Fre o
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de l'éducation
Rédacteur en chef : Zaghloul Morsy
Rédacteur en chef adjoint : Leslie J. Limage
Anglais
prospects
quarterly review of education
(ISSN 0033-1538), Unesco
Espagnol
perspectivas
revista trimestral de educación
(ISSN 0304-3053)1 Unesco
\AMÂLÊÈJÎ
•• •
Russe
nepcneKTMBbi
(ISSN 0207-8953), Moscou
Chinois
ïfc W fê M
(ISSN 0254-8682), Beijing
Jalons 3
POSITIONS /CONTROVERSES
L'éducation des surdoués c o m m e problème : le cas de la Hongrie
Zoltân Báthory et András Joô II
Formation à l'autoformation : une expérience en cours
Gordana Zindovic Vukadinovic 25
DOSSIER
L'enseignement à distance
I. Thèmes fondamentaux
L'enseignement à distance : u n état de la question Anthony Kaye 41
L a planification des projets d'enseignement à distance
Armando Vïllarroel 55
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance
Onkar Singh Dewal 63
L e problème de la qualité et de la pertinence du matériel
pédagogique dans l'enseignement à distance Anthony B . Zahlan 75
Formation à distance et communication assistée par ordinateur
France Henri 87
L e régime économique de l'enseignement de masse à distance
Greville Rumble 93
TENDANCES ET CAS
L a décentralisation de l'éducation au Mexique Carlos Órnelas 109
L e programme d'éducation rurale et d'agriculture ( R E A P ) du
Belize Zellynne Jennings 119
Revue de publications
ISSN 0304-3045
Prière d'adresser toute correspondance au Rédacteur en chef,
perspectives
Unesco, 7 , place de Fontenoy, 75700 Paris, France.
© Unesco 1988
Les textes publiés peuvent être librement reproduits et traduits
(sauf pour les illustrations et lorsque le droit de reproduction ou de traduction
est réservé et signalé par la mention « © Auteur(s) » )
à condition qu'il soit fait mention de l'auteur et de la source.
Tandis que les systèmes formels d'éducation, à tous les niveaux et dans
toutes les régions du monde, se débattent dans une crise dont Philip
Coombs, dans deux ouvrages retentissants1, et l' Unesco* ont été de scru-
puleux analystes, un système parallèle émerge, se ramifie et prend un
poids qui défie — positivement — Véducation de type traditionnel.
Pour ceux que les chiffres et les statistiques n'impressionnent pas, il en
est tout de même qui ne peuvent laisser indifférent. O n peut, en effet,
ne pas être impressionné d'apprendre (article d'Anthony Kaye) qu'en
U R S S , « mille deux cents établissements d'enseignement à distance
comptent en 1983 environ un million et demi d'étudiants au niveau
supérieur » et qu'en Chine, la même année, « 40 % des effectifs de l'ensei-
gnement supérieur au niveau national [sont constitués par ceux qui] pour-
suivent leurs études à distance » ; on ne peut s'empêcher de penser que,
si l'un et l'autre sont des pays parmi les plus peuplés du monde, l'un
est un pays dit « développé », l'autre en développement et qu'ici et là
le recours à l'enseignement à distance a été jugé utile, sinon indispen-
sable. Plus encore, si l'on consent à oublier les chiffres et que l'on repère
sur un planisphère tous les pays où est pratiquée une forme ou l'autre
d'enseignement à distance, on s'apercevra qu'il s'agit d'un bon tiers
des pays de la planète, du plus petit au plus grand.
Allons plus loin. Ces pays recourent à l'enseignement à distance au
niveau de la formation élémentaire (à l'intention des adultes, il est vrai),
secondaire, postsecondaire et pour la formation des maîtres pour répondre
tant aux exigences du système formel (par exemple, pour passer un
examen de fin d'études secondaires ou un concours de l'enseignement
supérieur) qu'à des choix individuels, de type strictement non formel ;
bref, l'enseignement à distance est dispensé pour tous les âges, pour tous
les besoins et pour tous les goûts.
Poussons encore plus loin. Les balbutiements de l'enseignement à dis-
tance sont à peu près contemporains, en Europe, de l'institution postale
sous forme d'enseignement par correspondance. Cela remonte donc déjà
au milieu du XIXe siècle. Vint ensuite l'enseignement par la radio un
siècle plus tard, dans les années 1940, puis par la télévision, par les audio-
cassettes et vidéocassettes, et maintenant par l'ordinateur et l'utilisation
intégrée des autres moyens. Voilà au moins une approche qui a su
constamment, et pour ainsi dire, au vol, saisir et employer judicieusement
chaque nouvelle conquête technologique (à la différence de l'école) et qui
a su combiner ce qui paraît encore impossible au système formel : travailler
Égalité de chances,
institutionnalisation de l'innovation
Une note d'espoir pour terminer. Dans la série de nos « profils », nous
donnons au lecteur à connaître une des plus grandes figures éducatives
et culturelles du XIXe siècle : Wilhelm von Humboldt. Il est rare pour
un éducateur d'avoir pour contemporains et amis des hommes aussi
représentatifs, de leur pays et de l'Europe, que Goethe, Schiller,
Fichte, Herder, Schleiermacher... C'était l'Europe de la Révolution
française, des conquêtes napoléoniennes, de l'effondrement du Saint-
Empire romain germanique, du Congrès de Vienne avec les conséquences
considérables qu'ont eues et auront de tels événements, exacerbant les
nationalismes, déclenchant de nouvelles révolutions et poussant l'Europe
à une sorte d'autobalkanisation porteuse de menaces de guerres — et de
guerres effectives —, d'intérêts particuliers et de tentations d'hégé-
monisme.
Deux siècles plus tard, aujourd'hui, l'Europe renoue avec sa vocation,
qui est d'être unie et complémentaire. Pour l'heure, il ne s'agit encore que
de douze pays, ceux de la « Communauté européenne ». Cela représente
quelque trois cent vingt millions de personnes où la jeunesse est prépon-
dérante. Dans cet « espace sans frontières » circuleront institutionnellement
et dès le 31 décembre 1992 entre autres les idées, c'est-à-dire les pro-
fesseurs, les chercheurs, les jeunes. C'est dire que l'éducation et la forma-
Jalons 7
Z. M .
Notes
i. Philip H . C o o m b s , The world educational crisis, N e w York, Oxford University Press, 1968,
et The morid crisis in education: the view from the eighties, N e w York, Oxford University
Press, 1985.
2. Edgar Faure et al., Apprendre à être, Paris, Unesco-Fayard, 1972.
3. N . Mackenzie, R . Postgate et J. Scupham (dir. publ.), Études ouvertes. Systèmes d'instruc-
tion postsecondaires à distance, Pans, Unesco, 1977 (version originale anglaise, 1975).
POSITIONS
CONTROVERSES
L'éducation des surdoués
c o m m e problème :
le cas de la Hongrie
Zoltán Báthory et András Joó
Il est vital pour la société hongroise que ceux de ses m e m b r e s qui sont
particulièrement doués puissent faire fructifier pleinement leurs apti-
tudes et leurs facultés créatrices, pour leur satisfaction propre et
pour le bénéfice de la c o m m u n a u t é tout entière. T o u s les spécialistes
s'accordent à reconnaître que, compte tenu des espoirs croissants
que la société place en ses m e m b r e s les plus talentueux, il est désor-
mais urgent d'apporter une solution globale aux problèmes que pose
leur éducation1. D'après u n e étude statistique entre 1980 et 1984,
plus de trois cents articles ont été consacrés en Hongrie au développe-
ment des aptitudes, des talents, de la créativité, etc. (Felkai, 1983),
ce qui témoigne de l'intérêt grandissant des spécialistes c o m m e d u
grand public pour cette question. Tout le m o n d e semble aussi
d'accord pour considérer que le talent est une manifestation globale
de la personnalité, incluant des éléments autres qu'intellectuels. Il
s'agit là d'un changement radical par rapport à la conception uni-
dimensionnelle qui prévalait autrefois. Les spécialistes de l'éducation
peuvent désormais, sur ces bases nouvelles, tenter d'arriver à u n e
compréhension plus large de ce qu'est le « talent », considéré aujour-
d'hui c o m m e englobant, outre une aptitude intellectuelle générale
exceptionnelle, des aptitudes spécifiques de tout ordre et la créativité.
Cette interprétation large va aussi dans le sens des besoins de la
société.
L e s antécédents historiques
L e s p r o b l è m e s actuels
d'âge plus jeunes et dont les fonctions sont plus diversifiées, sont
généralement exposés à la critique. D a n s une excellente étude datant
de 1982 et consacrée à l'analyse des jugements portés sur la culture et
l'éducation depuis le milieu d u siècle dernier, Péter Lukács souligne
que, tout au long de la période ainsi couverte, les plus éminents
professeurs d'université n'ont cessé, dans leur majorité, de se
plaindre d'une détérioration de la qualité et d ' u n abaissement d u
niveau dans ces domaines. Incontestablement, le système scolaire
hongrois actuel donne plus que jamais prise aux critiques (souvent
exprimées sous forme de clichés) de ceux qui voudraient que soit
améliorée la « qualité » de l'instruction théorique et de la culture
générale dans des établissements (écoles générales et écoles secon-
daires) où cette « qualité » n'est qu'un des objectifs de l'enseignement
dispensé. Alors que, dans les années i960 et 1970, la politique hon-
groise de l'éducation s'attachait avant tout à interpréter les « exi-
gences de la société » en termes politiques, sociaux et éthiques (en
favorisant, par exemple, la mobilité sociale, la participation de la
c o m m u n a u t é à l'effort national et la création de conditions propices
à l'expression et à la réalisation d u potentiel des individus), elle doit
aujourd'hui répondre aux exigences de la société concernant la
croissance économique et l'accroissement de la productivité. A notre
avis, l'apparition d'un fort courant élitiste réclamant une réforme
radicale de la politique suivie à l'égard des surdoués est directement
liée à ces nouvelles exigences.
L'existence d'opinions divergentes, certaines prises de décision et
l'émergence d'idées novatrices sont autant de facteurs qui ont con-
tribué au lancement de plusieurs projets de recherche, dont certains
sont encore en cours, et qui se répartissent en deux catégories, selon
qu'ils portent essentiellement sur des problèmes pédagogiques et
psychologiques généraux (dépistage des talents, développement des
aptitudes spéciales et élaboration d'outils psychométriques) ou sur des
problèmes précis d'organisation, de gestion et d'évaluation qui se
posent dans le cadre du système scolaire hongrois. N o u s allons tenter
de présenter une esquisse des résultats obtenus jusqu'à présent sur
ces deux plans et d'en tirer quelques conclusions.
Questions générales
d'ordre psychologique et p é d a g o g i q u e
A m p l e u r des effectifs
et résultats scolaires des surdoués
pays. Pour ce faire, elle établit une corrélation entre les résultats d'une
population scolaire donnée (variable dépendante) et les caractéristiques
du système d'enseignement (variables indépendantes). Ainsi, dans
le cadre d'une évaluation de l'enseignement des sciences menées
en 1970, on a comparé les résultats scolaires des élèves des classes
terminales (candidats au baccalauréat) de dix-neuf pays. L'analyse
pays par pays des données recueillies montre que ces résultats
dépendent, dans une large mesure, de l'importance relative, dans
l'échantillon national retenu, d u n o m b r e d'élèves ayant fréquenté
des établissements secondaires préparant expressément à l'université
ou à d'autres établissements d'enseignement supérieur. Plus les effec-
tifs totaux d u secondaire sont élevés, plus les résultats moyens ont
tendance à baisser. Si l'on ne prend en considération que les meilleurs
élèves des écoles secondaires (par exemple, 1 % de l'effectif total, ou
5 %, ou encore 9 % c o m m e dans ce cas précis), on constate que le
rapport est inversé : plus les effectifs des écoles secondaires sont
nombreux, plus la moyenne des résultats a tendance à augmenter
(Comber-Keeves, 1973, p . 173-177). D a n s le cas des treize pays
développés ayant atteint u n niveau de développement comparable,
les coefficients de corrélation entre l'ampleur des effectifs et les
résultats obtenus étaient respectivement de + 0,66 pour la moyenne
nationale et de 0,28 pour les élèves les plus brillants (le premier
chiffre a une valeur statistique significative, mais pas le second).
A supposer m ê m e que les résultats recueillis, relativement peu
nombreux, ne fassent qu'indiquer u n e tendance, cette inversion
des rapports a valeur d'argument probant pour ceux qui estiment que
l'extension et la démocratisation de l'enseignement secondaire, et,
de façon générale, l'amélioration de l'éducation de masse, constituent
les seules bases solides sur lesquelles on puisse édifier l'éducation des
surdoués.
Les dirigeants sportifs ont depuis longtemps découvert que l'excel-
lence des résultats est étroitement liée à l'ampleur des effectifs et si,
parfois, dans le m o u v e m e n t sportif, l'élitisme a p u l'emporter, il
n'en est pas moins vrai que seul u n sport de masse produit des
résultats durables et u n état d'esprit sain.
A la lumière de cette analyse et des considérations psychologiques
exposées plus haut, la tendance actuelle en Hongrie est à rejeter,
c o m m e mal fondée et extrême : la thèse selon laquelle la seule solu-
tion consisterait à faire revivre les anciens lycées réservés à une
élite et à en créer de nouveaux 5 . Les arguments avancés à l'appui
de cette thèse permettent d'en discerner aisément lafinalité: il s'agit,
dès lors que l'éducation de masse a eu pour effet direct de faire déjà
baisser la m o y e n n e des résultats, de « sauver » du moins les plus doués
(ceux dont les talents sont supérieurs à la moyenne), car eux seuls
Zoltán Báthory et András Joó
U n indicateur du développement
Les concours
Notes
i. Cette tâche a été confiée en 1983 à une équipe de l'Institut pédagogique national de B u d a -
pest. L a thèse relative à l'éducation des surdoués a été publiée dans le numéro de juin 1984
du bulletin Pályaválasztás (Le choix d'un métier).
2 . Joseph Eötvös, célèbre écrivain et réformateur de l'éducation d u XIX e siècle, fut le fonda-
teur de l'école publique hongroise.
3. A lafinde leur scolarité dans les écoles générales à huit classes, les élèves ont le choix entre
trois types d'établissements secondaires : lycées, lycées techniques et collèges profession-
nels. Les deux premiers conduisent en quatre ans au baccalauréat ; les collèges profes-
sionnels décernent au bout de trois ans un diplôme d'ouvrier qualifié. L a moitié environ de
la population scolaire opte pour ces derniers, 20 % pour le lycée et 30 % pour le lycée
technique. L e lycée est la principale voie d'accès à l'enseignement supérieur.
Zoltán Báthory et András Joó
4. L'Association internationale pour l'évaluation éducative (AIEE) est une organisation inter-
nationale non gouvernementale qui mène des enquêtes comparatives dans le domaine péda-
gogique. L'Institut pédagogique national hongrois(IPN) participe depuis 1968 aux enquêtes
entreprises par l'AIEE. C'est en 1970-1971 que s'est achevée l'enquête dite « des six
matières » (lecture, sciences de la nature, anglais, français, littérature, instruction civique)
à laquelle l'IPN a pris part pour les trois premières matières.
5. Les tenants de cette thèse se sont exprimés avec force, par exemple, dans le débat lancé par
l'hebdomadaire Elet es irodalom (Vie et littérature), numéros de mars à septembre 1984.
6. 10 points au premier, 9 points au second, et ainsi de suite, 1 point étant attribué au dixième.
7. Voir note 1.
Références
C O M B E R , L . C . ; K E E V E S , J. P. 1973. Science education in nineteen countries. Stockholm, Inter-
national Studies in Evaluation I. Almqvist and Wiksell.
FELKAI, Laszlo. 1983. « L'éducation des surdoués. Choix de textes hongrois et étrangers >.
Manuscrit. Institut pédagogique national.
L D K Â C S , Péter. 1982. « Normes, sélection et politique de l'éducation ». Dans : K O Z M A , T a m a s
(dir. publ.). Recherches à l'appui de la planification, Institut pédagogique national, vol. 62.
P A S S O W , A . H . ; N O A H , H . J. ; E C K S T E I N , M . A . ; M A L L E A , J. R . 1976. National case study : An
empirical comparative study of twenty-one educational systems. International Studies in Eva-
luation VIII. Stockholm, Almqvist and Wicksell.
S A M U E L S O N , P. A . 1969. L'économique. Paris, Armand Colin.
Formation
à Fautoformation : une
expérience en cours
Gordana Zindovic Vukadinovic
D e s besoins n o u v e a u x
connaître d'autres pays peut avoir u n effet motivant sur les élèves ;
d'autre part, parce qu'il s'agit d'un p r o g r a m m e propice à la coopé-
ration et à l'échange de matériels. D e plus, il se prête à une approche
interdisciplinaire englobant la culture, la géographie et l'histoire
des pays visés et permettant donc de combiner des éléments
empruntés aux matières obligatoires d u programme.
L'assise théorique d u projet comprend les éléments suivants :
a) caractéristiques de l'auto-apprentissage ; b) aptitudes et capacités
qu'il convient d'inculquer aux élèves o u d'améliorer ; c) organisation
du travail scolaire au niveau des méthodes pédagogiques ; d) éva-
luation.
Les caractéristiques de l'auto-apprentissage et de l'apprentissage
autodirigé ont déjà été examinées en détail, de sorte qu'il n'est pas
nécessaire d'y revenir. Il importe cependant que le lecteur sache que,
dans le cadre de ce projet, l'initiation à l'auto-apprentissage comporte
à la fois la mise en œuvre de techniques pédagogiques appropriées
et d ' u n apprentissage autodirigé effectif, ce qui signifie de façon
plus précise que le p r o g r a m m e expérimental comprend u n cours,
donné par l'enseignant, sur les techniques et capacités spécifiques
d'auto-apprentissage, ainsi que des projets individuels et des projets
de groupe mettant en jeu tous les mécanismes de l'apprentissage
autodirigé, de l'évaluation et de l'auto-évaluation.
Parmi les caractéristiques essentielles de l'auto-apprentissage, il
convient de souligner ici 1' « apprentissage horizontal », qui implique
u n contact direct entre l'apprenant et diverses sources scolaires et
non scolaires et fait également appel aux possibilités offertes à cet
égard par la collectivité, la famille et les médias. A u regard des deux
systèmes parallèles d'enseignement — scolaire et n o n scolaire —,
l'accent est mis sur la force de cohésion de l'auto-apprentissage.
C e n'est pas prendre des désirs pour des réalités que de tabler sur
l'acquisition d'un certain n o m b r e d'aptitudes et de capacités. L'école
les développe déjà, dans u n e plus o u moins large mesure, soit déli-
bérément, soit accessoirement, dans le cadre de l'influence exercée
sur la formation de la personnalité. C e qu'il faut désormais, c'est
les exercer d'une façon systématique et les améliorer, tant pour
favoriser le processus éducatif en cours que c o m m e préparation à
l'éducation permanente.
Ces aptitudes et capacités sont les suivantes : a) l'aptitude à pla-
nifier des activités personnelles et des activités de groupe, y compris
l'aptitude à en définir les objectifs ; b) l'aptitude à identifier et la
capacité d'utiliser diverses sources d'information (verbale, écrite,
audiovisuelle et informatisée) ; c) la faculté de lire, de regarder et
d'écouter en fonction de différents objectifs (relever les faits perti-
nents, dégager les idées principales, distinguer l'essentiel de l'accès-
Formation à l'autoformation : line expérience en cours
M i s e e n pratique d u projet :
l'expérience d e la Yougoslavie
Notes
i. R . H . Dave, Education permanente et programme scolaires\UE Monographie i, H a m b o u r g ,
Institut de l'Unesco pour l'éducation, 1973.
2 . L'enseignement traditionnel englobe tous les types d'établissements et.formes d'ensei-
gnement conduisant à l'obtention des titres ou diplômes officiels susceptibles d'assurer
une promotion sociale (enseignement général obligatoire, tous les types et niveaux d'ensei-
gnement professionnel débouchant sur u n diplôme professionnel).
3. L a cognition divergente suppose la recherche de solutions complexes et lointaines, l'apti-
tude à penser en termes nouveaux er originaux, à s'écarter des méthodes établies et sté-
réotypées pour résoudre les problèmes, u n esprit ouvert aux idées nouvelles et la capacité
d'invention.
Gordana Zindovié Vúkadinovié
Bibliographie
D A V E , R . H . 1973. Éducation permanente et programme scolaire. Résultats provisoires d'une étude
exploratoire sur le programme scolaire, les structures et la formation des enseignants dans la pers-
pective de l'éducation permanente. H a m b o u r g , Institut de l'Unesco pour l'éducation, I U E
Monographie 1.
G O A D , L . H . 1984. Preparing teachers for lifelong education. The report of a multinational study
on some developments in teacher education in the perspective of lifelong education. H a m b o u r g ,
Pergamon Press/Institut de l'Unesco pour l'éducation.
JovANOVié-lLié, Magdalena. 1977. Razvoj sposobnosti ucenja. Navike i tehnike ditanja i
samostalnog ucenja (Développement des capacités d'apprentissage. Pratiques et techniques
de lecture et de travail personnel). Belgrade, Prosveta.
R O W N T R E E , Derek. 1986. Teaching through self-instruction. A practical handbook for course
developers. Londres, K o g a n Page.
S K A G E R , R . 1984. Organizing schools to encourage self-direction in learners. H a m b o u r g , Institut
de l'Unesco pour l'éducation/Pergamon Press.
DOSSIER
L'enseignement à distance
I. Thèmes fondamentaux
I/enseignement à distance :
un état de la question
Anthony Kaye
sonnes déjà engagées dans la vie active, a été, Penalver et Escotet, 1981 ; Stewart et al, 1983 ;
à l'origine, considéré c o m m e u n expédient. Thorpe et Grugeon, 1987 ; Y o u n g et al, 1980).
Dans certains pays européens, les cours par U n certain nombre de facteurs permettent de
correspondance proposés par quelques orga- mesurer l'intérêt que les gouvernements et les
nismes privés, qui semblaient plus soucieux établissements d'enseignement public portent
de réaliser des bénéfices rapides que d'instruire à l'enseignement à distance. Ainsi, la création
leurs clients, n'ont guère contribué à améliorer d'associations régionales destinés à développer
l'image de marque de l'enseignement à dis- la collaboration entre les universités, les respon-
tance en dépit de la grande qualité de quelques sables de projets et les départements concernés
institutions responsables et réputées, telle des ministères de l'éducation traduit le souci des
Liber Hermods, qui, fondée en 1898, en milieux officiels de mettre les possibilités d'édu-
Suède, a compté à certaines époques plus de cation à la disposition d'un plus large public.
cent cinquante mille étudiants par an. A u nombre de ces associations, on peut notam-
Depuis une quinzaine d'années, toutefois, u n ment citer :
certain nombre de facteurs ont profondément L ' A S P E S A (Association australienne et du Paci-
modifié l'image de l'enseignement à distance, fique Sud pour les études externes), qui
qui apparaît aujourd'hui c o m m e u n m o y e n publie la revue Distance éducation.
adapté et efficace d'éducation et de formation L'Asociación Iberoamericana de Educación Su-
des adultes. L ' u n des premiers indices impor- perior a Distancia.
tants de cette évolution fut sans aucun doute L'Association des écoles européennes d'ensei-
la publication par l'Unesco de l'ouvrage intitulé gnement par correspondance.
Études ouvertes : systèmes d'instruction post- L'Association africaine d'enseignement à dis-
secondaire à distance (MacKenzie et al., 1975). tance.
Cet ouvrage, qui rassemblait des études portant L'Association des universités ouvertes d'Asie.
sur les premières expériences d'utilisation des E n outre, des associations nationales d'enseigne-
méthodes multimédias pour l'enseignement à ment à distance dotées de secrétariats perma-
distance, a contribué à donner de ce domaine nents ont été établies dans u n certain nombre
une nouvelle définition qui allait bien au-delà de pays, dont l'Argentine, le Brésil, le Canada,
des seuls cours par correspondance. Les recher- les États-Unis d'Amérique, la Norvège, la
ches dont s'inspire cet ouvrage ont c o m - Nouvelle-Zélande et la Suède. Certains orga-
mencé en 1972. Dix ans plus tard, le Conseil nismes d'aide nationaux et internationaux (telles
international de l'enseignement par corres- l'Agence internationale pour le développement
pondance, lors de son douzième Congrès m o n - (AID) des États-Unis d'Amérique, l'Agence
dial à Vancouver, devenait le Conseil inter- canadienne de développement internationale
national de l'enseignement à distance. L'en- ( A C D I ) , l'Overseas Development Adminis-
semble des communications présentées à cette tration ( O D A ) , la Banque mondiale, l'Unesco)
occasion (Daniel et al., 1982), qui émanaient ont accordé leur soutien à l'enseignement à
de cent vingt auteurs représentant quelque distance et à ses techniques en participant au
vingt-cinq pays, est une indication évidente d u financement de nouveaux projets.
regain d'intérêt suscité par cette question de- Il est donc évident que l'enseignement à dis-
puis la publication à!Études ouvertes. L e nombre tance est aujourd'hui considéré c o m m e u n
d'ouvrages universitaires consacrés à l'ensei- m o y e n efficace, approprié et satisfaisant d'élar-
gnement à distance en tant que domaine spéci- gir les possibilités d'éducation dans u n grand
fique d'analyse et de recherche en est une nombre de pays et de situations. Toutefois, il
autre (voir, entre autres, Chang et al., 1983 ; n'est pas certain que le concept d' « enseigne-
Cirigliano, 1983 ; Escotet, 1980 ; Galvis Pan- ment à distance » ait partout le m ê m e sens, étant
queva, 1982 ; Henri et Kaye, 1985 ; Holmberg, donné la diversité des modèles d'enseignement
1981 ; Kaye et Rumble, 1981 ; Neil, 1981 ; à distance adoptés selon les pays.
L'enseignement à distance : u n état de la question 43
100% 100%
0%
pensé directement par le maître constitue le nification de ces systèmes (voir l'article d'Ar-
m o d e principal de transmission des connais- m a n d o Villarroel dans le présent dossier).
sances et d'éveil de l'intelligence de l'étudiant.
LE RECOURS
LE RÔLE DE L'ÉTABLISSEMENT AUX MÉDIAS PÉDAGOGIQUES
L e rôle d'un établissement qui assure u n ensei- L'enseignement à distance est, par excellence,
gnement à distance est très différent de celui u n enseignement médiatisé. L'essentiel des
d'un établissement traditionnel. Dans le cas d u fonctions assurées normalement par des ensei-
second, l'enseignant est le point de contact es- gnants en chair et en os dans une salle de cours
sentiel avec les étudiants, le plus visible, et ou u n amphithéâtre — mise en contexte, trans-
représente bien souvent le facteur décisif de mission de connaissances, analyse de con-
leur réussite ou de leur échec. S'agissant de cepts — est alors effectué par l'intermédiaire
l'enseignement à distance, on serait tenté de de divers moyens techniques : imprimés, pro-
dire que l'activité pédagogique est assurée par grammes de radio et de télévision, cassettes,
l'établissement, et non par l'enseignant lui- bases de données, disquettes, etc. L'enseigne-
m ê m e . Les cours sont souvent le fruit de la col- ment direct n'intervient que pour résoudre des
laboration de spécialistes de tel domaine parti- problèmes de compréhension et pour le travail
culier, d'enseignants, de rédacteurs, de produc- collectif ou en laboratoire.
teurs et d'administrateurs. L'établissement se L'utilisation des médias dans l'enseignement
charge, en règle générale, de la distribution des à distance appelle, à m o n avis, trois grandes
matériels didactiques, de l'évaluation d u travail observations.
des étudiants et de l'organisation des activités E n premier lieu, l'élaboration, la production
d'enseignement en direct au niveau local : il a et la diffusion de matériels didactiques pour
donc pour les étudiants une « présence » diffé- l'enseignement à distance exigent des moyens
rente de celle d'un établissement traditionnel. appropriés (crédits, personnel qualifié, équipe-
E n outre, c'est cette présence de l'établissement ment et matériel techniques) si l'on veut exploi-
qui distingue l'enseignement à distance de ter pleinement le potentiel des différents médias.
l'étude personnelle et autodirigée. L a préparation par u n enseignant de documents
Notons que le terme « établissement » tel qu'il d'accompagnement et de transparents qui seront
est employé dans le présent article ne signifie utilisés en classe et qui pourront faire l'objet
pas nécessairement que la totalité des activités d'une explication immédiate en cas de problème
relevant de l'enseignement à distance est assurée de compréhension n'est en rien comparable à
par un seul organisme ; ces responsabilités peu- l'élaboration de matériels destinés à u n enseigne-
vent être partagées — et tel est souvent le ment médiatisé et conçus pour des personnes
cas — entre plusieurs établissements et orga- qui étudient seules et ne peuvent compter sur
nismes travaillant de concert (l'Open Univer- aucune aide immédiate.
sity et la B B C , par exemple) au sein d'un consor- M a deuxième remarque, qui rejoint la pre-
tium (le Norsk Fjernundervisning, entre autres) mière, est que la préparation de matériels
ou dans le cadre d'un réseau (tel le British d'auto-apprentissage de bonne qualité pour
Columbia Knowledge Network). L'important, l'enseignement à distance est une activité com-
c'est qu'un plan, dont la préparation et l'orga- plexe, qui demande beaucoup de temps. Les m a -
nisation sont délibérées, et u n système de dis- tériels doivent être pédagogiquement bien con-
tribution et d'appui président à l'ensemble d u çus ; en d'autres termes, ils doivent être adaptés
programme d'études ainsi qu'à des activités à la situation de l'étudiant qui apprend à dis-
d'apprentissage spécifiques pour une analyse tance (voir à cet égard l'article d'Onkar Singh
des principaux facteurs intervenant dans la pla- Dewal dans le présent dossier) et de très grande
46 Anthony Kaye
qualité, car il est probable qu'ils seront utilisés Nations Unies utilisent l'imprimé c o m m e sup-
par u n grand nombre d'étudiants et serviront port principal et près d'un sur dix repose
de modèles, dans un pays donné, pour les maté- exclusivement sur lui (voir plus loin le ta-
riels didactiques dans une discipline particulière. bleau 1).
L'article d'Anthony B . Zahlan, qui figure dans
le présent dossier, porte expressément sur la
question de la qualité et de la pertinence des LA COMMUNICATION
matériels utilisés dans l'enseignement à dis- BIDIRECTIONNELLE
tance. Ces problèmes se posent de façon parti-
culièrement aiguë dans de nombreux pays en U n programme d'enseignement à distance ne se
développement qui ne disposent pas toujours limite pas à la fourniture de matériels d'auto-
des moyens nécessaires pour élaborer des maté- apprentissage. L a communication bidirection-
riels de bonne qualité. O r ceux qui sont conçus nelle entre l'étudiant et son tuteur, mentor ou
à l'étranger sont souvent inadaptés. conseiller, en est un élément essentiel. Dans les
Enfin, si, à la limite, o n peut pratiquement programmes d'enseignement à distance qui
tout apprendre par n'importe quel m o y e n d'en- s'adressent à u n grand nombre d'étudiants, les
seignement ou presque (Schramm, 1972), il est tuteurs interviennent généralement en qualité
évident que certains médias sont mieux adaptés d'intermédiaires et ne sont pas associés à l'éla-
que d'autres à des objectifs pédagogiques précis. boration des matériels didactiques. Pour enca-
Les projets d'enseignement à distance doivent drer ses étudiants, l'Open University britan-
utiliser au mieux les divers supports disponibles nique emploie ainsi plus de cinq mille tuteurs
et tenter d'intégrer les nouvelles techniques à à temps partiel, recrutés dans les universités et
mesure qu'elles apparaissent. Tel est déjà, dans les collèges universitaires traditionnels ; le corps
une large mesure, le cas de la radio et de la télé- professoral de l'établissement, responsable de la
vision. L a plupart des planificateurs de l'ensei- préparation des matériels pédagogiques, n'est
gnement à distance hésiteraient aujourd'hui à pas tenu de participer aux activités de tutorat
concevoir u n système fondé sur la radio ou la par correspondance. A l'Université Athabasca
télévision, mais ils en feraient volontiers usage, au Canada, en revanche, le corps enseignant
assure le tutorat des cours qu'il dispense, des
le cas échéant, pour certaines fonctions précises
tuteurs à temps partiel étant recrutés à l'exté-
( c o m m e la présentation d'expériences de labora-
rieur, si besoin est, pour les cours particulière-
toire, l'audition d'œuvres poétiques ou drama-
ment chargés. Étudiants et tuteurs c o m m u n i -
tiques, la diffusion régulière de nouvelles et d'in-
quent traditionnellement par la voie postale et
formations sur les réactions des étudiants, etc.).
l'enseignement par correspondance reste une
Après la radio et la télévision, les « nouveaux »
composante essentielle de la majorité des pro-
médias électroniques qui font appel à l'informa-
grammes, bien que le contact direct et l'encadre-
tique commencent déjà à avoir u n fort impact ment par téléphone jouent aussi u n grand rôle
sur de nombreux projets d'enseignement à dis- (Abrioux, 1985). M ê m e lorsqu'on utilise d'au-
tance, tant au niveau de la production (l'édition tres médias (le téléphone, par exemple, voire la
électronique, par exemple) qu'à celui des ser- télémessagerie ou la téléconférence) pour établir
vices d'appui (accès aux bases de données en le dialogue entre l'étudiant et son tuteur, il est
ligne, communication plus facile entre les étu- peu probable qu'ils remplacent u n jour l'enca-
diants et entre tuteurs et étudiants). drement par correspondance. Dans de n o m -
Toutefois, l'imprimé a été, est et restera dans breux programmes d'enseignement à distance,
un avenir prévisible le support privilégié de le niveau de l'étudiant est évalué sur la base de
l'enseignement à distance : 91 % des program- son travail écrit, l'étudiant attendant du tuteur
m e s d'enseignement à distance répertoriés dans ou de l'enseignant qu'il lui retourne ses travaux
la base de données du Centre international pour accompagnés de commentaires et d'une appré-
la formation à distance de l'Université des
L'enseignement à distance : u n état de la question 47
dation, c o m m e il le ferait dans u n établissement séances de tutorat dans les centres d'études et
traditionnel. de documentation locaux, d'organiser des pro-
grammes de rencontre de plus longue durée
(sessions d'une journée, de week-end, voire plus
LES RENCONTRES longues encore, avec hébergement sur place),
de recruter et de former les tuteurs à temps
L'interaction et les discussions entre étudiants partiel.
suivant les m ê m e s cours constituent une c o m -
posante importante d u processus éducatif, que
l'on a tendance à considérer c o m m e natu- LE MODÈLE INDUSTRIEL
relle dans les établissements où l'apprentissage
s'opère essentiellement dans la classe, le labo- Selon Peters (1973), la préparation et la distri-
ratoire, l'amphithéâtre et la bibliothèque. Dans bution des matériels d'enseignement à distance
le cadre de la plupart des programmes d'ensei- et l'organisation des programmes d'enseigne-
gnement à distance, il est prévu que les étudiants ment (la gestion d'une infrastructure régionale,
rencontrent, régulièrement ou de temps à autre, par exemple) s'apparentent au m o d e de pro-
leurs tuteurs, leurs professeurs et leurs c o m p a - duction industriel. Il est incontestable que les
gnons d'études ; les objectifs pédagogiques de grandes institutions d'enseignement à distance,
ces rencontres sont déterminés à l'avance avec notamment celles qui utilisent intensivement
d'autant plus de soin que ce type d'activité est tout u n éventail de moyens techniques, ont d û
coûteux et qu'il ne va pas de soi (voir, à cet appliquer le modèle de la « chaîne de fabrica-
égard, dans le présent numéro, l'article d'Onkar tion » à l'élaboration, à la fabrication, au stockage
Singh Dewal sur les objectifs pédagogiques des et à la distribution de leurs matériels. L a diver-
« programmes de contact »). D e nombreux éta- sité des compétences que requièrent ces diffé-
blissements recommandent ainsi que ces séances rents procédés exclut qu'une seule personne soit
soient expressément consacrées à des discus- responsable de la totalité des étapes de la con-
sions de groupe, à la résolution de problèmes, au ception et de la production des matériels ;
rattrapage et aux activités pratiques ou de labo- aussi, la spécialisation, la coordination entre les
ratoire, en d'autres termes, à des fonctions qui départements, la planification selon la méthode
ne peuvent être assurées de façon satisfaisante du chemin critique, la recherche incessante des
par les matériels d'enseignement médiatisés. E n perfectionnements et le contrôle de qualité se
conséquence, les tuteurs sont souvent invités à révèlent aujourd'hui de plus en plus indispen-
ne pas consacrer trop de temps à des exposés ou sables aux grands systèmes d'enseignement à
à des conférences à caractère magistral, cette distance. L a comparaison avec la chaîne de
fonction pédagogique étant normalement assu- fabrication d'une usine prend tout son sens
rée par les matériels pédagogiques proprement lorsqu'en visitant une université spécialisée dans
dits. l'enseignement à distance on découvre que les
L'importance et la nature des rencontres de principaux bâtiments qui, sur u n campus ordi-
groupe dans le cadre de l'enseignement à dis- naire, abritent les amphithéâtres et les dortoirs
dance, ainsi que leur organisation, varient consi- des étudiants, sont ici les entrepôts, les impri-
dérablement selon les cas. D e nombreux établis- meries, les ateliers et les studios de radio et de
sements (l'Université ouverte Sukhothai T h a m - télévision.
mathirat en Thaïlande et l'Open University L a nature complexe des systèmes d'enseigne-
britannique, notamment) ont mis en place u n ment à distance, le long délai nécessaire à l'éla-
réseau permanent de centres régionaux dans boration des matériels et la division d u travail
l'ensemble d u pays. D'autres ( c o m m e la R T V U qui va de pair avec la spécificité de nombreuses
chinoise) utilisent u n réseau préexistant. Ces composantes d u processus ainsi qu'avec la
centres régionaux sont chargés d'organiser les nécessité de servir u n public très nombreux font |
48 Anthony Kaye
que les méthodes de planification et de gestion formulées ci-dessus) et des informations four-
traditionnellement utilisées dans le secteur de nies par la base de données d u Centre interna-
l'éducation sont inadaptées aux projets d'en- tional pour l'apprentissage à distance de l'Uni-
seignement à distance et qu'il faut élaborer pour versité des Nations Unies ( U N U / I C D L ) , où
ce secteur des modèles de gestion et de planifi- sont répertoriés plus de huit cents programmes
cation qui lui soient propres (Rumble, 1987 ; d'enseignement à distance mis en place par quel-
Villaroel, 1987). que cinq cents établissements répartis à travers
le m o n d e (il est regrettable, toutefois, que les
établissements des pays socialistes soient aussi
Quelques tendances actuelles mal représentés). Les organismes répertoriés
dans la base de données U N U / I C D L sont clas-
Il n'est pas possible d'établir u n bilan précis sés en trois catégories :
de la situation de l'enseignement à distance dans Les organismes qui ont pour seule vocation d'as-
le m o n d e , et ce, pour deux raisons au moins. L a surer la formation à distance (type A ) . Beau-
première tient, on l'a déjà dit, à l'extrême diver- coup d'universités « ouvertes » nouvelles ap-
sité des systèmes (publics et privés) et des ni- partiennent à cette catégorie.
veaux auxquels cet enseignement est dispensé, Les organismes traditionnels comportant u n
qui vont du secondaire aux études du troisième département d'enseignement à distance ou
cycle, sans oublier la formation technique et d'études externes (type B ) . Ces organismes
professionnelle. Il en résulte que la responsabi- mixtes sont très nombreux, notamment au
lité des services d'enseignement à distance peut niveau universitaire, dans u n certain nombre
fort bien, à l'intérieur m ê m e d'un pays, être de pays (dont l'Australie, la Chine, les États-
partagée entre de multiples organisations, minis- Unis, l'Inde et la Zambie).
tères et départements. L a seconde tient au Les organismes traditionnels qui dispensent
caractère très fragmentaire des publications dis- quelques cours de formation à distance, mais
ponibles sur la situation de l'enseignement à où il n'existe pas de département spécialisé
distance dans de nombreux pays, dont le n o m - dans ce domaine (type C ) .
bre semble inversement proportionnel à celui Les informations contenues dans les tableaux 1
des étudiants concernés (Daniel, 1987). L'in- et 2 sont présentées suivant ce classement.
formation publiée sur l'enseignement à distance
en Union soviétique et en Chine est ainsi très
rare, alors que dans ces deux pays les établisse- LES NOUVEAUX ÉTABLISSEMENTS
ments d'enseignement à distance regroupent
vraisemblablement plus de la moitié des étu- L'évolution la plus remarquable au cours des
diants qui, dans le m o n d e , préparent u n diplôme
dernières années est la création, dans plusieurs
d'enseignement supérieur à domicile. Les p u - pays d'Asie, d'établissements d'enseignement à
blications dont on dispose effectivement con- distance d'un type nouveau qui s'adressent à u n
cernent le plus souvent les nouveaux types très grand nombre d'étudiants. L'Université
d'établissements conçus spécifiquement pour centrale par la radio et la télévision, qui a été
l'enseignement à distance et ont tendance à fondée en Chine en 1979 pour appuyer et co-
passer sous silence les services traditionnels de ordonner l'enseignement dispensé par les uni-
cours par correspondance et d'études externes versités des ondes provinciales, compte au-
qui, pendant des décennies, ont connu un grand jourd'hui plus de 600 000 étudiants (voir l'étude
succès dans de nombreux pays, des États-Unis de Zhao Yuhui dans la prochaine livraison de
d'Amérique à l'Union soviétique. Perspectives). E n Thaïlande, l'Université o u -
Les quelques généralisations qui suivent s'ins- verte Sukhothai Thammirat, fondée en 1978,
pirent des dernières publications (qui doivent admettait ses premiers étudiants deux ans plus
être interprétées en tenant compte des réserves | tard et compte en accueillir 500000 d'ici
L'enseignement à distance : un état de la question 49
à 1990 (Srisa-an, 1984). E n Indonésie, l'Uni- ments d'enseignement à distance ont été mis en
versitas Terbuka, créée en 1984, a reçu plus place pendant les années 1970 au Canada (dont
de 250 000 demandes d'inscription à ses pre- la Télé-Université au Québec, l'Université
miers cours et a p u accepter 60 000 étudiants Athabasca en Alberta et l'Open Learning Insti-
l'année de son ouverture (voir l'étude de Setijadi tute en Colombie britannique). Plus récemment,
dans la prochaine livraison de Perspectives). toutefois, l'effort a surtout porté sur le dévelop-
L'Université des ondes, créée au Japon en 1985, pement des services de cours par correspon-
offre u n certain nombre de programmes litté- dance et d'études externes fournis par les éta-
raires et associe plusieurs formules : télévision, blissements traditionnels : d'une part, parce que
cours par correspondance et séances dans des la crise économique obligeait à trouver de nou-
centres d'études. L'Université par correspon- veaux marchés ; d'autre part, parce que les
dance de Corée du Sud, fondée en 1982, compte adultes étaient nombreux à manifester u n inté-
environ 250 000 étudiants inscrits dans les dif- rêt accru pour les études à temps partiel et le
férents programmes proposés dans treize d o - recyclage. A u x États-Unis d'Amérique, quelque
maines différents. E n Inde, l'Université ouverte soixante-dix universités traditionnelles dispen-
nationale Indira-Gandhi ( I G N O U ) a été créée sent des cours de formation à distance à environ
en 1985 pour servir de base à u n système na- 150 000 étudiants au total (Markowitz, 1983).
tional d'enseignement à distance et coordonner E n Europe, après la création de l'Open Univer-
les activités des nombreuses universités où exis- sity en Grande-Bretagne, de l'Universidad N a -
tent des départements d'enseignement par cor- cional de Educación a Distancia en Espagne
respondance ainsi que celles des nouvelles uni- en 1970 et de la Fernuniversität en République
versités ouvertes d'État. Il y a tout lieu de penser fédérale d'Allemagne en 1974, seul u n petit
que P I G N O U accueillera un très grand nombre nombre d'établissements a été créé récemment,
d'étudiants dans les prochaines années. dont l'Open Universiteit aux Pays-Bas, qui a
Ces nouveaux projets de grande envergure commencé à fonctionner en 1984, et l'Open
s'expliquent par de puissantes motivations poli- College au Royaume-Uni, qui prépare actuel-
tiques liées à la nécessité de mettre en place lement toute une g a m m e de cours et de pro-
rapidement des services d'enseignement ren- grammes d'enseignement à distance axés essen-
tables à l'intention d'un très large public. Leur tiellement sur la formation professionnelle.
raison d'être économique est analysée dans l'ar-
ticle de Greville Rumble figurant dans la pré-
sente livraison. LA CLIENTÈLE DE L'ENSEIGNEMENT
Hors de la région Asie, l'enseignement à A DISTANCE
distance n'a pas évolué avec autant de dyna-
misme. Les établissements existant en Australie, Soulignons de nouveau que la diversité des
en Nouvelle-Zélande et dans de nombreux pays services d'enseignement à distance rend hasar-
d'Afrique continuent à accueillir u n nombre deuse toute généralisation concernant les carac-
important d'étudiants non intégrés au système téristiques des étudiants. D e nombreux orga-
traditionnel. Après lafloraisond'établissements nismes d'enseignement à distance, notamment
qu'a connue l'Amérique latine dans les an- certains des plus importants (en Union sovié-
nées 1970 (entre autres, la création de l'Uni- tique et en Chine, par exemple), ont une clien-
versidad Nacional Abierta au Venezuela et tèle de jeunes adultes semblable à celle des
de l'Universidad Nacional de Educación a universités traditionnelles. D'autres (parmi les-
Distancia au Costa Rica), aucun grand projet quels nombre d'universités « ouvertes » et de
nouveau n'est à signaler, à l'exception de programmes par correspondance « mixtes »)
l'Universidad Abierta y a Distancia prévue en attirent souvent des étudiants plus âgés qui ont,
Colombie au début des années 1980. E n A m é - en moyenne, un peu plus de trente ans. U n e
rique du Nord, u n certain nombre d'établisse- minorité de programmes (environ 10 % selon
50 Anthony Kaye
les données de la base U N U / I C D L ) s'adressent posée en plus grande proportion d'étudiants in-
aux enfants qui, pour des raisons diverses, sont dépendants et fortement motivés que la clien-
dans l'impossibilité de suivre une scolarité tra- tèle des établissements traditionnels. Cette ob-
ditionnelle (c'est le cas de l'École par corres- servation vaut surtout pour les étudiants
pondance de Sydney, en Australie, et de cer- adultes qui font des études à temps partiel
tains des cours offerts par le Centre national tout en assumant leurs responsabilités profes-
d'enseignement à distance, en France). sionnelles et familiales (voir à ce sujet l'étude
Selon les données de l ' U N U / I C D L , la répar- de cas d'Ismail dans le prochain dossier de Pers-
tition des programmes d'enseignement à dis- pectives).
tance par niveau d'études s'établit c o m m e suit :
Niveau primaire (enfants et adultes), 7 %.
Niveau secondaire (enfants et adultes), 25 %. MOYENS ET MÉTHODES
Niveau universitaire, premier et deuxième cy- D'ENSEIGNEMENT
cle, 20 %.
Niveau universitaire, troisième cycle, 9 %. C o m m e nous l'avons déjà dit, Yimprimé est le
Niveau postsecondaire (perfectionnement), principal support de la majorité des programmes
12 % . d'enseignement à distance, ce que confirment
Formation permanente des adultes, 27 %. les données d u tableau 1 ci-dessous, emprun-
Tous ceux qui affirment avec optimisme, mais tées à la base de données de l ' U N U / I C D L .
souvent sans grand réalisme, que les pratiques La R T V U chinoise elle-même, qui a tradi-
de l'enseignement à distance reposent sur des tionnellement privilégié la télévision, envisage
principes pédagogiques c o m m u n s ( c o m m e l'au- de recourir davantage aux matériels imprimés
tonomie de l'apprenant adulte et l'application diffusés par correspondance.
de principes « andragogiques » lors de la concep- La lecture du tableau 1 fait toutefois appa-
tion des cours) feraient bien de songer à la raître quelques caractéristiques intéressantes.
grande variété des programmes offerts et, par- E n premier lieu, seule une minorité de pro-
tant, à la diversité liée à l'âge, aux motivations grammes (9 %) reposent exclusivement sur
et à la formation des étudiants auxquels ils l'imprimé, ce qui traduit une évolution impor-
s'adressent. La seule hypothèse que l'on puisse tante par rapport au m o d e d'études tradition-
raisonnablement formuler à propos d'une nel, la correspondance, qui était encore si
grande partie de la clientèle de l'enseignement répandu il y a vingt ans. E n deuxième lieu, le
à distance est que celle-ci est sans doute c o m - support le plus populaire après l'imprimé est,
Jeux
Type d'auxiliaires
d'éta- Imprimé Imprimé Radio TV Audio Vidéo pédagogiques
blissement" seul + autre + autre -t- autre + autre + autre
a. T y p e A : établissements consacrés à l'enseignement à distance ; type B : établissements traditionnels où il existe des départements
spécialisés dans l'enseignement à distance ; type C : établissements traditionnels où les programmes d'enseignement à distance
ne relèvent pas d'un département spécialisé.
de loin, la modeste cassette audio (qui apparaît qui font appel à l'informatique (pour une vue
dans 44 % des programmes). E n troisième d'ensemble de certaines de ces technologies et
lieu, une proportion importante de programmes et l'intérêt qu'elles présentent pour l'ensei-
utilisent des moyens relativement coûteux : la gnement à distance, voir Ruggles et al., 1982 ;
télévision (15 %), les vidéocassettes (21 %) Bates, 1984 ; Bacsich et al., 1986).
et les jeux de matériel pour travaux pratiques Dans le cas précis de l'enseignement à dis-
(18 %). tance, les domaines où l'application de techni-
Si l'enseignement à distance se distingue des ques informatisées peut avoir des effets impor-
cours par correspondance par l'emploi intégré tants sont au nombre de trois. L e premier est
de divers médias, il présente une autre carac- celui de la production des matériels d'enseigne-
téristique fondamentale, à savoir l'existence ment : l'informatique a révolutionné l'édition
d'une infrastructure qui permet le contact entre en permettant d'accélérer considérablement la
étudiants et tuteurs et l'organisation de ren- production et de fabriquer des matériels impri-
contres de groupe, de sessions de travail avec més de grande qualité sans que les coûts aug-
hébergement sur place. L e tableau 2 montre mentent pour autant. Ainsi que le montre
dans quelle mesure les différents programmes l'étude consacrée à l'Universitas Terbuka (qui
d'enseignement à distance répertoriés dans la paraîtra dans la prochaine livraison de Perspec-
base de données de l ' U N U / I C D L ont recours tives), les pays développés n'ont pas le m o n o -
à une organisation régionale, à des centres pole de cette technologie. L'Universitas Ter-
d'études et à des établissements avec internat. buka fabrique ses matériels imprimés à l'aide
Il en ressort qu'un quart des programmes envi- de micro-ordinateurs et d'imprimantes laser, ce
ron disposent d'une infrastructure destinée qui lui permet d'éliminer les coûts de c o m p o -
expressément aux activités de groupe. sition et de réduire sensiblement les délais de
production. L'utilisation de l'électronique pour
la préparation et le stockage des textes de
LES N O U V E L L E S T E C H N O L O G I E S l'enseignement à distance présente naturelle-
ET L ' E N S E I G N E M E N T A D I S T A N C E ment l'avantage important d'en permettre une
révision et une actualisation plus rapide et plus
Si, au cours des années 1970, la télévision simple.
avait fait son apparition dans de nombreux sys- La deuxième application importante des
tèmes d'enseignement à distance, elle cède au- techniques informatiques concerne le stockage
jourd'hui la place aux nouvelles technologies et la recherche rapide de l'information, que
52 Anthony Kaye
celle-ci soit conservée sur vidéodisque ou dans dont les matériels, qu'ils soient fournis à
une base de données. Dans les pays où l'accès l'étudiant sous forme de disquettes ou par
en ligne aux bases de données s'opère facile- accès direct à des bases de données, entrent
ment (c'est notamment le cas en France, o ù pour l'essentiel dans la m ê m e catégorie que les
l'on peut consulter les bases de données vidéo- autres matériels d'enseignement.
tex, ou en Amérique d u Nord, o ù existent des
systèmes tels que CompuServe ou T h e Source), Cette présentation brève et générale de l'ensei-
ces techniques présentent u n potentiel évident gnement à distance a pour objet de définir le
pour l'enseignement à distance. A u x États-Unis cadre des articles plus fouillés et plus spécialisés
d'Amérique, par exemple, il existe déjà u n qui composent la suite de ce dossier en deux
« Electronic University Network » dont le fichier parties. L a première série d'articles, contenue
électronique répertorie plus de quatre-vingts dans la présente livraison de Perspectives, est
bases de données en ligne, et qui peut être consacrée à certains des thèmes fondamentaux
utilisé dans le cadre de programmes d'études que nous venons d'identifier, à savoir :
externes (Electronic University Network, 1987). Les facteurs à prendre en considération pour
Enfin, et c'est peut-être le plus intéressant, planifier les projets d'enseignement à dis-
des services de communication informatisés (la tance, eu égard, en particulier, à l'emploi de
télémessagerie ou la téléconférence, par exem- l'analyse de systèmes (Villarroel).
ple) peuvent être utilisés pour permettre aux Les principaux problèmes pédagogiques posés
étudiants, aux tuteurs et aux concepteurs des par les divers médias et méthodes d'ensei-
programmes de dialoguer à distance, voire pour gnement et d'apprentissage utilisés dans la
organiser des séminaires et des débats à partir formation à distance (Dewal).
de terminaux personnels. Ces techniques sont à Les questions de qualité et de pertinence des
l'essai dans u n certain nombre d'institutions matériels pédagogiques utilisés dans l'ensei-
(voir, par exemple, Kaye, 1987) et les possibi- gnement à distance (Zahlan).
lités qu'elles présentent sont étudiées en détail L a possibilité qu'offrent les nouvelles tech-
par Henri dans u n autre article d u présent nologies informatiques de renforcer, quali-
dossier. tativement et quantitativement, la c o m m u -
nication entre étudiants et entre tuteurs et
L'intégration de ces nouvelles techniques et
étudiants dans le cadre des programmes
de leurs applications aux méthodes actuelles
d'enseignement à distance (Henri).
de l'enseignement à distance ne s'opérera pas
U n e analyse critique des arguments économi-
nécessairement en douceur. Les institutions qui
ques avancés en faveur de l'enseignement à
utilisent 1' « ancienne » technique de l'imprimé
distance, par opposition à l'enseignement
depuis leur création risquent fort d'avoir beau-
traditionnel dispensé en classe ou à l'univer-
coup de mal à passer à l'édition électronique.
sité (Rumble).
Par ailleurs, la possibilité qu'auront les étu-
C e choix particulier de thèmes repose sur la
diants de consulter des bases de données en
conviction que les problèmes cruciaux qu'il
ligne pose des problèmes, potentiellement déli-
convient d'examiner dans ce domaine sont ceux
cats, de contrôle, de propriété et d'actualisation
de la qualité des matériels didactiques fournis
des matériels stockés dans ces bases de don-
aux étudiants, d u niveau, de la nature et de
nées. Enfin, l'introduction de modes de c o m m u -
l'importance de l'interaction entre les appre-
nication informatisés va modifier le rôle d u
nants et entre ces derniers et leurs tuteurs/
tuteur et ses fonctions, et faciliter considéra-
professeurs. Ces deux problèmes influent sur la
blement le contact entre les étudiants et les
conception et la planification d'ensemble des
concepteurs des programmes. Ces problèmes
systèmes d'enseignement à distance et, au
sont fondamentalement différents de ceux que
premier chef, sur la structure de leur coût.
pose l'utilisation, dans la formation à distance,
L a seconde partie d u dossier (qui paraîtra
de l'enseignement assisté par ordinateur ( E A O ) ,
L'enseignement à distance : un ¿tat de la question 53
L a documentation concernant les débuts de E n partant d u principe que les éléments pré-
l'enseignement à distance dans les universités cités jouent u n rôle déterminant dans la mise
spécialisées d u Costa Rica, d'Espagne, d u en œuvre des programmes d'enseignement à
R o y a u m e - U n i et d u Venezuela (Perry, 1977; distance, nous essayerons d'analyser globale-
Villarroel, 1987) fait apparaître entre ces dif- ment leur influence et la manière dont les pro-
férents cas de nombreux points c o m m u n s déjà cessus qui en résultent sont planifiés. N o u s
visibles à l'époque. Ainsi, il fallait justifier la commencerons par décrire très succinctement
création d'institutions différentes des établis- les caractéristiques dont il faut particulièrement
sements traditionnels déjà en place dans ces tenir compte pour la planification; puis nous
pays et il était impératif, pour obtenir des cré- évoquerons l'utilisation de l'analyse systémique
dits de fonctionnement, d'expliquer avec de so- c o m m e instrument théorique et méthodologi-
lides arguments les raisons d'ordre social pour que de planification; enfin, compte tenu des
lesquelles ce type d'enseignement devait être conclusions que nous aurons tirées de ces ana-
assuré parallèlement à l'enseignement tradi- lyses, nous étudierons les sous-systèmes qui
tionnel. L'argument le plus souvent invoqué caractérisent le mieux ces programmes et qui
était et demeure qu'en raison de sa souplesse et jouent u n rôle dans la planification.
de son faible coût cet enseignement permet de
répondre aux besoins de groupes de population
qui, à cause de l'éloignement géographique ou L'enseignement à distance
d'un handicap social, n'auraient pas, autrement, et sa planification
la possibilité d'accéder à l'éducation.
Par ailleurs, aussi bien les fondateurs de ces Avant d'examiner les principales caractéristi-
institutions que le corps enseignant dans son ques des systèmes d'enseignement à distance, il
ensemble s'inquiétaient évidemment de savoir nous paraît nécessaire de souligner à nouveau
c o m m e n t il fallait mettre en pratique une que ce type d'enseignement est une innovation
conception nouvelle et sans précédent. Ces deux qui, une fois adoptée, doit s'intégrer au système
aspects, interdépendants dès le départ, ont en- éducatif tout en conservant ses caractéristiques
gagé les institutions intéressées à fournir u n propres et en surmontant les obstacles qui pour-
effort particulier pour concevoir une planifica- raient s'opposer à son implantation. Cette si-
tion adaptée à leurs caractéristiques propres. tuation ne peut manquer d'avoir des effets sur
le processus général de planification. D e m ê m e ,
nous marquerons les différences entre l'ensei-
gnement à distance et l'enseignement tradition-
A r m a n d o Villarroel (Venezuela) est vice-recteur de nel, afin de clarifier les observations qui vont
V Universidad Nacional Abierta du Venezuela, ancien suivre.
coordonnateur des études à distance à l'Université
d'État de Pennsylvanie et auteur, notamment, d'un S'agissant de l'aspect novateur de l'enseigne-
ouvrage sur les aspects opérationnels de l'enseignement ment à distance, il est certain, c o m m e le souli-
universitaire à distance. gnent divers auteurs (Kaye et R u m b l e , 1981 ;
1977) prévoyant que l'institution fonctionnerait existent dans l'enseignement à distance. L'étude
connue u n système composé de sous-systèmes des principaux sous-systèmes de ce type d'en-
entretenant entre eux une relation dynamique seignement tels qu'ils sont décrits par Kaye et
et intégrée. Il fallait donc une administration R u m b l e (1981) a montré que certains d'entre
capable d'atteindre les objectifs d'un système eux se retrouvaient dans d'autres formes d'en-
complexe devant impérativement fonctionner seignement. N o u s estimons toutefois qu'en ce
avec u n haut niveau d'efficacité. qui concerne l'enseignement à distance les sous-
Toutefois, le décalage entre la théorie et la systèmes que sont les cours et les étudiants
pratique n'a pas tardé à apparaître et il a fallu présentent des caractéristiques très particu-
opérer progressivement les ajustements néces- lières, qui les différencient nettement de ceux
saires (Villarroel, 1980). Malgré certains change- de l'enseignement traditionnel.
ments radicaux, le principe des sous-systèmes
interdépendants a toujours été conservé, au
moins formellement. Exemple d'application
Bien que cette approche n'ait pas été utilisée de l'analyse systémique
à tous les stades de la création de l ' U N A , et à deux sous-systèmes
qu'elle se soit parfois révélée peu réaliste, le de l'enseignement à distance
seul fait qu'elle soit encore jugée utile et que
cette institution s'efforce d'y avoir recours est L e sous-système constitué par les cours suppose
important, car il équivaut à reconnaître tacite- la conception, la production et la diffusion des
ment son efficacité pour la gestion d'une orga- matériels pédagogiques, ce qui, à l'évidence,
nisation aussi complexe que celle d'un centre engendre des situations très différentes de celles
universitaire d'enseignement à distance. C e qui caractérisent l'apprentissage en présence d u
souci d'étudier ou d'envisager les processus de maître.
façon globale est une caractéristique de bon Pour simplifier, on pourrait dire que la mise
nombre d'institutions de ce type. au point des cours passe par plusieurs étapes :
D a n s les institutions les plus avancées, c o m m e a) concrétiser les idées des spécialistes sous
l'Open University, o ù les recherches opération- forme de prototypes de cours ; b) élaborer des
nelles ont été poussées le plus loin, la planifi- méthodes d'évaluation périodique permettant de
cation sectorielle et l'étude des processus dans préserver le caractère formateur des cours ;
leur interdépendance sont largement répandues. c) mettre au point des instruments pour évaluer
Dans d'autres institutions c o m m e la Universidad les résultats des étudiants et, bien entendu,
Nacional de Educación a Distancia ( U N E D ) contrôler la qualité de ces instruments ; d) re-
d u Costa Rica et l ' U N A d u Venezuela, il existe produire les prototypes de cours et les instru-
des « vice-rectorats » chargés de la planification, ments d'évaluation des cours et des résultats
ou des services spécialisés qui s'occupent de obtenus par les étudiants; e) distribuer les
mettre en œuvre des plans opérationnels et des matériels aux étudiants ; f) recherche des
projets, et d'optimiser les résultats. E n général, mécanismes de retour de rétro-information
le processus de planification est très différent de pour assurer Pautorégulation d u système.
celui des établissements d'enseignement tradi- Faire fonctionner l'ensemble de ce sous-
tionnels, où la planification est beaucoup plus système de façon dynamique est une tâche
générale et n'atteint jamais le degré de préci- extrêmement délicate et intéressante, car, nous
sion obtenu dans les institutions d'enseignement l'avons vu, les différents processus sont inter-
à distance. dépendants. Si l'on n'utilise pas l'analyse sys-
Dans la dernière partie, nous expliquerons témique, les risques d'échec sont assez grands.
c o m m e n t l'approche systémique peut servir à D e plus, on ne saurait mener à bien toutes ces
l'analyse, à la mise en pratique et au perfec- activités de façon organisée dans u n système de
tionnement de quelques sous-systèmes qui recherche et de contrôle de l'information, qui
La planification des projets d'enseignement à distance 61
ne peut être efficace que si l'on a recours à qui se posent à l'intérieur d u système néces-
l'informatique. sitent des interventions à différents niveaux de
L'autre sous-système important est celui que l'institution.
forment les étudiants. O n pourrait dire qu'il L a quatrième relation concerne les examens et
correspond étroitement à la nature m ê m e d u certificats. Il existe, notamment en Europe, des
processus d'enseignement-apprentissage qui, universités dont les modalités d'examen pré-
lorsqu'il s'agit d'enseignement à distance, prend voient des sessions espacées. Dans les univer-
le caractère d'une relation indirecte. sités latino-américaines, les caractéristiques du
Les programmes de l'enseignement à distance système éducatif sont telles que l'étudiant doit
s'adressent aux étudiants selon des modalités passer des examens à intervalles très rapprochés
tout à fait différentes de celles de l'enseignement et, quand la présence est requise, ces examens
ordinaire. Dans le sous-système constitué par sont répartis sur u n territoire étendu. C e sys-
les étudiants, les situations qui entrent en ligne tème pose des problèmes logistiques très diffi-
de compte sont les suivantes : a) les tuteurs ; ciles à résoudre.
b) l'inscription des étudiants aux cours ; c) les L a cinquième relation a trait à la tenue des
situations administratives et pédagogiques ; dossiers des étudiants. L à encore, il existe des
d) les examens et certificats ; e) la tenue des points c o m m u n s avec les universités tradition-
dossiers des étudiants. nelles, bien que, dans le cas de l'enseignement à
E n ce qui concerne les tuteurs, il convient de distance, les étudiants soient très dispersés
souligner que, dans l'enseignement à distance, géographiquement ; de m ê m e , b o n nombre
ils doivent favoriser le processus d'apprentis- d'entre eux étudient à mi-temps ou à temps
sage et, à cet égard, ils remplissent deux fonc- partiel et progressent à leur propre rythme.
tions. D ' u n e part, le tuteur comble les lacunes Dans ces conditions, l'attribution des certificats
des matériels d'auto-apprentissage; d'autre part, exige des systèmes de contrôle et d'information
il est l'intermédiaire humain entre l'institution assez complexes.
et l'étudiant. A ce titre, il peut fournir une
aide tant pédagogique que personnelle, selon les Après avoir analysé deux sous-systèmes impor-
besoins. Cependant, il ne remplace en aucun cas tants, il nous reste à souligner que la planifi-
le professeur d'université, et ses relations avec cation de l'enseignement à distance est un pro-
l'étudiant ne sont jamais comparables à celles cessus très complexe, qui doit tenir compte des
qui s'établissent dans une classe ou une salle de caractéristiques d'une forme d'enseignement
cours. qui n'est pas encore entièrement stabilisée,
Pour ce qui est de l'admission aux cours, les m ê m e dans les pays où des progrès importants
centres universitaires d'enseignement à dis- ont été faits et où des recherches approfondies
tance, en raison des principes qui les animent, ont été menées sur la mise en œuvre des pro-
utilisent généralement des mécanismes très grammes. Pour contrôler ce système et en
souples, m ê m e dans les sociétés où le système suivre l'évolution, il faut avoir recours à des
est assez élitiste. Cependant, l'étudiant doit méthodes, c o m m e l'analyse systémique, qui
s'inscrire à l'université et a besoin d'être orienté prennent en considération toute la complexité
sur la façon de suivre telle ou telle filière. du processus et l'interaction de ses éléments.
Les relations qui entrent dans la catégorie O n pourrait dire, d'une façon générale, que
« situations administratives et pédagogiques » l'enseignement à distance, malgré sa grande
englobent les difficultés que les étudiants complexité, est appelé à progresser et à se
peuvent rencontrer à l'intérieur d u système et perfectionner constamment. C'est une forme
les consultations de caractère soit académique, d'enseignement, bien distincte des autres, dont
c o m m e celles qui concernent les conditions toutes les possibilités n'ont pas encore été
requises ou les matières obligatoires, soit admi- explorées. Cependant, la valeur de ce système
nistratif, dans la mesure où certains problèmes est reconnue par de nombreux éducateurs. Les
62 Armando Villarroel
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Problèmes pédagogiques
de renseignement
à distance
Onkar Singh Dewal
indien (1986) qui résume le mieux la tendance : de suivre ou non le processus ; il est déjà dans
« L'avenir est à l'éducation ouverte à distance. » le m o n d e d u travail ou prêt à y entrer à tout
Il serait naïf de supposer que la seule multi- m o m e n t . E n outre, il est plus autonome (Moore,
plication des institutions suffit à prouver le 1977) et a des motivations intrinsèques : a m é -
potentiel, la créativité et la vitalité et l'ensei- lioration de son éducation parfois, amélio-
gnement à distance. C e n'est pas là-dessus que ration des possibilités d'emploi le plus souvent.
sa crédibilité repose, mais plutôt sur l'efficacité Ces facteurs posent d'importants problèmes
et la rentabilité d u système. L a première se d'ordre pédagogique, qui ont trait aux modalités
mesure à l'aune des objectifs définis et la seconde de transmission d u contenu, à sa structuration,
à l'économie de coût et de temps. U n examen aux types de support utilisés, aux solutions
minutieux de la pédagogie de l'enseignement à apportées à la question des besoins individuels
distance nous révèle ses atouts et ses faiblesses, et des motivations personnelles, enfin au rôle de
il nous invite à faire en sorte que le système l'évaluation. C e sont ces problèmes que nous
« fasse davantage et mieux », c o m m e disait examinons ci-après.
C o o m b s . C'est d'abord en prenant conscience
des problèmes pédagogiques que l'on peut
espérer accroître l'efficacité et la rentabilité L a transmission d u savoir
d u système.
Et comment ne pas commencer l'analyse des L'éducation est une opération délibérée qui
questions pédagogiques par une interrogation vise, dans u n environnement donné, à aider
assez brutale : y a-t-il une différence entre la l'apprenant à réagir devant le savoir à acquérir
pédagogie/andragogie de l'enseignement direct, et à se l'approprier en vue de l'utiliser ultérieu-
face à face, et celle de l'enseignement à dis- rement. Dans l'enseignement direct, l'essentiel
tance? L a réponse est catégoriquement affir- de l'opération repose en grande partie sur
mative. l'enseignant. Celui-ci peut se servir des médias
Quatre éléments : l'apprenant, l'enseignant, le à l'appui de son discours ou inciter l'apprenant à
contenu et le contexte, forment toujours la utiliser une bibliothèque ou d'autres ressources
chaîne et la trame d u tissu éducatif, que l'acte à titre complémentaire. Il n'en demeure pas
pédagogique opère en direct ou à distance. C e moins la figure centrale, le pivot d u système.
qui distingue ces deux modes, c'est que des E n revanche, dans l'enseignement à distance, ce
fonctions de ces éléments essentiels y sont diffé- n'est pas l'enseignant en tant que tel, mais le
rentes et que leur interaction suit des schémas matériel didactique qui est le principal m o d e de
différents. Dans l'enseignement direct, l'ensei- transmission d u savoir.
gnant est le pivot d u système et occupe la Si le matériel didactique est au cœur d u sys-
position centrale. Il est le protagoniste d u pro- tème d'enseignement à distance, d'autres élé-
cessus de transmission d u savoir. Dans l'ensei- ments, c o m m e les programmes de rencontres et
gnement à distance, le matériel didactique les centres de documentation et d'étude, servent
— avec ou sans rencontres personnelles — également à renforcer et à consolider l'ap-
prend le pas sur l'enseignant, qui ne joue prentissage.
qu'un rôle indirect o u intermédiaire.
Dans l'enseignement direct, en particulier
dans le système formel, l'apprenant entre à u n LE MATÉRIEL DIDACTIQUE
point donné d'un processus dont il parcourt les
étapes successives. Tout son temps est consacré Far matériel didactique, on entend à la fois le
à l'étude et il peut entrer dans le m o n d e d u matériel imprimé, le matériel audiovisuel, les
travail à u n point terminal donné. Dans l'ensei- émissions de radio et de télévision, les logiciels
gnement à distance, l'apprenant a souvent la et le matériel d'expérimentation. L e matériel
liberté de choisir des points d'entrée multiples, didactique forme l'essentiel d u système d'ensei-
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance 65
gnement à distance. L a plupart des institutions d'études, qui donnent une vue globale des
dispensant ce m o d e d'enseignement ne four- cours en les situant dans leur cadre, ainsi que
nissent que des textes imprimés. Certaines y des renseignements sur les examens, les pro-
ajoutent des cassettes sonores, ou encore des grammes de rencontres, les travaux personnels
vidéocassettes, des diapositives et des néces- requis des élèves, etc. Les livrets établis par
saires d'expérimentation. D'autres ( c o m m e l'École ouverte (Inde) et la Deakin University
l'Open University d u Royaume-Uni) pro- (Australie) fournissent des indications sur la
duisent des ensembles didactiques intégrés manière d'apprendre, de prendre des notes,
comportant livres et autres matériels imprimés, de faire des résumés et de rédiger les exercices.
émissions de télévision, de radio et nécessaires C e genre de guide met l'élève dans une certaine
d'expérimentation. disposition intellectuelle et, en lui exposant
L e matériel didactique imprimé comprend clairement ce qui est attendu de lui, le rend
des textes ou des livres inscrits au programme plus apte à tirer tout le bénéfice qu'il peut d u
et/ou des leçons ou modules pour l'auto- nouveau système.
apprentissage. Les institutions qui ont adopté U n matériel audiovisuel et des nécessaires
une politique d'admission libre produisent d'expérimentation sont aussi utilisés c o m m e
aussi des cours passerelles et des cours de base matériels pédagogiques autonomes ou c o m m e
ou de mise à niveau. Ces matériels ont pour auxiliaires d u matériel imprimé ; ils jouent u n
objet d'enseigner des concepts de base qui per- rôle d'enrichissement ou d'appoint. L'utilisa-
mettent aux élèves de comprendre parfaitement tion de matériel non imprimé et d'autres tech-
le cours ou le matériel didactique principal. nologies de la communication n'est pas simple-
Il y a une différence entre les enseignements ment une marotte ; les contenus de ces divers
passerelles et les enseignements de mise à moyens, utilisés de manière appropriée, se
niveau. Les seconds portent principalement renforcent mutuellement et, ensemble, aident
sur les concepts de base, alors que les premiers l'apprenant à atteindre ses objectifs. Il n'y a pas
dispensent à l'élève les capacités essentielles (et beaucoup d'institutions qui peuvent se per-
pas nécessairement les seuls concepts de base) mettre d'adopter cette approche, car la pro-
qui l'aideront à faire la soudure entre le cours duction de matériels didactiques multimédias
suivi et le cours visé. Outre ces deux types de est une entreprise complexe. Beaucoup se
cours, certaines institutions confectionnent des contentent, et cela n'est pas surprenant, d'une
tests de comportement qui sont donnés à simple combinaison de textes imprimés et de
l'entrée pour mesurer les connaissances de cassettes sonores, par exemple. Très peu d'ins-
l'élève et déterminer le type particulier de sou- titutions utilisent d'autres médias (émissions de
tien à lui apporter. Pour que les enseignements radio et de télévision, vidéocassettes ou ordina-
passerelles ou de base soient utiles, il est capital teurs). Les avantages et les faiblesses de ces
que les institutions déterminent au préalable les divers moyens seront étudiés u n peu plus loin.
connaissances et les capacités des élèves. Four Pour Holmberg (1981), par exemple, insister
ce faire, on administre aux candidats des tests sur la participation des étudiants aux sessions
de comportement en vue d'évaluer leurs capa- organisées en tel ou tel lieu et à telle ou telle
cités au départ. Il faut ensuite leur en c o m m u - date n'est pas conforme à l'esprit libéral et
niquer les résultats afin qu'ils sachent s'ils ouvert de l'enseignement à distance, qui offre à
doivent commencer par suivre u n cours de base. l'élève la liberté fondamentale d'apprendre selon
C'est une opération très importante, mais qui son calendrier personnel et à son propre rythme.
prend beaucoup de temps et pose le difficile O n fait valoir de plus que, si tout le soin voulu a
problème de l'administration des tests à dis- été apporté à la conception des matériels
tance. Outre les cours principaux et les cours didactiques, presque tout le contenu peut être
de base, les établissements produisent égale- enseigné sans qu'il soit nécessaire d'organiser
ment des livrets d'accompagnement ou guides des rencontres.
66 Onkar Singh Dewal
U n autre courant de pensée accorde beaucoup doivent être consacrés à la résolution de pro-
d'importance à ces sessions. Il affirme que de blèmes individuels ou à d u travail dirigé. L e
nombreuses tâches et techniques pédagogiques reste serait alors consacré à l'acquisition des
ne peuvent avoir pour seuls supports des maté- concepts de base. E n effet, la moindre lacune
riels didactiques. Sewart (1981) soutient que, dans la compréhension des concepts de base
quel qu'en soit le degré d'excellence, le matériel chez les élèves aggrave par la suite les insuffi-
ne peut accomplir la totalité des tâches d'ensei- sances de leur performance.
gnement. L e département des études extérieures Il est préférable d'échelonner les rencontres
de l'Université de N e w England est un exemple sur plusieurs périodes de l'année. L a première
d'institution qui attache de l'importance aux session, par exemple, pourrait être de brève
rencontres (residential school) et rend la parti- durée et consacrée à familiariser les élèves
cipation des élèves obligatoire. avec cette nouvelle forme d'apprentissage qu'est
Il serait insensé de croire que le matériel l'enseignement à distance. Il faut leur faire
didactique à lui seul permet d'atteindre tous les prendre conscience de leur rôle, de leurs nou-
objectifs éducatifs — cognitifs, affectifs et velles responsabilités et de ce que l'institution
psychomoteurs. Lorsqu'il s'agit de travaux attend d'eux. L a deuxième session pourrait être
pratiques ou d u développement des capacités organisée lorsque plus de cinquante pour cent
sociales, le matériel doit être complété par des des envois de cours sont parvenus aux élèves.
rencontres qui mettent les élèves en contact Elle devrait être de plus longue durée (et par-
direct avec les moniteurs. fois se passer en internat). Les travaux dirigés
et l'enseignement des concepts de base devraient
en être les deux axes principaux. U n e troisième
LES RENCONTRES session pourrait être organisée juste avant l'éva-
luationfinaleet servir à aider les élèves à réviser
L e deuxième m o d e principal de transmission les connaissances acquises et à leur montrer
du savoir est l'organisation de rencontres. c o m m e n t s'articulent les divers concepts qu'ils
Il existe deux courants de pensée concernant ont appris.
l'importance et l'utilité de ces rencontres.
Certains spécialistes de l'enseignement à dis-
tance jugent qu'elles portent atteinte à la liberté LES CENTRES DE DOCUMENTATION
des élèves. ET D'ÉTUDE
Les deux thèses sont également convain-
cantes, mais il ne serait pas avisé de se rallier à Les centres d'étude constituent le troisième
une position plutôt qu'à une autre. L'approche m o d e de transmission d u savoir. Selon les res-
la plus efficace se trouve dans le « juste dosage » sources financières dont elles disposent, les
d'interaction et d'autonomie (Daniel et M a r - institutions d'enseignement à distance créent
quis, 1979). Pour m a part, je considère que les des centres de documentation ou des centres de
rencontres doivent être organisées dans une documentation et d'étude. Les premiers offrent
triple perspective : enseigner des concepts qui seulement des matériels d'apprentissage, alors
n'ont pas été traités de manière adéquate dans que les seconds organisent aussi des travaux
le matériel didactique ; inculquer des savoir- dirigés particuliers ou en groupe et offrent des
faire ; développer la sociabilité. U n e institution services d'orientation. Je préconiserais plutôt la
qui organise des sessions uniquement dans le création, par les institutions d'enseignement à
dessein d'enseigner ce qui a déjà été enseigné à distance, de centres de documentation et
l'aide d u matériel didactique ne fait aucun cas d'étude qui pourraient servir à la fois de
du temps et de l'argent des apprenants. centres d'information, de documentation, de
E n ce qui concerne l'emploi d u temps des direction d'études et d'orientation.
sessions, il m e semble que soixante pour cent Dans certains pays en développement, les
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance 67
centres de documentation et d'étude sont ou E n présentant les structures, Piaget (1968) met
inexistants, ou totalement inopérants. U s ne se l'accent sur la relation d'ordre et Bruner (1964)
préoccupent guère de direction d'études ni sur le m o d e (actif, iconique, symbolique), l'éco-
d'orientation. M ê m e des fonctions essentielles nomie (volume optimal d'information présenté
c o m m e l'information ou la documentation et retenu dans l'esprit pour la compréhension)
laissent à désirer. et le pouvoir (possibilité de créer des structures
Coltman (1983) soutient avec force que la vie nouvelles ou des relations nouvelles).
d'un individu qui apprend à distance peut être Les structures sont des agglomérations de
entrecoupée de périodes de crise. D e s conseils faits, de concepts et d'idées que le rédacteur
fournis au m o m e n t opportun peuvent lui être veut présenter à l'élève à u n m o m e n t donné en
d'une aide immense. Il a besoin d'être orienté vue d'obtenir une assimilation efficace. U n des
avant l'inscription, une fois qu'il a reçu les points importants à ne pas perdre de vue est
cours et juste avant les examens. Les centres qu'il faut présenter les concepts dans une rela-
d'étude devraient se doter de conseillers c o m p é - tion à la fois latérale et verticale en vue de
tents pour guider les élèves et réduire au créer des réseaux de concepts surordonnés et
m i n i m u m les taux d'abandon. subordonnés.
Les centres d'étude présentent deux avan- L a meilleure manière de structurer le contenu,
tages moins tangibles : ils créent chez les élèves c'est de décomposer la tâche d'enseignement en
un sentiment d'appartenance à u n milieu, qui faits, concepts et idées puis de dresser une sorte
atténue leur solitude ; ils favorisent l'émulation de carte d u contenu, dans laquelle les concepts
et développent effectivement les capacités surordonnés engloberaient les concepts subor-
d'expression. donnés. Cet ensemble hiérarchique de connais-
sances doit présenter en premier lieu les
concepts de base, qui ont pour caractéristique
Structuration et présentation de simplifier l'information existante et de pro-
du contenu duire une information nouvelle (Bruner, 1969).
de l'enseignement Ensuite seulement on introduira les détails. L e
matériel élaboré selon les principes de la diffé-
A regarder, m ê m e rapidement, le matériel di- renciation progressive, d u renforcement et de
dactique, notamment le matériel imprimé, on l'harmonisation intégrante (Ausubel, 1968) fa-
constate que les institutions consacrent plus ou vorise l'assimilation et la mémorisation rapide.
moins de temps, d'énergie et de compétences à D'après m o n expérience personnelle, la pré-
structurer et à organiser le contenu de l'ensei- sence dans l'équipe pédagogique de concep-
gnement. Certaines, c o m m e l'Open University teurs spécialisés en ingénierie pédagogique et
du R o y a u m e - U n i , produisent d'excellents m a - de technologues de l'éducation se traduit tou-
tériels didactiques conçus par des équipes péda- jours par u n effort plus grand de structuration.
gogiques ; d'autres rédigent des notes pour la Ces spécialistes s'attachent non seulement à
classe ou des manuels traditionnels. Certaines présenter le contenu de l'enseignement de m a -
institutions font appel aux compétences de ré- nière plus claire, mais aussi à lui donner u n
dacteurs, de technologues de l'éducation ou de caractère plus interactif et plus assimilable.
concepteurs de systèmes pédagogiques. Cer- Si les structures concernent le contenu lui-
taines se contentent des services d'une seule m ê m e , la progression ou séquentiation a trait
personne pour la rédaction des textes. à l'organisation et à l'agencement de ce contenu.
L a structuration d u contenu de l'enseigne- Il est aisé de dire que les choses simples,
ment à distance est une tâche professionnelle concrètes et connues doivent être enseignées
difficile. L'opération doit être menée de m a - en premier lieu et les choses complexes, ab-
nière à communiquer l'idée de totalité, d'éta- straites et inconnues ensuite, mais cela n'est
blissement de relations et de correspondance. pas d'une grande utilité. A chaque type de
68 Orikar Singh Dewal
tâche son type de progression (Gagne, 1977). schématisées de concepts à partir des exposés
Les faits ont besoin d'être sans cesse répétés verbaux donnés.
et révisés, les concepts s'enseignent à l'aide O n a observé que les élèves qui possèdent
d'exemples o u d'analogies, les contrastes et les bien les faits sont généralement prisonniers des
règles par induction. programmes, alors que ceux qui ont assimilé
L'élaboration d u matériel didactique doit les concepts ne se laissent pas enfermer dans
être précédée d'un débat approfondi entre spé- ses limites. E n outre, les premiers ont une ap-
cialistes de la manière enseignée (contenu), proche superficielle et les autres une approche
technologues de l'éducation et rédacteurs sur plus profonde (Parlett, 1970). Si les institutions
le dosage de chaque leçon, les aspects d u contenu veulent promouvoir une compréhension en pro-
à introduire au début, l'ordre de présentation et fondeur, il est capital qu'elles optent délibéré-
la progression des concepts. ment pour une stratégie de présentation qui
D e nombreux matériels d'enseignement à aide les élèves à juger des problèmes par eux-
distance commencent par des objectifs et des m ê m e s , d'un point de vue critique et analytique.
préorganisateurs et se terminent par u n résumé Ces élèves adoptent ce qu'Ashby (1973) appelle
ou u n postorganisateur. L e reste est composé une approche « divergente », créatrice ; ce sont
de questions insérées dans le texte. U n bon des « aventuriers raisonnables » (Heath, 1964),
matériel didactique doit débuter par l'énoncé qui allient la croyance au scepticisme, à la fois
des objectifs, suivi de préorganisateurs. Ces créateurs et critiques. D e s recherches ont été
derniers doivent remplir deux fonctions : relier menées pour déterminer les caractéristiques de
la leçon présentée à la précédente et introduire l'apprentissage profond et de l'apprentissage
brièvement les concepts de base contenus dans superficiel (Martin et Saljo, 1976 ; Pask et
la leçon. Scott, 1972 ; Svenson, 1977), mais elles n'ont
pas tenté de présenter les matériels de telle
Les questions doivent être dispersées tout au
façon qu'ils développent les capacités d'ap-
long du texte. Elles doivent offrir à l'élève la
prentissage en profondeur.
possibilité de s'autoévaluer et de développer ses
capacités d'organisation, l'objectif étant d'aider L e langage et la présentation sont également
à consolider les connaissances acquises. U n e m a - importants. Il est évident que dans le matériel
nière novatrice d'utiliser ces questions consiste didactique il faut utiliser u n langage simple, di-
à leur attribuer des fonctions de diagnostic. rect et rationnel. Dans la mesure d u possible, le
Elles peuvent être bâties de manière à vérifier rédacteur doit adopter u n vocabulaire courant
la compréhension de concepts qui pourraient et des expressions simples. Il est préférable
être importants. Si les élèves ne maîtrisent pas d'éviter la voix passive, les doubles négations et
les concepts de base, on peut ajouter des sec- les tournures compliquées (Dewal, 1981).
tions de rattrapage à des points de branchement L e style et la présentation doivent bien évi-
précis. U n e telle structure peut être utilisée d e m m e n t être chaleureux, personnels et fami-
pour u n groupe ayant des comportements d'en- liers. D e l'humour, de l'esprit, des dessins h u -
trée variables. moristiques émaillant le matériel didactique
Certains concepteurs s'efforcent de faire en donnent à celui-ci une coloration nouvelle. Les
sorte que le matériel d'étude ne soit pas seu- graphiques et autres illustrations ont leur i m -
lement truffé de faits, mais qu'il soit également portance aussi. Ils rompent la monotonie de la
riche en concepts. Pour ce faire, il faut créer page imprimée, apportent de la variété, c o m -
des réseaux de concepts apparentés et établir plètent par une image concrète l'exposé verbal
des relations entre eux. L'une des manières abstrait et simplifient une information c o m -
d'assurer la maîtrise des concepts consiste à plexe. Certes, les graphiques ont une valeur
introduire des cartes de concepts dans le maté- pédagogique, mais leur insertion dans le maté-
riel didactique. O n peut également demander riel didactique est coûteuse et prend d u temps ;
aux élèves d'élaborer eux-mêmes des grilles lorsque les techniques d'impression sont pri-
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance 69
mitives et les ressources rares, elle exige des tendances (Bates, 1984) dans le m o n d e de la
ressources supplémentaires et pose toute une technologie de la communication : existence de
série de problèmes logistiques. C'est pour cette toute une panoplie de médias, diversité accrue
raison que, dans beaucoup de pays en dévelop- des moyens d'accès aux nouveaux médias, baisse
p e m e n t le matériel d'enseignement à distance des coûts et apparition de nouveaux médias que
ne contient pas ou guère de graphiques. les élèves maîtrisent davantage.
Sans entrer dans le détail, précisons qu'il faut S'il est vrai qu'il y a u n foisonnement de
se poser quelques questions préalables : matériels sur le marché, dans la pratique l'utili-
Les graphiques sont-ils u n élément capital ? sation effective des technologies est faible et
Vont-ils appuyer et renforcer l'information marginale. Seules quelques institutions font u n
verbale ? Peuvent-ils présenter le message usage important et appréciable des nouveaux
verbal avec plus d'économie et de force ? médias. Certaines universités australiennes uti-
L'illustration a-t-elle le format approprié et lisent des cassettes sonores c o m m e complément
a-t-elle été disposée correctement sur la de l'imprimé et, à l'Open University d u
page? R o y a u m e - U n i , les supports didactiques c o m -
Joue-t-elle u n rôle actif ou passif ? (Une illus- prennent la radio, les cassettes sonores, les
tration est active si elle aide l'apprenant à émissions de télévision et les vidéocassettes.
traiter l'information qu'elle contient.) L ' O p e n University Allama Iqbal d'Islamabad
L a mise en pages générale d'un texte pédago- diffuse ses programmes d'éducation des adultes
gique peut contribuer à le rendre attrayant, et à la télévision. Certaines institutions d'Europe,
ainsi à améliorer sa lisibilité et à soutenir l'in- du Canada et des États-Unis d'Amérique utili-
térêt de l'apprenant. U n e maquette de couver- sent des vidéocassettes parallèlement à l'im-
ture attrayante retient l'attention. D e m ê m e , primé.
une bonne mise en pages aide à mieux traiter Plusieurs raisons expliquent que les techno-
l'information. Imaginez des pages et des pages logies de la communication soient peu utilisées,
de textes imprimées avec des caractères de et de manière marginale. Premièrement, les
corps et de type uniformes, mal aérées, avec de technologies elles-mêmes sont disponibles, mais
petites marges. Imaginez, au contraire, des les programmes manquent. Ceux qui distri-
pages imprimées en plusieurs couleurs, avec des buent les ressources allouent peut-être des
caractères de corps et de type différents, où crédits pour l'achat de l'équipement, mais pas
certains mots sont soulignés et où les concepts pour recruter le personnel nécessaire pour pro-
importants sont présentés à l'aide d'encadrés, duire les programmes. Deuxièmement, m ê m e
avec des marges suffisantes, des schémas, illus- lorsque le personnel existe, les programmes pro-
trations et dessins humoristiques. Il est évident duits ne sont pas toujours de très grande qualité.
que ces dernières favoriseront davantage l'ap- Faute de participer pleinement à la stratégie
prentissage. éducative, les producteurs de médias accordent
souvent le primat aux techniques et aux formats
de production, alors que les spécialistes des
L'utilisation des médias contenus préfèrent mettre l'accent sur la m a -
tière à enseigner. Il y a souvent malentendu en-
Les cinquante dernières années ont connu une tre eux, si bien que les programmes sont c o m m e
formidable explosion des technologies de la une pilule dont l'enrobage l'emporterait sur la
communication. L'enseignement à distance ne substance active. Troisièmement, l'entretien d u
pouvait rester à l'écart de cet impératif techno- matériel laisse beaucoup à désirer et les délais
logique. Il s'y est donc développé u n intérêt de réparation des magnétophones et magnéto-
croissant et une certaine fascination pour l'uti- scopes tombés en panne sont anormalement
lisation des moyens de communication moder- longs. D'après notre expérience, il en était ainsi
nes. O n peut discerner actuellement quatre en 1975-1976, en Inde, à l'exception du Satellite
yo Orikar Singh Denial
les questions posées soient précises, claires et demandée exige-t-elle une étude livresque ou u n
rapportées à u n critère ; d'autre part, que le travail sur le terrain et des expériences ? L a fré-
nombre des questions figurant dans chaque de- quence des devoirs varie selon les institutions.
voir et la fréquence des devoirs soient appro- D ' u n e manière générale, en Inde, les institu-
priés ; troisièmement, que les appréciations des tions d'enseignement à distance envoient des
tuteurs soient précises et concrètes ; enfin, que devoirs à leurs étudiants cinq ou six fois par
le délai de renvoi à l'étudiant des devoirs corri- an. Il est préférable de décider de la fréquence
gés soit court. des envois dès le début d u cours et d'en c o m m u -
niquer les dates aux étudiants.
Les questions posées et les activités demandées Lorsque les étudiants ont fait les travaux qui
doivent être conçues avec soin; elles doivent leur ont été assignés, ils les renvoient pour éva-
être spécifiques, précises et faire appel à des luation. Les institutions ont, en la matière, des
capacités cognitives de haut niveau, telles que pratiques différentes : certaines recrutent des
l'application, la synthèse et l'organisation. Les correcteurs à plein temps ou à temps partiel,
questions qui ont simplement pour objet de d'autres font corriger les devoirs à l'extérieur,
contrôler la rétention ne sont pas efficaces. Rien sous contrat. Certes, aucune pratique ne peut
n'est plus inutile que des tâches mécaniques, être considérée c o m m e complètement bonne ou
mal conçues ou sans intérêt ; les choses s'aggra- mauvaise, mais la dernière présente certains in-
vent si de telles tâches sont obligatoires et convénients. L'évaluation externe est parfois
comptent dans le calculfinaldes unités de valeur assez superficielle, les appréciations n'ayant
acquises. L'expérience montre que peu d'ensei- qu'un caractère global qui n'aident pas l'appre-
gnants savent élaborer des tests critériels clairs nant. Il est impératif de faire prendre cons-
et de bonne qualité. Il faut en pareil cas orga- cience aux évaluateurs d u fait que les remarques
niser des stages de formation. Ainsi, lorsque qu'ils formulent sur le travail des étudiants
j'étais directeur de l'Open School en Inde, je ne doivent être pertinentes. Ils doivent notifier
manquais jamais d'organiser tous les ans une avec précision à ces derniers quelles erreurs ils
session de formation des évaluateurs. Autre ont commises et c o m m e n t ils peuvent les cor-
exemple : l'Université Sains de Malaisie a riger. U n e évaluation superficielle est totalement
conclu u n arrangement avec l'unité d'enseigne- inadéquate dans l'enseignement à distance.
ment à distance de Deakin University pour for- M ê m e si cela leur demande d u temps et de la
m e r son personnel aux techniques d'élaboration réflexion, les tuteurs doivent fournir sur le tra-
et d'évaluation des cours. Grâce à ces efforts, vail rendu des appréciations détaillées, concrè-
les tâches assignées aux étudiants sont de meil- tes et constructives. D e s appréciations globales
leure qualité. du type « bien » ou « mal » ne présentent aucun
intérêt pour l'étudiant.
CHARGE ET FRÉQUENCE
DES CONTRÔLES DÉLAIS DE RENVOI
L e nombre des questions à poser dans u n devoir O n constate que ces délais sont souvent très
dépend de facteurs tels que le nombre des de- longs. Beaucoup d'institutions mettent trois ou
voirs que l'étudiant est censé faire, le temps quatre mois pour renvoyer aux étudiants leurs
qu'il est censé y consacrer et la nature des ques- travaux. U n tel délai enlève à la correction toute
tions et activités qu'ils comportent. L a tâche valeur de rétroaction et de motivation. Il a pour
Problèmes pédagogiques de l'enseignement à distance 73
effet de démobiliser les étudiants et d'ébranler que l'enseignement traditionnel, nous devons
leur confiance dans le système. L e délai maxi- garder à l'esprit ces vers d'Auden (1966) :
mal de renvoi devrait, idéalement, être de vingt « N e pas perdre le sens d u danger.
à trente jours. Le chemin est court et toujours escarpé,
M ê m e si la pente paraît douce au regard.
Regarde si tu veux, mais il faudra sauter. » •
EXHAUSTIVITÉ
L e matériel d'enseignement est u n élément très ment dont il est fait usage dans le Tiers M o n d e ,
important de tout système éducatif. S'agissant aussi bien pour l'enseignement direct que pour
de l'enseignement à distance, son rôle devient l'enseignement à distance, suffit pour mettre en
primordial. L'expression « matériel d'enseigne- lumière deux problèmes graves et non résolus :
ment » s'applique, dans cet article, aux manuels, celui de leur qualité et celui de leur pertinence.
monographies, documents visuels, conférences, Dans les pays industrialisés, l'enseignement à
enregistrements visuels et sonores sur bande distance s'est développé à partir de bases intel-
magnétique, textes d'examen, exercices et « cof- lectuelles bien établies, ce qui n'est pas le cas
frets-laboratoires ». Dans la mesure où il repré- pour le Tiers M o n d e .
sente encore la part la plus importante du maté- L a qualité est une de ces caractéristiques qui
riel d'enseignement à distance, c'est surtout d u sont difficiles à définir, mais qui relèvent de
document imprimé qu'il sera question ici, mais l'évidence. Si l'on prend u n groupe de profes-
ce qui suit vaut aussi pour les autres supports. sionnels de haut niveau, ceux-ci n'auront pas de
U n examen rapide des matériels d'enseigne- mal à classer les matériels relevant de leurs dis-
ciplines respectives selon la valeur de leur
A n t h o n y B . Zahlan (natif de Palestine, citoyenneté contenu : la qualité sera jugée b o n n e — d e niveau
libanaise). A été professeur de physique à l'Uni- universitaire —, acceptable o u inacceptable.
versité américaine de Beyrouth de 1956 à 1976. D a n s ce qui suit, la qualité dont il est question
Conseiller de la Ligue des États arabes, de l'Organi- est celle d u contenu intellectuel des matériels
sation des Nations Unies et d'autres organisations d'enseignement, et non celle de la présentation.
régionales et nationales. Auteur de nombreux ouvrages
Cette dernière se définit par le type d u papier,
sur les politiques scientifiques et technologiques, l'édu-
le corps des caractères, la mise en pages, etc.
cation, la planification de la main-d'œuvre et la créa-
tion d'institutions. Parmi ses ouvrages récemment pu- Il va de soi que la qualité de la présentation ne
bliés : Science a n d science policy in the A r a b world doit pas être inférieure à u n certain niveau,
et T h e Arab construction industry. II est actuellement faute de quoi la qualité intellectuelle risque
directeur de la Société Zahlan Consultants. d'en pâtir.
L a pertinence est une autre caractéristique programme de 1890 malgré les changements
importante d u savoir. Il n'est peut-être pas très radicaux qui se sont produits dans cette dis-
utile d'apprendre, par exemple, à installer des cipline.
réacteurs nucléaires au Soudan ni des gratte- Dans la pratique, la qualité d'un programme
ciel à Fidji. Il est certain que, si les cours qu'ils et la pertinence de son contenu dépendent
ont suivis sont d'un bon niveau, l'ingénieur des associations professionnelles de chaque
nucléaire soudanais ou l'architectefidjienspé- discipline et des traditions scientifiques des
cialiste des gratte-ciel pourront être très compé- universités. L e contenu d'un programme de
tents et rendre de grands services dans un envi- licence, que ce soit en biologie, en génie civil,
ronnement différent d u leur; mais on peut en agronomie, en histoire ou en logique, est
estimer qu'il serait pour le moins étrange de déterminé par l'ensemble des connaissances
consacrer des ressources humaines précieuses que les chercheurs de chacun de ces domaines
et rares à dispenser des enseignements sans uti- estiment constituer le corpus de la discipline
lité particulière pour l'économie d'un pays, et pouvoir être appris par u n étudiant intel-
tandis que les étudiants de ce m ê m e pays n'au- ligent. Certaines universités ont des critères
raient pas accès aux connaissances — perti- d'admission très stricts et dispensent u n ensei-
nentes — qui leur seraient nécessaires. gnement « de plus haute qualité » que d'autres.
Il est donc très important d'avoir à l'esprit D a n s les pays industrialisés, on a atteint u n
que tel programme de formation d'enseignants, certain équilibre : les associations profes-
quelle qu'en soit la qualité, peut être dépourvu sionnelles sont très développées et les profes-
de pertinence, par exemple, pour u n étudiant seurs d'université sont bien plus attentifs aux
égyptien ; à l'inverse, d'autres cours, m ê m e de indications de leurs pairs exerçant dans la
médiocre qualité, pourront être très pertinents, profession qu'à celles de leurs administrations
c'est-à-dire utiles par leur objet dans u n pays universitaires. Ainsi, dans tout pays indus-
c o m m e l'Egypte. trialisé, la qualité et la pertinence des pro-
U n enseignement qui était pertinent, mais grammes (et d u matériel) de l'enseignement
de qualité inférieure, ou bien de bonne qualité, supérieur se situent dans des limites qui sont
mais dépourvu de pertinence, ou encore qui fixées principalement par référence aux normes
n'avait ni qualité ni pertinence, a eu des effets de la profession.
si néfastes qu'aucun dirigeant conscient de ses Dans ces pays, les m e m b r e s des associations
responsabilités ne peut accepter le recours à ce professionnelles exercent u n emploi dans l'éco-
type de pratique éducative. D e tels programmes nomie nationale et sont attentifs aux besoins
sont c o m m e des parasites dans u n système du m o n d e d u travail. C'est ainsi que les physi-
éducatif. ciens spécialistes de l'état solide qui travaillent
dans l'industrie des semi-conducteurs exercent
une influence sur l'enseignement dispensé aux
Mécanismes permettant d'assurer physiciens et aux ingénieurs en génie électrique.
qualité et pertinence D e m ê m e , les praticiens spécialisés dans la
chirurgie à cœur ouvert ou la transplantation
L a qualité et la pertinence d'un programme d'organes exercent une influence sur l'ensei-
éducatif, et donc d'un matériel d'enseignement, gnement de la médecine. Cette influence se
résultent de processus dynamiques d'une grande transmet par l'intermédiaire d'un système
complexité. Il n'y a pas de critèresfixeset im- complexe empruntant divers canaux. Les asso-
muables. Il est certain qu'un programme de ciations scientifiques et les sociétés savantes
physique valable pour l'année 1890 sera très légitiment le savoir et en assurent la diffusion.
différent d'un programme équivalent appliqué Les m e m b r e s de ces sociétés qui appar-
en 1980. Et pourtant, en 1987, u n physicien tiennent au corps universitaire sont les princi-
pourra très bien reconnaître la qualité d u paux auteurs d u matériel d'enseignement et
Le problème de la qualité et de la pertinence du matériel pédagogique 77
dans l'enseignement à distance
sont à l'origine des modifications qu'il y a lieu berta) se propose de répondre à certains besoins
d'apporter aux programmes. Les universités éducatifs des Esquimaux. L'Association des
occupent différents « créneaux » : l'une se universités canadiennes pour les études nor-
spécialisera, par exemple, dans la physique de diques et l'Institut national polaire du Canada
l'état solide, l'autre dans la physique des hautes servent de cadre institutionnel pour la mobili-
énergies. L'une et l'autre seront considérées sation et la promotion des initiatives en faveur
c o m m e d'égale valeur (qualité) et chacune à sa du Grand Nord. L'appui politique requis pour
manière sera utile à la communauté (pertinence). mener ces activités de recherche est assuré par
E n ce qui concerne la qualité et la pertinence, le Ministère canadien des affaires indiennes et
les pays de l ' O C D E et d u Conseil d'assistance nordiques. L'Université d'Athabasca a donc
économique mutuelle sont à peu près à égalité. entrepris u n vaste programme de recherches
O n peut dire que, dans le domaine des sciences en c o m m u n qui doit conduire à la réalisation
et des techniques, il est relativement facile de de matériel d'enseignement adapté aux besoins
passer d'une université à l'autre s'il s'agit de des étudiants dont elle a la charge.
celles de Paris, de Moscou ou de Tokyo, d u
Massachusetts Institute of Technology ( M I T )
ou de l'Université de Stuttgart. E n d'autres Qualité et pertinence
termes, tout le m o n d e est à peu près d'accord dans le Tiers M o n d e
sur ce qui est pertinent et d'une qualité accep-
table. Si ce n'était pas le cas, il ne serait pas L a situation est très différente dans le
possible de procéder à des échanges d'étudiants Tiers M o n d e . Les associations professionnelles
de troisième cycle, de chercheurs munis d'un — m ê m e dans de grands pays c o m m e l'Inde
doctorat, ou de professeurs invités. E n outre, ou le Brésil — n'ont pas encore acquis l'in-
toutes les grandes associations professionnelles fluence nécessaire pour assurer l'essor de leur
et les principales publications sont en fait discipline et son adaptation aux besoins na-
internationales. tionaux. L a part réduite de la recherche-
Ainsi, dans le « Premier M o n d e » et le développement dans le Tiers M o n d e (moins
« Deuxième M o n d e » (appelés aussi « capitaliste » de io % des activités mondiales dans ce domaine
et « socialiste »), on est parvenu à u n état et une proportion certainement plus faible
d'équilibre dynamique. Il peut se faire que encore pour la recherche de pointe) aboutit à
certaines universités soient en retard de cinq ce que les rares chercheurs issus d u Tiers
ou m ê m e de dix ans, tandis que d'autres sont M o n d e sont mieux intégrés dans les associa-
en avance par rapport à ce qui est considéré tions professionnelles des pays industrialisés
c o m m e la norme. Associations, professeurs, que dans celles de leur propre pays. C o m m e le
unités d'enseignement, éditeurs et ministères montre bien l'étude de Shiva et Bandyopadhyay
sont constamment en train d'envisager, de (1980) consacrée à la science en Inde, dans ce
proposer, d'examiner, de produire et de publier pays qui, en 1983, comptait environ deux
de nouveaux matériels d'enseignement et millions et demi de chercheurs, qui forment le
d'abandonner ceux qui sont périmés. groupe le plus nombreux d u Tiers M o n d e ,
O n peut observer que, m ê m e dans le « Pre- les chercheurs étaient très isolés par rapport à
mier M o n d e », il existe des groupes sociaux pour leur communauté locale ; ils entretenaient des
lesquels le matériel d'enseignement considéré relations plus étroites avec les chercheurs occi-
c o m m e pertinent et de bonne qualité reste dentaux et communiquaient plus volontiers
inadéquat : tel est le cas des Indiens et des Noirs avec eux. Dans tous les pays d u Tiers M o n d e ,
aux États-Unis d'Amérique, des communautés on trouve une situation comparable, quand elle
asiatiques au Royaume-Uni ou des Esquimaux n'est pas encore plus critique.
en Amérique du Nord. A u Canada, l'Université D'après Shiva et Bandyopadhyay, les sujets
d'enseignement à distance d'Athabasca (Al- de recherche sont choisis surtout en fonction
78 Anthony B . Zahlan
tives à l'activité de ce système. Quant à ceux verselle : les États-Unis d'Amérique, le Canada,
qui sont en dehors, il leur est pratiquement le R o y a u m e - U n i , l'Australie et la Nouvelle-
impossible d'y accéder rapidement et effica- Zélande sont des pays anglophones ; ce sont
cement, malgré l'existence de bases biblio- aussi des pays riches qui comptent beaucoup
graphiques établies par certaines institutions, d'universités et u n grand nombre d'étudiants.
par exemple le Système international d'infor- Étant donné l'importance qu'y revêtent la
mation des sciences agricoles ( A G R I S ) de la production et les écrits scientifiques, il est
F A O . L'une des principales recommandations normal que ces pays aient une industrie de
de l'étude précitée visait à accroître la trans- l'édition solide et prospère.
parence d u système des Nations Unies de Dans les pays d u Tiers M o n d e , on compte
manière à rendre plus accessibles les infor- déjà de nombreux éditeurs ; mais, s'il est vrai
mations qui en émanent. que des investissements considérables ont été
consentis en matière de matériel d'imprimerie,
les efforts tendant à améliorer la qualité des
L e système de diffusion publications sont restés très limités. L e pro-
blème est ici celui de la faible dimension de
Dans les pays industrialisés, les chercheurs marchés dont l'exiguïté fait qu'il est difficile,
n'ont à se préoccuper que d'écrire et de mettre sinon impossible pour u n éditeur (qu'il soit
au point des matériels d'enseignement perti- privé ou public) de couvrir ses frais s'il veut
nents et de qualité. L a réalisation et la c o m m e r - réaliser u n produit de bonne qualité.
cialisation d u produit sont assurées par des
organismes indépendants (le plus souvent, des
entreprises privées dans les pays de l ' O C D E Le défi
et des organismes d'État dans le « Deuxième
M o n d e »). Les éditeurs commerciaux et les O n sait désormais qu'il n'existe pas u n en-
presses universitaires versent aux auteurs une semble définitif et figé de connaissances qui
redevance sur les ventes (en général 10 % pourraient être dispensées d'année en année
environ des s o m m e s perçues) et prennent aux étudiants. Pour répondre pleinement aux
totalement à leur charge l'impression, la publi- besoins de telle ou telle société, u n système
cation et la commercialisation de ce matériel. universitaire doit se placer à la pointe d u
L'avantage d'un « bon » éditeur est qu'il appli- savoir : faire de la recherche, émettre des
que des normes élevées en matière de mise au jugements critiques, opérer des analyses et des
point rédactionnelle et de fabrication, et qu'il synthèses, assurer la transmission d u savoir.
dispose d'un réseau de commercialisation Jusqu'à présent, les pays en développement
étendu. Dans le domaine de l'édition, le seul n'ont pas réussi à créer d'universités de ce type.
m o y e n de maintenir u n haut niveau de qualité Il est évident aussi que leurs universités m a n -
tout en ayant des coûts peu élevés est d'avoir quent de ressources pour donner à leurs ensei-
accès à u n vaste marché. C o m m e les étudiants gnants les moyens d'entreprendre des recher-
du premier cycle sont nombreux, u n bon m a - ches au niveau souhaité ou à l'échelle requise.
nuel pourra disposer d'un vaste marché. Il est E n outre, les associations professionnelles y
évident que des ouvrages s'adressant à des sont de taille réduite, faibles et incapables
étudiants avancés ne peuvent toucher qu'un de jouer le rôle qui devrait être le leur et qui
nombre plus restreint d'acheteurs. U n e m o n o - est d'orienter enseignants et chercheurs vers
graphie exposant u n thème de recherche aura des objectifs pertinents au point de vue social
une diffusion de l'ordre de mille cinq cents et économique.
exemplaires, mais, pour pouvoir les vendre, Il en résulte qu'une bonne partie du matériel
il faut disposer d'un marché mondial. actuellement utilisé dans l'enseignement supé-
L'anglais est une langue à peu près uni- rieur dans les pays d u Tiers M o n d e laisse
8o Anthony B. Zahlern
beaucoup à désirer. O n voit très souvent des tériel d'enseignement pertinent et de bonne
enseignants jeunes et énergiques adopter les qualité, mais il faut encore qu'elles l'adaptent
programmes et le matériel qu'ils ont eux-mêmes aux besoins locaux. L e seul m o y e n de résoudre
connus dans les grandes universités d u « Pre- ces problèmes — et d'autres — est d'expéri-
mier M o n d e » ou d u « Deuxième M o n d e ». menter et de mettre au point des modes de
Ces enseignants estiment ainsi garantir la qua- coopération novateurs.
lité de leurs cours. D'autres rédigent à la hâte Notons que, m ê m e s'il existe des matériels
des notes ou des manuels. Étant donné que le d'enseignement utilisables partout, mais rédi-
corps professoral est souvent chargé de tâches gés dans une seule langue, encore faut-il les
multiples, qu'il n'a à sa disposition ni bonnes traduire dans beaucoup d'autres et, qui plus
bibliothèques, ni équipes de rédacteurs, ni est, les pays d u Tiers M o n d e différant plus
secrétaires compétentes, ni dessinateurs de ou moins les uns des autres, leurs besoins ne
talent, le matériel produit atteint rarement le sont pas partout les m ê m e s . Il faut donc agir
niveau de qualité et de pertinence qui serait de façon pragmatique en fonction des réalités
souhaitable. Malgré les progrès notables cons- locales. Il n'existe pas de solution universelle.
tatés dans plusieurs pays, le Tiers M o n d e est N o m b r e u x sont les enseignants et les pra-
encore loin d'avoir mis en place les mécanismes ticiens qui ont conscience d u problème. C e
et processus qui permettraient d'offrir aux qu'il faut, c'est établir u n mécanisme grâce
étudiants u n matériel d'enseignement pertinent auquel on pourra mobiliser les ressources, les
et de qualité. talents existants et mettre en route le processus
Les pays d u Tiers M o n d e sont confrontés qui favorisera la réalisation de matériels d'en-
à d'énormes problèmes de développement. seignement pertinents, de qualité et permettra
L'étude de ces problèmes exige u n vaste assor- d'en répartir les coûts.
timent de matériels d'enseignement. U n des
plus grands défis auxquels doivent faire face
les universités d u Tiers M o n d e est celui de Évaluation des ressources
l'articulation à établir entre le m o n d e d u savoir
et celui d u travail. U n e telle articulation sup- Pour notre propos, deux sortes de ressources
pose la mise en place de nouveaux mécanismes sont essentielles : d'une part, la production
appelant l'enseignant, le chercheur et le pro- d'un savoir pertinent ; d'autre part, la publi-
fessionnel à s'unir pour résoudre les problèmes cation de matériel d'enseignement sous une
qui se posent à la société. Les conditions que forme adaptée aux systèmes d'enseignement
doit remplir le matériel utilisé dans le Tiers en milieu universitaire ou à distance.
M o n d e par les universités qui pratiquent l'en- Il existe une abondante production de con-
seignement à distance sont encore plus rigou- naissances pertinentes dans le Premier M o n d e ,
reuses que celles qui s'appliquent à l'ensei- le Deuxième M o n d e et le Tiers M o n d e , ainsi
gnement ordinaire. Pour les premières, le que dans le « tiers système ». L a faiblesse des
matériel doit être pertinent et de très bonne associations professionnelles et des sociétés
qualité, mais il doit aussi être conçu de manière savantes qui se consacrent aux problèmes d u
à faciliter l'apprentissage à distance, car, dans Tiers M o n d e a entraîné une utilisation peu
ce cas, l'étudiant n'a pratiquement rien d'autre efficace de ces ressources assez disparates. Il
à sa disposition, tandis que celui qui est dans est certain que l'heure est venue d'innover
une université peut trouver une aide auprès dans ce domaine. Diverses organisations et
d'un moniteur ou d'un autre étudiant. institutions d u système des Nations Unies
Les universités d u Tiers M o n d e qui ensei- pourraient facilement, soit individuellement,
gnent à distance sont confrontées à des pro- soit en liaison avec des organismes d'aide, m o -
blèmes qu'elles n'ont pas les moyens de ré- difier cette situation.
soudre. Elles doivent d'abord disposer de m a -
L e problème de la qualité et de la pertinence du matériel pédagogique 81
dans l'enseignement à distance
différents groupes. Pour favoriser et faciliter u n grand nombre de domaines, ces sortes
les contacts officiels et personnels entre profes- d'académies invisibles dont la formation pour-
sionnels, il faut, avant tout, étoffer les sociétés rait être favorisée par une stratégie constructive
savantes et les associations professionnelles à visant à mobiliser les ressources dispersées.
tous les niveaux — international, national, U n e collaboration professionnelle plus pous-
régional et sous-régional. Les jeunes chercheurs sée au niveau international aurait aussi pour
du Tiers M o n d e n'ont que des possibilités très avantage de réunir des personnes travaillant
limitées de participer à des rencontres pour sur des problèmes similaires. Cela pourrait
parler de leurs travaux ; la plupart d u temps, aboutir à des projets menés en c o m m u n pour
le niveau des activités de recherche est trop la production de matériel d'enseignement.
faible pour justifier la tenue de rencontres pro-
fessionnelles sur le plan national. Il faut, dans
chaque discipline — au sens étroit d u terme —, Importance
une centaine de chercheurs actifs et doués de la coopération internationale
d'esprit critique pour permettre la constitution
de cette sorte d'académie invisible ; mais si le L a production d'écrits pertinents et de qualité
« tiers système » joignait ses efforts à ceux des dans et pour le Tiers M o n d e est essentielle
chercheurs d u Tiers M o n d e , il devrait être pour deux raisons. Tout d'abord, la publication
possible d'atteindre la « masse critique » dans de monographies et de communications peut
u n grand nombre de domaines. fournir les connaissances o u les éléments néces-
U n e rencontre professionnelle doit être, par saires à la réalisation d'un matériel d'enseigne-
définition, l'occasion d'examiner et de discuter ment pertinent et de qualité ; la pertinence pour
publiquement des résultats de recherche par les étudiants d u Caire d'un ouvrage de socio-
des analyses critiques. U n e rencontre profes- logie traitant des bidonvilles de Chicago risque
sionnelle n'est pas une série d'exposés ex d'être très limitée, m ê m e s'ils peuvent le lire en
cathedra. S'il est toujours utile de réunir des arabe. Ensuite, les m ê m e s chercheurs qui sont
congrès consacrés à de grands problèmes, la capables de procéder à l'étude critique de pro-
plupart des rencontres doivent être très spécia- blèmes pertinents pour la société dans laquelle
lisées et porter sur des domaines bien délimités. ils vivent sauront aussi contribuer à l'élaboration
U n e rencontre portant sur les « taux de morta- d'un matériel d'enseignement de qualité.
lité infantile dans les bidonvilles d u Tiers L'établissement d'une coopérative efficace
M o n d e » pourrait être fructueuse, mais une entre institutions dépend dans une large mesure
autre qui aurait pour thème « l'urbanisation de l'aptitude du personnel de ces établissements
dans le Tiers M o n d e » risquerait de traiter ce à envisager une question sous le m ê m e angle, à
sujet de façon si générale qu'il serait vain élaborer des styles compatibles entre eux, à
d'espérer le moindre débat critique sur des travailler ensemble en adoptant les m ê m e s cri-
faits ou des théories. tères de qualité et en respectant les délais
II est très probable que l'on trouverait dans fixés en c o m m u n .
le m o n d e plus de cent chercheurs confirmés Il est difficile, dans le Tiers M o n d e , de for-
travaillant sur des sujets tels que la mortalité m e r des équipes travaillant en coopération.
infantile dans les bidonvilles d u Tiers M o n d e , Cela tient au fait que l'on ne connaît suffisam-
l'élevage d u chameau dans les zones arides ou ment ni les gens ni les conditions de travail et
la gestion des établissements humains dans que, faute d'une pratique courante des matériels
ces m ê m e s zones, les aspects économiques de de haute qualité, il est malaisé de définir au
l'habitat dans les régions rurales d'Afrique ou départ l'orientation et la qualité d u produit
le rôle de la corruption dans l'attribution des souhaité. L'effort nécessaire pour atteindre les
contrats de travaux publics. Si l'on s'en donne objectifs visés pourrait être sensiblement allégé
les moyens, il est donc possible de créer, dans grâce à une coopération internationale.
Le problème de la qualité et de la pertinence du matériel pédagogique 83
dans l'enseignement à distance
épineux. Il est évident que la formation d'un cratiques, qui étouffent la créativité et tarissent
ingénieur nucléaire d u Tiers M o n d e doit être l'initiative, mais, avec le temps, les efforts de
la m ê m e que celle d'un ingénieur de la m ê m e ces divers groupes pourraient converger de
spécialité en U R S S , aux États-Unis d'Amérique façon à former u n ensemble cohérent.
ou en France ; mais u n ingénieur d u bâtiment
serait mal venu d'adopter aveuglément les tech-
niques européennes ou américaines s'il s'agit, INITIATIVES DUES AUX ÉDITEURS
par exemple, de construire des maisons au
Y e m e n . L a sociologie, l'économie et la gestion
Les grands éditeurs d u Premier M o n d e , d u
sont aussi des domaines qui supposent l'exis- Deuxième M o n d e et Tiers M o n d e pourraient
tence d'un matériel d'enseignement adapté aux aussi prendre l'initiative d'inciter des établisse-
divers milieux culturels. U n autre problème ments et des auteurs à réaliser des matériels
est de savoir s'il est nécessaire de réaliser desd'enseignement. D e s éditeurs entreprenants
programmes d'enseignement entièrement dis- pourraient organiser toutes sortes d'entreprises
conjointes de manière à partager les coûts, à
tincts pour la Chine, le Brésil, le m o n d e arabe
ou l'Indonésie, ou bien s'il serait possible de seélargir les marchés et à éliminer les obstacles
mettre d'accord sur des programmes de base structurels, tels que les problèmes de devises.
qui seraient les m ê m e s partout et auxquels O n pourrait, par exemple, imaginer u n projet
s'ajouteraient des modules qui s'appliqueraient auquel participeraient u n éditeur européen, u n
'spécialement à telle ou telle région. organisme d'aide internationale, des universités
Je voudrais ouvrir ici trois pistes qu'il de deux ou trois pays et autant d'étiteurs d u
conviendrait d'explorer. Je laisse au lecteur le Tiers M o n d e . Cette coopération aurait pour
soin d'en ajouter d'autres ou de regrouper but de réaliser des matériels d'enseignement
autrement les initiatives proposées. J'ai réparti pour u n cours de licence en agronomie ou en
en trois catégories u n certain nombre d'ini- sciences de l'éducation. L e texte original pour-
tiatives possibles. rait être rédigé en anglais puis traduit en d'au-
tres langues d u Tiers M o n d e . Les éditeurs
locaux pourraient imprimer et diffuser de tels
INITIATIVES DUES AUX PRODUCTEURS ouvrages sur le marché national. Quant à
l'entreprise européenne, qui dispose d'un vaste
réseau commercial, elle s'efforcerait de diffuser
U n e coopération pourrait s'établir entre deux
ce matériel à l'échelle mondiale. Tous les pro-
ou plusieurs institutions telles que l'Université
blèmes juridiques et contractuels sont bien
des Nations Unies, le Centre international de
connus et ne devraient pas poser de graves pro-
physique théorique, l'Académie des sciences d u
blèmes à une maison d'édition ayant les dimen-
Tiers M o n d e , le Conseil international des
sions requises.
unions scientifiques ou le Comité permanent
sur le rôle des sociétés scientifiques et associa-
tions d'ingénieurs au service du développement
(inspiré et soutenu par l'American Association INITIATIVES DUES
for the Advancement of Science). D e s repré- A UNE INSTITUTION DU SYSTÈME
sentants de quelques-unes de ces institutions DES NATIONS UNIES
pourraient se réunir et décider de patronner
diverses activités portant sur l'évaluation des Plusieurs institutions d u système des Nations
programmes d'études et des matériels d'ensei- Unies (Unesco, Banque mondiale, F A O ,
gnements utilisés ; ils élaboreraient ensuite des O N U D I , O I T ) ont une importante activité d'édi-
programmes d'études et feraient réaliser le tion en m ê m e temps qu'elles sont à l'origine de
matériel souhaité. nombreux projets de recherche dans des d o -
Il faut éviter les lourds appareils bureau- maines intéressant le Tiers M o n d e . Pour finan-
Le problème de la qualité et de la pertinence du matériel pédagogique 85
dans l'enseignement à distance
l'augmentation des taux de persévérance et de pas l'idée que, dans u n avenir rapproché, les
succès, la réduction des taux d'échec et d'aban- obstacles qui se présentent aujourd'hui seront
don dépendent étroitement de la fréquence et surmontés.
de la qualité d u suivi pédagogique (Kaye et
Harry, 1982). Dans la pratique, on a tendance
à limiter ces activités de soutien à l'apprentis- Technologies de l'information,
sage, car elles génèrent des coûts importants technologies interactives
qui, s'ils n'étaient pas contenus, menaceraient et formation à distance
la rentabilité économique de la formation à dis-
tance. Les contraintes économiques qui e m p ê - L e terme « technologies de l'information » dési-
chent de fournir à l'étudiant éloigné des occa- gne les technologies informatiques par lesquelles
sions fréquentes d'échanges interactifs repré- on offre à des usagers divers services d'infor-
sentent sur le plan pédagogique u n problème mation et de traitement de données. Banques
qu'il n'est pas toujours aisé de résoudre. O n de données, bases de données, vidéotex, tele-
réussit à les contourner au m o y e n d'un matériel
text, messageries électroniques, conférences
didactique complet, élaboré c o m m e u n dia-
assistées par ordinateur, transactions électro-
logue personnel, et structuré de telle sorte que
niques sont autant d'applications des « technolo-
l'étudiant se sente guidé et accompagné tout au
gies de l'information ». L e plus souvent, ces
long de son apprentissage.
technologies sont connectées à des réseaux de
Dans sa forme actuelle, la dynamique de la télécommunication et à des infrastructures de
formation à distance repose donc essentielle- transmission (réseau téléphonique, satellite,
ment sur la motivation et l'autonomie de l'étu- ondes hertziennes, etc.) pour rendre l'informa-
diant qui, c o m m e un autodidacte, apprend seul. tion disponible aux usagers éloignés des centres
Toutefois, le développement des technologies de traitement. Les opérations de repérage, de
de l'information et leur pénétration rapide dans consultation d'informations et de traitement de
plusieurs secteurs d'activités permettent d'envi- données se font en m o d e interactif sous forme
sager des solutions intéressantes aux problèmes de dialogue entre l'usager et la machine. L a
d'isolement et d'éloignement. Déjà, plusieurs combinaison des technologies de l'information
institutions d'enseignement supérieur nord- et des télécommunications est désignée en
américaines et européennes utilisent ces techno- français par le vocable « télématique ».
logies c o m m e véhicule principal d'enseigne-
ment à distance ou c o m m e complément d'un
enseignement à distance diffusé par les médias INTERACTIVITÉ SÉLECTIVE
traditionnels. Dans plusieurs cas, le recours à ET INTERACTIVITÉ INTÉGRALE
ces technologies est encore expérimental. D e
nombreux obstacles doivent être surmontés Les technologies de l'information se partagent
avant que l'on puisse en faire u n usage plus en deux grands groupes : les technologies à
répandu; il faut : développer une meilleure interactivité sélective et les technologies à inter-
connaissance des caractéristiques pédagogiques activité intégrale. Elles se distinguent par leur
des technologies de l'information; mettre au niveau d'interactivité et par l'origine de l'in-
point des méthodes de formation des usagers formation.
(étudiants, enseignants, tuteurs, conseillers,
Dans le premier groupe, on retrouve toutes
concepteurs) ; rendre les équipements facile-
les technologies qui emmagasinent des informa-
ment accessibles et niveler toutes les complica-
tions sous une forme déjà structurée pour en
tions techniques qui les rendent rébarbatives
rendre l'accès et la consultation faciles ; ce sont,
à l'usager non spécialisé. Malgré ces difficultés
par exemple, les banques de données (ASCII,
de départ, qui ne sont pas inhabituelles au cours
N A P L P S ) , bases de données, télétext, transac-
de l'implantation d'une innovation, on n'écarte
tions et achats électroniques... L'usager repère
Formation à distance et communication assistée par ordinateur 89
l'information désirée en utilisant différents véhicule aux informations que les usagers se
procédés de recherche c o m m e l'appel de mots transmettent au m o y e n de messages qui peu-
clés, la combinaison de descripteurs, les choix vent être destinés à un ou plusieurs usagers à la
par arborescence. L'information fournie par ces fois. A u cours de ces échanges, une c o m m u n i -
systèmes technologiques est nécessairement cation pleinement interactive s'installe entre deux
limitée aux données placées dans la mémoire personnes ou au sein de groupes constitués en
de l'ordinateur hôte. L'usager ne peut généra- collèges ou communautés électroniques. L'in-
lement ajouter d'autres données ni modifier formation qui circule n'est pas nécessairement
les contenus diffusés, ce privilège étant réservé fournie, mais plutôt élaborée par les usagers.
aux fournisseurs d'informations. Ces technolo- L e premier système de « C A O », E I E S (Elec-
gies opèrent donc en m o d e interactif par choix tronic Information Exchange System), a été
sélectif et l'information est u n service fourni ; développé aux États-Unis d'Amérique par
il n'est pas permis à l'usager de faire des entrées l'équipe de Murray Turoff pour échanger et
d'informations qui pourraient par la suite être mettre en c o m m u n des informations, procéder
distribuées. à des discussions et des travaux de groupe, faci-
L a possibilité d'accéder à des masses d'infor- liter le processus de prise de décision (Hiltz
mations stockées dans les bases et les banques et Turoff, 1978). Les résultats des premières
de données ouvre des horizons nouveaux pour expériences d'utilisation de la « C A O » d é m o n -
la formation à distance. Les concepteurs de trent que ce m o d e d'échange favorise une c o m -
l'enseignement pourront diriger les étudiants munication dynamique et des interactions so-
vers ces sources documentaires en les invitant ciales productives au sein des communautés
à y puiser des informations qui complètent électroniques (Kerr et Hiltz, 1982 ; Hiltz,
le matériel de base des cours. D a n s ces banques 1985).
constamment enrichies et mises à jour, l'étu- Dans l'éventail de technologies de l'informa-
diant pourra faire des choix d'information qui tion, la « C A O » apparaît c o m m e u n m o d e de
correspondent à des besoins et à des intérêts communication très prometteur pour la forma-
personnels. Il lui sera possible de se donner tion à distance. Elle rend possibles les échanges
une formation mieux adaptée à ses aspirations directs entre deux ou plusieurs étudiants dis-
et à ses attentes. Par ailleurs, ces technologies persés géographiquement et leur offre un espace
permettront aux institutions à distance de se c o m m u n de travail et de discussion. L e recours
dégager de la nécessité de fournir à l'étudiant à cette technologie permettra à l'étudiant de
une lourde documentation imprimée et de sortir de son isolement et d'enrichir son envi-
s'affranchir des délais de la poste ou d u courrier ronnement d'apprentissage par des dialogues
privé pour livrer le matériel. réellement interactifs. Il lui sera possible de
L e deuxième groupe de technologies englobe prendre la parole, de poser des questions,
toutes les formes de communications assistées d'exprimer ses besoins, ses idées, ses opinions
par ordinateur (« C A O ») : messagerie électro- et, surtout, de confronter sa pensée avec celle
nique pour les communications individuelles ; d'autres étudiants. D e plus, il aura à développer
messagerie électronique à l'usage d u grand la maîtrise des aptitudes en matière d'écriture
public ; téléconférence pour les communications et de lecture essentielles à l'utilisation adéquate
de groupe ; communication asynchrone ; c o m - de ce véhicule de communication. O n pourrait
munication synchrone ; répertoire des utilisa- espérer que, s'il tire profit d u recul que procure
teurs ; compilation de votes ; organisation et l'écriture, l'étudiant développera à l'usage de
triage de messages dans une conférence... cette technologie une plus grande conscience
Contrairement aux technologies du groupe pré- et une meilleure maîtrise des processus d'ap-
cédent — qui structurent des services et en prentissage qu'il emploie. L a « C A O » permet
assurent la diffusion —, les technologies d u d'envisager l'avènement d'une nouvelle dyna-
deuxième groupe servent essentiellement de mique de communication interactive en forma-
90 France Henri
L'enseignement à distance passe pour moins raisons de coûts ne portent que sur des établis-
cher que les formes traditionnelles d'enseigne- sements de m ê m e niveau (enseignement pri-
ment. O n entend généralement par là le fait maire, secondaire ou supérieur), la qualité des
que le coût par élève ou par diplômé est moins services offerts étant par hypothèse uniforme.
élevé dans le premier cas que dans le second. Certes, on ne crée pas des systèmes de télé-
Étant donné que les élèves peuvent progresser enseignement pour le seul motif qu'on les croit
à des rythmes différents (selon qu'ils étudient meilleur marché. L e coût n'en est pas moins
à plein temps ou à temps partiel), le coût par un facteur important et ceux qui l'ont fait ont
élève est souvent exprimé dans une mesure en raison de signaler les économies qu'ils impli-
unité standard, telle que le coût par heure quent. A u Venezuela, la Commission chargée
d'élève ou par équivalent d'élève à plein temps. d'organiser l'Universidad Nacional Abierta s'est
Il n'est pas toujours facile de comparer les déclarée convaincue que cette institution allait
coûts des systèmes. Les objectifs ou la manière « contribuer à une réduction importante du coût
de traiter une m ê m e matière peuvent être diffé- annuel de chaque étudiant et du coût social de
rents, voire très différents ; le niveau exigé des chaque diplômé » ( C O U N A , 1979)- Dans l'État
élèves au m o m e n t de leur admission peut varier indien de l'Andhra Pradesh, le Comité pour la
et influer sur les taux de réussite aux examens ; création d'une université ouverte (1982) s'est
la qualité de l'enseignement peut elle aussi être appuyé sur les conclusions des études de coûts
différente. Chacune de ces variables peut peser précédemment effectuées au R o y a u m e - U n i pour
sur les coûts et sur notre manière de les consi- l'Université ouverte (Open University), d'où il
dérer. Toutefois, en règle générale, les compa- ressortait que les dépenses d'équipement et les
dépenses de fonctionnement par étudiant y
étaient en moyenne plus faibles que dans les
Greville R u m b l e (Royaume-Uni). Spécialiste des universités classiques, pour suggérer que la
systèmes de télé-enseignement, a travaillé à ¡'Univer-création d'une université de télé-enseignement
sidad Estatal a Distancia du Costa Rica et auprès de serait, de toutes les solutions, la plus écono-
nombreux organismes en qualité de consultant dans mique pour le gouvernement de cet État.
ce domaine. Actuellement chargé de la planification Malheureusement, les espoirs des h o m m e s
à I' « Open University » (Royaume-Uni). Ses ouvrages
politiques et des planificateurs ne se concréti-
les plus récents sont T h e politics of nuclear defence
(1985), T h e planning and management of distance
sent pas toujours. Il y a des programmes de
education (1986). Coauteur de Distance teaching for télé-enseignement qui ont coûté plus cher par
higher and adult education (198z, en collaboration élève ou par diplômé — voire dans les deux
avec Anthony Kaye) et de T h e distance teaching uni- cas — que des systèmes traditionnels remplis-
versities (1982, en collaboration avec Keith Harry). sant des fonctions comparables, tout autant
qu'il existe de nombreux programmes d'ensei- pensés. Les variables considérées ici c o m m e
gnement à distance qui se sont révélés moins susceptibles d'être infléchies par le volume des
coûteux (Perraton, 1982). activités sont S , C et P . D'autres variables i m -
L a structure des coûts est à ce point diffé- portantes, c o m m e le nombre des centres d'étu-
rente d'un système à l'autre que ceux qui ten- des locaux où est dispensé u n enseignement,
tent de mettre sur pied u n enseignement à dis- peuvent intervenir dans certains systèmes de
tance ont les plus grandes peines à en expliquer télé-enseignement, mais le modèle utilisé ici en
le fonctionnement et la logique financière aux fait abstraction.
responsables des administrations et des orga- Tous les coûts figurant dans la partie droite
nismes de financement (Snowden et Daniel, de l'équation sont subordonnés à des choix de
1980). gestion.
Si l'on veut comprendre pourquoi il en est Dans les systèmes d'enseignement à distance,
les coûts liés aux élèves comprennent ceux des
ainsi et c o m m e n t il se fait que l'enseignement à
distance soit tantôt plus coûteux, tantôt plus matériels qui leur sont fournis, les coûts de
économique que le système traditionnel, il faut distribution lorsque ces matériels sont expédiés
posséder quelques lumières sur le comporte- individuellement, le coût de la rémunération
ment des coûts de l'éducation. des tuteurs chargés de noter les devoir et les
copies d'examen et le coût d'éventuels cours en
face-à-face. A l'évidence, le coût par élève
La fonction augmente avec la quantité de matériels fournis,
de coût fondamentale et le coût par élève des tuteurs, par exemple,
avec le nombre des séances et le taux d'encadre-
L e coût total d'une entreprise comprend à la ment.
fois des coûts fixes et des coûts variables. Les Les coûts directs d'élaboration des cours
premiers ne sont pas sujets à des variations comprennent les coûts de main-d'œuvre (ré-
continues en fonction d u volume des activités, munération des auteurs, préparateurs des m a -
mais ils peuvent se modifier en cas de cessation nuscrits, concepteurs, producteurs de radio ou
de certaines activités ou d'importants change- de télévision), ainsi que les coûts de mise au
ments dans le volume des activités (cette der- point et de production des « originaux » o u des
nière notion s'apprécie par rapport à la situation prototypes des matériels pédagogiques (rému-
de l'entreprise). Les coûts variables tendent à nération des consultants, paiement de droits,
augmenter ou à diminuer directement (de façon coût de la réalisation d'émissions ou de la pré-
linéaire) en fonction desfluctuationsdu volume paration de bandes originales, et ainsi de suite).
des activités. L e volume des coûts peut être modifié par
L a fonction de coût de base d'un système des décisions relevant de la gestion. L e coût
éducatif quelconque s'écrit c o m m e suit : de la reproduction des matériels pédagogiques
T = SQ + CS + PTI: + F distribués aux élèves est u n coût direct par
élève, tandis que celui de la constitution d'un
où T est le coût total, S le nombre d'élèves, stock de matériels destinés à leur être prêtés
C le n o m b r e de cours élaborés, P le nombre de pour la durée d'un cours auquel ils sont inscrits
cours présentés aux élèves, F les coûtsfixesd u est u n coût direct lié aux cours. Si, par exemple,
système (coûts administratifs et autres frais on fournit aux élèves les vidéocassettes illustrant
généraux), O le coût direct par élève, S le coût u n cours, ces copies représentent des coûts
direct de l'élaboration d'un cours et TC les coûts directs encourus pour chaque élève ; dans le cas
directement liés à la fourniture des cours. S Q où, au contraire, on leur prête des copies faisant
représente le coût direct total des élèves, C S le partie d'un stock permanent, le coût de consti-
coût direct total des cours qui sont élaborés et tution de ce stock est u n coût direct des cours.
P7c le coût direct total des cours qui sont dis- A u nombre des coûts directement liés aux
Le régime économique de l'enseignement de masse à distance 95
cours figurent des postes de dépense tels que le classe). A u fond, il y a là une substitution de
coût de diffusion des émissions illustrant ou capital au travail offrant aux spécialistes de
complétant les cours, la rédaction des sujets l'éducation ce que W a g n e r (1982) a p u appeler
d'examen, le contrôle du déroulement des cours la « production de masse c o m m e solution de
et, d'une façon générale, la mise à jour et l'amé- rechange à l'approche artisanale traditionnelle ».
lioration des matériels didactiques. U n e étude comparée des coûts dans les uni-
L a nature des frais généraux va plus ou moins versités traditionnelles et à l'Open University
de soi : ce sont les coûts des fonctions de gestion (enseignement à distance) britannique a montré
(personnel, finances, services de gestion, admi- à quel point les coûtsfixes(en capital) peuvent
nistration, planification et évaluation des ser- être prépondérants : alors que le rapport des
vices administratifs et autres). Ces coûts seront coûts variables aux coûts fixes est de l'ordre
normalement d'autant plus élevés que l'appareil de 1 à 8 dans les universités classiques, il est d'à
de gestion et d'évaluation sera plus complexe. peu près de 1 à 2 000 à 1' « O p e n University »
Peuvent également entrer dans cette catégorie (Laidlaw et Layard, 1974).
les provisions pour amortissement des machines
et des matériels (équipements de studio et m a -
tériel de transmission, ordinateurs, et ainsi de Les coûts d'élaboration,
suite) qui tous sont exposés à l'usure et devront de production et de distribution
u n jour être remplacés. Il y a un certain nombre des matériels didactiques
de modes de traitement des coûts d'équipement,
mais ce qui importe réellement dans la pratique, L'une des particularités des systèmes de télé-
c'est le coût pour l'entreprise du remplacement enseignement est le niveau d'investissement re-
des éléments atteints d'obsolescence par des quis avant la moindre inscription. Les investis-
matériels neufs remplissant des fonctions ana- sements en biens d'équipement (bâtiments, m a -
logues. tériel et autres) peuvent être considérables, en
L'utilisation des médias et les problèmes que particulier si l'on fait appel à des techniques
pose l'encadrement des élèves font que les frais d'enregistrement en studio et de transmission
généraux (F), les coûts d'élaboration des cours par satellite ou de radiodiffusion terrestre, et
(S) et les coûts de présentation des cours qui qu'il faille construire les installations au lieu
sont directement liés aux cours (n) sont géné- de les louer en fonction des besoins. L'informa-
ralement, à effectifs comparables, plus élevés tisation de l'enseignement et de l'administration
dans les établissements d'enseignement à dis- alourdit aussi substantiellement les coûts. Il
tance que dans les écoles traditionnelles ; mais, faut prévoir le stockage et la manutention des
c o m m e le soutien apporté aux élèves est relati- matériels didactiques, ce qui peut obliger à
vement limité, le coût direct par élève (Q) y construire ou, en tout cas, à équiper des locaux
est moins important. C'est que ces établisse- à cet effet. A cela s'ajouteront des investisse-
ments consacrent beaucoup de leurs efforts en ments supplémentaires si l'on décide de créer
matière de gestion et d'enseignement à l'élabo- u n atelier d'impression sur place au lieu de
ration et au bon fonctionnement des matériels louer les services d'une imprimerie c o m m e r -
pédagogiques et des procédures administratives ciale.
de contrôle des élèves. Il y a donc là une forme Il faut ensuite concevoir et produire u n éven-
d'investissement en capital, qui se substitue aux tail de matériels pédagogiques suffisamment
contacts directs entre maîtres et élèves et qui large pour répondre aux objectifs de l'établisse-
pourra, ensuite, servir pour u n nombre d'élèves ment et offrir u n m i n i m u m de choix aux élèves
plusieurs fois supérieur aux effectifs auxquels potentiels. C e qui coûte le plus cher, en l'oc-
peuvent s'adresser des formes d'éducation tra- currence, c'est sans doute le personnel ensei-
ditionnelles c o m m e les cours magistraux, les gnant et assimilé requis pour les élaborer.
séminaires ou les travaux dirigés (en salle de D'après Sparkes (1984), s'il faut entre une heure
96 Greville Rumble
et dix heures de travail pour préparer une heure classes ordinaires, puis les compléter par des
d'enseignement en petit groupe et de deux à notes reproduisant par exemple (sous une autre
dix heures pour un cours magistral d'une heure, forme) les documents distribués aux élèves, les
il faut entre trois et dix heures pour mettre au exemples donnés au tableau noir ou sur tableau
point une heure d'enseignement vidéo dirigé, de papier, les films projetés à l'aide d'un rétro-
de cinquante à cent heures pour rédiger u n projecteur, les diapositives et autres. U n e fois
texte didactique qui occupera l'élève pendant les amphithéâtres équipés de caméras vidéo et
une heure et u n m i n i m u m de cent heures pour de matériel de prise de son, les coûts supplé-
mettre sur pied une émission télévisée de mentaires par personne de la production des
soixante minutes de qualité radiophonique, de bandes vidéo et des notes complémentaires à
deux cents heures pour l'équivalent d'une heure l'intention des élèves qui ne fréquentent pas les
d'apprentissage assisté par ordinateur, de trois cours à l'université peuvent être très modiques,
cents heures pour l'équivalent d'une heure d'ap- c o m m e en témoignent le programme de pré-
prentissage sur vidéodisque interactif. paration extra-universitaire aux diplômes d'in-
Ces chiffres doivent être maniés avec pru- génieur de l'Université d'État d u Colorado
dence. Il existe, en gros, quatre modes de (Wagner, 1975) et le programme de télé-
création de matériels d'apprentissage à distance. enseignement de l'Université de Waterloo (Les-
L e premier consiste à rechercher parmi les lie, 1979). Il est alors possible de constituer une
matériels existants ceux qui seraient susceptibles importante vidéothèque en peu de temps et pour
d'être utilisés tels quels ou adaptés aux besoins u n coût total relativement faible. Sans être sans
des élèves de l'enseignement à distance. Il n'est doute d'une très grande qualité, ces matériels
pas rare, par exemple, qu'un établissement vidéo répondent parfaitement à leur objet. Dif-
recommande à ses élèves certains manuels, qu'il fusés par satellite, ils permettent à des élèves
leur est ensuite demandé de se procurer pour disséminés sur u n très vaste territoire d'avoir
suivre un cours. L'établissement n'a plus, alors, accès à des cours faisant le point des derniers
qu'à rédiger quelquesfichesde conseils et des progrès de la technologie. Parfois, les élèves ont
questions de contrôle de niveau avant de démar- également la possibilité de suivre les cours par
rer le programme d'enseignement, ce qui, natu- liaison téléphonique (enseignement vidéo di-
rellement, réduit considérablement ses coûts. rigé). Ces formules sont aujourd'hui pratiquées
Cette façon de procéder, qui ne demande pra- par u n certain nombre d'universités, dont, aux
tiquement aucun effort de création, est parti- États-Unis d'Amérique, la National Technolo-
culièrement économique. Elle est employée par gical University.
certaines écoles d'enseignement commercial par Les troisième et quatrième approches repo-
correspondance préparant à des examens pro- sent sur l'utilisation de matériels d'auto-appren-
fessionnels ou autres. Elle aboutit rarement à tissage (imprimé, audiovisuel, émissions et au-
la production de matériels bien adaptés aux tres) spécialement conçus et produits pour
besoins de l'auto-apprentissage, mais elle per- l'enseignement à distance. Il ne fait guère de
met effectivement de mettre au point u n large doute que ces matériels pédagogiques sont sou-
éventail de cours à coût très réduit. Elle est vent d'excellente qualité. L a troisième façon de
également utilisée dans une version modifiée procéder consiste à arrêter le programme d'en-
par l'Université ouverte britannique pour cer- seignement et à préciser le contenu des cours,
tains cours de haut niveau, pour lesquels on ne puis à recruter des universitaires en qualité de
fournit à l'élève qu'une quantité restreinte de consultais pour rédiger les documents écrits ou
matériels d'auto-apprentissage. les scripts des émissions et des productions
Deuxième formule : on peut « greffer » le sys- audiovisuelles. C'est la solution qui a été rete-
tème de télé-enseignement sur un système d'en- nue par la Universidad Estatal a Distancia d u
seignement classique, c'est-à-dire enregistrer Costa Rica. Elle présente ce grand avantage que
sur bandes vidéo des cours dispensés à des les rédacteurs sont rémunérés en fonction des
Le régime économique de l'enseignement de masse à distance 97
résultats. C o m m e ils ne sont pas employés à temporaire, ils ne sont pas constamment entrain
plein temps à titre permanent, aucun engage- de songer au prochain engagement, mais une
ment de longue durée ne fait obligation de erreur de recrutement dans leur cas risque
prendre en charge leur formation ou leurs avoir des conséquences durables, surtout lors-
recherches personnelles, et l'on évite d'être qu'ils sont titulaires de leur poste.
encombré d'un personnel peu zélé ou dont les L a masse totale des traitements dépend aussi
connaissances sont périmées. U n e fois que les du m o d e d'affectation du personnel enseignant.
planificateurs ont précisé les buts, les objectifs Des établissements c o m m e l'Université ouverte
et le contenu général des nouveaux programmes britannique, l'Université Athabasca (Canada) et
d'études, des universitaires et des spécialistes l'Université Deakin (Australie), où les cours
de la technologie de l'éducation revoient les sont élaborés collectivement (plusieurs profes-
projets rédigés par les consultants pour les seurs et techniciens travaillant en équipe sur
transformer en produits finis. Si les auteurs un m ê m e projet) ont besoin d'un effectif plus
n'ont pas livré la marchandise prévue, ils ne nombreux que ceux qui ne demandent à chacun
sont pas payés. que de s'en tenir à sa spécialité. Si la première
L a création de nouveaux cours peut être méthode exige u n plus grand nombre d'heures
annoncée à l'avance, mais certains établisse- de travail, et fait par conséquent monter les
ments ( c o m m e l'Open Learning Institute en coûts, elle permet en revanche de travailler
Colombie britannique) attendent que tous les dans une ambiance particulièrement propice à
matériels soient réunis et prêts à être produits. la création.
Cette façon de procéder rappelle plus la maison D e ces quatre formules, la première est la plus
d'édition que l'université. Les écoles d'ensei- économique et la dernière la plus coûteuse.
gnement commercial par correspondance qui U n autre facteur dont il faut tenir compte
créent elles-mêmes leurs matériels pédagogi- dans l'évaluation des coûts d'élaboration, de
ques font appel à des consultants parce que c'est, production et de fourniture des cours est le
à l'évidence, une façon relativement souple et choix d u support. L à encore, les choix de ges-
économique de s'assurer les services d'univer- tion peuvent modifier considérablement le coût
sitaires pour la rédaction des cours et de pro- du système.
fessionnels pour la production de programmes Sparkes, on l'a vu, estime que le temps né-
de radiodiffusion et de documents audiovisuels. cessaire pour concevoir u n matériel correspon-
L a rémunération des auteurs travaillant sous dant à une heure d'apprentissage varie dans des
contrat peut néanmoins varier en fonction de proportions importantes selon le support utilisé,
F « offre ». Dans certains pays ou pour certaines mais il y a d'autres coûts que ceux qui sont liés
disciplines, les auteurs compétents sont rares à sa conception. L a réalisation de documents
et leurs honoraires parfois élevés. imprimés comprend aussi la mise en pages, la
Enfin, on peut aussi faire élaborer les maté- préparation des manuscrits pour l'impression,
riels didactiques par u n petit nombre de pro- la composition, l'impression et la distribution ;
fesseurs employés à plein temps, en vertu de les matériels vidéo et audio doivent être diffusés
contrats de durée indéterminée ou temporaires. par les canaux appropriés et reçus sur les appa-
Ceux qui occupent u n poste à titre permanent reils voulus ; les systèmes faisant appel à l'ordi-
doivent se tenir informés de l'évolution de leur nateur nécessitent u n équipement important et
discipline : il faut donc leur laisser d u temps l'accès à des réseaux de télé-informatique, ainsi
libre pour actualiser leurs connaissances et, le que des investissements considérables en lo-
cas échéant, faire des recherches. A u bout d'un giciels.
certain temps, ils pourront posséder bon n o m - Dans le cas d'imprimés, par exemple, tous les
bre des compétences des concepteurs de maté- matériels devront être préparés pour l'impres-
riels didactiques et des spécialistes de la techno- sion et faire l'objet d'une maquette. L e travail
logie éducative. A la différence du personnel de mise en forme nécessaire pour qu'un m a n u s -
98 Greville Rumble
crit puisse être intégré à u n jeu d'auxiliaires doivent venir les chercher, selon la formule
didactiques pour l'auto-apprentissage coûtera retenue par l'Universitad Estatal a Distancia
sans doute plus cher si l'auteur a été employé du Costa Rica. Enfin, il est possible de réaliser
sous contrat. L e coût de la maquette peut des économies d'échelle, les coûts unitaires
varier dans des proportions importantes selon d'impression se trouvant fortement réduits en
la quantité d'illustrations (reproductions d'oeu- cas de gros tirage ; mais, inversement, lorsque
vres d'art, photographies, etc.) incorporées au les stocks imprimés excèdent les besoins d'une
texte. L e procédé de composition influe égale- année scolaire, les frais d'entreposage les m a -
ment sur le prix de revient. Il est généralement jorent d'autant.
moins coûteux de reproduire u n texte dactylo- Les coûts de production des matériels vidéo
graphié en offset que de l'imprimer avec des peuvent eux aussi varier considérablement.
caractères typographiques en métal fondu. Plus L e coût d'une heure de cours sur bande vidéo
encore que les machines à écrire, les machines est de beaucoup inférieur à celui d'une émission
de traitement de texte permettent d'obtenir de télévision satisfaisant aux normes de qualité
facilement des documents prêts pour la photo- de la diffusion. Il y a à cela u n certain nombre
gravure et de réduire les frais de rédaction. de raisons. L'équipement indispensable pour
T i m m e r s (1986) a calculé que l'acquisition de produire u n programme de télévision de cette
machines de traitement de texte avait permis à qualité est plus cher que celui qui est nécessaire
l'Open Learning Institute de Vancouver de pour réaliser une bande vidéo. Dans certains
ramener de cent vingt à cinquante heures le pays, les syndicats des professionnels de la
temps nécessaire pour rédiger et mettre en télévision ont fait grimper les taux de rémuné-
forme une page de texte. A l'inverse, les coûts ration jusqu'à des niveaux très élevés, et il s'y
peuvent monter en flèche lorsque les textes ajoute souvent des accords sur l'effectif minimal
doivent être écrits à la main. Les calligraphes qui viennent alourdir encore les coûts. Les
employés par l'Université ouverte Allama Iqbal normes de qualité sont en outre différentes
sont rémunérés sur la m ê m e base que les char- selon les cas. A u x États-Unis d'Amérique, les
gés de cours. Dans certains établissements, émissions de la chaîne publique de télévision
c o m m e l'Université ouverte de Sri Lanka, les (Public Broadcasting Service) sont enregistrées
textes sont rédigés en plusieurs langues : d'où sur des bandes de type U-Matic de format
des dépenses supplémentaires de traduction. trois quarts de pouce à fréquences basses, ce qui
Les coûts d'impression peuvent également être revient moins cher que d'utiliser, c o m m e les
plus ou moins élevés. L e prix d u papier n'est sociétés de télévision britanniques, des bandes
pas le m ê m e dans tous les pays, il existe diffé- trois quarts de pouce à fréquences hautes. Il est
rentes qualités de papier, et le coût de l'impres- parfaitement possible de produire des docu-
sion dépend de la technique employée. L e prix ments pédagogiques de qualité radiophonique à
d'un tirage offset varie selon que l'on utilise des un coût réduit. Ainsi, aux États-Unis d ' A m é -
supports en papier ou des plaques métalliques. rique, la National Technological University
Les premiers sont meilleur marché, mais ne diffuse par satellite des programmes vidéo peu
permettent de tirer que cinq cents exemplaires coûteux qui répondent parfaitement à leur objet.
environ. L'emploi de la couleur alourdit beau- Les coûts de distribution des matériels vidéo
coup les coûts d'impression. Quant aux coûts sont également sujets à d'importants écarts
de distribution, ils sont sujets à des variations selon que l'on a recours à des vidéocassettes ou à
telles qu'il est difficile de généraliser, mais il est des systèmes de télédiffusion de terre ou par
clair qu'ils ne seront pas les m ê m e s si l'on satellite (télédiffusion directe ou transmission à
expédie les matériels directement par la poste des têtes de réseaux câblés) et que l'établisse-
au domicile de chaque élève, c o m m e le fait ment de télé-enseignement doit supporter les
l'Université ouverte britannique, o u par ca- dépenses d'équipement d u système de dis-
mion jusqu'à des centres locaux où les élèves tribution ou a accès à u n certain temps d'an-
Le régime économique de l'enseignement de masse à distance 99
plus avantageuse pour ceux d'entre eux qui graphie organisés par l'Université ouverte bri-
prévoient de s'en servir pendant plusieurs tannique dépassait de beaucoup le coût variable
années. des cours de sciences sociales des universités
britanniques traditionnelles, ce qui empêchait
cet établissement de réaliser, sur ce cours tout
L e problème des coûts variables au moins, les économies d'échelle que permet
par élève en théorie l'enseignement à distance (Laidlaw
et Layard, 1974).
U n autre facteur qui intervient dans le coût des Il est clair qu'au fur et à mesure que le
systèmes de télé-enseignement est l'importance nombre des cours en face-à-face augmente
des services de soutien offerts aux élèves. Les l'enseignement à distance perd l'une de ses
systèmes les moins coûteux à cet égard sont caractéristiques fondamentales, à savoir l'éloi-
ceux où l'élève est inscrit à u n examen, reçoit gnement physique des enseignants et des appre-
un plan détaillé d u programme et une liste nants. O n aboutit à la limite à une forme
d'ouvrages à consulter, puis se retrouve livré à d'enseignement classique, en salle de classe,
lui-même. C'est le principe d u système de pré- qu'il soit dispensé par des enseignants de pro-
paration extérieure aux diplômes qui a été fession ou par des animateurs semi-qualifiés,
adopté par l'Université de Londres. A l'excep- la seule différence étant que les matériels
tion de ceux qui préparent u n diplôme d'éco- didactiques sont produits par un organe central.
nomie, les étudiants désireux de suivre des D e nombreux programmes fonctionnent ou ont
cours doivent s'inscrire auprès d'une école fonctionné selon ce principe, en particulier
d'enseignement commercial par correspondance dans le primaire et le secondaire (citons le
qui leur fournit desfichesde cours, leur donne Projet d'enseignement radiophonique des m a -
des devoirs à faire, notés et corrigés par u n pro- thématiques du Nicaragua, le College of the Air
fesseur. Lorsqu'il s'estime prêt, l'étudiant s'ins- à Maurice, le projet de télévision éducative
crit lui-même à l'examen. Les frais d'études d'El Salvador, la Telesecundaria mexicaine
sont à sa charge. Toutefois, bien des universités et bien d'autres). Dans ce genre de formule,
nouvelles fondées dans les années 1970 et 1980 le coût par élève se trouve parfois réduit du fait
dans le sillage de l'Université ouverte britan- que le coût supplémentaire que représentent
nique ont mis au point u n système perfectionné la mise au point, la production et la distribution
qui prévoit, outre la fourniture de matériels centralisées des matériels est largement c o m -
pédagogiques, différents services d'appui : orien- pensé par les économies réalisées lorsqu'il n'est
tation et conseils, enseignement par corres-
fait appel qu'à des animateurs semi-qualifiés ;
pondance, enseignement face à face et autres
mais il ne s'agit plus alors de télé-enseignement.
(Rumble et Harry, 1982). L'enseignement et
les services d'orientation représentent tantôt
un coût direct (variable) par élève, tantôt u n Les coûts
coût semi-variable dépendant du nombre d'élè- du programme d'études
ves dont s'occupe chaque tuteur ou conseiller.
Ces services représentent de toute évidence u n
retour aux méthodes à forte intensité de travail L e coût de l'enseignement à distance dépend
qui sont à l'honneur dans l'enseignement tradi- aussi du nombre des cours offerts par l'établis-
tionnel. Plus le coût direct (variable) ou semi- sement. Chaque cours représente u n investis-
variable par élève est élevé, plus le coût de sement en matériels didactiques. L'investisse-
l'enseignement à distance se rapproche de ment total et les coûts de mise à jour augmen-
celui des formes traditionnelles d'éducation. tent avec le nombre des cours, de m ê m e que le
C'est ainsi que le coût variable direct par étu- coût de leur remplacement par de nouvelles
diant de l'un des premiers cours de géo- versions ou des cours totalement différents.
L e nombre des cours offerts dépend dans une
Le régime économique de renseignement de masse à distance IOI
certaine mesure des matières ; il sera plus ou débuts, l'Université ouverte s'était assigné pour
moins grand selon que le programme suppose objectif d'offrir pour la préparation au premier
l'étude approfondie d'une seule matière (cas de diplôme universitaire u n choix de cours cor-
la préparation à u n diplôme spécialisé) ou en respondant à cent onze unités de valeur (cha-
combine plusieurs et qu'il prévoit ou non u n cune représentant entre quatre cent vingt et
éventail de matières à option. quatre cent cinquante heures de travail pour
Les systèmes de télé-enseignement les plus l'étudiant). O n ne tarda pas à s'apercevoir
rationnels sont ceux qui offrent une g a m m e qu'elle ne pourrait pas créer et assurer u n tel
assez restreinte de cours à u n grand nombre nombre de cours avec les ressources disponibles
d'élèves. Tel est le cas du programme de la ou prévisibles, et l'on approuva u n plan moins
Universidad Pedagógica Nacional mexicaine. ambitieux ne prévoyant plus que quatre-
Destiné à assurer la formation en cours d ' e m - vingt-sept unités de valeur. C e plan, légèrement
ploi des enseignants du primaire et du secon- modifié, constitue encore aujourd'hui le pro-
daire, il offre u n choix de cours relativement g r a m m e de base de l'Université pour ce premier
limité par rapport au nombre total d'élèves (qui cycle. Il est entendu que celui-ci est sanctionné
était de soixante mille en 1980), ce qui assure par u n diplôme de caractère général et ne per-
à chaque cours u n effectif important. met pas de spécialisation dans une matière
A mesure que de nouveaux cours seront ajou- particulière. Il a été admis, en outre, que de
tés au programme, le nombre d'élèves par cours nouveaux cours ne pourraient être créés qu'à
diminue dès lors que l'effectif total reste cons- condition d'être peu coûteux ou de s'accompa-
tant ou n'augmente pas proportionnellement gner d'une augmentation du nombre des étu-
au nombre d'options. E n Grande-Bretagne, diants.
par exemple, l'Université ouverte, créée en 1971, L ' u n des moyens d'abaisser les coûts des en-
était dès le départ, censée connaître u n rapide seignements est de dispenser les cours suffisam-
essor. L a première année, elle eut vingt-cinq ment longtemps pour étaler l'amortissement
mille étudiants, répartis entre quatre cours ; des coûts de leur élaboration sur u n plus grand
mais, dès la deuxième année, vu l'augmentation nombre d'années. L'exemple de l'Université
rapide du nombre de ses cours et de son effectif, ouverte est, là encore, éclairant. Il avait été
Laidlaw et Layard (1974) pouvaient prévoir prévu initialement de renouveler les cours
qu'il faudrait justifier la création de cours de tous les quatre ans. Il devint vite évident que
niveau supérieur n'intéressant qu'un nombre l'on ne pourrait à la fois respecter cet objectif et
relativement faible d'étudiants « plus par le fait augmenter le nombre des cours offerts aux étu-
qu'ils sont partie intégrante d'un système conçu diants. L a plupart des cours sont aujourd'hui
pour offrir un plus large accès à des programmes conçus pour durer entre huit et dix ans, avec le
complets de préparation à un diplôme que parce risque que cela suppose de les voir se dévalo-
qu'ils sont u n m o y e n économique d'atteindre riser au fil des ans si leur contenu est dépassé.
cet objectif ». E n 1976, Wagner (1977) pouvait L'Université, il faut lui rendre cette justice, est
indiquer que les économies d'échelle réalisées très consciente de ce problème.
par l'Université l'avaient été dans les premières Les écoles d'enseignement commercial par
années et que, par la suite, lorsqu'elle avait re- correspondance ont résolu ces problèmes en ne
pris le modèle universitaire classique, la pro- proposant que des cours dont les coûts d'élabo-
ductivité n'avait guère progressé. L a principale ration et de production sont relativement modi-
raison en était, selon lui, que les économies ques et en privilégiant ceux qui ne risquent pas
d'échelle découlant de l'augmentation d u n o m - de se démoder rapidement, tout en se gardant
bre des étudiants avaient servi à leur offrir de proposer des cours qui n'intéresseront jamais
davantage de cours. qu'un nombre assez faible d'élèves.
Cette démarche ne se justifiait toutefois que Les nouveaux systèmes utilisant des cours
jusqu'à u n certain point. A l'époque de ses sur vidéocassettes mis en œuvre par des établis-
102 Greville Rumble
tituer le capital nécessaire pour financer les certain nombre de cours ou, au contraire, ne
cours qui les remplaceront; enfin, d) les servira que pour u n ou deux. Dans la seconde
coûtsfixesde l'entreprise, y compris une pro- hypothèse, ou s'il est clair que les élèves n'ont
vision pour l'amortissement pour des équipe- pas les moyens d'acheter e u x - m ê m e s le maté-
ments (F). L e montant des droits pourra être riel, l'établissement devra sans doute envisager
d'autant plus réduit qu'il y aura davantage de le leur fournir. A u m o m e n t d u choix d u
d'élèves par cours (s') : support, il est très important de comparer le
0 , ?n + (C8/L) + F prix de l'équipement aux ressources des élèves.
¥ = £2 H ; . Il est certain que l'introduction des techno-
S
logies nouvelles peut modifier la structure des
U n e école de cette nature peut aussi chercher coûts de l'enseignement à distance, ainsi que la
à réaliser des bénéfices. participation respective des élèves et de l'éta-
Si les droits versés par les élèves ne suffisent blissement à ces dépenses. L'enseignement à
pas à couvrir la totalité des coûts, l'établis- distance est considéré c o m m e u n m o y e n d'a-
sement aura besoin de subventions de l'État baisser le coût par élève et, partant, d'attirer
ou d'autres sources. Il n'est pas étonnant, dans davantage de m o n d e . Il serait tout à fait para-
ces conditions, que les écoles d'enseignement doxal que l'adoption des nouvelles technologies
commercial par correspondance s'en tiennent de l'information reposant sur l'emploi de l'ordi-
à des cours ne nécessitant pas de constantes nateur et les derniers progrès en matière de télé-
mises à jour et propres à intéresser u n grand communication oblige les élèves à supporter
nombre d'élèves. Il est néanmoins toujours à une part accrue des coûts de leur apprentis-
craindre qu'un programme n'attire pas assez sage ; en effet, plus l'effort financier demandé
d'élèves pour fournir les moyens de renouveler aux élèves sera important, plus il est probable
le stock de cours et le reste d u capital i m m o - que seuls les mieux lotis pourront avoir accès
bilisé dans l'entreprise. D e fait, ce fut une des à l'enseignement à distance sans l'aide de l'État
pierres d'achoppement d u projet britannique ou de leur employeur. Si cette aide fait défaut,
O p e n Tech : une fois terminée la période des l'enseignement à distance fondé sur les tech-
aides de démarrage de l'État, il aurait fallu nologies « de pointe » ne fera que s'ajouter à la
que les cours s'autofinancent, mais ceux qui liste déjà longue des services accessibles seule-
attiraient suffisamment d'étudiants pour cela ment aux détenteurs de revenus disponibles
étaient relativement peu nombreux. suffisamment élevés. Les défavorisés, les chô-
Il y a lieu de mentionner ici u n autre aspect meurs et les travailleurs mal rémunérés devront
des coûts, à savoir ce que coûte aux élèves se contenter des systèmes traditionnels, peu
l'équipement dont ils ont besoin pour leurs coûteux, d'enseignement par correspondance
études. Selon le support choisi par l'établis- (qui utilisent l'imprimé, associé ou non à
sement, il leur faudra avoir accès à des types des cassettes sonores). D a n s les pays d u
de matériels différents. Certains appareils (ré- Tiers M o n d e , cette dernière forme de télé-
cepteurs radio, par exemple) sont déjà d'usage enseignement risque fort d'être la seule à pou-
courant et l'on peut légitimement attendre de voir être offerte, v u ce que coûtent la mise sur
tous les élèves qu'ils utilisent leur poste per- pied et le fonctionnement des systèmes de
sonnel. Pour d'autres (téléviseurs, magnéto- haute technicité.
phones, magnétoscopes, ordinateurs person-
nels), il s'agira de savoir s'ils sont déjà suffi- N o u s avons tenté ici d'expliquer pourquoi, en
samment répandus dans la population ou si vertu de structure de coûts différentes, les
l'on peut raisonnablement penser que le revenu systèmes d'enseignement à distance pouvaient
disponible des élèves leur permettra de les coûter moins cher par élève, par heure de cours
acquérir. L e choix pourra aussi varier selon ou par diplômé, que les systèmes traditionnels.
que l'appareil considéré s'impose pour u n D e plus, l'enseignement à distance peut être
L e régime économique d e renseignement de masse à distance IO5
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TENDANCES ET CAS
La décentralisation
de T éducation au Mexique
Carlos Órnelas
Dans le domaine de l'éducation, la plus impor- les déclarations d u Parti révolutionnaire insti-
tante des politiques arrêtées par le gouver- tutionnel (PRI), parti progouvernemental, d u -
nement d u président Miguel D e la Madrid rant la campagne pour les élections présiden-
(1982-1988) se résume en u n m o t : décentra- tielles de 1981-1982 o u dans les principaux
lisation. L a décentralisation d u système na- titres de la presse nationale de l'époque que
tional d'éducation est l'idée maîtresse de l'allo- j'ai parcourus. Pourtant, c'est u n e idée sur
cution prononcée lors de son entrée en fonc- laquelle le candidat à la présidence est revenu
tions, dans laquelle il proposait une stratégie avec insistance à maintes reprises2. Parmi les
de gouvernement concrète pour atteindre des travaux scientifiques publiés à l'époque sur la
buts démocratiques, déclarant notamment : question, on relève les articles de deux éminents
« N o u s œuvrerons dans le sens d'une décentra- chercheurs qui soutiennent que la décentrali-
lisation de la vie nationale [...] Reprenant à sation de la vie nationale est u n pas vers une
m o n compte une exigence nationale, j'ai décidé démocratisation accrue des pratiques politiques.
de promouvoir le transfert aux collectivités O n peut toutefois difficilement voir dans la
locales de l'enseignement préscolaire, primaire, publication de ces deux ouvrages savants l'ex-
secondaire et normal assumé par la Fédération pression d'une exigence nationale3. L a décen-
dans l'ensemble d u pays, ainsi que les res- tralisation de la vie nationale, et, partant, de
sources financières correspondantes [...] L e l'éducation, relève donc manifestement plus
pouvoir fédéral conservera les fonctions de d'une politique de l'État que d'une exigence
direction et d'évaluation qu'il exercera par politique populaire.
l'intermédiaire d u Secrétariat à l'éducation p u - Pourquoi le gouvernement fédéral d u
blique. Les droits d u travail d u corps ensei- Mexique a-t-il pris la décision de décentra-
gnant et son autonomie syndicale seront scru- liser le système national d'éducation, allant
puleusement respectés1. » ainsi à rencontre d'une tendance historique à la
O n chercherait en vain l'expression d'une centralisation ? Aucune réponse satisfaisante
exigence de décentralisation de l'éducation dans à cette question n'ayant encore été avancée, et
une grande partie des propos qu'elle suscite
étant soit n o n pertinents, soit contradictoires,
Carlos Órnelas (Mexique). Professeur en sciences il paraît raisonnable de procéder à une présen-
de l'éducation et de la communication à V Universi- tation systématique des principales interpré-
dad Autónoma Metropolitana-Xochimilco (Mexique). tations politiques qui ont été formulées jusqu'à
Conférencier invité et Fulbright Scholar à la Graduate présent, ce qui nous aidera peut-être à c o m -
School of Education de l'Université Harvard (1986-
prendre les raisons qui poussent le groupe
1987). Spécialiste de sociologie et de politique de l'édu-
cation. A , entre autres, publié, en collaboration avec
dominant à décentraliser l'éducation. Notre
Axel Didriksson, L a retórica de la eficiencia: ensayos objectif, dans le présent article, est de tracer
sobre la planificación de la educación en Mexico les grandes lignes d'une analyse qui permettra
de mettre mieux en lumière les dimensions
(La rhétorique de l'efficacité : essais sur la planification
de l'éducation au Mexique). historiques d u problème.
Perspectives, vol
I. XVIII, n» 1, 1988
Carlos Órnelas
no
ment futur de l'éducation scolaire, et nombre de et qu'on aurait donc tort de penser qu'elle a
problèmes créés par le gigantisme du S E P trou- beaucoup pesé dans la décision d u groupe do-
vent leur solution à l'échelon des États. Cela minant de décentraliser l'éducation. Rien ne
signifie également que la participation locale permet de penser qu'en cinq ans le système ait
au financement de l'éducation sera améliorée. gagné en efficacité o u l'éducation en qualité.
Les partisans de la décentralisation vont plus Il est donc important, semble-t-il, d'étudier les
loin en postulant que, d u fait m ê m e de sa dé- principaux conflits de pouvoir au sein d u sys-
centralisation, le système d'éducation répondra tème national d'éducation.
mieux aux besoins de la communauté et encou-
ragera par là m ê m e la participation des parents
et des élèves à l'administration des écoles. L e
Les rapports de pouvoir :
but ultime de la décentralisation de l'éducation
est d'améliorer la qualité de l'éducation. Cette
thèse n° i
amélioration, fait-on valoir, sera l'indicateur le
plus solide de l'efficacité d u système d'édu- L a croissance et l'expansion d u S E P et de son
cation23. appareil administratif ont non seulement ren-
Cet argument explique en partie les raisons forcé le pouvoir de l'administration fédérale,
que le groupe dominant peut avoir de décen- mais aussi donné naissance au syndicat national
traliser l'éducation. Il semble raisonnable de des enseignants. D'après des sources historiques
penser que le système sera moins complexe à fiables, le Sindicato Nacional de Trabajadores de
gérer dans la mesure où les unités de petite la Educación ( S N T E — Syndicat national des
taille jouiront d'une certaine autorité. Certaines travailleurs de l'éducation) a été créé en 1943
décisions prises à l'échelon local peuvent se par Jaime Torres Bodet, secrétaire à l'éducation
fonder sur u n e informationfiableet sur une publique. Auparavant, les enseignants et les
compréhension politique de la situation. C e - autres catégories de travailleurs relevant d u
pendant, cela suppose une dispersion d u pou- Secrétariat étaient organisés en une myriade de
voir, une diversification desfilièresen fonction petits syndicats qu'opposaient quantité de con-
des caractéristiques des États et des régions, flits et de rivalités. A u sein de certains de ces
donc, de la part des dirigeants d u S E P , la vo- syndicats, des postes de responsabilité politique,
lonté politique de modifier leurs habitudes et voire de direction, étaient aux mains d u parti
de renoncer à une partie de leur pouvoir. O r , communiste et d'autres courants de gauche, ce
le processus m ê m e de décentralisation de l'édu- qui explique en partie la politique officielle
vation est lui-même centralisé. C'est l'adminis- d'éducation socialiste suivie sous la présidence
tration centrale qui décide quand et dans quelle de Cárdenas (1934-1940)27.
mesure il doit y avoir délégation d'autorité24. L a création du S N T E a eu deux conséquences
Elle contrôle également l'aménagement des politiques. Premièrement, l'absorption d u syn-
programmes scolaires à l'échelle nationale et dicat par le parti progouvernemental a pro-
c'est elle qui élabore et distribue gratuitement gressivement réduit les germes de dissension ;
les manuels scolaires. E n outre, il ne semble pas deuxièmement, elle a permis au S E P d'appli-
que l'on puisse, quatre ans après le début de la quer ses politiques de l'éducation à l'échelle
décentralisation de la politique de l'éducation, nationale. Les salaires, les avantages, les pro-
citer un seul État fédéral auquel la bureaucratie motions et autres questions intéressant les
centrale d u S E P ait entièrement délégué l'ad- enseignants pouvaient dorénavant faire l'objet
ministration de l'éducation28. de négociations centralisées. L e pouvoir d u
Quant à l'amélioration de la qualité de l'édu- Comité directeur national du S N T E s'est ainsi
cation, on peut dire que, dans l'histoire d u trouvé renforcé non seulement par l'apport des
Mexique, elle a généralement été invoquée cotisations des m e m b r e s , mais aussi par sa posi-
c o m m e argument à l'appui de la centralisation28 tion centrale dans les négociations avec le S E P ,
La décentralisation de l'éducation au Mexique II3
qui lui permettait d'aborder pratiquement tout, la citation au début du présent article) et par le
des recrutements aux affectations. Secrétariat à l'éducation publique33, a pour
Souhaitant s'assurer la loyauté d u S N T E , le avantage de faire valoir le loyalisme à l'égard du
Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) lui a parti, de l'État et de l'éducation nationale d u
attribué des postes politiques, y compris des S N T E , qui, quoique de façon ambiguë, s'oppose
sièges de représentants locaux et fédéraux, des à la politique de décentralisation parce qu'il
fonctions dans les conseils municipaux, des prévoit qu'elle amoindrira son pouvoir et m i -
sièges au Sénat national et, surtout, il a offert nera son unité politique.
à certains enseignants la possibilité de faire Bien que très séduisante sous l'angle de
carrière en qualité de fonctionnaires d u S E P 2 8 . l'analyse politique, elle n'est pas entièrement
C'est ainsi que la direction et le fonctionnement satisfaisante. L e S N T E s'est révélé une machine
de certains sous-secrétariats et directions géné- politique efficace en période électorale. Il mobi-
rales étaient assurés par des fonctionnaires qui lise ses m e m b r e s pour organiser des rassemble-
avaient c o m m e n c é leur carrière c o m m e cadres ments et des meetings, des défilés d'élèves et
du S N T E et dont il est raisonnable de supposer des réceptions avec des candidats d u parti of-
qu'ils restaient loyaux à l'égard d u corps ensei- ficiel. Il est difficile de croire que le P R I voudrait
gnant. D e la sorte, des enseignants qui étaient démanteler u n mécanisme politique d'une telle
politiquement du m ê m e bord et œuvraient pour efficacité. E n outre, d'après des analyses con-
la m ê m e cause se retrouvaient de part et d'autre vaincantes, le S N T E a traditionnellement servi
de la table de négociations. Cette pratique était l'appareil d'État en canalisant les revendications
tolérée et m ê m e encouragée par le parti au de la base, en maintenant ses m e m b r e s dans
pouvoir. Il s'agissait d'un pacte corporatiste28. les limitesfixéespar le S E P et en réprimant très
Après bien des conflits internes, au début des souvent la dissidence politique34.
années 1970, le S N T E est finalement passé sous Par conséquent, on peut raisonnablement
la coupe d'un groupe appelé Vanguardia Revo- penser qu'en décentralisant le S E P l'État ne
lucionaria del Magisterio (Avant-garde révolu- cherche pas à démanteler le S N T E , mais à
tionnaire d u corps enseignant), dont la domi- conclure un nouveau pacte corporatiste en vertu
nation s'est exercée au sein d u syndicat, d u duquel le rôle prépondérant reviendra aux
parti, du S E P et d'autres branches de l'appareil pouvoirs publics dans la mesure où le syndicat
d'État, et qui représentait une force avec laquelle des enseignants devra traiter avec autant d ' e m -
il fallait compter 30 . ployeurs qu'il y a d'États dans le pays. Il y a
Tout au long de son histoire, le S E P a entre- donc modification des rapports de pouvoir entre
tenu des relations politiques contradictoires l'État et le S N T E et redistribution d u pouvoir
avec ses employés. Néanmoins, il était parvenu excessif du Comité national entre ses sections.
à u n accord institutionnel en vertu duquel les L a thèse d u S N T E ne peut toutefois être
dirigeants du syndicat pouvaient gravir les éche- entièrement repoussée. Si la décentralisation d u
lons de la hiérarchie du S E P en favorisant leurs système scolaire se poursuit, les relations poli-
propres intérêts corporatifs dans le cadre de la tiques entre l'État et le S N T E subiront des
politique nationale. L e S N T E a, au cours de modifications fondamentales, mais le syndicat
l'histoire, soutenu le processus de centralisation. national ne disparaîtra pas.
Il est l'avocat le plus fervent de la fédéralisation,
par souci d'assurer des conditions de travail
égales aux enseignants dans tout le pays31. Les rapports de pouvoir :
L a décentralisation de l'éducation, s'il faut thèse n° 2
en croire d'éminents représentants du syndicat,
vise à démanteler le S N T E et à dénationaliser L'augmentation des effectifs scolaires et la
l'éducation32. Cette thèse, jusqu'à présent vi- complexité croissante de la concentration d u
goureusement contestée par le président (voir pouvoir au sein du Comité national d u S N T E
114 Carlos Órnelas
ont suscité d'autres conflits de nature politique. son de sa mainmise corporatiste sur les organisa-
A la fin des années 1970 et au début des an- tions d'enseignants. E n outre, tout au moins
nées 1980, époque d u b o o m pétrolier, des res- dans les États de Chiapas et de Oaxaca, il
sources considérables ont été injectées dans le semble que les dirigeants des sections mènent
système d'éducation. L a politique officielle vi- une politique antihégémonique, prennent le
sait à satisfaire 95 % des demandes d'inscrip- contrôle des établissements scolaires et créent
tion. L e m o t d'ordre était : « Éducation pour des organisations politiques de paysans et d'ou-
tous ». Beaucoup d'écoles ont été construites, vriers plus indépendantes. Dans u n climat de
beaucoup d'institutions créées ( m ê m e s'il s'agis- lutte, de répression et de mobilisation, les forces
sait d'institutions centralisées, c o m m e l'Institut contestataires tentent d'affaiblir l'hégémonie du
national d'éducation des adultes), des milliers parti officiel et menacent de prendre le contrôle
de nouveaux maîtres recrutés35. des masses d'enseignants organisées dans le ca-
L'encombrante structure bureaucratique du dre du syndicat3'. Si cela se produit, le P R I
S E P n'était pas prête à réagir à l'incorporation perdra l'un de ses piliers.
rapide de nombreux enseignants. Les dossiers Selon cette thèse, l'État, en décentralisant
avançaient lentement ; les enseignants nouvel- l'éducation, cherche à régler à l'échelon local
lement recrutés n'étaient portés sur les états de un certain nombre de conflits politiques de di-
paie qu'après bien des mois, voire au bout d'un vers types. L'argument est le suivant : dès lors
an ou deux ans ; les enseignants étaient mutés que le système est décentralisé, il doit être
sans raison, sur décision administrative ; les possible de circonscrire la dissidence aux États
fonctionnaires d u S E P ne répondaient pas aux où elle a déjà conquis des positions politiques,
revendications des enseignants qui réclamaient d'éviter que les idées contestataires ne gagnent
des indemnités plus substantielles pour travail- d'autres sections du S N T E et, dans un deuxième
ler en milieu rural, etc. Très vite, les enseignants temps, de concevoir les moyens de récupérer
commencèrent à se plaindre et à protester. L a ces positions pour le P R I . Il apparaît que le
direction nationale et les directions des sec- Groupe révolutionnaire d'avant-garde brûle de
tions, au lieu de prendre la tête de leurs revendi- ce faire et s'y emploie 38 .
cations, s'efforçaient de les contenir et de refou- Les dissidents ne se sont guère manifestés
ler les protestations36. lorsque la décentralisation de l'éducation a été
L e fait que les revendications des enseignants annoncée, alors m ê m e que la campagne prési-
demeuraient sans effet et étaient étouffées par dentielle a coïncidé avec l'apogée de leur m o u -
le S N T E est l'une des causes qui expliquent la vement 39 . Il est raisonnable de supposer, en
croissance, en leur sein, d'un mouvement contes- postulant u n certain réveil d u P R I , que leurs
tataire qui, de 1978 à 1981, s'est peu à peu revendications ont en partie décidé le groupe
affirmé sur le plan politique, protestant, par dominant à décréter que la décentralisation de
exemple, contre le non-versement des salaires, l'éducation améliorerait l'efficacité d u parti et,
mettant en cause la direction d u S N T E et exi- par conséquent, éviterait des conflits sociaux
geant un syndicat plus démocratique. Tant et si importants. D ' u n autre côté, il est difficile de
bien qu'en 1981 des forces indépendantes (se croire que ce mouvement, au demeurant fort
situant dans la mouvance de partis et de groupes important dans la vie politique mexicaine, ait
politiques de gauche) ont, à la suite d'élections pu, à lui seul, exercer une telle influence sur la
démocratiques, pris la tête des sections d u politique nationale.
S N T E dans les États de Chiapas et d'Oaxaca
et fait la démonstration de leur présence poli-
tique en maints autres endroits du pays.
Les forces contestataires mettaient en cause
à la fois le Comité national, en raison de ses
politiques antidémocratiques, et l'État, en rai-
La décentralisation de l'éducation au Mexique US
politiques et internationales et tels autres as- Street, « Educational decentralization: weak state or
strong state ? », Comparative education review, vol. 30,
pects qui peuvent surgir.
n° 4 , nov. 1986, p . 471-490.
Tous ces éléments s'insèrent dans u n cadre 6. Guadalupe M o n r o y Huitron, Política educativa de la
analytique qui tient compte des conflits et des Revolución (1910-1940), Mexico City, SEPsetentas,
contradictions de la politique de l'éducation au I975J P- 29-31-
Mexique. A u cœur de cette théorie se trouvent 7. Voir Isidro Castillo, México, sus revoluciones sociales y
les concepts de structures profondes et de struc- la educación, Morelia, Gobierno del Estado de Michoa-
can, 1976, vol. Ill, chap. n .
tures superficielles. Entrent dans la catégorie des
8. L a politique d'éducation socialiste (1934-1940) visait
structures profondes les tendances et les c o m - à modifier le rapport de l'éducation à la société, à
portements politiques qui sont difficiles à m o d i - améliorer les conditions de vie des gens et à moder-
fier soit en raison de leur origine historique, soit niser le système scolaire.
parce qu'ils sont profondément enracinés dans 9. Carlos Órnelas, « L a educación técnica y la ideología
la société ; quant aux structures superficielles, de la Revolución mexicana », dans « Graciela Lechuga
(dir. publ.), La ideología educativa de la Revolución
elles découlent des structures profondes, mais mexicana, Mexico, Universidad A u t ó n o m a Metro-
sont plus faciles à réformer. politana-Xochimilco, 1984, p . 51-60.
Ces concepts peuvent aider à fonder la thèse 10. Voir Ulises Beltrán et Santiago Portilla, « El proyecto
selon laquelle l'État mexicain a effectivement de descentralización del gobierno mexicano », dans :
amorcé une tendance à la décentralisation de Blanca Torres (dir. publ.), Descentralización y demo-
cracia en México, Mexico, El Colegio de México, 1986,
l'éducation ( c o m m e d'ailleurs d'autres services p. 91-118; Elena Jeannetti Dávila, « Descentrali-
publics), mais en visant à décentraliser les zación de los servicios de salud », ibid., p . 175-204.
structures peu profondes d u système d'éduca- 11. L'insistance avec laquelle le secrétaire à l'éducation
tion de façon à centraliser les structures pro- Jesús Reyes Heroles soulignait ce point a donné nais-
sance à un véritable discours officiel sur la révolution
fondes. E n d'autres termes, l'État mexicain vise
qui s'opérait dans le domaine de l'éducation. S'agis-
à décentraliser l'appareil administratif et les sait-il ou n o n d'une révolution ? C'est là u n point que
rouages d u système national d'éducation de je ne discuterai pas ici. Qu'il suffise de dire que ce dis-
façon à centraliser le pouvoir de l'État. • cours a imprégné toutes les déclarations publiques et
les décrets officiels. Cependant, je n'analyserai pas
dans le présent article les implications de ces éléments
parce que ce discours sur la révolution dans l'éduca-
tion semble avoir été discrètement abandonné après
Notes la mort de Reyes Heroles.
i. Miguel D e la Madrid, « Protesta de L e y c o m o Presi- 12. Francisco Gil Villegas, « Descentralización y d e m o -
dente de los Estados Unidos Mexicanos ». L e teste cracia: une perspectiva teórica », dans : Blanca Torres,
intégral de l'allocution est paru dans El día d u op. cit., p . 33-67. Gil Villegas conclut que de nos jours,
2 décembre 1982. plutôt que de décentraliser, mieux vaut disperser le
2. Miguel D e la Madrid, Manual síntesis de pensamiento pouvoir de façon à démocratiser la vie politique et
político (Mexico, Partido Revolucionario Institucional, sociale au Mexique, ce qui revient implicitement à
1982). dire que la politique de décentralisation telle que la
3. Alejandra M o r e n o Toscano, « Descentralización: conçoit le groupe dominant au Mexique n'entraîne
México, modelo a desarmar », dans : Hector Aguilar pas nécessairement u n processus de démocratisation.
C a m i n (dir. publ.), El desafío mexicano, Mexico City, 13. E n fait, quelques jours après son entrée en fonctions,
Océano, 1982, p . 165-174 ; Enrique Florescano, le président Miguel D e la Madrid a saisi le Congrès
« Política cultural: inversión del desperdicio », ibid., fédéral d'un projet de loi tendant à amender la Consti-
p. 307-318). tution nationale (art. 115), pour doter les municipalités
4. Jesús Reyes Heroles, Educar para construir una socie- de leurs propres sources de revenus et d'une indé-
dad mejor, Mexico City, Secretaria de Educación pendance politique formelle par rapport aux gouver-
Pública, 1985, p . 74. nements des États. Les amendements ont été approu-
5. Noel M c G i n n et Susan Street soutiennent de façon vés en décembre 1982. Auparavant, l'affectation de
convaincante que la décentralisation de l'éducation ressources aux municipalités dépendait d u b o n vou-
telle qu'elle a été conçue dans beaucoup de pays ne loir politique des gouverneurs des États ; voir Direc-
conduit pas nécessairement à une participation élargie ción de Asuntos Jurídicos, El marco legislativo para el
des gens à la prise de décision, ni à une gestion d é m o - cambio, Mexico, Presidencia de la República, 1983,
cratique et efficace; voir Noel M c G i n n et Susan vol. 3 , p . 10-21.
L a décentralisation d e l'éducation au M e x i q u e II7
14. Les exemples de conflits abondent, depuis celui qui 22. D a n s le droit administratif mexicain, déconcentration
portait sur la politique de distribution gratuite de et décentralisation sont deux choses tout à fait dis-
manuels nationaux, décidée par le président López tinctes. L a décentralisation est la délégation d'auto-
Mateos et contestée par la droite traditionnelle, jus- rité ou de fonctions faite par une institution supérieure
qu'aux nombreux mouvements estudiantins des an- à une institution inférieure, Elle implique également
nées i960 revendiquant l'autonomie universitaire et l'autonomie de décision, tout au moins sur certains
u n gouvernement démocratique. O n trouvera u n e points essentiels. L a déconcentration est une repré-
analyse de ces derniers dans Fernando Solana et al., sentation de l'autorité centrale au niveau des différents
Historia de la educación pública en México, Mexico, États. C'était par exemple le cas des delegados du S E P
Fondo de Cultura Económica, 1981, et d u premier dans les trente et u n États ; voir Gabino Fraga, Dere-
conflit dans Gilberto Guevara Niebla (dir. publ.), La cho administrativo, Mexico, Porrua, 1964, 7 e éd.,
crisis de la educación superior en México, Mexico, P- 134-135-
N u e v a Imagen, 1981 ; Daniel Levy, University and 23. Les sources abondent où l'on peut trouver ce type de
government in Mexico: autonomy in an authoritarian discours ; voir Poder Ejecutivo Federal, Programa
system, N e w York, Praeger, 1980 ; Carlos Órnelas, nacional de educación, cultura, recreación y deporte,
« £1 estado y las fuerzas democráticas », dans : Foro 1984-1988, Mexico, Secretaria de Educación Pública,
universitario, n° 43, juin 1984. 1984 ; voir également Juan Prawda, Teoria y praxis
15. Alejandra M o r e n o Toscano, « Desarrollo regional y de la planeación educativa en México, Mexico, Gri-
descentralización educativa », communication présen- jalbo, 1985, en particulier le chapitre v u , p . 283-291.
tée lors de VEncuentro sobre [la] descentralización de 24. L'article premier d u décret présidentiel d u
la vida educativa, Mexico, Universidad Nacional 20 mars 1984 stipule clairement que toutes les mesures
Autónoma de Mexico, 22 sept. 1983, miméographie. de décentralisation de l'éducation seront conformes
16. Il s'agit de chiffres estimatifs empruntés au Secré- aux directives établies par le gouvernement fédéral et
tariat à l'éducation publique, Estadística básica de aux normes juridiques fixées par le S E P . Diario
sistema educativo mexicano, Mexico, S E P , 1984 j Aso- oficial, n» 74, vol. C C C L X X I I I , 20 mars 1984.
ciación Nacional de Universidades e Instituciones de 25. Cette assertion se fonde sur des observations faites sur
Enseñanza Superior, Anuarios estadísticos (pour les le terrain et de nombreux entretiens avec des fonction-
années 1979-1982), México, A N U I E S , 1980-1983 ; naires d u S E P dans les États de Michoacan, Durango,
Organisation des États américains, Los perfiles educa- N u e v o L e ó n et Aguascalientes de 1984 à 1986 ; voir
tivos de América Latina: perfil educativo [de] México, également le document de travail du S E P « Avance de
198s, Washington, O E A , Programme régional de los servicios coordinados de educación pública », publié
développement de l'éducation, 1986. par la Dirección de A p o y o y Seguimiento, Dirección
General de Concertación para la Descentralización
17. Il est intéressant de noter que personne, à m a connais-
Educativa, Coordinación General para la Descentra-
sance, n'a fait de recherches importantes sur le Comité
lización de la Educación, août 1986. C e document
Administrador del Programa Federal de Construcción
montre clairement que, dans dix des douze États ana-
de Escuelas (CAPFCE), qui fonctionne depuis sa
lysés, le processus de décentralisation ne s'applique
création, dans les années 1950, avec une adminis-
qu'aux questions d'administration.
tration décentralisée.
26. Alberto Arnaud, communication présentée à VEn-
18. Ainsi, semble-t-il, la réforme de l'éducation que tenta
cuentro sobre [la] descentralización de la vida educativa,
de mettre en œuvre le président Luis Echeverría
op. cit., p . 84 ; Gabriel Cámara, « Educación básica y
de 1970 à 1976 ; voir Pablo Latapi, Análisis de un
descentralización », dans : Luis Aguilar et al., Los
sexenio de educación en México: 1970-1976, Mexico,
grandes problemas educativos de México, Mexico, U n i -
N u e v a Imagen, 1980.
versidad Nacional Autónoma de México, 1984, p. 85.
19. O n trouvera une analyse détaillée du processus d'affec-
27. David Raby, Educación y revolución social en México,
tation des ressources dans l'enseignement public au
Mexico, SEPsetentas, 1975, p. 51-64 et 98-107.
Mexique dans Noel M c G i n n , Susan Street et Guil-
28. Castillo, op. cit., vol. Ill, p . 468 et passim.
lermo Orozco, La asignación de recursos económicos a la
29. A m a l a d o Cordova, La clase obrera en la historia de
educación pública en México, Mexico, Fundación Javier
México en una época de crisis: 1929-1934, Mexico,
Barros Sierra, 1983. Cette étude traite également de la
Siglo Veintiuno/Instituto de Investigaciones Sociales
déconcentration de l'éducation, sur laquelle nous
de la U N A M , 1981, p. 234-240 ; Carlos Órnelas, « L a
reviendrons plus loin.
educación técnica y la ideología de la Revolución
20. Voir le discours prononcé le 20 mars 1984 à Tlaxcala
mexicana », dans Graciela Lechuga, op. cit., p . 55.
par le président Miguel D e la Madrid, Excelsior,
30. Susan Street, « Vuelven los maestros chiapanecos »,
21 mars 1984.
México en la cultura, siempre!, n° 1301, 5 mars 1987,
21. Voir le recueil des discours prononcés par le secrétaire p. 40-41.
à l'éducation durant ces années, Fernando Solana, 31. José Angel Pescador et Carlos Torres, Poder político
Tan lejos como llegue la educación, Mexico, Fondo de y educación en México, Mexico, U T E H A , 1985,
Cultura Económica, 1983. p. 27-32.
II8 Carlos Órnelas
32. C e n e question est au cœur de beaucoup de discours 45. Jean C . Robinson, « Decentralization, m o n e y and
prononcés par les dirigeants d u syndicat. O n trouvera power: the case of people-run schools in China »,
une documentation à ce sujet dans Gilberto Guevara Comparative education review, vol. 3 0 , n ° 1, 1986,
Niebla, « L a descentralización d e la educación p ú - p . 73-88 ; C h e n g Kai M i n g , « China's recent edu-
blica », Nueva antropología, vol. V I , n° 2 , juin 1983, cation reform: the beginning of an overhaul », Compa-
p . 5-14, et Noel M c G i n n et Susan Street, « Educa- rative education, vol. 22, n° 3,1986, p . 255-269.
tional decentralization: week state or strong state? », 46. Voir, par exemple, G . Sabir C h e e m a et Dennis R o n -
op. cit., p . 486-487. dinelly (dir. publ.), Decentralization and development:
33. Jesús Reyes Heroles, Reunión con los dirigentes nacio- policy implementation in developing countries, Beverly
nales y seccionales del SNTE, Mexico, Secretaria de Hills, Sage Publications, en collaboration avec le
Educación Pública, 1983, brochure. Centre des Nations Unies pour le développement
34. Olac Fuentes Molinar, Política y educación en México, régional, 1983.
Mexico, N u e v a Imagen, 1983, p . 100-122 ; Carlos 47. Cette thèse est clairement exposée par George Psacha-
Monsiváis, « Muerte, cárcel, h a m b r e , agresiones, ropoulos et al., Financing education in developing
mítines y marchas: los maestros de Chiapas pagan countries: an exploration of policy issues, Washington,
caro el intento de escapar del poder de Jonguitud », Publications de la Banque mondiale, 1986.
Proceso, n° 544, 6 avr. 1987, p . 20-23 ; Susan Street,
« Vuelven los maestros chiapanecos », México en la
cultura, n° 1301, mars 1987.
35. Fernando Solana, Tan lejos como llegue la educación,
op. cit., p . 59-71.
36. Olac Fuentes, Política, ... op. cit. : p . 100 à 145 et
« Educación pública y sociedad » dans Pablo Gonzalez
Casanova et Enrique Florescano (dir. publ.), México
hoy (Mexico: Siglo Veintiuno, 1979).
37. Voir Fuentes, Política y educación en México, op. cit.,
et Street, « Vuelven los maestros chiapanecos »,
México en la cultura, n° 130t, mars 1987.
38. Voir Proceso, n° 5 4 3 , 3 0 mars 1987, p . 31 ; La jornada,
3 avril 1987, p . 7 , qui fournissent quelques exemples
de cet argument. Interview d e M a n u e l Hernández,
dirigeant de la section 7 d u S N T E d u Chiapas, 27 n o -
vembre 1983.
39. M a de la L u z Arriaga, « El magisterio en lucha »,
Cuadernos políticos, n ° 2 7 , 1981, p . 79-101 ; Luis
Hernández Fuentes (dir. publ.), Las luchas magiste-
riales: 1979-1981, Mexico, Macehual, 1981.
40. Cette théorie a été pour la première fois appliquée de
façon systématique au Mexique dans Fernando Car-
m o n a et al., El milagro mexicano, Mexico, Nuestro
T i e m p o , 1 9 7 0 ; pour leur application à l'éducation,
voir Martin Carnoy, Education as cultural imperialism,
N e w York, David M a c K a y , 1974.
41. Noel M c G i n n et Susan Street, « Educational decen-
tralization: week state or strong state? », op. cit., p. 471-
490.
42. M a r k Bray, « Education and decentralisation in less
developing countries: a c o m m e n t and general trends,
issues and problems, with particular reference to
Papua N e w Guinea », Comparative education, vol. 21,
n° 2 1 , 1 9 8 5 , p . 183-195.
43. Juan Banquicio, « T h e decentralization of education
in the Philippines », Harvard Graduate School of
Education, cours miméographié.
44. Joel Samoff, « T h e politics of privatization in Tanza-
nia », communication présentée à la trente et unième
Conférence annuelle de la Comparative and Inter-
national Education Society, Washington, 12 au
15 mars 1987.
Le programme
cf éducation rurale
et d'agriculture ( R E A P )
du Belize
Zellynne Jennings
D e quel type d'éducation a besoin la jeunesse origine dans le Tiers M o n d e et qui a donné de
rurale des pays en développement ? C'est là fort bons résultats : le Programme d'éducation
une question qui fait l'objet de vives contro- rurale et d'agriculture ( R E A P ) au Belize. Nous
verses. D'aucuns sont favorables à u n système verrons quels sont les principaux facteurs qui
unique d'enseignement général uniformément ont contribué à son succès et nous chercherons,
valable pour les jeunes des villes et pour ceux plus précisément, à déterminer dans quelle m e -
des campagnes, tandis que d'autres préconisent, sure le R E A P remplit la mission qu'il s'était
pour la jeunesse rurale, un enseignement axé assignée : susciter une attitude positive à l'égard
sur l'agriculture en faisant valoir que le système de l'agriculture et inciter les jeunes à demeurer
d'enseignement traditionnel s'est révélé inca- dans les régions rurales d u pays pour s'y
pable de répondre convenablement aux besoins consacrer à des travaux agricoles. U n e place
des zones rurales (Coombs, 1973) et qu'un en- particulière sera faite au processus d'évolution
seignement à vocation agricole aiderait à conte- du R E A P , qui devrait fournir d'utiles indica-
nir le vaste mouvement de migration vers les tions en particulier aux planificateurs de l'édu-
villes (Balogh, 1966). cation dans le Tiers M o n d e , étant donné que le
Si certaines tentatives destinées à répondre R E A P est considéré c o m m e u n modèle par des
aux besoins éducatifs des populations d'origine pays d'Amérique latine, d'Afrique et des C a -
rurale, telle l'Université rurale en Colombie raïbes (Massey, 1982). Avant toute chose, ce-
(Barber, 1981), ont été couronnées de succès, pendant, il semble utile de donner u n aperçu
de nombreuses autres ont échoué. C e n'est tou- du Belize et quelques renseignements généraux
tefois pas d'un échec que rend compte le pré- sur son système éducatif.
sent article, mais d'une innovation qui a son
Aperçu du Belize
Zellynne Jennings (Jamaïque) est maître de confé-
D ' u n e superficie de 22 963 k m 2 seulement, le
rences et directrice du Département des études péda-
gogiques à V Université des Antilles. Ses travaux portent
Belize (ancien Honduras britannique) est bordé
principalement sur la réforme et l'évolution des pro- au nord par le Mexique, à l'ouest et au sud par
grammes scolaires dans le Tiers Monde et sur l'inté- le Guatemala, à l'est par la mer des Antilles.
gration d'activités de production dans renseignement. L a population totale n'est que de 152 000 habi-
tants environ, ce qui donne une densité de tienne pas grand compte de la diversité cultu-
quelque 6,6 habitants au kilomètre carré. Bien relle des élèves.
que le Belize soit la plus déshéritée des anciennes Le taux d'échec au certificat national d'études
colonies britanniques des Caraïbes, elle est primaires ( B N P E ) , qui ouvre l'accès à l'ensei-
dotée d'une diversitée culturelle que lui envient gnement secondaire, est si élevé que près de la
nombre de ses voisins. L a population bélizienne moitié des élèves du primaire ne peuvent pour-
est composée, à quelque 50 %, de créoles (Afro- suivre leurs études plus avant. Les enfants des
Béliziens), à 25 % environ, de métis (Hispano- campagnes sont particulièrement défavorisés
Amérindiens), de Caraïbes noirs (descendants puisque 40 à 50 % d'entre eux ne vont jamais
d'Africains et d'Indiens caraïbes) et de des- au-delà de la huitième année (Massey, 1982).
cendants des Mayas. Parmi les autres groupes Ceux qui parviennent à entrer dans l'une des
ethniques, on compte des Antillais, des Chinois, vingt-deux écoles secondaires d u pays et à y
des Libanais et un petit nombre de Mennonites achever leurs études se heurtent ensuite au
d'expression allemande. m a n q u e de possibilités d'études supérieures.
L'économie du Belize repose principalement U n collège catholique romain privé délivre,
sur l'industrie sucrière, la culture des agrumes après deux années, u n diplôme combiné en
et la pêche; le tourisme n'y occupe qu'une lettres et en sciences, tandis qu'une antenne de
place accessoire. L a richesse d u Belize réside l'Université des Antilles organise des cours de
cependant dans ses terres. Les terres arables niveau universitaire en liaison avec l'École nor-
représentent 40 % de la superficie totale, mais male d u Belize ( B C E ) . Enfin, le Collège des
ne sont cultivées qu'à 10 % : d'où une dépen- lettres, des sciences et de la technologie d u
dance à l'égard de l'étranger pour les denrées Belize (Belcast) forme des techniciens de dif-
alimentaires, qui grève l'économie nationale. férents niveaux.
L'agriculture de subsistance, la pénurie rela-
tive de services publics, les taux élevés de chô-
mage et de sous-emploi contribuent à alimenter R E A P : le processus d'évolution
un mouvement de migration des campagnes
vers les villes et vers la capitale, Belize City. Le R E A P a été conçu en vue de préparer les
Pour contenir ce mouvement, les pouvoirs pu- enfants des campagnes à mener une vie plus
blics s'efforcent, depuis le début des an- gratifiante et de leur permettre de participer,
nées 1970, d'orienter le système éducatif vers pour le bien de la nation c o m m e dans leur
l'agriculture dans l'espoir de mettre en valeur propre intérêt, au développement de l'agri-
les richesses potentielles du pays. culture, sur laquelle repose l'économie natio-
nale. Les moyens envisagés pour parvenir à ces
objectifs consistaient à élaborer u n nouveau
Le système éducatif du Belize programme scolaire adapté à la vie rurale, à
dispenser aux enseignants une nouvelle forma-
A u Belize, l'enseignement primaire est gratuit tion plus centrée sur le développement rural et
et obligatoire jusqu'à l'âge de quinze ans. A u sur l'intégration des programmes. Par sur-
terme de huit années d'études, l'enfant atteint croît, des fermes scolaires devaient être créées
l'équivalent de la huitième année dans le sys- pour servir de laboratoires extérieurs.
tème américain. L e pays compte deux cent L e R E A P a été mis sur pied par u n groupe
trois écoles primaires, dont 75 % environ sont unique composé de représentants des minis-
situées en milieu rural. Inspiré du modèle édu- tères de l'éducation et des sports, de l'aide so-
catif britannique, le programme scolaire d u ciale et des ressources naturelles (agriculture),
primaire est constitué essentiellement de matiè- d'organisations internationales telles que le
res empruntées au R o y a u m e - U n i et aux États- C A R E (Cooperative American Relief Every-
Unis d'Amérique, ce qui explique qu'il ne where), le Heifer Project International (HPI) et
L e p r o g r a m m e d'éducation rurale et d'agriculture ( R E A P ) d u Belize 121
Septembre 1975 1. Examen par le Comité consultatif du problème de l'école primaire rurale
2. Recherche de solutions
Décision collective
1976 1. Invention du R E A P : conception
2. Signature par le gouvernement d'un accord pour le programme pilote R E A P avec le C A R E ;
le H P I et l'US Peace Corps
Planificationldéveloppementladoptionldiffusion
1. Cours de formation pour les enseignants des écoles pilotes
2. Nomination d u coordonnateur et directeur du R E A P
Septembre 1976 3. Début de la phase pilote
a) Préparation des terrains agricoles par le Ministère de l'agriculture : début de la
construction des O D E C
1977 b) Atelier pour les enseignants
Bulletin d'information du R E A P
c) Début du REAP
d) Retrait de la seule école secondaire participante
e) Atelier destiné à orienter les diplômés d u B C E vers le R E A P
f) Production du premier guide des programmes d'études du R E A P
1978 g) Atelier sur la rédaction des L A P
h) Élaboration de 42 L A P
i) Réunion d u Conseil communautaire du R E A P avec le R H A P - A C
Septembre 1978 j) Mise en œuvre des L A P dans les écoles
1979 * ) Production du guide Récoltons ensemble
l) Les premiers enseignants formés au R E A P sortent du B C E
m) Évaluation préliminaire du R E A P
Juillet 1979 4 . Début de la phase intermédiaire (échelon des districts)
a) Atelier destiné aux enseignants et directeurs des écoles pilotes : élaboration d'autres L A P .
Révision du guide des programmes d'études du R E A P
1980 b) Atelier de démonstration sur l'utilisation de l'équipement scientifique de laboratoire à
l'intention des maîtres des écoles pilotes
1981 c) Évaluation complémentaire du R E A P
d) Décision de créer les conseils de district du R E A P
e) Émission radiophonique » L'expérience R E A P »
f) Inauguration des premières unités de stockage
g) Impression et publication de 103 L A P
1982 h) Création des conseils de district du R E A P
Juillet 1982 Début de la phase nationale
a) Expansion du R E A P
b) Transfert aux organisations nationales de la fonction de soutienfinancierassurée par les
organismes internationaux
Septembre 1984 c) Adhésion d'écoles primaires urbaines
Septembre 1985 d) Institutionnalisation : poursuite de l'expansion du R E A P
122 Zellytme Jennings
T U S Peace Corps. Ce groupe devait constituer liers a permis de former les enseignants à l'uti-
plus tard le Comité consultatif du R E A P lisation du matériel et à la tenue des dossiers.
(REAP-AC). Ils ont également été initiés aux techniques
L e R E A P a été conçu en trois phases (voir agricoles ainsi qu'aux principes d'élaboration
tableau i) et dix ans se sont écoulés avant que des programmes en ce qui concerne, par exem-
le programme ne soit pleinement institution- ple, l'intégration et la définition des objectifs.
nalisé. A u x termes d'un accord entre le gouver- Vingt ateliers semblables ont été organisés au
nement bélizien et les organismes internatio- cours de la deuxième phase (échelon des dis-
naux concernés, ces derniers devaient fournir tricts).
au cours de la phase pilote (juillet 1 9 7 6 - A u cours de certains de ces ateliers ont été
juin 1979) l'essentiel de l'assistance technique élaborés des « dossiers d'apprentissage » (LAP).
et matérielle et de l'appui logistique nécessaire. Il s'agit de plans généraux de leçons de tel ou
A u cours de cette phase, le R E A P a été mis en tel niveau qui indiquent aux enseignants les
œuvre à titre expérimental dans huit écoles objectifs à atteindre dans chacun des domaines
primaires de trois districts (Toledo, Stann d'étude couverts par le R E A P et leur fournis-
Creek et Belize) et dans une école secondaire. sent des suggestions d'activités, les matériels
D e plus, l'École normale du Belize (BCE) a mis pédagogiques requis et des références de lec-
au point u n programme spécial de formation à ture. Ces dossiers portent sur neuf domaines
l'intention des enseignants destinés à exercer d'étude : terre et eau, sols, santé et nutrition,
dans les écoles du R E A P . D e m ê m e , dans chaque écologie, animaux, étude d u village, conditions
école pilote, on a commencé à construire des météorologiques, plantes et pratiques agricoles.
centres éducatifs extérieurs ( O D E C ) , compre- Ce sont ces «filsconducteurs » qui permettent
nant u n nouveau bâtiment, u n potager, des d'intégrer les disciplines classiques : lettres,
champs de culture, des clapiers, etc., en vue de mathématiques, études sociales, sciences, arts
la mise en application pratique, dans u n cadre et religion.
agricole, des connaissances acquises par les Diverses stratégies ont été utilisées pour dif-
élèves. Des unités de stockage se sont par la fuser l'information relative au R E A P , à l'inten-
suite substituées à ces O D E C . U n certain tion tant des enseignants et des directeurs (en
nombre de ces unités ont été construites au complément des ateliers) que du grand public.
cours de l'année scolaire 1981-1982. L e H P I a C'est ainsi que la diffusion d'un bulletin d'in-
fourni à prix coûtant des mangeoires, des gril- formation a débuté en 1977 et que, la m ê m e
lages, des poussins, des lapereaux et une partie année, une émission radiophonique bihebdo-
des produits alimentaires. Les volontaires du madaire a commencé à être diffusée. S'y est
Peace Corps ont assuré à la fois l'appui techni- ajoutée, en 1981, une autre émission hebdo-
que et la coordination des écoles pilotes ainsi madaire de cinquante minutes intitulée « L'ex-
que des enseignements dans le cadre d u pro- périence R E A P ». L a promotion du R E A P a
g r a m m e B C E / R E A P . L e C A R E a fourni les également été assurée au moyen de la présen-
outils, l'équipement, certaines fournitures agri- tation de diapositives dans les associations
coles, assuré une partie des transports et ap- d'action sociale et les cercles communautaires.
porté une assistance financière pour la cons- U n manuel agricole du R E A P , Récoltons en-
truction des O D E C . L e Ministère bélizien de semble, a été publié en 1979. O n y trouve les
l'éducation a eu la charge de former les ensei- rudiments des techniques de culture des légu-
gnants et les directeurs des écoles pilotes et de mes et d'élevage des poulets et des lapins en
fournir u n fonctionnaire dont le rôle était de région tropicale.
gérer le projet. L a formation a été dispensée, La deuxième phase a eu pour principal objet
en grande partie, dans le cadre d'ateliers dont d'étendre le R E A P aux trois autres districts du
la durée a varié de deux jours à deux semaines. Belize (Corozal, Orange Walk et Cayo) et de
D e juillet 1976 à février 1979, une dizaine d'ate- transférer progressivement aux ministères, aux
Le programme d'éducation rurale et d'agriculture ( R E A P ) du Belize 123
responsables de district, aux groupes c o m m u - classique des autres écoles, renforcent par consé-
nautaires et aux organismes d'action sociale la quent une attitude à l'égard de la terre qui
responsabilité de la plus grande partie de l'assis- existe déjà et qui découle de l'expérience sociale
tance technique et matérielle et d u support et économique d u paysan bélizien. Cette m ê m e
logistique assurés jusque-là par les organismes attitude se retrouve dans la façon dont les ensei-
étrangers. A u terme de la dernière phase (ni- gnants des écoles du R E A P jugent le programme
veau national), le R E A P devait avoir été étendu qui, selon eux, « donne aux élèves une meilleure
aux deux tiers environ de l'enseignement pri- idée de l'agriculture », « leur permet de devenir
maire rural, en incorporant les écoles urbaines leurs propres patrons » et « aide les familles à
dans la mesure du possible. C e sont les conseils améliorer leur alimentation ». Ces enseignants
de district pour le R E A P qui ont assumé la estimaient que le programme d'agriculture
plus lourde partie de la tâche. Ces conseils, devrait être sanctionné par u n examen officiel ;
présents dans chacun des six districts, sont pour leurs collègues ne participant pas au
composés des directeurs de toutes les écoles R E A P , ce n'était pas nécessaire, étant donné
R E A P d u district, des responsables locaux de que l'agriculture ne constituait pas u n domaine
l'éducation et de l'agriculture, des directeurs d'étude aussi important que les matières clas-
des écoles religieuses locales, ainsi que de repré- siques. Les uns et les autres convenaient de « la
sentants des parents, des ministères et des dignité qui s'attache au travail manuel », mais
organisations sociales. Ils ont pour principales les enseignants extérieurs au programme R E A P
fonctions de faciliter la mise en place et l'exé- soulignaient plutôt les aspects négatifs d u pro-
cution d u R E A P , d'élaborer des politiques et g r a m m e qu'ils avaient constatés, à savoir, par
de concevoir des stratégies propres à assurer exemple, que « les parents se plaignent que
la mise en œuvre satisfaisante d u R E A P dans leurs enfants se salissent » et que le choix des
le cadre d u district, de donner des avis au possibilités d'emploi s'offrant aux diplômés d u
REAP-AC. R E A P n'était pas très grand. Les enseignants
du R E A P , en revanche, mettaient l'accent sur
les résultats positifs d u programme, c o m m e le
Impact du programme REAP fait qu'en produisant pour son propre compte
l'enfant acquérait le sentiment de sa dignité.
ATTITUDES A L'ÉGARD E n dépit de la taille réduite de l'échantillon
DE L'AGRICULTURE utilisé, E d m o n d a établi que 80 % des diplômés
ET EFFET SUR L'EXODE RURAL des écoles d u R E A P étaient restés en milieu
rural pour y exercer une activité agricole. L ' u n
U n e étude effectuée par E d m o n d en 1985 a de ces étudiants, une fois obtenu son diplôme
montré que, de façon générale, enseignants et de fin d'études secondaires, était retourné dans
élèves, tant des écoles d u R E A P que des autres une école d u R E A P pour y enseigner. Pour ces
établissements d'enseignement, témoignaient diplômés, la fréquentation d'une école R E A P
d'une attitude positive à l'égard de l'agriculture. s'était essentiellement traduite par u n gain de
Contrairement à ce qui se passe dans un certain connaissances : ils avaient beaucoup appris,
nombre de territoires des Caraïbes, les Béli- ont-ils déclaré, sur la façon de cultiver les
ziens n'ont jamais considéré le travail de la terre plantes, les céréales et de soigner les animaux ;
c o m m e dégradant. E n fait, dans les campagnes mais ils en avaient aussi tiré des avantages éco-
du Belize, le milpa, ou petite exploitation agri- nomiques et sociaux c o m m e en témoignent des
cole de subsistance, apparaît encore c o m m e commentaires d u genre : « Je fais maintenant
un moyen de s'assurer des revenus stables ; pousser mes propres légumes que je consomme
il est en effet difficile d'y exercer une autre et que je vends », et : « J'ai appris à devenu-
activité professionnelle. Les programmes R E A P , un meilleur citoyen ».
de m ê m e d'ailleurs que les programmes de type
124 Zellynne Jennings
manière simultanée, à la planification, au déve- blèmes rencontrés par les établissements parti-
loppement, à la mise en œuvre et à l'évaluation cipants variaient en fonction des circonstances
du R E A P » (Massey, 1982, p. 44). particulières à chacun de ces districts. D ' o ù la
Le tableau 1 montre également que le point décision de créer des conseils de district pour
de départ du processus a été non pas une le R E A P , chargés chacun tout spécialement des
recherche, mais un débat sur les problèmes établissements relevant de leur juridiction. L e
rencontrés par les élèves des écoles primaires bon fonctionnement de ces conseils de district
rurales, débat auquel a procédé un comité ad s'est révélé c o m m e un facteur clé de l'améliora-
hoc (le R E A P - A C ) . L e fait qu'il n'y ait pas eu tion de la politique de formation agricole du
de recherche préalable n'est pas exceptionnel : REAP.
ailleurs dans les Caraïbes (Jennings-Wray, 1985) Enfin, il faut noter le recours aux médias
et dans le cas du Chili et d'El Salvador, M c G i n n pour promouvoir le R E A P , car il a contribué
et ses collaborateurs remarquent que « la d'une manière notable à développer, chez les
réforme a été entreprise sur la base d'un juge- usagers, des attitudes positives qui ont été
ment éclairé, mais en l'absence de recherches observées à plusieurs reprises (Massey, 1982 ;
approfondies » (p. 223). Il convient de noter, E d m o n d , 1985).
en outre, que les recherches prennent du temps
et que, dans les entreprises de réforme à moti-
vation politique c o m m e le R E A P , la rapidité L'APPUI DES POUVOIRS PUBLICS
est essentielle, étant donné que les politiciens
veulent couvrir le plus de terrain possible avant Les pays du Tiers Monde qui ont obtenu de
les prochaines élections. Il faut toutefois garder bons résultats dans la mise en œuvre de pro-
à l'esprit que l'une des raisons pour lesquelles grammes destinés à relier l'éducation au m o n d e
les réformes se soldent souvent par u n échec du travail sont généralement ceux dans lesquels
est que leurs artisans tentent d'obtenir des résul- cet effort en matière d'éducation fait partie
tats d'envergure dans des délais très peu réa- intégrante de l'idéologie politique du gouver-
listes, de l'ordre d'un an ou deux, voire moins. nement. Cuba et la Tanzanie sont des exemples
U n e période de cinq à dix ans est considérée typiques à cet égard ; le Belize en est un autre.
c o m m e raisonnable pour qu'une innovation E n effet, le R E A P a reçu le ferme appui idéolo-
puisse produire des effets notables (Charters gique des pouvoirs publics, plus précisément
et al., 1972). Il semble, à la lecture du tableau 1, du Parti uni du peuple (PUP), qui était au
que les promoteurs du R E A P se soient donné pouvoir au moment où il a été mis en chantier.
un délai raisonnable pour procéder à une plani- L'intégration des études avec le m o n d e du tra-
fication à grande échelle. vail était l'un des éléments de l'idéologie socia-
Le fait d'avoir prévu une phase d'essai cons- liste du P U P et le R E A P disposait, en la per-
titue l'un des points forts du programme sonne du ministre de l'éducation de l'époque,
R E A P ; en effet, c'est sur la base des indications d'un partisan de poids qui sut lui donner une
fournies par les enseignants de l'école pilote impulsion décisive, laquelle explique en grande
et en réponse à leurs besoins qu'a été mis au partie que le programme ait p u être poursuivi
point le guide intitulé Let's R E A P together jusqu'à ce jour. L e Tiers M o n d e offre d'autres
(Récoltons ensemble). L'évaluation, si elle est exemples qui témoignent de ce que ce type de
intégrée de façon efficace à la phase pilote d'un soutien est indispensable au succès de la réforme
programme, peut fournir aux responsables des de l'éducation (McGinn et al., 1979 ; Armstrong,
éléments extrêmement utiles pour la prise des 1984). L e R E A P a cessé de bénéficier de ce
décisions ultérieures. Tel a, de toute évidence, soutien lorsque le P U P , au pouvoir depuis plus
été le cas pour le programme R E A P . L'évalua- de trente ans, a perdu les élections de décem-
tion a ainsi mis en lumière le fait que, lors de bre 1984. L'année précédente, lorsque l'on tenta
l'extension du R E A P aux districts, les pro- d'introduire la réforme dans les zones urbaines,
126 Zellynne Jennings
la signification d u sigle R E A P a été modifiée s'est depuis longtemps imposé à l'évidence, mais
pour devenir : « Éducation pertinente pour ni les pouvoirs publics nationaux ni les orga-
l'agriculture et la production ». L'avenir dira nismes internationaux n'ont les moyens d'ap-
quel sera le destin à long terme d u R E A P sous porter à ces jeunes ce type d'assistance. A moins
le nouveau gouvernement. que les écoles participantes puisse subvenir u n
jour à leurs propres besoins ou que d'autres
sources de financement soient trouvées, le pro-
FINANCEMENT : L'ASSISTANCE g r a m m e R E A P se heurtera, dans l'avenir, à
DES ORGANISMES INTERNATIONAUX de graves difficultés.
partie aux lacunes des L A P eux-mêmes, dont (Thompson, 1982). C e manque de préparation
la qualité laisse tellement à désirer que le C o - s'explique, dans une large mesure, par des
mité consultatif a dû recourir, de temps à autre, difficultés rencontrées pour obtenir la nomi-
au concours de spécialistes. L a mise au point nation d'un professeur bélizien chargé d'en-
d'un L A P est une entreprise dont on a grossiè- seigner le programme R E A P à l'École normale.
rement sous-estimé la difficulté. L'intégration
de domaines d'étude traités jusque-là d'un point
de vue purement académique avec la théorie et LE PROBLÈME DE L'INNOVATION
la pratique de l'agriculture est une tâche qui DANS UN SYSTÈME ÉDUCATIF
requiert la collaboration de spécialistes de la DUALISTE
plus haute compétence dans chaque discipline
et de maîtres en exercice. L'insuffisance des Les pays en développement ont été critiqués
crédits nécessaires pour s'assurer le concours pour leur dépendance vis-à-vis de modèles
de tels spécialistes pourrait bien faire obstacle éducatifs empruntés au m o n d e développé,
à la mise en œuvre d'un programme de forma- dépendance qui les expose à une puissante
tion agricole efficace. forme d' « impérialisme culturel » (Carnoy,
1974). L e Belize ne fait pas exception à la règle.
C'est ainsi que le programme de la plupart
Menaces sur l'avenir du R E A P des écoles secondaires est calqué sur le modèle
des États-Unis d'Amérique. Les jésuites a m é -
FORMATION DES ENSEIGNANTS ricains exercent, en fait, une influence consi-
dérable sur l'enseignement secondaire au B e -
Cette mise en œuvre n'est par ailleurs pos- lize, due à la conviction profonde que le con-
sible que si les enseignants bénéficient d'une trôle de l'Église est indispensable à u n système
formation adéquate. La plupart des maîtres des éducatif de qualité. Les partis politiques locaux
écoles primaires rurales (64 % environ) n'étant ne sont pas favorables à ce que l'enseignement
nullement préparés à cette tâche, on ne peut relève exclusivement de l'État. E n fait, les pou-
s'attendre à ce qu'ils sachent comment fusion- voirs publics ont pour politique non pas de
ner les L A P avec les plans d'études classiques prendre eux-mêmes u n m a x i m u m d'initiatives,
imposés par les responsables de l'éducation mais « d'appuyer et d'encourager le progrès de
au niveau du distria. U n atelier de deux se- l'éducation dans le cadre des plans conçus et
maines pourrait suppléer à une véritable for- mis en œuvre par les institutions privées »
mation en vue de la mise en œuvre d u R E A P , (Grant, 1976, p . 303). C e système dualiste
laquelle, selon Fullan (1982), devrait associer permet aux ordres religieux d'appliquer leurs
des activités spécifiques de formation péda- propres programmes sans guère tenir compte
gogique, la fourniture d'une assistance et d'un des objectifs socioéconomiques fixés par le
soutien continus pendant toute la durée de la gouvernement. Cette situation a été dénoncée,
mise en œuvre, et l'organisation de réunions car elle a notamment conduit à une situation où,
régulières avec des collègues et d'autres per- « bien que l'agriculture soit la clé d u dévelop-
sonnes. L'étude du programme R E A P est pement économique du pays, c'est seulement
obligatoire pour tous les élèves de l'École ces dernières années que les sciences se sont vu
normale d u Belize (BCE) au cours de la pre- accorder plus de place dans les programmes
mière année, mais elle devient facultative la scolaires que le latin et l'étude de la Bible »
seconde année. U n e étude effectuée auprès des (Grant, 1976, p. 301). Le fait que le programme
diplômés de la B C E a montré que les ensei- R E A P soit dépourvu de prolongement cohé-
gnants des écoles du R E A P n'étaient pas mieux rent dans l'enseignement supérieur ne joue pas
préparés à la mise en œuvre du programme en sa faveur. C o m m e King (1985) le fait ob-
intégré que leurs homologues des autres écoles server, les programmes de cette nature « ne
128 Zellynne Jennings
jouissent pas d u m ê m e statut que des cours train de faire en axant l'enseignement sur
susceptibles d'être suivis tout au long des l'agriculture au niveau le plus bas d u système
études secondaires, universitaires et univer- scolaire, cependant qu'il favorise u n modèle
sitaires supérieures » (p. 4). A noter que la seule académique de type occidental au niveau
école secondaire qui ait participé à la phase supérieur ?
pilote d u R E A P s'en est retirée u n an après,
essentiellement en raison de l'incompatibilité
du programme agricole avec le programme ABSENCE DE STRATÉGIES
scolaire traditionnel. King (1985) note égale- GÉNÉRATRICES D'EMPLOI
ment que, m ê m e dans les pays où les élèves d u
primaire sont activement encouragés à fournir Si, d'après les conclusions de l'étude d ' E d m o n d ,
un travail agricole productif et à en tirer fierté, la plupart des diplômés d u R E A P sont restés
l'examen national defind'études primaires ne en milieu rural, il apparaît nettement que les
fait pas appel aux connaissances agricoles qu'ils compétences de ces jeunes n'ont pas été pleine-
ont acquises. C'est le cas d u certificat national ment utilisées. L a tâche la plus intéressante qui
d'études primaires ( B N P E ) , dont les épreuves ait été confiée à certains consistait à soigner les
portent sur les mathématiques, les lettres, les arbres d'une exploitation d'agrumes. D'autres
sciences et les études sociales. L e message qui avaient accepté tout ce qui se présentait, depuis
est ainsi très subtilement transmis à ces jeunes des travaux artisanaux jusqu'à la garde d'en-
ruraux est donc que l'acquisition d'un savoir- fants. E d m o n d a établi que tous les diplômés
faire agricole n'est, en définitive, pas tellement du R E A P qui avaient émigré à Belize City
importante puisque la sélection pour l'accès l'avaient fait pour des raisons liées aux possi-
au secondaire repose sur les connaissances de bilités d'emploi. N i le gouvernement d u Belize
type classique. ni les organismes d'aide internationaux ne
C e qui est évident, c'est que les programmes peuvent actuellement fournir aux jeunes ruraux
éducatifs axés sur l'agriculture et visant, à diplômés des écoles d u R E A P le type d'assis-
long terme, à doter les élèves des aptitudes tance dont ils ont besoin pour monter leur
qui leur permettront d'apporter une contri- propre entreprise agricole génératrice de re-
bution significative à l'essor de l'agriculture venus. L e Belize se trouve cependant confronté
du pays ne peuvent être couronnés de succès à u n problème peut-être beaucoup plus grave
que s'ils sont mis en œuvre à tous les niveaux encore, à savoir que « la ressource première d u
de l'enseignement national. Cuba et la Tanzanie pays, la terre, demeure aux mains de grandes
constituent de bons exemples à cet égard. sociétés étrangères qui laissent une grande
partie de ces biens en friche et qui transforment
E n Inde, en revanche, le dualisme d u système
les Béliziens en ouvriers agricoles indépendants
éducatif a fait échouer le programme d'édu-
sur les terres restantes » (Bolland, 1977, p. 8).
cation rurale (Sinclair, 1977), tandis qu'au
O n ne peut guère attendre des diplômés d u
Burkina Faso, en dépit d u succès remporté
R E A P qu'ils apportent une contribution signi-
par les centres d'éducation rurale, les paysans
ficative au développement agricole d u Belize
ont préféré envoyer leurs enfants à l'école
si une aussi grande partie des terres d u pays
primaire de type classique, tout en sachant que
appartient à des étrangers qui n'ont aucun
leurs chances de réussite y étaient minimes intérêt à leur mise en valeur.
(Colclough et Hallak, 1975).
L e Belize se targue de ne pas chercher à
« créer au m o y e n de l'enseignement supérieur
une classe privilégiée d'élites qui perpétueront Conclusions
les injustices sociales d u colonialisme » (Mani-
feste du Belize indépendant, 1974-1979). N'est- Quel est donc le type d'éducation dont les
ce pourtant pas précisément ce qu'il est en jeunes ruraux ont besoin dans les pays en
Le programme d'éducation rurale et d'agriculture ( R E A P ) du Belize I29
aux élèves des vêtements de protection pour le H U R S T , P . 1983. « Les questions clés en matière de finan-
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Cambridge University Press.
Revue de PROFILS D ' É D U C A T E U R S
WILHELM VON HUMBOLDT
(1767-1835)
XVIII, n° 1,1988
132 Revue de publications
lution bourgeoise française de 1789, dont les répercus- m ê m e temps, il c o m m e n ç a à étudier à fond la philo-
sions se sont fait sentir dans toute l'Europe, les sophie de Kant. Il étudia le droit constitutionnel et le
conquêtes napoléoniennes, les réformes prussiennes, droit naturel, la philosophie, l'histoire, la philologie,
l'effondrement du Saint-Empire romain germanique, les mathématiques et la physique. Il fit aussi la
la défaite catastrophique de la Prusse à Iéna et connaissance de Georg Forster, qui devait accéder
Auerstedt, la paix de Tilsitt par laquelle la Prusse plus tard à la notoriété en tant que m e m b r e du m o u -
perdit tous ses territoires à l'est de l'Elbe et enPologne, vement jacobin allemand et cofondateur de la R é p u -
les guerres de libération, le Congrès de Vienne et la blique de Mayence. C'est peut-être cette éducation
naissance de la Sainte-Alliance. E n l'espace de quel- humaniste et imprégnée de la philosophie des lu-
ques décennies, o n passa d'une société féodale à une mières, alliée à une prise de conscience de ce qui se
société fondamentalement bourgeoise2. L'influence passait dans la France révolutionnaire, qu'il avait par-
de la révolution française y était certes pour quelque courue en 1789, séjournant à Paris d u 3 au 27 août6,
chose, mais, contrairement à ce qui s'était passé en qui le poussa à écrire à vingt-cinq ans u n ouvrage
France et en Angleterre, ce passage ne sefitpas d'un dont le titre, à première vue, promet u n discours de
coup, sous l'effet d'une révolution brutale ; ce fut droit constitutionnel, mais qui, en réalité, traite, dans
plutôt l'aboutissement d'un processus historique lent une perspective antiféodale, de la nature de l ' h o m m e
et progressif, caractérisé surtout, du vivant de H u m - et d u développement de la personnalité. E n 1972, il
boldt, par une série de réformes novatrices. Après la écrit l'Essai sur les limites de l'action de l'État, qui ne
paix imposée de Tilsitt, qui assujettissait la Prusse sera publié intégralement qu'en 1851, après sa mort,
à de lourdes contributions, il s'avéra que la bour- survenue le 8 avril 1835 à Tegel 7 . Lorsqu'il fut appelé
geoisie qui, par crainte d'une dictature jacobine, plus tard à s'occuper de l'enseignement public, il ne
répugnait à une révolution populaire, ne possédait retint pas toutes les idées libérales qu'il expose dans
pas la maturité économique et politique suffisante cet essai et qui allaient à l'encontre des principes sur
pour prendre la tête d'un m o u v e m e n t de libération lesquels reposait l'ordre féodal de l'époque.
nationale et d'instauration de rapports sociaux pro- Il n'est pas bon, écrit-il dans son essai, que l'État
pres à favoriser le développement d u capitalisme se préoccupe d u bien-être positif des citoyens. Cette
bourgeois. ingérence est mauvaise. Elle engendre l'uniformité,
Cela étant, « il existait néanmoins une force poli- nuit à l'individu, fait obstacle « au développement de
tique déterminée à engager la Prusse sur la voie d'une sa personnalité et à son originalité8 ». L'État n'a pas à
révolution bourgeoise modérée, qui recrutait ses intervenir dans l'éducation publique, car, ce faisant,
m e m b r e s (fonctionnaires, officiers, propriétaires fon- il en limite la diversité9. L e « véritable but de
ciers et intellectuels) dans les rangs de la noblesse et l ' h o m m e » — et c'est là le point central de son argu-
de la bourgeoisie progressistes. Pour eux, la défaite mentation — est de « développer au m a x i m u m et
de la vieille monarchie prussienne signifiait la faillite d'une manière aussi équilibrée que possible toutes
d'idées et d'institutions surannées, tandis qu'ils ses facultés en u n tout harmonieux. L a condition
reconnaissaient dans la bourgeoisie et les masses première et indispensable de son aptitude à ce faire
populaires le moteur de l'évolution de la société, qu'ils est la liberté10 ». Dépassant l'idée d u contrat social,
souhaitaient cependant voir dirigée par une monarchie chère à la philosophie des lumières, H u m b o l d t
éclairée3 ». A u premier rang de ces réformateurs prus- concevait la société c o m m e une c o m m u n a u t é d'indi-
siensfiguraientles barons von Stein, von Schamhorst, vidus libres qui « mettent en valeur leur potentiel
von Gneisenau, von Hardenberg et d'autres, qui pro- vital par l'échange constant et mutuellement profi-
posèrent et entreprirent de mettre en œuvre des table de leurs richesses intérieures11 » d'actions et
réformes importantes dans plusieurs domaines : admi- dont l'activité créatrice n'est limitée que par la recon-
nistration, justice, agriculture, commerce et armée 4 . naissance du droit et de l'existence des autres.
C'est le baron von Stein, tête pensante d u m o u v e - Lorsque, plus tard, H u m b o l d t assuma directement
ment, qui proposa de confier à Wilhelm von H u m - la responsabilité du système éducatif prussien et s'em-
boldt la conduite de la réforme d u système éducatif. ploya de toutes ses forces, dans u n contexte histo-
Humboldt avait été eduqué moins selon les prin- rique menaçant, à l'organiser, à l'assujettir aux objec-
cipes chers à Frédéric le Grand que dans la tradi- tifs de l'État tels que les concevaient les réformateurs,
tion d'une aristocratie éclairée. Son premier précep- et à le soumettre à la souveraineté de l'État, acceptant
teur fut le philanthrope C a m p e , bientôt suivi par et encourageant aussi le principe d'un système d'édu-
G . J. C . Kunths. H u m b o l d t fit ses études à Francfort- cation publique, il n'en garda pas moins pour l'essen-
sur-I'Oder puis à l'Université de Göttingen, haut lieu tiel une conception libérale de l'éducation. Il pensait,
des études historiques et philologiques. Il eut Schlös- par exemple, que le financement des établissements
ser c o m m e professeur d'histoire ; le philologue scolaires, bien que les c o m m u n e s soient appelées à
H e y n e 5 l'initia à l'archéologie et détermina en grande y participer, devait être avant tout l'affaire des
partie sa passion pour l'Antiquité. C'est à Göttingen citoyens et que, par ailleurs les directeurs d'établis-
que H u m b o l d t découvrit le néo-humanisme. E n sements secondaires devaient disposer d ' u n large
Revue de publications 133
pouvoir de décision concernant les questions péda- besoin pour sortir l'État et la dynastie des H o h e n -
gogiques importantes. zollern d'une crise aiguë. L e conflit était cependant
D a n s sa proposition pour la création de l'Université désormais insurmontable entre les intérêts d u roi
de Berlin (12 mai 1809), il écrit : « E n soi, et dans la — assurer le maintien de la dynastie — et le natio-
perspective d'une théorie cohérente de la science nalisme des réformateurs qui appelaient de leurs
politique, le principe selon lequel l'enseignement ne v œ u x u n soulèvement populaire et la libération de
doit pas être l'affaire exclusive de l'État est le seul qui toute l'Allemagne (de la domination napoléo-
soit vrai et juste12. » L ' u n des principes fondamen- nienne)15. » E n novembre 1808 (Humboldt était sur
taux de H u m b o l d t , dont l'origine est à rechercher le chemin du retour à Berlin), le roi, cédant aux pres-
dans l'idée des réformateurs prussiens de conférer sions de Napoléon et des nobles prussiens de l'oppo-
aux c o m m u n e s une certaine autonomie de gestion sition qui craignaient pour leurs privilèges et voyaient
par l'intermédiaire d'organes élus, était que l'en- notamment dans la réforme agraire une menace pour
semble d u système scolaire et éducatif se maintient leurs intérêts économiques, accepta la démission de
« par ses fonds propres et par les contributions de la Stein. Sous le ministre de l'intérieur suivant, le comte
nation18 ». Cette dernière porte à l'enseignement u n zu D o h n a , et le ministre des finances, le baron Karl
intérêt d'autant plus grand qu'elle y voit son œuvre von Stein z u m Altenstein, qui devait ultérieurement
et sa propriété, m ê m e sur le plan financier. Les ci- exercer pendant de longues années les fonctions de
toyens, pensait-il, acquièrent u n sens civique plus ministre des affaires religieuses, de la santé et de l'en-
développé à partir d u m o m e n t o ù ils font de l'amé- seignement, la politique de réformes stagna. Ces deux
lioration de l'école leur affaire, « s'intéressent plus ministres n'étaient pas en mesure d'imposer la créa-
au processus d'enseignement lui-même, préfèrent tion d'un Conseil d'État qui fût, c o m m e le souhaitait
l'éducation publique, incontestablement supérieure le baron von Stein, à m ê m e de contrôler le pouvoir
à l'éducation privée, dès lors que les écoles publiques royal. H u m b o l d t jugeait, pour sa part, indispensable
leur coûtent ne fût-ce qu'un peu d'argent », et ils un tel organe. L a constitution en 1810 d'un Conseil
auront u n sens moral plus développé « si la moralité d'État qui était l'opposé de ce que souhaitaient les
de leurs enfants leur demande quelques sacrifices14 ». réformateurs devait donc nécessairement l'amener à
E n 1790, H u m b o l d t entre au service de l'État prus- renoncer à ses fonctions de directeur de section.
sien. Pendant près d'un an, il est magistrat auprès D a n s son « Testament politique », le baron von
des tribunaux berlinois. Après son mariage avec Stein faisait de l'éducation patriotique d u peuple
Caroline von Dachröden,filled'un président prus- l'une des conditions essentielles de la transformation
sien de la Cour d'appel, il quitte l'administration, se bourgeoise de la société. C'est dans cet esprit que
consacre à la philosophie, surtout à l'œuvre de Kant Humboldt s'attela à la tâche une fois qu'il eut décidé,
et à la philosophie politique anglaise. Il voyage à après de longues hésitations, de répondre à l'appel du
Vienne, à Paris et en Espagne. N o m m é représentant devoir16. D e u x mois après le départ de Stein, il écrit
de la Prusse auprès d u Vatican en 1802, il reste jus- au roi : « L a nature et l'ampleur m ê m e s de la tâche
qu'en 1808 à R o m e , où sa passion pour l'Antiquité qui doit m'être confiée font que je [...] n'ai pas le cou-
s'affirme de plus en plus. rage de l'assumer17. » Il écrit à sa f e m m e , qui séjourne
alors à R o m e , qu'il a refusé le nouveau poste18 et,
en mai 1809, il écrit de Königsberg, o ù siégeait le
LE BÂTISSEUR
gouvernement prussien : « E n vérité, il n'y a ici pas
L a période pendant laquelle il fait œuvre décisive en de gouvernement, aucune force, aucune logique,
matière de politique de l'éducation est courte, mais aucune unité, rien que faiblesse, souvent alliée à une
marquée par une intense activité. A la fin de 1808, il grande rudesse. L'absence de Conseil d'État et le fait
quitte R o m e et se rend à M u n i c h , Nuremberg, que tout continue à se faire en vertu d'ordonnances
Erfurt et W e i m a r , o ù il loge chez Goethe, puis à royales et n o n de véritables décrets, visés tout au
Berlin, où il arrive en janvier 1809. E n juin 1810, il moins par les ministres intéressés, constituent des
quitte ses fonctions de responsable politique de l'édu- m a u x rédhibitoires19. » Humboldt avait sans aucun
cation. doute compris que toute tentative pour mettre en
Par u n décret ministériel du 10 février 1809, H u m - œuvre une politique de l'éducation conforme à l'es-
boldt est n o m m é conseiller d'État privé et directeur prit des réformateurs devait inévitablement se heurter
de la section Culture et enseignement d u Ministère à de fortes résistances.
prussien de l'intérieur ; il prend ses fonctions le L a Section de la culture et de l'enseignement public
28 février. L a correspondance de Humboldt montre qu'il dirigeait était le fruit de la réforme de l'adminis-
qu'il n'accepta cette charge qu'avec beaucoup d'hési- tration conduite par Stein en 1808 et qui visait à
tations, qui tenaient directement à la situation poli- mettre fin au morcellement régional de l'enseigne-
tique : « L e roi Frédéric Guillaume III avait laissé ment par la centralisation et la spécialisation profes-
faire Stein et les autres réformateurs en tant que repré- sionnelle20. Elle succédait au Conseil des collèges,
sentants d'une force qu'il craignait, mais dont il avait créé en 1787, qui relevait directement du roi et annon-
134 Revue de publications
çait la création, en 1817, d u ministère chargé des et le mettre au service d'une vie nouvelle, tels sont
affaires religieuses, de la santé et de l'enseignement. les objectifs politiques — humanitaires et démocra-
L'idée de faire de cette section qui relevait d u Minis- tiques — d'une réforme de l'éducation dont les maî-
tère de l'intérieur u n ministère indépendant est direc- tres mots devaient être l'initiative et la responsabilité
tement attribuable à Humboldt. de l'individu, conformément à la théorie pédagogique
D a n s une lettre d u 2 juin 1809 qu'il adressa de de Pestalozzi28. C'est Humboldt qui, dans cet esprit,
Königsberg à Goethe, H u m b o l d t ne cache pas qu'il « réalisa sur le plan politique l'objectif de l'éducation
enrageait de devoir rester dans cette ville, <t car, à part formelle universelle™ ».
les affaires, qu'est-ce qui pourrait bien inciter quel- Aussi l'argument qu'avance le chef de section H u m -
qu'un à errer dans ce désert, cette ville dont seul Kant boldt pour soutenir la création de l'Université de
pouvait chanter les louanges, faute d'en avoir jamais Berlin, création dont le principe avait été arrêté avant
connu d'autre21 ? ». Mais sa lettre nous en dit plus. son entrée en fonction, est-il purement politique80.
Il y fait part à sonfidèleami de son programme et de L a confiance de l'Allemagne tout entière, écrit en
ses intentions en tant que chef de section : « Étant substance H u m b o l d t , dans la capacité de la Prusse de
donné qu'à W e i m a r déjà vous vous moquiez sans contribuer à u n progrès véritable et à une formation
cesse de m o n penchant à vouloir rendre les h o m m e s intellectuelle supérieure n'a pas diminué, au contraire.
ou plus intelligents, ou encore plus fous, je ne crains L'idée de créer à Berlin u n établissement d'enseigne-
pas de vous dire que je défens aussi l'idée de l'Uni- ment général y est pour beaucoup. Et d'ajouter :
versité de Berlin et pousse à sa création. Pour les « Seuls les instituts supérieurs de ce genre peuvent
écoles primaires, j'ai trouvé beaucoup d'idées dans étendre leur influence au-delà des frontières de l'État.
Pestalozzi et je poursuis dans cette voie. Bref, je ne E n confirmant solennellement la création de cet éta-
m a n q u e pas d'occupations dans lesquelles je m e blissement et en veillant à sa réalisation, Votre
plonge plus parce qu'il faut aller au bout de ce que Royale Majesté rallierait sûrement à elle tous ceux
l'on a entrepris que parce que je m e sens plein d'as- qui, en Allemagne, s'intéressent à l'éducation et au
surance et de confiance en m o i - m ê m e 2 2 . » progrès ; elle susciterait u n regain d'intérêt et d'en-
Malgré la nouveauté de la tâche qu'il entreprenait, thousiasme pour le renouveau de ses États et, alors
H u m b o l d t réussit en u n temps record à mettre en qu'une partie de l'Allemagne est en guerre et l'autre
œuvre une série de mesures de structuration de l'édu- dominée par des puissances parlant une langue étran-
cation prussienne qui firent de la période pendant gère, offrirait à la science allemande u n refuge tel que
laquelle il exerça ses fonctions l'un des « épisodes les l'on n'ose peut-être encore en rêver31. »
plus importants de l'histoire de l'éducation en Alle- Il met toute sa détermination à défendre le prin-
m a g n e »23. Il puisait ses idées dans sa conviction que cipe de l'université, formule d'ambitieuses proposi-
l'éducation était déterminante pour le destin de la tions pour son financement, prévoit qu'elle fonction-
Prusse c o m m e de tous les États allemands, dans sa nera en liaison étroite avec l'Académie des sciences,
profonde culture, son adhésion au néo-humanisme, l'Académie des arts et d'autres institutions scienti-
dans le fait qu'il savait quels espoirs les philosophes, fiques de Berlin, notamment la Charité, la Biblio-
les théologiens et les écrivains de l'époque plaçaient thèque, l'Observatoire, les musées des sciences et des
dans la réforme d u système éducatif24. Il fit preuve, arts. Il veille enfin à ce que des savants r e n o m m é s
dans l'exercice de ses fonctions, d'un réalisme et d'une soient n o m m é s à l'université.
sagacité qui étaient tout le contraire d'un utopisme L a requête présentée par H u m b o l d t le 24 juil-
abstrait et montraient qu'il alliait à une formation let 1809 fut approuvée par le roi le 16 août. E n octo-
incontestablement intellectuelle u n réel sens poli- bre 1816, le recteur et le doyen furent n o m m é s et l'on
tique. S o n activité publique d'alors, loin de contre- procéda à l'inscription des six premiers étudiants82.
dire son humanisme, représente « pour l'essentiel E n fait, la conception particulière de l'Université
une expérimentation et une mise à l'épreuve de ses de Berlin, largement inspirée des idées de H u m b o l d t ,
idées26 ». E n témoigne son discours d'entrée à l'Aca- devait avoir un retentissement particulier sur le déve-
démie des sciences prussienne, dans lequel il affirme loppement des universités allemandes au xixe siècle.
l'extrême importance pour la vie de l ' h o m m e des D a n s son mémoire inachevé consacré à I' « organi-
entreprises scientifiques les plus ambitieuses26. sation interne et externe des établissements scienti-
D a n s le mémoire qu'il rédigea à l'occasion de son fiques supérieurs de Berlin », H u m b o l d t définit ainsi
départ de l'administration, le 24 novembre 1808, le le concept d'établissement scientifique supérieur :
baron von Stein estimait essentiel que chaque indi- « Leur fonction [est] de cultiver la science au sens le
vidu puisse développer librement ses facultés suivant plus profond et le plus large d u terme [...] et d'en
une ligne morale et qu'à cet égard c'est de « l'éduca- faire u n élément de la formation intellectuelle et m o -
tion et l'enseignement donnés aux jeunes qu'il y avait rale83 », « de combiner le savoir objectif et la formation
le plus à attendre27 ». subjective84 ». S'efforcer constamment d'apprendre
Associer activement le peuple au destin de la patrie, toujours plus, dans la solitude, dans la liberté et au
développer son vaste potentiel intellectuel et moral sein d'une c o m m u n a u t é universitaire composée de
Revue de publications 135
serait supprimée : les sciences naturelles et les mathé- L a tâche de l'École normale Zeller était de diffuser
matiques seraient enseignées dans les petites classes la méthode de développement des facultés préconisée
d u lycée, et les langues anciennes dans les grandes par Pestalozzi en offrant une formation complémen-
classes57. Les différentes écoles intermédiaires, contre taire aux conseillers d u gouvernement, aux surinten-
lesquelles H u m b o l d t s'élevait, devenaient ainsi super- dants, aux prédicateurs et aux instituteurs. O n peut
flues. Les limites de ce projet démocratique et son ainsi, écrit H u m b o l d t , « former en l'espace d'un an
caractère libéral apparaissent dès lors que l'on envi- six cents à mille maîtres, doués certes de capacités
sage les conditions concrètes de sa mise en œuvre. très inégales, mais appliquant tous une méthode
Certes, chaque enfant doit avoir la possibilité de intrinsèquement bonne et efficace qui offre cet avan-
recevoir une formation générale, mais le degré d'ins- tage supplémentaire que, m ê m e médiocre, le maître
truction que chacun peut atteindre « doit dépendre en risque guère de se fourvoyer en l'employant66 ».
uniquement d u temps qu'il passe à l'école et d u Ces espoirs ne devaient que partiellement se réaliser,
niveau scolaire [classe] auquel il parvient68 ». O r , ce mais H u m b o l d t , une fois de plus, avait fait la preuve
« degré d'instruction69 » dépend, lui, de la capacité de sa perspicacité en tant qu'organisateur fondant
de la famille de financer le processus d'éducation. systématiquement sa démarche administrative sur des
Pour H u m b o l d t , cette idée était directement liée à celle principes intellectuels mûrement réfléchis. L'intro-
de garantir à tous une formation complète60. duction et la diffusion des méthodes préconisées par
« L e point culminant et final des tentatives de Pestalozzi pour l'enseignement primaire et, surtout,
réforme d u système scolaire national dans u n e o p - l'envoi d'élèves à Pestalozzi contribuèrent grande-
tique bourgeoise et démocratique 61 » fut le projet ment à la naissance et à la multiplication des écoles
de loi sur les écoles (1817-1819) de J. W . Süvern normales prussiennes, déterminant largement le profil
intitulé : « Projet de loi générale sur l'organisation d u intellectuel qui devait être le leur dans le premier
système scolaire dans l'État prussien », le plus pro- tiers d u xixe siècle.
gressiste des projets de loi scolaire présentés en
Prusse au xrx e siècle62. D u fait de la restauration d u L'IDÉAL GREC
régime féodal après le Congrès de Vienne, ce projet Plus marqué encore a été l'impact de H u m b o l d t sur
ne peut être mis à exécution. les lycées d u xrxe siècle. Friedrich Paulsen a fort bien
défini l'esprit qui présidait au programme de ces
L'INFLUENCE DE PESTALOZZI établissements, initialement conçu par H u m b o l d t
Pour H u m b o l d t , nulle « affaire nationale63 » n'était et élaboré dans le détail par von Süvern : « L e déve-
aussi importante que celle des établissements sco- loppement harmonieux de toutes les facultés intel-
laires. L'enseignement supérieur n'était pas le seul lectuelles par l'apprentissage des langues et de la lit-
objet de son attention ; il ambitionnait également de térature, des mathématiques et des sciences exactes,
réformer l'enseignement primaire, auquel étaient voilà le but. L e bachelier qui se prépare à entrer à
également applicables, selon lui, les principes fonda- l'université doit avoir reçu une solide formation intel-
mentaux d'une éducation néo-humaniste, à savoir le lectuelle dans tous les domaines, maîtriser les langues
développement complet des facultés et le souci de nécessaires à l'acquisition d u savoir, avoir des connais-
l'individualité64. Il y avait convergence sur ce point sances et des compétences suffisantes en m a t h é m a -
entre les objectifs pédagogiques des réformateurs tiques, enfin posséder des connaissances étendues
prussiens et la conception que se faisait Pestalozzi tant en sciences naturelles qu'en histoire. Il peut dès
de l'enseignement primaire, d u moins telle qu'on lors embrasser n'importe quel type d'étude et se
l'interprétait à l'époque. H u m b o l d t s'employa donc, sentir également à l'aise dans l'un ou l'autre domaine,
en envoyant des élèves à Pestalozzi et en soutenant car il possédera toujours les outils intellectuels néces-
une école normale dirigée par Zeller, à diffuser rapi- saires et, que ce soit en philologie, en théologie ou en
dement les conceptions de Pestalozzi, à faire triom- droit, en mathématiques et en sciences naturelles ou
pher l'idée d'un enseignement axé sur le développe- en médecine, ne se trouvera jamais confronté à des
ment des facultés et l'éveil de l'esprit, et à enfiniravec tâches pour lesquelles il n'est pas armé 6 7 . »
les méthodes d'enseignement/apprentissage d o g m a - Il ne s'agissait rien de moins que d'un changement
tiques et formalistes alors en vigueur dans les écoles radical visant à faire de l'ancienne école secondaire,
primaires. D a n s son « Rapport de la Section de la où l'on enseignait le latin, u n établissement de haut
culture et de l'enseignement », qu'il soumet au roi niveau préparant à l'université68. Pour que ce change-
en décembre 1809, H u m b o l d t précise les objectifs ment pût s'opérer, deux conditions préalables de-
de l'École normale dirigée par Zeller. L a méthode vaient être remplies ; H u m b o l d t , toujours logique
pédagogique adoptée « n'a pas tant pour but d'ap- avec lui-même, s'employa à faire en sorte qu'elles le
prendre simplement à l'enfant à lire, écrire, c o m p - fussent :
ter, etc., que de développer et d'exercer toutes ses Les écoles de niveau inférieur (les écoles de latin)
facultés physiques et morales, moyennant quoi il devaient se voir refuser le droit d'envoyer leurs
acquerra naturellement ces différents savoir-faire66 ». diplômés à l'université.
i38 Revue de publications
Il institua, en matière d'examens pour les professeurs complet et harmonieux de la personnalité. « Elle
de lycées, des normes extrêmement élevées qui constitue, à cet égard, l'instrument le plus complexe
contribuèrent largement à la sécularisation de cette exprimant précisément le mieux la diversité d u réel
catégorie de personnel enseignant et firent de l'ac- qui constitue la plus sûre approximation de l'univer-
tivité professorale non plus une occupation transi- salité des situations77 », car dans une langue s'incarne
toire pour les théologiens, mais une profession à la totalité de la pensée et des sentiments d'une multi-
vie. E n avril I 8 I O , H u m b o l d t explicita les exigences tude d'individus d'une m ê m e nation. L a valeur for-
élevées qui étaient les siennes au sujet des « exa- mative de l'étude de la langue, de la philosophie et
m e n s à subir par les enseignants d u secondaire69 ». de la poésie tenait, pour H u m b o l d t , au fait qu'elle
Ses réflexions débouchèrent, en 1812, sur u n nouveau « révèle à l ' h o m m e la foisonnante richesse de son in-
système d'examens comportant une épreuve écrite telligence78 » ; ce faisant, elle lui donne accès à la
en latin, en français et en mathématiques, u n thème dimension historique, lui permet de prendre cons-
et une version grecs, l'interprétation de textes anciens cience à la fois de son unicité et de son historicité.
en latin et des épreuves orales dans toutes les langues L a passion des réformateurs pour l'Antiquité
enseignées ainsi qu'en mathématiques, en histoire, en n'était pas sans rapport avec leurs intentions politi-
géographie et en sciences naturelles70. ques : l'État antique semblait en effet fournir u n m o -
L'idée première de Humboldt était, certes, de faire dèle idéal d'unité entre le citoyen et l'État, l'individu
en sorte que les lycées dispensent une vaste formation et la c o m m u n a u t é , susceptible d'inspirer leurs pro-
générale, mais les langues anciennes occupaient dans pres efforts de construction nationale. L'histoire de
leurs programmes une place dominante. C o m m e tous l'Antiquité offrait u n exemple historique de l'État
les autres néo-humanistes et c o m m e les poètes et démocratique. L'insistance des réformateurs sur les
artistes de son temps, H u m b o l d t avait une passion études classiques, en m ê m e temps qu'elle implique
— suscitée notamment par Winckelman — pour une critique antiféodale des conditions sociales qui
l'Antiquité. Les études philologiques devaient, selon prévalaient du temps de H u m b o l d t , traduit leur souci
la conception classique du développement complet et d'instaurer une éducation politique au sens démocra-
harmonieux de l ' h o m m e , exercer u n e influence d u - tique et bourgeois d u terme, « L'engouement pour
rable sur l'épanouissement de la personnalité. Quant l'Antiquité a donc une fonction sociale, qui consiste
à la lecture des auteurs antiques, elle permet de pour l'essentiel dans la recherche d'un modèle suscep-
concevoir et de saisir ce qu'est une personnalité bien tible de se substituer à une réalité présente hostile à
équilibrée, de comprendre en quoi consistent le dé- l'humanité79. »
veloppement et l'exercice harmonieux de toutes les L'histoire de l'enseignement secondaire en Alle-
facultés physiques, esthétiques et intellectuelles de m a g n e au XIX e siècle montre que ces espoirs ne se
l'individu, en d'autres termes, la fusion de toutes les sont pas réalisés80.
virtualités de l'être en u n tout harmonieux 71 ; c o m m e
Schiller et Goethe l'ont exprimé en termes poétiques,
UNE ADMINISTRATION SCIENTIFIQUE
« l'une des convictions profondes de H u m b o l d t est
que l'Antiquité grecque peut, pour ce qui est de la D a n s ses « idées concernant la constitution d'une
formation de la personnalité, se substituer au reste délégation scientifique auprès de la Section de l'en-
d u m o n d e parce qu'elle représente l'universalité72 ». seignement public », H u m b o l d t aborde u n autre
Les Grecs étaient pour H u m b o l d t « la mesure de domaine dans lequel il a joué u n rôle de précurseur.
l ' h o m m e , u n critère en fonction duquel il jugeait de Il reprend l'idée des réformateurs prussiens de faire
la moralité et de l'idéalisme d'un individu ou d'un participer aux affaires de l'État les citoyens expéri-
peuple78 ». mentés et de permettre aux spécialistes d'exercer une
O n voyait aussi dans l'apprentissage des langues certaine influence sur la conduite de ces affaires. Son
anciennes u n m o y e n important — et pendant long- initiative revêt toutefois une portée qui dépasse celle
temps à peu près le seul — de former la pensée de ce projet politique dans la mesure où la création
logique. L'éducation formelle était considérée c o m m e de cette délégation scientifique devait instaurer entre
la condition préalable pour faire face avec succès aux la politique éducative nationale et le m o n d e d u savoir
situations existentielles les plus difficiles et acquérir une nouvelle relation historique81. H u m b o l d t définit
rapidement de nouvelles connaissances. ainsi la fonction de cette délégation : « Elle veille à la
Enfin, les études philosophiques devaient servir stricte intangibilité des normes scientifiques géné-
avant tout au « perfectionnement moral de l'indi- rales dont découlent les principes individuels d'admi-
vidu74 ». Les néo-humanistes voient dans « l'élévation nistration et en fonction desquelles ils doivent être
morale vers l'idée d u vrai, d u bon et d u beau la jugés, et permet ainsi à la section de contrôler et
signification réelle d'une école axée sur l'enseigne- d'apprécier la conformité de chacune de ses actions
ment des langues anciennes75 ». L a langue représente à la ligne générale qu'elle s'estfixée; elle accomplit,
de façon convaincante pour H u m b o l d t cette « diver- en outre, les tâches qui requièrent une disponibilité
sité de situations76 » qu'exige le développement et u n e concentration intellectuelles incompatibles
Revue de publications 139
23. A . Flitner/K. Giel, « Nachwort der Herausgeber », 57. Voir R . Ahrbeck, Die allseitig entwickelte Persönlich-
dans : W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, keit. Studien zur Geschichte des humanistischen Bil-
vol. I V , op. cit., p. 584. dungs-ideals, Berlin, Volk und Wissen Volkseigener
24. Voir H . Deiters, « Wilhelm von Humboldt als G r ü n - Verlag, 1979, p . 167 et suiv.
der der Universität Berlin 1, dans : Forschen und 58. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V ,
Wirken. Festschrift zur ISO-Jahr-Feier der Humboldt- op. cit., p. 219.
Universität zu Berlin, Berlin, V E B Deutscher Verlag 59. Ibid.
der Wissenschaften, i960, p . 20 ; G . A m h a r d t , 60. Ibid., p. 175.
« W . von Humboldt — neuhumanistischer Bildungs- 61. H . König, Zur Geschichte der bügerlinchen National-
theoretiker mit beachtenswerter Fernwirkung », erziehung in Deutschland zwischen 1807 und 1815,
WZ Friedrich-Schiller-Universität Jena, Gesellschafts- première partie (Monumento paedagogica, vol. XII),
und Sprache, Reihe, n° 5/1981, p . 603 et suiv. Berlin, Volk und Wissen Volkseigener Verlag, 1972,
25. A . Flitner/K. Giel, op. cit., p . 584. p. 348 ; voir aussi p . 266 et suiv., p. 298 et suiv.
26. Voir W . Hartkopf, Die Akademie der Wissenschaften 62. Voir G . Gloege, op. cit., p. 38 et suiv.
der D D R . Ein Beitrag zu ihrer Geschichte, Berlin, 63. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V ,
Akademie-Verlag, 1975, p . 31 et suiv. op. cit., p . 36.
27. G . Gloege, Wilhelm von Humboldt und die Reformver- 64. R . Ahrbeck, op. cit., p. 153.
suche der preussischen Unterrichtsverwaltung, Bielefeld/65. W . von Humboldt, Werke in fünf Banden, vol. I V ,
Leipzig, 1921, p . 2 . op. cit., p. 223.
28. Voir F . Paulsen, Geschichte des gelehrten Unterrichts, 66. Ibid., p. 226 et suiv.
2 e éd., vol. 2 , Leipzig, 1897, p . 277. 67. F. Paulsen, op. cit., p. 293.
29. E . Spranger, Wilhelm Von Humboldt und die Reform 68. Voir Wilhelm Von Humboldt an Carl David Ilgen,
des Bildungswesens, Berlin, 1910, p. 134. sélection présentée et commentée par G . Amhardt,
30. Voir H . Deiters, op. cit., p. 21. dans : Jahrbuch für Erziehungs- und Schulgeschichte,
31. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V , 26/1986, Berlin, Volk und Wissen Volkseigener Verlag,
op. cit., p . 114 ; voir aussi p . 233 ; voir H . Kossack 1986, p. 208 et suiv.
et al. H . Klein (dir. publ.), Humboldt-Universität zu 69. Voir W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden,
Berlin, Dokumente 1810-198S, Berlin, V E B Deutscher vol. IV, op. cit., p. 241 et suiv.
Verlag der Wissenschaften, 1985, p . 9 et suiv. 70. Voir F. Paulsen, op. cit., p. 286.
32. Voir A . Rüger et al., Humboldt-Universität zu Berlin. 71. Voir R . Ahrbeck, op. fit.,p. 161 ; W . Girnus, « H u m -
Überblick 1810-1985, H . Klein (dir. publ.), Berlin, boldts Gedanken zur Gattungsnatur des Menschen »,
V E B Deutscher Verlag der Wissenschaften, 1985, dans : Das Ideal der allseitig entwickelten Persönlich-
p. 13 et suiv. keit — seine Entstehung und sozialistische Verwirk-
33. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V , lichung, Berlin, Akademie-Verlag, 1976, p . 6 2 et
op. cit., p. 255. suiv. ; C . M e n z e , Wilhelm von Humboldts Lehre und
34- Ibid. Bild vom Menschen, Ratingen, A . H e n n Verlag, 1965.
35. Ibid., p. 256. 72. C . Menze, Wilhelm von Humboldts Lehre und Bild vom
36. Ibid., p. 257. Menschen, op. cit., p. 154.
37. Ibid., p. 191. 73. Ibid., p. 155.
38. Ibid. 74. R . Ahrbeck, op. cit., p. 161.
39. Ibid. 75. Ibid., p. 162.
40. Ibid., p. 170. 76. C . M e n z e , Wilhelm von Humboldts Lehre und Bild
vom Menschen, op. cit., p. 260.
41. Ibid.
77. Ibid.
42. Ibid. 78. Ibid., p. 261.
43. Ibid., p. 260. 79. R . Ahrbeck, op. cit., p. 166.
44. Ibid., p. 256. 80. Voir K . - H . Günther, « Einige Tendenzen in der
45. Ibid., p. 260. Geschichte des Schulwesens in Deutschland i m
46. Ibid., p. 211. 19. Jahrhunden, dans : Jahrbuch 1982, Akademie der
47. Ibid. Pädagogischen Wissenschaften der D D R , Berlin,
48. Ibid.,p. 212. Volk und Wissen Volkseigener Verlag, 1982, p . 117
49. Ibid., p. 217. et suiv. ; H . Balschun, Z u m schulpolitischen K a m p f
50. Ibid., p. 218. u m die Monopolstellung des humanistischen G y m n a -
51. Ibid., p. 169. siums in Preussen i m letzten Drittel des 19. Jahr-
52. Ibid. hunderts », « Diss. paed. », A , Halle-Wittenberg,
53- Ibid. Martin-Luther-Universität, 1964 (miméographié).
54. Ibid. 81. Voir H . König, « V o n der Wissenschaftlichen D e p u -
55. Ibid., p. 170. tation z u m Wissenschaftlichen Rat », Das Hoch-
56. Ibid., p. 190. schulwesen, n° 6/7/1961, p. 520 et suiv.
R e v u e de publications 141
82. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. IV, planification et la gestion de l'enseignement à dis-
op. cit., p. 201. tance, il examine les problèmes et les éléments qui
83. Ibid., p. 202. interviennent dans la mise en place et la gestion des
84. Ibid. systèmes de télé-enseignement.
83. H . Deiters, op. cit., p. 32. D a n s le chapitre « D e s politiques gouvernementa-
86. W . von Humboldt, Werke in fünf Bänden, vol. I V , les » du livre publié sous la direction de Mugridge et
op. cit., p. 248. K a u f m a n , Ellis définit l'enseignement à distance
87. Citation d'A. Rüger et al., op. cit., p. 9. c o m m e u n appendice d u processus éducatif dont les
trois caractéristiques fondamentales sont : a) l'utilisa-
tion de matériels didactiques médiatisés soigneuse-
ment élaborés ; b) la rétroaction de l'information sur
les apprenants ; c) l'absence ou u n m i n i m u m de re-
COMPTES R E N D U S cours à l'interaction face-à-face de l'enseignant et de
L'ENSEIGNEMENT À DISTANCE l'apprenant (p. 27). Ellis estime que l'on ne saurait
y ranger la création de centres universitaires éloignés
ou la pratique qui consiste à envoyer des enseignants
Michael Y O U N G , Hilary P E R R A T O N donner des cours dans des régions reculées, m ê m e si
Janet J E N K I N S et T o n y D O D D S elles aident à surmonter l'obstacle que l'éloignement
Distance teaching for the Third World: oppose à l'action éducative. Cette définition de l'en-
the lion and the clockwork mouse seignement à distance implique une séparation phy-
sique entre l'apprenant et l'enseignant. Elle rejoint
Londres, Routledge and Kegan Paul, 1980
effectivement celle donnée par Holmberg, en 1981, et
Ger V A N E N C K E V O R T , Keith H A R R Y
que citent Farrel et Haughty, dans le chapitre qu'ils
consacrent à « L'avenir de l'enseignement ouvert »
Pierre MoRTN et Hans G . SCHÜTZE (dir. publ.)
{Distance education in Canada) : « Les méthodes
Distance higher education and the adult learner didactiques suivant lesquelles, d u fait m ê m e de
Assen/Maastricht, V a n G o r c u m , 1986 l'éloignement physique des apprenants et des ensei-
gnants, l'interaction et la phase préparatoire de l'en-
Ian M U G R I D G E et David K A U F M A N (dir. publ.) seignement sont conduites à l'aide de textes imprimés
Distance education in Canada par des procédés mécaniques ou électroniques. » Il
n'en reste pas moins qu'à leurs yeux cette définition,
Londres, C r o o m H e l m , 1986 quoique nécessaire, est insuffisante puisque aussi bien
elle ne rend pas compte d u contexte plus général de
Greville R U M B L E
l'enseignement ouvert dans lequel l'enseignement à
The planning and management distance s'est épanoui. Selon eux, l'enseignement ou-
of distance education vert implique 1' « ouverture » des systèmes d'ensei-
Londres, C r o o m H e l m , 1986 gnement traditionnels par le recours à une combinai-
son de médias en vue de répondre à divers besoins
éducatifs. L'avenir de l'enseignement à distance réside
Les auteurs du premier de ces quatre ouvrages exami- donc dans le perfectionnement des systèmes d'ensei-
nent u n certain nombre d'exemples de ce qui a été gnement ouvert. Sans le dire expressément, ils consi-
fait en matière d'enseignement à distance, surtout dèrent que la notion d'enseignement ouvert recouvre
dans les pays en développement, à partir desquels ils en gros la suppression des conditions d'admission et
proposent la création d'un système d'éducation extra- des limites d'âge, mais aussi de tous les autres obsta-
scolaire fondé sur ce qu'ils appellent les « radio- cles créés par les systèmes d'enseignement tradition-
collèges ». L e livre publié sous la direction notam- nel, notamment le fait d'imposer des lieux et des
ment de Ger V a n Enckevort est u n recueil des c o m - périodes d'apprentissage fixes. Visiblement, ils plai-
munications sur différents problèmes relatifs à l'en- dent pour u n enseignement à distance ouvert plus
seignement à distance dans les pays de l'Organisation qu'ils ne contribuent à la définition de l'enseignement
de coopération et de développement économiques à distance. Il devient dès lors sans objet de prendre
( O C D E ) qui ont été présentées et discutées à une l'enseignement ouvert en considération dans une dé-
conférence internationale tenue en octobre 1984 à finition de l'enseignement à distance, mais on serait
l'Université ouverte de Heerlen (Pays-Bas). L e livre tenté de penser avec eux que l'avenir et le succès des
publié sous la direction de Mugridge et K a u f m a n est systèmes de télé-enseignement dépendront sans
u n recueil d'essais sur l'enseignement à distance au doute, pour une part, de leur ouverture, au sens
Canada, dont il « souligne les principes de base, la large que l'on vient d'indiquer.
théorie, les modèles et les problèmes particuliers » L a façon dont R u m b l e procède pour tenter de
(p. 1). Quant à l'ouvrage de R u m b l e , qui porte sur la définir l'enseignement à distance est peut-être
142 Revue de publications
meilleure. Il c o m m e n c e par examiner l'emploi d u secondaire ou supérieur des adultes qui ne pouvaient
terme « distance » proposé en 1983 par M o o r e , qui pas ou ne voulaient pas avoir recours aux systèmes
l'entend au sens de « distance transactionnelle », traditionnels. Il n'est donc pas surprenant que,
terme qui englobe à la fois le dialogue et la structure dans les pays occidentaux développés, une majorité
dans le processus éducatif. C'est là une analyse utile d'établissements d'enseignement à distance, soli-
en ce qu'elle aide le lecteur à comprendre et à m e - dement implantés et prospères, proposent des cours
surer le fait que la « distance » ne se réduit pas à la de niveau postsecondaire conduisant à u n grade ou
seule distance géographique entre l'apprenant et u n diplôme universitaire. Quelques-uns d'entre eux,
l'enseignant. R u m b l e déclare ensuite que, pour c o m m e l'Open University britannique, outre des
essayer de définir l'enseignement à distance, il cours de licence, offrent depuis peu des cours
convient de considérer les pratiques, les systèmes et relevant de l'éducation permanente. O n trouvera,
les projets variés existant en ce domaine. Pour lui, dans les sections II et III du premier de ces ouvrages
l'élément qu'ils ont tous en c o m m u n est « la sépa- (directeur de publication : Ger V a n Enckerot et al.)
ration dans l'espace et dans le temps des activités ainsi que dans les études de cas présentées dans le
d'enseignement et d'apprentissage, l'enseignement second (Mugridge et K a u f m a n ) , une analyse des
reposant généralement sur une combinaison de m a - raisons d'adopter des systèmes d'enseignement à
tériels didactiques structurés et le recours à des distance dans les pays développés, où les établis-
intermédiaires (« assistants », conseillers, « anima- sements existants répondent aux besoins de la popu-
teurs ») pour aider les apprenants à se servir desdits lation adulte en levant les obstacles à l'accès à l'ensei-
matériels » (p. 9). gnement supérieur que constituent, outre le temps,
Cet élément c o m m u n est le point de départ, après diverses contraintes d'ordre institutionnel, social et
quoi l'on c o m m e n c e à voir les différences. R u m b l e financier.
examine les facteurs qui les engendrent et conclut D a n s les pays développés, l'adoption de l'ensei-
que « le problème, pour qui cherche à définir l'ensei- gnement à distance s'explique essentiellement par le
gnement à distance, est de déceler les traits c o m - souci de donner à la population adulte la possibilité
m u n s « (p. 10). Ses remarques sur la définition pro- de bénéficier d'une éducation postsecondaire. D a n s
posée par Keegan en 1980 aideront très utilement le les pays en développement, cet enseignement sert à
lecteur à saisir ce qu'il faut entendre par l'enseigne- résoudre ou à atténuer certains des problèmes des
ment à distance. Keegan a identifié sept grandes systèmes éducatifs c o m m e l'insuffisance des capacités
caractéristiques indispensables selon lui à toute d'accueil scolaires, le m a n q u e d'enseignants et l'ab-
définition suffisamment générale, à savoir : la sépa- sence d'auxiliaires d'enseignement pour les classes
ration de l'enseignant et de l'élève, le rôle d'une tant d u primaire que d u secondaire. Les pays en
institution éducative, le recours à des médias tech- développement ont donc eu recours à l'enseignement
niques, la mise en place d'une communication bidi- à distance pour développer le système éducatif
rectionnelle, l'absence d'apprentissage collectif, la à ces deux niveaux, enrichir et améliorer l'ensei-
participation à la forme d'éducation la plus indus- gnement scolaire et l'alphabétisation des adultes.
trialisée et la privatisation de l'apprentissage. D e fait, L'enseignement à distance est moins développé au
on retrouve la majorité de ces caractéristiques dans niveau postsecondaire qu'aux autres niveaux. L e
presque tous les projets, programmes et systèmes premier chapitre de l'ouvrage de Y o u n g et de ses
d'enseignement à distance cités ou décrits dans les collaborateurs offre u n tableau très vivant des pro-
trois autres ouvrages dont il est rendu compte ici. blèmes que posent les systèmes éducatifs des pays
Il est intéressant de constater que les pays déve- en développement et dont l'enseignement à distance
loppés adoptent ou créent des systèmes de télé- est perçu c o m m e une solution. L'usage que les pays
enseignement pour des raisons différentes de celles développés et les pays en développement font de cet
des pays en développement, mais ce n'est pas sur- enseignement offre u n contraste que ces auteurs
prenant, car, c o m m e le note R u m b l e , « leurs besoins résument fort bien en ces termes : « E n Occident,
sont dans u n e certaine mesure différents » (p. 47). il a surtout servi à donner une instruction à des
A u fil des chapitres, les deux ouvrages publiés sous groupes passablement restreints et bien définis qui
la direction de G e r V a n Enckevort et ses collabo- ne pouvaient accéder à l'enseignement ordinaire.
rateurs, d'une part, de Mugridge et K a u f m a n , E n Afrique, des tentatives ont été faites pour recourir
d'autre part, offrent u n tableau très vivant et une à l'enseignement à distance sur une échelle propor-
analyse des raisons d'adopter des systèmes d'ensei- tionnellement bien plus importante. L'objectif
gnement à distance dans les pays occidentaux déve- n'était pas de développer le système éducatif de
loppés. A la lecture de ces deux ouvrages, on se rend façon à desservir les 5 % restants de la population,
clairement compte que, dans des pays développés mais d'offrir quelque chose à la moitié qui n'est
c o m m e le Canada, le R o y a u m e - U n i et les États- jamais scolarisée dans son enfance, ou aux trois
Unis d'Amérique, ces systèmes ont été mis en place quarts et davantage qui ne bénéficient pas de l'édu-
pour pourvoir aux besoins éducatifs de niveau post- cation des adultes » (p. 21).
Revue de publications 143
indirectement, les modèles d'enseignement à dis- matière d'enseignement à distance, que ce soit dans
tance, les modèles éducatifs qui sous-tendent tel ou les pays en développement ou dans les pays déve-
tel système de télé-enseignement, le jeu des facteurs loppés, sauf celui de Mugridge et K a u f m a n sur le
économiques et le processus de planification. Ces Canada, qui y consacre u n chapitre, d û à John
chapitres s'articulent de façon cohérente. Il convient, Ellis, o ù l'on trouve au moins quelques éclaircisse-
toutefois, de faire deux observations. D'abord, à ments sur ce qu'est probablement la situation dans
propos des différents modèles de systèmes, R u m b l e les autres pays développés présentant des carac-
en analyse en détail les activités opérationnelles, qui téristiques analogues, notamment les États-Unis
constituent deux grands sous-systèmes : celui des d'Amérique. Selon cet auteur, les politiques p u -
matériels et celui des élèves. Il n'étudie pas les acti- bliques qui infléchissent l'enseignement à distance
vités réglementaires et logistiques, qu'il se contente sont le fait des gouvernements des provinces et des
de mentionner dans le texte et au tableau Ï . I , territoires, et n o n d u gouvernement fédéral. C'est
moyennant quoi le lecteur se demande quels seraient pourquoi la pratique de cet enseignement varie
les éléments que l'auteur y rangerait. Ces activités quelque peu d'une région d u Canada à l'autre. S o n
participent-elles de sous-systèmes au m ê m e titre analyse de la situation dans ce pays l'amène à
que les activités opérationnelles ? R u m b l e ne nous conclure : « Tout cela pour dire qu'il est rarement
éclaire pas sur ce point. Ensuite, au lieu de se conten- facile, et souvent impossible, de délimiter préci-
ter de formuler les fonctions de coût, c o m m e au sément la politique gouvernementale en matière
chapitre I V , l'auteur aurait d û donner des exemples d'enseignement à distance. Il n'y a donc pas lieu de
de calcul des coûts, d'établissements existants qui s'étonner que les politiques gouvernementales en
utiliseraient ces fonctions. Cela aurait aidé le lecteur la matière, telles qu'elles se reflètent en tout cas
à y voir plus clair. Il nous semble insuffisant d'in- dans les lois et règlements, soient rares et disper-
diquer seulement que, « si l'on veut mettre sur pied sées [...] il se passe tant de choses moyennant,
u n système d'enseignement à distance dans l'espoir semble-t-il, si peu de politique officielle » (p. 27).
de réaliser des économies d'échelle, il faut faire en Cela ne signifie pas pour autant, se hâte de préciser
sorte que le coût variable par étudiant (V) y soit Ellis, que les activités de télé-enseignement au Canada
moins élevé que dans les systèmes classiques de se déroulent en dehors de tout cadre juridique. C'est
m ê m e niveau éducatif; que l'effectif des étudiants plutôt que les lois qui régissent ces activités sont géné-
(N) soit suffisant pour abaisser le coût fixe m o y e n rales plus que normatives. Il note pour conclure
par étudiant ( F / N ) » (p. 65). Il aurait été utile de qu'au Canada cet enseignement n'appelle pas une
renforcer l'argumentation par u n exemple concret politique gouvernementale plus clairement définie.
tiré de la comparaison de deux systèmes ou établis- C e qu'on lit sur le cas des États-Unis d'Amérique
sements, n o n pas forcément dans le corps d u texte semble indiquer que, sur ce point, la situation est
(ce qui serait trop long ou trop difficile à lire, ou plus ou moins la m ê m e qu'au Canada. L'ouvrage de
les deux), mais en appendice ou sous la forme d'un R u m b l e sur la planification et la gestion aurait p u
graphique. traiter plus directement et plus en détail de la poli-
Les cas de création de systèmes ou d'établissements tique des pouvoirs publics. Quant à Y o u n g et ses col-
d'enseignement à distance sont le reflet dans les faits laborateurs, ils auraient p u étudier la question. A lire
des considérations de planification analysées par ce qui est dit des systèmes d'enseignement à dis-
R u m b l e . L e lecteur peut se rendre compte, au vu tance mis en place sur une grande échelle dans les
des exemples européens et canadiens fournis dans les pays en développement, on a l'impression que la plu-
deux ouvrages publiés par Mugridge et K a u f m a n et part sinon la totalité d'entre eux ont été et restent
par Ger V a n Enckevort et ses collaborateurs, c o m m e n t conçus et sont gérés, pour l'essentiel, sous l'impulsion
les modèles éducatifs que les planificateurs avaient d'une influence extérieure, et non en vertu d'une poli-
dans la tête ont influé sur les caractéristiques des tique gouvernementale qui s'y applique directement.
systèmes mis en place. C'est ainsi que les universités E n tout état de cause, pour ce qui est des pays en
ouvertes néerlandaise et britannique sont, semble- développement, il n'apparaît m ê m e pas qu'il existe
t-il, fortement inspirées d u modèle éducatif axé sur la moindre politique en la matière. A l'avenir, il
la personne qu'examine R u m b l e . L e livre de Y o u n g faudrait que les études consacrées à l'enseignement
et de ses collaborateurs expose des études de cas à distance traitent à fond la question de la politique
d'enseignement à distance dans les pays en déve- officielle de l'enseignement à distance, surtout dans
loppement, dont les caractéristiques (campagnes de les pays en développement. U n e telle politique est-
masse et forums ruraux, par exemple) sont manifes- elle nécessaire en ce domaine ? E n existe-t-il déjà des
tement tributaires d u modèle éducatif centré sur la exemples ? D a n s l'affirmative, jusqu'à quel point ces
société. politiques influencent-elles ou infléchissent-elles la
Il est aussi intéressant que surprenant de cons- pratique de l'enseignement à distance face à l'in-
tater qu'aucun des ouvrages considérés ne traite de fluence concurrente exercée par les pays développés
la question des politiques gouvernementales en occidentaux ? Telles sont quelques-unes des ques-
Revue de publications 145
tions, parmi bien d'autres, auxquelles il faudrait différent et, en ce cas, se trouveraient peut-être non
s'attaquer. pas à la queue de la longue colonne désignée par les
Chacun des quatre ouvrages dont nous rendons nations industrialisées, mais à sa tête, allant dans une
compte ici, sans chercher à les comparer, apporte une direction différente et montrant eux-mêmes le che-
précieuse contribution à la masse croissante des écrits min au reste d u m o n d e » (p. 129).
consacrés à l'enseignement à distance. A l'exception Voilà u n raisonnement bien fait pour rappeler aux
de celui qui est publié sous la direction de Y o u n g , planificateurs des systèmes de télé-enseignement que
tous sont de parution récente (1986), bien qu'ils uti- ce qui « marche » dans les pays développés ne fonc-
lisent des matériaux ou des informations qui remon- tionne pas toujours nécessairement aussi bien dans
tent aux alentours de 1984. L e lecteur est ainsi sûr les pays en développement. Quelque chose de diffé-
de disposer d'une documentation à peu près à jour. rent pourrait être tenté.
L e livre publié par Mugridge et K a u f m a n donne O n peut, toutefois, faire une observation sur les
au lecteur u n tableau très complet de l'enseignement « radio-collèges » proposés par Y o u n g et ses collabo-
à distance au Canada. Celui de Ger V a n Enckevort rateurs. Ceux-ci auraient d û consacrer u n chapitre
fait de m ê m e n o n seulement dans le cas des pays ou une section de leur ouvrage à l'incidence de cette
européens, mais encore pour l'Australie, les États- formule sur les systèmes éducatifs existants et sur la
Unis d'Amérique, le Japon, la Nouvelle-Zélande et société dans son ensemble. C o m m e n t celle-ci réagi-
la Turquie. A eux deux, ces ouvrages permettent de rait-elle, par exemple, à l'idée d'installer deux caté-
savoir ce qui se passe en matière d'enseignement à gories de diplômés, selon qu'ils sont issus d u système
distance dans les pays développés d u m o n d e . O n ne scolaire traditionnel ou d u système extrascolaire
peut qu'en recommander très vivement la lecture à reposant sur la formule des « radio-collèges » ? C o m -
tous ceux que la question intéresse. Ils y trouveront un ment les deux systèmes ont-ils des chances de s'in-
certain nombre d'exemples et d'études de cas pré- fluencer mutuellement ? L a question n'est pas ana-
sentés de façon assez détaillée, qui leur permettront lysée. Il reste que les appendices sur les études de
de mieux comprendre et de mieux connaître l'ensei- cas et le répertoire annoté des projets d'enseignement
gnement à distance dans le m o n d e industrialisé. A la à distance fournissent au lecteur de très précieux
fin de chaque volume, on voit se dessiner la tendance renseignements. D e s indications passées sous silence
à utiliser dans ce secteur des technologies nouvelles dans le texte y figurent en bonne place. Cela donne
de l'information et des télécommunications c o m m e au livre u n surcroît d'intérêt.
l'informatique. Quant au livre de Y o u n g et de ses Pour sa part, tout en concédant qu' « il n'y a pas
collaborateurs, qui date pourtant de 1980, il demeure une seule et unique bonne manière de concevoir et
utile pour comprendre l'enseignement à distance dans de gérer u n système d'enseignement à distance »
les pays en développement, car les choses n'ont proba- (p. 20), R u m b l e présente au lecteur ou à l'utilisateur
blement pas beaucoup changé depuis que ces auteurs une très bonne analyse des thèmes et éléments à
ont étudié la question. O n peut donc considérer que prendre en considération dans la planification et la
leur analyse reste encore valable aujourd'hui. L a popu- gestion de l'enseignement à distance. Cet ouvrage
lation de ces pays continue de s'accroître rapidement, apporte u n complément important aux écrits exis-
mais la mise en place d'installations d'enseignement tant sur le sujet en ceci que l'auteur a tenté d'expli-
ne suit pas. Les taux d'analphabétisme chez les en- citer ce qu'impliquent ces deux activités. T o u s ceux
fants et les adultes atteignent des niveaux alarmants qui se consacrent à celles-ci devraient le lire.
dans la plupart des cas. L a situation est peut-être Pour résumer, on peut dire que ces ouvrages méri-
m ê m e pire à présent que dans les années 1970, que tent tous de figurer dans toute bibliothèque. E n
dépeignent Y o u n g et ses collaborateurs. Pourtant, outre, on ne saurait trop les recommander à toutes
l'apport exceptionnel de ce livre, qui mérite d'être les universités qui pratiquent l'enseignement à
pris au sérieux dans les pays en développement et distance.
dont la valeur n'est pas moindre aujourd'hui qu'hier, J u m a Esau N Y T R E N D A ,
c'est la formule d'un système éducatif extrascolaire Directeur du Centre d'éducation permanente,
reposant sur des « radio-collèges », solution que les Université de Zambie
auteurs suggèrent, avec de très bons arguments à
l'appui, en indiquant quels sont ceux qui peuvent en
bénéficier, ce qu'ils apprendront et c o m m e n t l'orga-
nisation d u système devrait être conçue et réalisée.
L a proposition est présentée de manière très sédui-
sante. N o u s pensons avec eux qu' « il vaut la peine de
l'essayer » (p. 121) et s o m m e s d'accord avec eux lors-
qu'ils font valoir qu' « aucune fatalité historique
n'oblige les pays pauvres à suivre l'exemple des pays
développés. Ils pourraient faire quelque chose de
146 Revue de publications
d'organisation que Cirigliano propose, dans la borer un modèle véritablement opérationnel » (p. 167).
deuxième partie, pour ce type d'institutions universi- Cela étant, il est indubitable que cet essai-proposition
taires. L'auteur, qui semble apprécier particulière- est aussi stimulant que les autres travaux de cet
ment l'usage des sigles (il en emploie un grand n o m - auteur argentin.
bre, dont il donne le sens, pages 5 et 6), appelle RÉFLEXIONS
S E A D (Sistema de Educación Abierta/Distancia) le ET EXPÉRIENCES LATINO-AMÉRICAINES
modèle qu'il propose, suivant en cela une tradition
fort répandue dans certains milieux latino-américains; Si l'étude de Cirigliano consiste à justifier et à pro-
Zelaya G o o d m a n utilise le m ê m e sigle dans le livre poser u n m o d e d'action concret dans le domaine de
publié sous la direction de Peñalver et Escotet (pa- l'éducation ouverte et à distance, le recueil éclectique
ge 141 et suivantes). de Peñalver et Escotet n'a d'autre but que de faire
J'ajouterai encore, en ce qui concerne la première l'inventaire de la réflexion et de la pratique dans ce
partie, qu'elle s'ouvre sur quatre chapitres d'élabo- domaine au début des années 1980. Bien entendu, les
ration contextuelle et conceptuelle. Partant de l'édu- contributions très diverses provenant des différents
cation des adultes et de l'éducation permanente, auteurs sont de qualité sensiblement inégale. S'il est
l'auteur enchaîne sur l'éducation ouverte, concept vrai que la plupart des auteurs montrent qu'ils connais-
qu'il distingue soigneusement de ceux d' « enseigne- sent bien, et souvent à fond, à la fois l'enseignement à
ment traditionnel », d' « enseignement à distance » et distance et les caractéristiques particulières de l'en-
d' « autodidaxie ». Pour lui, « l'éducation ouverte va seignement universitaire, il en est aussi qui semblent
plus loin que l'enseignement traditionnel et plus loin s'être contentés d'examiner, voire seulement d'ef-
que l'enseignement à distance » (p. 21) ; il n'hésite fleurer, u n seul aspect de la réalité.
donc pas y à voir l'éducation de l'avenir, m ê m e si les Les questions de fond sont traitées dans un certain
autres formes subsistent. C e type d'éducation devrait, désordre et avec d'évidentes lacunes au début d u
à son avis, être fondé sur une théorie « participative » premier volume. L a série et le volume commencent
de la communication, dont il se borne à esquisser les par un chapitre intitulé « Objectifs et c h a m p d'appli-
caractéristiques. Vient ensuite l'examen de l'expé- cation de l'enseignement à distance », dans lequel
rience des quatre institutions citées plus haut — dont Luis M . Peñalver nous livre une analyse documentée
il donne une interprétation par trop schématique — , de l'évolution des institutions universitaires en A m é -
examen qui débouche, dès la fin de la première partie, rique latine, analyse qui témoigne de la vaste expé-
sur une comparaison non moins schématique — mal- rience universitaire de l'auteur qui milite clairement
gré les abondantes digressions — entre l'université en faveur de ce nouveau type d'institution. L'article
ouverte et l'université traditionnelle. qu'il propose en guise de conclusion d u second
L a deuxième partie contient, il m e semble, ce qu'il volume (« Situation et perspectives de l'enseignement
y a de plus substantiel et de plus intéressant dans l'ou- supérieur en Amérique latine ») se situe dans la m ê m e
vrage. Pleine d'idées et de suggestions, elle s'arti- ligne. Il est symptomatique qu'à la fin de son pre-
cule autour d'une question (p. 61) : c o m m e n t orga- mier article l'auteur affiche n o n pas tant son opti-
niser u n système d'éducation ouverte à distance ? m i s m e résolu à l'égard d u nouveau système que son
L'auteur part du principe que le S E A D est une « forme « désir » d'être optimiste et de croire que le remède aux
organisée qui rend possible l'éducation ouverte, la- problèmes réels dont souffre l'enseignement supé-
quelle peut en m ê m e temps être dispensée à dis- rieur en Amérique latine se trouve dans ces nouvelles
tance » (p. 63). Autrement dit, l'éducation ouverte se institutions. Les deux chapitres suivants sont assuré-
situe au-delà de l'éducation à distance, mais, peut- ment moins optimistes. D a n s l'un, fort long, Victor
être pour cette raison m ê m e , sa méthodologie peut Guédez insiste a b o n d a m m e n t sur « les défis de l'édu-
convenir aussi à l'éducation à distance et pourrait cation ouverte et de l'enseignement à distance »,
également s'appliquer à l'éducation traditionnelle. tandis que dans l'autre, relativement bref, Emilio
C'est là que résident, à m o n avis, à la fois le point fort Lledó exprime ses doutes (et son espérance) quand à
et la faille du raisonnement de Cirigliano. Son mérite la possibilité m ê m e d'un enseignement « à distance ».
est d'avoir conçu des objectifs et une méthodologie Il écrit ceci : « Ceux qui, c o m m e nous, ont été formés
ambitieux, bien articulés, en liaison constante avec dans une structure d'enseignement traditionnel, où
ceux qui vont être les clients (et non pas seulement les la pédagogie est fondée sur la présence, peuvent pen-
récepteurs) du système ; mais son point faible est que ser que c'est vers l'amélioration de l'école et de l'uni-
les avantages attendus tiennent, en fait, à la distance versité traditionnelles qu'il faut s'orienter. Mais, dans
et que, dans ce qu'elle a d'ambitieux, l'entreprise une société livrée c o m m e l'est elle aujourd'hui aux
dépasse sans doute les possibilités que la distance peut communications de masse [...] c'est peut-être sur cet
lui offrir. Cependant, l'auteur a conscience que son autre terrain plus vaste et moins bien délimité que se
modèle n'est qu'une « esquisse de proposition » et que situe le défi de l'éducation » (p. 65).
« seule l'expérience concrète dans une situation don- Cardos Paldao replace la question sur u n terrain
née, avec ses objectifs et ses limites, permettra d'éla- beaucoup plus descriptif, analytique et technique
148 Revue de publications
(chapitre IV) en revenant sur les concepts de base et de savoir si l'on peut vraiment éduquer « à distance ».
en s'étendant sur la signification et la portée de cette C e qui semble sûr, c'est que l'on peut enseigner à
nouvelle forme d'enseignement, toujours sur u n ton distance et l'on ne voit pas pourquoi cet enseignement
optimiste. L e chapitre suivant n'a probablement pas ne pourrait pas être pleinement éducatif. C'est peut-
sa place dans cette partie de l'ouvrage, m ê m e si le titre être en définitive précisément ce qu'Escotet voulait
(« Rôle des systèmes d'apprentissage ouvert dans la dire.
solution des problèmes d'éducation ») et les quatre L a deuxième partie d u volume (« Méthodes de
premières pages peuvent donner à penser le contraire. l'enseignement universitaire à distance ») c o m m e n c e
Il s'agit en réalité d'un bon article de sir Walter par tin article de Jaime Sarramona, qui met l'accent
Perry sur P O p e n University, ses caractéristiques et la précisément sur le binôme enseignement-apprentissage.
façon dont elle pourrait aider à résoudre certains Bien qu'il admette d'emblée une certaine progression
problèmes qui se posent au R o y a u m e - U n i . O n trouve entre les actions instruction-formation-éducation,
dans ces pages des suggestions fort utiles qui ont une l'auteur — qui connaît bien la question — préfère,
indéniable portée générale, mais qui n'en traduisent semble-t-il, évoquer les systèmes d'enseignement à dis-
pas moins une approche particulière qu'il serait plus tance. Sa conclusion est la suivante : « E n tant que
indiqué de ranger aux côtés d'autres « études de cas ». théoricien et praticien de l'éducation, je suis pour la
E n revanche, l'article proposé par Miguel Angel communication directe enseignant-élève, que je consi-
Escotet dans le chapitre V I (« L'enseignement supé- dère c o m m e le meilleur m o y e n d'éducation qui puisse
rieur à distance face au paradigme de l'instruction et être. Cette relation, qui contient implicitement la
de la formation ») a tout à fait sa place dans cette partie fonction paradigmatique de la conduite de l'éduca-
réservée aux fondements théoriques de la question et teur, est donc indispensable dans les premières a n -
constitue, malgré sa relative brièveté, l'un des efforts nées d'études. Mais lorsque arrive le m o m e n t où les
de systématisation globale les plus réussis d u livre. influences éducatives se diversifient en une multitude
D a n s cet article, divisé en trois parties consacrées de sources, le sujet acquiert une certaine maturité et
aux objectifs, aux méthodes et aux structures de l'institution scolaire s'oriente vers u n e vocation plus
l'enseignement supérieur à distance, l'auteur offre une culturelle et plus professionnelle ; il est alors possible,
interprétation équilibrée de ce que peut être cette et je dirai m ê m e nécessaire, de moduler les sources
nouvelle institution. Il y a une concordance parfaite d'enseignement en vue de les adapter aux diverses
entre ce que doivent être, selon lui, les buts de ce circonstances qui se rencontrent dans la vie de chaque
type d'université et les m o y e n s , le type d'organisation individu. C'est pourquoi j'ose affirmer que l'ensei-
qui sont mis à sa disposition. C'est peut-être la raison gnement à distance est u n système qui a sa propre
pour laquelle les propos d'Escotet qui appellent les raison d'être, et non pas u n simple succédané de l'en-
plus fortes réserves ont trait à lafinalitéé m i n e m m e n t seignement direct » (p. 137-138).
éducative qu'il assigne à la nouvelle institution (fina- L e travail de Sarramona pourrait être encore consi-
lité qui, pour lui, doit être celle de toute université déré c o m m e une tentative de systématisation globale.
qui se respecte) et à son refus de concevoir cette Les articles qui viennent ensuite abordent des aspects
institution c o m m e u n lieu d'instruction et de forma- plus spécifiques, tels que l'administration des n o u -
tion. Il m e semble que cette opposition entre éduca- veaux systèmes (Zelaya) et leur évaluation (Galvis,
tion et instruction — par ailleurs très répandue chez Contasti-Duchatellier, Fabrega, Escotet). L'article de
divers auteurs — est à l'origine de bien des malenten- K n a a k (chapitre I X ) traite de la technologie éduca-
dus et conduit souvent à demander à des institutions tive en général, et non pas d u seul point de vue des
de différents types plus qu'elles ne peuvent offrir en systèmes d'enseignement à distance, bien qu'elle
réalité. Il s'agit, en s o m m e , d'une attitude d'opti- trouve évidemment dans ces systèmes des possibilités
m i s m e au départ qui, à la fin, se m u e souvent en d'application particulières. Celui de Contasti-Ducha-
pessimisme, en insatisfaction permanente devant les tellier se rapproche, u n e fois de plus, de l'étude de
réalités et les résultats. Il convient de rappeler, à cet cas puisqu'il tend à expliquer les particularités de
égard, que le très ingénieux concept d'instruction l ' U N A vénézuélienne, au point de vue de la pédagogie
éducative, forgé par Herbart, conserve toute son ac- et de l'organisation, plus qu'à justifier son titre
tualité et que c'est finalement ce type d'action qui (« L'évaluation institutionnelle, science ou conjec-
définit et caractérise le mieux toute institution sco- ture »). Il en va à peu près de m ê m e des écrits de
laire. D e ce point de vue, il ne devrait y avoir aucune Fabrega et d'Escotet (également consacrés à l'éva-
difficulté à admettre que « les universités à distance » luation), qui figurent dans cette partie. L a théorie
instruisent ou enseignent c o m m e n t peuvent le faire tient une large place dans tous ces articles, mais on ne
aussi, de par le m o n d e , n o m b r e d'universités tradi- peut pas dire qu'ils s'articulent autour d'un axe qui
tionnelles de bon niveau. L a formule revêt cependant formerait une base théorique homogène et cohérente.
une importance particulière dans le cas des institu- A part les derniers chapitres, sur lesquels je re-
tions nouvelles, car elle permet d'éluder le vieux pro- viendrai, le reste (p. 307 à 717) est consacré à l'étude
blème (qui, on l'a vu, préoccupait le professeur Lledó) d'expériences nationales, concernant d'abord l ' A m e -
Revue de publications 149
rique latine puis d'autres régions. Il s'agit d'études UNE CONJONCTURE POLITIQUE FAVORABLE
inégales, qui, en tout cas, commencent déjà à être
dépassées. L'enseignement à distance se démarginalise en effet
Quant aux trois chapitres qui clôturent le livre, ils et pénètre u n peu partout dans le m o n d e institution-
revêtent tous u n caractère général de réflexion sur nalisé de l'enseignement et de la formation. C o m m e
l'enseignement universitaire dans son ensemble, n o - le montre Henri Dieuzeide dans l'un des chapitres de
tamment dans le contexte de l'Amérique latine. l'ouvrage, cette faveur tient en partie à la situation
Ricardo Diez-Hochleitner évoque l'avenir de l'uni- de crise de l'éducation qui, depuis vingt ans, a eu
versité, tandis qu'Escotet reprend la parole pour faire pour effet de faire stagner ou m ê m e , en certains cas,
le point de la situation des « universités à distance » de diminuer les ressources publiques affectées à
en Amérique latine et mettre en évidence les diffi- l'éducation, alors que dans le m ê m e temps le nombre
cultés qui pourraient les empêcher de se développer des scolarisés doublait. D e s conditions sociales ren-
c o m m e elles le devraient. L e dernier article, celui de dent souhaitable par ailleurs l'accès à la formation de
Luis M . Peñalver, a déjà été mentionné. catégories de plus en plus larges de la population et
E n s o m m e , nous nous trouvons devant deux o u - à des moments de plus en plus divers de la vie :
vrages qui, malgré d'inévitables limites, montrent accélération d u changement technologique, obsoles-
bien l'impulsion donnée à l'enseignement universitaire cence des techniques traditionnelles, chômage et
à distance en Amérique latine. Il serait souhaitable, exigences de reconversion obligent en effet à envisa-
cependant, que ce m o d e de pensée et d'action promet- ger le recyclage et l'éducation permanente c o m m e de
teur soit mieux connu dans d'autres aires linguistiques. nouvelles données sociales.
Récupérée ainsi par les instances politiques, parée
José Luis G A R C Í A G A R R I D O , de nombreux avantages, la formation à distance béné-
Professeur d'éducation comparée, ficie de moyens destinés à stimuler son essor. Ses
Universidad Nacional de Educación a Distancia atouts théoriques apparaissent facilement : possibilité
(Madrid, Espagne) d'abaisser le coût unitaire de l'enseigné, fonction
d'innovation et de motivation c o m m e solution de
rechange à un enseignement traditionnel jugé parfois
vétusté ou isolé des réalités d u m o n d e environnant,
France H E N R I et Anthony K A Y B rapidité de mise en place, compatible avec la durée
de vie d'un gouvernement, par exemple... O n pourrait
Le savoir à domicile
ajouter encore : stimulation technologique d u m o n d e
Sainte-Foy industriel par l'émergence d'un nouveau marché,
Presses de l'Université d u Québec, 1985 développement d'une formation aux nouvelles tech-
nologies et à la communication pédagogique, évolu-
tion donc et modernisation des pratiques sociales en
Après les deux ouvrages fondamentaux parus au
matière d'éducation.
début des années 1980 : Learning at a distance. A
world perspective et Distance teaching for higher and T o u s ces avantages ne doivent pas masquer quel-
1
adult education2, voici u n livre qui comble u n m a n q u e ques incertitudes et quelques dangers. Henri Dieu-
notoire de tels ouvrages de référence en langue fran- zeide enumere les freins qui risquent de ralentir une
çaise sur le sujet. évolution dessinée de façon trop optimiste. L ' u n des
C e livre a paru au m o m e n t où les enjeux liés aux plus importants est peut-être la difficulté d'engen-
nouvelles technologies de l'information et de la drer de nouvelles institutions, aptes à modifier les
communication s'affirment de façon spectaculaire : anciens rapports éducatifs devenus inadaptés et à
enjeux technologiques et commerciaux dont témoi- faire que la formation à distance ne « se fige en sys-
gne en France l'explosion des services télématiques tèmes de distribution de matériels inadaptés pour des
(on a pu en effet dénombrer, pour l'année 1986, plus tâches obsolètes ».
de deux cents applications dans le seul secteur de
l'enseignement et de la formation, la plupart fondées UN FONCTIONNEMENT DE TYPE INDUSTRIEL
sur l'utilisation du vidéotex3) ; enjeux politiques aussi,
en France et ailleurs, où les décisions d'équiper en L'influence des structures organisationnelles est par-
technologies nouvelles lycées, collèges ou universités ticulièrement mise en évidence dans un chapitre qui,
ne manqueront pas de fournir des possibilités d'édu- sous la plume d'Anthony Kaye, précise une des con-
cation à distance. Quant aux instances européennes, tradictions fondamentales de la formation à distance :
plusieurs projets, liés à l'utilisation des nouveaux l'un de ses avantages majeurs (l'accès du savoir offert
médias en éducation, révèlent également l'intérêt à de plus larges publics) implique souvent un m o d e de
qu'elles portent à une médiatisation de l'enseigne- production de masse, calqué sur les pratiques indus-
ment : D E L T A , C O M M E T T et certains axes d u trielles et sur les modèles organisationnels du secteur
programme F A S T , par exemple. tertiaire : édition, presse, radio et télévision.
150 Revue de publications
termine par une revue et une appréciation comparée l'auteur : la consommation d'un produit « n'est pas
des diverses formules d'encadrement. L'auteur, D o - étrangère aux pratiques socioculturelles des indivi-
minique Abrioux, insiste spécialement sur la nécessité dus ». Parler d'effets des médias, de leur spécificité,
d'un encadrement, car, malgré le postulat d'indépen- renvoie à u n système explicatif de causalité linéaire.
dance, « il faut le reconnaître, l'apprentissage ne se O r , il s'agit d'un processus où « le problème est moins
fait pas de façon complètement autonome ». Les de savoir ce que les médias font au public, que ce que
degrés et les types d'encadrement varient grandement les publics font des médias ». E n particulier, il
selon les pays ou les institutions. N e peut-on penser s'agirait de savoir c o m m e n t se déroule l'apprentissage
également qu'ils devraient différer selon les élèves, dans les divers contextes de formation et, parmi eux,
pour lesquels cependant une typologie globale semble ceux qui incluent l'audiovisuel parmi les supports
encore faire défaut ? pédagogiques. Lorsque ces questions seront mieux
connues, sans doute l'audiovisuel sera-t-il davantage
LA MISE EN ŒUVRE DES MÉDIAS utilisé et avec plus de succès.
Thérèse L a m y clôt l'ouvrage en prônant une télé-
L a troisième partie de l'ouvrage est consacrée à matique conçue c o m m e u n « outil convivial ». Per-
l'étude de l'élaboration des messages à travers les mettant effectivement la mise en réseau, ce média
médias : l'imprimé, l'audiovisuel et la télématique. devait forcément tirer vers u n modèle fondé sur les
Au-delà de la délicate question de la spécificité des petits groupes et sur la non-institutionnalisation de
médias, trois chapitres traitent de l'utilisation adé- l'accès au savoir. L'auteur s'oppose à une conception
quate de chacun d'eux. « cartésienne » de l'apprentissage, qui distingue savoir
L a domination universelle de l'imprimé s'explique et non-savoir, et s'inspire au contraire d u principe
par les multiples qualités de ce média. Il exige cepen- piagétien selon lequel on n'apprend que par u n pro-
dant une grande structuration des textes, pour la- cessus de transformation d u réel. L a conception
quelle l'auteur, Françoise Landry, propose une inté- qu'elle développe repose sur la rencontre, égalitaire,
ressante liste de variables et une démarche systéma- entre pairs, « la participation à la conversation de
tique. Ces variables, au n o m b r e de quatre, rejoignent l'humanité », et donc sur une conception coopérative
les quatre pôles de la conception d'un cours tels de la formation. Pour l'auteur, « le postulat fonda-
qu'ils ont été définis plus haut et renvoient aux mental de l'ouvrage, qui est la reconnaissance et le
enjeux déjà cités : la discipline, c'est-à-dire les objec- respect de l'autonomie de l'adulte », constitue u n
tifs d'argumentation ou de démonstration (les ques- état ultime, non atteint par un grand n o m b r e d'indi-
tions d'influence) les caractéristiques des étudiants, vidus. Si l'on fait de la télématique u n outil convi-
en particulier leurs acquis et expériences antérieurs vial, celle-ci peut devenir u n outil éducatif, u n outil
(les degrés d'intégration des nouvelles connaissances d'émancipation qui permettra d'atteindre à la véri-
aux anciennes), enfin les choix pédagogiques (la pré- table autonomie.
sentation des textes pour faciliter l'apprentissage).
Pour cette dernière variable, Françoise Landry étudie
UN LIVRE RÉSOLUMENT OPTIMISTE
longuement les critères de lisibilité et les divers
indices d'accessibilité d'un texte ainsi que les pro- D u fait d u m a n q u e d'évaluation systématique des
cédés de traitement. actions de formation à distance, on dispose encore de
U n autre chapitre est consacré à l'audiovisuel. peu de résultats concernant son efficacité réelle.
Geneviève Jacquinot dresse u n large panorama des Malgré cela, et en dépit des difficultés d'ordre écono-
questions qui se posent à son égard. Après avoir mique o u organisationnel qu'elle rencontre, la for-
vigoureusement retracé l'essentiel d u débat entre mation à distance sort de sa marginalité. D a n s u n e
technologues et pédagogues, entre iconophobes et visée prospective, ce livre précise les conditions de
partisans de l'audiovisuel, elle établit une liste des son développement. Il propose u n modèle dont on
types d'apprentissage favorisés particulièrement par appréciera la cohérence, bien qu'il soit composé
ces médias et souligne l'importance du contexte social de contributions rédigées par divers auteurs. C e
et disciplinaire pour le choix et l'utilisation de tel modèle repose sur l'emploi massif de nouvelles tech-
ou tel d'entre eux. Cette différenciation des situations, nologies qui apparaissent aux auteurs c o m m e devant
dont on n'a sans doute pas encore suffisamment pris favoriser la participation, la coopération, la démocra-
la mesure, a pourtant été abordée, c o m m e le rappelle tisation, mais également l'indépendance et l'auto-
l'auteur, depuis assez longtemps. D è s 1976, Marquis nomie des populations visées.
proposait deux modèles : l'un plus interactif, l'autre C e modèle repose aussi sur une conception h u m a -
plus autonome selon que l'orientation d u cours est niste de l'éducation. D e l'aveu des auteurs, il se situe
davantage à incidence sociale ou plus tournée vers plutôt d u côté des « utopistes ». Il a néanmoins le
l'acquisition des connaissances. N u l doute que d'au- mérite de faire nettement apparaître les liens entre
tres éléments que le type de cours doivent jouer les différents niveaux concernés : le politique, l'éco-
également dans le choix. D ' o ù la juste remarque de nomique, l'organisationnel, la pédagogie, les médias,
152 Revue de publications
Nicole M E R C I E R ,
Institut pour le développement
et l'aménagement des télécommunications
et de l'économie,
Montpellier (France)
Notes
i. J. Daniel, M . Stroud, R . Thompson (dir. publ.),
Learning at a distance: a world perspective, Edmonton,
Athabasca University, I C C E , 1982, 338 p.
2. A . Kaye, G . Rumble (dir. publ.), Distance teaching for
higher and adult education, Londres, Croom Helm,
1981, 342 p.
3. N . Mercier, J . - C . Marot, F . Planche. Télématique et
enseignement — inventaire d'expériences, Montpellier,
I D A T E , 1987, 180 p.
4. N . Mercier, De nouveaux outils pour les téléconférences :
les structures de communication de groupe à distance,
Montpellier, I D A T E , 1986, 65 p.
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les nouveaux illettrés
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dans la communication culturelle en Hongrie maternelle : sources, limites et perspectives
Wolfgang Kreft Méthodes et matériel pédagogiques
d'alphabétisation des adultes en R F A
Jean-François Chosson Illettrisme et insertion Vol. X V I I , n° 4 , 1987 (64)
professionnelle des jeunes en milieu rural en France
Jalons
Bendt Petersen Activités spéciales d'alphabétisation
dans l'armée danoise POSITIONS/CONTROVERSES
Alan Wells Alphabétisation des adultes : son
impact sur les jeunes au Royaume-Uni George Vaideanu L'interdisciplinarité dans
Józef Pólturzycki Être alphabétisé et le rester : l'enseignement : un essai de synthèse
l'expérience polonaise Joào Batista Araujo e Oliveira O ù va l'enseignement
supérieur en Afrique occidentale francophone ?
Jack C. Pearpoint « Frontier College » : ses
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TENDANCES ET CAS L'INFORMATIQUE DANS L'ENSEIGNEMENT
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contexte, évolution Henri Dieuzeide Informatique et éducation :
Joan Guitart i Agell L a normalisation linguistique l'expérience française
de l'enseignement en Catalogne Haruo Nishinosono L'informatique dans
l'enseignement général : le plan japonais
Fidel Oteiza M . Informatique et éducation : la
Vol. X V I I , n° 3, 1987 (63) situation en Amérique latine
Jalons Dragan Vasic L'enseignement de l'informatique
au niveau primaire : une expérience en Serbie
POSITIONS/CONTROVERSES Andrei Petrovitch Ershov L'informatique, nouvelle
matière dans l'enseignement secondaire en U R S S
Gerhart Neuner Formation générale et disciplines
Benjamin M . Makau et Brian Wray L e micro-
d'enseignement
ordinateur dans l'éducation : une expérience kényenne
DOSSIER Kamal Datta L'informatique dans les écoles
secondaires indiennes : le projet C L A S S
L'INFORMATIQUE DANS L ' É D U C A T I O N Ferenc Papp L'ordinateur dans l'enseignement des
I : Q U E L Q U E S P O I N T S CLÉS langues étrangères : la recherche en Hongrie
Tibor Vamos Éducation et informatique : priorité Mariel Leclerc, Louise Dubuc, Yves Bégin
à l'homme Évaluation de logiciels éducatifs au Canada
George J. Papagiannis et Sande Milton TENDANCES ET CAS
L ' « alphabétisation » informatique au service
du développement : une métaphore évolutive Richard Noonan et Jacques Hallak Les unités
Jamesine Friend L'ordinateur dans l'enseignement : d'enseignement multi-âges dans les pays en
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