Prat. Origène, Le Théologien Et L'exégète. 1907.

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 304

ORIGENE

L,E THEOLOGIEN ET LEXEGETE


LA PENSEE CHRETIENNE
Textes et Études

Or i gène
LE THEOLOGIEN ET L'EXEGETE

PAR

F. PRAT, S. J.

PARIS
LIBRAIRIE BLOUD ET C*«
4, RUE MADAME, 4

1907

Reproduction et traduction interdites.


z'

IMPRIMATUR :

Fr. Albertus Lepidi, 0. P.

S. Pal. Apost. Magisler.

Romœ, 2 sept. i90C.


IME INSTITUTE OF KEDIAEVAL STltiES
10 ELMSLEV PLACE
TOROhTO 6, CANADA,

DFC iniq.3i
AVANT-PROPOS

Le travail que nous entreprenons aujourd'hui est fait


depuis longtemps. Deux des plus beaux génies de l'Église
grecque, saint Basile le Grand et saint Grégoire de Na-
zianze, avaient découpé les pages choisies d'Origène à
l'usage des philologues. Quelque précieuse que soit pour
nous la Philocalie — c'est le nom de ce recueil — et par
les nombreux fragments d'ouvrages perdus qu'elle nous
conserve et par l'autorité des grands noms sous le patro-

nage desquels elle se présente à nous, il ne fallait pas


songer à la reproduire. Des lecteurs du vingtième siècle
n'ont ni les goûts, ni les exigences ni les besoins du
public helléniste du quatrième. Les beautés littéraires,
réussirait-on à les rendre sensibles dans notre langue,
nous toucheraient peu dans un homme tel qu'Origène.
Ce qui nous intéresse surtout en lui, c'est l'éclosion de sa
pensée, l'enchainement de son système, la filiation de ses
erreurs ; c'est l'influence en bien et en mal qu'il a exer-
cée sur ses contemporains et sur la postérité. La pieuse
préoccupation des auteurs de la Philocalie, d'écarter tout
ce que l'orthodoxie réprouve, nous est étrangère : les
témérités du grand Alexandrin n'étant plus dangereuses
et ses égarements pouvant même servir de leçon. Ce qui
doit diriger notre choix, c'est moins le souci de faire ad-
mirer Origène que le désir de le faire connaître tel qu'il
VI ORIGENE

est, et si les pages extraites de ses œuvres ne sont pas


les plus belles, il est à propos qu'elles soient les plus ca-

ractéristiques.
Sans nous dissimuler ce qu'aura forcément d'incomplet
un travail de proportions si modestes en regard de l'œuvre

dont voudrait donner une idée et des problèmes qu'il


il

agite, nous étudierons successivement le théologien et


l'exégète le théologien, dans les trois premiers livres
:

du Periarchon comparés aux passages dogmatiques des


autres ouvrages ; l'exégète, dans l'exposé théorique du
quatrième livre des Ptnncipes et dans l'explication d'un
chapitre choisi de saint Paul. Nous laissons entièrement
de côté l'apologiste, le critique, le prédicateur et le

professeur. Ce pourrait être le sujet d'une nouvelle


étude plus intéressante, à beaucoup d'égards, plus
variée, plus instructive et, en tout cas, plus accessible
au grand public que le présent ouvrage.
En wxQ de faciliter le contrôle, nous renvoyons d'ordi-
naire à la Patrologic de Migne (1); mais nous prenons
pour base le texte de l'édition critique de Berlin (2),

dont quatre Aolumes ont déjà paru, et la Philocalie de


Robin son (3). Pour le latin du Periarchon il a fallu se
contenter de l'édition de Redepenning (4), en attendant
celle que prépare, croyons-nous, M. Kœtschau. En gé-

1. Dans les renvois à Migne, généralement placés entre pa-

renthèses, les chiffres romains indiquent le tome, les chiffres


arabes, la colonne. On voit par le contexte s'il s'agit de la Patro-
logie latine ou de la grecque.
2. Tomes I et 11, édités par Kœtschau, Leipzig, 1899 (ZJe J/ar-

tyrio, Contra Celsum, De Oralione), t. III par Klostermann, 1901


{Homélies sur Jérémie et sur la Pytfionisse d'Endor), t. l\ par
Preuschen, 190i {Comment, sur S. Jean).
". J. Armitngo Robinson, T/ir PInlocalia of Origen, (Cam-
bridge. 1S9:3.
4. Redepenning, De Principiis, Leipzig, 1836.
AVANT-PROPOS VII

néral les chaînes bibliques doivent être soumises à une


revision sévère et nous navons pas employé celles de Cra-
mer (1) sans les collalionnersur les meilleurs manuscrits.
Enfin nous n'avons utilisé les Scolies sur /es Proverbes
publiées par Mai (2) qu'autant qu'elles saccordent
avec le manuscrit trouvé an Sinaïpar Tiscliendorf (3). Le
lecteur désireux d'étudier par lui-même des questions
sur lesquelles il nous fallait passer légèrement nous
pardonnera sans doute d'avoir multiplié les références.

Pour ne pas trop grossir le volume nous renonçons à


donner la bibliographie des écrits d'Origène et des
ouvrages sur Origène on la trouvera dans un fascicule
:

du Dictionnaire de la liible [)rès de paraître. Nous nous


bornerons à indiquer ici, à l'usage des étudiants en
théologie, quelques-uns des travaux les plus récents, les
plus utiles et les plus à portée du grand nombre.

E. R. Redepeiining. Oriyenes, eine DarsleUumj seines


Lebens und seiner Lehre, Bonn, 2 vol., 1841-1846. (Savant
ouvrage, un peu confus.)
Freppel. Origène (cours d'éloquence professé àlaSorbonne
en 18(50 et 1867), l'aris, 2 vol., 1868. 2" édit., 187o. (Intéres-

sant et bien écrit.)


J. Denis, La philosophie d'Origène, Paris, 1884. (Étude
approfondie, mais avec des idées préconçues )

Les articles de Westcott et de Dale dans le Diclionarij of

1. Cramer, Calense (quatre volumes sur les épîtres de saint


Paul), Oxford, -1841-1840. Les te.\tes relatifs à l'épître aux phé-
siens ont été très bien i-éédités par Gregg, Journal of Theol.
Studies, t. III (l'JUi), p. 398-4^0, 354-576.
± A. Mai, .Xovit Patrum Bibliolh.. t. VIT, Rome, 1854,2" par-
tie. 1-56 (reproduit par Migne, P. G., XVII).
3. Tischendorf, Origenis ^cholia In Pruverbia Salomonis, à la
suite de Xolitia cdit. cod. SinaiUci, Leipsig, 1860, p. 74-122.
VIII ORIGÈNE

Christian Biography, Londres, t. IV, p. 9G-142. (Résumés


très complets et très consciencieux, surtout le premier.)
Ch. Bigg, Tlic Christian Platonists of Alsxandria, Oxford,
1886. (Ouvrage personnel et d'une lecture attrayante.
Orlgène occupe la plus grande partie du volume.)
G. Capitaine, De Origenis elhica, Munster, 1898. (L'auteur
donne plus que ne promet le titre.)
Fr. Diekamp, Die origenist. Sireitigkeilen im sechsten Jahr-
hundert, Munster, 1899. (Essai plein d'érudition.)
Aug. Zôllig, Die Inspirationslehre des Origenes, Fribourg-
en-B., 1902. (Instructif et clair).
Pour la bibliograptiie on consultera :

0. Bardenhewer, Geschichte der aUlàrchl. Literatnr,


Fribourg-en-B., t. II, 1903, p. 08-138. (Analyse et apprécia-
tion des écrits d'Origène.)
U. Chevalier, Répertoire des sources historiques du Moyen-
àge. Bio-bibliographie, Paris, 1877-1888, p. 1683-4 et 27oG-7.
(Indication d'un grand nombre d'articles de revue.)

A. Ilarnack, Geschichte der allchrist. Litteratur, Ueber-


lieferung und Bestand, Leipzig, 1893, p. 332-403 (liste des
manuscrils d'Origène par Preuschen) ; Chronologie, t. II,

Leipzig, 1904, p. 26-34.


A. Ehrhardt, Die allchrist. Litteratur und ihre Erforschung
von 188i-1900, Fribourg-en-B., 1900, p. 320-331. (Examen
critique des travaux plus récents.)
Inutile d'ajouter qu'on lira toujours avec fruit Lenain de
Tillemont [Mémoires pour servir à iliist. ecclés., t. III) et
Iluet,dont les Origeniana (Migne, P. G., XVII) restent encore
l'ouvrage fondamental sur la matière. Ceux qui trouveraient
lluet trop sévère pourront le compléter ou le cori'iger par
Ilalloix [Origenes defensus, Liège 1648), et Vincenzi {in S.
Greg. Nijss.et Origenis scripta, etc., Rome, 3 vol., 1864-1868.)
INTRODUCTION

ORIGENE ET L O RIGEN IS M E

PREMIERE PARTIE
L'Origénisme dans Origène

CHAPITRE PREMIER
INFLUENCES EXTÉRIEURES

Jamais homme no fut plus discuté qu'Origène. Acclame


par les uns comme la plus grande lumière de l'Église après
les apôtres, conspué par les autres comme le fléau de l'or-
thodoxie et le père commun de tous les hérétiques, il a
vu le monde se diviser en deux camps pour ou contre lui.

Il va des deux côtés, en nombre à ^leu près égal, de tels

hérésiarques et de si saints docteurs, que le verdict res-


terait incertain s'il était subordonné à la pluralité des suf-
frages. Ni l'autorité de ses adversaires ne permet de
l'absoudre sans examen, ni la qualité de ses défenseurs de
le condamner sans réserve ; et peut-être l'attitude la plus
juste comme la plus sage est-elle cette neutralité bien-
veillante, faite d'admiration, de pitié, de sympathie, de
reconnaissance et de blâme discret, qu'ont observée à
son égard les Pères de l'Église les plus illustres.
Origone ne fut jamciis chef de secte ; il ne fut pas môme
chef de parti ; il aurait repoussé comme une injure un
titre qui eût semblé le séparer de la grande unité catho-
lique pour laquelle il professa jusqu'au bout le plus in-
violable attachement. Si Ton veut à tout prix en faire un
chef d'école, saint Grégoire le Thaumaturge, saint Dcnys
d'Alexandrie, saint Firmilien de Gésarée, qui le recon-
nurent toujours pour maître, sans parler de tous ceux
qu'il prépara au martyre, lui rendent bon témoignage.

G'est après sa mort que de fanatiques admirateurs, outrant


ses idées les plus aventureuses, transformant en dogmes
des hypothèses, téméraires peut-être mais avancées
avec circonspection, enfin ne tenant aucun compte des
progrès accomplis d'âge en âge par la théologie catho-
lique, créèrent l'origénisme. Ge système hétéroclite sui-
vit les directions les plus divergentes pour aboutir, au
sixième siècle, à une sorte de panthéisme nihiliste:
signe infaillible, dirait Ncwman, d'un développement
anormal et illégitime.
Les querelles origénistes ont elles-mêmes un caractère
fort étrange. Elles éclatent en crises subites après de lon-
gues périodes de trêve et d'accalmie ; elles se mêlent à
tant de préoccupations étrangères au dogme, à tant d'in-
térêts personnels, qu'il est souvent impossible de péné-
trer les mobiles secrets des antagonistes. Ges luttes arden-
ressemblent à des batailles indécises,
tes et confuses, qui
où l'on verrait des morts et des blessés sans savoir où
senties vain({ueurs et les vaincus, laissent le théologien
aussi perplexe que le critique.Avant de nous y engager,
essayons de déterminer ce qu'il y a d'Origène dans l'ori-
génisme.
Dès que le christianisme voulut s'organiser en système,
il dut se mettre en contact avec la philosophie sous peine
AVANT-PROPOS XI

d'entrer on collision avec clic, et cette inévitable rencontre


ne pouvait guère avoir lieu hors d'Alexandrie. A la fin
du deuxième siècle, toute l'Eglise d'Occident parlait en-
core grec et relevait intellectuellement de l'Orient. Ce
fut Tertullien qui la dota de cette langue théologique
moins riche, moins souple et moins nuancée, mais
ferme et vigoureuse et déjà belle dans sa rudesse na-
tive. Or Tertullien, avec toute son érudition et son élo-
quence, était l'homme le moins fait pour opérer l'union
entre la science et la foi, tant la philosophie profane lui
est antipathique. Son contemporain saint Ilippolyte, s'il

est vraiment raideur des Philosophumena, quoique


grec de langue et d'origine, n'était pas plus enclin à la
conciliation. Alexandrie occupait alors une place privilé-
giée. De ses deux antiques rivales. Tarse descendait la

pente d'une irrésistible décadence, tandis qu'Athènes


subissait une éclipse momentanée dont rien encore ne
faisait présager la fin. Si, dès cette époque, Rome était
le cœur de l'univers catholique, Alexandrie en était déjà
le cerveau.
Elle le devait surtout à son Didascalée. Celte
institution fameuse, qui remonte peut-être aux origines
de l'Église et dont les chercheurs modernes se sont plu
à faire tour à tour une école normale de catéchistes, un
séminaire de théologie et une libre palestre de discussions
philosophiques, avait pour but, sous l'autorité et le con-
trôle de l'évêque, de préparer les catéchumènes au bap-
tême et de parachever l'instruction des néophytes. La
prépondérance de la philosophie y tenait à deux causes :

la présence de nombreux catéchumènes sortis des écoles


profanes et le choix des premiers maîtres. Saint Pantène
avait été stoïcien; son successeur, Clément, ])latonicien ;

ni l'un ni l'autre, en devenant disciples du Christ, n'a-


vait jeté le manteau de philosophe. La devise de Clément
était: < Xi la science sans la foi, ni la foi sans la science. »

Et si la foi l'emportait, comme de juste, elle avait pour


complément nécessaire la science dont elle était à son
tour la perfection suprême. Telle était l'atmosphère in-
tellectuelle de l'école d'Alexandrie quand Origène en prit
la charge.
Touchant spectacle que celui de cet enfant de dix-sept
ans, animant son père au martyre dont il a tellement
soif lui-même qu'il faut user de ruse pour l'empêcher

d'y courir; puis, lorsque la mort de Léonidel'a laissé or-


phelin, avec une mère sans ressources et six frères puincs,
s'impro visant chef duDidascalée qu'il transforme en une
pépinière de martyrs et de confesseurs, convertissant
enmasse les païens étonnés de voir un adolescent pratiquer
des vertus surhumaines et justifiant par des prodiges de
science, d'apostolat, de renoncement, d'austérité, ce cri

d'admiration d'un adversaire : « Origène fut grand dès


l'enfance (1) ! »

Son premier malheur comme théologien fut précisé-


ment cette précocité inouïe qui le livra prématurément
à lui-même. Il tenait de son père une bonne formation
littéraire et un goût très vif pour les Écritures. Mais il

perdit trop tôt son niaitre Clément, qui d'ailleurs n'était


pas en théologie un guide assez sûr. A dix-huit ans,
quand il f u t mis à la tête du Didascalée, dont
officiellement
il s'était chargé spontanément durant la persécution, il ne
s'ap[)artint plus. Les labeurs de l'enseignement consu-
maient ses journées. La nuit et dans les moments de loi-
sir, il lisait avidement les livres de philosophie et de
science qu'il avait sous la main, il assistait aux leçons des

1. S. .I(''rùmo, Ephl. ad Pammach. cl Océan., i.x.xxiv, 8.


INTRODUCTION XIII

professeurs les plus célèbres; mais, malgré tout son


génie, il était impossible que ce système d'éducation ne
laissât pas dans son esprit quel([ue chose dinachevé
et d'incohérent. Marcel d'Ancyre lui reproche <i d'avoir
abordé la théologie en sortant des écoles philosophiques,
avant d'étudier suffisamment l'Écriture (1) » ; et cette

imputation, qu'Eusèbc se croit obligé de réfuter comme


une calomnie, a les apparences pour elle. En théolo-
gie, comme en tout le reste, Origène fut autodidacte.
On a beaucoup exagéré, sans nul doute, l'influence de
la philosophie sur ses doctrines théologiques. Les cri-

tiques contemporains reviennent là-dessus à une appré-


ciation plus juste. Origène emprunte à Platon, à Pytha-
gore, aux représentants du Portique, à bien d'autres
encore :mais il n'est, à proprement parler, ni stoïcien,
ni pythagoricien, ni platonicien. Plotin n'avait pas encore
créé le néo-platonisme et ne peut avoir exercé sur lui
aucune influence. Si, comme l'assure Porphyre, Origène
« lisait assidûment Platon, Numénius et Cronius, Apol-

lophane, Longin et Modérât, Nicomaque et les pythago-


riciens les plus renommés et se servait aussi des livres de
Chérémon le Stoïcien et de Cornutus (2) » , son vrai maî-
tre, celui qui fit sur son esprit l'empreinte la plus pro-
fonde, fut sans contredit le fondateur de l'éclectisme, le
philosophe-portefaix Ammonius Saccas. Aussi fut-il

toujours trop éclectique pour être exclusif. Saint Grégoire


le Thaumaturge nous apprend avec quelle largeur d'esprit
il dirigeait les lectures de ses auditeurs. Il ne bannissait
de son plan d'études que les matérialistes et les athées dont
il n'espérait rien tirer de bon (3). Plus tard il écrira à son

1. Eiisèbe, Contra Marcel., i, 4 (P. G., t. XXIV, col. 701).


2. Eusèbe, Hist. eccL, vi, 19 (P. G., t. XX, col. 56o-oG8).
3. Orat. panegyr., xiii (P. G., t. X, col. 1088).
illustre élève : « Les disciples des philosophes disent que
la géométrie, la musique, la grammaire, la rhétorique
et l'astronomie sont les compagnes nées de la philosophie ;

nous le disons, nous, de la philosophie elle-même par


rapport au christianisme (1). »

On ne comprendra jamais rien aux théories d'Origène


si on le croit inféodé à une école particulière, et la grande
erreur de l'origénisme, sous ses diverses formes, a été de
chercher dans ses écrits le développement logique et
poussé juscju'au bout système philosophique.
d'un
Laissons parler ici un critique avec lequel nous avons le
regret de n'être pas toujours d'accord. « Je ne crois pas
qu'Origène ait puisé dans la science hellénique aucun
de ses principes essentiels. Ce qu'il a pensé, il l'aurait
pensé sans connaître en eux-mêmes les stoïciens ni
Platon. Mais il est très vrai qu'il leur a souvent pris la
forme sous laquelle sa pensée s'est produite. Ce n'est
point parce qu'il est plus ou moins platonicien qu'il

admet, par exemple, la préexistence des âmes ; car


aucune des raisons sur lesquelles il appuie cette opinion
n'est prise de la psychologie ni de la métaphysique pla-
tonicienne... Ce n'est pas aux stoïciens, mais à la tradi-

tion chrétienne qu'il doit sa doctrine sur la fin et le re-


nouvellement du monde par le feu ; mais c'est sous l'in-
fluence du stoïcisme qu'il a fait de ce coup de théâtre
divin un moment nécessaire et régulier du développement
et de la vie du monde... Il s'est donc incontestablement
servi de la philosophie grecque pour l'expression de ses
doctrines... Mais, quant aux idées elles-mêmes, je crois
que c'est ailleurs qu'il en faut chercher l'origine (2). »

1. PhUocalie, chap. .xiii (P. G., t. XI, col. 8N).

2. A. I)('iiis, Philos. d'Origène, p. 59-00.


INTRODDCTION XT

CHAPITRE DEUXIEME

LES ELEMENTS DE L ORIGENISMK

I. — Interprétation allégorique

Les trois éléments principaux de ce que Ion est con-


venu d'appeler l'oiigénisme sont la méthode allégorique
appliquée à l'exégèse, la subordination des personnes
divines et la théorie des épreuves successives. Dans quelle
mesure Origène en est-il responsable'^
Au début du troisième siècle, l'allégorisme était de-
venu partout une mode, une habitude et un besoin. A
Alexandrie jjIus qu'ailleurs l'air ambiant en était saturé.
Depuis longtemps les philosophes païens s'étaient mis à
allégoriser leurs mythes. Tandis que les épicuriens se
rejetaient de préférence sur le système d'Evhémère,
Platon expliquait ces vieilles légendes par ce que nous
appellerions aujourd'hui le folklore et les stoïciens y
cherchaient des leçons profondes de cosmogonie et de
morale. Les Juifs auraient cru déroger s'ils avaient trouvé
dans leurs Livres saints moins de mystères aussi allégo- :

risaieut-ils à qui mieux mieux (1). Les thérapeutes

d'Egypte, autant ou plus quêteurs frères les esséniens de


Palestine, savaient l'art d'extraire de l'Ecriture des sens

Sur l'allégorisme des thérapeutes, voir Euscbe. EhL eccL^


1.
II,17 (XX, 181), d'après le De Vita conlemplaliva do Philon.
Photius, liiblioth., 105 (CIII, 373), regarde i\ bon droit Philon
comme le fauteur responsable du système allégorique des Pères.
Philon lui-même avait eu pour initiateur .\ristobule.
illustre élève : « Les disciples des philosophes disent que
la géométrie, la musique, la grammaire, la rhétorique
et l'astronomie sont les compagnes nées de la philosophie ;

nous le disons, nous, de la philosophie elle-même par


rapport au christianisme (1). »

On ne comprendra jamais rien aux théories d'Origène


si on le croit inféodé à une école particulière, et la grande
erreur de l'origénisme, sous ses diverses formes, a été de
chercher dans développement logique et
ses écrits le
poussé jusqu'au système philosophique.
bout d'un
Laissons parler ici un critique avec lequel nous avons le
regret de n'être pas toujours d'accord. « Je ne crois pas
qu'Origène ait puisé dans la science hellénique aucun
de ses principes essentiels. Ce qu'il a pensé, il l'aurait
pensé sans connaître en eux-mêmes les stoïciens ni
Platon. Mais il est très vrai qu'il leur a souvent pris la
forme sous laquelle sa pensée s'est produite. Ce n'est
point parce qu'il est plus ou moins platonicien qu'il
admet, par exemple, la préexistence des âmes car ;

aucune des raisons sur lesquelles il appuie cette opinion


n'est prise de la psychologie ni de la métaphysique pla-
tonicienne... Ce n'est pas aux stoïciens, mais à la tradi-
tion chrétienne qu'il doit sa doctrine sur la fin et le re-
nouvellement du monde par le feu ; mais c'est sous l'in-
fluence du stoïcisme qu'il a fait de ce coup de théâtre
divin un moment nécessaire du développement
et régulier
et de la vie du monde... donc incontestablement
Il s'est

servi de la philosophie grecque pour l'expression de ses


doctrines... Mais, quant aux idées elles-mêmes, je crois
que c'est ailleurs qu'il en faut chercher l'origine (2). »

1. Philocalie, chap. .\iii (P. G., t. XI, col. 88).


2. A. Denis, Philos. d'Origène, p. 59-60.
INTRODUCTION XV

CHAPITRE DEUXIEME

LES ÉLÉMENTS DE l'ORIGI'ùMSME

I, — Intcrprêlalion allègovique

Les trois éléments principaux de ce que Ton est cou-


venu d'appeler l'origénisme sont la méthode allégorique
appliquée à l'exégèse, la subordination des personnes
Dans quelle
divines et la théorie des épreuves successives.
mesure Origène en est-il responsable f
Au début du troisième siècle, l'allégorisme était de-
venu partout une mode, une habitude et un besoin. A
Alexandrie plus qu'ailleurs l'air ambiant en était saturé.
Depuis longtemps les philosophes païens s'étaient mis à
allégoriser leurs mythes. Tandis que les épicuriens se
rejetaient de préférence sur le système d'Évhémère,
Platon expliquait ces vieilles légendes par ce que nous
appellerions aujourd'hui le folklore et les stoïciens y
cherchaient des leçons profondes de cosmogonie et de
morale. Les Juifs auraient cru déroger s'ils avaient trouvé
dans leurs Livres saints moins de mystères aussi allégo- :

risaient-ils à qui mieux mieux (1). Les thérapeutes

d'Egypte, autant ou plus que leurs frères les esséuieus de


Palestme, savaient l'art d'extraire de l'Écriture des sens

Sur rallégorisme des thérapeutes, voir Eusèbe, Hisl. eccl.^


1.

II,17 (XX, 181), d'après le De Vita conlemplaliva de Philon.


Photius, Bibliolh., I(i5 (CIII, 373), regarde à bon droit Philon
comme le fauteur responsable du système allégorique des Pères.
Philon lui-même avait eu pour initiateur Aristobule.
XVI ORIGENE

cachés, inaperçus du vulgaire. Depuis Aristobule et Phi-


Ion, rallcgoiic régnait en maîtresse dans les écoles juives
d'Alexandrie. Clément et Origène suivirent le courant ;

mais le dernier, non content de pratiquer en grand Tallé-


gorie, eut le dangereux honneur d'en tracer le premier
les règles.

On l'a souvent accusé d'admettre dans la Bible des


assertions erronées et des passages dépourvus de tout
sens littéral : double imputation aussi injuste qu'elle
est commune. Origène admet si peu l'erreur dans la

Bible, qu'elle lui paraît absolument incompatible avec


la sainteté et la véracité du Dieu inspirateur et que son
argument le plus ordinaire jDour abandonner le sens na-
turel et pour se jeter dans l'allégorie est la nécessité de
sauvegarder à tout prix Tinerrance scripturaire. Si l'on
définit le sens littéral comme nous le définissons aujour-
d'hui, il est évident que toute énonciation qui n'est jjas

un non-sens a un sens littéral; comme, d'autre part, le


sens typique ou spirituel repose sur le sens littéral et ne
se conçoit pas sans lui, s'il y avait dans l'Écriture des
passages dépourvus de tout sens littéral, il s'ensuivrait
que le Saint-Esprit a parlé quelquefois pour ne rien dire :

théorie si extravagante qu'on s'étonne à bon droit de la


voir émise par un tel homme. Aussi Origène ne dit-il
pas ce qu'on lui fait dire. Il dit seulement qu'il y a
des endroits dans la Bible dépourvus de sens corporel^
mais ce sens corporel, désigné encore par une douzaine
de synonymes, n'est pas du tout notre sens littéral. C'est
le sens granimalical, le sens propre par opposition au
sens figuré. On n'a qu'à relire les nombreux exemples
cités par lui. Ce sont surtout desanthropomorphismes : les
mains, les pieds, les bras, la tète, la face de Dieu; Dieu
qui s'irrite, se repent, se promène, se repose. Ce sont
INTRODUCTION

aussi des métaphores et des symboles : le bœuf et l'ours


qui paissent ensemble sous la gardé d'un petit enfant, les
trois premiers jours de la denèse avant la création du
soleil et de la lune. Ce sont enfin des textes qui, au juge-
ment d'Origène, seraient faux ou déraisonnables si on les
prenait au pied de la lettre : le précepte de s'arracher
l'œil qui scandalise, de tendre la joue gauche à qui vient
de frapper la droite, de ne saluer personne chemin.
La terminologie d'Origène laisse à désirer; d'accord.
Outre qu'elle est fort inconstante, car le sens spirituel
est désigné à lui seul par une vingtaine de locutions, elle
repose sur une fausse psychologie, puisque l'àmc et
l'esprit de l'homme ne sont pas deux principes distincts.
Il semble lui-même en avoir conscience: aussi le sens
psi/c/u(jue —
à me de l'Ecriture — a-t-il chez lui très peu
de relief et safameuse trichotomie tend-elle à se résoudre
en dichotomie. Mais cette simplification ne remédie
à rien. Origène, ne distingue pas assez entre le sens,
qui dépend de l'intention de celui qui parle, et la sig7ii-
fication matérielle des mots, surtout entre le sens du
Saint-Esprit et le sens plus ou moins arbitrairedel't/?-
/e;7)/-è/e. Il n'est pas loin d'admettre en pratique la théorie
de saint Augustin que tout sens suggéré à l'esprit
par la lecture de la Bible est un sens scripluraire. Ainsi
le sens propre, qui n'est pas un vrai sens dans les pas-
sages à prendre au figuré, est adjugé à la lettre ou au
corps de l'Ecriture ; le sens rtcco/^wo^A/^/ce, qui n'est pas
davantage un sens scripluraire, et le sens figuré, qui
est très souvent un sens littéral, sont attribués à l'âme
ou à l'esprit du Livre inspiré. De là tant de confusions et
d'équivoques dont notre exégèse, après de longs siècles,
n'est pas complètement débarrassée. Mais nous cher-
chons vainement chez les anciens écrivains ecclésias-
tiques une terminologie meilleure. La division des
sens scripturaires usitée pendeint tout le moyen âge et
presque jusqu'à nos jours, — senshistoricpie ou littéral,

tropologiquc, allégorique, anagogique, — division qui


qu'un développement peu rationnel delà
n'est d'ailleurs
trichotomie d'Origène,est pour le moins aussi mauvaise.

L'allégorisme du penseur alexandrin tient à l'idée


exagérée qu'il se fait d'une parole inspirée. S'il vivait de
nos jours il appartiendrait à l'école conservatrice la plus
étroite; il soutiendrait l'inspiration verbale, et pas au
sens de M. Loisy; il écrirait de belles jîages sur l'Esprit-
Saint aiitetir (T-JYypsccpîJç) de l'Écriture et sur l'hagio-
graplie inslriiment (ô'pyavov), raisonnable et libre sans
doute, mais à peine actif et presque inconscient, des
dictées divines. L'Écriture, œuvre et parole de Dieu,
doit respirer partout, selon lui, la plénitude de son au-
teur. Pas un trait vide de sens; pasun iota qui ne recèle
quelque mystère. Non pas qu'il en méconnaisse les im-
perfections; il outre à plaisir les fautes de style, les
incorrections, le désordre du récit, les obscurités, les

antilogies et les antinomies ; mais toutes ces imperfec-


tions se tournent en perfections, parce qu'elles nous
mettent sur la voie de l'interprétation allégorique. Sans
ces pierres d'aclioppement nous ne soupçonnerions pas
l'existence du sens spirituel. S'il n'y avait pas d'impos-
sibilités matérielles nous n'y chercberions peut-être pas
de mystères : principe étrange que l'on serait tenté de
condamner avec plus de sévérité, s'il ne se rencontrait
aussi dans saint Augustin.
La première, on pourrait dire la seule règle de l'exé-
gète, sera donc Interpréter l'Écriture d'une
celle-ci :

manière digne de Dieu. Certaines dispositions du code


IMIIODLCTION XIX

mosaïque semblent inférieures à la législation de Sparte


et deRome à nous d'y chercher un sens mystique.
:

Plusieurs traits de l'xVncien Tcstaniont, l'hisloire des


filles de Lotli, des sages-femmes égyptiennes, d'Abra-
ham chez Pharaon et chez Abimélech, n'édifient pas si

on les ])rend à la lettre : il faut donc, de toute nt'cessité,


y découvrir un sens allégorique; autrement nous serions
forcés d'avouer qu'il y a dans la Bible des i)ages nuisibles
ou foui au moins inutiles. En soi, le principe fondamen-
tal d'Origène qu'on doit abandonner le sens corporel —
c'est-à-dire le sens propre, le sens naturel et ce que nous
voudrions pouvoir appeler le sens obvie — toutes les
fois qu'il en résulterait quelque chose d'impossible,
d'absurde, de faux ou d'indigne de Dieu, est indiscutable
et il n'est point d'exégète catholique quin'y souscrive Le
mal est qu'Origène admet trop aisément des impossibili-
tés, qui se dissiperaient devant une étude plus attentive
du texte, qu'une loi ou qu'un récit lui paraissent inu-
tiles lorsqu'ils n'ont point pour nous le maximum d'uti-
lité et qu'il juge indignes de Dieu des condescendances
providentielles. Peut-être aussi est-il trop sensible aux
railleries des pa'iens et au danger du littéralisme.
Certes, ce danger n'était pas chimérique. Lorsqu'on
songe aux prétextes dont les Juifs coloraient leur infidé-

lité, à la vogue qu'obtinrent dans les deux premiers


siècles les idées millénaristes, au parti que les gnostiques
surent pour leur système dualiste, des authropo-
tirer,

morphismes de l'Ancien Testament, aux conceptions


grossières que beaucoup de chrétiens se faisaient de
Dieu, des anges, delà résurrection, de la béatitude, en
restant rivés à la lettre de l'Écriture, on est tenté d'ap-
pliquer le felix culpa de saint Augustin à cette réaction,
exagérée sans doute, mais nécessaire. Qui sait si l'exégèse
n'allait pas A-ersor dans le terre à terre du chiliaste égyp-
tien Népos ? Et l'essor exégétique d'Antioclie et de
Cappadoce était-il possible sans la vigoureuse impulsion
d'Origène 1

II. — I/iérarc/iie des personnes divines.

Un second caractère de l'origénisme est la hiérarchie


des personnes divines.
Il nous est difficile aujourd'hui d'imaginer la peine
qu'on eut à trouver des termes convenables pour expri-
mer ce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont de com-
mun ont de distinct. Les Latins y arrivèrent,
et ce qu'ils

ce semble, avant les Grecs. Leur esprit plus juste que

subtil les y aidait la pauvreté de leur langue dimi-


;

nuait les tâtonnements, et ils possédaient deux noms


vraiment faits exprès pour le rôle théologique qu'ils de-
vaient jouer. Le mot persona, longtemps restreint au
sens de masque et d'acteur, en était venu, par la vulga-
risation du langage juridique, à signifier couramment le
sujet de droits et de devoirs, presque l'individu. On disait

d'un esclave qu'il n'avait pas de persona, qu'il n'était


pas une persona, parce qu'il ne pouvait ni ester en jus-
tice ni faire de son chef un contrat valide. Si ce n'était

pas encore tout à fait la personne, c'était déjà la person-


ualiLé et, entre les deux, il n'y avait pas loin. Quant au
mot substanlia, il exprimait alors communément le

A7</>A//r//»»ules attributs et des accidents; et s'il désignait


aussi la réalité — par réminiscence du grec •jTr'îT-aciç

auquel il répond, — c'était laréahté substantielle. Appli-


qués à la Triuité, ces deux termes avaient donc le degré
d'exactitude dont est capable le langage humain.
Les Grecs étaient moins bien partagés. Ils n'avaient
I.NTUODL'CTIOX XXf

pas tic mot spécial pourriiitlividii, le suppôt: jTrozsîjjiîvov


est trop tccliiii(pie ou trop général ;
-rjôaw:rov veut dire
la l'ace ou l'aspect extérieur et se prête malaisément à
l'usaije lhéologi(pie. Si saint llippolyte (l) et (pielques
Pères iilus récents Fout employé au sens de y>e/;>o»«, c'est
par imitation voulue ou sous l'influence inconsciente de
l'Occident. Pour désigner la nature commune aux per-
sonnes, l'embarras n'était pas moindre. Ojcîx signifie
proprement l'essence et J-ô^Tx^'.ç la réalité : or tout ce
qui existe, substance ou accident, absolu ou relatif, tout

ce qui n'est pas un pur être de raison, a une essence, est


une réalité. Sans doute Aristote avait formellement res-
treint l'oOcj-a à l'être substantiel, en l'opiiosant aux acci-
dents, mais sa distinction entre substance première et
substance seconde créait une nouvelle équivoque et
rendait plus difficile l'application de ce terme à l'être

divin : la substance seconde n'étant qu'une abstraction


susceptible seulement de communication logique, et la
substance première, en possession de son individualité,
repoussant toute communication réelle. Grande fut l'in-
certitude, au début. On pouvait dire à volonté qu'il y a
en Dieu une seule 'j-'j':-xn\-, ou au con-
trois oùnix: et

traire, trois 'j-oa-y.az'.: et une seule o'jnix. On était sou-

vent réduit à ne pouvoir deviner que p;ir le contexte ce


qu'un auteur avait voulu dire (2). Lorsque la différen-

1. Contra Nuel., 7 et 14. Ilposw-ov se lit aussi pliisimirs l'ois

dans la FUles de saint Grégoire le 'riiaumaturge piililice en


grec pai- Mai (Scri/jlor. Vêler., t. VII, p. 170-176). Mais nous
nadnioltons pas l'authenticité de cet opuscule dont la tci-mino-
iogie parait être beaucoup plus récente.
2. C'est le cas, en particulier, pour Piéiius qui parlait du
Père et du Fils comme de deux substances (o-jsîai) et de deu.x
natures (-ç-Jzt:;,) voulant dire deux /xr.son^t's, comme le contexte

le montrait clairement (Photius, Bibliolh., 119 [P. G., t. CIII,


col. 400]j.
ciation se fit, saint Jérôme s'étonna qu'on eût choisi
pour désigner la personne le mot 'j-Jji-xg'.c, qui répond
par son étymologie au latin substantia, et qu'on voulût
imposer à tout le monde cette manière de parler nou-
velle (1). Cependant rien de plus sage. L'essentiel était

de s'entendre, comme saint Athanase le répétait au


synode de 362 ; et quand l'oaGo^cio; de Nicée eût iiré-

supposé l'unité d'oj-jîa, il était naturel que le terme res-


tant d" J-ôcTX'T'.ç fût réservé à la personne.
Origène, qui avait précédé le concile de Nicée dans
l'emploi d'6;jiooiJ<;'.oî, est en avance sur la terminologie de
son temps. On constate chez lui un visible effort pour
éviter FéquiA'oque. Il est vrai, oOcîîa est pour lui l'es-

sence plutôt que la substance, car il est plus habitué au


langage de Platon qu'à celui d'Aristote, mais quand il

s'agit de Dieu, la différence n'est pas grande. De môme,


son j-'j'j-.r'Z'.z désigne la réalité plutôt que la personne.
Lorsqu'il soutient que le Père, le Fils et le Saint-Esprit
sont trois 'j-oG-.iGt'.c, distinctes, quoique non séparées, il

veut parler de trois réalités véritables, au lieu de trois


dénominations, de trois aspects, de trois modalités, de
trois moments d'une même substance, comme l'enten-
daient les unitaires. S'il veut insister sur la notion de
personne, il a recours à des périphrases ou à des expres-
sions techniques : suppôt, propriété, substance indi^'i-

duelle ou numériquement circonscrite. Mais qu'on exa-


mine sa terminologie avec la bienveillante équité d'un
saint Athanase, on ne la trouvera pas en défaut.
Si l'on sedonne la peine d'étudier consciencieusement
ses œuvres, au lieu d'en détacher quelques lambeaux de
phrase dont le sens est obscur et l'expression mal venue,

1. Ad Damas., epist. xv, 4.


mTRODLCTION XXIII

on lui rendra, pour le fond, le même lémoiguage. Il est

évident que sa Trinité sainte, sa Trinité éternelle, sa


Trinité souveraine, sa Trinité adorable (1), a un carac-
tère transcendant infiniment élevé au-dessus des créa-
tures. Le Fils et le Saint-Esprit ont, comme le Père, tous
les attributs de la divinité, l'immatérialité absolue, lom-
niscience, la sainteté substantielle, limmensité, la né-
cessité de l'être : et ils les possèdent à titre exclusif. Les
trois personnes, quoique distinctes, sont inséparables. Le
Père, le Fds et le Saint-Esprit sont la nuée lumineuse

qui ombrage les justes ; nul ne peut être sanctifié que


par leur action commune ; toute àme est vide qui n'est

pas remplie de leur présence simultanée; toute àme


moins de boire à ces trois fontaines dérivant
est altérée à
d'une même source. Si, pour défendre Origène, nous
voulions nous servir des traductions latines de Rufin et
de saint Jérôme, — et ce serait notre droit sans doute,

puisqu'on en fait constamment usage pour le com-


battre, — nous aurions la partie trop belle. ^Mais les
œuvres grecques suffisent à établir, sur ce point, son
orthodoxie, pourvu qu'on n'exige pas dun écrivain du
troisième siècle la sûreté de langage et la netteté de vues
qu'on est en droit d'attendre d'un Jean Damascène ou
d'un Thomas d'Aquin, après un travail plusieurs fois
séculaire de discussion et de réflexion théologique.

Je sais bien que sa hiérarchie des personnes dlAines


ressemble, de prime abord, à une subordination ; mais

1. Retlepenning (De Prhicipiis. p. 126) affirme que le mot


Tp:i;, pour désigner la Trinité, n'est pas employé par Origène
et n'entra en usage qu'à partir du synode d'Alexandrie de ;517.
Cette incroyable distraction, de la part d'un des hommes qui
ont le plus étudié notre auteur, doit nous mettre en garde
contre les assertions tranchantes.
XXIV ORIGExNE

je me demande si son langage, tout difficile qu'il est par-


fois, est plus dur, à tout prendre, que celui de ses con-
temporains. Soit réaction excessive contre le polythéisme
ambiant, soit souvenir inconscient du monothéisme
judaïque, soit désir exagéré d'échapper aux objections
des unitaires, beaucoup de catholiques craignaient de
paraître adorer trois dieux, s'ils mettaient les trois per-
sonnes sur le même plan ; ils se flattaient de mieux
sauvegarder la monarchie divine en les considérant dans
leurs relations éternelles, qui établissent entre elles un
certain ordre et semblent leur assigner des rangs : d'au-
tant que l'Écriture, la liturgie et la raison théologique
favorisaient à leur avis cette conception.Avant les pro-
grès de Tarianisme on appliquait généralement au Verbe
la description de la Sagesse que les Septante traduisent
ainsi « Le Seigneur me produisit (è'xTicé [jle) principe de
:

ses voies (1). » Un grand nombre de Pères et d'interprètes


— le plus grand nombre au gré d'Estius voyaient le —
Fils de Dieu dans le Médialeur qui donna la Loi aux
Hébreux (2). Bien plus, les docteurs de l'Éghse les plus
illustres, après comme aA'ant Nicée, entendent de la
nature divine du Christ ces paroles de saint Jean : « Le
Père est plus grand que mOi ([jeTC^v ;jioj) (3). » On cite

pour cette opinion saint Athanasc, saint llilaire, saint

Épiphane, saint Grégoire de Nazianze, saint Césaire, saint


Jean Ghrysostome, saint Cyrille d'Alexandrie, saint Jean
Damascène, Léonce de Byzancc (4) mais il serait très ;

facile d'allonger la liste, puisqu'il y manque des noms


aussi connus que saint Basile et saint Isidore de Péluse,

1. Prov., VIII, 22.


2. Gai., III, 20.
3. Joan., xiv, 28.
4. Knabenbaucr, Comment, in Joan., p. 440.
INTKOnrCTION

sans parler (rAloxaiulrc trAlexandrie, des évèques du


concile de Sardique et d'Origène lui-même. Il en résul-
tait une sorte de hiérarchie divine que les plus sévères
dans leur langage, tels que saint Basile (1) et saint Atlia-
nase, n'hésitent pas à mettre en relief. Ils reconnaissent
au Père [)ar rapport au Fils une priorité de rang {--'l'.:;)

et de dignité (^i;û.);jta), mais sans aucune antériorité de


temps ni aucune prééminence de nature {'^'jm-), de ma-
jesté (Sô;x) et de grandeur (uéycOo^). Le soin qu'a d'ordi-
naire l'Ecriture d'approprier les diverses particules
causatives aux différentes personnes ne pouvait que
fortifiercette conception, confirmée d'ailleurs par l'usage
liturgique de ne s'adresser puhli([uemcnt qu'au Père et
de le prier par le Fils daiis le Saint-Esprit. Loin de voir
en tout cela une ohjection contre la consubstantialité des
personnes, on en tirait un argument en faveur de leur
unité. « Dieu fait toutes choses par le Verbe datis le
Saint-Esprit, disait saint Athanase. Ainsi est sauvegar-
dée l'unité de la Trinité sainte, et ainsi Dieu est un (2). »

Ce langage cesserait d'être juste s'il devenait exclusif,


comme saint Basile le remarque avec raison et comme le
prouvent la forme du baptême et certaines doxoiogies ;

mais par lui-même il n'a rien d'erroné et on lui trouvait


dans les premiers siècles une valeur apologétique dont
nous ne sommes plus guère frappés aujourd'hui.
C'est ce point de vue quaffectionne Origène. A Celse
qui reproche aux chrétiens d'adorer deux Dieux, il

répond que nous adorons « un seul Dieu, le Père et le

1. Adv. Eitnom m, 1 et 2 , (P. G., t. XXIX, col. 6oG-6i37).


Nous ne retrouvons pas dans S. Basile un texte encoi'e plus
formol rapporte par Euthymius, Panoplia, \\\ {l'.G., t. (]XXX,
col. 724).
2. Ad Serapion., I, 28.
Fils », suivant ces paroles de TÉvangile Le Père et :

moi nous sommes une seule chose. «Nous adorons le


Père de la Vérité et le Fils Vérité, deux en hypostase,
un i^ar l'accord, riiarmonie et l'identité (Tautôtriç) de
la volonté. » Aux gnostiques qui distinguent entre le
Dieu juste de l'Ancien Testament et le Dieu bon du Nou-
veau et mettent le Fils au-dessus du Père, comme les

païens mettaient Jupiter au-dessus de Saturne, il ferme


la bouche en disant que le Fils, loin d'être supérieur au
Père, reconnaît dans l'Évangile que son Père est plus
grand que lui. Il ne cite guère le texte de saint Jean en
dehors de sa polémique contre les gnostiques. En ce qui
le concerne, il sait et il répète que le Fils possède tout

ce qui appartient au Père, qu'il reflète toute la gloire du


Père, que, vivante et parfaite image du Père, il en
reproduit tous les traits, sans excepter la grandeur. Mais
pour lui, comme pour ses contemporains, le Père repré-
sente toute la divinité dont il est la source ; il est le Dieu
tout court (6 Bsoç), le Dieu par lui-même (aCi-rôOsoç),

parce que tout ce qui n'est pas lui n'est Dieu que parcom-
munication ou participation de la divinité ; il est impro-
duit (àvÉvri-ro;), parce qu'il ne procède pas ; il est invisible
(àdpaTo-), parce qu'il envoie et n'est pas envoyé, parce
que le Verbe, son Médiateur éternel, et le Saint-Esprit
sont chargés de le révéler aux hommes ; il est quelque-
fois appelé le Dieu souverain, le Dieu véritable, le Bien
par essence, soit comme premier principe, soit surtout
parce que l'Écriture semble lui réserver ces titres : car
on remarquera que les subtilités exégétiques et les
théories risquées d'Origène sont presque toujours ame-
nées par le désir de trouN cr une explication satisfaisante

aux textes difficiles.


Le Fils est le Fils par lui-même (6 ïiciq ou aO-o'jKjç),
INTRODUCTION

il est la raison substantielle ('S Aôyc,; ou aO-roXôyoç) , il

est la Sagesse, la Vérité, la Puissance, la Justice par


excollence ; il est improduit [i'-hr-o:) si par « produit »

ou entend « créé » il est invisible (àôpxTo:;) comme


;

image parfaite du Père invisible il est aussi le Verbe- ;

Dieu et /e Dieu-Verbe il est même le Dieu souverain,


;

le Dion véritable (ô èttI TrâvTwv et 6 iAr,0'.vûç 6z6q), dès


qu'on cesse de le considérer en legard de son origine et
de son arcbétype. Mais, relativement au Père, il est Dieu
produit (Hïôq Ycvr,Tô^), comme, relativement à lui, le

Saint-Esprit est [)roduit sans être Fils. Origèiïe ne


repousse même pas absolument l'appellation inventée
par Celse de second Dieu ou Dieu en second (oîJTspoq
Bïôq), mais il se bâte de lui donner une explication
correcte.
Ce terme de Dieu produit nous étonne et nous
cboque; cependant, comme le mot grec n'entraîne nulle-
ment ridée d'une causalité créatrice, il trouve grâce de-
vant saint Athanase; et saint Épipbane, qui le condamne
dans Origène, ne fait pas difficulté d'avouer qu'on pour-
rait le passer à tout autre. L'idée de ranger sous un
même concept tout ce qui n'est pas Dieu par lui-même
et d'exprimer par le même mot tout ce qui dérive du
Fils d'une façon quelconque peut être une subtilité,

mais ce n'est pas une erreur. Autrement nous nous en


rendrions nous-mêmes coupables en comprenant le Créa-
teur et la créature sous le même nom et le même con-
cept analogique d'être et de substance Enfin si l'on
réflécbit qu'Origène parle comme on parlait générale-
ment de son temps, que les plus fougueux propagateurs
de l'arianisme, loin de se réclamer de lui, se crurent
obligés de le combattre, qu'au sujet de la Trinité les
Pères les plus illustres le défendent ou l'excusent, on
n'osera pas scruter avec trop de rigueur certaines expres-
sions malsonnantes ou ambiguës. C'est un dangereux
paradoxe de mettre au rang des hérétiques tous les
écrivains ecclésiastiques antérieurs à Nicée et il ya quel-
que présomption à s'arroger, sur cet article particulier
de la Trinité, une connaissance plus exacte de la pensée
d'Origène que ne l'eut un saint Athanase.

111. — Epreuves successives.


Le vice radical de l'origénisme est l'hypothèse des
épreuves successives avec ses ramifications : préexistence
et égalité primitive dos intelligences créées, fluctuations
sans fin du libre arbitre et rêve de restauration univer-
selle.

Depuis Heraclite, Pylhagore et Platon, l'éternité de la


matière était un dogme intangible de la i^hilosophic
grecque. Philon l'avait admise d'emblée, sans même la

purger de son dualisme. Clément et son disciple se flat-


tèrent de l'accorder avec la foi chrétienne en faisant
intervenir à l'origine le Créateur; mais, par une mal-
heureuse concession aux idées reçues, ils maintinrent la
création ab {vterno; je parle de la création des esprits,
car, à leurs yeux, la matière n'étant que pour l'esprit et
n'ayant qu'en lui sa raison d'être, est créée par
concomitance. A vrai dire, la création ab œtenio n'est
qu'une illusion de la pensée qui s'imagine produire une
durée éternelle en multipliant le temps par le temps et

sui)i)rimer le point de dé[)art en le reculant au delà de


toute perspective. Origène n'en est point dupe. Il parle
souvent du commencement des choses, comme si des
choses éternelles pouvaient avoir un commencement ; il

lui arrive de poser en axiome que tout ce qui a reçu l'être


I.NTROIUC.TinN

a commence donc pas éternel il repousse


(rôlro, et n'est ;

riiypotlièsc (ruii mondedans l'espace par un i)rin-


infini

cijie qui exclut également l'infini dans la durée; mais


enfin la création ah a'ienio l'iolle toujours devant sa
pensée et, quand l'éternité proprement dite s'évanouit,
il est encore obsédé i)ar l'idée de préexistence.
Or, , l'hypollièse de la création ab œlerno ou de la
sim; le préexistence des âmes le jette presque fatalement
dans celle des épreuves successives. Si depuis une éter-
nité, ou depuis tant de siècles, le sort des créatures
raisonnables n'est pas encore définitivement fixé, il

semble qu'il ne doive l'être jamais. Saint Augustin,


qui avait un faible pour la préexistence, parce qu'elle
lui paraissait plus conforme à la création simultanée
qu'il croyait voir dans le creavit oinnia siniid de la ver-
sion latine de YEcclésiasliqiie, s'en tirait en supposant
une sorte de matière si)irituelle, inerte et impersonnelle,
dont les âmes particulières seraient formées au fur et à
mesure du besoin. Mais Origène, qui donnait aux âmes
préexistantes l'activité et la conscience, devait cherclier
ailleurs une solution du [)roblème.
A force de combattre le dualisme gnostique qui éta-
blissait deux catégories d'intelligences, les unes essentiel-
lement bonnes et incapables de tout mal, les autres
essentiellement mauvaises et incapables de tout bien, il

en était venu à penser qu'il n'existait à l'origine, entre

les intelligences créées, ni disparité ni diversité; que


toutes étaient sorties égales des mains du Créateur; que
leurs dissemblances ne s'expliquant point par les attri-

buts divins de sagesse, de justice et de bonté, ne pou-


vaient tenir qu'au différent usage du libre arbitre. Et il
faisait consister le libre arbitre, non pas dans le pou-
voir d'agir ou de suspendre son acte et de choisir entre
plusieurs biens, mais dans ce que les scolastiques
appellent liberté de contrariélê, dans la faculté d'embras-
ser le bien ou sou contraire, le mal. 11 répète à tout pro-
pos que la bonté morale est essentielle à la divinité seule,
c'est-à-dire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, qu'elle
est accidentelle dans tous les êtres créés sans exception,
que partant elle peut déchoir, comme elle peut toujours
être reconquise.
A ce compte, la nature raisonnable ne saurait être
irrévocablement fi.xée ni dans le mal ni dans le bien ;

il lui sera toujours loisible de monter ou de descendre


l'échelle de la perfection morale, sans qu'il y ait dans la

série ou l'amplitude de mouvements ni terme ni


ses
limite. Mais le dogme catholique se met à la traverse
de ces spéculations. Origène excepte d'abord rame du
Christ, en qui le péché n'eut jamais d'accès : « Pareille
au fer plongé dans la fournaise et pénétré par le feu
dans toutes ses molécules, elle est totalement à l'abri

des atteintes du froid. » Il excepte aussi, par moments,


l'âme des élus, qui, « purifiée de toute contagion du péché,
ne pourra désormais sentir, goûter et concevoir que Dieu,
Dieu étant maintenant la règle et la mesure de toute son
activité ». Il excepte de môme l'àmedes réprouvés, dans
les nombreux passages où il parle du ver qui no meurt
pas et du feu qui ne s'éteint pas. Il s'indignait qu'on
l'accusât d'enseigner le salut final du démon, 5 opinion
absurde, disait-il, qui n'entrerait pas dans la tèto d'un
insensé » . Dans tous ces cas le libre arbitre est enchaîné
sans être détruit et le penseur alexandrin nous en révèle
la raison profonde : c'est que la malice invétérée devient
une seconde nature et que la charité consommée est
incapable de déchoir. Il n'est pas éloigné de dire que
la charité consommée des élus ne déchoit point, parce
INTRODUCTION XXXI

qu'elle est une couronne immarcessible et que l'obstina-


tion des tlauinés dans le mal est la conséquence d'un
chàtimeut sans espoir de pardon.
Mais, au moment d'arriver au port, il se laisse de nou-
veau emporter au souffle capricieux de ses rêves. Un
principe dénué de preuve et deux ou trois textes mal
comi)ris lui suggèrent un système de restauration uni-
verselle (àzoxxTic-rxaiç) (1), OÙ le sentimentalisme du
poète a plus de part que la raison du philosophe et la
science de l'exégète. Le principe est que la fin ressemble
toujours au commencement; d'où la conclusion que le
point d'arrivée sera un jour semblable au point de
départ, avec cette différence que la bonté morale, pré-
sent gratuit du Créateur, deviendra le fruit (l(>s mérites
et le prix des efforts des êtres raisonnables. Les textes
sont les suivants : « Dieu sera tout en tous. 11 faut que
le Christ règne, que toutes choses lui soient soumises. La
créature sera soustraite à la vanité de la corruption à
laquelle elle fut assujettie dans l'espérance. »

A vrai dire, l'hypothèse des épreuves indéfinies et celle


de la restauration universelle s'excluent mutuellement.
Comment concevoir un arrêt final dans les vicissitudes
du libre arbitre, si la faculté actuelle de déchoir lui est
essentielle? Est-il possible que toutes les intelligences,
animées de mouvements divers en vertu de leur
si

liberté native, conspirent vers un même terme avec une

I. C'est le terme consacré. MaisOrigène ne remploie lui-même,

croyons-nous, qu'une fois dans ce sens [In Joan., i, 16 {P. G.,


XIV. 49) : £v TT, Aî-'oaîVr, i-rjy.3.-zxz-:xuB:). On voit par là qu'il
n'en est pas l'inventeur. Ailleurs ce mot signifie « conversion » :
les démons s'efforcent d'entraver tï,î àAffJ'.vr.; îCj^oEia; i-oy.a-
TiïTaj'.v Toô; -ôv Oîôv. Contra Cels., vu., 3; In Malt xiii, 2, ,

XV, :24 (XIII, 1097 et i3M).


telle liannonic que les premières arrivées attendent des
millions de siècles les retardataires? Quelle cause balan-
cera si bien leurs mérites qu'elles retrouAent, au bout de
leur carrière, Tégalitc absolue du point de départ ? Et
qui les préservera, durant l'éternité, de ce sentiment de
lassitude, de cette satiété du bonheur, première occasion
de leur chute? La contradiction est flagrante et n'est
point passée inaperçue. Comme on l'a très bien dit :

« La pensée d'Origène semble suiA-re deux routes diffé-


rentes aboutissant à une fin contradictoire. D'un côté, il
déduit les conséquences de la liberté telle qu'il la conçoit,

ce qui le mène à l'hypothèse d'une série infinie de siècles


ou de mondes. De l'autre, s'attachant à l'idée de la per-
fection divine, comme à certaines promesses énoncées
dans les écrits apostoliques, il aboutit de déductions en
déductions, après une série très longue sans doute mais
limitée de palingénésies et d'épreuves successives, à l'idée
d'un repos éternel dans l'unité. D'un coté, le progrès
n'a pas de terme... et même on croirait qu'il y a plutôt
mouvement et agitation sans fin que progrès véritable.
De l'autre, il y a un terme nécessaire, comme la volonté
de Dieu qui l'a fixé dans l'acte premier de la création et

le progrès consiste à l'atteindre par une longue série


d'évolutions (1). » Rien de plus évident; mais l'erreur
des critiques est de vouloir réduire à l'unité des éléments
irréductibles. Suivant qu'ils trouvent au fond du système
l'une ou l'autre hypothèse, ils éliminent ou sollicitent
les textes qui favorisent l'hypothèse contraire. Il faut
les laisser aller côte à côte, sans tenter l'impossible, sans
essayer de les concilier : d'autant plus qu'Origènc ne
donne ses hypothèses que pour ce qu'elles sont, des

1. Denis, Philin^opliic d'Origène, 1884, p. 344.


INTllODLCTlOiN XXXIII

liypotlièses, dont il a bien soin de marquer le caractère


conjectural. Lorsqu'il en propose une, il se réserve tou-
jours le droit d'en préférer une autre plus tard ; à moins
— ce ({ui est l'ordinaire — ({u'il ne s'en désintéresse et
n'en abandonne le cboix au lecteur.
Ce n'est pas un double mais un triple courant que suit
simultanément sa pensée. Il y a en lui le polémiste, si

jaloux de sauvegarder le libre arbitre qu'il en oublie


la distinction entre la possibilité abstraite et le pou-
voir actuel d'osciller du bien au mal et du mal au bien ;

il y a le philosophe — j'allais dire le rêveur — qui songe


d'une réhabilitation finale de toutes les créatures raison-
nables ; et il y a le penseur chrétien qui sait que
l'épreuve a un terme, que le feu des damnés brûlera à
jamais, qu'une couronne immarcessible est promise à la
vertu, qu'une béatitude destinée à finir n'assouvirait pas
les aspirations de l'homme. Rien de plus aisé que d'ex-
traire de ses œuvres, comme l'ont fait entre autres llalloix
etVincenzi, d'interminables files de textes orthodoxes.
Les apologistes à outrance auraient raison peut-être, si

l'on pouvait supprimer quatre ou cinq chapitres du


Periarchon. !Mais ces chapitres existent : le devoir du
critique est d'en tenir compte, en faisant valoir, s'il

veut, les ch'constances atténuantes et en recherchant au


besoin si les opinions d'Adamance ne se sont pas modi-
fiées peu à peu dans le sens de la tradition catholique.
ORIGENE
XXXIV

CHAPITRE TROISIÈME
ORTHODOXE OU HÉRÉTIQUE'?

et comme dln-
Même proposées SOUS toutes réserves
philosophico-poétiques a la
génieuses constructions
rêveries ne pouvaient
manquer
manière de Platon, ces
quelquefois allusion
Origènc fait
d'alarmer l'orthodoxie.
anonymes qui goûtaient peu ses
à des contradicteurs grand
qu'il dut écrire un
hvpothèses (1). Nous savons
ler (2)
nombre de lettres pour s'expliquer ou se justi
des récompenses et sur la
peines et
Sur réternité des chrctienne
l'épreuve, la tradition
mort comme terme de du
spéculations
était si bien assise
que les séduisantes
trouvèrent a peine un
Periarchon, loin de l'ébranler,
eur ny
écho. L'admiration
qu'on professait pour lau
puis combattu sans
fit rien- il fut
désavoué tacitement,
pour quelque chose dans son
merci. La doctrine fut-elle
Question grave, mais probable-
expulsion d'Alexandrie^
que le seul témoin
ment insoluble, parce ^--^^^^
avec lui-même. En 38^, samt
invoquer n'est pas d'accord
énergiquement qu'Origene avait ete
Jérôme affirmait
ses nouveautés, ni
pour quelque
frappé . non pour alors
comme chiens enragés essayaient
certains
hérésie,
pas sup-
de mais parce qu'on ne pouvait.
le faire croire,
éloquence et que
et de son
porter l'éclat de son savoir
tout le monde semblait
quand il ouvrait la bouche,
attribuait toujours les
persecu-
muet (3). » Vers 392, il

, (r> r \ \ni col. 1867): Periarchon,

t. \II, col.
2o
InGenL hom. x.n, 3 {Ibid., .

Eusèbe, Hlst. ceci., 1. VI, chap. xxxv, n .


2.
x.xxiii, 4 (P. L., t.
XMi. coi. **/;
3. Epist. ad Paxdam,
INTBOOL'CTION XXXV

tions d'Origènc à ranimosité jalouse do Démétrius (1).


Mais, à partir de 400, il ijarait changer d'avis et cite un
fragment de lettre où le chef du Disilacalée se plaiut au
clergé d'Egypte il'avoir été retranché de la communion
et accusé à faux de doctrines blasphématoires (2). Il est

vraisemblable à priori que Démétrius, si habile à mettre


les griefs les plus oubliés au service de sou envieuse
fureur, n'aura pas négligé les armes que le hardi

catéchiste lui offrait spontanément. La lettre adressée


plus tard au pape saint Fabien, si nous la possédions en
entier, nous éclairerait sans doute sur ce sujet. Malheu-
reusement nous nen connaissons ni la date ni le con-
tenu exact. Tout ce que nous savons, c'est qu'Origène y
rejetait sur son ami Ambroise la divulgation prématurée
de livres auxquels il n'avait pas encore mis la dernière
main, et qui n'étaient pas d'ailleurs desthiés au grand
public (3). Il s'agit probablement du De Resurrectione et
du Petiarc /ton, les premiers de ses ouvrages et les plus
attaqués. Il est certain qu'ils n'étaient pas encore publiés
au moment où le chef du Didascalée entra en rapports
avec sou Mécène, et ce serait pour l'histoire de l'origé-
nisme une donnée fort intéressante de savoir qu'Origène
consignait simplement dans ces IIntcs ses notes de pro-
fesseur avec les idées qu'il voulait soumettre à l'épreuve
du temps, sans avoir en vue la publication immédiate,
qui aurait été le fait d'une indiscrétion et d'un abus de
confiance.
Quoi qu'il en soit, les évêques de Palestine, de Phéni-

1. De Vir. ilL, 54 (P. L., t. XXIII. col. G65).


2. Rufin, De aduller. libr. Orig. {P. G., t. XVII, col. G24-62o);
saint Jérôme, Adv. Rii/hi., n, 18 (P. L., t. XXIII, col. 441-442).
3. S. Jérôme, Epist. ad Pammach. et Océan., lxxxiv, 10
{P. L., t. XXII, col. 751).
cie, d'Arabie, de Grèce et de Gappadoce, le connaissant
personnellement, ne tinrent aucun compte des sentences
prononcées contre lui. Saint Alexandre de Jérusalem et
Théoctiste de Gésarée qui l'avaientordonné prêtre
l'accueillirent avec honneur. Ce dernier le pressa de
continuer dans sa ville métropolitaine l'enseignement
théologique si brillamment inauguré à Alexandrie.
Bientôt, les élèves affluèrent et, parmi eux, saint Gré-
goire le Thaumaturge, qui, en quittant son maître,
après cinq années de séjour, prononça ce célèbre
panégyrique, tout exubérant de lyrisme et d'enthou-
siasme juvénile, oîi nous trouverions peut-être que le
dithyrambe dépasse les bornes, s'il n'était question

d'Origène et si la gratitude d'un converti et la ferveur


d'un néophyte n'avaient aussi leurs droits. Saint Firmi-
lien de Gésarée en Gappadoce, l'un des plus grands
évêques du troisième siècle, se regardait également
comme son disciple. L'école d'Alexandrie lui restait

fidèle. Si Héraclas, son remplaçant au Didascalée et le

successeur immédiat de Démétrius, semble n'avoir rien


fait pour le rappeler, saint Denys, Théognoste, Piérius,

Didyme, qui gouvernèrent tour à tour le Didascalée et


dont le premier mourut patriarche d'Alexandrie, lui fu-
rent ouvertement favorables. Didyme expliquait dans un
sens orthodoxe les expressions ambiguës du maître ;

saint Denys lui dédiait son exhortation au martyre ;

Théognoste suivait ses idées avec une fidélité peut-être


excessive, tandis que le pieux et savant Piérius le serrait
d'assez près pour mériter le surnom de second Origène.
En Orient, l'orthodoxie d'Origène n'est pas même mise
en question. On le consulte de tous côtés comme un
oracle. Jules Africain lui propose ses doutes. Un nom-
breux synode réuni à Bostra avait condamné l'évêquo
INTRODUCTION XXXVII

de cotte ville, nommé Bérylle, sans réussir à le convain-


cre. On fit appel à la science, au prestige et à l'esprit
conciliant dOrigcne. Celui-ci, redoutant par-dessus tout
les disputes de mots, se mit en rapports avec le novateur
et se exactement expliquer son système. Bérylle pré-
fit

tendait que le Christ, avant l'incarnation, n'avait pas de


personnalité propre, qu'après l'incarnation il était Dieu
mais de la divinité du Père. L'évèque de Bostra était
donc unitaire et patripassien. Origène le convertit et
— dénouement rare des discussions théologiques —
gagna pour jamais sa confiance et son amitié. Peu après,
un nouveau concile arabe eut besoin de son aide. Des
hérétiques soutenaient que l'àme meurt avec le corps
pour ressusciter avec lui ils l'entendaient sans doute
;

d'un sommeil, d'une léthargie, plutôt que d'une mort


véritable. La dialectique dOrigène dissipa sans peine
leurs sophismes, et les tenants de ce bizarre système
consentirent enfin à le répudier. Après une vie dépensée
à combattre tous les hérétiques de son temps, nous le
trouvons encore aux prises avec les elcésaïtes qui permet-
taient d'apostasier en cas de péril : vieille hérésie à
laquelle la terrible persécution de Dèce donnait un
renouveau d'actualité (i). Bref, dans tout l'Orient, Ori-
gène passait pour le plus ferme champion de l'orthodoxie.
On n'est pas hérétique pour admettre inconsciemment
l'erreur. Quand Jérôme mandait à Augustin qu'il trou-
vait dans ses lettres plusieurs choses hérétiques (2) —
compliment que l'évèque d'Hippone aurait pu lui ren-
voyer peut-être —
il n'entendait certainement pas infhger

l'odieux surnom d'hérétique à l'ami qu'il comblait en


même temps des témoignages de son estime et de sa

1. Eusèbe, Hist. eccL, 1. VI, chap. xxxiii, xxxvii et xxxviii.


2. Epist., cv, 2 {P. L., t. XXII, col. 83o).
vénération : il vonlait dire seulement, en faisant sans
doute allusion à la question de l'origine de Tàme sur
laquelle ces deux grands saints étaient en désaccord que ,

certaines opinions d'Augustin lui paraissaient, à lui


Jérôme, contraires au sentiment commun de l'Église.
Ce qui fait l'hérétique, c'est l'obstination et l'orgueil. Il

€st impossible de parcourir les ouvrages d'Origène sans


être frappé de sa modestie, de sa réserve et de sa can-
deur. Personne n'a fait plus d'usage que lui des particules
conditionnelles et des formules dubitatives. L'expression
répétée de son humilité ne rebute pas le lecteur, parce
qu'il la devine sincère et n'y soupçonne jamais une
recherche déguisée et d'autant plus haïssable du moi.
Peu d'écrivains ont mis davantage en relief le principe
d'autorité et le magistère de l'Église. La prédication
ecclésiastique revient à tout moment sous sa plume,
comme la grande règle de foi qui décide des controverses.
Il est et ATut être jusqu'au bout enfant de l'Église, car
c'est le signe du vrai chrétien. Tous les critiques ont
remarqué d'âme « A aucune époque de
cette disposition :

sa vie l'auteur du Periarchon n'a voulu se mettre en


opposition avec l'enseignement de l'Église, qui est resté
constamment pour lui la règle de la croj^nce (1). » S'il
avait pu soupçonner l'abus qu'on ferait de son système et
s'il avait prévu les conséquences que la raison théologi-

que plus mûre et plus éclairée du quatrième siècle tirerait


de ses principes, il aurait renié d'avance, on n'en saurait
douter, certaines opinions qu'il croyait alors libres et
qu'il ne formulait du reste qu'avec une extrême réserve,
« par manière d'hypothèse et comme un simple exercice
d'esprit >, ainsi que l'a dit saint Athanase.

1. Fieppcl, Origène, 1868, t. II, p. 430-


I.\TROI)UCTION XXXIX

A mesuro qu'il approchait du k'iiiio, le vaillant athlète


redoublait d'ardeur. C'est au seuil de la vieillesse, entre
soixante et soixante-cinf[ ans, qu'il composa plusieurs de
ses plus beaux ouvrai^es : la réfutation de Celse, l'expli-
cation de saint Matthieu et de TÉpître aux Romains, le

commentaire sur les petits prophètes, si vanté de saint


Jérôme. La plupart de ses homélies datent de cette
époque. Il les improvisait presque journellement et,

comme il n'avait plus le temps de les dicter, des sténo-


graphes les recueillaient de leur mieux. La persécution
de Dèce vint arrêter ce labeur surhumain. Origène fut
jeté en prison et tourmenté avec un raffinement de
barbarie. Mais les bourreaux de Dèce connaissaient l'art
de graduer savamment les tortures, pour lasser la
patience des victimes sans leur donner la gloire et la joie
du martyre. A la mort du persécuteur, le confesseur de
la foi respirait encore. Étrange destinée que la sienne !

Il s'éteint à Tyr, loin de sa i^atrie d'adoption et ne peut


pas même jouir en repos de l'exil qu'il s'est choisi. Il

arrive aux portes du martyre sans pouvoir en cueillir la

palme, comme Ilippolyte, comme Lucien, dont le sang a


lavé les erreurs. Maître des plus grands docteurs, il n'en
a pas lui-même reçu Tauréole, et son nom reste à travers
les siècles une pierre de scandale et un signe de contra-
diction.
DEUXIEME PARTIE
L'Origènisme après Origène

CHAPITRE PREMIER

DE LA MORT d'ORIGÈNE (2o4) A CELLE DE CHRYSOSTOME (407)

Pendant un demi siècle, Origène dormit en paix.


L'école d'Alexandrie perpétuait et vulgarisait son ensei-


gnement; trois de ses jjIus illustres disciples, saint Gré-
goire le Thaumaturge, saint Denys d'Alexandrie et saint
Firmilien de Césarée, lui survivaient pour protéger sa
mémoire, et le souvenir encore récent de ce qu'il avait
souffert pour la foi assurait le respect à son tombeau.
Curieuse à observer autant qu'instructive est l'attitude
des écrivains ecclésiastiques à l'égard du docteur alexan-
drin, jusqu'à la fin du quatrième siècle. Il y a d'abord les

partisans plus ou moins résolus : ce sont, outre les trois


grands saints que nous venons de nommer, Théognoste,
Piérius, Didyme, Euzoïus de Césarée, saint Pamphile,
Eusèbe, saint Grégoire de Nysse, Rufin, Jean de Jéru-
salem, saint Théotime, saint Jean Chrysostome; il y a
aussi les adversaires plus ou moins ardents, saint Mé-
thode, Marcel d'Ancyre, saint Eustathe d'Antioche,
saint Épiphane, Théopliile d'Alexandrie, saint Jérôme,
enfin les trois hérésiarques Aétius, Apollinaire et Théo-
dore de Mopsueste ; mais ce sont encore les neutres qui
l'emportent par le mérite, sinon par le nombre : saint
Victorin de Pettau, saint Ililaire, saint Ambroise, saint
Eusèbe de Verceil, saint Athanase, Tite de Bostra,
saint; Basile le Grand, saint Grégoire de Nazianze.

J'appelle neutres ceux qui admirent et louent son génie,


INTRODUCTION XLI

étudient ses œuvres et s'en inspirent, donnent le tour le


plus favorable à ses écarts de pensée et de parole, et ne
l'abandonnent qu'à regret, évitant le plus souvent de
prononcer son nom. Est-il besoin de dire que ces com-
partiments n'ont rien de rigide; (|uc idusicurs des cham-
pions — saint Méthode, Théophile d'Alexandrie, saint
Jérôme — sont passés, plus d'une peut-être, d'un
fois

camp à l'autre; que saint Grégoire de Nyssc, bien qu'on


l'ait accusé de suivre de trop près Origène, et saint Jean
Chrysostome, bien qu'il ait souffert pour sa cause,
pourraient être classés parmi les neutres"? Saint Augustin
qui déplorait toutes ces controverses, mais qui n'avait
guère lu Origène et ne connut l'origénisme qu'assez
tard, sur le rapport d'Orose, tombe en dehors de -notre
cadre. Saint Isidore de Péluse aussi, quoiqu'il n'ait pas
attendu la fin du quatrième siècle pour sedéclarer enfaveur
d'Origène. Saint Anastase, qui ignorait le grec, ne fit

connaissance avec l'auteur du Periarchon que dans la


traduction de Rufin.
Les premières escarmouches furent livrées par saint
Méthode et saint Eustathe. L'éloquent évêque d'Olympe
avait composé contre Origène au moins trois ouvrages :

une dissertation sur la Pythonisse d'Endor, un traité sur


les Créatures, enfin un célèbre dialogue sur la Résurrec-

tion, dont il nous reste, en dehors dune traduction slave


assez abrégée, un résumé fait par Photius et un très long
fragment conservé par saint Épiphane. Loin de nier la
résurrection de la chair, Origène s'en montre partout
l'intrépide champion ; mais, pour réagir contre le maté-
rialisme grossier des chiliastes, il fait trop bon marché
de l'intégrité sexuelle des corps glorieux et il professe
sur le principe d'individ nation de la matière des idées
hardies. Pour lui la matière est le nec quid, nec quale.
nec quantum d'Aristote ; bien qu'elle ne puisse être sans
qualités, aucune qualité ne lui est inhérente; susceptible

de subir toutes les transformations, elle n'a rien en soi

qui l'individualise. Les molécules du corps humain sont


emportées sans cesse par le tourbillon vital, comme les

eaux d'un fleuve rapide ; et, nonobstant ce flux conti-


nuel, notre corps reste identique à lui-même : d'où il

résulte que le maintien de la personnaUté ne dépend


nullement des éléments matériels. Notre vrai corps est
celui que l'àme se façonne, se modèle, pour ainsi dire,
au cours de l'existence, auquel elle a imprimé ses signes
particuliers et quelle reprendra au dernier jour parce
qu'elle a déposé en une raison séminale Q-ô-^'oç
lui
cTCïpaaTi/.oç), comparable au germe doué d'une vie
latente, ou à cette partie molle du germe (Èv-epu-jw,) qui
périt pour revivre, sans garder d'ailleurs nécessairement
les mêmes atomes de matière. On le voit, la question
était portée sur le terrain philosophique et saint Méthode
l'avait bien compris. Mais Photius et saint Epiphane ont
passé sous silence le côté biologique, sans intérêt pour
eux, du problème et il est assez difficile, dans la version
;

allemande de la traduction slave, de se rendre compte


comment saint Méthode combattait les idées d'Origène sur
la nutrition des Aivants par assimilation d'éléments
nouveaux et élimination incessante des éléments usés.
Au contraire, sa réfutation de la création ab œterno est
péremptoire. Elle se fonde sur l'indépendance souveraine
de Dieu qui n'a pas besoin des créatures et à qui les
créatures n'ajoutent rien. L'acte extérieur de la création
ne le change pas, autrement il fautlrait dire que la
cessation de cet acte le change aussi. Un troisième argu-
ment nous paraît reposer sur un jeu de mots : « Si le
monde est éternel, il est improduit (àyévTjxoç) car il est
INTRODUCTION XLIII

sans principe (ip/'O- » C'est un sophisme. Mais, comme


l'écrit avait la forme dialoguée, il est i)ossil)ii' (|ue Photius
se soit trompé trinterlocuteur ou qu'il ail [iris de travers
le raisonnement du saint martyr (1).

Vers la mémo époque, saint Eustathe cnti([uait les


vTies d'Origène sur l'apparition de Samuel (2). Origène,
avec beaucoup d'autres commentateurs, admet la réalité

de l'apparition, iiarce que le récit bibli(pie n'insinue


point une tromperie de la sorcière ni une hallucination
de Saïd. Saint Eustathe est d'avis contraire et s'étonne

que l'exégète alexandrin, après avoir tant abusé de


l'allégorie, s'attache ici scrupuleusement à la lettre de

l'Écriture mais on ne peut se défendre de l'impression


;

que le docte patriarche d'Antioche a mal choisi son


terrain d'attaque.
Cependant les défenseurs n'étaient pas muets. Saint
Pamphile, non content de recueillir et de copier les
moindres du maitre, composait, avec la collabora-
écrits
tion d'Eusèbe, une Apologie en six livres, dont le pre-
mier seulement nous est parvenu dans la traduction de
Rufin (8). Il avait remarqué que presque tous les griefs
articulés contre Origène se neutralisent et se détruisent
deux à deux. On lui reprochait par exemple de soutenir

1. Photius, Blblioth., 235 [P. G., t. CIII. col. 1137-1148),


résumé du llso: twv yrvr.Twv.
2. De Engastrimylho (P. G., t. XVIII, col. 613-G73). Saint
Eustathe prodigue à son adversaire les é])ithétes les plus
dures misérable {isyé-z'k'.o:;], insensé (àvoTiTo-ra-co;). etc. Les qua-
:

lificatifs à double entente qu'il accole à son nom (-oAJsT.ao;.


TO^'jiTTojp. oo-,'|J.a-'.-Tr.;. y.o;jL'.J/6;, ;j.£YaAï,Yûpo;, xta.) ont une saveur
trop ironique pour être regardés comme des compliments. Ce
ton contraste violemment avec la polémique toujours digne et
mesurée d'Origène.
3. Apologia pro Origène (P. (r., t. XVII, col. 541-616). La
prélace de cet ouvrage est ce qu'on a écrit de plus habile et de
plus pondéré en faveur d'Origène.
avec Valentin que le Fils n'est qu'une parole extérieure
du Père; avec Artémon, qu'il est un pur homme; avec
les docètes, qu'il n'est homme qu'en apparence : asser-
tions contradictoires et opposées à toute vraisemblance,
Origène ayant passé sa vie à combattre ces hérétiques.
On l'accusait sans fondement d'avoir dit qu'il y a deux
Christ, que le Fils de Dieu n'est pas né — c'est-à-dire
sans doute qu'il ne procède point par génération — que
les âmes humaines émigrent dans des corps d'animaux.
Restaient les trois imputations habituelles : allégorisme,
spéculations eschatologiques, hypothèse de la préexis-
tence. Sur ce dernier point, saint Pamphile notait
avec raison qu'il s'agissait d'une opinion libre à cette
époque et il contestait le bien fondé des deux autres avec
plus de zèle que de succès.
Un peu plus tard, un anonyme reprenait la même
thèse eu sous-œuvre. Autant qu'on en peut juger par le
comi^te rendu succinct et peu favorable de Photius, il

disculpait Origène par les moyens ordinaires : interpo-


lation des hérétiques, langage théologique encore incer-
tain, problèmes discutés non résolus. La plupart des
et

griefs reposent en effetun malentendu ou manquent


sur
de base solide. Quelques-uns ont un énoncé bizarre qui
dénature évidemment la doctrine d'Origène : ainsi les
chérubins seraient des ê-rrîvoiai. du Fils; l'àme du
Christ serait l'àme d'Adam lui-même. Les plus sérieux
ont trait aux spéculations eschatologiques : chute des
esprits, résurrection de la chair, durée des peines de
l'autre vie, fin du règne du Christ. Nous ignorons de
quelle manière l'anonyme les repoussait (1).

1.Photius, Bibliotli., 117 (P. G., t. CIII, col. 393-396). A l'ar-


suivant, Photius signale en général, sans les nommer, un
ticle
grand nombre d'autres apologistes d'Origène.
INTRODUCTION XLV

Du reste, plaidoyers et réquisitoires n'étaient que des


épisodes fugitifs sans retentissement général. Pendant
tout le quatrième siècle, l'œuvre d'Origène fut une carrière
publique où chacun prenait librement les matériaux qui
lui convenaient, sans toujours se donner la peine de les
retailler. Saint Jérôme appelle tmdiœlions les imitations
de saint Victorin de Petlau, de saint Hilaire et de saint
Ambroise ; il évalue très haut les emprunts de l'évêque
de Poitiers ; il dit que le métropolitain de Milan en a
rempli presque tous ses ouvrages; dans ses moments
d'humeur il qualifie de vols ces réminiscences —
flirta Latinortim — et, si l'expression dépasse sa pensée,
s'il ne veut parler ni de plagiat ni de copie servile, tout

le monde lui accordera que saint Hilaire et saint Ambroise


sont fort redevables au catéchiste alexandrin (1). Saint
Eusèbe de Verceil ne l'est guère moins mais celui de ;

tous les Latins qui lui a le plus d'obhgations — à part


Rufin qui n'est que traducteur — est encore probable-
ment saint Jérôme lui-même. Il le reconnaît d'ailleurs
de bonne grâce en une vingtaine d'endroits. Quand on
lui reproche de piller Origène, loin de s'en défendre, il

se fait gloire de suivre « celui qui plaît à tous les sages »

et son admiration se traduit en hyperboles qu'on ne


réussira jamais à lui faire désavouer complètement.
Chez les Grecs, soucieux de démarquer leurs emprunts
et d'y mettre leur estampille, l'imitation éclate moins à
la surface. Pourtant les chaînes bibliques sont pleines de
passages attribués simultanément à Origène et à quelque
autre écrivain plus récent. Il est clair qu'ils appartiennent
au premier en date. Le bon cardinal Pitra s'en scanda-

1. Voir S. Jérôme, De Vir. ilL, 100 (P. L., t. XXIII, col. 699-

700); Epist., Lxi, 2 et lxxxiv, 7 (P. L., t. XXII, col. 603 et 749);
Adv. Rufin., i, 2 {P. L., t. XXIII, col. 399), etc.
XLVl ORIGENB

lise et crie au voleur ; mais son rigorisme est hors de


saison. Les longues citations implicites étaient dans les
mœurs littéraires du temps. Et puis, les livres de théo-
logie et d'exégèse étaient alors considérés comme biens
pubhcs de l'Église, où n'importe qui avait droit de puiser,
pour l'avantage des fidèles, à condition de respecter
l'orthodoxie. Saint Grégoire de Nysse s'est fait accuser
d'avoir serré de trop près le modèle. Saint Basile et
aux esprits faibles
saint Grégoire de Nazianze fournirent
des âges suivants un grand sujet détonnement et de
scandale par le célèbre recueil de morceaux choisis
d'Origène cju'ils avaient édité conjointement sous le nom
de Philocalie Le dernier, au rapport de Suidas, avait
\i).

coutume de dire « Origène nous sert à tous de pierre de


:

touche (2). » Et Ion donnait à cette même pensée un


tour paradoxal, en disant qu'aucun adversaire d'Origène
n'eût été capable de le combattre, s'il ne s'était formé à
son école. Bref, jusque vers la fin du quatrième siècle, la

gloire d'Origène fut à son apogée. Le premier opposant


digne de lui est saint Épiphane.
Si l'on a parfois refusé au pieux évè([ue de Salamine
l'esprit critique, le souci d'une minutieuse exactitude,
les qualités du styliste et la précision du dialecticien, on
ne saurait lui dénier avec justice l'amour de la vérité, le
sens de l'orthodoxie, le zèle pour la bonne cause et la
rectitude absolue des intentions. Avait-il constaté, soit

1. Voir dans Hobinson, The Philocalia of Origen (Cambridge,


1894), p. 1-4, le prologue dont on la fit précéder pour expliquer
la conduite des ileux grands docteurs.
2. Lexicon, article Origène : 'lip'.ysvr,; TtâvTwv r.awv i-AO'n,,
-r,

littéralement: notre pierre à aiguiser. Saint Grégoire veut dire


sans doute cpie tous les écrivains catholiques acquièrent, au
contact d'Orij.'^èue, leur poli et leur tranchant. Nous avons cru
devoir substilui'i' un équivalent moins exact.
INTRODUCTION XLVII

en Égypto, où il avait passé son adolescence, soit en


Palestine, sa patrie, où il continuait à diriger un célèbre
monastère, des ferments d'origénisme ? C'est possible.
Toujours est-il qu'à partir de 1574 jusrpi'à sa mort surve-
nue en 403, sa cami)agne contre Origène se poursuivit
sans relâche (1). 11 lui reproche d'avoir soutenu : 1. que
le Fils ne voit pas le Père, ni le Saint-Esprit le Fils;
2. que le Fils ne l'est que par grâce; 'S. que le Fils est
créé, tout en étant de la substance du Père. Il passe
ensuite à des erreurs encore plus graves à son avis : la
préexistence des âmes et leur relégation dans les corps,
le dogme de la résurrection nié ou affaibli, l'abus de
du règne
l'allégorie, la restauration universelle et la fin

du Nous avons vu dans quelle mesure Origène est


Christ.
coupable de la seconde catégorie d'erreurs quant aux ;

trois premiers articles, on a peine à s'expliquer sur


quoi repose l'accusation. S'il dit que le Fils ne voit
pas le Père, il l'entend, comme le contexte semble le
montrer, d'une vision sensible qui supposerait un Dieu
corporel. Que le Fils ne soit Fils que par grâce, cela est
tellement opposé à ses principes et à ses déclarations
formelles qu'une imputation si peu vraisemblable aurait
besoin de preuve. Enfin la troisième proposition censu-
rée Le Fils est de la substance du Père et néanmoins
:
t

créé nous parait contradictoire. Origène a-t-il jamais


»,

dit que le Fils est pt-oduit {y.-iix6-), qu'il est une produc-
tion (y.-Ccraa) du Père ? Nous n'osons le nier absolument,
car on parlait de la sorte au troisième siècle mais il ne ;

s'ensuit point que par xtigtôç il entend « créé > et par

1.Ancoralus {P. G., t. XLIII, col. 128) Panarion, hseres. ;

Lxiv {P. L., t. LXI, col. tCK3S-120O); Anacephalœosis (P. G.,


t. XLII, col. 8G7); Lettre à Jean de Jérusalem, traduite en latin
par S. Jérôme {P. G., t. XLIII, col. 128).
XLVIII ORIGÈNE

x-îcijLa € créature ». Du reste, le fait n'est pas établi et


la citation de saint Épiphane prouve seulement qu'il
avait appelé le Verbe Qto:; yvrr^zdtq, expression suscepti-
ble d'un sens orthodoxe, comme saint Épiphane en con-
vient lui-même.
Des circonstances où le dogme ne joua d'abord qu'un
rôle infime donnèrent à l'auteur du Panarion deux puis-
sants auxiliaires.Nous ne raconterons pas les querelles
si connues de saint Jérôme avec Jean de Jérusalem et

avec Rufin qui firent d'un fervent disciple d'Origène un


adversaire encore plus ardent. Cependant le solitaire de
Bethléem étudiait toujours le maître, renvoyait à ses
œuvres, maintenait les éloges qu'il lui avait jadis décer-
nés et, s'il condamnait maintenant ses erreurs avec
une vivacité qu'expliquent sa fougue naturelle, son
amour jaloux de l'orthodoxie et la violence de la polé-
mique, il continuait à lui rendre justice.
Une conversion plus énigmatique est celle de Théo-
phile (1). Jusqu'en 399, le patriarche d'Alexandrie était
origéniste au sens oiion l'était alors en Egypte, c'est-à-
dire qu'il lisait assidûment Origène et professait la
spiritualité de Dieu. Prévenu contre saint Jérôme, il
traitait ouvertement saint Épiphane d'anthropomorphite.
Une aventure singulière le réconcilia avec eux. Dans sa
circulaire pascale de 399, il avait cru devoir éclairer l'igno-
rance des moines antiorigénistes qui donnaient à Dieu des
IDieds, des mains, des yeux et des oreilles. L'émoi fut
grand au désert. Les anachorètes criaient qu'on leur arra-
chait leur Dieu il leur semblait q'uil s'évanouissait en
;

se spiritualisant. Il descendirent en masse à Alexandrie

•1. Les contemporains sont presque unanimes à flétrir Tam-


bition, l'avarice, la fourberie, la violence et la cruauté de Théo-
phile; mais aucun, cro\ons-nous, n'incrimine son orlhodo.xie.
INTRODUCTION XLIX

pour forcer le patriarche à se réiractcr. Celui-ci les

apaisa, dit-on, par cette parole équivoque : « En vous


voyant, frères, je crois voir la face de Dieu. » Mais il

comprit en môme temps le parti qu'il pourrait tirer,

pour ses haines et ses vengeances, du fanatisme aveugle


des anthropomorphites. Il se fit, lui aussi, antiorigrniste.

Il venait justement de se brouiller, pour des motifs


étrangers au dogme, avec Isidore rilospitalier et les
quatre Longs Frères, qui, n'étant pas anthropomor-
phites, passaient pour origénistes : en Egypte, il n'y
avait pas alors de milieu. Ayant fait interdire par un
synode d'Alexandrie la lecture et la conservation des
œuvres d'Origène, il envahit manu i/ii/itarila montagne
de Nitrie, centre supposé de l'origénisme, saccagea et
brûla les cellules, poursuivit sans merci les moines dont
beaucoup s'enfuirent à Jérusalem et de Là à Constan-
tinople. On sait le reste de cette lamentable histoire
qu'on voudrait effacer des annales de l'Église et qui eut
pour dénouement l'exil et la mort de saint Jean Chry-
sostome. Elle nous montre de très grands saints aux
prises les uns avec les autres, le droit et le devoir telle-
ment obscurcis par un nuage d'intrigues, de calomnies et
de préventions, qu'il était presque impossible aux con-
temporains et qu'il est encore difficile à l'historien de
les démêler ; mais elle nous donne cette leçon réconfor-
tante, que les erreurs d'appréciation et les fautes de
conduite qu'elles entraînent ne sont point incompatibles
avec la plus éminente sainteté.
Plus on scrute avec attention toutes les péripéties de
ce drame, où l'ombre d'Origène joue un si grand rôle,
moins on arrive à y découvrir de vrais origénistes. Est-
il besoin de disculper Chrysostome, ou son ami saint
Théotime qui repoussa si énergiquement la sommation
4
L ORIGENE

de saint Épipluuie d'avoir à condamner en bloc et sans


examen les œuvres d'Origène (1)'? Quant à Kufin, tous
ses écrits, son explication du Symbole, sa lettre au
pape Anastase, les professions de foi qu'il aime à pro-
diguer, sont parfaitement orthodoxes (2). Après comme
avant ces débals, il jouit de l'estime et de l'amitié des
saints les plus illustres. L'orthodoxie de Jean de Jérusa-
lem dans toute cette affaire ne parait pas plus douteuse
et les éloges que saint Anastase, au plus fort des contro-
verses origénistcs, décerne à sa foi et à sa piété (3) nous
paraîtraient excessifs, s'il ne s'agissait d'un personnage
alors en grand renom de science et de A^ertu. A
très
Théophile qui leur dénonçait les erreurs origénistes,
tous les évêques de Palestine réunis à Jérusalem répon-
dirent qu'ils n'en avaient jamais entendu parler et que per-
sonne, à leur connaissance, ne les professait dans toute
l'étendue de leur proWnce ecclésiastique (4). En Egypte,
du moins, rencontrerons-nous quelque origéniste authen-
tique? Nul n'ignore que les accusations dirigées contre
lesLongs Frères et leurs compagnons d'exil furent recon-
nues calomnieuses. Aussi Théophile se réconcilia-t-il
avec eux sans leur demander la moindre rétractation.
Lui-même, Aiolant ses propres édits, se remit à lire
Origène et il répondait à ceux qu'étonnait son inconsé-
quence : « Je sais tirer les roses des épines (5). »

Fantôme ou épouvantaU, l'origénisme s'était évanoui.

1.Socrate, Hist. eccL, vi, 12 (P. G., LXVII. col. 7(M).


2.In Symbol. Apost. {P. L., t. XXI, col. 385-38t)); Ad Anaslas.,
{Ibid., col. 6ii3-Gi8); Apol. in Hieron., i, 4-5 [Ibid., col. 543-
545), etc.
3. Epist. Anaslas. ad Joan. Hierosol. (P. A., t. XXI, col. 627-632).
4. Panai les lettresde S. Jérôme, Episl., xcui (P. L., t. XXII,
«ol. 7(i9-77I).
5. Socrate, Hisl. ecch, vi, 17 {P. G., t. LXVII, col. 716).
INTRODUCTION Ll

CHAPITRE DEUXIK^IE
CONTROVERSES ORIGÉ.MSTES AU Yl® SIÈCLE

Clirysoslome exilé et mort, la haiiic de Théophile


assouvie, Rufin réduit au silence, les controverses ori-
géuistes étaient sans but. Il n'en fut pas question durant
plus d'un siècle. Ce furent des moines palestiniens, engoués
du Periarchon, qui les ressuscitèrent. En vain on leur
prescrivait comme antidote la réfutation d'Antijiater de
Bostra. Expulsés d'un monastère, ils chercliaient asile
dans le voisinage, attendant, pour se faire réintégrer, un
changement d'abhé ou de patriarche; or, sousJustinien,
les patriarches changeaient souvent. Vers 537, deux des
principaux origénistes venaient d'obtenir des évèchés
importants : Théodore Asliidas, le siège métropolitain
de Césarée en Cappadoce, et Domitieu, celui d'Ancyre
en Galatie. Le mouvement devenait sérieux et il était
temps de l'enrayer (1).
Quelqu'un s'avisa du remède le plus efficace, le
recours direct à l'empereur. Justinien, tout occupé qu'il
était à faire et à défaire évêques et patriarches, savait
être théologien à ses heures, pourvu qu'on lui fournît
les matériaux tout préparés.Ayant composé sa
fameuse lettre contre Origène, appuyée de vingt-quatre

1. à peu près, pour cette phase de l'origé-


La seule autorité
nisme, est de Scythopolis {Vila Sabbœ, 83-90. dans
Cj'rille
Cotelier, EccL Grœc. Monum., t. III, p.- 360-370; Paris, 1086).
Mais Cyrille, qui écrivait en 5oo, presque au lendemain des
événements, est un auteur l)ien informé. Il habitait Jérusalem
et fut l'un des cent vingt moines désignés pour remplacer les
origénistes chassés de la Nouvelle Laure. Il a. de plus, interrogé
les témoins oculaires {VUa EuthymU, dans (hôtelier, op. cit.,
t. II, p. 338).
LU ORIGENE

extraits du Periarchon et accompagnée de neuf proposi-


tions à frapper d'anathème, il adressa le tout aux patriar-

ches, y compris le pape Vigile, avec injonction à Menas


de Constantinople de faire souscrire les anathématismes
partons les évoques présents dans la capitale (543) (1).
Libérât dit formellement que tous les patriarches adhé-
rèrent à redit impérial, et comme les propositions signa-
lées sont de fait erronées, nous n'aurions aucune rai-
son de douter quele pape ait donné son assentiment,

alors même
que Gassiodore ne l'affirmerait pas. Les
anathématismes du synode local de 543 paraissent donc
avoir été acceptés par l'ensemble de l'épiscopat catholi-
que uni au Saint-Siège c'est pourquoi nous jugeons
:

donner ici une traduction littérale. Ils reflètent


utile d'en
moins sans doute la vraie pensée d'Origène que son
interprétation tardive par les moines palestiniens du
vi"siècle mais ils n'en ont que plus d'intérêt. On
;

remarquera qu'ils ne font aucune allusion à la subordi-


nation des personnes divines ni à l'allégorie scriptu-
raire, tandis qu'ils réprouvent des opinions bizarres,
qu'aucune citation d'Origène ne vient appuyer dans les
pièces justificatives.
1. Anathème à qui dit ou tient que les âmes des
hommes préexistaient en qualité d'esprits et de vertus
saintes, mais que, rassasiées de la contemplation divine,

Ces trois pièces se trouvent clans Mansi, Collecl. Concilior.,


\.

t. IX, et dans Migne, P. G., t. LXXXVI. 1" partie, col. 945-981 :

dissei-tation contre Origèno; col. 981-089: vingt-quatre extraits


du Periarchon; coi. 089: les neuf anathématismes. Des vingt-
quatre extraits, sept n'ont pas été replacés par Delarue dans le
te.xtc de son édition; la place de quatre d'entre eux est cepen-
dant facile à trouver, surtout grâce aux citations de S. Jéi-ôme
dans sa lettre à Avitus. Pour les trois autres, nous ne savons
d'où ils sont tirés, mais il nous parait évident que l'un d'eux
est interpolé.
INTKUULCTIU.N LUI

elles se portèrent au mal, si> refroidirent de l'amour do


Dieu, — d'où leur vint le nom CCàmes {<W/y.\), — enfin,
par mesure de châtiment, furent reléguées dans des
corps.
2. Analhème à qui dit ou tient que l'âme du Seigneur
préexistait et qu'elle fut unie au Dieu-Verbe avant Tin-
carnation ot la naissance virginale.
3. Anathème à qui dit ou tient que le corps de Xotre-
Seigueur fut d'abord formé dans le sein de la sainte
Vierge et que le Dieu- Verbe, avec l'âme préexistante,
s'y unit ensuite.
4. Anathème à qui dit ou tient que le Verbe de Dieu
s'est fait semblable à tous les ordres célestes, chérubin
avec les cliérubins, séraphin avec les séraj^hins, en un
mot semblable à toutes les vertus d'en haut.
5. Anathème à qui dit ou tient qu'à la résurrection

les corps des hommes ressusciteront sphériques et


nie que nous devions ressusciter dans la position droite.
6. Anathème à qui dit ou tient que le ciel et le soleil

et la lune et les astres sont des êtres vivants et raison-


nables.
7. Anathème à qui dit ou tient que le Seigneur notre
Maître sera, dans le siècle à venir, crucifié pour les
démons comme il l'a été pour les hommes.
8. Anathème à qui dit ou tient que la ijuissance de
Dieu est limitée et qu'il a formé autant d'êtres qu'il pou-
vait en embrasser.
9. Anathème à qui dit ou tient que le châtiment des
démons et des impies est temporaire, qu'il prendra fin
après une certaine durée et qu'il y aura une restauration
(à-oxaTiîTx^'.ç) des démous ou des impies.
10. Anathème à Origène surnommé Adamantins,
anathème à ses dogmes odieux.
l'inventeur de ces choses;
maudits et exécrables anathème à quiconque les pro-
;

fesse, les soutient ou ose les défendre n'importe quand


ou comment.
On reconnaît là, solidifiés en dogmes, quelques-uns
des rêves vaporeux oii se complaisait la vive imagination
d'Origène ; mais il faut des efforts et des recherches pour
deviner comment on a pu mettre à son compte certaines
opinions singulières et blasphématoires. Il dit bien en
passant que les corps célestes ont la forme arrondie,
mais il parle évidemment des astres et non des élus, car
ilinvoque aussitôt le témoignage des hommes compé-
tents en ces matières (1); il dit encore que le Fils de
Dieu, dans les théophanies où il préludait à l'incarna-
tion, sous le nom d'Ange du Seigneur ou d'Ange de
l'alliance, remplissait les fonctions des anges, mais il ne
dit pas qu'il ait pris leur nature comme il a pris la
nature humaine ; il dit enfin que le sacrifice de la croix
a eu peut-être son contre-coup sur toute la création et
son retentissement au ciel, mais il ne dit pas que Jésus-
Christ sera un jour crucifié pour les démons comme il

l'a été ijour l'homme coupable (2).


Si les antiorigénistes s'étaient flattés de ruiner le

crédit d'Askidas et de Domitien, ils furent bien déçus.


Les prélats courtisans signèrent tout ce qu'on A'oulut et,

à ce prix, conservèrent la faveur impériale. Cependant


l'origénisme prenait une direction toute nouvelle qui
réclame quelques explications.
Vers le début du sixième siècle, un moine brouillon
d'Édesse, nommé Bar-Suda'ïli , avait rapporté d'Egypte
une sorte de panthéisme qui empruntait à Origène une

1. De Omliune,
31 {P. G., t. XI, col. uo2).
2. Huot, Orir/eniana, lib. II, cap. ii, q. m, n° 2-u et 23-24
Cf.
(P. G., t. XVII, col. 707 sr/r/. et 826 sqq.)

1
IiNTRODUCTION LT

partie de sa terminologie. Dans ce système, autant que


la brève réfutation de Pliiloxène permet île l'entendre,
tout procéderait [)ar émanation de l'Absolu qui finirait
par résorber en soi toutes choses (1). Le principe fonda-
mental était : « Toute nature est consubstanlielle {bar
kiono) à Dieu », et le mot de passe : « Dieu sera tout en
tout. » Bar-Sudaïli, expulsé d'Édesse, vint se réfugier à
Jérusalem où se trouvait déjà un petit noyau dorigé-
nistes. C'est là que se produisit le syncrétisme des idées
panthéistes et des hypothèses d'Origène. A la mort de
Nonnus qui y maintenait quelque cohésion, le parti se
scinda en deux sectes rivales, celle des protoctistes ou
tétradites et celle des isochristes. Ces derniers acquirent
bientôt une telle prépondérance que leurs adversaires,
de dépit, s'unirent aux orthodoxes, et les isochristes
représentèrent alors tout l'origénisme. Leur dogme
capital, comme le nom Tinsinue, était que tous les
hommes sont destinés à devenir les égaux du Christ,
mais qu'ils doivent finalement, comme le Christ lui-
même, se perdre en Dieu (2).
Les anathématismes fulminés en 343 ne suffisant plus
contre cette nouvelle forme d'origénisme, Théodore de
Scythopolis, obligé de les souscrire vers la fin de l'année
552 (3), fut contraint d'y ajouter les trois articles sui-
vants :

1. Xonaias Mabugensis, Epis t. ad Abraham et Oreslem... de


Siephano Bar-Siidaili, dans Assemani, Bibliolh. Orient., t. Il
p. 31-3:i. La lettre de Phiioxène, écrite entre oOy et oli, a été
publiée d'après l'unique manuscrit du Vatican (Syriac, 107,
fol. 60-63. VMi" siècle), avec traduction anglaise, par Frothin-
gham, Slephen Bar-Sudaili, Ihe Syrian Mysfic, Leyde. 1886.
2. Nous devons ces maigres détails à Cyrille de Scythopolis,
Vita Sabbae, dans Cotelier. op. cit., t. III. p. 37l'-374.
3. Libellus de error. Origenis {P. G., t. LXXXVI, 1" partie,
col. 232-236). Les trois articles ajoutés occupent les nuuiéros 4,
LVI ORIGENE

Anathèine à qui dit ou tient ou pense ou enseigne que


le règne de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Clirist est
destiné à finir et à cesser un jour.
Anatlième à qui ou pense ou enseigne que nous
dit
serons un jour égalés au Christ-Sauveur notre Dieu,
enfanté de la sainte et toujours Vierge Marie, mère de
Dieu, et que le Dieu- Verbe s'unira à nous comme il
s'unit, selon la substance et selon Ihypostase, à la chair
animée prise au sein de Marie.
Anatlième à qui dit ou pense ou enseigne que les
corps ressuscites, revêtus d'immortalité et d'incorrup-
tion, sans excepter celui de notre grand Dieu et Sau-
veur Jésus-Christ, périront et retomberont dans le
néant, au lieu de durer à jamais.
On le voit, l'origénisme s'amalgamait avec des éléments
de tout point hétérogènes : l'égalité des bienheureux et
du Christ et l'union hypostatique des élus avec le Dieu-
Verbe. Telle était la situation à la veille du cinquième
concile œcuménique de Constantinople.

Cette grande assemblée a-t-elle condamné l'origé-


nisme 1 Halloix qui le nie a recueilli presque autant
d'adeptes que Baronius qui l'affirme ; mais l'opinion
mitoyenne — celle d'une condamnation in globo, sans
examen ni spécification des doctrines réprouvées —a
rallié encore plus de suffrages. Il est hors de doute que
le concile avait été exclusivement convoqué pour
l'affaire des Trois Chapitres et que dans les huit sessions

11 et 12. La profession de foi est adressée à l'empereur et aux


quatre patriarclies d'Orient, Eutychius de Constantinople,
Apollinaire d'Alexandrie, Domnus d'Antioche et Eustochius de
Jérusalem. Pas un mot du pape Vigile qui se trouvait pourtant
alors à Constantinople.
INTRODUCTION LVII

dont nous possédons en latin les actes (du 5 mai au


2 juin 553) — les seules que
pape Vigile ait confir-
le

mées —
il n'y a point place pour une discussion sur
l'origénisme, bien qu'Origène y soit nommé deux fois
incidemment. Pourtant deux contemporains, Évagre et
Cyrille de Scythopolis, attestent la condamnation des
erreurs origénistes au cinquième concile général, et deux
pièces très intéressantes, décisives authen-si elles sont
veux parler d'une
tiques, corroborent leur déposition. Je
lettre adressée par Justinien au « saint synode » et de
quinze xavôveq attribués aux Pères du cinquième con-
cile (1). Les deux documents ont tous les caractères

intrinsèques d'authenticité et — ce qui achève de rendre


invraisemblable l'hypothèse de faux intentionnels —
ils cadrent bien avec l'histoire mieux connue des contro-
verses religieuses de l'époque.
M. Diekamp, professeur à Munster, nous semble avoir
trouvé le mot de l'énigme (2). Il suppose que les débats

sur l'origénisme eurent lieu durant cette période de


pénible attente que les pourparlers entre le pape et
l'empereur imposaient aux évêques réunis depuis quatre
longs mois. Vigile, redoutant une assemblée où l'élé-
ment oriental serait par trop prépondérant, et craignant
d'ailleurs que la condamnation des Trois Chapitres ne

1.Les deux documents se trouvent dans Mansi, op. cit., t. IX.


La de Justinien est dans Migne, P. G., t. LXXXVI,
lettre
V partie, coL 103o-1041. Lambeek publia le premier, en 1679,
les quinze anathématismes qu'il avait découverts dans un
manuscrit de Vienne mais il eut le tort d'ajouter de son cru
;

au titre les mots xaTà 'Qûiyî'vo'j; qui ne sont pas dans le manus-
crit. L'édition la plus récente et la meilleure des deux pièces,
celle de Diekamp {Die origenislischen Streitigkeiten... p. 90-97),
supprime ces mots.
2. Die origenislischen Streitigkeiten im sechsten Jahrliundcrt.
Munster, 1899.
LVIII ORIGàHE

parût un blâme indirect à l'adresse des Pères de Ghal-


cédoine, mettait tout en œuvre pour gagner du temps.
Sur CCS entrefaites, arrivent de Jérusalem les moines
porteurs d'un libelle d'accusation contre les origénistes.
C'est une bonne aubaine pour Justinien, qui voit là un
ingénieux moyen de faire prendre patience aux évêques,
tout en évitant de blesser le pape. Il leur écrit donc la
dont nous venons de parler et quinze propositions
lettre
sont frappées par eux d'anathème. Ceci se passait
dans les premiers mois de 533. Le 2 mai suivant, le
concile s'ouvrait, sans aucune participation du pape qui
réclamait en vain un nouveau délai.
Le seul point que M. Diekamp n'ait pas réussi à
mettre en lumière, c'est la confirmation par le pape de
la sentence extra- SATiodale relative à Forigénisme. A
notre avis, cette confirmation n'a jamais eu lieu. Les
deux arguments allégués par M. Diekamp admettent
une solution facile. D'autre part, lorsque le pontife,
dans sa lettre au patriarche de Constantinople (8 décem-
bre 3o3) et son Constitutum du 23 février oo4, se ré-
solut à sanctionner les travaux du concile, son appro-
bation ne porta (pie sur l'affaire des Trois Chapitres, la
seule que les Pères eussent à traiter. Ses trois succes-
Gré-
seurs, Pelage P' (006-oGl), Pelage II (579-590) et
Grand (390-604), ayant à parler des décrets du
goire le
cinquième concile —
les deux derniers au long et en

détail —
ne font pas la moindre allusion à une con-
damnation de Torigénisme. C'est donc qu'ils l'ignorent
ou la regardent comme non avenue. La lettre de Justi-
nien n'était pas adressée personnellement au pape
comme celle de 543, mais au concile qui n'était point
encore régulièrement ouvert et où le pape était bien
décidé à ne point i)araitre, surtout à cette époque. La
I.NTnODUCTION LIX

rétractation envoyoo par Théodore de Scythopolis aux


quatre patriarches orientaux oubliait, i)ar uiégarde ou
par calcul, le pape Vipile, bien que pr(''scnt à Constan-
tinopl(\ Peut-être cette question était elle considérée
comme exclusivement orientale on s'expliquerait ainsi
;

comment le pontife a pu être laissé de coté et comment,


à son lour, il s'est désintéressé de l'affaire.

Du reste, le système condamné par les évoques orien-


taux n'a qu'un rapport éloigné avec les théories du Periai^-
c/ion. Aussi les pré-lats ne font-ils aucune mention d'Ori-
gène. Justinien le nomme, conjointement avec Platon,
Pythagore et Plotin, mais il a soin de noter qu'il s'agitde
doctrines païennes et manichéennes. Onen jugera par ce
bref résumé. A l'origine existaient des esprits sans nom
et sans nombre, inconscients et impersonnels, dont l'en-
semble constituait Vhénade. Devenus conscients et per-
sonnels, on ne sait comment, la satiété du bonheur les
saisit ; ils tombent d'une chute plus ou moins profonde :

anges, astres, hommes, démons, ils peuplent les cieux,


la terre, les enfers. Un seul, le Christ — qu'il ne faut
pas confondre avec le Verbe — demeure inébranlable
dans le bien, et, pour ramener à l'hénade tous les esprits
déchus, il se fait tout à tous ange avec les anges,
:

homme avec les hommes. Il s'incarne, il ressuscite et


reçoit alors ce corps sphérique dont il se dépouille
bientôt pour retrouver la spiritualité primordiale. Les
hommes, ressuscites comme lui en forme de boule,
déposent leur corps à leur tour. La matière est anni-
hilée et le Christ ne diffère plus en rien des autres
intelligences. Mais cette égalité spécifique, supposant
encore des distinctions individuelles, n'est pas le der-
nier terme de l'évolution. L'hénade se reconstitue,
les nombres et les hypostases disparaissent de nouveau
et tout rentre clans l'Absolu inconscient et impersonnel.
Dans ce tissu d'extravagances, mélange hybride de
panthéisme et de manichéisme, trois points restent
particulièrement obscurs : la cause de l'apparition et de
la disparition de la matière, l'obstacle qui empêche le

cercle fermé de se rouvrir et le cycle achevé de recom-


mencer, le rôle du Dieu-Verbe dans l'évolution et ses

rapports avec le Christ d'un côté, avec l'hénade de


l'autre. Mais n'est-ce pas trop demander aux systèmes
monistes c[ue d'exiger d'eux la clarté ?

De telles spéculations ne pouvaient guère agir sur les


foules. Les isochristes ne furent jamais qu'une poignée :

esprits remuants et chagrins, plus amis du bruit et du


désordre que des nouveautés, ils suivaient à l'aveugle
troisou quatre meneurs. Justinien parle de quelques
moines seulement Cyrille de Scythopoiis en compte
;

une fois quarante s'il semble ailleurs en porter le


;

nombre y com^îrend sans doute


à cent vingt, c'est qu'il
les complices Tous étaient cantonnés à
et les suspects.

Jérusalem et même, à proprement parler, dans la Nou-


velle Laure. Hors de Jérusalem, on n'en voit point de
trace certaine (1). Askidas, Domitien, Théodore de
Scythopoiis, accusés d'origénisme, s'empressèrent de
le renier, soit qu'on les eût soupçonnés à tort, soit faute

de convictions fermes. Léonce de Byzance, impliqué


dans laccusation, n'eut d'origéniste que le nom, s'il

faut l'identifier avec l'illustre auteur des Sectes. Au


quatrième siècle, il nous a été imj)ossible de découvrir

1. Cjrille de Scythopoiis (VUa Eulliymii, 71, dans Cotelier,


op. cit., t. II, p. 239) fois des manichéens et
mentionne une
des origénistes près de Césarée do Palestine mais il parle ;

d'une époque déjà éloignée et de faits qu'il ne connaît que par


ouï-dire. 11 n'est plus question dans la suite de ces hérétiques.
INÏIUIDIC.TIO.N LXI

un seul origénistc bien aulheiitiqiie : ceux du sixième


sont tellement teintés de panUiéisnie qu'ils ne sauraient
à bon droit se réclamer dOrigèno ; et leur nombre est si
réduit, leur splière d'action si restreinte, qu'ils ne ris-
quaient pas de révolutionner l'Eglise.

L'Iiistoire de l'origénisme s'arrête ici. En Occident,


Origène trouve encore des juges équitables dans le véné-
rable Bède, Guillaume de Paris, Vincent de Beauvais et
bien d'autres ; de vaillants défenseurs dans Pic de
La jNlirandole, Sixte de Sienne, Merlin, Érasme, Géné-
brard, surtout Halloix et, de nos jours, Vincenzi. La
plupart des lectionnaires du moyen-âge contiennent
quelques-unes de ses homélies, mêlées à celles des
Pores orthodoxes. Les traductions de saint Jérôme,
protégées par le décret dit de Gélase, traversent les
siècles sans encombre ; celles de Rufiu aussi, en s'abri-
tant souvent, il est vrai, sous le nom et l'autorité de
Jérôme. Néanmoins la voix des accusateurs couvre celle
des apologistes et c'est un spectacle piquant de rencon-
trer unis, parmi les adversaires les plus décidés d'Ori-

gène, Baronius et Luther, Petau et Théodore de Bèze,


Bellarmin et Jansénius.

En Orient, la défaveur qui s'attache à l'origénisme


retombe sur Origène. On semble s'être donné le mot
pour abolir sa mémoire. Son nom est rarement proféré
sans une épithète outrageuse impie, blasphémateur,
:

infâme, misérable. Les exclamations indignées du copiste


encombrent les marges de ses manuscrits « C'est :
et tout rentre dans l'Absolu inconscient et impersonnel.
Dans ce tissu d'extravagances, mélange hybride de
panthéisme et de manichéisme, trois points restent
particulièrement obscurs : la cause de l'apparition et de
de la matière, l'obstacle qui empêche le
la disparition
cerclefermé de se rouvrir et le cycle achevé de recom-
mencer, le rôle du Dieu-Verbe dans l'évolution et ses
rapports avec le Christ d'un côté, avec l'hénade de
l'autre. Mais n'est-ce pas trop demander aux systèmes
monistes que d'exiger d'eux la clarté ?

De telles spéculations ne pouvaient guère agir sur les

foules. Les isochristes ne furent jamais qu'une poignée :

espritsremuants et chagrins, plus amis du bruit et du


désordre que des nouveautés, ils suivaient à l'aveugle
trois ou quatre meneurs. Justinien parle de quelques
moines seulement Cyrille de Scythopolis en compte
;

une fois quarante s'il semble ailleurs en porter le


;

nombre à cent vingt, c'est qu'il y comprend sans doute


les complices et les suspects. Tous étaient cantonnés à
Jérusalem et même, à proprement parler, dans la Nou-
velle Laure. Hors de Jérusalem, on n'en voit point de
trace certaine (1). Askidas, Domitien, Théodore de
Scythopolis, accusés d'origénisme, s'empressèrent de
le renier, soit qu'on les eût soupçonnés à tort, soit faute

de convictions fermes. Léonce de Byzance, impliqué


dans raccusation, n'eut d'origéniste que le nom, s'il
faut l'identifier avec l'illustre auteur des Sectes. Au
quatrième siècle, il nous a été impossible de découvrir

\. (]3TilIe de Scythopolis [VHa EiUliymii, 71, dans Cotclier,


op. cil., t. II, p. 259) fois des manichéens et
mentionne une
des origénistes près de Césarée de Palestine mais il parle ;

d'une ('poque df'jà ôloignée et de faits qu'il ne connaît que par


ouï-dire. 11 n'est plus question dans la suite de ces hérétiques.
INTRODir.TlOiS

un seul origénistc bien aullientifiue : ceux du sixième


sont tellement teintés de panthéisme qu'ils ne sauraient
à bon droit se réclamer (rOrigènc ; et leur noml)ro est si

réduil, leur sphère d'action si restreinte, qu'ils ne ris-


quaient pas de révolutionner l'Église.

L'histoire de l'origénisme s'arrête ici. En Occident,


Origène trouve encore des juges équitables dans le véné-
rable Bède, Guillaume de Paris, Vincent de Beauvais et
bien d'autres ; de vaillants défenseurs dans Pic de
La Miraudole, Sixte de Sienne, Merlin, Érasme, Géné-
brard, surtout Ilalloix et, de nos jours, Vincenzi. La
plupart des lectionnaires du moyen-àge contiennent
quelques-unes de ses homélies, mêlées à celles des
Pères orthodoxes. Les traductions de saint Jérôme,
protégées par le décret dit de Gélase, traversent les
siècles sans encombre ; celles de Rufiu aussi, en s'abri-
tant souvent, il est vrai, sous le nom et l'autorité de
Jérôme. Néanmoins la voix des accusateurs couvre celle
des apologistes et c'est un spectacle piquant de rencon-
trer unis, parmi les adversaires les plus décidés d'Ori-
gène, Baronius et Luther, Petau et Théodore de Bèze,
BcUarmiu et Jansénius.
En Orient, la défaveur qui s'attache à l'origénisme
retombe sur Origène. On semble s'être donné le mot
pour abolir sa mémoire. Son nom est rarement proféré
sans une épithète outrageuse impie, blasphémateur,
:

infâme, misérable. Les exclamations indignées du copiste


encombrent les marges de ses manuscrits « C'est :
absurde ! Tu radotes, Origène ! Lecteur, passe au plus
vite, il blasphème. > Ses ouvrages deviennent de plus
en plus rares. C'est ainsi que les manuscrits du Contra
Celsum dérivent tous d'un même archétype ne remon-
tant pas au delà du treizième siècle. Huit livres du
Commentaire sur saint Mathieu, neuf livres du Com-
mentaire sur saint Jean échappent comme par miracle à
la destruction. Vingt homélies sur Jérémie, retrouvées
dans un codex de l'Escurial, furent peut-être sauvées de
la proscription grâce au titre c[ui les attribue à saint
Cyrille d'Alexandrie. L'homéhe sur la Pythonisse nous
a été conservée par celui-là même qui avait pris à tâche
de la réfuter. C'est là, avec la lettre à Jules Africain, les
extraits de la Philocalie, les citations des écrivains ecclé-
siastiques et les fragments des chaînes bibliques, dont
l'examen et le triage sont loin d'être achevés, tout ce
qui nous reste en grec d'Origène cela ne représente :

probablement pas la vingtième partie de son œuvre.


Verrons-nous s'accroître sensiblement le patrimoine
littéraire du grand Alexandrin Nous n'osons l'espérer. "?

Les bibliothèques d'Orient, explorées dans ces der-


nières années, ont été, comme il fallait s'y attendre, très
pauvres en manuscrits de notre auteur. Les fragments
des Hexaples, découverts récemment dans un palimp-
seste de l'Ambrosienne par Mgr Mercati et le texte du
Nouveau Testament d'Origène, trouvé par ]\L von der
Goltz dans la Laure de l'Athos, ont comblé de joie les
érudits. Mais que sont ces trouvailles en regard des
trésors perdus L œuvre colossale du plus fécond des
*?

écrivains était condamnée à périr par son immensité


même ; et combien les i>assions des hommes ont puis-
samment secondé l'action des siècles !

Il reste à Origène d'avoir été par ses écrits, par son


IMUODICTION l,XIII

enseignement, par son exemple, le i)lus influent et le

plus écouté des maîtres. C'est assez pour sa gloire. Qu'il


ait fait parfois fausse route, c'est le sort commun des
pionniers et des initiateurs; mais sa contribution aux
progrès de l'exégèse et de la théologie est telle qu'il
est difficile de l'exagérer. Si son œuvre même a péri,
on peut dire qu'elle se survit dans ce qu'elle avait de
plus utile et de vraiment durable, et (|u'elle est entrée,

pour une large part, dans l'édifice anonyme de la tradi-

tion catholique.
PREMIÈRE PARTIE

Le Théologien

CHAPITRE PREMIER

IDÉE ET PLAN DU PERIARCHON

Toute la théologie d'Origène est condensée dans le Periar-


chon ou Traité des Principes. Par principes quiconque—
est familiarisé avec sa pensée et sa langue le reconnaîtra
sans hésiter —
il entend les articles principaux de l'ensei-

gnement de l'Église qu'il met constamment à la base de ses


spéculations et les vérités primordiales déduites par la rai-
son théologique des prémisses révélées, à défaut de révéla-
tion formelle (1). Il nous présente donc non pas une philoso-
phie de la nature, mais la science des conclusions rationnelles
fondées sur la révélation. C'est, dans toute la force du terme,
une somme de théologie, et même, à proprement parler, de
théologie scolastique.
Le Periarchon n'est pas précisément une œuvre de jeu-
nesse. Origène avait plus de trente ans, peut-être quarante,
lorsqu'il le composa mais tout porte à croire qu'il n'y avait
;

pas mis lu main et qu'il ne le destinait pas au grand


dernière

1. Sur le sens de 'Ap/aî dans le titre du Periarchon, voir


Redepenning, Ongenes, 1841, 1. 1, p. 392-398.
public, du moins sous sa forme actuelle. Il se plaignit plus
tard au pape saint Fabien que des écrits inachevés, qu'il
désirait soumettre à l'épreuve du temps et de la réflexion,
eussent été prématurément divulgués par son ami
Ambroise (1). C'est vers l'an 218, à l'âge de trente-trois ans,
qu'il entra en rapports avec son généreux Mécène. A cette
époque, il n'avait encore rien publié. La lettre au pontife
romain fait sans doute allusion à ses débuts littéraires, aux
au Traité des Principes. On sait
livres sur la Résurrection et
que ces deux ouvrages furent toujours et presque exclu-
sivement le point de mire de toutes les attaques. C'est
dans le Periarchon que les adversaires d'Origène, en par-
ticulier saint Jérôme et Justinien, puisent tous leurs
griefs ;c'est le Periarchon que les défenseurs du grand
Alexandrin, saint Pamphile, Didyme l'Aveugle et l'ano-
nyme analysé par Photius, s'évertuent à présenter sous
un jour orthodoxe. Dans ses homélies, comme saint Jé-
rôme le remarque avec raison, et aussi dans ses commen-
taires, surtout dans ceux qu'il composa à Césarée, l'illustre
exégète s'attache beaucoup plus étroitement à la tradition de
l'Église. Pour lui il faudra donc examiner si
rendre justice,
sa pensée n'a pas évolué peu à peu dans le sens de l'ortho-
doxie et ne point perdre de vue que les spéculations hardies
du Periarchon n'étaient probablement qu'un essai provisoire
destiné au public restreint d'une classe de théologie.
A part de longs extraits insérés dans la Philocalie, qui
peuvent se monter au sixième de tout l'ouvrage, le Periar-
chon ne nous est parvenu que dans la version de Rufin. Or le
traducteur, regardant comme acquise l'interpolation des
écrits d'Origène, notamment du Periarchon, a modifié cer-
tains passages relatifs à la Trinité (2). Mais il proteste qu'il
n'a rien ajouté du sien et qu'il s'est borné à corriger l'au-
teur par lui-même, au moyen de ses autres ouvrages. Nous

1. S. .lôrùme, Episl. ad Pammach. et Océan., lxxxiv, 10


(XXII, 731).
2. Préface à la irad. du Periarchon (P. G., XI, 113).
iiiiii; KT i'lah du peuiaucuo.i 3

devons le croire sincère et quand le grec nous permet de le


contrôler, cet examen tourne (rordinaire à son avantage.
D'après Delarue, il n'y a rien en effet qui ne soit dans l'es-
prit d'Origène; et M. Robinson, l'éditeur de la Ptiilocalie,
qui s'est livré plus récemment à ce travail de comparaison,
esta peu près du même sentiment (ij. Du reste, les addi-
tions, explications et substitutions de Itufin ont leur correc-
tif dans les citations de saint Jérôme et les fragments grecs

transcrits par Justinien, qui rétablissent précisément les


textes sur lesipiels a pu s'exercer la censure de Rufin (2).
Mais ici encore il faut nous tenir en garde. Saint Jérôme
mêle parfois au texte qu'il traduit les conclusions qui lui
paraissent en découler logiquement et il résume souvent à sa
manière au lieu de traduire. Or si, dans les passages suspects,
Bufin a une tendance naturelle à adoucir le trait, saint
Jérôme, vu sa disposition d'esprit et l'ardeur de la polémi-
que, doit être inconsciemment porté à le forcer un peu. Quant
aux petites découpures de Justinien (1), elles ont besoin
pour être comprises d'être replacées dans leur contexte et
l'on peut y soupçonner plus d'une fois la main d'un interpo-
lateur. Les falsifications volontaires étaient alors chose com-
mune et les auteurs, de leur vivant même, avaient toutes

i. Delarue (P. G., XI, 18): Robinson, Philoc, p. xxxiri. Rede-


penning qui regarde comme infidèle la traduction du Periar-
chon, même lorsqu'elle est d'accord avec l\Apulo;/ie de S. Pam-
phile, toutes les que la Trinité y est nommée, en donne
l'ois

que le mot « Trinité n'est pas emploj'é


cette raison singulière >>

par Origène et n'entra en usage qu'à partir du synode d'A-


lexandrie de 317 (De Principiis, p. Ii2(3). Il oublie que le mot
Tp'.i;, pour désigner les trois Personnes divines, est commun
dans Origène. Tout le commentaire de Redepenning est vicié
par cette fausse supposition.
2. Epist. cxxiv ad Avitum : Quid cavendum in libris ttsoI
dpyôiv {P. L., XXII, lUoO-1072). Nous aurons à signaler quelques
résumés peu exacts et certaines déductions précipitées du grand
docteur.
3. Le Liber adv. Origen. [P. G.; LX'XXVI, 981-980), donne
24 textes du Periarchon en appendice.
4 ORIGÈNB

les peines du inonde à s'en garantir. On peut être certain à


priori qu'un ouvrage exploité de bonne heure par les héréti-
ques et à propos duquel s'engagèrent de si brûlantes contro-
A'erses, n'en fut pas indemne. Ces falsifications, nous ne
pourrions guère aujourd'hui les discerner avec certitude et
nous sommes exposés à mettre au compte d'Origène des opi-
nions étrangères à sa pensée. Le danger est pourtant bien
atténué par l'étude attentive du système et la comparaison
des autres écrits. En tout cas, on ne peut fonder une con-
damnation absolue ni une apologie décisive sur les textes
dont l'original est aujourd'hui perdu.
Le Periarchon uue œuvre d'un seul jet. C'est une
n'est pas
série de dissertationsautonomes, composées peut-être sans
une vue bien arrêtée de l'ensemble, puis réunies en un tout
et distribuées dans un cadre à quatre compartiments à peu
près égaux. En négligeant les points accessoires, on peut
résumer d'un mot le sujet de chaque livre :

L — Dieu.
II. — Le monde.
III. — L'homme.
IV. — L'Écriture.
La régularité du plan est loin d'être parfaite. Cependant,
si l'oncompare le Periarchon avec la Foi orthodoxe de saint
Jean Damascèue, on conviendra que ce dernier ouvrage, plus
jeune de cinq siècles, l'emporte de beaucoup par la précision
des termes, la rigueur des formules, l'étendue de l'horizon
exploré et surtout par l'orthodoxie impeccable, mais que,
pour l'ordonnance elle-même, il est impossible d'y voir un
progrès. Le progrès est manifeste à tout point de vue quand
on descend jusqu'au Maître des Sentences. Là, du premier
coup d'œil, le long travail de la pensée chrétienne s'y révèle
à nous par ce fait que la doctrine des sacrements, laissée de
côté par Adamance, à peine effleurée par saint Jean Damas-
cène, forme le quart de l'œuvre de Pierre Lombard.
Origène n'est pas responsable de la division en chapitres,
IDÉE ET PLAN DU PBRIARCHON !$

différente dans les différents manuscrits et quelquefois peu


logique. Du reste sa marche est parfaitement claire, grâce
aux transitions par récapitulation du sujet traité et par
annonce du sujet à traiter (1). Les subdivisions elles-mêmes
sont assez nettement indiquées. Ce qu'on voit moins, c'est
l'ordre auquel l'auteur fait souvent allusion et qui préside-
rait à la disposition des matières (2). Nous ne saurions dire,

en particulier, pourquoi les deux appendices sur le commen-


cement et la fin du monde sont relégués après le troisième
livre. On a l'impression qu'ils ne sont placés là que pour
donner à ce livre sa longueur normale.

PLAN DU PERIARCHON

Prologue. — La règle de foi. Inventaire des principaux


dogmes.

LIVRE I. — Dieu et les êtres raisonnables.


Première dissertation. — La Trinité. — Le Père, incorpo-
rel, invisible (i) ; le Fils Monogcne, Verbe, Sa-
gesse, etc. (il) ; le Saint-Esprit, ses relations avec le

Père et le Fils, son habitation dans les saints (iii-iv).


Deuxième dissertation. — Les esprits créés. — Hiérarchie
céleste et infernale (v) ; variations dans le bien et dans
le mal des êtres raisonnables (vi) ; animation des
astres (vu) ; égalité originaire des esprits créés, hiérar-
chie actuelle due aux mérites et aux démérites.

1. Periarchon, I, v, II, i, 1 II, ii. I


1 ; II. m, I II. vu, I, etc.
; ; ;

La division ternaire des trois premiers chapitres du livre pre-


mier et dos chapitres iv-vii du second est bien marquée. Il est
évident que le chap. iv du livre I n'est que la continuation du
précédent et ne devrait pas en être séparé. De même, les chap. iv
et V du livre II n'en font qu'un, et le titre donné par les édi-
teurs au chap. v De juslo et bono n'a pas de sens. Il s'agit de
:

prouver contre les gnostiques que le Dieu juste de l'Ancien


Testament ne diffère pas du Dieu bon du Nouveau.
2. Par exemple, II, viii, 1 « Post haîc jam ordo deposcit », etc.
:
.

6 ORIGÈNE

LIVRE II. — Le monde.


Première dissertation. — La création matérielle. — Créa-
tion ex niliilo (i) ; création ab ieterno (n) ; raisons d'être
de la création matérielle (m).
Deuxième (lisser lation. — Rapports de Dieu avec le monde.
— Identité du Dieu de la Loi et de l'Évangile (iv) et
vaine distinction imaginée par les gnostiques entre le
Dieu juste de l'Ancien Testament et le Dieu bon du
Nouveau (v); identité personnelle du Verbe et de Jésus

(vi);identité de l'Esprit des prophètes et de l'Esprit


des apôtres (vu)
Troisième dissertation. — Fluctuations des intelligences
créées. — Sens scripturaires du mot « àme » (vui) ; causes
des différences existant présentement entre les créatures
raisonnables (ix).

Quatrième dissertation, — Eschatologie. — Supplices des


méchants (x) ;
glorification des justes (xi).

LIVRE III. — L'homme et le libre arbitre.


Première dissertation. — Existence du libre arbitre. —
Preuves de raison et d'autorité, solution des difficultés
scripturaires (i).

Deuxième dissertation. — du libre arbitre.


Obstacles —
Tentations du démon (ii) du monde (m) de la chair
; ;

(iv). Appendices sur le commencement (v)et la fin du


monde (vi).

LIVRE IV. — L'Écriture.


Dissertation unique. — Inspiration (1-7) et interprétation
(8-27 ) de l'Écriture.
Récapitulation (28-37.)
CHAPITRE DEUXIEME

LA REGLE DE FOI

Le credo d'Origè.xe

Avec un sentiment très juste du lien qui unit la théologie


à la foi et des caractères qui les distinguent, Origène, en tète
du Periarchon, délimite d'une main ferme les confins de
cesdeux ordres de connaissance. Il se propose expressément
de tracer « une ligne de démarcation certaine » entre les
vérités de foi et les opinions libres. Dresser l'inventaire du
dogme et assigner le point précis où la vérité révélée fait

place à son explication rationnelle fut toujours une opération


fort délicate qui mérite au penseur, assez hardi pour la ten-
ter le premier, beaucoup d'indulgence.
Comme pierre de touche de la révélation, Origène pose
très nettement l'enseignement de l'Église « ?se rien rece-
:

voir pour article de foi qui s'écarte de la tradition ecclésias-


tique et apostolique, telle qu'elle s'est transmise depuis les
apôtres selon l'ordre de la succession légitime et qu'elle se
conserve actuellement dans les églises » ; voilà la grande
norme à suivre. Prédication ecclésiastique (xr^puyjjia iv-vX-r^-

ciacjTixdv), (1.) enseignement ecclésiastique (6 ÈxxlriGiaffTiy.ôç


Xdyoç) (2), règle de foi ecclésiastique (6 ly,vXr^r:i7.n-.v/Jj:;

xavwv) (3) et autres synonymes, Origène a continuellement

1. Periarchon, III, i, I.
2. In Joan., x, 16; fragment du t. V, n* 8(Preusche)t, p. 105).
3. In Jerem., hom. v, 14.
8 ORIGÈNE

ces bouche et il les répète plus de dix fois dans la


mots à la

seule préface du Periarchon. Il ne reconnaît que quatre


Évangiles canoniques parce que la tradition n'en reconnaît
pas davantage (1); il reçoit les additions grecques au livre
de Daniel parce que l'Église les reçoit (2) il prêche la né- ;

cessité du] baptême pour les petits enfants parce que telle est
lapratique de l'Église, fondée sur une tradition remontant
aux apôtres (3). L'explication de l'Écriture n'est paslivréeau
sens personnel : l'interprète doit « s'attacher à la règle de
l'Église céleste instituée par le Christ (4). La raison en est »

bien simple. « C'est que nous avons pour nous éclairer deux
luminaires le Christ et son Église. Le Christ est la lumière
:

du monde et il illumine l'Eglise de sa clarté. Comme la lune


qui reçoit, dit-on, sa lumière du soleil pour éclairer la nuit,
l'Église, reflétant la lumière du Christ, illumine tous ceux
qui traversent la nuit de l'ignorance (5). » L'Église renvoie

fidèlement toute la lumière qui l'inonde, sans augmenta-


tion ni diminution aucune (6). Quiconque ne marche pas à

1. Dans Eusèbe, Hist. eccL, 25 (sv Txapxoôuci). In Luc,


vi,
hom. (XIII, 1803
I : « Ecclesia quatuor habet Evangelio, hîere-
ses plurima »).
2. In Mallh., ser. 61 (XllI, 1G96) « Ausi sumus uti Danielis
:

exemple (il s'agit de Dan., xni, non ignorantes quoniam in


S5),
Hebra?c positum non est, sed quoniam in Ecclesiis tenetur. »
3. In Roman., v, 9 (XIV, 1047) « Ecclesia ab apostoiis accepit
:

traditionem ctiam parvulis baptismum dandi. »


4. Periarchon, IV, 9 (XI, 3G0) 'E/o;xsvoi<; to-j xavôvoç Tf,;
:

'iTiaoû XpisTO'j XDcxà S'.a5o/T,v twv dcTTOffTÔXojv oùpavtcj 'Exy.)iT|CT{aç.


Le texte suivant est encore plus formel {In Mallh., ser. 4G,
P. G., XIII, 1GG7) « Quoties (hieretici) canonicns proferunt
:

Scripturas, in quibus omnis Christianus consentit et crédit,


videntur dicere Ecce in domibus verbum est veritatis (allusion
:

à Matth., XXIV, 2G). Sed nos illis crcdero non dobomus, nec
exire a prima et ecclesiastica traditione, nec aliter credore nisi
quemadmodum per successionem Ecclesiœ Dei tradiderunt
nobis. »

In Gènes., hom. i, b.
5.
6. In Mallh., ser. 47 (XIII, 1GG8) « Sola Ecclesia ncque sub-
:

trahit hujus fulgoris(il s'agit de la lumière des Écritures divines)


verbum etsensuni, nequc addit quasi propbetiam aliud aliquid. »
LA RÈGLE UK 10 1 9

cette lumière est dans les ténèbres, il est hérétique ; au con-


traire la marque distinctivc du catholique est d'appartenir à
riCglise, de dépendre de l'Église (1), hors de laquelle il n'y
a point de salut (2'.

Nous en entier
allons transcrire à part quelques phrases—
sans importance — du Periarchon. Cette pièce
la Préface
jette un jour très vif sur le système théologique du savant
Alexandrin et nous donne la clef de ses principales erreurs,
qui ne sont parfois que des vérités outrées devenant fausses
par leur exagération même. Les préoccupations polémiques
de l'auteur nous feront comprendre l'intérêt extraordinaire
accordé par lui à certains dogmes un peu au détriment des
autres elles nous inviteront aussi peut-être à donner un
;

sens plus favorable à des expressions qui cessent d'être


exactes à force de viser à l'orthodoxie.

Le dotiiaine de la foi el. celui de la science (^).

Les fidèles, persuadés que la grâce et la vérité dérivent


de Jésus-Christ, et qu'il est la vérité môme, selon son
affirmation formelle, ne cherchent pas la science de la

1. Contra Cels., ii. (5; vi, 61. etc. 'H;j.£r; ol à-ô tt,; 'E/y.).T.5Îa;.
:

In Levil., hum. x, 1 « Nos '[ui doEcclesia sumiis»; InJcrem.,


:

hom. IX, 1 : Ka6'T,ai; xoù; sxy-Vr.s'.ajT'.xo'j;. Au contraire, les


hétérodoxes sont nommés ol ir.ô twv a'.pss-cwv, ou bien o'. èv
aîpiîîî'.. In Mallh., xvii, 32 (XIII, loSl).
2. In Josue, hom. m, 5.
3. rnM'acc du Periarchon (XI, 11d-121) reproduite avec des
variantes insignifiantes dans YApoloijle de saint Pamphile (XVII,
549-552). Nous ne voyons pas sur quoi s'appuie M. Preuschen
pour aflirmer qu'elle a été fortement remaniée (ûberarbeitet)
par le traducteur. 1. Le fait que saint Pamphile la cite comme
un modèle d'orthodoxie montre qu'elle ne contenait rien de
suspect. 2. Tous les points touchés dans cette Préface peuvent
s'établir par des passages tirés d'autres œuvres. Nous n'avons
donc pas à soupçonner ici des remaniements de Rufin qui a
simplement délayé le texte, à son ordinaire.
10 ORIGÈNB

vertu et du bonheur en dehors des paroles et de la doc-


trine du Christ. Par là nous n'entendons pas seulement
les paroles proférées par lui comme homme, durant sa

vie mortelle : Verbe de Dieu, était aupara-


car le Christ,
vant dans Moïse et prophètes comment, sans
dans les :

le Verbe de Dieu, auraient-ils pu prophétiser le Christ?...


Mais comme parmi ceux qui font profession de croire
en Jésus-Christ (1) il y a des divergences d'opinion, j)e-

tites et grandes, sur les plus importants problèmes, je


veux dire sur Dieu, sur Notre-Seigneur Jésus-Christ,
sur le Saint-Esprit, et aussi sur les créatures, telles que
les dominations et les vertus célestes, il a paru néces-

saire, avant d'aborder l'examen des autres questions,


d'établir sur tous ces points une règle de foi fixe et pré-
cise. Après avoir renoncé à recevoir la vérité des Grecs
et des barbares, qui nous la faisaient espérer à l'envi
par de fausses et captieuses promesses, pour croire au
Filsde Dieu et l'apprendre de lui seul, nous sommes
maintenant en présence de gens qui se piquent tous,

1.<. Exhis qui Christocrodere se profitoutur. » Cette expression

générale embrasse aussi les hérétiques qui ont la prétention in-


justifiée de croire au Ciirist, bien qu'ils ne se soumettent pas à
l'Église. C'est contre eux qu'Origène va formuler sa règle de foi.
Dans son commentaire sur saint Matthieu (Comment., ser. 33,
P. G.. Xlll, 1643-1G45), il distingue entre les hérétiques déclarés
(qui extra Ecclesiam sunt) et ceux qui s'obstinent à se réclamer
de l'Église (qui profitentur se ecclesiasticos esse). Ce sont ceux
qui admettent les dogmes principaux (omnia qua?cumque
feruntur in Ecclesiis), mais en y mêlant des explications erro-
nées. « Or, ajoute-t-il malum quidem est invenire aliquem
: '•

secnndum mores vit;e errantem; multo autem pejus arbitrer


esse in dogmatibus aberrare et non secundum verissimam
regulam Scripturarum sentire. Les vertus des hérétiques sont
de fausses vertus, d'autant plus pernicieuses qu'elles ont plus
d'éclat : « Arbitrer et castitatem esse Antichristum, quœ est
apud hajreticos, in errorem mittens homines, ne intelligant
ecclesiasticam castitatem, Christum. »
LA RÈGLE I)E FOI 11

malgi'ô lonr di'saccfird, de possédor la vôii table pensée


du Christ. Or, puisque renseignement ecclésiastique,
transmis par les apùtres selon l'ordre de la succession
légitime, se conserve jusqu'à ce jour dans les églises, on
ne doit recevoir comme article de foi que ce qui ne s'éloi-

gne en rien de la tradition ecclésiastique et aposto-


lique (1).
Il faut observer que les saints apôtres, en prêchant la
foi du Christ, manifestèrent à tous, même aux moins
avancés dans rintelligence des choses de Dieu, les arti-

cles jugés nécessaires, réservant le soin d'en rechercher


les causes profondes à ceux qui auraient reçu de l'Esprit-
Saint les dons excellents de discours, de sagesse et de
science. Ils se contentèrent d'énoncer le reste, sans en
expliquer la cause ni le mode, pour laisser aux amis
passionnés de l'étude et de la sagesse, dans les temps à
venir, une matière oii ils pourraient s'exercer avec
fruit.

Les points clairement enseignés dans la prédication


apostolique sont les suivants (2) :

1. " Ciim mulli siritqui se putant sentira qii;ii Christi sunt,


ot nonniilli eorum diversa a prioribus sentiant. servelur vero
ecclesiastica prsedicnlio per succesfionis ordinrm
ab apostolis
tradita, et usque ad prœsens : illa sola
in ecclesiis permanens
CREDESDA EST VERITAS. QU.€ IN NULLO AB ECCLESIASTICA ET APOSTO-
i.iCA DISCORDAT TRADiTiosE. Cf. hi Maith., scr. 46(X1II. 1667) Non :

DEBEUCS... ALITER CREDF.RE NISI QUEMADMODUM l'KR SUCCESSIONEM


EccLESi.F. Dei TRADIDEIILXT NOBIS. »
2. Dans le texte d'Origène, nous indiquons les principaux
dogmes par des chiflVes araires et les points controversés par
des lettres latines. Les transitions justifient cette division :

1. Primo (Dieu le Père^.

2. Tum deinde (Jésus-Christ).


3. Tum deinde (Saint-Esprit).
A. In hoc non jam (question de la procession du S. -Esprit).
4. Post hœc (destinées de l'âme immortelle).
12 ORIGENE

Premièrement, il n'y a qu'un seul Dieu, créateur


[1]
et ordonnateur de toutes choses, qui a tiré l'univers du
néant. Dieu de tous les justes, depuis l'origine du monde,
Dieu d'Adam, d'Abel, de Seth, d'Énos, d'Enoch, deNoé,
de Sem, d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, des douze pa-
triarches, de Moïse et des prophètes, qui, à la fin des
temps, selon les prophéties, a envoyé Notre-Seigneur
Jésus-Christ pour appeler à lui Israël d'abord et ensuite
les Gentilsau défaut d'Israël rebelle Dieu juste et bon,
;

Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auteur de la Loi


et des prophètes, de l'Évangile et des apôtres, de l'An-
cien et du Nouveau Testament.
[2] En second lieu, Jésus-Christ, le même qui est venu
en ce monde, est né du Père avant toute créature. Après
avoir été le ministre du Père dans la création des cho-
ses — « car tout a été fait par lui » — il s'est anéanti à
la fin des temps en s'incarnaut tout Dieu qu'il était, et
il s'est fait homme tout en restant Dieu. Il a pris un

corps en tout semblable au nôtre, sauf qu'il est né de la

5. Est et illud (existence du libre arbitre).


B. De anima vero (question de l'origine de l'âme).
6. De diabolo (existence des dénions).
C. Quœ aulem sinil (doute au sujet de leur nature).
7. Est prselerea (création et commencement du monde actuel).
D. Quid tamen (qu'y avait-il avant ce monde?).
8. Tum deinum (inspiration et sens spirituel de l'Écriture).
E. Appellatio à!7wij.âT0'j (question de l'incorporalité).
9. Est etiam (existence des anges).
F. Sed quando (doutes sur leur nature et le temps de leur
création).
G. De sole autem (question de l'animation des astres.)
Cola fait neuf dogmes et sept questions. Mais la plupart des
dogmes sont complexes et peuvent répondie à plusieurs articles
du symbole. Ainsi le n' "1 génération du Verbe, incarnation,
:

naissance virginale, passion, mort et résurrection réelles,


ascension. Par contre, les doutes au sujet de la nature des anges
et des démons se confondent presque.
LA RÈGLE DE FOI 13

Vierge et de rEsprit-Samt(l). Il est vraiment né et a


vraiment souffert, il est vraiment mort et non en appa-
rence, il est vraiment ressuscité des morts et, après avoir
conversé avec ses disciples, il est monté au ciel.

[3] Ensuite, la tradition apostolique associe au Père et


au Fils, en honneur et en dignité, le Saint-Esprit lui-
même (A). Est-il engendré ou non, doit-il ou non être
considéré comme Fils de Dieu, cela n'apparaît pas clai-

rement (2) : c'est une cpiestion à résoudre par l'étude


du raison-
attentive de la sainte Écriture et par l'effort
nement théologique. Ce que lÉglise enseigne sans lom-
bre duu doute, c'est que ce môme Esprit est l'inspira-
teur de tous les hagiographes, prophètes et apôtres,
avant comme après la venue du Christ.
[4] L'Église enseigne aussi que l'àme est une subs-
tance douce d'une vie propre qui au sortir de ce monde
sera traitée suivant ses mérites, héritière de l'éternelle
béatitude si ses actions l'en ont rendue digne, asservie
aux suijplices et au feu éternels si ses fautes l'y ont pré-
cipitée. Mais un jour viendra oii les morts ressuscite-

1. « Qui cum in omnium conditione Patri ministrasset...


novissiniis temporibus seipsum exinaniens homo lactus incar-
natus est cum Deus essot et homo factus mansit quod erat
Deus. Corpus assumpsit nostro corpori simile, eo solo dift'erens
quod natum ex Virgine et Spiritu sancto est. • Le rninistraf:set
ne doit pas étonner; ainsi parlaient entre autres S. Justin,
Tlii'ophile d'Antioche, S. Irruée, Clément d'Alexandrie. Tertui-
lien et même S. Ililaire et S. Épiphane. La formule de l'incar-
nation est remarquable de précision et de concision. Notez le
7iatum ex Virgine et Spiritu sancto. Rutln dans son Explication
du Symbole, 19 (P. L.,XXI, 349) lit: ex Virgine de Spiritu sancto.
L'ancien symbole romain, soit en grec soit en latin, avait
comme Origène « Natus est de Spiritu sancto et Maria vir-
:

gine » ;y£-//r,8£vxx èv. nv£'jij.aTo; âyto'j xa'. Mapîa^ xf,; zacOivou).


La forme actuelle est celle qui était usitée en Gaule et en Irlande.
Cf Fr. Loofs, Symbolik, Tuhingue, 1902, p. 7-11.
2. 11 sera question de ce texte ci-dessous.
14 ORIGÈNE

ront, lorsque le corps semé dans la corruption se lèvera


incorruptible et, semé dans l'ignominie, se lèvera glo-
rieux.
[o] Un autre point incontesté de l'enseignement de
l'Église, c'est le libre arbitre de l'àmo raisonnable. Le dé-
mon et ses anges et les puissances ennemies cherchent
bien à nous accabler sous le poids du péché mais si ;

nous vivons conformément à la raison et à la justice,


nous rejetterons ce fardeau loin de nous. Nous ne som
mes jamais nécessités, contre notre vouloir, soit au bien
soit au mal. Les puissances supérieures peuvent nous
pousser, les unes au vice, les autres à la vertu mais elles;

ne sauraient nous contraindre, quoi qu'en disent ceux


qui font dépendre toutes nos actions du cours et des
mouvements des astres.
[B] L'àme se transmet-elle par génération, en vertu
des forces séminales des corps, ou a-t-elle une autre
origine? En ce cas est-elle engendrée ou non"? Est elle
infusée du dehors dans le corps humain, ou non (1), '?

Autant de questions que l'enseignement de l'Église ne


tranche pas d'une manière absolue.
[6] Quant au diable et à ses anges et aux puissances
ennemies, renseignement de l'Église nous en apprend
l'existence, [C mais sans exprimer nettement quelle est

1. « De anima vero, utriim ex seniinis tracluce ducatur, ita

ut ratio ipsius vel substantia inserta ipsis seminibus corpora-


libus liaboatiir, an vero aliud habeat initiiim; et hoc ipsum
initium si genitim sit, aut non genitum: vel certe si extrinsecus
corpori inditui necne, non satis manifesta pra?dicatione distin-
guitur. » Il est intéressant de comparer la manière dont saint
Augustin pose I.' problème « Utrum ex ilia una (anima), quai
:

primo homini d da est, cetera? propagentui'; an singulis quibus-


que novaj etiiiin modo fiant; an alictiin jam existentes vel
mittantur divin dus, vel sponte labantur in corpora {P. L.,
XXII, H28; et. 'bid., 1188). » Voir ci-dessous.
LA RKGLR DE FOI IS

leur nature et leur manière d'être. Cependant la plupart


sont d'avis que le diable fut jadis un ange et qu'il en-
traîna dans sa défection un grand nombre de ses compa-
gnons a[)pelés maintenant ses anges.
[7] Un autre i)oint de la doctrine ecclésiastique est
que ce monde a été fait et qu'il a commencé à un certain
moment et qu'il se dissoudra un jour en vertu de sa
corruptibilité native. [D] Mais on ne sait clairement ni
ce qui existait avant ce monde ni ce qui existera après
lui. Sur ce point la prédication ecclésiastique n'est pas
évidente.
[8] L'Esprit-Saint, l'auteur des Écritures, leur donne,
outre le sens qui est à la surface, un autre sens cjui

échappe au plus grand nombre. Les récits sacrés sont


les types et les figures de mystères divins (1). L'Église
entière s'accorde à dire que toute la Loi est spirituelle,
mais le sens spirituel de la Loi est connu seulement
de ceux à qui l'Esprit-Saint daigne accorder la sagesse
et la science.
[E] Le terme d'incorporé/, presque inusité ailleurs,
est abseut de lÉcriture. Si l'on nous objecte le livre in-

titulé Doctrine de Pierre où le Sauveur dit à ses disci-


ples Je ne suis pas un être incorporel (2) » nous lui
: « ,

répondrons d'abord que cet écrit n'est pas canonique,


qu'il n'est ni de Pierre ni d'aucun auteur inspiré. Le se-

rait-il, le mot àiwaaTov n'y a pas le sens que lui donnent


les philosophes quand ils parlent de la nature incorpo-

1. « Tiim demuin qnod per Spiritum Dei ScripturEe conscriptîe


sint, et sensum liabeant, non eum soliim qui in manifesto est
sed et aliiim quemdam latentem quam iilurimos. Forma? enim
sunt liïec qua3 descripta sunt sacranientorum quorumdam et
divinarum rerum imagines. •
2. S. Ignace [Ad Smyrn., 3) cite ainsi ce texte "Oti où-/, tîjxi
:

Saïaôvtov iîwaaTOV.
16 ORIGÈNB

relie... Nous rechercherons cependant si la notion de


l'être incorporel, tel que l'entendent les philosophes,
n'existe pas sous un autre nom dans rÉcriturc. Il faudra
aussi étudier comment nous devons concevoir la divi-
nité : si c'est avec un corps et une certaine figure ou

d'une autre manière ; l'enseignement ecclésiastique en


effet ne tranche pas ce point avec une pleine évidence (1).
Nous poserons la même question au sujet du Fils et du
Saint-Esprit ; et aussi à propos des âmes et de toutes
les natures intelligentes.
[9] Encore un article de l'enseignement de l'Église :

Existence des anges et des vertus célestes que Dieu


emploie pour le salut des hommes. [F] Quand furent-ils
créés et dans quel état, quelle est leur manière d'être, la
foine nous l'apprend pas clairement.
Le soleil, la lune, les étoiles sont-ils animés ou
[G]
non, nous ne le savons pas avec certitude.
Pour obéir à ce précepte divin c Éclairez-vous à la :

lumière de la science », il faut prendre pour base ces


principes et ces fondements, si l'on désire former de tout
cela un corps suivi de doctrines. Il faut, dis-je, scruter

chaque point particulier pour savoir ce qu'il y a de cer-


tain et d'incontestable, puis réunir en un tout ces asser-
tions et ces analogies, qu'elles soient fournies directe-

1. Bien qu'Origène énonce sous forme dubitative le dogme


de spiritualité de Dieu, on ne trouve pas dans ses écrits le
la
moindre doute à ce sujet. Partout il se fait l'ardent cham-
pion de l'incorporalité absolue des trois Personnes divines. Il
faut se souvenir que les anthropomorphites furent nombreux
en Egypte jusqu'au v° siècle. L'Église les tolérait. C'est pour-
quoi Origène, malgré ses convictions personnelles, peut dire :

« Deus ipse quomodo intelligi debeat inquirendum est, corpo-

reus et secuadum aliquem habitum deformatus, an allerius


natura3 quam corpora sunt, quod ulique in jJrisdicaiione nostra
manifesle non designalur. »
LA RÈGLE DE FOI 17

ment par la sainte Écriture ou déduites comme consé-


quences par voie de raisonnement.

Celte déclaration préliminaire, (lu'ou pourrait appeler le


frtv/o d'Ori^uène, dislingue fort nellemeul l'objet de la foi et

celui de la théologie, eu preuaut celle-ci au seus scolaslique.


L'objet de la foi est le fait de la révélation : qida sinl ; l'ob-

jet propre de la théologie est le pourquoi et le comment de


la révélatiou : (juomodo autumlesint. C'est la prédication ecclé-
siastique, c'est-à-dire le magistère vivaul et iufaillible de
l'Église, qui règle et délimite l'objet de la foi. Tout ce qui
sort de cette sphère rentre dans l'objet de la théologie, la-
quelle ne saurait être une science autouome, puisqu'en ces-
sant de s'appuyer sur la vérité révélée elle reposerait sur le
vide, mais pour mériter le nom de science, abesoin d'al-
(jui,

ler plus loin, decoordonner les éléments épars de la révéla-


tion et d'en montrer l'accord avec les données rationnelles.
Rapproché du Symbole des apôtres, le Credo d'Origène,
complété, si l'on veut, par la récapitulation finale du Pe-
rianhon et par la description de l'hérétique, dont nous par-
lons ci-après, offre des particularités intéressantes. De part et
d'autre, même disposition ternaire : le Père créateiu-, le Fils

rédempteur et le Saint-Esprit sanctificateur. Sila descente du


Christ aux enfers est passée sous silence par Origène, qui
d'ailleurs ne l'ignorait pas, c'est qu'elle manquait alors dans
les symboles orientaux et même dans le symbole romain (1).
Origène omet également la rémission des péchés, réservée
peut-être, à celte époque, aux catéchèses sur les mystères.
En revanche, il ajoute un certain nombre d'articles, fonda-
mentaux à son avis : inspiration et sens spirituel de l'Écri-
ture, existence des anges et des démons, liberté de l'homme
affirmé contre les fatalistes, identité du Dieu de la Loi et de

1. Rufin, Comment, in Symbol., \S (P. L., XXI, 3o6). La des-

cente aux enfere est expressément enseignée par Origène dans


son Homélie sur la Pylhonisse, 6 (XII, 1019). Voir aussi In
Roman., v, 10 (XIV, 1032).
18 ORIGÈJSE

l'Évangile contre les gnostiques, vérité de la mort, de la sé-


pulture et de la résurrection du Sauveur contre les docèles.
La formule de rincarnation est remar(|ua])le : < II s'est in-

carné tout Dieu qu'il était, et il s'est fait homme tout en res-
tant Dieu. Il a pris un corps en tout semblable au nôtre avec
cette différence qu'il est né de la Vierge et de l'Espi'it-Salnt. >
Les limitations de la foi, qui ne restreignent le champ de
nos libres investigations qu'en agrandissant l'horizon de nos
connaissances, laissent à la science théologique un domaine
assez vaste, sans compter que la recherche et l'étude du fait
de la révélation en font partie intégi-ante. En particulier,
six problèmes sont abandonnés aux tUsputes et aux spécula-
tions des thélogiens : la manière dont le Saint-Esprit pro-
cède, l'origine de l'àme humaine, la nature des substances
immatérielles, les fluctuations du libre arbitre, les mondes
antérieurs ou postérieurs au nôtre, la question de la Aie des
astres.
Origène se demande si l'Esprit-Saint est né ou non, s'il

faut ou non l'appeler Fils de Dieu (1). Cette question subtile

1. La traduction de Rufin diffère de celle do S. Jérôme. Riilln


traduit [P. G.. XI, 117-118 et XVII, 550) < la hoc (.<pir. S.) non
:

jam manifeste disceruitur utrum natus an innalus, vel Filius


etiam Dei ipse habendus sit necne. » S. Jérôme (Epist. ad
Avit., cxxn-, 2. P. L., XXII, 1061) rend ainsi le texte : De quo
(Spir. S.) cum ignorare se dieat utrum faclus sit, an infectics,
in posterioribus quid de eo sentiret expressif, niliil absque solo
Deo Pati'c infecdon esse confirmans. • Il en résulte que S. Pam-
phile et Rufin doivent avoir lu --îwr.TCiî ?, iyivw.To?. car S. Pam-
phile remarque « Qui:de nato vel innato rcquirit, sine dubio
creaturas in eo nullam habet opinionem, alioquin et hoc addu-
xisset ad inquisitionem. » Au contraire, S. Jérôme aura lu
7£w,Tûî T, àyÉvï,To;, comme le prouve sa l'édoxion. Eji tous cas,
la conclusion qu'il en tire dépasse les pn^misses, car ysw.TÔ; ne
signifie pas créé mais produit d'une manière quelconque. Il est
difficile de décider ce qu'a écrit Origène -/'"^l'^^î et i'sv^.tôç,:

(xysrr.To; et àYiwr.To; s'écliangeant continuellement dans les


manuscrits et la différence de sens suggérée par l'étymologie
étant presque effacée dans l'usage. Sur le fond de la question,
voir /;* Joan., ii, 6 {P. C, XIV, 129), quo nous étudierons i>Ius
loin.
LA RKGI.E DE FOI 19

ne parait pas l'avoir beaucoup préoccupé dans la suite. Il


n'en itarlc plus dans le Pcriarchon et, quand il y reviendra
dans son Connnontaire snr saint Jean, il la résoudra confor-
ménient aux princi|)es de la tliéologie actuelle, en observant

que l'Ecriture no reconnaît qu'un Fils Monojjrèneet qu'une


seule procession divine par voie de génération.
Il en est autrement pour l'origine de l'àme sur laquelle les

anciens Pères ont t<u\t hésité.

L'unie se propage-t elle ex traduce, comme le voulait Ter-


tullien avec un certain nombre d'occidentaux ? Sort-elle du
néant par voie de création, toutes les fois qu'il en est be-
soin pour animer un nouveau corps "? Ou bien existe-t-il
quelque part un réservoir dames, prêtes à jouer leur rôle sur
la scène du monde ? Et. en ce cas, descendent-elles sponta-

nément sur la terre ou attendent-elles les ordres de Dieu?


Augustin énumérait ainsi, en des termes qu'on croirait em-
pruntés à Origène, les diverses hypothèses en cours sans en
embrasser aucune (1). Saint Jérôme, lui, penchait vers le
système delà création successive il le trouvait plus conforme
;

au langage de TÉcrlture et au sens catholique mais sa laco-


;

nique explication manque de clarté et ses textes scriptu-


raires n'ont rien de décisif (2). Fort curieuse de toute ma-
nière est la correspondance échangée àce sujet entre les deux
illustres docteurs (3). L'évèque d'Hippone, en des lettres
charmantes d'urbanité, de modestie, de déférence, supplie le
solitaire de Bethléem d'éclairer ses doutes et d'instruire son
ignorance. Celui-ci esquive la réponse. Ce n'est plus main-
tenant pour lui, assure-t-il,le temps de parler, mais celui de
se taire. Il préfère aimer Augustin, le vénérer, l'admirer,
que de discuter avec lui. Si les hérétiques remarquaient entre
eux quelque désaccord, ils ne manqueraient pas de s'en pré-

1. De lib. arbitrio, III, 21 (59) j Retract., II, 45 et 5(5.


2. Contra Joan. Hierosol., 22; Adv. Rufin., IF, 8-11; 111, 30.
3. Parmi les lettres de S. Jérôme (P. L., XXll) Aug. ad
:

Marcelim., epist. cxxvi, 1; Aug. ad Micron., epist. cxxxi; Aug.


ad Optât., epist. cxliv; Hieron. ad Augunt., epist. cxxxiv.
20 ORIGÈ.ME

valoir. Bref, Augustin conserva ses doutes jusqu'au bout et,

dans ses Rétractations, qu'on peut appeler son testament


théologique, il est toujours indécis entre le traducianisme et
l'hypothèse de la création succossiA^e.
Quant à la nature et à la condition des anges, on n'en sa-
vait que bien peu de chose avant l'apparition de la Hiérarchie
céleste du Pseudo-Denys l'Aréopagitc. Il est possible qu'Ori-

gène restreigne outre mesure les données de la révélation ;

néanmoins, sur la question de la corporalité des anges, il est


sans reproche. Il avait observé que ce terme d'incorporel
(àaw[jiaToç) n'est pas biblique et que de plus il est ambigu,
certains philosophes distinguant le corps de la matière, tan-
dis que les autres les confondent. Assuré, sans l'ombre d'un
doute, que les trois Personnes de la Trinité sainte n'ont ni
matière ni corps, il se demandait, avec un grand nombre de
ses contemporains, si les intelligences célestes et, à plus forte
raison, les esprits infernaux, pouvaient se passer d'une en-
velopi»e élhérée ou faite d'une matière extrêmement déliée qui
leur servit de véhicule et de luoyen d'action. Non pas qu'il

matérialisât l'esprit, comme le savant Iluct l'en accuse à


tort, mais il concevait malaisément l'esprit créé sans un sou-
tien matériel ou du moins corporel — si l'on tient à distin-
guer le corps de la matière pour — le circonscrire dans sa
sphère d'activité. L'opinion de la corporalité des anges était
un héritage légué par les Juifs de basse époque auxpremiers
écrivains ecclésiastiques et trop facilement accepté par eux.
Longtemps après Origène, saint Basile et saint Grégoire de
Nazianze, plutôt favorables à la spiritualité des anges, lais-

sent subsister le point d'interrogation. Saint Augustin incline


dans le même sens qu'Origène(l). En plein quinzième siècle,
Cajetan donne un corps aux démons.

\. Ad Paulin., epist. xcv, 8 (.\XXIII, 353); In Psalm., lxxxv,


17 (XXXVII, 1094); Sermo cci.xxvii, 9 (XXXVIII, 1262); De Civ.
Dei, XV, "23 (XLI, 468); De Trinil., \\\, i, 4-5 (XLII, 870): Helracl.,
1, 26 (XXXIII, 025), se référant ix De cliv. quœsHon. 83, qu. xlvii

(XL, 31). Cependant il n'ose affirmer positivement, même pour


LA UKGLE DE FOI 21

Ces trois premiers problèmes pouvaient donc être discutés


sans aucun soupçon d'hétérodoxie. Nous n'en dirons pas au-
tant des trois autres qui ont été comme les trois pivots de
l'oriwnisme. Néanmoins, aux termes où ils sont posés en
tùle du Pi'i'iarchon, ils n'ont rien qui sente l'hérésie.
A commencer par les astres, quelque bizarre que nous pa-
raisse aujourd'hui la ([ueslion de savoir s'ils sont animés ou
non, on pouvait en penser alors ce qu'on voulait. L'anima-
tion des astres était un postulat de la philosophie grecque.
Non seulement Thaïes et les stoïciens, mais Platon, mais
Pythagore, mais Aristole lui-même, au sentiment de plu-
Philon l'admit avec empressement et
sieurs, l'enseignaient.
Clément d'Alexandrie sans protestation. Origène se borne
à répéter ce qu'on disait autour de lui,d'autant plus que
cette opinion semblait avoir quelque fondement scriptu-
raired). En effet les étoiles louent le Seigneur et les astres
ne sont pas purs devant Dieu. Saint Thomas (2), à la suite
de saint Augustin, n'hésite pas à déclarer que c'est là une

les doiuons, De Civ. Del, xxi, 10 (XLI, 725). Pour les autres
Pères qui donnent un corps aux anges et aux démons, cf. lluet,
Oriyeinana, liv. It, cap. n, qu. v, 8-10 {P. G., XVII, 852 seq.) et
note sur In Mallh., xvn. 30 {P. G., XIII, 1568).
1. Contra Cels., v, 10 (XI, 1105) EXtlsq nai oî sv o-jpavw i-s-zioz^
:

Çwi cîji Xoy.xi xal arc-ioata. Ibid., viii, 6() (XI, 1H16) pourrait
passer pour une prosopopoo sans In Mallh., xiir, 20 (XIII. 1149),
et In Juan., i, 17 (XIV, 51 l'âme du soleil). Voir surtout Periar-
:

chon, I, VIII, 2-5 (XI. 171-176). Los textes invoqués en faveur de


cette oiiinion étaient : Job, xxv, 5; Is., xlv, 12; Ps., cm. 19;
CLxviii, 3-4; Rom., viii, 19-21. Il cependant des endroits où
est
Origène n'ose se prononcer : Periarchon, II, xi. 7 (les élus
apprendront si les astres sont animés); In Joan.. i, 40 (XIV,
93 peut-être les paroles do Job, xxv, 5, que les astres ne sont
:

pas purs devant Dieu, doivent-elles s'entendre •j-£p€o)viy.w?). —


S. Pamphile, ApoL, ix (XVII, 607) dit que, parmi les catho-
liques, les uns accordent aux astres la vie, les autres la raison,
tandis que d'autres les regardent comme des corps inanimés,
sans songer à se traiter mutuellement d'hérétiques « propterea :

quod non aperte de his traditum est in apostolica prœdica-


tioue. -

2. Contra Genl., ii, 70, s'appuyant sur Augustin, Enclùrid., 58


22 ORIGÈNE

question indifférente, sans connexion avec la foi chrétienne.


En soi, la multiplicité des mondes dans la durée n'est pas
plus contraire à l'orthodoxie que la pluralité des mondes
dans l'espace, l'Écriture s'occupant de l'univers actuel et
l'horizon des écrivains sacrés ayant pour limites les destinées
éternelles de l'humanité présente. Origène eut le tortd'étayer
sur des textes bibliques une hypothèse dont tout ce qu'on
peut dire de moins défavorable c'est qu'elle est arbitraire (1).
Elle devient ouvertement erronée si l'on fait de la création
matérielle la prison des âmes, destinée à disparaître dès que
les esprits coupables auront achevé le cycle de leur purifica-
tion graduelle et à reparaître lorsqu'une nouvelle chute d'es-
prits l'exigera.
Ici nous touchons au point le plus vulnérable du système
origéniste, je veux dire la fausse notion du libre arbitre qui
consisterait dans la puissance indéfinie, pour la créature rai-
sonnable, d'osciller entre le bien et le mal. Nous montrerons
plus loin que les principales erreurs d'Origène dérivent de là.

Mais rien, clans la profession de que nous venons de


foi

transcrire, ne faisait prévoir ces conséquences et n'annonçait


ces exagérations. Il a d'ailleurs renié d'avance toutes les
conclusions tirées de ses principes qui seraient en désaccord
avec la doctrine de l'Église. Commentant cette parole :

combattre avec l'art du pilote (2', il montre la nécessité de


rester uni à « l'Église catholique et apostolique » : expres-
sion heureuse que le Symbole de Nicée consacre eu l'adop-
tant.

1. On pourrait croire qu'Origène subit ici inconsciemment l'in-


fluence de la philosophie profane. Les platoniciens et les pytha-
goriciens admettaient des recommencements indéfinis du môme
univers; les épicuriens, la pluralité simultanée des mondes;
les stoïciens, la pluralité successive avec des intervalles pro-
duits par la conflagration de toutes choses. Mais, dans le Cuntra
Cels., v, 20-i.'l (XI, 1209-1216), il combat ces divers systèmes qu'il
traite d'ineptes et de puérils.
2. Prov., XXIV, 6 MsTi x'jêîpvrjffjoj; •'iv2xai toXc'xo;.
:
L.V lliiGLB I)K 101 23^

Le naufrage dans la foi (1).

Quiconque fait naufrage clans la foi ne combat pas


avec l'art du pilote les vents contraires à la saine doc-

trine. On pourrait dire la même chose de toutes les


autres vertus ; car on peut faire naufrage dans la pru-
dence, la charité, le désintéressement et ainsi du reste.
Il est également possible de faire naufrage sur n'importe
quel dogme de l'Eglise catholique et apostolique.

n
L'uÉRÉTiQrB d'après Obigène

La controverse contre les hérétiques tient tant de place


dans l'œuvre d'Origèue qu'il n'est pas inutile de savoir
ce qu'il entend par hérétique et avec quels hérétiques il
se mesure. Il s'en explique dans son Commentaire sur
l'épitre à Tite dont l'Apologie de saint Pamphile nous a con-
servé un passage assez étendu.

Tableau des hérétiques combattus par Origène (2)

1. Nous appelons hérétiques, quelle que soit la diver-


sité des inventions fabuleuses dont ils enveloppent leurs

1. 0'. T.zo: TT,v Tzi'S'Z'.-è va'joYO'jvîï; où [lîTi xuêspvr.sîw; TOAîuo'jai


tôt.; TT^îûaaa'. Totç àvxixs'.aivoiî tt, ÔïoXo'/îa. A'jva-rov oâ xal è-r:l

ziar,; àpîTr.î -ïô a-JTO yip xal —sol î&jspoff'jw.v


xoxt'zo cX—ibr î^-z:
vayaviov xa: 7:30'. àyài^-/ %xi —sol às'.Xapyjpîav, xal — ïpl îxaj-ov 6è
ôôyaa ôaoîu);; rr,; xaOoA'.-/.?,; xal à-KOO'tCiX'.xfiî £xxAr,7(a; j'jti.6x(v£i
vayiyiov. Ce texte se trouve, un peu amplifié, dans Mai (Mignc,
P. G., t. XVII, col. -2-I\); nous suivons le manuscrit du Sinaï
l)ublié par Tischendorl'.
2. P. G., XIV, I3U^-1306. ou XVII, .>i3-5o4. Les hérésies signa-
24 ORIGÈNE

rêves, tous ceux qui faisant profession de croire au


Christ, soutiennent qu'autre est le Dieu de la Loi et des
prophètes, autre le Dieu de l'Évangile et le Père de Notre-
Seigneur Jésus-Christ: tels les adeptes de Marcion, de Va-
lentin, de Basilideet ceux qui se nomment Séthiens (1),
Apelle, sans nier absolument que la Loi et les prophètes
viennent de Dieu, est cependant hérétique pour affirmer
qu'un démiurge aurait formé ce monde à la gloire d'un
autre Dieu improduit et bon, et que ce Dieu improduit,
sur les instances du démiurge lui-même mécontent de
son œuvre, aurait envoyé son Fils Jésus-Christ à la fin
des temps pour corriger le monde.
2. Ce que nous venons de dire suffirait s'il n'y avait
d'hérétiques que ceux qui ont sur Dieu le Père des sen-
timents contraires à la règle de la piété. Mais il faut
ranger dans la même catégorie quiconque a des opinions
erronées sur Notre- Seigneur Jésus-Christ et affirme,
par exemple, qu'il est né de Joseph et de Marie, comme
font les ébionites et les valentiniens, et nie cpi'il soit le

premier-né et le Dieu de toute créature, le Verbe, la

lées dans ce tableau, en négligeant les nuances, peuvent se


réduire à six 1. Gnostiquos distinguant entre le Dieu méchant
:

ou le Dieu juste de l'Ancien Testament et le Dieu bon du Nou-


veau. 2. Ébionites niant la divinité et la naissance virginale
du Sauveur. 3. Docètes des diverses écoles. 4. Patripassiens
d'après la théorie imaginée par Bérylle de Bostra. 5. Hérétiques
niant l'identité du Saint-Esprit dans les prophètes et les apô-
tres (témoignage très remarquable en faveur de la divinité du
Saint-Esprit). 6. Dualistes et fatalistes, adversaires du libre arbitre.
Les erreurs comprises sous les n°' 2, 3 et 4, toutes relatives au
Fils, forment le second paragraphe. On remarquera ici encore
la disposition ternaire signalée plus haut dans la règle de fui.
1. Le texte porte « Et :hi qui se Tethianos (?) appellant. •
Les séthiens (si l'on doit lire ici Sclhianos au lieu de Tethianos,
malgré l'autorité des manuscrits) étaient des gnostiques très
étroitement apparentés aux ophites, si même ils s'en distin-
guaient. Cf. Massuet, Dissert, in Irensei libros, I, ni, 14.
LA IIÈGLE DE FOI 25

Sagesse, « principe des voies de Dieu, fondée avant les


siècles, engendrée avant les montagnes », pour ne lui

laisser que la nature humaine ;


pareillement quiconque,
admettant qu'il est Dieu, ne veut pas confesser qu'il a

pris une âme et un corps terrestre, mais sous prétexte


de lui faire honneur, regarde toutes ses actions, sa nais-
sance virginale, son apparition en Judée à l'âge de trente
ans et le reste comme de simples apparences, sans au-
cune réalité. D'autres le croient bien Fils de la Vierge,
mais prétendent que la Vierge a cru l'enfanter plutôt
qu'elle ne l'a enfanté réellement, trompée la première
sur la vérité de cet enfantement mystérieux. Comment
ne pas exclure de l'Église des hommes à qui l'amour de
la domination et le désir d'être chefs de secte inspirent
de pareils dogmes (1)'? Quelques-uns ne voient dans le

Seigneur Jésus qu'un homme comme les antres qui,


avant son avènement dans la chair, n'avait ni existence ni
subsistance propre et qui, après sa naissance, ne possède
que la divinité du Père (2). On ne saurait inpunément

1. « Qui quoinodo non ab Ecclesia longe ponendi sunt, cuiu


jihilarchi* morbo Janguentcs (variante philargyriœ « de :

l'avarice •>) dogniata statuerint quibus ad siuim nomen disci-


pulos dec^narent ? • N'ous ])réiôrons i}hUarchise i\ jjhilargyriœ
en raison du contexte.
2. Allusion ii condamné par un concile tenu
Béryllo de Bostra,
dans cette mémo puis convaincu d'erreur et converti par
ville,
Origène. Bér3lle soutenait, selon Eusèbe (Hisl. eccL, vi, 30) :

Tôv 5toTf,pa xaî y.6p•.o^'^ Tiiiôiv ijlt, Ttpo'JciïSTâvai xaT'ioîav oijîa;


Tcepivoa:;-r,v T.pà xf,î si; àvSpwTOu; £-'.S'r,;xîac, tj.T,oè tT|V 6ïÔTT,Ta îcîav

Èystv, àXÀ'È[X7:oA'.'r£uo;j.îyr,v aÛTÛ [xôvry tt,v -raTp'.xr'iV. S. Jérôme


{Vir. ilL, 60) dit plus brièvement « Christum ante incarna-
:

tionem (ou carnem) negat »; et Gennade [De Dogm. eccL, 3) :

« Quasi antequam nasceretur ex Virgine Deus non fuerit;


sicut Arlemon et Berylkis et Marceilus docuerunt ». S. Jérôme
et Gennade ne semblent pas avoir très bien compris l'erreur
de Bérylle. Eusèbe serre de plus près la pensée d'Origène.
Bérylle était unitaire et n'admettait en Dieu aucune distinction
26 ORIGÈNE

les compter parmi les membres de l'Église, parce que (1)


poussés par la crainte superstitieuse de paraître adorer
deux Dieux et n'osant pas cependant nier la divinité du
Sauveur, ils attribuent au Père et au Fils une seule et
même hypostasc sous deux noms différents.
Ceux qui distingueraient le Saint-Esprit présent
3.

dans les prophètes du Saint-Esprit agissant dans les


apôtres seraient coupables de la même impiété, car ils

diAiseraient la nature divine et feraient deux Dieux du


Dieu unique de la Loi et de l'Évangile.
4. Les dualistes, pour qui toutes les âmes humaines
n'ont pas une même substance, mais sont de natures
contraires, doivent être mis au nombre des hérétiques
puisqu'ils imputent l'iniquité au Très-Haut et l'accusent
d'injustice (2). Il faut regarder aussi les doctrines des
adversaires du libre arbitre comme pernicieuses au bien
public et à la vertu indi\"iduelle ; car, supposé que les

de personnes. Par conséquent, le Christ avanl rincarnalion —


c'est-à-dire le Verbe —
n'avait pas de porsonnalité propre (loii
oÛTÎaî Ttspiypaï;/,). Ce ne pouvait être qu"uno appellation ou un
attribut, ou une modalité de Dieu. Api^ès rincarnalion, le Christ
est Dieu, mais de la divinité du Père {(izôzr,^ -raTp'.xf/ car il ;

n'y a pas en Dieu d'autre personne. Bérylle était donc patri-


passien.
1. « Ne illos quideni sine periculo est Ecclesiœ numéro sociari

sicut et illos qui », etc. La traduction de Rufin donne l'impres-


sion qu'il s'agit de deu.x erreurs différentes; en réalité, c'est la
même et sicul et illos qui équivaut à quippe qui, « vu que ».
Ici Rufin, para|ihrasant son te.xte, répète deux l'ois les. mêmes
idées < Unani
: l'amdemque subsistentiam Patris ac Filii asse-
verant, id est duo quidem nomina secundum diversitatem cau-
sarum recipientom, unam tamen û-0TTa7:v subsistera, id est,
unam personani duobus nominibus sulijacentem, qui latine
Patripassiani appollantur. »
2. C'étaient des manichéens avant Manès. Beaucoup de gnos-
tiques étaient dualistes. Leurs principes les amenaient à nier le
libre arbitre, sauf peut-être pour les hommes psychiques,
capables de bien et de mal. La traduction de Rufin laisse en-
LA RÈGLE DE FOI 27

actions, les paroles et les pensées ne dépendent pas de


la volonté humaine, les jugements de Dieu seront ou-
bliés et comptés pour rien.

A partir d'ici la liste prend un caractère spécial. Il n'y est


plus question des hérétiques présents ou passés auxquels
l'auleur a déclaré la guerre, mais des hérétiques possibles,
de ceux qui rejetteraient un dogme fondamental de l'Kglise;
qui nieraient par exemple les rétributions de la vie future
ou la résurrection des morts, qui soutiendraient que les
tentations du démon nécessitent le libre arbitre de l'iiomuie
ou qu'il y a des créatures raisonnables prédestinées au mal
et à la perdition. Origène ajoute « Nous avons décrit de
:

notre mieux l'hérétique et défini ses opinions erronées en


leur opposant la pureté de l'enseignement ecclésiastique. »

Il conclut en se demandant s'il faut appeler hérésie ou


schisme la secte des cataphryges qui ajoutent foi à. de faux
prophètes et s'astrciguent à des pratiques singulières^ On
peut juger par là que les montanistes lui étaient peu connus :

ils n'avaient guère pénétré en Egypte et nous ne voyons pas


qu'il ait eu occassion de les combattre. Au contraire, il pour-
suit à outrance dans presque tous ses éci'its le trio des guos-
tiques (1), Valentiu, liasilide et Marcion, auxquels il joint
parfois Apelle.Dans son Commentaire sur saint Jean, c'est
Héracléon qu'il prend à partie. Chaque fois que le sujet y
prête, il réfute avec vigueur les erreurs des ébionites, des
docètes, des unitaires. le morceau cité plus haut
Il y a dans
une allusion transparente à Bérylle de Bostra dont il avait
obtenu la rétractation à force de modération et de science.

tendre qu'il s'agit de deux hérésies distinctes: « Xecnon et illi


qui liberi arbitrii potestatem ex animabus auferre nituntur. »
Mais Origène combat toujours en même temps et par les mêmes
arguments les dualistes et les adversaires du libre arbitre.
\. Periarchon, II, ix.o; In Xumer., hom. xu,21; In Jos.Jiom.
vu, 7; In Jerem., hom. iv, 27; In Ezec/i., hom. vu, I; vni, 16;
In I heg., hom. 2, etc.
28 ORIGÈNE

Dans le Contra Celsum il ne dédaigne pas de s'occuper des


sectes les plus obscures, des ophites, des caïnites, des si-

moniens et des dosithéens (1). Bref, comme l'hérésie lui


inspira dès l'enfance la plus profonde horreur, on peut dire
qu'il a poursuivi de ses traits tous les hérétiques de son temps.
La lutte efficace contre les hérétiques était chez lui une spé-
cialité reconnue. S'agissait-t-il d'étouffer une secte nouvelle,
c'est à lui qu'on avait recours (2).

Ces controverses continuelles, à une époque où le dogme


n'était pas bien assis ni la terminologie bien fixée, avaient
leurs dangers. Origène l'apprit à ses dépens. Tant qu'il dé-
fendit, contre les dualistes, l'identité du démiurge et du
Dieu des chrétiens ; ou, contre les docètes, la réalité de la
chair du Christ ; ou, contre les ébionites, la perpétuelle

virginité de Marie, l'excès n'était guère à craindre. Mais la


réfutation des unitaires lui fit donner tant de relief à la dis-
tinction des Personnes divines qu'il parut parfois les divi-
ser ou ne les unir qu'en les subordonnant. La polémique
contre les fatalistes le porta inconsciemment à exagérer la
puissance du libre arbitre, jusqu'à diminuer le rôle de la
grâce et à désarmer la justice de Dieu pour avoir trop voulu
la venger. Le chemin de la vérité est semé d'obstacles et
souvent la fuite trop anxieuse d'un écueil visible jette sur
un brisant inaperçu. Pour être jiisle envers Origène, il faudra
toujours tenir compte de ses préoccupations de polémiste.

1. Ophites: Contra Cels., m, 13 (joints au.\ caïnites); vi, 25-37


(curieuse étude sur le Diagramme des ophites). Simoniens —
et dosithéens: Contra Cels., i, 57; vi, 11. Ils avaient à peu près
disparu du temps d'Origone. Dosithée est mentionné déjà dans
le Periarchon. iv, 17. Sur tout ce groupe d'hér(Hiques, cf. In
Matth., ser. 35 (XIII, 1643); sur les sib3llistes, les harpocratiens,
les marcelliens, voir Conlra Cels., v, (31-02; sur les encratites,
Ibid. 65.
2. Eusèbe, Ilist. eccl., vi, 33, 37 et 38.
CHAPITRE thoisii:me

DIEU LK PÈRE, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT

L.V TRINITÉ DA>S l'uNITÉ

L'essence divine est absolument dégagée de la matière (1).

Cette vérité nous parait si élémentaire que nous pardonnons


à peine à l'auteur du Pcriarchon de s'y attarder. Mais et —
c'est l'excuse d'Origène —
si la philosophie grecque commen-

çait à l'entrevoir, elle n'avait pas pénétré assez avant dans


les esprits pour rendre la démonstration superflue. Les
épicuriens faisaient leurs dieux à l'image de l'homme,
comme le polythéisme vulgaire ; les stoïciens les confon-
daient avec le grand Tout ; les pythagoriciens en animaient
les astres ; seuls, Platon et son disciple Aristote dépouillaient
la divinité de touteenveloppe matérielle. Dans cette atmos-
phère de paganisme ambiant, certains chrétiens peu instruits
hésitaient d'autant plus que l'Ecriture appelle quelquefois
:

Dieu un feu dévorant, une lumière, un esprit, et ce mot —


par son étymologie, tant en grec qu'en latin et en hébreu,
réveille l'idée de souffle. C'est une loi générale et nécessaire
du langage humain de décrire les choses immatérielles par
des métaphores tirées des objets sensibles. Dieu est la
lumière des intelligences, le feu qui consume les iniquités

des hommes, l'être spirituel qu'il faut adorer en esprit et en

1. C'est le résumé du chapitre i du premier livre du Periav-


chon.
30 ORIGÈNE

vérité ; et il suffit, observe justement Origène, du simple


énoncé, pour mettre à nu le sens immatériel de ces termes.
Du que Dieu est invisible,
reste, l'Écriture affirme sans cesse
que personne ne l'a jamais vu, et si elle dit une fois que les
cœurs purs verront Dieu, on sait que, dans sa langue, "les yeux
du cœur signifient l'intelligence.
En résumé, « Dieu n'est ni un corps ni dans un corps.

Nature intellectuelle, sans mélange d'aucune sorte, il ne


re(.'oit ni le plus ni le moins. Monade absolue ou i)hitôt

hénade, il est l'Intelligence, source commune des intelli-


gences (1) >. Les créatures le reflètent sans en donner une
idée adéquate ;
pas plus que les rayons du soleil réfléchis
dans un miroir ne nous font connaître exactement le soleil.
Dieu est donc incompréhensible (2).
Les Personnes divines possèdent à titre exclusif et iucom-
municable trois attributs qui les distingueront toujours d'une
créature quelconque, si parfaite qu'on la suppose l'immaté- :

rialité absolue, l'omuiscience, la sainteté substantielle.

Immatériels, tous lesesi^rils le sont; mais Origène se

demande peuvent se passer d'une enveloppe corporelle,


s'ils

aussi subtile et aussi éthérée qu'on voudra, qui leur serve


de moyen d'action et de communication. Bien qull n'ose pas
se prononcer catégoriquement, on voit bien qu'il penche
vers la négative. Au contraire, quand il s'agit de Dieu, il

n'hésite pas un instant. Dieu n'est ni un corps ni dans un


corps ; et il en est de môme du Fils et du Saint-Esprit (3j.

1. Pcynarch., I, i, 6 « Non ergo aut corpus aliquod,


: aut in
corpore putandus est Deus, sed intelloctualis natiira. siiuple.x,
nihil omnino in se adjimclionis admittens; uti ne majus ali-
quid et inferius in se liabere creJatur, scd ut sit e.x omni parte
(lovâ;, et ut ita dicam b^ic,, et mens, ac fons ex quo initium
totius intellectualis natura? vel mentis est. »
2. Ibid., 1,1, 5; IV, 35.
3. Periarchon, iv, 27 (XI, 401) : « Substantia Triuitatis...
nequo corpus, neque in corpore esse credenda est, sed ox toto
incorporea. » Et cela no convient qu'à la Trinité seule. Ibid,
1, VI, 4; II, II, 2; II, iv, 3; iv, 32, etc.
DIEU i.E pi:iu:, lk i-ils kt le saim-espiut 31

Pareillemeul la scii'nce de toule créature, élaul essentielle-


ment bornée, est par conséquent toujours imparfaite et tou-
jours perfectible. Il n'en est pas ainsi des Personnes divines.
On no conçoit pas qu'elles passent de l'ignorance à la science,
eton ne le conçoit i^as parce que cela impliipie contradiction.
Pour le Fils, Sagesse du Père, nul n'en saurait douter (1).
Mais il n'en faut pas douter davantage pour le Saint-Esprit :

« L'Esprit scrute toutes clioses, môme les profondeurs les


plus secrètes de Dieu. Il les révèle à qui il lui plaît, selon le
mot de l'Écriture. Accorder que le Saint-Esprit connaît le Père
par la révélation du Fils, c'est admettre qu'il passe de
l'ignorance à la science : conséquence aussi impie qu'ab-
surde. » Et qu'on ne s'imagine point, qu'avant d'être le
Saint-Esprit, il a pu ignorer le Père, et qu'il est devenu
l'Esprit-Sainl par l'acquisition môme de cette connaissance.
Une conception si grossière ne mérite pas d'être réfutée : « Si
l'Esprit-Saint n'avait pas toujours été tel, il n'aurait jamais
été admis dans la Trinité indivisible ni associé au Père
immuable et au Fils éternel (2). >

Enfin, seules, les Personnes divines sont immuables dans


le bien, tandis que les intelligences créées, en Aertu de leur
libre arbitre, peuvent toujours décliner et décboir. La raison
qu'en donne Origène. c'est que la bonté morale n'est dans

1. In Joan., i, 27 (XIV, 73): Peut-on dire que le Fils ignore

quelque chose de ce que sait le Père? Non, répond Origène ;

car s'il est la Vérité, rien ne peut lui échapper: El ô>vôy.}vT,pôî


£ Tiv T, àAT,Oîia, o-joïv àAT,9âi; i-p^ozl tva [xt, ïxâî^r, AsÎTro'jja t,

iXT,6£ia ol; où f:\nL7Y.z:. xaT'ixsîvo'j;, tw IlaToî.


•r-j-;'yivo'J3".v h/ ;xÔvm
Pour soutenir ce paradoxe, ajoutc-t-il, il faudrait admettre qu'il
y a des choses connaissables qui ne sont pas comprises dans
l'objet de la vérité, mais sont au-dessus d'elle. Lo texte suivant
est encore plus formel, Conlra Cels., vi, 17 (XL 1317) Oj-sv^? :

TÔv àyr/TiTûv xai -ixT,; -'£v-r,Tf,; s-jïîwi; zpoJTÔT&y.ov y.3.-:' à';(av cioiva'.
Tiç S-jvaTa:w; ô •^v/'fipxt lit-zm naTr,p. outï tov fla-rspa w^ 6
Aôyo; xal vo-çiz xùzo'Z xal ikrfiz'.x.
Èu.t^y-/o;

2. Periarchon, I, in, 4 (XI, 149); Ibid., iv, 3o « Illa enim :

natura (divina) soli sibi cognita est. Solus enim Pater no vit
Filium, et solus Filius novit Patrem. et solus .Spiritus sanctus
perscrutatur etiam alta Dei. » Cf. In Hûman., wii, 13 (XIV, li'Ol).
32 ORIGÈNE

les créatures qu'un accident, au lieu qu'elle est substantielle


dans Le Yerbe, par exemple, est la Sagesse
la Trinité (1).
par essence, mais il répugne que la Sagesse substantielle
devienne déraison et folie, comme il répugne que le Saint-
Esprit perde la sainteté sans laquelle on ne peut même pas le
nommer.
Ces trois différences creusent autour de la Trinité sainte
un infranchissable abîme. Mais elles ne sont pas les seules
qui distinguent les Personnes divines. On va voir, dans la
conclusion du Periarchon, que l'immensité et l'éternité pro-
prement dites sont expressément attribuées au Verbe pour
des raisons qui conviennent également au Saint-Esprit.

Résumé final du Periarchon (2).

Il temps de récapituler brièvement ce que nous


est
avons du Père, du Fils et du Saint-Esprit et, réparant
dit
une omission, d'expliquer comment le Père, tout im-
muable et indivisible qu'il est, engendre le Fils. Il ne le
fait pas sortir de lui-même, comme quelques-uns lepen-

1. In Numer, hom., .\i,8 : Sola Trinitatis substantia est quîB


«

non extrinsecus accepta sanctilîcatione, sed sui natura sit


sancta. • Cette opposition entre la sainteté essentielle et, partant,
iinmualMe de la Trinité, et la bonté accidentelle et, par
suite, changeante des créatures, revient très souvent dans les
écrits d'Origène. en particulier dans le Periarchon, I. v, 4 (XI,
IGi) « Imraaculatum esse prêter Patru m et Filium et Spiritum
:

sanctuni nuUi substantialiter inest, sed sanctitas in omni crea-


tura accidens res est. Quod auteiu accidit et decidere potcst. »
Cf. I, VI,2 (XI. 166); I, vu, 3 (XI, 178), etc.
2. 28 (XI, 401-403). Le premier paragraphe nous a été
IV,
conservé en grec par Eusèbe, Conlra Marcellwn, 1, 4 (XXIV,
760). Ce texte déplaisait fort à Marcel d'Ancyre qui accusait
Origènc de donner au Fils un hypostase (oti tw Tttô ôéowxcv
•j-ôffTas'.v;, montrant ainsi qu'il n'avait pas lui-même des idées

bien saines sur la distinction dos Personnes divines, comme


Eusèbe et saint Basile, Epist. cxxv, l (XXXII, 545), Epist., cclxuj,
o (XXXII, 545), le lui reprochent souvent.
DIEU LE PÈRE, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT 33

sent. Car si le Fils procédait par émission hors du prin-


cipe générateur, à la manière de la génération animale,
il s'ensuivrait que le Père et le Fils sont des substances
corporelles.
Nous ne disons pas, comme les hérétiques le croient,

qu'une partie de la substance de Dieu se change dans.le


Fils, ni que le Fils est créé de rien par le Père, de sorte
qu'il y ait eu un temps où il n'était point (1). Écartant de
l'invisible et de l'immatériel toute représentation sensi-
ble, nous disons que le Verbe, la Sagesse, est engendré
sans aucune réaction corporelle, comme par exemple la
volonté procède de l'intelligence (2). Cette comparaison
ne semblera pas étrange à qui réfléchira que le Fils de
Dieu est « le Fils de son amour » Jean nous enseigne .

que Dieu est lumière et Paul que le Fils est le rayonne-


ment de la lumière éternelle. Or, de même que la
lumière ne saurait exister sans rayonnement, de même
aussi l'on ne peut concevoir sans le Père le Fils (3) qui

1.Non enim dicimus sicut hieretici putant, partem ali-


"

quam substantiaj Dei in Filium versam, aut ex niillis substan-


tibus Filium procreotum a Pâtre, id est extra substantiam
suam, ut fuerit aliquando quando non fuerit. » C'est le contre-
pied absolu des deux axiomes d'Arius ''Hv ots oûx t,v ô Vîôî, et:
:

'E; où-A ôvTojv é/s: Try C-07va7'.v (Socrate, Hist. eccL, I, o). Cela
explique pourquoi les ariens évitèrent au début do se réclamer
d'Origènc. Les auteurs qui, comme Petau, veulent alisolument
en faire un arien avant Arius doutent qu'il ait écrit ces paroles
et suspectent la fidélité du traducteur Rufin, mais sans aucun
motif. Saint Athanase {De décret. Xic. syn., 27) s'est, chargé
d'avance de leur répondre en citant un texte où Origène dit
formellement du Fils: Oox ejtiv o-zt oûvc v. « Il est en efl'et ab-
surde de supposer, ajoute Origène, que Dieu ait jamais été sans
sa Sagesse et sans son Verbe. » C'est précisément l'argument
développé ici.
2. Il sera plus loin question de cette comparaison.
3. On attendrait plutôt: < Le Père sans le Fils. • Le traduc-
teur Rufin est peut-être coupable de cette inversion qui rend la
34 ORIGÈNE

est l'empreinte de sa substance, son Verbe et sa Sagesse.


Gomment donc ose-t-on prétendre qu'il fut un temps où
le Fils n'était point ? C'est dire équivalemment qu'il fut un
temps où la Vérité n'était pas, où la Sagesse n'était pas,
où la Vie n'était pas. Ces perfections, appartenant à
l'essence de Dieu, sont inséparables de sa substance ; et
si la raison peut les distinguer, elles sont en réalité une
seule et même chose en quoi consiste la plénitude de la
divinité (1).
Mais ces expressions même « 11 ne fut jamais un
:

temps où il ne fût pas » demandent à être entendues


avec indulgence. En effet quand et jajnais sont des
particules de temps ; or tout ce qui concerne le Père, le
Fils et le Saint-Esprit, est au-dessus de tout temps, de
toute durée et de toute éternité. C'est là le privilège de
la Trinité seule : tout le reste a pour mesure le temps et
la durée (2).
Pour le Fils de Dieu, le Verbe de Dieu, qui était en
Dieu dans le principe, personne ne songera à le renfer-
mer dans un lieu déterminé, ni en tant que sagesse, ni
en tant que vérité, ni eu tant que vie, justice, sanctifi-

phrase gauche. Mais, en soi, comme les Personnes divines sont


corrélatives, on ne peut pas plus concevoir le Fils sans le Père
que le Père sans le Fils.
1. Ces paroles, qui semblent représenter le Fils comme la
Sagesse immanente de Dieu, prêteraient à l'équivoque si nous
ne savions qu'Origène fait du Verbe une hypostase distincte.
Voir Periarchon, I, n, 2, où ce thème est développé plus au
long et en termes plus exacts • Nemo putet aliquid nos insub-
:

stantivum dicere cum eum (Filium) Dei Sapientiam nomina-


mus... Si ergo semel recte receptum est, unigenituni Filium
Dei Sapientiam ejus esse substantialiter subsistentem », etc.
2. On voit par là qu'une créature sans commencement ne
serait pas éternelle comme les trois Personnes divines, car sa
durée serait mesurée par la succession de ses mouvements ou
de ses actes.
DIEU LE PÈRE, LE FILS ET LE SAl^T-ESl'UlT 35

cation, rédemption. Rien de cela en effet n'a besoin de


lieu ni pour être ni pour agir (1).

Ou ne peut guère opposer à ce remarquable passage que


la perte du La citation qu'eu fait saint Pam-
texte original.
phile, clans l'Apologie d'Origène, nous garantit l'orthodoxie
de ce résumé et la fidélité du traductem' Rufin. Cependant
nous ajouterons trois fragments dont le texte grec est par-
venu jusqu'à nous ^2'.

Le Fils consubstanliel au Père (3)

Un est celui qui sauve, un est le salut. Un est le Père


vivant, le Fils et l'Esprit-Saint ; un, non par le mélange
des trois, mais par l'identité de substance dans trois
hypostases parfaites et corrélatives. Le Père a engendré
selon la nature : c'est pourquoi celui qui est engendré lui

1. Noter un nouvel attribut divin du Verbe l'immensité:

au sens strict.
2. Qu'il nous soit permis d'indiquer brièvement quelques
autres textes latins. In Exod., hum. v, 3 (Cuni conllteris unum
Deum, eademque conlessione Patrem et I-ilium et Spiritum
sanctum asseris unum Deum...); Ib'td., hom. vi, 5 (Xullus sine
initie et fine, nullus creator omnium, nisi Pater cum Filio et
Spiritu sancto): In Xumer., hom. xi, 8; xii. 1 (Lna substantia est
et natura Trinilatis); In Roman., i, 16 (P. G.. XIV, 863: Adorare
alium quempiam pra^lor Patrem et Filium et Spiritum sanctum
imi>ietalis est crimen); iv, 9 (XIV, 997); viii,5 (XIV, II69: Qui

bene annuntiat bona. proprietates quidem Patri et Filio et


Spii'itui sancto suas cuique dabit, niliil autem diversitatis con-
lîtebitur in substantia vel natura); vui, 13 (XIV, 1201-1202, texte
remarquable); Pcriarchon, I. lu, 5 (Qui regeneratur per Deum
in salutem opus habet et Pâtre et Filio et Spiritu sancto, non
jiercopturus salutem nisi sit intégra Trinités: nec possiliile[est]
participem fleri Patris vel FUii sine Spiritu sancto), etc.
3. In Matth., scolie sur xxvm, 18 (dans Galland, Biblioth.,
t. XIV, Append., p. 83, Migne, XVII, 309).
36 ORIGÈNE

est consubstantiel (1). Dieu n'est pas corporel ; aussi ne


faut-il pas imaginer un écoulement, un mouvement, ni
rien de ce qui se passe dans les corps. C'est le Dieu incor-
porel qui engendre ; la génération est personnelle ; le

Fils est né de la substance du Père.

Ce passage, rapporté seulement par les Chaînes bibliques,


nous inspire bien quelques doutes. En tout cas, la difficulté
ne viendrait pas du terme de consubstantiel {ôiioQÛaioq) en
usage avant le concile de Nicée, comme l'affirme expressé-
ment Eusèbe (2), et employé par Origène lui-même, comme
en témoigne Rufin (3). Ce qui est décisif, c'est que saint
Pamphile transcrit un fragment du Commentaire sur l'épître
aux Hébreux où ôjjiooùaioç figure et où le traducteur, par un
louable scrupule, a cru devoir maintenir le mot grec « La :

Sagesse qui procède du Père, dit Origène, est engendrée de


la substance même de Dieu », car elle est une émanation
(àiïôpôoia) de la gloire du Tout-puissant et < l'émanation est
eonsubstantielle (6[jiooûcioç) à ce dont elle dérive ». Saint
Pamphile ajoute avec raison semble d'après cela
: « Il me
qu'il regarde le Fils comme né de la substance même de
Dieu, comme oijloojîioç au Père (4). » L'indignation avec
laquelle Origène condamne l'impiété d'Héracléon, qui faisait
les adorateurs en esprit et en vérité consubstantiels à Dieu (b),
montre que par oijiootjcioç il n'entendait pas une simple
ressemblance ou une participation analogique.
La Trinité sainte (6), la Trinité éternelle (7), la Trinité

1. KaTà '^'jaiv £yswf,5îv 6 U.a.'zf^p'ô'.ÔT.zp Ô[j.oo'jï'.o; £y£v^,6T,.


2. Dans Socrate, Hist. eccl., i, 8.
3. De adulter. libror. Orig. (XVII, 619).
4. ApoL, V (XVII, 588-081).
o. /u /oa?i., XIII, 25 (XIV, 441) : 'E-'.aTy,jw[xev ei tx-^, jcpôSpa èjxlv
àjsêèî ôjxooujJo'Jç TT| àysvWjTo) AÉyî'.v a-jas'. xal Taiiiiaxaffa slvat
Toù; Trposx'jvoOvTaî èv tw ftcw.
Trvs'jijLaTi

6. Jn Joan., fragm. xxxvi (Preuschen, p. 512, I. 23) : rr,!; iyiaî


Tp'.âSoç.
7. In Joan., x, 23 (XIV, 384): èv alcovio) tt, Tpiiot.
DIEU LE PÈRE, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT 37

souveraine (1), la Trinité a(loral)le (2) forme une unité


transcendante, indivisible, infiniment élevée au-dessus de
tout ce qui n'est pas elle. « Une àme est vide et déserte si
elle n'est pas habitée à la fois par le Père, le Fils et le Saint-
Esprit (3). » Elle reste altérée si elle ne boit simultanément
à ces trois fontaines (4) dérivant d'une même source. Le
Père, le Fils et le Saint-Esprit sont la nuée lumineuse qui
ombrage les vrais disciples du Ctirist (o) ; et les fidèles,
au baptême, ne peuvent recevoir la grâce et la sanctification
que par leur action commune (6). Enfin les trois Personnes
existent de toute éternité en vertu d'une nécessité intrin-
sèque.

Nécessité des p}-ocessions divines (7).

Dieu ne commence jjas d'êtrePore pour avoir été


empêché, comme il arrive aux hommes, de l'être plus tôt.

Si Dieu est toujours parfait, et s'il a de toute éternité le


pouvoir d'être Père, et s'il est bon pour lui d'engendrer
un tel Fils, pourquoi différerait-il et se priverait-il, en
quelque sorte, d'un tel bien, du moment qu'il peut être
Père ? Il faut dire la même chose de la procession du
Saint-Esprit.

Ce texte, critiqué à tort par Marcel d'Ancyre qui le


rapporte, est développé dans le Periarchon (8). D'autres
textes semblables seront donnés plus bas à propos de la

1. In. Matth., xv, 31 (XIII, 1345): Tf,<: àp/;.xf,; Tpiioo;.


2. In Juan., vi, 17 (XIV, 257): -rf,; -posvcuvr.Tr.î TpiiSo;.
3. In Jerem., hom. viii, 1 (XIII, 336).
4. In Malt., \iu 42 (XIII, 1081).
5. InJeretn.. hom. xviii, (XllI, 4SI): "Eàv ar, xà? xozU "'"-i;

Même pensée. In Xurner., hom. xi, 1.

6. Periarchon, I, m, 5.
7. Eusèbe, Adv. Marcel. Ancyr., i, 4 (XXIV, 700).
8. Periarchon, I. ii. 2.
38 ORIGÈNB

procession du Verbe ; mais nous nous reprocherions de clore


cet article, sans citer un passage remarquable ovi la divi-
nité et la consubstantialité du Saint-Esprit sont affirmées
en termes saisissîmts.

c Xe déplace pas les bornes éternelles (1). «

Qui déplace les bornes de la religion légitime la tians-


îorme en superstition ou en impiété qui déplace les ;

bornes du courage devient ou pusillanime ou farouche ;

il en est ainsi des autres vertus et des dogmes et de la foi

elle-même. Mais il faut surtout observer ce précepte à


l'égard de la sainte Trinité. Car quiconque refuse de
reconnaîtrele Saint-Esprit pour Dieu détruit le baptême ;

et quiconque étend à d'autres l'appellation de Dieu intro-


duit le polythéisme.

Nier la divinité du Saint-Esprit, c'est détruire le baptême:

car, selon la doctrine constante d'Origène, nul ne peut être


sanctifié sans le concours simultané des trois Personnes
divines ; c'est aussi dénaturer la forme du baptême et lui ôter
son efficacité. « Il est certain, dit ailleurs Origène, que les
péchés sont remis par la Trinité tout entière. (2) » Le Saint-
Esprit eut part, comme le Fils, à la création du monde (3),

Il faut le prier, il faut l'adorer avec le Père et le Fils (4)-

1. Prov., xxii, 28. Mr, [xj-caips ooix auôv.a, a ïbvno oî -atîoe;


<jou. Commentaire dans Migne, P. G.. XVII, 221 le manuscrit
;

du Sinaï (Tischendorf) est ici pai-faitemont d'accord. Voici les


dernières lignes: MâAis-ca oè toûto tt.pt.téov s-l tt,? âyîaî Tp'.â6o<;

«al Twà; ovojxiÇwv Heoùç ôf|[iov s'.s-iys: Hswv.


àîA'Xou.;

In Is., hom. i, 4 (XIII, 223) Ut unitatein deitatis in Trinitate


2. :

cognoscas, solus Chrislus in praîsenti lectiono nunc poccata di-


miltil, et tamon certum est a Trinitate poccata dimitti.
3. In Levil., hom. i, 1.
4. Periarchon, iv, 30 (XI, 404), d'après Ps. xx.xn, C.
DIKU LK l'îiUB, LK KILS ET LIi S.VIST-liSPUlT 39

Au témoignage de saint Basile, le docteur d'Alexandrie,


malgré quelques expressions inexactes, enseignait expressé-
ment la divinité de l'Esprit-Saint (1). Nous avons vu plus
haut qu'il le fait dériver du Père et du Fils, ou du Père par
le Fils, bien qu'il n'ait pas encore de terme spécial pour
marquer le mode de cette procession (2).

II

Le Logos

Au début de son Commentaire sur saint Jean, Origène


s'élève avec force contre la sottise et la manie de ceux qui
ontconlinuellement à la de Logos, comme si
bouche ce nom
le Christ n'en avait point d'autre. Le Sauveur est appelé
dans l'Écriture, vérité et lumière du monde, vie et résurrec-
tion, voie et porte, bon pasteur et roi, vraie Aigne et i)ain
de vie. Il est le premier et le dernier, l'alpha et l'oméga, le
principe et la fin, l'agneau de Dieu, le serviteur de Jéhovah,
notre avocat et notre propitiateur, la puissance et la sagesse
de Dieu, notre sanctification et notre rédemption, le pontife
de la uouvi'lle alliance, le lion de Juda, la pierre angulaire.

Les prophètes le nomment encore Jacob et Israël, David et re-

jeton de Jessé, etc. Pourquoi, de ces innombrables appella-


tions, s'attacher exclusivement à celle de Logos ?

Abus du tenue de Logos chez les gnostiques (3).

Le Verbe qui était dans le principe auprès de Dieu, le


Dieu- Verbe, n'est qu'un des noms du Sauveur. Encore

De Spir. sancto, xxix, n" 73 (XXXII, 204).


1.

Rufin a bien le mot procedit {In Hoin., vu, 1


'2. Periarchon, ;

I, II, 13) et, on parlant du Père, pruferl {Periarchon, II, ii, 1);

mais nous ignorons quel était le terme grec correspondant.


3. In Joan., i, 23 (,XIV, 05).
40 ORIGÈNE

cenom ne vient-il pas directement de lui, mais de Jean.


On ne peut donc que désapprouver ceux qui négligent ou
dédaignent tous les autres titres, affectant de ne pas les
comprendre, pour se servir uniquement de celui-là,
comme s'il était la clarté même. Ils répètent à satiété ce
texte : « IMon cœur a proféré une bonne parole » , s'ima-
ginant que le Fils de Dieu est une réunion de syllabes
prononcées par le Père. Si on les force à se déclarer, ils

ne donnent donc pas d"%/Jos/ase; et ils sont impuis-


lui
sants à expliquer en quoi consiste son essence, je ne dis
pas individuelle, je dis essence en général(1). Il est en
effetabsolument impossible de concevoir que la parole
qu'on profère extérieurement puisse être un fils. Il faut
donc qu'ils nous expliquent comment le Dieu-Verbe est
un Verbe vivant, soit indistinct du Père — auquel cas il

ne serait ni subsistant ni Fils du Père et — soit distinct


subsistant (2). La vraie méthode à suivre pour ce nom
de Verbe, comme pour tous les autres noms du Christ,
est d'en rechercher attentivement le sens et d'en établir
la signification par des arguments convenables. Mais

1. Oiô[icVOt •ûf/oçopàv -raxpi-/.r,v oîovîl èv a'j)J%a6aï; xs'.[jlsvt,v stvai


TÔv Vtôv TO'J 0cOÛ, 'Axl xaxà toOto CcKOSTao't.v aùtôj, zl àxpiêw; aÙTwv
•n'jv6avo£;iî6a, où otoôastv, oûoè oûîîav aùioû aasTiVÎ^ouiiv, oùostm
tpajiàv xo'.âvoî t, TOiâvSs, à)>>v' o-wî Le mot 'jTOffTajtî a
ttotî o-jjîav.
ici son sens ordinaire de idéalité et oùnU celui dlessence. Tout
ce qui existe est une réalité et a une essence. Mais les gnos-
tiques, se représentant le Logos comme la parole extérieure
que nous prononçons, ôtent au Verbe toute réalilé {ù-6s-zxa'.<i),
puisqu'une parole une fois proférée n'est plus rien; et ils ne.
peuvent pas dire en quoi consiste son essence (personnelle ou
non personnelle) parce que le néant n'a pas d'essence.
2. Ao-'ov yio àT:ayy£AAù[j.£vov uîôv elvat vofi^ao xat T(Ô t'j/ovt
êstIv àu.f'|/.2vov xai Xoyov toio'jtov xaS'aCixôv Çûvta xai T|T0'. où
xs/(jop'.5;iîvGv xo'j ITaTpô; y.al -/axà to-jto xio oùoè ulôv
tj-T, 'j'jcsxiva'.
Tuyyivovxa t, y.al XE/ojpiTaévov xal oÛTicoasvov àzayysAÀî'xwffav t,[1ïv
Osôv Aoyciv. Migne omet xa6' ajxôv qui est essentiel, puisqu'il
désigne la vie personnelle du Verbe.
DIEU LE PÈRE, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT 41

quel n'est pas l'arbitraire de ceux qui demandent pour-


quoi le Christ est la porte, ou la voie, ou la vigne, et qui
se trouvent satisfaits, sans interroger davantage, dès
qu'ils voient écrit le nom de Logos !

Origcne somme les gnostiques de lui dire comment une


parole morle peut être un Verbe vivant. S'ils identifient le

Logos au Père et lui enlèvent ainsi sa personnalité, il n'est


plus ni subsistant ni Fils ; s'ils le distinguent du Père, il

leur est impossible d'expliquer en quoi il consiste, car la


parole exlérieure, une fois proférée, n'est plus rien de réel.
Nous ne suivrons pas Origène dans ses développements,
quelque intéressants qu'ils puissent être. Nous préférons
nous en tenir à l'exégèse de ces trois propositions t Dans le
:

principe était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe


était Dieu, s

Le Verbe était dans le Principe.

Ces mots : « Le Verbe était dans le Principe » ne


signifieraient-ils pas aussi que tout fut formé selon la
Sagesse et selon les types intellectuels existant en Dieu ?

De même qu'un navire ou un édifice faits selon les plans


de l'architecte ou du constructeur, ont pour principe les
formes et les idées qui sont dans l'esprit de l'ouvrier,
ainsi, je pense, tout a été fait selon les idées des êtres
possibles élaborées d'avance par Dieu dans la Sagesse :

« Car c'est dans la Sagesse que Dieu a fait toutes choses. «

Dieu ayant donc produit, pour ainsi dire, la Sagesse


vivante, lui laisse le soin, j'imagine, de départir aux
êtres et à la matière, d'après les types qui étaient en
elle, la figure et les caractères spécifiques (1).

1. InJoan., i, 22 (XIV, ot3-o7).


42 origënë

N'omettons pas d'ajouter(1) que le Verbe est la Sa-


gesse de Dieu et en porte à bon droit le nom. Or,
qu'il

cette Sagesse ne consiste pas (où xriv uzârj-coiai^j ï/ji) dans


les simples représentations (cpavTxaia-.c;) de Dieu, Père de
toutes choses, à la manière des images intellectuelles
de l'homme. Mais si quelqu'un est capable de se re-
présenter une hypostase incorporelle, vivante et pour
ainsi dire animée, embrassant les idées de tous les
êtres, celui-là saura ce que c'est que la Sagesse de
Dieu antérieure à toute créature (2), selon ces paroles
qu'elle dit d'elle-même : « Le Seigneur me produisit
principe de ses voies, pour ses œuvres. » C'est grâce à
la production de la Sagesse que toute créature peut
exister ; il n'en est aucune, en effet, qui ne participe
de la Sagesse, puisque l'Écriture dit par la bouche du
prophète David : « Dieu a créé toutes choses dans la

Sagesse. »

Si la femme n'eût pas été séduite (3), si Adam n'avait


pas prévariqué, si l'homme n'avait pas perdu l'immor-
talité à laquelle il Sauveur ne serait pas
était destiné, le
descendu dans du tombeau le péché n'exis-
la poussière ;

tant pas, il n'aurait pas eu à mourir pour l'amour de


nous. Par suite, il ne serait pas le Premier-né d'entre
les morts...
Peut-être le nom de Sagesse lui resterait-il seul, ou
encore celui de Verbe, ou même celui de Vie, certaine-
ment celui de Vérité ; mais il n'aurait pas les titres qu'il
reçoit à cause de nous.

1. In Joan., i, 39 (XIV, 89).


2. Eî Ô£ "Z'.c, olô^ li ÈTT'.v àswaaTOv CiTÔSTaj'.v zoixD.wv 6c(opT,;ji2TO)v
itepieyôvTtov toùç tûv cIaiov Xoyo'j; î^iojav xal olovjl Èa-^u/ov èt'.voîïv,
sïtrexai tt,v îjizio T:5aav x-risiv ^LO-fîav toO H;oO xaXw; Zcol aû-rr,;
Xéyouffxv • '0 Bcè; è'xTiCTï [is /.ta.

3. In Joan., \, 22 (XIV, 117).


DIEU LE rkRK, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT 43

Quelques courtes remarques aideront à débrouiller l'éche-


veau de ces spéculai ions subtiles :

1. Pour Origène, le Principe dont parle saint Jean est la

cause exemplaire des choses, autrement dit la Sagesse de


Dieu, En effet, au témoignage de l'Écriture, la Sagesse est
Principe (Prov., viii, 22), et les écrivains sacrés disent indif-
féremment que Dieu créa toutes choses dans le Principe
(Gen I, 1 Èv ào/f,) ou dans la Sagesse (Ps. cm, 24).
, :

2. Le Verbe, lui aussi, est Principe et Sagesse à divers

points de vue. c II est démiurge, comme Principe, en tant


que Sagesse (li. » Car on peut considérer le Verbe sous
différentes formalités (êirîvo'.aO, les unes absolues et tenant
à son essence même, les autres relatives et dérivant de ses
rapports avec les créatures (2). Il n'y a donc rien d'absurde
à dire que le Verbe était dans le Principe ou dans la Sagesse,
quoiqu'il soit lui-même Sagesse et Principe.
3. Ces formalités sont plus ou moins intimes et l'on dis-
tingue entre elles une sorte de gradation. La première de
toutes est la Sagesse et elle précède logiquement, au gré
d'Origène, toutes les autres notions, même celle de, Verbe (3).
Elle appartient essentiellement au Fils et est indépendante
de l'existence des créatures; ce qu'Origène affirme également
pour la notion de Vérité et, avec moins d'assurance, pour la
notion de Verbe et celle de Vie.
4. La Sagesse de Dieu, lorsqu'elle désigne le Fils, n'est
pas l'ensemble des représentations divines, ni l'exem-
plaire divin des êtres créés; elle est quelque chose de
subsistant et voilà pourquoi l'on peut dire sans tautologie
que la Sagesse était dans la Sagesse et le Principe dans le
Principe. Le Verbe d'Origène n'est donc pas le xocaoç vor,T6q

1. In Joan., i, 22 (XIV, oO) : AT,uiouf.YÔî oè ô Xp'.sTà; ôj; i^yr,.


xaôci ao'f (a sjxîv.
2. Sur ces è-tvoia'., voir In Joan., i, il (XIV, 40); i, 40; ii, 6 ;

II, 26 ; x.\, 24, etc.


3. In Joan., ii, 6 (XIV, 133) : Ti >>£-/ct£ov -rspl t?,; Tpo£-'.vrjo-jar/-f,;
. .

44 ORIGÈNE

de Philon et de Platon : c'est un être personnel, une hypos-


tase (1).

Le Vei'be est en Dieu sans distinction de temps.

Dieu, ayant engendré son Fils, n'a pas cessé de l'en-


gendrer après sa naissance, mais il l'engendre toujours. .

Qu'est-ce que le Sauveur"? Le rayonnement de la gloire


du Père. Mais le rayonnement une fois produit ne cesse
pas de se produire. Tant que subsiste la source lumi-
neuse, le rayonnement continue. Ainsi en est-il du Fils
par rapport au Père. Notre Sauveur est la Sagesse de
Dieu or la Sagesse est le rayonnement de la lumière
:

éternelle (2)
Rien (3) ne déclare mieux la dignité du Fils que ces
paroles : « Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui.»
Ainsi lui parle Dieu dont l'aujourd'hui dure toujours.
Car il n'y a pas de soir en Dieu ni, je pense, de matin,
mais une durée qui embrasse, pour ainsi dire, toute sa

1. Comparer au texte traduit ci-dessus la définition du Fils


AanslQ l'eriarchon, I, ii, 2 (sapientia substantialiter suljsistens)
et la condamnation des idées platoniciennes [Periarchon, II,

m, 0), où l'on peut cependant soupçonner la main de Rufin. Une


fois, le langage d'Origène, au sujet du xôa;j.oî votiTÔç. rappelle
celui de Platon, In Joan., xix, 5 (XIV, 558), mais ailleurs le
%6ff|j.o(: voT,x6î est simplement le monde des intelligences, In
Joan., I, 24 (XIV, 68).
2. In Jerem., hom. ix, 4 (XIII, 357): \\.z\ yswâ aù-rôv... "Osov
èaxl t6 'jôjç TîOtT,Ti.y.ôv toO àT:a'jyâj[j.aTo;, èzi ToaoÛTOv yswâTat tô
àT:aûya7ij.a tï,; ôô'£t,ç toû Bîoû. La traduction de saint Jérôme
n'est pas heureuse « Quotiescumque ortum
: fuerit lumen, ex
quo splendor oritur, loties oritur et splendor ejus. » Il faudrait
rendre yôwiv par gignere ou gcnerare et mettre quamdiu tamdiu
au lieu de quotiescumque loties. 11 ne s'agit pas d'une série
d'actes successifs, mais d'un acte immanent qui dure éternel-
lement.
3. In Joan., i, 32 (XIV, 77).
DIEU LE PÈRE, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT 45

vie improduite et éternelle. Voilà raujourd'hui dans


lequel est engendré le Fils : aussi sa génération n'a pas
plus de commencement que le jour môme où elle se

produit.

Le Verbe était Dieu (1).

Saint Jean met ou omet Tarticle défini devant les mots


Dieu Verbe avec une précision admirable et non pas
et
en homme étranger aux finesses de la langue grecque. Il
le met lorsque Dieu désigne le principe inengendré de

toutes choses; il l'omet quand il s'agit du Verbe. Et,


comme dans ces passages « Dieu » et « le Dieu » diffèrent,
peut-être y a-t-il la même différence entre t Logos » et
€ le Logos. » Le Dieu souverain est « le Dieu » et non

simplement « Dieu » ainsi la source commune des rai-


;

sons individuelles est i le Logos » (la Raison par excel-


lence), car les raisons individuelles n'ont qu'un droit
emprunté à cette appellation. C'est de la sorte qu'on peut
résoudre la difficulté dont plusieurs sont émus. Sous
prétexte de piété et par crainte de paraître admettre
deux Dieux, on se jette dans des opinions fausses et
impies ou bien on nie la distinction entre la personne
:

du Fils et celle du Père, et l'on soutient que le Fils n'est


Dieu que de nom ou bien on nie la divinité du Fils pour
;

lui reconnaître une personnalité et un caractère indivi-


duel étrangers au Père (2). Il faut leur répondre que le

1. In Joan., ii, 2 (XIV, 108-109).


2. "Htoi àpvo'jjJLÉvo'j; îo'.ôxT.fa T'.ou sTî'pav Ttapà tt.v toû ITaToôc,
ôfioXoYOÛvraî Osôv elva: t6v \i.éyp'. ôvôaafOî ~zp '
a-jToT; l'îôv
TposaYOpï'JÔiJLEVov •
T| àpvouijLîvo'j; "zr,'/ 6£ÔTr,Ta xo'j T'.O'j, T'.Ôivra; oà
aÔToO TT|V îoiÔTTiTa xaî tt,v ooiîav xaTà TZEoi'faj.'jry Tyyyâvo'js'av
éxÉpav Toû Ila-pô;. Les mots
oô^îa xol-x zîpiypa-fT,v « î'essence
r,

circonscrite par l'individualité • désignent la personnalité ou


46 OHIGÈNE

Dieu par lui-même (aùTôôsoç) est « le Dieu » avec l'ar-


ticle ; c'est Sauveur adresse à son Père
pourquoi le
cette lîrière « Afin qu'ils vous connaissent, vous, le
:

seul vrai Dieu. » Tout ce qui n'est pas le Dieu par


lui-même (aùToGsoç), étant Dieu par communication de
la divinité, n'est pas t le Dieu », mais plus exactement
« Dieu. »

Cette distinction entre Dieu et le Dieu est assurément


malheureuse, et saint Jean Chrysostome la critique à bon
droit. Origèue, qui la tenait de Philou, ne s'y astreint pas
toujours, n dit indifféremment « Dieu-Verbe » ou « /e Dieu-
Verbe » ou a /e Verbe- Dieu » pour désigner la seconde
Personne, à laquelle, comme nous l'avons dit plus haut, il

donne sans cesse des altributs divins.

Le Père a, par rapport au Fils, une priorité d'origine, en


tant que le Fils reçoit de lui sa substance, mais aucune
priorité de temps, pas même ce genre de priorité que la
raison perçoit entre le Créateur et une créature éternelle, en
admettant qu'elle soit possible. En effet, le Père et le Fils
sont deux termes corrélatifs dont l'un ne peut se concevoir
sans l'autre et qui existent en vertu d'une même nécessité
intrinsèque. Par conséquent, la génération du Fils ne res-
semble point à la génération humaine.

l'essence en tant qu'individuelle; îo'.ott,; est ce que quelqu'un a

de propre, ce qui distingue des autres et par conséquent, en


le
définitive, la personnalité. Des tleu.x hérésies combattues par
Origène, l'une nie la personnalité du Fils (iôtô-îT,?) et sa distinc-
tion personnelle du Père (iTÉpav tmt. rr.v toO Ua-rpô;;) tout en
confessant sa divinité et en retenant l'appellation de FiLs (tov
\}.éyi^i ùv(5|xaTo<; ir^p'aôioîç l'iôv) qui ne peut exprimer rien de
réel puisque le Fils doit se confondre avec le Père; l'autre nie
la divinité du Fils (ôeôxï,?), en admettant sa personnalité qui,
dès lors, doit être étrangère au Père (sTipxv toû Ha-cpà;). Notez
la fermeté et les nuances délicates de ce langage théolo-
gique.
DIBU LE PÈRE, LE FILS ET LK SAI.NT-BSPRIT 47

Manière dont le Fi/s procède (1).

Il faut plutôt concevoir que le Père engendre le Fils,

image invisible d'une nature invisible, comme la volonté

procède de rintelligence sans la diviser et sans se séparer


d'elle. Car le Fils est le Verbe et il n'y a donc rien en
lui de sensible ; il est la Sagesse, mais la Sagesse n'a rien

de corporel ; il est la Lumière éclairant tout liomme qui


vient en ce monde, mais sans rien de commun avec la
lumière du soleil. Notre Sauveur est l'image invisible de
Dieu le Père: vérité par rapport à Dieu, image par rap-
port à nous, il nous révèle le Père que nul ne connaît si

ce n'est le Fils et ceux à qui le Fils veut bien le révéler.

Il résulte de là que le Verbe de Dieu ne ressemble pas à


notre verbe, au produit de notre intelligence. « Aucun verbe
créé n'est vivant, aucun n'est Dieu (2). » Origène n'ignore
pas la distinction philosophique entre le verbe intérieur
(Èvô'.iOETo-) et le verbe extérieur (-oocpopixôq), mais il
évite de l'appUcpier au Verbe divin parce qu'elle ne pourrait
qu'engendrer une équivoque, notre parole intérieure n'étant

1. Periarchon, I, ii, (XI, l3o). traduction de Rufin. Pour la


comparaison, cf. ibid., iv, 28 (Vfrljum et sapientiam gcnitam
dicimus absque ulla corporali passione, velut si voluntas pro-
cédât a mente); fragment cité par S. Pamphile {P. G., XIV, 183:
Natura et non adoptione Filiusest; natus autem ex ipsa Patris
mente, sicut voluntas ex mente) fragment cité par Justinien,
;

Episl. ad Menam (P. (7.,LXXXVI, 481): '0 'j'.ô; sa 62'>>T,[X3t-o; loO


naTpô; y£vrr,6s(;. Mais ce dernier texte est suspect. Cette ma-
nière dont le Fils procéderait, d'après Origène, est plutôt celle
que nous concevons pour le Saint-Éspi-it. Origène est-il influencé
ici par son maître Clément qui appelle le Fils àya6o'j -xtoô;
àYa66v6îÀT,>xa; ou bien par cet hébraïsme de S. Paul: 6 uiô; tt,;;
àyiTT.î aôxoû (Col., i. 13) ?
2. In Jerem., hom. vni, 1 (XIII, 500): Oùoevôî yio ô Xoyoî i;ôJv,

oûSevô; 6 Xôvo; 8ïdî.


48 ORIGÈNE

pas subsistante et notre parole extérieure ne restant point


en nous. Or le Logos doit être subsistant et personnel, et
cependant demeurer en Dieu ; sans cela il ne serait pas Fils
de Dieu par nature.

Personnalité substantielle du Logos (1).

Si le Père est père d'un être personnel et substantiel,


et s'il est appelé ici Père de la Gloire (o narr,p zr^z, 8(>;r,ç),

il est évident que la Gloire doit être quelque chose de


personnel et de substantiel. Ne serait-ce pas notre Sau-
veur qui est la Gloire, comme il est le Verbe, la Sagesse,
la Vérité, la Justice? Si donc il que la Gloire de
est écrit
Dieu est apparue, il ne faut pas entendre autre chose
sinon que le Fils de Dieu est apparu.

On Logos d'Origcne emprunte certains traits


le voit, si le

à la philosophie profane, il est calqué sur celui de Jean. Il

en diffère en ce qu'il est plutôt la raison que la parole, l'in-


telligence que l'acte de l'entendement mais c'est une raison, ;

une intelligence personnelle et cela ne permet pas de l'assi-


miler au Logos de Philon ou de Platon. L'influence de
Platon est sensible dans des expressions comme « essence
des essences et idée des idées » (2), mais elles sont aussitôt
corrigées par des épithètes tirées de saint Jean ou de saint
Paul « Monogène, principe, premier-né de toute créature. »
:

On reconnaît Philon dans la comparaison du Verbe au plan


de l'artiste, à la manne blanche et légère comme les grains
de coriandre, ainsi que dans la théorie du Logos à la fois

1.Comment, de Eph., i, 17, dans Journal of Theolog. Studies,


m (1902), p. 308: '0 naTT,p ûzoxsiuivoi) xal o'jïuôoo'jç èttI TaT-r^,p,
On pourrait lire o r.oiTf^p: le père en général est par définition
père d'un individu, d'un être substantiel. Il s'ensuit que le Fils
est nécessairement une personne.
2. Contra Gels., vi, 64 (XI, 139G) Oôsb oiaiôJv xal îoea iôstov.
:
DIEU LE PÈRE, LE FILS ET LF SAINT-ESPRIT 49

image et cxcmplairo. iniapo do Dieu et archélypo do rhommc,


lequel (levienl de la sorte l'image d'une image. Ou décou-
vrirait aussi sans doute des analogies avec le Logos des
stoioiens, par exemple la locution X(5yoi <jit£paaTixoî (1).

Mais, en général, Origène suit pas à pas l'auteur du quatrième


éviingile et il n'aurait pas trouvé hors des sphères chré-
tiennes une formule comme celle-ci: « Le Fils de Dieu est
la Sagesse de Dieu substantiellement subsistante (2i. » Il

s'en rapproche surtout par une parfaitecommunication


d'idiomes entre les deux natures du Christ, communication
qui présupi)Ose évidemment l'identité de la personne. C'est
ainsi (|u'il parle non seulement du Logos devenu l'homme
Jésus, mais de la chair du Logos, de la résurrection du
Logos. Il est difficile d'exiger, pour la relation entre les
deux natures, une formule plus rigoureusement exacte que
la suivante: « Si le Verbe-Dieu immortel, en prenant un
corps mortel et une âme humaine, paraît à Celse changé
et transformé, qu'il sache que le Verbe, demeurant Verbe
essentiellement, ne souffre rien de ce que souffre le corps
ou l'âme (3). »

1. Cf.Siegfried, Philo von Alexandria, etc., léna, 1875, p. 351


seq. : A. Aall, Geschichte cler Lof/oxider, Leipzig, 1809, p. 427 seq.
Mais ces ouvrages sont trop systr'matiquos. On peut d'ailleurs
doulor que leurs auteurs aient d'Origène une connaissance de
preiuicre main. Redepenning (Origenes, t. II, p. 299j est d'une
critique plus sûre.
2. J^eriarchou,l,u, 2 (XI, loOj: « Unigenitum Filium Dei sa-
pientiani ejus esse substaiitialiter subsistontem. »
3. Contra Cels., iv, 15 (XI, lOiS) El 3è xal !7(ï>;jLa Ow.Tàv -/al
:

•^•jyr.v ivOpwz£'/ir,v dvaXaêwv ô àftivaTo; Bîàî Aôyo; ôoxsï tw Kéajw

àAAJTTcO'Oa'. -/.ai. \xzix~Ski.-ziZ7!bx'. aav6av£T0), OTi o Aôyoç t7, oùsta


[i£vu)7 Aôyoç, oCioâv iaèv tAt/v. oJv tAt/zi xà ctôjia t, ^'j/tj. La


•?,

distinction des natures ne peut pas ôtre plus clairement ex-


primée. Le Dieti-Verbe éternel restant ce qu'il était, et sans
aucun changement de sa part, prend un corps mortel et une
âme humaine capables de souH'rir. La communication des
idiomes qui s'établit entre les deux natures montre que l'union
n'est pas accidentelle, mais a pour résultat la constitution d'une
personne unique.

8
50

ni

La Hiérarchie des Personnes

On a souvent accusé Origène de nier ou de compromettre


par ses théories l'égalité des Personnes divines, et nous ne
disconvenons pas qu'U n'y ait, d£ins ses œuvres, parmi
beaucoup de passages d'une doctrine correcte, quelques
textes difficiles qui veulent être interprétés avec indulgence.
Nous croyons cependant que la plupart des griefs portent à
faux ou reposent sur un malentendu.
Il aurait dit que le Fil? ne A'oit pas le Père, ni le Saint-

Esprit le Fils(l). Il le dit en effet, mais il l'entend, comme le

contexte semlde clairement le montrer, d'une vision corpo-


relle (2). S'agirait-il d'une vision intellectuelle, il sait et il

répète souvent que le Fils et le Saint-Esiu-it connaissent le


Père et sont même les seuls à le connaître (3).

ne résiste pas à la tentation de trouver le mystère de la


Il

Trinité dans les deux séraphins d'Isaïe qui entouraient


JéhoA'ah en criant : « Saint, saint, saint est le Seigneur ! »

L'application allégorique peut être arbitraire, mais elle n'a

1. S. Épiphane, Haercs., Lxn', 4 (P. G., XLI, 1076: "Ot-. ô Y'M ô


lAovoysvf,; ôpàv tôv Ila-ripa oi ovvotTa'.) ; Ancorat., 63 j Ad Joan.
Hieros. epist., 2 ; S. Jérôme, Ad Avilum, epist. cxxiv, 2 (P. L.,
XXII, 1060; Doum Patrcm per naturam invisibilem, etiam a
Filio non \\c\i^vï); Ad Pammach., epist. lxiii, 3 (ancionnos édit. ;
ne se trouve jias dans Migne).
2. Periarchon, I, i,8; II, iv, 3; Rufin. Apol.. i, 17-19.
3. Le Fils n'ignore rien de ce que sait le Père, parce qu'il est
la Sagesse, la Vérité par essence [In Joan.. i. 27), parce qu'il
est témoin oculaire de ce qui se passe dans le Père {In Juan.,
XX, 7 ACrô-TT,; twv h -zm Ilaxpî). Pai'eillement l'Esprit du Père
:

et du Fils ne peut rien ignorer de ce qui est dans le Père ou


dans le Fils {Periarchon, I, m, 4).
DIEU LE PÈRE, LE KILS ET LE SAINT-ESPRIT iil

rien d'hétérodoxe (1). Partout où figure le nombre Irois, les


écrivains ecelésiasti([ues des premiers siècles aimaient à
voir un symbole de la Trinité.

Deux accusations, recueillies par saint Epiphane, sont si

extraordinaires, si opiRisées à la doctrine constante d'Origène,


si contradictoires en elles-mêmes, que nous ne savons où
l'illustre évè([ae de Salamine a pu les puiser ; et, comme elles
arrivent dénuées de preuves, il n'est pas plus possible de
les réfuter que de les soutenir: Le Fils serait de la substance
du Père et pourtant créé. Il serait Fils par grâce et non par
nature (2). >'on moins surprenante est une proposition que
saint Jérôme lui attribue, ou, plutôt, qu'il déduit de ses
paroles :c Le Fils, image du Père
comparé au invisible,
Père n'est pas la vérité; par rapport à nous, qui sommes
incapables de recevoir la vérité du Père, il est comme
l'image de la vérité. » Mais l'erreur ainsi formulée paraissant
encore trop inoffeusive aux ennemis d'Origène, ils lui
donnèrent ce tour paradoxal Par rapport à nous, le Fils
:

de Dieu est vérité par rapport au Père, il est mensonge.


;

Et c'est sous cette forme, dont l'extravagance se réfute elle-


même, qu'elle est enregistrée par saint Augustin.
Le problème se pose ainsi : Saint Pamphile, qui avait fait

1. In Is., Iiom. I, 2; Periarchon, I, m, 3; iv, 27 (texte grec

dans Juslinien, Epist. ad Menam). On sait combien cette inter-


prétation di'plaisait à S. Jérôme; il la trouvait non seulement
absurde, mais impie et blasphématoire (Cf. Ad Pammach. et
Océan., epist. lxxxiv, 3; Comment, in Isaiam, etc.) Elle le serait
en effet si elle était littérale; mais tous les Pères ont des appli-
cations allégoriques de ce genre.
2. Hœres., lxiv, 4 (XLI, 1076:: 'Ex rr,; oÙTia; toO ITxTpàî to-jtov

£l5T,Y^^"^'i xT'.TTÙv ôè à';jLa. Bo'jXîTat wç xa^à yio'.^^ t6v Vîôv aÔTÔv


xx'Kz'^fix: lé'ff.'i. Le premier grief nous semble totalement incom-
préhensible. Qu'est-ce qu'un être créé de la substance même
de Dieu ? Aucun texte d'Origène ne motive une aussi extraor-
dinaire assertion, à moins de prendre xtittô; au sens de « pro-
cédant », mais alors il ne faut plus parler de création. L'autre
grief est démenti par une foule de textes formels. Qu'il nous
suffise de citer : Mov&u toj Movoysvoûî cpÛTct TîoO Toy/ ivovtoî
(/« Joan., n, 6, voir ci-après).
52 OUIGÈNE

des écrits d'Origène une longue et minutieuse étude, le

déclare parfaitement orthodoxe sur le sujet de la Trinité.


Saint Athanase confirme ce jugement et cite deux passages
qui semblent ne laisser aucun doute. Quand les ariens cher-
chèrent à exploiter le nom du grand Alexandrin, saint Basile
et saint Grégoire de Kazianze leur montrèrent qu'ils le
comprenaient mal. Telle était aussi la pensée de Didyme qui
interprétait en bonne part les phrases ambiguës du Periar-
chon. Or l'orthodoxie de Didyme, dont saint Jérôme avait
traduit en latin le traité du Saint-Esprit, n'a jamais été sus-
pecte sur le dogme de la Trinité. Enfin un apologiste ano-
nyme fait remarquer aA^ec sagacité que les phrases incri-
minées d'Origène visent les hérésies de son temps, et qu'il
faut, pour bien les entendre, se mettre au point de vue du
controversiste. Qui a raison, des défenseurs ou des adver-
saires? C'est ce qu'une étude d'ensemble, sans préjugé ni
parti pris, peut seule décider.
Nul n'aurait sans doute, à cet égard, la moindre hésitation
sans les textes qui paraissent établir entre les Personnes
divines une certaine subordination. Toute la question est de
savoir s'il s'agit d'une subordination des substances ou d'une
simple hiérarchie des Personnes, telle que l'admettent les
Pères les plus circonspects dans leur doctrine et leur lan-
gage. Nous allons mettre sous les yeux du lecteur un pas-
sage trèsdifficile à tous les points de vue. Origène vient de

dire que la particule Sii n'exprime pas la cause principale.

Subordination du Fils au Père,


du Saint-Esprit an Fils (1).

Si tout a été produit par le moyen du A'^erbe (8i.â), ce

n'est pas par le Verbe (utt^), mais par quelqu'un de plus

1. In Joiin., Il, G (XIV. 125-129). Pour rendre le texte de


Migne intelligible, il faut faire les corrections .suivantes : col.

128, 1. 2, xai Tôv àyÉvvT,Tov aù-ciîiv slvai, lire aù-uô (Prouschen);


J)1EU LE l'iiHE, Lli FILS Eï LE SAIiNT-ESI'lUT 53

grand ot de meilloiir que lui, c'cst-à-diro, sans aucun


doute, par le Père. Toul ayant été produit de la sorte,
voyons si TEsprit-Saint lui-même a été produit par le
moyen du Verbe (Six). Quiconque admet que le Saint-
Esprit est i)roduit (Y£vr,-:fjv), en présence de ces mots :

€ Tout a été produit par le Verbe (^-.â) », devra nécessai-


rement conclure que le Saint-Esprit a été, lui aussi,
produit par (ô-.â) le Verbe, lequel est donc antérieur.
Si l'on nie, au contraire, que le Saint-Esprit ait été pro-
duit par (3'.2) le Verbe, il faudra l'appeler improduit
(àyÉvvYiTov) pour sauvegarder la vérité de l'Évangile.
Outre ces deux opinions, dont l'une affirme que le Saint-
Esprit a été produit par le Verbe et l'autre qu'il est im-
produit, une troisième pourra soutenir que le Saint-
Esprit n'a pas d'essence propre [c'est - à - dire de
personnalité : oùGîa lôîa] autre que celle du Père et du
Fils, ajoutant peut-être, à condition de distinguer le
Fils du Père, que le Saint-Esprit est la même chose que
le Père; car, de l'aveu de tous, ces paroles de saint Jean
distinguent le Saint-Esprit du Fils : « Si quelqu'un parle
contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné; mais
s'il blasphème contre le Saint-Esprit, il ne recevra de

pardon ni dans ce monde, ni dans l'autre. »


Pour nous qui confessons trois hypostases, le Père,
le Fils et le Saint-Esprit, et qui croyons que rien n'est

improduit (àY£vvr,T07) en dehors du Père, nous disons,


conformément à la piété et à la vérité, que, tout ayant

1. 8, TÔ x-j-ô aÙTw TuvyivEiv, xù-:6 (Wendland), au lieu de


lii'e

aÔTw; col. 129, 1. 1, xai -nâvTwv twv ù-o toO IlaTpô;, Prous-
-zilt:
chen conjocture qu'il faut ajouter -rpôiTov avant -iviojv; 1. 2,
TO'j UT, xaî aÔTO'j'.ôv yor^'iT.-zi'^z'.'j. lire xù-à -j'iôv (et non pas tov 'j'.ov

comme Migne dans les exemplaires plus récents); col. 128, 1. 4,


xal TÔv ulôv. 'AA>.à Ta/a, lire tôv 'j'.ov •
ôl'/'Kx Ta/a. Tenir compte
des autres corrections indiquées ci-dessous.
54 OBIGÈ.NE

été produit parle Verbe (Six), le Saint-Esprit est le plus


digne et le premier en rang de tous les êtres produits
par le Père ('jtcô) par le moyen du Christ (âiâ) (1). Et
peut-être est-ce la raison pour laquelle il ne s'appelle pas
Fils de Dieu, le Monogène étant originairement seul Fils
par nature et le Saint-Esprit en ayant besoin, ce semble,
comme de celui qui lui communique Thypostase, et non
seulement l'être, mais la sagesse, Tintelligence, la jus-

tice, enfin tous les attributs qu'il doit posséder pour


participer à la nature du Christ (2). A mon sens, le
Saint-Esprit départit, pour ainsi dire, la matière des
grâces divines à ceux qu'on nomme saints parce qu'ils
participent de ses perfections. Cette masse (jÀv,) des
grâces qui dérive du Père (à-Kà) est administrée par le

Christ (jrô) et tient de la nature (xx-râ) du Saint-


Esprit.

On ne cherchera pas, évidemment, dans cette page sur-


prenante, une preuve de la consubstantialité des Personnes

1. 'Husï; uÉvuoi Y» toîT; ùrMs-ziav.^ Tïstôôasvoi T-jvyiv^'.v. xôv


IlaTÉpa, xaL tôv Tlàv, xal tô àyiov nvEy[jia, xal àY£v.^,TOv [XT.ûâv
ËTîpov Toij naTpô? slvai -kIJte'jovte;, oj; eûffc6£3"îcfiCiv v.7.': àAT,6£;
Tp05'.ÉiJL£6a t6 TivTwv oià to-j Aoyo'j y£vo|j.Iviov t6 â'yiov nv£'j[ia
TrivTwv Eivat TiiitojTEpov, Y.(xl "zi^z: (toiotov) zâvTwv Tôiv ù~à toG
riaTpôî Sià Xp'.TTou Y£ysvT,[X£vwv. On s'attendrait certainement à
la leçon àyÉvT.xov, ici comme plus haut. En effet, ce mot est
plusieurs fois opposé à ycw,tôv et Origène argumente d'après le
principe connu "Ev ib àyiw.Tov ô ll2T-r',p. Cependant les manus-
:

crits lisent àyÉvvTiTûv et cette leçon est acceptée de tous les édi-
teurs. Si elle est vraiment d'Origène, il faut dire que toute
distinction entre ày£VT,TOi; et à-'iv/-f,TOî était effacée dans l'usage.
— Le nom de Christ ne doit pas surprendre les Pères, à la suite ;

de saint Paul, appellent souvent ainsi le Verbe avant l'incar-


nation.
2. Ka'. xâ/a a^TT, îstlv t, aÎTÎa toO ;rf, xai aÛTÔ 'j'ôv ypT.jAaTÎÇsiv
ToO Oeo'j, [xovo'j Toij MovoYEVO'j; •^•j'st: Vloû àp/f/jEv T-jvy ivovTOç. oC
yp-/|!^E'.v ÊO'.XE t6 i'Y'.ov IIv£Û|j.a S'.axovoûvTOî aÛToO tt, OroiTTâijEi, où

[xôvov £'.; x6 eIvï'., àXAà y.al ao'f ôv slva'., xtX.


DIEU LE PKRE, LE FILS ET LE SAI.NT-ESPRIT 53

divines; mais on se demande si elle est en opposition irré-


ductible avec les nombreux passages où l'égalité du Père,
du Fils et du Saint-Esprit est clairement enseignée.
Avant d'exposer sa propre pensée, Origène indique trois
opinions fausses ou incomplètes. Les uns veulent que le
Saint-Esprit soit produit ('vrr^-'y/) ; il leur faut nécessaire-
ment admettre qu'il est produit par (^'-i) le Verbe, car,
selon saint Jean, tout ce qui est produit est produit par le
Verbe. Ceux qui nient cette conséquence doivent admettre
qu'il est improduit .1). D'autres enfin, d'accord avec les pré-
cédents, disent qu'il est improduit, mais refusent de lui
reconnaître la personnedité {oùaLx lôîa). Alors, de deux
choses l'une ou ils soutiennent l'identité des trois Per-
:

sonnes ou bien, s'ils distinguent le Fils du Père, ils identi-


;

fient le Saint-Esprit avec ce dernier, car le langage de


l'Ecriture ne permet guère de confondre le Fils avec le
Saint-Esprit.
Origène, lui, souscrit au principe que rien n'est impro-

duit (2) en dehors du Père et sachant que le Père, le Fils et


;

le Saint-Esprit sont trois hypostases distinctes, il croit


devoir en conclure, pour justifier le texte de saint Jean, que
le Saint-Esprit est produit par le Père (J'ô) par l'iutermédiEiire
du Fils (5'-i). Mais il ne l'est pas à la manière des créatures,
bien qu'on puisse comprendre, par analogie, la production du
Saint-Esprit et la production des créatures sous le même
concept et le même nom. Procédant du Père et du FUs,
comme le Fils procède du Père, pourquoi ne peut-il pas
s'appeler Fils ? Parce que le Fils, Monogéne par nature,

exclut toute autre filiation naturelle en Dieu. Eu outre, le


Saint-Esprit ayant besoin du
pour recevoir la nature Fils
divine, ou, comme parle Origène avec un grand nombre
d'anciens, étant du Père (j"^) par le Fils (^-^c), s'il était Fils

1. On attendrait i-'£VT,Tov, mais les manuscrits portent

2. Ici encore on attendrait àys'/T.xov, au lieu de â-;i-//-r,Tûv, leçon


des manuscrits.
56 ORIGÈNE

lui-même il aurait le Fils pour Père, ce qui est tout à fait


inouï dans la tradition ecclésiastique. Le hardi théologien
pourrait ajouter ici quelques distinctions qu'il n'ignore pas
puisqu'il s'en sert ailleurs. Comme principe, origine et
source de la divinité, le Père seul est improduil selon l'antique
adage "Ev tô àyév-rjTov 6 tlaTY^p. En ce sens, le Fils est un
:

Dieu produit (yevYjTdç) et le Saint-Esprit aussi. Mais le

Saint-Esprit, comme le Fils, est improduit (àyévYiToç) si, au


lieu de regarder les processions divines, nous considérons
les choses sujettes au devenir, ce qu'exprime plus propre-
ment le verbe grec yLyvsffGoci.

Le engendré (y£vvYiT(jç), tandis que le Père et


Fils seul est
le Saint-Esprit ont cela de commun qu'ils sont ày£vvr,Toi,

mais pour des raisons diverses le Père parce qu'étant le :

premier principe il ne saurait avoir de principe générateur ;

le Saint-Esprit, parce qu'il ne procède point par voie de géné-

ration.
Pour apprécier équitablement ou seulement pour com-
prendre la théologie trinitaire des trois premiers siècles, il
faut se souvenir qu'avant le Concile de Nicée et même long-
temps après on entendait généralement de la nature divine
du Christ les trois textes suivants « Le Seigneur me pro- :

duisit, principe de ses voies, pour ses œuvres (1). La loi —


fut établie par les anges, par la main du Médiateur (2). Le —
Père est plus grand que moi (3). » Ces textes et quelques
autres semblables favorisaient une conception hiérarchique
de la Trinité qui nous étonne et nous scandalise presque
aujourd'hui, mais que les anciens docteurs de l'Église trou-
vaient très utile au point de \uq apolpgétique, pour fermer
la bouche aux Juifs et aux païens et même au point de vue ;

1. Prov., VIII, 22: '0 K'Jpto; è'xxiffé jxe. Le verbe hébreu signi-

fie «produire » et par extension <• posséder ». C'est pourquoi la


Vulgate traduit : Possedit me, et les autres vei'sions grecques :

'ExT-fiSaTÔ \}.s.

2. Gai., m, 19 : 'Ev ysipl [j.£<j(to'j.

3. Joan., xiv, 28 : Melî^wv pLoû èjxiv.


DIEU LE PÈRB, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT 57

dogmaliquc, i)our concilier la pluralité des Personnes avec


l'unité (le l'être divin. On pourrait être tenté de croire que
les spéculations au sujet de la Trinité influèrent d'abord sur
l'exégèse de ces passages dont elles auraient à leur tour
subi l'influence ; remarquer que l'exégèse pri-
mais il faut
mitive survécut aux spéculations, même à l'époque où les
ariens abusaient de ces textes pour établir l'inégalité des
Personnes, entendant produire au sens de créer, Médiateur
au sens de substance intermédiaire, et expliquant la priorité
du Père d'une supériorité de nature : tant elle avait de fortes
racines dans la pensée chrétienne.
On ne saurait faire un crime à Origène de suivre l'exégèse
commune et d'appliquer au Verbe, Sagesse incréée, le Ivjpioç
èV.T'.'îÉ [xt des Proverbes. Le mot grec xtîu'.v, en effet, ne
répond pas à notre mot « créer » il est beaucoup plus indé-
;

terminé et peut se dire d'une production quelconque la ;

création du monde, au verset premier de la Genèse, est


exprimée dans les Septante par le verbe ttoieiv et non point
par x-î(^£i.v. pour désigner la pro-
Si Origène emploie xtiueiv
gression du Fils, sur l'autorité présumée de l'Écriture, il n'ose
en faire autant pour la procession du Saint-Esprit, parce
qu'à cet égard l'Écriture est muette (1). On n'a pas prouvé
qu'il ait jamais appelé le Fils ou le Saint-Esprit xTi^s^aa,
ou qu'il les ait qualifiés de xti-î-ôç, -tto'.Ti-ôç,
iro(r|ijLa,

termes en usage dans l'école d'Alexandrie avant et après lui.


Saint Épiphane lui reproche bien d'avoir dit que le Fils est
produit (xT'.cT'jç) de la substance même de Dieu, mais il ne
cite à l'appui qu'un texte oii le Verbe est appelé Heoç
YevTf)T(5ç, locution orthodoxe, comme saint Épiphane en con-
vient lui-même (2). Les formules incriminées se trouve-

\. Periarchon,I, m, 3 (XI, 148) « Usque ad prœsens nullum


:

sermonem in scriptis sanctis invenire potuimus per qucni Spi-


ritus sanctus factura vel creatura diceretur, ne eo quidem modo
quo de Sapientia referre Salomonem (Prov., viu, 22) supra edo-
cuimus. »

2. Haeres., l.xiv. 5-8 (XLI, 1080-1084). La plus grande confusion


règne dans ce passage, comme du reste dans tout le chapitre.
58 ORIGÈNE

raient-elles dans Origène, il serait juste de le faire bénéficier

des circonstances atténuantes, ou même de lordounance de


non-lieu prononcée par saint Athanase en faveur de ses
coaccusés dont la culpabilité matérielle est établie.

La question du Médiateur beaucoup plus simple. En


est
bonne exégèse, le l'épitre aux Galates,
Médiateur qui, selon
apporta la Loi aux Hébreux désigne Moïse et non le Fils de
Dieu; mais beaucoup de commentateurs y ont vu le Verbe
s'essayant par avance à l'incarnation, sans doute parce
qu'ailleurs ce titre de Médiateur est décerné au Christ. Dans
la vie intime de la Trinité, le Fils occupe, en quelque sorte,
une position mitoyenne. Il procède du Père et le Saint-Esprit
I)rocède do, lui ; conséquemment il envoie le Saint-Esprit
comme il est lui même envoyé par le Père. Or, les anciens
aimaient à se représenter l'action extérieure de Dieu à l'ins-

tar de son activité intérieure : car Dieu agit conformément


à son être et garde donc dans ses relations au dehors l'ordre
de ses rapports personnels. Tout dérive du Père par le Fils
dans le Saint-Esprit et tout va au Père par le Fils dans le
Saint-Esprit. La dernière formule est de saint Paul; la pre-
mière, de saint Athanase. Cette manière de parler et de conce-
voir ne serait dangereuse et fausse que si elle devenait exclu-

D'après le texte de Migne, S. Épipliane, citant Origène, lui


attribue deux fois l'expression y£vvT,TO'j 6coû (col. 1081, 1. 43 et
oo) qui est parfaitement orthodo.xe, et il argumente ensuite
contre lui comme s'il avait dit y£>/r|ToO Hsoû, locution qui, en
soi, est également correcte (Ibid., col. 1084, 1. 1). —
Justinicn,
Epist. ad Mcnam, Append. (LXXXV, 982), cite le texte suivant
dont le sujet est le Christ llpwTÔxoy-oî ~i^i mxhu'K, xTÎsaa,
:

oo'-s'.x- aûrr, yip-f, 50'.p;a 'ir^si'/- '0 Bîô; sxTtTi \j.b ipy^y ooojv aÙToO,

Quiconque lira attentivement ce passage constatera sans peine


([uc les mots %-zi7\xx aocpta proviennent d'une note marginale
passée dans le texte. Ils coupent le sens si mal à propos et
donnent à la phrase une tournure si gauche qu'ils se dénoncent
assez comme une interpolation maladroite. Si S. Épiphane
avait trouvé xi:tT|j.a appliqué au Verbe, se serait-il rejeté sur
l'expression inolïensive ft;6; y£VT|TÔ;? Notez qu'Origène appelle
expressément le Fils iyévTiTo; dès qu'il l'oppose aux créatures
{Contra Cels., vi, 17).
Dite LE PÈRE, I.i: l'ILS ET LE SAl.NT-ESPIUT oi)

sive. L'Kcrilure inlerverlil parfois les particules d'appropria-


tion, pour montrer ([u'elles n'ont rien d'invariable el n'entraî-

nent aucune inéixalilé : elle remplace aussi la subordination


apparente des Personnes par leur coordination, comme dans
la forme du baptême et dans certaines doxologies.
A cet égard, nous ne remarquons chez Origène rien de
spécial. S'il dit que le Père, défendu par sa majesté contre
l'apiiroche et les regards des mortels, est invisible, c'est que
le Fils, son Verbe, son Image et Rayonnement de sa
le

gloire, est chargé de le révéler aux hommes mais, à un ;

autre point de vue, le Fils, lui aussi, est invisible, comme


Image parfaite du Père invisible (1). S'il attribue au Fils
préludant à l'incarnation, toutes ou presque toutes les théo-
phanies (2), il parle comme la plupart des écrivains ecclésias-
tiques des quatre premiers siècles. S'il appelle le Fils média-
teur et ministre de la création, s'il affirme qu'il exécutait
alors la volonté de son Père (3),
il n'outrepasse pas le lan-

gage de saint Justin, de saint Irénée, de Théophile d'An-


tioche, ni même d'un saint Hilaire, d'un saint Prosper et
d'un saint Athanase ; et il a soin d'avertir que la volonté et
l'action du Père et du Fils sont identiques (4).
Un seul point a besoin d'éclaircissement. Origène aurait dit

1. Periarchon, II, vi, 3 (XI, 211). S. Athanase, De décret. Xic,


27, cite également ces paroles d'Origéne: Eî è'ttiv sixôjv toû ejoû
xo'j àopiTO'j. àôoaTO^ sîxojv.
traduction de S. Jérôme est fidèle, In Luc, honi. ni
^. Si la
(XIII, I8(t8), Origène admettrait des exceptions et formulerait
la thèse bien connue de S. Augustin que le Père et le Saint-
Esprit ont pu apparaître aussi bien que le Fils, quoique le Père
ne puisse pas être envoyé et que la mhsion extérieure du Saint-
Esprit soit propre au Nouveau Testament.
3. Periarchon, Prsefaf. 4 (XI, 117); InColoss., fragment cité
par S. Parapluie, Apol.,\{X\U, o89); In Joan., i, 22 (XIV. 57);
XX, 7 (XIV, 388); Coutra Cels., vi, 60 (XI, 1380).
4. Un manuscrit du mont Athos (E. von der Goltz, Eine
textkrit. Arbeif, etc., dans Texte und l'nlersuch., Leipzig, 1899)
contenant le Nouveau Testament d'Origène, note en marge, à
propos de II Thess. , n, 16, qu'Origène s^tvo'jijlevoî toOto tô
fT,TÔv sa-^wi; uiav t?,; Tp'.ioo; Xiyci Èvjpyî'.av.

k
60 ORIGÈNE

« qu'il ne faut pas prier le Fils, ni le Père avec le Fils fl) »,


L'inculpation, que nous reproduisons d'après Théopliile
d'Alexandrie mis en latin par saint Jérôme, est d'autant
plus étrange qu'en cent endroits Origène adresse des prières
au Christ ou recommande de le prier (2). Il est vrai que
d'ordinaire, il nous fait invoquer le Père par le Fils, selon
la forme liturgique alors en usage. Le troisième Concile de
Carlhage défendait expressément d'intervertir l'ordre et
prescrivait de ne s'adresser qu'au Père dans la célébration
des rites sacrés. C'était pour prévenir un scandale et une
erreur : l'erreur des païens qui auraient pu s'imaginer que
les chrétiens adoraient Irois^ Dieux, le scandale des fidèles
qui auraient pu croire qu'on divisait l'indivisible Trinité.
Origène s'inspire de la même idée. « Nous n'adorons pas
deux Dieux, dit-il à Celse, nous adorons un seul Dieu, le
Père et nous adorons le Père de la Vérité et le Fils
le Fils ;

Vérité, deux en hypostase, un par l'accord, l'harmonie et


l'identité de la volonté (3). » Dans un célèbre passage du
De Oratioue (4), il s'efforce d'expliquer pourquoi l'une des
quatre espèces de prières, la izooafjyj] — il entend par là la

1. « Non orandiun Filium, neque ciini Filio Patrem


esse
(Epist. xcvi, 14; P. L.,XXII, 784). Cette double énonciation est
un non-sens; aussi S. Augustin -(.4 rf Qiiodvulldeum, hœres., .xliii)
ne retient-il que le second membre.
2. Par exemple, In Ezecli., hom. xii, 5 (XIII, 757 Attcntius :

Jesum Ch. D. N. cum Pâtre suc precemur); In Luc, hom. xv


(XllI, 1839 : Oremus omnipotentem Deum, oremus et ipsum
parvuiura Jesum); Conlra Cels., v, M
(XI, 1197 :
'0 xotoû-oî
zùyé^bu) TcT) Aôyw "tou OsoG, ô'jvaijiEvw xiiibv tiaaaOai).

3. De Oral., 18-16 (XI, 464-468). Les autres textes qu'on objecte


(Conlra Cels., v, 4; vni, 13 et 26) ont trait également à la
Ttpoffsû/T, et la raison de l'offrir au Père par le Fils, c'est que le
Fils est notre pontife, notre intercesseur et notre propitiateur,
Origène parle donc du Verbe incarné, de Jésus-Christ. Parle-
rait-ildu Verbe avant l'incarnation, dans son rôle de Médiateur
éternel, ses expressions seraient encore susceptibles d'un sens
orthodoxe et auraient pour excuse l'usage dos autres docteurs.
L'adoration remonte en définitive au Père, source, oi'igine et
principe de toute la divinité.
DIEU LK PÈRE, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT 61

prière soleimelle, appareinineul la prière liturgique — doit


s'adresser au Père par le Fils et uon pas au Père et au Fils.
Il eu donne ([ualrc raisons 1. Le Christ nous a enseigné à
:

prier ainsi. 2. Il est notre Médiaieiir, notre Pontife. 3. Si

nous invo(iuous le Père et le Fils, il faudra mettre le verbe


d'iatcrcession au pluriel et dire par exemple Prœstate, :

quxsumus, ce qui est contraire à l'usage traditionnel. 4. Enfin


si chacun prie à sa manière, l'un invoquant le Père, l'autre le

Fils, un troisième le Fils elle l'ère, il y aura schisme et con-


fusion. Tout cela peut être subtil, mais n'a rien d'hétérodoxe :

sans compter que les subtilités ne vont qu'à justifier l'usage


commun de l'Église.
Nous avons dit que la plupart des anciens docteurs enten-
dent de la nature divine du Christ ces paroles Le Père est : «

plus grand que moi. » En plein Jean Da-


viii'' siècle, saint
miiscènc partage encore cette exégèse. Un synode réuni à
Conslantinople, trois siècles plus tard, décida que le texte de
saint Jean ponçait aussi s'entendre de l'humanité du Sauveur
— ceux qui le niaient étaient suspects dèlre monophysites et
de rejeter la nature humaine du Christ mais les évèques —
rassemblés ne contestaient pas que, sur la foi des anciens
Pères, on ne put et ne dût l'entendre également de la nature
divine. On disait couramment dans l'Église grecque que le
Père a sur les deux autres Personnes une prééminence
de rang (-râçiç), en tant que dans l'énumération il occupe
régulièrement la première place, et de dignité (àçîw;ji.a),

parce qu'il représente la divinité entière dont il est le prin-


cipe (àp/Y^), l'origine (x^-T'.oç) et la source (Trrjyri). On croyait
expliquer ainsi plus facilement l'unité de principe, l'unité
d'action et par suite l'unité de substance de la Trinité
sainte; et Petau trouve qu'on avait raison.
A une préoccupation de
ce motif s'ajoutait pour Origène
polémiste. Les gnostiques et avec eux plusieurs fidèles
ignorants préféraient le Dieu du Nouveau Testament au Dieu
de l'Ancien, le Christ à Jéhovah et le Fils au Père. Origène
combat maintes fois cette grossière erreur.
62

Le Fils n'est pas supérieur au Père (1).

Peut-être, dans la multitude des fidèles, quelques-uns


osent-ils admettre un désaccord entre le Père et le Fils,

sous prétexte que le Sauveur est le Dieu suprême élevé


au-dessus de tout. Mais nous ne pensons pas de même,
nous qui croyons à sa parole « Le Père qui ma envoyé :

est plus grand que moi. » C'est pourquoi nous ne pla-


çons pas au-dessous du Fils de Dieu celui que nous
appelons maintenant le Père, ainsi que Celse nous en
accuse calomnieusement.

L'argument ad hominem est sans réplique. S'il est question


de supériorité, l'avantage appartient au Père qui possède une
priorité d'origine, en vertu de laquelle il envoie et n'est pas
envoyé. Or, selon notre manière de concevoir les choses,
« celui qui envoie est plus grand que celui qui est envoyé ».

Par des considérations semblables on rendait raison de cer-


tains titres d'honneur que l'on croyait réservés au Père :

1. Contra Cels., viii, 14. Le codex grec 386 du Vatican, arché-


type commun de tous les manuscrits du Contra Celsum, est
percé d'un trou au feuillet l'J4. Voici le texte qu'il présente:

TT,v TooiTSTStav ùzoTtôsaOat tôv stoTï.pa slvai tôv [jléy-S'îov £~î zisi
6£Ôv dîv'X' ouTi yô T||j.eî; to'.oOxo [v, oî] t.z'M\}.z'/o'. 'ol-j-zm ÇKi-^rm'.'

« ô naT'f,p ô TTc'fjL'^aç \ii \xc\\w) |J.O'j isTÎv. » A'.(j-£ [p où] y 5v vOv


naT£p2 xa)»o'jjJL£v \jT.o\i.&o'.]iz^K w; KD.ïo; 'f|UÎ; c'jxo'iavT [eî , t] w
Y'.û) Les trois lacunes, de trois lettres chacune, sont
Toû BÉou.
comblées avec certitude. M. Kœtschau supplée ainsi la troi-
sième: ffuxocpav-; [ôJv cpr.j'. t] w mais la place est insuffisante,
;

même si 9^,51 était écrit en aJjrégé. Du reste, le sens ne change


pas. Au lieu de ô-r:o'Xâ6o:|xîv, M. Kœtschau conjecture Û7:o6âÀoL;j.cV
dv. Il doit avoir raison et c'est le texte que nous avons supposé
dans notre traduction. Origène fait une citation comi)osite de
Joan., XIV, 2S et xii, 49. Il en est de même un peu plus loin où
il combat une autre secte obscure d'après laquelle le Fils est
plus puissant que le Père.
DlliU LE l'ÈRE, LE FILS ET LE SAIM-ESI'HIT GU

« Un seul Dieu et Père de toutes choses, lequel est au-dessus


de tout et dans tout et en tout. » —
< Pourquoi m'appelez-

vous bon Personne n'est bon si ce n'est Dieu seul. »


? —
€ Afin qu'ils vous connaissent, vous, le seul Dieu véri-

table (1). » Ces passages n'ont rien de bien embarrassant.


Dans le dernier, par exemple, le Sauveur ne dit pas « Afin :

qu'ils vous connaissent vous qui, seul, êtes le Dieu véritable >,
ce qui restreindrait la vraie notion de la divinité au Père
seul, mais bien « Vous qui êtes le seul Dieu véritable », ce
:

qui implique l'unité de l'essence divine sans exclure la plu-


ralité des Personnes.
Mais, l'exégèse difficile une fois admise, il fallait la justi-

fier : de là tant de subtilités inutiles


Père et scabreuses. T.e
est au-dessus de tout en qualité de premier principe. Il est
le Dieu tout court (6 ()t6ç) parce qu'il épuise, en quelque
sorte, toute l'idée de la divinité et quiconque est Dieu en
dehors de lui ne peut l'être que par lui. En vertu de la
même prérogative et parce qu'il communique l'essence divine
aux deux autres Personnes sans procéder lui-même, il est
aÙTôOsoç. Ou pourrait croire qu'Origène réserve au Père le
titre de « Bien par essence » en souvenir du premier principe

platonicien dont le caractère spécial est la bonté mais ;

sans doute il u'y songerait pas sans le texte de saint Luc


ovi le Sauveur semble renvoyer à son Père l'épithète de

< bon » et sans le passage de l'Écriture où la Sagesse est

appelée 1' « Image de la bonté de Dieu » Par une subtilité .

analogue il arrive à expliquer comment le « Dieu véritable »


de saint Jean peut convenir spécialement au Père. L'image
comparée à l'archétype n'est pas vérité, mais représentation,

1. Eph., IV, 6 ; Luc, xviii, 19; Joan., xvii, 3.


2. Fragment dans Redepenning, De Princip.. p. 5. Dieu le
Père est qualilié d'aiT-oayaOôv (si l'expression est authen-
tique) parce que son caractère spécial et personnel est la bonté.
C'est toujours la même
théorie qui fait dire à Origène (Periar-
chon, I, M, 13), en supposant exacte la citation de Justinien :
64 ORIGÈNE

imitation, reproduction. Bien qu'il soit la Vérité par essence


(a'jToa>r,0£ia), la Vérité même (<^ 'A"ÀT,9£ia), le Fils, en tant
qu'Image du Père, ne serait pas « le Dieu véritable » mais

la représentation parfaite, le double, pour ainsi dire, du Dieu


véritable (1).

L'appropriation fondée sur les caractères personnels du


Père, du Fils et du Saint-Esprit, en relation avec les créa-
tures, établit entre eux d'autres distinctions.

Différences dues à l'appropriation (2).

Examinons pourquoi celui qui est régénéré dans le

baptême a besoin, pour être sauvé, du concours de la


Trinité tout entière et ne saurait devenir participant du
Père et du Fils sans le Saint-Esprit. Il nous faut pour
cela décrire l'opération spéciale du Saint-Esprit, comme
aussi celle du Père et du Fils. Je pense que Dieu le
Père, embrassant toutes choses, atteint chacun des êtres
et que, comme il est l'Etre, il leur donne à tous d'être.
Inférieur au Père est le Fils dont l'action (spéciale)
s'étend aux seuls êtres raisonnables, car il vient au
second rang après le Père. Inférieur encore est FEsprit-
Saint dont l'action n'atteint que les saints. Ainsi, à ce
point de \nç, plus grande est la puissance du Père par
rapport au Fils et au Saint-Esprit; plus grande est celle
du Fils par rapport au Saint-Esprit.

\. Origène appelle le Verbe aù-roaAr'iOc'.a, aÙToaytaaiJLÔ;, aÙTO-


S'.xa'.osûvf,, aÙTOj-ou.ovr, {In Jercm. hom., xvii, 4, Klostermann,
p. 147), aÛToazoA-jTpwfft; [In Joan., 1,11), aÛToô-jvaiji'.i; (In Joan.,
1,38), mais plus souvent aÛTOJosîx et ocjToVJyo; (Itotschau) ou
«jTÔAoyot; (l'reuschen). Dans ces composés, aûxô; ajouté à un
nom signifie par excellence ou par essence.
2. Periarchon, I, ni, 5 (XI, 150).
DIEU tu nÈBE, LB RIIS
ET LE SAJUT-ESPIUT
CS

pa.oUMlonlJusl„„cn se scamlalisail gramlemenl.


b.en que lesaclionsexlcrieuresdc lU raison
Dieu soient communes

sain. n.s.''poi„t aa„l"7es";


r^n^^^X^ii^qt -^
dans les jnstcs
Léeole d'Alexandri; disait
les elres sans raison
:'

de même
ne participent pas du Logos
nùoione
T
Or,genea(r,rmeconlinnellen,ent que tout,
sans «eeptin'"

^ " ^'î,."---' '•-»»"


PersouLïeet 'l1 espèce d-,négalilé
lersonnes
qui e,i
Bpécialea'u.
résulte,
fi
Ori-ène
"iioine
parle comme les autres Pères.
Du reste il oublie ou néglige le plus souvent ces dlstinc

Alors le Fi s devient
simplemenl cl sans correctif
Verbe et le Verbe-Dieu, le Dieu k Dieu
improduit, le Dieu invisible
le Dieu suprême, le
Dieu véritable, parce que
lui et é Père
ne sont qu'une même chose,
parce qu'il a tout ce < u'!
Père, parce que, e
comme image adéquate, il doit reproduire

":l:;étr,irdfr^T^^'-'-''»— ^^^

.çommunic^^^^^

^^^nn::p:;r-::j:^t;^:3s.
Uphcare loqm excelsa.

I. Les expressions 6 Advoç esô? et an«?<;i ; «.;. v -

munesd^ns^^s écrits d^rilène;


^^^^S^àt^tï?- ^Sr
o/««m Dem {In Rom., vu, 13 ; P G XIV l um , .
,^ '!.'^''"

partiels (In Joan., xxxii


p. G XIV iA P. .
."^'^
18

..e,eèi^é^:.;l;.^ZL::;^^-isxsic„rt:,j::i
gg ORIGENE

Rien de trop quand il s'agit de la Trinité (1).

Parler de la toute-puissance de Dieu, de son


invisibi-

parler de choses sublimes.


lité, de son éternité, c'est

Parler du Fils Monogène, coéternelau Père, et des mys-


tères qui le concernent, c'est parler
de choses sublimes.
Parler de la grandeur, de la magnificence du Saint-
seul
Esprit, c'est parler de choses sublimes.
C'est le

sujet oii le subUme soit de mise.


Hors de là, rien de
sublime. Tout est humble et bas, comparé à Tincompa-

rable Trinité. Ne visez donc point au sublime si ce n'est

en parlant du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

du langage de la subordination. Il
Nous sommes bien loin
sert plus à résoudre des difficultés
est oublié dès qu'il ne
exégéliques. Plus de hiérarchie entre les Personnes toutes :

et consubstantielles elles sont tellement unies


sont égales ;

divine que la distinction


entre elles dans une même essence
personnelle semble compromise. En
groupant cette nouveUe
textes on a pu accuser Origène d'être sabellien ;
série de
car de quoi ne l'a-t-on pas
accusé ? Mais les accusations
détruisent mu-
contradictoires ont cela de bon qu'elles se
Origène n'est pas plus sabellien ou partisan
tuellement.
seulement, suivant les
de Noët qu'il n'est arien ou nestorien ;

à combattre, accentuait avec plus de


hérésies qu'il eut il

soit l'union soit la distinction des


Personnes.
vigueur
disserter sur la supériorité du Père qui envoie,
A l'entendre
par rapport au Fils qui procède, on serait peut-être tenté de
croire que le Fils n'est Dieu qu'improprement et par analo-
gie. Tsiais aussitôt après,
quelquefois dans la même page, il

hientifie le Christ avec le Dieu suprême, le Dieu de l'univers,


Dieu qui parlait aux patriarches et revendiquait pour lui
le

1. InReg., hom. i, 13 (XII, in09).


DIEU LB PtUE, LE FILS
ET LE SAINT-ESPRIT
67
seul les adorations des
hommes (I). Quand Celse déclare im-
Dieu immuable, infiniment
''"'^
nf ni
infiniment;r""'""
heureux, infiniment élevé
beau,
au dessus du contin-
gent et du relatif, Origène s'il
le vrai Dieu, mais
pensait qne le Clu-isl n'^t
un ôtre inférieur au Dieu
1
devrait détromper son
onv an
adversaire et mettre fin
à nne si
hkieuse équivoque. Mais non; il
se contente d'affiler
erbe Dieu immortel ne change
que
pas en se faisant homme
et en prenant une nature
mortelle (2).
Quiconque examinera avec impartiaUté
et sans prévention
cet ensemble de faits
favorables partagera sans
don it s
de samt Pamph.le et de saint
Athanase et absoudra "^igeue
On^ne
sur le sujet de la Trinité.
Ce nost ix)int pour Ini une
gloire médiocre d'avoir
prenner mis en circulation le
les deux termes
et Uzo-oxoq), qui, à partir
(ô.oo'l
des conciles de \iVôP Pf .ri? i
-

devinrea, pou.. ,„o„emps les


de 1 orthodoxie catholique
„„,s le' Z^T.^'fJ^T^^nt
<"iiemeni
(3).

Exhort. ad ]farl>jr Q (Fw? w "T . .,


°" ^" Particulier

table en faveur "'^^"^""* "^^^"-


de^a divînlL^tK^^c^rist"
2. Conlra Cels., iv. li-15 (XI,
1044-1048).

eccl v„, 32 (LXni, Sll^sf!^"^;


o.xplujuait
&
no e^^^ Sitourro'-^'^'-
"^^''''
dans son Commentaire sur
l4A re aTx Rn
pourquoi la Vierge est appelée
Xsrs.aO. Cf. Suicer, Tkesalrus
Oso.ô-.o, 1-^^-. ^^^"^^
eccles.^ au ^^^:^::
S
''''
r
CHAPITRE QUATRIEME

La Création

Le MOrsDE MATÉRIEL

Aucune religion, en dehors du judaïsme et du christia-


nisme qui en dérive, aucune philosophie n'est arrivée au
concept de création : c'est un fait aussi surprenant qu'indé-
niable. Ou bien la matière, coélernelleà Dieu, en était
distincte et indépendante — au moins dans son origine — et
l'on avait le dualisme de Platon, de Pythagore, de l'école
ionienne; ou bien, elle n'était qu'une forme particulière
du grand Tout et l'on aboutissait au monisme des stoï-
ciens. Le Juif Philon, sans être panthéiste ni tout à fait
dualiste, suivait là-dessus les errements communs.
Origène, il faut le reconnaître, est ici sans reproche. La
création de toutes choses est le premier article de son credo.
Ilne peut s'étonner assez que les grands philosophes de la
Grèce antique n'aient pas été conduits par le raisonnement
à la découverte de ce dogme chrétien. Un passage de son
commentaire sur la Genèse, qu'Eusèbe nous a conservé en
grec, est devenu une sorte de texte classique dont saint Basile,
saint Ambroise et bien d'autres s'inspirent volontiers.

La création de la matière (1).

Si quelqu'un hésite à croire que Dieu ait pu former le

monde sans une matière préexistante et incréée, parce

1. In Gènes., i, 12 (XII, 48-49, d'après Eusèbe, Prsepar. evang.,


vu). Cf. Periarchon, II, i, 3. —
Origène donne ailleurs, In Juan.,
LA CREATION O»

que l'ouvrier humaiu ne saurait s'en passer, que le


fondeur de statues a besoin de métal, le charpentier de
bois et le maçon de pierres, nous lui demanderons si,

selon lui, Dieu peut exécuter tout ce qu'il se propose


sans que sa volonté rencontre d'empêchement ni d'obs-
tacle. En vertu de sa puissance et de sa sagesse inef-
fables, Dieu peut — tous ceux qui admettent Provi- la
dence le reconnaissent — former à son gré des qualités
pour orner l'univers ;
pareillement sa volonté doit être
capable de produire la substance même dont il a besoin.
A ceux qui soutiendraient nous dirions
le contraire, :

Dieu, dans votre système, a été vraiment bien heureux


de rencontrer devant lui une substance incréée sans
laquelle il n'aurait pu être ni démiurge, ni père, ni bien-
faiteur, ni bon, n'aurait possédé enfin aucun de ses
attributs relatifs. Mais qui a donc si bien mesuré la ma-
tière préexistante qu'elle suffit exactement à la formation
de l'univers actuel? Inventerons-nous une Providence
antérieure à Dieu, laquelle lui aurait soumis la matière
et pourvu à ce que l'habileté du grand artisan ne restât
pas stérile, comme elle le serait faute d'une substance
dont il put tirer ce bel ensemble du monde 1 Qui a rendu
la matière capable de recevoir les qualités dont il plaît
à Dieu de l'orner, si ce n'est pas lui qui l'a créée telle
qu'il la désirait pour son œuvre 1 Mais accordons pour
un moment leur hypothèse aux partisans de la matière
incréée, en les priant de répondre à cette question :

Puisque la matière est telle sans l'intervention de la Pro-


vidence, si la Providence était intervenue qu'aurait-elle

I, 18 (XIV, S3), la formule thôologique de la création]: « Nous


croyons que Dieu a fait les êtres de rien: s; o-jx ôvtwv -rà ôv-ra
lTîotT,!T£v. . 11 oppose expressément ce dogme chrétien à l'hypo-

thèse philosophique de la matière incréée.j


72 ORIGÈNE

mais il est plus spécieux. Il n'y a point de roi sans sujets, de


seigneur sans domaine, de maître sans serviteurs ; or, Dieu
est, par nature, Maître, Seigneur et Roi : il faut donc qu'il
ait toujours eu un domaine, des serviteurs et des sujets. Et
comme il ne saurait être question du monde actuel, dont
l'Écriture affirme la récente origine, il faut nécessairement
supposer un monde antérieur, précédé lui-même d'une série
infinie de mondes (1). Ainsi l'audacieux penseur croyait
concilier son système cosmogonique avec les données de la
révélation.
monde est infini dans la durée (àvap/oq), il n'est pas
Si le
et ne peut pas être infini dans l'espace (ctT.t'.ooq) Origène .

aurait dû comprendre qu'il y a autant de difficultés à con-


cevoir un monde éternel qu'un monde sans limites, car on
n'obtient pas plus l'éternité en ajoutant les siècles aux siècles
qu'on n'obtient l'immensité en ajoutant l'espace à l'espace.
Il semble bien avoir entrevu cette conséquence (2). Mais, tan-
dis qu'un monde sans commencementnelui paraissait pas im-
possible, il voyait clairement qu'un univers sans bornes est
irréalisable et qu'un nombre infini d'êtres actuellement exis-
tants répugne à la raison. Même il l'exprime si crûment qu'on
l'a accusé de porter atteinte à la toute-puissance divine, de
limiter et de circonscrire le pouvoir de Dieu parce qu'il ne
peut produire à la fois des êtres sans nombre. On le voit, il

y a toujours confusion latente entre l'attribut immanent, infini


et nécessaire, et sa manifestation extérieure, libre et bornée
dans la réalité actuelle, quoique susceptible d'accroisse-
ments indéfinis.

1. In h., hom. iv, 1. Pour donner à l'éternité du monde une


base scripturaire, Origène invoquait les passages où il est
questiondenouveau.x cieux et d'une nouvelle terre (Is., lxv, 17;
Lxvi, 22), où il est dit qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil
{EccL, I, 9-10), etc.
2. Periarchon, III, v, \ (XI, .'^26) « Quod ex causa est necesse
:

est ut cœperit. » Ibid., n" 2, il applique lui-mènio à l'infini dans


la durée le principe qui lui fait repousser l'infini dans l'espace.
Cf. Periarchon, II, ix, \.
LA CRéATION 73

Quelques théologiens ont pensé que la plupart des erreurs


d'Origènc dérivent d'une théodicéc incomplète et défec-
tueuse. Tel n'est pas notre avis. Sans doute sa conception
de la toute-puissance laisse à désirer, h raison peut être du
terme qui Texprime ; et il est certain qu'une erreur quel-
conque poussée jusqu'à ses dernières conséquences peut
vicier toute une doctrine. Nous ne croyons pas, néanmoins,
que l'hypolhèse de la création ab œterno ait eu une influence
si décisive sur le système d'Origène. Quand on nous dit :

< Si le monde perd son caractère de contingence pour devenir

un être nécessaire, quel moyen désormais de le distinguer


de Dieu? », il nous semble qu'on joue sur les mots. Pour
être créé ab xterno —
supposé la chose possible le monde —
n'en serait pas moins créé. Une nécessité extrinsèque, pro-
venant des perfections divines, ne lui conférerait pas l'indé-
pendance de l'èlre, l'aséilé. D'ailleurs, on peut souscrire à
un principe sans en apercevoir toutes les conséquences, et il
est certain qu'Origène n'a pas aperçu celle-là, pas plus que
les tenants de l'optimisme philosophique, dont le point de
départ est le même, ne professent le panthéisme. Cependant,
la théorie d'Origène, comme le système de l'optimisme, dé-
nature le vrai concept de la liberté divine.
IJien que la matière soit éternelle, l'esprit est logiquement
antérieur. En effet, la matière est pour l'esprit et n'a qu'en
lui sa raison d'être. Elle n'existerait pas si elle n'était né-
cessaire aux natures intelligentes, et si ces dernières
cessaient d'en avoir besoin elle serait annihilée, quitte à repa-
raître plus tard quand les changements survenus dans l'état
des esprits créés l'exigeraient. Le monde matériel se règle
donc sur le monde des esprits; il se perfectionne ou se dété-
riore comme lui et avec lui; la matière se spiritualise au
prorata des progrès accomplis par les intelligences, de même
que celles-ci, à force de déchoir, arrivent presque à se maté-
rialiser, tant l'enveloppe qui les revêt devient pesante et
grossière.
74

Les rapports entre les corps et les esprits (1).

Quelques-uns se demandent s'il y aurait entre les


esprits et les corps un rapport de corrélation, comme
celui qui existe par exemple dans le Père engendrant le

Fils et produisant le Saint-Esprit, sans qu'on puisse


concevoir entre eux aucune antériorité de temps, mais
seulement d'origine. Pour mieux étudier la question, ils

la portent plus haut et examinent si les corps, véhicules


des esprits, sont coéternels à ces derniers ou si, au con-
traire, ils doivent périr un jour. Le problème est inso-
luble à moins de savoir si la nature intelligente parvenue
au plus haut degré de la sainteté et de la béatitude peut
être absolument incorporelle. Cela me semble bien dif-
ficile etpresque impossible. Mais si cpielqu'un arrivait à
prouver que ces intelligences peuvent se passer de corps,
il s'ensuivrait, ce semble, que la nature corporelle,
créée de rien par iutersalles, cessera d'exister quand elle

ne sera plus utile aux esprits, de même qu'il fut un


temps où elle n'était pas encore.
Si, au il est impossible qu'en dehors du
contraire,
Père, du du Saint-Esprit, aucune nature puisse
Fils et
vivre sans corps, nous serons obligés de conclure que les
substances matérielles n'étant point en fait séparables
des êtres inteUigents, fin principale de la création,
sont créées pour eux et logiquement après eux, mais
coexistent nécessairement avec eux, puisque l'iucorpo-
ralité est le privilège de la Trinité seule.
Nous l'avons dit plus haut, la matière est susceptible

1. Periarchon, II, ii, \-2 (XI, 186-187).


LA CRÉATION 75

de toutes les transformations : aussi, quand elle est des-

tinée aux esprits les plus imparfaits, elle se solidifie et


s'épaissit au point d(^ former les divers corps de ce
monde visible. Est-elle mise au service des intelligences
supérieures, elle brille de l'éclat des corps célestes et
sert de vêtement aux anges de Dieuet aux fils de la ré-

surrection. Et de ce mélange résulte la merveilleuse


variété de l'univers. Mais afin d'approfondir ces mystères,
il faut, en toute révérence et crainte de Dieu, scruter
avec soin et attention les divines Ecritures, pour voir
si, avec l'aide du Saint-Esprit qui en révèle le sens caclié

aux hommes dignes de cette faveur, nous pourrons tirer


quelque chose de tous leurs témoignages.

n ne paraît pas qu'Origène soit allé plus loin dans ses ex-
plications sur le rôle et les transformations de la matière.
Mais sa pensée est assez nette, et l'un des philosoplies con-
temporains qui l'ont le mieux étudiée la résume bien : « Si
la matière n'est pas plus anéantie dans le monde parfait qui
nous attend à la fin que dans celui-ci, elle ne s'y présentera
pas avec les formes ni avec les qualités que nous lui A'oyons,
car de sa nature elle est sans formes et sans qualités propres,
étant susceptible de toutes les qualités et de toutes les
formes. Légère, subtile, lumineuse à l'oi'igine, elle s'est peu
à peu appesantie, condensée, obscurcie, à mesure qu'elle
devait servir d'enveloppe à des êtres plus déchus. Par un
mouvement contraire, à mesure que nous nous rapproche-
rons de notre premier état, elle reprendra ses qualités pri-
mordiales, qui en font l'enveloppe nécessaire, mais non la
prison et la geôle des esprits... Il n'y a jamais d'anéantisse-
ment, à proprement parler, comme il n'y a de création véri-
table que celle qui se perd dans les profondeurs de l'éter-

nité (1). ï

1. Denis, Philosophie d'Origène, 1884, p. 382.


74

Les rapports entre les corps et les esprits (1).

Quelques-uns se demandent s'il y aurait entre les


esprits et les corps un rapport de corrélation, comme
celui qui existe par exemple dans le Père engendrant le

Fils et produisant le Saint-Esprit, sans qu'on puisse


concevoir entre eux aucune antériorité de temps, mais
seulement d'origine. Pour mieux étudier la question, ils

la portent plus haut et examinent si les corps, véhicules


des esprits, sont coéternels à ces derniers ou si, au con-
traire, ils doivent périr un jour. Le problème est inso-
luble à moins de savoir si la nature intelligente parvenue
au plus haut degré de la sainteté et de la béatitude peut
être absolument incorporelle. Cela me semble bien dif-
ficile et presque impossible. Mais si quelqu'un arrivait à
prouver que ces intelligences peuvent se passer de corps,
il s'ensuivrait, ce semble, que la nature corporelle,
créée de rien par intersalles, cessera d'exister quand elle

ne sera plus utile aux esprits, de même qu'il fut un


temps 011 elle n'était pas encore.
Si, au contraire, il est impossible qu'en dehors du
Père, du Fils et du Saint-Esprit, aucune nature puisse
vivre sans corps, nous serons obligés de conclure que les
substances matérielles n'étant point en fait séparables
des êtres intelligents, fin principale de la création,
sont créées pour eux et logiquement après eux, mais
coexistent nécessairement avec eux, puisque l'incorpo-
ralité est le privilège de la Trinité seule.
Nous l'avons dit plus haut, la matière est susceptible

1. Periurchon, II, ii, 1-2 (XI, 186-187).


LA CRÉATION 75

de toutes les transformations : aussi, quand elle est des-

tinée aux esprits les i)lus imparfaits, elle se solidifie et


s'épaissit au point d<^ former les divers corps de ce
monde visible. Est-elle mise au service des intelligences
supérieures, elle brille de l'éclat des corps célestes et
sert de vêtement aux anges de Dieuet aux fils de la ré-
surrection. Et de ce mélange résulte la merveilleuse
variété de l'univers. Mais afin d'approfondir ces mystères,
il faut, en toute révérence et crainte de Dieu, scruter
avec soin et attention les divines Écritures, pour voir
si, avec l'aide du Saint-Esprit qui en révèle le sens caché

aux hommes dignes de cette faveur, nous pourrons tirer


quelque chose de tous leurs témoignages.

n ne paraît pas qu'Origène soit allé plus loin dans ses ex-
plications sur le rôle et les transformations de la matière.
Mais sa pensée est assez nette, et l'un des philosophes con-
temporains qui Tout le mieux étudiée la résume bien : « Si
la matière n'est pas plus anéantie dans le monde parfait qui
nous attend à la fin que dans celui-ci, elle ne s'y présentera
pas avec les formes ni avec les qualités que nous lui A'oyons,
car de sa nature elle est sans formes et sans qualités propres,
étant susceptible de toutes les qualités et de toutes les
formes. Légère, subtile, lumineuse à l'origine, elle s'est peu
à peu appesantie, condensée, obscurcie, à mesure qu'elle
devait servir d'enveloppe à des êtres plus déchus. Pai* un
mouvement contraire, à mesure que nous nous rapproche-
rons de notre premier état, elle reprendra ses qualités pri-
mordiales, qui en font l'enveloppe nécessaire, mais non la
prison et la geôle des esprits... Il n'y a jamais d'anéantisse-
ment, à proprement parler, comme il n'y a de création véri-
table que celle qui se perd dans les profondeurs de l'éter-

nité (1). »

1. Denis, Philosophie d'Origène, 1884-, p. 382.


76

II

L'hommb et son libre arbitre

La psychologie n'avait guère d'intérêt pour Origène [que


dans ses rapports avec la théologie. Lui, qui a tant écrit,
n'a pas composé d'ouvrage spécial sur l'âme (1). Il lui suffit
de savoir qu'elle est immortelle, qu'elle est libre, qu'elle
sera récompensée ou punie suivant ses mérites (2). Il
déclare ignorer naît ex traduce ou si elle a une autre
si elle

origine (3) doute étrange qui ne lui A'iendrait pas un ins-


:

tant s'il ne donnait pour une simple hypothèse sa théorie


favorite de la création éternelle et de la chute des esprits. Il

définit l'àme en général, « une substance douée de sensation


et de mouvement spontané (i) » c'est plutôt la définition de;

l'être animé que celle de l'àme elle-même. Mais il s'occupe


presque exclusivement de l'àme raisonnable. Celle-ci ne dif-
férerait pas essentiellement des autres intelligences créées.
Esprit refroidi de la charité divine — d'oii lui vient le nom de
'^v/ji — ne dépend-il pas d'elle de retrouver sa chaleur
première et de redevenir esprit, comme dans le principe (S)?

1. Pamphile, Apol. Orig., viii (XVII, 603).


2. Periarchon, Préface, 6.
3. Comment, in TH. (dans ApoL, P. G., X\U, 604). i.\ ;

4. Periarchon, II, viii, Substantia çavracr-ci-AT, et


1 (XI, 219) ;
«

ôp[XT|Tiy.r,, quod latine, licet non tam proprie explanetur, dici

tamen potest sensibilis et mobilis » (paraphrase de Rufin).


5. IhicL, II, VIII, 3 (XI, 222) « Requirendum est
: ne forte et
nomen anirnse, quod grœce dicitur '^'j/t,, a refrigescendo
('|j/£5fJïi) de statu diviniore ac meliore dictum sit. > Même
idée un peu plus bas où le texte grec subsiste Itapà Th,v :

àTÔTTojo'w y.al tt,v ',jyj;'.v tt.v irJj toO Çf^v tôj TVî'j[j.aTi. yiyoVsv t, vûv
Y3vo;j.£VT| Et plus loin: No'j; -w? o-jvyiyovâ '^•l'/Jt, xal '^u/Ji\
'^'J/;r,.

xaTopOwOsLTa ytvîxai vo'jç. Les deux te.\tes grecs sont rapportés


par Justinien dans sa lettre à Menas.
LA CRÉATION 77

Origèuc, bien enleadu, n'accepte cette hypothèse que sous


toutes réserves i^l). Cependant, lescul fait de l'avoir accueillie
sans protestation lui vaudra les censures de saint Kpiphane,
de saint Jérôme, de Théo[)hile d'Alexandrie, d'Orose, d'An-
tipater de Bostra, de Léonce de Byzance, de saint Jean
Damascène et de bien d'autres.
On n'a pas toujours bien distingué, dans le système d'Ori-
gèno, entre la question de l'origine de l'ùme, question libre
à cette époque, comme saint IMmphile et saint Augustin le

soutiennent à bon droit, et la théorie des épreuves succes-


sives que l'Église a toujours réprouvée. Mais on a de la
peine à comprendre qu'on ait jamais pu attribuer au docteur
d'Alexandrie la mélempsychose de Pytliagore ou celle de
Platon, et à plus forte raison l'émanation stoïcienne des âmes
avec leur résorption finale en Dieu : systèmes évidemment
hétérodoxes qu'Origène n'a cessé de combattre dans presque
tous ses écrits (2).

1. Periarchon, II, vui, 3, (XI, 225) : « Ilaîc discutienda inagÏB


a legentibus quam statuta ac delinita protulimus. • Ibid., 4
(XI, 224) « : Quod diximiismentem in animam verti... discutiat
apud se qui legit diligentius et pertractet
a nobis tamen non :

putontur velut dogmata esse prolata, sed tractandi more ac


requii-endi esse discussa. •

2.La mélempsychose de Pythagore est combattue dans le


Conira Cets.,\iu, 30 Oùoati(L?>vSYoii£v [leiEvswij.âTwstv elvai. i'J/'fiî,
:

xai xaTi-'r(i)5'.v xù-zf^i [léoy: twv àÀôywv Çwtov (très beau passage sur
les honneurs dus au corps humain, demeure, oIxT,Tr,piov, et
organisme, ôpyavov, d'une âme raisonnable). Ibid., v, 49 (les
chrétiens s'abstiennent de la viande des animaux par esprit de
pénitence et non pas, comme les pythagoriciens, à raison d'une
fabuleuse métenipsychose). —
La métompsychosc platonicienne,
ou le passage de l'àme d'un corps humain dans l'autre, n'est
pas traitée avec plus de ménagements. Voir Contra Cels., iv, 17 ;
In Matth., xi, 17 In Roman., v, 1 et les passages cités par
;

S. Pamphile, ApoL, x (P. G., XVII, 608-616). Origène


dit seulement que l'àme, en s'adonnant au vice, s'abélit,
s'abrulil, devient semblable aux animaux sans raison [Periar-
chon, I, VIII, 4), mais il explique très nettement dans quel
sens il faut l'entendre. (Cf. Pamphile, ^poL, x,P.(?., XVII, 614).
— L'accusation de panthéisme, formulée par S. Jérôme, est
78 ORIGÈNB

D'où vient la lutte entre l'esprit et la chair et cette sorte


de dualisme interne qui nous fait admirer et désirer le
bien tout en nous poussant au mal ? Y aurait-il en nous
deux âmes, l'une divine et céleste, l'autre terrestre et char-
nelle? Ou, peut-être, l'âme unique se compose-t-elle d'une
partie raisonnable et d'une partie irrationnelle qui se divi-
serait à son tour en deux appétits : l'irascible et le concu-
piscible ? Cette dernière opinion est sans appui scripturaire,
taudis que l'hjTJothèse de deux âmes
de l'àme unique
et celle
sollicitée par des objets peuvent alléguer des
contraires
textes bibliques en leur faveur. Origène refuse de se pro-
noncer entre les deux, mais on voit bien qu'il incline vers
la dernière. Il l'expose avec plus d'ampleur et montre que

le combat intérieur s'explique fort liien dans l'hypothèse


d'une ùme unique attirée en sens divers par des objets con-
traires. L'esprit lutte contre la chair lorsqu'il lui interdit, au
nom de la raison, les plaisirs sensuels qui la charment, et
la chair fait la guerre à l'esprit quand elle l'entraîne vers
des convoitises que la raison réprouve. Au contraire, l'hy-
pothèse du dualisme physique est entourée de difficultés.
Qui aurait créé l'àme charnelle toute portée au mal ? Ce ne
peut être Dieu, dont toutes les œuvres sont bonnes; et com-
ment concevoir un principe ontologique étranger à Dieu et
indépendant de lui? (1). Mais, quoi qu'il faille penser de la
nature du composé humain, il est certain que l'homme est
libre et responsable de ses actes. C'est la doctrine formelle
de l'ÉËflise et l'enseignement de la raison.

encore plus étrange pour qui a lu Origène. Jamais l'idée ne lui


est venue de faire les esprits consubstantiels à Dieu. (Cf. In
Joan., xni, 25.) Le seul texte dont on a pu abuser ne prête
réellement pas à l'équivoque.
1. Periarchon, III, iv, 1-5 {P. G., XI, 319-325).
I..V CRÉATION 79

Existence du lihre arbitre (1).

Parmi les êtres qui se mcuvont, les uns ont en eux-


mêmes le principe de leur mouvement, les autres le re-

çoivent du ileliors: tels le bois mort, les pierres et en gé-


néral la matière inerte. Nous ne parlons pas ici du mou-
vement qui résulte de la décomposition des corps ; il n'en
est pas besoin pour notre sujet. Ont en eux-mêmes la
cause de leur mouvement les animaux et les végétaux et en
général tous les êtres qui possèdent un principe vital ou
une àme, au nombre desquels plusieurs rangent les mé-

taux. En outre le feu se meut spontanément, peut-être


aussi les sources. Ceux qui portent en eux la cause de
leurmouvement se meuvent ou d'eux-mêmes ou par
eux-mêmes: d'eux-mêmes, les êtres inanimés (àVj/x) ;

par eux-mêmes, les êtres animés (£;ji'vj/x), auxquels la


sensation interne (cpayTa-jCa) donne l'impulsion. Chez
quelf{ues-uns de ces derniers le sens intérieur provoque
des mouvements coordonnés ; telle l'araignée qui file

instinctivement et l'abeille qui fcdt son rayon sans que


leur Imaginative les pousse à d'autres actes (2).

1. Per.,I!I, I. 2-0, (XI, 249-2oG) pour le te.xte gvec,Philoc., xxi.


;

2. La terminologie de ce paragraphe est assez remarquable.


Les êtres se divisent en quatre catégories 1. Les substances
:

inertes (sopr.Tâ), composées de matière et de forme (t, ùr.à


£;£w; ;jiô>/T,; 5-jv£/o;j.r/T, -jat,), qui reçoivent le mouvement du de-
hors(?çw6£v) ; 2. Lesvégétaux(c;'JTâ),quiontun principe vital (•fjsii;
de 'fJo))quoique inanimés (avu/a) et qui se meuvent spontané-
ment (a-JTox(vT,Ta) ou d'eux-mêmes {il JajTwv). 3. Les animaux
(Ijjl'yo/2), qui ont une àme ('î'y/;f,^. comme leur nom l'indique,
et se meuvent par eux-mêmes (a^ix'jTwv) en vertu de l'imagi-
native (f avTiTÎa). qui détermine leur mouvement (ôpar,), et pro-
duit quelquefois des séries d'actions instinctives coordonnées
(rf,; sav-îaT^'.xr,; -^-Jt^ioî TïTayaivu); ir.'. "ïO'jto — poxaXo'j;jLS'/T|î).
4. Au sommet de la hiérarchie est l'animal raisonnable (t6
80 ORIGÈNE

L'animal raisonnable, lui, possède en plus la faculté


de juger les images, d'approuver
les unes et de réprou-
ver les autres et de se conduire en conséquence. Après
avoir considéré le bon et le mauvais côté de l'objet en
question, comme la raison nous y porte naturellement,
nous embrassons le bien et nous repoussons le mal, di-
gnes d'éloges nous nous livrons à la pratique du bien,
si

dignes de blâme dans le cas contraire. Il faut cependant


reconnaître que l'instinct des animaux varie du plus au
moins et que chez certains, chez les chiens de chasse et
chez les chevaux de guerre par exemple, il approche en

quelque sorte de la ne dépend pas de nous


raison. Il

qu'une imagination venue du dehors nous_inchne dans


un sens plutôt que dans l'autre mais le jugement sur la
;

conduite à tenir relève de la raison seule qui, à la suite


de l'excitation extérieure, se décide pour le bon et
l'honnête ou pour le contraire.
Qui prétendrait que l'attrait extérieur est irrésistible

n'a qu'à étudier ses affections et ses mouvements inté-


rieurs. Il verra que l'approbation et le consentement et
la détermination de la partie supérieure de l'âme ont
lieuconformément à ces jugements de la raison. Pour
l'homme fermement résolu à la chasteté et à la conti-
nence, la vue et les sollicitations d'une femme ne sont
pas la cause adéquate de son changement de propos.
S'il se livre à la débauche, c'est qu'il cède à la titillation
du plaisir sans vouloir lui résister ni s'affermir dans sa

qui possède la raison (kôyoi), en plus de l'imagina-


'koyiY.bv ÇôJov)
tive et de l'instinct.,
La preuve du libre arbitre est répétée avec plus de précision
et de concision dans le De Oralionc, 6 (XI, 433-43G). Origéne y
fait surtout appel au sens commun et au témoignage involon-
taire que l'homme rend au libre arbitre par les éloges, les
reproches, l'admiration ou le blâme.
LA CUIÎATION 81

résolulion. Eu face do la iiuMnc lontation, un autre plus


instruit et [)lus aguerri éprouvera le même attrait, mais
sa raison, nourrie et fortifiée par les saintes méditations
et les exhortations à la vertu, rompra le charme et
vaincra le mauvais désir.
Aussi, accuser les circonstances extérieures jiour dé-
gager notre responsabilité, comme si nous ressemblions
au bois mort et à la pierre qui reçoivent leur impulsion
du dehors, cest aller contre la vérité et le bon sens ;

c'est pervertir la notion du libre arbitre, qui n'est nulle-


ment la facultéde faire ce qu'on se propose quand rien à
l'extérieur ne vient nous solliciter en sens contraire.
Mettre toute la faute au compte de la fragilité naturelle

n'est pas moins absurde. On a vu les hommes les plus


libertins et les plus féroces transformés par l'éducation
et la pratique de la vertu au point de devenir, ceux-ci
des modèles de mansuétude, ceux-là des modèles de
continence. Par contre, des gens d'une vie honorable et
digue sont parfois tellement changés par les mauvaises
fréquentations qu'ils se jettent dans la luxure, souvent
en plein âge mùr, et tombent dans le désordre après
une jeunesse irréprochable. On doit conclure de tout
cela que si les choses extérieures ne dépendent pas de
nous, l'usage que nous en faisons soit en bien ou en
mal, en prenant la raison pour juge et pour guide, est
en notre pouvoir.

Le témoignage de l'Ecriture en faveur du libre arbitre


n'est pasmoins clair. Origène, parcourant la Bible, cite de
nombreux textes à l'appui de sa thèse (1), mais il ne cache

1. Micli., VI, 8 ; Deut., xxx, 15; Is., i, 19-20; Psal., lxxx, 13;
Matth., v, 21, 28, 39 ; vu, 24 seq. ; xxv, 34-35; xxv,41 ; Rom., ii,
4, soq.

10
82 ORIGENE

pas que d'autres, de prime abord, paraissent contraires fl). Tel


est l'endurcissement de Pharaon et plusieurs passages de
répitre aux Romains. Ces objections n'embarrassent guère le
puissant dialecticien. Nous verrons comment il les résout en
parlant de son exégèse.

III

La chute des esprits

D'inoffensive qu'elle pouvait paraître, l'h^iiothèse de


la création ab xterno devint doublement dangereuse lors-
qu'il s'y greffa une autre erreur, celle de l'égedité pri-
mitive des intelligences créées. A force de réagir contre les
systèmes dualistes qui faisaient les êtres raisonnables inca-
pables de tout mal ou de tout bien, selon leur nature bonne
ou mauvaise, Origène en vint à niveler toutes les intelli-
gences créées, en supprimant les inégalités spécifiques
et individuelles, pour les constituer arbitres de leurs
destinées et de leurs perfections. Dieu les aurait tirées
du néant également bonnes et également heureuses. A
elles de se maintenir sur ces hauteurs ou d'en déchoir,
e Origène ne peut se résoudre à placer dans la volonté di-

vine le principe de l'inégalité qu'on remarque parmi les


natures raisonnal)les ; reporter jusqu'au Créateur la cause de
une assertion injurieuse pour la jus-
cette diA^ersité lui paraît
ne saurait agir arbitrairement ni faire accep-
tice dÎA'ine, qui
tion de personne. Dieu qui est l'Un absolu, doit imprimer à
toutes ses œuvres le cachet de l'unité ; c'est en dehors de lui
qu'il faut chercher la source de leurs différences. D'où il

suit que, dans l'origine, tous les êtres spirituels possédaient

les mêmes dons naturels et surnaturels, la même sainteté,

1. Ex., IV, '2\ ; Ezech., xi, 19-20; Marc, iv, 12; Rom., ix,
16-18 ; Phil., ii, 13.
LA CRÉATIOi\ 83

les mûmes connnissanccs, lo même pouvoir, sans qu'il y eût


entre eux moindre inégalité (11. »
la

Ici le penseur alexaudriu oublia de consulter la règle de

foi ou, s'il la consulta, il ne sut pas la reconnaître. La

préexistence des Ames, leur déchéance graduelle, leur retour


progressif au point de départ
ces allées et venues
initial,

sans trêve ni repos du bien au mal du mal au bien sont


et
les traits principaux d'un système que toute la tradition
catholique s'unit dès la première heure à repousser et qui
défie veut seulement
toute tentiitive d'apologie. L'équité
qu'on ne perde pas de vue ces deux choses premièrement, :

qu'Origène ne présente pas ces spéculations comme des


dogmes, mais comme de simples hypothèses à discuter entre
théologiens afin d'en établir le bien ou le mal fondé en ;

second lieu qu'il les oublie lui-même fréfpiemment pour


s'en tenir à la tradition catholique, spécialement dans ses
homélies où il évite avec soin de proposer aux fidèles ces
problèmes difficiles et troublants.

Un coup d'oeil jeté sur le monde des esprits nous y révèle


des différences profondes. L'homme occupe une position
mitoyenne entre les auges et les démons, et saint Paul nous
apprend qu'une hiérarchie de rangs et des fonctions règne
dans chacun de ces ordres.

D'où proviennent les différences des esprits créés ? (2)

Le Créateur n'a d'autre motif d'agir que lui-même,


c'est-à dire sa bonté. Puisqu'il est la cause première de
tous les êtres et qu'il n'y a en lui ni variété, ni change-
ment, ni imj)uissance, il a créé tous les esprits égaux
et semblables, car il n'avait aucune raison de les faire
différents. Mais les natures raisonnables furent douées du

1. Freppel, Origène, \QCon xviii. t. I, p. 374.


2. Periarchon, II, i.\, 6.
libre arbitre, et c'est par le différent usage du libre
arbitre qu'elles progressent en imitant Dieu, ou qu'elles
déchoient par leur négligence. Telle fut l'origine de leur
diversité.

Si noire dessein était île réfuter le système au lieu de


l'exposer, nous aurions à relever dans l'argumentation
d'Origène plusieurs défauts graves. Il passe à tout instant,
sans s'en apercevoir, de l'inégalité naturelle au dualisme
gnostique et combat fuu et l'autre par les mêmes principes.
Il insinue qu'on ne saurait attribuer à Dieu seul l'excès de
bien dont une créature est favorisée, sans lui imputer aussi
le mal et la privation du bien (1) : comme si le bien et le mal
procédaient d'une même cause, ou comme si Dieu devait
quelque chose à sa créature et ne restait pas le maître absolu
de ses dons. Mais poursuivons notre revue et assistons à la
chute des anges.

Satiété du bonheur cause de la chute (2).

Lorsque du bonheur s'empare de quelqu'une


la satiété
je ne pense pas qu'elle tombe tout
de ces intelligences,
d'un coup du sommet delà perfection; la chute a lieu peu
à peu et par degrés. Il peut arriver parfois qu'après
avoir commencé de décliner, elle se resaisisse et re-
A'ienne à résipiscence et que, remontant la pente, elle re-
couvre son premier état et regagne ce qu'une négligence
momentanée lui avait fait perdre.

L'insistance avec laquelle Origène expose ces idées ne


permet pas de se méprendre sur sa pensée générale, bien

i. Périmer kon,l, v, 3. Dans ce paragraphe la traduction de Rufin


répète plusieurs fois la même pensée sous diverses formes.
2. IbicL, I. ni, 8 (XI, loîi). La môme idée se trouve développée
aux cliapitres suivants.
LA CRÉATION 85

qu'il ri'ste des doutes sur des points de détail. On ne voit ja-
muis par exemple qu'une créaluro [luisse s'élever au-dessus du
degré de pcrfedlon où elle fui cousliluée originairement.
L'idéal pour elle sérail donc de ne pas descendre ou de re-
monter par ses efforts au niveau primitif. D'après cela, les
esprits les moins infidèles occuperaient les premiers rangs
dans la hiérarchie angélique.

Le^ degrés de la chute (1).

Dans la Trinité seule, source de tout bien, la bonté est


substantielle ; dans tous les autres êtres elle est acciden-

telle et ils sont heureux dans la mesure où ils partici-


pent à la sainteté, à la sagesse, à la divinité du Très-
haut. S'ils cessent de veiller sur eux-mêmes, ils tombent
tôt ou tard d'une chute plus ou moins profonde et cela ;

par leur faute (2). En conséquence, le juste et providen-


tiel jugement de Dieu proportionne la rétribution à la
diversité infinie de leurs mouvements.

Ce sont précisément ces différences de chute qui font la


diversité des natures intelligentes. Au sommet, se trou-
vent les anges qui n'ont que peu ou point fléchi, mais que leurs
mérites inégaux suffisent à échelonner. Au milieu, se tiennent
les hommes, soumis aux puissances supérieures et objet de
leur sollicitude. Enfin, au plus bas degré, les démons obser-
vent eux-mêmes la hiérarchie du démérite. Parfois, l'auteur
du Periarclion signale une quatrième catégorie, celle des
astres animés, qui occuperait une place intermédiaire entre
les anges et les hommes ; mais comme l'hypothèse des

1. Penarchon, I, vi,2 (XI, 166-107).


2. Ibid., Justinien (Lettre à Menas) cite le texte grec de
celte phrase : E; Io!a; aÎTÎa; tôjv ixr, -rpojc/ôvTcov saLiTot;
àyp'J-77/io; yîvovTa'. tï/'.ov f, [âpâoiov ;j.îTa7:Ta>J2'.;, xal i-l irÀsrov,
f,
£-" ÈAaXTOV, /tTA.
astres animés n'est après tout pour lui qu'une hypotiièse,
cette quatrième catégorie est le plus souvent passée sous si-
lence. Cependant l'hypothèse lui sourit et il définirait volon-

tiers les astres « des animaux raisonnables et bons, éclairés


de la lumière de la science par la Sagesse qui est le rayon-
nement delà Lumière éternelle (1) >.

i. Contra Cels., v, 10 (XI, 1195).


CHAPITRE CINQUIÈME

LES FINS DERNIÈRES

Résurrection des morts

Celui de nosdo.?mcs qui fut le plus en butte aux sarcasmes


des païeas est la résurrection des morts. Pour un platoni-
cien, la résurrection de la chair est une chimère et un non-
sens ;
car si le corps est la chaîne, la prison, le tombeau de
l'âme (1), celle-ci, loin de désirer la prolongation d'une so-
ciété qui lui est si funeste, doit aspirer à rompre ses entraves
et à reconquérir sa liberté première. Ce spiritualisme mal
entendu était de nature à séduire Origène cependant, à côté ;

d'un petit nombre de textes sporadiques où percent les spé-


culations imprudentes ^2), U nous enoffre une foule de la
plus irréprochable orthodoxie. Nous ne signalons que pour
mémoire les passages dont l'original est perdu ; ils pour-

Les platoniciens aimaient à rapprocher ôjjjia; (corps) de


1.
Ssua ou ôsTuô; (lien), Ttôai (coî'ps) de rr.aa (sépulcre). Aussi
enseignaient-ils que les âmes suffisamment purifiées sont à
jamais délivrées du corps "Av^-j îwaâ-rwv ^wjt tô -apâ::av si;
:

TÔv lt:£iTa/pôvov (Phédon, 72).

^
i2, S.^Jérùme a réuni ces te.\tes dans sa lettre à Avitus cxxiv,
o et 7 (XXII, 1063-10t3b). On remarquera que toutes les
phrases incriminées sont hypothétiques « Si omnia sine
:

corpore vixerint, consumetur corporalis universa natura


{Periarch., U,m, 2). Shi autem... corruptivum hoc induerit
incorruptionem... forsitan omnis corporea natura tolletur e
medio... Si h;vc non sunt contraria lidei, forsilan sine corpo-
ribus aUquando vivemus (II, m, 3). Tripler ergo suspicio nobis
de fine suggeritur, e quibus quae vera et melior sit lector
88 ORIGENE

raient être suspects, bienque les extraits insérés dans l'Apo-


logie de saintPamphile ne donnent lieu à aucun doute rai-
sonnable. Mais cent fois, dans ses œuvres grecques, Origène
enseigne expressément et comme un dogme fondamental
la résurrection de la chair. Il pourrait couper court aux
objections de Celse en lui disant qu'il impute à tort aux
chrétiens une doctrine qui leur est étrangère. Loin de là ;

Celse a beau « tourner en ridicule la résurrection des morts


prêchée dans les Églises (1) », il répond qu'elle est beaucoup
plus rationnelle que les renouvellements et les recommen-
cements imaginés par les stoïciens et les disciples de Platon
ou de Pythagore. « Qu'on ne nous soupçonne pas, ajoute
Origène, d'être du nombre des soi-disant chrétiens qui re-
jettent le dogme de la résurrection, fondé sur l'Écriture (2). »

Loin de le rejeter, il ne laisse passer aucune occasion de le


confesser (3). On en verra la preuve dans le passage suivant,
dont les Chaînes bibliques nous ont conservé le texte.

Les preuves de la résurrection (1).

Les hérétiques qui prétendent professer la foi de


l'Eglise et qui la ridiculisent comme une croyance de

inquirat. .-1î(^ enim sine corpore vivemus... (II, m, 7). QuEeritur


utriim et tune futura sint corpora, an sine corporibus
aliquando vivendum sit (III, vi, 1). » Le tort d'Origone est
d'exposer, sans la condamner formellement, une hypothèse en
contradiction avec le dogme chrétien ; mais il ne l'admet pas
pour son propre compte car les intelligences créées ne pou-
;

vant, selon lui, se passerd'une enveloppe matérielle, il repousse


nécessairement l'annihilation de la matière.
1. Contra Cels., v, 18 : K£/.t)j|j.woT,x£ ttiv y.£y.T,puy|A£Tr,v tt,?
aapy.ô; àvâaxasiv £v tat; 'Ey.y.)>'r,jîat(; (P. G., XI, 120o).
2. Ibid., 22 : Wr^ 6'7:ovo£Î'vO) Se tiç ''r,\x3iz, xaûxa î^iyovTa;,
à~'è'^zbjui'f slvai TÔjv 7»£yo|j.£Vwv [lèv /picjTiavwv, à6£T0ÛVTwv Se tô
Kspl àvotaxiiTEti)!; xarà xàç Tpasà; ôôyjaa (XI, 1216).
Cf. In Mallh.,
3. xvii, 29' (XIII, loGS) : Contra Cels., ii, 77
(XI, 916-917).
1. /?i 1 Cor., XV, 23 (Cramer, Calena in epist. ad Cor., Oxford,
LES FINS OBRMÈRBS 89

gens déraisonnables, la rejettent en fait, sinon en pa-


roles, en niant la résurrection telle que l'Eglise la croit.
Essayons de les réfuter par ce texte de l'Apôtre et par
une foule d'autres passages. Le Christ est-il ressuscité,

oui ou non 1 Sur ce point, les hérétiques sont d'accord


avec nous. Mais si le Christ est ressuscité des morts et
s'il est le premier-né d'entre les morts, il faut que la
résurrection du Christ soit du même ordre que la nôtre,
puisque le premier-né ne saurait être d'une nature diffé-

rente. Ruben, par exemple, étant le premier-né de Jacob,


doit être de la même famille que Siméon, Lévi et ses
autres frères puînés. Si donc Jésus est le premier-né
des morts, il faut que notre résurrection soit du même
ordre que la sienne. Or Jésus est ressuscité avec son corps,
puisqu'il a mangé et bu après sa résurrection, comme
saint Jean eu fait foi. Lors donc que les hérétiques font

ressusciter les fidèles du Christ d'une autre manière,


ils ne sauraient expliquer comment Jésus peut être encore
le premier-né des morts... C'est une impudence de
soutenir, comme le font certains, que le Christ est res-
suscité des morts, mais que les morts ne ressuscitent pas.
En disant de cœur, sinon de bouche, que les morts ne
ressuscitent pas, on nie équivalemment la résurrection
de Jésus-Christ. Car si la négation est générale, elle

1841, p. 294-296, d'après le man. grec 227 de la Bibliotli. nat.


de Paris). Nous avons coUationné le te.xte de Cramer sur le
man. grec 762 du Vatican, qui est beaucoup plus correct. 'E—'.

(j.uxTT,pt!^ovîE; wî àvofjTwv, ttÎst'.v àÔETOûaiv tw spyw, £'. [J-t, xaî tw


)kÔYa), tJLT, yivïffOa'. avâjTa5''.v AsyovTsî w; t, 'ExxÀT,T£a TriTTï-jEi •
opa
TMi a'jTOÎs i-x/TT.TÉov È/C TT,; dcTroTTOA'.xr,; Ta'jxT.ç Ài'çcwî, xal èç
SXkiii'j oâ [X'jpt'wv. Aude w; àvÔT,-:ov ttîst'.v, àOsTo-jT'.v de
lieu
Cramer, le manuscrit du Vatican a la leçon que nous avons
adoptée
90 ORIGÈNE

comprend aussi la proposition particulière. Supposé


donc que les morts ne ressuscitent pas, comme Jésus
est mort, il s'ensuit qu'il ne ressuscite pas non plus. Au
contraire si Jésus est ressuscité, sa résurrection dé-
montre la résurrection des autres.
Nier la résurrection sous prétexte qu'elle est impossi-
ble, c'est oublier la puissance de celui qui l'a promise.
Qu'y a-t-il de plus impossible parmi les choses impos-
sibles, s'il est permis de parler ainsi, que la vivification
du corps, que la création du ciel, du soleil, de la lune,
de tout l'univers ?
Considérons, si vous voulez, l'origine de l'homme.
Vous voici en présence d'un germe humain. Si l'on vous
disait Ce germe sera un homme il prendra une forme
: ; ;

il en sortira des os, des chairs, des nerfs, des veines; il


marchera. De ce germe vil, imperceptible, surgira un
homme doué de mouvement et d'un organisme animé.
N'accuseriez-vous pas de fohe celui qui vous tiendrait
un pareil langage, si vous n'aviez l'expérience de la
chose ? J'applique harcUment ceci à la résurrection que
vous trouverez encore plus croyable si vous songez
aux perfections de Dieu ce qu'est le germe relativement
:

au corps actuel, la dépouille du juste, qui a servi d'ins-


trument aux actes de vertu, l'est par rapport au corps
ressuscité... Entendez l'apôtre vous dire « On sème un :

corps animal et il en surgit un corps spirituel », comme


d'un germe vil et abject est sorti un homme i)lein de
jeunesse et de beauté. Le cadavre est dans les mains de
Dieu tel que le grain de blé. Des seuls principes latents
que le grain de blé renferme Dieu a pu tirer un épi,
comme il produirait des êtres différents selon la force
secrète, inliérente à chaque germe, comme il a fait un
homme d'un germe humain. Eh bien ! notre corps en
LES FINS DEUNIKRES 91

mourant devient le germe du oori)s {j;lorioux qui doit res-


susciter d'entre les morts dans le Christ Jésus.

Certes, on serait difficile si l'on exigeait une profession de


foi n la résurrection plus nette et plus explicite. Non seule-
ment notre corps doit ressusciter, mais c'est bien le môme
corps, celui qui a été l'opyavov de l'àme, qui lui a servi
d'instrument pour pratiquer les actes vertueux (1). S'il en
est ainsi, sur quoi se fondent les réclamations des accusateurs
d'Origène ? C'est qne celni-ci n'entend pas tout à fait comme

eux ridentité du corps humain. La question est déplacée et


portée sur le terrain philosophique. Quelle est le véritable
principe d'individuation de la matière ? Le proldcme a

toujours paru difficile, et il ne faut pas s'étonner qu'on ne


s'entendît pas là-dessus au iii'^ siècle de notre ère. Ce qu'il y
a d'extraordinaire, c'est que saint Pamplulc et saint Épiphane
s'appuient précisément sur le même texte, l'un pour atta-
quer l'orthodoxie du penseur alexandrin, l'autre pour la
défendre. Nous allons transcrire ce texte. Origène y prend à
partie les simples, qui parlent de résurrection sans se rendre

1. Pamphile extrait des livres d'Origèno sur la Résurrection


S.
une page digne de réloquence de Tertullien (P. G.,
très belle
XI, 91-94): « Quomodo autem non videtur absurdum, ut hoc
corpus, quod pro Christo pertulit cicatrices, et pariter cum
anima porscculionum toleravit sa?va tormonta, carcerum quoque
ac vinculorum et verberum supplicia pertulit, igné etiani cru-
cialum, ferro caîsuni est, insuper et bestiarum cruentos morsus,
crucis patibula, ac diversa pœnarum gênera perpessum est,
tantorum certaminum pnemiis defraudetur ? Quippe si sola
anima, qua? non sola certaverit, coronetur, et corporis sui vas-
culuni quod ei cum magne laborc servivit, nulia agonis et
victoriœ pra?mia consequatur, quoniodo non contra omnem
rationeni esse videtur. ut naturalibus vitiis atque ingenitœ
hbidini propter Christum caro résistons, et virginitatem ob-
tinens cum ingenti labore. qui continentiie labor utique aut
major corporis quam animœ est. aut certo utriusque a?qualis
est, pra?miorum tempore altéra velut indigna rejiciatur, altéra
veniat ad coronam? Quœ res sine dubio aut injustitise ahcujus
Deum, aut impossibilitatis accusât. »
92 ORIGÈXE

compte de ce qu'ils disent. « Quand on leur demande :

Qu'est-ce qui ressuscitera répondent Ce corps dont


? Ils ;

nous sommes revêtus maintenant. Demandez-leur encore :

Entendez-vous par là toute la matière du corps, ou une partie


seulement? Avant d'y réfléchir, ils se hâtent de dire Toute :

la matière. Que si vous les pressez de nouveau pour savoir


d'eux s'ils veulent parler de tout le sang, de toutes les chairs,
de tous les poils qui aient jamais fait partie de notre corps,
ils finissent par déclarer qu'il faut laisser Dieu arranger les

choses à sa guise. Les plus avisés, pour n'être pas embarrassés


du sang et de tout le reste, opinent que le corps ressuscitera
tel qu'il était au dernier moment », ou bien, pour couper

courtaux difficultés, ils font appel à la toute puissance divine,


e Tous les amis du vrai, poursuit Origène, doivent s'atta-

cher à la tradition des anciens, mais en évitant de tomber


dans des subterfuges ridicules et des hypothèses impossibles
ou indignes de la majesté de Dieu. Voici donc comment on
peut concevoir les choses. »

L'identité du corps ressuscité (1).

Tout corps vivant — plante ou animal — qui se


nourrit par intussusception et par élimination des élé-
ments usés change sans cesse de substratum matériel.
Aussi le compare-t-on assez justement à un fleuve car, ;

à parler exactement, le substratum ne reste peut-être


pas deux jours le même. Et cependant l'individu — Pierre
1.Selecta in Psalm., i, 3 (XII, 1093). Texte grec conservé par
S. Épiphano, Haeres. i.xiv, 14-15 (XLI, I0S9-1092), qui l'em-
prunte lui-même à S. Méthode. Aux endroits indiqués do Migne,
le texte est très incorrect ; il l'est surtout dans l'édition de
saint Épiptiane, où il y a de plus trois fautes graves, altérant
tout-à-fait le sens: col. 1089, 1. 49: où -OTa;j.ôç (pour oô y.axw;
TioTatj.ô(;); col. 109i2, 1. 20: -upô-o'.; (pour lô-o'.c);ibid., I. 36:
irj.vTryoii (pour s-'.crT-r,(7a'.), il faut absolument consulter Bon-
wetsch (McUwdius, Erlnngen, 1S91, p. 92-95) qui a pu rétablir
le texte à l'aide de la version slave.
LES n.NS UKIliMÎillKS 93

OU l*aul — demeure toujours îdeiitique à lui-mrme, nou


seulement quant à sou àuie, incapable d'accroissement
et de diminutiou, mais parce (jue, malgré ses transfor-

mations, le corps garde la même forme caractéristicpie,


en vertu de laquelle le même type se maintient à travers
la vie, avec les qualitc's corporelles de Pierre ou de Paul.
Ainsi les cicatrices dos blessures reçues dans l'enfance
et autres s ignés individuels, tels que les lentilles, persis-
tent jus([u'à la mort. Cette forme corporelle qui carac-
térise Pierre et Paul(l), l'âme, à la résurrection, la revê-
tira de nouveau transformée en mieux, mais sans que le
substratum précédent soit tout à fait le même. Et comme
cette forme est identique dans l'enfant et dans le
vieillard, malgré les propriétés différentes qu'elle parait
acquérir, elle sera un jour ce qu'elle est à présent en
dépit des nombreux changements en mieux qu'elle
subira. Il faut en effet que l'àmc, tant qu'elle habite ces
lieux périssables, ait uu corps à l'avenant. Si nous
devions vivre dans l'eau, nous aurions besoin d'un corps
analogue à celui dos animaux aquatiques ;
quand nous
hériterons du royaume céleste, destinés à vivre dans un
milieu si différent de la terre, nous recevrons un corps
spirituel. Non pas que notre premier corps soit anéanti,
mais il deviendra plus glorieux. Le corps de Jésus, de
Moïse, d'Élie, lors de la transfiguration, était essentielle-
ment le même corps. Xe vous
donc pas scandalisez
pour entendre dire que première ne restera
la matière
pas alors la même, puisque la raison démontre à quiconque
est capable decomprendre que, même ici-bas, elle ne
demeure pas deux jours sans changement. Encore cette

1. Il faut évidemment ponctuer, non comme dans Migne,


mais de cette façon : çaxol /al è-nl tû'jto'.; sV zi isT'.v oacov.
ToO-o là sloo;, xa6"ô e'.ooTcotsrTa'. ô Ué-zpoi; %-z'k.
94 OlilGÈNE

réflexion : autre est le corps semé dans la terre, autre est


le corps ressuscité. « C'est un corps animal qui est semé ;

c'est un corps spirituel qui ressuscitera. » Il semble


résulter des paroles de l'Apôtre que nous déposerons, à
la résurrection, les qualités terrestres de notre corps,
tout en gardant la forme elle-même : « Ce que je dis,

frères, c'est que la chair et le sang ne sauraient hériter


du royaume de Dieu, ni la corruption de l'incorrupti-
bilité. »

Ainsi le principe d'individuation du corps humain est la


forme corporelle (tô eISoç tô cw;jiaTt.x6v) qui reste identique
à elle-même, en dépit du renouvellement incessant des
éléments matériels. Origène la compare souvent à la force
séminale qui asservit les molécules et se crée un organisme
déterminé, en rapport avec sa nature. Oîi la place-t-il, dans
l'âme ou dans le corps ? Il ne le dit jamais clairement. Quand
il affirme que l'àme, à la résurrection, la revêtira de nouveau,

on peut entendre qu'unie au corps elle recommencera à


exercer cette force latente que son état de séparation l'empê-
chait de mettre en jeu. La placerait-il dans le corps, il ne
s'ensuivrait point que les mêmes éléments matériels dussent
entrer nécessairement dans la composition du corps glorieux.
Ici, contre son habitude, Origène se montre disciple trop

fidèle du Stagirite mais, quelle que soit sou opinion sur le


;

principe d'individuation et sur les conditions essentielles au


maintien de la personnalité humaine, il défend toujours
énergiquement, avec la résurrection des morts, l'identité du
corps ressuscité. C'est bien le môme individu, avec le corps
qui lui appartient en propre, qui est appelé à goûter les
délices du ciel, ou à subir les suppUces de l'enfer.
LES FINS DERNIÈRES 95

II

L'enfer et le ciel.

N'arriverions-nous pas à comprendre la raison providen-


tielle de l'enfer, il faudrait en adorer la justi(;c et la sagesse.
C'est ce qu'Origi-ne répond aux sarcasmes de Celse. Si le
catéchiste alexandrin manifeste une tendance à spiritualiser
sou jenfer, s'il du dam
insiste plus volontiers sur la peine
que sur celle ne dissimule pas la dernière « Un
du sens, il :

même supplice est assigné par le Seigneur aux démons et


aux damnés... mais dans ce supplice il y a des degrés. L'un
ressent des tourments plus vifs pour des lU'chés plus graves,
l'autre des peines plus modérées en raison de fautes plus
légères (1). »

Tortures des réprouvés (2).

Nous nous en ferons une idée par les souffrances corpo-


relles de cette vie, très aiguës parfois, mais peu durables,
car l'excès même eu précipite la fin. Elles peuvent pourtant
être si cuisantes qu'on a vu des confesseurs de la foi
vaincus par la douleur apostasier au moment où ils

allaient recevoir la couronne, malgré leur ferme résolu-


tion depersévérer jusqu'au bout. S'ilyadansla vie présente
des tourments si intolérables, que sera-ce lorsque Tàme
aura dépouillé ce vêtement grossier pour revêtir, à la
résurrection, un corps spirituel, d'autant plus sensible à
la douleur qu'il sera plus subtil ? Autant il y a de diffé-

1. S. Pamphile, Apol. pro Orig., x (XVII, 615-616): « Mani-

festum est quod una pœiia, tam diemonum nature, quani


humano generi, peccatorum a Domino pra?fuiita sit... licet, iu
eadem pœna, diversa sit quantitas pœnae. »
2. Ibid., vni (XVII, 602-603).
96 ORIGÈNE

rence à être flagellé nu ou couvert d'un


habit, autant le
corps humain ressentira plus vivement les tortures,
lorsqu'il aura échangé son enveloppe
grossière contre uiî
organisme plus délicat.

• Ce qu'il y a d'original dans les descriptions


du sort des
damnés, c'est que l'àme nous y est représentée
se préparant
à elle-même son supplice, et se faisant l'exécutrice des
ven-
geances de Dieu. . Chaque pécheur s'allume
son propre
feu, et nos vices en sont la matière
et l'aliment. De même
qu'une fièvre prolongée, nourrie sans cesse
par l'intempé-
rance, finit par embraser tout le corps
et en faire un foyer
d'inflammation, ainsi en est-il de l'âme
qui accumule les
actions mauvaises et réunit en elle, à la
longue, une masse
de péchés à l'heure marquée tout cet amas de vices s'agite,
:

s'échauffe, bouillonne, et l'àme, en proie à une


flammé
qu'elle a caressée la vie durant, subit la
plus cruelle des
tortures.Un pareil résultat n'est pas difficile à comprendre :

ne disons-nous pas de certaines âmes qu'elles sont


dévorées,
déjà sur cette terre, du feu de la colère, de l'envie, de la
jalousie, et d'autres passions ? Ces maux acquièrent parfois
une telle intensité, qu'on a vu des hommes préférer la mort
au prolongement de leurs souffrances. Que sera-ce
quand le
poison mortel, dont l'àme aurait pu se débarrasser
pendant
la vie présente, allumera en elle un feu
inextinguible ? Alors
par un effet de la puissance di^dne, le pécheur
aura la
conscience pleine et entière de toutes ses œuvres
il les lira
;

en traits de feu dans son intelligence, et ce passé


toujours
présent à ses yeux, lui fera sentir à jamais les
douleurs poi-
gnantes du remords. A ce genre de supplices
viendra s'en
ajouter un autre lorsqu'on nous arrache un membre, nous
:

éprouvons de vives souffrances mais l'àme séparée


; de Dieu,
à qui elle aurait dû être unie, souffrira bien d'avantage de
ce déchirement. Tiraillée en mille sens divers, elle
sera comme
divisée d'avec elle-même, et, en place de l'unité
harmonique
à laquelle Dieu la destinait, elle offrira l'image du désordre
LES FINS DEll.MinBS
97


pa
'V°»f";î°°; '^J-^^'^^-y ces ténèbres extérieures
le ILvaugiIe, c'est-à-dire
la privation
dont
de toute Uunière

contempler Dieu, et vous aurez


une idée du
" sort
suit des
aes
reprouvés (1). .
Il est moins facile à l'homme de
peindre le ciel que l'enfer
parce qu ,1 a moins l'expérience du
bonheur que de la souf-
france Au M.e siècle,
quelques chrétiens vraiment
trop

rr t." ?"°' '' '' ''^'^"^"'^ "^^^ ^^- f-^ ôn-ossière

'" """'" ''^^^ 1^^^^"^^^ «t 'l^^ 'ables


hr.ée do ,
'

et prcN emr les désirs les moins


nobles. Origène réa-it de
mieux contre un son
si abject matérialisme.
En^'dernièrel ,i
le bonheur des élus dans la vue et la
de
il
la
D^f
eau"' :et
cause ;!!„^;.
\—
Aous nous y préparons dès
1 effet.
^^--
contempla ion
divine qui en est à\a fois
ici-bas ^nar la
méditation amoureuse des choses
célestes.

Le repos des élus en Dieu (2).

Gomme rœil recherche


naturellement la lumière
comme corps aspire naturellement
le
au boire et aJ
manger, notre âme éprouve
le besoin instinctif
connaître la vérité divine de
et la raison des
choses et ce ;
desir qu a mis en nous
l'auteur de notre être
sera un
]our pleinement assouvi,
car on ne peut pas
dire que
Dieu nous inspire en vain
l'amour de la vérité. Ici-bas
avec quelque ardeur que
nous nous adonnions aux
tations saintes,
mé^:
nous ne recueillons que
les bribes du
°'^""^^^^ cette occupation
em le'dé"""'-r
tient le desir
en éveil, alimente
'

l'amour de la vérité et

et ab» ?Cr:^^- -^-


- Periarchon,
I^
^f --uction ^'
libre
II, x;, 4 (XI, 243-244).

11
98 ORIGÈNE

dispose à mieux la recevoir un jour. Le peintre, avant

de commencer son tableau, en trace légèrement le dessin


sur la toile pour la préparer au travail du pinceau et
faciliter l'exécution de l'œuvre ainsi le crayon du divin
;

en notre âme, durant la vie pré-


artiste esquisse déjà
sente, une ébauche de la ressemblance parfaite que
nous destine la vie future.

Pour rendre sensibles à noire esprit les ravissements de la

vision béatifique, il faut les dramatiser et les diviser en actes


successifs. Origène nous promène d'abord de splière en
il nous
sphère à travers les splendeurs de la création ;

conduit ensuite dans le monde des réalités invisibles, où il


nous invite à scruter les merveilles des secrets divins enfin ;

il nous jette en plein mystère dans le face à face


avec Dieu.
Là, tout désir de savoir et de comprendre sera assouvi par

la contemplation sans voiles de l'infinie Vérité. Le souverain


bien consiste, comme les philosophes eux-mêmes l'ont
reconnu, dans la ressemblance avec Dieu (1). Cette ressem-
blance, cette assimilation, ainsi que saint Jean et saint Paul
nous l'enseignent, est produite par la >4sion intuitive. Mais
elle est ébauchée dès cette vie par la grâce et Dieu
qui, à

l'origine, fit l'homme à son image, lui donna le pouvoir et


l'espérance de parfaire un jour cette similitude (2).

1. Periarchon, III, vi, 1 (XI , 333) : « Summum bomim...


a quamplurimis philosophorum hoc modo terminatur quia
summum bonum prout possibile est, similem fieri Dec. »
sit,

L'expression Heoû xaxà xô SuvaTÔv est de Platon. Les


ô;xoîw!j'.i;

Pythagoriciens parlaient aussi d'une ôtio^^oyEa -rpôç -cèv 6e&v.


'± Ibid. : « Hoc ergo quod dixit Ad imaginem Dei fecit :

eum, et de similitudine siluit, non aliud indicat nisi quod


imaginis quidem dignitatem in prima conditione percepit,
similitudinis vero perfectio in consummatione servata est :

sciUcet ut ipse sibi eara propriœ industrie studiis ex Dei imi-


tatione conscisceret cum, possibilitate sibi perfectionis in initiis
data per imaginis dignitatem, in fine demum per operum ex-
pletionem pcriectam sibi ipse simili tudinem consummaret.
»
LES FINS DBHXIICRKS

ni

La coasommation des
chosks

. Lorsquon juge et qu'on veut


enlen.he une doolrine
f«u(
u,oms la juger et l'entendre
lan eur que d'après ec
d'après dUceq™
qu'il doit dire selon ses principe
r.Ongène part do la rénovalion
"bon et par le sacrifice
du monde, par
du Christ; il tam'oné
Snt
en
"^' "^ ""^ -' celteréno : ion
c?se:Znt'd"''"™'°.°"
°"°"''™ '"
qu'i IsWle vr"'""""
>''=^'
i"»"= 'l-'autanl
n. coi qtn ™;eTui'Cn.t''"° '"''^'' '"=*^'-
de torturer L
te.te;:. de de^nZ^r
TaTen^e ^p"??'"'
en voulant à tout prix mettre
daeco^d' h t ^tes
™ 3'
thèses. Les hypothèses
contradictoires
ne s'exeh enf"^
dans un même esprit
fondées sur une s" e
:

elles laissent subsister p prohahm,?


la probabilité
contraire Nous ,n' "'
voir qu-Origène accueille quelquefois
krZ,

" '^'^'luicnon — sont dominées par rexnositinn


catliohqne du dogme des peines et des récompense
Très souvent il parle de l'éternité
éteSes
en
du ciel et de l'en fer
des termes où il est difficile
de découvrir une restrict
mie arriere-penséo.Sans doute ton on
il sait que
le mot tern
se prendre au sens large, îpeu^
pour une durée très
l^H^l
qult:û,trèfa?oirr°;'r4rs1!^''" '^-^'^ ''''' °'-™
ressemblance ., "'" " ™''* ''""ê" «l
le fit seul'cmcn f.„ "'""^'- '"''''° '« '^"<- de
la Genèse, ,, 27
Û en coi dur,.,. i°i?
l'image divine, ii se>,X ' °' /'"•'" "'"'^ "'"'
<le a ta""»
ressemblance qu'il él=i.
^Lr.^l'Zlti.SS
'" ''"'"' "^ "
i' ^rF:S '""""'''' ""''S™"' 1884'
p- m-
IQO ORIGENE

mais il sait aussi qu'il se dit propremeut d'une durée sans


fin (1). Plusieurs passages ne paraissent pas susceptibles
d'une autre interprétation. Contentons-nous d'indiquer les
cinq groupes de faits suivants :

1. Le mot « qu'on dit équivoque, est remplacé


éternel »,

« toujours » ou par des synonymes dont la


par l'adverbe
forme négative est exempte d'ambiguité, comme « sans
sans retour
fin (àTïlEÙ-ïYiToç), sans limites (àuépavroq),
(àva7r(55L(JTOç) (2) ».

2. Maintes fois, les peines


éternelles sont opposées aux

peines temporelles, et le feu qui ne s'éteint point,


au feu

qui se consume et ne saurait durer à jamais (3).

3.Rien de plus commun chez Origène que la division


qui ne peuvent
des êtres raisonnables en trois classes ceux :

mal, anges ceux qui ne peuvent faire aucun


faire aucun les ;

bien, les démons ceux qui font tantôt le bien, tantôt le


;

mal, les hommes. Nous verrons plus loin comment il expli-


que' la fixation des uns dans le mal, des autres dans le

bien (4).
La vie présente est le temps de la propitiation ;
au
4.

très longue, mais quand l'Écriture


ajoute et adhuc (ou
durée
il s'agit d'une durée sans fin.
Cf. Periarchon, II, m, 5;
et ultra),
In Roman., vi, 5 et 6.
n, 11 « Sempiternum vel a?ternum propne
1 Periarchon. I, :

dicitur quod neque initium ut esset habuit, neque cessare


unciuam potest esse quod est. »
XIII, 793) Les prophètes
2 Scolie sur Ezech., vu, 26 {P. G.,
:

(Ttspl -cf,; alwvEou xoXâjsu);)


parlent souvent de châtiments éternels
et rÉvangile enseigne
clairement l'enfer et ses tourments sans
Tispl yeévvT,<; xal twv à>;>.wv
àT£7.£Uxf,TWV paaâviov). L'enfer
'fin (ta
(scolie sur Prov. xix, 16, P.^ G.,
est appelé àTOpavxoç ôivaxoç
XX, 25, P.G., XVII,
XVII, 208)) ; àvxTOÔiaxo; T:t[xwp(a [ibid.,
213) -'les méchants sont avec les démons
eU alwvaç altivwv {ibid.,
expression marque pour
XX 27, P. G., XVII, 213) or, cette :

Origène une éternité proprement dite.


3. In Levit., hom. xiv,
4.
_

4. Scohe sur Psal., vi, 9


(Aaifxôvwv -zh 6ià Travrôç tt^v otvoiAlav
àvôpw-âwv t6 \xt^ S ta TiavTÔ? à-j^'^wv tô ^rfiir.oxz.

tpy'iU'z'îiM-
sur Ps., xli, 4 (XII, J416) scolie sur Prov., xxi, 25.
Cf. scolie ;
I-ES KINS DEnwiÈRES
IQJ
delà, plus conversion possible les prières
(le
des vivants ne ;

sauraient arracher sa proie


à l'enfer (1)
o. Enfin quand
Celse reproche aux chrétiens d'avoir
emprunte aux philosophes la doctrine des cliàtiments
e orne s Origine
se horne à répondre
que les chrétiens onl
pour c a des arguments
certains, tandis que les
autres
n on que des conjectures
(2). Parlerait-il de la sorte s'il
limitait la durée de l'expiation ?
Cependant d'autres passages
éveillent des soupçons. II
" '-"' ^'"'^'''' "^ "file d'expliquer ouvertement les
^nnnii.
supplices reserves aux pécheurs,
car c'est à peine si la
crainte de Châtiments
éternels retient certains
hommes sur
'""" '' '''' '^ «-"--» g- ces châ-
tm'eTt oexistent
timent, r: ^''•"
mieux vaut laisser le reste dans
:

de pénombre
une sorte
On
voudrait entendre affirmer
(4).
que les . supplices dits éternels . nettement
(5; le sont réellement
propos des erreurs utiles, Origène A
fait cette réflexion
étrange •

''^"*'^ '''''' 'y^^' découvert


véHe"t''V"''
^e^te sur les peines (destinées
aux
la
méchants) et s'étant
lebarras^^^

vant
pas 6
I
"
Y
'
leur illusion, se sont

tr '"^''',
T'""''
conduits plus
" '^"'^'^°^"" ^^'^^^^^"^-
P^^ '' '' ^^"
— mal dans"
e aupara-
^^' ^' «'éteint

Tabus
dabus ? T
'" ''""'^''''^ ''' P^'^'' ^« «^^^dale et
Tp pèche contre
Le l'Esprit-Saint ne sera remis
ni
dans le siècle présent ni dans le siècle futur mais, poursuit
;

2. Conira Cels., vui, 48-52 (XI,


1388-1594).
o. Contra Cels., vi, %
CXI n-Wv .-, - ^

^.m,., ,„, 79 (X,. ,024, : „. ..,....,-4!r ;;.=,,.,,„,


102 ORIGÈRE

Origène, « de ce qu'il ne sera pas remis au siècle futur, il

ne s'ensuit pas qu'il ne puisse être remis dans les siècles


postérieurs au siècle futur (1). » Et voici un doute encore
plus suspect « Le malheureux trouvé sans la robe nuptiale
:

demeurera-t-il lié à jamais. ou sera-t-il délivré un jour ?


. .

Dans le passage où il est question de lui, il n'est point parlé


de sa délivrance. Or il me paraît dangei'eux de rien affirmer
sans preuves, surtout lorsque l'Écriture est muette (2). »
On le voit, si Origène ne dit point que les peines des
damnés prendront fin, il est des textes où il le laisse enten-
dre au lecteur déjà en éveil. Plus encore que les textes, sus-
ceptibles peut-être d'une explication favorable, deux théories
dont il a parsemé ses œuvres donnent à réfléchir. Plusieurs
fois il semble affirmer que toutes les peines infligées par Dieu
sont médicinales et ont pour but de guérir le coupable. S'il

en ne peuvent durer toujours, à moins que le


est ainsi, elles
coupable ne refuse obstinément la guérison. L'auteur du
Periarchon enseigne également que le pouvoir de faillir
et de réparer ses chutes est une propriété inaliénable du
La conséquence est aisée à tirer ni le bon-
libre arbitre (3). :

heur des élus ne serait sans appréhension, ni le malheur des


réprouvés sans espérance. Quelque bas que soient tombées
les intelligences déchues, elles peuvent se relever; quelque
haut qu'elles soient montées, un revirement peut les précipi-
ter de nouveau. ?s'y aura-t-il jamais d'arrêts dans ces ascen-
sions et ces descentes et tous les esprits créés, sans excep-
;

tion et sans terme, devront-ils subir le flux et le reflux de


volontés perpétuellement changeantes? La logique du
système le voudrait ainsi; mais les données de la foi s'y
opposent. L'âme du Christ est d'aljord mise à part. Comme
le fer plongé dans la fournaise aspire la flamme par tous ses

1. /m/ooji.. xix, 3 (XIV, 5o2): Où \xhxo'. ys si tj.r, îv tu» ;jLrAA0VT'.


aîwvi, t/jT, o'joè 3v ToT: aîtôs'. toï; è-sp/OjjLivo'.;.
2. Ibid., xxvni, 7 (XIV, 697): -rÔTEpov ei; àel [jiévî'. Ô£5£[iévo;... t,

^u6T,S£Taî ZOTc.
3. Periarchon. I, vi, 2; II, ix, 2, etc.
LKS l'INS DER.MÎiRES 103

pores et devient totiilemeul igaé, « l'àme de Jésus est plon-


gée dans le Verbe, dans la Sagesse, en Dieu; tout ce qu'elle
opère, tout ce qu'elle veut, tout ce qu'elle pense, c'est Dieu;
elle ne peut ni changer, ni se détourner du bien, parce qu'elle
est enflammée sans cesse par la présence du Verbe auquel
elle est unie 1 ». Les âmes dos élus participent à cette impec-
( )

cabilité du Christ. Kilos le doivent à !a charité consommée


et couronnée.

La charité ne déchoit pas (2).

Par ces mots « La charité ne : iléciioit pas », l'apôtre


nous indique comment, dans les siècles futurs, le libre
arbitre sera lié de manière à ne pas retomber dans le
péché. La charité est plus grande que la foi et que
l'espérance, précisément parce (|ue seule elle nous pré-
servera de toute [nouvelle chute. Quand l'homme sera
parvenu à un si haut degré de perfection qu'il aime
Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses
forces et le prochain comme soi-même, le moyen pour
lui de faillir encore 1.. Le hbre arbitre ne pourra nous
séparer de la charité. Bien que cette faculté naturelle
subsiste toujours, la force de la charité est telle qu'elle

attire tout à soi et se fait escorter de toutes les vertus,


surtout quand c'est Dieu qui l'a produite en nous.

i. Periarchon, II, vi, 6.


2. In Roman., v,
10 (XIV, 1053): «Quid autera sit qiiod
in futuris teneat arbitrii libertatem. ne rursum
sfeculis
corruat in peccatum, brevi nos sermone Apostolus docet,
dicens Charitas nunqiiam cadit. » Le sens est très clair et
:

l'éditeur Delarue semble ne pas l"avoir compris quand il sup-


pose qu'au lieu de ne il faut lire nec. contre la foi de tous les
manuscrits.
104 ORIGÊNE

Ce que la charité consommée opère dans les élus, la malice


consommée le produit dans les démons. Ils ont la rage du
crime et trouvent leur plaisir dans la haine. S'ils sont ancrés
dans le mal, c'est moins par l'impuissance d'en sortir que par
la volonté d'y rester (1). Origène dit ailleurs que la malice
leur est devenue naturelle ;
qu'elle est pour eux comme une
seconde nature (2). On se souvient aA-ec quelle énergie U
repoussait l'imputation calomnieuse d'avoir prétendu que le
démon serait un jour sauvé : idée extravagante qui n'entre-
rait pas, disait-il, dans la tèted'un insensé. La terre est le
lieu de l'épreuve : tant que nous vivons, nous sommes dans
les mains du céleste potier qui peut réparer nos brisures;
ime fois morts, tout espoir de refonte est perdu (3). Nous

voilà de nouveau en pleine orthodoxie; mais nous ne tardons


guère à en sortir de nouveau. Ici vient se placer la fatale
hypothèse de la restauration universelle qui a valu à l'auteur
du Pcriarchon les critiques les plus acerbes et les pins méri-
tées. Il nous faut l'exposer au lecteur dans les termes mêmes
oîi elle se présente dans les écrits d'Origène, avec toutes les
précautions oratoires, les protestations, les hésitations et les
circonlocutions dont il l'enveloppe. On verra combien il
avait conscience de marcher sur un terrain mouvant qui
n'avait pas dans la tradition catholique le plus léger
appui.

1. Periarchon, l, vni, 4 (XI, 180): • Est alter iste ordo


ralionabilis creaturse qui se ita prœceps nequitiœ dédit, ut
revocari nolit magis quam non possit, dura scelerum rabies
jam libido est et delectat. »

Jn Joan., x.\, 19; In Malth., fragm. (P. G., XVII, 292).^


2.
3. InJorem., hom. xviii, 1 (XIII, 464): "O^ov èff[jL£v ivôâos oîovel
Iv yt'.pl Toû X£pa;x£w; ôvts;;, v-av StaTTEari t6 sx.£'J0(; à-ô tôjv /sipàiv
auTO'j,£T:'.5£/£Tai6£pa-£(av y.x\ tc àvax-ïtîjÔfiVa'.. Mais après l'àgC pré
sent, à la fin de la vie (È-àv |j.£Tà tôv £V£TTWTa aiwva -f.xwjxEv, irpôc
TU) t£Ae'. ysvôijLEvot T-f,î î^wf,^}, il n'y a plus à espérer ni renou-
vellement ni amélioration (oùx àva>iT[î;o|j.£9a oûoè £-'.o£/£Tai T|]j.tl)v
Tj XaTasXEUT, fSEÎ^-ïtlOCTlv).
LES FINS DERN'IÈRES 105

lle^lauralion universelle (1).

Ces questions ai-clues et subtiles exigent du lecteur


ou de l'auditeur désireux de s'instruire autant de
réflexion que de prudence. S'il y reste totalement
étranger, elles pourront lui pai'aitre vaines et superflues;
s'il y apporte un esprit prévenu, elles lui sembleront
peut-être hérétiques et contraires à la foi de l'Église,
moins pour des raisons décisives que par suite du parti
pris. Nous ne les abordons nous-mème qu'avec crainte
et circonspection, plus i)our les examiner et les discuter

que pour définir ou affirmer quoi que ce soit. Nous


avons essayé plus haut, en parlant de la Trinité, de
déterminer quels sont les points où le dogme est certain.
Maintenant nous allons discuter les autres de notre
mieux sans rien trancher et par manière d'exercice. .

Donc, la fin du monde et la consommation viendront


quand les pécheurs auront achevé de subir un châtiment
proportionné à leurs crimes. Dieu seul en connaît le

temps. Mais nous pensons que la bonté de Dieu, par la


médiation du Christ, ramènera toute créature à une
même fin, après avoir dompte'' et assujetti les ennemis.

Suit le texte des Psaumes et celui de saint Paul : « Il faut


que le Christ règne. Il faut que tout lui soit soumis i2j »,

paroles qu'Origène entend d'une sujétion Aolontaire.

Lorsque tous les ennemis seront soumis au Christ, que


le dernier ennemi, la mort, sera anéanti et que le Christ
à qui tout aura été soumis, remettra le royaume à son

t. Periarchon, I, vi, 1-3 rXI, lGo-109).


2. 1 Cor., XV, 23-26. Cf. Ps. cix (CX), 1.
lOG ORIGÈNE

Père, ce sera la fin : et cette fin nous permet de nous


représenter le commencement. En effet la fin est tou-
jours semblable au commencement; et comme la fin de
toutes choses est une, le commencement doit avoir été
un. Tous les êtres, malgré leur diversité, ont une même
fin : ainsi d'un commencement identique sont sorties
les variétés et les différences actuelles qui, par la bonté de
Dieu, dans la soumission au Christ et l'unité du Saint-
Esprit, seront ramenées à un même dénouement sem-
blable à l'origine...

C'est runité que Jésus-Christ, d'après saint Jean, deman-


dïiit pournous à son Père et que l'Apôtre nous promet d).

Parmi les esprits déchus il en est cependant qui sont


tombés dans un tel abîme de malice qu'ils ont été jugés
indignes de l'épreuve salutaire réservée au genre humain
sous la conduite des puissances célestes, et qu'ils sont
devenus les ennemis mortels de l'humanité... Quelques-
uns de ces esprits, rangés sous le pouvoir du diable et
complices de sa méchanceté, pourront-ils dans les siècles
futurs se convertir en vertu de leur libre arbitre;
ou bien la malice invétérée par la force de l'habitude leur
est-elle devenue comme naturelle? C'est à toi, lecteur,
déjuger si cette catégorie de créatures sera totalement
exclue de l'unité et de l'harmonie finales, soit dans les
siècles mesurés par le temps, soit dans les siècles coexis-

tants à l'éternité.

Meus Origène semble aussitôt vouloir rétracter son doute


quand il poursuit :

1. Joan., XVII, 20-23; Ej^h., iv, 13.


LES FINS DERNIÈRES 107

Il résulte de là, ce me semble, que toute créature rai-


sonnable peut passer d'un ordre à l'autre et atteindre
un degré quolronquc, tandis qu'elle monte ou qu'elle
descend selon les efforts et les mouvements divers de
son libre arbitre.

Les llurliiations du libre arbitre (1).

Je pense que quelques liommes, débutant par des


fautes légères, s'ils refusent de se comertir et de faire
pénitence, peuvent arriver à un tel degré de malice qu'ils
deviennent des puissances ennemies au contraire, parmi
;

ces puissances bostiles [à l'homme] il peut s'en trou-


ver qui, dans le cours des âges, guérissent leurs bles-
surent et cicatrisent leurs plaies au point de passer dans
les rangs des meilleurs. Nous l'avons dit souvent, dans la
durée des siècles infinis qui mesurent la vie des âmes,
quelques-unes peuvent tomber par degrés jusqu'au plus
profond abîme de la malice, tandis que d'autres, parties
du dernier échelon du mal, s'élèvent au comble de la
vertu parfaite et consommée.

D'après cela il n'y aurait point de fia il n'y aurait que


;

de perpétuels recoDunenceruenfs. Les mondes succéderaient


aux mondes comme les renouvellements indéfinis imaginés

1. Periarchon,III, i, 21 (XI, 302). Co paragraphe est omis —


à dessein évidemment —
par les auteurs de la Philocalie qui co-
pient tout le reste du chapitre. II nous est conservé en latin par
Riifin et par S. Jérôme i,Ad Avitum, episl. cxxiv, 8; P. L., XXII,
lOGG). Nous avons suivi S. Jérôme, mais la traduction de
Rufm concorde tout à fait pour le sens. En voici les dernières
lignes: Ex quo opinamur, quoniam qiiidem, sicut freijuenter

diximus, immortalis est anima et alterna, quod in multis et


sine fine spatiis, per immensaet diverea ssecula, possibile est ut
vel a summo bono ad infima niala descendat, vel ab ultimis
malis ad summa bona reparetur. .
108 ORIGÈNE

par les stoïciens. Ou plutôt les transformations de l'univers


ne se produiraient pas à la fois et en masse, mais les intelli-

gences créées poursuivraient isolément, sans trêve ni repos,


leurs destinées individuelles. D'autant que leurs mouve-
ments, loin de conspirer vers le même but, ont lieu souvent
en sens inverse que leur direction peut à tout instant
et
devenir rétrograde. Il en résulte que rà-itoxaTàTTaaiç est
diamétralement opposée à la théorie des épreuves successi-
ves indéfinies. Les deux hypothèses —il est à peine besoin
de le dire —
sont absolument inconciliables avec les données
delà révélation. Que peut-on dire pour la défense de l'auteur
du Periarchon si ce n'est, avec saint Athanase, qu'il ne faut
pas chercher sa vraie pensée dans les ouvrages où il discute
le pour et le contre par manière d'exercice et de passe-
temps (1); ou, avec saint Jérôme, qu'autre chose est dogma-
tiser, autre chose exposer des opinions ou des hypothèses que
la discussion cclaircira (2). « Si l'on épi'ouve une véritable tris-

4. De décret. Nie. syn., 27 (XXV, 46-d).


2. Ad. Pammach. epist.. xlviii, 12 (XXII, 502): Aliud est
yjixvasT'.xôJ; scnbere, aliud ooyiJ-aT'.vtôi;). 11 faut ajouter que la
fixation des bons anges dans le bien et des mauvais dans le
mal n'avait pas alors le degré de clarté et de certitude qu'elle
acquit plus tard. On était bien d'accord que le diable ne peut
pas faire pénitence mais on ne soupçonnait pas encore que
;

son impuissance à se repentir provint de son incorporante


(S. Jean Damascène, De Flde orthod., u, 3, P. G., XCIX, 872).
On sait comment plusieurs Pères expliquaient le péché des fils
de Dieu avec les tilles des hommes. S. Basile {In Ps. xxxii, 4,
P. G.. XXIX, 333) dit que les anges sont S!;c;j.ETi9£T0i -rpàî
xay.tav parce qu'ils ont été plongés, pour ainsi dire, dans un
bain de r.aintoté par le Saint-Esprit. S. G régoire de Nazianze
(Oral., xxvni, 31, P. G., XXXVI, 7^) les appelle àxivf,TO'j; -rpà;
TÔ /stpov ?, S'jc;-/.'.vt'|Xchjî. Et le contexte montre qu'il s'agit bien
des anges dans l'état actuel. S. Jérôme {In Epist. ad Eph., i, 21,
P. L., XXVI, 461) dit aussi que les anges, maintenant encore,
gagnent leurs rangs et leurs fonctions par leurs mérites ou les
perdent par leurs démérites. \\ répond à Rutin, qui trouve cette
théorie bien origéniste, que ces montées et ces descentes, ces
progrès et ces reculs, n'ont pas assez d'amplitude pour faire
d'un ange un démon. Mais S. Maxime, dans ses notes sur la
LES FINS DERNIÈRES 109

tesse à se voir obligé de mùler tant de restrictions à l'éloge


d'uu homme qu'on voudrait pouvoir louer sans réserve, ces
regrets sont adoucis par la haute utilité de la leçon qui en
ressort ... Ce n'est point parmi les intelligences médiocres
que se produisent des théories comme celles du Periarchon :

il une certaine trempe d'esprit pour errer de la sorte.


faut
Voilà pourquoi l'homme de génie, moins que tout autre, peut
se passer de règle : plus l'horizon de la pensée s'élargit
devant lui, plus il court risque de s'y perdre; et la nécessité
de prendre pour guide l'enseignement infaillible de l'Église
grandit avec la supériorité intellectuelle. Cette loi psycholo-
gique et morale a été fidèlement observée par les esprits qui
se sont élevés le plus haut dans la sphère des sciences théo-
logiques : il suffit de nommer saint Augustin, saint Thomas
d'Aquin et Bossuet. D'accord avec eux sur le principe,
Origène a été nioins heureux dans l'application. Il s'est trop
fié aux ressources de la raison individuelle ; et par là il s'est

amoindri, bien loin d'imprimer à ses hautes facultés un


élan plus ^^gou^eux (1). »

Hiérarchie céleste {P. G., IV, 93), pense que les plus imparfaits
des anges et les jilus voisins de la terre peuvent peul-être dé-
choir et tomber dans le mal ("sw; xal è-i t6 /sTpov Tpa-:rr,vai).
1. Freppol, Origène, leçon xxxviii, t. II, p. 446-447.
DEUXIÈME PARTIE

L*exégète

CHAPITRE PUEMIER

Travaux d'exégèse

Théologieu subtil, incompaml)le controversiste, critique


patient et orateur fécond, Ongène est avant tout exégète. On
pourrait presque dire qu'il n'est que cela, tant son
exégèse est envahissante. Au fond, sa théologie n'est que
de l'exégèse. Il n'avance rien qu'il n'appuie sur une longue
série de textes hihliques et si, à l'inverse de la méthode
actuelle, la preuve scripturaire vient souvent la dernière,
c'est qu'elle est la plus décisive. L'exégèse ne domine pas
moins sa polémique; elle en est l'àme même et Origène
n'entre en lice que pour rétablir le sens de textes mal com-
pris ou défigurés. Enfin la critique n'a de prix à ses yeux
que comme auxiliaire de Texégèse et tout le monde sait que
ses homélies sont moins des discours parénétiques que des
leçons d'Ecriture sainte.
Les œuvres exégétiques d'Origène étaient de trois espèces :

les commentaires proprement dits, les homélies et les


scolies (1). Los deux premières catégories sont bien connues.


1. Le texte classique de S. Jérôme (préface à la traduction
des homélies sur Ezéchiel) doit être confronté avec divers autres
témoignages du même Père (Prologue au Comment, sur l'épître
aux Galates Prol. au Comment, sur S. Matthieu
; Prol. au ;

Comment, sur Isaïe). Il en résulte que les commentaires pro-


112 ORIGÈNE

Quant aux scolies, c'ctaieut de courtes notes de philologie,


de critique, d'exégèse ou d'histoire, destinées à secourir la
mémoire du maître ou des élèves. La concision en était un.
des principaux mérites souvent elles ne dépassaient pas en
;

longueur le texte à expliquer. De fait, les scolies sur l'Exode,


sur le LéAitique, sur Isaïe, sur les quinze premiers psaumes,
sur l'Ecclésiaste, sur certains passages de saint Jean, sur
tout le Psautier, ne remplissaient respectivement qu'un rou-
leau (1). Il fallait qu'Origène s'y fût astreint à un laconisme
dont il n'était pas coutumier. Les notes que Bossuet recueil-
laiten lisant l'Écriture sainte la plume àlamain, plutôt pour
son usage personner qu'en vue de la publication, seraient
sans doute un terme de comparaison assez approchant.
Les Slromatcs n'étaient en somme qu'un recueil de scolies:
œuvre de jeunesse, oii le chef de la Catéchèse, un peu
au hasard de l'inspiration et de l'enseignement, avait con-
signé ses notes de professeur. Le troisième livre s'occupait
entre autres choses de l'épitre aux Romains, le quatrième
de la première é^iître aux Corinthiens, le neuvième de
Daniel d'après la version de Théodotion, le dixième de
Daniel encore et de l'épitre aux Galates. L'auteur y avait
fait entrer ses premiers essais d'exégèse; mais l'érudition

profane y coudoyait la science sacrée. Platon et Aristote,


Numénius et Cornutus y déposaient en faveur du christia-
nisme. A cet amalgame hétérogène aucun nom ne conve-
nait mieux que celui de Stromates.
Origône a prononcé un nombre incalculable d'homélies
s'il est vrai, comme saint Pamphile l'assure, qu'il prêchait
presque chaque jour (2). A prendre au pied de la lettre le

prement dits d'Origène s'appellent tôiioi, libri, volinnina ; les


homélies, 6[j.t)vfai, homiliœ, tractatiis ; les scolies, <t/6X:x,
ffr,;j.£iiôae'.i;, excei^pta, commaiicum interprelandi genus. Cf. Bar-
denhewer, Geschichle der allkirc/il. Liler., t. II, 1903, p. 80-92.
1. Il y aurait exception pour l'Exode si la citation des scolies
((TT,[jL£twae'.;) devait se lire èv olWiù tôsj.w {P. G., XII, 277); mais

la vraie leçon est bien èv aV/vw iôtm. Cf., Philocalia, p. 252.


2._Apol. Prœfat. (XVII, 545)'.
TRAVAUX d'exégèse 113

renseignement fourni par Eusèbe, il n'aurait autorisé les


sténographes i!i les recueillir qu'à partir de soixante ans,
quand nombreuses occupations ne lui permirent [dus
ses trop
de Souvent assez succintes, elles ne contieuiiont
les dicter.

sans doute (pie la substance du discours prononcé.


Les commeulaires étaient des œuvres de longue haleine
exigeant des années de travail. Saint Jérôme qui semble
avoir eu en médiocre estime les homélies d'Origène
— au moins les homélies sur saint Luc ne tarit pas —
d'éloges sur les -<5[xoi. Il admirait surtout sans réserve les
soixante-deux livres consacrés à l'explication des évan-
gélistes Jean, Luc et Matthieu. On l'avait supplié de les
mettre en latin, mais il s'en excusait sous prétexte que cette
œuvre était au-dessus de ses forces et de ses
loisirs. Cepen-
dant l'entreprise semble n'y avoir renoncé qu'à
le tentait et il

regret. S'il avait pu l'exécuter, i le monde romain, disait-il,


aurait appris par expérience quel bien lui avait manqué jus-
que-là et quel trésor lui était maintenant donné. Origène s'y »

livrait, toutes voiles déployées, au souffle de son génie (1).

Nous ne possédons plus en grec qu'une portion bien


minime de l'œuvre exégétique d'Origène et ces faibles débris
d'un colossal édifice sont encore frustes et mal conservés:
huit livres du Commentaire sur saint Matthieu, neuf livres
du Commentaire sur saint Jean, vingt homélies surJérénaie,
enfin la fameuse improvisation sur la sorcière d'Endor. Il faut
joindre à cette liste bien courte d'assez nomljreux extraits
reproduits dans la Philocalie et les innombrables frag-
ments des Chaînes bibliques.
Les traductions de saint Jérôme et de Rufin compensent
mal la perle de tant d'ouvrages. Au premier, nous devons
soixante dix-huit homélies au second, cent dix-huit, sans par-
;

ler du Periarc/ion, de trois livres et demi du Commentaire


sur le Cantique des cantiques et d'un remaniement abrégé du

I. Préface à la trad. des hom. sur Luc (XIII, 1799-1802).

12
114 ORIGÈNE

Commentaire sur l'épître aux Romains. Un traducteur ano-


nyme nous a conservé dans un latin barbare le Commen-
taire sur saint Matthieu à partir du chapitre xvi. Les
lectionnaires latins du moyen-àge renferment un certain
nombre d'homélies d'Origène, éditées presque toutes par
Combefis. La plupart de ces homélies appartiennent à des
ouvrages déjà connus plusieurs sont évidemment apocry-
;

phes ; l'authenticité de quelques autres mériterait d'être exa-


minée avec plus de soin qu'on n'en amis encore à les étudier.
Quant aux vingt Traclalus Origenis découverts et pubUés par
Mgr Batiffol, tout ce qu'on peut en dire ici c'est qu'ils ne sont
pas d'Origène.
GIIAPITHE DEUXIEiMF

Principks d'exégèse

Inspiration de l'Écriture

Les théories surl'inspiration n'étaient pas encore à la mode,


Origène se contente d'établir que l'Écriture est inspirée en tant
qu'elle est la parole de Dieu et l'œuvre de Dieu. L'Écriture est
divine et l'Écriture est inspirée sont pour lui deux formules
à peu près équivalentes (1). 11 croit avoir suffisamment dé-
montré l'inspiration des Livres saints quand il en a prouvé
la divinité; et celte dernière preuve se confond presque à
ses yeux avec celle de la divinité du christianisme. Il n'y a
là ni pétition de principe ni cercle vicieux. La réalisation des
prophéties dans la jjersonne et l'œuvre du Christ et l'inter-
vention miraculeuse de Dieu en faveur de son envoyé prou-
vent en même temps la mission divine de Jésus et le carac-
tère divin des écrits qui renferment son histoire prophé-

1. et divinement inspi7rs (twv Oïîojv xxl i%


Les discours divins
ôsoaopîa; sont opposés aux enseignements pro-
à-rr.-'^'ïXasvwv)

fanes. Contra Cels., m, 81 (XI, 1028). —


Les auteurs de la Phi-
(ocalie (chap. i) intitulent avec raison le passage du Periarckon
relatif à l'inspiration : lUoL tqO ^zo-z^iz-Jzxo-j xf,; Oîia? rpa-fr,;.
Cependant, Origène ne parle pas directement d'inspiration,
mais de divinité: « Puisque nous employons le témoignage des
Ecritui-es que nous croj'ons divines (ix twv -£-;7-:ï'j;jLivtov t,ixïv
elva'. estojv Tpaytôv) et que nous n'avons pas encore parlé de la

divinité des Ecritures (xal oici-w r.zpi twv rpa-jwv wî Ôît'wv


5'.£'.Ar/6T,a£v), disons en ]ieu de mots quelles raisons nous
portent aies croire rfiuùies(w;T£ol6cia)vyûa;jL;j.aT(av). - Periarchun,
IV, 1 (XI, 341-344).
IIG ORIGÈXE

tique ; mais la divinité de l'Eglise instituée par le Christ


rejaillit à son tour sur les Livres qu'elle nous propose comme
divins.
Au début du quatrième Vixre du Pei'iarchon, Or'igène déve-
loppe trois arguments en faveur de la divinité du christia-
nisme 1. Acceptation parle monde entier de la révélation
:

mosaïque et de la morale évangélique. 2. Propagation mer-


veilleusement rapide de la foi chrétienne en dépit de tous
les obslacles et contrairement à toutes les prévisions. 3 Ac-
complissement des prophéties dans la personne et l'œuvre
du Christ. Les prophéties qu'il se plaît à mettre en lumière
sont : la bénédiction de Juda par Jacob, la vocation des
Gentils, la Vierge et l'Emmanuel, la naissance du Fils de Dieu
à Beliiléem, les soixante-dix semaines de Daniel (1). Il en
conclut que Jésus-Christ est Dieu et, par contre-coup, que
l'Écriture est de Dieu. Il poursuit en ces termes :

Preuves de l'inspù-ation (2).

Eu démontrant brièvement la divinité de Jésus par


les prophéties qui le concernent, nous démontrons
du même coup l'inspiration des Ecritures contenant ces
prophéties, comme aussi celle des écrits où sa vie ter-
restre et son enseignement sont rapportés avec tant de
force et d'autorité qu'ils ont opéré la conversion des
Gentils. L'inspiration des prophéties et le caractère spi-

1. Periarchon, iv, l-o (XL 3i4-3o2).


2. Periarchon, iv, 6 (XI, :-i52-3n3) :'
'A-oôs'.tcvûvte; Se wç èv

Xôyo'.ç TpO'fT,TiicoT;, auvaTroOcîxvujxîv ÔcOTT^cÛjtou; elva: Tàç irpo-

cîTiTï'joyaa; r.zo'. aÙToO rpasà;. %%\ "zt. v.i'ZT.'ffiWovzx tt,v ît:iSt,|iîxv


a'jTO'j -'pj(|j.aaTa •jcotl S'.Sasy.aAÎav. [lî-rà 7:âxr,î Suvâjxïto; -/.ai s;0'jjîaî
e'.o'r,;j.c'va. y.al S'.à tq-jto tt,; à-ô t(ov sOvwv iy.').rr'-r,t; -/.ExpaTTiXÔTa. Il
faut lire Oc'jtt.to;, comme portent les manuscrits, et non6ciÔTT,To;,
comme dons IMigne, parce que Jésus n'est pas seulement divin;
il est l'icu. On notera, dans le second membre de phrase, le
contre-sens de Rufm.
PRINCIPES d'exégèse 117

rituel de la Loi mosaïque oui relalt' à tous les regards à


l'avèuemeut de Jésus. Auparavant il n"était guère pos-
sible de prouver avec évidence Tinspiration de l'Ancien
Teslauienl. Mais la venue du Messie a fait voir claire-
ment à ceux qui pouvaient suspecter l'origine divine de
la Loi et des prophètes qu'ils ont été vraiment écrits
sous rinfluence de la grâce céleste. Bien plus, qui-
conque lira avec attention les paroles des prophètes se
convaincra sans peine, à renthousiasme dont il sera
rempli, que ces Livres sont bien de Dieu et n'ont pas
des hommes pour auteurs. La lumière dont resplendit
la loi de Moïse était jadis couverte d'un voile; à
l'avènement de Jésus, le voile s'est écarté et les biens
dont la lettre était la figure ont brillé à tous les re-
gards.

On le voit, l'argument est apologétique et oratoire au tant ou


pins que théologique; mais ce qui nous intéresse surtout
dans ce remarqualjle passage, c'est la synonymie et l'échange
perpétuel des termes divin (Osioç), inspiré (OsÔTtvEj'iToç,
è'vBsoq) (1), écrit par la grâce divine (ojpxvîw x^p'-''-
provenant de Dieu et non des hommes
àvay£Ypïfi.;ji£va),
oOx àvOpwzwv zhj.: Oîoo) avec l'assertion que la
thx'....

preuve delà divinité de Jésus est en môme temps la preuve


de l'inspiration des prophéties qui le concernent et des écrits
où ses actions et ses discours sont relatés.
Dieu est l'auteur de l'inspiration ; mais, pour l'école d'A-
lexandrie, l'action extérieure de Dieu se produit selon l'ordre
des processions divines et, si j'ose dire, en fonction de leurs
caractères personnels : < Les Livres sacrés ne sont pas des
ouvrages humains; ils ont été écrits et nous ont été trans-
mis sous le souffle du Saint-Esprit, par la médiation de

1. eeô'ûvc'jff'co; toujours, et ici îvOîo;, sont passifs et désignent


le livre insiDirô, non l'auteur inspiré.
118 ORIGÈNE

Jésus-Christ, en vertu de la volonté du Père (1). > L'Esprit-


Saint en est le principe immédiat, parce que
prochain et
l'inspiration surnaturelle se rapportant directement au salut
des hommes, est par-dessus tout une œuvre de grâce et de
sanctification ,• mais le Fils intervient en qualité de Sagesse
incréée et aussi comme intermédiaire entre l'Esprit et le
Père ; enfin le Père, gardant toujours l'initiative, est la
source première de l'inspiration comme de tout le reste. I^
s'ensuit que les paroles inspirées sont les paroles du Père,
du du Saint-Esprit et que l'Écriture peut les attribuer
Fils et
indifféremment à l'un des trois cependant, à proprement ;

parler, elles appartiennent plutôt au Saint-Esprit (2).


L'Esprit inspirateur est surtout un Esprit illuminateur (3)
qui, rayonnant dans l'ùme favorisée de ses visites, l'inonde
de ses clartés. Origène met tellement en relief l'action de
Dieu sur l'intelligence de l'hagiographe que la motion de la
volonté est souvent laissée dans l'ombre. Cependant le seul
faitque le livre inspiré est appelé livre de Dieu indique
suffisamment que Dieu en est l'auteur c'est-à-dire qu'il la —
écritou fait écrire —
et l'impulsion divine est quelquefois
mentionnée en termes exprès (4). Maisl'exégètealexandrinne

1. Poiarchon, iv, 9 (XI, 360) : Mr, àvOpojTrwv elvai c7'j-'-^GX|jL;j.aTa

TO'j IlaTpôî 'zCi') o)vtov, oià 'l'fiSoij Xp'.STO'j xa-j-raç àvaYîypâ'^Ôai.


2. Pliiloc., VII (extrait de rhomélie iv sur les Actes. P. G.,
XIV, 829-832). Assez curieuse théorie sur le Saint-Esprit, qui
met en scène divers personnages de l'Ecriture,
(TrpoG-ojTro-o'.sî) les

mais qui parle lui-même alors qu'il fait parler le Père, le Fils
ou les hommes inspirés.
3. Periarclion, iv, 14 (XI, 373) Toi ïwtîî^ovti YI'jij\xx-::. Contra
:

Cels., vu, 7 (XI, 1429) 'ATi'aû-:f,î tt,!; Trpocp-r.TEÎaî cpojxiTOc'vxî; tôv


:

voCiv. Ibid., VU, 4 (XI, 14215): Oî èv 'louSaîoi; T.po-ir,-zoi: £AXa;xT:ôijL£vo'.

UTÔ Toû Ôctou llv£-J|jLa70?... ô'.opax'.xwTîpoî T3 xàv vo'jv sytvovTO xal


fr,v <ifi'jyry Aa|j.— pôtEpoi.
4. Les termes souvent répétés de ôîosopo'jasvo;. 0joc;opT,6ï{i;
supposent cette action sur la volonté. Origène dit aussi àyôjjisvoî
ou même è\ âytou xlvoûijlîvo; tlvEÛfiaTi. Les phrases suivantes sont
d'aillours très significatives '0 Hzô;... ôpYivw t?, ^-jyr, vcal tw
:

ffwixaT'. Toû -poïT.TO'j •/ptôij.cvo; (Contra Cels., ii,9, P. G., XI, 808);
l'KINCIl'ES d'eXÉC.KSE 119

disliugue guère entre l'inspiralioa ad dicendam et l'inspira-


tion adscribendum; l'inspiration des prophètes ou des apôtres
et l'inspiration des Imgiographes sont pour lui la môme
chose.
La psychologie du sujet de l'inspiration l'intéresse peu.
L'homme inspiré doit être saint (1), puisque l'Esprit de Dieu,
qui n'hahite que dans les saints, habite en lui mais tout ;

homme saint n'est pas inspiré. Origène ne confond pas du


tout, comme le prétend M. Ilarnaclc (2), le charisme de
l'inspiration avec les lumières ordinaires de la grâce. 11

réserve le titre lïinspirés aux Livres canoni([ues et ne le


donne à nul autre ouvrage, aurait-il pour auteur un saint.
Selon lui, un effluve spécial du Saint-Esprit remplit l'àme
des prophètes jusqu'à les faire déborder et ils déversent sur
nous leur trop plein. Mais ils restent toujours conscients et
libres. Depuis les fanatiques excès du montanisme, les
catholiques étaient plus disposés à bien marquer la distance
qui sépare le prophète du devin. On admettait générale-
ment, avec le rhéteur Miltiade (3), que la vraie prophétie
est incompatible avec le troulde de l'entendement et l'alié-

nation des sens, parce qu'elle ne peut avoir rien de commun


avec le délire (;a.avîx) passager des faiseurs d'oracles. Le dé-
sordre du corps, le trouble des sens, la perte momentanée de
la liberté sont autant de signes du malin esprit. Dieu, en

« Spiritus Dei et per Moysen et per Paulum iugentium sacra-


mentorum figuras enuntiat. • {In Gen ,/iom. ii, o, P. G., XII, 171).
Il faut enteudre cela d'un instrument libre que Dieu dirige
sans le contraindre: Ilaoà tw Bîw tw xal oiv.ovo;xr,TavT'. Taûxa
Ypaïf.va-.(P/iiloc, 1.28, Robhison, p. 33).
Contra Cels., vu, 7 (XI, 1429) Sainteté des prophètes op-
1. :

posée à la vie déréglée des devins. L'Esprit-Saint n'est pour rien


dans les prophéties de Balaam et de Caïphe il faut les attri- ;

buer au hasard {r.zy.i:-.xis'.:i), à moins qu'on ne préfère y voir


l'action de l'esprit mauvais {In Joan., .xxvui, 13, P. G., XIV,
712-720).
2. Dogmengeschichle^, I, 618.
3. Il avait composé un traité intitulé : flsp'. to-j jjit, Sîïv
-pooT'iTrjV £v i/tîTiTE'. AaÀîîv.
120 ORIGÈNE

visitant l'homme, élève ses facultés au lieu de les amoindrir.


La fureur prophétique, sous quelque forme qu'elle paraisse,
n'est pas son œuvre. Le héraut de la réA'élation reste tou-
jours physiquement libre de délivrer ou non son message et
il le délivre en pleine lucidité.

Prophètes et devins (1).

Admettrait-on la réalité des oracles païens,


il ne s'en-

suivrait pas qu'ils aient des dieux pour auteurs, mais


plutôt des démons pervers, des esprits hostiles à la na-
ture humaine, désireux d'empêcher l'essor de l'àme,
son progrès dans la vertu et son retour à Dieu par une
piété sincère. On raconte du plus illustre de ces oracles
que la Pythie, assise sur l'orifice du souterrain de
Castalie, reçoit Tesprit i^ar les parties honteuses du
corps et qu'ainsi inspirée la prophétesse débite ces
fameuses prédictions, dont on attribue l'origine à un
Dieu. Ce n'est pas l'Esprit divin qui peut jeter la pro-
phétesse dans un état de fureur cataleptique où elle ne
sait plus ce qu'elle dit. S'il est vraiment participant
de l'Esprit de Dieu, il faut que l'homme inspiré tire de
ses oracles plus de profit que ceux qui viennent le con-
sulter... et qu'il ait toute sa lucidité d'intelligence, i3ré-
ci sèment à l'heure où la divinité réside en lui (2). Les

prophètes juifs, éclairés vraiment de l'Esprit de Dieu,


comme nous le démontrons par les saintes Ecritures,
étaient les premiers à profiter de la présence d'un hôte

1. Contra Cels., vir, 34 (XI, 1424-1425).


2. T6 elç è'vcaTaïiv -/.il [jLavtxxiv àyj'.v y.aTajTasiv tt,'» Sf,Oîv
T:po'ff,T£iJoua'xv, wç jjiT,Sa]X(ï>; aÙTr^v éauxfi r.xpxxoXouÙsh, où Ôsîo'j
nv£Û[j.aTo; è'pyov éffxtv i'/yfC' yàp "f^v xâxoyov xw Osûo IIvc'jii.aTi...
(I)!p£)>T,Oï,va!., vtal ciopxxiy.ojxapov 7:a(j' èxsïvo [j.âXiJxa xaipoû X'j-;yavîiv
oxE ffûvEffxtv aùxÛ) x6 Ôetov.
PRINCIPES D'éXÉGÈSB 121

si noble. Le contact avec l'Esprit-Saint, si j'ose parler


ainsi, rendait leur entendement plus pénétrant et leur
âme plus resplendissante. Leur corps même ne faisait

plus obstacle à la vertu... Mais si la Pytbie est bors de


soi, si elle ne se possède plus en délivrant ses oracles,
quel esprit peut bien la remplir si ce n'est l'esprit de
ténèbres ? Je veux parler de ces démons que beaucoup
de clirétiens cliasscnt du corps des patients ou par des
prières ou par une simple adjuration, sans le secours
d'aucun cliarme ni d'aucun sortilège.
Aussi (i) ne faisons-nous aucun cas de la Pythie, des
Dodonides, d'Apollon de Claros, des Branchides, de
Jupiter Ammon, ni de mille autres prétendus oracles.
Au contraire, nous recevons avec respect les prophètes
juifs, admirant leur vie pleine de dignité, de constance,
d'austérité, de noblesse; car nous voyons que l'Esprit-
Saint prophétise par eux d'une façon toute nouvelle qui
n'a rien de commun avec les oracles des démons.

Les œuvresde Dieu sont parfaites. L'Écriture sainte,


comme œuvre de Dieu, possédera donc trois caractères qui
relèvent bien liant au-dessus de toute œuvre humaine la :

vérité, l'unité, la plénitude.


La parole de Dieu ne peut point ne pas être vraie. On fait
du Periarchon en soutenant qu'il admet des
tort à l'auteur
erreurs dans la Bible. Il ne suppose pas un instant qu'un
chrétien puisse embrasser une opinion pareille.
Un des dogmes foudamonlaux du christianisme, aux yeux
d'Origène, est l'unité d'auteur et d'inspirateur de l'Ancien et
du Nouveau Testament. L'unité d'auteur entraine l'unité de
vues, l'unité de plan et l'unité de fin.

1. Contra Cels., \\\, 7 (XI, 1432).


122

Harmonie des Écritures (1).

Le psaltérion ou
la cithare, dont les cordes donnent
semblent en désaccord au profane peu
différents sons,
expert en fait de musique. De môme ceux qui ne
savent pas reconnaître l'harmonie divine des LiATCs
saints croient parfois sentir une dissonance entre l'An-
cien Testament et le Nouveau, entre la Loi et les pro-
j)hètes, entre les Évangiles comparés les uns aux autres,
entre Paul et ses collègues dans l'apostolat. Mais un
homme exercé dans cette musique divine, sage en pa-
roles et en œuvres, véritable David
aux mains habiles »,
a

selon l'étymologie du mot, saura exécuter cette sym-


phonie, en touchant à propos, tantôt les cordes de la Loi,
tantôt celles de l'Évangile qui résonnent à l'unisson,
tantôt celles des prophètes ou celles des apôtres qui
s'accordent également. Car toute l'Écriture est un di^^n
instrument parfaitement réglé, dont les sons différents
formejit un merveilleux concert.

Le sentiment profond de cet admirable accord fait dire à


Origèiieque l'Écriture est un seul livre plutôt qu'une collec-

1. Philocalie, chap. vi, 2, extrait du t. II du Comment, sur


S. Mallh. (XIII, 832). Le titre du fragment est significatif: "Oti
Sv ôpyxvov BïoO tsAôiov xat T,pixo3']xivov r.izx i, Osîa rGaïr,. Il est
emprunté mot pour mot à Origène lui-même (dernière phrase
de notre citation). La comparaison musicale n'est pas très nette.
Grammaticalement, Origène dit que les diverses cordes d'un
même instrument, touchées ensemble, peuvent donner un
accord, quoique le profane s'attende à une dissonance,- à cause
de la différence des notes. Mais, dans l'application, il semble
penser plutôt à deux ou plusieurs instruments à l'unisson, don-
nant la même note, tandis que la différence de timbre fait
croire aux ignorants que ce sont des notes différentes.
puiNciPES d'kxégkse 123

tion de livres (1) Le Verbe de Dieu, qui était dès le prin-


: «

cipe auprès de Dieu, n'est pas du verbiage, il n'est pas mul-


tiple; c'est un seul Verbe comprenant plusieurs vérités dont
chacune est une partie du Verbe. » Il n'y a pas plusieurs
Evangiles il n'y en a qu'un, écrit par quatre plumes. Ce
;

n'est pas qu'il n'y ait des degrés dans la valeur de la révéla-
tion, du moins par rapport à nous. Comme héraut de la révé-
lation divine. Paul plane plus haut que ses collègues, l'aul
lui-même s'élève à différents niveaux et son essor est plus
ou moins sublime. Les Évangiles sont les prémices de l'Ecri-
ture, comme les écrits de saint Jean sont les prémices de
l'Évangile (2). Loiu de nuire à riiarmouie de l'ensemble, ces
différences de ton la font mieux ressortir.
Mais le caractère le plus divin de l'Écriture sainte est
encore la plénitude :

Pléniludc de sens des écrils insj)irés (3).

Il convient de croire qu'il n'y pas dans les saintes


Lettres le plus petit trait qui soit vide do la sagesse de
Dieu. Celui qui a donné à l'iiomme ce commandement:

1. Philocalie, chap. v, extrait d» t. V (perdu) du Comment,


sur S. Jean (XIV, 192), sous ce titre "O-t -riui : ^zôt^/z'jz-zoz
f,

Tpxr n ^-- ?'.6>kiov Èj-iv. Eusèbe, dans son Hisloire, vi, 25, transcrit
un passage tiré du même endroit mais avec des coupures.
àp/f, ~pà; zm Bsôv où TtciXuÀOYÎa isTÎv
'0 Ta; ToO Aîoû AÔyo; ô pv
où yio VJyoi* VJyo; yip êî; «j'jvsttwî è/. -n^^î'.ôvwv 6cW0T|;j.iTwv xt)».
2. hi Joan., i, 4 (XIV. 28).
3. Philoc., (XIV, 1310)
I Upé-z: xà i--a I>i;x;j.aTa -ittcJîiv
:

[jiT,0£|j.{avx£pa{av r/£'.V/t£vr,vao5Îa; 6cû'j...'E~££ ïstw ir.ô T:)iT,p(ô[i.aTOÇi


t^jzl To-j -Xx.ptijaa-to;. —
Cf. Philoc., X, extrait de In Jerem., hom.
XXXix (XIII, o44) Oûy. ett-.v m-zt. iv f, ixîa xspaîa Y3-;pa;x;ji;Vr, sv
:

xr, rpasr, T,Tt; toï; î~.5Tau.£voiî /pf,TOa'. t?, Suvi|j.s'. twv rpa;j.|xâTwv

oôx spyi^cTai tô Éa-jr?,; spyov. In Xitm.. hom. xxvn, 1 (XII, 782) :

" Non possumus dicere quod aliquid in eis (Scripturis) sit


otiosum aut superfluum. » In Psalm., i, 4 (XII, 1081) "E-l:

T.Î73.V ssOajî TpaïT.v t, uo'jîa toO Bîoû OsÔTT/cUffiov |Aî'7pt tq-j


124 ORIGÈNE

< Tu ne paraîtras pas devant moi les mains vides » , se


doit à lui-même, à plus forte raison, de ne rien dire en
vain. Les paroles des prophètes dérivent de sa plénitude :

aussi tout en elles respire-t-il la plénitude. Rien dans les


prophéties, ou dans la Loi, ou dans l'Évangile, ou dans
les écrits des apôtres, qui ne se ressente de cette pléni-
tude. Venant de la plénitude, tout cela doit respirer la
plénitude pour les yeux capables de la ijercevoir, pour
les oreilles dignes de l'enlendre et pour l'organe habitué
à en apprécier le parfum.

Ainsi il n'est rien dans l'Écriture, pas un fait, pas un


iota qui ne soit plein de sens, de sagesse et de mystère. On
prévoit déjà quelle influence aura celte théorie sur l'hermé-
neutique. Mais n'anticipons point.
Origène ferme-t-il donc
les yeux sur les imperfections si
du LiAre inspiré ? >'ullement. Au contraire, il les
visibles
énumère avec complaisance; l'on pourrait presque dire qu'il
les exagère. Les auteurs de la Philocalie ont tiré de ses ou-
vrages plusieurs chapitres (1) sur l'obscurité, les fautes de
langage et les pierres d'achoppement de l'Écriture, livre fermé
et scellé, rempli d'énigmes, de paraboles, de ténèbres enfin,
où, à ne regarder que la letlre, on découvre des faussetés et

1. Voici les litres de quelques chapitres Chap. ii


: « Que :

l'Ecriture est un livre fermé et scellé » (extrait du Comment, sur


le Ps. I) ; chap. iv : « Sur les solécisnies et les fautes de langue
de l'Ecriture » (extrait du Comment, sur S. Jean, t. IV) ;

chap, VIII « Qu'il :ne faut pas chercher à corriger les solé-
cismes et les manques de suite dans l'Ecriture » (extrait du
Comment, sur Osée); chap. x « Sur les pierres d'achoppement
:

et de scandale de l'Eci-iture » (extrait do VHom. xxxix sur


Jérémie); ciiap. xii Qu'il ne faut pas se désespérer en lisant
:

les Livres saints, si l'on ne pénètre pas l'obscurité des énigmes


et des paraboles» (extrait de l'Homélie x sur Josué); chap. xv:
« Raisons du style simple et bas de l'Ecriture » (extrait du
Contra Cels., vi, 1-2).

1
PRINCIPES o'i:xÉGÎ:siî 12S

(les coiilradiclions. La cause en csl sans doiilc dans la tai-

blessc des insli'uin<'nts luunains (jui secondeid imparfai-


tement les intentions de l'ordonnateur divin, mais elle csl
surtout h chercher dans la misère de ceux à qui est délivré
le céleste message et (jui ne feraient aucun cas de la parole
sainte s'ils la comprenaient sans élude, et se contenteraient
de l'éeoroe si elle n'était amrre et indigeste. La sagesse
et la miséricorde de Dieu éclatent dans cette conduite et l'on

aboutit à ce paradoxe que les imperfections de la Bible sont


des perfections véritables.

Il

Les trois sens de l'Ecriture

Origène met au nombre des dogmes fondamentaux de


l'Église l'existence d'un sens mystique, caché sous la lettre
de l'Écriture (1). En cela il est d'accord avec les apôtres et

avec toute la tradition chrétienne; s'il a donné plus de relief


à la doctrine du sens mystique, il n'en est pas l'inventeur et
l'on ne peut pas dire non plus qu'il l'ait empruntée à l'école
juive d'Alexandrie. Toutefois, sa fameuse théorie des trois
sens scripturaires, répondant au corps, à l'ùme et à l'esprit
de l'homme, doit lui avoir été suggérée par la trichotomie
de Platon. Laissons-le d'abord s'expliquer lui-même :

1. Periarchon, Pré face, 8 (XI, 119) "(Est ilhid in occlesiastica


:

prœdicatione) quod per spiritum Dei Scripturœ conscriptœ sint


et sensum habeant, non eum solum qui in manifeste est, sed
et alium quemdam Intentera quamplurimos. Forma? enim sunt
haîc qiue descripta sunt sacramentorum quorumdamet divina-
rum reruin imagines. » Dans cette dernière phrase, le mot
grec répondant à furmœ devait être tûtoi, allusion à I Cor., x, 6.
126 ORtGÈNB

Le corps, Pâme et l'esprit de r Écriture (1).

Dans les Proverbes de Salomon il est dit à propos des


préceptes divins : « Transcris-les trois fois dans ta
volonté et ton intelligence, afin de répondre des paroles
de vérité à ceux qui t'interrogeront. » Il faut donc
écrire trois fois en son âme les pensées des saintes
Lettres. Les simples s'édifieront de ce que nous pouvons
appeler la chair de l'Écriture —
nous voulons dire le
sens direct ;
— les plus avancés profiteront de ce qui en
est comme /'«me; les parfaits, selon le mot de l'Apôtre...
jouiront de la loi spirituelle qui contient l'ombre des
biens à venir. L'homme se compose de trois parties :

le corps, rame et l'esprit. De même l'Écriture octroyée


par Dieu pour le salut des hommes.
S'il y a des rapports (2) secrets entre le visible et
l'invisible, la terre et le ciel, la chair et l'âme, le corps
monde naît de leur union, il existe
et l'esprit, et si le

aussi dans l'Écriture un élément visible et un élément


invisible. Elle a un corps, la lettre qui apparaît à tous
les regards, une âme, le sens caché qu'elle renferme, un

esprit, les choses célestes qu'elle figure et représente.

1. Periarchon, iv, 11 (XI, 364-365) : "Ivx ô [xèv iTr^vOÛJTspoç


oIxoSoij.f|Tai àTî6 xf,; o'.ovsl ffapxd; Tf,<; rpasf,<;... r.ozw
ô 5è i-t
àva6E6r,xrijç, à-rô Tf,ç wj— cosl '-^'J/r,; aôrf,; •
o os TcXeioç... àzô xoû
7r/ï'jaaxi7.oû vô|j.ou sy-iàv i'/ovTo; twv jjleaaôvtwv dtyaOwv. "Qszcp yàp
ô à'vOpojzo; 5'jviTTT//.cV iv. uwjjiaTo; xal (^'V/f,; %al Tr/c'j|jLaxo;, t6v
aoTÔv xpô-ûvxaî -^ oîxovo;rr,6cÏ!T3i ijt:6 Osoû eÎi; àvOpwTTiov awiT^piav
ôo6f,vai, rpa-^f,.

2. In Levil., hum. v, 1 (XII, 447); le grec est rapporté mal à


propos à Vhom. ii (XII, 421) : 'ET:'.xa)vejia£vo'. tov zoiTi'ïavra tt)

rpa-^T, !jà)[AX xal «i^'J/v -/.al -veCijia, crtl)tj.a [xâv toï; -p6 t,;iwv, '|o/r,v
Se fiijtv, TT'/eùjxa 5c toiî èv tÔ) ijléWvOvti aîôJvi x)»r,povoiJir,!TCiOj'. si^'^iV

alwvtov.
iMUNCii'ES d'kxkoksh 127

Invoquons donc celui qui a donni'; h rKcriUiic un cor[)S,


une âme et un esprit le corps pour ceux qui nous ont
:

préoédi'sj'ànie poumons, l'esprit pour ceux qui obtien-


dront an siècle futur l'héritage de la vie éternelle.

Trois instruments (1) servaient à la préparation des


sacrifices le four, la poêle et le gril. Le four, à mon
:

avis, en raison de sa forme creuse, signifie ce qu'il y a de


plus profond dans les saintes Écritures; lajîoèle indique
les passages qu'on finit par comprendre à force de les

remuer et de les retourner; le gril désigne les endroits


dont tout le monde à première vue découvre le sens.

Nous avons déjà maintes fois observé que les divines

Ecritures ont trois sens : historique, moral et mystique;


— aussi, disons-nous qu'elles ont un une coriis, âme et
un esprit — ;ce sens
et S)Tnbolisé par
triple est le triple

appareil du sacrifice.

Bien que sa vive imagination lui fasse découvrir ailleurs


d'autres analogies du triple sens scripturaire (2), Origène
revient toujours de préférence à son allégorie favorite du
composé humain, plus familière à ses lecteurs et d'un tour
plus philosophique.
Cette application de la psychologie — et d'une psycholo-
gie peu sûre — à l'herméneutique n'était pas sans dangers.
Elle introduit dans l'exégèse un funeste élément d'obscurité
d'oîi naîtront Lien des malentendus. Origène ne nous dit
jamais nettement en quoi le sens psychique se distingue du
sens siiirituel. Il ne songe pas même à le définir autrement

1. In Levit., hom. v, o (XII, 455) Tripliccm namque in :

Scripturis divinis intclligentiœ inveniri sœpe di.ximus modum.


historicum, moralem et mysticum. Unde et corpus inesso ei
[eis?], et animam ac spiritum intelleximus. Cujus intelligentiaî
triplicem formam sacrificiorura triplex hic apparatus ostendit.
2, In Gen., hom. ii, 6 (XII, 173); hom. xi, 3 (XII, 224); hom.
XVII, 9 (XII, 2162), etc.
128 ORIGÈNE

que par son rapport avec l'âme humaine, espèce de lien ou


d'intermédiaire entre le corps et l'esprit dans le système de
Platon. Il parait ressortir des divers exemples donnés que le
sens psychique aurait surtout pour ohjet l'édification et
répondrait assez exactement au sens moral de la terminologie
plus récente (1). Du reste, son rôle pratique est bien effacé
et il rentre le plus souvent dans le sens spirituel (2). Nous
pouvons donc le laisser de côté pour nous en tenir aux deux
termes extrêmes.
Mais ici gardons-nous d'une équivoque : le sens corporel
d'Origène n'est pas notre sens littéral et son sens spirituel
ne cadre qu'imparfaitement avec ce que nous appelons de la
sorte. Aujourd'hui, heureusement, la terminologie est bien
fixée. Le sens littéral est celui que l'auteur inspiré énonce
directement et qui ressort de l'ensemble des circonstances,
selon les lois générales du discours. Il est nécessedrement
unique, car il répugne qu'un homme sérieux veuille faire
entendre à la fois plusieurs choses disparates ; mais il peut
être compréhensif et il l'est d'autant plus que celui qui parle
voit plus loin et plus juste. Le sens typique dépend d'une
volonté spéciale de Dieu d'après laquelle les faits de l'his-
toire ou la manière de les raconter signifientquelque chose
à leur tour. Comme il n'appartient qu'à Dieu de donner aux
événements une Aaleur prophétique, c'est à lui d'en régler
la mesure et il n'est pas nécessaire que l'hagiographe en
ait toujours conscience. En dehors du sens littéral et du

sens typique, qui se superpose au premier et ne saurait

In Gen. hom., .wii, 1 (XII, 233) à propos des bénédictions


1.

de « Quse res
.lacob : nobis tripartitam, ut in aliis fecimus,
e.xplaiiationis materiam subjicit, ita ut benedictiones hisloriae
locum servent, prophetia vero mysHcum atque dogmaticum,
morum correptio et objurgatio moralem dirigat stylum. »
2. Cola arrive toutes les foisqu'Origène s'arrête à l'antithèse:
In Levit.. hom. i, 1 (XII. 40o), le Verbe était
la lettre et l'esprit.
caché dans chair humaine il est caché sous la lettre de
la ;

l'Écriture « Ut littera quidem aspiciatur tanquam caro, latens


:

vero intrinsecus spiritalis sensus tanquam divinitas sentiatur, •


PRINCIPES d'exégèse 129

jamais exister seul, les exégètes modernes n'admettent


aiicua autre sens scripturairc. Le sens conséquent, le sens
mystique, le sens moral, le sens spirituel, le sens accoinmo-
datice, s'ils ne rentrent pas dans une des deux catégories pré-
cédentes, ne sont pas dt's sens de l'Kcriture.
Ces définitions et ces distinctions n'existaient pas du
temps d'Origène. Pour lui, le sens corporel est beaucoup
plus restreint que notre sens littéral par contre, son sens ;

spirituel s'étend beaucoup plus que notre sens tj-pique. Il


appelle sens corporel le sens littéral lorsqu'il est exprimé en
termes propres, sans métapliore ni figure d'aucune sorte, et
sens spirituel non seulement le sens typique, mais les appli-
cations accommodatices plus ou moins légitimes et aussi le
sens littéral quand il est figuré. Origène affirme expressé-
ment, à maintes reprises, < que certaines parties de l'Écri-
ture n'ont rien de corporel, qu'il n'y faut chercher que
l'àme et l'esprit (1) ». Si l'on entend par sens corporel
le sens littéral, la proposition est manifestement absurde et

inintelligible mais avant d'attribuer à un tel homme une


;

si il convient de se demander si sa termi-


grossière méprise,
nologie s'accorde avec la nôtre. Le passage suivant prouve
manifestement le contraire.

Cas où le sens corporel fait défaut (2),

Si l'utilité mosaïque apparaissait partout


de la loi

clairement, si le limpide et suivi, nous


récit était toujours
ne croirions pas qu'il y eût dans les Écritures autre
chose que le sens naturel. C'est pourquoi le Verbe de
Dieu a ménagé par-ci par-là des pierres d'achoppement,

1. Periarchon, \\\ 12 (XI. 36^j) : E-si z'.i'. t'.vî; Yo^l-zt.'. tô


ffwiiaT'.xôv oùoaiiôi; ïyo'jza.:. è'Tt'.v cizo'j o'.ovst iT|V ù'jyYy xai tô
-îWEûfia rr,; rpasT,; [xôva /pf, !;t,-:£ïv. D'autres textes seront cités
plus loin.
2. Periarchon, iv, 15-18 (XI, 373-38i).

13
130 ORIGÈNE

je veux dire des impossibilités, au milieu des détails


historiques ou juridiques. S'il en était autrement, sui-
vant sans heurts la pente aisée du discours, nous aban-
donnerions à la longue une doctrine qui ne nous semble-
rait avoir rien de divin, ou bien, rivés à la lettre, nous
n'apprendrions rien qui fût digne de Dieu. Or, il faut
savoir que le but principal de l'Écriture est l'enseigne-
ment spirituel soit en histoire soit en morale. Quand
donc Verbe peut adapter à ces sens mystiques le
le

récit des faits, il s'en sert en y cachant une signification


plus profonde que le vulgaire n'y aperçoit pas. Mais
lorsque la narration des événements historiques, faite
principalement en vue du sens spirituel, ne se prête pas
au développement suivi de ce même sens, l'Ecriture
entremêle à l'histoire des détails qui n'ont pas eu lieu,

d'autres qui étaient imj)0ssibles, d'autres qui auraient


pu arriver mais ne sont pas arrivés de fait (1). Tantôt
ces traits qui ne se vérifient pas à la lettre se réduisent
à quelques mots, tantôt ils sont plus étendus. Même
chose à dire de la législation, dont les prescriptions
sont souvent utiles jjour le temps où elles furent portées,
mais dont parfois l'utilité n'apparaît nullement. Le

1. "0~û'j 5â £V tf, SiT|yfff£i Tï,; t.zoI tûv vot,twv ày.oAouÙ(a; oy/_


e'fcsTO Twvoi Tivwv itpàçi; t, irpoavaYsypa[j:;j.Évr, Sià Ta [x'jffT'.xwTEpa,
T,

auvjcpfiVîv T, rpasT, T-ri iaTopta lô [jit, YcVû|j.evov tt?, (ièv jjiT.oè •

SuvaTÔv yavÉTOx'., t-?, oà ouvatrôv |X£V ysvÉjOai, où [jl->,v ycycVT,|xévov.


La même idée est exprimée encore plus crûment peut-être
dans le Commenlaire sur S. Jean, x, 4 (XIV, 313) « Les hagio- :

graphes se proposaient, toutes les fois que cela leur était


possible, de dire vrai (à)>ï|9£ijeiv) et corporellement et spiri-
tuellement. Mais s'ils ne pouvaient atteindre en même temps
ce double objet, ils préféraient l'esprit au corps et sauvegardaient
la v('rité spirituelle, s'il est permis de parler ainsi, dans l'erreur
corporelle » (jwî^oixIvo'j TSjWiv.'.!; xoù ixKrfioïi; Tr^euixaTixoû èv zCo
aio;xaxixû), ùy(; àv eiToi t'.?, C^suosi). Le mot « mensonge » rendrait
mal 4'£'j5(5î parce qu'il suppose une intention de tromper que
I>RI^clPES d'exégèse 131

législateur commande quelquefois des choses impossibles


pour exciter les esprits les plus pénétranls e( les plus
à scruter les profondeurs de IKcriture et à y
attenlil's

eherclier un sens vraiment digne de Di(ni. L"Es[)rit-


Saint n'en a p;is agi ainsi seulement avant la venue du
Christ; comme il est lemcme Esprit et jjrocède du
même Dieu, il a fait la même chose dans les Evangiles et
les écrits apostoliques. Là aussi les faits historiques se
mêlent à des événements qui ne se sont pas passés à la
lettre et les détiùls tles prescriptions écrites ne parais-
sent pas toujours conformes à la raison.
Quel homme de bon sens pourrait se persuader que le
premier, le second et le troisième jour de la création ont
eu un soir un matin, sans soleil, ni lune, ni étoiles; ou
et

même sans ciel, s'il s'agit du premier jour? Qui est assez
simple pour croire que Dieu planta le paradis d'Éden
vers l'Orient à la façon d'un jardinier ;
qu'il y plaça un
arbre de vie tangible et visible, dont les fruits matériels
donnaient la vie à ceux qui en goûtaient ;
qu'en man-
geant les produits de cet arbre on participait au bien ou
au mal ? En lisant que Dieu se promenait le soir dans le
paradis et qu'Adam se cacha sous l'arbre, il n'est per-
sonne, je pense, qui ne voie là des figures et ne cherche

n'indique pas toujours et qu'il n'indique certainement


i^c'jociî

pas ici.Cf. Periarchon, iv, 18 (XI, 381) Le but de l'Écriture


:

n'est pas de présenter au lecteur la seule signification gram-


maticale (oû/l Ta ir.h rr,î Xi^soj; -rap'.cxTâaîva ;j.(jva i/.>>aaêiv£'.v).
11 arrive donc quelquefois (svîots) que les choses prises d la
lettre (otov è-1 tw pr-ô)) sont fausses ou même absurdes et
impossibles. D'autres fois aux récits réels et aux préceptes
utiles à la lettre (y.aTà tô ôt.tôv) s'intercalent des détails
(TpoîjcfavTX'.) qu'il faut entendre différemment. Nous avons tenu
à reproduire ces passages intéressants au point de vue de la
terminologie et qui montrent combien mal on traduit la
pensée d'Origène en lui faisant dire que lÉcriture est parfois
dépourvue de sens littéral.
132 ORIGÈNE

des sens cachés dans un récit d'apparence historique,


mais qui ne s'est point passé à la lettre comme il est
raconté.

Après une assez longue énumération de textes semblables,


relatifs soit à des récits soit à des préceptes tant de l'Ancien
Testament que du Nouveau, l'auteur conclut :

Nous avons dit tout cela pour montrer que le but de


la divine Providence, en. nous donnant les saintes
Écritures, a été de nous faire entendre autre chose que la
lettre, puisque le sens matériel est quelquefois faux et
même déraisonnable et impossible. Nous avons voulu
montrer aussi que certains éléments étrangers se mêlent
parfois au récit des faits et aux dispositions légales
observables à la lettre.

L'absence du sens corporel n'est qu'accidentelle (1).

Qu'on ne nous soupçonne pas de dire qu'il n'y a


point d'histoire réelle parce que tel ou tel fait ne s'est

pas passé à la lettre, ou qu'aucune disposition légale


n'est à observer littéralement parce que tel ou tel pré-
cepte entendu à la lettre serait déraisonnable ou impos-
sible...

Il y a beaucoup plus de choses qui se sont vérifiées


réellement au sens historique qu'il n'y en a d'ajoutées
pour être comprises simplement au sens spirituel (2) [Et il .

faut en dire autant des préceptes]... Mais un lecteur

1. Periarchon, iv, 19 (XI, 384-385). Autre passage plus formel


tirédu Comment, sur Vép. à Philémon et cité par S. Pamphile,
Apol, VI (P. G., XVII, 591-593).
2. no)>)v(ï) yàp 7:)>e£ovâ sa-ci Ta xaxà t'^jV ta-ropCav à>>T,6EU(5[jiEva
Twv T(iOJ'j'4;av6svTiiJV y'j;j.vojv 7r;£'jtj.aTtxtov.
TRAVAUX u'kXKGÈSB 133

diligont tloiitora (luohjuofois et ne (lécouvrini pas sans


un long examen si tel fait est historique ou non à la

lettre. Il doit donc se conformer exactement à cet ordre


du Sauveur : € Scrutez les Écritures » et rechercher avec
soin si le passage en question se vérifie à la lettre ou si

c'est impossible. La comparaison des expressions sem-


blables le guidera dans cette recherche.

Les assertions contestables et les théories hasardées ne


manquent point dans cette page d'Origènc. Il faut seulement
ajouter qu'il suppose constamment, à moins de raison con-
traire, l'existence du sens naturel, et sa pratique ordinaire,
même dans ses prédications, est de l'exposer en premier lieu
pour y asseoir ce qu'il nomme le sens spirituel.

III

Allégorisme

L'allégorisme est moins un systôrae qu'une tendance. C'est


latendance à substituer au sens propre une métaphore ou
un symbole, à superposer au sens naturel une accommoda-
tion arbitraire tirée de quelque analogie lointaine, au sens
littéral un prétendu sens spirituel que ni la tradition ni
l'Ecriture n'autorisent. Le milieu dans lequel vivait Origène
devait fatalement l'entraîner dans l'allégorisme, où le pous-
saient déjà son goût instinctif nourri par ses lectures philo-
sophiques. Pourtant il est juste de remarquer qu'il ne se
réclame ni de Philon ni d'aucun écrivain profane c'est aux ;

auteurs sacrés et surtout à saint Paul qu'il rapporte, avec


ses idées sur le sens spirituel, son exégèse allégorique. Et
en effet les textes de saint Paul prouvent jusqu'à l'évi-
dence l'existence d'un sens typique surajouté à la lettre de
134 ORIGÈNB

l'Écriture, ainsi que la légitimité de l'usage accommodatice


des Livres saints (1).

Ce qui faisait le plus d'impression sur l'esprit d'Origène,


c'était danger trop réel d'un littéralisme excessif. Les
le

Juifs, pour croire au Christ, voulaient voir les symboles


de l'Ancien Testament se vérifier à la lettre, le loup
paître avec l'agneau, le lion avec le bœuf, l'ours avec le
chevreau. Les chiliastes, dont l'Egyptien Js'épos allait renou-
veler les erreurs, se forgeaient un paradis de Mahomet, où
la première occupation était de manger et de boire. Les
gnostiques et plusieurs catholiques peu instruits, s'obstinant
à prendre à la lettre les anthropomorphismes de l'Ancien
Testament, se faisaient du Dieu des Juifs les idées les
plus grossières et exposaient l'Écriture sainte aux sarcasmes
des païens.

La lettre tue mais l'esprit vivifie (2).

Après avoir traité en courant de l'inspiration des


divines Écritures, nous devons indiquer la manière de
les lire et de les entendre. Pour avoir ignoré la vraie

i.Peii arc/ion, iv, 13 et Contra Cels., iv, 44. Les textes de


S. Paul sont Rom., xï,i {application accommodalice), ICor.,x, 4
(breuvage spiriluel, -TuveujjLaxixf,?) ; x, 11 (significations typiques,
TUT'.xw;); Gai., IV, 21 {inievprôtaiion allégorique, àAÀT|Yopo'j[isva);
Col., u, 12 (Loi, ombre, uxiâ, des réalités à venir); Heh.,
vni, 5 (l'Ancien Testament est tûttoc, cixtôv et o-xiâ). Origène
invoque aussi, comme exemple du sens psychique, I Cor. ix, 9.
Tout le donné comme exemple du sens spiriluel.
reste est
On compréhension de ce mot, qui embrasse
voit quelle est la
raccommoclation, Rom., xi, 4, l'allégorie, Gai., iv, 21, la
métaphore, I Cor., x, 4, le type proprement dit, I Cor., x, 11,
Col., II, 12, }!eb., vni, 5. — L'influence de Pliilon est ici
indéniable (Pliotius, Biblioth., 105j cflle de Cornutus et de
;

Chérémon est attestée par Porphyj;e (Eusèbe,///,s/. eccles., vi, 19).


Voir l'éloge qu'Origène déceriie aux allégories de Philon et
d'Aristobule, C'on/m Cels., iv, 51 (XI, 1112).
2. Periarc/ion, iv, 8-9 (XI, 356-361).
TRAVAUX 1» EXEGKSE 135

méthode à suivre, beaucoup de gens ont fait fausse


route. Les Juifs au cœur dur et stupide refusent de
croire au Sauveur parce que, rivés à la lettre des pro-
phéties, ils ne l'ont pas vu annoncer aux captifs la déli-
vrance matérielle, ni rebâtir ce qu'ils regardent comme
la véritable cité de Dieu, ni exterminer les chars
d'Ephraïm et les cavaliers de Jérusalem...
Ces diverses conceptions, ou erronées, ou impies, ou
absurdes, viennent de ce qu'on néglige le sens spirituel
de l'Écriture pour ne s'attacher qu'à la lettre nue. C'est
pourquoi à ceux qui, loin de regarder les Livres sacrés
comme l'cuvre des liommes, les croient composés et
transmis jusqu'à nous sous l'inspiration du Saint-
Esprit, par la volonté du Père de toutes choses, avec
Jésus-Christ pour médiateur, nous essayerons d'indi-
quer la vraie méthode à suivre, les yeux fixés sur la
règle vivante que l'Église de Jésus-Christ tient de la
tradition des apôtres. Qu'il y ait dans les divines Écri-
tures des dispensations mystiques, les moins instruits des
fidèles le savent : mais quelles sont-elles précisément,
les chrétiens prudents et modestes avouent l'ignorer.
Demandez-leur ce que de
signifient l'inceste des filles
Loth, les deux épouses d'Abraham, les deux sœurs
mariées à Jacob et leurs deux servantes, il vous répon-
dront que ce sont là des mystères dont il ne nous est
pas donné de pénétrer le sens. Lorsqu'ils lisent la fabri-
cation de l'arche, persuadés que les détails en sont
figuratifs, ils cherchent à interpréter de leur mieux
chaque détail. Ils ne se trompent pas en effet en voyant
dans l'arche une figure, bien qu'ils puissent se tromper
dans les applications particulières.
136 ORIGÈNE

La première règle d'herméneutique de l'exégète alexandrin


est indiscutable : // faut abandonner h lettre ou le seiis cor-
porel de l'Ecriture toutes les fois qu'il en résulte quelque chose
d'impossible, d'absurde ou d'indigne de Dieu (1). C'est l'évi-
dence même et l'on ne comprend guère que certains critiques
aient pu y trouver à redire.Malheureusement Origène pro-
digue trop les impossibilités, sans se donner assez la peine
de concilier les antinomies ou les antilogies. L'idée
exagérée qu'il se fait de l'inspiration le porte à spirilualiser
tout récit qui n'édifie pas, toute prescription dont l'utilité
immédiate n'apparaît point car il lui semble évident qu'un
;

précepte inutile et qu'un récit peu édifiant, à moins d'être


relevés par un sens mystique, sont indignes de Dieu.
D'après ce principe, la dissimulation d'Abraham chez
Abimélech, la conduite des sages-femmes égyptiennes, l'in-
ceste des filles de Loth doivent se tourner en allégories. La
législation mosaïque est passée au crible avec non moins de
rigueur : » Si nous demeurons attachés à la lettre, à l'inter-
prétation judaïque et vulgaire, je rougirai de confesser que
ces lois sont de Dieu. La législation de Rome, d'Athènes et de
Sparte semblera plus judicieuse et plus raisonnable. > Les
faits qui,au sens propre, seraient impossibles, les préceptes
qui, seraient absurdes, nous obligent de
pris à la lettre,
recourir au sens spirituel, c'est-à-dire, en tenant compte de
la terminologie d'Origèrte, au sens figuré ou à l'allégorie.
Mais il arrive souvent que des faits ou des préceptes vul-

\. On moins critiquée si on s'était aperçu


l'aurait peut-ôtrc
qu'elle dans S. Augustin. « Quare quœdam in i-ebus
est
visibilibus quasi absurda miscet Spiritus sanctus. nisi ut e.\ eo
quod non possumus accipore ad iitteram, cogat nos ista spiri-
tualiter quœrere ? » (In Psalm. cni, serm. I, 18. P. L.,
XXXVII, 13bl). Ce qu'Origène a de particulier, c esc l'insistance
à déclarer qu'on ne saurait prendre à la lettre un récit ou un
précopte indigne de Dieu, In Jerem., hom. .\n, 1 (XII-I, 377 :

'Oc?£f/«ct ^;'.ov slvat Periarchon, iv, 9 (XI, 3(51


tou Ssoy) ; 'A;îwi: :

T-r,; Tpa-f •?,!;); In Xumer., hom. x.wi, 3 (XII, 774: « Convenions


videtur ha^c secundum dignitatem, immo potius secundum
majestatcm loquentis intelligi. •)
TRAVAUX d'exégèse 137

gaires qui, s'ils n'étaient que cela, seraient indignes de


rinsi)iralion, deviennent dignes de Dieu dès qu'un sens plus
noble, s'y superposant, spiritualise le corps de l'Kcriture.
En ce cas. il faut entendre IKcriture et selon la lettre et
selon l'esprit, et cette double recherche est rol>jet de l'her-
méneutique.
Une homélie célèbre, celle des Prémices, lui est consacrée
presque tout entière (1). Au gré d'Origène, l'obligation d'offrir
les |»réniices subsiste sous la loi de grâce. Mais si ce précepte
doit s'observer à la lettre, pourquoi pas les autres Tel est '1

le problème. C'est, répond Origène, que les prescriptions de

l'Ancien Testament ne sont pas libellées de la même façon.


Le mot < loi » se prend quelquefois en un sens général pour
désigner toutes les institutions mosaïques, mais il a aussi un
sens spécial, la loi de la pàque, la loi de la circoncision, la
loi du sabbat, etc. La loi ainsi entendue était, selon saint
Paul, l'ombre et la figure de l'avenir; elle se trouve abrogée
par le christianisme. Voici donc la règle à suivre. Toutes
les fois que la Bible se sert du nom de « loi », il s'agit de
prescriptions temporaires qui n'obligent plus les chrétiens et
dont ils nont plus à prendre que l'esprit au contraire, les ;

mois « commandements, jugements, préceptes, témoignages, »


etc., désignent des prescriptions qui subsistent encore à la
lettre. Des préceptes comme :i Tu ne tueras pas, tu ne com-

mettras pas l'adultère » n'ont aucun besoin d'allégorie, t A quoi


bon y recourir quand la lettre édifie? (2). » Il peut arriver
cependant qu'une prescription encore en Aigueur soit suscep-
tible d'un sens mystique. Telle est l'institution primitive du
mariage qui continue à lier les chrétiens et où cependant
l'Apôtre découvre un symbole de l'union mystérieuse du
Christ avec l'Église. Ce sera, poursuit Origène. la lâche du
scribe sage et docte de faire ce discernement et de savoir
selon les cas ou rejeter la lettre qui tue pour s'attacher à

1.In Xamer., hom. xi. l-ij (XIF, G40-G31).


2.Quid opus est in his allegoriam qufererc, cum a?dificet
etiam littera (XII, 643).
138 ORIGÈNE

l'esprit, ou s'en elle-même


tenir à la lettre, lorsqu'elle est par
utile et édifiante, ou enfin greffer sur la lettre le sens spi-
rituel et mysticpie. La prescription relative aux prémices
appartient à cette dernière catégorie.
Il ne faut pas un moindre discernement pour découvrir le
sens spirituel des récits historiques. Quelquefois c'est
l'Écriture elle-même qui nous guide. Si elle nous apprend
que la législation antique était l'ombre de l'Évangile, elle
nous enseigne aussi que l'histoire juive était figurative,
qu'ily a un Israël selon la chair et un Israël selon l'esprit,
une Jérusalem terrestre et une Jérusalem céleste voilà le :

fondement de l'allégorie. >"ous n'avons qu'à creuser celte


mine et à suivre ce filon. « Si, peu satisfaits du sens charnel,
nous attribuons un sens mystique aux prophéties concer-
nant la Judée, Jérusalem, Israël, Juda et Jacob, nous devrons,

pour être logiques, entendre aussi au sens spirituel celles


qui ont pour objet l'Egypte et les Égyptiens, Babyloneet les
Babyloniens, Tyr et les Tyricns, Sidon et les Sidoniens et
ainsi des autres peuples. Car si les Israélites ont un carac-
tère figuratif, leurs ennemis l'auront également. » On con-
state d'ailleurs que les prophéties d'Ézéchiel relatives à
Pharaon et au Prince de Tyr et celle d'Isa'ie sur Nabuchodo-
nosor conviennent mal à ces personnages si l'on s'en lient
à la lettre. D'où résulte la nécessité de regarder plus haut et
de chercher plus loin (1).
Il est ime autre source de sens mystique où l'arbitraire se

joue à plaisir. L'Écriture, c'est-à-dire la version des Sep-


tante, répète t-elle un mot? Mystère. Emploie-t-elle une
expression inusitée, une allittération? Mystère encore. Omet-
elle un mot qui paraissait nécessaire, un détail auquel on
s'attendait? Mystère toujours. Ces fantaisies exégétiques —
espèce d'alchimie en vertu de laquelle tout peut se changer
en tout et qui préludait aux jeux puérils du Talmud —
étaient fort en vogue à Alexandrie depuis Aristobuleet Phi-
Ion. Origène n'a pas su s'en défendre assez. A Philon éga-

1. Periarchon, iv, 20-22 (XI, 385-392).


TRAVAUX d'bXÉGÈSB 139

lemcnt est (Miipruntôc Vulve du symbolisme des noms, des


nombres et des oboses, l>ien que le développement soit

souvent indépendant et original. C'est ainsi ([ue le nombre


deux remhièine du dualisme*, de la division et du mal
est ;

cinq représente les sens, la chair opposée à l'esprit dix est ;

le nombre parfait du Décalogue et des fruits de l'Esprit-

Sainl. Les étymologies sont une source inépuisable d'allé-

gories, grâce à une théorie curieuse sur la signification

des noms (1). Mais c'est surtout dans les mœurs et la

nature des êtres que réside le principal fonds dapitli-


cations mystiques. On peut citer, comme type, l'homélie sur
ce texte La perdrix pousse des cris elle rassemble
: « ;

autour d'elle des petits qui ne sont pas les siens (2). » Ori-
gène remarque d'al»ord que l'Ecriture ne parle jamais en
bonne part de la perdrix et pour cause < C'est un animal :

rusé, fourbe et malin; il se roule perfidement aux pieds des


chasseurs en leur faisant espérer une facile proie pour les
éloigner de sa progéniture. Quand il les a dépistés, il s'en-
fuit à tire d'aiîe. » Il est aussi très impur, au dire des natu-
ralistes.Trompeur, méchant et immonde, il ne peut repré-
senter que l'ennemi du genre humain, rassemblant autour
de lui des enfants qui ne sont pas les siens et criant par
l'organe des hérétiques au point de couvrir la voix du bon
Pasteur.
Nous devions signaler dans le premier orateur chrétien
dont nous possédions les œuvres, l'emploi fréquent de ce
symbolisme dont les Occidentaux, surtout saint Ambroise,
saint Augustin, saint Grégoire le Grand et, plus près de
nous, saint François de Sales et le cardinal Pie, ont fait un
usage si étendu et quelquefois si heureux.

1.Fragm., m
Gènes. {P. G., XII, 116).
2.In Jerem. hom. xvii, 1 (XIII, 453). Voir l'imitation de ce
morceau par S. Ambroise, Fpjs/. xxxii (P. Z.., XVI, lOGO-1071).
CHAPITRE III

SPÉCIMEN d'exégèse.

LE CHAPITRE IX DE l'É PITRE AUX ROMAINS.

Parmi les œuvres exégétiques d'Origène, l'une des plus


maltraitées par le temps est son explication de saint Paul.
Avant la publication des extraits contenus dans les Chaînes,
on ne possédait en grec que deux longs passages sur Tépître
aux Romains insérés dans la Philocalie et la traduction par
Rufin du commentaire sur cette même épitre. Mais Rufin,
habitué à tant de libertés, atteignait ici la limite du sans-gène.
Il avait abrégé son texte à peu près de moitié, réduisant à
dix livres plus courts les quinze livres primitifs (1). De son
propre aveu, il avait tellement retranché, ajouté, transposé,
modifié, que ses amis le pressaient de s'adjuger la paternité
d'un ouvrage ovi il avait tant mis du sien (2j. Heureusement
pour nous, les auteurs de la Philocalie reproduisent les pages
les plus intéressantes au point de vue de la théologie
paulinienne. Ces morceaux choisis mis ensemble forment un
corps de doctrine ils nous arrivent, sinon avec l'approbation
;

expresse, du moins avec l'estampille des deux illustres


Cappadociens (3). Et les idées qu'ils vulgarisent ont exercé
une influence si marquée sur l'exégèse des Pères grecs et —
Rufin, Praefalio in explan. Orig., etc. (P. G., XIV, 831).
1.
Rufin, Peroralio in explanal. Orig., etc. {P. G., XIV, 1291).
2.
3. Les chapitres de la Philocalie que nous utiUserons sont les
suivants 1. Chapitre xxv
: Que la prédestination fondée sur
:

la prescience ne détruit pas le libre arbitre (commentaire de


ces Segregalus in Evangelium Dei, Rom. i, 1 P. G., XIV,
mots : ;

841-843). —
2. Chap. xxt Solution et explication des difficultés
:

scripturaires contre le libre arbitre (Peinarchon, III, i, 8-22 :


SPÉCIMEN d'exégèse 141

môme de presque tous les Pères latins jusqu'à saint Augustin


— qu'ils se recommandent à notre étude.
Il s'agit du oliapilre ix de l'Kpitre aux Romains avec la fin

du chapitre précédent. Nous distinguerons pour plus de clarté


quatre points caractéristiques :

1. Ordre de la prescience et de la prédestination.

2. Endurcissement de Pharaon en rapport avec cette


maxime : « Il endurcit qui il veut et il fait miséricorde à qui
il veut ».

Comparaison du potier et allégorie des vases de colère


3.

et des vases de miséricorde.


4. Impuissance de l'homme et nécessité de la grâce,

suivant cette formule \on volenlis neque currentis, sed


:

miserentis est Dei.

Prescience et Prédestin.vtion

Que la prescience divine précède, éclaire et dirige la pré-


destination, tous les Pères grecs sont unanimes à l'affirmer ;

mais peu l'ont dit aussi clairement qu'Origène dans l'expli-


cation de ce texte « Tout concourt au bien de ceux qui
:

aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon le propos. Car


ceux qu'il a connus d'avance, il les a aussi prédestinés à être
conformes à l'image de son Fils, afin qu'il soit le premier-né
entre un grand nombre de frères. Et ceux qu'il a prédestinés,
il les a aussi appelés et ceux qu'il a appelés, il les a aussi
;

justifiés; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. »

endurcissement de Pharaon, Jacob et Esaii, vases de colère et


vases de miséricorde, non est volenlis neque currentis, etc.
P. G., XI, 261-301). 3. Chap. x.wu— Endurcissement de :
;

Pharaon (tiré des Comment. d'Origr-ne sur TExode (P. G., XII,
264-281). —
4. Chap. x.wi Concours de la grâce et du libre
:

arbitre (comment, de ces mots Quis oslendel nobis bona? :

Ps. IV, G; P. G., XII, 1149-1163). Nous emploierons aussi à


l'occasion les fragments grecs conservés dans les Chaînes.
Rapport de la prédestlnalion à la prescience (1).

Observons attentivement l'ordre du discours. Dieu


justifie ceux qu'il a d'abord appelés, et il ne les justi-
fierait pas s'il ne ';les avait appelés. Il appelle ceux qu'il

a déjà prédestinés, et il ne les appellerait pas s'il ne les

avait prédestinés. Pourtant, ce n'est pas la prédestina-


tion qui est le terme premier de la vocation et de la
justification. Si elle était le premier terme de la série,

les fatalistes auraient gain de cause; mais avant la pré-


destination il y a la prescience : « Ceux qu'il a connus
d'avance, dit l'Apôtre, il les a aussi prédestinés à être
conformes à l'image de son Fils. > Ainsi Dieu, fixant son
regard sur la suite des événements futurs et voyant
certains hommes inclinés à la piété suivre cette inclina-
tion et s'adonner tout entiers à une vie vertueuse, il les

a connus d'avance (2) ; car il i)révoit l'avenir comme il

voit le présent. Ceux donc qu'il connut ainsi d'avance, il

les prédestina à être conformes à l'image de son Fils...

Par conséquent, il ne faut pas croire que la prescience de


Dieu soit cause des événements futurs. C'est parce
qu'ils doivent librement se produire que Dieu, sachant
toutes choses avant qu'elles n'existent, les connaît
d'avance. Et comme il sait toutes choses avant qu'elles
n'existent, il a connu d'avance et prédestiné ceux qui
devaient être conformes à l'image de son Fils, tandis
qu'il en voyait (3) d'autres rester étrangers à cette même
1. Explication de Rom., i, 1 Segregatus (ifwp'.ffixîvoi;) in
:

Evangelium Dei, Philoc, x.w, P. G., XIV, 841.


2. TToocvaTEVÎaaî oijv ô Oeè; tw sipiAtî) twv Iff0[j.£vwv xa'. xaTàvoT^saî
pO'irt'iV Toû È'^T.jxïv Toivôi T'.vwv £—1 sùïîês'.av y.al ôp;ji-r,v ir.': Ta'jTT,v
[XE'cà T'f.v po~f|V ...'!;pO£';''^w aÙTOÔ;.
3. EI6£v, parce que TrpoywoiTXEiv (répondant à -poopi^îtv) est un
SPÉCIMBN d'exégèse 143

image. Si Ton nous demande, en guise d'objection, s'il

est possible que ce que Dieu prévoit devoir arriver


n'arrive pas, nous répondons que c'est impossible. Mais
de ce qu'il est impossible que cela n'arrive pas, il ne
s'ensuit pas ([ue cela arrive ou n'arrive pas par nécessité.
Cela n'arrive pas par nécessit(' parce que cela aurait pu
ne point arriver (1). En cette matière du possible et de
l'impossible, l'œil de l'esprit a besoin de beaucoup de
perspicacité et d'attention pour comprenilre, sans se
laisser éblouir par des raisons subtiles, comment, dans
les faits les plus ordinaires, une chose peut être déter-
minée dans son objet et indéterminée dans sa cause,
comment, par suite, on peut prévoir qu'elle arrivera
infailliblement, sans qu'elle arrive par nécessité...

Les mouvements de la volonté humaine et les moments de


riniclligence divine sont distingués ici avec une merveil-
leuse lucidité. Du côté de l'homme, il y a d'abord l'inclina-
tion au bien (po-r|) qui sollicite le libre arbitre sans le
violenter et ne peut provenir que de la grâce prévenante,
puisqu'elle précède l'acte humain ; il y a ensuite l'acquiesce-
ment (opiJiYi), résultante de la grâce et de la volonté libre. Du
côté de Dieu, il faut distinguer en premier lieu un regard

terme technique réservé à la connaissance de l'acte bon. Dieu


provoit le mal et il a la prescience du bien car la proscience, ;

comme nous l'avons dit, implique approbation.


1. tW,ïC(ij.£v ûT'. io'jvaTûv [xèv [xr, yîviïSai •
oùyj. oè, sî ào'jvaTov
|xï, Y£V£j6a'., àvi-f/ï, \lr^ yavÉTÔai t, yvdifix: •
xal yJvîTai où zxvtwî
iXhi o'jvaToO ôvto; xal to'j tlù-zx
È| àvâyxT,î, M. Ar- [j.t\ vsvsaBat.
mitage Robinson, Philocalia, Cambridge, 1893, met, par p. ^28,
conjecture, Z-j'i7.-vi (au lieu de ioJvaTov) contre la foi des ma-
nuscrits et des Chaînes. Les manuscrits ont raison, seulement
l'incise àoôvaTÔv ïz-z: |j.t, yEvÉjGa'. a deux sens « Cela arrivera in- :

failliblement », et « Cela arrivera nécessairement > (c'est-à-dire


« par force ». z\ àvâ--/.T,;). Comme Origène le fait très bien ob-

server, de ce qu'une chose doive arriver infailliblement, il ne


s'ensuit pas qu'elle arrive par nécessité.
144 ORIGÈNE

jeté sur les possibles (TrposvaTevîffaç) ;


puis un acte de l'intel-
ligence divine qui comprend (y.oi-xvo-q'^x-) ce que fera telle
volonté créée dans telle circonstance et avec telle grâce ;

enfin la prescience (-ooéyvw) qui, d'après Origène, n'est pas


une simple prévision (comme est par exemple la prévision
du mal) mais, en tant qu'elle se rapporte à la prédestination,
une connaissance approbative. La prescience précède bien
logiquement la prédestination, mais elle suit le décret divin
sanctionnant tel ou tel ordre de grâces ; elle n'est donc pas
une science des possibles, mais une science des réalités
futures. Ce décret mystérieux lui-même, il est vrai, doit être
éclairé par une science des futuribles mais le théologien ;

d'Alexandrie, au moins dans le cas présent, néglige d'indi-


quer la i)lace de ce décret dans la série des actes divins et
l'on trouvera peut-être que cet oubli jette quelque ombre
sur son exposition.
Origène ne commet pas commune aux exégètes
la faute,
grecs, d'entendre le mot du propos de l'homme;
lîpôôïai.ç

il voit que saint


bien Paul parle du « propos » de
Dieu. Mais ce propos > n'est point aveugle il est guidé par
« ;

la prescience si l'homme ne dcA'ait pas répondre à l'appel


;

divin, il pourrait être appelé quand même, mais il ne serait


pas appelé « selon le propos », parce que l'appel demeurerait
inefficace par la faute de l'homme.

Comment la grâce respecte la liberté (1).

Qui donc devait être séparé des autres pour la vocation


qui justifie jjar le propos de Dieu si ce n'est celui qui
aime Dieu ? Ces mots Nous savons que tout concourt
: <t

au bien de ceux qui aiment Dieu » font voir clairement


que la raison du propos et de la prescience est dans notre
libre arbitre. L'Apôtre dit équivalemment que tout con-

1. P. G., XIV. 842.


SPÉCIMEN d'eXÉGÈSB 145

court au bien do ceux qui aiment Dieu parce que ceux qui
aiment Dieu sont dignes de ce concours. Les adversaires
du libre arbitre nous permettront une hypothèse qui
leur fera toucher du doigt la fausseté de leur système.
Supposons que certains actes dépendent de nous Dieu, :

contemplant la suite des événements futurs, conuaîtra-


t-il d'avance, oui ou non, ces actions libres? S'ils disent
non, ils font injure à l'intelligence sans bornes et à la
majesté infinie de Dieu. S'ils disent oui, nous leur

demanderons encore Est-ce que, dans cette hypothèse


:

du libre arbitre, la prescience de Dieu est cause que les


choses arrivent? Non, évidemment mais plutôt il les :

prévoit parce qu'elles doivent arriver, sans que la pres-


cience influe en rien sur la détermination de notre libre
arbitre.

De cette manière, poursuit Origène, s'expliquent les éloges


accordes aux bons et les reproches faits aux méchants, les
exhortations à la vertu et les menaces à l'adresse du vice.
Si la grâce faisait tout en nous sans exiger notre coopération,
saint Paul, ce vase d'élection, ne dirait pas : « Je châtie mon
corps et je le réduis en servitude de peur qu'après avoir prêché
aux autres je ne sois moi-même réprouvé », ni « Malheur à :

moi si je n'évangélise » Dieu, eu le prédestinant, prévoyait


!

ces efforts, ces craintes salutaires, enfin tout le concours


qu'il apporterait à la vocation divine par sa volonté libre.
Il est mis à part pour prêcher l'Évangile, mais il n'est pas
forcé de prêcher l'Évangile et afin que cette séparation,
;

cette ségrégation, soit un fait accompli que Dieu prévoit


infailliblement et qu'il prédestine sans retour, il faut que
l'acte du libre arbitre seconde le plan divin. Si l'on trouve,
dans tout cet exposé, quelques expressions dures, il faut se
souvenir : 1 . Que le mot grec al-îa n'a pas seulement le sens
philosophique de « cause », mais peut signifier « raison d'être »

à quelque titre que ce soit. 2. Que le mot àç'.ojaOxi c être


146 ORIGÈNB

jugé digne » na pas la valeur du terme théologiqpie


« mériter ». 3. Que d'ailleurs il s'agit de justes, d'amis de
Dieu, capables de mérites, au sens sti'ict du mot. 4. Enfin
qu'Origène a principalement en \ue les fatalistes, auxquels il
prouve très bien qu'il n'est pas d'acte méritoire oîi le libre
arbitre n'intervienne et que, lorsqu'il s'agit de mérite.
Dieu ne fait rien en nous sans nous.

II

Endurcissement dé Pharaon

Ce problème est un de ceux qui préoccupèrent le plus


l'infatigablechampion du libre arbitre. Les longs extraits de
la Philocalie (1) nous permettent heureusement de restituer

tout cet aspect de sa pensée.


Origène avait affaire à trois sortes d'opposants : les dua-
listes, qui faisaient table rase de la liberté aA'ec leur
théorie des natures essentiellement bonnes ou essentielle-
ment mauA-aises, vouées d'avance à la perdition ou tout à fait

incapables de pécher ; les gnostiques, qui abusaient de


l'histoire de Pharaon et d'autres exemples semblables pour

1. Chap. XXI (tiré du Periarchon, III, i, 8-14) et chap. xxvn


{Wré (\&% Commenlaires sur l'Exode, P. G., XII, 264-281). Ce der-
nier passage, dans Migne, est incompréhensible parce que
les feuillets des manuscrits qui ont servi à l'édition de
Delarue, reproduite par Migne, avaient été brouillés. Il faut
rétablir ainsi le texte: {P. G., XII, 268, ligne 25) après les mots
Ta TpojTÔToy.i TO'j placer "'Apa yâp, etc. (col. 273, 1. 24) jusqu'à
r£'.fiô;j.cvoi (col. 270, 1. 4) reprendre alors à ir.ô te twv Isoûv
;

Tpotçwv (col. 269, I. 9) jusqu'à àvaysypa-rTa-. (col. 273, 1. 24);


continuer par vcaî y^/tôaov-ai (col. 26i8, 1. 2o) jusqu'à à-c'./vT,v
(col. 269, I. 9); finir par xxl zrivov, etc. (col. 270, 1. 4). Il est
vraiment étrange que les éditeurs et les traducteurs aient pu
trouver, dans cette confusion, un sens quelconque. C'est un
manuscrit de Venise [Marciana, grec 47) qui a permis de
rétablir l'ordre primitif.
SPÉCIMEN d'eXÉGÈSB 147

établir leur prétendue distinction entre le Dieu juste, le Dieu


des Juifs et de l'Ancien Testament, et le Dii'u Ijon, le DioU
des chrétiens et de la nouvelle alliance ; enfin quelques
fidèles timides ou peu instruits, qui étaient d'avis do laisser
de côté ces troublants mystères ou, s'ils les abordaient,
se bornaient à dire que les jugements et les miséricordes
de Dieu ne dépendent que de son bon plaisir.
Aux dualistes, Origène répond ainsi « Puisque Pbaraon, :

comme vous le soutenez, était par nature fils do perdition,


qu'était-il besoin que Dieu l'endurcit ? Supposé que Dieu ne
l'eût pas endurci, aurait-il laissé partir le peuple élu, oui ou
non? Si oui, il n'avait donc pas une nature terrestre et
charnelle, incapable de tout bien; si non, 11 était fort inutile

de lui endurcir le cœur. Quon nous dise si Pliaraon de bon


devient méchant et si les reproclies divins lui sont adressés
à tort ou à raison. Si c'est à tort, comment Dieu est-il sage
et juste ? Si c'est avec raison. Pharaon est donc responsable
de ses fautes et de sa désobéissance et, s'il est responsable, il

n'estdonc pas d'une nature vouée à la perdition (1). »


Les gnostiques, qui croient se tirer d'affaire en mettant
l'endurcissement de Pharaon au compte du Dieu juste de
l'Ancien Testament, ne sont pas en meilleure posture. « Car,
au témoignage de l'Apôtre, le Dieu qui endurcit et celui qui

fait miséricorde est bien le même Dieu et non pas deux Dieux
différents. » Mais, indépendamment du texte de saint Paul,
« comment un Dieu juste peut-il endurcir un cœur qui se
perdra en vertu de cet endurcissement ' Comment un Dieu
juste peut-il causer la perdition et la désobéissance de ceux
qu'il châtie pour avoir été endurcis et pour avoir désobéi? »

Et pourquoi les reproches, pourquoi les menaces ? Si les


partisans de ce système substituaient au Dieu juste un
démiurge mauvais, ils tomberaient en d'autres inconvénients,
mais ils seraient du moins plus logiques.
Il n'est pas non plus à propos de suivre le conseil des
chrétiens trop craintifs qui voudraient faire le silence sur

1, Robinson, Philoc, xxvii, p. 244; P. G., XII, 268.


148 ORIGÈNE '

cette question. Le silence laisse debout toute la difficulté et

les espritsmal disposés s'en autorisent pour excuser leur


incroyance. Mieux vaut tenter une explication, quelque ardu
que soit le problème.

Comment l'homme s'endurcit et comment Dieu


l'endurcit (1).

Une est Tactiou de la pluie fécondante ; et pourtant,

sous cette action identique, la terre inculte et déserte


produit des épines tandis que la terre cultivée porte des
fruits. Celui qui envoie la pluie pourrait dire : « C'est
moi qui fais pousser les moissons et les ronces. » Son
langage serait exact quelque étrange qu'il paraisse ; car,
faute de pluie, il n'y aurait eu ni fruits ni épines : les

uns et les autres doivent leur croissance à la pluie, répan-


due avec mesure et en temps opportun. Voilà pourquoi
la terre qui ne produit que ronces et épines quoiqu'elle
ait bu souvent la rosée du ciel est réprouvée et bien près
de la malédiction (2). Ainsi la pluie est bonne, mais elle
est tombée sur une mauvaise terre ;
et c'est le manque de
culture d'un sol en friche cpii fait pousser les ronces et
les épines. aux pluies bienfaisantes, sont les
Pareils
miracles opérés par Dieu. Mais les volontés humaines,
ainsi que des terrains bien oumalpréj)arés, sont diverses,
quoique d'une même nature.
Si le soleil venait à parler, il pourrait dire : « Par une
même action je produis des effets opposés; je liquéfie et
je dessèche. » Il aurait raison, car sa chaleur fond la cire
et durcit la boue. Ainsi la même œuvre de Dieu, opérée
par l'intermédiaire de Moïse, fit éclater l'obstination de

1. Periarchon, III, i, 10-11 (XI, 26o-268).


2. Heb.,\\, 8.
SPÉCIMEN u'exégèse 1 i9

Pharaon duo à sa malice et la ilocilité des Egyptiens qui


se joignirent aux Hébreux. Sous le coup des prodiges, le
cœur de Pharaon commençait ;i s'amollir, comme en
témoignent ses paroles : « Ne vous éloignez pas trop,
n'allez qu'à trois jours de marche et laissez ici vos
femmes (1). » Ces mots et autres semblables, pi-oférés à
la vue des miracles, prouvent que les merveilles C(''lestes

produisaient quelque impression sur lui, mais sans


l'ébranler tout à fait. Il n'en eût pas été de la sorte si

l'endurcisseuKmt de Pharaon, comme plusieurs l'enten-


dent, était l'ouvrage de Dieu même.
Encore une comparaison tirée de la pratique ordinaire
de la vie. N'arrive-t-il pas souvent aux maîtres (lél)on-
naires de dire à leurs serviteurs gâtés par trop d'indul-
geuce et de mansuétude : « C'est moi qui t'ai perdu et je
suis cause de toutes tes fautes ? » On ferait mieux d'obser-
ver quel est le langage usuel et l'intention de celui qui
parle, au lieu de déblatérer à tort et à travers sans se don-
ner la peine de peser la valeur des termes. Paul éclaircit
bien C(4te matière quand il dit au pécheur : « Méprises-tu
les richesses de la bonté, de la patience et de la longa-
minité de Dieu ; et ignores-tu que cette bonté t'invite à
la pénitence'? Par la dureté de ton cœur impénitent, tu
amasses sur un
trésor de colère, pour le jour de la
toi

colère et du jugement de Dieu (2). » Ce que Paul


juste
dit au pécheur, nous pouvons l'appliquera Pharaon, car
tout cela lui convient très bien : par sa dureté etsou
cœur impénitent il s'amassait un trésor de colère. Sans
les miracles — des mirach^s nombreux
et si et si écla-
tants — sa dureté n'aurait été ainsi dévoilée j)as et rendue
manifeste.

1. Ex., VIII, 28.

2. Rom., ir, 4-5.


IbO ORIGÈXE

Nous 110 pouvons, à notre grand regret, reproduire tout au


long les admirables pages où Origone étudie sous ses divers
aspects une question qui lui tient tant au cœur. L'originalité
de son système est dans ces deux pensées premièrement,
;

Dieu endurcit pécheurs beaucoup plus par la multiplica-


les

tion que par la soustraction de ses grâces en second lieu, les ;

peines de cette vie ne sont pas purement vindicatives et les


vengeances de Dieu ici-bas sont en même temps des misé-
ricordes.
Pour qu'un cœur humain se trouve endurci, il faut qu'il
ait abusé de bien des grâces. Si les Juifs contemporains du
Christ n'avaient pas été témoins de tant de miracles, le
Sauveur ne leur reprocherait pas leur endurcissement. Dieu
endurcit lliomme et l'homme s'endurcit lui-même mais ;

Dieu ne l'endurcit qu'indirectement, occasionnellement, par


trop de faveurs ou trop de patience. Sous le coup des
châtiments divins. Pharaon commence à s'amollir; mais sa
dureté volontaire reprend le dessus dès que Dieu cesse
d'appesantir son bras. Aussi, n'est-il point ici-bas de peine
plus terrible ni plus redoutée des saints que le sommeil
apparent de Dieu. Jérémie lui adresse cette plainte amou-
reuse : « Pourquoi, Seigneur, avez-vous endurci notre cœur
en négligeant de vous faire craindre (1) ? » Comme s'il disait :

Pourquoi nous avez-vous permis de pécher avec impunité et


d'accumuler nos crimes ?
Origène irait contre l'enseignement des autres Pères, en
particulier de saint Augustin, s'il soutenait que le péché
n'est jamais la peine du péché, que Dieu ne relire jamais ses
grâces spéciales en vue d'une infidélité antérieure et que, dans
ce cas, la faute de riiomme est une simple permission de
Dieu et non un effet de sa justice; mais il est bien loin de le
prétendre. Il assure en propres ternies que le triple renie-
ment de saint Pierre est le châtiment de sa présomption et
l'adultère de David la juste peine de sa négligence. En appre-
nant de la l)ouche de Jésus la tentation qui allait fondre sur

1. Jer., .\x. 7.
SPIÎCIMEN d'exégèse 151

les apôtres, saiiil Pierre aurait dd prier, au lieu de se fier à


ses forces et de révoquer eu doute la parole du Sauveur.
C'est pourquoi il a été abaudouué à sa faiblesse et privé d'un
secours spécial qui l'aurait préservé de la chute. Saint Pierre
est doue tombé par la soustractiou d'une f.'r;k'e qu'il aurait

eue cl qu'il n'a pas à cause de sa présoiu[)liou doctrine très :

orthodoxe que saint .ïcan Chrysostomc, coniuie le remarque


avec raison Bossuet. ne fait guère que copier eu deux en-
droits. Seulement Origène a toujours soin d'inculquer avec
force que la pensée de Dieu ne s'arrête point au mal. ou ne
s'y arrête que pour eu tirer le bien. Dieu Aeut rendre saint
Pierre plus humble et David plus vigilant. Le dernier terme
de ses desseins est donc la miséricorde. Pour ce qui est de
Pharaon et des Juifs infidèles, Origène observe à propos que
l'endurcissement de Pharaon a pour cause accidentelle les
signes divins qui auraient du lui toucher le cteur; et l'aveu-
glement des Juifs, les miracles qui auraient dû leur ouvrir
les yeux. Dieu accomplissait tous ces prodiges pour con-
vertir et non pour endurcir ou aveugler les hommes, comme
le prouvent ses reproches; son intention première a donc
été frustrée et, par suite, l'aveiiglement et l'endurcissement
ne peuvent être que des effets d'une volonté conséquente,
préparant la voie à des desseins miséricordieux.
Que les peines infligées par Dieu dans la vie présente ne
soient jamais purement ^'indicatives, c'est une thèse soute-
nable, quoique difficile à prouver. L'heure de la stricte
justice n'a pas encore sonné. Jusqu'au dernier soupir, nous
sommes sur le chemin de l'épreuA-e, c'est-à-dire sous le règne
de la miséricorde. Origène aime fort cette idée et peut-être
la pousse-t-il à l'extrême. Il compare Dieu à un médecin qui
ne craint pas de faire souffrir le malade pour le guérir et qui
provoque des inflammations extérieures, quelquefois très
douloureuses, pour attirer au dehors les humeurs malignes.
Tantôt Dieu veut nous faire sentir notre faiblesse et nous
rendre meilleurs par le sentiment de notre impuissance ; tantôt
il diffère le remède à un temps plus opportun, car il prévoit
152 ORIGÈNE

qu'une tentative prématurée ne ferait qu'envenimer le mal.


A quelque degré d'endurcissement qu'un péclieur obstiné
soit parvenu par sa faute, il ne doit jamais désespérer de
son sort éternel. La dernière peine que Dieu lui envoie peut
être une dernière miséricorde.

m
La comparaison du potier et les vases de colère

Nous n'oserions pas affirmer qu'ici la solution d'Origène


soit de tout point satisfaisante. Comme argument ad hominem
il n'y aurait rien à dire, car il est évident que si Dieu tire
de la môme masse les vases de colère et les vases de misé-
ricorde, les vases d'ignominie et les vases d'honneur, cette
masse n'est ni essentiellement bonne ni essentiellement mau-
vaise, mais indifférente : ce qui ruine le système des dualistes.
Et il n'est pas moins clair que le même artisan formant
ces natures contraires, la distinction entre le démiurge et le
Dieu des chrétiens, ou entre le Dieu juste de l'Ancien Testa-
ment et le Dieu bon du Nouveau est illusoire et vaine. De
quelque manière qu'on explique ce texte difficile, les adver-
saires du libre arbitre n'ont pas le droit de s'en prévaloir ni
de raisonner ainsi : Puisque Dieu destine les uns au salut et
les auti-es à la perdition, comme le potier fait à son gré, de
la môme masse, des vases d'honneur ou des vases d'igno-
minie, le salut et la perdition ne dépendent pas de nous. Ils

n'en ont pas le droit, car ils mettent l'Apôtre aux prises avec
lui-même.

Les deux aspects de la doctrine de Paid (1).

Tantôt l'Apôtre ne fait pas intervenir Dieu dans la


préparation des vases d'honneur et des vases d'igno-

1. Periarchon, m, I, 22 (XI, 301).


SPÉCIMEN d'exégèse 1Îj3

minio, mais ncnis en attiibue tout 1(> résultat, comme


lorsqu'il dit : t Si quelqu'un se purifie de ces souillures,
il sera un vase d'iionneur, saint, utile au !Maitre, prêt
pour tout usage excellent » ; tantôt, loin de nous assi-
gner aucun rôle, il rapporte le tout à Dieu, comme
lorsqu'il dit :Le potier dispose à son gré de l'argile
«

pour faire, de la même masse, soit un vase d'honneur,


soit un vase d'ignominie. » Ces assertions ne sau-
raient être contradictoires ; il faut donc les concilier et
eu faire une doctrine harmonieuse, dont les éléments se
complètent. Notre libre arbitre ne peut rien sans la
science de Dieu, et la science de Dieu ne nous pousse
pas de force au bien sans notre libre coopération. En
d'autres termes, notre libre arbitre ne fait pas de nous
des vases d'honneur ou des vases d'ignominie, sans la
science de Dieu qui se sert de notre libre arbitre comme
il convient à sa nature ;
et la préparation des vases
d'honneur ou des A'ases d'ignominie ne dépend pas de
Dieu seul il lui faut une matière apte, je veux dire
;

votre volonté, qui se porte librement au bien ou


du mal (1).

Les deux forces qui doivent concourir à la production


de l'acte bon sont donc le libre arbitre (tô io 'r|Utv), ou la

libre détermination (i^i irpoaCpeai.ç) et l'opération divine


(tô ènl Tw 0£w), la science de Dieu {-^[ ÈTiriGrr, lly) tou Gsou).
Cette science n'est pas une simple prévision, mais une
science approbative et efficace, une prédestination. L'acte
libre est comme une matière (j^'^i) que la grâce

1. OÛTc ToO è'.»'T|;itv /wpU "tfiî ST'.STTiaT,; toû Beoû xai Tr,^
xaTa/pT,3£w; toû xaT'à;tav toO scp'ï.tiïv zoioûvxùs sî; T'.;rr,v s!; -r,

àTi[A(av v£V£56a'. iivâ O'jTe toO szl tw Oew [aÔvo'j xaTotcrxcuâî^ovTOî


sic •ï'.jj.T.v T, tlç àT'.jjLÎav Ttvx, èiv [jL-h, 'jTvTiV Tivi S'.acpopâ? ayr^ tt,v
f,ji£T£pav — poafpâî'.v xÀîvo'Jsav £—1 -à -/pstxTûva t, ê~l xi /Etpova.
1S4 ORIGÈNE

informe ; sans cette matière, la grâce resterait inefface et


n'aurait point de corps ; mais, sans la grâce, l'acte libre serait
comme un corps sans àme.
Il est possible que dans cette exégèse très pénétrante, le
souci trop exclusif de sauvegarder le libre arbitre laisse un
peu dans l'ombre l'initiative de Dieu et l'indépendance de
son action souveraine. Néanmoins tout cela est susceptible
d'un tour favorable, et l'on ne peut pas dire que les droits
de la grâce se trouvent lésés.
Malheureusement Origène ne s'en tient pas là. Il cherche
un surcroît de solution dans son hypothèse des épreuves
successives. Il croit pouvoir expliquer ainsi l'amour de Dieu
pour Jacob et sa haine envers Esaù avant leur naissance.
Et la censure peu sévère des auteurs de la Philocalie donne
un laisser passer à cette hypothèse.

Mérites et démérites antérieurs (1),

, Puisque, selon les paroles de l'Apôtre, quiconque se


purifie devient vase d'honneur, quiconque reste volon-
tairement impur vase d'ignominie, le créateur est hors
de cause. En effet le créateur ne fait point les vases
d'honneur et les vases d'ignominie originairement, selon
sa prescience, car ce n'est pas ainsi qu'il condamne et
qu'il justifie d'avance ; mais il fait ceux qui se sont puri-
fiés eux-mêmes vases d'honneur, ceux qui sont restés
volontairement impurs vases d'ignominie. Ainsi les uns
sont destinés à l'honneur, les autres à l'ignominie pour
des causes qui précèdent la formation des vases d'honneur
et des vases d'ignominie (2). Mais une fois admis que

1. Periarchun, III, i, 20 (XI, 296-297).


2. "il'S-zz i-A. TpssêuTspwv aliîwv zr,^ •/caTaffXîuf,? twv sÎ; Tt(XT,v xal
£'.; àT'.|j.îav axsuôjv v£vsa6at ôv [j.îv £Î; ti;j.T|V ôv oè sic àxiatav. Migne
a oûx après mozz en notant que c'est une faute évidente des
manuscrits. Robinson omet le oùx sans aucune remarque. En
SPKCIMEN d'EXIÎGÎiSK 155J

les vases (riioimoiiret (rignominio ont des causes anté-


cédentes, qu'y a-t-ildabsurdeà reprendre notre hypothèse
sur l'origine de l'âme, et à penser que l'amour pour
Jacob avait sa raison d'être avant qu'il ne l'ùt uni au
corps et de même la haine envers Esaii avant qu'il

n'entrât dans le sein de Hébccca (1) ?

Le Coinmentaire sur l'épître aux Romains présente


une autre solution dont nous ne parlerions pas, si elle n'avait
eu sur rexégèse des âges suivants une influence marquée.
Origèue semble supposer que Paul ne parle point ici en son
propre nom, mais qu'il met tous ces textes difficiles dans la
bouche d'un contradicteur.

Autre essai de soluliou (2).

A cet indiscret et à cet importun l'Apôtre jette cette

exclamation indignée : « homme ! qui es-tu pour


argumenter contre Dieu » Cest-à-dire
! Qui es-tu pour :

te glisser dans le palais du roi et chercher à pénétrer


dans les appartements Pour nous, n'en-
les plus secrets ?
trons qu'avec crainte dans lademeure royale, respec-
tons-en le mystère par notre silence et demandons à
Paul de nous servir de guide. L'Apôtre se fait donc

effet, Origène, fidèle à ses principes, conçoit la destination à


l'honneur ou à l'ignominie comme postérieure aux mérites et
aux démérites, soit prévus (in ordine intentionis), soit posés
(in ordine executionis).
1. La forme dubitative de cette phrase ku a fait sans doute
trouver grâce devant S. Basile et S. (îrégoire. Origène, ici, n'est
pas exigeant; il se contente de demander ce qu'il y a d'absurde
dans cette hypothèse: Tt àTOTov. Jlais ailleurs, il est plus &\-
plicite: /Vn'rtrc/jô», I, vu, 4 (XI, 173-174: Suspicor); III, ni, S
(XI. 318-319: Suspicor). On voit par ces hésitations combien il
avait conscience de marcher sur un terrain peu siir.
2. In Roman., vu, 16 (XIV, 1144).
156 ORIGÈNE

adresserpar un contradicteur cette question : Est-ce qu'il


y a de l'injustice en Dieu ? et il s'empresse de répondre :

Non, certes Puis à chaque nouvelle interrogation de


!

son interloculeur, il est toujours censé répondre : Non


certes ! Celui-ci lui objecte les paroles de Dieu à Moïse :

ï veux et je ferai miséricorde à qui


J'aurai pitié de quije
je veux. » Il en conclut que le salut ne dépend pas de
la volonté de l'homme, mais de la miséricorde de Dieu.
En effet, poursuit-il, Dieu a suscité Pharaon pour mon-
trer en lui sa puissance, et faire connaitre son nom dans
tout l'univers. Par conséquent il ne fut pas au pouvoir
de Pharaon de ne point se perdre, puisqu'il a été choisi
pour faire voir aux hommes la puissance de Dieu. Enfin
le contradicteur termine en disant « Donc, Dieu fait misé-
:

ricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut. » Telle


est,répond l'Apôtre, l'objection que tu m'opposes pour
me prouver que Dieu se plaint en vain, et qu'il a tort
d'en vouloir aux hommes.

Malgré l'adhésion de saint Jean Chrysostome. cette exé-


gèse forcée fait peu d'honneur à Origène, si Rufin l'a
bien compris. Mais, soit dans le Periarchon soit dans son
Commenlaire, Origène reprend l'explication détaillée de ces
textes, comme s'ils contenaient bien la vraie pensée de Paul.
En effet, qu'ils soient ou non présentés sous forme d'ol3Jection,
ce sont toujours des textes bibliques, dont il est nécessaire de
trouver le sens.

IV

Le rôle de la grâce

On a reproché à Origène de méconnaître la gratuité


absolue de la grâce et la priorité de l'action divine par
rapport à la coopération humaine : imputations graves si
SPÉCIMEN d'exégèse" 1o7

elles sout lomlées. Mais les foudres de Luther, de Calvin et


de Jansénius, qu'il s'est attirées pour avoir si vaillamment
défenilu le libre arbitre contre le fatalisme jinostique, ne
suffisent pas à le constituer adversaire de la prAce, et il ne

lui sera pas difficile de plaider sa cause. Dans une lonpue


exposition de ces mots du l'salmiste : Qui ostendet iwbis
bona? il critique les opinions des philosophes sur la nature
du bien et du mal. Les uns —
les épicuriens — ne recon-
naissent pour biens et pour maux ([ue le plaisir et la douleur,
indépendants de notre volonté. Les autres — les stoïciens —
n'ap[iellent biens et maux que ceux (pii dépendent de nous,
la vertu et le vice. D'autres enfin, avec Aristote, distinguent
trois sortes de biens : les biens du corps, le bieus de Tùme
et les biens extérieurs. Origène souscrit au principe que le
bien partie dépendant, partie indépendant de notre
est
liberté, mais il objecte contre la division aristotélicienne que
les biens du corps et, à plus forte raison, les biens extérieurs
sont indignes du nom de biens, à moius dètre en relation
avec les biens véritables et il réserve l'appellation de biens,
dans le sens strict du mot, à ce qui nous met en rapport
avec le souverain Bien.

Le véritable bien de l'homme (1).

Il y a des biens qui no dépendent pas de notre liberté,


selon ces paroles dn Psalmiste « Silo Seigneur ne bâtit
:

la maison, en vain se fatiguent ceux qui la bâtissent ; si

le Seigneur ne garde la ville, en vain les gardiens

1. Fragm. in Ps., iv, G (Philoc, xsvi P. G., XII, 11(30).


;

Relativement à nous, la grâce est àzpoa'.pÎTixo;, parce que nous


ne pouvons ni la produire, ni la mériter; notre coopération,
au contraire, est i/. •nooa'.pj-'.xoO. parce qu'elle est en notre pou-
voir, la grâce étant supposée; l'acte bon est donc la résultante
du concours divin et du libre arbitre; en ce sens, c'est un bien
mixte.: Tô xoO ^voy.xoij à-'aOôv u'.xtôv sst'.v ï% te tt.ç zpoas'ip^îio?

zûOcXoticVti).
158 ORIGÈNE

veillent. » Quiconque progresse bâtit la maison ;

quiconque est parfait garde la ville. Mais le travail de


l'ouvrier et la vigilance du gardien sont dépensés en
pure perte si le Seigneur ne bâtit, si le Seigneur ne
garde. Or, l'action du Seigneur qui aide à bâtir la maison
et vient au secours de l'ouvrier incapable de la bâtir par
lui-même, est placée hors des atteintes de notre liberté.
Il en est de même pour la ville à garder. Qu'on nous
permette cette comparaison : la production des fruits,
but de l'agriculture, est une résultante du travail de
l'agriculteur appliquant librement son art, et de condi-
tions climatériques favorables, telles que le beau temps et
une quantité de pluie ne dépen-
suffisante, conditions qui
dent que de la Providence sans aucune participation du
libre arbitre ; ainsi le vrai bien de la nature raisonnable
est une résultante de la liberté de l'homme et de la
puissance divine venant en aide à l'homme vertueux. Et
ce n'est pas seulement pour devenir bons, que nous
avons besoin du libre arbitre et du concours divin qui,
par rapport à nous, est indépendant de la liberté nous ;

en avons aussi besoin pour persévérer dans la vertu (1 ) :

car le plus parfait tombera s'il s'enorgueillit du bien qui


est en lui, s'il s'en attribue le mérite, et néglige d'en
rapporter la gloire à celui qui a de beaucoup la plus
grande part dans l'acquisition et la conservation de ce
bien.

Je ne sais comment Origoue aurait dû s'y prendre pour


proclamer en termes plus forts l'indépendance de la grâce
divine à l'égard de l'homme. Nous verrons plus loin

1. Ou jxovov eî; xà xaAOv -/al àyaBôv yjvÉjfjat Xpeîa xxl if,;


irpoa'.péaewç "zr^ T,jj.eT£pa; xal xf,? Ôst'a; au|i-;r/oîa;, TiXiç èatlv ûi^.Tzpbi
fjjjLâç aTTpoaîpETOv, à)>Aà •/»'. tU tô yevô ijlevov xaÀ6v xai àyaôèv otaixeîva'.
£v TTi àpsxï,. N'est-ce pas la thèse du De dono jjerseveranliae ?
SPÉCIMEN d'eXÉGÙSE 159

comment il sauvegarde l'initiative de Dieu. Mais il nous


faut auparavant lui laisser expliquer la nécessité de notre
concours.

\on volentis neqite cnrrentis (1).

Voici à mon sens la meilleure manière de défendre ce


texte. Salomon ilit au Livre des Psaumes — car le
Cantique des degrés que je vais citer est de lui — : « Si le
Seigneur ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent
travaillent en vain ;
si le Seigneur ne garde la ville, le

gardien veille inutilement >. 11 ne nous détourne pas de


bâtir, et ne nous dissuade pas de veiller, mais il veut
nous montrer qu'on bâtit sans résultat, qu'on garde sans
profit, ce qu'on bâtit sans le secours de Dieu, ce qu'on

garde sans son aide. Dieu, eu effet, doit être considéré


comme le principal ouvrier, comme le plus nécessaire
des gardiens. En disant que cet édifice est l'œuvre de
Dieu et non de que la sécurité dont jouit la
l'architecte,
du Tout-puissant et non des gardiens,
ville est le fait

nous ne nous trompons pas nous sous-entendons seule-


:

ment la coopération de l'homme, pour rapporter avec


reconnaissance tout l'honneur de l'entreprise à Dieu qui
l'a menée à bien. Il ne suffit pas de vouloir pour attein-
dre le but, ni de courir pour gagner la couronne promise
au triomphateur; il y faut l'assistance de Dieu. C'est
pourquoi il est juste Ce n'est pas l'affaire de
de dire : «

celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait
miséricorde, i Se servant d'une métaphore tirée de
l'agriculture, Paul écrit « J'ai planté, ApoUos a arrosé,
:

mais Dieu a donné la croissance ainsi celui qui plante ;

n'est rien, ni celui qui arrose, il n'y a que celui qui

I, Periarchon, III, i, 18 (XI, 289), sur Ro7n., ix, 16.


160 ORIGÈXE

donne raccroissement. » Il serait contraire à la piété


d'attribuer l'abondance des fruits à l'ouvrier qui travaille
ou à celui qui arrose, quand c'est l'œuvre de Dieu.
Pareillement notre salut, tout en nécessitant notre coopé-
ration, n'est pas néanmoins notre œuvre, car Dieu

y joue le principal rùle. Éclaircissons cela par une


comparaison empruntée à l'art nautique. Pour grande
que soit l'habileté du pilote ramenant le navire au
port, les vents favorables, le beau temps et l'éclat des
astres contribuent plus encore à la sécurité des passagers.
Souvent, les nautoniers eux-mêmes croiraient manquer
de piété s'ils s'attribuaient le salut du vaisseau, au lieu
d'en rapporter tout le mérite à Dieu non pas qu'ils
:

soient restés inactifs, mais parce cpie l'appoint de la Provi-


dence l'emporte de beaucoup sur l'effort de leur art.
Quand il s'agit de notre salut, la part de Dieu dépasse infi-

niment la nôtre ; voilà pourquoi, je pense, l'apôtre dit:


4 Ce n'est pas l'affaire de celui qui veut ni de celui qui
court, mais de Dieu qui fait miséricorde. > Que si l'on
interprète ces paroles comme le font les ennemis du libre
arbitre, les préceptes deviennent inutiles; c'est en vain
que Paul blâme comble d'éloges les
les délinquants,

hommes vertueux, envoie des injonctions aux Églises ;

c'est en vain que nous poursuivons le bien et que nous

aspirons au mieux. Mais non les conseils, les repro-


:

ches, les louanges de Paul ont bien leur raison d'être ;

eten tendant de tous nos efforts à la perfection, objet


de nos vœ'ux, nous ne poursuivons pas un fantôme.

Il ne faut pas perdre de vue qu'Origène combat ici non


point les pélagiens et les semi-pélagiens qui ne devaient se
monirer que deux siècles plus tard, mais les fatalistes et les

dualistes adversaires du libre arbitre. C'est pourquoi la cen-


SPÉCIMEN d'exégèse 101

sure de Mj^r Freppel qui, à la suite du savant Iluct, trouve


sa doctrine « vulnéralilc sur deux points : la gratuité absolue
delà grâce et la prioritc de l'action divine par rapport à la
coopération humaine nous parait heaucoup trop sévère (1).
»

Ne parlons pas de de la grâce, puisqu'elle n'est


la nécessité

pas en question laissons aussi de côté les nombreux pas-


;

sages où les vertus surnaturelles, le mérite des bonnes


œuvres et la récompense céleste elle-même sont appelés des
dons de Dieu. On en tirerait un fort bon argument en faveur
de la gratuité de la grâce et de l'initiative divine ; mais,
pour nous en tenir strictement aux points en litige, montrons
qn'Origène admet la grâce prévenante, précédant tout mé-
rite et tout droit de notre part.

Les textes censurés par Iluet


I. —
outre qu'ils ont le défaut
d'être pris presque tous dans les traductions latines de Rufin,
que Huet récuse quand il s'agit de disculper Origène sont —
extroniement peu i)robants. Voici les plus forts: In I{oin.,\u,
16 (XIV, 1147j: « Ut boni aut mali simus nostrœ voluntatis est.»
Mais l'Ecriture et les Pères parlent souvent ainsi en supposant,
comme ils le doivent, que Dieu ne refuse pas sa grâce. In —
Nioner.. xi, 4 (XII. twO): « Omnia apud Deum rationo et judicio
fiunt, nec ad gratiani, sed pro merito •>, etc. Il s'agit ici de
Dieu juye, récompensant les serviteurs fidèles dans la parabole
des talents, et n'accordant rien par faveur (ad gratiam), mais
selon les mérites respectifs. Même solution ytour In Malth., \\i,o
(Demande indiscrète de. la mère de Jean et de Jacques). In
MatUi., ser. 69 (XIII, 1710) « Fidem
: habenti quœ est ex
nobis, dabitur gratia (idei qua? est per spiritum fidei. » C'est
l'axiome vulgaire: «Facienti quod inseest»,etc. Ailleurs, Origène
dit qu'on mérite la grâce par les prières, les bonnes œuvres,
etc., mais il ne dit pas qu'on la mérite sans la grâce ni sans
être en état de grâce. Les textes les plus difficiles sont peut-être
ceux où Origène insinue que Dieu accorde sa grâce à ceux qui
en sont dignes. On pourrait répondre comme pour le cas pré-
cédent. Mais il est plus probable qu'il parle de la grâce efficace
que Dieu n'accorde qu'à ceux qui s'en rendent dignes (exo-cite)
en y coopérant; car il est très moliniste et voilà pourquoi Huet,
qui semble avoir d'autres idées sur l'efficacité de la grâce, ne
l'a pas compris. Et il faut toujours se souvenir qu'Origène
avait à combattre les adversaires du libre arbitre pour lesquels
les hommes sont bons ou mauvais par nature.

15
162 ORIGÈNE

1. L'action de Dieu, clans l'œuvre de notre salut, est sou-


vent comparée au soleil et à la pluie qui fécondent les
champs, aux courants et aux vents favorables qui poussent
le navire au port. Or, toutes ces comparaisons, si elles signi-

fient quelque chose, expriment Vindrpendance de l'action


divine car ni l'agriculteur ne dispose de l'atmosphère ni le
;

navigateur des vents et des flots. L'activité de l'homme est


subordonnée à l'état des éléments et l'état des éléments ne
dépend en rien du bon plaisir ou des efforts de l'homme.
La théorie des biens, que nous venons de transcrire, dépose
dans le même sens. Il y a des biens qui ne dépendent pas
de nous et sans lesquels cependant nous ne pouvons ni
acquérir la vertu ni même y persévérer : ce qui démontre la
gratuité de la grâce.
2. Les semi-pélagiens attribuaient à l'homme le point de
départ du salut. L'homme commentait l'œuvre. Dieu l'ache-
vait. Origène est bien éloigné de cette erreur. Pour lui. l'acte

de foi, qui est le premier mouvement d'approche de l'âme


vers Dieu et la prière sans laquelle, à son avis, Dieu n'ac-
corde pas ordinairement sa grâce, sont de Dieu lui-môme (1).
Sur ce verset de saint Jean « Pourquoi ne recevez-vous pas
:

ma parole ? Parce que vous ne pouvez entendre mon dis-


cours », il affirme (jue ce double acte de l'intelligence et de
la volonté adhérant à la foi est un présent de Dieu. « Jus-
qu'à ce que Verbe ait guéri leurs oreilles comme il guérit
le

celles du sourd-muet en lui disant Ephphctha, c'est-à-dire : :

Ouvre toi, ils ne sauraient entendre mais dès qu'est brisé ;

le lien, cause de la surdité, ils peuvent entendre les paroles

de Jésus et y acquiescer (2). » Il nous est impossible de


chei'cher Dieu purement et par conséquent d'aller à lui si

1. In Joan., xiii, 1 (XIV, 400): Tâ/a yàp oôy;!» il ii-z:. [jiT.ôéva


AaaSâvs'.v Ôstav owpEàv Tôiv irr, aÎTOÔvToiv propos des
ol'j-zt;/. C'est à
paroles de .Jésus à la Samaritaine : « Sivous connaissiez-le don de
Dieu... vous me l'auriez demandé et je vous l'aurais accordé. •
2. In Joan., xx, 18 (XIV, 6l6j : 'E-àv oà A'j6lf, ô alxto; rr,î
viwsÔTTiTO; sûvosTiao?, tôts àxoûî'.v t'.; oIo; è'o'Ta'. toO 'It.toû •
ôte xai
spi':ci.Mi;.\ d'kxiîgèsk 103

Dieu lit' UDUs éclaiiv ; il nous osl iinpossibli- de prier utile-


ment, sicut oporlel, si l'Espril-Saint ne prie en nous et avant
nous(l). Comment exprimer avec plus de clarté soit l'indé-
pendance soit la priorité de l'action divine ?
3. Antérieurement à notre acte libre, il y a en nous (juel-

que chose ([ui n'est pas de nous et qui est absolument né-
cessaire pour déterminer l'acte. Ce quelque chose que nous
appelons maintenant grâce précenante, grâce excilante,
Origène l'appelle d'un autre nom, par exemple attrait, pen-
chant au bien (2). Mais il aurait souscrit volontiers à la ter-
minologie moderne s'il l'avait connue.
4. Enfin, d'après la doctrine constante d'Origène, on peut
résister à la grâce et il y a des grâces rendues inefficaces
par notre volonté mauvaise (3). S'il ne reconnaissait, comme

on que des grâces adjuvantes, toutes ses grâces


le prétend,

seraient efficaces. 11 admet donc des grâces prévenantes et


excitantes,c'est-à-dire, comme parlerait saint Augustin,
quebiue chose que Dieu met en nous sans nous et qui est si
peu de nous qne nous pouvons lui faire obstacle. Je sais
bien qu'Augustin porte la question plus loin et montre que
le bon usage du libre arbitre est lui-même une grâce et un
don de Dieu. Origène ne le nie pas, mais il envisage le
problème sous un aspect différent. Il serait injuste par suite
d'en faire un précurseur de Pelage ou des semi-pélagiens et,
sur la matière de la grâce, l'on ne trouve rien dans ses
œuvres qui ne conforme à l'enseignement des autres
soit
Pères grecs, en particulier de saint Jean Chrysostome.

1. De Oral., 2 (XI, 421) Oûoà yip ovvaTai T,;i.wv ô voO; -pojsj-


:

ÇïsOa'. , Èàv tjLT, -pfj aÛToO t6 Ilvs-jj-ia 7:pOTc'j;T,Ta'..


2. Origène appelle cela t, 6o— r, toû aiTsiou-îo-j. Contra Cels.,
VI, 2 (XI, 12'J2),T, ,00— r, TO'j T,ys;j.ov'.xci'j, Periarchon, III, i, 4 (XI,
253); cette fo—r,. précède i'ôp;rr,, c'est-à-dire le mouvement
libre, l'assentiment qui complète l'acte, In Roman., i, o (XIV,
841 : xal 6p;j.-V, |jLïTà -t,w po—r',v).

Periarchon, III, ii, 4 (XI. 309): « Possibile est ut cum nos


3.
divina virtus ad meliora provocavcrit non scquamui-, iiberi
arbitrii potestate in ulraque (suggestione) nobis servata. »
CONCLUSION

Origène est peut-être, avec le grand Augustin, le génie le

plus vaste, le plus fécond et le plus personnel qui ait illustré

l'Église des premiers siècles. Critique, exégète, prédicateur,


apologiste, théologien et chef d'école, son œuvre colossale
insitire une sorte d'épouvante. La légende s'empara vite de
cette activité si variée et si intense qui paraissait tenir du
prodige. On lui attribua la paternité de six mille écrits :

rien n'était censé impossible l'homme


chez d'acier
('A8aji.âv-:t.oç), l'homme à la poitrine ou au cerveau d'airain
(^^alxévTspoq). douteux qu'aucun autre écrivain
Il est ait

exercé pareille influence sur les contemporains et sur la

postérité.
Mais nul ne perd davantage à être connu par extraits.
Origène n'est point styliste. Il n'a ni le temps, ni la patience,
ni le goût, ni peut-être l'aptitude, — car c'est un talent au-
tant qu'un métier, — de limer ses phrases, d'arrondir ses
périodes, d'équilibrer ses antithèses. Il sait dicter, quand le
sujet y prête et que l'émotion le soulève, des pages pleines
d'éloquence, de chaleur, de poésie, d'éclat mais ce qu'on ;

admirait le plus en lui, c'était l'érudition prodigieuse,


une clarté qui répand la lumière sur les questions les
plus abstruses, un ton modeste empreint de bienveillance,
de modération et de sincérité : toutes qualités n'agissant
qu'à la longue et qu'on n'apprécie guère dans un recueil de
morceaux choisis. La multitude et la variété de ses ouvrages
rend difficile une idée d'ensemble. Il faut choisir entre la
méthode des auteurs de la Philocalie qui se limitent à
trois ou quatre points, et ne présentent qu'un aspect de
1G6 ORIGÈNE

cette grande figure ou le morcellement qui rappetisse


toutes les lignes et dénature tous les traits. Enfin les contro-
verses origénistes ayant mis en relief un certain nombre de
textes qu'il n'est plus permis de négliger, par un effet assez
naturel de perspective, ces textes semblent envahir aujour-
d'hui l'œuvre entière, tandis qu'ils n'en formaient jadis
qu'une partie infinitésimale, cantonnés qu'ils étaient dans
quatre ou cinq chapitres du Periarclton.
Nous n'avons pas voulu nous défendre contre l'admi-
ration qu'inspirent le génie, le caractère et les vertus d'Ori-
gène, mais sans nous dissimuler non plus ses erreurs et
ses fautes. « Il nous
pour en parler avec honneur,
suffit
dit fort bien Tillemont, qu'il soit mort dans la commu-
nion catliolique, qu'il n'ait donné ses opinions particu-
lières que comme ses pensées propres, en voulant qu'on
les distinguât de la foi commune de l'Église, et qu'il
paraisse avoir eu un esprit très humble, très soumis à
l'Église, très respectueux pour sa doctrine et ses décisions,
très attaché à son unité, et très modéré envers ses propres
persécuteurs. Il quelque chose des
est difficile d'aA'oir lu
écrits d'Origène, sans voir que ces sentiments étaient gravés
dans son cœur ; et nous ne craignons point de dire qu'un
homme qui est dans une disposition si catholique peut avoir
des opinions hérétiques, parce qu'il est homme, mais ne
peut être hérétique, parce qu'il n'est pas superbe ni attaché
à son erreur. » Et pour être certains de n'excéder ni dans
l'admiration ni dans l'éloge, nous transcrirons le juge-
ment que portait sur lui saint Jérôme quand il lui fut
devenu hostile (2) c Vous voulez louer Origène ? Louez-le
:

comme je le loue. Ce fut un grand homme dès l'enfance et


vraiment un fils de martyr... Il abhorra la volupté, il foula
aux pieds l'avarice. Il savait par cœur l'Ecriture et passait
les jours et les nuits à la méditer. Il prononça plus de mille

1. Mémoires pour servir à l'hist. eccl., 'S^'onise, 1732, t. III,

p. 495.
2. Episl. Lxxxiv ad Pammach., 8 {P. L., XXII, 749-750).
CONCLUSION 107

homélies. Il publia (rimiombrables commentaires... Qui


de nous peu! lire autant (pi'il Qui n'admirerait son
a écrit f

amour ardent pour l'Écriture ? Que si, envieux de sa gloire,


quelque Judas nous objecte ses erreurs, nous lui répondrons :

Le grand Homère sommeille aussi parfois. Impuissants à


suivre ses vertus, gardons-nous d'imiter ses défauts. »
APPENDICE I

LA TBIXITL. nOCTlUNK ET TERMINOLOGIE

Dans un écrivain éclectique, tel qu'Origène, dont le voca-


bulaire a pu changer au cours d'une longue carrière, l'étude
de la terminologie offre des difficultés considérables. Il est
cependant possible, croyons-nous, de savoir assez exacte-
tement ce qu'il entend par les quatre mots •tco'j'jwttov,

ôzoxsîaîvov, o'jcTÎx, 'j-dcTaîi.;. — 1. llpôaw-ov n'est pas


pour lui la personne mais le personnage, l'interlocuteur (De
Engastr. P. G., XII, 1017 : Tô -jrpÔTw-ov àyiou \hv'j\x%-.oc,

= c'est le Saint-Esprit qui parle). Voir exemples dans Philo-


cabe, vu : Uzo\ toO iSiw'jiaTo- twv -poaojTTcov tt,- Oîîxç
rpatçïîç. — 2. Quoique jTToy.îîuevov soit i)roprement Vobjet
dont on parle {Contra Cels., u, fiO ; vi, 25), c'est aussi le
sujet d'attributions et, équivalemment, le suppôt (In Joan.
VI, 22, P. G. XIV, 264). Ainsi les titres du Christ sont divers,
mais le sujet auquel ils s'appliquent est un Tô jTroxtiiJiïvov :

?v È^T'.v (/« Jeirm., hom. vm, 2, P. G XTII, 337). 3. OOsia ,



est plutôt essence que substance. Les anges et démons,
les

dit Origène, ne diffèrent pas d'oja'!a ;


ils ne sont pas
âxcooo'j'î'.o'., ils sont oixoo'j'jio'. (In Joan. xx, 20, P. G., XIV,
623-029). Cependant I'oCitCx n'est pas précisément le carac-
tère spécifi([ue (eIôoç) ; c'est en général l'essence concrète
qui peut s'échanger avec la nature, cp-jciç (In .loan., xiii, 21,
P. G., XIV, 432-433). L'o-jctCdi to-j Adycj est sa ?ifl/»re divine
par opposition à la nature humaine (In Joan. fragm. xviii,

édit. Preuschen, p. 498 cf. Contra Cels, iv, o). Quand il


;

s'agit de Dieu on iieut traduire indifféremment par essence


ou iiar substance ; il en est de même de l'adjectif o'j(;u.jSr,ç

(In Joan., vi, 3) et de l'adverbe oO'i'.wÔwç (/» Joan.,\\, iH,


P. G., XIV, 14d : Rien de créé n'est heureux o'jtiwôwç,
170 ORIGÈJiE

car s'il l'était il ne pourrait déchoir de la béatitude). — 4. Le


mot uTrrjî-a-T'.ç, dont le sens primordial est fondement, prend
des acceptions très diverses dont l'une des plus communes
est la réalilé par opposition à Vapparence (xax'è'ijicpaGiv, Arist.
De Mundo, IV, 19) à Vimagination (cpavTaaîa, Artem.
Oneir., III, 14). C'est ce sens qui prédomine dans Origène.
La distinction réelle (oiacpopà uTroçjidc'jïwç) est opposée à la
distinction de raison (i-ivoîocç \i-(>yt\ç, In Joan., fragm. xxxvi,
Preuschen, p. Le Verbe n'a pas pour toute réalilé
511).
[ÙTzôa-zaiiçj les pensées de Dieu c'est une u-nrdGTaaiç vivante
{In Joan., i, 39, P. G., XIV, 89). Ici nous touchons déjà aa
sens de personne. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois
ÛTTOTTâTEiç (lu Joon., Il, 6, P. G., XIV, 128) le Père de la ;

Vérité et le Fils Vérité sont deux choses quant à VÙTZfj'zz^i.aiq,


(8ûo T^ uTCocT(x<j£i Tcpâyn-^c-a) ou plus exactement deux
Ô7ro(TTà(j£iç {Contra Cels., viii, 12, P. G., XI, 1333). Dans ce

cas l'opposition personnelle est indiquée moins par le mot


uTTÔiTTa'ji.ç, qui garde son sens de réalité, que parle contexte.

Les trois passages suivants sont très caractéristiques.


Ayant prouvé la distinction réelle du Père et du Fils,
Origène combat l'hérésie qui prétend qu'ils ne diffèrent pas
numériquement (xio àp-.OjjLw), qu'ils sont une même chose non
seulement quant à la substance (oùcîa), mais aussi quant au
suppôt (uTToxcCaïvov), qu'on les appelle Père et Fils selon une
distinction de raison, non selon quelque chose de réel
(xatâ Ttvaç £~ivoîaç Siacpooo'jç, où xatà ÛTr^cTaciv, In Joan.,
X, 21, P. G. XIV, 374). 11 en résulte : 1. Que le véritable
équivalent pour la /)erso?we est 'j-:ro/.£Î;jiEvov ; 2. Que 'jTz6a-7.Gi(^

est synonyme de réalité, car la distinction de raison est


opposée à la distinction xaO'jitrj-jTaaiv; 3. Que l'ojaîa est
Vessence ou la substance numériquement une car les héré- ;

tiques ne sont pas blâmés pour admettre l'unité d'oùsCa,


mais pour aller jusquà l'unité d''j::oxEÎp.2vov. '4. Que
la distinction numérique (tw àpi6ijLw) se tire donc de
la différence d'uTroxeiia'-vov ou d'ù-K6'j-:x'Jiç. Ailleurs Origène
réfute les gnostiques qui regardent le Verbe comme une
LA TRIMTÉ. UOCTUINE ET TERMINOLOGIE 171

parole extérieure (lu Père {/n Joau., i, 23. P. G., XIV, GS :

OW[Jievoi •Ttpoçopàv TXTpixr,v oIoveI êv G'jXXaêaîç xEip.£vrjV

eïvai TÔv ïtôv TO'j 0eoû) qui ne lui donnent aucune réalité
;

[ ûirdaTadtv, carune parole une fois proférée n'est plus


rien ] et ne peuvent expliquer en quoi consiste son essence
[ o'jGÎxv,
car le néant n'a pas d'essence ]. « Je ne parle pas
ajoute-t-il, de l'essence individuelle, je parle de l'essence en
général. En effet il est absolument impossible de concevoir
que la parole proférée au dehors soit un fils. » (La traduc-
tion de Ferrari dans Migne est ici un non-sens.) Le troisième
passage (/« Mailh., xvii, 14, P. G., XIII, 1320) est peut-être
plus clair encore. Origène y combat les hérétiques qui
s'imaginent honorer le Fils en l'identifiant avec le Père : « tels
ceux qui confondent la notion de Père et de Fils (o'.

ou'i'^lovTEç IIxTpôç xal Tlou l'vvo'.av), qui accordent que le


Père et le Fils sont un en hypostase (t-t, ù-oa-Linv, vix
SiSôv-TEç elvx'.) et qui ne voient dans cet unique suppôt que
des distinctions de raison ou des appellations diverses
(tî^ ÈTrivoix \i.(i^nx xal -otq ù^(i\xxn\. O'.ac'.pojvTE:; tô iV Otto-

X£'l|Jl£VOv). >

En résumé, 7rp6(îajTiov ne joue aucun rôle dans la doctrine


de la Trinité ; ùroxEi^aïvov estles({/e/, \e suppôt, lapersonne ;

uTîôîTac'.ç est la réalité par opposition à l'être de raison ; en


Dieu c'est la réalité relative s'opposant aux autres réalités
de même ordre, mais s'identifiant avec l'essence ou la
substance divine, par conséquent la personne. Quand la
notion de personne doit être désignée plus expressément,
Origène emploie les mots de propriété, l8iôrr|Ç (/«./oon., ii,2,
P. G., XIV, 108-109), substance individuelle (Jbid., ii, 6,

XIV, 128), substance xaxà TtEoiyp 3t'-fr,v


circonscrite, oùcCa
(In Joan,, ii, 2), existence individuelle. {In Joan., fragm. xxxvn,
Preuschen, p. 513). La différence entre OzoTTaciç et o-jaCa
n'est pas toujours claire, surtout quand ces mots sont
employés ensemble {Contra Cels., i, 23, vi, 71 ; vin, 07,
Nous croyons cependant
etc). ne sont jamais entière-
qu'ils
ment synonymes et que chacun conserve sa nuance spéciale.
172 ORIGÈNE

On objecte un texte très difficile, mais fautif en toute


hypothèse {De Oral., IS, P. G. XI, 46S El yàp k'Tspoç, 6jç :

£v aHo'.q SeîxvuTai, xar'oOcîav xal uTroxsîijiïvô^ I^tiv 6 Y'.ôç

To^jIIaTp'jç). Gomme 'jt:oxtl\xtvoq est impossible, les éditeurs


lisent u7rox£Î[iEvov, (cf. Preuschen, II, p. 334) d'après lequel
le Fils différerait du Père selon l'essence et selon le suppôt.
Si l'on veut faire fond sur un texte corrompu, il faudra dire
ou que xaT'oÙGÎav xal U7rox£i;i.£vov doit se prendre per
modum unius, ou que xocT'ojGÎav équivaut ici à xa-:'î8îav
oùffiav, ou que la terminologie d'Origène a changé et que
dans ses premiers ouvrages il donnait à oO^îa le sens de
personne, comme faisaient encore longtemps après lui saint
Denys Origcne dit bien que le Fils et le
et Piérius. Ailleurs
ou ont une ojaîx (In Joan., fragm. xxxvii,
Saint-Esprit son<
Preuschen, p. 513, pour le Saint-Esprit; In Jean.., i, 23,
P. G. XIV, 65, pour le Fils), mais il ne dit jamais qu'ils
diffèrent d'ojcCa ni qu'il y ait dans la Trinité trois oùoiai,
comme il y a trois 'jizrj'j-Aatiq. Dans un passage app.irtenant
à ses premiers écrits (/n Joan. w, 18, P. G., XIV), il réfute
ceux qui tirent du fait que le Père et le Fils sont appelés
l'un et l'autre « Lumière » une preuve en faveur de l'unité

d'oÙCTÎa (rr, oùaîa SiE^jTYjXÉvai). Il conteste la valeur de la


[ji-fj

preuve parce que le mot « lumière » n'est pas applique au


Père et au Fils dans le même sens le Père est la Lumière :

inaccessible, le Fils est la Lumière du monde qui luit dans


les ténèbres. Mais il ne dit pas qu'ils diffèrent d'oO^îa
et, le dirait-il, cela pourrait s'entendre du Verbe incarné,

comme aussi dans le texte du De Oratione cité plus haut.


Cf. Bethune-Baker (The Meaning of Homoousios in llie
ConstanlinopolitanCreed, dans Texts and Sludies, t. VII, n° 1,
Cambridge, 1901) qui assure, p. 77, qu'Origène aie premier
distingué jro'^Ta'T'.ç d'ojcrîa. T. B. Strong (.lournal of Theol.
Studies, III, 1902, p. 292-293.) rendant compte de l'opuscule
précédent, opine que la distinction n'a été faite que par
saint Basile. Voir aussi le compte rendu de M. Lejay (Revue
d'hist. et de litt. relig., 1905 n» 1, p. 91-94).
LA TRINITÉ. DOCTIUNK ET TK R.MINOLOGIE 173

La loyauté me fait un devoir de signaler un texte (In


Joan., xni, 2o, /'. (!., XIV, i41) dont l'explication orthodoxe
serait très difficile, presque impossible, s'il n'était pas cor-

rompu. Origène que « le Fils de Dieu le cède en bonté


dirait

au l'ère autant ou plus que les créatures le cèdent au Fils et


au Saint-Esprit ('J7tepEy(^6[jLevov Toaou-ov -5^ xal tt)v£Ov ù-:zà -ro'j

lïx-oùq 'j(siô •jTzioiyt'. aÙTÔç xal tô àyiov IlvEUjjLa Twvlo'.-fov, oO


Tâ)VTu;i(^'jvTajv)». Cette réflexion est d'autant plus étrange
qu'Origène (In Matlh.. \\\ 10, /'. G., XIII, 1280-1281) inter-
prétant ex professa mot du Sauveur qui y donne lieu
le

(Mat., XIX, 17, Marc, x, 18, Luc, xviii, 19), affirme le


contraire formellement et sans aucune ambiguïté :
Illîïov

yàp 1^ 'jTztooyjt "pôç Ta •j-oùzi'zzzoy. àyaOà Èv t«o i^coTTipi, xa9(5

laTiv slxwv TTiÇ àvaGôrriTOç aÙToO to'j QïO'j, t^tzzo r^ 'j-Kzooyr^

ToO 0£O'J ovToç àyaGou r.oàq tôv elTzôvTa ZwTTipa • '0 IlaTrip
ô TTÉun^aç [JL£ [xsiï^wv ao'j âa-rCv. Maran suppose (Migne,
P. G., XVII, 744-747) que le texte du Commentaire sur
saint Jean est altéré. Il est certain que, dans le texte reçu, le
discours se suit mal, comme le lecteur peut en juger par
lui-même. J'ajouterai que la double mention du Saint-Esprit,
grammaticalement fautive et venant à un endroit où elle n'a
que faire, m'est bien suspecte.
APPENDICE II

l'herméneutique d'origèxe

Principes et terminologie

I. — Passages a étudier.

Presque tous les auteurs qui se sont occupés de l'hermé-


neutique d'Origène sont tombés dans les trois défauts
suivants : 1. Ils mettent sur le même pied les textes
conservés dans l'original et ceux dont nous ne possédons
plus qu'une traduction plus ou moins fidèle. 2. Ils se conten-
tent,pour juger la pensée d'Origène, de courtes citations, de
découpures minuscules, au lieu d'étudier dans leur ensemble
les textes incriminés. 3. Surtout ils négligent de s'initier à
la terminologie d'Origène et, après lui avoir imposé leurs
propres définitions, lui prêtent gratuitement mille absurdités.
Il sera donc utile de réunir ici les principaux passages
qui éclairent son système d'interprétation.

I. Textes cOi\SERVKS EN GREC : Periarchon, iv, 1-27 (XI, 341-


402); Contra Cels., iv, 49-Sl ; vu. 20 (XI, 1108-1113; 1449-
1432 : défense de l'allégorie scripturaire) ; hi Matth., xv, 1-3 ;

XVI, 12-13 (XIII, 1233-1261 : la lettre et l'esprit ; 1409-1417 :

application aux aveugles de Jéricho) In Joan., x, 2-4 (XIV, ;

309-316 : Déplus les chapitres sui-


solution des antilogies).
vants delà PhUocalie : i (extraits divers) ; ii et m (extraits de In
Psalm., I : l'Écriture, livre scellé) ; iv (fragment de In Joan.,
t. IV: solécismes) ; v (fragment de In Joan., t. V : la Bible est
I/UERMÉNEUTIQUE d'oRIGÈNI: 175

un seul livre) vi (fragment de /« Malth., l. II l'Kcriture est


; :

un inslriimcut harmonieux) vu (extraits du petit tome sur ;

le (]anti([ue dos cantiques, et de l'homélie iv sur les Actes :

changements d'interlocuteurs); vni (tiré du comment, sur


Osée: fautes de langue) ; ix (tiré de In Rouutn., t. IX mots :

pris dans des sens différents) ; x (extrait de l'homélie xxxix


sur Jérémie : pierres d'achoppement) ; xi (tiré de In Ezecli.,

t. XX ; passages corrompus par les hérétiques) ; xu (tiré dc/«


Jos., hom. XX : passages obscurs); xui (lettre à saint-Grégoire
le Thaumaturge) xiv(tiréde/n ; Gènes., t. III, P. G., XII, 88-89).

II. Textes DONT le grec est perdu : InGen., hom. ii, 6 (XII,
173-174: les trois sens); In Gen., hom. xvii (XII, 2u3-262);
In Levit., hom. v, 1-3 (XII, 447-456 : les trois sens) ; In Levii.,
hom. VII, 4-7 (XII, 483-492 : le sens spirituel de la Loi) ; In
Num., hom. ix, 7 (xii, G32-C33 : les trois sens) ; In iViim., hom.
XI, 1-3 (XII, 640-647 : règles pour le sens sph'ituel et le
sens corporel de la Loi) ; In Is., hom. vi, 3-4 (XIII, 240-243 :

nécessité du sens spirituel) ; chap. vi de V Apologie de saint


Pamphile (XVII, 390-595 : l'Écriture se vérifie le plus
souvent à la lettre).

II. — Les trois sexs de L'ÉrRixuRE.

La division des sens scripturaires part, chez Origène, de


deux principes différents. Tantôt il distingue le corps, l'âme
et r esprit de l'Écriture, en s'appuyant sur la trichotomie
de Platon tantôt il ne distingue que la lettre et l'esprit,
;

adoptant une terminologie plus rationnelle et plus conforme


à la manière de parler des apôtres.
Dans ce dernier cas — le plus ordinaire en dehors des
passages où la question est traitée ex orofesso — le sens
inférieur est le corps, la chair ou la lettre de l'Écriture
(xô co)aa,.-^| niol, tô ypi^^cc, corpus, caro, littera). Expli-

quer ainsi l'Ecriture c'est l'entendre xocxà /i;'.v, y.xxk pr,TÔv

(ou y.y-'ài TÔ pr,TÔv Tf,ç Xilzojq), xxTa to ypà;j(.u.a, xx^à tyiv


176 ORIGÈNB

a.'i'jbr^avj , -/.axà TÔ à7t).ouv, xx-rà lyÙTjV t'îiopîav, xx-rà tyjv

TToôys'.pov èxôoyTjV (ou xaxx tô -irpô/^e'.pov ty^ç ),é^£wq) xt)..

Cette exposition s'appelle en latin : corporea, terrena, sensi-


bilis, carnalis, lutea, judaica, etc.
Le sens supérieur — qui comprend l'àme (yj '^'-'/.'ô) et l'es-

prit (tô TTvEuixx) de l'Écriture — est encore appelé àyxywyri,


Ttepivo'.x, TTVEuijLXT'.xTi £x8o/T,, cu latlu ! setisus cœlestïs, mys-
ticus, arcanus, ink'llUjibilis, anagoyicus, symbolicus, Iropolo-

giciis, suhlimior, profundior, ou même en combinant plusieurs


de ces expressions, spirilalis intfllùjenlise mj/sticus et allego-

riciis sensus (In Gen., hom. ii, 1, P. G., XII, 161). Interpréter
ainsi l'Écriture c'est l'entendre /.^ctà àvxywy-fjv, xa-rà [jLSTa-

cpooxv, xxTx TÔ voo'jjjisvov OU blcu x£xpup.iJiÉva)ç (ou xpû-KTOjç),


àxoiêwç, u-7:£p6o).ixwç, auvsTw-ïEpov, ÈTT'.aelé^Tspov, d^'jTïoov,
ôîl'S'ïOOV, ôïOlIOîlTÉ'ÎTcOOV, jjxO'JTEpOV, [JL'JTT'.XWTîpOV, Xt)..

Cf. Redepenning, Origenes, t. I,-p. 301-305.


Lorsque la trichotomie platonicienne est appliquée à la

distinction des sens scripturaires, il est assez difficile de


dire ce qu'Origène entend précisément par le sens psi/chigue
— ou àme — de la Bible. Il ne le définit jamais bien exacte-

ment, et les exemples qu'il en donne ne suffisent pas à le


déterminer. L'exemple le plus connu de ce sens psychique est
l'application que fait saint Paul (i Cor., ix, 9) aux ouvriers
évangéliques d'une disposition de la thora relative au bœuf
foulant sur l'aire [Periarchon, IV, 12 P. G., XI, 368). Ces ;

exemples et le nom lui-même {anima, sensus moralis) mon-


trent que le sens psychique a rapport aux mœurs et à la
conduite individuelle. Il devrait occuper une position inter-
médiaire entre le corps et l'esprit de l'Écriture cependant ;

Kufin, dans ses traductions, lui assigne souvent la troisième


place, la première en dignité. Les deux textes suivants
renferment, à notre aAÙs, la description la plus satisfai-
sante des trois du sens moral «. Quoniam
sens, surtout :

divina Scriptura non solum sacramentorum débet scien-


tiam continere, verum etiam mores gestaque informare dis-
centium... conemur et nos posteaquam [dupliciter, ista,
l'herméneutique d'origène 177

prout potuinuis senlire, descripsimus, id est secundum


historiam et secundum mysticuni intellectum, nunc ia
quantum rccipere locus polost,etiammoralcni inoo discutcrc
scrnioneni ; ul Prripturaruni sliidiosi, non solum ([uid in aliis,

vclah aliis gestum sit, sed etiain ipsi intra sequid gereredc-
bcanl (loccanlni- » (in Geu., Iioni. xvn, 9, P. G., XII, 262). La
noix avec ses trois parties — écorce, coque et fruit — est com-
parée aux trois sens delà loi [In Num., hom. ix, 7, P. G., XII,
032): € Vrinia litterœ faciès salis amara est, quœ circum-
cisioncm carnispra^cipit, quiodesacrificiis mandat, et cietera

qna* por occidenlem lilleram omnla


designanlur. ll;ec

tanquam amarum nuois corticcm projice. Secundo in loco ad


muuimcnla testa) pervenies, in quo vel moralis doclrina, vcl
ratio continentiœ designatur... Tertio autem loco reconditum
in iis inventes et secrelnm mysteriorum sapientiic et scientite
Dei sensum, quo nutriantur et pascantur animfu sanctorum
non solum in pra^senti vita sed etiam in futura. »
Dans ce dernier texte, nous voyons déjà percer une subdi-
vision du sens spirituel, selon qu'il se rapporte à la vie
présente ou à la vie future. La distinction est plus claire
dans d'autres passages {In Psalin. xxxvi, hom. i, 1, P. G.,
XII, 1319) « Aliquando [Scriptura] ineffabilia
: sacramenta
nos edocet in his qua? loquilur aliquando autem de Salva-
;

tore et ejus adventu nos instruit ; interdum vero mores


nostros corrigit etemendat. Propter quod nos tentabimus per
loca singula Scripturœ divime hujusmodi diffcrentias assi-
gnarc et discernere ubi prophetia* sint et de futuris dicafur,
ubi autem mystica aliqua indicantur, ubi Aero moralis est
locus. »

Une triple division du sens spirituel — prophétique, mys-


tique et moral — est indiquée ici. Elle l'est plus formelle-
ment encore dans un endroit dont nous possédons le texte
original (In Malth., x, 14, P. 0., XIII, 808) : Les scribes,
dit Origène, sont ceux qui ne savent tirer de rÉcriture ni
le sens moral ou Iropologtque (;jtT, e'.Sôtwv Tpo-oloysïv), ni le

sens anagogique (iJt'oSà auviv-tov xà rr,- àvxywvT,ç -rctiv

16
178 ORlGÈJiE

Fpacpwv), mais qui se confontent de la lettre toute nue (à).).à


Tw Yp(Z[j.[j.aT!. '^lÂw -TTi'îTE'jrjvTwv). R sc demaudc ensuite si,
comme il y a un scribe selon la Loi (voa!,/.ôç ypa[xijLa-:£'jq),
il n'y aurait pas aussi un scribe selon l'Évangile (sOa^pj'c-
lixfjç) xal wCTiEp TÔv
-: v6;jLov àvayivcûcxwv xal àxotitov xal
/Éywv « oÎTivi ècTiv àÂÀ-^iyopotjjjLeva », O'jtw xalfô £Ùa-p,'é)aov
wç slSévai, TTjpo'jaévYjç t-^ç xarà xà yevôjJLSva Id-rooîaç, Tr,v

àîrl Ta TîVE'ju.a-i.xà àTTTX'.aTov àvaytoyVjv.

Huet, et avant lui Sixte de Sienne, concluent de là qu'Ori-

gène est le véritable inventeur de la fameuse division des


sens scripturaires usitée pendant tout le moyen âge et
presque jusqu'à nos jours :

Liltera gesta docot, quid credas allegoHa,


Moralis quid agas, quid speres anagogia.

Ce serait pour l'exégète alexandrin un bien faible hon-


neur d'avoir mis en vogue une classification si défectueuse.
En effet 1. Si par lettre on entend le sens littéral, il est
:

faux que la lettre ait pour seul objet de raconter les faits si ;

l'on entend par là le sens propre, la lettre aura pour antithèse


le sens figuré, et la division se réduira à deux termes.
2. Tout l'objet de notre foi n'est pas contenu dans Vallégorie,

ni tout l'objet de nos espérances dans l'atiagor/ie, quelqu'accep-


tion qu'on donne à ces mots. 3. Le sens moral n'est nulle-
ment opposé au sens littéral ; d'un autre côté, le sens spiri-
tuel et le sens moral divisent la Bible non pas selon la dif-
férence spécifique des sens, mais selon la diversité matérielle
des sujets.
Une bonne division ne peut avoir que deux termes : le sens
littéral — qu'il s'exprime au propre ou au figuré — et le
sens spirituel. Le sens conséquent, le sens accommodatice,
n'étant pas de vrais sens de la Bible, puisqu'ils ne sont pas
voulus par le Saint-Esprit, mais des interprétations plus ou
moins arbitraires de l'exégète, doivent être rayés de la liste
des sens scripturaires. Il n'y aurait aucun inconvénient à
l'hERMÉAELTIQIE iroIUGÈNE 17')

nommer ces deux sens Icllre cl esprit, pourvu quou eût soin
de définir exactement lu valeur des mots. Malheureusement
on ne trouve aucune tléfinitiou de ce genre dans les écrivains

ecclésiastiques, pas plus dans Origène que dans les autres


Pères.
Origène, cependant, grâce aux nombreux exemples ([u'il
donne, nous met en mesure de dire ce qu'il entend par la
lettre ou le corps —
et conséquemment par l'esprit derÉcri- —
ture; car, nous l'avons dit, sa classification ne comprend le
plus souvent ([ue deux termes. La lettre n"a pas pour lui
l'étendue de notre sens littéral ; c'est seulement le sens littéral
quand il est exprimé sans fujures. Tout le reste rentre dans la

catégorie de l'esprit. Il est aisé de comprendre pourquoi, dans


sa pensée, tant de passages bibliques n'ont pas de sens
corporel et ne doivent pas s'expliquer selon la lettre, mais
selon l'esprit : c'est que les hagiographes parlent souvent au
figuré. Origène dit formellement que les paraboles s'enten-
dent suivant l'anayofjie, qui est pour lui un sens spirituel :

Al Ttapaéolal où xaTà Ta irpây^uaira àxo-jovca'. à).Ai xaTi


àvaywYviv [Fragm. in Ezech., xvni, 3, P. G., XIII, 816). Nous
dirions aujourdbui que le sens littéral de la parabole n'est
pas propre mais figuré et nous exprimerions une idée iden-
;

tique avec une terminologie très différente. Il en serait de


même pour la métaphore, l'allégorie, l'hyperbole, en un mot
pour toutes les autres figures.

III. — Règles d'ixterprétation.

On sait que la première règle et la plus fondamentale


qu'Origène propose à l'interprète est celle-ci :

Expliquer l'Écriture d'une manière digne de Dieu, auteur de


l'Ecriture.
La seconde pourrait se formuler ainsi :

Il faut abandonner le sens corporel ou la lettre de l'Écriture,


toutes les fois qu'il en résulterait quelque chose d'impossible,
d'absurde ou d'indigne de Dieu.
180 ORIGÈNE

En soi, ces règles détient toute critique ; mais on peut


en abuser, comme on i)eut abuser de tout. L'abus con-
sistera soit à regarder comme un sens indigne de Dieu une
condescendance providentielle, ou une de ces étapes infé-
rieures que Dieu a voulu suivre dans le progrès de ses révé-
lations, soit à considérer comme une impossibilité véritable
une difficulté qui se dissiperait devant une étude plus atten-
tive du texte.
Delarue, dans ses Animadversiones placées en tète du
second volume des œuvres d'Origène, reproche à maintes
reprises au docteur alexandrin, premièrement d'avoir dit
qu'il y a dans la Bible, des passages dépourvus de tout sens
littéral, en second lieu d'avoir prétendu que le sens littéral
est souvent faux « Quodpœneincredibile Aàdelur Origenem
:

latuit discrimen quod lilteram inter et A^erborum litleralem


sensum inlercedit... Littera potest esse falsa et tamen A^erissi-
mum sub falsitatis specie sensum continere. Id in omnibus
enuntialis metaphoricis conlingit » (P. G., XII, 30). La
dernière l'cmarque est dictée parle sens commun et Origène
l'avait faite avant Delarue première repose sur un étrange
; la

malentendu. Origène ne peut pas avoir confondu la lettre


avec le sens littéral, j)uisqu'il ne parle jamais de sens littéral.

II parle seulement du corps et de la lettre de l'Écriture, enten-


dant par lilléral quand il sert d'appui au sens
là, soit le sens
grammatical dans les locutions figurées.
spirituel, soit le sens
Il dit de ce sens grammatical, qu'il n'est point partout un

sens biblique, et que si on le suivait il en résulterait une


erreur ou une impossibilité. Les exégètes modernes, tout en
se servant d'un autre langage, ne disent pas autre chose ; et

les deux imputations de Delarue ne sont que des disputes de


mots.
Origène donne en général de bonnes raisons pour aban-
donner le corps ou la lettre, et pour recourir à la métaphore»
à l'allégorie, à l'hyperljole ou h d'autres figures. Mais
plusieurs de ses arguments sont faibles, trop subtils ou
déimés de toute A-aleur. Nous allons réunir ici la plupart de
l'herméneutiqce d'origènb 181

ces fantaisies exégétiques qu'on lui a si amèrement repro-


chées, sans songer qu'en l'allaiiuaut on frappait presque
toujours quelques-uns des Pères de l'I^glise les plus illustres.
Pour plus de clarté, nous parlerons d'abord des lois qui ne
doivent pas s'observer selon la lettre, ensuite des faits qui
ue se vérifient pas à la lettre.

1. Lois qui ne peuvent pas s'observer à la lettre.

Beaucoup de lois mosaïques, si on les prend à la lettre, ont


quelque chose d'absurde ou d'impossible, Periarchon, iv, 17
(XI, 380) : 'Kiv 6è xa'i ïtzX Tr,v vojjloOe-j'Ixv T/Am'xzv tT|V Mwîéwç,
ItoXXol TÔiv VÔlJltOV, TW ô'dOV i-\ TW Xaô'ix'J-TO'JÇ -UT,0SÏ(j9a'., TÔ

àXoYov lijicpaîvo'jff'.v, sTîoo!. 8a -:ô à5 jva-rov. Exemples de lois


absurdes : 1. Précepte d'exterminer tout enfant mâle qui
n'aurait pas été circoncis le liuifièmejour ; c'est aux parents
et non pas aux enfants encore à la mamelle que cette peine
devrait s'appliquer. 2. Défense de manger la chair du Aau-
tour ;
personne n'a jamais été tenté de le faire, même en cas
d'extrême disette.
Fxemples de lois impossibles 1. Permission de manger :

la chair du trayélaphe ou du t/ri/fon, le tragélaplie étant un


animal fabuleux et le griffon n'ayant jamais pu être
capturé. (La comparaison du texte hébreu aurait dû indiquer
à Origène qu'il s'agit bien d'êtres réels.) 2. Défense de
changer de place le jour de sabbat : ce qui, pris à la lettre,
est matériellement impossible.
Il y aurait aussi, dans le Nouveau Testament, des lois

impossibles à observer, par exemple l'obligation de ne saluer


personne en chemin (Luc, x, 4), l'interdiction de porter deux
tuniques ou deux paires de cliaussures.le précepte d'offrir la
joue gauche à celui qui vient de frapper la droite, de s'arra-
cher l'œil qui scandalise, la défense de faire disparaître les
traces de la circoncision. Deux de ces i^rescriptions ont en
effet une expression métaphorique ; les autres ou se rappor-
182 ORIGÈNE

tent à une circonstance particulière ou n'ont que la force


d'un simple conseil. Ces cas sont d'ailleurs très exception-
nels, et les quelques exemples cités a- ont plutôt à confirmer
le principe qu'à le généraliser.
Une distinction beaucoup plus importante est celle
qu'Origène établit entre les lois morales, destinées à durer
toujours, et les lois cérémonielles d'une A^aleur temporaire.
Il croit aA'oir observé que ces dernières sont désignées dans
l'Écritxire sous le nom de lois, tandis que les premières

s'appelleraient préceptes, commandements, institutions, témoi-


gnages, jugements, etc. Cette théorie est développée longue-
ment dans la onzième homélie sur le livre des Nombres. Les
lois cérémonielles n'existent plus pour chrétiens au les ;

contraire elles seraient, pour qui voudrait les observer


encore, la lettre qui tue les lois morales doivent être
;

observées toujours par les disciples de l'Évangile (in Num.,


hom. XI, 1 ; P. G., XII, 643-644) : « Ostendimus, ut opinor,
auctoritate Scripturœ di^ànse, ex iis qua? inlege scripta sunt,
aliqua penitus refugienda esse atque cavenda, ne sccundum
litteram ab Evangelii discipulis observentur ;
quœdam vero
omnimode ut scripta sunt obtinenda alia autem habere ;

secuudum litteram A^eritatem sui, recipere tamen utiliter et


necessario etiam allegoricum sensum. »

Bien que la distinction philologique entre les lois et les


préceptes soit sujette à caution, la distinction entre la loi
morale et la loi cérémonielle est parfaitement juste. Mais
Origène, regardant comme un axiome qu'il n'y a rien d'inu-
tile dans l'Écriture, prétend que la loi cérémonielle doit avoir
pour les chrétiens un sens spirituel, sous peine d'être inu-
tile.La nécessité du sens spirituel se prouA'e encore, d'après
lui, par ce fait que, pour être digne de Dieu, la loi cérémo-

nielle a besoin d'être relCA^ée par une signification supérieure.


Voici à ce propos les deux textes les plus frappants t Hœc :

omnia [il s'agit du sacrifice pour le péché] nisi alio sensu


accipiamus quam litteraj textus ostendit, sicut sœpe jam
diximus, cum in ecclesia recitantur, obstaculum magis et
L'ilERMÉNEnTIQlE d'oIUGÈXE 183

subversionem chrislianio relift'ioni quain hortationem


ledificalionemque pncstabunt. Si vero disciifialur ot inve-
niatur quo sensu h;uc dicta sint et digne Deo qui hœc
scribere dicitur advertantur, fiet quidem Judœus qui hsec
audit, sed non ille qui in nianifesto, sed qui in oceulto Jud.Tus
447). « Si assideamus
est »(//! Lcvit., liDin. v, 1, /'. G., XII,
secunduni hoc vel quod Judteis vel id quod vulgo
littera' et

videtur accipiamus ([Uiv in lege scripta sunt, erubesco dicere


et confiteri quia talcs loges dederit Deus. Yidebuntur
enim magis élégantes et ratiouabiles hominum leges, verbi
gratia vel Uomanorum, vel Atbeniensium, vel Lacedicmo-
niorum. Si vero secuudum hauc intelligentiani quam docet
Ecelesia accipiatur Dci lex, tune pleine omnes humauas super-
eminet leges et vere Dei lex esse credetur » {In Leiil., Iiom.
vu, 5, P. G., XII, 488).
Ces deux textes appellent quelques observations :

1. Origènene nie jamais que ces lois n'aient dû être obser-

vées jadis ù la lettre ; il dit seulement qu'elles ne doivent plus


être observées de la sorte par les chrétiens, sous peine de
tomber dans le judaïsme. Aussi en expose-t-il d'abord rapide-
ment le sens littéral (XII, 477 : « Quantum ad historicum
pertinet prseceptum, sufficianl ista quae dicta sunt, quantum
autem ad intelligenliam mysficam spc'tat », etc.). Il ne
croit donc pas, comme Dclarue l'en accuse à tort (P. G.
XII, 31), que, pour être abrogée, une loi na plus de sens
littéral mais il croit que cette exposition littérale, de son
;

temps surtout, était peu utile et pouvait être dangereuse.


Cf. XII, 483 « De cibis qui per umbram dicuntur ascenda-
:

mus ad eos qui per spiritum veri sunt cibi. »


2. Le grand exégète avait affaire à des Juifs ou à des

judaïsants, qui n'admettaient dans la loi que le sens littéral.


De là l'importance accordée par lui au sens spirituel. La
polémique contre les gnostiques le poussait du même côté.
Il y trouvait une réponse décisive aux objections des dua-
listes, qui arguaient des imperfections de la loi mosaïque

pour l'attribuer à un dieu inférieur.


184 ORIGÈXE

3. Les divers textes cilés plus haut, outre qu'ils n'existent


plus qu'en latin, appartiennent à des homélies. Or l'homélie
vise à l'édification plutôt qu'à l'instruction des fidèles. Telle
était du moins l'idée que s'en faisait Origène. In Levit., vu, 1
(XII, 47o) : « Non enim nunc exponendi Scripturas sed œdi-
ficandi Ecclesias ministerium gerimus. »

2. Détails ou récils qu'Une faut pas prendre à la lettre.

Les mêmes principes s'appliquent aux récits de la Bible.


Il faut les prendre au sens naturel, sans métaphore, ni
figure aucune, jusqu'à preuve du contraire; car le sens
propre est la règle et le sens figuré n'est que l'exception.

Periarclion, IV, 19 (XI, 384) : IIo)Aw -Tr^.sîovà èaxi Ta xa-rà


Ti\v latopiav àlrjÔEUÔtjLEva twv TrpocucpxvOévxwv yuixvwv
TrveujjLaTLxwv. Voir surtout le chap. vi de V Apologie de S. Pam-
phile (XVII, 591-S93). Les exégètes modernes ne s'expriment
pas autrement. Seulement, ici encore, Origène résout trop ai-

sément les antilogies en impossibilités. Que les premières


pages de la Genèse soient pleines d'anthropomorphismes,
que les trois premiers jours de la création, avant l'existence
des astres ou même du ciel, ne soient pas des jours réels,
que, dans ces passages et autres sembleibles, l'Écriture ne
doive pas s'entendre au sens propre et que, suivant la ma-
nière de parler du critique alexandrin, le sens corporel fasse
défaut, tout le monde y souscrira sans peine. On lui accor-
dera aussi que le transport du Christ par le démon sur une
haute montagne d'où il voyait tous les royaumes de la terre
est une hyperbole ou même la projection au dehors d'une
vision intérieure. Peut-être même entendra-t-on comme lui
des miracles de la grâce, c'est-à-dire de la guérison et de la
résurrection spirituelle des âmes, cette promesse du Sau-
A'eur : « Si a^ous croyez, vous ferez de plus grandes choses » ;

car s'il s'agit de miracles proprement dits, les disciples ne


semblent pas avoir dépassé le Maitre. Mais les anciens se scan-
dalisaient déjà de lui voir nier la réalité de l'arbre de vie et
même, semble-t-il, d'un paradis terrestre matériel. Plusieurs
l'hbrménbutique d'origène 183

autres de ses explications nous i)araissent subtiles et peu natu-


relles, bien qu'elles n'aient point choqué au même point les
Pères de l'Eglise.
Il en est des narrations comme des lois. Sans doute, il
faut toujours se demander si l'allégorie supprime le sens
historique ou ne fait que s'y superposer. Tel récit scriptu-
raire, au gré d'Origène, serait indigne de s'il ne Dieu
signifiait rien au delà du sens naturel. Dans cette catégorie
rentrent toutes les histoires qui, prises à la lettre, n'édi-
fient pas, celle des filles de Loth {Periarchon, IV, 9), d'Abra-
ham chez IMiaraou et chez Abimélecli {In Gènes., hom. vi, 2),

des sages-femmes égyptiennes {In Exod., hom. ii, 1).

Origène a beau dire : In lus non hislorix narranlur sed mys-


ten'acontexuntur{InGen.,hom.x,i,P.G.,XU., 218), parole qui
rappelle lemot de saint Augustin N'en stmt mendacia sed :

mysteria, il ne semble pas nier l'historicité du fait lui-mùme;


il affirme seulement la nécessité de l'entendre au sens spiri-
tuel pour y trouver matière à édification. Il écrit ailleurs
[In Exod., hom. i, 5) '.Non nobis hœc ad historiam sciipta siinl.
Ces récits pouvaient suffire aux Juifs mais nous, chrétiens, ;

nous devons y chercher un sens plus relevé.


Parfois, le sens spirituel sert à résoudre les antilogies de
la lettre. Les aveugles de Jéricho en sont un exemple typique.
Saint Matthieu en compte deux saint Luc et saint Marc, un
;

seul. Mais, tandis Bartimée de saint Marc est guéri


que le

par Jésus au sortir de Jéricho, l'aveugle de saint Luc est


guéri aux approches de la ville. Celui qui veut s'attacher à
la lettre, poursuit Origène, dira qu'il y a eu trois miracles
distincts, racontés par les trois Synoptiques mais celui qui ;

s'élève jusqu'au sens spirituel, trouvera dans ces trois récits

un principe supérieur d'unité; les deux aveugles, c'est Israël

et Juda, l'aveugle unique, c'est le peuple juif :


'0 [xv/-oiyz
Ô'Xwv TO'JTwv "Çr-or/ SxQ'JTÉoav 8<.•rfrr^r!'.v '^r^cv. OTi ïv y.al tô
(XÙ~o TîpaYM-^ S'.acpôpo'.- aé^s-ti. -xoic-y.-y.'. •
Sûo jjlèv yip "'Jo),o(

elT'.v, wç à-ûoôéSoTDC'. 'l^paTiAxal 'lojSa- •


zlq 5è 6 ôO>wv to'jtwv

)vXÔç, 0T£ îlq ôri).oj':ai Oxpx-îuô;i.£vo- tjcjVjç. {In MaUh.,x\i,


186 ORIGÈNE

12, p. G. XIII, Ce qu'il y a de curieux, c'est que


1409).
saint Ambroise XV, 1790) se contente de cette expli-
{P. L.,
cation et de la solution qu'elle fournit, sans s'occuper du sens
historique « In libre secundum Matthœum duo inducuntur,
:

hic (Luc, VIII, 80) unus ibi egrediente Jéricho, hic appro-
;

pinquante. Sed nulla distantia nam cum in hoc uno typus :

populi gentilis sit, qui sacramento dominico recipit emissi


luminis claritatem, nihil interest utrum in uno medicinam
an in duobus accipiat. »
Du moment qu'Origène maintient le sens historique, on
n'a rien à lui dire. Mais il y a tel passage où il paraît disposé
à le sacrifier, pour sauvegarder, dit-il, la vérité des LIatcs
saints. Tout le monde sait combien il est difficile d'harmo-
niser, dans les quatre Évangiles, les débuts du ministère
apostolique du Sauveur. Saint Jean nous donne, avec les
détails les plus précis, l'emploi des journées de Jésus après
son baptême (i, 29, 33, 43 ; ii, 1, 12, 13). II semble ne pas y
avoir de place pour le jeûne et la tentation. D'un autre côté,
les Synoptiques font partir le Christ pour la Galilée a^rès
l'emprisonnement du Précurseur (Matlh., iv, 12 Marc, ;

1, 14), tandis que saint Jean décrit différemment la suite des

événements (iii, 24). Origène trouve l'antilogie insoluble, si

l'on s'en tient à la lettre. Il faut, dit-il, la résoudre par le

sens spirituel, autrement on ne croirait pas à la véracité des


Évaugélistes yln Joan., x, 2 ; P. G., XIV, 309). Car il n'y a
que trois partis à prendre : ou convenir du désaccord et de
l'erreur et par conséquent nier l'inspiration ([^Tri^'JO[i.évT,ç-r^ç

i7:rfiw-/ oùSà ÔEiotÉpw tzvzùiiolti y£ypa[JL[jL£va)v), ou ne retenir


qu'un des Évangiles, en répudiant les autres, ou enfin cher-
cher la solution dans un principe supérieur (tyjv izzrA tojtwv
à>vT,G£'.av à-jToxeîaOai, êv toiç voYjTotç). C'est évidemment le

troisième parti qu'il faut embrasser (In Joan., x, 3, P. G.,


XIV, 312) El TLç ItciijlsIwç i^z-ci^oi xà sùayyélia irspl tï^ç
:

xaTà TTjV l'jTûpCav àcujjLcpwvîaç, -?)VTi.va xaO'r/asTOv TrsipaatjiJieOa

xaxà TÔ SuvaTÔv 7caoaci:r|Cai, (7xo~o5t.vi2caç rJTOi àirocTTjaexai


L'ilKllMÉ.MiLTKJLIi D'OUIGLnE 187

TO'j x'jpo'jv »i)q à/r,Oo)- -.x sùa^j'^'ÉXia, y.xl iroxAYjOWT'.x.wç ivl


aÔTWV TTOOtOTi'ÎETXI, [JLT, TollJlWV uivTY, àOîTEÏV -T|V itEpl TOO
x'joîou T^ijiwv irîiT'.v, r, -ooa'.£!Ji£voq ri Tf'î'japa ïîva'., [ipeiTÔ]

à)vT,0£Ç a'JTWV.

En résumé: Origène soutionf qu'un écrit inspiré ne


I.

saurait renfermer dVrrcur et que, par conséquent, il faut


toujours chercher uu principe de solution. 2. Dans cer- —
tains cas exceptionnels, il croit que la solution se trouve,
non dans la lellre, mais dans Vespril de l'Écriture, non dans
l'expression extérieure, mais dans l'intention de l'auteur
sacré. —
3. Il excuse les hagioiiraphes de sacrifier parfois

l'exactitude historique à leur désir de mieux instruire. Us se


proposent d'être exacts, quand ils le peuvent, et selon la
lettre et selon l'esprit mais, au cas où c'est impossihle, ils
;

préfèrent l'esprit à la lettre {/n Joan., x, i; P. G., XIV, 313) :

nooéxc'.TO yio aÙTolç ô'tto'j ;ji£v è-nyojozi à/vT,9£'j£!.v -v£'j[jia-:iy.wç


à|jL3t xa'i cwjJiaTixwr, otcou ôè (j.r, bn^iy_z~o àjjicpoTÉowç,
irpoxpîvE'.v TÔ •;îV£'j;j.aT'.xôv toO (TwiiaT'.xo'j, Gcj(^o;i.£vou Tro/.Aàxiç

TO'j àlYjOo'jç 7rv£'j;jixT',xo'j £v Tw cwjjixT'.xw, o'jç av z'i-rji TlÇ


-I/îûSei. ne peut être ques-
L'inexactitude étant volontaire, il

tion d'erreur. Nous voilà ramenés à la théorie de saint


Augustin, d'après lequel saint Matthieu ou le Saint-Esprit —
qui le guidait — en mettant Jérémie pour Zacharie, voulait
nous faire entend e que toutes les prophéties sont communes
à tous les prophètes, et que, par suite, la mention de tel ou
tel prophète est chose indifférente {De consensu Evangel.,
III, 30-31; /'. L, XXXIV, 117o-Gi « [Ut] singula esse :

omnium et omnia singulorum, omnium lihros tanquam unius


unum librum acriperemus. »
Aux yeux de tout exégète moderne, pareille théorie est
aussi arbitraire qu'insoutenable. Mais n'oublions pas qu'Ori-
gène Augustin n'y ont recours que dans les cas de
et saint
nécessité extrême,pour ainsi dire, quand ils ne voient pas
d'autre moyen de sauvegarder l'inerrance scripturaire.
APPENDICE III

ORIGÈXE ET LA TRADITION CATHOLIQUE

jusqu'à la fin du VI' siècle

Première période. — Origène et ses contemporains (185-2S4).


A part les démêlés avec Démélrius, dont il va être ques-
tion,aucun soupçon d'hétérodoxie ne semble aA'oir pesé sur
Origène, de son vivant. La condamnation dont il fut l'objet
de la part de Déniétrius est elle-même fort obscure. L'ex-
posé le plus satisfaisant se lit dans Vhoiixx^ (Biblioth., 118,

P. G., cm, 396-397), qui avail'sous sesyeux VApoloyie de saint


Pamphile où cette histoire était racontée tout au long. Pho-
tius mentionne deux synodes, l'un composé d'évêques et de
quelques prêtres qui décréta l'exil d'Origène, l'autre composé
uniquement d'évêques qui le déposa du sacerdoce. Origène
n'attendit pas la seconde sentence ;
peut-être môme devança-
t-il la première. 11 précipitamment à Césarée de
s'enfuit
Palestine, pendant qu'en Egypte se déchaînait l'orage amassé
contre lui (In Joan., vi, 1, P. 0., XIV, 200). Saint Jérôme
déclare expressément que la doctrine fut étrangère à cette
double condamnation : « Damnât ur a Demetrio episcopo, ex-
Arabiœet Phœnicis atque Achaiœ sacer-
ceptis PaliCstinœ et
dotibus. In damnationcm cjus consentit urbs Roma [ou Ro-
mana]. Ipsa contra eum cogit senatum, non propter dogma-
tum novilatem, non propter hœresim, ut nunc adversum
eum rabidi canes simulant, sed quia gloriam eloquentiœ ejus
et scientiae ferre non poterant, et illo dicente omnes muti
pulabantur t> (fragment d'une lettre de saint Jérôme à sainte
(tlUCiKiNK liT LA TUAIHTIK.N CATilOLKJUK 18!>

Paille, dans Uufin, Apol. adv. Ilicron., ii, 20, /*. A., XXI,
Co texte incorrect doit être corrompu. Saint
Îil)!)-(1(M)).

Jérôme a pu écrire « ommbus, exceptts... atque Acliaiœ sacer-


:

dolibus, in damnationem cjus conscntientibits. L'rbs lioma ipsa


contra eum cogit senaliim, etc. En tout cas, il affirme :

1. (|irOri^ène ne fut condamné pour aucune erreur doctri-


nale que Kome sancllonna cette condamnation, c'est-à-
; 2.

approuva le synode d'Alexandrie, dont


dire sans doute qu'elle
aucun vice de forme n'entachait la légalité; 3. que les évo-
ques de Palestine, d'Arabie, de Phénicie, d'Achaïe il —
aurait dû ajouter t de Cappadoco » ne tinrent aucun —
coiiiplcdes sentences de Démétrius. Saint Jérôme répète
en 'M)2 que les poursuites dirigées
contre Origène avaient
pour cause unique l'animosité jalouse du patriarche (De Vir.
ilL, ui, P. L., XXIII, CGoj. Cela concorde parfaitement avec

le récit d'Eusèhe, d'après lequel les griefs de Démétrius


se réduisent à trois : 1. prédication d'Origène encore laïque
devant les évèques de Jérusalem et de Gésarée ; 2. son
ordination sacerdotale par les mêmes évèques, lors de son
voyage eu (irèce; 3. l'irrégularité canonique qu'il avait en-
courue autrefois par le fait de sa mutilation volontaire. Pas
un mot des doctrines. Cependant, il ressort d'une lettre
d'Origène lui-même (Rufin, De aduller. libr. Orig., P. G.,
XVII, G2i-G2u; S. Jérôme, Adv. Rufin., it, 18, P. L., XXIII,
411-442) qu'il a^-ait été excommunié par le patriarche — ce
qui semblerait supposer des griefs doctrinaux — et accusé à
tort d'enseigner des thèses blasphématoires.
Quoi qu'il en soit — même après la sentence de Démétrius —
Origène est toujours considéré comme le plus ferme boulevard
de l'orthodoxie; c'est à lui qu'incombe principalement la réfu-
tation des hérétiques; entreprend de longs Aoyages pour le
il

bien des églises, sur l'invitation des pasteurs eux-mêmes;


par deux fois, un concile réuni à Bostra implore le secours
de ses lumières ; enfin Origène est en rapports d'amitié ou
de correspondance avec les plus célèbres et les plus ortho-
doxes des écrivains ecclésiastiques de son siècle.
190 ORIGÈNE

1. Saint Grégoire le Thaumaturge fut, avec son frère saint


Apollodore, un des plus illustres élèves d'Origène. Il pro-
nonça à Gésarée, vers 238, en présence de son maître, auquel
il prodiguait les témoignages de gratitude, d'admiration et de

vénération, le fameux panégyrique où il raconte comment il


a été conduit par la Providence aux pieds de son saint direc-
teur, et combien il a profité à son école. Cette composition,
débordante de lyrisme et d'enthousiasme juvénile, nous
fournit les plus intéressants détails sur la méthode
d'enseignement d'Origène, le charme de ses leçons et
la sereine dignité de sa vie [P. G., X, 1049-1104). Une lettre
d'Origène à saint Grégoire, sur l'étude de l'Écriture sainte,
est aussi parvenue jusqu'à nous {P. G., XL 88-92). M. Kœt-
schau (Des Gregorios Thaiitnaturgos Dankrede an Origenes,
etc., Fribourg-en-B., 1894) nous a donné une édition cri-
tique de ces deux écrits.

2. Saint Firmiliex, métropolitain de Gésarée en G appadoce,


et l'un des plus grands évêques du troisième siècle, se re-
garda toujours comme le disciple d'Origène. Il le fit venir en
Gai^padoce pour le bien des églises de ces contrées (s'-Ç
è/./.Â-ri'7i.wv woÉAEixv. Eusèbe, Hisl. eccL, vi, 26) et l'y garda

longtemps, deux ans peut-être (S. Jérôme, De Vir. ilhislr.^


54 «: Firmilianus... cum omni Gappadocia eum invi-
tavit et diu tenuit. » Cf. Pallade, Dist. Laus., 147). Il vint
ensuite lui-même en Palestine et y fit un séjour prolongé
pour s'instruire auprès du maître (Eusèbe, Hist. eccL, vi.
27 Tr,ç zlç là ôsta ^ElTuôffEwç hz/.x. S. Jérôme, De Vir.
:

ilL, 54 : « diu Gaesarere in sanctis Scripturis ab eo eruditus


est. ») Tout cela se passait peu de temps après la condam-
nation d'Origène par Démétrius.

3. Saint Denys le Grand, élève d'Origène, puis son succes-


seur au Didascalée. enfin patriarche d'Alexandrie,, resta jus-
qu'au bout fidèle à la mémoire du maître. Il lui adressa pen-
dant la persécution de Dèce, où Origène eut à souffrir une
longue et dure captivité, un traité sur la Persécution (Eusèbe,

i
OBIOk.NE ET I.A TRADITION CATHOLIQUE 191

Hist. eccl., M, 40), et dès qu'il apprit sa mort, survenue


en 284, il écrivait sur son compte, à l'évèque de Césarée,
une lettre pleine d'éloges (Photius, lîibliolh., 232).

4. Saint Fabien, pape (230-230), eut à s'occuper d'Origène,


sans doute à propos de la condamnation deDémétrius, quoi-
que cette affaire eût précédé de quatre ou cinq ans l'avène-
nement de Fabien au siège de Rome. Origènc lui écrivit

ainsi qu'à beaucoup d'autres évoques (Eusèbe, Hiat. eccl.,


VI, 30 : rsp'i -f,ç /.xt'xOtôv dp0o8o^'a;). Saint Jérôme parle
aussi de cette lettre sans en indiquer ni l'époque, ni l'occa-
sion {Epist. ad Pammach., lxxxiv, 10) « Ipse Origenes, in:

epistoiaquam scril)itad Fabianum Roniana^ urbis episcopura,


pœniteuliaui agit cur talia scripscrit et causas temeritatis in
Ambrosium refert, quod secreto édita in publioum prolule-
rit. semble que le pape ait agréé cette justification puis-
» Il

que l'affaire n'eut pas de suites.

3. Saint Alexandre de Jérusalem fut l'intime et constant


ami d'Origène. Il l'avait eu pour condisciple au Didascalée
(Eusèbe, Ilist. eccl., 14) sous Pantène (?) et Clément
vi.

d'Alexandrie. En le faisant prêcher devant lui, quand Ori-


gène était encore laïque, et en l'ordonnant prêtre conjointe-
ment avec Théoctiste de Césarée, il fut la cause indirecte de
ses malheurs. Du reste, il le défendit et le protégea toujours
dans la suite.

6. Saint Anatole, évêque deLaodicée, est encore un contem-


porain d'Origène. Dans son Canon Paschalis, 1 {P. G., X, 210),
si l'ouvrage est de en parle avec grand éloge i Sed
lui, il :

et Origenes, omnium eruditissimus, et calculi componendi


perspicacissimus (quippe qui et yrxly,zu-r^- [/j/.Xv.vmooz ?]
vocatus) libellum De Pascha luculentissime edidit. »

7. Bérylle deBostra, retiré par Origène de l'hérésie bizarre


oii il s'était imprudemment jeté (244), conserva toujours
pour lui un attachement mêlé de vénération (Eusèbe, Hist.
eccl., vr, 33; S. Jérôme, De Vir. ill., 00).
192 ORIGÈNE

8. Jules Africain, qui habitait Emmaûs-Nicopolis en Pales-


tine et connaissait personnellement Origène, lui demandait
des éclaircissements sur l'authenticité des passages deutéro-
canoniques de Daniel. Sa lettre et la réponse d'Origène existent
encore (P. G., XI, 41-85).

9. Tryphon, élève et correspondant d'Origène, qualifié par


saint Jérôme {De Vir. ilL, 57, P. /,., XXIII, 6G9), CCenidùis-
simus in Scripturis ne nous est plus connu que par la men-
tion de cet auteur.

10. Saint IIippolyte,au témoignage de saint Jérôme (De


Vir. ilL, 61, P. £., XXIII, G73i, aurait signalé publiquement
la présence d'Origène, qui assistait à une de ses homélies. Si
le fait est vrai, il prouve en quel estime Origène, alors âgé
tout au plus de trente ans, était tenu à Rome.

Deuxième période. — De la mort d'Origènb (234) A l'entrée


EN CAMPAGNE DE SAINT EPIPHANE (374).

Pendant toute cette période la gloire d'Origène est à son


apogée et Photius qu'on n'accusera point de partialité à l'en-
droit du grand Alexandrin a ce mot caractéristique, Bibliotli.,

119 (CIII, 401) : ~Hv tôte £v toi- à^.oloywTaTOiç 'iioiyévYiq.

L'historien Socrate, Hist., iv, 26 (LXVII, 529) dit de même :

MÉya vXioq, tô 'Qpiyévouç xaO'ô'Ar,ç tôts zr^q olxoujj.évY)ç


ècpï^TclwTo. C'est à peine si les adversaires osent protester et
leur voix est aussitôt couverte par celle des défenseurs.

I. — Pcrcs grecs parlisaiis ou apologistes d'Origène.


1. Saint Pamphile, martyr en 307, composa avec la collabo-
ration d'Eusèbe, une Apologie d'Origène en six livres. Il ne
reste i^lus que le premier livre dans la traduction de Ruîin
{P. 0., XVII, 541-616). Les accusations portées contre Origène
etque Pamphile réfute sont les suivantes i^ est quod aiunt :

eum innatum dicere Filium Dei. —


2'' quoddicuntperprola-
ORIGÈNE ET LA TKADITION CATHOLIQUE 193

tiouem, secumlum Valeuliui fabulas, iii subsislentiam veuisse


FiUuniDoi diot'iT. — li^ qiiaî liis oiimilnis vaUli^ coiilraria est,

Hiioddicimt l'uin. sccuikIiiiii Arlcinaii vi'l Pauliiiu Sainosatc-


luiiii, iiiiiiiin hominoni, id esl, uoiictiam Duuiu diccir Cdiris-
luin Filium Doi. — (4) Post,isla est (lua* islis omnibus advcr-
satiir(cœcaeuimestmaiilia), quod dieunt eumdicere, Soy-Tiiei

[Mi;,'iie SoxYiCTi], id est, i)ulativc taiitum et per allegoriam,


non etiam seoiiudum ea quie per historianirefenintur, gesta
esse omnia quit' a Salvalore jïosta sunt. (5) Alla ([iioque —
crimiuatio est qua asscriml eum duos Cliristos pnedicare. —
(6) Adduut illud quoque, quod hislorias corporales, quee per
omnem sauctam Scripturam referuulur de geslis sanclorum
peuilus doucget. —
(7) Sed et de rcsurrectione morluorum,

et de iuipioruui pœuis non levi eum impngnant calumnia,

velut neganlem peccatoribus inferenda esse supplicia. —


(8) Quidam vero disputatiiuies ejus vel opiniones quas de
animai statu vel dispensationc disseruit culpant. — (9) Ul-
lima vero omnium est criminatio illa quee eum omni infama-
tione dispergitur, iJ.i-vjGMu.Ti-dj'jto)-, id est, quod humanas
animas in muta animalia, vel serpentes, vel pecudes asserat
transmulari posl mortem, et quod eliam ipsœ mutorum ani-
malium animœ ratiouabiles sint.

2. Apologiste anonyme dans Photius, Bibliolh., 117


(ClII. 393). Cet écrivain qui doit être du commencement du
quatrième siècle, car il ne cite pas d'auteur postérieur à Eu-
scbe, défend Origène des quinze imputations suivantes :

(I) Qu'il ne faut pas invoquer le Fils. (2) Que le Fils n'est

pas bon absolument. (3) Qu'il ne connaît pas le Père comme


lui-même. (4) Que les âmes raisonnables passent dans le
corps des brutes. (5) Qu'elles émigrent d'un corps à l'autre.
(6) Que rame du Chiùst est l'âme même d'Adam. (7) Que les
peines des méchants ne sont pas éternelles. (8) Qu'il n'y a
pas de résurrection de la chair. (9) Que la magie n'a rien de
mauA-ais. ilO) Que les astres sont la cause des événements.
(II) Que le règne du Christ finii'a un jour. (12) Que les saints
[anges] viennent en ce monde eu raison de leur chute et non
17
194 ORIGÈNE

pour y remplir leur ministère. (13) Que le Père est invisibl»


au Fils lui-même. (14) Que les chérubins sont des â-îvoia-.
du Fils. (15) Que l'image du Père, en tant qu'image, n'est
pas vérité. L'apologiste anonyme faisait remarquer qu'Ori-
gène, à force de combattre les sabelliens, semblait donner
quelquefois dans l'excès opposé, mais qu'au fond il était or-
thodoxe.

3. Théognoste, au dire de Photius {Biblioth., 106), suivait


fidèlement, dans ses Hypoti/poses, les traces d'Origcne dont il

exagérait même les erreurs : la matière serait coéternelle à


Dieu ; le Fils serait une production (xTÎTfjia) du Père; les

anges et les démons auraient des corps aériens, etc. Cepen-


dant, saint Athanase défend l'orthodoxie de Théognoste,
Epist. IV ad Serap. 9 et 11 (XXVI, 649-052) De décret. ;

Nie, 25 (XXV, 400).

4. Saikt PiÉRiDs, autre successeur d'Origène à la lèteduDi.


dascalée, serrait de si près le maître qu'il en reçut le surnom
de nouvel Origène (S. Jérôme, De Vir. ill., 76 :. Origenes
junior; cf. Eusèbe, Hist. eccl., vu, 32). Photius, ordinaire-
ment si sévère pour les origénistes, trouve cependant Pié-
rius orthodoxe sur la Trinité (Biblioth., 119).

5. DiDYME l'.vveugle, placé par saint Athanase lui-même à la


tète du Didascalée et dont saint Jérôme alla suivre quelque
temps les leçons, fut le plus infatigable apologiste d'Origène.
Il avait composé un ouvrage sur le Periarchon où il mon-

trait que toutes les expressions suspectes, entendues avec


bieuA^eillance et impartialité, ont un sens orthodoxe (saint
Jérôme, Adv. Ritfin., ), 6). Dans ses livres sur la Trinité, et

son traité du Saint-Esitril (traduit par saint Jérôme), la doc-


trine de Didyme est irréprochable et c'est un fait à noter
;

que les disciples, les partisans et les admirateurs d'Origène


sont tous orthodoxes sur la Trinité. Sur d'autres points,
Didyme, comme saint Grégoire de Nysse, a été accusé d'ori-
génisme ;
pourtant, ù part saint Jérôme, personne n'a for-
01UGÈ.\E El LA TRADITION CATUULIQUE 195

muli' celle arcusaliou avant le sixième siècle et tous les


Pères parlent (le lui avec la plus grande vénération.
Photius mentionne en général nu grand nombre d'apolo-
gistes d'Origène dont les ouvrages ont péri iliibliolh. 118).

II. — l'i'res (jrccs admirateurs d'Origène.

1. Saint Atiianasi; s'appuie sur le témoignage d'Origène


pour prouver la cousubstantialité des Personnes divines,
De dccrelis Nie. Sijn., 27 (XXV, 4Guj il ; ajoute, ces paroles
remarquables : A aèv yàp w^ ^r^TÔiv xal yuixvàî^cjv è'ypa^j/e,
xaijTa ar, cjç aOroû cppovoijVTOÇ Ss/^ÉaGo) riç, àW'S. twv irpôç
e'P'.v cp'.Xoveixo'jvTCJv h tw i^YjTsiv, àSewç opiî^wv àTTOcpaivs-rai,
toOto t6 cp'.Aoâôvo'j TÔ cppôvYjjjtâ écT'.v. II le cite encore avec
éloge (iroA'jfjLxOriq xxl tj;i),(>7iovoç) dans sa lettre iv à Sérapion,
no5 9 et 10 (XXVI, G49), à propos du péché contre le Saint-
Esprit. Deux autres citations appartiennent à des ouvrages
douteux ou apocryphes, Z)ero/H//a<;uessen/<a, 49 (XXVIII, 73j;
Quœst. Lxxii arf Antiocli. (XXVIII, 641).

2. Sai>t Basile qui avait composé la Philocalie conjointe-


ment avec saint Grégoire, cite deux endroits d'Origène en
faveur de la divinité du Saint-Esprit, De Spir. S., 73
(XXXII, 204), et note qu'il y a dans ses écrits bien d'autres
passages de ce genre, bien que le langage d'Origène au sujet
du Saint-Esprit ne soit pas de tout point irréprochable :

"Avôpa oOSè Trâv'j t'. uyistç -spl to-j nv£'j|ia-:oç xàç u7ro).Y,J/£iç

3. Sai.nt Grégoire de Nazianze, adressant la Philocalie à


Théodore de Tyane, lui écrit en son nom et au nom de
Basile déjà mort n-jx-riov àTrsa-wâÂy.ajxév co-, -rfjÇ 'iipiyévouç
:

c;'./.ox.a),'!x^ èy.).oyàç ïjo^/ ypT|CT'li<.o'jç toiç cp',lo)vôyoi.ç (Robin-


son, Philocalia, 1893, p. Ij. Le même Père, au "rapport de
Suidas, avait coutume de dire : 'Qp'.yévTiÇ -f^uàvTwv r^u.wv
àxovY| {Lexicon, éd. Bernhardy, t. II, col. 1274).
196 ORIGÈNE

4. Saint Grégoire de Nysse dans son panégyrique de saint


Grégoire le Thaumaturge (XLAl, 90d) appelle Origène le
prince de la science chrétienne à cette époque : tw xa-rà tôv
ypôvov èxstvov ir^q twv jç^piCTiavcliv oilosocpîaç xa6rjYou[j.év(i)

('iipiyÉVTiÇ 8à 0'JT0Ç-?|V, O'j ttoT^ùç IttI toiç .jL'YYpâij.;j.a(j'. loyoç).


Pelage II dit de lui : < Magnis Origenem laudibus prœfert. »

5. Euzoïus et Eusèbe, évêques de Césarée en Palestine,


doivent être classés parmi les plus chauds admirateurs
d'Origène. Euzoïus sur parchemin les
fit transcrire
ouvrages du maître (S. Jérôme, De Vir. ill 93 P. L., , ;

XXIII, 707) € plurimo labore corruptam jam Bibliothecam


:

Origenis et Pamphili in membranis instaurare conatus est ».

— Quant à Eusèbe, outre sa collaboration à V Apologie de


S. Pamphile, il consacrait à Origène presque tout le sixième
livre de son Histoire. Le troisième et dernier livre de sa Vie
de S. Pamphile contenait le catalogue de la bibliothèque de
son ami, composée surtout d'ouvrages d'Origène.

6. TiTE DE BosTRA. Voir Photius, 232 (CIII, 1104),

III. — Pères latins imitateurs d'Origène.

1. Saint Victorin de Pettau, martyr probablement sous


Dioctétien, étant plus familier avec le grec qu'avec le latin

(S.Jérôme, De li,P.L., XXIII, 719), suit de


Vir.illustr.,

très près Origène. S. Jérôme


le range parmi ceux « qui Ori-

genem in explanatione duntaxat Scripturarum secuti sunt


et expresserunt » {Epist., lxi, 2, P. L., XXII, G03). Voir ci-
dessous à propos^de saint Hilaire.

2. Victorin le Rhéteur, intrépide champion de la foi de

Nicée et antagoniste ardent de l'arianismc, rappelle à tout ins-


tant le langage et les théories d'Origène. On lui trouverait
encore plus de points de contact avec le grand Alexandrin si

son impénétrable obscurité et le mauvais état de ses manus-


crits ne rebutaient le lecteur.
ORIGÈNE ET LA TRADITION CATIIOLIQUK 197

3, Saint Hilairb de Poitiers s'inspire très souvent d'Ori-


gène. Saint Jérôme avec insistance-: « Si anclorila-
le n'iièle

teni suo operi pneslruebal [llufiuus], volens quos sequerelur


oslemlere. habuil in proniptu llilarium eoufessoreni. qui
quadragluta ferme miliia versuum Origenis in Jobet Psalmos
transtulit. Ilabuil Ambrosium, cujus pêne omnes libri hujus
sermonibus pleui sunt; et martyrem Victorinum, qui sim-
plicilalem suam nuUi molitur insidias »
in eo prol)at, dum
{A<lr. /ht fin., i, « In que opère [il s'agit
2, /*. L., XXIII, 399 ). —
du commentaire sur les Psaumes] imitalus Orlgenem, non-
nuUa etiam desuoaddidit... Tractatus in Job, quos de Gra^co
Origenis ad sententiam transtulit » {De vir. ill., 100, P. L,,
XXIII, 699).- € Apud Latinos, Hilarius Pictaviensis et Euse-
Mus Vercellensis episcopi, Origenem et Eusebium transtu-
lerunt [ il s'agitdu commentaire sur les Psaumes] quorum ;

priorem et noster Ambrosius in quibusdam secutus est »


{Ad Auguslin., epist. cxu, 20, P. L., XXII, 929). Si c'est —
un crime de traduire Origène, « arguatur confessor Hilarius
qui Psalmorum intcrpretationem et homilias^in Job ex libris
ejus, id est ex Gra?co in Latiuum transtulit > (Epist., lxi,

2, P. L., XXII, 603). Il y a cependant un correctif : « Nec


disertiores sumus Ililario. nec fideliores Victorino, qui ejus
[Origenis] tractatus non ut interprètes sed ut auctores proprii
operis transtulerunt > {Epist. lxxxiv, 7, P. L., XXII, 749).

i. Saint Eusèbe de Verceil, s'il faut en croire saint Jérôme,


serait très redevable à Origène. Voir ci-dessus, à propos de
saint Hilaire.

5. Saint Ambroi se est probablement celui des auteurs ecclé-


siastiques qui doit le plus à ses prédécesseurs, particulière-
ment à Pliilon, à Origène et à saint Basile. Saint Jérôme dit
que presque tous les livres de l'évèque de Milan sont rem-
plis de passages empruntés à Origène (Adv. Bu fin., i, 2,
P. L., XXIII, 399 : voir ci-dessus à propos de saint
Hilaire). La comparaison des textes confirme ce jugement.
198 ORIGÈNB

6. RuFiN d'Aquilée consacra majeure partie de son ac-


la

tivité littéraire à traduire et Ce fut sa


à défendre Origène,
préface à la version du Periarchon qui déchaîna la dispute
origéniste dont la conclusion fut l'exil et la mort de Chrysos-
tome. Son Apologie en deux livres contre saint Jérôme et son
opuscule De adulteratione librorum Origenis sont pleins de
détails intéressants et, par ailleurs, inconnus sur Origène.

7. Saint Jérôme fut jusqu'en 399 le plus fervent admirateur


d'Origène. Qu'il suffise de citer les textes suivants : Com-
ment, in Mich., Prolog. (XXV, 1247) : t Quod dicunt, Orige-
nis me voluminacompilare... quod illi maledictum vehemens
esse existimant, eamdem laudem ego maximam duco, cum
illum imitari volo, quem cunctis prudentibus et vobis pla-
cere non dubito. » Hebraicx qmest. in Gènes., Prsefat.iXXlJl,
938) « Vellem cum invidia nominis cjus tOrigenis) habere
:

etiam scientiam Scripturarum. » De nomin. J/cbraic, Prsefat.


(Jbid , col. 772) : « Imitari volens ex parte Origenem, quem
post Apostolos Ecclesiariim magistrum, nemo nisi imperitus
negabit. » Cf. Homil. Orig. in Jerem. et Ezech. translatio,
Prolog. (XXV, 611), Epist. ad Augusl., cxii, 4 (XXII, 918,
reproduisant mot pour mot Comment, in Galat., Prolog.,
t. XXA^I, col. 308) : < In eo milii Aideor cautior atque timi-
dior, quod imbecillitatem virium mearum sentiens, Origenis
Commentarios secutus sum. » Voir encore les Prologues du
Commentaire sur FÉpître aux Éphésiens, de la traduction de
trente-neuf homélies d'Origène sur saint Luc et de deux
homélies sur le Cantique des cantiques. En 392, saint Jérôme
écrivait encore : « Induodecim prophetas xxv èHrjyrjaEwv Ori-
genis volumina manu ejus [Pamphili] exarata repperi, qure
tanto amplexor et servo gaudio, ut Crœsi opes habere me
credam » {De Vir. illiistr., 73, P. L., XXIII, 68S).
ORICÈNE KT I.\ TUADITIO.N CATHOLIQUE 199

IV. — Oritjène et les hrirli(jues du /!'" el du V' siècle.

Comme Origône avait fait une gueiTc acharnée à tous les


hérétiques de son temps, il rencontra fort peu de sympathies
chez les hérétiques des âges suivants.

A. Sabelliens. — Origène les comhat souvent sans les nom-


mer : peut-être n'étaient-ils pas encore connus sous un
même nom. Il fut assez heureux pour ramener au sein de
l'Kglise HérvUc de dont le système n'était qu'une
lîostra
forme de sabellianisme. Marcel d'Aucyre, qui suivit [du^ lard
les mêmes erreurs, fut un adversaire violent d'Origèue
(Eusèbe, Contra Marcel., I, 4. P. G., XXIY, 732-701j.

B. Ariens. — Les coryphées de l'arianisme, Eusèbe de Ni-


comédie, Maris de Chalcédoine, Théogius de Nicée, Léonce
d'Anlioche, Eudoxe, Astérius et Arius lui-même, s'abritèrent
toujours sous l'autorité du saint martyr Lucien, dont ils

s'honoraient haut d'être les disciples. Par contre,


bien
dans les controverses entre Arius et Alexandre d'Alexandrie,
le nom d'Origène n'est pas prononcé. Il était difficile que le

père de l'arianisme s'appuyàl sur celui qui contredit si sou-


vent et si résolument sou dogme fondamental « Il fut un :

temps où le Fils n'était pas. » Nous savons qu'un des ariens


les plus fougueux, Aétius, attaquait Origène avec fureur
(Socrate, Hist. eccl., ii, 35, P. G., LXVII, 297). Plus tard, les
ariens se ravisèrent et Socrate (Jlist. eccl., vu. 0, P. G.,
LXVII, 748-749) nous apprend que Timothée de Constanti-
nople faisait ses délices d'Origène qu'il citait à tout propos.
Saint Basile et saint Grégoire de Naziauze leur répondaient
qu'ils le comprenaient mal {Hist. eccl., iv, 23, P. G., LXVII,
529).

G. Pélagikns. — Jansénius prétend que Pelage n'a rien


enseigné — à une exception près — que n'eût déjà enseigné
Origène, et que le moine irlandais a puisé toute sa doctrine
200 ORIGÈNE

dans le Periarchon et le Commentaire sur l'épître aux


Romains. Garnier, dans son histoire du pélagianisme {Disserl.,
YII, cap. VI, n° 1, P. L., XLVIII, 683) lui répond fort judi-
cieusement que les pélagiens n'ont pu rien emprunter sciem-
ment à Origène, car non seulement ils le méprisaient, mais
ils le poursuivaient à tout propos de leurs insultes les plus
haineuses. L'histoire confirme l'appréciation de Garnier. Au
s>Tiode de Jérusalem de 4iij, Pelage protesta qu'il croyait à
l'éternité des peines de l'enfer et ajouta : « Si quis aliter
crédit Origenistaest t> (Augustin, Z>e Gniis Pelagii, x, P. L.,
XLIV, 32o). Un
des principaux tenants de Pelage, Rufin de
Palestine, qu'il ne faut pas confondre avec le célèbre Rufin
d'Aquilée, traitait Origène de fou, d'infâme et d'impie
[Liber de fîde, 17, 19, 20. 23, etc., P. L., XXI, 1131-1137).
Les autres pélagiens n'épargnent guère plus ses théories,
dans les professions de foi dont ils sont si prodigues.

D. ?sESTORiENS. — L'écolc d'Antioche d'où sortit le nesto-


rianisme, fut toujours — à la réserve de saint Chrysostome
— très peu sympathique à Origène. Dans son amour outré
pour le sens littéral, elle était opposée en principe à Fallégo-
risme des Alexandrins. Nous savons en particulier par
Libérât (Breviarium, 24, P. L., LXVIII, 1049) que Théodore
de Mopsueste avait composé un grand nombre d'opuscules
contre Origène, et Ébedjésu nous donne le titre syriaque
d'un de ses ouvrages c'était un traité en cinq livres contre
:

les allégoristes.

E. Apollinaire est mis par Socrate {lUsl. eccL, vi, 13,


P. G., LXXVII, 7G1), avec Méthode, Eustathe et Théophile,
au nombre des quatre détracteurs d'Origène qu'il appelle
Twv /.xxoAÔYwv TcTpaxTÛç. Nous iguorous quels étaient ses
griefs contre le catéchiste d'Alexandrie. On peut soupçonner
que la vigueur avec laquelle Origène défend l'intégrité de la
nature humaine du Christ n'était pas étrangère à l'antipa-
thie de l'évèque de Laodicéc.
ORIGKNE ET L.V TUADITION CATHOLIQUE 201

V. — Adversaires calholùjurs (l'Oriyènc.

A part les hérétiques dont nous venons de parler, nous ne


connaissons, durant celle période (234-374), que deux — tout
au plus trois — adversaires d'Origène.
1. Saint Méthode, évoque d'Olympe et martyr (3H), fut un
des premiers et des i)lus ardents adversaires d'Origène. Il

composa contre lui, selon saint Jérôme {De n'r. ilL, 83,
/'. /.., XXIII, G91), un traité sur la sorcière d'Endor et un
autre sur le libre Arbitre. Pholius (Liiblioth., 235, P. G.,
cm, 1137-1148; nous a conservé une analyse et des extraits
du llïpl TÔÎv YEVTfjTwv, également dirigé contre Origène. Enfin
saint Éphiphane cite un long passage d'un traité sur la Résur-
rection intitulé Aijtaopiton {Hœres., lxvi, 12-G2, P. G., XLI,
1087-1177) dontPhotius {Bibliolh . 23i, P. G., CIII, 1109-
1137) donne aussi des extraits. Gomme les feuillets du ma-
nuscrit qui servit à l'édition de saint Epiphane étaient brouil-
lésen cet endroit, les passages reproduits par Migne offrent
une inextricable confusion. L'ordre a été rétabli par Jahn,
5. Methodii opéra, S . Mctitodius Plalonizans, Halle, 1863. On
consultera de préférence Bouwetsch, J/('?//Of/à<s von Ohjmpus,
Erlangeu, 1891, qui donne, retraduite en allemand, une
vieille version slave de YAglaophon. Socrate {Uist. ceci., vi,

13) assure que saint Méthode, dans un dialogue intitulé


Xénon, aurait virtuellement rétracté ses attaques contre
Origène. Eusèbe et, ce semble, saint Jérôme [Adr. Rufm., i,
11) intervertissent l'ordre. Il est en effet assez difficile
de croire que saint Méthode, comme plus fard Théophile
d'Alexandrie, ait été d'abord partisan d'Origène, puis adver-
sah'e, enfin admirateur passionné.

2. Saint Eustathe d'Antioche, mort en exil vers 337, est


l'auteur d'une dissertation sur la Pijthonisse conservée jus-
qu'à nos jours [De Enyaslrimytlw, P. G., XVIII, G13-673). A
propos de l'évocation de Samuel, il fait une critique acerbe
de l'allégorisme d'Origène. On ne peut s'étonner assez que
l'intrépide adversaire des Ariens n'ait trouvé dans le docteur
alexandrin rien de plus blâmable qu'une opinion très ortho-
doxe au sujet de la Pythonisse et qu'il n'ait point songé à
incriminer les théories trinitaires.

3. Saint Pierre d'Alexamjrie. martyr en 311, aurait aussi,


d'après Léonce de Byzance, composé un traité où il réfutait
la préexistence des âmes. Justinien dans sa lettre à Menas
{P. G., LXXXVI, 9G1) en cite un passage.

Troisième période. — De l'entrée ex campagne de saint


Epiphane (374) a la mort de saint Jean Chrvsostomb
(407).

1. Saint Épipo-yne fut le plus constant et le plus


sérieux des adversaires d'Origène. Son hoslililé contre le
catéchiste alexandrin s'accentua beaucoup à partir de ses
différends avec Jean de Jérusalem, mais elle est antérieure
à ces disputes et doit avoir été provoquée par un ferment
d'origénisme constaté par l'évèque de Salamine, soit
en Egypte où il aA^ait passé son adolescence, soit en Pales-
tine où il avait fondé et où il continuait à diriger un célèbre
monastère. Voici, par ordre chronologique, la liste des
écrits dirigés contre Origène et l'origénisme :

A. Ancoratus, en 374 (XLIIl, 128). Il reproche à Origène


son allégorisme (n° 34), en particulier son allégorie des
tuniques de peau (Gen., m, 21) qui symboliseraient le corps
humain (n° 02), ses doctrines relatives à la subordination
du Fils {n° 63 J et à la résurrection (n° 6o).

B. Panarion ou Contra hœreses, lxiv, de 374 à 377 iXLI,


10G8-1200). Mêmes a) Subordination
griefs plus développés :

du Fils qui ne verrait pas le Père, qui serait tiré de la subs-


tance du Père et néanmoins créé, qui ne serait Fils que par
grâce, b) Préexistence des âmes, esprits refroidis de l'amour
divin {"^^yj^'^ SiàTÔ àvcoOev vb^r/hx'.) et leur relégation dans
'
ORIOk.NK ET L\ TRADITION CATUOLIQLB 203

le corps qui serait maintenant leur entrave {^^i^'^ç « corps »


de ^i\Lx c lien »). c) Résurrection des corps, tantôt niée,
tantôt admise mais d'une manière imparfaite, d) Abus de
l'allégorie.

C. Anacepltalxosis, ou récapitulation des liérésics, formant


appendice au grand ouvrage. Les griefs contre Origène sont
à peu près les mêmes, 1, ii, 18 XLII, 8G7
i 1
; S. Kpiphane insiste
sur l'erreur relative au règne du Christ, qui serait destiné à
finir.

D. Réponse à Jean de Jérusalem, traduite par saint Jérôme


(XLTII, 379-392), avec une lettre adressée personnellement
au solitaire de Bethléem.
Le rôle de saint Épiphane, au cours de toute cette polémi-
que, est très difficile à apprécier. Sa conduite ù Constanti-
nople, en 402-403, et son brusque départ pour Chypre sans
avec saint Jean Chrysostome et sans avoir
s'être réconcilié
désavoué Théophile, sont inexplicables. L'illustre évêque
mourut pendant la traversée.

2. Saint Jérôme, malgré l'amitié qui l'unissait à saint Épi-

phane, gardait ses sympathies pour Origène. Ses premières


disputes avec Rufin et avec Jean de Jérusalem n'auraient
peut-être pas refroidi sou admiration pour le maître, sans la
malencontreuse préface que Rufin crut devoir mettre en tête
de sa traduction du Periarclion, et dont le solitaire de
Bethléem fut vivement blessé (P. Z., XXII, 733-7,36 Jérôme 1.

traduisit à son tour le Periarchon pour mettre à nu l'iufidé-


lité de Rufin et s'empressa d'expliquer à ses amis dans quel

esprit il avait lu et loué Origène (Ibid., 744-734). Il se mit


aussi en relation avec Théophile d'Alexandrie {Ibid., 734-
737 et traduisit en latin les épîtres pascales du patriarche
1

contre Origène [Ibid., 774-790; 792-812; 813-828). On


regrette qu'il ait consenti à traduire aussi l'infâme pamphlet
que Théophile écrivit contre Chrysostome exilé. Voir Facun-
dus d'Hermiane, Defensxo trium Capit., vi, 3 {P. L., LXVII,
204 ORIGÈNE

677-678 ; cf. P, Après son changement


L., XXII, 931-93S.
d'attitude, saint Jérôme écrivit sa lettre intitulée Qxiid :

cavendum in Hbris ttïoI àp/wv (Ad. Avù., epist. cxxiv, P. L.,


XXII, 1039-1072 où il répète à peu près les griefs de Théo-
)

phile et de saint Épiphane, et son Apologie contre Rufin


(XXIII, 397-492). La lettre contre Jean de Jérusalem (XXIII,
335-396) appartient à l'époque même du changement.

3. TnÉopniLE d'Alexandrie, attaquait Origène dans son


épître synodique de 400, ses lettres pascales de 401, 402 et
404, ainsi que dans sa diatribe contre Chrysostome. Tous ces
Jérôme se trouA-ent parmi les lettres
écrits traduits par saint
de ce dernier sous les numéros 92, 96, 98, 100 et 113. Dans
réi)ilre synodique de 400 (P. L., XXII, 762), le patriarche
énumère ainsi les erreurs d'Origène « [1] Filius nobis com-:

paratus est veritas, Patri collatus mendacium ; [2] Quantum


differt Petrus et Paulus a Salvatore, tanto Salvator minor
est Pâtre ; [3] Christi regnum finietur aliquando. [4] Diabo-
lus cunctis peccatorum sordibus liberatus, fequo honore
decorabitur et cum Christo subjicietur. [S] Non dcbemus
orare Filium, sed solum Patrem, nec Patrem cum Filio.

[6] Resurgens corpus non solum corruptibile sed mortale


erit. >Dans la lettre pascale de 402 (XXII, 781), Théophile
reproche à Origène d'avoir soutenu que le Sauveur sera un
jour crucifié pour les démons il ajoute (XXII, 783)
;
« Dicit :

corpora quee resurgunt, post multa seecula in nihilum dissol-


venda, nec futura aliquid nisi cum de cœlorum mansionibus
animcp ad inferiora dilapsse indiguerint novis quœ alla rur-
sus fiant, prioribus omnino deletis. » D'après Gennade {De
Scriptor. eccL, 33, P. L. LVIII, 1077), Théophile aurait écrit
contre Origène un grand ouvrage qui n'est pas sans doute à
identifier avec ceux dont nous avons parlé. Sur le dernier
changement d'attitude du patriarche, voir Socrate, Hisl.
eccL, VI, 17 (LXVII, 716).

Aux trois principaux adversaires d'Origène il convient


d'opposer ses trois plus illustres défenseurs.
ORIGÈNB KT LA TRADITION CATHOLIQUE 203

1. Saint Jean Ciirysostome ne manifeste aucun penchant


pour U's hypothèses origénistes ; il blâme mùme ouverte-
ment l'allégorie scripturaire, sans toutefois nommer Origène.
Ce fut pourtant l'origénisme qui fut la cause ou le prétexte
(le son exil et de sa mort. Théophile, qui l'avait consacré
à contre-cœur et ne lui pardonnait pas d'avoir supplanté son
candidat, Isidore, n'allégua pas d'autre motif pour lui décla-
rer la guerre. Ciirysostome avait donné asile aux origénistes
fugitifs et il refusait énergiquement de condamner en
bloc et sans examen Origène, comme saint Épiphane l'en
pressait. Dans le pamphlet où il piétinait son ennemi
vaincu, l'irascible patriarche d'Alexandrie disait : < Ille, ut
coûtera ejus flagitia taceam, Origenistas in suam recipiens
familiaritatem et ex his plurimos in sacerdotium provehens
atque ob hoc scelus beatîB memoriiB hominem Dei Epipha-
nium... non parvo mœrore contristans, meruit audire :

Cecidit, cecidit Babylon. » (Parmi les lettres de saint Jérôme,


Epist. 113, P. L., XXII, 933). Ce grief, il est vrai, n'apparaît
plus dans les vingt-neuf chefs d'accusation d'abord formulés
contre Chrysostome au conciliabule du Chêne, mais il cons-
titue trois des dix-huit articles bientôt ajoutés par le moine
Isaac. Le choix des calomnies était chose secondaire pour les
envieux acharnés à sa perte.

2. Saint Théotime de Tomes, l'apôtre des Scythes, l'ami de


saint Jean Chrysostome et l'auteur de courts dialogues qui
respiraient l'éloquence antique (saint Jérôme, De Vir. ill.,

131, P. L., XXIII, 71o), repoussa en ces termes la somma-


tion de saint Épiphane d'avoir à condamner Origène : Ey''^»

alpoOaai •
O'jte ^làffcpY) ulov èTtijr£i.p£tv7rpàY[i.a -ïoA[jlw, £xêâ).),wv

S ot iToô r,awv ojx YjOÉrficrav. Ce disant, il tira un livre


d'Origène qu'il portait sur lui et en lut aux évêques présents
quelques beaux passages. Socrate, Hist. eccl., vi, 12, P. G.,
LXVII, 701 ; Cf. Sozomène, Hist. eccl.. viii. 14. P. G.,

LXVII, lb53.
206 ORIGÈNE

3. Jean DE Jérusalem, au dire de Gennadc {De Script, cccles.,


30, P. L., LVIII, 1077), avait composé un livre où il montrait
à ses détracteurs qu'il était l'admirateur et non le disciple
d'Origène c Origenis se ingenium non fidem secutum. » H
:

est de fait que les évèques de Palestine, réunis en synode à


Jérusalem, répondirent à Théophile d'Alexandrie qui leur
dénonçait les erreurs d'Origène, que personne ne les ensei-
gnait à leur connaissance dans leur proA^ince ecclésiastique.
(Parmi les
lettres de saint Jérôme, Episl. 93, P. L., XXII,
Aussi saint Anastase écrivant au patriarche de Jérusa-
770.)
lem, au plus fort de ses querelles avec saint Jérôme, saint
Épiphane et Théophile, vante-t-il la « splendeur de sa sain-
teté » et lui dit-il entre autres éloges : « Tarn enim, vir
omnium prœstantissime, laudum tuarum fulges ni tore cons-
picuus, ut par esse meritis sermo non possit. » [P. L., XX,
G8-73. Ceci se passait en 400 ou 401. Un peu plus tard (404),
Chrysostome lui écrivait pour le remercier de son concours
et le féliciter de son zèle [Epist. 88, P. G., LU, 6o4j.

La époque
vérité sur les controverses origénistes à cette
est difficile à démêler parce que les juges sont en même
temps parties dans le débat et que les historiens de ce drame
passent pour suspects. On ne peut pas sans doute se fier
sans réserve aux biographes de saint Jean Chrysostome —
tels que Pallade et Théodore —
mais si Socrate et Sozomène
ont un faible pour Origène, le dernier est plein de vénération
pour saint Épiphane et le premier ne semble pas trop bien
disposé à l'endroit de Chrysostome. Nous allons faire appela
deux contemporains bien informés et dont on ne récusera
pas le témoignage.

1. SuLPicE Sévère dans ses Dialogues, I, 6-7 (XX, 187-189)


reproduit une intéressante et judicieuse appréciation de son
frère Postumien qui s'était trouvé présent à Alexandrie en
401 ou 402 au fort des querelles origénistes : « Ubi fœda
inter episcopos atque monachos certamina gerebantur. » Pos-
OUIGÈNi: ET L.V TRADITIO.X CATUOLIQUE 207

tumien se mit alors à lire Origène qui lui plut en général,


mais le choqua sur certains points « Ego miror unum :

cumdenujuc hominem tam di vcrsuui a se esse potuisse, ut inea


l)ar(o qua [)robatur ncminem post apostolos habeat ;i'([ualem ;

in ea vero qufc jure reprehendilur.nemo deformius doceatur


errasse. » Navré du spectacle des disputes dont Origène était
le sujet ou le prétexte, et des cruautés dont les moines
étaient victimes, Postumien repoussa les avance^ du pa-
triarclie Théophile qui voulait le retenir auprès de lui.

2. S.viKT IsiDOKE DE PÉLUSE n'était pas origéniste. Dans une


de ses lettres (Episl. iv, lf)3, /'. G., LXXVIII, 1248-1233),

il réfute Ihypothèse de la préexistence des âmes, sans nom-


mer Origène de titre v.x-x ilciv-ivQ'jz, n'est pas de lui). Mais
il s'indigne de la manière dont Théophile, qu'il appelle
-ov ).iOo[ixv^ xal /p'jcoAaTpiv, poursuit le saint patriarche de
Consfanfinople [Episl. i, 132, Ibid., 284-283 1. Saint Isidore
n'oublia rien pour faire réhabiliter Chrysostome.

La conclusion des controverses fut, comme il fallait s'y

attendre, défavorable à l'origénisme. Quelques-unes des hypo-


thèses du Pcriarclton n'étaient tolérables qu'à la condition
qu'on n'en fit point des dogmes. D'autres étaient ouvertement
contraires à la croyance commune de l'Eglise et ne pouvaient
échapper à la réprobation que si l'on faisait le silence
autour d'elles. La traduction du Pcriarclwn par Justin
déchaîna l'orage et les Aiolentes dénonciations de saint Épi-
phane, de saint Jérôme et de Théophile hâtèrent le dénoue-
ment. Saint Jérôme fait plusieurs fois allusion à une con-
damnation de l'origénisme par le pape Anastase I'"' (Adv.
Rufin., I. 10; m. 20-23, P. L., XXIH, 436, 471, etc.). Théo-
phile d'Alexandrie la mentionne aussi (dans Justinien,
Epist. ad Menam, P. G., LXXXVI, 967). Écrivant à Jean de
Jérusalem, saint Anastase avoue qu'avant ces débats il
n'avait aucune connaissance ni d'Origène ni de ses écrits.
Mais la traduction du Pen'archon a scandalisé les Romains :
208 ORIGÈNE

t Absit hoc ab Ecclesiœ Romanae catholica disciplina. Nun-


quam profecto eveniet, aliqua ut haec admittarn ratione,
quae jure meritoque damnamus » (I*. L., XX, 71). Aucune
opinion particulière du théologien d'Alexandrie n'est d'ail-

leurs signalée. Une autre lettre adressée par saint Anastase à


Simplicien de Milan [P. L., XX, 74-80; est triplement sus-
pecte et par sa date et par son contenu et par l'oubli où la
laissent tous ceux qui auraient le plus d'intérêt à la citer.
Au nous n'avons plus la lettre à Vénérius
contraire,
de Milan, lettre signalée par saint Jérôme et par saint Anastase
lui-môme (XX, 72.)
Citons enfin le décret dit de Gélase (P. L., LIX, 161), sans
toucher aux questions si difficiles d'authenticité et d'attribu-
tion : Item Origeuis nonnulla opuscula quae vir Ijeatissi-
c

mus Hieronymus non répudiât, legenda suscipimus. Reliqua


autem omnia eum auctore suo dicimus esse renuenda. »

Quatrième période. —
De la. mort de saint Jean
Chrysostome (407) au concile de So3.

I. — Les Pères du V^ siècle.

Autant les Pères latins du


iv*^ siècle lisent Origène et s'en

inspirent, autant ceux du y<^ le négligent et l'ignorent. Saint


Anastase P'', de son propre aveu, ne connaissait ni la per-
sonne ni les écrits du grand Alexandrin avant la traduc-
tion du Periarchon faite en 397-398 par Rufin. C'est que, dès
cette époque, l'étude du grec était très délaissée dans
les églises d'Occident et les Latins ne pouvaient juger Origène
que par son côté le moins favorable, c'est-à-dire par la tra-
duction que Rufin et saint Jérôme avaient donnée du Periar-
chon ou mieux encore par le choix des textes sur lesquels ce
dernier appuyait ses censures.

1. Orose nous apprend (Commonitovium ad Augustimim de


errore Priscillianislarum cl Ori<jenislarum, P. L., XXXI,
ORIGÈNE ET LA TRADITION CATHOLIQUE 209

1211-1216) que deux de ses compatriotes, du nom d'Avit,


allèrent l'un à Home, l'autre îi Jérusalem, dans l'intention
d'y chercher des armes contro Priscillien. Le premier rap-
porta un ouvrage de Yictorin; le second, le Perinrchon
d'Origène. Tous les deux s'accordaient à condamner le
priscillianismc et professaient sur la Trinité ime doctrine
orthodoxe, mais ils tiraient d'Origène des théories suspectes :

a) Création ab xlerno ; b) unité de substance de Dieu, des


anges et des âmes; c) monde créé pour la purification des
esprits déchus; rf) feu de l'enfer destiné à redevenir un
jour spirituel.

2. SaiSt Augustin — chose à peine croyable chez un homme


qui comprenait le grec — ne connaissait Origène que de
réputation. En 395, il priait saint Jérôme de traduire en latin
les exégètes grecs, surtout Origène {Epist. xxvui, 2, P. L.,
XXXIII, 112) : c Potes enim efficere ut nos quoque habeamus
taies illos viros, et unum potissimum, quem tu libentius in
luis litteris sonas. » En 397, il lui demandait d'indiquer ce
qu'il reprochait à Origène [Epist., xl, 9, P. L., XXXIII, 133) :

€ Illud de prudentia doctrinaque tua desiderabam, et adhuc


desidero, ut nota nobis facias ea ipsa ejus errata, quibus a
fide veritatis ille vir tantus recessisse convincitur. s Jérôme
ne répondit rien là-dessus et, en i04, Augustin déplorait tou-
jours la rupture survenue entre Rufin et saint Jérôme à
propos de lorigénisme (Ad Hieron., epist. ex, 6, P. L., XXII,
913'. Ce ne fut qu'en 413 que l'évèque d'Hippone reçut le
Commonitorium d'Oroseet qu'il composa sur ces données son
petit tredté Contra Priscillianistas et Origenistas (XLII, 669).

3. Saint Vincent de Lérins, dans son Commonitorium, i,

17 (L, 660), écrit :Quanta apud omnes Origenis admiratio,


«

quanta gloria, quanta gratia fuerit quis exequi valeat ? Quis


non ad eum paulo religiosior ex ultimis mundi partibus
advolavit Quis christianorum non ut prophetam, quis phi-
?

losophorum non ut magisti'um veneratus est? » Léloge se


poursuit ainsi longtemps, sur le ton du dithyrambe, mais

18
210 ORIGÈNE

c'est pour montrer qu'un auteur si séduisant n'en est que


plus dangereux. (Ibid., 664) * Sed dicet aliquis corruptos
:

esse Origenis liiiros. Non resisto quin potius et malo... Sed


;

illud est quod nunc debemus advertere, etsi non ipsum,


libros tamen sub nomine suo editos, magn» esse tentationi :

qui multis blasphemiarum vulneribus scatentes, non ut


alieni, sed quasi sui et leguntur et amantur ; ut etsi in
errore concipiendo Origenis non fuit sensus, ad errorem
tamen persuadendum Origenis auctoritas valere videatur. »

4. Antipater de Bostra composa vers 460, sous le titre de


'AvT'ipoYjfj'.ç, une réfutation de VApologie de saint Pamphile.
Le septième concile œcuménique et l'auteur des Sacra
Parallela nous ont conservé des fragments de cet ouvrage
{P. G., LXXXV, 1792-1796), considéré comme classique au
v« siècle.
Du reste, l'Église grecque, absorbée par les controverses
trinitaires, où le nom d'Origène n'était pas mêlé, perdait de
vue le catécMste alexandrin.

II. — Les conciles de 543 et de 553.

L'essai de ^M. Fr. Diekamp {Die origenistischen Streitigkei-


ien im sechsten Jahrhundert, und das fiinfte allgeyneine
Concil, Munster, 1899), réunit à peu près toutes les données
qu'on possède sur ce difficile problème, en prenant pour
base le récit de Cyrille de Scythopolis [Vita Sahbx, dans
Cotelier, Ecclesiœ grsecœ momtmenta, t. III, Paris, 1688,
p. 220-376).
L'histoire de Torigénisme au concile local (cûvoSoç
tenu à Constantinople en 543, est assez claire.
lv8ir)[jLoij(5a),

Pour donner satisfaction aux antiorigénistes de Palestine,


Justinien compose sa lettre au patriarche Menas ^Irjvaç, —
et non Mr|vvàç, est la véritable orthographe de ce nom —
(P. G., LXXXVI, 945-981), suivie de vingt-quatre extraits du
Periarchon (Ibid., 981-989) et de dix anathématismes à pro-
ORIGÈNE ET LA TRAPlTrOX CATHOLIQLE 211

uoncer contre Origènc (Ibid., 1)89 iTpoaY',y.ji tôv itz' aù-rw


:

àvaOeaaTiajjLÔv oGtwç yivEffOa'.). L'empereur prescrivait à


Menas de faire souscrire la condamnation d'Origène par tous
les évèques présents à Conslaulinople et do transmettre en-
suite les actes du synode aux autres évêques et hégumènes,
afin d'obtenir leur adhésion écrite. Tout se passa suivant
l'ordre impérial. Les quatre patriarches orientaux et le pape
"Vigile, qui avaient communication de la lettre de
reçu
Justinien, souscrivirent aux anathématismcs. Pour Vigile,
voir Cassiodorc, Instiluliones, 1, P. L., LXX, 1111. Cf. Libé-
rât. Brevianum, 23, P. L., LXVIII, 1040.

L'histoire du concile de ui)3 est moins facile à débrouiller.


Il est certain 1. que le concile général de 533 avait été
:

exclusivement convoqué pour l'affaire des Trois Chapitres ;


2. que dans les huit sessions dont nous possédons les actes en

latin on ne s'occupa point de l'origénisme. Il est vrai que dans


la VIIF session, u" 11 (xMansi, t. IX, p. 383-384 ^ Origène est

nommé parmi les hérétiques à frapper d'anathème. Mais sa


place à la fin de la liste, après Arius, Eunomius, Macédo-
nius, Apollinaire, Nestorius, Eutychès, place contraire à
l'ordre chronologique observé pour les autres, fait soup-
çonner une interpolation. En tout cas, il ne
s'agit pas d'une
condamnation motivée et prononcée après examen. Dans la
V<^ session (Mansi, t. IX, p. 272), Origène est encore men-
tionné en passant pour prouver qu'un hérétique peut être
condamné après sa mort € Et multos alios invenimus post
:

mortem anathematizatos necnon etiam Origenem et si ad


; :

tempora Theophili sanctfc memoriae vel superius aliquis


recurrerit, post mortem inveniet anathematizatum. quod
etiam nunc in ipso fecit et vestra sanctitas et Yigilius reli-
giosissimus papa antiquioris Romœ. » Par le nunc l'orateur
doit faire allusion à la condamnation portée, dix ans aupara-
vant, par le synode local de 543 et ratifiée ensuite successi-
vement parles évêques alors alDsents et par leurs successeurs.
Nous savons par Cassiodore que Vigile y avait adhéré et par
Cyrille de Scythopolis que Justinien eut soin d'y faire
212 ORIGÈXE

adhérer les évoques et abbés nommés par lui. Il n'est donc


nullement nécessaire d'admettre une condamnation nouvelle
aux premières sessions du concile de o33.
Cependant de forts indices, dont l'ensemble équivaut à une
preuve, montrent que le cinquième concile, régulièrement
ou irrégulièrement, s'est occupé d'Origène. 1. Cyrille de
Scythopolis écrivant en oij", quatre ans après le concile,
affirme expressément qu'Origène y fut condamné. Il est dif-
ficile de croire que Cyrille confond, comme on l'a dit, le
concile de oo3 aA^ec le synode de b43. 2. Un autre contempo-
rain, Évagrius. n'est pas moins formel (P. G., LXXXVP,
2776-2777) et ne mérite pas d'être écarté pour quelques
confusions de détail. 3. Un chroniqueur du ix^ siècle,
Georges le Moine, nous a conservé une lettre adressée par
Justinien au \'' concile iClironicon, iv, 218, P. G., CX,
780-784; Georges Cedrenus, Hist. compend., P. G., CXXI,
cf.

720-724), lettre dont l'authenticité est confirmée par les


deux documents suivants. 4. Quinze anathématismes ont été
découverts par P. Lambeck dans un manuscrit de Vienne et
publiés par lui (Catalogue, Alenne, 1G79) sous ce titre Twv :

àyîwv pEé ira-rÉpojv -:f,ç âv KcovGTavTivou-dî.si àytaç 'Ki\i.T.Tf^-


cuvôôo'j Sc/.aTTÉvTî [Ics mots v.yr.y. 'Qo'.yévojç, ajoutés par
Lambeck ne sont pas dans le manuscrit]. Ces anathématismes
concordent parfaitement avec la lettre de Justinien et sont de
la même époque, o. Théodore de Scythopolis, dans son
Libellus reiractationis (P. G., LXXXVI, 233-236), adressé
aux quatre patriarches orientaux vers la fin de o32, joint aux
anathématismes de o43, trois nouveaux articles qui reflètent
exactement les erreurs signalées soit par la lettre de Justi-
nien. soit par les quinze anathématismes de Lambeck, soit
par Cyrille de Scythopolis dans son histoire de l'évolution
de Torigénisme après le synode local de S43.
Il parait donc nécessaire d'admettre avec M. Diekamp
{Op. cit., p. 62-60) que, durant les interminables délais im-
posés au concile par les hésitations du pape, Justinien prescri-
vit aux évêques assemblés depuis de longs mois d'examiner
OIUGKXE ET LA TUADITIO.N CATUOLIQLK 213

l'affaire de l'ori^ïénisme et (lue les quinze analhénialismes


retrouvés par Lambeck furent le fruit de ces délibéra-
tions.
Mais Vigile et ses successeurs restèrent entièrement étran-
gers à cette condamnation. La lettre de Justinien n'était pas
adressée au pape mais aux évéquos. Ceux-ci s'étaient ras-
semblés avant l'expiration des délais demandés par Vigile et
accordés par l'empereur. Leur action fut donc doublement
irrégulière, à moins peut-être qu'ils n'eussent en vue de
régler une question exclusivement orientale où l'interventioii
du pape nétait pas nécessaire. Aussi Vigile, quand il se
décida à coul'irmer le concile [Lettre à /ùitlii/inius et Constitu-
linn, r. L., LXIX, 121-127, 113-178 , ne fit porter son
approbation que sur l'affaire des Trois Chapitres, \a seule que
les Pères eussent à traiter. Ses successeurs, Pelage II et Gré-
goire le Grand, avant à parler longuement du cinquième
concile, observent le même silence significatif relativement
à une condamnation de l'origénisme. Deux autres contem-
porains, le panégyriste du patriarche Euthymius et l'histo-

rien Victor de Tunnuna les imitent.


Plus tard, il fut aisé de prendre une décision extra-conci-

liaire pour une condamnation en forme.


TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES MATIÈRES

Pages.

Avant-Propos v

Introduction : Oiugène et l'Origénisme.

Première partie. — L'Origénisme dans Origène.


Chap. 1. — Influences extérieures ix
A. Le Didascalée xi
B. La Philosophie profane xiu
Chap. 2. — Élt-ments de l'Origénisme.
k. Allégorie scripturaire xv
B. Hiérarchie des Personnes divines xx
c. Epreuves successives xxvni
Chap. 3. — Orthodoxe ou hérétique ?
A. Situation dans l'Église xxxiv
B. Qu'est-ce qu'un hérétique? xxxvn
c. Derniers jours xxxix

Deuxième partie. — L'Origénisme après Origêne.


Chap. 1. — De
la mort d'Origène (2-54) à celle de saint
Jean Chrvsostome (407).
A. Adversaires et partisans xl
B. Exploitation d'Origène xlv
c. Campagne de saint Épiphane xlvi
D. Intrigues de Théophile xlviii
E. Où
sont les Origénistes ? xlix
Chap. 2. — Controverses origénistes au vi" siècle.
A. L'Origénisme en Palestine i.i

B. L'édit de Justinien lu
G. Théodore de Scythopolis lv
D. L'Origénisme au Concile de 553 lvi
K. Hjpothèse de M. Diekamp lvu
F. Attitude des papes Lvni
G. Destruction graduelle des écrits d'Origène. lxi
218 ORIGÈNE

LIVRE PREMIER

Le Théologien

Chapitre I

Idée et plan du Periarchon

Chapitre II

La règle de foi.
1. Le Credo d'Origène.
L'autorité de la tradition 7
Le domaine de la foi et celui de la science . . 9
Les six points laissés libres par la règle de foi. 17
Le naufrage dans la foi 23
2. L'hérétique d'après Origène.
Description de l'Jiérélique 23
Principales hérésies combattues 27

Chapitre III

Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit.


1. La Trinité dans l'unité.
Dieu absolument incorporel „ . . . 29
Transcendance des Personnes divines 30
Résumé final du « Periarchon • 32
Le Fils consubslantiel au Père 35
Nécessité des processions divines 37
Ne déplace pas les bo7iies éternelles 38
2. Le Logos.
Abus de ce nom. chez les Gnostiques 39
Le Verbe était dans le pHncipe 41
Le Verbe était en Dieu 44
Le Verbe était Dieu 45
Manière dont le Fils procède 47
Personnalité substantielle du Logos 48
Jugement sur le Logos d'Origène 49
3. La hiérarchie des Personnes.
Objections contre la doctrine d'Origène .... 50
Subordination du Fils au Père, du Saint-
Esprit au Fils 52
Rien cVimproduil en dehors du Père 54
Le Verbe Médiateur . . . 57
TABLE DES MATIÈRES 219

Faut-il pWc»' le Fils? 59


Le Fils Ji'esl pas supérieur au Père 62
Différences dues à l'appropriation (>i
Rien de trop quand il s'agit de la Trinité. . . 66

Chapitre IV
La création.
1. Le monde matériel 68
Lacréation de la matière 08
Le souverain domaine de Dieu 71
Rapports entre les corps et les esprits .... 74
2. L'iiomnie et le lil)re arbitre 7()
Existence du libre arbitre 79
3. La chute des esprits 82
D'où proviennent les différences entre les esprits
créés 83
Satiété du bon/ieur cause de la chute 84
Les degrés de la chute 85

Chapitre V
Les lins dernières.
1. Résurrection des morts 87
Les preuves de la résurrection 88
L'identité des corps ressuscites 92
2. L'enfer et le ciel 95
Tortures des damnés 96
Le r«pos des élus en Dieu 97
3. Consommation 99
L'éternité des peines et des récompenses. . . . 100
La charité ne déchoit pas 103
Restauration univei'selle 105
Fluctuations sans fin du libre arbitre 107
Contradiction irréductible. 108

LIVRE DEUXIÈME

L'Exégète

Chapitre I

Travaux d'e.xégèse.
Commentaires. —
Scolies. Homélies— 111
Ce qui reste de l'œuvre exégétique d'Origène . . . . 113
.

220 ORIGÈNE

Chapitre II

Principes d'exégèse.
1. Inspiration de rÉcrituie 115
Preuves de Vinspiration 116
Psychologie du sujet de l'inspiration 119
Prophètes et devins .
.' . . 120
Qualités d'une parole inspirée 121
Harmonie des Écritures 122
Plénitude de sens des écrits inspirés 123
Imperfections dos Livres saints 124
2. Les trois sens de l'Écriture 125
Le corps, l'âme et C esprit de l'Écriture. ... 126
Trichotomie d'Origène 127
Cas où le sens corporel fait défaut 129
L'absence du sens corporel n'est qu'accidentelle. 132
3. AUégorismo 133
Sources de l'allégorisme d'Origène 133
La lettre tue, mais l'esprit vivifie 134
Règles de l'allégorie 136
Origène et Phiion 138

Chapitre III

Spécimen d'exégèse. Épitre aux Romains, IX.


Liste des écrits utilisés 140
1. Prescience et prédestination 141
Rapports de la prédestination à la prescience 142
Comment la grâce respecte la liberté 144
2. Endurcissement de Pharaon 146
Point de vue polémique d'Origène 146
Comment l'homme s'endurcit et comment Dieu
l'endurcit 148
Endurcissement par multiplication des grâces. 150
3. La comparaison du potier et les vases de colère. 152
Les deux aspects de la doctrine de Paul . . . 152
Mérites démérites antérieurs
et 154
Autre essai de solution 155
4. Le rôle de la grâce 156
Le véritable bien de l'homme '
. . 157
Xo7i volentis neque currenlis 159
Initiative et indépendance de Dieu 161

Conclusion 165
TABLF. DES M.VTIÈRBS 221

Appendice I.

La Trinitt'. Doctrino ot terminologie.


Tonninologio Irinilaiiv 109
Trois passages caracti'i'istiques 170
Valeur des termes 171
Texte dillicile 173

Appendice II.

L'herinéneutii[ue. Principes et terminologie.


I. Passages à étudier 174
II. Les trois sens de l'Écriture 175
III. Règles d'interpréiation 177
1. Lois qui ne peuvent pas s'observer à la
lettre 181
2. Détails ou récits qu'il ne faut pas prendre
à la lettre 184

Appendice III.

Origèiie et la tradition catholique jusqu'à la fin du vi' siècle.



Première période. Origène et ses contemporains. 188
Deu.xième période. —
De la mort d'Origène (254)
à l'entrée en campagne de saint Epiphane (374).
1. Pères grecs partisans ou apologistes d'Ori-
gène 192
Pères grecs admirateurs d'Origène ....
2. 195
3. Pères latins imitateurs d'Origène 196
4. Origène et les hérétiques du iv'-et du v'siècle. 199
5. Adversaires catholiques d'Origène 201
Troisième période. —
De l'entrée en campagne de
saint Epiphane (374) à la mort de saint Jean
Chrysostome (407) 202
Quatrième période. —
De la mort de saint Jean
Chrysostome (407) au concile de 353.
1. Les Pères du v" siècle 208
2. Les conciles de 543 et de 553 210
Paris. — J. Mersch. imp., 4'", Av. de ChàliUon.
a^lÉ,
m

lit
mm.
1^

Vous aimerez peut-être aussi