utilisateurs des pro-
limitée de ce type d'enseignement est un para- duits et services éducatifs ; c) que des mécanis-
mètre important qui doit pondérer notre ré- mes de rétro-information permettent d'amélio-
flexion sur le processus de planification. rer sensiblement la qualité de l'enseignement.
Afin de définir plus clairement celles des ca- Il importe particulièrement d'assurer u n haut
ractéristiques de l'enseignement à distance qui niveau d'efficacité dans les pays où les insti-
jouent u n rôle dans la planification, il nous tutions éducatives ne sont pas particulièrement
semble nécessaire de marquer sommairement modernes, étant nécessairement à l'image de la
la différence entre ce type d'enseignement et société tout entière. Avec l'introduction des pro-
grammes d'enseignement à distance dans ces
l'enseignement traditionnel. D'après Keegan
systèmes éducatifs, les planificateurs doivent
(1980), le principal trait distinctif est la sépa-
surmonter u n obstacle supplémentaire, essen-
ration physique entre les enseignants (générale-
tiellement en raison de la complexité de ce
ment appelés « tuteurs ») et les étudiants. L ' a p -
L a planification des projets d'enseignement à distance 57

m o d e d'enseignement, dont le fonctionnement Les processus qui doivent être planifiés


comporte de nombreux points critiques et commencent sur le plan didactique par la
oblige ainsi à tenir compte des relations d'inter- conception des matériels d'auto-apprentissage,
dépendance entre les différents processus et à passent par la motivation et la formation des
respecter des programmations dont le calen- tuteurs, aboutissent aux étudiants qui doivent
drier est assez rigide. tirer parti des possibilités qui leur sont offertes
E n ce qui concerne les niveaux d'efficacité, et acquérir les stratégies cognitives propres à
deux aspects nous paraissent primordiaux : l'enseignement à distance. Tout cela implique
l'interaction des processus et le respect des nécessairement u n changement de mentalité ;
délais. celui-ci s'opère peu à peu, à mesure que les
Tous deux exigent des critères d'efficacité maîtres venus de l'enseignement traditionnel
plus précis que ceux qui s'appliquent à d'autres et les étudiants qui débutent dans ce système en
modes d'enseignement. C'est pourquoi, pour intériorisent les mécanismes, et aussi grâce aux
que les opérations puissent être menées à bien, efforts fournis par les institutions qui dispensent
il faut définir avec précision les procédures à ce type d'enseignement.
suivre et le seuil de tolérance au-delà duquel
d'éventuels écarts ne peuvent être acceptés.
UN M O D E DE GESTION SPÉCIFIQUE

DES COMPORTEMENTS ADAPTÉS Il importe aussi de prendre en considération la


AU MODE D'ORGANISATION manière de gérer les institutions qui pratiquent
PROPRE A L'ENSEIGNEMENT l'enseignement à distance. Si l'on part d u prin-
A DISTANCE cipe que ces institutions ne peuvent survivre que
si elles atteignent des niveaux d'efficacité appro-
L a mise en œuvre des programmes est, nous priés, il semblerait logique, sans pour autant
semble-t-il, d'autant plus complexe que ceux perdre leurs caractéristiques, d'essayer d'appli-
qui y travaillent ont souvent des comportements quer des méthodes de contrôle semblables à
acquis dans l'enseignement traditionnel, donc celles qui ont cours dans les entreprises indus-
a priori peu adaptés à l'enseignement à dis- trielles, où l'efficacité est une valeur fonda-
tance. Cette situation se traduit surtout dans la mentale. Toutefois, les institutions d'éducation
façon dont on conçoit l'articulation entre le étant ce qu'elles sont, il existe, là encore, des
rôle d u tuteur et celui de l'étudiant ; en effet, contradictions dont les planificateurs doivent
l'enseignement à distance implique que la tenir compte. Ainsi, m ê m e quand il est néces-
relation enseignant-étudiant ne doit jamais, saire, pour les raisons qui viennent d'être
pour des raisons qui tiennent à la philosophie exposées, d'adopter u n m o d e d'organisation
du système et aux considérations économiques de type industriel, on ne peut pas oublier que
qui le justifient, rivaliser avec celle qui s'établit les institutions d'enseignement à distance sont
dans une salle de classe o u dans des cours des entités éducatives, qu'elles ont des objectifs
par petits groupes qui s'apparentent davantage sociaux et que — surtout dans le cas des univer-
à u n « atelier » ou à u n séminaire qu'à u n véri- sités — on ne saurait les gérer sans respecter la
table enseignement à distance. A u contraire, ce diversité des opinions. C e principe est d'une
système suppose, avec des moyens qui sont certaine manière incompatible avec la structure
fondamentalement ceux de l'auto-apprentissage, verticale de l'autorité mise en place dans les
une relation didactique indirecte entre l'étu- entreprises, qui ont encore des modes de gestion
diant et le tuteur, ce dernier agissant c o m m e de type hiérarchique. Dans l'organisation de
catalyseur en favorisant l'activation des apti- l'enseignement à distance, il faut instituer u n
tudes et la mise en œuvre des situations m o d e de gestion de type participatif — c o m m e
nécessaires à l'auto-apprentissage. dans certaines grandes entreprises d u m o n d e
58 Armando Villarroel

postindustriel — et qui garantisse et préserve évidentes, une dépendance politique et des


l'efficacité sans modifier radicalement le type conflits d'intérêts. C'est encore u n domaine
des relations qui caractérise les institutions dans lequel il y a lieu de réaliser u n équilibre
éducatives. judicieux entre la nécessité d'utiliser des res-
sources complémentaires qui garantissent le
développement de l'offre de services éducatifs,
RELATIONS AVEC LE M O N D E EXTÉRIEUR et rapprochent les institutions de leurs utilisa-
teurs, et le risque pour les institutions qui
D e par leur nature, les programmes d'ensei- acceptent ces aides de perdre leur liberté d'ac-
gnement à distance doivent être en relation très tion. L à encore, il s'agit d'une situation peu
étroite avec le m o n d e extérieur. Cette relation courante dans les établissements d'enseigne-
présente assurément des aspects positifs ; en ment traditionnels, qui se limitent généralement
effet, pour être menés à bien, les programmes à une seule ville et ne disposent pas d u vaste
doivent être intimement associés aux c o m m u - réseau de relations locales qui caractérisent les
nautés visées. O n a v u qu'ils ont été créés à institutions spécialisées dans l'enseignement à
l'intention de populations en difficulté qui, distance.
dans certains cas, se trouvaient dans l'impossi- Pour résumer, on peut dire des programmes
bilité d'accéder aux systèmes d'enseignement d'enseignement à distance qu'ils sont nova-
traditionnels. Puisque l'enseignement à dis- teurs et que : a) leur structure et leurs m o d a -
tance a été conçu c o m m e une solution différente lités de fonctionnement ne sont pas encore
et une manière souple d'assurer u n service entièrement stabilisées ; b) ils sont vulnérables,
éducatif, il est indispensable qu'il maintienne car ils exigent une haute efficacité, difficile à
directement le contact avec les populations obtenir dans certains pays ; c) ils ont besoin,
auxquelles il s'adresse. en matière d'organisation, de types de compor-
L a contrepartie éventuelle de ces avantages tement qui les distinguent de l'enseignement
est que les systèmes d'enseignement à distance traditionnel, dont les caractéristiques ne sont
sont de plus en plus souvent tributaires de cer- pas adaptées aux objectifs spécifiques de l'ensei-
tains facteurs extérieurs. Parmi les universités gnement à distance ; d) ils exigent u n type de
qui pratiquent ce type d'enseignement, les plus gestion spécialement adapté à leurs caractéris-
avancées assurent le contact avec les étudiants tiques ; e) ils dépendent d u m o n d e extérieur,
au m o y e n d'annexés situées en des points ce qui est à la fois u n atout, car ils peuvent ainsi
stratégiques et relativement proches d u lieu de étendre leur c h a m p d'action, et u n inconvé-
résidence des intéressés. Toutefois, à cause des nient, car ils deviennent tributaires d'autres
budgets limités et de la nécessité d'élargir la instances.
zone couverte par l'enseignement à distance, Cette analyse nous amène à conclure que la
ces annexes (appelées centres locaux, centres planification de programmes aussi complexes
associés ou centres universitaires) fonctionnent ne saurait être linéaire, car il faut tenir compte
entièrement ou en partie dans le cadre d'ac- de multiples facteurs en interaction dynamique.
cords ou d'arrangements conclus avec divers C'est pourquoi nous pensons que le principal
organismes locaux, régionaux ou nationaux. instrument de la planification doit être l'analyse
D a n s certains pays, des organismes publics ou systémique.
privés subventionnent les annexes universi-
taires, soit directement, en prenant à leur
charge les dépenses de construction et d'acqui-
sition des immeubles ou le paiement des
loyers, soit indirectement, en assurant certains
services gratuitement o u à tarif réduit. Ces
relations entraînent souvent, pour des raisons
L a planification des projets d'enseignement à distance 59

peuvent être compris intuitivement, sans pour


L'analyse systémique autant être inexacts ou ambigus. L'espace
c o m m e instrument fondamental nous manque pour analyser ici la façon dont on
pour la planification utilise les modèles soit pour essayer des théories,
soit c o m m e instruments de référence permet-
A la lecture des écrits sur la manière d'étudier le tant de comprendre la réalité; mais nous
comportement des organisations d u type de pouvons affirmer que les modèles sont des ins-
celles qui assurent l'enseignement à distance et, truments puissants, qui jouent u n rôle impor-
par conséquent, la planification de leurs opéra- tant dans la prise de décision et dans la détermi-
tions, on est conduit à penser que l'analyse nation des conséquences possibles des décisions.
systémique est l'instrument le mieux adapté à L'analyse systémique a aussi pour objet de
cette tâche. décrire et d'analyser le fonctionnement d'une
E n effet, 1' « approche systémique », née organisation globale ou d'une unité plus petite,
d'une conception organiciste des sciences biolo- qui se définit aussi bien intrinsèquement que
giques (von Bertalanffy, 1968) et de ses dérivés dans ses relations avec l'environnement. Certes,
(théorie générale des systèmes, analyse systé- dans l'étude formelle d u fonctionnement d'un
mique, technologie des systèmes, cybernétique, système et des sous-systèmes qui le composent,
recherche opérationnelle, théorie de l'infor- u n certain degré de simplification est nécessaire
mation et de la prise de décision, etc.), c o m - si l'on veut étudier, comprendre et, bien
mence par considérer les organisations c o m - entendu, modifier la réalité.
plexes c o m m e u n tout, et non pas c o m m e des Holmberg (1986) a indiqué que, dans le cas
ensembles subdivisés en parties. particulier de la cybernétique, le processus
L e principe de l'analyse systémique est qu'il d'enseignement-apprentissage s'apparente à u n
est possible de comprendre la nature et le mouvement régulateur en boucle qui serait
fonctionnement des divers sous-systèmes qui analogue, par exemple, au fonctionnement d'un
composent u n système donné, ainsi que les thermostat. Toute modification en u n point
relations que les sous-systèmes ont entre eux de la boucle est corrigée en d'autres points.
et les interactions entre le milieu et le système C'est le m ê m e processus qui intervient quand
étudié (Palavicini, 1981). u n pilote réagit aux vents et aux courants. L a
Qu'il s'agisse de sciences sociales ou de rétro-information immédiate dans l'enseigne-
sciences de l'éducation, on pourrait dire, de ment programmé est u n aspect caractéristique
façon générale, que, pour analyser u n système, de ce mouvement. Il est indispensable à la fois
on tend à élaborer des modèles qui donnent d'anticiper la réponse à donner à l'élève et de
une vision simplifiée de la réalité. Dans des programmer les mesures correctives en s'ap-
sciences empiriques c o m m e les sciences de puyant sur une stratégie optimale. C'est pour-
l'éducation, cette simplification permet d'asso- quoi il est très utile de définir des algorithmes
cier des données expérimentales à des symboles pour optimiser l'enseignement.
mathématiques reliés entre eux avec plus ou A la lumière de ce qui précède, nous présen-
moins d'exactitude. Les schémas de ce type se terons brièvement une application de l'analyse
présentent généralement sous la forme de m o - systémique dans une organisation complexe
dèles qui font apparaître une relation de cause à d'enseignement à distance, l'Universidad Nacio-
effet, directe ou indirecte, entre différentes nal Abierta ( U N A ) d u Venezuela. Il ne s'agit
variables. pas d'un exposé historique, mais seulement
D'après Holmberg (1986), les modèles m a - d'indications montrant, dans u n cas concret, les
thématiques très précis sont difficilement appli- avantages de l'approche systémique.
cables à l'étude du phénomène éducatif. Il vaut L e document portant création de l ' U N A d u
mieux, dans ce domaine, avoir recours à ce Venezuela définissait les règles de l'université
qu'on appelle les modèles verbaux. Ces modèles sur la base d'un modèle systémique ( C O U N A ,
6o Armando Villarroel

1977) prévoyant que l'institution fonctionnerait existent dans l'enseignement à distance. L'étude
connue u n système composé de sous-systèmes des principaux sous-systèmes de ce type d'en-
entretenant entre eux une relation dynamique seignement tels qu'ils sont décrits par Kaye et
et intégrée. Il fallait donc une administration R u m b l e (1981) a montré que certains d'entre
capable d'atteindre les objectifs d'un système eux se retrouvaient dans d'autres formes d'en-
complexe devant impérativement fonctionner seignement. N o u s estimons toutefois qu'en ce
avec u n haut niveau d'efficacité. qui concerne l'enseignement à distance les sous-
Toutefois, le décalage entre la théorie et la systèmes que sont les cours et les étudiants
pratique n'a pas tardé à apparaître et il a fallu présentent des caractéristiques très particu-
opérer progressivement les ajustements néces- lières, qui les différencient nettement de ceux
saires (Villarroel, 1980). Malgré certains change- de l'enseignement traditionnel.
ments radicaux, le principe des sous-systèmes
interdépendants a toujours été conservé, au
moins formellement. Exemple d'application
Bien que cette approche n'ait pas été utilisée de l'analyse systémique
à tous les stades de la création de l ' U N A , et à deux sous-systèmes
qu'elle se soit parfois révélée peu réaliste, le de l'enseignement à distance
seul fait qu'elle soit encore jugée utile et que
cette institution s'efforce d'y avoir recours est L e sous-système constitué par les cours suppose
important, car il équivaut à reconnaître tacite- la conception, la production et la diffusion des
ment son efficacité pour la gestion d'une orga- matériels pédagogiques, ce qui, à l'évidence,
nisation aussi complexe que celle d'un centre engendre des situations très différentes de celles
universitaire d'enseignement à distance. C e qui caractérisent l'apprentissage en présence d u
souci d'étudier ou d'envisager les processus de maître.
façon globale est une caractéristique de bon Pour simplifier, on pourrait dire que la mise
nombre d'institutions de ce type. au point des cours passe par plusieurs étapes :
D a n s les institutions les plus avancées, c o m m e a) concrétiser les idées des spécialistes sous
l'Open University, o ù les recherches opération- forme de prototypes de cours ; b) élaborer des
nelles ont été poussées le plus loin, la planifi- méthodes d'évaluation périodique permettant de
cation sectorielle et l'étude des processus dans préserver le caractère formateur des cours ;
leur interdépendance sont largement répandues. c) mettre au point des instruments pour évaluer
Dans d'autres institutions c o m m e la Universidad les résultats des étudiants et, bien entendu,
Nacional de Educación a Distancia ( U N E D ) contrôler la qualité de ces instruments ; d) re-
d u Costa Rica et l ' U N A d u Venezuela, il existe produire les prototypes de cours et les instru-
des « vice-rectorats » chargés de la planification, ments d'évaluation des cours et des résultats
ou des services spécialisés qui s'occupent de obtenus par les étudiants; e) distribuer les
mettre en œuvre des plans opérationnels et des matériels aux étudiants ; f) recherche des
projets, et d'optimiser les résultats. E n général, mécanismes de retour de rétro-information
le processus de planification est très différent de pour assurer Pautorégulation d u système.
celui des établissements d'enseignement tradi- Faire fonctionner l'ensemble de ce sous-
tionnels, où la planification est beaucoup plus système de façon dynamique est une tâche
générale et n'atteint jamais le degré de préci- extrêmement délicate et intéressante, car, nous
sion obtenu dans les institutions d'enseignement l'avons vu, les différents processus sont inter-
à distance. dépendants. Si l'on n'utilise pas l'analyse sys-
Dans la dernière partie, nous expliquerons témique, les risques d'échec sont assez grands.
c o m m e n t l'approche systémique peut servir à D e plus, on ne saurait mener à bien toutes ces
l'analyse, à la mise en pratique et au perfec- activités de façon organisée dans u n système de
tionnement de quelques sous-systèmes qui recherche et de contrôle de l'information, qui
La planification des projets d'enseignement à distance 61

ne peut être efficace que si l'on a recours à qui se posent à l'intérieur d u système néces-
l'informatique. sitent des interventions à différents niveaux de
L'autre sous-système important est celui que l'institution.
forment les étudiants. O n pourrait dire qu'il L a quatrième relation concerne les examens et
correspond étroitement à la nature m ê m e d u certificats. Il existe, notamment en Europe, des
processus d'enseignement-apprentissage qui, universités dont les modalités d'examen pré-
lorsqu'il s'agit d'enseignement à distance, prend voient des sessions espacées. Dans les univer-
le caractère d'une relation indirecte. sités latino-américaines, les caractéristiques du
Les programmes de l'enseignement à distance système éducatif sont telles que l'étudiant doit
s'adressent aux étudiants selon des modalités passer des examens à intervalles très rapprochés
tout à fait différentes de celles de l'enseignement et, quand la présence est requise, ces examens
ordinaire. Dans le sous-système constitué par sont répartis sur u n territoire étendu. C e sys-
les étudiants, les situations qui entrent en ligne tème pose des problèmes logistiques très diffi-
de compte sont les suivantes : a) les tuteurs ; ciles à résoudre.
b) l'inscription des étudiants aux cours ; c) les L a cinquième relation a trait à la tenue des
situations administratives et pédagogiques ; dossiers des étudiants. L à encore, il existe des
d) les examens et certificats ; e) la tenue des points c o m m u n s avec les universités tradition-
dossiers des étudiants. nelles, bien que, dans le cas de l'enseignement à
E n ce qui concerne les tuteurs, il convient de distance, les étudiants soient très dispersés
souligner que, dans l'enseignement à distance, géographiquement ; de m ê m e , b o n nombre
ils doivent favoriser le processus d'apprentis- d'entre eux étudient à mi-temps ou à temps
sage et, à cet égard, ils remplissent deux fonc- partiel et progressent à leur propre rythme.
tions. D ' u n e part, le tuteur comble les lacunes Dans ces conditions, l'attribution des certificats
des matériels d'auto-apprentissage; d'autre part, exige des systèmes de contrôle et d'information
il est l'intermédiaire humain entre l'institution assez complexes.
et l'étudiant. A ce titre, il peut fournir une
aide tant pédagogique que personnelle, selon les Après avoir analysé deux sous-systèmes impor-
besoins. Cependant, il ne remplace en aucun cas tants, il nous reste à souligner que la planifi-
le professeur d'université, et ses relations avec cation de l'enseignement à distance est un pro-
l'étudiant ne sont jamais comparables à celles cessus très complexe, qui doit tenir compte des
qui s'établissent dans une classe ou une salle de caractéristiques d'une forme d'enseignement
cours. qui n'est pas encore entièrement stabilisée,
Pour ce qui est de l'admission aux cours, les m ê m e dans les pays où des progrès importants
centres universitaires d'enseignement à dis- ont été faits et où des recherches approfondies
tance, en raison des principes qui les animent, ont été menées sur la mise en œuvre des pro-
utilisent généralement des mécanismes très grammes. Pour contrôler ce système et en
souples, m ê m e dans les sociétés où le système suivre l'évolution, il faut avoir recours à des
est assez élitiste. Cependant, l'étudiant doit méthodes, c o m m e l'analyse systémique, qui
s'inscrire à l'université et a besoin d'être orienté prennent en considération toute la complexité
sur la façon de suivre telle ou telle filière. du processus et l'interaction de ses éléments.
Les relations qui entrent dans la catégorie O n pourrait dire, d'une façon générale, que
« situations administratives et pédagogiques » l'enseignement à distance, malgré sa grande
englobent les difficultés que les étudiants complexité, est appelé à progresser et à se
peuvent rencontrer à l'intérieur d u système et perfectionner constamment. C'est une forme
les consultations de caractère soit académique, d'enseignement, bien distincte des autres, dont
c o m m e celles qui concernent les conditions toutes les possibilités n'ont pas encore été
requises ou les matières obligatoires, soit admi- explorées. Cependant, la valeur de ce système
nistratif, dans la mesure où certains problèmes est reconnue par de nombreux éducateurs. Les
62 Armando Villarroel

problèmes de planification que nous avons


évoqués et dont on commence à prendre cons-
cience se résoudront à mesure que le système
mûrira. E n s o m m e , l'enseignement à distance
est u n défi qu'il est intéressant de relever
dans les pays développés, mais surtout, pour
des raisons économiques, dans les pays en
développement. •

Références
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V O N B B R T A L A N F F Y , L . 1968. General systems theory. New-
York, George Braziller Publisher.
Problèmes pédagogiques
de renseignement
à distance
Onkar Singh Dewal

par son extension géographique que par son


Vue générale rythme. Qu'elle ait été dictée par des impératifs
de distance, c o m m e ce fut le cas en Australie
L'enseignement à distance est u n système et au Canada, ou qu'elle procède de la décision
éducatif souple qui se différencie des systèmes de l'apprenant de ne pas quitter son domicile
traditionnels d'enseignement et qui, c o m m e ou son lieu de travail pour suivre u n enseigne-
l'écrit Edgar Faure (1972), s'efforce de « redis- ment à temps plein, c o m m e cela s'est produit
tribuer l'enseignement dans le temps et dans dans les pays européens, l'enseignement à
l'espace », de promouvoir 1' « autodidaxie distance est demeuré u n parent pauvre jusque
assistée » et d'aider l'individu à « choisir sa vers les années 1950. Il a acquis de la respecta-
voie plus librement dans un cadre plus souple ». bilité et a commencé à être traité sur u n pied
Sur le plan pédagogique, il s'agit d' « études d'égalité avec les formes traditionnelles d'ensei-
discontinues » qui nécessitent u n « dialogue gnement au début des années 1970, lorsque le
didactique guidé » (Holmberg, 1981). L'édu- R o y a u m e - U n i mit sur pied la première uni-
cation à distance est une formule industrielle versité ouverte multimédias.
d'enseignement (Peters, 1983), où sont mises au Vers les années 1980, les choses changèrent.
premier plan rationalisation, mécanisation, pro- L'enseignement à distance était devenu majeur.
duction en série, division d u travail, concen- A présent, il est considéré partout dans le
tration et régulation. D e l'enseignement par m o n d e c o m m e une forme libérale et indivi-
correspondance à l'éducation ouverte à dis- dualisée d'instruction, rentable et couvrant
tance, l'évolution a été assez irrégulière, tant un c h a m p très étendu. Il conserve à l'apprenant
toute sa liberté en l'aidant à avancer à son rythme
personnel. Il favorise la justice sociale et sou-
Onkar Singh D e w a l (Inde) est chef de la Division de tient les économies nationales en offrant des
l'enseignement à distance de l'Institut central de tech- possibilités d'éducation au seuil m ê m e d u lieu
nologie éducative (Neta Delhi). Ancien directeur de de travail.
l' Open School indienne, dont il est le fondateur. Membre A u cours des vingt dernières années, il s'est
de divers comités et commissions à l'échelon national, en créé u n certain nombre d'institutions indépen-
particulier la National Task Force on Broadcasting for
dantes d'enseignement à distance. D e s études
Education (Mission nationale sur la radiodiffusion
de cas ont été publiées par Mackenzie et al.
éducative) (1080-1981) et la Commission for
Teachers-I Task Force (groupe de travail I de la (1975), Perry (1976), l'Unesco (1978), Kaye et
Commission pour les enseignants) (1983-1984). Rumble (1981), Rumble et Harry (1982) et
Auteur ou coauteur de cinq ouvrages, dont O p e n Dewal (1986). C'est l'énoncé de la politique
school India, et de nombreux articles. nationale de l'éducation d u gouvernement

Perspectives, vol. XVIII, n° I, 1988


64 Onkar Singh Devial

indien (1986) qui résume le mieux la tendance : de suivre ou non le processus ; il est déjà dans
« L'avenir est à l'éducation ouverte à distance. » le m o n d e d u travail ou prêt à y entrer à tout
Il serait naïf de supposer que la seule multi- m o m e n t . E n outre, il est plus autonome (Moore,
plication des institutions suffit à prouver le 1977) et a des motivations intrinsèques : a m é -
potentiel, la créativité et la vitalité et l'ensei- lioration de son éducation parfois, amélio-
gnement à distance. C e n'est pas là-dessus que ration des possibilités d'emploi le plus souvent.
sa crédibilité repose, mais plutôt sur l'efficacité Ces facteurs posent d'importants problèmes
et la rentabilité d u système. L a première se d'ordre pédagogique, qui ont trait aux modalités
mesure à l'aune des objectifs définis et la seconde de transmission d u contenu, à sa structuration,
à l'économie de coût et de temps. U n examen aux types de support utilisés, aux solutions
minutieux de la pédagogie de l'enseignement à apportées à la question des besoins individuels
distance nous révèle ses atouts et ses faiblesses, et des motivations personnelles, enfin au rôle de
il nous invite à faire en sorte que le système l'évaluation. C e sont ces problèmes que nous
« fasse davantage et mieux », c o m m e disait examinons ci-après.
C o o m b s . C'est d'abord en prenant conscience
des problèmes pédagogiques que l'on peut
espérer accroître l'efficacité et la rentabilité L a transmission d u savoir
d u système.
Et comment ne pas commencer l'analyse des L'éducation est une opération délibérée qui
questions pédagogiques par une interrogation vise, dans u n environnement donné, à aider
assez brutale : y a-t-il une différence entre la l'apprenant à réagir devant le savoir à acquérir
pédagogie/andragogie de l'enseignement direct, et à se l'approprier en vue de l'utiliser ultérieu-
face à face, et celle de l'enseignement à dis- rement. Dans l'enseignement direct, l'essentiel
tance? L a réponse est catégoriquement affir- de l'opération repose en grande partie sur
mative. l'enseignant. Celui-ci peut se servir des médias
Quatre éléments : l'apprenant, l'enseignant, le à l'appui de son discours ou inciter l'apprenant à
contenu et le contexte, forment toujours la utiliser une bibliothèque ou d'autres ressources
chaîne et la trame d u tissu éducatif, que l'acte à titre complémentaire. Il n'en demeure pas
pédagogique opère en direct ou à distance. C e moins la figure centrale, le pivot d u système.
qui distingue ces deux modes, c'est que des E n revanche, dans l'enseignement à distance, ce
fonctions de ces éléments essentiels y sont diffé- n'est pas l'enseignant en tant que tel, mais le
rentes et que leur interaction suit des schémas matériel didactique qui est le principal m o d e de
différents. Dans l'enseignement direct, l'ensei- transmission d u savoir.
gnant est le pivot d u système et occupe la Si le matériel didactique est au cœur d u sys-
position centrale. Il est le protagoniste d u pro- tème d'enseignement à distance, d'autres élé-
cessus de transmission d u savoir. Dans l'ensei- ments, c o m m e les programmes de rencontres et
gnement à distance, le matériel didactique les centres de documentation et d'étude, servent
— avec ou sans rencontres personnelles — également à renforcer et à consolider l'ap-
prend le pas sur l'enseignant, qui ne joue prentissage.
qu'un rôle indirect o u intermédiaire.
Dans l'enseignement direct, en particulier
dans le système formel, l'apprenant entre à u n LE MATÉRIEL DIDACTIQUE
point donné d'un processus dont il parcourt les
étapes successives. Tout son temps est consacré Far matériel didactique, on entend à la fois le
à l'étude et il peut entrer dans le m o n d e d u matériel imprimé, le matériel audiovisuel, les
travail à u n point terminal donné. Dans l'ensei- émissions de radio et de télévision, les logiciels
gnement à distance, l'apprenant a souvent la et le matériel d'expérimentation. L e matériel
liberté de choisir des points d'entrée multiples, didactique forme l'essentiel d u système d'ensei-
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance 65

gnement à distance. L a plupart des institutions d'études, qui donnent une vue globale des
dispensant ce m o d e d'enseignement ne four- cours en les situant dans leur cadre, ainsi que
nissent que des textes imprimés. Certaines y des renseignements sur les examens, les pro-
ajoutent des cassettes sonores, ou encore des grammes de rencontres, les travaux personnels
vidéocassettes, des diapositives et des néces- requis des élèves, etc. Les livrets établis par
saires d'expérimentation. D'autres ( c o m m e l'École ouverte (Inde) et la Deakin University
l'Open University d u Royaume-Uni) pro- (Australie) fournissent des indications sur la
duisent des ensembles didactiques intégrés manière d'apprendre, de prendre des notes,
comportant livres et autres matériels imprimés, de faire des résumés et de rédiger les exercices.
émissions de télévision, de radio et nécessaires C e genre de guide met l'élève dans une certaine
d'expérimentation. disposition intellectuelle et, en lui exposant
L e matériel didactique imprimé comprend clairement ce qui est attendu de lui, le rend
des textes ou des livres inscrits au programme plus apte à tirer tout le bénéfice qu'il peut d u
et/ou des leçons ou modules pour l'auto- nouveau système.
apprentissage. Les institutions qui ont adopté U n matériel audiovisuel et des nécessaires
une politique d'admission libre produisent d'expérimentation sont aussi utilisés c o m m e
aussi des cours passerelles et des cours de base matériels pédagogiques autonomes ou c o m m e
ou de mise à niveau. Ces matériels ont pour auxiliaires d u matériel imprimé ; ils jouent u n
objet d'enseigner des concepts de base qui per- rôle d'enrichissement ou d'appoint. L'utilisa-
mettent aux élèves de comprendre parfaitement tion de matériel non imprimé et d'autres tech-
le cours ou le matériel didactique principal. nologies de la communication n'est pas simple-
Il y a une différence entre les enseignements ment une marotte ; les contenus de ces divers
passerelles et les enseignements de mise à moyens, utilisés de manière appropriée, se
niveau. Les seconds portent principalement renforcent mutuellement et, ensemble, aident
sur les concepts de base, alors que les premiers l'apprenant à atteindre ses objectifs. Il n'y a pas
dispensent à l'élève les capacités essentielles (et beaucoup d'institutions qui peuvent se per-
pas nécessairement les seuls concepts de base) mettre d'adopter cette approche, car la pro-
qui l'aideront à faire la soudure entre le cours duction de matériels didactiques multimédias
suivi et le cours visé. Outre ces deux types de est une entreprise complexe. Beaucoup se
cours, certaines institutions confectionnent des contentent, et cela n'est pas surprenant, d'une
tests de comportement qui sont donnés à simple combinaison de textes imprimés et de
l'entrée pour mesurer les connaissances de cassettes sonores, par exemple. Très peu d'ins-
l'élève et déterminer le type particulier de sou- titutions utilisent d'autres médias (émissions de
tien à lui apporter. Pour que les enseignements radio et de télévision, vidéocassettes ou ordina-
passerelles ou de base soient utiles, il est capital teurs). Les avantages et les faiblesses de ces
que les institutions déterminent au préalable les divers moyens seront étudiés u n peu plus loin.
connaissances et les capacités des élèves. Four Pour Holmberg (1981), par exemple, insister
ce faire, on administre aux candidats des tests sur la participation des étudiants aux sessions
de comportement en vue d'évaluer leurs capa- organisées en tel ou tel lieu et à telle ou telle
cités au départ. Il faut ensuite leur en c o m m u - date n'est pas conforme à l'esprit libéral et
niquer les résultats afin qu'ils sachent s'ils ouvert de l'enseignement à distance, qui offre à
doivent commencer par suivre u n cours de base. l'élève la liberté fondamentale d'apprendre selon
C'est une opération très importante, mais qui son calendrier personnel et à son propre rythme.
prend beaucoup de temps et pose le difficile O n fait valoir de plus que, si tout le soin voulu a
problème de l'administration des tests à dis- été apporté à la conception des matériels
tance. Outre les cours principaux et les cours didactiques, presque tout le contenu peut être
de base, les établissements produisent égale- enseigné sans qu'il soit nécessaire d'organiser
ment des livrets d'accompagnement ou guides des rencontres.
66 Onkar Singh Dewal

U n autre courant de pensée accorde beaucoup doivent être consacrés à la résolution de pro-
d'importance à ces sessions. Il affirme que de blèmes individuels ou à d u travail dirigé. L e
nombreuses tâches et techniques pédagogiques reste serait alors consacré à l'acquisition des
ne peuvent avoir pour seuls supports des maté- concepts de base. E n effet, la moindre lacune
riels didactiques. Sewart (1981) soutient que, dans la compréhension des concepts de base
quel qu'en soit le degré d'excellence, le matériel chez les élèves aggrave par la suite les insuffi-
ne peut accomplir la totalité des tâches d'ensei- sances de leur performance.
gnement. L e département des études extérieures Il est préférable d'échelonner les rencontres
de l'Université de N e w England est un exemple sur plusieurs périodes de l'année. L a première
d'institution qui attache de l'importance aux session, par exemple, pourrait être de brève
rencontres (residential school) et rend la parti- durée et consacrée à familiariser les élèves
cipation des élèves obligatoire. avec cette nouvelle forme d'apprentissage qu'est
Il serait insensé de croire que le matériel l'enseignement à distance. Il faut leur faire
didactique à lui seul permet d'atteindre tous les prendre conscience de leur rôle, de leurs nou-
objectifs éducatifs — cognitifs, affectifs et velles responsabilités et de ce que l'institution
psychomoteurs. Lorsqu'il s'agit de travaux attend d'eux. L a deuxième session pourrait être
pratiques ou d u développement des capacités organisée lorsque plus de cinquante pour cent
sociales, le matériel doit être complété par des des envois de cours sont parvenus aux élèves.
rencontres qui mettent les élèves en contact Elle devrait être de plus longue durée (et par-
direct avec les moniteurs. fois se passer en internat). Les travaux dirigés
et l'enseignement des concepts de base devraient
en être les deux axes principaux. U n e troisième
LES RENCONTRES session pourrait être organisée juste avant l'éva-
luationfinaleet servir à aider les élèves à réviser
L e deuxième m o d e principal de transmission les connaissances acquises et à leur montrer
du savoir est l'organisation de rencontres. c o m m e n t s'articulent les divers concepts qu'ils
Il existe deux courants de pensée concernant ont appris.
l'importance et l'utilité de ces rencontres.
Certains spécialistes de l'enseignement à dis-
tance jugent qu'elles portent atteinte à la liberté LES CENTRES DE DOCUMENTATION
des élèves. ET D'ÉTUDE
Les deux thèses sont également convain-
cantes, mais il ne serait pas avisé de se rallier à Les centres d'étude constituent le troisième
une position plutôt qu'à une autre. L'approche m o d e de transmission d u savoir. Selon les res-
la plus efficace se trouve dans le « juste dosage » sources financières dont elles disposent, les
d'interaction et d'autonomie (Daniel et M a r - institutions d'enseignement à distance créent
quis, 1979). Pour m a part, je considère que les des centres de documentation ou des centres de
rencontres doivent être organisées dans une documentation et d'étude. Les premiers offrent
triple perspective : enseigner des concepts qui seulement des matériels d'apprentissage, alors
n'ont pas été traités de manière adéquate dans que les seconds organisent aussi des travaux
le matériel didactique ; inculquer des savoir- dirigés particuliers ou en groupe et offrent des
faire ; développer la sociabilité. U n e institution services d'orientation. Je préconiserais plutôt la
qui organise des sessions uniquement dans le création, par les institutions d'enseignement à
dessein d'enseigner ce qui a déjà été enseigné à distance, de centres de documentation et
l'aide d u matériel didactique ne fait aucun cas d'étude qui pourraient servir à la fois de
du temps et de l'argent des apprenants. centres d'information, de documentation, de
E n ce qui concerne l'emploi d u temps des direction d'études et d'orientation.
sessions, il m e semble que soixante pour cent Dans certains pays en développement, les
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance 67

centres de documentation et d'étude sont ou E n présentant les structures, Piaget (1968) met
inexistants, ou totalement inopérants. U s ne se l'accent sur la relation d'ordre et Bruner (1964)
préoccupent guère de direction d'études ni sur le m o d e (actif, iconique, symbolique), l'éco-
d'orientation. M ê m e des fonctions essentielles nomie (volume optimal d'information présenté
c o m m e l'information ou la documentation et retenu dans l'esprit pour la compréhension)
laissent à désirer. et le pouvoir (possibilité de créer des structures
Coltman (1983) soutient avec force que la vie nouvelles ou des relations nouvelles).
d'un individu qui apprend à distance peut être Les structures sont des agglomérations de
entrecoupée de périodes de crise. D e s conseils faits, de concepts et d'idées que le rédacteur
fournis au m o m e n t opportun peuvent lui être veut présenter à l'élève à u n m o m e n t donné en
d'une aide immense. Il a besoin d'être orienté vue d'obtenir une assimilation efficace. U n des
avant l'inscription, une fois qu'il a reçu les points importants à ne pas perdre de vue est
cours et juste avant les examens. Les centres qu'il faut présenter les concepts dans une rela-
d'étude devraient se doter de conseillers c o m p é - tion à la fois latérale et verticale en vue de
tents pour guider les élèves et réduire au créer des réseaux de concepts surordonnés et
m i n i m u m les taux d'abandon. subordonnés.
Les centres d'étude présentent deux avan- L a meilleure manière de structurer le contenu,
tages moins tangibles : ils créent chez les élèves c'est de décomposer la tâche d'enseignement en
un sentiment d'appartenance à u n milieu, qui faits, concepts et idées puis de dresser une sorte
atténue leur solitude ; ils favorisent l'émulation de carte d u contenu, dans laquelle les concepts
et développent effectivement les capacités surordonnés engloberaient les concepts subor-
d'expression. donnés. Cet ensemble hiérarchique de connais-
sances doit présenter en premier lieu les
concepts de base, qui ont pour caractéristique
Structuration et présentation de simplifier l'information existante et de pro-
du contenu duire une information nouvelle (Bruner, 1969).
de l'enseignement Ensuite seulement on introduira les détails. L e
matériel élaboré selon les principes de la diffé-
A regarder, m ê m e rapidement, le matériel di- renciation progressive, d u renforcement et de
dactique, notamment le matériel imprimé, on l'harmonisation intégrante (Ausubel, 1968) fa-
constate que les institutions consacrent plus ou vorise l'assimilation et la mémorisation rapide.
moins de temps, d'énergie et de compétences à D'après m o n expérience personnelle, la pré-
structurer et à organiser le contenu de l'ensei- sence dans l'équipe pédagogique de concep-
gnement. Certaines, c o m m e l'Open University teurs spécialisés en ingénierie pédagogique et
du R o y a u m e - U n i , produisent d'excellents m a - de technologues de l'éducation se traduit tou-
tériels didactiques conçus par des équipes péda- jours par u n effort plus grand de structuration.
gogiques ; d'autres rédigent des notes pour la Ces spécialistes s'attachent non seulement à
classe ou des manuels traditionnels. Certaines présenter le contenu de l'enseignement de m a -
institutions font appel aux compétences de ré- nière plus claire, mais aussi à lui donner u n
dacteurs, de technologues de l'éducation ou de caractère plus interactif et plus assimilable.
concepteurs de systèmes pédagogiques. Cer- Si les structures concernent le contenu lui-
taines se contentent des services d'une seule m ê m e , la progression ou séquentiation a trait
personne pour la rédaction des textes. à l'organisation et à l'agencement de ce contenu.
L a structuration d u contenu de l'enseigne- Il est aisé de dire que les choses simples,
ment à distance est une tâche professionnelle concrètes et connues doivent être enseignées
difficile. L'opération doit être menée de m a - en premier lieu et les choses complexes, ab-
nière à communiquer l'idée de totalité, d'éta- straites et inconnues ensuite, mais cela n'est
blissement de relations et de correspondance. pas d'une grande utilité. A chaque type de
68 Orikar Singh Dewal

tâche son type de progression (Gagne, 1977). schématisées de concepts à partir des exposés
Les faits ont besoin d'être sans cesse répétés verbaux donnés.
et révisés, les concepts s'enseignent à l'aide O n a observé que les élèves qui possèdent
d'exemples o u d'analogies, les contrastes et les bien les faits sont généralement prisonniers des
règles par induction. programmes, alors que ceux qui ont assimilé
L'élaboration d u matériel didactique doit les concepts ne se laissent pas enfermer dans
être précédée d'un débat approfondi entre spé- ses limites. E n outre, les premiers ont une ap-
cialistes de la manière enseignée (contenu), proche superficielle et les autres une approche
technologues de l'éducation et rédacteurs sur plus profonde (Parlett, 1970). Si les institutions
le dosage de chaque leçon, les aspects d u contenu veulent promouvoir une compréhension en pro-
à introduire au début, l'ordre de présentation et fondeur, il est capital qu'elles optent délibéré-
la progression des concepts. ment pour une stratégie de présentation qui
D e nombreux matériels d'enseignement à aide les élèves à juger des problèmes par eux-
distance commencent par des objectifs et des m ê m e s , d'un point de vue critique et analytique.
préorganisateurs et se terminent par u n résumé Ces élèves adoptent ce qu'Ashby (1973) appelle
ou u n postorganisateur. L e reste est composé une approche « divergente », créatrice ; ce sont
de questions insérées dans le texte. U n bon des « aventuriers raisonnables » (Heath, 1964),
matériel didactique doit débuter par l'énoncé qui allient la croyance au scepticisme, à la fois
des objectifs, suivi de préorganisateurs. Ces créateurs et critiques. D e s recherches ont été
derniers doivent remplir deux fonctions : relier menées pour déterminer les caractéristiques de
la leçon présentée à la précédente et introduire l'apprentissage profond et de l'apprentissage
brièvement les concepts de base contenus dans superficiel (Martin et Saljo, 1976 ; Pask et
la leçon. Scott, 1972 ; Svenson, 1977), mais elles n'ont
pas tenté de présenter les matériels de telle
Les questions doivent être dispersées tout au
façon qu'ils développent les capacités d'ap-
long du texte. Elles doivent offrir à l'élève la
prentissage en profondeur.
possibilité de s'autoévaluer et de développer ses
capacités d'organisation, l'objectif étant d'aider L e langage et la présentation sont également
à consolider les connaissances acquises. U n e m a - importants. Il est évident que dans le matériel
nière novatrice d'utiliser ces questions consiste didactique il faut utiliser u n langage simple, di-
à leur attribuer des fonctions de diagnostic. rect et rationnel. Dans la mesure d u possible, le
Elles peuvent être bâties de manière à vérifier rédacteur doit adopter u n vocabulaire courant
la compréhension de concepts qui pourraient et des expressions simples. Il est préférable
être importants. Si les élèves ne maîtrisent pas d'éviter la voix passive, les doubles négations et
les concepts de base, on peut ajouter des sec- les tournures compliquées (Dewal, 1981).
tions de rattrapage à des points de branchement L e style et la présentation doivent bien évi-
précis. U n e telle structure peut être utilisée d e m m e n t être chaleureux, personnels et fami-
pour u n groupe ayant des comportements d'en- liers. D e l'humour, de l'esprit, des dessins h u -
trée variables. moristiques émaillant le matériel didactique
Certains concepteurs s'efforcent de faire en donnent à celui-ci une coloration nouvelle. Les
sorte que le matériel d'étude ne soit pas seu- graphiques et autres illustrations ont leur i m -
lement truffé de faits, mais qu'il soit également portance aussi. Ils rompent la monotonie de la
riche en concepts. Pour ce faire, il faut créer page imprimée, apportent de la variété, c o m -
des réseaux de concepts apparentés et établir plètent par une image concrète l'exposé verbal
des relations entre eux. L'une des manières abstrait et simplifient une information c o m -
d'assurer la maîtrise des concepts consiste à plexe. Certes, les graphiques ont une valeur
introduire des cartes de concepts dans le maté- pédagogique, mais leur insertion dans le maté-
riel didactique. O n peut également demander riel didactique est coûteuse et prend d u temps ;
aux élèves d'élaborer eux-mêmes des grilles lorsque les techniques d'impression sont pri-
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance 69

mitives et les ressources rares, elle exige des tendances (Bates, 1984) dans le m o n d e de la
ressources supplémentaires et pose toute une technologie de la communication : existence de
série de problèmes logistiques. C'est pour cette toute une panoplie de médias, diversité accrue
raison que, dans beaucoup de pays en dévelop- des moyens d'accès aux nouveaux médias, baisse
p e m e n t le matériel d'enseignement à distance des coûts et apparition de nouveaux médias que
ne contient pas ou guère de graphiques. les élèves maîtrisent davantage.
Sans entrer dans le détail, précisons qu'il faut S'il est vrai qu'il y a u n foisonnement de
se poser quelques questions préalables : matériels sur le marché, dans la pratique l'utili-
Les graphiques sont-ils u n élément capital ? sation effective des technologies est faible et
Vont-ils appuyer et renforcer l'information marginale. Seules quelques institutions font u n
verbale ? Peuvent-ils présenter le message usage important et appréciable des nouveaux
verbal avec plus d'économie et de force ? médias. Certaines universités australiennes uti-
L'illustration a-t-elle le format approprié et lisent des cassettes sonores c o m m e complément
a-t-elle été disposée correctement sur la de l'imprimé et, à l'Open University d u
page? R o y a u m e - U n i , les supports didactiques c o m -
Joue-t-elle u n rôle actif ou passif ? (Une illus- prennent la radio, les cassettes sonores, les
tration est active si elle aide l'apprenant à émissions de télévision et les vidéocassettes.
traiter l'information qu'elle contient.) L ' O p e n University Allama Iqbal d'Islamabad
L a mise en pages générale d'un texte pédago- diffuse ses programmes d'éducation des adultes
gique peut contribuer à le rendre attrayant, et à la télévision. Certaines institutions d'Europe,
ainsi à améliorer sa lisibilité et à soutenir l'in- du Canada et des États-Unis d'Amérique utili-
térêt de l'apprenant. U n e maquette de couver- sent des vidéocassettes parallèlement à l'im-
ture attrayante retient l'attention. D e m ê m e , primé.
une bonne mise en pages aide à mieux traiter Plusieurs raisons expliquent que les techno-
l'information. Imaginez des pages et des pages logies de la communication soient peu utilisées,
de textes imprimées avec des caractères de et de manière marginale. Premièrement, les
corps et de type uniformes, mal aérées, avec de technologies elles-mêmes sont disponibles, mais
petites marges. Imaginez, au contraire, des les programmes manquent. Ceux qui distri-
pages imprimées en plusieurs couleurs, avec des buent les ressources allouent peut-être des
caractères de corps et de type différents, où crédits pour l'achat de l'équipement, mais pas
certains mots sont soulignés et où les concepts pour recruter le personnel nécessaire pour pro-
importants sont présentés à l'aide d'encadrés, duire les programmes. Deuxièmement, m ê m e
avec des marges suffisantes, des schémas, illus- lorsque le personnel existe, les programmes pro-
trations et dessins humoristiques. Il est évident duits ne sont pas toujours de très grande qualité.
que ces dernières favoriseront davantage l'ap- Faute de participer pleinement à la stratégie
prentissage. éducative, les producteurs de médias accordent
souvent le primat aux techniques et aux formats
de production, alors que les spécialistes des
L'utilisation des médias contenus préfèrent mettre l'accent sur la m a -
tière à enseigner. Il y a souvent malentendu en-
Les cinquante dernières années ont connu une tre eux, si bien que les programmes sont c o m m e
formidable explosion des technologies de la une pilule dont l'enrobage l'emporterait sur la
communication. L'enseignement à distance ne substance active. Troisièmement, l'entretien d u
pouvait rester à l'écart de cet impératif techno- matériel laisse beaucoup à désirer et les délais
logique. Il s'y est donc développé u n intérêt de réparation des magnétophones et magnéto-
croissant et une certaine fascination pour l'uti- scopes tombés en panne sont anormalement
lisation des moyens de communication moder- longs. D'après notre expérience, il en était ainsi
nes. O n peut discerner actuellement quatre en 1975-1976, en Inde, à l'exception du Satellite
yo Orikar Singh Denial

Instructional Television Experiment (SITE) grées au matériel imprimé. E n revanche, elles


dont les délais de maintenance étaient courts. ne peuvent être utilisées que pour une g a m m e
Quatrièmement, quand les nouvelles techno- limitée de thèmes et ne peuvent présenter vi-
logies sont utilisées pour l'enseignement (émis- suellement des expériences. Les vidéocassettes
sions de radio ou de télévision, cassettes sonores leur sont supérieures. Leur c h a m p visuel et les
ou vidéocassettes, ou encore ordinateurs), il est possibilités qu'elles offrent de présenter des
fréquent que l'enseignant utilisateur ne participe expériences d'apprentissage exceptionnelles sont
pas à la planification. Cette planification au remarquables. Elles sont plus faciles à produire
sommet isole l'enseignant, qui perçoit les m é - que les programmes de télévision. Dans les
dias c o m m e des éléments étrangers ou des pays développés, les élèves peuvent facilement
intrus. Les technologies sont alors utilisées de disposer de magnétophones et de magnéto-
manière marginale. scopes, mais, dans les pays en développement,
Les pays en développement vont peut-être cela est encore d u domaine de l'utopie.
dans l'avenir décider d'utiliser la technologie L e téléphone peut jouer u n rôle important
sur une plus grande échelle. Il faudra alors le dans l'enseignement à distance. N o u s connais-
faire en pleine connaissance de cause, en pesant sons des cas d'institutions qui s'en servent pour
ses avantages et ses inconvénients. Il faudra, par organiser des téléconférences. A l'aide d'appa-
exemple, se demander si son utilisation est reils qui amplifient la voix, l'orateur peut ainsi
c o m m o d e sur le plan administratif, viable sur atteindre plusieurs élèves à la fois. Cette
le planfinancier,faisable sur le plan technique, technologie ne se rencontre guère dans les pays
importante sur le plan pédagogique et acces- en développement.
sible à l'élève utilisateur. Les ordinateurs jouent parfois u n rôle m a -
Il serait insensé d'utiliser les médias pour la jeur dans l'enseignement à distance dans les
seule raison qu'ils sont disponibles. L e critère pays développés. A la différence de la radio et
principal doit être n o n pas leur disponibilité de la télévision, et aussi des cassettes sonores
ou leur accessibilité, mais les possibilités qu'ils ou des vidéocassettes, ils sont extrêmement
offrent sur le plan didactique, leur efficacité interactifs et assurent à l'élève souplesse et au-
pédagogique. Certains établissements se servent tonomie quant à la matière à apprendre et à la
d'émissions de radio et de télévision c o m m e cadence de l'apprentissage.
appoint à l'imprimé. L'intérêt d'une telle c o m -
binaison est qu'elle n'est pas très coûteuse pour
les élèves et qu'elle peut toucher u n large p u - Besoins individuels
blic. E n revanche, les messages sont éphémères et motivation
et l'apprenant n'a ni le loisir ni les moyens de
revenir à l'information présentée. D e plus, il Il serait injuste de dire que l'enseignement à
reçoit le message de manière passive, sans qu'il distance ne prend pas en considération les
y ait interactivité. Souvent, les émissions sont besoins individuels, les différences d'aptitudes
diffusées à des heures peu c o m m o d e s pour les cognitives, de niveau de compréhension et de
intéressés. C o m m e le support a u n caractère vitesse d'apprentissage. Bien au contraire, il
éphémère et passager, les programmes radio- s'applique résolument et délibérément à en tenu-
diffusés ou télévisés ne peuvent souvent avoir compte, au m o y e n de rencontres personnelles
qu'un caractère général excluant l'étude pous- et d'appréciations portées par les moniteurs sur
sée d'une question ou d'un thème donné. le travail des élèves. L'organisation de cours
O n peut encore combiner l'utilisation des de base (de mise à niveau) et l'introduction de
cassettes sonores et des vidéocassettes avec le sections de diagnostic et de rattrapage dans les
texte imprimé. Les cassettes sonores offrent le ensembles didactiques sont aussi des moyens de
principal avantage d'être bon marché et faciles tenir compte des différences individuelles.
à produire. Elles peuvent être facilement inté- D a n s les pays développés, le tutorat par télé-
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance 71

phone et la téléconférence sont deux grands et de présentation attrayante sont motivants.


moyens de répondre aux besoins individuels. L e Des facteurs c o m m e u n langage adapté et u n
téléphone est utilisé de manière très efficace style chaleureux et personnel ne font pas que
dans les établissements d'enseignement à dis- soutenir l'intérêt, ils peuvent également le
tance d u second degré de Nouvelle-Zélande. susciter.
Les téléconférences n'ont rien d'exceptionnel
pour beaucoup d'établissements d'enseignement
à distance des États-Unis d'Amérique. Évaluation
D a n s les pays en développement, ce sont sur-
tout les rencontres personnelles organisées qui Tout le système d'enseignement à distance doit
permettent de répondre aux besoins individuels. continuellement et globalement être pénétré d u
Des séances de travail dirigé sont spécialement souci de l'évaluation : suivi, rétroaction, contrôle
organisées pour favoriser le tutorat individuel et correction. L'évaluation ne doit pas être tenue
et l'établissement de rapports personnels. Sou- pour une obligation de routine intervenant au
vent, les institutions écrivent aux élèves avant terme de l'apprentissage. C e doit être un concept
les sessions pour qu'ils commencent à exposer très large englobant ce que Stake (1967) appelle
leurs problèmes particuliers. Ceux-ci sont exa- les antécédents (fond expérientiel et circons-
minés et classés pour être traités pendant la tances), les transactions (méthodes et stratégies
session. adoptées) et les résultats (acquis des élèves et
L a communication personnelle par la voie matériels produits). U n e telle approche exige
épistolaire est encore une autre manière d'éta- une modification de l'orientation, d u m o d e et
blir u n dialogue didactique guidé. Certaines des méthodes de l'évaluation (Dewal, 1986).
institutions répondent rapidement aux lettres N o u s commencerons par examiner l'évaluation
des élèves, mais d'autres les traitent avec désin- des élèves.
volture et en font peu de cas (Dewal, 1983), ce Toutes les institutions d'enseignement à dis-
qui décourage les élèves et ébranle leur confiance tance procèdent à une évaluationfinales o m m a -
dans le système lui-même. tive des élèves et de type normatif. Cette évalua-
Dans l'enseignement direct, la motivation est tion répond à un impératif institutionnel et sert
suscitée et soutenue par l'interaction élève- à des fins de sélection et de détermination d u
maître en classe et à l'extérieur. Dans l'ensei- niveau. Elle est plus utile au consommateur sur
gnement à distance, elle l'est essentiellement le marché d u travail qu'à l'étudiant lui-même.
par le matériel didactique et les services de sou- C e qu'il faut mettre en place, c'est une évalua-
tien offerts aux élèves. Des dossiers didactiques tion périodique continue, de type critériel. Alais
bien conçus et présentés de manière attrayante l'évaluation critérielle continue est u n gros tra-
sont déjà une première démarche motivante. vail, qui demande d u temps et des ressources.
L'intérêt de l'élève est soutenu à l'aide de tech- Des institutions c o m m e l'Open University d u
niques appropriées de structuration et de pro- R o y a u m e - U n i emploient non seulement des
gression. Il peut l'être aussi par des services ra- enseignants (« tuteurs »), mais aussi des ordina-
pides de soutien, qu'il s'agisse de centres d'étude teurs pour évaluer le travail des étudiants tout
ou de centres d'orientation, ou encore de biblio- au long de l'année et tenir ces derniers au cou-
thèques de prêt. rant des progrès accomplis, cette dernière dé-
L a motivation est u n problème complexe. marche étant essentielle d u point de vue péda-
Elle n'est pas unidirectionnelle. Elle influence gogique : le fait de ne pas savoir o ù l'on en est
l'apprentissage, mais est à son tour influencée déroute et décourage.
par de bons résultats. C'est un processus cycli- Pour qu'une évaluation continue soit efficace,
que. Toute stratégie de conception d u matériel il importe de respecter quatre principes si l'on
qui donne de bons résultats est motivante. D e s ne veut pas décourager les étudiants et saper les
ensembles didactiques de composition agréable efforts de l'institution. Il faut : d'une part, que
72 Onkar Singh Dewal

les questions posées soient précises, claires et demandée exige-t-elle une étude livresque ou u n
rapportées à u n critère ; d'autre part, que le travail sur le terrain et des expériences ? L a fré-
nombre des questions figurant dans chaque de- quence des devoirs varie selon les institutions.
voir et la fréquence des devoirs soient appro- D ' u n e manière générale, en Inde, les institu-
priés ; troisièmement, que les appréciations des tions d'enseignement à distance envoient des
tuteurs soient précises et concrètes ; enfin, que devoirs à leurs étudiants cinq ou six fois par
le délai de renvoi à l'étudiant des devoirs corri- an. Il est préférable de décider de la fréquence
gés soit court. des envois dès le début d u cours et d'en c o m m u -
niquer les dates aux étudiants.

QUALITÉ DES QUESTIONS


ET DES ACTIVITÉS APPRÉCIATIONS DU TUTEUR

Les questions posées et les activités demandées Lorsque les étudiants ont fait les travaux qui
doivent être conçues avec soin; elles doivent leur ont été assignés, ils les renvoient pour éva-
être spécifiques, précises et faire appel à des luation. Les institutions ont, en la matière, des
capacités cognitives de haut niveau, telles que pratiques différentes : certaines recrutent des
l'application, la synthèse et l'organisation. Les correcteurs à plein temps ou à temps partiel,
questions qui ont simplement pour objet de d'autres font corriger les devoirs à l'extérieur,
contrôler la rétention ne sont pas efficaces. Rien sous contrat. Certes, aucune pratique ne peut
n'est plus inutile que des tâches mécaniques, être considérée c o m m e complètement bonne ou
mal conçues ou sans intérêt ; les choses s'aggra- mauvaise, mais la dernière présente certains in-
vent si de telles tâches sont obligatoires et convénients. L'évaluation externe est parfois
comptent dans le calculfinaldes unités de valeur assez superficielle, les appréciations n'ayant
acquises. L'expérience montre que peu d'ensei- qu'un caractère global qui n'aident pas l'appre-
gnants savent élaborer des tests critériels clairs nant. Il est impératif de faire prendre cons-
et de bonne qualité. Il faut en pareil cas orga- cience aux évaluateurs d u fait que les remarques
niser des stages de formation. Ainsi, lorsque qu'ils formulent sur le travail des étudiants
j'étais directeur de l'Open School en Inde, je ne doivent être pertinentes. Ils doivent notifier
manquais jamais d'organiser tous les ans une avec précision à ces derniers quelles erreurs ils
session de formation des évaluateurs. Autre ont commises et c o m m e n t ils peuvent les cor-
exemple : l'Université Sains de Malaisie a riger. U n e évaluation superficielle est totalement
conclu u n arrangement avec l'unité d'enseigne- inadéquate dans l'enseignement à distance.
ment à distance de Deakin University pour for- M ê m e si cela leur demande d u temps et de la
m e r son personnel aux techniques d'élaboration réflexion, les tuteurs doivent fournir sur le tra-
et d'évaluation des cours. Grâce à ces efforts, vail rendu des appréciations détaillées, concrè-
les tâches assignées aux étudiants sont de meil- tes et constructives. D e s appréciations globales
leure qualité. du type « bien » ou « mal » ne présentent aucun
intérêt pour l'étudiant.

CHARGE ET FRÉQUENCE
DES CONTRÔLES DÉLAIS DE RENVOI

L e nombre des questions à poser dans u n devoir O n constate que ces délais sont souvent très
dépend de facteurs tels que le nombre des de- longs. Beaucoup d'institutions mettent trois ou
voirs que l'étudiant est censé faire, le temps quatre mois pour renvoyer aux étudiants leurs
qu'il est censé y consacrer et la nature des ques- travaux. U n tel délai enlève à la correction toute
tions et activités qu'ils comportent. L a tâche valeur de rétroaction et de motivation. Il a pour
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance 73

effet de démobiliser les étudiants et d'ébranler que l'enseignement traditionnel, nous devons
leur confiance dans le système. L e délai maxi- garder à l'esprit ces vers d'Auden (1966) :
mal de renvoi devrait, idéalement, être de vingt « N e pas perdre le sens d u danger.
à trente jours. Le chemin est court et toujours escarpé,
M ê m e si la pente paraît douce au regard.
Regarde si tu veux, mais il faudra sauter. » •
EXHAUSTIVITÉ

Lorsqu'on dit que « l'évaluation doit être


exhaustive », on peut l'entendre de différentes Références
façons. Cela peut signifier qu'il ne faut pas se A S H B Y , E . 1973. « T h e structure of higher education: a
contenter d'évaluer les capacités cognitives sim- worldview ». Higher education, 2.
ples, mais aussi les capacités plus complexes ; A U D E N , W . H . 1966. Leap before you look. Londres, Faber.
ou bien que l'évaluation ne doit pas couvrir A U S U B E L , D . P . 1968. Educational psychology: a cognitive
view. N e w York, Holt Rinehart and Winston.
uniquement l'aspect cognitif, mais aussi les B A T E S , A . W . (dir. publ.). 1984. The role of technology in
domaines affectif et psychomoteur ; ou encore distance education. Londres, Croom H e l m .
que, outre les résultats des élèves, il convient B R U N E R , J. S. 1964. « S o m e theorems on instruction ».
d'évaluer les méthodes, les matériels et les Dans : H I L G A R D , E . R . (dir. publ.). Theories of learning
and instruction. Chicago, Chicago University.
systèmes.
. 1969. The process of education. Cambridge, Harvard
Dans l'enseignement à distance, il importe de University Press, 11 e éd.
s'attacher particulièrement à l'évaluation d u C O L T M A N , B . 1983. « Environment and systems in distance
matériel didactique, car celui-ci est au cœur counselling ». Dans : Selected papers in International
m ê m e d u système. Nathenson et Henderson Workshop on Counselling at a Distance. Manchester N W
Region, O p e n University.
(1980) se sont servis de l'information obtenue C R O N B A C K , L . J. 1963. < Course improvement through
en retour auprès des étudiants pour améliorer le evaluation ». Teachers college record, n° 64, mai 1963.
matériel didactique. U n e évaluation formative D A N I E L , J. S . ; M A R Q U I S , C . 1979. « Interaction and
de ce matériel doit constituer l'activité majeure independence: getting the mixture right », Teaching at
de toute institution d'enseignement à distance. a distance, n° 15. Réimprimé dans : S E W A R T , D . , et al.
(dir. publ.). 1983. Distance education: international pers-
Cronback (1963) a eu raison de dire que « l'éva- pectives. Londres, C r o o m H e l m .
luation qui sert à perfectionner le cours tant D E W A L , O . S. 1981. « Aspects of editing ». Dans « Editing
qu'il est encore fluide contribue davantage à distance teaching material. N e w Delhi, Central Board of
l'amélioration de l'enseignement que l'évalua- Secondary Education.
. 1983. Profile of registrants: an enquiry into Variables
tion d u produit ».
relating to students of correspondence institutions at the
D e temps à autre, les institutions d'enseigne- secondary level. N e w Delhi, O p e n School.
ment à distance devraient, en outre, évaluer . 1986. Open school. India: The preliminary years.
leurs divers sous-systèmes pour se demander Victoria, Deakin University.
s'ils vont bien dans le sens des objectifs définis. F A U R E , E . 1972. Apprendre à être. Paris, Unesco/Fayard.
G A G N E , R . M . 1977. The conditions of learning. N e w York,
Les institutions, c o m m e les individus, répu- Holt Rinehart and Winston, 3 e éd.
gnent souvent à évoluer. Elles résistent au H E A T H , R . 1964. The reasonable adventurer. Pittsburgh,
changement (Schon, 1971). U n e institution vi- University of Pittsburgh Press.
vante et active doit avoir la volonté d'évaluer H O L M B E R G , B . 1985. Statuts and e trends of distance edu-
cation. Londres, Kogan Page, 2 éd.
ses sous-systèmes sur les plans de l'efficacité par
K A Y E , A . ; R U M B L E , G . 1981. Distance teaching for higher
rapport aux buts, de l'efficience interne et de la and adult education. Londres, Croom H e l m .
rentabilité. C'est là une tâche difficile, mais M A C K E N Z I E , N . ; P O S T G A T E , R . ; S C U P H A M , J. 1975. Études
indispensable. ouvertes. Systèmes d'instruction postsecondaire à distance.
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M A R T I N , F . ; S A L J O , R . 1976. « O n qualitative differences
Si nous voulons que l'enseignement à distance in learning. I: Outcome and process ». British journal of
soit crédible et jouisse de la m ê m e considération educational psychology, n° 46.
74 Onkar Singh Dezaal

M O O R E , M . G . 1977. « O n a theory of independent study ».


ZIFF—Papiere 16, nor. 1977. Hagan Fern Universität.
Réimprimé dans : S E W A R T , D . , et al. (dir. publ.). 1983.
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ences in Asia and Oceania ». Bulletin du Bureau regional
d'éducation pour l'Asie et le Pacifique. Bangkok, Unesco,
n° 19.
Le problème de la qualité
et de la pertinence
du matériel pédagogique
dans l'enseignement
à distance
Anthony B. Zahlan

L e matériel d'enseignement est u n élément très ment dont il est fait usage dans le Tiers M o n d e ,
important de tout système éducatif. S'agissant aussi bien pour l'enseignement direct que pour
de l'enseignement à distance, son rôle devient l'enseignement à distance, suffit pour mettre en
primordial. L'expression « matériel d'enseigne- lumière deux problèmes graves et non résolus :
ment » s'applique, dans cet article, aux manuels, celui de leur qualité et celui de leur pertinence.
monographies, documents visuels, conférences, Dans les pays industrialisés, l'enseignement à
enregistrements visuels et sonores sur bande distance s'est développé à partir de bases intel-
magnétique, textes d'examen, exercices et « cof- lectuelles bien établies, ce qui n'est pas le cas
frets-laboratoires ». Dans la mesure où il repré- pour le Tiers M o n d e .
sente encore la part la plus importante du maté- L a qualité est une de ces caractéristiques qui
riel d'enseignement à distance, c'est surtout d u sont difficiles à définir, mais qui relèvent de
document imprimé qu'il sera question ici, mais l'évidence. Si l'on prend u n groupe de profes-
ce qui suit vaut aussi pour les autres supports. sionnels de haut niveau, ceux-ci n'auront pas de
U n examen rapide des matériels d'enseigne- mal à classer les matériels relevant de leurs dis-
ciplines respectives selon la valeur de leur
A n t h o n y B . Zahlan (natif de Palestine, citoyenneté contenu : la qualité sera jugée b o n n e — d e niveau
libanaise). A été professeur de physique à l'Uni- universitaire —, acceptable o u inacceptable.
versité américaine de Beyrouth de 1956 à 1976. D a n s ce qui suit, la qualité dont il est question
Conseiller de la Ligue des États arabes, de l'Organi- est celle d u contenu intellectuel des matériels
sation des Nations Unies et d'autres organisations d'enseignement, et non celle de la présentation.
régionales et nationales. Auteur de nombreux ouvrages
Cette dernière se définit par le type d u papier,
sur les politiques scientifiques et technologiques, l'édu-
le corps des caractères, la mise en pages, etc.
cation, la planification de la main-d'œuvre et la créa-
tion d'institutions. Parmi ses ouvrages récemment pu- Il va de soi que la qualité de la présentation ne
bliés : Science a n d science policy in the A r a b world doit pas être inférieure à u n certain niveau,
et T h e Arab construction industry. II est actuellement faute de quoi la qualité intellectuelle risque
directeur de la Société Zahlan Consultants. d'en pâtir.

Perspectives, vol. XVIII, n° 1,1988


76 Anthony B. Zahlan

L a pertinence est une autre caractéristique programme de 1890 malgré les changements
importante d u savoir. Il n'est peut-être pas très radicaux qui se sont produits dans cette dis-
utile d'apprendre, par exemple, à installer des cipline.
réacteurs nucléaires au Soudan ni des gratte- Dans la pratique, la qualité d'un programme
ciel à Fidji. Il est certain que, si les cours qu'ils et la pertinence de son contenu dépendent
ont suivis sont d'un bon niveau, l'ingénieur des associations professionnelles de chaque
nucléaire soudanais ou l'architectefidjienspé- discipline et des traditions scientifiques des
cialiste des gratte-ciel pourront être très compé- universités. L e contenu d'un programme de
tents et rendre de grands services dans un envi- licence, que ce soit en biologie, en génie civil,
ronnement différent d u leur; mais on peut en agronomie, en histoire ou en logique, est
estimer qu'il serait pour le moins étrange de déterminé par l'ensemble des connaissances
consacrer des ressources humaines précieuses que les chercheurs de chacun de ces domaines
et rares à dispenser des enseignements sans uti- estiment constituer le corpus de la discipline
lité particulière pour l'économie d'un pays, et pouvoir être appris par u n étudiant intel-
tandis que les étudiants de ce m ê m e pays n'au- ligent. Certaines universités ont des critères
raient pas accès aux connaissances — perti- d'admission très stricts et dispensent u n ensei-
nentes — qui leur seraient nécessaires. gnement « de plus haute qualité » que d'autres.
Il est donc très important d'avoir à l'esprit D a n s les pays industrialisés, on a atteint u n
que tel programme de formation d'enseignants, certain équilibre : les associations profes-
quelle qu'en soit la qualité, peut être dépourvu sionnelles sont très développées et les profes-
de pertinence, par exemple, pour u n étudiant seurs d'université sont bien plus attentifs aux
égyptien ; à l'inverse, d'autres cours, m ê m e de indications de leurs pairs exerçant dans la
médiocre qualité, pourront être très pertinents, profession qu'à celles de leurs administrations
c'est-à-dire utiles par leur objet dans u n pays universitaires. Ainsi, dans tout pays indus-
c o m m e l'Egypte. trialisé, la qualité et la pertinence des pro-
U n enseignement qui était pertinent, mais grammes (et d u matériel) de l'enseignement
de qualité inférieure, ou bien de bonne qualité, supérieur se situent dans des limites qui sont
mais dépourvu de pertinence, ou encore qui fixées principalement par référence aux normes
n'avait ni qualité ni pertinence, a eu des effets de la profession.
si néfastes qu'aucun dirigeant conscient de ses Dans ces pays, les m e m b r e s des associations
responsabilités ne peut accepter le recours à ce professionnelles exercent u n emploi dans l'éco-
type de pratique éducative. D e tels programmes nomie nationale et sont attentifs aux besoins
sont c o m m e des parasites dans u n système du m o n d e d u travail. C'est ainsi que les physi-
éducatif. ciens spécialistes de l'état solide qui travaillent
dans l'industrie des semi-conducteurs exercent
une influence sur l'enseignement dispensé aux
Mécanismes permettant d'assurer physiciens et aux ingénieurs en génie électrique.
qualité et pertinence D e m ê m e , les praticiens spécialisés dans la
chirurgie à cœur ouvert ou la transplantation
L a qualité et la pertinence d'un programme d'organes exercent une influence sur l'ensei-
éducatif, et donc d'un matériel d'enseignement, gnement de la médecine. Cette influence se
résultent de processus dynamiques d'une grande transmet par l'intermédiaire d'un système
complexité. Il n'y a pas de critèresfixeset im- complexe empruntant divers canaux. Les asso-
muables. Il est certain qu'un programme de ciations scientifiques et les sociétés savantes
physique valable pour l'année 1890 sera très légitiment le savoir et en assurent la diffusion.
différent d'un programme équivalent appliqué Les m e m b r e s de ces sociétés qui appar-
en 1980. Et pourtant, en 1987, u n physicien tiennent au corps universitaire sont les princi-
pourra très bien reconnaître la qualité d u paux auteurs d u matériel d'enseignement et
Le problème de la qualité et de la pertinence du matériel pédagogique 77
dans l'enseignement à distance

sont à l'origine des modifications qu'il y a lieu berta) se propose de répondre à certains besoins
d'apporter aux programmes. Les universités éducatifs des Esquimaux. L'Association des
occupent différents « créneaux » : l'une se universités canadiennes pour les études nor-
spécialisera, par exemple, dans la physique de diques et l'Institut national polaire du Canada
l'état solide, l'autre dans la physique des hautes servent de cadre institutionnel pour la mobili-
énergies. L'une et l'autre seront considérées sation et la promotion des initiatives en faveur
c o m m e d'égale valeur (qualité) et chacune à sa du Grand Nord. L'appui politique requis pour
manière sera utile à la communauté (pertinence). mener ces activités de recherche est assuré par
E n ce qui concerne la qualité et la pertinence, le Ministère canadien des affaires indiennes et
les pays de l ' O C D E et d u Conseil d'assistance nordiques. L'Université d'Athabasca a donc
économique mutuelle sont à peu près à égalité. entrepris u n vaste programme de recherches
O n peut dire que, dans le domaine des sciences en c o m m u n qui doit conduire à la réalisation
et des techniques, il est relativement facile de de matériel d'enseignement adapté aux besoins
passer d'une université à l'autre s'il s'agit de des étudiants dont elle a la charge.
celles de Paris, de Moscou ou de Tokyo, d u
Massachusetts Institute of Technology ( M I T )
ou de l'Université de Stuttgart. E n d'autres Qualité et pertinence
termes, tout le m o n d e est à peu près d'accord dans le Tiers M o n d e
sur ce qui est pertinent et d'une qualité accep-
table. Si ce n'était pas le cas, il ne serait pas L a situation est très différente dans le
possible de procéder à des échanges d'étudiants Tiers M o n d e . Les associations professionnelles
de troisième cycle, de chercheurs munis d'un — m ê m e dans de grands pays c o m m e l'Inde
doctorat, ou de professeurs invités. E n outre, ou le Brésil — n'ont pas encore acquis l'in-
toutes les grandes associations professionnelles fluence nécessaire pour assurer l'essor de leur
et les principales publications sont en fait discipline et son adaptation aux besoins na-
internationales. tionaux. L a part réduite de la recherche-
Ainsi, dans le « Premier M o n d e » et le développement dans le Tiers M o n d e (moins
« Deuxième M o n d e » (appelés aussi « capitaliste » de io % des activités mondiales dans ce domaine
et « socialiste »), on est parvenu à u n état et une proportion certainement plus faible
d'équilibre dynamique. Il peut se faire que encore pour la recherche de pointe) aboutit à
certaines universités soient en retard de cinq ce que les rares chercheurs issus d u Tiers
ou m ê m e de dix ans, tandis que d'autres sont M o n d e sont mieux intégrés dans les associa-
en avance par rapport à ce qui est considéré tions professionnelles des pays industrialisés
c o m m e la norme. Associations, professeurs, que dans celles de leur propre pays. C o m m e le
unités d'enseignement, éditeurs et ministères montre bien l'étude de Shiva et Bandyopadhyay
sont constamment en train d'envisager, de (1980) consacrée à la science en Inde, dans ce
proposer, d'examiner, de produire et de publier pays qui, en 1983, comptait environ deux
de nouveaux matériels d'enseignement et millions et demi de chercheurs, qui forment le
d'abandonner ceux qui sont périmés. groupe le plus nombreux d u Tiers M o n d e ,
O n peut observer que, m ê m e dans le « Pre- les chercheurs étaient très isolés par rapport à
mier M o n d e », il existe des groupes sociaux pour leur communauté locale ; ils entretenaient des
lesquels le matériel d'enseignement considéré relations plus étroites avec les chercheurs occi-
c o m m e pertinent et de bonne qualité reste dentaux et communiquaient plus volontiers
inadéquat : tel est le cas des Indiens et des Noirs avec eux. Dans tous les pays d u Tiers M o n d e ,
aux États-Unis d'Amérique, des communautés on trouve une situation comparable, quand elle
asiatiques au Royaume-Uni ou des Esquimaux n'est pas encore plus critique.
en Amérique du Nord. A u Canada, l'Université D'après Shiva et Bandyopadhyay, les sujets
d'enseignement à distance d'Athabasca (Al- de recherche sont choisis surtout en fonction
78 Anthony B . Zahlan

de la possibilité de poursuivre des études à Tiers M o n d e . O n oublie souvent l'ampleur


l'étranger ou de séjourner dans des institutions de ce système.
étrangères, ou bien à cause d u prestige é m a - U n e des principales activités de ce « tiers
nant de domaines nouveaux, alors qu'ils de- système » concerne l'agriculture. Elle a lieu,
vraient l'être à la suite d'échanges d'idées avec dans d'importants organismes de recherche
des collègues vivant en Inde quant à la portée tels que ceux qui dépendent d u Groupe consul-
ou à l'application pratique de ces recherches ; tatif pour la recherche agricole internationale
bref, ce ne sont pas des discussions entre cher- ( G C R A I ) , dans le cadre des programmes de
cheurs d u m ê m e pays, regroupés dans des asso- l'Organisation des Nations Unies pour l'ali-
ciations professionnelles nationales, qui déter- mentation et l'agriculture ( F A O ) , dans des
minent la pertinence et la qualité des recherches centres nationaux et dans le cadre de divers
entreprises. travaux financés par l'Agence suédoise de coo-
Les chercheurs du Tiers M o n d e ont déployé, pération dans la recherche avec les pays en
et continuent à déployer, des efforts consi- développement ( S A R E C ) , le Centre de re-
dérables pour remédier à cette situation fort cherches pour le développement international
préoccupante ; mais les obstacles et les diffi- ( C R D I ) ou la Banque mondiale. Tous les d o -
cultés sont considérables. L a recherche scienti- maines de la science et de la technique ne sont
fique et technique est très spécialisée et, dans pas aussi bien placés dans ce « tiers système »,
la plupart de ces pays, l'effectif des chercheurs mais il est évident que, entre le Centre inter-
travaillant dans u n m ê m e domaine est très national de physique théorique (CIPT) de
réduit. E n outre, la production annuelle de Trieste, l'Unesco, l'Université des Nations
publications des pays industrialisés est si vaste Unies, le G C R A I et l'Institut de développement
que les chercheurs d u Tiers M o n d e ont beau- économique de la Banque mondiale, u n c h a m p
coup de mal à ne pas se laisser entraîner. Par important de connaissances, primordiales pour
surcroît, les sciences et techniques appliquées le Tiers M o n d e , se trouve couvert.
qui seraient utiles localement sont souvent Cependant, le « tiers système » a connu une
négligées et dotées de maigres budgets. Enfin, évolution qui le distingue du système tradi-
les travaux répondant aux problèmes d u pays tionnel en matière de création, de diffusion,
ne sont pas correctement portés à la connais- d'évaluation et d'application des connaissances.
sance des associations professionnelles natio- E n fait, une bonne partie de ce qui est produit
nales et leurs résultats ne sont pas pris en consi- par ce système échappe tout à fait au jugement
dération pour la réalisation d u matériel d'ensei- critique qui émane traditionnellement des as-
gnement. sociations professionnelles, des directeurs de
revues professionnelles ou d'auteurs de recen-
sions. L e savoir ne revêt pas une forme qui
L e « troisième système » se prête aisément à la diffusion ; enfin, les
rapports et les études sont souvent écrits à
A côté d u « Premier M o n d e », d u « Deuxième l'intention de fonctionnaires non spécialistes.
M o n d e » et d u « Tiers M o n d e », on peut parler E n 1980-1981, quand j'ai participé à la
d'un « tiers système » qui ne se situerait ni au préparation de l'Étude sur l'efficacité de l'en-
centre ni à la périphérie. C e système a pour semble du système des Nations Unies dans le
base les travaux entrepris sous l'égide des insti- domaine de la science et de la technique au
tutions d u système des Nations Unies ou service du développement ( O N U , 1981), j'ai
d'organismes internationaux et régionaux au été frappé par l'énorme masse de connaissances
service d u Tiers M o n d e . A ce système parti- produites dans le système des Nations Unies et
cipent des chercheurs, des universitaires, des par la difficulté qu'il y avait à y accéder. M ê m e
techniciens et des planificateurs appartenant quelqu'un qui travaille au sein d u système n'a
au Premier M o n d e , au Deuxième M o n d e et au que difficilement accès aux informations rela-
Le problème de la qualité et de la pertinence du matériel pédagogique 79
dans l'enseignement à distance

tives à l'activité de ce système. Quant à ceux verselle : les États-Unis d'Amérique, le Canada,
qui sont en dehors, il leur est pratiquement le R o y a u m e - U n i , l'Australie et la Nouvelle-
impossible d'y accéder rapidement et effica- Zélande sont des pays anglophones ; ce sont
cement, malgré l'existence de bases biblio- aussi des pays riches qui comptent beaucoup
graphiques établies par certaines institutions, d'universités et u n grand nombre d'étudiants.
par exemple le Système international d'infor- Étant donné l'importance qu'y revêtent la
mation des sciences agricoles ( A G R I S ) de la production et les écrits scientifiques, il est
F A O . L'une des principales recommandations normal que ces pays aient une industrie de
de l'étude précitée visait à accroître la trans- l'édition solide et prospère.
parence d u système des Nations Unies de Dans les pays d u Tiers M o n d e , on compte
manière à rendre plus accessibles les infor- déjà de nombreux éditeurs ; mais, s'il est vrai
mations qui en émanent. que des investissements considérables ont été
consentis en matière de matériel d'imprimerie,
les efforts tendant à améliorer la qualité des
L e système de diffusion publications sont restés très limités. L e pro-
blème est ici celui de la faible dimension de
Dans les pays industrialisés, les chercheurs marchés dont l'exiguïté fait qu'il est difficile,
n'ont à se préoccuper que d'écrire et de mettre sinon impossible pour u n éditeur (qu'il soit
au point des matériels d'enseignement perti- privé ou public) de couvrir ses frais s'il veut
nents et de qualité. L a réalisation et la c o m m e r - réaliser u n produit de bonne qualité.
cialisation d u produit sont assurées par des
organismes indépendants (le plus souvent, des
entreprises privées dans les pays de l ' O C D E Le défi
et des organismes d'État dans le « Deuxième
M o n d e »). Les éditeurs commerciaux et les O n sait désormais qu'il n'existe pas u n en-
presses universitaires versent aux auteurs une semble définitif et figé de connaissances qui
redevance sur les ventes (en général 10 % pourraient être dispensées d'année en année
environ des s o m m e s perçues) et prennent aux étudiants. Pour répondre pleinement aux
totalement à leur charge l'impression, la publi- besoins de telle ou telle société, u n système
cation et la commercialisation de ce matériel. universitaire doit se placer à la pointe d u
L'avantage d'un « bon » éditeur est qu'il appli- savoir : faire de la recherche, émettre des
que des normes élevées en matière de mise au jugements critiques, opérer des analyses et des
point rédactionnelle et de fabrication, et qu'il synthèses, assurer la transmission d u savoir.
dispose d'un réseau de commercialisation Jusqu'à présent, les pays en développement
étendu. Dans le domaine de l'édition, le seul n'ont pas réussi à créer d'universités de ce type.
m o y e n de maintenir u n haut niveau de qualité Il est évident aussi que leurs universités m a n -
tout en ayant des coûts peu élevés est d'avoir quent de ressources pour donner à leurs ensei-
accès à u n vaste marché. C o m m e les étudiants gnants les moyens d'entreprendre des recher-
du premier cycle sont nombreux, u n bon m a - ches au niveau souhaité ou à l'échelle requise.
nuel pourra disposer d'un vaste marché. Il est E n outre, les associations professionnelles y
évident que des ouvrages s'adressant à des sont de taille réduite, faibles et incapables
étudiants avancés ne peuvent toucher qu'un de jouer le rôle qui devrait être le leur et qui
nombre plus restreint d'acheteurs. U n e m o n o - est d'orienter enseignants et chercheurs vers
graphie exposant u n thème de recherche aura des objectifs pertinents au point de vue social
une diffusion de l'ordre de mille cinq cents et économique.
exemplaires, mais, pour pouvoir les vendre, Il en résulte qu'une bonne partie du matériel
il faut disposer d'un marché mondial. actuellement utilisé dans l'enseignement supé-
L'anglais est une langue à peu près uni- rieur dans les pays d u Tiers M o n d e laisse
8o Anthony B. Zahlern

beaucoup à désirer. O n voit très souvent des tériel d'enseignement pertinent et de bonne
enseignants jeunes et énergiques adopter les qualité, mais il faut encore qu'elles l'adaptent
programmes et le matériel qu'ils ont eux-mêmes aux besoins locaux. L e seul m o y e n de résoudre
connus dans les grandes universités d u « Pre- ces problèmes — et d'autres — est d'expéri-
mier M o n d e » ou d u « Deuxième M o n d e ». menter et de mettre au point des modes de
Ces enseignants estiment ainsi garantir la qua- coopération novateurs.
lité de leurs cours. D'autres rédigent à la hâte Notons que, m ê m e s'il existe des matériels
des notes ou des manuels. Étant donné que le d'enseignement utilisables partout, mais rédi-
corps professoral est souvent chargé de tâches gés dans une seule langue, encore faut-il les
multiples, qu'il n'a à sa disposition ni bonnes traduire dans beaucoup d'autres et, qui plus
bibliothèques, ni équipes de rédacteurs, ni est, les pays d u Tiers M o n d e différant plus
secrétaires compétentes, ni dessinateurs de ou moins les uns des autres, leurs besoins ne
talent, le matériel produit atteint rarement le sont pas partout les m ê m e s . Il faut donc agir
niveau de qualité et de pertinence qui serait de façon pragmatique en fonction des réalités
souhaitable. Malgré les progrès notables cons- locales. Il n'existe pas de solution universelle.
tatés dans plusieurs pays, le Tiers M o n d e est N o m b r e u x sont les enseignants et les pra-
encore loin d'avoir mis en place les mécanismes ticiens qui ont conscience d u problème. C e
et processus qui permettraient d'offrir aux qu'il faut, c'est établir u n mécanisme grâce
étudiants u n matériel d'enseignement pertinent auquel on pourra mobiliser les ressources, les
et de qualité. talents existants et mettre en route le processus
Les pays d u Tiers M o n d e sont confrontés qui favorisera la réalisation de matériels d'en-
à d'énormes problèmes de développement. seignement pertinents, de qualité et permettra
L'étude de ces problèmes exige u n vaste assor- d'en répartir les coûts.
timent de matériels d'enseignement. U n des
plus grands défis auxquels doivent faire face
les universités d u Tiers M o n d e est celui de Évaluation des ressources
l'articulation à établir entre le m o n d e d u savoir
et celui d u travail. U n e telle articulation sup- Pour notre propos, deux sortes de ressources
pose la mise en place de nouveaux mécanismes sont essentielles : d'une part, la production
appelant l'enseignant, le chercheur et le pro- d'un savoir pertinent ; d'autre part, la publi-
fessionnel à s'unir pour résoudre les problèmes cation de matériel d'enseignement sous une
qui se posent à la société. Les conditions que forme adaptée aux systèmes d'enseignement
doit remplir le matériel utilisé dans le Tiers en milieu universitaire ou à distance.
M o n d e par les universités qui pratiquent l'en- Il existe une abondante production de con-
seignement à distance sont encore plus rigou- naissances pertinentes dans le Premier M o n d e ,
reuses que celles qui s'appliquent à l'ensei- le Deuxième M o n d e et le Tiers M o n d e , ainsi
gnement ordinaire. Pour les premières, le que dans le « tiers système ». L a faiblesse des
matériel doit être pertinent et de très bonne associations professionnelles et des sociétés
qualité, mais il doit aussi être conçu de manière savantes qui se consacrent aux problèmes d u
à faciliter l'apprentissage à distance, car, dans Tiers M o n d e a entraîné une utilisation peu
ce cas, l'étudiant n'a pratiquement rien d'autre efficace de ces ressources assez disparates. Il
à sa disposition, tandis que celui qui est dans est certain que l'heure est venue d'innover
une université peut trouver une aide auprès dans ce domaine. Diverses organisations et
d'un moniteur ou d'un autre étudiant. institutions d u système des Nations Unies
Les universités d u Tiers M o n d e qui ensei- pourraient facilement, soit individuellement,
gnent à distance sont confrontées à des pro- soit en liaison avec des organismes d'aide, m o -
blèmes qu'elles n'ont pas les moyens de ré- difier cette situation.
soudre. Elles doivent d'abord disposer de m a -
L e problème de la qualité et de la pertinence du matériel pédagogique 81
dans l'enseignement à distance

matériel d'enseignement conçu ailleurs ni à la


Obstacles production de ce matériel en coopération
avec d'autres institutions. Ces obstacles et ces
Les avantages qui peuvent être tirés de la difficultés ne sont toutefois pas insurmontables.
mise en c o m m u n des ressources, de l'élar- E n plus de ces difficultés, les universités d u
gissement d u marché et d u partage des efforts Tiers M o n d e sont souvent confrontées à des
de production sont évidents. U n e collabo- problèmes spécifiques, notamment le contrôle
ration étendue existe entre des institutions et des changes, la censure officielle s'exerçant
des entreprises d u R o y a u m e - U n i et d ' A m é - sur certaines publications et l'insuffisance des
rique d u Nord. L ' O p e n University (Univer- moyensfinanciers.Il est évidemment impossible
sité ouverte) du R o y a u m e - U n i a été la première de concevoir une solution qui s'appliquerait à
à produire u n matériel d'enseignement multi- tous les cas ; il faut donc inventer et mettre en
médias de haute qualité. L e marché américain œuvre des mécanismes très divers.
était u n débouché naturel pour ce matériel,
mais des difficultés apparurent bientôt. Tout
d'abord, le module d'enseignement britan- Des mécanismes souples
nique est bien plus étendu qu'un cours a m é - et adaptables
ricain correspondant à trois unités de valeur.
Ensuite, l'Open University était parvenue à Il existe dans le m o n d e quelque deux mille éta-
un haut niveau d'intégration de l'enseignement, blissements spécialisés dans la formation à dis-
qui est dispensé selon diverses modalités. Il tance et probablement au moins quatre mille
fallait donc d'importants efforts pour décom- établissements postsecondaires dont l'enseigne-
poser le matériel d'enseignement en unités de ment est dispensé sur place. Il existe aussi u n
base. vaste « tiers système » composé d'institutions,
L'International University Consortium (réu- de bureaux et de personnel répartis dans le
nissant une trentaine d'universités des États- m o n d e entier, sans compter des milliers d'asso-
Unis d'Amérique et d u Canada) a alors été ciations professionnelles situées dans différents
mis en place pour répartir entre les participants pays et fédérés en vastes réseaux (par exemple,
les travaux et les frais qu'exigeait l'adaptation le Conseil international des Unions scienti-
du matériel d'enseignement de l'Open Uni- fiques, l'American Association for the A d v a n -
versity aux besoins de l'Amérique d u Nord. cement of Science, etc.). A partir de cette base
Dans le cadre de cette relation entre le R o y a u m e - riche et variée, il devrait être possible de mettre
Uni et l'Amérique d u N o r d , le problème de en œuvre u n assez grand nombre de modes
la pertinence ne se pose que dans une faible d'action différents.
mesure ; mais l'Open University d u R o y a u m e - N o u s partons ici de l'hypothèse que les
U n i a collaboré avec un certain nombre d'uni- chercheurs, les enseignants et les techniciens
versités du Tiers M o n d e , spécialisées elles aussi qui font partie des institutions d u Premier
dans l'enseignement à distance, notamment avec M o n d e , d u Deuxième M o n d e et d u Tiers
l'Open University de Sri Lanka, qui a adapté M o n d e sont capables, si on leur en fournit les
le programme de mathématiques. Kaye (1979) moyens, d'élaborer une bonne partie des maté-
a signalé deux autres obstacles à l'utilisation riels d'enseignement nécessaires pour dispenser
de matériaux d'enseignement à distance réa- u n enseignement pertinent et de qualité. Pour y
lisés ailleurs : le premier est d'ordre institu- parvenir, il convient d'accroître, dans le Tiers
tionnel ; le second tient à la spécificité des m a - M o n d e , les contacts entre les enseignants et
tériels d'enseignement de haute qualité. Les entre les professionnels. C e n'est que grâce à ces
processus traditionnels qui sont à la base de contacts intensifs que l'on parviendra à intégrer
l'élaboration de programmes et de cours ne les politiques, les attitudes et les orientations en
s'adaptent pas facilement à l'acquisition d'un matière de recherche à la vie culturelle des
82 Anthony B . Zahlan

différents groupes. Pour favoriser et faciliter u n grand nombre de domaines, ces sortes
les contacts officiels et personnels entre profes- d'académies invisibles dont la formation pour-
sionnels, il faut, avant tout, étoffer les sociétés rait être favorisée par une stratégie constructive
savantes et les associations professionnelles à visant à mobiliser les ressources dispersées.
tous les niveaux — international, national, U n e collaboration professionnelle plus pous-
régional et sous-régional. Les jeunes chercheurs sée au niveau international aurait aussi pour
du Tiers M o n d e n'ont que des possibilités très avantage de réunir des personnes travaillant
limitées de participer à des rencontres pour sur des problèmes similaires. Cela pourrait
parler de leurs travaux ; la plupart d u temps, aboutir à des projets menés en c o m m u n pour
le niveau des activités de recherche est trop la production de matériel d'enseignement.
faible pour justifier la tenue de rencontres pro-
fessionnelles sur le plan national. Il faut, dans
chaque discipline — au sens étroit d u terme —, Importance
une centaine de chercheurs actifs et doués de la coopération internationale
d'esprit critique pour permettre la constitution
de cette sorte d'académie invisible ; mais si le L a production d'écrits pertinents et de qualité
« tiers système » joignait ses efforts à ceux des dans et pour le Tiers M o n d e est essentielle
chercheurs d u Tiers M o n d e , il devrait être pour deux raisons. Tout d'abord, la publication
possible d'atteindre la « masse critique » dans de monographies et de communications peut
u n grand nombre de domaines. fournir les connaissances o u les éléments néces-
U n e rencontre professionnelle doit être, par saires à la réalisation d'un matériel d'enseigne-
définition, l'occasion d'examiner et de discuter ment pertinent et de qualité ; la pertinence pour
publiquement des résultats de recherche par les étudiants d u Caire d'un ouvrage de socio-
des analyses critiques. U n e rencontre profes- logie traitant des bidonvilles de Chicago risque
sionnelle n'est pas une série d'exposés ex d'être très limitée, m ê m e s'ils peuvent le lire en
cathedra. S'il est toujours utile de réunir des arabe. Ensuite, les m ê m e s chercheurs qui sont
congrès consacrés à de grands problèmes, la capables de procéder à l'étude critique de pro-
plupart des rencontres doivent être très spécia- blèmes pertinents pour la société dans laquelle
lisées et porter sur des domaines bien délimités. ils vivent sauront aussi contribuer à l'élaboration
U n e rencontre portant sur les « taux de morta- d'un matériel d'enseignement de qualité.
lité infantile dans les bidonvilles d u Tiers L'établissement d'une coopérative efficace
M o n d e » pourrait être fructueuse, mais une entre institutions dépend dans une large mesure
autre qui aurait pour thème « l'urbanisation de l'aptitude du personnel de ces établissements
dans le Tiers M o n d e » risquerait de traiter ce à envisager une question sous le m ê m e angle, à
sujet de façon si générale qu'il serait vain élaborer des styles compatibles entre eux, à
d'espérer le moindre débat critique sur des travailler ensemble en adoptant les m ê m e s cri-
faits ou des théories. tères de qualité et en respectant les délais
II est très probable que l'on trouverait dans fixés en c o m m u n .
le m o n d e plus de cent chercheurs confirmés Il est difficile, dans le Tiers M o n d e , de for-
travaillant sur des sujets tels que la mortalité m e r des équipes travaillant en coopération.
infantile dans les bidonvilles d u Tiers M o n d e , Cela tient au fait que l'on ne connaît suffisam-
l'élevage d u chameau dans les zones arides ou ment ni les gens ni les conditions de travail et
la gestion des établissements humains dans que, faute d'une pratique courante des matériels
ces m ê m e s zones, les aspects économiques de de haute qualité, il est malaisé de définir au
l'habitat dans les régions rurales d'Afrique ou départ l'orientation et la qualité d u produit
le rôle de la corruption dans l'attribution des souhaité. L'effort nécessaire pour atteindre les
contrats de travaux publics. Si l'on s'en donne objectifs visés pourrait être sensiblement allégé
les moyens, il est donc possible de créer, dans grâce à une coopération internationale.
Le problème de la qualité et de la pertinence du matériel pédagogique 83
dans l'enseignement à distance

méthode d'enseignement, la rémunération de


L a diffusion d u savoir : l'auteur, celle des m e m b r e s d u comité de lec-
organisation ture, ainsi que le travail considérable des
et aspects économiques membres qu'exige la présentation d u produit
final (illustrations, style, mise en pages, présen-
D a n s les pays industrialisés, u n système c o m - tation, etc.). Si l'on a recours à la télévision
plexe s'est mis en place pour organiser la diffu- ou à la radio ou si l'on utilise u n « coffret-
sion des connaissances à partir d u m o m e n t où laboratoire », les frais de production sont
celles-ci se présentent sous la forme d'un m a - encore plus élevés. E n matière d'enseigne-
nuscrit dactylographié. Il existe u n grand ment à distance, on ne peut faire des écono-
nombre d'éditeurs dont le métier consiste à se mies que si le nombre des étudiants est assez
charger du manuscrit après s'être assurés qu'il élevé. Il faut des milliers d'étudiants pour par-
satisfait aux exigences de qualité. L'éditeur fait venir à u n coût individuel qui soit inférieur à
alors revoir le manuscrit pour en améliorer le ce qu'il serait dans une université ordinaire de
style et pour normaliser la présentation, puis qualité équivalente. Pour l'enseignement à dis-
il l'envoie à l'impression. D e nombreux éditeurs tance, c'est l'élaboration des matériels d'ensei-
sous-traitent ces travaux techniques. Avec l'ar- gnement qui représente la principale dépense.
rivée de l'ordinateur, l'ensemble de ces opéra- Si ces frais sont répartis sur une dizaine de
tions perd d'ailleurs de son importance. Pour milliers d'étudiants, le système devient très
un éditeur, l'essentiel d u travail se situe avant compétitif sur le plan économique par rapport
et après l'impression de l'ouvrage. U n e de ses à l'enseignement ordinaire. C'est ce coût élevé
fonctions les plus importantes est de faire de l'élaboration des matériels qui bloque le
connaître l'ouvrage au public concerné (com- développement et l'amélioration de l'enseigne-
mercialisation). Pour cela, il faut faire paraître ment à distance dans le Tiers M o n d e .
des recensions dans les revues spécialisées, faire
en sorte que des indications sur l'ouvrage figu-
rent dans les bases de données bibliographiques U n point de départ
et en assurer la présentation dans les librairies
appropriées. Cette activité fait intervenir des O n peut envisager toutes sortes de moyens
vendeurs et des agents commerciaux. pratiques et concrets permettant d'améliorer
L e coût d'un projet de recherche est évidem- la qualité et la pertinence d u matériel d'ensei-
ment bien plus élevé que celui de la publication gnement de niveau universitaire. O n admettra
d'un ouvrage. Néanmoins, il est difficile de qu'il existe assez de personnes et d'institutions
trouver u n éditeur qui accepterait de se lancer disposées à s'attaquer au problème de la réali-
dans une publication sans être sûr que l'ouvrage sation d'un matériel d'enseignement pertinent
se vendra suffisamment pour amortir les frais et de qualité. Il faudra encore beaucoup de tra-
engagés. Pour 1 500 exemplaires d'une m o n o - vaux de recherche spécialisés et de débats pour
graphie, les frais de publication sont, en résoudre divers problèmes. O n peut se d e m a n -
moyenne, de l'ordre de 5 000 à 6 000 livres der, par exemple, si, dans les pays en dévelop-
sterling. C o m m e il n'est pas facile de vendre pement, l'enseignement des bases de la science
1 500 exemplaires d'une monographie spécia- doit se faire exclusivement à partir de maté-
lisée, il est important de disposer d'un marché riels provenant d u « Premier M o n d e » ou d u
mondial. « Deuxième M o n d e ». Il serait souhaitable que
Les coûts de production de matériel d'ensei- cette question fasse l'objet d'un examen sérieux
gnement à distance de qualité (d'un niveau c o m - et approfondi de la part de pédagogues, de scien-
parable à celui de l'Open University britanni- tifiques et de psychologues de l'éducation.
que) sont encore plus élevés puisqu'ils c o m - L e domaine des sciences appliquées et de la
prennent la conception d u programme et de la technologie soulève une série de problèmes
84 Anthony B . Zahlern

épineux. Il est évident que la formation d'un cratiques, qui étouffent la créativité et tarissent
ingénieur nucléaire d u Tiers M o n d e doit être l'initiative, mais, avec le temps, les efforts de
la m ê m e que celle d'un ingénieur de la m ê m e ces divers groupes pourraient converger de
spécialité en U R S S , aux États-Unis d'Amérique façon à former u n ensemble cohérent.
ou en France ; mais u n ingénieur d u bâtiment
serait mal venu d'adopter aveuglément les tech-
niques européennes ou américaines s'il s'agit, INITIATIVES DUES AUX ÉDITEURS
par exemple, de construire des maisons au
Y e m e n . L a sociologie, l'économie et la gestion
Les grands éditeurs d u Premier M o n d e , d u
sont aussi des domaines qui supposent l'exis- Deuxième M o n d e et Tiers M o n d e pourraient
tence d'un matériel d'enseignement adapté aux aussi prendre l'initiative d'inciter des établisse-
divers milieux culturels. U n autre problème ments et des auteurs à réaliser des matériels
est de savoir s'il est nécessaire de réaliser desd'enseignement. D e s éditeurs entreprenants
programmes d'enseignement entièrement dis- pourraient organiser toutes sortes d'entreprises
conjointes de manière à partager les coûts, à
tincts pour la Chine, le Brésil, le m o n d e arabe
ou l'Indonésie, ou bien s'il serait possible de seélargir les marchés et à éliminer les obstacles
mettre d'accord sur des programmes de base structurels, tels que les problèmes de devises.
qui seraient les m ê m e s partout et auxquels O n pourrait, par exemple, imaginer u n projet
s'ajouteraient des modules qui s'appliqueraient auquel participeraient u n éditeur européen, u n
'spécialement à telle ou telle région. organisme d'aide internationale, des universités
Je voudrais ouvrir ici trois pistes qu'il de deux ou trois pays et autant d'étiteurs d u
conviendrait d'explorer. Je laisse au lecteur le Tiers M o n d e . Cette coopération aurait pour
soin d'en ajouter d'autres ou de regrouper but de réaliser des matériels d'enseignement
autrement les initiatives proposées. J'ai réparti pour u n cours de licence en agronomie ou en
en trois catégories u n certain nombre d'ini- sciences de l'éducation. L e texte original pour-
tiatives possibles. rait être rédigé en anglais puis traduit en d'au-
tres langues d u Tiers M o n d e . Les éditeurs
locaux pourraient imprimer et diffuser de tels
INITIATIVES DUES AUX PRODUCTEURS ouvrages sur le marché national. Quant à
l'entreprise européenne, qui dispose d'un vaste
réseau commercial, elle s'efforcerait de diffuser
U n e coopération pourrait s'établir entre deux
ce matériel à l'échelle mondiale. Tous les pro-
ou plusieurs institutions telles que l'Université
blèmes juridiques et contractuels sont bien
des Nations Unies, le Centre international de
connus et ne devraient pas poser de graves pro-
physique théorique, l'Académie des sciences d u
blèmes à une maison d'édition ayant les dimen-
Tiers M o n d e , le Conseil international des
sions requises.
unions scientifiques ou le Comité permanent
sur le rôle des sociétés scientifiques et associa-
tions d'ingénieurs au service du développement
(inspiré et soutenu par l'American Association INITIATIVES DUES
for the Advancement of Science). D e s repré- A UNE INSTITUTION DU SYSTÈME
sentants de quelques-unes de ces institutions DES NATIONS UNIES
pourraient se réunir et décider de patronner
diverses activités portant sur l'évaluation des Plusieurs institutions d u système des Nations
programmes d'études et des matériels d'ensei- Unies (Unesco, Banque mondiale, F A O ,
gnements utilisés ; ils élaboreraient ensuite des O N U D I , O I T ) ont une importante activité d'édi-
programmes d'études et feraient réaliser le tion en m ê m e temps qu'elles sont à l'origine de
matériel souhaité. nombreux projets de recherche dans des d o -
Il faut éviter les lourds appareils bureau- maines intéressant le Tiers M o n d e . Pour finan-
Le problème de la qualité et de la pertinence du matériel pédagogique 85
dans l'enseignement à distance

cer les recherches, ces institutions reçoivent des


dotations importantes de la part du P N U D et
des organisations d'aide. E n théorie, par consé- Références
quent, tous les éléments nécessaires sont pré- B A N D Y O P A D H Y A Y , J. ; S H I V A , V . 1980. « T h e large and
sents au sein d'une m ê m e institution. Cette situa- fragile community of scientists in India ». Minerva,
tion confère des possibilités et des responsabi- vol. XVIII, n° 4, P- 575-594-
lités exceptionnelles. Si aucune d'entre elles K A Y B , A . 1979. « Some perspectives on international
n'est à m ê m e d'apporter une solution globale collaboration in distance education ». Communication
présentée à la Conférence de l'Open University sur
au problème, chacune peut prendre l'initiative l'enseignement à distance pour les adultes, Birmin-
d'une action vigoureuse pour faire avancer les gham, novembre 1979, Milton Keynes.
choses dans la bonne direction, ou participer O R G A N I S A T I O N D E S N A T I O N S U N I E S . 1981. Étude sur l'effi-
à une telle action. cacité de l'ensemble du système des Nations Unies dans
le domaine de la science et de la technique au service du
O n peut donc envisager une relation de type développement, A/36/240,18 mai 1981.
commercial entre une institution d u système
des Nations Unies, des éditeurs commerciaux,
des organismes publics et des universités d u
Tiers M o n d e . L à encore, les aspects écono-
miques de l'édition sont si bien connus qu'il
devrait être possible de mettre sur pied des
arrangements satisfaisants permettant de sau-
vegarder les intérêts des auteurs, de l'institu-
tion, des éditeurs et des utilisateurs.

L e marché international d u matériel d'ensei-


gnement porte, chaque année, sur des dizaines
de milliards de dollars. Bien qu'il existe des
maisons d'édition géantes disposant de marchés
mondiaux, la réussite ou l'échec de chaque édi-
teur dépend de la création et de la commerciali-
sation de produits conçus pour des dizaines de
millions d'usagers. L'existence de ce vaste
système destiné à faire passer un texte de l'état
de manuscrit à celui de livre imprimé est essen-
tielle pour les industries de l'éducation, de la
recherche et de la connaissance. U n e des diffi-
cultés auxquelles les pays du Tiers M o n d e sont
confrontés est le faible niveau des activités qui
consistent à assimiler le savoir, à en faire
l'examen critique, à le mettre en forme et à le
diffuser. L a réalisation d'un matériel d'ensei-
gnement pertinent et de qualité est subordonnée
au développement systématique et persévérant
de tous les éléments de l'industrie de la
connaissance. •
Formation à distance
et communication assistée
par ordinateur
France Henri

L a communication interactive correspond à u n à l'image d u dialogue que l'enseignant entre-


m o d e d'échange fortement valorisé par les cou- tiendrait avec ses étudiants. Il soutient que la
rants éducatifs contemporains. Elle constitue simulation d u m o d e conversationnel pour pré-
une méthode de présentation et d'appropriation senter la matière a des effets positifs sur le
des savoirs préconisée par plusieurs théoriciens taux de réussite et sur le degré de satisfaction
pour promouvoir les apprentissages fondamen- des étudiants. Cette façon de mettre en forme
taux. L a formation à distance n'est pas d e m e u - l'enseignement facilite la compréhension et fait
rée à l'écart de ce courant éducatif, où l'inter- de l'apprentissage à distance une expérience
action est envisagée c o m m e une composante dynamique et stimulante. L'étudiant isolé se
essentielle d u processus pédagogique. Bien que sent personnellement interpellé et invité à
les médias traditionnellement utilisés en forma- prendre part à la simulation. Il en résulte une
tion à distance n'offrent en général que de plus grande motivation pour l'étude et le déve-
faibles possibilités de communication entre loppement d'un sentiment d'appartenance et
étudiants et enseignants, des efforts systéma- d'identification aux autres étudiants, qui, c o m m e
tiques ont été entrepris pour simuler l'interac- lui, empruntent le m ê m e cheminement.
tion dans la présentation des contenus d'ensei- L'enseignement médiatisé à distance, conçu
gnement, et ce, m ê m e à l'intérieur des textes c o m m e une simulation d'un dialogue interactif,
pédagogiques (Landry, 1985). peut se révéler c o m m e u n m o d e adéquat de
Dans son essai théorique sur la formation à présentation et d'appropriation des savoirs.
distance, Holmberg (1986) propose que le con- Cependant, la formule ne serait complète que
tenu d u matériel didactique soit élaboré sous si l'on y ajoutait une structure d'encadrement
forme d'une « conversation didactique guidée », qui procure à l'étudiant l'occasion d'établir une
communication personnelle. Les rencontres de
groupe, les communications téléphoniques et
France Henri (Canada) est spécialiste en sciences deles échanges postaux permettent à l'étudiant
l'éducation rattachée à la Télé-université de l'Uni- d'entrer en contact avec son tuteur et avec
versité du Québec. Ses recherches portent sur le déve- d'autres étudiants. A u cours de ces activités,
loppement de modèles d'application de la communi- le tuteur assure le suivi des apprentissages et
cation assistée par ordinateur pour la formation uni-
peut intervenir pour aider u n étudiant en
versitaire à distance. Elle est coauteur de l'ouvrage L e
difficulté.
savoir à domicile. Pédagogie et problématique de la
formation à distance (1985). Elle siège au Conseil L'importance des activités d'encadrement
d'administration de l'Association canadienne pour mérite d'être fortement soulignée en raison de
l'enseignement à distance à titre de représentante du leurs effets déterminants sur la réussite des
Québec. étudiants. A cet égard, il a été démontré que

Perspectives, vol. XVIII, n° 1,1988


88 France Henri

l'augmentation des taux de persévérance et de pas l'idée que, dans u n avenir rapproché, les
succès, la réduction des taux d'échec et d'aban- obstacles qui se présentent aujourd'hui seront
don dépendent étroitement de la fréquence et surmontés.
de la qualité d u suivi pédagogique (Kaye et
Harry, 1982). Dans la pratique, on a tendance
à limiter ces activités de soutien à l'apprentis- Technologies de l'information,
sage, car elles génèrent des coûts importants technologies interactives
qui, s'ils n'étaient pas contenus, menaceraient et formation à distance
la rentabilité économique de la formation à dis-
tance. Les contraintes économiques qui e m p ê - L e terme « technologies de l'information » dési-
chent de fournir à l'étudiant éloigné des occa- gne les technologies informatiques par lesquelles
sions fréquentes d'échanges interactifs repré- on offre à des usagers divers services d'infor-
sentent sur le plan pédagogique u n problème mation et de traitement de données. Banques
qu'il n'est pas toujours aisé de résoudre. O n de données, bases de données, vidéotex, tele-
réussit à les contourner au m o y e n d'un matériel
text, messageries électroniques, conférences
didactique complet, élaboré c o m m e u n dia-
assistées par ordinateur, transactions électro-
logue personnel, et structuré de telle sorte que
niques sont autant d'applications des « technolo-
l'étudiant se sente guidé et accompagné tout au
gies de l'information ». L e plus souvent, ces
long de son apprentissage.
technologies sont connectées à des réseaux de
Dans sa forme actuelle, la dynamique de la télécommunication et à des infrastructures de
formation à distance repose donc essentielle- transmission (réseau téléphonique, satellite,
ment sur la motivation et l'autonomie de l'étu- ondes hertziennes, etc.) pour rendre l'informa-
diant qui, c o m m e un autodidacte, apprend seul. tion disponible aux usagers éloignés des centres
Toutefois, le développement des technologies de traitement. Les opérations de repérage, de
de l'information et leur pénétration rapide dans consultation d'informations et de traitement de
plusieurs secteurs d'activités permettent d'envi- données se font en m o d e interactif sous forme
sager des solutions intéressantes aux problèmes de dialogue entre l'usager et la machine. L a
d'isolement et d'éloignement. Déjà, plusieurs combinaison des technologies de l'information
institutions d'enseignement supérieur nord- et des télécommunications est désignée en
américaines et européennes utilisent ces techno- français par le vocable « télématique ».
logies c o m m e véhicule principal d'enseigne-
ment à distance ou c o m m e complément d'un
enseignement à distance diffusé par les médias INTERACTIVITÉ SÉLECTIVE
traditionnels. Dans plusieurs cas, le recours à ET INTERACTIVITÉ INTÉGRALE
ces technologies est encore expérimental. D e
nombreux obstacles doivent être surmontés Les technologies de l'information se partagent
avant que l'on puisse en faire u n usage plus en deux grands groupes : les technologies à
répandu; il faut : développer une meilleure interactivité sélective et les technologies à inter-
connaissance des caractéristiques pédagogiques activité intégrale. Elles se distinguent par leur
des technologies de l'information; mettre au niveau d'interactivité et par l'origine de l'in-
point des méthodes de formation des usagers formation.
(étudiants, enseignants, tuteurs, conseillers,
Dans le premier groupe, on retrouve toutes
concepteurs) ; rendre les équipements facile-
les technologies qui emmagasinent des informa-
ment accessibles et niveler toutes les complica-
tions sous une forme déjà structurée pour en
tions techniques qui les rendent rébarbatives
rendre l'accès et la consultation faciles ; ce sont,
à l'usager non spécialisé. Malgré ces difficultés
par exemple, les banques de données (ASCII,
de départ, qui ne sont pas inhabituelles au cours
N A P L P S ) , bases de données, télétext, transac-
de l'implantation d'une innovation, on n'écarte
tions et achats électroniques... L'usager repère
Formation à distance et communication assistée par ordinateur 89

l'information désirée en utilisant différents véhicule aux informations que les usagers se
procédés de recherche c o m m e l'appel de mots transmettent au m o y e n de messages qui peu-
clés, la combinaison de descripteurs, les choix vent être destinés à un ou plusieurs usagers à la
par arborescence. L'information fournie par ces fois. A u cours de ces échanges, une c o m m u n i -
systèmes technologiques est nécessairement cation pleinement interactive s'installe entre deux
limitée aux données placées dans la mémoire personnes ou au sein de groupes constitués en
de l'ordinateur hôte. L'usager ne peut généra- collèges ou communautés électroniques. L'in-
lement ajouter d'autres données ni modifier formation qui circule n'est pas nécessairement
les contenus diffusés, ce privilège étant réservé fournie, mais plutôt élaborée par les usagers.
aux fournisseurs d'informations. Ces technolo- L e premier système de « C A O », E I E S (Elec-
gies opèrent donc en m o d e interactif par choix tronic Information Exchange System), a été
sélectif et l'information est u n service fourni ; développé aux États-Unis d'Amérique par
il n'est pas permis à l'usager de faire des entrées l'équipe de Murray Turoff pour échanger et
d'informations qui pourraient par la suite être mettre en c o m m u n des informations, procéder
distribuées. à des discussions et des travaux de groupe, faci-
L a possibilité d'accéder à des masses d'infor- liter le processus de prise de décision (Hiltz
mations stockées dans les bases et les banques et Turoff, 1978). Les résultats des premières
de données ouvre des horizons nouveaux pour expériences d'utilisation de la « C A O » d é m o n -
la formation à distance. Les concepteurs de trent que ce m o d e d'échange favorise une c o m -
l'enseignement pourront diriger les étudiants munication dynamique et des interactions so-
vers ces sources documentaires en les invitant ciales productives au sein des communautés
à y puiser des informations qui complètent électroniques (Kerr et Hiltz, 1982 ; Hiltz,
le matériel de base des cours. D a n s ces banques 1985).
constamment enrichies et mises à jour, l'étu- Dans l'éventail de technologies de l'informa-
diant pourra faire des choix d'information qui tion, la « C A O » apparaît c o m m e u n m o d e de
correspondent à des besoins et à des intérêts communication très prometteur pour la forma-
personnels. Il lui sera possible de se donner tion à distance. Elle rend possibles les échanges
une formation mieux adaptée à ses aspirations directs entre deux ou plusieurs étudiants dis-
et à ses attentes. Par ailleurs, ces technologies persés géographiquement et leur offre un espace
permettront aux institutions à distance de se c o m m u n de travail et de discussion. L e recours
dégager de la nécessité de fournir à l'étudiant à cette technologie permettra à l'étudiant de
une lourde documentation imprimée et de sortir de son isolement et d'enrichir son envi-
s'affranchir des délais de la poste ou d u courrier ronnement d'apprentissage par des dialogues
privé pour livrer le matériel. réellement interactifs. Il lui sera possible de
L e deuxième groupe de technologies englobe prendre la parole, de poser des questions,
toutes les formes de communications assistées d'exprimer ses besoins, ses idées, ses opinions
par ordinateur (« C A O ») : messagerie électro- et, surtout, de confronter sa pensée avec celle
nique pour les communications individuelles ; d'autres étudiants. D e plus, il aura à développer
messagerie électronique à l'usage d u grand la maîtrise des aptitudes en matière d'écriture
public ; téléconférence pour les communications et de lecture essentielles à l'utilisation adéquate
de groupe ; communication asynchrone ; c o m - de ce véhicule de communication. O n pourrait
munication synchrone ; répertoire des utilisa- espérer que, s'il tire profit d u recul que procure
teurs ; compilation de votes ; organisation et l'écriture, l'étudiant développera à l'usage de
triage de messages dans une conférence... cette technologie une plus grande conscience
Contrairement aux technologies du groupe pré- et une meilleure maîtrise des processus d'ap-
cédent — qui structurent des services et en prentissage qu'il emploie. L a « C A O » permet
assurent la diffusion —, les technologies d u d'envisager l'avènement d'une nouvelle dyna-
deuxième groupe servent essentiellement de mique de communication interactive en forma-
90 France Henri

tion à distance et de donner à l'étudiant de N o u s ne disposons pas de données abon-


plus grandes possibilités d'expression. dantes sur la valeur pédagogique de la « C A O ».
Les résultats de recherche ne permettant pas de
conclure à sa supériorité pédagogique par rap-
LA « CAO » EN FORMATION port à d'autres médias ni à sa rentabilité éco-
A DISTANCE nomique accrue, comparativement aux moyens
de communication plus conventionnels, c o m m e
L a communication assistée par ordinateur est le téléphone, le courrier postal et les rencontres
une technologie ou u n média dont les caracté- en face-à-face. Cependant, les projets d'appli-
ristiques répondent aux critères d'accessibilité, cation de la « C A O » en cours dans plusieurs
d'interactivité et de souplesse d'utilisation for- établissements d'enseignement mettent graduel-
tement recherchés en formation à distance. Pour lement en évidence les avantages pédagogiques
peu que l'étudiant puisse avoir accès à u n ter- de ce média. Les premières expérimentations
minal ou à u n micro-ordinateur muni d'un tendent à confirmer l'hypothèse que les envi-
m o d e m relié à une ligne téléphonique, il peut, ronnements électroniques créés au moyen de la
au m o m e n t opportun, prendre part à des dis- « C A O » peuvent générer de nouvelles façons de
cussions et communiquer rapidement avec son concevoir l'enseignement et de nouvelles for-
tuteur et d'autres étudiants, sans limite dans mes d'apprentissage à distance. Les expériences
le temps et dans l'espace. L'enseignant ou le menées au Canada (Brochet, 1986 ; McCreary
tuteur ainsi placés en contact direct et fréquent et al., 1987 ; Harasim, 1987 ; Davie, 1987), aux
avec l'étudiant seront en mesure d'adapter États-Unis d'Amérique (Hiltz, 1986; Hiltz,
facilement et sans délai les contenus d'enseigne- 1987 ; Bissell et al., 1987 ; Haile et Richards,
ment en fonction des particularités d'un groupe 1984 ; Richards, 1987) et en Grande-Bretagne
et de répondre aux besoins individuels de cha- (Kaye, 1987 ; McConnell, 1987) sont assez élo-
que étudiant. Il est permis de croire que cette quentes au sujet des potentialités du média. Les
proximité augmentera la qualité de la c o m m u - résultats obtenus tendent à démontrer que la
nication pédagogique en procurant à tous les « C A O » peut faciliter les apprentissages coopé-
participants au processus de formation à dis- ratifs et la formation de groupes d'entraide,
tance (étudiants, enseignants, tuteurs) des qu'elle favorise, de la part des étudiants, une
« lieux » nouveaux et permanents d'échanges participation plus active que celle que l'on ob-
et d'interactions.
serve en classe et que les étudiants en général
O n peut imaginer de nombreuses applica- manifestent u n taux élevé de satisfaction. O n
tions pédagogiques de la « C A O » — par note aussi, dans certains cas, que le taux d'aban-
exemple, répondre aux questions et aux d e m a n - don est inférieur à celui que l'on connaît géné-
des des étudiants concernant les contenus de ralement en formation à distance (Haile et
cours, fournir des conseils d'orientation, aider Richards, 1984) et que les étudiants témoignent
l'étudiant à résoudre les problèmes de compré- d'une plus grande motivation (McCreary et al.,
hension de la matière d'un cours, servir de 1987). Dans la plupart des expériences, on in-
véhicule de transmission pour la remise des siste sur le fait que l'utilisation de cette techno-
devoirs et le retour des questionnaires d'exa- logie nécessite une nouvelle façon d'organiser
m e n , pour discuter des projets et des travaux les contenus d'enseignement.
avec le tuteur, pour regrouper les étudiants en Les comptes rendus d'expériences, positifs
fonction de leurs centres d'intérêt et de leurs be- dans l'ensemble, font aussi état des difficultés
soins, pour encourager la réalisation de travaux économiques, techniques et pédagogiques que
d'équipe et pour créer des groupes d'entraide. présente l'utilisation de la « C A O ». L'emploi
Toutes ces possibilités n'ont pas encore été tes- de cette technologie risque d'être discrimina-
tées, car la recherche et les expérimentations toire du point de vue économique, car elle en-
dans le domaine en sont encore à leurs débuts. traîne des coûts ajoutés pour l'étudiant, qui doit
Formation à distance et communication assistée par ordinateur 91

payer le prix d'achat ou de location d'un ter-


minal et couvrir les frais de télécommunication Vers u n modèle de formation
(Bates, 1986). Les suppléments à débourser à distance
limiteraient l'accès des étudiants et risqueraient de troisième génération
d'en faire une formule réservée aux groupes
économiquement favorisés. D e plus, les pro- L e paradigme de la formation à distance « multi-
blèmes techniques que rencontrent les étudiants médiatisée » s'est élaboré à partir des principes
pour établir les liens de télécommunication d'ouverture, de démocratisation et d'accès à
peuvent prendre des proportions importantes. l'éducation (Henri et Kaye, 1985). Les modèles
Q u e ce soit à cause des défaillances des infra- pédagogiques et organisationnels se sont déga-
structures de communication ou d'une connais- gés de l'idée que la communication en face-à-
sance imparfaite des logiciels et de l'équipement, face constitue une source d'échanges irrempla-
les embûches techniques accroissent les risques çables, voire indispensables à la transmission
d'échec et de démotivation des étudiants. Pour et à l'acquisition de savoir. C'est grâce à la
aplanir ces difficultés, il faut pouvoir fournir pénétration des médias dans tous les secteurs
l'équipement nécessaire et offrir à distance u n d'activités que l'on a p u organiser des forma-
service de soutien technique à l'étudiant. Sur le tions de masse, à la portée de tous, par l'emploi
plan pédagogique, le tuteur ou l'enseignant de formules souples de diffusion des enseigne-
— qui agit c o m m e animateur des échanges ments. L'utilisation des médias et des techno-
électroniques — doit développer des c o m p é - logies de communication dans la formation à
tences particulières pour mener à bien les dis- distance s'est donc développée au service d'une
cussions et les activités qui sont proposées aux vision de l'éducation qui mise sur l'autonomie
étudiants. Il doit pouvoir gérer les messages, et la prise en charge de la formation par l'étu-
guider les interactions et aider le groupe à diant. Les technologies de l'information, appli-
atteindre l'objectif qu'il s'estfixétout en accor- quées à la formation à distance, pourraient elles
dant une attention particulièrement aux che- aussi être porteuses de ces valeurs.
minements et aux réactions des étudiants pris Selon Shapiro (1987), l'intégration de la
individuellement. L'étudiant doit, pour sa part, « C A O » dans la formation à distance vient de
faire preuve d'assiduité pour suivre l'évolution donner naissance à u n modèle de « troisième
d u groupe et s'imposer une discipline de parti- génération ». Les modèles de première et de
cipation à laquelle il n'est généralement pas deuxième génération correspondent respective-
tenu en formation à distance. ment aux modèles de l'enseignement par cor-
E n dépit des problèmes que pose l'utilisation respondance et à celui de la formation à distance
de cette nouvelle technologie, il est permis de employant des médias traditionnels. Ces deux
croire que la mise en réseau des enseignants, des modèles se caractérisent par des interactions
concepteurs, des tuteurs et des étudiants ou- relativement lentes, éparses et limitées, par des
vrira la voie à des dialogues productifs et créa- démarches d'apprentissage essentiellement in-
teurs, élargissant les perspectives d'intervention dividuelles où l'étudiant s'approprie le savoir
de chacun. Il pourrait en résulter u n m o d e en utilisant les ressources didactiques et d'enca-
inédit de diffusion des connaissances que les drement qui sont mises à sa disposition et par
médias traditionnels peuvent difficilement inté- la place limitée qui est réservée à la c o m m u n i -
grer. cation réellement interactive (rencontres occa-
sionnelles en face-à-face et communications
téléphoniques).
L e modèle de formation à distance de troi-
sième génération ajoute aux deux premiers une
possibilité permanente de communication in-
teractive, dans u n m o d e synchrone ou asyn-
92 France Henri

chrone. Grâce à la « C A O », qui met en contact K A Y E , A . 1987. « Introducing computer-mediated c o m -


munication into a distance education system ». Canadian
étudiants, tuteurs et enseignants dans une c o m - journal of educational communication, vol. 16, n° 2.
munication pleinement interactive, le modèle K A Y E , A . ; H A R R Y , K . (dir. publ.). 1982. Using the media
de troisième génération fait place à des appren- for adult basic education. Londres, C r o o m H e l m .
tissages qui ne sont plus le fruit d'une dé- K A Y E , A . ; R U M B L E , G . 1981. Distance teaching for higher
and adult education. Londres, C r o o m H e l m .
marche individuelle. Il permet des chemine-
K E R R , E . B . ; H I L T Z , R . 1982. Computer-mediated com-
ments de groupe où les apprentissages sont munication systems. N e w York, Academic Press.
soutenus par la dynamique des processus so- L A N D R Y , F . 1985, « L'imprimé : un moyen d'enseignement
ciaux. Désormais, l'étudiant à distance pourra privilégié ». Dans : Le savoir à domicile. Pédagogie et
choisir d'entreprendre une démarche indivi- problématique de la formation à distance. Québec, Presses

duelle de formation ou de participer à des de l'Université du Québec.


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Revue de l'enseignement à distance, vol. 1, n° 1.
Le régime économique
de renseignement de masse
à distance
Greville Rumble

L'enseignement à distance passe pour moins raisons de coûts ne portent que sur des établis-
cher que les formes traditionnelles d'enseigne- sements de m ê m e niveau (enseignement pri-
ment. O n entend généralement par là le fait maire, secondaire ou supérieur), la qualité des
que le coût par élève ou par diplômé est moins services offerts étant par hypothèse uniforme.
élevé dans le premier cas que dans le second. Certes, on ne crée pas des systèmes de télé-
Étant donné que les élèves peuvent progresser enseignement pour le seul motif qu'on les croit
à des rythmes différents (selon qu'ils étudient meilleur marché. L e coût n'en est pas moins
à plein temps ou à temps partiel), le coût par un facteur important et ceux qui l'ont fait ont
élève est souvent exprimé dans une mesure en raison de signaler les économies qu'ils impli-
unité standard, telle que le coût par heure quent. A u Venezuela, la Commission chargée
d'élève ou par équivalent d'élève à plein temps. d'organiser l'Universidad Nacional Abierta s'est
Il n'est pas toujours facile de comparer les déclarée convaincue que cette institution allait
coûts des systèmes. Les objectifs ou la manière « contribuer à une réduction importante du coût
de traiter une m ê m e matière peuvent être diffé- annuel de chaque étudiant et du coût social de
rents, voire très différents ; le niveau exigé des chaque diplômé » ( C O U N A , 1979)- Dans l'État
élèves au m o m e n t de leur admission peut varier indien de l'Andhra Pradesh, le Comité pour la
et influer sur les taux de réussite aux examens ; création d'une université ouverte (1982) s'est
la qualité de l'enseignement peut elle aussi être appuyé sur les conclusions des études de coûts
différente. Chacune de ces variables peut peser précédemment effectuées au R o y a u m e - U n i pour
sur les coûts et sur notre manière de les consi- l'Université ouverte (Open University), d'où il
dérer. Toutefois, en règle générale, les compa- ressortait que les dépenses d'équipement et les
dépenses de fonctionnement par étudiant y
étaient en moyenne plus faibles que dans les
Greville R u m b l e (Royaume-Uni). Spécialiste des universités classiques, pour suggérer que la
systèmes de télé-enseignement, a travaillé à ¡'Univer-création d'une université de télé-enseignement
sidad Estatal a Distancia du Costa Rica et auprès de serait, de toutes les solutions, la plus écono-
nombreux organismes en qualité de consultant dans mique pour le gouvernement de cet État.
ce domaine. Actuellement chargé de la planification Malheureusement, les espoirs des h o m m e s
à I' « Open University » (Royaume-Uni). Ses ouvrages
politiques et des planificateurs ne se concréti-
les plus récents sont T h e politics of nuclear defence
(1985), T h e planning and management of distance
sent pas toujours. Il y a des programmes de
education (1986). Coauteur de Distance teaching for télé-enseignement qui ont coûté plus cher par
higher and adult education (198z, en collaboration élève ou par diplômé — voire dans les deux
avec Anthony Kaye) et de T h e distance teaching uni- cas — que des systèmes traditionnels remplis-
versities (1982, en collaboration avec Keith Harry). sant des fonctions comparables, tout autant

Perspectives) vol. XVIII, n» 1,1988


94 GrevilleRumble

qu'il existe de nombreux programmes d'ensei- pensés. Les variables considérées ici c o m m e
gnement à distance qui se sont révélés moins susceptibles d'être infléchies par le volume des
coûteux (Perraton, 1982). activités sont S , C et P . D'autres variables i m -
L a structure des coûts est à ce point diffé- portantes, c o m m e le nombre des centres d'étu-
rente d'un système à l'autre que ceux qui ten- des locaux où est dispensé u n enseignement,
tent de mettre sur pied u n enseignement à dis- peuvent intervenir dans certains systèmes de
tance ont les plus grandes peines à en expliquer télé-enseignement, mais le modèle utilisé ici en
le fonctionnement et la logique financière aux fait abstraction.
responsables des administrations et des orga- Tous les coûts figurant dans la partie droite
nismes de financement (Snowden et Daniel, de l'équation sont subordonnés à des choix de
1980). gestion.
Si l'on veut comprendre pourquoi il en est Dans les systèmes d'enseignement à distance,
les coûts liés aux élèves comprennent ceux des
ainsi et c o m m e n t il se fait que l'enseignement à
distance soit tantôt plus coûteux, tantôt plus matériels qui leur sont fournis, les coûts de
économique que le système traditionnel, il faut distribution lorsque ces matériels sont expédiés
posséder quelques lumières sur le comporte- individuellement, le coût de la rémunération
ment des coûts de l'éducation. des tuteurs chargés de noter les devoir et les
copies d'examen et le coût d'éventuels cours en
face-à-face. A l'évidence, le coût par élève
La fonction augmente avec la quantité de matériels fournis,
de coût fondamentale et le coût par élève des tuteurs, par exemple,
avec le nombre des séances et le taux d'encadre-
L e coût total d'une entreprise comprend à la ment.
fois des coûts fixes et des coûts variables. Les Les coûts directs d'élaboration des cours
premiers ne sont pas sujets à des variations comprennent les coûts de main-d'œuvre (ré-
continues en fonction d u volume des activités, munération des auteurs, préparateurs des m a -
mais ils peuvent se modifier en cas de cessation nuscrits, concepteurs, producteurs de radio ou
de certaines activités ou d'importants change- de télévision), ainsi que les coûts de mise au
ments dans le volume des activités (cette der- point et de production des « originaux » o u des
nière notion s'apprécie par rapport à la situation prototypes des matériels pédagogiques (rému-
de l'entreprise). Les coûts variables tendent à nération des consultants, paiement de droits,
augmenter ou à diminuer directement (de façon coût de la réalisation d'émissions ou de la pré-
linéaire) en fonction desfluctuationsdu volume paration de bandes originales, et ainsi de suite).
des activités. L e volume des coûts peut être modifié par
L a fonction de coût de base d'un système des décisions relevant de la gestion. L e coût
éducatif quelconque s'écrit c o m m e suit : de la reproduction des matériels pédagogiques
T = SQ + CS + PTI: + F distribués aux élèves est u n coût direct par
élève, tandis que celui de la constitution d'un
où T est le coût total, S le nombre d'élèves, stock de matériels destinés à leur être prêtés
C le n o m b r e de cours élaborés, P le nombre de pour la durée d'un cours auquel ils sont inscrits
cours présentés aux élèves, F les coûtsfixesd u est u n coût direct lié aux cours. Si, par exemple,
système (coûts administratifs et autres frais on fournit aux élèves les vidéocassettes illustrant
généraux), O le coût direct par élève, S le coût u n cours, ces copies représentent des coûts
direct de l'élaboration d'un cours et TC les coûts directs encourus pour chaque élève ; dans le cas
directement liés à la fourniture des cours. S Q où, au contraire, on leur prête des copies faisant
représente le coût direct total des élèves, C S le partie d'un stock permanent, le coût de consti-
coût direct total des cours qui sont élaborés et tution de ce stock est u n coût direct des cours.
P7c le coût direct total des cours qui sont dis- A u nombre des coûts directement liés aux
Le régime économique de l'enseignement de masse à distance 95

cours figurent des postes de dépense tels que le classe). A u fond, il y a là une substitution de
coût de diffusion des émissions illustrant ou capital au travail offrant aux spécialistes de
complétant les cours, la rédaction des sujets l'éducation ce que W a g n e r (1982) a p u appeler
d'examen, le contrôle du déroulement des cours la « production de masse c o m m e solution de
et, d'une façon générale, la mise à jour et l'amé- rechange à l'approche artisanale traditionnelle ».
lioration des matériels didactiques. U n e étude comparée des coûts dans les uni-
L a nature des frais généraux va plus ou moins versités traditionnelles et à l'Open University
de soi : ce sont les coûts des fonctions de gestion (enseignement à distance) britannique a montré
(personnel, finances, services de gestion, admi- à quel point les coûtsfixes(en capital) peuvent
nistration, planification et évaluation des ser- être prépondérants : alors que le rapport des
vices administratifs et autres). Ces coûts seront coûts variables aux coûts fixes est de l'ordre
normalement d'autant plus élevés que l'appareil de 1 à 8 dans les universités classiques, il est d'à
de gestion et d'évaluation sera plus complexe. peu près de 1 à 2 000 à 1' « O p e n University »
Peuvent également entrer dans cette catégorie (Laidlaw et Layard, 1974).
les provisions pour amortissement des machines
et des matériels (équipements de studio et m a -
tériel de transmission, ordinateurs, et ainsi de Les coûts d'élaboration,
suite) qui tous sont exposés à l'usure et devront de production et de distribution
u n jour être remplacés. Il y a un certain nombre des matériels didactiques
de modes de traitement des coûts d'équipement,
mais ce qui importe réellement dans la pratique, L'une des particularités des systèmes de télé-
c'est le coût pour l'entreprise du remplacement enseignement est le niveau d'investissement re-
des éléments atteints d'obsolescence par des quis avant la moindre inscription. Les investis-
matériels neufs remplissant des fonctions ana- sements en biens d'équipement (bâtiments, m a -
logues. tériel et autres) peuvent être considérables, en
L'utilisation des médias et les problèmes que particulier si l'on fait appel à des techniques
pose l'encadrement des élèves font que les frais d'enregistrement en studio et de transmission
généraux (F), les coûts d'élaboration des cours par satellite ou de radiodiffusion terrestre, et
(S) et les coûts de présentation des cours qui qu'il faille construire les installations au lieu
sont directement liés aux cours (n) sont géné- de les louer en fonction des besoins. L'informa-
ralement, à effectifs comparables, plus élevés tisation de l'enseignement et de l'administration
dans les établissements d'enseignement à dis- alourdit aussi substantiellement les coûts. Il
tance que dans les écoles traditionnelles ; mais, faut prévoir le stockage et la manutention des
c o m m e le soutien apporté aux élèves est relati- matériels didactiques, ce qui peut obliger à
vement limité, le coût direct par élève (Q) y construire ou, en tout cas, à équiper des locaux
est moins important. C'est que ces établisse- à cet effet. A cela s'ajouteront des investisse-
ments consacrent beaucoup de leurs efforts en ments supplémentaires si l'on décide de créer
matière de gestion et d'enseignement à l'élabo- u n atelier d'impression sur place au lieu de
ration et au bon fonctionnement des matériels louer les services d'une imprimerie c o m m e r -
pédagogiques et des procédures administratives ciale.
de contrôle des élèves. Il y a donc là une forme Il faut ensuite concevoir et produire u n éven-
d'investissement en capital, qui se substitue aux tail de matériels pédagogiques suffisamment
contacts directs entre maîtres et élèves et qui large pour répondre aux objectifs de l'établisse-
pourra, ensuite, servir pour u n nombre d'élèves ment et offrir u n m i n i m u m de choix aux élèves
plusieurs fois supérieur aux effectifs auxquels potentiels. C e qui coûte le plus cher, en l'oc-
peuvent s'adresser des formes d'éducation tra- currence, c'est sans doute le personnel ensei-
ditionnelles c o m m e les cours magistraux, les gnant et assimilé requis pour les élaborer.
séminaires ou les travaux dirigés (en salle de D'après Sparkes (1984), s'il faut entre une heure
96 Greville Rumble

et dix heures de travail pour préparer une heure classes ordinaires, puis les compléter par des
d'enseignement en petit groupe et de deux à notes reproduisant par exemple (sous une autre
dix heures pour un cours magistral d'une heure, forme) les documents distribués aux élèves, les
il faut entre trois et dix heures pour mettre au exemples donnés au tableau noir ou sur tableau
point une heure d'enseignement vidéo dirigé, de papier, les films projetés à l'aide d'un rétro-
de cinquante à cent heures pour rédiger u n projecteur, les diapositives et autres. U n e fois
texte didactique qui occupera l'élève pendant les amphithéâtres équipés de caméras vidéo et
une heure et u n m i n i m u m de cent heures pour de matériel de prise de son, les coûts supplé-
mettre sur pied une émission télévisée de mentaires par personne de la production des
soixante minutes de qualité radiophonique, de bandes vidéo et des notes complémentaires à
deux cents heures pour l'équivalent d'une heure l'intention des élèves qui ne fréquentent pas les
d'apprentissage assisté par ordinateur, de trois cours à l'université peuvent être très modiques,
cents heures pour l'équivalent d'une heure d'ap- c o m m e en témoignent le programme de pré-
prentissage sur vidéodisque interactif. paration extra-universitaire aux diplômes d'in-
Ces chiffres doivent être maniés avec pru- génieur de l'Université d'État d u Colorado
dence. Il existe, en gros, quatre modes de (Wagner, 1975) et le programme de télé-
création de matériels d'apprentissage à distance. enseignement de l'Université de Waterloo (Les-
L e premier consiste à rechercher parmi les lie, 1979). Il est alors possible de constituer une
matériels existants ceux qui seraient susceptibles importante vidéothèque en peu de temps et pour
d'être utilisés tels quels ou adaptés aux besoins u n coût total relativement faible. Sans être sans
des élèves de l'enseignement à distance. Il n'est doute d'une très grande qualité, ces matériels
pas rare, par exemple, qu'un établissement vidéo répondent parfaitement à leur objet. Dif-
recommande à ses élèves certains manuels, qu'il fusés par satellite, ils permettent à des élèves
leur est ensuite demandé de se procurer pour disséminés sur u n très vaste territoire d'avoir
suivre un cours. L'établissement n'a plus, alors, accès à des cours faisant le point des derniers
qu'à rédiger quelquesfichesde conseils et des progrès de la technologie. Parfois, les élèves ont
questions de contrôle de niveau avant de démar- également la possibilité de suivre les cours par
rer le programme d'enseignement, ce qui, natu- liaison téléphonique (enseignement vidéo di-
rellement, réduit considérablement ses coûts. rigé). Ces formules sont aujourd'hui pratiquées
Cette façon de procéder, qui ne demande pra- par u n certain nombre d'universités, dont, aux
tiquement aucun effort de création, est parti- États-Unis d'Amérique, la National Technolo-
culièrement économique. Elle est employée par gical University.
certaines écoles d'enseignement commercial par Les troisième et quatrième approches repo-
correspondance préparant à des examens pro- sent sur l'utilisation de matériels d'auto-appren-
fessionnels ou autres. Elle aboutit rarement à tissage (imprimé, audiovisuel, émissions et au-
la production de matériels bien adaptés aux tres) spécialement conçus et produits pour
besoins de l'auto-apprentissage, mais elle per- l'enseignement à distance. Il ne fait guère de
met effectivement de mettre au point u n large doute que ces matériels pédagogiques sont sou-
éventail de cours à coût très réduit. Elle est vent d'excellente qualité. L a troisième façon de
également utilisée dans une version modifiée procéder consiste à arrêter le programme d'en-
par l'Université ouverte britannique pour cer- seignement et à préciser le contenu des cours,
tains cours de haut niveau, pour lesquels on ne puis à recruter des universitaires en qualité de
fournit à l'élève qu'une quantité restreinte de consultais pour rédiger les documents écrits ou
matériels d'auto-apprentissage. les scripts des émissions et des productions
Deuxième formule : on peut « greffer » le sys- audiovisuelles. C'est la solution qui a été rete-
tème de télé-enseignement sur un système d'en- nue par la Universidad Estatal a Distancia d u
seignement classique, c'est-à-dire enregistrer Costa Rica. Elle présente ce grand avantage que
sur bandes vidéo des cours dispensés à des les rédacteurs sont rémunérés en fonction des
Le régime économique de l'enseignement de masse à distance 97

résultats. C o m m e ils ne sont pas employés à temporaire, ils ne sont pas constamment entrain
plein temps à titre permanent, aucun engage- de songer au prochain engagement, mais une
ment de longue durée ne fait obligation de erreur de recrutement dans leur cas risque
prendre en charge leur formation ou leurs avoir des conséquences durables, surtout lors-
recherches personnelles, et l'on évite d'être qu'ils sont titulaires de leur poste.
encombré d'un personnel peu zélé ou dont les L a masse totale des traitements dépend aussi
connaissances sont périmées. U n e fois que les du m o d e d'affectation du personnel enseignant.
planificateurs ont précisé les buts, les objectifs Des établissements c o m m e l'Université ouverte
et le contenu général des nouveaux programmes britannique, l'Université Athabasca (Canada) et
d'études, des universitaires et des spécialistes l'Université Deakin (Australie), où les cours
de la technologie de l'éducation revoient les sont élaborés collectivement (plusieurs profes-
projets rédigés par les consultants pour les seurs et techniciens travaillant en équipe sur
transformer en produits finis. Si les auteurs un m ê m e projet) ont besoin d'un effectif plus
n'ont pas livré la marchandise prévue, ils ne nombreux que ceux qui ne demandent à chacun
sont pas payés. que de s'en tenir à sa spécialité. Si la première
L a création de nouveaux cours peut être méthode exige u n plus grand nombre d'heures
annoncée à l'avance, mais certains établisse- de travail, et fait par conséquent monter les
ments ( c o m m e l'Open Learning Institute en coûts, elle permet en revanche de travailler
Colombie britannique) attendent que tous les dans une ambiance particulièrement propice à
matériels soient réunis et prêts à être produits. la création.
Cette façon de procéder rappelle plus la maison D e ces quatre formules, la première est la plus
d'édition que l'université. Les écoles d'ensei- économique et la dernière la plus coûteuse.
gnement commercial par correspondance qui U n autre facteur dont il faut tenir compte
créent elles-mêmes leurs matériels pédagogi- dans l'évaluation des coûts d'élaboration, de
ques font appel à des consultants parce que c'est, production et de fourniture des cours est le
à l'évidence, une façon relativement souple et choix d u support. L à encore, les choix de ges-
économique de s'assurer les services d'univer- tion peuvent modifier considérablement le coût
sitaires pour la rédaction des cours et de pro- du système.
fessionnels pour la production de programmes Sparkes, on l'a vu, estime que le temps né-
de radiodiffusion et de documents audiovisuels. cessaire pour concevoir u n matériel correspon-
L a rémunération des auteurs travaillant sous dant à une heure d'apprentissage varie dans des
contrat peut néanmoins varier en fonction de proportions importantes selon le support utilisé,
F « offre ». Dans certains pays ou pour certaines mais il y a d'autres coûts que ceux qui sont liés
disciplines, les auteurs compétents sont rares à sa conception. L a réalisation de documents
et leurs honoraires parfois élevés. imprimés comprend aussi la mise en pages, la
Enfin, on peut aussi faire élaborer les maté- préparation des manuscrits pour l'impression,
riels didactiques par u n petit nombre de pro- la composition, l'impression et la distribution ;
fesseurs employés à plein temps, en vertu de les matériels vidéo et audio doivent être diffusés
contrats de durée indéterminée ou temporaires. par les canaux appropriés et reçus sur les appa-
Ceux qui occupent u n poste à titre permanent reils voulus ; les systèmes faisant appel à l'ordi-
doivent se tenir informés de l'évolution de leur nateur nécessitent u n équipement important et
discipline : il faut donc leur laisser d u temps l'accès à des réseaux de télé-informatique, ainsi
libre pour actualiser leurs connaissances et, le que des investissements considérables en lo-
cas échéant, faire des recherches. A u bout d'un giciels.
certain temps, ils pourront posséder bon n o m - Dans le cas d'imprimés, par exemple, tous les
bre des compétences des concepteurs de maté- matériels devront être préparés pour l'impres-
riels didactiques et des spécialistes de la techno- sion et faire l'objet d'une maquette. L e travail
logie éducative. A la différence du personnel de mise en forme nécessaire pour qu'un m a n u s -
98 Greville Rumble

crit puisse être intégré à u n jeu d'auxiliaires doivent venir les chercher, selon la formule
didactiques pour l'auto-apprentissage coûtera retenue par l'Universitad Estatal a Distancia
sans doute plus cher si l'auteur a été employé du Costa Rica. Enfin, il est possible de réaliser
sous contrat. L e coût de la maquette peut des économies d'échelle, les coûts unitaires
varier dans des proportions importantes selon d'impression se trouvant fortement réduits en
la quantité d'illustrations (reproductions d'oeu- cas de gros tirage ; mais, inversement, lorsque
vres d'art, photographies, etc.) incorporées au les stocks imprimés excèdent les besoins d'une
texte. L e procédé de composition influe égale- année scolaire, les frais d'entreposage les m a -
ment sur le prix de revient. Il est généralement jorent d'autant.
moins coûteux de reproduire u n texte dactylo- Les coûts de production des matériels vidéo
graphié en offset que de l'imprimer avec des peuvent eux aussi varier considérablement.
caractères typographiques en métal fondu. Plus L e coût d'une heure de cours sur bande vidéo
encore que les machines à écrire, les machines est de beaucoup inférieur à celui d'une émission
de traitement de texte permettent d'obtenir de télévision satisfaisant aux normes de qualité
facilement des documents prêts pour la photo- de la diffusion. Il y a à cela u n certain nombre
gravure et de réduire les frais de rédaction. de raisons. L'équipement indispensable pour
T i m m e r s (1986) a calculé que l'acquisition de produire u n programme de télévision de cette
machines de traitement de texte avait permis à qualité est plus cher que celui qui est nécessaire
l'Open Learning Institute de Vancouver de pour réaliser une bande vidéo. Dans certains
ramener de cent vingt à cinquante heures le pays, les syndicats des professionnels de la
temps nécessaire pour rédiger et mettre en télévision ont fait grimper les taux de rémuné-
forme une page de texte. A l'inverse, les coûts ration jusqu'à des niveaux très élevés, et il s'y
peuvent monter en flèche lorsque les textes ajoute souvent des accords sur l'effectif minimal
doivent être écrits à la main. Les calligraphes qui viennent alourdir encore les coûts. Les
employés par l'Université ouverte Allama Iqbal normes de qualité sont en outre différentes
sont rémunérés sur la m ê m e base que les char- selon les cas. A u x États-Unis d'Amérique, les
gés de cours. Dans certains établissements, émissions de la chaîne publique de télévision
c o m m e l'Université ouverte de Sri Lanka, les (Public Broadcasting Service) sont enregistrées
textes sont rédigés en plusieurs langues : d'où sur des bandes de type U-Matic de format
des dépenses supplémentaires de traduction. trois quarts de pouce à fréquences basses, ce qui
Les coûts d'impression peuvent également être revient moins cher que d'utiliser, c o m m e les
plus ou moins élevés. L e prix d u papier n'est sociétés de télévision britanniques, des bandes
pas le m ê m e dans tous les pays, il existe diffé- trois quarts de pouce à fréquences hautes. Il est
rentes qualités de papier, et le coût de l'impres- parfaitement possible de produire des docu-
sion dépend de la technique employée. L e prix ments pédagogiques de qualité radiophonique à
d'un tirage offset varie selon que l'on utilise des un coût réduit. Ainsi, aux États-Unis d ' A m é -
supports en papier ou des plaques métalliques. rique, la National Technological University
Les premiers sont meilleur marché, mais ne diffuse par satellite des programmes vidéo peu
permettent de tirer que cinq cents exemplaires coûteux qui répondent parfaitement à leur objet.
environ. L'emploi de la couleur alourdit beau- Les coûts de distribution des matériels vidéo
coup les coûts d'impression. Quant aux coûts sont également sujets à d'importants écarts
de distribution, ils sont sujets à des variations selon que l'on a recours à des vidéocassettes ou à
telles qu'il est difficile de généraliser, mais il est des systèmes de télédiffusion de terre ou par
clair qu'ils ne seront pas les m ê m e s si l'on satellite (télédiffusion directe ou transmission à
expédie les matériels directement par la poste des têtes de réseaux câblés) et que l'établisse-
au domicile de chaque élève, c o m m e le fait ment de télé-enseignement doit supporter les
l'Université ouverte britannique, o u par ca- dépenses d'équipement d u système de dis-
mion jusqu'à des centres locaux où les élèves tribution ou a accès à u n certain temps d'an-
Le régime économique de l'enseignement de masse à distance 99

tenne à u n coût réduit ou négligeable. E n sonores présentent l'avantage d'être relative-


général, la télévision est u n média coûteux, ment b o n marché, les secondes pouvant être
dont l'utilisation ne se justifie pas lorsque associées de façon originale à des documents
l'infrastructure de base (services de main- imprimés pour recréer jusqu'à u n certain point
tenance et main-d'œuvre qualifiée) fait défaut les conditions de l'apprentissage audiovisuel.
ou qu'une proportion importante de la popu- Eicher et ses collaborateurs (1984) doutent
lation ne possède pas de récepteur (Eicher et al., néanmoins que l'enseignement radiophonique
1984). offre u n rapport coût-efficacité satisfaisant en
Les systèmes vidéo dans lesquels chaque deçà de deux mille élèves, et l'Université
élève est censé s'équiper d'un magnétoscope ouverte britannique a constaté que, lorsque les
pour enregistrer les programmes télévisés ou cours touchaient moins de mille élèves, il
lire les cassettes qui lui sont louées ou vendues était plus économique de donner des cassettes
par l'établissement d'enseignement peuvent sonores à chaque élève que de diffuser les
également coûter passablement cher. L ' U n i - cours sur les ondes.
versité ouverte britannique a constaté qu'il était Les remarques qui ont p u être faites sur les
plus économique de donner à chaque élève avantages comparés des cours sur cassettes
une vidéocassette de soixante minutes que de et des cours radiophoniques portent sur les
diffuser le m ê m e programme, à condition que coûts, et non sur l'efficacité éducative de chaque
le nombre d'élève ne dépasse pas cent trente- formule. Il ne fait guère de doute que les élèves
trois. Entre cent trente-quatre et deux cent tirent davantage de profit des cassettes, qu'elles
trente-trois élèves, il était plus avantageux de leur aient été fournies ou qu'ils les aient eux-
louer une cassette à chaque élève, tous frais m ê m e s réalisées en enregistrant u n programme
postaux payés. Au-delà, il était préférable de radiodiffusé, puisqu'ils ont la possibilité de les
diffuser le programme une seule fois sur les réécouter autant de fois qu'ils le souhaitent
chaînes nationales de télévision de la B B C en se ménageant, ce faisant, des temps de pause.
(British Broadcasting Corporation). Ces seuils L e coût des systèmes reposant sur l'ordinateur
ont été déterminés à l'aide de tableaux croisés n'a pas encore été suffisamment étudié, mais
coût/volume et ne valent naturellement que l'Université ouverte britannique, qui compte
pour la situation et les coûts de cette université quelque soixante-quinze mille élèves préparant
au m o m e n t où l'étude a été effectuée (1984). E n u n diplôme, a constaté que les dépenses néces-
tout état de cause, la vente de cassettes aux saires pour équiper chaque étudiant d'un ordi-
élèves ne fait que majorer les coûts qui sont à nateur personnel dépassaient ses capacités finan-
leur charge. O n peut naturellement installer cières. M ê m e en limitant la fourniture d'un or-
des magnétoscopes dans des centres locaux dinateur aux seuls cours qui sont censés exiger
disposant aussi d'une vidéothèque dont ils passablement d'opérations de calcul, l'université
utiliseraient les cassettes. U n tel système serait serait rapidement amenée à équiper au moins
globalement moins onéreux, mais il présente treize mille étudiants. U n e machine adaptée à
certains inconvénients, dont les moindres ne leurs besoins (c'est-à-dire dotée au m i n i m u m du
sont pas la nécessité, pour l'établissement système d'exploitation M S - D O S , de 515 kilo-
d'enseignement, d'assurer la maintenance des octets de mémoire et des capacités de trans-
équipements, celle de les préserver du vol et mission d'un T V 1 0 0 ) coûtant de 500 à 600 livres
du vandalisme, celle d'offrir aux élèves des sterling aux prix de 1987, l'Université n'a pas
appareils et des locaux en nombre suffisant les moyens d'équiper ses étudiants d'ordina-
pour qu'ils puissent consulter rapidement, teurs personnels. Elle a donc récemment décidé
dans le calme, la cassette de leur choix et, pour de les encourager soit à les acheter eux-mêmes,
les élèves, l'obligation de se rendre au centre en bénéficiant d'un rabais négocié par ses soins
aux heures d'ouverture. et, le cas échéant, d'un prêt bancaire, soit à les
Les cours radiophoniques et les cassettes leur louer à u n tarif qui rend la première solution
100 Greville Rumble

plus avantageuse pour ceux d'entre eux qui graphie organisés par l'Université ouverte bri-
prévoient de s'en servir pendant plusieurs tannique dépassait de beaucoup le coût variable
années. des cours de sciences sociales des universités
britanniques traditionnelles, ce qui empêchait
cet établissement de réaliser, sur ce cours tout
L e problème des coûts variables au moins, les économies d'échelle que permet
par élève en théorie l'enseignement à distance (Laidlaw
et Layard, 1974).
U n autre facteur qui intervient dans le coût des Il est clair qu'au fur et à mesure que le
systèmes de télé-enseignement est l'importance nombre des cours en face-à-face augmente
des services de soutien offerts aux élèves. Les l'enseignement à distance perd l'une de ses
systèmes les moins coûteux à cet égard sont caractéristiques fondamentales, à savoir l'éloi-
ceux où l'élève est inscrit à u n examen, reçoit gnement physique des enseignants et des appre-
un plan détaillé d u programme et une liste nants. O n aboutit à la limite à une forme
d'ouvrages à consulter, puis se retrouve livré à d'enseignement classique, en salle de classe,
lui-même. C'est le principe d u système de pré- qu'il soit dispensé par des enseignants de pro-
paration extérieure aux diplômes qui a été fession ou par des animateurs semi-qualifiés,
adopté par l'Université de Londres. A l'excep- la seule différence étant que les matériels
tion de ceux qui préparent u n diplôme d'éco- didactiques sont produits par un organe central.
nomie, les étudiants désireux de suivre des D e nombreux programmes fonctionnent ou ont
cours doivent s'inscrire auprès d'une école fonctionné selon ce principe, en particulier
d'enseignement commercial par correspondance dans le primaire et le secondaire (citons le
qui leur fournit desfichesde cours, leur donne Projet d'enseignement radiophonique des m a -
des devoirs à faire, notés et corrigés par u n pro- thématiques du Nicaragua, le College of the Air
fesseur. Lorsqu'il s'estime prêt, l'étudiant s'ins- à Maurice, le projet de télévision éducative
crit lui-même à l'examen. Les frais d'études d'El Salvador, la Telesecundaria mexicaine
sont à sa charge. Toutefois, bien des universités et bien d'autres). Dans ce genre de formule,
nouvelles fondées dans les années 1970 et 1980 le coût par élève se trouve parfois réduit du fait
dans le sillage de l'Université ouverte britan- que le coût supplémentaire que représentent
nique ont mis au point u n système perfectionné la mise au point, la production et la distribution
qui prévoit, outre la fourniture de matériels centralisées des matériels est largement c o m -
pédagogiques, différents services d'appui : orien- pensé par les économies réalisées lorsqu'il n'est
tation et conseils, enseignement par corres-
fait appel qu'à des animateurs semi-qualifiés ;
pondance, enseignement face à face et autres
mais il ne s'agit plus alors de télé-enseignement.
(Rumble et Harry, 1982). L'enseignement et
les services d'orientation représentent tantôt
un coût direct (variable) par élève, tantôt u n Les coûts
coût semi-variable dépendant du nombre d'élè- du programme d'études
ves dont s'occupe chaque tuteur ou conseiller.
Ces services représentent de toute évidence u n
retour aux méthodes à forte intensité de travail L e coût de l'enseignement à distance dépend
qui sont à l'honneur dans l'enseignement tradi- aussi du nombre des cours offerts par l'établis-
tionnel. Plus le coût direct (variable) ou semi- sement. Chaque cours représente u n investis-
variable par élève est élevé, plus le coût de sement en matériels didactiques. L'investisse-
l'enseignement à distance se rapproche de ment total et les coûts de mise à jour augmen-
celui des formes traditionnelles d'éducation. tent avec le nombre des cours, de m ê m e que le
C'est ainsi que le coût variable direct par étu- coût de leur remplacement par de nouvelles
diant de l'un des premiers cours de géo- versions ou des cours totalement différents.
L e nombre des cours offerts dépend dans une
Le régime économique de renseignement de masse à distance IOI

certaine mesure des matières ; il sera plus ou débuts, l'Université ouverte s'était assigné pour
moins grand selon que le programme suppose objectif d'offrir pour la préparation au premier
l'étude approfondie d'une seule matière (cas de diplôme universitaire u n choix de cours cor-
la préparation à u n diplôme spécialisé) ou en respondant à cent onze unités de valeur (cha-
combine plusieurs et qu'il prévoit ou non u n cune représentant entre quatre cent vingt et
éventail de matières à option. quatre cent cinquante heures de travail pour
Les systèmes de télé-enseignement les plus l'étudiant). O n ne tarda pas à s'apercevoir
rationnels sont ceux qui offrent une g a m m e qu'elle ne pourrait pas créer et assurer u n tel
assez restreinte de cours à u n grand nombre nombre de cours avec les ressources disponibles
d'élèves. Tel est le cas du programme de la ou prévisibles, et l'on approuva u n plan moins
Universidad Pedagógica Nacional mexicaine. ambitieux ne prévoyant plus que quatre-
Destiné à assurer la formation en cours d ' e m - vingt-sept unités de valeur. C e plan, légèrement
ploi des enseignants du primaire et du secon- modifié, constitue encore aujourd'hui le pro-
daire, il offre u n choix de cours relativement g r a m m e de base de l'Université pour ce premier
limité par rapport au nombre total d'élèves (qui cycle. Il est entendu que celui-ci est sanctionné
était de soixante mille en 1980), ce qui assure par u n diplôme de caractère général et ne per-
à chaque cours u n effectif important. met pas de spécialisation dans une matière
A mesure que de nouveaux cours seront ajou- particulière. Il a été admis, en outre, que de
tés au programme, le nombre d'élèves par cours nouveaux cours ne pourraient être créés qu'à
diminue dès lors que l'effectif total reste cons- condition d'être peu coûteux ou de s'accompa-
tant ou n'augmente pas proportionnellement gner d'une augmentation du nombre des étu-
au nombre d'options. E n Grande-Bretagne, diants.
par exemple, l'Université ouverte, créée en 1971, L ' u n des moyens d'abaisser les coûts des en-
était dès le départ, censée connaître u n rapide seignements est de dispenser les cours suffisam-
essor. L a première année, elle eut vingt-cinq ment longtemps pour étaler l'amortissement
mille étudiants, répartis entre quatre cours ; des coûts de leur élaboration sur u n plus grand
mais, dès la deuxième année, vu l'augmentation nombre d'années. L'exemple de l'Université
rapide du nombre de ses cours et de son effectif, ouverte est, là encore, éclairant. Il avait été
Laidlaw et Layard (1974) pouvaient prévoir prévu initialement de renouveler les cours
qu'il faudrait justifier la création de cours de tous les quatre ans. Il devint vite évident que
niveau supérieur n'intéressant qu'un nombre l'on ne pourrait à la fois respecter cet objectif et
relativement faible d'étudiants « plus par le fait augmenter le nombre des cours offerts aux étu-
qu'ils sont partie intégrante d'un système conçu diants. L a plupart des cours sont aujourd'hui
pour offrir un plus large accès à des programmes conçus pour durer entre huit et dix ans, avec le
complets de préparation à un diplôme que parce risque que cela suppose de les voir se dévalo-
qu'ils sont u n m o y e n économique d'atteindre riser au fil des ans si leur contenu est dépassé.
cet objectif ». E n 1976, Wagner (1977) pouvait L'Université, il faut lui rendre cette justice, est
indiquer que les économies d'échelle réalisées très consciente de ce problème.
par l'Université l'avaient été dans les premières Les écoles d'enseignement commercial par
années et que, par la suite, lorsqu'elle avait re- correspondance ont résolu ces problèmes en ne
pris le modèle universitaire classique, la pro- proposant que des cours dont les coûts d'élabo-
ductivité n'avait guère progressé. L a principale ration et de production sont relativement modi-
raison en était, selon lui, que les économies ques et en privilégiant ceux qui ne risquent pas
d'échelle découlant de l'augmentation d u n o m - de se démoder rapidement, tout en se gardant
bre des étudiants avaient servi à leur offrir de proposer des cours qui n'intéresseront jamais
davantage de cours. qu'un nombre assez faible d'élèves.
Cette démarche ne se justifiait toutefois que Les nouveaux systèmes utilisant des cours
jusqu'à u n certain point. A l'époque de ses sur vidéocassettes mis en œuvre par des établis-
102 Greville Rumble

sements c o m m e la National Technological U n i - qu'elle comptait vingt et u n mille sept cents


versity aux États-Unis d'Amérique surmontent étudiants (Laidlaw et Layard, 1974) — au
la difficulté d'offrir u n matériel didactique de m o m e n t où nous écrivons, elle a déjà dépassé les
~r pointe dans des domaines où les connaissances trente et u n mille inscrits.
évoluent très vite en enregistrant les cours don- L a plupart des études économiques c o m p a -
nés dans des universités traditionnelles, mais rent les rapports coût-efficience des systèmes
ces bandes vidéo sont loin d'avoir la qualité des d'enseignement à distance et des systèmes tradi-
matériels d'auto-apprentissage adoptés par les tionnels. L'efficience se mesure au coût de la
meilleurs systèmes de télé-enseignement. réalisation d'un produit donné : une entre-
prise A sera plus efficiente qu'une entreprise B
si le coût unitaire de ses produits est moins
Coûts absolus, coûts m o y e n s , élevé. Elle devient d'autant plus efficiente qu'il
efficience et efficacité lui faut moins d'apports pour obtenir un m ê m e
produit. C e n'est pas parce que le coût par
Les nombreux exemples que nous avons cités élève, heure de cours ou diplômé y est faible
montrent combien il est difficile d'apprécier qu'un établissement de télé-enseignement a né-
dans l'absolu le coût de l'enseignement à dis- cessairement atteint son m a x i m u m d'efficience.
tance, mais aussi c o m m e n t les coûts de tel ou Il se peut fort bien qu'en modifiant ses prati-
tel système peuvent être infléchis par des choix ques et en comprimant ses coûts il parvienne à
de gestion. C'est la raison pour laquelle nous améliorer son efficacité interne et à réduire
n'avons évoqué ici qu'assez peu de coûts. ainsi ses coûts unitaires, c o m m e le note M a c e
L e coût d'un système peut être très élevé en (1978) à propos de l'Université ouverte britan-
valeur absolue. E n revanche, il est possible d'en nique.
ramener le coût par élève en deçà de ce qu'il est Dans ce genre de comparaisons, on suppose
dans les systèmes traditionnels d'enseignement généralement que le produit des systèmes de
de m ê m e niveau, sans doute selon le nombre m ê m e niveau d'enseignement est de qualité
des inscrits. A u Venezuela, l'Universidad N a - comparable. C e n'est pas toujours le cas. A u
cional Abierta a vu ses chances d'abaisser ses R o y a u m e - U n i , il est vrai, certaines données de
coûts moyens jusqu'à u n niveau permettant, fait tendent à prouver que les étudiants qui ont
selon l'objectif fixé par les planificateurs, de fait des études d'économie à l'Université Heriot-
réduire le coût annuel de chaque élève et le Watt selon les méthodes traditionnelles et ceux
coût social de chaque diplômé, compromis par qui ont suivi le télé-enseignement de l'Univer-
les taux d'abandon catastrophiques enregistrés sité ouverte en sont effectivement à u n niveau
les premières années (22,6 % à peine des étu- de compréhension analogue (Lumsden et Scott,
diants inscrits en 1978 terminant avec succès le 1982). D ' u n e façon plus générale, m ê m e si,
cours préparatoire) et par la chute des inscrip- c o m m e on l'a écrit, « les planificateurs ne peu-
tions observée entre 1978 et 1981, alors m ê m e vent, jusqu'ici, que se montrer déçus des mai-
que le nombre des cours offerts était en hausse gres résultats de la recherche » (Eicher et al.,
(Siqueira et Lynch, 1986). Avec quelque quatre 1984), les rares indications dont on dispose
mille quatre cents inscriptions par an, l'Univer- donnent à penser que des étudiants motivés
sité Athabasca devait supporter pour chaque tireront profit de n'importe quel type de maté-
élève inscrit à u n cours des coûts comparables riel didactique, pourvu que celui-ci soit utilisé
à ceux qu'affichaient les universités de type avec compétence et adapté à leurs besoins
classique de l'Alberta et, à l'Université ouverte (Eicher et al., 1984 ; Wells, 1976).
britannique, qui pratique u n système à plus
forte intensité de capital, on constatait en 1972
que le coût m o y e n par étudiant était le m ê m e
que dans les universités traditionnelles, alors
Le régime économique de l'enseignement de masse à distance 103

connaître qu'ils doivent prendre en charge le


Qui doit payer ? perfectionnement des adultes et l'éducation
permanente dans des domaines extraprofes-
Pour tout programme d'enseignement à dis- sionnels ou dans des spécialités et professions
tance, il y a u n certain nombre de possibilités où les compétences ne manquent pas. L a ques-
de prise en charge des coûts : en gros, ce sont tion : « Qui paye ? », est donc liée à cette autre
l'État, les organismes d'aide internationaux, question : « Quel est le contenu de l'ensei-
les employeurs et les élèves. gnement ? »
Lorsqu'on cherche à déterminer qui doit Il est certain que les pénuries de spécialistes
couvrir les coûts, on établit parfois une dis- et les besoins de recyclage préoccupent sérieu-
tinction entre les programmes selon qu'ils sement les gros employeurs. Plusieurs grandes
s'adressent aux élèves d'âge scolaire ou aux sociétés dont les effectifs sont dispersés entre
adolescents plus âgés et aux adultes. N o m b r e u x diverses implantations ont créé leurs propres
sont ceux qui estiment que ce n'est pas à l'État programmes de télé-enseignement et de for-
de prendre à sa charge l'éducation des adultes. mation ouverte en cours d'emploi. Chico,
Il y a à cela plusieurs raisons : l'adhésion à u n Université d'État de Californie, a mis sur pied
modèle éducatif privilégiant les premières un système de cours vidéo transmis par satel-
étapes, qui conduit à minimiser l'importance lite et d'enseignement vidéo dirigé à l'intention
de l'éducation des adultes et à considérer par des ingénieurs de Hewlett Packard. Les petites
conséquent que l'État n'a pas à la financer; entreprises, en revanche, n'ont pas les moyens
la conviction que la formation non profes- de financer la création de systèmes de télé-
sionnelle des adultes est avant tout une affaire enseignement.
personnelle, que c'est à l'intéressé qu'elle pro- Quant aux individus, s'ils sont prêts à in-
fite et qu'il doit donc en supporter tous les frais ; vestir certaines ressources personnelles dans le
l'idée que la formation professionnelle doit être perfectionnement de leurs connaissances, ils
à la charge soit d u bénéficiaire, soit de son ne peuvent le faire que dans la limite de leur
employeur; enfin, la crainte de voir l'octroi revenu librement disponible, une fois retran-
de son aide à l'éducation des adultes déboucher chées leurs dépenses d'entretien indispensables
automatiquement sur u n engagement illimité pour eux-mêmes et leur famille. L e volume de
de l'État dans la « formation permanente ». ces disponibilités dépend des niveaux de re-
O n peut toutefois aussi se placer dans une venu individuels, de ce que chacun considère
autre perspective en faisant valoir que l'édu- c o m m e le nécessaire et de son coût. Il importe
cation des adultes n'est nullement u n luxe, que de toute évidence de connaître les disponibilités
l'accélération des changements technologiques de la population cible avant de mettre en place
et sociaux fait que les connaissances acquises un système de télé-enseignement, afin de pou-
durant les premières années d'éducation et de voir déterminer dans quelle mesure les élèves
formation sont rapidement périmées, de sorte auraient les moyens d'acquitter des droits et
qu'il faut investir sans cesse dans le renou- de financer leurs études.
vellement des connaissances et le recyclage D a n s une école d'enseignement par corres-
individuels, et que ce n'est pas seulement à pondance, les droits acquittés par chaque élève
l'intéressé ou à l'employeur de les financer pour chaque cours (¥) doivent nécessairement
(car ils n'ont que des ressources limitées à y couvrir : a) le coût direct (variable, par élève)
consacrer), mais aussi à l'État. de l'enseignement (O) ; b) les coûts directs de
Dans bien des cas, les gouvernements sont présentation des cours (Pu) ; c) les coûts
conscients de la nécessité de recycler des effec- d'élaboration et de production des cours (CS),
tifs nombreux dans des domaines où il y a annualisés selon le nombre d'années pendant
pénurie nationale de personnel qualifié, mais lesquelles ils seront offerts (L) et corrigés d u
ils se montrent beaucoup plus réticents à re- taux d'inflation prévisible de manière à cons-
104 GrevilleRumble

tituer le capital nécessaire pour financer les certain nombre de cours ou, au contraire, ne
cours qui les remplaceront; enfin, d) les servira que pour u n ou deux. Dans la seconde
coûtsfixesde l'entreprise, y compris une pro- hypothèse, ou s'il est clair que les élèves n'ont
vision pour l'amortissement pour des équipe- pas les moyens d'acheter e u x - m ê m e s le maté-
ments (F). L e montant des droits pourra être riel, l'établissement devra sans doute envisager
d'autant plus réduit qu'il y aura davantage de le leur fournir. A u m o m e n t d u choix d u
d'élèves par cours (s') : support, il est très important de comparer le
0 , ?n + (C8/L) + F prix de l'équipement aux ressources des élèves.
¥ = £2 H ; . Il est certain que l'introduction des techno-
S
logies nouvelles peut modifier la structure des
U n e école de cette nature peut aussi chercher coûts de l'enseignement à distance, ainsi que la
à réaliser des bénéfices. participation respective des élèves et de l'éta-
Si les droits versés par les élèves ne suffisent blissement à ces dépenses. L'enseignement à
pas à couvrir la totalité des coûts, l'établis- distance est considéré c o m m e u n m o y e n d'a-
sement aura besoin de subventions de l'État baisser le coût par élève et, partant, d'attirer
ou d'autres sources. Il n'est pas étonnant, dans davantage de m o n d e . Il serait tout à fait para-
ces conditions, que les écoles d'enseignement doxal que l'adoption des nouvelles technologies
commercial par correspondance s'en tiennent de l'information reposant sur l'emploi de l'ordi-
à des cours ne nécessitant pas de constantes nateur et les derniers progrès en matière de télé-
mises à jour et propres à intéresser u n grand communication oblige les élèves à supporter
nombre d'élèves. Il est néanmoins toujours à une part accrue des coûts de leur apprentis-
craindre qu'un programme n'attire pas assez sage ; en effet, plus l'effort financier demandé
d'élèves pour fournir les moyens de renouveler aux élèves sera important, plus il est probable
le stock de cours et le reste d u capital i m m o - que seuls les mieux lotis pourront avoir accès
bilisé dans l'entreprise. D e fait, ce fut une des à l'enseignement à distance sans l'aide de l'État
pierres d'achoppement d u projet britannique ou de leur employeur. Si cette aide fait défaut,
O p e n Tech : une fois terminée la période des l'enseignement à distance fondé sur les tech-
aides de démarrage de l'État, il aurait fallu nologies « de pointe » ne fera que s'ajouter à la
que les cours s'autofinancent, mais ceux qui liste déjà longue des services accessibles seule-
attiraient suffisamment d'étudiants pour cela ment aux détenteurs de revenus disponibles
étaient relativement peu nombreux. suffisamment élevés. Les défavorisés, les chô-
Il y a lieu de mentionner ici u n autre aspect meurs et les travailleurs mal rémunérés devront
des coûts, à savoir ce que coûte aux élèves se contenter des systèmes traditionnels, peu
l'équipement dont ils ont besoin pour leurs coûteux, d'enseignement par correspondance
études. Selon le support choisi par l'établis- (qui utilisent l'imprimé, associé ou non à
sement, il leur faudra avoir accès à des types des cassettes sonores). D a n s les pays d u
de matériels différents. Certains appareils (ré- Tiers M o n d e , cette dernière forme de télé-
cepteurs radio, par exemple) sont déjà d'usage enseignement risque fort d'être la seule à pou-
courant et l'on peut légitimement attendre de voir être offerte, v u ce que coûtent la mise sur
tous les élèves qu'ils utilisent leur poste per- pied et le fonctionnement des systèmes de
sonnel. Pour d'autres (téléviseurs, magnéto- haute technicité.
phones, magnétoscopes, ordinateurs person-
nels), il s'agira de savoir s'ils sont déjà suffi- N o u s avons tenté ici d'expliquer pourquoi, en
samment répandus dans la population ou si vertu de structure de coûts différentes, les
l'on peut raisonnablement penser que le revenu systèmes d'enseignement à distance pouvaient
disponible des élèves leur permettra de les coûter moins cher par élève, par heure de cours
acquérir. L e choix pourra aussi varier selon ou par diplômé, que les systèmes traditionnels.
que l'appareil considéré s'impose pour u n D e plus, l'enseignement à distance peut être
L e régime économique d e renseignement de masse à distance IO5

P E R R A T O N , H . 1982. The cost of distance education. C a m -


d'aussi bonne qualité d u point de vue des
bridge, England, International Extension College.
connaissances acquises. L e point de savoir s'il R U M B L E , G . ; H A R R Y , K . (dir. publ.). 1982. The distance
est véritablement plus économique dépend teaching universities. Londres, C r o o m H e l m , N e w York,
d'un certain nombre de facteurs, notamment le St Martin's Press.
choix d u support, le nombre des domaines SiQUBiRA D E F R E I T A S , K . ; L Y N C H , P. 1986. « Factors affect-
ing student success at the National O p e n University,
abordés et des cours offerts, la capacité de main-
Venezuela ». Distance education, n° 7 , p. 191-200.
tenir les coûts directs variables par élève au- S N O W D E N , B . L . ; D A N I E L , J. S . 1980. « T h e economics and
dessous d u niveau observé dans les systèmes management of small post-secondary distance education
traditionnels et, bien entendu, le nombre des systems ». Distance education, vol. 1, n° I, p . 68-91.
élèves. N o u s avons aussi montré l'importance S P A R K E S , J. 1984. « Pedagogic differences between media ».
Dans : B A T E S , A . W . (dir. publ.). The role of technology
du problème de la source de son financement
in distance education. Londres, C r o o m H e l m .
(doit-il être à la charge de l'apprenant, de l'em- T I M M E R S , S . 1986. « Microcomputers in course develop-
ployeur ou de l'État ?), qui influe à la fois sur ment ». Programmed learning and educational technology,
le contenu de cet enseignement et sur les pos- vol. 23, n° 1, p. 15-23-
sibilités d'y avoir accès, en signalant qu'avec W A G N E R , L . 1975. « Television video-tape systems for off-
campus education: a cost analysis of S U R G E ». Ins-
l'essor des technologies nouvelles il risque fort tructional science, n° 4 , p. 315-332.
d'être de plus en plus coûteux pour les élèves . 1977. « T h e economics of the open university revi-
et par conséquent d'autant moins accessible. sited ». Higher education, n° 6, p. 359-381.
Il est à craindre que les pays d u Tiers M o n d e . 1982. The economics of educational media. Londres,
The Macmillan Press.
ne soient dans l'incapacité de tirer profit des
W E L L S , S. 1976. « Evaluation criteria and the effectiveness
formes de télé-enseignement faisant appel aux of instructional technology in higher education ». Higher
technologies « de pointe » qui sont actuellement education, n° 5, p . 253-275.
mises au point dans les pays industrialisés. •

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university really cost-effective? ». Higher education,
n° 7, p. 295-309.
TENDANCES ET CAS
La décentralisation
de T éducation au Mexique
Carlos Órnelas

Dans le domaine de l'éducation, la plus impor- les déclarations d u Parti révolutionnaire insti-
tante des politiques arrêtées par le gouver- tutionnel (PRI), parti progouvernemental, d u -
nement d u président Miguel D e la Madrid rant la campagne pour les élections présiden-
(1982-1988) se résume en u n m o t : décentra- tielles de 1981-1982 o u dans les principaux
lisation. L a décentralisation d u système na- titres de la presse nationale de l'époque que
tional d'éducation est l'idée maîtresse de l'allo- j'ai parcourus. Pourtant, c'est u n e idée sur
cution prononcée lors de son entrée en fonc- laquelle le candidat à la présidence est revenu
tions, dans laquelle il proposait une stratégie avec insistance à maintes reprises2. Parmi les
de gouvernement concrète pour atteindre des travaux scientifiques publiés à l'époque sur la
buts démocratiques, déclarant notamment : question, on relève les articles de deux éminents
« N o u s œuvrerons dans le sens d'une décentra- chercheurs qui soutiennent que la décentrali-
lisation de la vie nationale [...] Reprenant à sation de la vie nationale est u n pas vers une
m o n compte une exigence nationale, j'ai décidé démocratisation accrue des pratiques politiques.
de promouvoir le transfert aux collectivités O n peut toutefois difficilement voir dans la
locales de l'enseignement préscolaire, primaire, publication de ces deux ouvrages savants l'ex-
secondaire et normal assumé par la Fédération pression d'une exigence nationale3. L a décen-
dans l'ensemble d u pays, ainsi que les res- tralisation de la vie nationale, et, partant, de
sources financières correspondantes [...] L e l'éducation, relève donc manifestement plus
pouvoir fédéral conservera les fonctions de d'une politique de l'État que d'une exigence
direction et d'évaluation qu'il exercera par politique populaire.
l'intermédiaire d u Secrétariat à l'éducation p u - Pourquoi le gouvernement fédéral d u
blique. Les droits d u travail d u corps ensei- Mexique a-t-il pris la décision de décentra-
gnant et son autonomie syndicale seront scru- liser le système national d'éducation, allant
puleusement respectés1. » ainsi à rencontre d'une tendance historique à la
O n chercherait en vain l'expression d'une centralisation ? Aucune réponse satisfaisante
exigence de décentralisation de l'éducation dans à cette question n'ayant encore été avancée, et
une grande partie des propos qu'elle suscite
étant soit n o n pertinents, soit contradictoires,
Carlos Órnelas (Mexique). Professeur en sciences il paraît raisonnable de procéder à une présen-
de l'éducation et de la communication à V Universi- tation systématique des principales interpré-
dad Autónoma Metropolitana-Xochimilco (Mexique). tations politiques qui ont été formulées jusqu'à
Conférencier invité et Fulbright Scholar à la Graduate présent, ce qui nous aidera peut-être à c o m -
School of Education de l'Université Harvard (1986-
prendre les raisons qui poussent le groupe
1987). Spécialiste de sociologie et de politique de l'édu-
cation. A , entre autres, publié, en collaboration avec
dominant à décentraliser l'éducation. Notre
Axel Didriksson, L a retórica de la eficiencia: ensayos objectif, dans le présent article, est de tracer
sobre la planificación de la educación en Mexico les grandes lignes d'une analyse qui permettra
de mettre mieux en lumière les dimensions
(La rhétorique de l'efficacité : essais sur la planification
de l'éducation au Mexique). historiques d u problème.

Perspectives, vol
I. XVIII, n» 1, 1988
Carlos Órnelas
no

Mexique inscrite dans la Constitution. N é a n -


L'hypothèse fédéraliste moins, la plupart des États de la Fédération
continuèrent pendant des années d'appliquer
D a n s leur discours, le président D e la Madrid leur propre politique de l'éducation et, les
et le secrétaire à l'éducation publique, Jesús données historiques en témoignent beaucoup
Reyes Heroles, aujourd'hui décédé, invoquent d'entre eux enregistrèrent une augmentation
surtout le fédéralisme et le droit constitu- des effectifs dans tous les degrés de l'ensei-
tionnel à l'appui de la décentralisation de l'édu- gnement, créant m ê m e des universités p u -
cation. L'hypothèse fédéraliste suppose donc bliques7. L a tendance à la centralisation de
que le groupe dominant entend restaurer l'es- l'éducation, en particulier sur le plan politique,
prit originel de la Constitution. « Décentraliser continua toutefois de se développer à l'époque
la vie nationale », déclare, en mai 1983, le de P « éducation socialiste »8. E n octobre 1934,
secrétaire à l'éducation publique, « signifie ren- la Constitution fut à nouveau amendée.
forcer le modèle d'organisation spécifique d u Objet : donner au Congrès fédéral le pouvoir
système fédéral »*. A travers maintes prises de de légiférer de façon à unifier et à coordonner
position officielles, ce discours affirme donc, l'éducation à l'échelle nationale; doter le
de façon implicite et explicite, que la décentra- gouvernement fédéral de pouvoirs lui per-
lisation de l'éducation et de la vie nationale est mettant de centraliser la politique de l'éduca-
u n progrès sur la voie de la démocratisation de tion et la formulation des programmes sco-
l'environnement politique et social du Mexique 5 . laires9. Ainsi les conditions matérielles et légales
E n fait, la Constitution mexicaine de 1917 permettant cette centralisation étaient-elles
stipule, à l'article 3, que l'enseignement pri- créées. L a décentralisation de l'éducation et
maire au Mexique doit être universel, gratuit des services de santé10 constitue, à en croire
et obligatoire. Par conséquent, cet enseignement le groupe dominant, une initiative révolution-
incombe aux municipalités, alors que l'ensei- naire qui va améliorer les conditions de vie de
gnement secondaire et l'enseignement normal la population11.
relèvent de l'autorité des États, seule l'Uni- D'après Gil Villegas, aucun des grands théo-
versité nationale et u n petit nombre de centres riciens de la politique qui ont écrit sur la d é m o -
de recherche devant être coordonnés par le cratie et la dichotomie entre centralisation et
Département des universités, qui est une décentralisation (Tocqueville, Mill et Weber)
branche d u gouvernement fédéral. n'établit clairement de parallèle entre le fédé-
Toutefois, au début des années 1920, José ralisme, d'une part, et la démocratie et la décen-
Vasconcelos, intellectuel révolutionnaire de tralisation, d'autre part. L'histoire offre des
premier plan et recteur de l'Université natio- exemples d'État antidémocratiques et décen-
nale, lança une campagne pour la création d u tralisés c o m m e d'États démocratiques et cen-
Secrétariat à l'éducation publique ; en effet, tralisés12. E n outre, étant donné le processus
selon lui, ni les États ni les municipalités ne de centralisation de la vie politique, culturelle,
disposaient de ressources suffisantes pour économique et sociale que l'on peut observer
entretenir et développer le système scolaire. au Mexique, il est difficile d'accorder une
Cette campagne porta ses fruits : en 1921, le grande valeur d'explication à l'hypothèse
Secrétariat à l'éducation publique (SEP) était fédéraliste. Il serait pourtant incorrect de la
créé, la Constitution amendée (art. 73 : X X V I I ) rejeter purement et simplement. L e discours
et Vasconcelos devenait le premier secrétaire à politique des dirigeants d u pays a influé sur
l'éducation6. le changement de législation, le transfert de
Il est intéressant de noter que l'on a à tort certaines responsabilités aux gouvernements
qualifié de fédéralisation cette mesure de cen- des États et l'adoption de politiques de l'édu-
tralisation qui affaiblissait dans une certaine cation dans beaucoup d'États. Par conséquent,
mesure l'organisation politique fédéraliste d u ce discours a bel et bien une incidence sur
L a decentralisation de l'éducation au Mexique III

l'organisation politique d u Mexique 1 3 ; il nous commission générale interne d e l'adminis-


faut donc continuer à explorer la question tration et d u budget, le bureau d u vérificateur
plus avant et à chercher d'autres réponses. des comptes, u n coordonnateur général, 31 délé-
gations d'État et près de 60 institutions coor-
données. Cette m ê m e année, enseignants et
L'argument de l'efficacité personnel administratif compris, le S E P c o m p -
tait près de 800000 employés et plus de
L a centralisation, pendant de nombreuses an- 10 000 fonctionnaires et avait sous son contrôle
nées, d u système d'éducation sous l'autorité direct plus de 15 millions d'élèves. Il avait
d u Secrétariat à l'éducation publique (SEP) a également dans ses attributions la conception,
entraîné la concentration d u pouvoir et de la la production et la distribution gratuite de plus
16
prise de décision au niveau de l'administration de 100 millions de manuels par an . E n outre,
centrale. Cela se traduit par une structure il existait (il existe toujours) une commission
politique pyramidale où les décisions politiques décentralisée responsable de la conception et
se prennent au sommet et sont transmises à la de la construction des locaux scolaires à
17
base par l'intermédiaire d'un système insti- l'échelle nationale .
tutionnel complexe et hiérarchisé. Chaque A mesure que progressait le processus histo-
échelon de la hiérarchie jouit d'une parcelle rique de centralisation de l'éducation, la gestion
de pouvoir et a accès à une partie des ressources. d'un appareil bureaucratique atteint d'un tel
L'action d u groupe dominant relève de l'argu- gigantisme devenait problématique. Routine,
ment de l'efficacité dans la mesure où elle vise à luttes pour les ressources, conflits politiques,
redistribuer le pouvoir et, ce faisant, à d é m a n - double emploi, absence de communication ho-
teler graduellement un appareil bureaucratique rizontale, etc., étaient les caractéristiques d u
hypertrophié et pesant. S E P . A u début des années 1970, les initiatives
Malgré les réformes de la Constitution politiques visant à réformer le système d'édu-
de 1921 et 1934, la mise en œuvre d'une poli- cation se heurtèrent à une vive résistance de la
tique de l'éducation à l'échelle nationale ne bureaucratie. Il était également clair que la
s'est pas accomplie d u jour au lendemain. passivité et l'indifférence des personnels de
Il s'est bien plutôt agi d'un processus histo- l'enseignement paralysaient les tentatives de ré-
18
rique marqué par de multiples conflits et formes .
contradictions14. A certaines époques, le S E P Cette centralisation a rendu le système inef-
était plutôt u n organe étatique de régulation ficace. N o n content d'être lent, le fonctionne-
qu'un véritable appareil d'État. E n 1928, par ment d u S E P était coûteux. Les crédits ser-
exemple, soit sept ans après sa création, le vaient à entretenir une structure bureaucratique
S E P ne contrôlait directement qu'environ au lieu de profiter au processus de scolarisation
16
20 % d u système d'éducation, que l'on se réfère lui-même . Il en résultait, selon les plus hautes
au nombre d'établissements scolaires ou à celui autorités d u pays, une baisse de qualité de
20
des élèves inscrits15. E n 1982, la situation avait l'enseignement . C'est donc pour remédier à
radicalement changé : les États et le secteur l'inefficacité de la gestion et de la direction que
privé contrôlaient moins de 20 % d u système l'on entreprit, en 1978, de décentraliser l'appa-
21
national d'éducation, le S E P en administrant reil administratif d u S E P , le premier ensemble
plus de 80 %. de mesures prises en ce sens étant qualifié de
22
E n 1982, année où c o m m e n c e 1' « adminis- déconcentration administrative .
tration » D e la Madrid, le S E P se composait Invoquer l'argument de l'efficacité sous-
de 7 sous-secrétariats (un pour chacun des cinq entend qu'un système décentralisé entraînera
degrés d'enseignement et 2 chargés respec- une rationalisation de la gestion de l'éducation
tivement de la culture et d u sport), 44 directions et de l'affectation des ressources. Souplesse et
générales, 304 directions, six conseils, une efficacité devraient caractériser le fonctionne-
112 Carlos Órnelas

ment futur de l'éducation scolaire, et nombre de et qu'on aurait donc tort de penser qu'elle a
problèmes créés par le gigantisme du S E P trou- beaucoup pesé dans la décision d u groupe do-
vent leur solution à l'échelon des États. Cela minant de décentraliser l'éducation. Rien ne
signifie également que la participation locale permet de penser qu'en cinq ans le système ait
au financement de l'éducation sera améliorée. gagné en efficacité o u l'éducation en qualité.
Les partisans de la décentralisation vont plus Il est donc important, semble-t-il, d'étudier les
loin en postulant que, d u fait m ê m e de sa dé- principaux conflits de pouvoir au sein d u sys-
centralisation, le système d'éducation répondra tème national d'éducation.
mieux aux besoins de la communauté et encou-
ragera par là m ê m e la participation des parents
et des élèves à l'administration des écoles. L e
Les rapports de pouvoir :
but ultime de la décentralisation de l'éducation
est d'améliorer la qualité de l'éducation. Cette
thèse n° i
amélioration, fait-on valoir, sera l'indicateur le
plus solide de l'efficacité d u système d'édu- L a croissance et l'expansion d u S E P et de son
cation23. appareil administratif ont non seulement ren-
Cet argument explique en partie les raisons forcé le pouvoir de l'administration fédérale,
que le groupe dominant peut avoir de décen- mais aussi donné naissance au syndicat national
traliser l'éducation. Il semble raisonnable de des enseignants. D'après des sources historiques
penser que le système sera moins complexe à fiables, le Sindicato Nacional de Trabajadores de
gérer dans la mesure où les unités de petite la Educación ( S N T E — Syndicat national des
taille jouiront d'une certaine autorité. Certaines travailleurs de l'éducation) a été créé en 1943
décisions prises à l'échelon local peuvent se par Jaime Torres Bodet, secrétaire à l'éducation
fonder sur u n e informationfiableet sur une publique. Auparavant, les enseignants et les
compréhension politique de la situation. C e - autres catégories de travailleurs relevant d u
pendant, cela suppose une dispersion d u pou- Secrétariat étaient organisés en une myriade de
voir, une diversification desfilièresen fonction petits syndicats qu'opposaient quantité de con-
des caractéristiques des États et des régions, flits et de rivalités. A u sein de certains de ces
donc, de la part des dirigeants d u S E P , la vo- syndicats, des postes de responsabilité politique,
lonté politique de modifier leurs habitudes et voire de direction, étaient aux mains d u parti
de renoncer à une partie de leur pouvoir. O r , communiste et d'autres courants de gauche, ce
le processus m ê m e de décentralisation de l'édu- qui explique en partie la politique officielle
vation est lui-même centralisé. C'est l'adminis- d'éducation socialiste suivie sous la présidence
tration centrale qui décide quand et dans quelle de Cárdenas (1934-1940)27.
mesure il doit y avoir délégation d'autorité24. L a création du S N T E a eu deux conséquences
Elle contrôle également l'aménagement des politiques. Premièrement, l'absorption d u syn-
programmes scolaires à l'échelle nationale et dicat par le parti progouvernemental a pro-
c'est elle qui élabore et distribue gratuitement gressivement réduit les germes de dissension ;
les manuels scolaires. E n outre, il ne semble pas deuxièmement, elle a permis au S E P d'appli-
que l'on puisse, quatre ans après le début de la quer ses politiques de l'éducation à l'échelle
décentralisation de la politique de l'éducation, nationale. Les salaires, les avantages, les pro-
citer un seul État fédéral auquel la bureaucratie motions et autres questions intéressant les
centrale d u S E P ait entièrement délégué l'ad- enseignants pouvaient dorénavant faire l'objet
ministration de l'éducation28. de négociations centralisées. L e pouvoir d u
Quant à l'amélioration de la qualité de l'édu- Comité directeur national du S N T E s'est ainsi
cation, on peut dire que, dans l'histoire d u trouvé renforcé non seulement par l'apport des
Mexique, elle a généralement été invoquée cotisations des m e m b r e s , mais aussi par sa posi-
c o m m e argument à l'appui de la centralisation28 tion centrale dans les négociations avec le S E P ,
La décentralisation de l'éducation au Mexique II3

qui lui permettait d'aborder pratiquement tout, la citation au début du présent article) et par le
des recrutements aux affectations. Secrétariat à l'éducation publique33, a pour
Souhaitant s'assurer la loyauté d u S N T E , le avantage de faire valoir le loyalisme à l'égard du
Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) lui a parti, de l'État et de l'éducation nationale d u
attribué des postes politiques, y compris des S N T E , qui, quoique de façon ambiguë, s'oppose
sièges de représentants locaux et fédéraux, des à la politique de décentralisation parce qu'il
fonctions dans les conseils municipaux, des prévoit qu'elle amoindrira son pouvoir et m i -
sièges au Sénat national et, surtout, il a offert nera son unité politique.
à certains enseignants la possibilité de faire Bien que très séduisante sous l'angle de
carrière en qualité de fonctionnaires d u S E P 2 8 . l'analyse politique, elle n'est pas entièrement
C'est ainsi que la direction et le fonctionnement satisfaisante. L e S N T E s'est révélé une machine
de certains sous-secrétariats et directions géné- politique efficace en période électorale. Il mobi-
rales étaient assurés par des fonctionnaires qui lise ses m e m b r e s pour organiser des rassemble-
avaient c o m m e n c é leur carrière c o m m e cadres ments et des meetings, des défilés d'élèves et
du S N T E et dont il est raisonnable de supposer des réceptions avec des candidats d u parti of-
qu'ils restaient loyaux à l'égard d u corps ensei- ficiel. Il est difficile de croire que le P R I voudrait
gnant. D e la sorte, des enseignants qui étaient démanteler u n mécanisme politique d'une telle
politiquement du m ê m e bord et œuvraient pour efficacité. E n outre, d'après des analyses con-
la m ê m e cause se retrouvaient de part et d'autre vaincantes, le S N T E a traditionnellement servi
de la table de négociations. Cette pratique était l'appareil d'État en canalisant les revendications
tolérée et m ê m e encouragée par le parti au de la base, en maintenant ses m e m b r e s dans
pouvoir. Il s'agissait d'un pacte corporatiste28. les limitesfixéespar le S E P et en réprimant très
Après bien des conflits internes, au début des souvent la dissidence politique34.
années 1970, le S N T E est finalement passé sous Par conséquent, on peut raisonnablement
la coupe d'un groupe appelé Vanguardia Revo- penser qu'en décentralisant le S E P l'État ne
lucionaria del Magisterio (Avant-garde révolu- cherche pas à démanteler le S N T E , mais à
tionnaire d u corps enseignant), dont la domi- conclure un nouveau pacte corporatiste en vertu
nation s'est exercée au sein d u syndicat, d u duquel le rôle prépondérant reviendra aux
parti, du S E P et d'autres branches de l'appareil pouvoirs publics dans la mesure où le syndicat
d'État, et qui représentait une force avec laquelle des enseignants devra traiter avec autant d ' e m -
il fallait compter 30 . ployeurs qu'il y a d'États dans le pays. Il y a
Tout au long de son histoire, le S E P a entre- donc modification des rapports de pouvoir entre
tenu des relations politiques contradictoires l'État et le S N T E et redistribution d u pouvoir
avec ses employés. Néanmoins, il était parvenu excessif du Comité national entre ses sections.
à u n accord institutionnel en vertu duquel les L a thèse d u S N T E ne peut toutefois être
dirigeants du syndicat pouvaient gravir les éche- entièrement repoussée. Si la décentralisation d u
lons de la hiérarchie du S E P en favorisant leurs système scolaire se poursuit, les relations poli-
propres intérêts corporatifs dans le cadre de la tiques entre l'État et le S N T E subiront des
politique nationale. L e S N T E a, au cours de modifications fondamentales, mais le syndicat
l'histoire, soutenu le processus de centralisation. national ne disparaîtra pas.
Il est l'avocat le plus fervent de la fédéralisation,
par souci d'assurer des conditions de travail
égales aux enseignants dans tout le pays31. Les rapports de pouvoir :
L a décentralisation de l'éducation, s'il faut thèse n° 2
en croire d'éminents représentants du syndicat,
vise à démanteler le S N T E et à dénationaliser L'augmentation des effectifs scolaires et la
l'éducation32. Cette thèse, jusqu'à présent vi- complexité croissante de la concentration d u
goureusement contestée par le président (voir pouvoir au sein du Comité national d u S N T E
114 Carlos Órnelas

ont suscité d'autres conflits de nature politique. son de sa mainmise corporatiste sur les organisa-
A la fin des années 1970 et au début des an- tions d'enseignants. E n outre, tout au moins
nées 1980, époque d u b o o m pétrolier, des res- dans les États de Chiapas et de Oaxaca, il
sources considérables ont été injectées dans le semble que les dirigeants des sections mènent
système d'éducation. L a politique officielle vi- une politique antihégémonique, prennent le
sait à satisfaire 95 % des demandes d'inscrip- contrôle des établissements scolaires et créent
tion. L e m o t d'ordre était : « Éducation pour des organisations politiques de paysans et d'ou-
tous ». Beaucoup d'écoles ont été construites, vriers plus indépendantes. Dans u n climat de
beaucoup d'institutions créées ( m ê m e s'il s'agis- lutte, de répression et de mobilisation, les forces
sait d'institutions centralisées, c o m m e l'Institut contestataires tentent d'affaiblir l'hégémonie du
national d'éducation des adultes), des milliers parti officiel et menacent de prendre le contrôle
de nouveaux maîtres recrutés35. des masses d'enseignants organisées dans le ca-
L'encombrante structure bureaucratique du dre du syndicat3'. Si cela se produit, le P R I
S E P n'était pas prête à réagir à l'incorporation perdra l'un de ses piliers.
rapide de nombreux enseignants. Les dossiers Selon cette thèse, l'État, en décentralisant
avançaient lentement ; les enseignants nouvel- l'éducation, cherche à régler à l'échelon local
lement recrutés n'étaient portés sur les états de un certain nombre de conflits politiques de di-
paie qu'après bien des mois, voire au bout d'un vers types. L'argument est le suivant : dès lors
an ou deux ans ; les enseignants étaient mutés que le système est décentralisé, il doit être
sans raison, sur décision administrative ; les possible de circonscrire la dissidence aux États
fonctionnaires d u S E P ne répondaient pas aux où elle a déjà conquis des positions politiques,
revendications des enseignants qui réclamaient d'éviter que les idées contestataires ne gagnent
des indemnités plus substantielles pour travail- d'autres sections du S N T E et, dans un deuxième
ler en milieu rural, etc. Très vite, les enseignants temps, de concevoir les moyens de récupérer
commencèrent à se plaindre et à protester. L a ces positions pour le P R I . Il apparaît que le
direction nationale et les directions des sec- Groupe révolutionnaire d'avant-garde brûle de
tions, au lieu de prendre la tête de leurs revendi- ce faire et s'y emploie 38 .
cations, s'efforçaient de les contenir et de refou- Les dissidents ne se sont guère manifestés
ler les protestations36. lorsque la décentralisation de l'éducation a été
L e fait que les revendications des enseignants annoncée, alors m ê m e que la campagne prési-
demeuraient sans effet et étaient étouffées par dentielle a coïncidé avec l'apogée de leur m o u -
le S N T E est l'une des causes qui expliquent la vement 39 . Il est raisonnable de supposer, en
croissance, en leur sein, d'un mouvement contes- postulant u n certain réveil d u P R I , que leurs
tataire qui, de 1978 à 1981, s'est peu à peu revendications ont en partie décidé le groupe
affirmé sur le plan politique, protestant, par dominant à décréter que la décentralisation de
exemple, contre le non-versement des salaires, l'éducation améliorerait l'efficacité d u parti et,
mettant en cause la direction d u S N T E et exi- par conséquent, éviterait des conflits sociaux
geant un syndicat plus démocratique. Tant et si importants. D ' u n autre côté, il est difficile de
bien qu'en 1981 des forces indépendantes (se croire que ce mouvement, au demeurant fort
situant dans la mouvance de partis et de groupes important dans la vie politique mexicaine, ait
politiques de gauche) ont, à la suite d'élections pu, à lui seul, exercer une telle influence sur la
démocratiques, pris la tête des sections d u politique nationale.
S N T E dans les États de Chiapas et d'Oaxaca
et fait la démonstration de leur présence poli-
tique en maints autres endroits du pays.
Les forces contestataires mettaient en cause
à la fois le Comité national, en raison de ses
politiques antidémocratiques, et l'État, en rai-
La décentralisation de l'éducation au Mexique US

politique mexicaine. O n aurait cependant tort


Dépendance de penser que cette seule influence est décisive,
et influence internationales car ce serait accorder une importance excessive
à u n type de déterminisme économique qui
L e Mexique, en tant que pays du Tiers M o n d e , obscurcit bien d'autres aspects de la question et
occupe une position de subordination au sein ne tient pas compte des contradictions internes
d u système capitaliste international. L a théorie d u Mexique. Il y a pourtant certainement là une
de la dépendance souligne le rôle hégémonique partie de l'explication.
joué par les pays centraux dans l'élaboration des Si aucune des explications examinées jusqu'à
décisions politiques qui favorisent et reprodui- présent n'offre apparemment de réponse satis-
sent l'ordre économique international40. Cer- faisante, que faire ?
taines tendances qui ont leur origine dans les N o u s avons examiné cinq réponses possibles
pays du centre sont reproduites dans le m o n d e au point (qui est une question de recherche fon-
en développement. Il semble que ce soit le cas damentale) de savoir pourquoi l'État mexicain a
de la décentralisation de l'éducation. décidé de décentraliser le système d'éducation.
Des questions identiques surgissent dans des Bien qu'elles paraissent procéder d'un raison-
pays dont les caractéristiques et les ambitions nement purement empirique fondé sur des posi-
politiques diffèrent, c o m m e le Chili, le Pérou et tions politiques, il est possible de déceler, sous
le Mexique 4 1 , la Papouasie-Nouvelle-Guinée 42 , chacune de ces thèses, une base théorique. L a
les Philippines43, la Tanzanie 44 et m ê m e la R é p u - première s'inspire de ce que l'on pourrait appe-
blique populaire de Chine 46 . L a cinquième ler de façon schématique la théorie constitu-
explication possible de la raison qui a décidé tionnelle républicaine ; la seconde s'inscrit dans
l'État mexicain à décentraliser l'éducation est le contexte général de la théorie de la modernisa-
donc l'existence d'un climat international favo- tion ; la troisième relève clairement des théories
rable à cette tendance48. corporatistes de l'État ; la quatrième procède de
Certains éléments donnent à penser que la l'approche néo-marxiste ; la dernière, enfin, pri-
décentralisation de la politique de l'éducation se vilégie les théories de la dépendance et de l'im-
propage effectivement dans le m o n d e à partir périalisme.
d'un centre : la Banque mondiale. Dans cette D ' u n point de vue positiviste, si une hypo-
optique, la décentralisation de l'éducation se thèse ne tient pas (lorsqu'elle est testée), elle
justifie par la nécessité de trouver, pour l'édu- doit être rejetée. Par conséquent, il n'est pas
cation, des ressources à l'échelon local et de per- du tout exclu qu'aucune explication logique à
mettre aux autorités locales d'élaborer de façon la décentralisation de l'éducation au Mexique
autonome des politiques de l'éducation adaptées ne puisse jamais être trouvée. Cependant, je
aux caractéristiques régionales47. soutiens qu'il est possible d'élaborer des expli-
Cette hypothèse tendrait à laisser supposer cations cohérentes en combinant des éléments
que la dette extérieure d u Mexique, qui est la solides et crédibles empruntés à chacune de ces
deuxième par ordre d'importance pour les pays hypothèses et en les réinterprétant à la lumière
du Tiers M o n d e , a affaibli l'indépendance po- d'une théorie générale. Dans le présent article,
litique de l'État mexicain. Elle implique que, il n'est pas possible d'exposer, fût-ce s o m m a i -
dans u n ensemble complexe de relations inter- rement, cette théorie ; qu'il suffise de dire
nationales, le Mexique accepte de poursuivre la qu'elle n'est pas éclectique, et qu'elle ne se
politique de décentralisation tout en mainte- ramène pas à la s o m m e pure et simple de cer-
nant résolument l'indépendance traditionnelle tains éléments ad hoc parmi ceux qui viennent
de sa politique étrangère. d'être exposés. Il faut élaborer des concepts et
Il est raisonnable de supposer que la Banque des thèmes permettant de prendre en considé-
mondiale et d'autres organisations internatio- ration des motifs aussi différents que les visées
nales exercent une certaine influence sur la fédéralistes, le souci d'efficacité, les relations
Ii6 Carlos Órnelas

politiques et internationales et tels autres as- Street, « Educational decentralization: weak state or
strong state ? », Comparative education review, vol. 30,
pects qui peuvent surgir.
n° 4 , nov. 1986, p . 471-490.
Tous ces éléments s'insèrent dans u n cadre 6. Guadalupe M o n r o y Huitron, Política educativa de la
analytique qui tient compte des conflits et des Revolución (1910-1940), Mexico City, SEPsetentas,
contradictions de la politique de l'éducation au I975J P- 29-31-
Mexique. A u cœur de cette théorie se trouvent 7. Voir Isidro Castillo, México, sus revoluciones sociales y
les concepts de structures profondes et de struc- la educación, Morelia, Gobierno del Estado de Michoa-
can, 1976, vol. Ill, chap. n .
tures superficielles. Entrent dans la catégorie des
8. L a politique d'éducation socialiste (1934-1940) visait
structures profondes les tendances et les c o m - à modifier le rapport de l'éducation à la société, à
portements politiques qui sont difficiles à m o d i - améliorer les conditions de vie des gens et à moder-
fier soit en raison de leur origine historique, soit niser le système scolaire.
parce qu'ils sont profondément enracinés dans 9. Carlos Órnelas, « L a educación técnica y la ideología
la société ; quant aux structures superficielles, de la Revolución mexicana », dans « Graciela Lechuga
(dir. publ.), La ideología educativa de la Revolución
elles découlent des structures profondes, mais mexicana, Mexico, Universidad A u t ó n o m a Metro-
sont plus faciles à réformer. politana-Xochimilco, 1984, p . 51-60.
Ces concepts peuvent aider à fonder la thèse 10. Voir Ulises Beltrán et Santiago Portilla, « El proyecto
selon laquelle l'État mexicain a effectivement de descentralización del gobierno mexicano », dans :
amorcé une tendance à la décentralisation de Blanca Torres (dir. publ.), Descentralización y demo-
cracia en México, Mexico, El Colegio de México, 1986,
l'éducation ( c o m m e d'ailleurs d'autres services p. 91-118; Elena Jeannetti Dávila, « Descentrali-
publics), mais en visant à décentraliser les zación de los servicios de salud », ibid., p . 175-204.
structures peu profondes d u système d'éduca- 11. L'insistance avec laquelle le secrétaire à l'éducation
tion de façon à centraliser les structures pro- Jesús Reyes Heroles soulignait ce point a donné nais-
sance à un véritable discours officiel sur la révolution
fondes. E n d'autres termes, l'État mexicain vise
qui s'opérait dans le domaine de l'éducation. S'agis-
à décentraliser l'appareil administratif et les sait-il ou n o n d'une révolution ? C'est là u n point que
rouages d u système national d'éducation de je ne discuterai pas ici. Qu'il suffise de dire que ce dis-
façon à centraliser le pouvoir de l'État. • cours a imprégné toutes les déclarations publiques et
les décrets officiels. Cependant, je n'analyserai pas
dans le présent article les implications de ces éléments
parce que ce discours sur la révolution dans l'éduca-
tion semble avoir été discrètement abandonné après
Notes la mort de Reyes Heroles.
i. Miguel D e la Madrid, « Protesta de L e y c o m o Presi- 12. Francisco Gil Villegas, « Descentralización y d e m o -
dente de los Estados Unidos Mexicanos ». L e teste cracia: une perspectiva teórica », dans : Blanca Torres,
intégral de l'allocution est paru dans El día d u op. cit., p . 33-67. Gil Villegas conclut que de nos jours,
2 décembre 1982. plutôt que de décentraliser, mieux vaut disperser le
2. Miguel D e la Madrid, Manual síntesis de pensamiento pouvoir de façon à démocratiser la vie politique et
político (Mexico, Partido Revolucionario Institucional, sociale au Mexique, ce qui revient implicitement à
1982). dire que la politique de décentralisation telle que la
3. Alejandra M o r e n o Toscano, « Descentralización: conçoit le groupe dominant au Mexique n'entraîne
México, modelo a desarmar », dans : Hector Aguilar pas nécessairement u n processus de démocratisation.
C a m i n (dir. publ.), El desafío mexicano, Mexico City, 13. E n fait, quelques jours après son entrée en fonctions,
Océano, 1982, p . 165-174 ; Enrique Florescano, le président Miguel D e la Madrid a saisi le Congrès
« Política cultural: inversión del desperdicio », ibid., fédéral d'un projet de loi tendant à amender la Consti-
p. 307-318). tution nationale (art. 115), pour doter les municipalités
4. Jesús Reyes Heroles, Educar para construir una socie- de leurs propres sources de revenus et d'une indé-
dad mejor, Mexico City, Secretaria de Educación pendance politique formelle par rapport aux gouver-
Pública, 1985, p . 74. nements des États. Les amendements ont été approu-
5. Noel M c G i n n et Susan Street soutiennent de façon vés en décembre 1982. Auparavant, l'affectation de
convaincante que la décentralisation de l'éducation ressources aux municipalités dépendait d u b o n vou-
telle qu'elle a été conçue dans beaucoup de pays ne loir politique des gouverneurs des États ; voir Direc-
conduit pas nécessairement à une participation élargie ción de Asuntos Jurídicos, El marco legislativo para el
des gens à la prise de décision, ni à une gestion d é m o - cambio, Mexico, Presidencia de la República, 1983,
cratique et efficace; voir Noel M c G i n n et Susan vol. 3 , p . 10-21.
L a décentralisation d e l'éducation au M e x i q u e II7

14. Les exemples de conflits abondent, depuis celui qui 22. D a n s le droit administratif mexicain, déconcentration
portait sur la politique de distribution gratuite de et décentralisation sont deux choses tout à fait dis-
manuels nationaux, décidée par le président López tinctes. L a décentralisation est la délégation d'auto-
Mateos et contestée par la droite traditionnelle, jus- rité ou de fonctions faite par une institution supérieure
qu'aux nombreux mouvements estudiantins des an- à une institution inférieure, Elle implique également
nées i960 revendiquant l'autonomie universitaire et l'autonomie de décision, tout au moins sur certains
u n gouvernement démocratique. O n trouvera u n e points essentiels. L a déconcentration est une repré-
analyse de ces derniers dans Fernando Solana et al., sentation de l'autorité centrale au niveau des différents
Historia de la educación pública en México, Mexico, États. C'était par exemple le cas des delegados du S E P
Fondo de Cultura Económica, 1981, et d u premier dans les trente et u n États ; voir Gabino Fraga, Dere-
conflit dans Gilberto Guevara Niebla (dir. publ.), La cho administrativo, Mexico, Porrua, 1964, 7 e éd.,
crisis de la educación superior en México, Mexico, P- 134-135-
N u e v a Imagen, 1981 ; Daniel Levy, University and 23. Les sources abondent où l'on peut trouver ce type de
government in Mexico: autonomy in an authoritarian discours ; voir Poder Ejecutivo Federal, Programa
system, N e w York, Praeger, 1980 ; Carlos Órnelas, nacional de educación, cultura, recreación y deporte,
« £1 estado y las fuerzas democráticas », dans : Foro 1984-1988, Mexico, Secretaria de Educación Pública,
universitario, n° 43, juin 1984. 1984 ; voir également Juan Prawda, Teoria y praxis
15. Alejandra M o r e n o Toscano, « Desarrollo regional y de la planeación educativa en México, Mexico, Gri-
descentralización educativa », communication présen- jalbo, 1985, en particulier le chapitre v u , p . 283-291.
tée lors de VEncuentro sobre [la] descentralización de 24. L'article premier d u décret présidentiel d u
la vida educativa, Mexico, Universidad Nacional 20 mars 1984 stipule clairement que toutes les mesures
Autónoma de Mexico, 22 sept. 1983, miméographie. de décentralisation de l'éducation seront conformes
16. Il s'agit de chiffres estimatifs empruntés au Secré- aux directives établies par le gouvernement fédéral et
tariat à l'éducation publique, Estadística básica de aux normes juridiques fixées par le S E P . Diario
sistema educativo mexicano, Mexico, S E P , 1984 j Aso- oficial, n» 74, vol. C C C L X X I I I , 20 mars 1984.
ciación Nacional de Universidades e Instituciones de 25. Cette assertion se fonde sur des observations faites sur
Enseñanza Superior, Anuarios estadísticos (pour les le terrain et de nombreux entretiens avec des fonction-
années 1979-1982), México, A N U I E S , 1980-1983 ; naires d u S E P dans les États de Michoacan, Durango,
Organisation des États américains, Los perfiles educa- N u e v o L e ó n et Aguascalientes de 1984 à 1986 ; voir
tivos de América Latina: perfil educativo [de] México, également le document de travail du S E P « Avance de
198s, Washington, O E A , Programme régional de los servicios coordinados de educación pública », publié
développement de l'éducation, 1986. par la Dirección de A p o y o y Seguimiento, Dirección
General de Concertación para la Descentralización
17. Il est intéressant de noter que personne, à m a connais-
Educativa, Coordinación General para la Descentra-
sance, n'a fait de recherches importantes sur le Comité
lización de la Educación, août 1986. C e document
Administrador del Programa Federal de Construcción
montre clairement que, dans dix des douze États ana-
de Escuelas (CAPFCE), qui fonctionne depuis sa
lysés, le processus de décentralisation ne s'applique
création, dans les années 1950, avec une adminis-
qu'aux questions d'administration.
tration décentralisée.
26. Alberto Arnaud, communication présentée à VEn-
18. Ainsi, semble-t-il, la réforme de l'éducation que tenta
cuentro sobre [la] descentralización de la vida educativa,
de mettre en œuvre le président Luis Echeverría
op. cit., p . 84 ; Gabriel Cámara, « Educación básica y
de 1970 à 1976 ; voir Pablo Latapi, Análisis de un
descentralización », dans : Luis Aguilar et al., Los
sexenio de educación en México: 1970-1976, Mexico,
grandes problemas educativos de México, Mexico, U n i -
N u e v a Imagen, 1980.
versidad Nacional Autónoma de México, 1984, p. 85.
19. O n trouvera une analyse détaillée du processus d'affec-
27. David Raby, Educación y revolución social en México,
tation des ressources dans l'enseignement public au
Mexico, SEPsetentas, 1975, p. 51-64 et 98-107.
Mexique dans Noel M c G i n n , Susan Street et Guil-
28. Castillo, op. cit., vol. Ill, p . 468 et passim.
lermo Orozco, La asignación de recursos económicos a la
29. A m a l a d o Cordova, La clase obrera en la historia de
educación pública en México, Mexico, Fundación Javier
México en una época de crisis: 1929-1934, Mexico,
Barros Sierra, 1983. Cette étude traite également de la
Siglo Veintiuno/Instituto de Investigaciones Sociales
déconcentration de l'éducation, sur laquelle nous
de la U N A M , 1981, p. 234-240 ; Carlos Órnelas, « L a
reviendrons plus loin.
educación técnica y la ideología de la Revolución
20. Voir le discours prononcé le 20 mars 1984 à Tlaxcala
mexicana », dans Graciela Lechuga, op. cit., p . 55.
par le président Miguel D e la Madrid, Excelsior,
30. Susan Street, « Vuelven los maestros chiapanecos »,
21 mars 1984.
México en la cultura, siempre!, n° 1301, 5 mars 1987,
21. Voir le recueil des discours prononcés par le secrétaire p. 40-41.
à l'éducation durant ces années, Fernando Solana, 31. José Angel Pescador et Carlos Torres, Poder político
Tan lejos como llegue la educación, Mexico, Fondo de y educación en México, Mexico, U T E H A , 1985,
Cultura Económica, 1983. p. 27-32.
II8 Carlos Órnelas

32. C e n e question est au cœur de beaucoup de discours 45. Jean C . Robinson, « Decentralization, m o n e y and
prononcés par les dirigeants d u syndicat. O n trouvera power: the case of people-run schools in China »,
une documentation à ce sujet dans Gilberto Guevara Comparative education review, vol. 3 0 , n ° 1, 1986,
Niebla, « L a descentralización d e la educación p ú - p . 73-88 ; C h e n g Kai M i n g , « China's recent edu-
blica », Nueva antropología, vol. V I , n° 2 , juin 1983, cation reform: the beginning of an overhaul », Compa-
p . 5-14, et Noel M c G i n n et Susan Street, « Educa- rative education, vol. 22, n° 3,1986, p . 255-269.
tional decentralization: week state or strong state? », 46. Voir, par exemple, G . Sabir C h e e m a et Dennis R o n -
op. cit., p . 486-487. dinelly (dir. publ.), Decentralization and development:
33. Jesús Reyes Heroles, Reunión con los dirigentes nacio- policy implementation in developing countries, Beverly
nales y seccionales del SNTE, Mexico, Secretaria de Hills, Sage Publications, en collaboration avec le
Educación Pública, 1983, brochure. Centre des Nations Unies pour le développement
34. Olac Fuentes Molinar, Política y educación en México, régional, 1983.
Mexico, N u e v a Imagen, 1983, p . 100-122 ; Carlos 47. Cette thèse est clairement exposée par George Psacha-
Monsiváis, « Muerte, cárcel, h a m b r e , agresiones, ropoulos et al., Financing education in developing
mítines y marchas: los maestros de Chiapas pagan countries: an exploration of policy issues, Washington,
caro el intento de escapar del poder de Jonguitud », Publications de la Banque mondiale, 1986.
Proceso, n° 544, 6 avr. 1987, p . 20-23 ; Susan Street,
« Vuelven los maestros chiapanecos », México en la
cultura, n° 1301, mars 1987.
35. Fernando Solana, Tan lejos como llegue la educación,
op. cit., p . 59-71.
36. Olac Fuentes, Política, ... op. cit. : p . 100 à 145 et
« Educación pública y sociedad » dans Pablo Gonzalez
Casanova et Enrique Florescano (dir. publ.), México
hoy (Mexico: Siglo Veintiuno, 1979).
37. Voir Fuentes, Política y educación en México, op. cit.,
et Street, « Vuelven los maestros chiapanecos »,
México en la cultura, n° 130t, mars 1987.
38. Voir Proceso, n° 5 4 3 , 3 0 mars 1987, p . 31 ; La jornada,
3 avril 1987, p . 7 , qui fournissent quelques exemples
de cet argument. Interview d e M a n u e l Hernández,
dirigeant de la section 7 d u S N T E d u Chiapas, 27 n o -
vembre 1983.
39. M a de la L u z Arriaga, « El magisterio en lucha »,
Cuadernos políticos, n ° 2 7 , 1981, p . 79-101 ; Luis
Hernández Fuentes (dir. publ.), Las luchas magiste-
riales: 1979-1981, Mexico, Macehual, 1981.
40. Cette théorie a été pour la première fois appliquée de
façon systématique au Mexique dans Fernando Car-
m o n a et al., El milagro mexicano, Mexico, Nuestro
T i e m p o , 1 9 7 0 ; pour leur application à l'éducation,
voir Martin Carnoy, Education as cultural imperialism,
N e w York, David M a c K a y , 1974.
41. Noel M c G i n n et Susan Street, « Educational decen-
tralization: week state or strong state? », op. cit., p. 471-
490.
42. M a r k Bray, « Education and decentralisation in less
developing countries: a c o m m e n t and general trends,
issues and problems, with particular reference to
Papua N e w Guinea », Comparative education, vol. 21,
n° 2 1 , 1 9 8 5 , p . 183-195.
43. Juan Banquicio, « T h e decentralization of education
in the Philippines », Harvard Graduate School of
Education, cours miméographié.
44. Joel Samoff, « T h e politics of privatization in Tanza-
nia », communication présentée à la trente et unième
Conférence annuelle de la Comparative and Inter-
national Education Society, Washington, 12 au
15 mars 1987.
Le programme
cf éducation rurale
et d'agriculture ( R E A P )
du Belize
Zellynne Jennings

D e quel type d'éducation a besoin la jeunesse origine dans le Tiers M o n d e et qui a donné de
rurale des pays en développement ? C'est là fort bons résultats : le Programme d'éducation
une question qui fait l'objet de vives contro- rurale et d'agriculture ( R E A P ) au Belize. Nous
verses. D'aucuns sont favorables à u n système verrons quels sont les principaux facteurs qui
unique d'enseignement général uniformément ont contribué à son succès et nous chercherons,
valable pour les jeunes des villes et pour ceux plus précisément, à déterminer dans quelle m e -
des campagnes, tandis que d'autres préconisent, sure le R E A P remplit la mission qu'il s'était
pour la jeunesse rurale, un enseignement axé assignée : susciter une attitude positive à l'égard
sur l'agriculture en faisant valoir que le système de l'agriculture et inciter les jeunes à demeurer
d'enseignement traditionnel s'est révélé inca- dans les régions rurales d u pays pour s'y
pable de répondre convenablement aux besoins consacrer à des travaux agricoles. U n e place
des zones rurales (Coombs, 1973) et qu'un en- particulière sera faite au processus d'évolution
seignement à vocation agricole aiderait à conte- du R E A P , qui devrait fournir d'utiles indica-
nir le vaste mouvement de migration vers les tions en particulier aux planificateurs de l'édu-
villes (Balogh, 1966). cation dans le Tiers M o n d e , étant donné que le
Si certaines tentatives destinées à répondre R E A P est considéré c o m m e u n modèle par des
aux besoins éducatifs des populations d'origine pays d'Amérique latine, d'Afrique et des C a -
rurale, telle l'Université rurale en Colombie raïbes (Massey, 1982). Avant toute chose, ce-
(Barber, 1981), ont été couronnées de succès, pendant, il semble utile de donner u n aperçu
de nombreuses autres ont échoué. C e n'est tou- du Belize et quelques renseignements généraux
tefois pas d'un échec que rend compte le pré- sur son système éducatif.
sent article, mais d'une innovation qui a son

Aperçu du Belize
Zellynne Jennings (Jamaïque) est maître de confé-
D ' u n e superficie de 22 963 k m 2 seulement, le
rences et directrice du Département des études péda-
gogiques à V Université des Antilles. Ses travaux portent
Belize (ancien Honduras britannique) est bordé
principalement sur la réforme et l'évolution des pro- au nord par le Mexique, à l'ouest et au sud par
grammes scolaires dans le Tiers Monde et sur l'inté- le Guatemala, à l'est par la mer des Antilles.
gration d'activités de production dans renseignement. L a population totale n'est que de 152 000 habi-

Perspectives, vol. XVIII, n» 1, 1988


120 Zellynne Jennings

tants environ, ce qui donne une densité de tienne pas grand compte de la diversité cultu-
quelque 6,6 habitants au kilomètre carré. Bien relle des élèves.
que le Belize soit la plus déshéritée des anciennes Le taux d'échec au certificat national d'études
colonies britanniques des Caraïbes, elle est primaires ( B N P E ) , qui ouvre l'accès à l'ensei-
dotée d'une diversitée culturelle que lui envient gnement secondaire, est si élevé que près de la
nombre de ses voisins. L a population bélizienne moitié des élèves du primaire ne peuvent pour-
est composée, à quelque 50 %, de créoles (Afro- suivre leurs études plus avant. Les enfants des
Béliziens), à 25 % environ, de métis (Hispano- campagnes sont particulièrement défavorisés
Amérindiens), de Caraïbes noirs (descendants puisque 40 à 50 % d'entre eux ne vont jamais
d'Africains et d'Indiens caraïbes) et de des- au-delà de la huitième année (Massey, 1982).
cendants des Mayas. Parmi les autres groupes Ceux qui parviennent à entrer dans l'une des
ethniques, on compte des Antillais, des Chinois, vingt-deux écoles secondaires d u pays et à y
des Libanais et un petit nombre de Mennonites achever leurs études se heurtent ensuite au
d'expression allemande. m a n q u e de possibilités d'études supérieures.
L'économie du Belize repose principalement U n collège catholique romain privé délivre,
sur l'industrie sucrière, la culture des agrumes après deux années, u n diplôme combiné en
et la pêche; le tourisme n'y occupe qu'une lettres et en sciences, tandis qu'une antenne de
place accessoire. L a richesse d u Belize réside l'Université des Antilles organise des cours de
cependant dans ses terres. Les terres arables niveau universitaire en liaison avec l'École nor-
représentent 40 % de la superficie totale, mais male d u Belize ( B C E ) . Enfin, le Collège des
ne sont cultivées qu'à 10 % : d'où une dépen- lettres, des sciences et de la technologie d u
dance à l'égard de l'étranger pour les denrées Belize (Belcast) forme des techniciens de dif-
alimentaires, qui grève l'économie nationale. férents niveaux.
L'agriculture de subsistance, la pénurie rela-
tive de services publics, les taux élevés de chô-
mage et de sous-emploi contribuent à alimenter R E A P : le processus d'évolution
un mouvement de migration des campagnes
vers les villes et vers la capitale, Belize City. Le R E A P a été conçu en vue de préparer les
Pour contenir ce mouvement, les pouvoirs pu- enfants des campagnes à mener une vie plus
blics s'efforcent, depuis le début des an- gratifiante et de leur permettre de participer,
nées 1970, d'orienter le système éducatif vers pour le bien de la nation c o m m e dans leur
l'agriculture dans l'espoir de mettre en valeur propre intérêt, au développement de l'agri-
les richesses potentielles du pays. culture, sur laquelle repose l'économie natio-
nale. Les moyens envisagés pour parvenir à ces
objectifs consistaient à élaborer u n nouveau
Le système éducatif du Belize programme scolaire adapté à la vie rurale, à
dispenser aux enseignants une nouvelle forma-
A u Belize, l'enseignement primaire est gratuit tion plus centrée sur le développement rural et
et obligatoire jusqu'à l'âge de quinze ans. A u sur l'intégration des programmes. Par sur-
terme de huit années d'études, l'enfant atteint croît, des fermes scolaires devaient être créées
l'équivalent de la huitième année dans le sys- pour servir de laboratoires extérieurs.
tème américain. L e pays compte deux cent L e R E A P a été mis sur pied par u n groupe
trois écoles primaires, dont 75 % environ sont unique composé de représentants des minis-
situées en milieu rural. Inspiré du modèle édu- tères de l'éducation et des sports, de l'aide so-
catif britannique, le programme scolaire d u ciale et des ressources naturelles (agriculture),
primaire est constitué essentiellement de matiè- d'organisations internationales telles que le
res empruntées au R o y a u m e - U n i et aux États- C A R E (Cooperative American Relief Every-
Unis d'Amérique, ce qui explique qu'il ne where), le Heifer Project International (HPI) et
L e p r o g r a m m e d'éducation rurale et d'agriculture ( R E A P ) d u Belize 121

T A B L E A U I. Principales phases de la mise en œuvre du R E A P (Belize)

Mois Année Analyse de la situation

Septembre 1975 1. Examen par le Comité consultatif du problème de l'école primaire rurale
2. Recherche de solutions

Décision collective
1976 1. Invention du R E A P : conception
2. Signature par le gouvernement d'un accord pour le programme pilote R E A P avec le C A R E ;
le H P I et l'US Peace Corps

Planificationldéveloppementladoptionldiffusion
1. Cours de formation pour les enseignants des écoles pilotes
2. Nomination d u coordonnateur et directeur du R E A P
Septembre 1976 3. Début de la phase pilote
a) Préparation des terrains agricoles par le Ministère de l'agriculture : début de la
construction des O D E C
1977 b) Atelier pour les enseignants
Bulletin d'information du R E A P
c) Début du REAP
d) Retrait de la seule école secondaire participante
e) Atelier destiné à orienter les diplômés d u B C E vers le R E A P
f) Production du premier guide des programmes d'études du R E A P
1978 g) Atelier sur la rédaction des L A P
h) Élaboration de 42 L A P
i) Réunion d u Conseil communautaire du R E A P avec le R H A P - A C
Septembre 1978 j) Mise en œuvre des L A P dans les écoles
1979 * ) Production du guide Récoltons ensemble
l) Les premiers enseignants formés au R E A P sortent du B C E
m) Évaluation préliminaire du R E A P
Juillet 1979 4 . Début de la phase intermédiaire (échelon des districts)
a) Atelier destiné aux enseignants et directeurs des écoles pilotes : élaboration d'autres L A P .
Révision du guide des programmes d'études du R E A P
1980 b) Atelier de démonstration sur l'utilisation de l'équipement scientifique de laboratoire à
l'intention des maîtres des écoles pilotes
1981 c) Évaluation complémentaire du R E A P
d) Décision de créer les conseils de district du R E A P
e) Émission radiophonique » L'expérience R E A P »
f) Inauguration des premières unités de stockage
g) Impression et publication de 103 L A P
1982 h) Création des conseils de district du R E A P
Juillet 1982 Début de la phase nationale
a) Expansion du R E A P
b) Transfert aux organisations nationales de la fonction de soutienfinancierassurée par les
organismes internationaux
Septembre 1984 c) Adhésion d'écoles primaires urbaines
Septembre 1985 d) Institutionnalisation : poursuite de l'expansion du R E A P
122 Zellytme Jennings

T U S Peace Corps. Ce groupe devait constituer liers a permis de former les enseignants à l'uti-
plus tard le Comité consultatif du R E A P lisation du matériel et à la tenue des dossiers.
(REAP-AC). Ils ont également été initiés aux techniques
L e R E A P a été conçu en trois phases (voir agricoles ainsi qu'aux principes d'élaboration
tableau i) et dix ans se sont écoulés avant que des programmes en ce qui concerne, par exem-
le programme ne soit pleinement institution- ple, l'intégration et la définition des objectifs.
nalisé. A u x termes d'un accord entre le gouver- Vingt ateliers semblables ont été organisés au
nement bélizien et les organismes internatio- cours de la deuxième phase (échelon des dis-
naux concernés, ces derniers devaient fournir tricts).
au cours de la phase pilote (juillet 1 9 7 6 - A u cours de certains de ces ateliers ont été
juin 1979) l'essentiel de l'assistance technique élaborés des « dossiers d'apprentissage » (LAP).
et matérielle et de l'appui logistique nécessaire. Il s'agit de plans généraux de leçons de tel ou
A u cours de cette phase, le R E A P a été mis en tel niveau qui indiquent aux enseignants les
œuvre à titre expérimental dans huit écoles objectifs à atteindre dans chacun des domaines
primaires de trois districts (Toledo, Stann d'étude couverts par le R E A P et leur fournis-
Creek et Belize) et dans une école secondaire. sent des suggestions d'activités, les matériels
D e plus, l'École normale du Belize (BCE) a mis pédagogiques requis et des références de lec-
au point u n programme spécial de formation à ture. Ces dossiers portent sur neuf domaines
l'intention des enseignants destinés à exercer d'étude : terre et eau, sols, santé et nutrition,
dans les écoles du R E A P . D e m ê m e , dans chaque écologie, animaux, étude d u village, conditions
école pilote, on a commencé à construire des météorologiques, plantes et pratiques agricoles.
centres éducatifs extérieurs ( O D E C ) , compre- Ce sont ces «filsconducteurs » qui permettent
nant u n nouveau bâtiment, u n potager, des d'intégrer les disciplines classiques : lettres,
champs de culture, des clapiers, etc., en vue de mathématiques, études sociales, sciences, arts
la mise en application pratique, dans u n cadre et religion.
agricole, des connaissances acquises par les Diverses stratégies ont été utilisées pour dif-
élèves. Des unités de stockage se sont par la fuser l'information relative au R E A P , à l'inten-
suite substituées à ces O D E C . U n certain tion tant des enseignants et des directeurs (en
nombre de ces unités ont été construites au complément des ateliers) que du grand public.
cours de l'année scolaire 1981-1982. L e H P I a C'est ainsi que la diffusion d'un bulletin d'in-
fourni à prix coûtant des mangeoires, des gril- formation a débuté en 1977 et que, la m ê m e
lages, des poussins, des lapereaux et une partie année, une émission radiophonique bihebdo-
des produits alimentaires. Les volontaires du madaire a commencé à être diffusée. S'y est
Peace Corps ont assuré à la fois l'appui techni- ajoutée, en 1981, une autre émission hebdo-
que et la coordination des écoles pilotes ainsi madaire de cinquante minutes intitulée « L'ex-
que des enseignements dans le cadre d u pro- périence R E A P ». L a promotion du R E A P a
g r a m m e B C E / R E A P . L e C A R E a fourni les également été assurée au moyen de la présen-
outils, l'équipement, certaines fournitures agri- tation de diapositives dans les associations
coles, assuré une partie des transports et ap- d'action sociale et les cercles communautaires.
porté une assistance financière pour la cons- U n manuel agricole du R E A P , Récoltons en-
truction des O D E C . L e Ministère bélizien de semble, a été publié en 1979. O n y trouve les
l'éducation a eu la charge de former les ensei- rudiments des techniques de culture des légu-
gnants et les directeurs des écoles pilotes et de mes et d'élevage des poulets et des lapins en
fournir u n fonctionnaire dont le rôle était de région tropicale.
gérer le projet. L a formation a été dispensée, La deuxième phase a eu pour principal objet
en grande partie, dans le cadre d'ateliers dont d'étendre le R E A P aux trois autres districts du
la durée a varié de deux jours à deux semaines. Belize (Corozal, Orange Walk et Cayo) et de
D e juillet 1976 à février 1979, une dizaine d'ate- transférer progressivement aux ministères, aux
Le programme d'éducation rurale et d'agriculture ( R E A P ) du Belize 123

responsables de district, aux groupes c o m m u - classique des autres écoles, renforcent par consé-
nautaires et aux organismes d'action sociale la quent une attitude à l'égard de la terre qui
responsabilité de la plus grande partie de l'assis- existe déjà et qui découle de l'expérience sociale
tance technique et matérielle et d u support et économique d u paysan bélizien. Cette m ê m e
logistique assurés jusque-là par les organismes attitude se retrouve dans la façon dont les ensei-
étrangers. A u terme de la dernière phase (ni- gnants des écoles du R E A P jugent le programme
veau national), le R E A P devait avoir été étendu qui, selon eux, « donne aux élèves une meilleure
aux deux tiers environ de l'enseignement pri- idée de l'agriculture », « leur permet de devenir
maire rural, en incorporant les écoles urbaines leurs propres patrons » et « aide les familles à
dans la mesure du possible. C e sont les conseils améliorer leur alimentation ». Ces enseignants
de district pour le R E A P qui ont assumé la estimaient que le programme d'agriculture
plus lourde partie de la tâche. Ces conseils, devrait être sanctionné par u n examen officiel ;
présents dans chacun des six districts, sont pour leurs collègues ne participant pas au
composés des directeurs de toutes les écoles R E A P , ce n'était pas nécessaire, étant donné
R E A P d u district, des responsables locaux de que l'agriculture ne constituait pas u n domaine
l'éducation et de l'agriculture, des directeurs d'étude aussi important que les matières clas-
des écoles religieuses locales, ainsi que de repré- siques. Les uns et les autres convenaient de « la
sentants des parents, des ministères et des dignité qui s'attache au travail manuel », mais
organisations sociales. Ils ont pour principales les enseignants extérieurs au programme R E A P
fonctions de faciliter la mise en place et l'exé- soulignaient plutôt les aspects négatifs d u pro-
cution d u R E A P , d'élaborer des politiques et g r a m m e qu'ils avaient constatés, à savoir, par
de concevoir des stratégies propres à assurer exemple, que « les parents se plaignent que
la mise en œuvre satisfaisante d u R E A P dans leurs enfants se salissent » et que le choix des
le cadre d u district, de donner des avis au possibilités d'emploi s'offrant aux diplômés d u
REAP-AC. R E A P n'était pas très grand. Les enseignants
du R E A P , en revanche, mettaient l'accent sur
les résultats positifs d u programme, c o m m e le
Impact du programme REAP fait qu'en produisant pour son propre compte
l'enfant acquérait le sentiment de sa dignité.
ATTITUDES A L'ÉGARD E n dépit de la taille réduite de l'échantillon
DE L'AGRICULTURE utilisé, E d m o n d a établi que 80 % des diplômés
ET EFFET SUR L'EXODE RURAL des écoles d u R E A P étaient restés en milieu
rural pour y exercer une activité agricole. L ' u n
U n e étude effectuée par E d m o n d en 1985 a de ces étudiants, une fois obtenu son diplôme
montré que, de façon générale, enseignants et de fin d'études secondaires, était retourné dans
élèves, tant des écoles d u R E A P que des autres une école d u R E A P pour y enseigner. Pour ces
établissements d'enseignement, témoignaient diplômés, la fréquentation d'une école R E A P
d'une attitude positive à l'égard de l'agriculture. s'était essentiellement traduite par u n gain de
Contrairement à ce qui se passe dans un certain connaissances : ils avaient beaucoup appris,
nombre de territoires des Caraïbes, les Béli- ont-ils déclaré, sur la façon de cultiver les
ziens n'ont jamais considéré le travail de la terre plantes, les céréales et de soigner les animaux ;
c o m m e dégradant. E n fait, dans les campagnes mais ils en avaient aussi tiré des avantages éco-
du Belize, le milpa, ou petite exploitation agri- nomiques et sociaux c o m m e en témoignent des
cole de subsistance, apparaît encore c o m m e commentaires d u genre : « Je fais maintenant
un moyen de s'assurer des revenus stables ; pousser mes propres légumes que je consomme
il est en effet difficile d'y exercer une autre et que je vends », et : « J'ai appris à devenu-
activité professionnelle. Les programmes R E A P , un meilleur citoyen ».
de m ê m e d'ailleurs que les programmes de type
124 Zellynne Jennings

quée plus haut que les conclusions de l'évalua-


LES POINTS FAIBLES teur selon lesquelles les élèves des écoles d u
R E A P obtiennent d'aussi bons résultats que
Les élèves des écoles d u R E A P c o m m e ceux ceux des autres établissements au certificat
des autres établissements ont, dans l'ensemble, d'études primaires donnent à penser que, jus-
estimé que le programme d'agriculture était qu'ici, le R E A P a rempli un rôle principalement
compatible, en particulier, avec les valeurs édu- pédagogique. Étant donné qu'il n'a rien perdu
catives et sociales auxquelles ils étaient attachés, de sa vigueur dix ans après sa création, il est
mais ils en ont aussi signalé certains inconvé- intéressant de se pencher sur certains des fac-
nients. Par exemple, dans les écoles d u R E A P , teurs clés qui ont contribué aux résultats enre-
les élèves se sont plaints de la trop grande im- gistrés à ce jour.
portance accordée à la culture potagère au détri-
ment des disciplines classiques.
Sur le plan social aussi, des difficultés se sont LA PLANIFICATION
fait jour : ainsi la réticence de certains à parti-
ciper aux tâches agricoles. Les conditions maté- M c G i n n et al. (1979) soutiennent que la plani-
rielles du travail dans les jardins scolaires posent fication a joué u n rôle central dans le succès
de graves problèmes. Les élèves ne disposent des réformes de l'enseignement qui ont été
pas des vêtements requis pour le travail de la appliquées au Chili et en El Salvador dans les
terre. Les outils et le matériel sont rares et années i960, mais que cette planification n'était
souvent très primitifs. Dans les écoles rurales, pas conforme au modèle « rationaliste » généra-
les installations sanitaires sont insuffisantes : lement exigé par les organismes d'aide inter-
d'où l'inconfort des élèves qui doivent retourner nationaux. U n exemple typique de cette appro-
en classe après avoir travaillé au potager. Les che « rationaliste » d u changement éducatif est
élèves sont également préoccupés par leur le modèle de recherche-développement et dif-
sécurité personnelle, car, en cas de blessure, ils fusion ( R - D et D ) . Dans la version de Clark
ne peuvent compter que sur des premiers et G u b a (1969), la première étape est celle de la
secours extrêmement limités. L e vol de produits recherche ou de l'étude d u problème; son
agricoles sur pied constitue u n autre problème principal objet est de déterminer l'état d'avan-
pressant qui, en s'ajoutant à tout le reste, cement des connaissances dans le domaine en
démotive certains élèves. question et la façon dont ces connaissances peu-
vent être appliquées au produit que l'on souhaite
mettre au point. U n e solution d u problème
LES RAISONS DU SUCCÈS est alors inventée et élaborée au cours de la
phase de développement. L'innovation est por-
tée à la connaissance des praticiens lors de la
E n dépit de ses imperfections, le R E A P a
phase de diffusion, puis elle est officiellement
obtenu de bons résultats et, c o m m e le dit I'éva-
introduite dans le système éducatif au cours
luateur, « le programme R E A P constitue u n
de la phase d'adoption après avoir subi une
modèle unique en ce qu'il peut devenir u n
phase d'essai. L e modèle R - D et D suppose
moteur authentique d u développement socio-
qu'il y ait une longue phase de planification
économique d u Belize et donner aux jeunes
à grande échelle. L e tableau 1 indique la façon
davantage d'outils et de choix pour forger leur
dont le R E A P a été effectivement mis en œuvre.
propre avenir » (Massey, 1982, p. 44). D u point
L'évaluateur d u programme constate qu' « au
de vue de la contribution à l'économie, on
lieu d'une longue phase de conceptualisation,
constate que la mise en œuvre d u R E A P a
de mise au point et d'essai sur le terrain, qui
entraîné une certaine augmentation de la pro-
précède normalement un projet de cette nature,
duction alimentaire locale (Massey, ibid.). C e -
il a été décidé de procéder directement, et de
pendant, aussi bien les résultats de l'étude évo-
Le programme d'éducation rurale et d'agriculture (REAP) du Belize 125

manière simultanée, à la planification, au déve- blèmes rencontrés par les établissements parti-
loppement, à la mise en œuvre et à l'évaluation cipants variaient en fonction des circonstances
du R E A P » (Massey, 1982, p. 44). particulières à chacun de ces districts. D ' o ù la
Le tableau 1 montre également que le point décision de créer des conseils de district pour
de départ du processus a été non pas une le R E A P , chargés chacun tout spécialement des
recherche, mais un débat sur les problèmes établissements relevant de leur juridiction. L e
rencontrés par les élèves des écoles primaires bon fonctionnement de ces conseils de district
rurales, débat auquel a procédé un comité ad s'est révélé c o m m e un facteur clé de l'améliora-
hoc (le R E A P - A C ) . L e fait qu'il n'y ait pas eu tion de la politique de formation agricole du
de recherche préalable n'est pas exceptionnel : REAP.
ailleurs dans les Caraïbes (Jennings-Wray, 1985) Enfin, il faut noter le recours aux médias
et dans le cas du Chili et d'El Salvador, M c G i n n pour promouvoir le R E A P , car il a contribué
et ses collaborateurs remarquent que « la d'une manière notable à développer, chez les
réforme a été entreprise sur la base d'un juge- usagers, des attitudes positives qui ont été
ment éclairé, mais en l'absence de recherches observées à plusieurs reprises (Massey, 1982 ;
approfondies » (p. 223). Il convient de noter, E d m o n d , 1985).
en outre, que les recherches prennent du temps
et que, dans les entreprises de réforme à moti-
vation politique c o m m e le R E A P , la rapidité L'APPUI DES POUVOIRS PUBLICS
est essentielle, étant donné que les politiciens
veulent couvrir le plus de terrain possible avant Les pays du Tiers Monde qui ont obtenu de
les prochaines élections. Il faut toutefois garder bons résultats dans la mise en œuvre de pro-
à l'esprit que l'une des raisons pour lesquelles grammes destinés à relier l'éducation au m o n d e
les réformes se soldent souvent par u n échec du travail sont généralement ceux dans lesquels
est que leurs artisans tentent d'obtenir des résul- cet effort en matière d'éducation fait partie
tats d'envergure dans des délais très peu réa- intégrante de l'idéologie politique du gouver-
listes, de l'ordre d'un an ou deux, voire moins. nement. Cuba et la Tanzanie sont des exemples
U n e période de cinq à dix ans est considérée typiques à cet égard ; le Belize en est un autre.
c o m m e raisonnable pour qu'une innovation E n effet, le R E A P a reçu le ferme appui idéolo-
puisse produire des effets notables (Charters gique des pouvoirs publics, plus précisément
et al., 1972). Il semble, à la lecture du tableau 1, du Parti uni du peuple (PUP), qui était au
que les promoteurs du R E A P se soient donné pouvoir au moment où il a été mis en chantier.
un délai raisonnable pour procéder à une plani- L'intégration des études avec le m o n d e du tra-
fication à grande échelle. vail était l'un des éléments de l'idéologie socia-
Le fait d'avoir prévu une phase d'essai cons- liste du P U P et le R E A P disposait, en la per-
titue l'un des points forts du programme sonne du ministre de l'éducation de l'époque,
R E A P ; en effet, c'est sur la base des indications d'un partisan de poids qui sut lui donner une
fournies par les enseignants de l'école pilote impulsion décisive, laquelle explique en grande
et en réponse à leurs besoins qu'a été mis au partie que le programme ait p u être poursuivi
point le guide intitulé Let's R E A P together jusqu'à ce jour. L e Tiers M o n d e offre d'autres
(Récoltons ensemble). L'évaluation, si elle est exemples qui témoignent de ce que ce type de
intégrée de façon efficace à la phase pilote d'un soutien est indispensable au succès de la réforme
programme, peut fournir aux responsables des de l'éducation (McGinn et al., 1979 ; Armstrong,
éléments extrêmement utiles pour la prise des 1984). L e R E A P a cessé de bénéficier de ce
décisions ultérieures. Tel a, de toute évidence, soutien lorsque le P U P , au pouvoir depuis plus
été le cas pour le programme R E A P . L'évalua- de trente ans, a perdu les élections de décem-
tion a ainsi mis en lumière le fait que, lors de bre 1984. L'année précédente, lorsque l'on tenta
l'extension du R E A P aux districts, les pro- d'introduire la réforme dans les zones urbaines,
126 Zellynne Jennings

la signification d u sigle R E A P a été modifiée s'est depuis longtemps imposé à l'évidence, mais
pour devenir : « Éducation pertinente pour ni les pouvoirs publics nationaux ni les orga-
l'agriculture et la production ». L'avenir dira nismes internationaux n'ont les moyens d'ap-
quel sera le destin à long terme d u R E A P sous porter à ces jeunes ce type d'assistance. A moins
le nouveau gouvernement. que les écoles participantes puisse subvenir u n
jour à leurs propres besoins ou que d'autres
sources de financement soient trouvées, le pro-
FINANCEMENT : L'ASSISTANCE g r a m m e R E A P se heurtera, dans l'avenir, à
DES ORGANISMES INTERNATIONAUX de graves difficultés.

Fruit d'une collaboration entre le gouverne-


ment d u Belize et des organismes d'aide inter- LA PARTICIPATION DES ENSEIGNANTS
nationaux, le R E A P doit son succès au fait que
ceux-ci ont p u fournir l'assistance financière Les responsables d u R E A P ont encouragé les
et technique que les pouvoirs publics n'avaient enseignants à participer d'emblée au processus
pas les moyens d'apporter. Hurst (1983) nous de réforme en partant d u principe que leur
rappelle que de nombreux projets ont connu adhésion à ce processus et leur moral s'en trou-
des difficultés et n'ont pas donné les résultats veraient renforcés, que l'innovation serait mieux
escomptés parce que les bénéficiaires de l'aide comprise et se heurterait à une résistance ini-
ne pouvaient pas faire face aux dépenses de fonc- tiale moindre, autant de facteurs propres à faci-
tionnement. L e financement des écoles d u liter, semble-t-il, la réussite d'une entreprise
R E A P est devenu u n problème aigu dès 1982, de ce genre (Fullan, 1982).
date à laquelle des organisations nationales ont Il est tout à fait vraisemblable que la partici-
pris le relais des organismes d'aide interna- pation des maîtres des écoles pilotes d u R E A P
tionaux. Massey (1982) signale que certains à l'élaboration des « dossiers d'apprentissage »
établissements éprouvent des difficultés à se (LAP) ait contribué à l'attitude positive qui, à
procurer les produits alimentaires, les poussins, ce jour, est la leur à l'égard des activités agri-
les lapins et les outils agricoles. Théorique- coles. Cependant, la mise en œuvre se heurte
ment, chaque école est censée subvenir à ses incontestablement à certains problèmes, au
besoins grâce à la vente de sa production, mais nombre desquels figure le m a n q u e de clarté
cet objectif n'est pas encore atteint. Pour l'ins- dans la définition, notamment des modalités de
tant, de nombreux établissements d u R E A P cette mise en œuvre. Les enseignants ont du mal
doivent compter sur u n prêt renouvelable d u à articuler en u n tout cohérent les travaux pota-
Heifer Project International pour assurer la gers, l'utilisation des L A P et l'étude des matières
survie de leurs projets agricoles. classiques qu'ils ont l'habitude d'enseigner.
C'est souvent l'aide internationale et la coopé- D'après le Comité consultatif, chaque élève
ration technique qui décident d u sort des inno- devrait consacrer chaque année cinquante heures
vations dans les pays d u Tiers M o n d e . L e à des travaux agricoles supervisés. Massey a
succès des réformes de l'éducation en A m é - établi que la plupart des établissements dépas-
rique latine dans les années i960 s'explique saient cette norme, mais qu'ils n'utilisaient
principalement par le fait que les pays concernés guère les L A P , où l'on trouve pourtant l'essen-
« ont p u bénéficier de ressources financières tiel des connaissances et des techniques indis-
et humaines d'une importance exceptionnelle pensables à la formation agricole. A u cours de
grâce à l'assistance technique internationale » l'année scolaire 1981-1982, par exemple, seize
( M c G i n n et al., op. cit., p . 222). L e fait que établissements se sont servis effectivement des
les diplômés des écoles d u R E A P ont besoin L A P , mais en en utilisant, selon les cas, d ' u n
d'une assistance financière et matérielle pour à vingt-neuf sur u n total de cent trois dispo-
mettre sur pied leurs propres projets agricoles nibles. L a raison de ce sous-emploi tient en
Le programme d'éducation rurale et d'agriculture (REAP) du Belize 127

partie aux lacunes des L A P eux-mêmes, dont (Thompson, 1982). C e manque de préparation
la qualité laisse tellement à désirer que le C o - s'explique, dans une large mesure, par des
mité consultatif a dû recourir, de temps à autre, difficultés rencontrées pour obtenir la nomi-
au concours de spécialistes. L a mise au point nation d'un professeur bélizien chargé d'en-
d'un L A P est une entreprise dont on a grossiè- seigner le programme R E A P à l'École normale.
rement sous-estimé la difficulté. L'intégration
de domaines d'étude traités jusque-là d'un point
de vue purement académique avec la théorie et LE PROBLÈME DE L'INNOVATION
la pratique de l'agriculture est une tâche qui DANS UN SYSTÈME ÉDUCATIF
requiert la collaboration de spécialistes de la DUALISTE
plus haute compétence dans chaque discipline
et de maîtres en exercice. L'insuffisance des Les pays en développement ont été critiqués
crédits nécessaires pour s'assurer le concours pour leur dépendance vis-à-vis de modèles
de tels spécialistes pourrait bien faire obstacle éducatifs empruntés au m o n d e développé,
à la mise en œuvre d'un programme de forma- dépendance qui les expose à une puissante
tion agricole efficace. forme d' « impérialisme culturel » (Carnoy,
1974). L e Belize ne fait pas exception à la règle.
C'est ainsi que le programme de la plupart
Menaces sur l'avenir du R E A P des écoles secondaires est calqué sur le modèle
des États-Unis d'Amérique. Les jésuites a m é -
FORMATION DES ENSEIGNANTS ricains exercent, en fait, une influence consi-
dérable sur l'enseignement secondaire au B e -
Cette mise en œuvre n'est par ailleurs pos- lize, due à la conviction profonde que le con-
sible que si les enseignants bénéficient d'une trôle de l'Église est indispensable à u n système
formation adéquate. La plupart des maîtres des éducatif de qualité. Les partis politiques locaux
écoles primaires rurales (64 % environ) n'étant ne sont pas favorables à ce que l'enseignement
nullement préparés à cette tâche, on ne peut relève exclusivement de l'État. E n fait, les pou-
s'attendre à ce qu'ils sachent comment fusion- voirs publics ont pour politique non pas de
ner les L A P avec les plans d'études classiques prendre eux-mêmes u n m a x i m u m d'initiatives,
imposés par les responsables de l'éducation mais « d'appuyer et d'encourager le progrès de
au niveau du distria. U n atelier de deux se- l'éducation dans le cadre des plans conçus et
maines pourrait suppléer à une véritable for- mis en œuvre par les institutions privées »
mation en vue de la mise en œuvre d u R E A P , (Grant, 1976, p . 303). C e système dualiste
laquelle, selon Fullan (1982), devrait associer permet aux ordres religieux d'appliquer leurs
des activités spécifiques de formation péda- propres programmes sans guère tenir compte
gogique, la fourniture d'une assistance et d'un des objectifs socioéconomiques fixés par le
soutien continus pendant toute la durée de la gouvernement. Cette situation a été dénoncée,
mise en œuvre, et l'organisation de réunions car elle a notamment conduit à une situation où,
régulières avec des collègues et d'autres per- « bien que l'agriculture soit la clé d u dévelop-
sonnes. L'étude du programme R E A P est pement économique du pays, c'est seulement
obligatoire pour tous les élèves de l'École ces dernières années que les sciences se sont vu
normale d u Belize (BCE) au cours de la pre- accorder plus de place dans les programmes
mière année, mais elle devient facultative la scolaires que le latin et l'étude de la Bible »
seconde année. U n e étude effectuée auprès des (Grant, 1976, p. 301). Le fait que le programme
diplômés de la B C E a montré que les ensei- R E A P soit dépourvu de prolongement cohé-
gnants des écoles du R E A P n'étaient pas mieux rent dans l'enseignement supérieur ne joue pas
préparés à la mise en œuvre du programme en sa faveur. C o m m e King (1985) le fait ob-
intégré que leurs homologues des autres écoles server, les programmes de cette nature « ne
128 Zellynne Jennings

jouissent pas d u m ê m e statut que des cours train de faire en axant l'enseignement sur
susceptibles d'être suivis tout au long des l'agriculture au niveau le plus bas d u système
études secondaires, universitaires et univer- scolaire, cependant qu'il favorise u n modèle
sitaires supérieures » (p. 4). A noter que la seule académique de type occidental au niveau
école secondaire qui ait participé à la phase supérieur ?
pilote d u R E A P s'en est retirée u n an après,
essentiellement en raison de l'incompatibilité
du programme agricole avec le programme ABSENCE DE STRATÉGIES
scolaire traditionnel. King (1985) note égale- GÉNÉRATRICES D'EMPLOI
ment que, m ê m e dans les pays où les élèves d u
primaire sont activement encouragés à fournir Si, d'après les conclusions de l'étude d ' E d m o n d ,
un travail agricole productif et à en tirer fierté, la plupart des diplômés d u R E A P sont restés
l'examen national defind'études primaires ne en milieu rural, il apparaît nettement que les
fait pas appel aux connaissances agricoles qu'ils compétences de ces jeunes n'ont pas été pleine-
ont acquises. C'est le cas d u certificat national ment utilisées. L a tâche la plus intéressante qui
d'études primaires ( B N P E ) , dont les épreuves ait été confiée à certains consistait à soigner les
portent sur les mathématiques, les lettres, les arbres d'une exploitation d'agrumes. D'autres
sciences et les études sociales. L e message qui avaient accepté tout ce qui se présentait, depuis
est ainsi très subtilement transmis à ces jeunes des travaux artisanaux jusqu'à la garde d'en-
ruraux est donc que l'acquisition d'un savoir- fants. E d m o n d a établi que tous les diplômés
faire agricole n'est, en définitive, pas tellement du R E A P qui avaient émigré à Belize City
importante puisque la sélection pour l'accès l'avaient fait pour des raisons liées aux possi-
au secondaire repose sur les connaissances de bilités d'emploi. N i le gouvernement d u Belize
type classique. ni les organismes d'aide internationaux ne
C e qui est évident, c'est que les programmes peuvent actuellement fournir aux jeunes ruraux
éducatifs axés sur l'agriculture et visant, à diplômés des écoles d u R E A P le type d'assis-
long terme, à doter les élèves des aptitudes tance dont ils ont besoin pour monter leur
qui leur permettront d'apporter une contri- propre entreprise agricole génératrice de re-
bution significative à l'essor de l'agriculture venus. L e Belize se trouve cependant confronté
du pays ne peuvent être couronnés de succès à u n problème peut-être beaucoup plus grave
que s'ils sont mis en œuvre à tous les niveaux encore, à savoir que « la ressource première d u
de l'enseignement national. Cuba et la Tanzanie pays, la terre, demeure aux mains de grandes
constituent de bons exemples à cet égard. sociétés étrangères qui laissent une grande
partie de ces biens en friche et qui transforment
E n Inde, en revanche, le dualisme d u système
les Béliziens en ouvriers agricoles indépendants
éducatif a fait échouer le programme d'édu-
sur les terres restantes » (Bolland, 1977, p. 8).
cation rurale (Sinclair, 1977), tandis qu'au
O n ne peut guère attendre des diplômés d u
Burkina Faso, en dépit d u succès remporté
R E A P qu'ils apportent une contribution signi-
par les centres d'éducation rurale, les paysans
ficative au développement agricole d u Belize
ont préféré envoyer leurs enfants à l'école
si une aussi grande partie des terres d u pays
primaire de type classique, tout en sachant que
appartient à des étrangers qui n'ont aucun
leurs chances de réussite y étaient minimes intérêt à leur mise en valeur.
(Colclough et Hallak, 1975).
L e Belize se targue de ne pas chercher à
« créer au m o y e n de l'enseignement supérieur
une classe privilégiée d'élites qui perpétueront Conclusions
les injustices sociales d u colonialisme » (Mani-
feste du Belize indépendant, 1974-1979). N'est- Quel est donc le type d'éducation dont les
ce pourtant pas précisément ce qu'il est en jeunes ruraux ont besoin dans les pays en
Le programme d'éducation rurale et d'agriculture ( R E A P ) du Belize I29

développement ? L ' u n de ces pays, le Belize, L e R E A P bénéfice par conséquent de n o m -


a opté pour u n programme d'éducation rurale breux atouts, mais ceux-ci ne sont pas suffi-
et d'agriculture spécialement conçu qui a sants en soi pour assurer son avenir. Pour
donné jusqu'ici d'assez bons résultats. E n dépit qu'une réforme puisse perdurer, les menaces
de certaines faiblesses au niveau du programme qui pèsent sur son développement futur doivent
d'études, rien ne permet de penser que, dans être écartées. Miles (1983) identifie deux de ces
son ensemble, l'enseignement dispensé dans menaces : les « turbulences d u milieu », qui
le cadre d u R E A P soit en quoi que ce soit revêtent généralement la forme de réductions
inférieur à celui qui est offert par les écoles de de crédits ou d'une désaffection des enseignants
type traditionnel. E n fait, au certificat national ou des élèves, et le souci des enseignants d'ob-
d'études primaires, les élèves des écoles d u tenir de l'avancement. L e programme R E A P
R E A P ont d'aussi bons résultats que ceux des a d'ores et déjà vu les crédits qui lui sont affectés
autres établissements. Bien qu'il semble que diminuer depuis que la fonction de soutien
les diplômés d u R E A P demeurent en milieu qu'assumaient les organismes internationaux
rural, cela ne saurait être attribué au seul s'est trouvée dévolue à des organisations locales.
impact d u programme R E A P . Les possibilités L e souci d'avancement est plus important qu'il
d'emploi sont très limitées dans les régions ne paraît de prime abord, car l'introduction
rurales du pays et les compétences des jeunes de toute réforme dans u n système scolaire im-
ruraux sont sous-utilisées. plique inévitablement u n surcroît de travail
Toutefois, il est incontestable que le R E A P pour les enseignants et les chefs d'établissement.
a soulevé l'enthousiasme des Béliziens et Pourtant, on ne trouve nulle part mention de
inspiré d'autres pays d u Tiers M o n d e , qui y mesures d'encouragement à l'intention des maî-
voient u n modèle. L e succès que le R E A P a tres et des directeurs des écoles d u R E A P .
remporté jusqu'ici peut être attribué à plusieurs Peut-être est-ce parce que le Parti uni d u
facteurs, dont le principal est sans doute le peuple croyait fermement aux vertus de
puissant appui idéologique dont il a bénéficié 1' « effort de coopération bénévole » (gouver-
de la part d u gouvernement, en particulier nement du Belize, 1977) ; mais il y a des limites
d'un ministre influent de l'éducation. U n e à ce que les bénévoles sont disposés à faire.
planification efficace, caractérisée notamment La remarque selon laquelle « les réformes rap-
par la prévision de délais réalistes pour le portent plus à ceux qui les préconisent et les
processus d'institutionnalisation, des stratégies élaborent qu'elles ne leur coûtent et, inverse-
de diffusion de l'information sur la réforme, ment, coûtent beaucoup plus à ceux qui sont
la rapidité de la prise de décision lors des pre- censés les mettre en œuvre qu'elles ne leur
mières étapes et l'obtention de pouvoirs juri- rapportent » (Fullan, 1982, p. 3) semble pleine-
diques et administratifs pour faire adopter et ment justifiée en l'occurrence. Parmi les autres
appliquer ces décisions ont également joué u n « menaces », on pourrait citer : la formation
rôle capital. Ajoutons qu'on s'est efforcé de inadéquate des enseignants ; l'absence d'une
contrebalancer le caractère quelque peu coer- idée claire de la réforme chez ces derniers ; la
citif des stratégies imposées par les pouvoirs persistance d'un système éducatif dualiste qui
publics en encourageant les enseignants à parti- accorde relativement plus d'importance aux
ciper à l'élaboration d u programme aux fins performances académiques, en particulier au
de sa mise en œuvre plus efficace. L'assistance niveau secondaire; l'impossibilité pour les
financière et technique apportée par les orga- diplômés d u R E A P de poursuivre sur place
nismes internationaux qui ont collaboré avec des études d'agriculture.
le gouvernement d u Belize explique également Améliorer les programmes d'études d u
le succès remporté jusqu'ici par le R E A P . Par R E A P , aider ses diplômés à mettre sur pied
surcroît, l'attitude à l'égard d u programme leur propre entreprise agricole, lutter contre
d'agriculture a été positive. le vol de produits agricoles sur pied et fournir
130 Zellyrme Jennings

aux élèves des vêtements de protection pour le H U R S T , P . 1983. « Les questions clés en matière de finan-
cement extérieur de l'éducation ». Perspectives, vol. XIII,
travail de la terre sont autant de mesures à n» 4 , p . 465-476.
prendre si l'on veut assurer la poursuite du J E N N I N G S - W R A Y , Z . D . 1985. « Towards an appropriate
R E A P . Toutefois, l'événement qui peut fort strategy for curriculum change in the Third World:
bien sceller le destin du R E A P a déjà eu lieu : experiences from Jamaica ». Perspectives in education,
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la défaite de ses partisans les plus fervents
Inde, vol. 1, n° 3 , p . 175-194.
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poursuivant des idéologies différentes a plus planification de l'éducation.
d'une fois dans l'histoire sonné le glas d'inno- M A S S B Y , R . M . 1982. A six-year formative evaluation
report (July 1, 1976 to June 30, 1982) of the Rural
vations prometteuses. Mais peut-être le R E A P
Education and Agriculture Program (REAP). Rapport
survivra-t-il à cette épreuve. • au C A R E et au Comité consultatif du Programme d'édu-
cation rurale et d'agriculture.
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Revue de PROFILS D ' É D U C A T E U R S
WILHELM VON HUMBOLDT
(1767-1835)

publications LE CONTEXTE HISTORIQUE

Wilhelm von H u m b o l d t est l'une des figures fasci-


nantes de la culture et de la pensée allemande d u
début d u XIX e siècle. Il a n o n seulement laissé des
œuvres originales et de grande portée dans divers
domaines (sciences politiques, droit, histoire de l'An-
tiquité et philologie en particulier), mais il a aussi fait
preuve d ' u n remarquable talent d'organisateur pen-
dant les décennies qu'il a consacrées au service de la
Prusse en tant q u ' h o m m e politique et diplomate. T o u t
en jouant u n rôle politique actif au service de son
pays, il a m e n é une activité scientifique et artistique
de tout premier plan. Il entretenait u n vaste réseau
de relations et d'amis, parmi lesquels d'éminentes
personnalités de l'époque c o m m e Goethe et Schiller,
Herder, Fichte, F . A . W o l f et Georg Forster, par
exemple.
Bien qu'il n'ait consacré qu'une courte période de
sa vie au système éducatif prussien et aux sciences de
l'éducation en tant qu'élément de la politique de
l'éducation, Wilhelm von H u m b o l d t a fait époque
dans l'histoire de la pédagogie.
C'est lui qui est à l'origine de la création de l'Uni-
versité de Berlin, et il a, avec ses collaborateurs S ü -
v e m et Nicolavius, F . A . Wolf, Schleiermacher et
Fichte, durablement marqué la physionomie de cette
université allemande ultramoderne ; c'est à lui que
l'école secondaire classique (Gymnasium) doit sa spé-
cificité en tant qu'institution de haut niveau destinée
à former une élite intellectuelle, et il contribua large-
m e n t à la formation et au recrutement de professeurs
de l'enseignement secondaire dotés d'une formation
philologique complète ; l'amélioration durable de
l'enseignement primaire et de la formation des insti-
tuteurs, inspirée des idées de Pestalozzi, doit beaucoup
à son influence ; il est considéré à juste titre c o m m e
l'un des principaux représentants d'une conception
néo-humaniste de l'éducation qu'il a lui-même appli-
quée pendant toute sa carrière de responsable poli-
tique de l'éducation et qui, aujourd'hui encore,
conserve toute son actualité, que ce soit en R é p u -
blique démocratique allemande, o ù la pédagogie
contemporaine continue de s'en inspirer, o u en R é p u -
blique fédérale d'Allemagne, o ù elle influence de
façon croissante certains courants de la pensée
pédagogique 1 .
N é à Potsdam le 22 juin 1767,filsd ' u n chambellan
prussien de vieille noblesse poméranienne, Wilhelm
von H u m b o l d t , tout c o m m e son jeune frère Alexandre
(né en 1769), le célèbre naturaliste, a v u le jour à une
époque chargée d'événements dramatiques : la révo-

XVIII, n° 1,1988
132 Revue de publications

lution bourgeoise française de 1789, dont les répercus- m ê m e temps, il c o m m e n ç a à étudier à fond la philo-
sions se sont fait sentir dans toute l'Europe, les sophie de Kant. Il étudia le droit constitutionnel et le
conquêtes napoléoniennes, les réformes prussiennes, droit naturel, la philosophie, l'histoire, la philologie,
l'effondrement du Saint-Empire romain germanique, les mathématiques et la physique. Il fit aussi la
la défaite catastrophique de la Prusse à Iéna et connaissance de Georg Forster, qui devait accéder
Auerstedt, la paix de Tilsitt par laquelle la Prusse plus tard à la notoriété en tant que m e m b r e du m o u -
perdit tous ses territoires à l'est de l'Elbe et enPologne, vement jacobin allemand et cofondateur de la R é p u -
les guerres de libération, le Congrès de Vienne et la blique de Mayence. C'est peut-être cette éducation
naissance de la Sainte-Alliance. E n l'espace de quel- humaniste et imprégnée de la philosophie des lu-
ques décennies, o n passa d'une société féodale à une mières, alliée à une prise de conscience de ce qui se
société fondamentalement bourgeoise2. L'influence passait dans la France révolutionnaire, qu'il avait par-
de la révolution française y était certes pour quelque courue en 1789, séjournant à Paris d u 3 au 27 août6,
chose, mais, contrairement à ce qui s'était passé en qui le poussa à écrire à vingt-cinq ans u n ouvrage
France et en Angleterre, ce passage ne sefitpas d'un dont le titre, à première vue, promet u n discours de
coup, sous l'effet d'une révolution brutale ; ce fut droit constitutionnel, mais qui, en réalité, traite, dans
plutôt l'aboutissement d'un processus historique lent une perspective antiféodale, de la nature de l ' h o m m e
et progressif, caractérisé surtout, du vivant de H u m - et d u développement de la personnalité. E n 1972, il
boldt, par une série de réformes novatrices. Après la écrit l'Essai sur les limites de l'action de l'État, qui ne
paix imposée de Tilsitt, qui assujettissait la Prusse sera publié intégralement qu'en 1851, après sa mort,
à de lourdes contributions, il s'avéra que la bour- survenue le 8 avril 1835 à Tegel 7 . Lorsqu'il fut appelé
geoisie qui, par crainte d'une dictature jacobine, plus tard à s'occuper de l'enseignement public, il ne
répugnait à une révolution populaire, ne possédait retint pas toutes les idées libérales qu'il expose dans
pas la maturité économique et politique suffisante cet essai et qui allaient à l'encontre des principes sur
pour prendre la tête d'un m o u v e m e n t de libération lesquels reposait l'ordre féodal de l'époque.
nationale et d'instauration de rapports sociaux pro- Il n'est pas bon, écrit-il dans son essai, que l'État
pres à favoriser le développement d u capitalisme se préoccupe d u bien-être positif des citoyens. Cette
bourgeois. ingérence est mauvaise. Elle engendre l'uniformité,
Cela étant, « il existait néanmoins une force poli- nuit à l'individu, fait obstacle « au développement de
tique déterminée à engager la Prusse sur la voie d'une sa personnalité et à son originalité8 ». L'État n'a pas à
révolution bourgeoise modérée, qui recrutait ses intervenir dans l'éducation publique, car, ce faisant,
m e m b r e s (fonctionnaires, officiers, propriétaires fon- il en limite la diversité9. L e « véritable but de
ciers et intellectuels) dans les rangs de la noblesse et l ' h o m m e » — et c'est là le point central de son argu-
de la bourgeoisie progressistes. Pour eux, la défaite mentation — est de « développer au m a x i m u m et
de la vieille monarchie prussienne signifiait la faillite d'une manière aussi équilibrée que possible toutes
d'idées et d'institutions surannées, tandis qu'ils ses facultés en u n tout harmonieux. L a condition
reconnaissaient dans la bourgeoisie et les masses première et indispensable de son aptitude à ce faire
populaires le moteur de l'évolution de la société, qu'ils est la liberté10 ». Dépassant l'idée d u contrat social,
souhaitaient cependant voir dirigée par une monarchie chère à la philosophie des lumières, H u m b o l d t
éclairée3 ». A u premier rang de ces réformateurs prus- concevait la société c o m m e une c o m m u n a u t é d'indi-
siensfiguraientles barons von Stein, von Schamhorst, vidus libres qui « mettent en valeur leur potentiel
von Gneisenau, von Hardenberg et d'autres, qui pro- vital par l'échange constant et mutuellement profi-
posèrent et entreprirent de mettre en œuvre des table de leurs richesses intérieures11 » d'actions et
réformes importantes dans plusieurs domaines : admi- dont l'activité créatrice n'est limitée que par la recon-
nistration, justice, agriculture, commerce et armée 4 . naissance du droit et de l'existence des autres.
C'est le baron von Stein, tête pensante d u m o u v e - Lorsque, plus tard, H u m b o l d t assuma directement
ment, qui proposa de confier à Wilhelm von H u m - la responsabilité du système éducatif prussien et s'em-
boldt la conduite de la réforme d u système éducatif. ploya de toutes ses forces, dans u n contexte histo-
Humboldt avait été eduqué moins selon les prin- rique menaçant, à l'organiser, à l'assujettir aux objec-
cipes chers à Frédéric le Grand que dans la tradi- tifs de l'État tels que les concevaient les réformateurs,
tion d'une aristocratie éclairée. Son premier précep- et à le soumettre à la souveraineté de l'État, acceptant
teur fut le philanthrope C a m p e , bientôt suivi par et encourageant aussi le principe d'un système d'édu-
G . J. C . Kunths. H u m b o l d t fit ses études à Francfort- cation publique, il n'en garda pas moins pour l'essen-
sur-I'Oder puis à l'Université de Göttingen, haut lieu tiel une conception libérale de l'éducation. Il pensait,
des études historiques et philologiques. Il eut Schlös- par exemple, que le financement des établissements
ser c o m m e professeur d'histoire ; le philologue scolaires, bien que les c o m m u n e s soient appelées à
H e y n e 5 l'initia à l'archéologie et détermina en grande y participer, devait être avant tout l'affaire des
partie sa passion pour l'Antiquité. C'est à Göttingen citoyens et que, par ailleurs les directeurs d'établis-
que H u m b o l d t découvrit le néo-humanisme. E n sements secondaires devaient disposer d ' u n large
Revue de publications 133

pouvoir de décision concernant les questions péda- besoin pour sortir l'État et la dynastie des H o h e n -
gogiques importantes. zollern d'une crise aiguë. L e conflit était cependant
D a n s sa proposition pour la création de l'Université désormais insurmontable entre les intérêts d u roi
de Berlin (12 mai 1809), il écrit : « E n soi, et dans la — assurer le maintien de la dynastie — et le natio-
perspective d'une théorie cohérente de la science nalisme des réformateurs qui appelaient de leurs
politique, le principe selon lequel l'enseignement ne v œ u x u n soulèvement populaire et la libération de
doit pas être l'affaire exclusive de l'État est le seul qui toute l'Allemagne (de la domination napoléo-
soit vrai et juste12. » L ' u n des principes fondamen- nienne)15. » E n novembre 1808 (Humboldt était sur
taux de H u m b o l d t , dont l'origine est à rechercher le chemin du retour à Berlin), le roi, cédant aux pres-
dans l'idée des réformateurs prussiens de conférer sions de Napoléon et des nobles prussiens de l'oppo-
aux c o m m u n e s une certaine autonomie de gestion sition qui craignaient pour leurs privilèges et voyaient
par l'intermédiaire d'organes élus, était que l'en- notamment dans la réforme agraire une menace pour
semble d u système scolaire et éducatif se maintient leurs intérêts économiques, accepta la démission de
« par ses fonds propres et par les contributions de la Stein. Sous le ministre de l'intérieur suivant, le comte
nation18 ». Cette dernière porte à l'enseignement u n zu D o h n a , et le ministre des finances, le baron Karl
intérêt d'autant plus grand qu'elle y voit son œuvre von Stein z u m Altenstein, qui devait ultérieurement
et sa propriété, m ê m e sur le plan financier. Les ci- exercer pendant de longues années les fonctions de
toyens, pensait-il, acquièrent u n sens civique plus ministre des affaires religieuses, de la santé et de l'en-
développé à partir d u m o m e n t o ù ils font de l'amé- seignement, la politique de réformes stagna. Ces deux
lioration de l'école leur affaire, « s'intéressent plus ministres n'étaient pas en mesure d'imposer la créa-
au processus d'enseignement lui-même, préfèrent tion d'un Conseil d'État qui fût, c o m m e le souhaitait
l'éducation publique, incontestablement supérieure le baron von Stein, à m ê m e de contrôler le pouvoir
à l'éducation privée, dès lors que les écoles publiques royal. H u m b o l d t jugeait, pour sa part, indispensable
leur coûtent ne fût-ce qu'un peu d'argent », et ils un tel organe. L a constitution en 1810 d'un Conseil
auront u n sens moral plus développé « si la moralité d'État qui était l'opposé de ce que souhaitaient les
de leurs enfants leur demande quelques sacrifices14 ». réformateurs devait donc nécessairement l'amener à
E n 1790, H u m b o l d t entre au service de l'État prus- renoncer à ses fonctions de directeur de section.
sien. Pendant près d'un an, il est magistrat auprès D a n s son « Testament politique », le baron von
des tribunaux berlinois. Après son mariage avec Stein faisait de l'éducation patriotique d u peuple
Caroline von Dachröden,filled'un président prus- l'une des conditions essentielles de la transformation
sien de la Cour d'appel, il quitte l'administration, se bourgeoise de la société. C'est dans cet esprit que
consacre à la philosophie, surtout à l'œuvre de Kant Humboldt s'attela à la tâche une fois qu'il eut décidé,
et à la philosophie politique anglaise. Il voyage à après de longues hésitations, de répondre à l'appel du
Vienne, à Paris et en Espagne. N o m m é représentant devoir16. D e u x mois après le départ de Stein, il écrit
de la Prusse auprès d u Vatican en 1802, il reste jus- au roi : « L a nature et l'ampleur m ê m e s de la tâche
qu'en 1808 à R o m e , où sa passion pour l'Antiquité qui doit m'être confiée font que je [...] n'ai pas le cou-
s'affirme de plus en plus. rage de l'assumer17. » Il écrit à sa f e m m e , qui séjourne
alors à R o m e , qu'il a refusé le nouveau poste18 et,
en mai 1809, il écrit de Königsberg, o ù siégeait le
LE BÂTISSEUR
gouvernement prussien : « E n vérité, il n'y a ici pas
L a période pendant laquelle il fait œuvre décisive en de gouvernement, aucune force, aucune logique,
matière de politique de l'éducation est courte, mais aucune unité, rien que faiblesse, souvent alliée à une
marquée par une intense activité. A la fin de 1808, il grande rudesse. L'absence de Conseil d'État et le fait
quitte R o m e et se rend à M u n i c h , Nuremberg, que tout continue à se faire en vertu d'ordonnances
Erfurt et W e i m a r , o ù il loge chez Goethe, puis à royales et n o n de véritables décrets, visés tout au
Berlin, où il arrive en janvier 1809. E n juin 1810, il moins par les ministres intéressés, constituent des
quitte ses fonctions de responsable politique de l'édu- m a u x rédhibitoires19. » Humboldt avait sans aucun
cation. doute compris que toute tentative pour mettre en
Par u n décret ministériel du 10 février 1809, H u m - œuvre une politique de l'éducation conforme à l'es-
boldt est n o m m é conseiller d'État privé et directeur prit des réformateurs devait inévitablement se heurter
de la section Culture et enseignement d u Ministère à de fortes résistances.
prussien de l'intérieur ; il prend ses fonctions le L a Section de la culture et de l'enseignement public
28 février. L a correspondance de Humboldt montre qu'il dirigeait était le fruit de la réforme de l'adminis-
qu'il n'accepta cette charge qu'avec beaucoup d'hési- tration conduite par Stein en 1808 et qui visait à
tations, qui tenaient directement à la situation poli- mettre fin au morcellement régional de l'enseigne-
tique : « L e roi Frédéric Guillaume III avait laissé ment par la centralisation et la spécialisation profes-
faire Stein et les autres réformateurs en tant que repré- sionnelle20. Elle succédait au Conseil des collèges,
sentants d'une force qu'il craignait, mais dont il avait créé en 1787, qui relevait directement du roi et annon-
134 Revue de publications

çait la création, en 1817, d u ministère chargé des et le mettre au service d'une vie nouvelle, tels sont
affaires religieuses, de la santé et de l'enseignement. les objectifs politiques — humanitaires et démocra-
L'idée de faire de cette section qui relevait d u Minis- tiques — d'une réforme de l'éducation dont les maî-
tère de l'intérieur u n ministère indépendant est direc- tres mots devaient être l'initiative et la responsabilité
tement attribuable à Humboldt. de l'individu, conformément à la théorie pédagogique
D a n s une lettre d u 2 juin 1809 qu'il adressa de de Pestalozzi28. C'est Humboldt qui, dans cet esprit,
Königsberg à Goethe, H u m b o l d t ne cache pas qu'il « réalisa sur le plan politique l'objectif de l'éducation
enrageait de devoir rester dans cette ville, <t car, à part formelle universelle™ ».
les affaires, qu'est-ce qui pourrait bien inciter quel- Aussi l'argument qu'avance le chef de section H u m -
qu'un à errer dans ce désert, cette ville dont seul Kant boldt pour soutenir la création de l'Université de
pouvait chanter les louanges, faute d'en avoir jamais Berlin, création dont le principe avait été arrêté avant
connu d'autre21 ? ». Mais sa lettre nous en dit plus. son entrée en fonction, est-il purement politique80.
Il y fait part à sonfidèleami de son programme et de L a confiance de l'Allemagne tout entière, écrit en
ses intentions en tant que chef de section : « Étant substance H u m b o l d t , dans la capacité de la Prusse de
donné qu'à W e i m a r déjà vous vous moquiez sans contribuer à u n progrès véritable et à une formation
cesse de m o n penchant à vouloir rendre les h o m m e s intellectuelle supérieure n'a pas diminué, au contraire.
ou plus intelligents, ou encore plus fous, je ne crains L'idée de créer à Berlin u n établissement d'enseigne-
pas de vous dire que je défens aussi l'idée de l'Uni- ment général y est pour beaucoup. Et d'ajouter :
versité de Berlin et pousse à sa création. Pour les « Seuls les instituts supérieurs de ce genre peuvent
écoles primaires, j'ai trouvé beaucoup d'idées dans étendre leur influence au-delà des frontières de l'État.
Pestalozzi et je poursuis dans cette voie. Bref, je ne E n confirmant solennellement la création de cet éta-
m a n q u e pas d'occupations dans lesquelles je m e blissement et en veillant à sa réalisation, Votre
plonge plus parce qu'il faut aller au bout de ce que Royale Majesté rallierait sûrement à elle tous ceux
l'on a entrepris que parce que je m e sens plein d'as- qui, en Allemagne, s'intéressent à l'éducation et au
surance et de confiance en m o i - m ê m e 2 2 . » progrès ; elle susciterait u n regain d'intérêt et d'en-
Malgré la nouveauté de la tâche qu'il entreprenait, thousiasme pour le renouveau de ses États et, alors
H u m b o l d t réussit en u n temps record à mettre en qu'une partie de l'Allemagne est en guerre et l'autre
œuvre une série de mesures de structuration de l'édu- dominée par des puissances parlant une langue étran-
cation prussienne qui firent de la période pendant gère, offrirait à la science allemande u n refuge tel que
laquelle il exerça ses fonctions l'un des « épisodes les l'on n'ose peut-être encore en rêver31. »
plus importants de l'histoire de l'éducation en Alle- Il met toute sa détermination à défendre le prin-
m a g n e »23. Il puisait ses idées dans sa conviction que cipe de l'université, formule d'ambitieuses proposi-
l'éducation était déterminante pour le destin de la tions pour son financement, prévoit qu'elle fonction-
Prusse c o m m e de tous les États allemands, dans sa nera en liaison étroite avec l'Académie des sciences,
profonde culture, son adhésion au néo-humanisme, l'Académie des arts et d'autres institutions scienti-
dans le fait qu'il savait quels espoirs les philosophes, fiques de Berlin, notamment la Charité, la Biblio-
les théologiens et les écrivains de l'époque plaçaient thèque, l'Observatoire, les musées des sciences et des
dans la réforme d u système éducatif24. Il fit preuve, arts. Il veille enfin à ce que des savants r e n o m m é s
dans l'exercice de ses fonctions, d'un réalisme et d'une soient n o m m é s à l'université.
sagacité qui étaient tout le contraire d'un utopisme L a requête présentée par H u m b o l d t le 24 juil-
abstrait et montraient qu'il alliait à une formation let 1809 fut approuvée par le roi le 16 août. E n octo-
incontestablement intellectuelle u n réel sens poli- bre 1816, le recteur et le doyen furent n o m m é s et l'on
tique. S o n activité publique d'alors, loin de contre- procéda à l'inscription des six premiers étudiants82.
dire son humanisme, représente « pour l'essentiel E n fait, la conception particulière de l'Université
une expérimentation et une mise à l'épreuve de ses de Berlin, largement inspirée des idées de H u m b o l d t ,
idées26 ». E n témoigne son discours d'entrée à l'Aca- devait avoir un retentissement particulier sur le déve-
démie des sciences prussienne, dans lequel il affirme loppement des universités allemandes au xixe siècle.
l'extrême importance pour la vie de l ' h o m m e des D a n s son mémoire inachevé consacré à I' « organi-
entreprises scientifiques les plus ambitieuses26. sation interne et externe des établissements scienti-
D a n s le mémoire qu'il rédigea à l'occasion de son fiques supérieurs de Berlin », H u m b o l d t définit ainsi
départ de l'administration, le 24 novembre 1808, le le concept d'établissement scientifique supérieur :
baron von Stein estimait essentiel que chaque indi- « Leur fonction [est] de cultiver la science au sens le
vidu puisse développer librement ses facultés suivant plus profond et le plus large d u terme [...] et d'en
une ligne morale et qu'à cet égard c'est de « l'éduca- faire u n élément de la formation intellectuelle et m o -
tion et l'enseignement donnés aux jeunes qu'il y avait rale83 », « de combiner le savoir objectif et la formation
le plus à attendre27 ». subjective84 ». S'efforcer constamment d'apprendre
Associer activement le peuple au destin de la patrie, toujours plus, dans la solitude, dans la liberté et au
développer son vaste potentiel intellectuel et moral sein d'une c o m m u n a u t é universitaire composée de
Revue de publications 135

professeurs et d'élèves animés du m ê m e esprit exige atteindre, et réconcilier la multiplicité de l'indi-


que l'on appréhende la science c o m m e un problème viduel en un tout qui porte en soi la promesse d'un
qui n'est pas encore entièrement résolu36. Tout ensei- ordonnancement universel de la vie.
gnement universitaire doit « partir du principe qu'il Alors m ê m e que H u m b o l d t considérait le système
faut voir dans la science l'objet d'une découverte éducatif comme un ensemble cohérent, il assigna à
partielle, qui ne sera jamais totale, et qui doit donc l'État la tâche particulière d' « organiser ses écoles
être inlassablement poursuivie36 ». de telle manière qu'elles travaillent la main dans la
Ces considérations devaient nécessairement amener main avec les établissements d'enseignement supé-
H u m b o l d t à concevoir un style d'enseignement uni- rieur43 ». Toutefois, l'État ne devait pas s'immiscer
versitaire très différent de celui du XVIIIe siècle. Les directement dans les universités. Celles-ci de-
cours magistraux, pris sous la dictée, devenaient vaient bénéficier d'un autre traitement que les éta-
« accessoires37 ». Entrer à l'université devenait u n blissements d'enseignement secondaire classique
« acte personnel au sens propre38 », car l'université a ou les écoles spécialisées que H u m b o l d t rejetait,
le privilège d'offrir « ce que l ' h o m m e ne peut trouver en particulier les lycées destinés aux jeunes gens
que par lui-même et en lui-même, à savoir la connais- nobles et les écoles militaires. A l'université « libérée
sance de la science pure 39 », comprise à son tour de toute mainmise de l'État44 », l'État ne doit rien
c o m m e u n processus permanent. demander qui le touche et le concerne directement,
C'est à partir de ces considérations que la forma- « mais plutôt être intimement convaincu que, si elle
tion universitaire moderne du XIX e siècle acquiert ses atteint son but final, elle le sert également, et ce,
traits principaux, qu'elle conservera longtemps après d'un point de vue beaucoup plus élevé45 ». Cette
e
le tournant du X X siècle : conception libérale a en grande partie déterminé
L'université offre à l'étudiant à la fois le m o y e n d'ac- l'attitude des plus ambivalentes qui a été celle
céder à la connaissance et de former sa personna- d u xixe siècle à l'égard des franchises univer-
lité, c'est-à-dire de se forger u n e individualité sitaires.
propre. L e 25 juin 1830, la faculté de philosophie de l'Uni-
L'accès à la connaissance, à son tour, ne peut être versité Friedrich-Wilhelm de Berlin n o m m a H u m -
conçu que c o m m e u n processus dynamique, o u - boldt docteur honoris causa pour la part qu'il avait
vert, dans lequel chaque pas en avant débouche sur prise à sa création.
la perspective d'un nouveau progrès à accomplir, Jusqu'à la libération d u fascisme, en m a i 194s,
d'une nouvelle étape à franchir. Autrement dit, l'université porta le n o m d u roi de Prusse ; le
apprentissage et recherche ne font qu'un, et la par- 8 février 1949, date d u troisième anniversaire de sa
ticipation de l'étudiant au processus de recherche réouverture après la deuxième guerre mondiale, elle
devient une caractéristique de la formation uni- prit celui des frères Humboldt. L'Université H u m -
versitaire. boldt est aujourd'hui le premier établissement d'en-
Il s'établit ainsi u n nouveau type de relations entre le seignement supérieur et le centre de la vie intellec-
professeur et l'étudiant. H u m b o l d t écrit : « C'est tuelle de la capitale de la République démocratique
pourquoi le professeur cesse d'être u n professeur allemande.
et l'étudiant cesse d'être u n apprenant pour devenir
u n chercheur autonome que le professeur guide
UN PROJET DÉMOCRATIQUE ET LIBÉRAL
et soutient40. »
L a volonté d'apprendre de l'étudiant et la capacité H u m b o l d t aborda d'emblée sa mission à la tête de la
qu'il a d'assimiler des connaissances et de parti- Section de la culture et de l'enseignement avec la
ciper au progrès de la science suscitent de nouvelles conviction que, pour mener à bien une réforme d u
exigences : il ne saurait plus se satisfaire de l'atti- système éducatif, il fallait avoir une idée relativement
tude totalement passive de l'étudiant universitaire précise de son évolution globale. Pour remplir sa
traditionnel d u xvin e siècle. L'étude universitaire tâche, il lui paraissait important « de poser des prin-
devient u n « acte personnel », met en jeu les « forces cipes simples, de s'y tenir fermement, de ne pas se
créatrices41 », exige une réflexion méthodique, une disperser, mais d'agir avec énergie et fermeté et, pour
activité créatrice propre. le reste, de s'en remettre à la nature qui n'a besoin
E n m ê m e temps qu'il défendait le principe d'une uni- que d'une impulsion et d'une mise sur la voie ini-
versitas literarum, H u m b o l d t contribuait à élaborer tiale46 ».
une conception nouvelle de l'université en tant que E n septembre 1809, H u m b o l d t élabora le Plan
tout. L'enseignement universitaire, transcendant scolaire dit « de Königsberg et Lithuanie ». Profon-
toutes les distinctions entre les différentes branches dément imprégné des idées néo-humanistes, ce pro-
d u savoir, doit permettre d' « appréhender l'imité g r a m m e d'éducation visait à « promouvoir l'éducation
de la science [...] et la mettre en évidence42 », situer morale de la nation, l'instruction d u peuple, u n en-
dans une perspective philosophique la totalité d u seignement capable de former les individus aux diffé-
savoir humain et de la quête de l ' h o m m e pour y rents métiers d u pays, d'apporter aux classes supé-
i36 Revue de publications

rieuies le raffinement dont elles ont besoin et de L e projet de H u m b o l d t de construire u n système


cultiver l'érudition dans les universités et les acadé- éducatif homogène, avec la différenciation sociale
mies 4 ' », et, par là m ê m e , de servir les buts politiques inhérente qu'il comportait, procédait moins de prin-
des réformateurs. E n effet, « pour réussir l'œuvre cipes touchant à l'organisation de l'éducation que de
d'amélioration de la nation », il faut « attaquer simul- l'idée que le développement de la personnalité se
tanément sur tous les fronts48 ». décompose en u n e succession d'étapes essentielles.
L e « plan scolaire » de H u m b o l d t est démocratique E n ce sens, il entend que son « plan scolaire » soit
dans son essence ; il concerne tous les h o m m e s , vise considéré « d'un point de vue philosophique51 ». Il
la formation générale de l'individu, le développement a pour fondement intellectuel sa conception de la
complet et harmonieux de sa personnalité — en personnalité, de sa mise en valeur et de l'importante
fonction, certes, de sa situation sociale — et la mise contribution de l'éducation à cette dernière. H u m -
en valeur de toutes ses ressources potentielles. H u m - boldt découpait l'enseignement en trois stades :
boldt écrit : « L e plan scolaire [de la section] prend P « enseignement élémentaire » (Elementarunterricht),
en considération la nation tout entière et vise à déve- P « enseignement scolaire » (Schulunterricht) et
lopper les facultés humaines également nécessaires à P « enseignement universitaire » (Universitätsunter-
tous, quelle que soit leur situation sociale, et sur les- richt)62. O n parlerait plus simplement aujourd'hui,
quelles pourront facilement être greffées les c o m p é - en termes d'unités organisationnelles, d'écoles pri-
tences et connaissances nécessaires à chaque profes- maires, d'écoles secondaires — lycées en particulier —
sion. Il s'agit donc d'organiser les différentes écoles, et d'universités. Ces trois stades correspondent aux
à tous les échelons, de telle façon que chaque sujet principales étapes d u plein développement des fa-
de Votre Royale Majesté puisse, dans la mesure de cultés cognitives : l'enseignement élémentaire, qui
ses moyens, y acquérir un sens moral, y apprendre à (selon Pestalozzi) vise à inculquer les rudiments d u
être u n b o n citoyen, et que nul enseignement n'y langage, d u calcul et des mesures, la langue mater-
soit dispensé de façon telle qu'il s'avère ultérieure- nelle, la géographie, l'histoire et l'histoire naturelle,
ment inutile et stérile pour celui qui l'a reçu ; à cet ne doit avoir d'autre ambition que « de mettre l'enfant
effet, il importe moins d'impartir telle ou telle en mesure de percevoir des idées, de les exprimer, de
connaissance que de veiller à ce que, dans le cadre les enregistrer, de les déchiffrer une fois enregistrées
d u processus d'apprentissage, l'élève exerce sa m é - et de résoudre les difficultés liées aux principales
moire, aiguise ses facultés de compréhension, rectifie formes de la désignation13 ».
son jugement et affine son sens moral 49 . » L'objectif de « l'enseignement scolaire est d'exercer
D a n s son plan scolaire, H u m b o l d t se préoccupe de des capacités et d'acquérir des connaissances » sans
tous les citoyens ; il cherche à mettre progressivement lesquelles il est impossible de comprendre et de pra-
sur pied u n système éducatif homogène, regroupant tiquer la science51 ; son objectif est d'apprendre,
organiquement tous les établissements de formation, d' « apprendre à apprendre 65 » et d'enseigner linguis-
à assurer une formation générale pratique encoura- tique, histoire et mathématiques. Ainsi était défini
geant l'esprit d'initiative et servant de fondement à l'essentiel d u contenu de l'enseignement secondaire.
la formation professionnelle ultérieure. Ces principes L'université, enfin, nous l'avons vu, doit permettre
pédagogiques et théoriques, qui ont marqué leur aux étudiants d'appréhender et de mettre en évidence
époque, n'ont rien perdu de leur actualité ; ils ne l'unité de la science en faisant appel à leurs facultés
cessent au contraire d'être réaffirmés et élaborés plus créatrices.
avant. Cela vaut en particulier pour l'idée de l'édu- C e programme constituait une tentative en vue de
cation chère au néo-humanisme et à H u m b o l d t , à conférer au développement de la personnalité, par le
savoir que la formation générale prime la formation biais de l'éducation, une unité profonde en vertu de
professionnelle et qu'elle a u n e importance fonda- laquelle chaque étape de ce développement serait
mentale pour le développement de la personnalité liée par u n e continuité intérieure à celle qui l'avait
et la préparation à l'exercice d'une profession. H u m - précédée et à celle qui, éventuellement et probable-
boldt écrit : « « Il est, incontestablement, certaines ment, lui succéderait. Il établissait « le principe pre-
connaissances générales et, plus encore, une certaine mier et essentiel : l'unité et la continuité de l'enseigne-
formation de l'esprit et du caractère dont nul ne sau- ment selon ses étapes naturelles56 ».
rait se passer. Pour être bon c o m m e ouvrier, vendeur, Il s'agissait donc d'un plan scolaire démocratique
soldat o u commerçant, il faut de toute évidence, et d'inspiration bourgeoise, de l'esquisse d'un système
quelle que soit la profession exercée, être u n bon et éducatif homogène dans la mesure où le passage
u n honnête h o m m e et citoyen, informé de tout en d'une étape à l'autre devait se faire sans solution de
fonction de sa situation. D è s lors qu'il aura reçu à continuité et chaque échelon être utilisé pour con-
l'école l'enseignement nécessaire à cette fin, l'individu tribuer à une formation complète. L a division entre
acquerra aisément les compétences nécessaires à les lycées (Gymnasium), spécialisés dans l'étude des
l'exercice de sa profession et sera libre d'en changer, langues anciennes, et les autres écoles secondaires
c o m m e cela arrive souvent dans la vie50. » (Bürgeschulen), plus axées sur les sciences naturelles,
Revue de publications 137

serait supprimée : les sciences naturelles et les mathé- L a tâche de l'École normale Zeller était de diffuser
matiques seraient enseignées dans les petites classes la méthode de développement des facultés préconisée
d u lycée, et les langues anciennes dans les grandes par Pestalozzi en offrant une formation complémen-
classes57. Les différentes écoles intermédiaires, contre taire aux conseillers d u gouvernement, aux surinten-
lesquelles H u m b o l d t s'élevait, devenaient ainsi super- dants, aux prédicateurs et aux instituteurs. O n peut
flues. Les limites de ce projet démocratique et son ainsi, écrit H u m b o l d t , « former en l'espace d'un an
caractère libéral apparaissent dès lors que l'on envi- six cents à mille maîtres, doués certes de capacités
sage les conditions concrètes de sa mise en œuvre. très inégales, mais appliquant tous une méthode
Certes, chaque enfant doit avoir la possibilité de intrinsèquement bonne et efficace qui offre cet avan-
recevoir une formation générale, mais le degré d'ins- tage supplémentaire que, m ê m e médiocre, le maître
truction que chacun peut atteindre « doit dépendre en risque guère de se fourvoyer en l'employant66 ».
uniquement d u temps qu'il passe à l'école et d u Ces espoirs ne devaient que partiellement se réaliser,
niveau scolaire [classe] auquel il parvient68 ». O r , ce mais H u m b o l d t , une fois de plus, avait fait la preuve
« degré d'instruction69 » dépend, lui, de la capacité de sa perspicacité en tant qu'organisateur fondant
de la famille de financer le processus d'éducation. systématiquement sa démarche administrative sur des
Pour H u m b o l d t , cette idée était directement liée à celle principes intellectuels mûrement réfléchis. L'intro-
de garantir à tous une formation complète60. duction et la diffusion des méthodes préconisées par
« L e point culminant et final des tentatives de Pestalozzi pour l'enseignement primaire et, surtout,
réforme d u système scolaire national dans u n e o p - l'envoi d'élèves à Pestalozzi contribuèrent grande-
tique bourgeoise et démocratique 61 » fut le projet ment à la naissance et à la multiplication des écoles
de loi sur les écoles (1817-1819) de J. W . Süvern normales prussiennes, déterminant largement le profil
intitulé : « Projet de loi générale sur l'organisation d u intellectuel qui devait être le leur dans le premier
système scolaire dans l'État prussien », le plus pro- tiers d u xixe siècle.
gressiste des projets de loi scolaire présentés en
Prusse au xrx e siècle62. D u fait de la restauration d u L'IDÉAL GREC
régime féodal après le Congrès de Vienne, ce projet Plus marqué encore a été l'impact de H u m b o l d t sur
ne peut être mis à exécution. les lycées d u xrxe siècle. Friedrich Paulsen a fort bien
défini l'esprit qui présidait au programme de ces
L'INFLUENCE DE PESTALOZZI établissements, initialement conçu par H u m b o l d t
Pour H u m b o l d t , nulle « affaire nationale63 » n'était et élaboré dans le détail par von Süvern : « L e déve-
aussi importante que celle des établissements sco- loppement harmonieux de toutes les facultés intel-
laires. L'enseignement supérieur n'était pas le seul lectuelles par l'apprentissage des langues et de la lit-
objet de son attention ; il ambitionnait également de térature, des mathématiques et des sciences exactes,
réformer l'enseignement primaire, auquel étaient voilà le but. L e bachelier qui se prépare à entrer à
également applicables, selon lui, les principes fonda- l'université doit avoir reçu une solide formation intel-
mentaux d'une éducation néo-humaniste, à savoir le lectuelle dans tous les domaines, maîtriser les langues
développement complet des facultés et le souci de nécessaires à l'acquisition d u savoir, avoir des connais-
l'individualité64. Il y avait convergence sur ce point sances et des compétences suffisantes en m a t h é m a -
entre les objectifs pédagogiques des réformateurs tiques, enfin posséder des connaissances étendues
prussiens et la conception que se faisait Pestalozzi tant en sciences naturelles qu'en histoire. Il peut dès
de l'enseignement primaire, d u moins telle qu'on lors embrasser n'importe quel type d'étude et se
l'interprétait à l'époque. H u m b o l d t s'employa donc, sentir également à l'aise dans l'un ou l'autre domaine,
en envoyant des élèves à Pestalozzi et en soutenant car il possédera toujours les outils intellectuels néces-
une école normale dirigée par Zeller, à diffuser rapi- saires et, que ce soit en philologie, en théologie ou en
dement les conceptions de Pestalozzi, à faire triom- droit, en mathématiques et en sciences naturelles ou
pher l'idée d'un enseignement axé sur le développe- en médecine, ne se trouvera jamais confronté à des
ment des facultés et l'éveil de l'esprit, et à enfiniravec tâches pour lesquelles il n'est pas armé 6 7 . »
les méthodes d'enseignement/apprentissage d o g m a - Il ne s'agissait rien de moins que d'un changement
tiques et formalistes alors en vigueur dans les écoles radical visant à faire de l'ancienne école secondaire,
primaires. D a n s son « Rapport de la Section de la où l'on enseignait le latin, u n établissement de haut
culture et de l'enseignement », qu'il soumet au roi niveau préparant à l'université68. Pour que ce change-
en décembre 1809, H u m b o l d t précise les objectifs ment pût s'opérer, deux conditions préalables de-
de l'École normale dirigée par Zeller. L a méthode vaient être remplies ; H u m b o l d t , toujours logique
pédagogique adoptée « n'a pas tant pour but d'ap- avec lui-même, s'employa à faire en sorte qu'elles le
prendre simplement à l'enfant à lire, écrire, c o m p - fussent :
ter, etc., que de développer et d'exercer toutes ses Les écoles de niveau inférieur (les écoles de latin)
facultés physiques et morales, moyennant quoi il devaient se voir refuser le droit d'envoyer leurs
acquerra naturellement ces différents savoir-faire66 ». diplômés à l'université.
i38 Revue de publications

Il institua, en matière d'examens pour les professeurs complet et harmonieux de la personnalité. « Elle
de lycées, des normes extrêmement élevées qui constitue, à cet égard, l'instrument le plus complexe
contribuèrent largement à la sécularisation de cette exprimant précisément le mieux la diversité d u réel
catégorie de personnel enseignant et firent de l'ac- qui constitue la plus sûre approximation de l'univer-
tivité professorale non plus une occupation transi- salité des situations77 », car dans une langue s'incarne
toire pour les théologiens, mais une profession à la totalité de la pensée et des sentiments d'une multi-
vie. E n avril I 8 I O , H u m b o l d t explicita les exigences tude d'individus d'une m ê m e nation. L a valeur for-
élevées qui étaient les siennes au sujet des « exa- mative de l'étude de la langue, de la philosophie et
m e n s à subir par les enseignants d u secondaire69 ». de la poésie tenait, pour H u m b o l d t , au fait qu'elle
Ses réflexions débouchèrent, en 1812, sur u n nouveau « révèle à l ' h o m m e la foisonnante richesse de son in-
système d'examens comportant une épreuve écrite telligence78 » ; ce faisant, elle lui donne accès à la
en latin, en français et en mathématiques, u n thème dimension historique, lui permet de prendre cons-
et une version grecs, l'interprétation de textes anciens cience à la fois de son unicité et de son historicité.
en latin et des épreuves orales dans toutes les langues L a passion des réformateurs pour l'Antiquité
enseignées ainsi qu'en mathématiques, en histoire, en n'était pas sans rapport avec leurs intentions politi-
géographie et en sciences naturelles70. ques : l'État antique semblait en effet fournir u n m o -
L'idée première de Humboldt était, certes, de faire dèle idéal d'unité entre le citoyen et l'État, l'individu
en sorte que les lycées dispensent une vaste formation et la c o m m u n a u t é , susceptible d'inspirer leurs pro-
générale, mais les langues anciennes occupaient dans pres efforts de construction nationale. L'histoire de
leurs programmes une place dominante. C o m m e tous l'Antiquité offrait u n exemple historique de l'État
les autres néo-humanistes et c o m m e les poètes et démocratique. L'insistance des réformateurs sur les
artistes de son temps, H u m b o l d t avait une passion études classiques, en m ê m e temps qu'elle implique
— suscitée notamment par Winckelman — pour une critique antiféodale des conditions sociales qui
l'Antiquité. Les études philologiques devaient, selon prévalaient du temps de H u m b o l d t , traduit leur souci
la conception classique du développement complet et d'instaurer une éducation politique au sens démocra-
harmonieux de l ' h o m m e , exercer u n e influence d u - tique et bourgeois d u terme, « L'engouement pour
rable sur l'épanouissement de la personnalité. Quant l'Antiquité a donc une fonction sociale, qui consiste
à la lecture des auteurs antiques, elle permet de pour l'essentiel dans la recherche d'un modèle suscep-
concevoir et de saisir ce qu'est une personnalité bien tible de se substituer à une réalité présente hostile à
équilibrée, de comprendre en quoi consistent le dé- l'humanité79. »
veloppement et l'exercice harmonieux de toutes les L'histoire de l'enseignement secondaire en Alle-
facultés physiques, esthétiques et intellectuelles de m a g n e au XIX e siècle montre que ces espoirs ne se
l'individu, en d'autres termes, la fusion de toutes les sont pas réalisés80.
virtualités de l'être en u n tout harmonieux 71 ; c o m m e
Schiller et Goethe l'ont exprimé en termes poétiques,
UNE ADMINISTRATION SCIENTIFIQUE
« l'une des convictions profondes de H u m b o l d t est
que l'Antiquité grecque peut, pour ce qui est de la D a n s ses « idées concernant la constitution d'une
formation de la personnalité, se substituer au reste délégation scientifique auprès de la Section de l'en-
d u m o n d e parce qu'elle représente l'universalité72 ». seignement public », H u m b o l d t aborde u n autre
Les Grecs étaient pour H u m b o l d t « la mesure de domaine dans lequel il a joué u n rôle de précurseur.
l ' h o m m e , u n critère en fonction duquel il jugeait de Il reprend l'idée des réformateurs prussiens de faire
la moralité et de l'idéalisme d'un individu ou d'un participer aux affaires de l'État les citoyens expéri-
peuple78 ». mentés et de permettre aux spécialistes d'exercer une
O n voyait aussi dans l'apprentissage des langues certaine influence sur la conduite de ces affaires. Son
anciennes u n m o y e n important — et pendant long- initiative revêt toutefois une portée qui dépasse celle
temps à peu près le seul — de former la pensée de ce projet politique dans la mesure où la création
logique. L'éducation formelle était considérée c o m m e de cette délégation scientifique devait instaurer entre
la condition préalable pour faire face avec succès aux la politique éducative nationale et le m o n d e d u savoir
situations existentielles les plus difficiles et acquérir une nouvelle relation historique81. H u m b o l d t définit
rapidement de nouvelles connaissances. ainsi la fonction de cette délégation : « Elle veille à la
Enfin, les études philosophiques devaient servir stricte intangibilité des normes scientifiques géné-
avant tout au « perfectionnement moral de l'indi- rales dont découlent les principes individuels d'admi-
vidu74 ». Les néo-humanistes voient dans « l'élévation nistration et en fonction desquelles ils doivent être
morale vers l'idée d u vrai, d u bon et d u beau la jugés, et permet ainsi à la section de contrôler et
signification réelle d'une école axée sur l'enseigne- d'apprécier la conformité de chacune de ses actions
ment des langues anciennes75 ». L a langue représente à la ligne générale qu'elle s'estfixée; elle accomplit,
de façon convaincante pour H u m b o l d t cette « diver- en outre, les tâches qui requièrent une disponibilité
sité de situations76 » qu'exige le développement et u n e concentration intellectuelles incompatibles
Revue de publications 139

avec l'expédition des affaires courantes. Enfin, elle


s'occupe plus particulièrement de tous les examens
qui ne relèvent pas de la compétence des délégations
gouvernementales religieuses et scolaires82. » Notes
C o m m e la section dirigée par Humboldt « vise
essentiellement la promotion de la formation géné- 1. Voir M . Klaffci, « Die Bedeutung der Klassischen Bil-
rale88 », la délégation en question doit être composée dungstheorien für ein zeitgemäßes Konzept allge-
exclusivement de personnalités qui se vouent à meiner Bildung », Zeitschrift für Pädagogik, n° 4/1986,
F « étude de la philosophie, des sciences, de la philo- p. 455 et suiv.
logie et de l'histoire84 », c'est-à-dire à l'objet de la 2. Deutsche Geschichte, vol. 4 , Berlin, V E B Deutscher
formation générale. L'idée de Humboldt était de Verlag der Wissenschaften, 1984, p. 8.
donner à l'administration une assise scientifique, ce à 3. Ibid., p. 86.
quoi devait précisément s'employer cette délégation. 4. Voir Preussische Reformen — Wirkungen und Grenzen,
Humboldt voulait, ce faisant, conférer à la science Berlin, Akademie-Verlag, 1982 (Sitzungsberichte der
« une position prééminente d'où elle pourrait exercer Akademie der Wissenschaften der D D R , 1982, i/G).
une sorte de surveillance sur l'administration86 ». L e 5. Voir C . Monze, Wilhelm Von Humboldt und Christian
premier chef de cette délégation scientifique fut Gottlob Heyne, Ratingen, A . H e n n Verlag, 1966.
F . O . Schleiermacher. 6. Voir J. H . C a m p e , H . König (dir. publ.), Briefe aus
L'idée d u baron von Stein de créer, au plus haut Paris, Berlin, Rütten und Loening, 1961.
niveau, u n Conseil d'État qui aurait dirigé et contrôlé 7. Voir W . von Humboldt, H . Kienner, (dir. publ.),
l'administration avec la participation des ministres et Individuum und Staatsgewalt, Leipzig, Verlag Philipp
des chefs de section ne s'étant pas concrétisée, H u m - Reclam, 1985 ; J. Lekschas, Zur Staatslehre Wilhelm
boldt présenta sa démission au roi le 29 avril 1810, von Humboldts, Berlin, Akademie-Verlag, 1981 (Sit-
déclarant avec assurance que la création prévue d'un zungsberichte der Akademie der Wissenschaften
Conseil d'État intérimaire « rabaissait tellement le der D D R , 1980, 8/G) ; H . König, Zur Geschichte der
poste qui m ' a été confié par rapport à ce qu'il était à Nationalerziehung in Deutschland im letzten Drittel
m o n entrée en fonction qu'il m'est impossible de des 18. Jahrhunderts (Monumento paedagogica, vol. i),
l'occuper plus longtemps 86 ». Berlin, Akademie-Verlag, i960, p. 342 et suiv. >
D e 1810 à 1819, H u m b o l d t exerça les fonctions de Schriften zur Nationalerziehung in Deutschland am
diplomate prussien d'abord à Vienne. Après la défaite Ende des 18. Jahrhunderts, introduction et notes de
de Napoléon, il prit part à d'importants événements H . König, Berlin, Volk und Wissen Volkseigener
diplomatiques : Congrès de Vienne, négociations de Verlag, 1954, p. 157 et suiv. ; H . König, Die Bildungs-
paix à Paris, Congrès d'Aix-la-Chapelle. Il consacra idee Wilhelm von Humboldts und ihre Verwirklichung,
les quinze dernières années de sa vie, à Tegel et à Berlin, W Z der Humboldt-Universität zu Berlin,
Berlin, à la poursuite privée de la connaissance, en G S , 17/1968, p. 341 et suiv.
particulier à la linguistique. 8. W . v. Humboldt, Individuum und Staatsgewalt, op. cit.,
Sa courte activité au service de l'éducation, toujours p. 76.
fondée sur des principes philosophiques, philologi- 9. Ibid., p. 107.
ques, historiques et pédagogiques, et dont ne rendent 10. Ibid., p. 71.
guère compte que des documents administratifs, à 11. J. Lekschas, op. cit., p. 8.
l'exclusion de tout ouvrage proprement pédagogique, 12. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, A . Flitner
a profondément influencé le système d'éducation al- et K . Giel (dir. publ.), vol. IV, Berlin, Deutscher
lemand du xixe siècle. H u m b o l d t lui-même en avait Verlag der Wissenschaften, 1964, p. 46.
conscience. D a n s une lettre écrite en juillet 1810, 13. Ibid., p. 33.
alors qu'il venait d'abandonner la direction de la 14. Ibid., p. 221.
Section de la culture et de l'enseignement public, il 15. Deutsche Geschichte, op. cit.,p. 92.
déclarait : « J'ai fait ce que j'ai p u et crois pouvoir 16. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. IV,
affirmer que le système d'enseignement de cet État a op. cit.,p. 583.
pris grâce à moi u n essor nouveau et que, quand bien 17. W . von Humboldt, Sein Leben und Virken, dargestellt
m ê m e je n'ai exercé mes fonctions que pendant un an in Briefen, Tagebüchern und Dokumenten seiner Zeit,
environ, m o n action laissera des traces durables. Plus Verlag der Nation, 1953, p. 585 et suiv.
que toute autre chose, je considère c o m m e m o n œuvre 18. Ibid., p. 586.
personnelle la création, ici à Berlin, d'une nouvelle 19. Ibid., p . 602.
université8'. » 20. Deutsche Geschichte, op. cit., p. 88.
Karl-Heinz G Ü N T H E R , 21. W . von Humboldt, Sein Leben und Wirken, dargestellt
Académie des sciences pédagogiques, in Briefen, Tagebüchern und Dokumenten seiner Zeit,
République démocratique allemande op. cit., p. 603.
22. Ibid., p. 603 et suiv.
140 R e v u e de publications

23. A . Flitner/K. Giel, « Nachwort der Herausgeber », 57. Voir R . Ahrbeck, Die allseitig entwickelte Persönlich-
dans : W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, keit. Studien zur Geschichte des humanistischen Bil-
vol. I V , op. cit., p. 584. dungs-ideals, Berlin, Volk und Wissen Volkseigener
24. Voir H . Deiters, « Wilhelm von Humboldt als G r ü n - Verlag, 1979, p . 167 et suiv.
der der Universität Berlin 1, dans : Forschen und 58. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V ,
Wirken. Festschrift zur ISO-Jahr-Feier der Humboldt- op. cit., p. 219.
Universität zu Berlin, Berlin, V E B Deutscher Verlag 59. Ibid.
der Wissenschaften, i960, p . 20 ; G . A m h a r d t , 60. Ibid., p. 175.
« W . von Humboldt — neuhumanistischer Bildungs- 61. H . König, Zur Geschichte der bügerlinchen National-
theoretiker mit beachtenswerter Fernwirkung », erziehung in Deutschland zwischen 1807 und 1815,
WZ Friedrich-Schiller-Universität Jena, Gesellschafts- première partie (Monumento paedagogica, vol. XII),
und Sprache, Reihe, n° 5/1981, p . 603 et suiv. Berlin, Volk und Wissen Volkseigener Verlag, 1972,
25. A . Flitner/K. Giel, op. cit., p . 584. p. 348 ; voir aussi p . 266 et suiv., p. 298 et suiv.
26. Voir W . Hartkopf, Die Akademie der Wissenschaften 62. Voir G . Gloege, op. cit., p. 38 et suiv.
der D D R . Ein Beitrag zu ihrer Geschichte, Berlin, 63. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V ,
Akademie-Verlag, 1975, p . 31 et suiv. op. cit., p . 36.
27. G . Gloege, Wilhelm von Humboldt und die Reformver- 64. R . Ahrbeck, op. cit., p. 153.
suche der preussischen Unterrichtsverwaltung, Bielefeld/65. W . von Humboldt, Werke in fünf Banden, vol. I V ,
Leipzig, 1921, p . 2 . op. cit., p. 223.
28. Voir F . Paulsen, Geschichte des gelehrten Unterrichts, 66. Ibid., p. 226 et suiv.
2 e éd., vol. 2 , Leipzig, 1897, p . 277. 67. F. Paulsen, op. cit., p. 293.
29. E . Spranger, Wilhelm Von Humboldt und die Reform 68. Voir Wilhelm Von Humboldt an Carl David Ilgen,
des Bildungswesens, Berlin, 1910, p. 134. sélection présentée et commentée par G . Amhardt,
30. Voir H . Deiters, op. cit., p. 21. dans : Jahrbuch für Erziehungs- und Schulgeschichte,
31. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V , 26/1986, Berlin, Volk und Wissen Volkseigener Verlag,
op. cit., p . 114 ; voir aussi p . 233 ; voir H . Kossack 1986, p. 208 et suiv.
et al. H . Klein (dir. publ.), Humboldt-Universität zu 69. Voir W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden,
Berlin, Dokumente 1810-198S, Berlin, V E B Deutscher vol. IV, op. cit., p. 241 et suiv.
Verlag der Wissenschaften, 1985, p . 9 et suiv. 70. Voir F. Paulsen, op. cit., p. 286.
32. Voir A . Rüger et al., Humboldt-Universität zu Berlin. 71. Voir R . Ahrbeck, op. fit.,p. 161 ; W . Girnus, « H u m -
Überblick 1810-1985, H . Klein (dir. publ.), Berlin, boldts Gedanken zur Gattungsnatur des Menschen »,
V E B Deutscher Verlag der Wissenschaften, 1985, dans : Das Ideal der allseitig entwickelten Persönlich-
p. 13 et suiv. keit — seine Entstehung und sozialistische Verwirk-
33. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V , lichung, Berlin, Akademie-Verlag, 1976, p . 6 2 et
op. cit., p. 255. suiv. ; C . M e n z e , Wilhelm von Humboldts Lehre und
34- Ibid. Bild vom Menschen, Ratingen, A . H e n n Verlag, 1965.
35. Ibid., p. 256. 72. C . Menze, Wilhelm von Humboldts Lehre und Bild vom
36. Ibid., p. 257. Menschen, op. cit., p. 154.
37. Ibid., p. 191. 73. Ibid., p. 155.
38. Ibid. 74. R . Ahrbeck, op. cit., p. 161.
39. Ibid. 75. Ibid., p. 162.
40. Ibid., p. 170. 76. C . M e n z e , Wilhelm von Humboldts Lehre und Bild
vom Menschen, op. cit., p. 260.
41. Ibid.
77. Ibid.
42. Ibid. 78. Ibid., p. 261.
43. Ibid., p. 260. 79. R . Ahrbeck, op. cit., p. 166.
44. Ibid., p. 256. 80. Voir K . - H . Günther, « Einige Tendenzen in der
45. Ibid., p. 260. Geschichte des Schulwesens in Deutschland i m
46. Ibid., p. 211. 19. Jahrhunden, dans : Jahrbuch 1982, Akademie der
47. Ibid. Pädagogischen Wissenschaften der D D R , Berlin,
48. Ibid.,p. 212. Volk und Wissen Volkseigener Verlag, 1982, p . 117
49. Ibid., p. 217. et suiv. ; H . Balschun, Z u m schulpolitischen K a m p f
50. Ibid., p. 218. u m die Monopolstellung des humanistischen G y m n a -
51. Ibid., p. 169. siums in Preussen i m letzten Drittel des 19. Jahr-
52. Ibid. hunderts », « Diss. paed. », A , Halle-Wittenberg,
53- Ibid. Martin-Luther-Universität, 1964 (miméographié).
54. Ibid. 81. Voir H . König, « V o n der Wissenschaftlichen D e p u -
55. Ibid., p. 170. tation z u m Wissenschaftlichen Rat », Das Hoch-
56. Ibid., p. 190. schulwesen, n° 6/7/1961, p. 520 et suiv.
R e v u e de publications 141

82. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. IV, planification et la gestion de l'enseignement à dis-
op. cit., p. 201. tance, il examine les problèmes et les éléments qui
83. Ibid., p. 202. interviennent dans la mise en place et la gestion des
84. Ibid. systèmes de télé-enseignement.
83. H . Deiters, op. cit., p. 32. D a n s le chapitre « D e s politiques gouvernementa-
86. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V , les » du livre publié sous la direction de Mugridge et
op. cit., p. 248. K a u f m a n , Ellis définit l'enseignement à distance
87. Citation d'A. Rüger et al., op. cit., p. 9. c o m m e u n appendice d u processus éducatif dont les
trois caractéristiques fondamentales sont : a) l'utilisa-
tion de matériels didactiques médiatisés soigneuse-
ment élaborés ; b) la rétroaction de l'information sur
les apprenants ; c) l'absence ou u n m i n i m u m de re-
COMPTES R E N D U S cours à l'interaction face-à-face de l'enseignant et de
L'ENSEIGNEMENT À DISTANCE l'apprenant (p. 27). Ellis estime que l'on ne saurait
y ranger la création de centres universitaires éloignés
ou la pratique qui consiste à envoyer des enseignants
Michael Y O U N G , Hilary P E R R A T O N donner des cours dans des régions reculées, m ê m e si
Janet J E N K I N S et T o n y D O D D S elles aident à surmonter l'obstacle que l'éloignement
Distance teaching for the Third World: oppose à l'action éducative. Cette définition de l'en-
the lion and the clockwork mouse seignement à distance implique une séparation phy-
sique entre l'apprenant et l'enseignant. Elle rejoint
Londres, Routledge and Kegan Paul, 1980
effectivement celle donnée par Holmberg, en 1981, et
Ger V A N E N C K E V O R T , Keith H A R R Y
que citent Farrel et Haughty, dans le chapitre qu'ils
consacrent à « L'avenir de l'enseignement ouvert »
Pierre MoRTN et Hans G . SCHÜTZE (dir. publ.)
{Distance education in Canada) : « Les méthodes
Distance higher education and the adult learner didactiques suivant lesquelles, d u fait m ê m e de
Assen/Maastricht, V a n G o r c u m , 1986 l'éloignement physique des apprenants et des ensei-
gnants, l'interaction et la phase préparatoire de l'en-
Ian M U G R I D G E et David K A U F M A N (dir. publ.) seignement sont conduites à l'aide de textes imprimés
Distance education in Canada par des procédés mécaniques ou électroniques. » Il
n'en reste pas moins qu'à leurs yeux cette définition,
Londres, C r o o m H e l m , 1986 quoique nécessaire, est insuffisante puisque aussi bien
elle ne rend pas compte d u contexte plus général de
Greville R U M B L E
l'enseignement ouvert dans lequel l'enseignement à
The planning and management distance s'est épanoui. Selon eux, l'enseignement ou-
of distance education vert implique 1' « ouverture » des systèmes d'ensei-
Londres, C r o o m H e l m , 1986 gnement traditionnels par le recours à une combinai-
son de médias en vue de répondre à divers besoins
éducatifs. L'avenir de l'enseignement à distance réside
Les auteurs du premier de ces quatre ouvrages exami- donc dans le perfectionnement des systèmes d'ensei-
nent u n certain nombre d'exemples de ce qui a été gnement ouvert. Sans le dire expressément, ils consi-
fait en matière d'enseignement à distance, surtout dèrent que la notion d'enseignement ouvert recouvre
dans les pays en développement, à partir desquels ils en gros la suppression des conditions d'admission et
proposent la création d'un système d'éducation extra- des limites d'âge, mais aussi de tous les autres obsta-
scolaire fondé sur ce qu'ils appellent les « radio- cles créés par les systèmes d'enseignement tradition-
collèges ». L e livre publié sous la direction notam- nel, notamment le fait d'imposer des lieux et des
ment de Ger V a n Enckevort est u n recueil des c o m - périodes d'apprentissage fixes. Visiblement, ils plai-
munications sur différents problèmes relatifs à l'en- dent pour u n enseignement à distance ouvert plus
seignement à distance dans les pays de l'Organisation qu'ils ne contribuent à la définition de l'enseignement
de coopération et de développement économiques à distance. Il devient dès lors sans objet de prendre
( O C D E ) qui ont été présentées et discutées à une l'enseignement ouvert en considération dans une dé-
conférence internationale tenue en octobre 1984 à finition de l'enseignement à distance, mais on serait
l'Université ouverte de Heerlen (Pays-Bas). L e livre tenté de penser avec eux que l'avenir et le succès des
publié sous la direction de Mugridge et K a u f m a n est systèmes de télé-enseignement dépendront sans
u n recueil d'essais sur l'enseignement à distance au doute, pour une part, de leur ouverture, au sens
Canada, dont il « souligne les principes de base, la large que l'on vient d'indiquer.
théorie, les modèles et les problèmes particuliers » L a façon dont R u m b l e procède pour tenter de
(p. 1). Quant à l'ouvrage de R u m b l e , qui porte sur la définir l'enseignement à distance est peut-être
142 Revue de publications

meilleure. Il c o m m e n c e par examiner l'emploi d u secondaire ou supérieur des adultes qui ne pouvaient
terme « distance » proposé en 1983 par M o o r e , qui pas ou ne voulaient pas avoir recours aux systèmes
l'entend au sens de « distance transactionnelle », traditionnels. Il n'est donc pas surprenant que,
terme qui englobe à la fois le dialogue et la structure dans les pays occidentaux développés, une majorité
dans le processus éducatif. C'est là une analyse utile d'établissements d'enseignement à distance, soli-
en ce qu'elle aide le lecteur à comprendre et à m e - dement implantés et prospères, proposent des cours
surer le fait que la « distance » ne se réduit pas à la de niveau postsecondaire conduisant à u n grade ou
seule distance géographique entre l'apprenant et u n diplôme universitaire. Quelques-uns d'entre eux,
l'enseignant. R u m b l e déclare ensuite que, pour c o m m e l'Open University britannique, outre des
essayer de définir l'enseignement à distance, il cours de licence, offrent depuis peu des cours
convient de considérer les pratiques, les systèmes et relevant de l'éducation permanente. O n trouvera,
les projets variés existant en ce domaine. Pour lui, dans les sections II et III du premier de ces ouvrages
l'élément qu'ils ont tous en c o m m u n est « la sépa- (directeur de publication : Ger V a n Enckerot et al.)
ration dans l'espace et dans le temps des activités ainsi que dans les études de cas présentées dans le
d'enseignement et d'apprentissage, l'enseignement second (Mugridge et K a u f m a n ) , une analyse des
reposant généralement sur une combinaison de m a - raisons d'adopter des systèmes d'enseignement à
tériels didactiques structurés et le recours à des distance dans les pays développés, où les établis-
intermédiaires (« assistants », conseillers, « anima- sements existants répondent aux besoins de la popu-
teurs ») pour aider les apprenants à se servir desdits lation adulte en levant les obstacles à l'accès à l'ensei-
matériels » (p. 9). gnement supérieur que constituent, outre le temps,
Cet élément c o m m u n est le point de départ, après diverses contraintes d'ordre institutionnel, social et
quoi l'on c o m m e n c e à voir les différences. R u m b l e financier.
examine les facteurs qui les engendrent et conclut D a n s les pays développés, l'adoption de l'ensei-
que « le problème, pour qui cherche à définir l'ensei- gnement à distance s'explique essentiellement par le
gnement à distance, est de déceler les traits c o m - souci de donner à la population adulte la possibilité
m u n s « (p. 10). Ses remarques sur la définition pro- de bénéficier d'une éducation postsecondaire. D a n s
posée par Keegan en 1980 aideront très utilement le les pays en développement, cet enseignement sert à
lecteur à saisir ce qu'il faut entendre par l'enseigne- résoudre ou à atténuer certains des problèmes des
ment à distance. Keegan a identifié sept grandes systèmes éducatifs c o m m e l'insuffisance des capacités
caractéristiques indispensables selon lui à toute d'accueil scolaires, le m a n q u e d'enseignants et l'ab-
définition suffisamment générale, à savoir : la sépa- sence d'auxiliaires d'enseignement pour les classes
ration de l'enseignant et de l'élève, le rôle d'une tant d u primaire que d u secondaire. Les pays en
institution éducative, le recours à des médias tech- développement ont donc eu recours à l'enseignement
niques, la mise en place d'une communication bidi- à distance pour développer le système éducatif
rectionnelle, l'absence d'apprentissage collectif, la à ces deux niveaux, enrichir et améliorer l'ensei-
participation à la forme d'éducation la plus indus- gnement scolaire et l'alphabétisation des adultes.
trialisée et la privatisation de l'apprentissage. D e fait, L'enseignement à distance est moins développé au
on retrouve la majorité de ces caractéristiques dans niveau postsecondaire qu'aux autres niveaux. L e
presque tous les projets, programmes et systèmes premier chapitre de l'ouvrage de Y o u n g et de ses
d'enseignement à distance cités ou décrits dans les collaborateurs offre u n tableau très vivant des pro-
trois autres ouvrages dont il est rendu compte ici. blèmes que posent les systèmes éducatifs des pays
Il est intéressant de constater que les pays déve- en développement et dont l'enseignement à distance
loppés adoptent ou créent des systèmes de télé- est perçu c o m m e une solution. L'usage que les pays
enseignement pour des raisons différentes de celles développés et les pays en développement font de cet
des pays en développement, mais ce n'est pas sur- enseignement offre u n contraste que ces auteurs
prenant, car, c o m m e le note R u m b l e , « leurs besoins résument fort bien en ces termes : « E n Occident,
sont dans u n e certaine mesure différents » (p. 47). il a surtout servi à donner une instruction à des
A u fil des chapitres, les deux ouvrages publiés sous groupes passablement restreints et bien définis qui
la direction de G e r V a n Enckevort et ses collabo- ne pouvaient accéder à l'enseignement ordinaire.
rateurs, d'une part, de Mugridge et K a u f m a n , E n Afrique, des tentatives ont été faites pour recourir
d'autre part, offrent u n tableau très vivant et une à l'enseignement à distance sur une échelle propor-
analyse des raisons d'adopter des systèmes d'ensei- tionnellement bien plus importante. L'objectif
gnement à distance dans les pays occidentaux déve- n'était pas de développer le système éducatif de
loppés. A la lecture de ces deux ouvrages, on se rend façon à desservir les 5 % restants de la population,
clairement compte que, dans des pays développés mais d'offrir quelque chose à la moitié qui n'est
c o m m e le Canada, le R o y a u m e - U n i et les États- jamais scolarisée dans son enfance, ou aux trois
Unis d'Amérique, ces systèmes ont été mis en place quarts et davantage qui ne bénéficient pas de l'édu-
pour pourvoir aux besoins éducatifs de niveau post- cation des adultes » (p. 21).
Revue de publications 143

A u chapitre III d u livre de R u m b l e , le lecteur K a u f m a n , d'une part, de G e r V a n Enckevort et


découvrira que tous les facteurs de l'adoption de ses collaborateurs, d'autre part, apportent effecti-
l'enseignement à distance ont été fort bien regroupés vement quelques éclaircissements sur le point de
sous les six sous-titres suivants : « Égalitarisme » ; savoir qui participe à cet enseignement et qui en
« Théories de la modernisation » ; « Développement bénéficie dans les pays développés, notamment en
rural et enseignement axé sur la vie locale » ; « É d u - Europe, au Canada et aux États-Unis d'Amérique.
cation permanente et éducation des adultes » ; « Tota- A u Canada, par exemple, à l'Université d'Atha-
litarisme (contrôle social et contrôle des programmes basca, la plupart des étudiants sont des adultes qui
d'enseignement) » ; « Abaissement d u coût de l'édu- travaillent et font des études à temps partiel dans
cation ». R u m b l e analyse ces facteurs à l'aide d'exem-leur environnement local et qui ont en majorité
ples. L'égalitarisme et l'abaissement d u coût de entre vingt-cinq et quarante-quatre ans. L a situation
l'éducation sont très fréquents tant dans les pays est pratiquement la m ê m e à l'Open University au
développés que dans les pays en développement. R o y a u m e - U n i . L e lecteur trouvera davantage d'in-
E n revanche, les théories de la modernisation (cen- formations sur les participants dans les chapitres
trées sur la nécessité de développer l'enseignement suivants :
postprimaire ou d'améliorer la formation pédago- « Caractéristiques des apprenants et réussite » ( M u -
gique) ainsi que le développement rural et l'ensei- gridge et K a u f m a n , p . 81), rédigé par D a n O . Col-
gnement axé sur la vie locale ne sont très courants que deway, qui conclut ainsi son analyse : « Il est clair
dans les pays en développement et, d'après les que l'enseignement à distance ne profite qu'à une
exemples donnés par R u m b l e , l'éducation permanente population d'apprenants bien déterminée, qui se
et l'éducation des adultes valent surtout pour les caractérise en général par u n bagage plus varié,
pays développés. Finalement, le facteur totalitaire des contacts antérieurs plus riches avec le système
a été associé à l'enseignement à distance dans très éducatif (du fait de la fréquentation d'un plus
peu de pays, les exemples cités étant l'Afrique d u grand nombre d'établissements postsecondaires
Sud, l'Iran et la Colombie. E n général, l'analyse avant l'inscription à u n programme de télé-
de ces facteurs confirme effectivement le contraste enseignement), u n éventail plus large d'aptitudes
entre l'ouvrage de Y o u n g et ses collaborateurs, d'une aux études et des caractéristiques démogra-
part, et les deux ouvrages consacrés respectivement phiques et personnelles plus disparates (tranche
au Canada et aux pays de l ' O C D E , d'autre part. d'âge, répartition selon le sexe, situation familiale,
A cette question des facteurs ou motifs de l'adop- expérience professionnelle et autres » (p. 86).
tion ou de l'utilisation de l'enseignement à distance « Les adultes dans l'enseignement supérieur : l'ensei-
est liée celle-ci : à qui profite-t-il dans les pays déve- gnement et l'apprentissage à distance abaissent
loppés c o m m e dans les pays en développement ? les barrières », par H a n s G . Schutze (dans G . V a n
R u m b l e ne s'y attaque pas directement, il se borne à Enckevort et al., p. 21). L a conclusion de Schutze
mentionner certains des groupes sociaux qui béné- est la suivante : « Tout donne à penser que l'ensei-
ficient des systèmes de télé-enseignement sans ana- gnement supérieur à distance dessert fondamen-
lyser leurs caractéristiques, alors qu'il y a aujour- talement le m ê m e groupe que l'enseignement
d'hui suffisamment d'informations sur les parti- supérieur traditionnel (sauf en ce qui concerne
cipants à ce type d'enseignement. O r , il est très l'âge des étudiants) : les étudiants motivés issus
important de connaître les caractéristiques des béné- des classes moyennes » (p. 35). Il ressort de l'ana-
ficiaires d'un programme éducatif, car cela aide à lyse de Y o u n g et ses collaborateurs que, dans les
organiser u n système de distribution approprié, pays en développement, la clientèle de l'ensei-
pertinent et peut-être efficace en ce qui concerne gnement à distance est constituée à la fois d'adultes
notamment les méthodes pédagogiques et les médias. et d'enfants vivant pour la plupart dans les régions
Il aurait donc fallu envisager de faire figurer, dans reculées ou en milieu rural.
un ouvrage traitant des problèmes de planification L e public retenu c o m m e cible, les méthodes d'ensei-
et de gestion de l'enseignement à distance, u n cha- gnement, le choix des médias et les services de sou-
pitre ou une section consacrés à l'analyse des carac- tien fournis aux étudiants sont parmi les éléments
téristiques des diverses catégories de bénéficiaires. qui ne font en très grande partie que traduire le
Q u e nous apprend jusqu'ici l'expérience sur la déroulement d u processus de mise en place d u
nature des publics cibles et quelles sont les consé- système de télé-enseignement. D a n s les cinq pre-
quences à en tirer pour la planification et la ges- miers chapitres de son ouvrage. R u m b l e a tenu à
tion des systèmes ou des établissements de télé- examiner les aspects à prendre en considération
enseignement ? C'est tout aussi important que de quand on veut mettre en place u n système ou créer
considérer la mission ou les objectifs d'un établis- u n établissement d'enseignement à distance et il
sement ou d'un système déterminé. Les études de fournit une base théorique à la pratique de la plani-
cas présentées dans les deux ouvrages publiés res- fication en la matière. Il est particulièrement utile
pectivement sous la direction de Mugridge et pour le planificateur de connaître, directement ou
144 Revue de publications

indirectement, les modèles d'enseignement à dis- matière d'enseignement à distance, que ce soit dans
tance, les modèles éducatifs qui sous-tendent tel ou les pays en développement ou dans les pays déve-
tel système de télé-enseignement, le jeu des facteurs loppés, sauf celui de Mugridge et K a u f m a n sur le
économiques et le processus de planification. Ces Canada, qui y consacre u n chapitre, d û à John
chapitres s'articulent de façon cohérente. Il convient, Ellis, o ù l'on trouve au moins quelques éclaircisse-
toutefois, de faire deux observations. D'abord, à ments sur ce qu'est probablement la situation dans
propos des différents modèles de systèmes, R u m b l e les autres pays développés présentant des carac-
en analyse en détail les activités opérationnelles, qui téristiques analogues, notamment les États-Unis
constituent deux grands sous-systèmes : celui des d'Amérique. Selon cet auteur, les politiques p u -
matériels et celui des élèves. Il n'étudie pas les acti- bliques qui infléchissent l'enseignement à distance
vités réglementaires et logistiques, qu'il se contente sont le fait des gouvernements des provinces et des
de mentionner dans le texte et au tableau Ï . I , territoires, et n o n d u gouvernement fédéral. C'est
moyennant quoi le lecteur se demande quels seraient pourquoi la pratique de cet enseignement varie
les éléments que l'auteur y rangerait. Ces activités quelque peu d'une région d u Canada à l'autre. S o n
participent-elles de sous-systèmes au m ê m e titre analyse de la situation dans ce pays l'amène à
que les activités opérationnelles ? R u m b l e ne nous conclure : « Tout cela pour dire qu'il est rarement
éclaire pas sur ce point. Ensuite, au lieu de se conten- facile, et souvent impossible, de délimiter préci-
ter de formuler les fonctions de coût, c o m m e au sément la politique gouvernementale en matière
chapitre I V , l'auteur aurait d û donner des exemples d'enseignement à distance. Il n'y a donc pas lieu de
de calcul des coûts, d'établissements existants qui s'étonner que les politiques gouvernementales en
utiliseraient ces fonctions. Cela aurait aidé le lecteur la matière, telles qu'elles se reflètent en tout cas
à y voir plus clair. Il nous semble insuffisant d'in- dans les lois et règlements, soient rares et disper-
diquer seulement que, « si l'on veut mettre sur pied sées [...] il se passe tant de choses moyennant,
u n système d'enseignement à distance dans l'espoir semble-t-il, si peu de politique officielle » (p. 27).
de réaliser des économies d'échelle, il faut faire en Cela ne signifie pas pour autant, se hâte de préciser
sorte que le coût variable par étudiant (V) y soit Ellis, que les activités de télé-enseignement au Canada
moins élevé que dans les systèmes classiques de se déroulent en dehors de tout cadre juridique. C'est
m ê m e niveau éducatif; que l'effectif des étudiants plutôt que les lois qui régissent ces activités sont géné-
(N) soit suffisant pour abaisser le coût fixe m o y e n rales plus que normatives. Il note pour conclure
par étudiant ( F / N ) » (p. 65). Il aurait été utile de qu'au Canada cet enseignement n'appelle pas une
renforcer l'argumentation par u n exemple concret politique gouvernementale plus clairement définie.
tiré de la comparaison de deux systèmes ou établis- C e qu'on lit sur le cas des États-Unis d'Amérique
sements, n o n pas forcément dans le corps d u texte semble indiquer que, sur ce point, la situation est
(ce qui serait trop long ou trop difficile à lire, ou plus ou moins la m ê m e qu'au Canada. L'ouvrage de
les deux), mais en appendice ou sous la forme d'un R u m b l e sur la planification et la gestion aurait p u
graphique. traiter plus directement et plus en détail de la poli-
Les cas de création de systèmes ou d'établissements tique des pouvoirs publics. Quant à Y o u n g et ses col-
d'enseignement à distance sont le reflet dans les faits laborateurs, ils auraient p u étudier la question. A lire
des considérations de planification analysées par ce qui est dit des systèmes d'enseignement à dis-
R u m b l e . L e lecteur peut se rendre compte, au vu tance mis en place sur une grande échelle dans les
des exemples européens et canadiens fournis dans les pays en développement, on a l'impression que la plu-
deux ouvrages publiés par Mugridge et K a u f m a n et part sinon la totalité d'entre eux ont été et restent
par Ger V a n Enckevort et ses collaborateurs, c o m m e n t conçus et sont gérés, pour l'essentiel, sous l'impulsion
les modèles éducatifs que les planificateurs avaient d'une influence extérieure, et non en vertu d'une poli-
dans la tête ont influé sur les caractéristiques des tique gouvernementale qui s'y applique directement.
systèmes mis en place. C'est ainsi que les universités E n tout état de cause, pour ce qui est des pays en
ouvertes néerlandaise et britannique sont, semble- développement, il n'apparaît m ê m e pas qu'il existe
t-il, fortement inspirées d u modèle éducatif axé sur la moindre politique en la matière. A l'avenir, il
la personne qu'examine R u m b l e . L e livre de Y o u n g faudrait que les études consacrées à l'enseignement
et de ses collaborateurs expose des études de cas à distance traitent à fond la question de la politique
d'enseignement à distance dans les pays en déve- officielle de l'enseignement à distance, surtout dans
loppement, dont les caractéristiques (campagnes de les pays en développement. U n e telle politique est-
masse et forums ruraux, par exemple) sont manifes- elle nécessaire en ce domaine ? E n existe-t-il déjà des
tement tributaires d u modèle éducatif centré sur la exemples ? D a n s l'affirmative, jusqu'à quel point ces
société. politiques influencent-elles ou infléchissent-elles la
Il est aussi intéressant que surprenant de cons- pratique de l'enseignement à distance face à l'in-
tater qu'aucun des ouvrages considérés ne traite de fluence concurrente exercée par les pays développés
la question des politiques gouvernementales en occidentaux ? Telles sont quelques-unes des ques-
Revue de publications 145

tions, parmi bien d'autres, auxquelles il faudrait différent et, en ce cas, se trouveraient peut-être non
s'attaquer. pas à la queue de la longue colonne désignée par les
Chacun des quatre ouvrages dont nous rendons nations industrialisées, mais à sa tête, allant dans une
compte ici, sans chercher à les comparer, apporte une direction différente et montrant eux-mêmes le che-
précieuse contribution à la masse croissante des écrits min au reste d u m o n d e » (p. 129).
consacrés à l'enseignement à distance. A l'exception Voilà u n raisonnement bien fait pour rappeler aux
de celui qui est publié sous la direction de Y o u n g , planificateurs des systèmes de télé-enseignement que
tous sont de parution récente (1986), bien qu'ils uti- ce qui « marche » dans les pays développés ne fonc-
lisent des matériaux ou des informations qui remon- tionne pas toujours nécessairement aussi bien dans
tent aux alentours de 1984. L e lecteur est ainsi sûr les pays en développement. Quelque chose de diffé-
de disposer d'une documentation à peu près à jour. rent pourrait être tenté.
L e livre publié par Mugridge et K a u f m a n donne O n peut, toutefois, faire une observation sur les
au lecteur u n tableau très complet de l'enseignement « radio-collèges » proposés par Y o u n g et ses collabo-
à distance au Canada. Celui de Ger V a n Enckevort rateurs. Ceux-ci auraient d û consacrer u n chapitre
fait de m ê m e n o n seulement dans le cas des pays ou une section de leur ouvrage à l'incidence de cette
européens, mais encore pour l'Australie, les États- formule sur les systèmes éducatifs existants et sur la
Unis d'Amérique, le Japon, la Nouvelle-Zélande et société dans son ensemble. C o m m e n t celle-ci réagi-
la Turquie. A eux deux, ces ouvrages permettent de rait-elle, par exemple, à l'idée d'installer deux caté-
savoir ce qui se passe en matière d'enseignement à gories de diplômés, selon qu'ils sont issus d u système
distance dans les pays développés d u m o n d e . O n ne scolaire traditionnel ou d u système extrascolaire
peut qu'en recommander très vivement la lecture à reposant sur la formule des « radio-collèges » ? C o m -
tous ceux que la question intéresse. Ils y trouveront un ment les deux systèmes ont-ils des chances de s'in-
certain nombre d'exemples et d'études de cas pré- fluencer mutuellement ? L a question n'est pas ana-
sentés de façon assez détaillée, qui leur permettront lysée. Il reste que les appendices sur les études de
de mieux comprendre et de mieux connaître l'ensei- cas et le répertoire annoté des projets d'enseignement
gnement à distance dans le m o n d e industrialisé. A la à distance fournissent au lecteur de très précieux
fin de chaque volume, on voit se dessiner la tendance renseignements. D e s indications passées sous silence
à utiliser dans ce secteur des technologies nouvelles dans le texte y figurent en bonne place. Cela donne
de l'information et des télécommunications c o m m e au livre u n surcroît d'intérêt.
l'informatique. Quant au livre de Y o u n g et de ses Pour sa part, tout en concédant qu' « il n'y a pas
collaborateurs, qui date pourtant de 1980, il demeure une seule et unique bonne manière de concevoir et
utile pour comprendre l'enseignement à distance dans de gérer u n système d'enseignement à distance »
les pays en développement, car les choses n'ont proba- (p. 20), R u m b l e présente au lecteur ou à l'utilisateur
blement pas beaucoup changé depuis que ces auteurs une très bonne analyse des thèmes et éléments à
ont étudié la question. O n peut donc considérer que prendre en considération dans la planification et la
leur analyse reste encore valable aujourd'hui. L a popu- gestion de l'enseignement à distance. Cet ouvrage
lation de ces pays continue de s'accroître rapidement, apporte u n complément important aux écrits exis-
mais la mise en place d'installations d'enseignement tant sur le sujet en ceci que l'auteur a tenté d'expli-
ne suit pas. Les taux d'analphabétisme chez les en- citer ce qu'impliquent ces deux activités. T o u s ceux
fants et les adultes atteignent des niveaux alarmants qui se consacrent à celles-ci devraient le lire.
dans la plupart des cas. L a situation est peut-être Pour résumer, on peut dire que ces ouvrages méri-
m ê m e pire à présent que dans les années 1970, que tent tous de figurer dans toute bibliothèque. E n
dépeignent Y o u n g et ses collaborateurs. Pourtant, outre, on ne saurait trop les recommander à toutes
l'apport exceptionnel de ce livre, qui mérite d'être les universités qui pratiquent l'enseignement à
pris au sérieux dans les pays en développement et distance.
dont la valeur n'est pas moindre aujourd'hui qu'hier, J u m a Esau N Y T R E N D A ,
c'est la formule d'un système éducatif extrascolaire Directeur du Centre d'éducation permanente,
reposant sur des « radio-collèges », solution que les Université de Zambie
auteurs suggèrent, avec de très bons arguments à
l'appui, en indiquant quels sont ceux qui peuvent en
bénéficier, ce qu'ils apprendront et c o m m e n t l'orga-
nisation d u système devrait être conçue et réalisée.
L a proposition est présentée de manière très sédui-
sante. N o u s pensons avec eux qu' « il vaut la peine de
l'essayer » (p. 121) et s o m m e s d'accord avec eux lors-
qu'ils font valoir qu' « aucune fatalité historique
n'oblige les pays pauvres à suivre l'exemple des pays
développés. Ils pourraient faire quelque chose de
146 Revue de publications

a également enseigné le pédagogue argentin Gustavo


Cirigliano. Bien que son titre puisse donner l'impres-
La educación abierta
sion qu'il s'agit d'un exposé systématique, dans le
Gustavo F . J. ClRIGLIANO
genre d'un traité universitaire ou scientifique, l'ou-
Buenos Aires, Editorial El Ateneo, 1983 vrage établi sous la direction de Peñalver et Escotet
n'est pas, et ne prétend pas être, autre chose qu'un
Teoría y praxis de la universidad a distancia recueil d'articles très différents quant à la forme et à
Luis M . P E Ñ A L V E R l'intention. Certains ont été présentés à la réunion
et Miguel A . E S C O T E T (dir. publ.) sur les nouvelles formes d'enseignement postsecon-
daire en Amérique latine et dans les Caraïbes (Cara-
Caracas, Editorial F E D E S , 1981, 2 vol.
cas, 1976), d'autres ont été rédigés à l'occasion de la
première Conférence latino-américaine sur l'ensei-
L'intérêt que suscite l'enseignement universitaire à gnement supérieur à distance (San José, Costa Rica,
distance remonte à la fin des années i960, époque à 1981) et quelques-uns étaient jusqu'alors inédits.
laquelle a été créé au Japon le comité préparatoire de E n résumé, l'ouvrage se présente sous forme de
ce qui allait devenir, quelques années plus tard, l'Uni- deux volumes qui rassemblent trente-cinq articles,
versité des ondes et où, au R o y a u m e - U n i , l'Open tous d'auteurs différents, sauf deux qui ont été écrits
University a reçu sa charte royale. Depuis, la litté- par Peñalver et trois par Escotet. L e premier volume
rature relative à l'éducation ouverte en tant que m o d e traite plus particulièrement des aspects théoriques
d'enseignement spécifique et à ses applications à l'en- de la question, regroupés dans deux parties intitulées
seignement supérieur n'a cessé de s'enrichir au fil des respectivement « Réflexion sur l'enseignement uni-
ans. Pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, versitaire à distance » et « Méthodes de l'enseigne-
dans le m o n d e hispanophone, les actions et les expé- ment universitaire à distance ». L e second évoque
riences dans ce domaine ont été bien plus nombreuses plutôt des expériences et des actions concrètes, m e -
que les écrits consacrés à cette forme d'enseigne- nées d'abord en Amérique latine (et déjà mention-
ment. O n pourrait dire que la pratique a, de très loin, nées dans le volume précédent), ensuite dans quel-
devancé la théorie. Lorsqu'ils ont décidé, en 1981, ques autres pays ; trois articles clôturent le volume
de publier u n recueil d'articles de divers auteurs, sous le titre : « Problèmes et perspectives ».
Luis M . Peñalver et Miguel A . Escotet pouvaient à
bon droit invoquer, c o m m e ils l'ont expliqué dans AU-DELÀ DE LA « DISTANCE »
leur « présentation », l'absence quasi totale d'écrits
en langue espagnole sur la question. Leur constat L'ouvrage de Cirigliano, de proportions beaucoup
était, à quelques objections près, fondamentalement plus modestes (176 pages), tient à la fois d u texte
juste. D e u x ans plus tard, Gustavo F . J. Cirigliano didactique et de l'essai. D ' u n e part, il a manifeste-
ajouta u n nouveau titre important à la maigre pro- ment été conçu pour servir de texte d'appui à un cours
duction d'alors et, malgré d'évidentes lacunes, la ou u n séminaire sur l'éducation ouverte puisqu'il
bibliographie présentée aux pages 57-58 et 175-176 contient des objectifs didactiques et des épreuves
révélait que la question n'avait pas vraiment reçu d'auto-évaluation pour le lecteur-élève ; mais, d'autre
jusqu'alors l'attention qu'elle méritait. Par la suite, part, son contenu ne cadre pas avec la conception sys-
cette production s'est étoffée, notamment grâce aux tématique, rigoureuse et démonstrative d'un traité
efforts de l'Universidad Nacional de Educación a universitaire ; faisant une large place à l'imagination,
Distancia — U N E D (Espagne). Il convient de signa- il fourmille d'idées et d'hypothèses plus ou moins
ler en particulier l'ouvrage qu'elle a publié à l'issue fondées. Il s'agit, malgré tout, d'une réflexion suivie
du Congrès international de 1983 sur « l'évaluation et (jusqu'à u n certain point) cohérente, qui n'exclut
du rendement de l'enseignement supérieur à dis- pas l'analyse de certaines expériences concrètes :
tance » et l'étude bien documentée de D . Popa- celles de l'Open University britannique, de P U N A
Lisseanu, parue en 1986 sous le titre Un reto mundial: vénézuélienne et de deux institutions dont le sigle
la educación a distancia (un défi mondial : l'enseigne- identique ( U N E D ) désigne à la fois l'Universidad
ment à distance), travaux qui méritent assurément de Estatal a Distancia, au Costa Rica, et l'Universidad
faire, une autre fois, l'objet d'un compte rendu. Nacional de Educación a Distancia, en Espagne. E n
Les deux ouvrages qui retiennent notre attention confrontant ces différents cas, Cirigliano n'entend
aujourd'hui sont en fait, malgré quelques conver- pas décrire en détail les activités de ces institutions,
gences, foncièrement différents. Leur principal point mais simplement saisir le m o d e de fonctionnement
c o m m u n est peut-être d'avoir été l'un et l'autre ins- de chacune d'elles. C'est ce qui explique que cette
pirés surtout par la mise en route et le fonctionne- étude de cas ou d'expériences ait été placée quasiment
ment de l'Université nationale ouverte ( U N A ) d u à la fin de la première partie qui, sous le titre peut-
Venezuela, où ont travaillé plusieurs auteurs d u livre être u n peu vague d' « Antécédents », vise à poser les
publié sous la direction de Peñalver et Escotet et où fondements théoriques qui vont justifier le modèle
Revue de publications 147

d'organisation que Cirigliano propose, dans la borer un modèle véritablement opérationnel » (p. 167).
deuxième partie, pour ce type d'institutions universi- Cela étant, il est indubitable que cet essai-proposition
taires. L'auteur, qui semble apprécier particulière- est aussi stimulant que les autres travaux de cet
ment l'usage des sigles (il en emploie un grand n o m - auteur argentin.
bre, dont il donne le sens, pages 5 et 6), appelle RÉFLEXIONS
S E A D (Sistema de Educación Abierta/Distancia) le ET EXPÉRIENCES LATINO-AMÉRICAINES
modèle qu'il propose, suivant en cela une tradition
fort répandue dans certains milieux latino-américains; Si l'étude de Cirigliano consiste à justifier et à pro-
Zelaya G o o d m a n utilise le m ê m e sigle dans le livre poser u n m o d e d'action concret dans le domaine de
publié sous la direction de Peñalver et Escotet (pa- l'éducation ouverte et à distance, le recueil éclectique
ge 141 et suivantes). de Peñalver et Escotet n'a d'autre but que de faire
J'ajouterai encore, en ce qui concerne la première l'inventaire de la réflexion et de la pratique dans ce
partie, qu'elle s'ouvre sur quatre chapitres d'élabo- domaine au début des années 1980. Bien entendu, les
ration contextuelle et conceptuelle. Partant de l'édu- contributions très diverses provenant des différents
cation des adultes et de l'éducation permanente, auteurs sont de qualité sensiblement inégale. S'il est
l'auteur enchaîne sur l'éducation ouverte, concept vrai que la plupart des auteurs montrent qu'ils connais-
qu'il distingue soigneusement de ceux d' « enseigne- sent bien, et souvent à fond, à la fois l'enseignement à
ment traditionnel », d' « enseignement à distance » et distance et les caractéristiques particulières de l'en-
d' « autodidaxie ». Pour lui, « l'éducation ouverte va seignement universitaire, il en est aussi qui semblent
plus loin que l'enseignement traditionnel et plus loin s'être contentés d'examiner, voire seulement d'ef-
que l'enseignement à distance » (p. 21) ; il n'hésite fleurer, u n seul aspect de la réalité.
donc pas y à voir l'éducation de l'avenir, m ê m e si les Les questions de fond sont traitées dans un certain
autres formes subsistent. C e type d'éducation devrait, désordre et avec d'évidentes lacunes au début d u
à son avis, être fondé sur une théorie « participative » premier volume. L a série et le volume commencent
de la communication, dont il se borne à esquisser les par un chapitre intitulé « Objectifs et c h a m p d'appli-
caractéristiques. Vient ensuite l'examen de l'expé- cation de l'enseignement à distance », dans lequel
rience des quatre institutions citées plus haut — dont Luis M . Peñalver nous livre une analyse documentée
il donne une interprétation par trop schématique — , de l'évolution des institutions universitaires en A m é -
examen qui débouche, dès la fin de la première partie, rique latine, analyse qui témoigne de la vaste expé-
sur une comparaison non moins schématique — mal- rience universitaire de l'auteur qui milite clairement
gré les abondantes digressions — entre l'université en faveur de ce nouveau type d'institution. L'article
ouverte et l'université traditionnelle. qu'il propose en guise de conclusion d u second
L a deuxième partie contient, il m e semble, ce qu'il volume (« Situation et perspectives de l'enseignement
y a de plus substantiel et de plus intéressant dans l'ou- supérieur en Amérique latine ») se situe dans la m ê m e
vrage. Pleine d'idées et de suggestions, elle s'arti- ligne. Il est symptomatique qu'à la fin de son pre-
cule autour d'une question (p. 61) : c o m m e n t orga- mier article l'auteur affiche n o n pas tant son opti-
niser u n système d'éducation ouverte à distance ? m i s m e résolu à l'égard d u nouveau système que son
L'auteur part du principe que le S E A D est une « forme « désir » d'être optimiste et de croire que le remède aux
organisée qui rend possible l'éducation ouverte, la- problèmes réels dont souffre l'enseignement supé-
quelle peut en m ê m e temps être dispensée à dis- rieur en Amérique latine se trouve dans ces nouvelles
tance » (p. 63). Autrement dit, l'éducation ouverte se institutions. Les deux chapitres suivants sont assuré-
situe au-delà de l'éducation à distance, mais, peut- ment moins optimistes. D a n s l'un, fort long, Victor
être pour cette raison m ê m e , sa méthodologie peut Guédez insiste a b o n d a m m e n t sur « les défis de l'édu-
convenir aussi à l'éducation à distance et pourrait cation ouverte et de l'enseignement à distance »,
également s'appliquer à l'éducation traditionnelle. tandis que dans l'autre, relativement bref, Emilio
C'est là que résident, à m o n avis, à la fois le point fort Lledó exprime ses doutes (et son espérance) quand à
et la faille du raisonnement de Cirigliano. Son mérite la possibilité m ê m e d'un enseignement « à distance ».
est d'avoir conçu des objectifs et une méthodologie Il écrit ceci : « Ceux qui, c o m m e nous, ont été formés
ambitieux, bien articulés, en liaison constante avec dans une structure d'enseignement traditionnel, où
ceux qui vont être les clients (et non pas seulement les la pédagogie est fondée sur la présence, peuvent pen-
récepteurs) du système ; mais son point faible est que ser que c'est vers l'amélioration de l'école et de l'uni-
les avantages attendus tiennent, en fait, à la distance versité traditionnelles qu'il faut s'orienter. Mais, dans
et que, dans ce qu'elle a d'ambitieux, l'entreprise une société livrée c o m m e l'est elle aujourd'hui aux
dépasse sans doute les possibilités que la distance peut communications de masse [...] c'est peut-être sur cet
lui offrir. Cependant, l'auteur a conscience que son autre terrain plus vaste et moins bien délimité que se
modèle n'est qu'une « esquisse de proposition » et que situe le défi de l'éducation » (p. 65).
« seule l'expérience concrète dans une situation don- Cardos Paldao replace la question sur u n terrain
née, avec ses objectifs et ses limites, permettra d'éla- beaucoup plus descriptif, analytique et technique
148 Revue de publications

(chapitre IV) en revenant sur les concepts de base et de savoir si l'on peut vraiment éduquer « à distance ».
en s'étendant sur la signification et la portée de cette C e qui semble sûr, c'est que l'on peut enseigner à
nouvelle forme d'enseignement, toujours sur u n ton distance et l'on ne voit pas pourquoi cet enseignement
optimiste. L e chapitre suivant n'a probablement pas ne pourrait pas être pleinement éducatif. C'est peut-
sa place dans cette partie de l'ouvrage, m ê m e si le titre être en définitive précisément ce qu'Escotet voulait
(« Rôle des systèmes d'apprentissage ouvert dans la dire.
solution des problèmes d'éducation ») et les quatre L a deuxième partie d u volume (« Méthodes de
premières pages peuvent donner à penser le contraire. l'enseignement universitaire à distance ») c o m m e n c e
Il s'agit en réalité d'un bon article de sir Walter par tin article de Jaime Sarramona, qui met l'accent
Perry sur P O p e n University, ses caractéristiques et la précisément sur le binôme enseignement-apprentissage.
façon dont elle pourrait aider à résoudre certains Bien qu'il admette d'emblée une certaine progression
problèmes qui se posent au R o y a u m e - U n i . O n trouve entre les actions instruction-formation-éducation,
dans ces pages des suggestions fort utiles qui ont une l'auteur — qui connaît bien la question — préfère,
indéniable portée générale, mais qui n'en traduisent semble-t-il, évoquer les systèmes d'enseignement à dis-
pas moins une approche particulière qu'il serait plus tance. Sa conclusion est la suivante : « E n tant que
indiqué de ranger aux côtés d'autres « études de cas ». théoricien et praticien de l'éducation, je suis pour la
E n revanche, l'article proposé par Miguel Angel communication directe enseignant-élève, que je consi-
Escotet dans le chapitre V I (« L'enseignement supé- dère c o m m e le meilleur m o y e n d'éducation qui puisse
rieur à distance face au paradigme de l'instruction et être. Cette relation, qui contient implicitement la
de la formation ») a tout à fait sa place dans cette partie fonction paradigmatique de la conduite de l'éduca-
réservée aux fondements théoriques de la question et teur, est donc indispensable dans les premières a n -
constitue, malgré sa relative brièveté, l'un des efforts nées d'études. Mais lorsque arrive le m o m e n t où les
de systématisation globale les plus réussis d u livre. influences éducatives se diversifient en une multitude
D a n s cet article, divisé en trois parties consacrées de sources, le sujet acquiert une certaine maturité et
aux objectifs, aux méthodes et aux structures de l'institution scolaire s'oriente vers u n e vocation plus
l'enseignement supérieur à distance, l'auteur offre une culturelle et plus professionnelle ; il est alors possible,
interprétation équilibrée de ce que peut être cette et je dirai m ê m e nécessaire, de moduler les sources
nouvelle institution. Il y a une concordance parfaite d'enseignement en vue de les adapter aux diverses
entre ce que doivent être, selon lui, les buts de ce circonstances qui se rencontrent dans la vie de chaque
type d'université et les m o y e n s , le type d'organisation individu. C'est pourquoi j'ose affirmer que l'ensei-
qui sont mis à sa disposition. C'est peut-être la raison gnement à distance est u n système qui a sa propre
pour laquelle les propos d'Escotet qui appellent les raison d'être, et non pas u n simple succédané de l'en-
plus fortes réserves ont trait à lafinalitéé m i n e m m e n t seignement direct » (p. 137-138).
éducative qu'il assigne à la nouvelle institution (fina- L e travail de Sarramona pourrait être encore consi-
lité qui, pour lui, doit être celle de toute université déré c o m m e une tentative de systématisation globale.
qui se respecte) et à son refus de concevoir cette Les articles qui viennent ensuite abordent des aspects
institution c o m m e u n lieu d'instruction et de forma- plus spécifiques, tels que l'administration des n o u -
tion. Il m e semble que cette opposition entre éduca- veaux systèmes (Zelaya) et leur évaluation (Galvis,
tion et instruction — par ailleurs très répandue chez Contasti-Duchatellier, Fabrega, Escotet). L'article de
divers auteurs — est à l'origine de bien des malenten- K n a a k (chapitre I X ) traite de la technologie éduca-
dus et conduit souvent à demander à des institutions tive en général, et non pas d u seul point de vue des
de différents types plus qu'elles ne peuvent offrir en systèmes d'enseignement à distance, bien qu'elle
réalité. Il s'agit, en s o m m e , d'une attitude d'opti- trouve évidemment dans ces systèmes des possibilités
m i s m e au départ qui, à la fin, se m u e souvent en d'application particulières. Celui de Contasti-Ducha-
pessimisme, en insatisfaction permanente devant les tellier se rapproche, u n e fois de plus, de l'étude de
réalités et les résultats. Il convient de rappeler, à cet cas puisqu'il tend à expliquer les particularités de
égard, que le très ingénieux concept d'instruction l ' U N A vénézuélienne, au point de vue de la pédagogie
éducative, forgé par Herbart, conserve toute son ac- et de l'organisation, plus qu'à justifier son titre
tualité et que c'est finalement ce type d'action qui (« L'évaluation institutionnelle, science ou conjec-
définit et caractérise le mieux toute institution sco- ture »). Il en va à peu près de m ê m e des écrits de
laire. D e ce point de vue, il ne devrait y avoir aucune Fabrega et d'Escotet (également consacrés à l'éva-
difficulté à admettre que « les universités à distance » luation), qui figurent dans cette partie. L a théorie
instruisent ou enseignent c o m m e n t peuvent le faire tient une large place dans tous ces articles, mais on ne
aussi, de par le m o n d e , n o m b r e d'universités tradi- peut pas dire qu'ils s'articulent autour d'un axe qui
tionnelles de bon niveau. L a formule revêt cependant formerait une base théorique homogène et cohérente.
une importance particulière dans le cas des institu- A part les derniers chapitres, sur lesquels je re-
tions nouvelles, car elle permet d'éluder le vieux pro- viendrai, le reste (p. 307 à 717) est consacré à l'étude
blème (qui, on l'a vu, préoccupait le professeur Lledó) d'expériences nationales, concernant d'abord l ' A m e -
Revue de publications 149

rique latine puis d'autres régions. Il s'agit d'études UNE CONJONCTURE POLITIQUE FAVORABLE
inégales, qui, en tout cas, commencent déjà à être
dépassées. L'enseignement à distance se démarginalise en effet
Quant aux trois chapitres qui clôturent le livre, ils et pénètre u n peu partout dans le m o n d e institution-
revêtent tous u n caractère général de réflexion sur nalisé de l'enseignement et de la formation. C o m m e
l'enseignement universitaire dans son ensemble, n o - le montre Henri Dieuzeide dans l'un des chapitres de
tamment dans le contexte de l'Amérique latine. l'ouvrage, cette faveur tient en partie à la situation
Ricardo Diez-Hochleitner évoque l'avenir de l'uni- de crise de l'éducation qui, depuis vingt ans, a eu
versité, tandis qu'Escotet reprend la parole pour faire pour effet de faire stagner ou m ê m e , en certains cas,
le point de la situation des « universités à distance » de diminuer les ressources publiques affectées à
en Amérique latine et mettre en évidence les diffi- l'éducation, alors que dans le m ê m e temps le nombre
cultés qui pourraient les empêcher de se développer des scolarisés doublait. D e s conditions sociales ren-
c o m m e elles le devraient. L e dernier article, celui de dent souhaitable par ailleurs l'accès à la formation de
Luis M . Peñalver, a déjà été mentionné. catégories de plus en plus larges de la population et
E n s o m m e , nous nous trouvons devant deux o u - à des moments de plus en plus divers de la vie :
vrages qui, malgré d'inévitables limites, montrent accélération d u changement technologique, obsoles-
bien l'impulsion donnée à l'enseignement universitaire cence des techniques traditionnelles, chômage et
à distance en Amérique latine. Il serait souhaitable, exigences de reconversion obligent en effet à envisa-
cependant, que ce m o d e de pensée et d'action promet- ger le recyclage et l'éducation permanente c o m m e de
teur soit mieux connu dans d'autres aires linguistiques. nouvelles données sociales.
Récupérée ainsi par les instances politiques, parée
José Luis G A R C Í A G A R R I D O , de nombreux avantages, la formation à distance béné-
Professeur d'éducation comparée, ficie de moyens destinés à stimuler son essor. Ses
Universidad Nacional de Educación a Distancia atouts théoriques apparaissent facilement : possibilité
(Madrid, Espagne) d'abaisser le coût unitaire de l'enseigné, fonction
d'innovation et de motivation c o m m e solution de
rechange à un enseignement traditionnel jugé parfois
vétusté ou isolé des réalités d u m o n d e environnant,
France H E N R I et Anthony K A Y B rapidité de mise en place, compatible avec la durée
de vie d'un gouvernement, par exemple... O n pourrait
Le savoir à domicile
ajouter encore : stimulation technologique d u m o n d e
Sainte-Foy industriel par l'émergence d'un nouveau marché,
Presses de l'Université d u Québec, 1985 développement d'une formation aux nouvelles tech-
nologies et à la communication pédagogique, évolu-
tion donc et modernisation des pratiques sociales en
Après les deux ouvrages fondamentaux parus au
matière d'éducation.
début des années 1980 : Learning at a distance. A
world perspective et Distance teaching for higher and T o u s ces avantages ne doivent pas masquer quel-
1

adult education2, voici u n livre qui comble u n m a n q u e ques incertitudes et quelques dangers. Henri Dieu-
notoire de tels ouvrages de référence en langue fran- zeide enumere les freins qui risquent de ralentir une
çaise sur le sujet. évolution dessinée de façon trop optimiste. L ' u n des
C e livre a paru au m o m e n t où les enjeux liés aux plus importants est peut-être la difficulté d'engen-
nouvelles technologies de l'information et de la drer de nouvelles institutions, aptes à modifier les
communication s'affirment de façon spectaculaire : anciens rapports éducatifs devenus inadaptés et à
enjeux technologiques et commerciaux dont témoi- faire que la formation à distance ne « se fige en sys-
gne en France l'explosion des services télématiques tèmes de distribution de matériels inadaptés pour des
(on a pu en effet dénombrer, pour l'année 1986, plus tâches obsolètes ».
de deux cents applications dans le seul secteur de
l'enseignement et de la formation, la plupart fondées UN FONCTIONNEMENT DE TYPE INDUSTRIEL
sur l'utilisation du vidéotex3) ; enjeux politiques aussi,
en France et ailleurs, où les décisions d'équiper en L'influence des structures organisationnelles est par-
technologies nouvelles lycées, collèges ou universités ticulièrement mise en évidence dans un chapitre qui,
ne manqueront pas de fournir des possibilités d'édu- sous la plume d'Anthony Kaye, précise une des con-
cation à distance. Quant aux instances européennes, tradictions fondamentales de la formation à distance :
plusieurs projets, liés à l'utilisation des nouveaux l'un de ses avantages majeurs (l'accès du savoir offert
médias en éducation, révèlent également l'intérêt à de plus larges publics) implique souvent un m o d e de
qu'elles portent à une médiatisation de l'enseigne- production de masse, calqué sur les pratiques indus-
ment : D E L T A , C O M M E T T et certains axes d u trielles et sur les modèles organisationnels du secteur
programme F A S T , par exemple. tertiaire : édition, presse, radio et télévision.
150 Revue de publications

L a rationalisation des procédés, la parcellisation rents pôles parviendront à clarifier et à orienter le


des tâches, l'utilisation des techniques de c o m m e r - travail de conception.
cialisation rendent difficile u n e coopération inter- Cette approche fondée sur les notions de pôles
disciplinaire d u fait d u travail en chaîne, d u corpo- d'apprentissage et de valeurs sous-jacentes nous
ratisme, de la perte inévitable de responsabilité des paraît rejoindre une conception qui s'appuie sur les
enseignants, de la standardisation des programmes et enjeux fondamentaux de tout processus de c o m m u -
de la normalisation des attentes. Ainsi naît le risque nication, telle que nous avons p u la mettre en évi-
de voir reproduits à grande échelle les anciens rap- dence dans nos propres travaux* : les questions
ports d'autoritarisme moral et intellectuel entre ensei- épistémologiques renvoient, nous semble-t-il, aux
gnants et apprenants, particulièrement négatifs dans contenus scientifiques reformulés en termes d'infor-
u n contexte de formation d'adultes. mation à transmettre, les questions pédagogiques
Face aux structures centralisées que l'on rencontre aux m o d e s relationnels et aux rapports d'influence
dans différents pays, l'auteur étudie les avantages entre l'apprenant et la source d u savoir, qu'elle soit
comparés d'institutions mixtes, offrant u n e centra- humaine o u matérielle ; les choix didactiques aux
lisation des matériels, mais une décentralisation de la problèmes d'intégration de tout ordre ; les choix
pédagogie ; ou encore d'autres formes d'organisation, médiatiques à la recherche d'une facilitation et à la
de type fédératif ou interinstitutionnel, par exemple. recherche d'efficacité optimales : tels nous sont appa-
E n soulignant l'importance d'un décloisonnement rus, en effet, les enjeux de toute communication,
des structures, d'une souplesse de fonctionnement, enjeux qui se hiérarchisent différemment selon les
d'un travail en réseau, il prône une organisation situations et selon les partenaires.
capable de favoriser la différenciation des méthodes L'enjeu de la formation à distance étant proba-
et des rythmes afin de s'adapter aux publics si blement et avant tout celui de la facilitation, compte
divers des universités « ouvertes ». tenu des contraintes que vivent la plupart d u temps
les apprenants adultes, l'importance des médias
trouverait alors sa justification dans cet objectif prio-
VERS UN MODÈLE PÉDAGOGIQUE ritaire d'efficacité. Pour les autres enjeux (informa-
EN FORMATION À DISTANCE tion, relation, intégration), il existe probablement des
hiérarchies différentes selon les populations visées et
Revenant à plusieurs reprises sur les relations qui selon le type d'apprentissage considéré.
existent entre logiques des organisations et pédagogie, U n chapitre aborde justement cette question de la
France Henri et Anthony K a y e préconisent u n différenciation des motifs et des profils d'orientation
modèle éducatif dont les valeurs centrales sont la des étudiants. Rédigé par Alistair M o r g a n et Elisa-
responsabilité de l'apprenant et son autonomie la plus beth Taylor, le texte tente de mieux servir le proces-
totale possible. C e modèle est d'ailleurs annoncé des sus de l'apprentissage en le replaçant dans le contexte
le début d u livre que l'on déclare exclusivement vécu par l'apprenant. E n effet, « l'apprentissage se
consacré à la formation d'adultes à distance. produit toujours dans u n contexte donné [qui] ne se
Encore s'agit-il d'adultes dont on ne remet pas a décrit pas indépendamment des apprenants, mais
priori en question les capacités d'autonomisation, pas toujours à travers leurs expériences ». C e rôle donné
plus qu'on n'évoque les contraintes psychologiques au contexte et l'approche phénoménologique qui
ou sociales qui pourraient les empêcher d'exercer sous-tend la méthodologie suivie par ces auteurs
pleinement cette autonomie et cette responsabilité. fournissent u n cadre réaliste aux résultats présentés.
A cette réserve près, la partie d u livre traitant des D e ces résultats se dégagent trois profils différents
axes pédagogiques de la formation à distance apporte d'étudiants, cinq conceptions et deux stratégies
de précieux éclairages sur différents aspects parmi d'apprentissage, deux niveaux de compréhension et
lesquels la façon de concevoir u n cours à distance. cinq types de perception des acquis. O n peut regretter
L e travail d'équipe, nécessité par la conception et que ces travaux, très intéressants sur le plan théo-
la réalisation, oblige à clarifier les valeurs fonda- rique, n'aient pas été poussés plus loin pour mettre
mentales qui seront véhiculées dans le cours ; ces en lumière les logiques existant entre les diverses
valeurs se cristallisent autour de quatre pôles qui dimensions. D ' u n point de vue purement p h é n o m é -
déterminent chaque fois des choix précis : il s'agit nologique, il est certain que cette démarche se trouve
des choix d'ordre épistémologique (définition des amplement renforcée par la compréhension qu'elle
savoirs à transmettre), des choix pédagogiques (défi- donne de chaque étudiant ; mais o n souhaiterait
nition des processus d'apprentissage privilégiés), poursuivre, dans une approche plus structurale, la
didactiques (définition des concepts et de leurs inter- recherche des correspondances entre profils (c'est-à-
relations), médiatiques enfin (définition des types de dire enjeux), conceptions et stratégies d'apprentis-
médias à utiliser). A travers une démarche plutôt sage, niveaux de compréhension et perception des
itérative que linéaire, les négociations entre les m e m - acquis.
bres de l'équipe sur les valeurs relatives aux diffé- Cette section consacrée à l'acte pédagogique se
Revue de publications I51

termine par une revue et une appréciation comparée l'auteur : la consommation d'un produit « n'est pas
des diverses formules d'encadrement. L'auteur, D o - étrangère aux pratiques socioculturelles des indivi-
minique Abrioux, insiste spécialement sur la nécessité dus ». Parler d'effets des médias, de leur spécificité,
d'un encadrement, car, malgré le postulat d'indépen- renvoie à u n système explicatif de causalité linéaire.
dance, « il faut le reconnaître, l'apprentissage ne se O r , il s'agit d'un processus où « le problème est moins
fait pas de façon complètement autonome ». Les de savoir ce que les médias font au public, que ce que
degrés et les types d'encadrement varient grandement les publics font des médias ». E n particulier, il
selon les pays ou les institutions. N e peut-on penser s'agirait de savoir c o m m e n t se déroule l'apprentissage
également qu'ils devraient différer selon les élèves, dans les divers contextes de formation et, parmi eux,
pour lesquels cependant une typologie globale semble ceux qui incluent l'audiovisuel parmi les supports
encore faire défaut ? pédagogiques. Lorsque ces questions seront mieux
connues, sans doute l'audiovisuel sera-t-il davantage
LA MISE EN ŒUVRE DES MÉDIAS utilisé et avec plus de succès.
Thérèse L a m y clôt l'ouvrage en prônant une télé-
L a troisième partie de l'ouvrage est consacrée à matique conçue c o m m e u n « outil convivial ». Per-
l'étude de l'élaboration des messages à travers les mettant effectivement la mise en réseau, ce média
médias : l'imprimé, l'audiovisuel et la télématique. devait forcément tirer vers u n modèle fondé sur les
Au-delà de la délicate question de la spécificité des petits groupes et sur la non-institutionnalisation de
médias, trois chapitres traitent de l'utilisation adé- l'accès au savoir. L'auteur s'oppose à une conception
quate de chacun d'eux. « cartésienne » de l'apprentissage, qui distingue savoir
L a domination universelle de l'imprimé s'explique et non-savoir, et s'inspire au contraire d u principe
par les multiples qualités de ce média. Il exige cepen- piagétien selon lequel on n'apprend que par u n pro-
dant une grande structuration des textes, pour la- cessus de transformation d u réel. L a conception
quelle l'auteur, Françoise Landry, propose une inté- qu'elle développe repose sur la rencontre, égalitaire,
ressante liste de variables et une démarche systéma- entre pairs, « la participation à la conversation de
tique. Ces variables, au n o m b r e de quatre, rejoignent l'humanité », et donc sur une conception coopérative
les quatre pôles de la conception d'un cours tels de la formation. Pour l'auteur, « le postulat fonda-
qu'ils ont été définis plus haut et renvoient aux mental de l'ouvrage, qui est la reconnaissance et le
enjeux déjà cités : la discipline, c'est-à-dire les objec- respect de l'autonomie de l'adulte », constitue u n
tifs d'argumentation ou de démonstration (les ques- état ultime, non atteint par un grand n o m b r e d'indi-
tions d'influence) les caractéristiques des étudiants, vidus. Si l'on fait de la télématique u n outil convi-
en particulier leurs acquis et expériences antérieurs vial, celle-ci peut devenir u n outil éducatif, u n outil
(les degrés d'intégration des nouvelles connaissances d'émancipation qui permettra d'atteindre à la véri-
aux anciennes), enfin les choix pédagogiques (la pré- table autonomie.
sentation des textes pour faciliter l'apprentissage).
Pour cette dernière variable, Françoise Landry étudie
UN LIVRE RÉSOLUMENT OPTIMISTE
longuement les critères de lisibilité et les divers
indices d'accessibilité d'un texte ainsi que les pro- D u fait d u m a n q u e d'évaluation systématique des
cédés de traitement. actions de formation à distance, on dispose encore de
U n autre chapitre est consacré à l'audiovisuel. peu de résultats concernant son efficacité réelle.
Geneviève Jacquinot dresse u n large panorama des Malgré cela, et en dépit des difficultés d'ordre écono-
questions qui se posent à son égard. Après avoir mique o u organisationnel qu'elle rencontre, la for-
vigoureusement retracé l'essentiel d u débat entre mation à distance sort de sa marginalité. D a n s u n e
technologues et pédagogues, entre iconophobes et visée prospective, ce livre précise les conditions de
partisans de l'audiovisuel, elle établit une liste des son développement. Il propose u n modèle dont on
types d'apprentissage favorisés particulièrement par appréciera la cohérence, bien qu'il soit composé
ces médias et souligne l'importance du contexte social de contributions rédigées par divers auteurs. C e
et disciplinaire pour le choix et l'utilisation de tel modèle repose sur l'emploi massif de nouvelles tech-
ou tel d'entre eux. Cette différenciation des situations, nologies qui apparaissent aux auteurs c o m m e devant
dont on n'a sans doute pas encore suffisamment pris favoriser la participation, la coopération, la démocra-
la mesure, a pourtant été abordée, c o m m e le rappelle tisation, mais également l'indépendance et l'auto-
l'auteur, depuis assez longtemps. D è s 1976, Marquis nomie des populations visées.
proposait deux modèles : l'un plus interactif, l'autre C e modèle repose aussi sur une conception h u m a -
plus autonome selon que l'orientation d u cours est niste de l'éducation. D e l'aveu des auteurs, il se situe
davantage à incidence sociale ou plus tournée vers plutôt d u côté des « utopistes ». Il a néanmoins le
l'acquisition des connaissances. N u l doute que d'au- mérite de faire nettement apparaître les liens entre
tres éléments que le type de cours doivent jouer les différents niveaux concernés : le politique, l'éco-
également dans le choix. D ' o ù la juste remarque de nomique, l'organisationnel, la pédagogie, les médias,
152 Revue de publications

dans une vision complète de ce que peut devenir la


formation à distance.
U n peu globalisant cependant à certains égards,
l'ouvrage ne cherche qu'épisodiquement à mettre
en avant la différenciation des publics et des contextes
d'apprentissage. L'étudiant tend à devenir une entité
quelque peu abstraite, u n apprenant « m o y e n » qu'il
conviendrait sans doute de mieux décrire.
L a richesse des niveaux d'analyse, la pertinence de
certaines pistes ouvertes permettront en tout cas
de formuler certaines grandes questions qui resteront
à étudier plus avant : les processus d'apprentissage
à l'œuvre dans les différents contextes de formation,
les liens entre les contextes, les situations et les
différents types d'apprenants, publics actuels et à
venir de l'enseignement à distance, et, finalement,
l'analyse des situations que, souligne-t-on, « les
décideurs et les planificateurs dans le domaine de la
formation à distance sont m a l préparés à faire ».
Qui participera à ces recherches? Quels chercheurs,
notamment en France, pourraient poursuivre dans
la voie ouverte par cet ouvrage ? Les deux auteurs,
en véritables médiateurs, lancent ainsi u n défi qu'il
nous appartiendra de relever.

Nicole M E R C I E R ,
Institut pour le développement
et l'aménagement des télécommunications
et de l'économie,
Montpellier (France)

Notes
i. J. Daniel, M . Stroud, R . Thompson (dir. publ.),
Learning at a distance: a world perspective, Edmonton,
Athabasca University, I C C E , 1982, 338 p.
2. A . Kaye, G . Rumble (dir. publ.), Distance teaching for
higher and adult education, Londres, Croom Helm,
1981, 342 p.
3. N . Mercier, J . - C . Marot, F . Planche. Télématique et
enseignement — inventaire d'expériences, Montpellier,
I D A T E , 1987, 180 p.
4. N . Mercier, De nouveaux outils pour les téléconférences :
les structures de communication de groupe à distance,
Montpellier, I D A T E , 1986, 65 p.
Publications de l'Unesco : agents de vente

ALBANIE : « Ndermarrja e perhapjes se librit », B U L G A R T E : H e m u s , Kantora, Literatura, bd Rousky 6,


TIRANA. SoFijA ; Librairie de l'Unesco, Palais populaire
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Publications seulement : E N A L , 3 , bd Zirout- G O U ; Librarie catholique « Jeunesse d'Afrique »,
Youcef, A L G E R . Périodiques seulement : E N A M E P , OUAGADOUGOU.
20, rue de la Liberté, A L G E R . C A M E R O U N : Librairie des éditions Clé, B.P. 1501,
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Kurier Vertrieb, Besalstrasse 57, 5300 B O N N 3. la Liberté, B.P. 5921, D O U A L A ; Centre de diffusion
Pour les cartes scientifiques seulement : G E O Center, du livre camerounais, B.P. 338, D O U A L A ; Librairie
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P.O. Box 200, W I L L E M S T A D (Curaçao, N . A . ) . de Importaciones, M . Luisa Santander 0447,
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SF0010 H E L S I N K I 10; Suomalainen Kirjakauppa P . O . Box 11365-4498, 13158 T É H É R A N .
Oy, Koivuvaarankuja 2, 01640 V A N T A A 64. I R L A N D E : Périodiques : T h e Educational Company
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PARIS. ISLANDE : Snaebjörn Jonsson & C o . , H . F . , T h e
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Cape Coast ; T h e University Bookshop of Legon, F A O Bookshop, Via délie Terme di Caracalla,
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prises, P . O . Box 14129, A C C R A . lia, 125, T O R I N O .
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twaldovo N a m 6, 805 32 BRATISLAVIA.
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