POLIS Vol 20 - N°1 & 2

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Vol.

20

20
1996-2016

P
Numéros 1 & 2
2015 - 2016

olis
polis a 20 ans

Revue Camerounaise de Science Politique

Faire la science politique


en Afrique aujourd’hui
Hommage à
Yves Alexandre Chouala
Rationalités de la science
politique en question

Dynamiques et dissonances de
la lutte contre Boko Haram

Commémorations comme
espaces de subjectivation
I.S.B.N. 9956-18-000-9

Une publication du Groupe de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (GRAPS)


Présentation
POLIS est une revue de science politique qui accueille les articles en français et en anglais portant
sur la vie politique aussi bien nationale qu'internationale.
Tous les manuscrits et autres correspondances à caractère éditorial doivent être adressés au
rédacteur en chef, B.P. 4975 Yaoundé-Cameroun – Email : [email protected] et
[email protected]
Pour toute demande d'abonnement, d'achat au numéro ainsi que pour les paiements et les
réclamations, s'adresser au responsable des publications du G.R.A.P.S., B.P. 4975 Yaoundé -
Cameroun.
POLIS est une publication du Groupe de Recherches Administratives, Politiques et
Sociales. Les auteurs sont responsables du choix et de la présentation des faits figurant dans cette
revue ainsi que des opinions qui sont exprimées, lesquelles ne sont pas nécessairement celles du
G.R.A.P.S.

Comité Scientifique International : Mbembe, Achille (WISER, Johannesburg), Nzongola Ntalaja,


Georges (Howard University, Etats-Unis), Bach, Daniel (I.E.P., C.E.A.N., France), Lacroix, Bernard
(Université de Paris X - Nanterre, France), Dobry, Michel (Université de Paris X - Nanterre, France),
Parodi, Jean Luc (Association Française de Science Politique, France), Keller, Edmond (James
Coleman Center for African Studies, Etats-Unis), Bakary, Tessy, (Université Laval, Canada),
Mamadou Diouf (CODESRIA, Sénégal), Nzouankeu, Jacques Mariel (Université Cheikh Anta Diop,
Sénégal), Milacic, Slobodan (Université de Bordeaux IV, France), Chevallier, Jacques (Université de
Paris II, France), Kwame Ninsin (A.A.P.S., Ghana), Quantin, P. (I.E.P., C.E.A.N., France), Poirmeur,
Yves (Université de Versailles, France), Courade, Georges (ORSTOM, France), Geshiere, Peter
(Université de Leiden, Pays-Bas), Konings, P. (Université de Leiden, Pays-Bas).

Fondateur : Luc Sindjoun (GRAPS/Université de Yaoundé II, Cameroun)


Directeur de Publication délégué : Patrice Bigombé Logo (GRAPS/Université de Yaoundé II)
Rédacteur en Chef : Yves-Paul Mandjem (GRAPS/IRIC, Cameroun)
Responsables des Publications : - Louis-Marie Nkoum-Me-Ntseny (GRAPS/ESSTIC)
- Blaise Nkené (GRAPS/ Université de Yaoundé II)
Secrétaire de Rédaction : Thierry Nanga Essomba (GRAPS)
Fabrication : Les Presses du GRAPS/Smart Graphics, Tél : (237) 677 76 53 12 / 222 22 96 53

La revue Polis est hébergée en France par Sciences Po Bordeaux sur le site :
www.polis.sciencespobordeaux.fr

Protocole de rédaction
Forme : Les articles ne doivent pas dépasser 35 pages à interlignes 1,5.
Langues : Français et Anglais
Résumé : Les articles doivent être accompagnés d'un résumé d'environ 200 mots. L'auteur
indiquera son nom, son titre académique ou professionnel.
Présentation : Envoyer l'original saisi à interligne 1,5 en y incluant le support magnétique (Email,
CDROM, clé USB), avec les références complètes. Les notes de bas de page doivent être numérotées
de façon continue.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Sommaire

Présentation 1

Résumés 5

Patrice Bigombé Logo et Yves-Paul Mandjem


Yves Alexandre Chouala,un météore iconoclaste de la science politique en
Afrique

Yves Alexandre Chouala (+)


La stratégie sécuritaire régionale de lutte contre Boko Haram :
dynamiques et dissonances 9

Aïcha Pemboura
Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : Essai de 11
caractérisation

Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique
Camerounais. Esquisse d’analyse de la construction historique de la 23
rivalité politique.

Nadine Machikou
Les commémorations comme espace de subjectivation : la Journée
Internationale de la Femme et l’affirmation de soi 39

Claude Abé
Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie :
discontinuités et continuités des trajectoires et figures du vivre ensemble 71
au Cameroun

Alawadi Zelao,
Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun : dynamiques
et réalités dans l’exploitation du Coton 75

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 3


Delmas Tsafack
L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une
décennie d’intervention 101

Pélagie Chantal Belomo Essono


La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et
recherche d’une pensée cognitive 129

Antang Yamo
Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala (1968-2015) : la
reconnaissance d’un universitaire brillant et d’un diplomate compétent 129

Curriculum vitae du Dr Yves Alexandre Chouala 129

4 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Yves Alexandre Chouala,
un météore iconoclaste de la science politique en
Afrique

par
Patrice Bigombe Logo,
GRAPS/Université de Yaoundé II
et
Yves-Paul Mandjem,
IRIC/GRAPS/Université de Yaoundé II

1996-2016 : 20 ans que l’aventure de la Revue Camerounaise de Science Politique


dure. Elle se poursuit, se fortifie, s’enrichit et se diversifie de jour en jour. Le
premier numéro, publié en février 1996, rendait hommage à un politiste
émérite : le Professeur Jean-Louis Seurin. S’inscrivant dans la même
dynamique, ce numéro rend hommage au Dr. Yves Alexandre Chouala qui fut,
pendant longtemps et ce jusqu’à sa mort, le rédacteur-en-chef de la revue.

En effet, il y a un an et quelques mois, disparaissait le Docteur habilité à diriger


les recherches Yves Alexandre Chouala, à l’Hôpital Pitié Salpêtrière, à Paris, en
France, emporté par la maladie. C’était le 29 janvier 2015. Cette mort
inattendue et prématurée a brutalement interrompu une vie humaine et
intellectuelle intense, généreuse et prolifique, une manière de faire la science
politique.

A travers cette publication, la communauté des politistes du Cameroun, de


l’Afrique et du monde qui l’ont connu et vécu avec lui salue et honore sa
mémoire. Elle ne fait pas ici un inventaire ou une exégèse de sa pensée et de son
œuvre scientifique. Ce travail est à faire. Il le sera, certainement, en temps
opportun, par ses collègues et ses disciples dans le champ de la science.

Ce numéro spécial de Polis essaie plutôt, avec beaucoup de modestie, d’aborder


quelques aspects des sujets traités par Yves Alexandre Chouala dans son
immense production scientifique (la sécurité, la lutte politique, les rapports de
genre, la communalisation politique et autres). Dans cette logique, il apparaît,
clairement, que Yves Alexandre Chouala était, incontestablement, un météore
iconoclaste de la science politique. Cela est bien perceptible dans sa trajectoire
intellectuelle et dans sa production scientifique.

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Patrice Bigombe Logo,

S’agissant de sa trajectoire intellectuelle, Yves Alexandre Chouala a été un


nomade intellectuel. Il opérait, sans cesse, des voyages réguliers, riches et
fructueux entre les diverses provinces de la science et réussissait, par ce fait
même, à conjuguer, de manière fort admirable et inédite, la philosophie, la
sociologie, la science politique, les relations internationales, l’analyse de l’action
publique et la géostratégie. Un véritable concentré d’interdisciplinarité. Yves
Alexandre Chouala a exploré, avec beaucoup de bonheur et de succès, les
principaux champs des sciences humaines et sociales contemporaines. La
conséquence vertueuse de ce pèlerinage intellectuel aura été, sans conteste, sa
production scientifique intense et immense.

Par cette production scientifique, Yves Alexandre Chouala aura été un politiste
brillant et prolixe. Sa dense et fructueuse carrière de diplomate n’a pas constitué
un handicap au plein exercice de son métier de politiste et d’enseignant-
chercheur. Au contraire, elle aura été une formidable opportunité d’édification de
l’homme de science. Après une brillante maîtrise en philosophie, option
philosophie comparée, obtenue à l’Université de Yaoundé I, Yves Alexandre
Chouala soutient, de manière successive, et sous la direction du Pr. Luc
Sindjoun, deux thèses de doctorat et une habilitation à diriger les recherches à
l’Université de Yaoundé II au Cameroun.

La première thèse de Doctorat 3ème cycle en Relations Internationales est


soutenue, le 25 janvier 2000, à l’Institut des Relations Internationales du
Cameroun (IRIC). Elle porte sur le thème « Désordre et ordre dans l’Afrique
centrale actuelle. Démocratisation, conflictualisation et transitions
géostratégiques régionales » (avec comme jury : Président : Pr. Bertrand Badie,
Rapporteur : Pr. Luc Sindjoun, Membres : Pr. Tessy Bakary, Pr. Jean Emmanuel
Pondi, Mention : Très Bien avec Félicitations du Jury). La seconde, de Doctorat
en Science Politique, est soutenue le 26 octobre 2003, à la Faculté des Sciences
Juridiques et Politiques de l’Université de Yaoundé II-Soa. Elle porte sur le
thème « L’interétatisme dans le Golfe de Guinée : Contribution du champ à la
sociologie des relations internationales » (avec comme jury : Président : Pr.
Bertrand Badie, Rapporteur : Pr. Luc Sindjoun, Membres : Pr. Augustin
Kontchou Kouomegni, Pr. Jean Emannuel Pondi, Pr. Narcisse Kombi Mouelle,
Mention : Très Honorable avec Félicitations du Jury). Enfin, la thèse
d’habilitation à diriger les recherches est soutenue le 14 avril 2010. Elle porte
sur le thème «De la relativisation des monopoles régaliens à la
transnationalisation de la vie internationale : une trajectoire de recherche à partir
du terrain africain » (avec comme jury : Président : Pr. Bertrand Badie,
Rapporteurs : Pr. Alain Didier Olinga, Pr. Saïbou Issa, Membres : Pr. Jean
Emmanuel Pondi, Pr. Luc Sindjoun (directeur des travaux)).

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Yves Alexandre Chouala, un météore iconoclaste de la science politique en Afrique

Ces travaux académiques de référence vont être complétés par des chapitres
dans des livres édités au Cameroun et à l’étranger, par de nombreux articles
publiés dans des revues spécialisées comme la Revue Camerounaise d’Etudes
Internationales, la Revue Politique et Sociétés, la Revue Juridique et Politique des
Etats Francophones, Le Bulletin de l’APAD, L’Annuaire Français des Relations
Internationales, la Revue Défense Nationale, la Revue Juridique et Politique du
Monde Francophone, la Revue Etudes Internationales, la Revue Internationale de
Sociologie, la Revue Politique Africaine et la Revue Enjeux. Bulletin d’Analyses
Géopolitiques pour l’Afrique Centrale et un ouvrage publié en 2014, soit un an
avant sa mort, aux Editions Karthala à Paris, sous le titre La Politique
Extérieure du Cameroun : doctrine, acteurs, processus et dynamiques régionales.

Yves Alexandre Chouala aura eu une vie intellectuelle et scientifique intense et


féconde. Il appartient maintenant à la postérité, en particulier, à ses collègues et
ses disciples dans la science, de la faire connaître et de la fructifier ici et partout
ailleurs dans le monde.

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Résumés

Yves Alexandre Chouala (+)


La stratégie sécuritaire régionale de lutte contre Boko Haram :
dynamiques et dissonances
La lutte contre Boko Haram est une entreprise de sécurité régionale, c’est-à-dire,
de la sécurité de groupe. Elle transcende les préoccupations sécuritaires
spécifiques des États et s’affirme comme une entreprise commune et collective.
Elle relève aussi de la problématique de l’interdépendance sécuritaire. Elle
oblige en conséquence les sécurités nationales à la coopération et à la
collaboration. À l’épreuve des faits, cette logique compréhensive n’est pas validée
dans le pourtour régional du Nigéria qui constitue l’espace de lutte contre la
secte islamiste.

Prof Mandjem
Le maintien de la paix en Afrique : essai d’analyse politiste du procès
de l’africanisation de la gestion des conflits africains
Le maintien de la paix en Afrique est régi aujourd’hui par deux formes de
subsidiarité complémentaires et hiérarchisés : la subsidiarité de premier
niveau entre l’Organisation des Nations Unies et l’Union Africaine et la
subsidiarité de second niveau entre l’Union Africaine et les Communautés
économiques régionales. Cette configuration de la subsidiarité donne une
orientation pour l’exercice des compétences concurrentes dans la construction
d’un leadership africain en matière de maintien de la paix. Cette réflexion
montre que la participation des organisations régionales africaines au
maintien de la paix en Afrique sous le prisme de l’africanisation de la gestion
de conflits ne peut faire l’économie du processus décisionnel en matière de
maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Aïcha Pemboura
Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : Essai de
caractérisation
La question de la culture stratégique met au goût du jour la prééminence de
l’environnement culturel dans la détermination des choix stratégiques d’un
pays en matière de politique étrangère et de défense. Cet article présente les
trajectoires de la culture stratégique camerounaise. Il montre que la culture
stratégique camerounaise oscille entre domination interne d’une élite civile et
contraintes internationales. Il vise à comprendre le comportement du
Cameroun en matière de politique étrangère et de défense et à cerner les

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Résumés

choix stratégiques du pays depuis son indépendance à la lumière du conflit


frontalier entre le Cameroun et le Nigéria et de la lutte actuelle contre la
secte terroriste Boko Haram.

Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique
Camerounais. Esquisse d’analyse de la construction historique de la
rivalité politique.
La rivalité politique est une autre manière de faire la politique au Cameroun. Elle
fait de la scène politique un lieu de confrontation et d’affrontement entre les
acteurs aux ressources et positions inégales. Cette situation n’est ni spontanée, ni
désincarnée. Elle puise ses racines dans l’histoire politique camerounaise qui a
structuré et continue à façonner la vie politique entre alliés-rivaux et adversaires-
ennemis.

Nadine Machikou
Les commémorations comme espace de subjectivation : la Journée
Internationale de la Femme et l’affirmation de soi
Les formes et pratiques instituées de célébration de la journée internationale
de la femme au Cameroun érigent la commémoration en espace de
subjectivation. Elles sont exemplaires de logiques de disciplinarisation dans
la mesure où elles donnent à voir le contrôle de la société sur la femme, dans
les corps et les esprits. L’émancipation et l’affirmation de soi constituent à cet
égard un horizon lointain.

Claude Abé
Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie :
discontinuités et continuités des trajectoires et figures du vivre ensemble
au Cameroun
Les constructions nationales empruntent généralement deux voies :
celle dans laquelle le sentiment affectif naît de l’attachement d’un
ensemble d’individus à un territoire et la seconde où le sentiment
d’appartenance à une même nation naît de la revendication d’une
histoire commune. Cette réflexion interroge l’expérience et la pratique
camerounaise à la lumière de cette théorie. Elle montre qu’en
définitive, la nation est une construction processuelle permanente

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Résumés

Alawadi Zelao,
Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun :
dynamiques et réalités dans l’exploitation du Coton
L’agro-industrie est un instrument stratégique de développement économique,
technologique et industriel des pays africains. C’est en effet au lendemain des
indépendances que les Etats de l’Afrique noire ont créé et mis en place les
sociétés agro-industrielles qui symbolisent l’innovation des politiques agricoles
dans les ex-colonies. Les sociétés agro-industries ont été installées à l’intérieur
des pays en raison des potentialités agricoles de chaque région. C’est ainsi que le
coton fut introduit dans la partie septentrionale du Cameroun. Pendant
longtemps, en effet, c’est sous la tutelle de la Compagnie française pour le
développement des fibres textiles (CFDT) que l’implémentation et
l’expérimentation de la culture cotonnière vont s’opérer au Nord-Cameroun. En
1974 est créée la Société de développement du coton (Sodecoton), entreprise
nationale en charge du secteur cotonnier au Cameroun. Cette réflexion analyse
le contexte socio-historique qui a présidé à l’avènement de la culture cotonnière
dans la partie septentrionale du pays de même qu’elle procède à un examen
minutieux de l’instrumentalisation sociopolitique de la Sodecoton par les groupes
bureaucratiques et sociaux à l’échelle nationale et locale. A l’observation
empirique, l’agro-industrie cotonnière se présente dès lors, et ce depuis sa
création, comme une véritable arène où des logiques et des pratiques d’acteurs
alimentent à la fois des ruses d’accumulation, des luttes entre groupes
idéologiques et des scènes de conflictualités adossées à des rationalités en procès.
La gestion de l’agro-industrie en contexte postcolonial est loin d’échapper à la
culture de captation prédatrice des ressources publiques.

Delmas Tsafack
L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une
décennie d’intervention
Depuis la fin de la bipolarisation, l’Afrique est le théâtre de plusieurs conflits.
Ceci a accentué la nécessité d’une politique africaine de règlement des conflits.
Le passage de l’OUA à l’Union Africaine en 2002 s’est accompagné d’un
renouvellement des principes de vision et d’action de l’organisation continentale
en matière de paix et de sécurité. Pour palier aux insuffisances de l’OUA, l’UA a,
en 2003, renforcé son dispositif institutionnel et normatif en matière de maintien
de la paix. L’Union Africaine apparaît désormais comme porteuse d’une nouvelle

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Résumés

manière de voir et d’agir dans le domaine de l’action contre les conflits. Pour ce
qui est de la sécurité collective, elle procède à une redéfinition de la notion en
l’élargissant à des nouvelles dimensions. Cet article a pour objet de présenter le
rôle joué par l’UA dans la mise sur pied des stratégies de résolution des conflits
en Afrique. Il voudrait aussi montrer qu’en une décennie d’existence seulement,
malgré quelques difficultés, l’Union Africaine a enregistré des avancées
remarquables dans la gestion des conflits en Afrique. L’article conclut que cette
organisation peut être considérée comme un partenaire sérieux dans la
résolution des crises qui minent le continent.

Pélagie Chantal Belomo Essono


La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique
et recherche d’une pensée cognitive
La question de la science politique se pose en Afrique en termes de démarcation
d’avec le politique. Les ambitions de « totalisation » des pouvoirs politiques
continuent de marquer l’influence du politique sur la discipline et ses acteurs.
L’instrumentalisation de la science politique procède d’un triptyque dans un
ordre de déploiement. Elle s’inscrit primo dans une perspective d’arrimage
scientifique avec la Raison occidentalo-centrée qui réfute une déconstruction et
un questionnement scientifique autre que sa propre objectivation et sa
construction de la réalité scientifique, politique et sociale. Toutefois, si la science
politique en Afrique s’édifie dans l’universalisation de la pensée, elle
s’autonomise et tente de produire un discours scientifique singulier. Secundo,
l’instrumentalisation de cette discipline est l’œuvre du politique dont les ressorts
sont liés à la capture de toutes les forces centrifuges et centripètes avec pour but
de les inscrire dans l’espace de domination politique. Tertio, le discours
scientifique sur le politique contribue à la légitimation du pouvoir politique. La
politique, objet de cette discipline procède à son assimilation au point où la
distanciation entre pensée du politique et production de la science devient ténue.
Le système affinitaire entre le politiste et le politique conduit à une légitimation
du pouvoir autoritaire. La stratégie politique consiste à dévoyer et à transformer
l’essence du propos scientifique afin de l’introduire dans un éthos politique dont
la rationalité est aux antipodes du fondement et de la téléologie de la science. Au
demeurant, la dialectique entre légitimation des pouvoirs et production d’une
rationalité scientifique permet d’interroger la construction et les avancées de
cette discipline dans cette sphère.

8 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La stratégie sécuritaire régionale de lutte contre
Boko Haram : dynamiques et dissonances.

par
Yves Alexandre Chouala (+),
GRAPS-IRIC, Université de Yaoundé II

L’action de Boko Haram est porteuse d’une configuration géostratégique


relativement nouvelle dans le pourtour régional du Nigéria qui constitue
l’épicentre de la zone d’opération de ce groupe combattant1. Cette configuration
est principalement marquée par deux phénomènes : la continuité conflictuelle
régionale et l’interdépendance sécuritaire entre le Nigéria et ses voisins2.
L’activité combattante de Boko Haram est en effet le révélateur de la structure
régionale du pourtour du Nigéria comme un véritable continuum ou « complexe
conflictuel »3 tandis que la mobilisation régionale et internationale contre ce
groupe met en exergue l’existence d’un véritable « complexe de sécurité »4 qui lie
les Etats affectés par la menace de Boko Haram.

En effet, Boko Haram s’inscrit dans une formation conflictuelle transnationale


dans la perspective d’un « complexe conflictuel régional », c’est-à-dire, un
« ensemble de conflits transnationaux dont les liens se renforcent
mutuellement ». Il y a ici à la fois une irradiation régionale des dynamiques
conflictuelles internes et une infiltration des dynamiques régionales dans
l’expression interne des conjonctures conflictuelles5. Dans un tel contexte
d’interrelation conflictuelle entre l’interne et le régional et vice versa, la sécurité
nationale des Etats est pensée en termes de « complexe de sécurité »,
d’interrelation ou d’interdépendance sécuritaire. Il y a dans cette conjoncture
spécifique des intérêts sécuritaires communs entre les Etats et qui font en sorte
que les mesures prises par chaque Etat pour assurer sa sécurité propre profite
nécessairement aux autres et inversement. Dès lors, il serait inutile de faire
cavalier seul dans l’entreprise de sécurisation qui, dès lors, s’inscrit
structurellement dans un cadre régional.

La lutte contre Boko Haram relève ainsi de la sécurité régionale6, c’est-à-dire de


la sécurité de groupe. Se structurant autour des Etats et mettant en avant le
secteur militaro-politique, la sécurité régionale transcende nécessairement les
Yves Alexandre Chouala (+)

préoccupations sécuritaires spécifiques des Etats pour prendre en compte les


menaces communes. La lutte contre Boko Haram induit donc une sécurité
régionale réaliste fondée sur « l’étato-centrisme ». Toutefois, il ne s’agit pas d’un
réalisme sécuritaire absolu ; l’insécurité liée à Boko Haram relevant aussi
largement de « l’énonciation discursive ». Autrement dit, Boko Haram relève
d’une « construction rhétorique de l’insécurité » à travers sa très forte
stigmatisation dans les discours politiques des Etats régionaux, des puissances
étrangères et de la communauté internationale dans son ensemble7. Il s’agit
d’une construction largement stratégique parce qu’étant en rapport avec les
rationalités propres des acteurs engagés dans le jeu de la lutte contre Boko
Haram.

La lutte contre Boko Haram relève ensuite de la problématique de


l’interdépendance sécuritaire en raison de la continuité conflictuelle qui
caractérise la région. Boko Haram met en évidence une densité interactionnelle
criminelle s’inscrivant dans la défrontiérisation ou plutôt l’unification
opérationnelle des territoires des Etats voisins au Nigeria par les acteurs
combattants8. Dès lors, l’option sécuritaire ne peut plus relever uniquement de
l’interne ou du national ; mais plutôt de la stratégie commune. L’ontologie de la
sécurité régionale dans un tel contexte de diffusion transnationale de la violence
est relationnelle. La sécurité régionale, c’est les sécurités nationales en
relations ; lesquelles relations peuvent être positives (la coopération et la
convergence) ou négative (le conflit, la concurrence et la tension). Comme le
souligne Thierry Balzacq « la ligne principale de la sécurité régionale, c’est
l’interdépendance »9.

La lutte contre Boko Haram peut enfin relever de la problématique de la


structuration des rapports de pouvoir et d’influence à l’intérieur d’une relation
d’interdépendance sécuritaire. L’interdépendance structure un cadre commun
d’action sécuritaire. Il s’agit, dans le cadre de la coalition contre Boko Haram de
voir comment le pouvoir se structure à l’intérieur de ce cadre commun et quelles
sont les ressources efficientes entre les mains des acteurs et qui leur permettent
de jouer un rôle déterminant ou plutôt négligeable. Il s’agit, en fin de compte,
d’une problématique de l’ordre régional au sens où l’entend Michel Girard, à
savoir, « la distribution du pouvoir entre acteurs, la hiérarchie qui en découle et
le système dominant-dominé qui s’den instaure »10.

14 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

Région, interdépendance et ordre constituent ainsi le cadre problématique global


de l’analyse de la stratégie commune contre Boko Haram. Il s’agit ici
d’appréhender l’interdépendance comme cadre contraignant de jeu entre acteurs
étatiques et de la manière dont cette interdépendance structure un ordre
régional authentique. Le jeu international étant donc comme tout jeu rationnel
et égoïste, il pose le problème de la construction d’une stratégie sécuritaire
commune entre acteurs égoïstes. Autrement dit, comment, dans un contexte de
distance politique et stratégique entre acteurs, se constitue une stratégie
sécuritaire commune ? Ce contexte n’est-il pas porteur d’une aporie à savoir la
méfiance entre acteurs d‘une part et une opportunité réelle de coopération entre
acteurs méfiants d’autre part ?

C’est l’univers des idées et des hypothèses du « donnant-donnant » en tant que


cadre structurel du « comportement coopératif » qui servira de référentiel
analytique à cette étude11. Ce cadre analytique apparaît bien fructueux pour
soutenir l’intelligibilité de l’étude de la stratégie sécuritaire commune dans la
lutte contre Boko Haram par la mise en exergue des « conditions propres » à
l’émergence de cette stratégie commune d’une part, et d’autre part des manières
d’agir des Etats qui poursuivent leurs intérêts ainsi que les effets de ces
comportements dans la structure sécuritaire régionale dans son ensemble.

A travers cette orientation analytique inspiré de Robert Axelrod, il s’agit


d’envisager l’élaboration de la « stratégie régionale de lutte contre le terrorisme »
lié à Boko Haram comme une structure politico-diplomatique de coopération et
d’interactions entre acteurs étatiques égoïstes ; comme une tentative
d’institutionnalisation des interactions coopérationnelles entre Etats se méfiant
les uns des autres mais contraint de collaborer sous l’effet d’une menace
commune. Ce cadre analytique permet alors de mettre en exergue la stratégie
régionale de la lutte contre le terrorisme comme un cadre de coopération en
l’absence de la confiance et donc dans la méfiance. A bien des égards, la stratégie
régionale de lutte contre Boko Haram entre le Nigeria et ses voisins peut ainsi
être envisagée à travers l’hypothèse axelrodienne comme une structure politico-
diplomatique d’institutionnalisation du « donnant-donnant » entre associés
rivaux et méfiants qui font cependant face à une menace commune. Il s’agit,
pour reprendre les termes de Luc Sindjoun, d’un cadre de promotion et de
consolidation de la coopération entre méfiants associés, mais aussi d’un cadre de
la relativisation de l’égoïsme à cause des contraintes de l’interaction régulière et
de l’acculturation de l’égoïsme à un intérêt commun12.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 15


Yves Alexandre Chouala (+)

D’évidence donc, la stratégie commune influence les logiques sécuritaires


égoïstes des Etats ; mais aussi subit les logiques égoïstes de ces derniers en quête
de maximisation de leurs intérêts. L’intérêt sécuritaire commun n’annule pas les
intérêts égoïstes des différentes parties prenantes, la structure politico-
diplomatique qu’est la stratégie va être elle-même un enjeu de lutte de
positionnement et d’influence entre acteurs. Néanmoins l’intérêt, dans cet enjeu,
« c’est que les égoïstes comprennent qu’ils ne peuvent plus faire cavalier seul,
qu’ils ont intérêt à intégrer (…) d’y penser leurs stratégies »13. En tout cas, la
lutte contre Boko Haram, menace éminemment transnationale, est porteuse
d’une dimension nouvelle dans le dispositif sécuritaire régional. Le nouveau
dispositif, caractérisé par l’élaboration d’une stratégie régionale commune à côté
des mécanismes nationaux ou bilatéraux, se nourrit d’un contexte régional
contraignant particulier (I). Sa mise en œuvre quoique confrontée à de
nombreuses ambiguïtés, constitue cependant une opportunité d’intégration
sécuritaire dans la région (II).

I. Le contexte contraignant de l’élaboration dune stratégie


sécuritaire régionale

La théorie du comportement coopératif met l’accent sur la mise en exergue des


conditions propices au développement de la coopération surtout dans un
domaine sécuritaire où chacun a des raisons d’être égoïste en raison des
impératifs du secret-défense et de la raison d’Etat. Une étude de la stratégie
sécuritaire commune dans la lutte contre Boko Haram devrait donc d’abord
commencer par la mise en perspective du contexte contraignant de son
élaboration qui oscille entre complexe conflictuel régional (A) et interdépendance
sécuritaire (B).

A – Un contexte régional marqué par un complexe conflictuel

Toute structure de régulation des interactions coopérationnelles entre acteurs


est fille du temps local, régional voire mondial dans lequel elle s’élabore. On peut
même émettre l’hypothèse suivant laquelle la compréhension d’une structure de
coopération est tributaire de l’analyse de son contexte historique d’émergence et
de mise en œuvre. S’agissant particulièrement de la stratégie régionale de lutte
contre Boko Haram échafaudée au « Sommet de Paris sur la sécurité au
Nigeria », on peut dire qu’elle naît dans un contexte d’élargissement continu des

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La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

zones d’opération de Boko Haram (1) mettant dès lors en évidence


l’interdépendance sécuritaire qui lie les Etats voisins du Nigeria (2).

1 – Boko Haram dans le sillage d’un spill over conflictuel

Le moins que l’on puisse dire est que Boko Haram est la partie la plus visible de
l’iceberg conflictuel dont le Nord Est du Nigeria apparaît comme l’épicentre14. La
secte combattante constitue en effet une véritable figure métonymique du
« complexe conflictuel régional » qui caractérise la région médiane de l’Afrique.
Avec un enracinement local dans le Nord Est du Nigeria, Boko Haram est
progressivement devenu un facteur d’insécurité régionale du fait d’un spill over,
d’un débordement sur les territoires des Etats voisins du Nigeria15. Il s’est
également affirmé comme une menace à la sécurité internationale du fait de son
intégration dans les réseaux internationaux du jihadisme terroriste16. Boko
Haram apparaît ainsi comme un phénomène criminel transnational pouvant
être abordé sous la perspective d’une « configuration/formation conflictuelle
régionale » ; d’un « complexe conflictuel régional » défini comme un « ensemble de
conflits transnationaux dont les liens se renforcent mutuellement au sein d’une
région donnée, ce qui aboutit à des conflits plus longs et plus difficiles à
résoudre »17.

Boko Haram s’inscrit par son idéologie18 et son mode opératoire dans un
véritable « continuum conflictuel ». Il s’agit d’une insertion géographique à
travers l’unification criminelle des territoires du pourtour du Nigeria par les
combattants boko-haramistes. Il s’agit aussi d’une insertion opératoire de par
son enchevêtrement et son entrelacement avec d’autres logiques et champs
conflictuels de la région19. Dans sa dynamique de spill over géographique, deux
logiques principales accompagnent la régionalisation de Boko Haram,
notamment les logiques de replis et de sanctuarisation et d’autre part les
logiques de ravitaillement20. Autrement dit, le Cameroun, le Niger et d’autres
pays frontaliers du Nigeria comme le Bénin, le Tchad et la RCA qui subissent les
assauts de ce groupe combattant ne constituent pas à proprement parler des
cibles objectifs de son action en raison de l’agenda essentiellement interne du
mouvement21. Les territoires camerounais et nigériens plus particulièrement
sont investis par Boko Haram comme des zones stratégiques de repli tactique
face aux représailles de l’armée nigériane. Les territoires de ces deux Etats sont
également des zones de réorganisation des offensives et contre offensives des
combattants de Boko Haram. En tout cas la logique est ici celle de la

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sanctuarisation des espaces de replis, de réorganisation et d’offensive de Boko


Haram. La deuxième logique qui accompagne le spill over de Boko Haram est
celle de la sanctuarisation des zones de ravitaillement et d’approvisionnement
des combattants aussi bien en denrées alimentaires qu’en armement. La logique
ici est donc celle d’une razzia, du kill, take and go. C’est ainsi que Boko Haram
rase des villages et s’empare des biens en tout genre et attaque des postes de
sécurité pour s’emparer des armes et munitions en accroître ainsi sa puissance
de feu. D’où une véritable « interconnexion régionale de la violence » et surtout
une « confusion entre violence politique et violence mafieuse ». C’est à ce niveau
que l’analyse de l’insécurité liée à Boko Haram s’inscrit dans la
transnationnalisation des relations régionales et intègre parfaitement le champ
analytique des « nouvelles guerres »22 dans leur dimension d’une violence
aveugle et purement criminelle.

2 – Une complexification croissante des répertoires criminels

Le complexe conflictuel régional dans lequel Boko Haram émerge est marqué
par une complexification croissante des répertoires de l’action criminelle. Ce
répertoire est principalement marqué par le trafic de drogue qui apparaît comme
l’une des activités de criminalité transfrontalière les plus lucratives dans
l’ensemble de la région qui forme le pourtour du Nigeria. La circulation et le
trafic illicite des armes à feu de part et d’autre des frontières nationales des pays
du champ opératoire de Boko Haram constituent une autre activité criminelle
éminemment prospère et lucrative. L’ampleur de cette circulation est d’autant
plus importante qu’il s’agit d’une une zone troublée par de nombreux conflits à la
fois internes et transnationalisés. Les embuscades le long des axes routiers plus
connues sous le phénomène des « coupeurs de route »23occupent une place de
choix dans les dynamiques de criminalité transnationale dans lesquelles se
greffent les actions de Boko Haram. Les « coupeurs de route » sont des
associations de bandits opérant à la lisière des territoires frontaliers et
spécialisés dans l’attaque des véhicules privés ou de transport en commun, le vol
du bétail ou le dépouillement des villageois. Les cibles d’attaque intègrent
également les hommes d’affaires, les postes de douane et de gendarmerie. A ces
formes classiques, il convient d’ajouter les tendances émergentes mais très
lucratives de criminalité transfrontalière comme le trafic des migrants et la
traite des êtres humains. Il s’agit d’une forme de criminalité qui émerge
progressivement en Afrique occidentale et centrale et qui touche la zone
frontalière Cameroun-Nigeria compte tenu de sa position de zone de contact

18 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

entre les deux régions. Ce trafic concerne les individus qui sont vendus dans les
marchés régionaux de main d’œuvre, dans les établissements d’endoctrinement
religieux et de fabrication des extrémistes susceptibles de se transformer en
combattants de la foi ou encore dans les réseaux de l’immigration internationale
illicite. Comme autres cibles importantes de ce trafic, l’on a les enfants et les
jeunes filles qui sont par la suite réduits à des pratiques dégradantes comme le
travail forcé, la servitude domestique, la mendicité des enfants ou le trafic de
leurs organes. La prise d’otages est sans doute la forme de criminalité
transfrontalière la plus récente connue dans la région24. Elle consiste en un rapt
d’individus par des groupes de criminels et qui exigent par la suite de fortes
rançons contre leur libération. Au départ orientée vers les enlèvements des
enfants de certains ménages à la lisière de la frontière, cette prise d’otages s’est
ensuite dirigée vers la capture des personnalités étrangères dans l’optique de
renchérir le coût des rançons. On peut enfin, last but not least, mentionner le
trafic des espèces sauvages (criminalité environnementale/faunique),
l’exploitation illicite de l’environnement notamment le trafic des espèces
sauvages et menacées d’extinction et par conséquent protégées et le trafic du
bois. C’est dans ce répertoire complexe que Boko Haram évolue en passant d’un
répertoire à un autre au gré des conjonctures et des opportunités de gains.

On est en partie ici dans ce que Roland Marchal et Christine Messiant appellent
un « système de guerre »25 qui se structure « lorsque des conflits violents,
résultats des dynamiques nationales distinctes, liés à différents acteurs,
modalités et problématiques s’influencent mutuellement, brouillant les
frontières spatiales, politiques et sociales qui les distinguaient initialement »26.
En effet, la frontière entre Boko Haram et le « banditisme transnational » animé
par « les coupeurs de route » est largement brouillée. Il en est de même de sa
démarcation avec « les mondes rebelles » de l’Afrique centrale et occidentale à
l’instar des groupes politico-militaires qui tentent de conquérir le pouvoir
politique.

B - L’interdépendance sécuritaire comme pendant du complexe


conflictuel

Le complexe conflictuel que connaît la région du pourtour du Nigeria a comme


principal effet de rendre les sécurités des Etats qui en font partie
interdépendantes. En effet, dans un contexte d’enchevêtrement interne des
conflits et leur transnationalisation, il est moins évident pour les Etats d’avoir,

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 19


Yves Alexandre Chouala (+)

pour ainsi dire, des destinées sécuritaires singulières. La sécurité apparaît ici
comme un bien non-exclusif que les Etats ont nécessairement en partage. Car les
dispositifs et les politiques sécuritaires d’un Etat bénéficient automatiquement
aux autres. En tout cas, dans le cadre d’une interdépendance sécuritaire avérée,
la sécurité ne peut se construire que dans un cadre régional, dans la perspective
d’un complexe de sécurité (1) d’une part et d’un ordre régional sécuritaire d’autre
part (2).

1 – La sécurité régionale, un complexe de sécurité

Le spill over conflictuel porté par Boko Haram sort la question sécuritaire du
cadre stato-national pour l’inscrire dans l’interdépendance. Comme on le voit
bien avec le Nigeria, faire cavalier seul dans la lutte contre Boko Haram
apparaît comme un véritable travail de Sisyphe compte tenu de l’ancrage
transnational du mouvement. L’on semble assister ici à l’avènement de la
sécurité post-nationale ; à la fin du mythe de l’Etat-sécuritaire monopolisant les
moyens de la violence organisée par l’élimination systématique des groupes
concurrentiels sur le terrain de l’administration de la violence organisée27. La
sécurité dans un contexte de régionalisation des dynamiques d’insécurité
s’inscrit dans ce commun régional que constitue l’insécurité. D’où la perspective
du « complexe de sécurité » comme cadre contraignant dans lequel doit se mettre
en œuvre la stratégie sécuritaire commune28.

Forgé par Barry Buzan en 1983, le « complexe de sécurité »29 renvoie à une
région qui fait face à des problèmes de sécurité communs de telle sorte que la
résolution de ces problèmes appelle l’implication de la communauté toute
entière30. Ici, « la sécurité s’inscrit dans des régions géographiquement et
socialement construites »31 et « l’interdépendance sécuritaire est plus intense
entre les acteurs au sein d’une même région qu’entre les régions »32. Le Nigeria,
le Cameroun, le Niger, le Tchad, le Bénin et la République Centrafricaine font
face, avec cependant des degrés d’affectation divers, à des problèmes de sécurité
communs, à savoir, le terrorisme lié à Boko Haram et le crime organisé
transfrontalier qui font en sorte que chacun de ces pays ne peut valablement
faire face tout seul à ces problèmes sans le soutien et surtout la participation
active des autres. On a ainsi vu que la traque des combattants de Boko Haram
par le Nigeria sans la participation du Cameroun ne pouvait aboutir à une
éradication de ce mouvement. Il en est également du Cameroun dont les efforts
de contention des adeptes et combattants de Boko Haram sont sérieusement mis

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La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

à mal par la mollesse observée du côté du Nigeria. Cette situation montre bien
que l’on est ici en présence d’un « complexe de sécurité » défini par Bary Buzan
comme « un ensemble d’unités dont les processus majeurs de sécuritisation,
désécuritisation ou les deux sont si inter-reliés que leurs problématiques ne
peuvent raisonnablement pas être analysés indépendamment les uns des
autres »33.

2 – Le complexe de sécurité, un ordre régional spécifique ?

La mobilisation régionale et internationale contre la secte combattante Boko


Haram dans le cadre d’une stratégie commune de lutte est porteuse de tout un
ordre régional dont la spécificité semble être de mettre la puissance régionale
qu’est le Nigéria sous dépendance sécuritaire de ses voisins. Ici, le Grand
Léviathan, qui aurait dû être le rempart sécuritaire de ses voisins face aux
menaces sécuritaires aussi bien classiques qu’émergentes, s’affirme comme un
boiteux et ne doit sa position debout que grâce à la béquille de secours que
constituent les pays voisins. C’est une espèce d’ordre régional renversé où les
petits Etats constituent les points de stabilité du Grand Léviathan alors que du
point de vue classique c’est le Grand Léviathan qui sert souvent de parapluie
sécuritaire aux petits. Pourtant, le Nigeria est considéré dans la géopolitique
internationale comme l’Etat-pivot de l’Afrique occidentale et centrale. C’est ce
que note Michel Luntumbue dans une analyse très éclairante : « le Nigeria reste
la puissance structurante de la sous-région ouest-africaine (…). La situation
géographique du pays, au cœur du complexe sécuritaire du Golfe de Guinée, en
fait à la fois un facteur de stabilité sous régionale et paradoxalement un vecteur
potentiel des tensions vers les autres pays riverains »34. En effet, étant le premier
producteur d’hydrocarbures du continent, disposant de 60% de la population
ouest-africaine et de 60% du PIB de la sous-région, surclassant avec ses 80 000
hommes les effectifs militaires cumulés de tous les autres pays d’Afrique de
l’Ouest, le Nigeria fait véritablement figure de puissance régionale35. A l’épreuve
de la lutte, la puissance nigériane apparaît bien comme un tigre de papier et son
incapacité à combattre efficacement et à défaire Boko Haram en fait
paradoxalement un facteur d’insécurité et de vulnérabilité des Etats limitrophes.
C’est, pour reprendre une expression célèbre de Bertrand Badie, « l’impuissance
de la puissance »36 régionale, de l’Etat-pivot qui a perdu sa superbe sécuritaire
au point de vivre grâce à une réanimation ou une perfusion sécuritaire des petits
pays voisins. L’ordre régional spécifique que promeut la stratégie sécuritaire

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Yves Alexandre Chouala (+)

commune connait un véritable renversement en se structurant en marge du


Léviathan régional.

D’autre part, la stratégie sécuritaire commune de la lutte contre Boko Haram, de


par l’effet de contrainte qu’elle exerce sur les Etats voisins qui jusque-là se sont
très peu sentis concernés par la menace de Boko Haram peut aussi être
envisagée comme un indice du succès de la puissance nigériane. A l’instar des
attentats du 11 septembre 2001 qui ont déclenché une vaste coalition mondiale
en faveur des intérêts sécuritaires américains, Boko Haram, problème
sécuritaire au départ essentiellement interne au Nigeria, a favorisé une
mobilisation régionale et internationale « pour la sécurité de ce pays ». Ce qui
constitue un indice d’influence et même une attestation de la puissance. Le
Nigeria ne laisse pas indifférent soit par crainte des représailles de la part de ce
dernier pour les Etats voisins qui ne se seront pas montrés solidaires à son
égard ; soit par peur de voir les intérêts des uns et des autres être remis en cause
par la déstabilisation de ce pays. La lutte contre Boko Haram apparaît pour les
pays voisins comme une véritable contrainte stratégique dont dépend leur propre
sécurité.

Enfin, l’ordre régional spécifique dont promeut la stratégie régionale de lutte


contre Boko Haram semble dominé par les « partenaires extrarégionaux »37 ;
remettant ainsi en cause l’ambition de leadership hégémonique du Nigeria sur
l’ensemble géopolitique de l’Afrique subsaharienne. Comme le note Mélanie
Lepage, « l’appartenance à un complexe régional de sécurité n’est pas limitée aux
Etats situés dans la région. En effet, il inclut également les grandes puissances
dont les actions peuvent générer des externalités dans la région ou qui sont
affectées par les externalités produites au sein du complexe régional de
sécurité »38. La France, à titre principal, et d’autres puissances comme les Etas
Unis, le Royaume Uni, etc. sont parmi les piliers de l’ordre sécuritaire qui se
structure autour de la stratégie commune contre Boko Haram. Il s’agit donc d’un
ordre qui se met largement en place en défaveur des intérêts de puissance du
Nigéria dont la stratégie régionale a toujours été anti-française. En tout cas,
pour certains analystes, le sommet de Paris sur la sécurité au Nigeria a
constitué le symbole fort sinon la fin du moins de la perte de l’influence nigériane
en Afrique de l’Ouest et du centre ; celui-ci apparaissant comme « une opération
de type néocoloniale » qui ne se situe plus uniquement dans une zone d’influence
du Nigeria comme le Mali ou la Côte d’Ivoire mais intègre le Nigeria. Le Nigeria
en tout cas semble avoir basculé dans le champ d’influence de l’Hexagone. Cette

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La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

lecture peut néanmoins, en dépit de sa pertinence, être relativisée à partir de


l’argumentaire d’une évolution de l’échiquier de la stratégie d’influence régionale
du Nigeria. « Plutôt que d’accréditer la thèse d’un déclin de l’influence du
Nigeria, il faudrait y voir une évolution de sa politique extérieure vers une
approche plus pragmatique, qui privilégie plus que jamais le choix du
multilatéralisme, mais aussi un positionnement formel en faveur de la
démocratie (…), ainsi que la nécessaire défense des intérêts économiques et
stratégiques du pays »39.

II. La mise en œuvre ambigüe et opportune de la stratégie


sécuritaire régionale

La stratégie régionale de lutte contre l’insécurité liée à Boko Haram est un cadre
d’institutionnalisation de la coopération sécuritaire entre le Nigeria et ses voisins
dans un contexte marqué par un double complexe : un complexe conflictuel et un
complexe de sécurité. Le complexe conflictuel, convient-il de le rappeler, renvoie
à une situation d’imbrication, d’entrelacement, d’emboîtement et d’inextricabilité
conflictuelle tandis que le complexe de sécurité désigne une situation de sécurité
relationnelle dans le cadre d’une configuration régionale donnée. Comme le
souligne Barry Buzan, la sécurité est un phénomène relationnel. Parce qu’elle
est relationnelle, l’on ne peut comprendre la sécurité d’un Etat donné sans
comprendre le modèle international de l’interdépendance sécuritaire dans lequel
elle s’intègre40. Le site institutionnel d’hébergement de la stratégie régionale est
la Commission du Bassin du Lac Tchad, cadre de la gestion concertée des
questions d’intérêt commun aux pays membres. Dans cette situation spécifique
où la Commission du Bassin du Lac Tchad n’apparaît que comme un simple
réceptacle d’un projet géostratégique conçu ailleurs, la question de sa mise en
œuvre efficiente se pose.

A –La stratégie régionale contre Boko Haram : nature et


ambiguïtés

La nature de la stratégie régionale de lutte contre Boko Haram reste sans doute
à asseoir. Bien que de manière générale, la stratégie renvoie à l’organisation
générale de la défense de l’Etat et à son rapport avec le politique, il reste à voir,
dans un cadre multilatéral marqué des cultures stratégiques et des visions
différentes de la menace liée à Boko Haram, comment va se définir une stratégie

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commune susceptible de servir de leitmotiv pour la mobilisation et la


participation des Etats.

1 – Coalition, alliance ou partenariat : quelle nature pour la stratégie


régionale ?

Dans quel cadre de mobilisation et d’action collective peut-on situer la stratégie


régionale contre Boko Haram ? Cette détermination de la nature de la stratégie
apparaît en effet importante pour une bonne appréciation de sa dynamique de
mise en œuvre et une anticipation pertinente de ses pesanteurs et ambiguïtés.

En appréhendant sa dynamique d’énonciation dans une triple optique de la


structure, de la conjoncture et des acteurs, la stratégie régionale de lutte contre
le terrorisme lié à Boko Haram apparaît bien comme une coalition régionale,
c’est-à-dire, une structure concertée et temporaire d’acteurs étatiques régionaux.
Cette coalition régionale est d’abord le fruit de la conjoncture ; notamment la
« grande perturbation » de la sécurité et de la stabilité des Etats par l’entreprise
guerrière de Boko Haram. Elle est aussi l’effet de la structure spécifique
caractérisée par une osmose conflictuelle entre les Etats. Elle est enfin le reflet
de la nature des acteurs qui sont d’une part des Etats sans véritable emprise sur
leur territoire national et sans capacité sécuritaire adéquate et d’autre part des
groupes armés dont les territoires d’action se situent en-deçà ou au-delà du
cadastre territorial officiel. Comme le souligne Vincent Lemieux dans sa
sociologie des coalitions, « les coalitions sont des ensembles concertés et
temporaires d’acteurs individuels ou collectifs qui ont des rapports de
coopération et de conflit, à la fois pour ce qui est de leurs liens, de leurs
transactions et de leurs contrôles, et qui cherchent pour une structuration du
pouvoir appropriée à prédominer sur leurs adversaires de façon à ce que les
coalisés obtiennent ainsi des avantages plus grands que s’ils n’avaient pas fait
partie de la coalition »41.

La stratégie régionale est née du Sommet de Paris du 17 mai 2014. Elle est donc
à la fois le fruit d’une concertation et d’une négociation. Elle est nécessairement
temporaire car mise sur pied pour faire face à une menace précise ; celle
notamment de Boko Haram. Les Etats qui participent à cette stratégie sont des
acteurs rationnels à la recherche de la maximisation de leurs gains sécuritaires ;
de sorte que c’est la recherche de ces gains et avantages sécuritaires qui est à
l’origine de la participation des Etats à la stratégie : « c’est pour obtenir

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La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

davantage de bénéfices que s’ils s’agissaient seuls ou dans une autre coalition
que des acteurs à former une coalition victorieuse »42.

La stratégie régionale envisagée dans la perspective de la coalition est un espace


de jeu entre acteurs étatiques ; où chacun joue en fonction de ses ressources ;
lesquelles ressources déterminent le pouvoir des acteurs à l’intérieur de la
coalition. Ce sont aussi ces ressources qui procèdent à la structuration du
rapport de pouvoir à l’intérieur de la coalition. La question peut donc se poser de
savoir quel est l’Etat-pivot à l’intérieur de la coalition régionale contre Boko
Haram ? Sur ce point les réponses divergent en fonction de la ressource que l’on
prend pour variable de pouvoir. Si on prend les ressources purement militaires,
le Nigeria aurait pu s’affirmer comme l’Etat-pivot de la coalition au regard de ses
80 000 actifs qui dépassent les effectifs cumulés de tous les autres Etats de la
coalition. L’avantage matériel du Nigeria est cependant obéré par son
inconsistance opérationnelle et son déficit diplomatique qui font en sorte que sa
position de pivot de la coalition est largement menacée par le Tchad qui jouit à la
fois d’une bonne réputation militaire et surtout d’une plus grande proximité
diplomatique avec la France qui exerce une influence certaine sur la coalition en
gestation.

En tant que coalition, la stratégie régionale peut donc être considérée comme
renvoyant à une alliance. « On peut en effet, souligne Vincent Lemieux,
considérer les alliances comme des ensembles plus ou moins concertés et plus ou
moins durables d’acteurs, dont les coalitions ne seraient qu’un type parmi
d’autres, plutôt concerté que non concerté, et plutôt durable que non durable »43.
En effet, la stratégie régionale se fonde sur le fait que les participants ont des
intérêts communs en matière de sécurité nationale, une tradition de
collaboration dans le domaine sécuritaire et surtout « une croyance dans la
valeur de l’action collective par opposition à l’action individuelle »44. Ainsi, pour
ce qui est de la tradition de coopération, on peut relever l’accord signé en 2012
pour la mise en place de patrouilles mixtes le long de leur frontière commune
entre le Nigéria et le Niger ainsi la création en 2011 d’une Commission mixte de
sécurité transfrontalière entre le Cameroun et le Nigeria. La croyance en la
valeur de l’action commune a pour sa part suffisamment été mise en exergue par
les différentes déclarations des Chefs d’Etat à l’issue du sommet de Paris. Le
président nigérian Goodluck Jonathan affirme ainsi qu’ « il s’agit de rassembler
les efforts des pays de l’Afrique occidentale afin de contrer les terroristes. Le
Boko Haram n’est plus seulement une affaire locale (…) Il s’agit en fait de l’Al

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Yves Alexandre Chouala (+)

Qu’aida de l’Afrique occidentale ». Le président béninois Boni Yayi parle


également de l’engagement des Chefs à « mutualiser les efforts et les ressources
aussi bien au niveau national, au niveau régional qu’au niveau international ».
Quant au président Mamadou Tandja, il fait la même profession de foi de l’action
commune : « Nous avons décidé au niveau des cinq pays présents de mutualiser
nos moyens, que ce soient les moyens de renseignement ou de nos capacités
opérationnelles, afin de faire face aux problèmes du terrorisme et en particulier
de faire face aux problèmes du terrorisme de Boko Haram ». Il est en cela en
phase avec le président Paul Biya pour qui « Le problème Boko Haram a donc
cessé d’être uniquement un problème nigérian. Il est devenu un problème
régional sinon continental »45.

Bien que renvoyant davantage à une coalition, la stratégie régionale prend


également l’allure d’une alliance parce que marquée par « 1/une relation de
collaboration entre Etats ; 2/ une agrégation (potentielle) des forces militaires ; 3/
des intérêts communs en matière de sécurité nationale, qui tiennent
généralement à la perception commune d’une menace extérieure ; 4/ une
croyance dans la valeur de l’action collective par opposition à l’action
individuelle »46.

La stratégie régionale tente également de se mettre en œuvre dans la


perspective d’un partenariat pour la sécurité ayant pour but d’accroître la
stabilité, de diminuer les menaces et d’établir des relations de sécurité renforcées
entre les différents pays partenaires. Il s’agit d’une espèce de partenariat
international pour la sécurité en Afrique centrale et occidentale qui regroupe les
pays extrarégionaux que sont la France, les Etats Unis, le Royaume Uni, l’Union
européenne et les Etats africains notamment le Nigeria, le Tchad, le Cameroun,
le Bénin, le Niger et la RCA dans une plate-forme sécuritaire commune. A
l’origine de ce partenariat, semble se trouver le fait que « de nombreuses
puissances extérieures à la région sahélienne, mais également extérieures au
continent africain, possèdent des intérêts stratégiques en Afrique de l’Ouest [et
plus précisément le Nigeria] qu’ils entendent défendre et préserver »47. En tout
cas, nombre de pays aussi bien en Afrique qu’au Nigeria ont des intérêts
stratégiques communs dans le pourtour régional de ce pays ; ce qui fait que toute
mesure sécuritaire prise pour protéger quelques intérêts stratégiques
particuliers que ce soit profitent à l’ensemble des Etats. Les intérêts stratégiques
communs qui justifient une action commune sont à la base de l’orientation du
partenariat vers l’interopérabilité envisagée comme la capacité des systèmes, des

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La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

unités ou des forces à fournir des services et à en recevoir en retour afin de bien
travailler ensemble. Dans le cadre du partenariat sécuritaire contre la montée
du terrorisme dans le pourtour du Nigeria, « les partenaires (France, Etats Unis,
Royaume Uni, Union Européenne) s’engagent à soutenir [la] coopération
régionale et à renforcer le dispositif international de lutte contre Boko Haram et
de protection des victimes (…) à accélérer la mise en place de sanctions
internationales, en priorité dans le cadre des Nations Unies, à l’encontre de Boko
Haram, Ansaru et leurs principaux responsables »48.

2 – Les ambiguïtés de la stratégie régionale

La stratégie régionale, comme tout instrument d’influence dans un champ


stratégique donné, présente quelques ambiguïtés liées tant à la nature même de
la structure qu’aux jeux et calculs des acteurs qui en sont parties prenantes.

La stratégie régionale porte d’abord pour ainsi dire une ambiguïté fondatrice en
rapport avec ses contextes et lieux d’élaboration. Comme cela a déjà été souligné,
la stratégie naît dans un contexte de grande vulnérabilité interne du Nigeria,
pays africain pivot qui a toujours revendiqué l’avènement en Afrique d’une « pax
africana » sous la houlette du Nigeria. L’aspiration du Nigeria au rôle de
« guidance » dans une Afrique « décomplexée » a historiquement structuré les
lignes directrices de sa politique africaine et de sa relation avec les ex-puissances
colonisatrices notamment la France. Le Nigeria, conscient de l’immensité de sa
démographie, de ses ressources pétrolières et de son important marché a
toujours promu en Afrique une espèce de doctrine de Monroe à savoir l’Afrique
aux Africains. Dans la promotion de cette doctrine, le Nigeria se donne la
mission de katckika, de vigile, bref, de rempart de l’autonomie et de
l’indépendance du continent ainsi que cela transparaît clairement dans cette
affirmation du Président Olusegun Obasanjo : « s’il est un pays africain ou de
race noire qui dispose de potentialités pour devenir une puissance moyenne en
termes politiques, économiques, technologiques et militaires durant ce siècle,
c’est bien le Nigeria. Et jusqu’à ce qu’une telle situation ne soit réalisée, l’Afrique
ne sera pas laissée aux Africains par le monde extérieur »49.

Il s’ensuit logiquement, avec une telle posture internationale, que le Nigeria


développe en Afrique une politique régionale anti-française. : « La France est au
centre de l’obsession sécuritaire du Nigeria dans ses relations avec ses voisins.
C’est pour cette raison que ses militaires conçoivent la sécurité en termes

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strictement défensifs »50. Il y a donc cette ambiguïté fondatrice où le Nigeria


s’engage dans une stratégie sécuritaire commune avec la France dans un
contexte où celle-ci reste toujours pour celui-là un problème stratégique objectif.
Cette stratégie serait-elle alors une autre démarche de containment ou de
surveillance de la France dans sa sous-région ? « L’alliance et l’intégration dans
un cadre institutionnel commun est donc le principal mode d’action choisi par le
Nigeria dans sa politique d’influence sous régionale pour contrer celle de Paris
(…). Les politiques d’alliances et d’institutionnalisation régionales font partie
des ressources stratégiques des puissances moyennes, désireuses de sécuriser
leur espace politique, et constituent un moyen de contenir l’influence d’autres
Etats plus puissants ou concurrents »51.

Le lieu d’élaboration est aussi porteur d’ambiguïté. Ce lieu est la France avec
toute la symbolique néocoloniale que cela implique. Beaucoup d’analystes ont
d’ailleurs eu à critiquer cette autre réunion sur la sécurité en Afrique se tenant
en dehors de l’Afrique ; sans la participation des organisations sous-régionales
(CEDEAO, CEEAC) et régionales (Union Africaine) alors même que l’Union
Européenne y a pris part. La question de la légitimité locale et régionale de la
stratégie reste ainsi posée.

B - Une structure opportune de coopération sécuritaire

En dépit des ambiguïtés liées à son élaboration et à sa mise en œuvre, la


stratégie régionale de lutte contre le terrorisme liée à Boko Haram apparaît
malgré tout comme une structure opportune de coopération sécuritaire. Son
intérêt, c’est que les acteurs égoïstes aussi bien africains qu’extra-africains
prennent conscience d’agir de façon concertée et de gérer leurs intérêts égoïstes
dans le cadre d’une structure commune d’action. La stratégie commune de
sécurité, c’est une espèce d’institutionnalisation de la coopération dans la
concurrence, et de la défense des intérêts individuels par le détour de l’action
commune.

1 – Un cadre de gestion du dilemme sécurité-souveraineté

Tous les pays, dès lors qu’ils doivent agir dans un cadre collectif pour ce qui est
des questions de sécurité et donc de souveraineté et d’interdépendance, doivent
toujours au préalable trouver une réponse à ce qu’on peut convenir d’appeler ici
le dilemme sécuritaire. Celui-ci s’énonce souvent ainsi : doit-on obtenir la sécurité

28 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

au prix de la souveraineté ou alors préserver sa souveraineté au prix de sa


sécurité ? Comment dans le cadre d’une menace transnationale et de la nécessité
de la riposte commune qu’elle impose, parvenir à un juste équilibre entre
préservation de la sécurité et sauvegarde de la souveraineté ? Dans le cadre des
pays membres de la stratégie sécuritaire commune liée à la lutte contre Boko
Haram, le Cameroun et le Nigeria semblent les deux pays les plus concernés par
ce dilemme.

Pour le Cameroun, ce dilemme s’est toujours posé avec acuité dans sa relation
sécuritaire avec le Nigeria et la réponse que ses stratèges ont souvent donnée a
structuré son attitude et même son appréciation des enjeux liés à cette
coopération sécuritaire. Le Cameroun semble avoir toujours pris l’option de la
préservation de la souveraineté tout en garantissant ses intérêts sécuritaires.
Cette option a tout particulièrement été affirmée à l’égard du Nigeria qui a
toujours été la principale menace stratégique du Cameroun dans son voisinage
immédiat. De plus, le Nigeria lui-même ne s’est pas toujours affirmé comme un
partenaire de bonne foi au regard de ses ambitions territoriales sur le Cameroun
ou encore de sa politique officielle de « camerounisation » des populations
d’origine nigériane. C’est la raison pour laquelle le Cameroun reste
particulièrement vigilent sur sa coopération sécuritaire avec le Nigeria et tente
d’éviter ce qui pourrait à la longue conduire à un fait accompli stratégique. D’où,
par exemple, son refus des « patrouilles mixtes » ou de l’octroi du droit de
poursuite des miliciens de Boko Haram sur son territoire par le Nigeria et sa
préférence pour les « patrouilles simultanées » et la mise sur pied de
commissions mixtes bilatérales de sécurité.

Pour le Nigeria, l’impératif de la sauvegarde de la sécurité face à la spectaculaire


capillarisation de la violence de Boko Haram semble l’avoir emporté sur l’égo
souverainiste et l’ambition messianique de l’influence continentale. En
demandant au président français d’abriter un sommet régional sur sa propre
sécurité et en passant par ce dernier pays pour obtenir la participation de ses
voisins, le Nigeria semble s’être incliné devant l’évidence du statut de la France
comme puissance internationale influente dans le pourtour immédiat du
Nigeria. Ici, l’impératif de la sécurité nationale est à la base de la réorientation
de la politique régionale et internationale du Nigeria dans un sens qui pourrait à
première vue remettre en cause son ambition et son statut réel de première
puissance africaine.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 29


Yves Alexandre Chouala (+)

2 – Une garantie institutionnelle pour les Etats voisins du Nigeria

Dans un contexte où le Nigeria a souvent représenté une menace objective pour


l’ensemble de ses voisins, un cadre institutionnel constitué d’acteurs parmi les
puissants de la scène stratégique mondiale constitue une garantie
institutionnelle pour la coopération sécuritaire. La plupart des voisins du
Nigeria par ailleurs francophones ont toujours évité une coopération sécuritaire
bilatérale poussée avec dernier. Il s’est toujours agi d’éviter un voisin trop
puissant et n’ayant pas toujours donné des garanties de loyauté d’une part et de
se préserver une réelle autonomie sécuritaire même sur des questions de
stabilité régionale d’autre part. La création entre le Cameroun et le Nigeria
d’une Commission Mixte de Sécurité Transfrontalière a donc logiquement pu
apparaître comme un minimum diplomatique sans traduire un véritable
engagement des deux Etats à coopérer. « La portée de leurs actions, relève
Pauline Guibbaud, reste néanmoins très limitée du fait d’un faible degré de
collaboration entre les deux forces armées, chacune restant cantonnée sur son
territoire. Le président nigérian Goodluck Jonathan a ainsi appelé Paul Biya à
plus de coopération transfrontalière en demandant notamment un droit de
poursuite sur le territoire camerounais, proposant la réciprocité de ce droit (…)
De son côté, le président camerounais voit d’un très mauvais œil cette
proposition nigériane et craint sans doute que cela ne porte atteinte à la
souveraineté nationale »52.

La stratégie régionale commune en tant que cadre multilatéral semble donc la


meilleure garantie institutionnelle de la coopération sécuritaire entre le Nigeria
et ses voisins. D’abord elle permet, en raison de la participation des grandes
puissances internationales et plus particulièrement de la France qui a toujours
joué le rôle de parapluie sécuritaire pour certains pays régionaux concernés, de
contrebalancer la trop grande influence du Nigeria et même de contenir ses
velléités et caprices de puissance. Ensuite la stratégie permet à chaque pays
membre de la stratégie régionale d’exercer une espèce de droit de regard sur la
conduite de tous et de chacun. Enfin, le cadre de la stratégie régionale peut aussi
constituer un excellent lieu d’exercice du droit de regard et de contrôle de
l’attitude du Nigeria par les grandes puissances partenaires.

Conclusion

30 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

L’organisation et la mise en œuvre de la riposte contre la menace terroriste et


fortement déstabilisatrice liée à Boko Haram permet de mettre en exergue deux
évidences. D’une part, l’ensemble de la région du pourtour du Nigeria s’inscrit
dans un « continuum conflictuel » ; un « complexe conflictuel régional » au regard
de la familiarité des facteurs structurels et conjoncturels qui nourrissent les
dynamiques d’instabilité. D’autre part, la problématique sécuritaire dans cette
région se pose inéluctablement en termes de « complexe de sécurité » ; c’est-à-dire
de sécurité d’ensemble. C’est dans ce contexte que s’élabore la stratégie régionale
de sécurité dans la lutte contre Boko Haram. Il s’agit d’une stratégie qui renvoie
à une institutionnalisation politico-diplomatique de la coopération entre Etats
historiquement méfiants les uns envers les autres. La coopération sécuritaire
face à la menace terroriste commune n’annule pas la spécificité et la persistance
des intérêts égoïstes. C’est donc une organisation dynamique de la coopération
dans la méfiance, de l’interopérabilité dans la concurrence. Cela rend à bien des
égards la mise en œuvre de la stratégie régionale ambiguë mais en même temps
constitue une opportunité d’intégration sécuritaire régionale qu’elle offre aux
Etats qui en font partie.

Notes
1. Cf. AkinolaOlojo, Nigeria’s Troubled North : Interrogating the Drives of Public Support for Boko
Haram, ICCT Research Paper, October 2013.
2. Lauren Ploch Blanchard, Nigeria’s Boko Haram: frequently Asked Questions, CRS Report, June 2014.
3. SihemDjebbi, « Les complexes conflictuels régionaux », Fiche de l’IRSEM n° 5, mai 2010.
4. Voir sur ce point Barry Buzan, People, States and Fear : The National Security Problem in
International Relations, Harvester Wheatsheaf, Hemel Hempstead, 1983; et du même auteur An
Agenda for International Security Studies in the Post Cold War Era, London, Longman, 1991.
5. Pauline Guibbaud, « Boko Haram : le Nord-Cameroun dans la tourmente ? », Eclairage du GRIP, 3
juin 2014.
6. Voir sur la notion de sécurité régionale Thiery Balzacq, « La politique européenne de voisinage, un
complexe de sécurité à géométrie variable », Cultures & Conflits, N° 66, 2007
7. « L’urgence d’agir ensemble contre les menaces », The Spark, 28 mai 2014.
8. Priscilla Sadatchy, « Boko Haram : un an sous état d’urgence », Note d’Analyse du GRIP, 3 juin 2014.
9. Thierry Balzacq, op. cit.
10. Michel Girard, « Les conceptions de l’ordre dans les relations internationales » dans « Ordre et
désordre dans le monde », Les Cahiers Français, n° 263, 1993
11. Robert Axelrod, Donnant, donnant. Théorie du comportement coopératif, Paris, Odile Jacob, 1992
12. Luc Sindjoun, « Le gouvernement de transition : éléments pour une théorie politico-constitutionnelle
de l’Etat en crise ou en reconstruction », dans Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic. Démocratie
et Liberté : tension, dialogue, confrontation, Bruxelles, Bruylant, 2007
13. Idem
14. Alain Vicky, « Aux origines de la secte Boko Haram », Le monde diplomatique, avril 2012.
15. Pauline Guibbaud, Boko Haram. Histoire d’un islamisme sahélien, Paris, L’Harmattan, 2014
16. Mehdi Mekdour, Al Quaida au Maghreb Islamique : une menace multidimensionnelle, Note d’analyse
du GRIP, 26 août 2011. Boko Haram a fait allégeance à l’Etat Islamique.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 31


Yves Alexandre Chouala (+)

17. SihemDjebbi, « Les complexes conflictuels régionaux », op. cit., p.2.


18. Andrew Walker, « What is Boko Haram ? », United States Institute of Peace Special Report, 308, 2012
19. Marc Antoine Pérouse de Montclos, « Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria : insurrection
religieuse, contestation politique ou protestation sociale ?», Questions de Recherche/Research
Questions, n° 40 Juin 2012.
20. Priscilla Sadatchy, « Boko Haram : un an sous état d’urgence », op. cit.
21. Freedom Onuoha, « The Islamic Challenge : Nigeria’s Boko Haram Crisis Explained », African
Security Review, Vol. 19, N° 2, 2010, pp. 54-57
22. Mary Kaldor, New and Old Wars : Organized Violence in a Global Era, 2nd Ed., Cambridge, Polity
Press, 2006.
23. Issa Saibou, Les coupeurs de route. Histoire du banditisme rural et transfrontalier dans le bassin du
Lac Tchad, Paris, Karthala, 2010.
24. Issa Saibou, « La prise d’otages aux confins du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad : une
nouvelle modalité du banditisme transfrontalier », Polis/RCSP/CPSR, Vol. 13, n° 1&2, 2006.
25. Roland Marchal et Christine Messiant, Les chemins de la guerre et de la paix en Afrique orientale et
australe, Paris, Karthala, 1997.
26. Ibid.
27. Xavier Crettiez, Les formes de la violence, Paris, La Découverte, 2008, « Col. Repères ».
28. Thierry Balzacq, « La sécurité : définitions, secteurs et niveaux d’analyse », Fédéralisme,
Régionalisme, Vol. 4, 2003-2004.
29. Barry Buzan, People, States and Fear,op. cit.
30. Voiraussi Marianne Stone, « Security According to Buzan : A Comprehensive Security Anaysis »,
Security Discussion Papers Series 1, Spring 2009.
31. Sihem Djebbi, op. cit., p.1
32. Idem
33. Barry Buzan et al., Security : A New Framework for Analysis, Boulder, Lynne Rienner, 1998, p. 201
34. Michel Luntumbue, Le Nigeria dans la géopolitique ouest-africaine : atouts et défis d’une puissance
émergente, Note d’Analyse du GRIP, 18 juillet 2013.
35. Joylon Ford, « Nigeria : a ‘pivotal power’ in emerging markets ? », African arguments, 1, mars 2012
36. Bertrand Badie, L’impuissance de la puissance. Essai sur les incertitudes et les espoirs des nouvelles
relations internationales, Paris, Fayard, 2005.
37. Bérangère Rouppert, Les Etats sahéliens et leurs partenaires extrarégionaux. Le cas de l’Union
Européenne en particulier, Note d’Analyse du GRIP, 6 décembre 2012.
38. Mélanie Lepage, « Vers le développement d’une communauté de sécurité pluraliste en Amérique du
Sud avec la mise en place de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) », Essai de Maîtrise en
Etudes internationales, Institut Québécois des Hautes Etudes Internationales, Université de Laval,
2011, p. 14.
39. Michel Luntumbue, op. cit., p.17.
40. Barry Buzan, « New Patterns of Global Security in the Twenty-First Century », International Affairs,
67.3, 1991, pp. 431-451.
41. Vincent Lemieux, Les coalitions. Liens, transactions et contrôles, Paris, PUF, 1998, p. 35.
42. Ibid., p. 23
43. Ibid., p. 30
44. Ibid., p. 106
45. Tous ces propos ont retranscrits dans le journal The Spark du 28 mai 2014.
46. Vincent Lemieux, op. cit., p. 166.
47. Bérangère Rouppert, op. cit., p. 2.
48. Sommet de Paris pour la sécurité au Nigéria (17 mai 2014), Conclusions.
49. Cité par Daniel Bach, Nigeria, un pouvoir en puissance, Paris, Karthala, 1988, p. 202.
50. Issa Saïbou, « La problématique sécuritaire aux abords du Lac Tchad » Ngaoundéré Anthropos, 1996.
51. Michel Luntumbue, op. cit., p. 9.
52. Pauline Guibbaud, op. cit., p. 3.

32 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La stratégie sécuritaire régionale de la lutte contre Boko Haram : dynamiques et dissonances

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Le maintien de la paix en Afrique : essai d’analyse
politiste du procès de l’africanisation de la gestion
des conflits africains

Par
Yves Paul Mandjem,
IRIC, GRAPS-Université de Yaoundé II

Le schéma de la sécurité collective hérité de la fin de la seconde guerre mondiale


révèle que le maintien de la paix en Afrique est régi par deux formes de
subsidiarité complémentaires et hiérarchisées : la subsidiarité de « premier
niveau » entre l’Organisation des Nations Unies (ONU) et l’Union Africaine
(UA), et la subsidiarité de « second niveau » entre l’UA et les Communautés
économiques régionales (CER). La responsabilité principale étant du ressort du
Conseil de Sécurité des Nations Unies. Cependant, la construction d’un
leadership africain en matière de maintien de la paix à partir des années 2000
répond à une volonté d’autodétermination dans le maintien de la paix en
Afrique. L’Architecture africaine de paix et de sécurité repose sur cinq piliers :
un Conseil de paix et de sécurité (CPS), un Conseil des sages, un Système
d’alerte précoce et une Force africaine en attente (FAA) et un Fonds de la paix1 ;
auxquels il faut ajouter les mécanismes régionaux de paix et de sécurité mis en
place par les communautés économiques régionales (Kenfack et Koagne Zouapet,
2011 : 105-123 ; Ndiaye 2014). Elle atteste d’une régionalisation à configurations
multiples et hiérarchisées du maintien de la paix en Afrique. La « subsidiarité de
second niveau »spécifique à la construction régionale par paliers ou « step by
step » en Afrique, principe à la base de toute intervention, explique la répartition
même ambigüe des compétences entre les organisations africaines
intervenantes.

La subsidiarité suppose « une aide, un soutien, ce qui n’exclut pas la possibilité a


priori d’une double action. Un niveau peut alors intervenir pour assister l’autre,
ce qui ne signifie pas automatiquement une privation du droit d’agir pour ce
dernier » (Liopis 2012 : 80). La subsidiarité donne une orientation pour l’exercice
des compétences concurrentes (De Velasco Vallejo, 2002 : 563) dans la

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 37


Yves Paul Mandjem

construction d’un leadership africain en matière de maintien de la paix.


Opératoire en ce sens qu’elle permet de laisser la place à l’organisation la plus
habilitée à réussir l’opération au risque de passer à l’autre le relais de la
conduite des opérations, elle a permis de tourner la page à l’indifférence et à
l’inaction, consacrant dorénavant une capacité africaine de réaction rapide face
aux crises et aux conflits, en témoignent la triple possibilité d’action et le relais
observé entre les niveaux sous-régional (CER) et régional (l’UA), et par la suite
celui du niveau mondial (l’ONU) (Mali, RCA, Libye, Côte-d’Ivoire), en dépit des
résultats modestes (Tercinet 2012 : 593-611).Notre propos est de dire que
l’analyse de la participation des organisations régionales africaines au maintien
de paix en Afrique sous le prisme de l’africanisation de la gestion des crises et
des conflits africains ne peut faire l’économie du processus décisionnel en
matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales ; mieux de
l’environnement et des rapports de forces juridiques internationaux qui font de
l’Afrique un partenaire sérieux mais pas toujours déterminant et indispensable
dans le maintien de la paix sur le continent.

Le terme « maintien de paix », bien que supplanté dans la littérature par celui
plus englobant d’« opérations de paix » (Hatto 2015 : 7), reste le terme générique
utilisé parles Nations Unies pour qualifier l’intégralité de ses opérations :
l’assistance humanitaire, la supervision d’élections, le rapatriement des réfugiés,
le désarmement, la démobilisation et la réintégration des anciens combattants
(DDR), la restauration de la capacité de l’Etat à maintenir la sécurité dans le
respect de l’Etat de droit et des droits de l’homme ou le soutien à la création
d’institutions de gouvernance légitimes et efficaces (Nations Unies 2008 :
chapitre 2). Le maintien de la paix est une opération paramilitaire non coercitive
établie par le Conseil de sécurité de l’ONU avec le consentement des parties
intéressées, afin d’aider à restaurer ou à maintenir la paix dans une zone de
conflit (Smouts, 2006 : 326). En Afrique, cette opération peut être conduite par
l’ONU et les organisations régionales ou sous-régionales ; chacune de ces
organisations pouvant le faire, seule ou en coopération avec les autres. Dans le
champ du maintien de la paix, l’Afrique n’est pas un bloc homogène et l’Union
africaine qui réalise son unité au plan objectif, n’est qu’un des intervenants
parmi tant d’autres. Le maintien de la paix en Afrique est donc un champ de
forces, un champ de luttes, mais aussi un microcosme où s’engendrent des
intérêts particuliers indépendants de ceux des sociétés qu’on est censé protéger

38 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

ou libérer. La « subsidiarité de second niveau » est également travaillée par des


dysfonctionnements rendus possibles par les conflits de compétences, de sens et
d’intérêts entre les organisations africaines intervenantes. Cependant, dans le
processus d’africanisation de la gestion des conflits, le CPS est « sans doute
l’innovation institutionnelle la plus ambitieuse de l’Union Africaine » (Lecoutre,
2009) car, il offre le cadre général d’élaboration des politiques, outils et
instruments de gestion des conflits en Afrique.

La participation active des organisations régionales africaines au maintien de la


paix en Afrique est généralement appréhendée comme relevant d’une stratégie
d’africanisation de la gestion des conflits. Si cette confusion entretenue et
erronée mérite quelques clarifications, il est important de souligner que l’idée
d’africanisation de la gestion des conflits africains n’est pas une idée neuve. Tout
travail de définition de cette expression ne peut ignorer l’influence de la
conjoncture historique particulière qui l’impose comme référentiel de la
construction d’un univers de paix, de progrès et de développement en Afrique. Il
s’agit d’un contexte marqué par les impacts néfastes de la constitution de
l’Afrique comme « site privilégié de la violence politique interne » (Mandjem,
2014 : 17), l’inaction et l’indifférence de l’Afrique et de la communauté
internationale face aux conflits africains, le désengagement progressif des
grandes puissances à déployer des effectifs militaires sur les terrains africains, le
ressentiment de plus en plus insupportable de la multiplicité des ingérences
extérieures dans les situations de recherche de solutions aux conflits africains
(Marchal et Banégas, 2005 : 5-19). Il est utile de donner, par la pluralité des
niveaux d’intervention possibles, une chance à l’action et à la paix. Dans le cadre
de cette réflexion, l’africanisation de la gestion des conflits ne signifie nullement
le « partage global du fardeau » de la paix en Afrique. Elle procède de la volonté
affirmée des dirigeants africains de jouer un rôle central dans la promotion de la
paix sur le continent, au nom du principe de l’auto-détermination et du
leadership africain. En ce sens, elle véhicule un volontarisme politique dont les
buts se déclinent ainsi qu’il suit: une rupture vis-à-vis du paternalisme
occidental, une rupture d’avec l’attentisme, l’inaction et l’indifférence, mais aussi
la restitution aux Africains de leur fierté perdue. Vue sous cet angle,
l’africanisation de la gestion des conflits en Afrique est un mythe qui produit des
effets de réalité en termes de structuration durable du projet d’auto-
détermination de l’Afrique dans le domaine du maintien de la paix et de la

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 39


Yves Paul Mandjem

sécurité. Idéologique et appréhensible à partir d’une logique processuelle, elle-


même dynamique, ce projet atteste du « pouvoir symbolique » (Bourdieu, 2001 :
201-211) de l’idée d’émancipation africaine qui structure les messages, les
croyances, les images et les représentations mentales imposant celle-ci comme
forme de penser le maintien de la paix en Afrique y compris dans des situations
de crise de moyens techniques et financiers. Le « pouvoir symbolique » de l’idée
d’émancipation africaine transpire dans les esprits et les actions de générations
de panafricanistes. La force africaine en attente dont l’inspirateur serait l’ancien
Président ghanéen Kwamé N’Krumah (Adekeye Adebajo et Landsberg, 2001 ;
Esmenjaud, 2011 : 33-51), et qui est le versant opérationnel de ce projet,
participe d’une construction subjective de l’unité et de l’action, compréhensible à
partir de la nécessité pour l’Afrique de s’émanciper de l’aliénation et de la
subordination, de l’inaction et de l’indifférence dans laquelle l’avait confinée
l’offre hégémonique de la paix et de la sécurité mondiales héritée de la fin de la
seconde guerre mondiale.

Cette réflexion vise à solder les controverses conceptuelles et lever le voile sur les
ambiguïtés édulcorées çà et là dans l’appréhension de l’expression
« africanisation de la gestion des conflits », afin d’en préciser le sens et la
consistance. A cet effet, l’appréhension de cette expression commande quatre
niveaux de clarification. D’abord, l’africanisation de la gestion des conflits ne
saurait être réduite à sa dimension résiduelle et instrumentale matérialisée par
la participation croissante des Etats et des organisations sous-régionales et
régionales aux opérations de paix en Afrique (Esmenjaud, 2011 : 33-51 ; Morin,
2011 : 11-31). A titre d’illustration, l’accroissement au 31 décembre 2010, de près
de la moitié des militaires d’origine africaine dans les missions onusiennes sur le
continent africain, de même que la participation active des organisations
africaines au côté de l’ONU n’ont pas réussi à modifier l’image d’une « Afrique-
suiveur » ou « Afrique-accompagnateur » dans le champ du maintien de la paix
(Esmenjaud, 2011 : 33-51 ; Morin, 2011 : 11-31). De plus, cet accroissement de la
participation africaine est allé grandissant avec le début du désengagement
militaire des pays du Nord vis-à-vis du maintien de la paix onusien, en
particulier sur le continent africain. Puis, l’Africanisation de la gestion des
conflits ne saurait se résumer à l’existence d’une approche commune
spécifiquement africaine des opérations de paix. Si dans une certaine mesure,
elle a le mérite de mettre en lumière l’ingéniosité de l’Afrique dans l’invention

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

des outils de gestion des conflits, en vantant les vertus supposées de la


« palabre » africaine dans la médiation des conflits, une telle démarche teintée
d’ethnocentrisme et informée par l’approche développementaliste exclut toute
probabilité d’une africanisation des opérations de paix (Esmenjaud, 2011 : 33 ;
Esmenjaud et Franke, 2009 : 37-46). L’africanisation de la gestion des conflits
est alors présentée comme le produit de l’exportation d’un outil, les opérations de
paix, forgé dans le cadre onusien. Or, lorsqu’on parcourt la littérature, il est
curieux de constater qu’en matière de maintien de la paix, il n’ait pas d’approche
complète et parfaite, toutes les approches sont perfectibles, y compris celle de
l’ONU (De Senarclens, 2005).Ensuite, la définition de l’africanisation de la
gestion des conflits ne saurait donner lieu à une forme d’évaluation de
l’« appropriation africaine ». Une telle démarche permet de conclure au caractère
irréaliste de ce projet en raison de la dépendance accrue de l’Afrique vis-à-vis des
partenaires extérieurs (ressources humaines insuffisantes, manque de
ressources financières, techniques et logistiques)(Liégeois, 2011 : 183-200 ;
Tardy, 2009 : 246-248 ; Tercinet,2012 ; Wane, 2011 : 53-75).Cette perspective
conditionne la possibilité de réalisation de l’africanisation de la gestion des
conflits au préalable pour l’Afrique de se doter des moyens de ses ambitions.
Enfin, l’africanisation de la gestion des conflits ne saurait autrement être perçue
à partir de l’activité rationnelle des gouvernements africains qui entendent tirer
des externalités positives de leur engagement en faveur du soutien à la paix sur
le continent. Une telle analyse de l’instrumentalisation du soutien à la paix en
Afrique, si elle contribue à éroder le leadership africain, alimentant même un
certain scepticisme à son endroit, confine l’éclairage des relations internationales
africaines dans le dogme réaliste et minore les effets structurants des idéaux de
fraternité et de solidarité africaines (Sindjoun, 2002).

L’africanisation de la gestion des conflits est un outil d’émancipation stratégique


de l’Afrique, traduit dans la formule les « solutions africaines aux problèmes
africains », clé d’une « renaissance » du continent. Elle n’est pas, comme le
démontrent certains auteurs, une « suggestion occidentale » docilement accueillie
par les leaders africains (Bamba, 2013 : 1-20). Elle ne signifie pas non plus que la
gestion des conflits en Afrique se fasse en priorité par les Africains eux-mêmes,
une espèce de « Try Africa First ».En effet, l’idée d’ « appropriation africaine »
masque déjà l’idée d’extraversion, de mimétisme. Certes, l’idée même de
« solution africaine » est remplie d’incertitudes et de contradictions. Mais, sa

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 41


Yves Paul Mandjem

vertu principale est d’appeler à une prise de responsabilité et à un leadership


africain. L’africanisation de la gestion des conflits est le produit paradoxal de
l’autorisation contrôlée et de la volonté masquée d’auto-détermination. Elle est
une réponse motivée à une sollicitation des Nations Unies ainsi qu’une réaction
informée et courageuse à la situation désastreuse et catastrophique dans
laquelle l’Afrique se trouve au début des années 1990.L’Afrique est la région où
l’on dénombre le plus de conflits au monde depuis la fin de la guerre froide
(Statistiques mondiales, 2013). Face à des conflits dits « déstructurés » qui ont
éclaté et se sont poursuivis depuis 1990, l’Afrique a décidé de sortir de son
mutisme, de prendre en main son destin et se doter d’un cadre global d’action
stratégique. Même si, historiquement, on peut dater le début de l’africanisation
de la gestion des conflits avec l’activisme d’une organisation régionale comme la
Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Liberia,
en Sierra Leone, en Guinée Bissau et en Côte d’Ivoire, ce projet ne prend
réellement son essor et de la consistance qu’avec la création d’un sous-système
de sécurité collective en Afrique matérialisée par l’architecture de paix et de
sécurité de l’Union Africaine en 2003.

Cette réflexion entend partir du processus décisionnel onusien pour mettre en


lumière le paradoxe apparent entre la volonté d’autodétermination de l’Afrique
dans le maintien de la paix sur le continent et la nature ou la réalité
hiérarchique de l’architecture de paix et de sécurité internationale héritée de
l’ordre international de 1945.Toutefois, il est important de mentionner que le
régionalisme africain dans le domaine du maintien de la paix en Afrique se pose
en s’opposant à l’universalisme affirmé par la structure hiérarchique de l’ordre
international de 1945. Dès lors, comment expliquer les soubresauts et les
errements du projet d’africanisation de la gestion des conflits qui ont conduit
certains analystes à le considérer comme un vœu pieux ? Le propos ici est de dire
que soutenir un tel argument participe d’une illusion d’optique. Ce serait alors
sous-estimer le fait que « le symbole peut survivre à la crise de la chose qu’elle
évoque » (Sindjoun, 2007 : 967-1011). C’est par et dans le pouvoir symbolique de
l’idée d’émancipation africaine qui s’exerce sur les africains et leurs partenaires
extérieurs, qu’on peut comprendre l’attachement et la croyance à la réalité de
l’africanisation de la gestion des conflits en dépit des défaillances constatées.

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

L’approche décisionnelle dans l’étude des relations internationales permet de


montrer que le maintien de la paix est le fruit de décisions prises par les
organisations internationales et régionales, seules ou en partenariat2. Le défi
particulier auquel répond l’analyse décisionnelle dans le maintien de la paix en
Afrique consiste à retracer les facteurs qui influencent les décisions d’agir, de ne
pas agir ou d’arrêter d’agir des organisations régionales africaines. Il s’en suit
des rivalités entre bureaucraties régionales et bureaucratie internationale dans
le maintien de la paix en Afrique, rivalités rapidement soldées par la nature des
rapports hiérarchiques dans le maintien de la paix entre le Conseil de sécurité
des Nations Unies et le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, entre
ce dernier et les mécanismes régionaux de sécurité en Afrique. Analysée sous le
prisme des rivalités organisationnelles, le maintien de la paix n’apparaît plus
seulement comme le fruit d’une synergie d’actions, car elle semble être le produit
d’un rapport de forces par la présence de diverses organisations aux agendas
politiques différents, par l’importance des coalitions de cause (Sabatier et
Jenkins-Smith, 1999 : 138-141) au sein de ces organisations et par le poids des
cultures bureaucratiques propres à chaque organisation intervenante. En
reformulant la formule consacrée par Graham T. Allison (1999 : 307), « la
solution qui s’impose s’explique par la position que vous occupez ». Cette
perspective souligne la nature éminemment politique et souvent conflictuelle du
processus décisionnel en matière de gestion de conflits africains qui démontre
que ce n’est pas tant la valeur des idées que leur capacité d’adaptation et de
marchandage dans un environnement hostile qui permet de comprendre
comment l’option globale plus que l’option africaine survit ou s’impose jusqu’à
devenir l’option décisive en matière de maintien de la paix. Le travail consiste en
quelque sorte à « reconstruire » le processus décisionnel en matière de maintien
de la paix en Afrique pour tenter de comprendre les organisations intervenantes,
leurs compétences et moyens, quelles options ont été présentées et débattues,
comment l’une d’entre elles a été retenue. L’approche décisionnelle a le mérite
d’éviter les analyses teintées par le complexe du récapitulatif et du bilan qui
concluent soit à l’impuissance des organisations africaines dans le maintien de la
paix, soit à leur situation à la remorque des Nations Unies ou de la communauté
internationale, soit à la survenue d’un « apartheid du maintien de la paix » dans
lequel les Africains seraient amenés à s’impliquer sur les terrains où la
communauté internationale est réticente à s’engager. Elle permet une
compréhension réaliste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits.

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Yves Paul Mandjem

L’analyse réaliste de l’africanisation de la gestion des conflits amène à


l’appréhender, tout d’abord, comme une perspective qui enchante et
paradoxalement, comme une alternative qui dérange.

I. L’africanisation de la gestion des conflits, une perspective qui


enchante

L’africanisation de la gestion des conflits est le produit de l’effet conjugué du


pragmatisme des concepteurs de l’ordre international de 1945 et du sursaut
d’orgueil du régionalisme africain. Celui-ci travaille à la mise en place d’une
communauté de sécurité qui rompt avec la dynamique héritée de l’OUA dont la
réputation a été sérieusement entachée par sa passivité face aux conflits et sa
mansuétude à l’égard des dictateurs africains. En cela, l’africanisation de la
gestion des conflits est une nécessité dictée par le pragmatisme, de même qu’elle
participe de la volonté de doter l’Afrique d’une capacité de réaction rapide, même
temporaire face aux conflits qui minent le développement du continent.

A. Une nécessité dictée par le pragmatisme

La volonté de maintenir la paix et la sécurité internationales au lendemain du


second conflit mondial pousse les concepteurs de l’ONU à revoir la copie de la
sécurité collective héritée de la défunte SDN. La nécessité de trouver des relais
régionaux à l’action des Nations Unies, et du Conseil de sécurité consacré comme
le « nouveau gendarme du monde », commande l’une des principales innovations
de l’ordre international de 1945 : l’intégration des organisations régionales dans
le système global de sécurité collective. Cette formalisation tacite de la
régionalisation du maintien de la paix est informée, pour ce qui est du cas
spécifique de l’Afrique, par la construction régionale par paliers qui commande à
son tour des aménagements juridiques entre les organisations intervenantes. Il
en découle que l’africanisation de la gestion des conflits est une initiative
encouragée par le droit international, mais aussi une nécessité dictée par les
circonstances historiques et conjoncturelles.

Une initiative encouragée par le droit international

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

La Charte des Nations Unies est l’un des textes fondateurs qui fait du maintien
de la paix et la sécurité internationales, une des fonctions centrales à la fois des
organisations internationales à vocation universelle (comme l’ONU) et des
organisations régionales à créer comme l’OUA, puis l’UA (Devin, 2009). En effet,
bien qu’elle ait attribué au Conseil de sécurité le rôle principal dans le « maintien
de la paix »3, la Charte des Nations Unies consacre tout un chapitre, en
occurrence, le chapitre VIII, à la participation des organismes régionaux dans le
maintien de la paix et la sécurité internationales (Tehindrazanarivelo, 2013 :
327-359). Il s’en suit que la régionalisation du maintien de la paix qui connaît
une consécration juridique aux articles 52 à 54 de la Charte, relève du régime de
l’autorisation contrôlée, de l’anticipation (première instance de règlement) et de
la suppléance. L’article 52 dispose : « 1. Aucune disposition de la présente Charte
ne s’oppose à l’existence d’accords ou d’organismes régionaux destinés à régler les
affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se
prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou ces
organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les principes des
Nations Unies » ; « 2. Les Membres des Nations Unies qui concluent ces accords
ou constituent ces organismes doivent faire tous leurs efforts pour régler d’une
manière pacifique, par le moyen desdits accords ou organismes, les différends
d’ordre local, avant de les soumettre au Conseil de sécurité » ; « Le conseil de
sécurité encourage le développement du règlement pacifique des différends d’ordre
local par le moyen de ces accords ou de ces organismes, soit sur l’initiative des
Etats intéressés, soit sur renvoi du Conseil de sécurité » ; « Le présent article
n’affecte en rien l’application des Articles 34 et 35. ». L’article 53 quant à lui
renseigne sur la prééminence de l’ONU sur les organisations régionales tandis
que l’article 54 prescrit à ces dernières l’obligation d’informer le Conseil de
sécurité de « toute action prévue et envisagée » dans le champ du maintien de la
paix et de la sécurité dans leurs régions.

Ce travail de codification de l’entrée en scène des organisations régionales, y


compris africaines, dans le champ de la gestion des conflits sera poursuivi par la
signature d’accords de coopération entre les Nations Unies et les organisations
régionales, de même que dans les documents de référence sur le maintien de la
paix produits par les Nations Unies. Dans le cadre du maintien de la paix et de
la sécurité en Afrique, un accord de coopération est signé, le 11 octobre 1965,
entre l’ONU et l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). C’est en vertu de cet

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accord que l’OUA sollicite l’intervention d’une force de l’ONU au Congo entre
1960 et 19634. Le début des années 1990 marque une relance des activités entre
l’ONU et les acteurs régionaux, avec l’actualisation de l’accord de coopération
entre l’ONU et l’OUA, le 9 octobre 1990. Par la suite, le Secrétaire général de
l’ONU, Boutros Boutros Ghali, réaffirme dans le chapitre VII, article 64, de
l’Agenda pour la paix, en 1992, que toute action régionale est possible, suivant
une logique de décentralisation, de délégation et de coopération avec les efforts
de l’ONU5. De plus en 2001, le Rapport Brahimi consacre un paragraphe à la
coopération entre les Nations Unies et les organisations régionales6. L’accent y
est mis sur l’intérêt pour l’ONU d’entretenir des liens étroits et continus avec les
organisations compétentes dans de nombreux domaines (la prévention des
conflits, le rétablissement de la paix, les élections et l’assistance électorale, la
surveillance et le respect des droits de l’homme et de l’action humanitaire, ainsi
qu’à d’autres activités de consolidation de la paix et de lutte contre le
terrorisme)7. Le Président du Conseil de sécurité a rappelé après sa réunion de
Nairobi du 19 novembre 2004 que les relations institutionnelles entre l’ONU et
l’Union Africaine est un important pilier du système de sécurité collective tel
qu’établi par la Charte des Nations Unies8. L’UA ne ménage également aucun
effort pour rendre possible une coopération avec les autres organisations
internationales, en les invitant à prendre la parole devant le Conseil de paix et
de sécurité de l’UA sur les questions d’intérêt commun9. Le Conseil de sécurité
de l’ONU, dans sa Résolution 1631 (2005), a prêté une attention particulière à ce
souhait de partenariat plus étroit exprimé par l’UA en recommandant
d’améliorer la communication entre l’ONU et les organisations régionales et
sous-régionales par l’intermédiaire d’attachés de liaison et la tenue des
consultations à tous les niveaux pertinents. Devant les critiques suscitées par les
déconvenues de coopération entre l’ONU et l’UA en Côte d’Ivoire et en Libye en
2011, le Conseil de sécurité a adopté une résolution en vue du resserrement des
relations entre les deux organisations10.

Dès lors, l’africanisation de la gestion des conflits est une initiative encouragée
par le droit international qui formalise une forme de subsidiarité hiérarchisée
que nous qualifions de « subsidiarité de premier niveau » qui rend compte de la
relation entre l’ONU et les organisations régionales africaines, en particulier
l’OUA, puis aujourd’hui l’Union africaine dans la gestion des conflits en Afrique.
Seulement, depuis la création de l’Union africaine et l’élaboration de son

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

architecture de paix et de sécurité, l’africanisation de la gestion des conflits est


également une initiative encouragée par le droit international régional qui met
en place une autre forme de subsidiarité hiérarchisée complémentaire de la
première. Cette seconde forme, que nous qualifions de« subsidiarité de second
niveau », régit la relation entre l’UA et les Communautés économiques
régionales (CER) dans la gestion des conflits en Afrique.

Les textes relatifs à l’organisation du maintien de la paix en Afrique sont d’ordre


universel et régional. Ainsi donc, outre la Charte des Nations Unies, l’Acte
constitutif de l’Union africaine11 et le Protocole portant création du Conseil de
paix et de sécurité de l’Union Africaine (CPS)12 représentent des textes de portée
générale qui organisent l’africanisation de la gestion des conflits. En application
des orientations du texte fondateur de l’Union africaine, le CPS est l’organe
principal de sécurité de l’UA qui va lui permettre d’apporter des solutions aux
conflits qui sévissent en Afrique. Il succède donc au Mécanisme pour la
prévention, la gestion et le règlement des conflits de l’OUA créé en juin 199313 et
qui « a non seulement permis aux pays africains de donner un contenu concret à
la « culture de la paix » qui représente une aspiration forte pour l’ensemble de
leurs peuples, mais a surtout donné à l’Afrique l’occasion de capitaliser une
expérience non négligeable dans la quête collective de recherche de solutions
durables aux conflits » (Lecoutre, 2004 : 132). Le Protocole relatif à la création du
CPS offre, quant à lui, une vision plus globale et plus structurée de la sécurité
collective régionale. Il définit le CPS comme participant d’« un système de
sécurité collective et d’alerte rapide, visant à permettre une réaction rapide et
efficace aux situations de conflit et de crise en Afrique »14.La compétence du CPS
s’articule autour de la prévention, de la gestion et du règlement des conflits. Elle
s’étend également aux activités de consolidation de la paix et de la reconstruction
après les conflits.

Toutefois, si le Protocole affirme le rôle principal du CPS dans le maintien de la


paix et la sécurité en Afrique, il reconnaît tout aussi « la contribution des
mécanismes régionaux africains pour la prévention, la gestion et le règlement des
conflits dans le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le
continent, ainsi que la nécessité de mettre en place et de renforcer les mécanismes
formels de coordination et de coopération entre ces mécanismes de l’UA »15. Le
CPS coopère au sein de l’architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS)

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avec les mécanismes sous régionaux existants, notamment les CER. Les
mécanismes régionaux concernés sont ainsi tenus de tenir le Conseil de paix et
de sécurité pleinement et régulièrement informé de leurs activités et de s’assurer
que ces activités soient étroitement coordonnées et harmonisées avec cet organe
de l’Union Africaine. A cet effet, il existe entre l’UA et ces mécanismes des
bureaux de liaison au sein de leurs Secrétariats respectifs16, en plus « des
réunions périodiques, au moins une fois par an, avec les premiers responsables
et/ou les autorités chargées des questions de paix et de sécurité au niveau des
Mécanismes régionaux »17. Le Protocole d’Accord ou Mémorandum entre l’UA et
les CER, signé le 28 janvier 2008 à Addis-Abeba, est le texte normatif
incontournable dans l’analyse des rapports entre l’UA et les CER, notamment
dans le maintien de la paix en Afrique. Avec les textes spécifiques créant les
mécanismes sous régionaux africains de paix et de sécurité, ce texte
institutionnalise la « subsidiarité de second niveau » en se donnant pour objectif
la mise en œuvre opérationnelle intégrale de l’architecture continentale de paix
et de sécurité. Une mise en œuvre dictée également par des circonstances
historiques et conjoncturelles.

Une nécessité dictée par les circonstances historiques et


conjoncturelles

L’africanisation de la gestion des conflits est le fruit d’un double pragmatisme


africain : d’abord pour pallier à l’embrassement progressif et continu du
continent, ensuite pour reprendre en main les processus de pacification et de
sécurisation du continent devant la réticence et le désengagement affiché des
Etats occidentaux sur le terrain des opérations de paix en Afrique.

La première forme d’expression de ce pragmatisme africain est révélée par la


volonté des Etats africains de pallier aux défaillances de la sécurité collective
héritée de l’UA et de son réaménagement opéré en 199318, et de compenser celle-
ci par un dispositif original et audacieux de promotion de la paix et de la sécurité
en Afrique. Au début des années 1990, l’Afrique est le théâtre de nombreux
conflits internes et de guerres qui entravent le développement socio-économique
du continent : Congo, RDC, Burundi, Soudan, Rwanda, Tchad, République
Centrafricaine, Guinée, Mali, Sierra Leone, Libéria, Somalie, Ouganda, Angola,
Togo, Gambie, Guinée-Bissau, etc. Le nombre de coups d’Etat militaires (environ

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

16) est en nette recrudescence dans les pays africains entre 1990 et 2009
(Vettovaglia et al., 2010 : 877-878). Le nombre de morts dépasse largement celui
causé par la première guerre mondiale en Europe (environ 8 millions).A cet effet,
l’approche transactioniste de Karl Deutsch permet de rendre compte de l’objectif
de création de l’Union Africaine à partir du projet d'élaborer des moyens qui
permettent aux Etats africains de mettre un terme un jour aux conflits sur le
continent (Deutsch et al., 1957 : 3).L’intégration régionale en Afrique est alors
définie comme la création d’une communauté de sécurité stable dans cette
région. A titre d’illustration, la Déclaration de Syrte de 1999 suggère la création
de l’UA, afin que celle-ci réponde aux nombreux défis sécuritaires de l’Afrique.
La création de l’UA s’accompagne de la construction de la sécurité collective en
Afrique, entendue comme « la capacité des Etats [africains] à s’organiser sur une
base multilatérale pour gérer en commun les enjeux de sécurité » (Petiteville,
2009 : 57-77). C’est dans cette optique que les Chefs d’Etat et de gouvernement
de l’Union Africaine soulignent clairement que « le fléau des conflits en Afrique
constitue un obstacle majeur au développement socio-économique du Continent
[d’où] la nécessité de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité comme
préalables à la mise en œuvre de son agenda d’intégration et de
développement »19. La régionalisation du maintien de la paix devient un
préalable à l’intégration africaine. De même, dans une perspective néo-
fonctionnaliste, elle pourrait, par effet d’engrenage (spill-over- effect), conduire à
une intégration politique et économique. A partir de ce moment, l’UA entend
assumer le leadership sur le continent en matière de maintien de la paix et de la
sécurité. Elle affiche dès lors une plus grande visibilité et un volontarisme
indéniable dans le traitement des crises politiques et des conflits armés en
Afrique. L’africanisation de la gestion des conflits certes placée sous l’égide de
l’UA est également assurée par les organisations sous-régionales.

La seconde forme d’expression du pragmatisme africain procède du


désengagement affiché et prononcé des Etats occidentaux et de leurs armées des
terrains d’opérations de paix en Afrique. Cependant, il faut signaler que ce
désengagement ne procède pas d’une volonté délibérée des Etats occidentaux de
laisser les Etats africains s’approprier leur sécurité, ni de les aider à s’aider eux-
mêmes (Esmenjaud et Franke, 2009 : 37-46). Le désengagement s’impose aux
occidentaux de par la conjonction d’un certain nombre de circonstances
historiques et conjoncturelles précises et de coûts politiques. En prenant au

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sérieux l’importance des conjonctures à la fois dans la définition de l’opportunité


des africains à reprendre en main leur destin sur le plan du maintien de la paix
et dans la dissuasion des Etats occidentaux à cautionner au moins sur le plan de
la rhétorique l’appropriation africaine, on peut valablement situer le point
d’accélération de l’africanisation de la gestion des conflits à partir de la débâcle
de l’armée américaine en Somalie et le soupçon de connivence de la France avec
les régimes dictatoriaux et sanguinaires africains.

La débâcle de l’armée américaine (notamment d’une force spéciale dénommée


Task Force Ranger, chargée de la capture du général Aïdid et de ses lieutenants
du Somali National Alliance) et des autres forces de l’Opération des Nations
Unies en Somalie (ONUSOM II), rend compte de la « bataille de Mogadiscio »à
l’hôtel Olympia, le 3 octobre 199320, qui a fait 18 morts et 73 blessés dans les
rangs de l’armée américaine. Une bataille qui traduit la complexité des conflits
internes africains et tend à relativiser la puissance américaine. Elle s’inscrit
donc en faux contre la doctrine du « zéro mort » élaborée au cours de la guerre
de 1991 contre l’Irak et reconfigure dorénavant et durablement le paysage et le
champ du maintien de la paix en Afrique. Elle entraine également la décision de
retrait des puissances occidentales du champ du maintien de la paix en Afrique.
La mort des GI’s en Somalie laisse planer sur les terrains de conflits africains, le
syndrome du Viêt-nam, la hantise du bourbier. L’historienne Anne-Claire de
Gayffier-Bonneville raconte que dans les jours qui suivirent l’affrontement de
Mogadiscio, c’est-à-dire, le 6 octobre 1993: « Bill Clinton annonce le départ des
forces américaines de Somalie dans un délai de six mois. Le 25 mars 1994,
l’armée américaine a quitté la Somalie, à l’exception de quelques Marines chargés
d’assurer, si le besoin s’en faisait sentir, le retrait des derniers civils et conseillers
militaires, restés sur place. Les autres contingents suivent progressivement
l’exemple américain. Le 2 mars 1995, l’ONU a quitté la Somalie, ONUSOM 2 est
officiellement terminée. À la mi-juillet 1994, les « Mad Max » étaient aussi
nombreux qu’en décembre 1992. La Somalie ne souffre plus de la famine mais n’a
toujours pas retrouvé sa stabilité politique. Les factions continuent à s’affronter,
loin des caméras, et le pays est en phase d’éclatement » (2011 : 93-103).

L’affrontement de Mogadiscio sera à l’origine de la réévaluation complète de la


politique étrangère des Etats Unis. L’Administration Clinton publie, en
mai 1994, un document sur les opérations de paix (PDD-25). Le principal axe de

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

rupture est l’abandon du « multilatéralisme agressif » qui voulait faire du pays


un agent de paix et de stabilité partout dans le monde. Le cauchemar de
l’enlisement dans ce conflit conjugué au désastre somalien fait que les États-
Unis ne souhaitent plus intervenir dans les « pays non stratégiques à la sécurité
nationale américaine ». C’est cette nouvelle politique étrangère qui de l’avis
même d’Anne-Claire de Gayffier-Bonneville, explique « l’immobilité des
Américains dans le génocide tutsi au Rwanda »au printemps 1994.

La création d’une Mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM) le 19


janvier 200721, intervient dans un contexte où le Conseil de sécurité manifeste
son désintérêt vis-à-vis de l’Afrique en général, et de la Somalie en particulier.
Elle démontre la capacité de l’Afrique à prendre son destin en main, une fois
qu’elle est dos au mur et d’impulser une dynamique positive et salutaire qui peut
forcer l’admiration et l’assentiment des Nations Unies ; en témoigne la décision
d’autorisation de l’AMISOM par le Conseil de Sécurité22. L’africanisation de la
gestion du conflit somalien, après le retrait précoce des troupes occidentales et de
l’ONU dans ce pays en 1995, participe d’une logique non seulement de réticence
des Nations Unies et des occidentaux, mais aussi de la décharge de la
responsabilité de gérer les conflits africains sur l’Afrique, en raison de
l’enlisement de ces derniers et des conséquences que la mort des soldats
occidentaux sur le terrain africain fait peser sur leurs gouvernements respectifs.
L’ONU a annoncé déjà plusieurs fois son retour en Somalie, mais elle tarde à la
concrétiser. Toutefois, même par un concours de circonstance, c’est
l’africanisation qui en ressort renforcée car, l’AMISOM a réussi à éviter la chute
des institutions fédérales de transition en Somalie et à contenir le mouvement
terroriste Shebab dans la perspective de la reconstruction de l’Etat somalien.

La volonté de la France de redorer son image internationale en Afrique, ternie


par sa présupposée connivence avec les régimes dictatoriaux africains, dont le
plus illustratif fut le régime génocidaire pro-hutu du général Juvénal
Habyarimana, va être à l’origine d’une réorientation de l’interventionnisme
français en Afrique. La fin de la guerre froide et l’ouverture d’une nouvelle forme
de compétition entre pays développés et pays émergents aidant,
l’interventionnisme français ne consiste plus comme le soulignait en 1978, le
président Valéry Giscard d’Estaing, au renforcement de la capacité des Africains
à résister aux ingérences extérieures23. Il s’agit, davantage, en priorité d’aider

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l’Afrique à bâtir, comme elle en a l’ambition, son propre dispositif de sécurité


collective. Le président Nicolas Sarkozy dira à cet effet : « Je souhaite que la
France s’engage davantage aux côtés de l’Union Africaine pour construire le
système de sécurité collective dont l’Afrique a besoin car la sécurité de l’Afrique
c’est d’abord naturellement l’affaire des Africains. »24. La différence est
perceptible. Il se dégage une ambition de mettre fin à une forme de paternalisme
et de limiter l’engagement occidental sur les terrains des opérations de paix. En
se fondant sur le Rapport Brahimi, plusieurs pays occidentaux dont la France et
les Etats Unis ont opté pour la formation et l’entraînement des contingents
africains pour accroître leurs capacités. Il en découle la création et la mise en
place des programmes qui permettent néanmoins de renforcer les capacités
d’intervention de l’Afrique dans la gestion de ses conflits25. L’africanisation de la
gestion des conflits entendue comme une nécessité dictée par les circonstances
historiques et conjoncturelles a permis de pourvoir l’Afrique en capacité de
réaction rapide, même provisoire.

B. Le pourvoi de l’Afrique en une capacité de réaction rapide,


même provisoire

Le pourvoi de l’Afrique en une capacité de réaction rapide, même provisoire,


s’apprécie au travers de la fin de la culture de l’indifférence et de l’inaction de
l’Afrique et l’institutionnalisation d’une tradition de réaction à la chaîne ou de
réaction conjointe.

La fin de la culture de l’indifférence et de l’inaction

Pour peu que l’on s’intéresse à l’histoire de l’africanisation de la gestion des


conflits, l’on ne peut ne pas se remémorer les initiatives de certaines grandes
figures de l’Afrique contemporaine en faveur du règlement pacifique des crises
continentales, à l’instar des présidents tanzanien Julius Nyerere, sud-africain
Nelson Mandela, et ivoirien Félix Houphouët-Boigny, etc. A titre d’illustration,
par l’action de ce dernier, « nombre de conflits entre Etats africains ont trouvé
leur solution à Yamoussoukro. Nombre de crises sociales et politiques en Afrique
de l’Ouest ont pu être résolues grâce à son intervention »26. Mais ces initiatives
ponctuelles sont restées marginales devant l’immensité de la tâche de résolution

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des conflits en Afrique. De plus, le continent africain est longtemps resté un


laboratoire de mécanismes de sécurité à vocation universelle, régionale ou sous-
régionale. Mais quand ils ne sont pas devenus réticents aux problèmes africains
(ONU), leur création est restée lettre morte27 ou alors leur implication bien que
salutaire est demeurée embryonnaire. Le mécanisme de prévention, de gestion et
règlement des conflits s’est plus distingué dans le domaine de la prévention des
conflits que dans celui de l’imposition de la paix durable dans les zones de conflit,
l’OUA étant privée de moyens importants. Les maigres résultats engrangés avec
la mise en œuvre de missions d’observation sur le terrain au Rwanda, au
Burundi et aux Comores (Mubiala, 2013 : 308-325), le déploiement d’une force
interafricaine de plus de 2000 hommes pour la gestion du conflit burundais et la
mise en route des missions d’enquêtes et des actions diplomatiques, confortent le
succès de la philosophie de l’attentisme, de l’indifférence et de l’inaction,
renforcée par les dispositions de la Charte de l’OUA et les principes régissant les
relations interafricaines. La culture de l’indifférence et de l’inaction est
davantage confortée par le principe de souveraineté et son corollaire, la non-
ingérence dans les affaires internes des autres Etats. Ils sont d’ailleurs perçus
comme ayant altéré l’implication efficiente de l’OUA et des dirigeants africains
dans la prévention et la gestion des conflits sur le continent (Gueuyou, 2013 :
271). Si l’expérience de l’OUA au Tchad dans les années 80 et la faiblesse de ses
capacités opérationnelles ont largement contribué au renforcement de
l’implication des Nations Unies dans le maintien de la paix en Afrique et
l’incursion des communautés économiques régionales dans ce domaine, il n’en
sera plus de même avec l’indifférence et l’inaction des Nations Unies et
l’attentisme de l’Afrique lors du génocide rwandais. La consécration du droit
d’intervention de l’Union dans un Etat membre dans l’acte constitutif de l’UA
trouve son origine dans l’incapacité de l’OUA d’intervenir pour mettre un terme
« aux violations massives et graves des droits de l’homme qui se sont produites
en Afrique comme ce fut le cas en Ouganda sous Idi Amin Dada ou en
Centrafrique sous le régime de Bokassa, dans les années 70, et lors du génocide
en 1994 » (Bioko, 2003 : 812 ; Yusuf, 2013 : 296).

La métamorphose du système de sécurité collective régionale s’accompagne


d’une réelle volonté politique de surmonter l’impuissance qu’induisait le respect
strict et rigide du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des
Etats membres de l’ancienne OUA. Ce qui permet de solder le scepticisme

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ambiant sur l’assimilation de l’UA à une « OUA-bis » (Bourgi, 2004 : 328).A cet
effet, l’Union Africaine est la première organisation internationale à consacrer
formellement dans son acte constitutif le « droit de protéger » les peuples, même
soumis à l’autorité de la Charte des Nations Unies en vertu de l’article 103. En
cela, elle se positionne en avant-garde de la responsabilité de protéger, même si
l’opérationnalité d’un tel mécanisme, comme récemment au Burundi, n’est pas
partout garantie (Yusuf, 2013 : 293-308 ; Vilmer, 2015 : 93). L’avènement de
l’Union Africaine s’est accompagné de la mise en place d’une architecture
africaine de paix et de sécurité plus ambitieuse malgré les résultats modestes
(Tercinet, 2012). L’Afrique a adopté une posture proactive dans la prévention et
la gestion des conflits en se dotant de nombreux mécanismes institutionnels tels
que la Conférence de l’Union, le Conseil exécutif, le Comité des représentants
permanents, le Président de la commission, le Groupe de sages et le parlement
panafricain, et programmatiques tels le Nouveau partenariat pour le
développement de l’Afrique (NEPAD), la Conférence sur la sécurité, la stabilité,
le développement et la coopération en Afrique (CSSDCA), et l’Agenda 2063 pour
une Afrique prospère, unie et pacifique (Gambotti 2015 : 129-140). Le système de
sécurité collective régionale articulé autour du Conseil de paix et de sécurité de
l’UA apparaît ambitieux au regard du dispositif opérationnel : les capacités de
déploiement de l’organisation ont été optimisées et ré-optimisées en témoignent
le système continental d’alerte rapide, le fonds pour la paix, le projet de la force
africaine en attente (FAA)ou en attendant la capacité africaine de réponse
immédiate aux crises (CARIC)28 et le Comité d’état-major (y compris les
quartiers généraux de commandement), le Pacte de non-agression et de défense
commune et de ses mécanismes. La consécration du principe de la « non-
indifférence » de l’Afrique dans la prévention et la gestion des conflits en
Afrique se traduit concrètement par la création des institutions spécialisées dans
les domaines de la recherche et du développement d’une culture de la paix
(l’Académie africaine pour la paix), des études et de la recherche sur le
terrorisme (le Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme) et des
études de toutes les questions juridiques liées à la promotion de la paix et de la
sécurité en Afrique (la Commission du droit international de l’Union Africaine).
A côté de ces mécanismes, on peut également faire mention des initiatives en
matière de lutte contre la criminalité transnationale organisée et de promotion
d’une coordination policière africaine au niveau stratégique, opérationnel et
tactique. Sous les auspices de l’UA, il a été créé un Mécanisme africain de

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coopération policière connu sous l’appellation d’Organisation africaine de


coopération policière – AFRIPOL. La mise en place de ce système de sécurité
collective régionale marque la fin de la culture de l’indifférence et de l’inaction et
consacre dorénavant une tradition de réaction à la chaine, concertée ou conjointe
qui trahit l’émergence d’une capacité africaine de réaction rapide.

La tradition de réaction à la chaîne, concertée ou conjointe : le partage


global du fardeau de la paix en Afrique

Depuis l’avènement de l’UA, l’africanisation de la gestion des conflits s’appuie


sur l’institutionnalisation incrémentale et progressive d’une tradition de réaction
à la chaine, concertée ou conjointe du maintien de la paix en Afrique.
L’opérationnalisation d’un système africain de sécurité collective a permis une
mise en œuvre intéressante et non sans difficulté de la subsidiarité et des
avantages comparatifs comme principes régissant la coopération entre les
organisations intervenantes dans le maintien de la paix en Afrique. En effet, le
déploiement de celles-ci est parfois régi par la proximité géographique, la
connaissance du terrain, et dans une certaine mesure par l’aptitude ou la
promptitude d’une organisation à réagir ou à intervenir dans un conflit qui sévit
dans sa zone de compétence, tout en préparant le déploiement ultérieur de
l’organisation la plus habilitée juridiquement. Ce déploiement des organisations
intervenantes se manifeste soit par une action diplomatique, soit par une action
militaire, soit par les deux. L’interchangeabilité de la contribution des acteurs :
international, régional et sous-régional est un atout dans le maintien de la paix
en Afrique car, cette relation offre une pluralité de possibilités en termes de
suppléance, de capacités pour chaque niveau d’intervention, de mise à
contribution des aptitudes diverses et complémentaires et d’initiatives visant à
régler les conflits en Afrique.

Dès lors, quand elle ne s’offre pas comme une alternative africaine au désintérêt
manifeste de l’ONU pour le bourbier somalien29, l’africanisation de la gestion des
conflits prend la forme d’un codéploiement, des missions conjointes ou mixtes,
d’une réaction à la chaine.
Le codéploiement traduit la possibilité offerte aux organisations africaines dans
le maintien de la paix en Afrique avec l’appui des Nations Unies ou des pays
occidentaux dans les domaines variés : repérage satellitaire, sécurisation des

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données, service de recherche et sauvetage indispensable aux opérations sur le


terrain. Dans le cadre de la subsidiarité de premier niveau entre l’ONU et l’UA,
c’est à cette dernière que revient l’accomplissement de « l’essentiel de la tâche en
bénéficiant de l’appui d’une opération de petite envergure des Nations Unies qui
permettrait de vérifier que la mission se déroule d’une manière conforme aux
dispositions adoptées par le Conseil »30. Vu sous cet angle, le codéploiement se
matérialise par la décharge par l’ONU sur l’UA du lourd fardeau du maintien de
la paix en Afrique, tout en garantissant « la primauté et la responsabilité du
Conseil de sécurité » (Villani, 2001 : 225-426). L’ONU s’active à vérifier la
conformité de la mission de codéploiement aux décisions prises par le Conseil de
sécurité (Cattin, 2000 : 74-105) et de ce fait, envoie une mission qui agit de façon
coordonnée avec les contingents des organisations régionales sur le terrain. Le
codéploiement entre l’ONU et les organisations régionales a connu un terrain
d’expérimentation au Liberia, en Sierra Leone (ECOMOG mise en place par la
CEDEAO) et avec moins de réussite au Rwanda.

A la différence de la précédente forme de codéploiement, les missions conjointes


ou hybrides ont la particularité de mettre ensemble les troupes d’une
organisation africaine et celles de l’ONU sur le même théâtre des opérations et
comporte l’avantage de la mutualisation des forces en vue d’assurer la paix et la
sécurité en Afrique. Elles privilégient le niveau de déploiement stratégique de
même que le déploiement mixte. La spécificité d’une telle relation est que les
organisations intervenantes assurent en commun l’atteinte des effectifs, la
direction et le financement d’une mission. La primauté du Conseil de sécurité
des Nations Unies (CSNU) dans ce type de relation semble diluée car il est plutôt
question d’un partage de responsabilités et le rôle prépondérant de l’ONU
n’occulte pas la capacité de l’UA à prendre des initiatives. Pour corroborer cette
spécificité, Michel Liegeois souligne que l’hybridité comporte trois éléments : la
codirection stratégique au cours de laquelle le mandat de la mission est attribué
conjointement au CSNU et au CPSUA ; la co-désignation des principaux
responsables politiques et militaires ainsi que les adjoints de la mission et la
coordination conjointe pour garantir le flux d’informations tant vers le haut que
vers le bas. L’un des exemples de mission hybride en Afrique est la Mission
conjointe ONU-Union Africaine au Darfour (MINUAD)31.

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A l’origine, il était clair dans l’esprit des concepteurs de l’ONU que cette
organisation ne pouvait à elle toute seule, assumer le fardeau de la paix et de la
sécurité dans le monde. Aussi avec la régionalisation du maintien de la paix en
Afrique, il se dégage à l’observation que, par nécessité ou par réalisme, l’UA
partage le fardeau de la paix régionale avec la CEDEAO, la CEEAC, la SADC,
l’IGAD, etc. En effet, la mise en œuvre réaliste d’une logique de partage du
fardeau de la paix en Afrique est travaillée par la nécessité de créer des
compétences alternatives et complémentaires entre les organisations
intervenantes. Si traditionnellement les opérations de maintien et de
consolidation de la paix en Afrique se caractérisent par le soutien de l’ONU à des
opérations purement africaines (IGADSOM et AMISOM) et le relais d’une
opération africaine par une opération onusienne, on a assisté récemment au Mali
et en RCA à la formation d’une capacité de réaction à la chaine entre les niveaux
sous-régional, régional et international du maintien de la paix. Cette nouvelle
configuration du maintien de la paix offre une chance incontestable à la paix en
Afrique, en lui fournissant une triple possibilité échelonnée d’action en faveur de
la paix. Les déploiements de la Mission de la CEDEAO au Mali (MICEMA) et de
la Mission du Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique Centrale (MICOPAX) et
les relais au Mali : de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite
africaine (MISMA)32 et en RCA : de la Mission internationale de soutien à la
République centrafricaine sous conduite africaine (MISCA)33ont démontré que
l’Afrique peut s’en enorgueillir d’enregistrer une double possibilité d’action face
aux conflits et aux crises, et que même limitée, celle-ci sonne de le glas de
l’immobilisme, de l’indifférence et de l’inaction sur le continent. La MISMA et la
MISCA ont respectivement été remplacées par la Mission multidimensionnelle
intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA)34 et la
Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en
République centrafricaine (MINUSCA)35. Qu’elles soient politico-diplomatiques
ou militaires, les interventions en première ligne des communautés économiques
régionales (CER), en deuxième ligne de l’UA et en troisième ligne de l’ONU
attestent non seulement de l’existence d’une capacité africaine de réaction
rapide, même provisoire, mais aussi d’une forme de gradualisme dans le
maintien de la paix et de la sécurité en Afrique. Ce gradualisme ascendant
n’empêche pas le gradualisme descendant qui postule que l’ONU puisse se saisir
en premier d’une situation de menace à la paix avant de la confier à la prise en
charge d’une organisation régionale (UA en Somalie). Dans tous les cas, le relais

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observé entre les CER, l’UA et l’ONU au Mali et en RCA atteste du fait que ce
sont les organisations régionales africaines ou les Etats africains qui prennent
des mesures conservatoires pour parer à l’urgence, en attendant l’avènement de
conditions plus favorables à la collaboration entre les organisations régionales
entre elles, et entre les organisations régionales et l’ONU. Certes, l’efficience de
cette capacité africaine peut être, sous certains angles, discutée et discutable,
mais cela n’est plus de nature à réfuter son effectivité. C’est ce qui fait dire à
Josiane Tercinet que le système africain de sécurité collective a fait mieux que la
politique européenne de défense et de sécurité commune mis en place
sensiblement en 2003 (2012). L’africanisation de la gestion des conflits n’est pas
un slogan. M. Hervé Ladsous, Secrétaire général adjoint chargé des opérations
de maintien de la paix, affirme le 24 mai 2016 au cours d’une réunion du Conseil
de sécurité portant sur la coopération entre l’Organisation des Nations Unies et
l’Union Africaine en faveur de la paix et de la sécurité, que l’Union Africaine
demeurait le partenaire le plus important de l’ONU en matière de maintien de la
paix. Il a indiqué que « sur un total de 16 opérations de maintien de la paix,
9 missions opèrent sur le continent africain, et avec 80% du personnel en
uniforme, l’Afrique apparaît comme un partenaire clef de l’ONU. Il a aussi
souhaité qu’un soutien financier plus prévisible et durable soit apporté aux
opérations de paix de l’Union Africaine autorisées par le Conseil de sécurité ».
Seulement si l’africanisation de la gestion des conflits est une perspective qui
enchante, il n’en demeure pas que c’est une alternative qui dérange.

II. L’africanisation de la gestion des conflits, une alternative qui


dérange

L’analyse de l’africanisation de la gestion des conflits ne saurait être pertinente


si elle ne prend pas au sérieux les idées et les valeurs qui inscrivent cette
initiative de « renaissance africaine » au rang d’utopie au sens éliasien du terme,
c’est-à-dire, la représentation imaginaire du maintien de la paix, représentation
contenant des propositions de solutions à des problèmes non résolus, bien
particuliers, de la société africaine, à savoir, des propositions de solutions qui
indiquent les changements que les auteurs et les porteurs de cette utopie
souhaitent ou bien les changements qu’ils redoutent, voire peut-être les deux à la
fois (Elias, 2014 : 10-11). De cette spécification de l’africanisation de la gestion
des conflits comme une utopie découlent plusieurs traits : le premier est

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l’historicité de l’africanisation de la gestion des conflits, celle-ci relève d’un mode


de projection cognitif et émotionnel de la prévention et de la gestion des conflits
en Afrique historiquement situé ; le second trait associé est la plasticité de
l’africanisation de la gestion des conflits, elle peut être à la fois positive et
négative, elle renvoie surtout à un processus qui n’appartient en propre ni à la
science, ni à la littérature, ni à l’action politique mais peut prendre ces
différentes formes selon les lieux et les moments ; le troisième trait considéré, est
que l’africanisation de la gestion des conflits ne se situe pas nécessairement du
seul côté de l’illusion : une fois réinsérée dans ses contextes de production et
réception, elle se révèle ni pleinement illusion ni pleinement réalité, mais bien
tendue entre les deux. Cette manière de procéder fait de l’africanisation de la
gestion des conflits un véritable « lieu », à la fois lieu d’observation et révélateur,
dont l’indétermination des domaines de référence (science/littérature) et des
niveaux de réalité (illusoire/réalisable) constitue une vraie promesse de l’analyse,
que ce soit comme objet ou comme outil. Rendre compte de l’africanisation de la
gestion des conflits revient à s’intéresser aux processus cognitifs qui ont conduit
à son élaboration et à sa mise en œuvre en tant que projet d’émancipation
stratégique de l’Afrique. Le régionalisme africain dans la gestion des conflits se
donne à voir comme une alternative à l’universalisme car, celui-ci entend
protéger le continent contre les effets néfastes de la structuration hégémonique
de l’ordre international de 1945. L’analyse de l’africanisation de la gestion des
conflits laisse entrevoir un impensé révolutionnaire qui transforme ce projet au
regard de la réalité en un projet ambigu.

A. Une alternative compromise par son impensé révolutionnaire


L’africanisation de la gestion des conflits est une alternative qui dérange en
raison de l’impensé révolutionnaire qui transpire dans ce projet. La littérature
consacrée à cet effet est en débat sur la véritable ambition stratégique de
l’africanisation de la gestion des conflits. Certains auteurs ont présenté ce projet
comme un relais à l’action de la communauté internationale dans sa stratégie de
recherche de solutions et des moyens en vue d’une prise en charge des questions
sécuritaires qui minent le continent (Stalon, 2007 : 47-58). Cette démarche est
alors informée par la hiérarchie des normes juridiques internationales qui
encadre la subsidiarité dans le domaine de la paix et de la sécurité
internationales. Toutefois, à l’analyse, le projet d’africanisation de la gestion des
conflits est travaillé par des dits et des non-dits qui perdent parfois l’observateur

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en conjecture. On note l’existence d’un impensé révolutionnaire qui se


matérialise par la mise entre parenthèses délibérée mais inavouée du projet
hégémonique de construction de la paix dans le monde, mention doit être faite de
ce qu’aujourd’hui, la paix dans le monde est assurée par les vainqueurs de la
seconde guerre mondiale et de quelques Etats sympathisants, mais aussi par le
fait que l’africanisation se donne à voir comme un projet d’autodétermination
stratégique.

La mise entre parenthèses inavouée du projet hégémonique de


construction de la paix dans le monde

La grande innovation du projet d’africanisation de la gestion des conflits, c’est de


se donner à voir comme un dispositif cognitif et matériel dont la concrétisation
entamerait au plan symbolique l’édifice normatif et institutionnel du système de
sécurité collective global. A cet effet, il est important de mentionner que
l’évolution de la structure de la puissance à l’échelle internationale est la
conséquence des changements survenus dans les rapports de forces
internationaux. Le droit lui-même, plus particulièrement, le droit international
est la traduction juridique et symbolique d’un rapport de force conjoncturel, c’est-
à-dire, qu’il peut changer si des circonstances politiques ou juridiques favorables
venaient à faire leur apparition ou si des acteurs autrefois en situation de
dominés conjuguant celles-ci (circonstances) venaient à accéder à des ressources
rares, qui leur permettaient de renvoyer dans la transaction ledit rapport de
forces. Privés des ressources suffisantes et des circonstances favorables, les
acteurs africains vont imaginer un passage en force au plan symbolique par la
mise entre parenthèses délibérée mais inavouée du projet hégémonique de la
construction de la paix dans le monde. Celle-ci est informée par la conception
panafricaine de la sécurité et par la « lutte continue » pour la démocratisation de
la société internationale (réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies).

La conception africaine de la sécurité est une conception complexe, avant-


gardiste et essentiellement dynamique. En ce sens, elle n’a pas un contenu
arrêté une fois pour toutes, elle est le produit d’un marchandage entre des
visions et des rôles différents de la force africaine, mais aussi le produit informé
du temps et de l’évolution des paradigmes de la paix dans le monde. Comme la
plupart des conceptions de la sécurité imaginées dans des espaces

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supranationaux, elle est historiquement nourrie par l’idéologie, notamment


panafricaniste et considère que son objet de sécurité pertinent, c’est l’Afrique vue
comme le continent dans son ensemble. Cette stratégie de défense souvent naïve
exclue le « pays-frère » de la catégorie d’ennemi, en raison de la conclusion des
pactes de non-agression entre Etats africains. Elle est conçue contre les
« puissances impérialistes » pour rester fidèles au projet de défense panafricaine
de Kwame N’Krumah36 qui considère les menaces comme provenant
exclusivement de l’extérieur du continent. La conception panafricaine de la
sécurité même discutée et amendée par le président N’Krumah37, ne va pas
changer fondamentalement d’orientation, celle de la défense de l’Etat africain et
de manière implicite l’affirmation de la solidarité entre les Etats africains et ceux
qui en assument le porte-parolat. La conception panafricaine de la sécurité,
pendant toute la période de l’OUA va être westphalienne parce qu’elle fait de
l’Etat l’objet principal de la sécurité en Afrique, en témoigne la consécration des
principes tels l’égalité souveraine des Etats, la non-ingérence dans les affaires
intérieures des Etats, l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation.
Elle est le produit d’un compromis entre les « radicaux » du Groupe de
Casablanca et les « modérés » du Groupe de Monrovia. Les premiers ont réussi à
imposer une conception du système de défense africain qui vise la protection des
Etats africains contre les puissances impérialistes et leurs alliés, les régimes
racistes d’Afrique australe et la libération totale de l’Afrique de toute forme de
domination coloniale. Les seconds ont pu imposer un système de défense africain
qui vise à protéger le système interétatique issu de la décolonisation et le
maintien des relations amicales avec les acteurs extérieurs. En faisant de l’Etat
le référent de la sécurité, la conception panafricaine et westphalienne de la
sécurité va par la suite devenir « gouvernementaliste »38 et autoritariste. Ici, la
souveraineté n’est aucunement remise en cause par l’OUA, quelle que soit la
modalité d’accession au pouvoir, l’Etat malgré tout et contre tout reste la
garantie infaillible des populations. La fin de la bipolarité et la prolifération des
conflits internes en Afrique à partir des années 1990 vont être à l’origine de la
redéfinition de la menace et de l’ennemi, considérés désormais comme
« internes » qui déstabilisent les Etats (militaires et rebelles)39et peuvent être de
connivence avec ces puissances impériales et la consolidation de la conception
gouvernementaliste de la sécurité en Afrique. Toutefois, il est important de
mentionner que la conception gouvernementaliste de la sécurité davantage
consacrée par la Déclaration de Bamako de 2000 sur les changements

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anticonstitutionnels de gouvernements est un effet pervers de la volonté de


l’Afrique d’institutionnaliser le mode démocratique de dévolution du pouvoir
d’Etat. La faible institutionnalisation de la démocratie dans les Etats africains a
permis à certains analystes de considérer celle-ci (conception
gouvernementaliste) comme une soupape de respiration pour les autocrates
africains, labellisant alors l’avènement du paradigme de la « sécurité des
régimes » politiques en Afrique. La création de l’Union Africaine et la mise en
place de son architecture de paix et de sécurité à partir de 2002, tout en
relativisant le paradigme de la « sécurité des régimes », inscrivent la conception
panafricaine de la sécurité dans une conception post-westphalienne dominée par
le triomphe de l’idéologie libérale. Ce tournant doctrinal fait notamment de la
sécurité humaine un principe fondateur de la politique africaine commune de
défense et de sécurité adoptée en février 2004 : « The causes of intra-state conflict
necessitate a new emphasis on Human security, based not only on political values
but on social and economic imperatives as well. This newer, multi-dimensional
notion of security thus embraces such issues as human rights ; the right to
participate fully in the process of governance ; the right to equal development as
well as the right to have access to resources and the basic necessities of life ; the
right to protection against poverty ; the right to conducive education and health
conditions ; the right to protection against marginalization on the basis of
gender ; protection against natural disasters, as well as ecological and
environmental degradation » (African Union 2004 : para 6). L’axe de la sécurité
humaine dans la conception africaine de sécurité se décline dans le fait pour
l’organisation de se doter des capacités en matière de promotion de l’Etat de
droit, de défense des droits de l’homme ou de la réforme du secteur de la sécurité
(Murithi, 2006 : 246-260) et de promouvoir la bonne gouvernance à travers la
mise en place d’un Mécanisme d’Evaluation par les Pairs.

A cet effet, dire comme Romain Esmenjaud que la doctrine des organisations
africaines, ainsi que les outils mis à leur disposition, ont été progressivement
alignés sur ceux de l’ONU (2011 : 44), c’est sous-estimer ou vouloir feindre
d’ignorer que le maintien de la paix camoufle les intérêts des acteurs principaux
de la politique mondiale. Ces derniers entendent poursuivre la politique par le
maintien de la paix. On peut valablement estimer dans certains aspects que
« l’élève a dépassé le maître », car l’Union Africaine est la première organisation
internationale à avoir consacré dans son acte constitutif, sous certaines

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

circonstances clairement définies, la « responsabilité de protéger » les


populations en danger. Elle s’est engagée à assumer des interventions
humanitaires vitales en cas de crimes de guerre, de génocide et de crimes contre
l’humanité, même si l’opérationnalisation de la responsabilité de protéger reste
discutable. L’africanisation de la gestion des conflits entend faire de la
communauté internationale un accompagnateur de la paix en Afrique. Vu sous
cet angle, ce projet est révolutionnaire parce qu’il s’engage à modifier même
symboliquement le rapport de forces historique qui structure le maintien de la
paix dans le monde. Quand elle ne réussit pas ce dessein, l’africanisation de la
gestion des conflits prend les allures de la lutte pour une meilleure
représentation de l’Afrique dans les instances décisionnelles internationales,
notamment la problématique de la démocratisation de la société internationale.
Il en découle que l’africanisation de la gestion des conflits considère le soutien
onusien non pas comme « un fauteuil roulant à vie » dans lequel les africains
seraient embarqués, mais comme une « béquille » utile, sinon indispensable en
cas de fracture. Ce qui atteste de l’africanisation comme un projet
d’autodétermination stratégique.

L’africanisation de la gestion des conflits comme un projet


d’autodétermination stratégique

La promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le continent constitue


un « objectif stratégique » de l’Union africaine (Doumbé-Bille 2013 : 67). Il s’est
agi pour l’organisation de tirer les leçons de l’échec du passé afin
d’institutionnaliser les modalités permettant d’atteindre cet objectif, même si le
bilan semble plutôt mitigé. Et l’on peut affirmer avec Serge Sur qu’avec la
création de l’Union Africaine, l’Afrique se dote d’une organisation régionale qui
« possède une vocation continentale et une compétence politique générale »,
même si ses pouvoirs restent faibles (2009 : 81). L’africanisation de la gestion des
conflits se constitue et se durcit autour de l’idée d’unité, d’histoire commune, de
solidarité africaine et d’émancipation de la domination de l’extérieur. Quatre
éléments permettent d’apprécier l’africanisation de la gestion des conflits comme
un projet d’émancipation stratégique : d’abord, au plan symbolique, l’emblème de
l’UA se compose de quatre éléments. Les feuilles de palmier se dressant de
chaque côté à l’extérieur du cercle représentent la paix. Le cercle doré symbolise
la richesse de l’Afrique et son avenir radieux. À l’intérieur du cercle, la carte

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Yves Paul Mandjem

vierge de l’Afrique sans frontière aucune, indique l’unité africaine. Les petits
anneaux rouges entrecroisés au bas de l’emblème représentent la solidarité
africaine et le sang versé pour la libération de l’Afrique. Il ressort de ce symbole
le fait que la construction d’une communauté de sécurité en Afrique est informée
par la volonté de soulager les souffrances causées par les conflits et qui
entravent le développement de l’Afrique. De plus, elle conditionne la sécurité de
l’Afrique au maintien de la solidarité africaine et remémore l’histoire
douloureuse du continent comme gage de son émancipation réelle. De plus, le
développement par Etat indépendant et souverain contre les autres Etats
africains et au profit des intérêts non africains est en panne ; puis,
l’africanisation de la gestion des conflits est portée par un leadership africain.
Certes la diplomatie de la paix unilatérale voire concurrentielle des dirigeants
politiques africains enclins à rechercher un prestige politique personnel hérité de
la Guerre froide n’a pas disparu. Mais ce projet est sorti de l’anonymat par les
leaders africains comme Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Nelson Mandela,
Thabo Mbeki, Mouammar Khadafi, qui entendent par-là, rétablir une
souveraineté en Afrique mise à mal par les vieilles habitudes impériales et les
ingérences dictées par la globalisation. L’ancien Président sud-africain Thabo
Mbeki avait accueilli la table ronde de Marcoussis avec beaucoup de gêne,
d’amertume et de regret. A Kléber le 25 janvier 2003, il avait déclaré : « Nous les
africains, nous sommes venus à Paris parce que nous n’avons pas trouvé de
solution en Afrique, c’est là notre drame. Aucun dirigeant africain n’aurait pu
faire le choix d’une telle solution » (Mandjem 2014 : 268-269) ; ensuite,
l’africanisation de la gestion des conflits est aussi une activité discursive visant à
provoquer au moins au plan symbolique la rupture d’avec la dépendance à
l’égard de l’ONU et les puissances occidentales engagées en Afrique. De l’avis
d’Alpha Oumar Konaré, premier président de la Commission de l’Union
Africaine, la formule renseigne sur le fait que « la responsabilité première de la
paix sur le continent, c’est d’abord l’affaire des Africains. Il faut qu’ils l’assument.
Il faut que nos partenaires laissent les Africains gérer leurs affaires [...]. Il n’y a
plus de place pour les luttes d’influence aujourd’hui sur le continent »40.

L’africanisation de la gestion des conflits comme projet d’auto-détermination


stratégique ne se limite pas uniquement au plan discursif, elle se traduit
également par des actions engagées ça et là par les Etats africains dans le sens
de l’affirmation de leur volonté d’émancipation. A cet effet, mention peut être

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

faite du déclassement de la France dans les médiations en RDC au début des


années 2000 et en Côte-d’Ivoire en 2005, du succès relatif de la facilitation de
l’ancien Président burkinabé Blaise Comparé en Côte d’Ivoire alors que les
espoirs de sortie de crise étaient perdus. Au-delà des critiques qui leur ont été
adressées, ce sont la médiation sud-africaine qui institue la certification
onusienne des élections de sortie crise en Côte-d’Ivoire et la facilitation
burkinabé, qui ont permis l’organisation même imparfaite des élections de sortie
de crise en Côte d’Ivoire. De plus, l’on peut apprécier l’africanisation de la gestion
des conflits à partir de la méfiance et de l’hostilité que certains Etats africains
développent à l’égard de l’envoi sur leur sol des Forces onusiennes. Les réticences
du Cameroun et du Nigéria sont à cet effet révélateur. C’est sans doute ce qui a
commandé le déclassement du Sommet de Paris du 17 mai 2014 organisé à
l’initiative du Président Français François Hollande par la session
extraordinaire des Chefs d’Etat du Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique
centrale (COPAX) à l’effet d’adopter une stratégie régionale de lutte contre le
groupe terroriste Boko Haram, convoquée à l’initiative du Président Tchadien,
Idriss Déby, Président en exercice du COPAX, à Yaoundé, le 16 février 2015. La
méfiance des Etats du Bassin du Lac Tchad à l’égard de l’ONU et de ses
partenaires régionaux a permis de faire émerger des coalitions ponctuelles
saluées entre le Cameroun et le Tchad et la régionalisation de lutte contre Boko
Haram à travers la création dans le cadre de la Commission du Bassin du Lac
Tchad (CBLT), le 07 octobre 2014 à Niamey au Niger, de la Force Spéciale Mixte
Multinationale de sécurité pour lutter contre la secte islamiste Boko Haram.
L’intervention de l’armée tchadienne avec son contingent de 2000 hommes aux
côtés de l’armée camerounaise dans la lutte contre Boko Haram a été perçue
comme un tournant majeur dans la coopération inter-africaine et dans la
recherche et la mise en route des solutions africaines aux problèmes africains,
même si on ne peut sous-estimer l’intérêt à agir et à coopérer dans la lutte contre
une menace qui n’a pas tarder à déborder sur son territoire. De même que la
régionalisation de la lutte contre le terrorisme dans le cadre de la CBLT a
quelque peu relativisé l’importance des organisations traditionnelles de sécurité
collective. Toutefois, l’africanisation de la gestion des conflits comme projet
d’autodétermination stratégique est une alternative ambigüe.

B. Une alternative ambigüe

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Yves Paul Mandjem

L’africanisation de la gestion des conflits est une alternative ambigüe parce qu’il
s’agit à la fois d’un projet adossé sur la solidarité internationale et d’un projet
source de tensions et d’incompréhensions.

Un projet en partie adossé sur la solidarité internationale

L’ambition d’autodétermination stratégique de l’Afrique dans le maintien de la


paix a poussé ses concepteurs à créer le Fonds pour la paix car le maintien de la
paix est une activité complexe qui nécessite des moyens logistiques et financiers
considérables pour garantir la paix dans la durée. Les contributions statutaires
des Etats sont demeurées insuffisantes et irrégulières. Au cours de sa 21ème
session qui marquait par ailleurs le cinquantenaire de la création de l’OUA/UA,
la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a examiné le rapport du
Panel de haut niveau, présidé par l’ancien Président nigérian, Olusegun
Obasanjo, sur les propositions de sources alternatives de financement de l’UA.
Après de nombreuses tractations diplomatiques, la Conférence a adopté, « en
principe », le rapport et les deux options proposées comme sources alternatives
de financement de l’UA. Il s’agit de la taxe d’hospitalité de deux (02) dollars
américains par séjour dans les hôtels et la taxe de 10% sur les billets d’avion
pour les vols en partance ou à destination de l’Afrique. Jusqu’à présent, la
mobilisation de ces ressources reste incertaine. Le maintien de la paix en Afrique
reste tributaire des financements extérieurs à l’Afrique. La contribution de
l’ONU au renforcement de la capacité africaine de maintien de la paix a une
dimension intrinsèquement institutionnelle, illustrée par l’aide qu’elle apporte
aux organisations africaines (Cahin, 2000 : 93). Concernant cette aide, l’ONU
possède l’intégralité des instruments et des moyens pour proposer une réponse
globale, coordonnée et cohérente aux conflits complexes dans le monde,
notamment en Afrique. Cela s’illustre par les sollicitations d’intervention dont
elle fait l’objet par les Etats et les organisations africaines, dans le but d’assurer
le maintien de la paix à long terme dans les pays en proie à un conflit armé. A
titre d’illustration, les conflits au Mali et en RCA démontrent les difficultés
opérationnelles (pacification, soutien logistique et financier, etc.) auxquelles sont
confrontées l’UA et les CER (CEDEAO et CEEAC) dans leurs tentatives
diplomatico-stratégiques d’assurer et de garantir le maintien de la paix (Tardy
2013 : 2). La « solution onusienne » apparaît alors commode pour ces
organisations africaines. La complexité du conflit centrafricain souligne le

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

caractère incontournable de l’ONU et ses capacités inégalées pour mener des


actions multidimensionnelles au soutien à la paix dans la durée. Aussi
l’institution onusienne ne fait pas que compléter ou parachever l’action des
organisations africaines dans le maintien de la paix en Afrique. Elle les
supplante en assurant un rôle que ces dernières auraient dû jouer dans le cadre
du régionalisme africain. Bien qu’on note un réveil récent de l’Afrique dans le
financement des opérations de paix : l’engagement du Nigeria à contribuer un
montant de 100 millions de dollars en appui à la lutte contre Boko Haram dans
le cadre de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest
(CEDEAO)41 ; l’engagement pris par le Sommet extraordinaire du Conseil de
paix et de sécurité (COPAX) de la Communauté économique des États de
l'Afrique centrale (CEEAC), tenu à Yaoundé, au Cameroun, le 16 février 2015,
d’apporter une aide financière de 50 milliards de FCFA, ainsi qu'un soutien
logistique, au Cameroun et au Tchad, il reste que leur dépendance financière à
l’égard des partenaires extérieurs comme l’Union Européenne, les Etats Unis,
etc., demeure criarde. De plus, les anciennes puissances tutélaires, en dépit de la
décolonisation et des indépendances, continuent d’exercer une certaine forme de
tutelle et d’ingérence directe sur leurs ex-colonies, impliquant un engagement
plus ou moins direct dans les hostilités en faveur de l’une des parties
belligérantes ou à un engagement sous mandat onusien. Le mode de
financement des opérations de soutien à la paix de l’UA varie selon les missions,
mais comprend généralement un soutien financier du Fonds pour la paix de
l’UA, de partenaires internationaux et, dans certains cas, de contributions du
budget statutaire de maintien de la paix des Nations Unies. Certains pays
contributeurs de troupes prennent en charge leurs propres coûts opérationnels.
En tant que projet adossé sur la solidarité internationale, l’africanisation de la
gestion des conflits est également un projet source de tensions et
d’incompréhensions.

Un projet source de tensions et d’incompréhensions

L’africanisation de la gestion des conflits est un projet source de tensions et


d’incompréhensions en raison de la persistance de la concurrence qualifiante
entre acteurs de l’architecture internationale de paix et de sécurité. Il s’agit de
déterminer l’organisation la mieux qualifiée pour jouer un rôle important dans le
maintien de la paix et de la sécurité en Afrique. A quel moment et comment

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Yves Paul Mandjem

chacune des organisations interviendra ? La concurrence qualifiante qui prévaut


entre les organisations intervenant dans le maintien de la paix en Afrique
s’articule autour des registres de légitimation ou de délégitimation réciproques
ainsi qu’autour de la collision des intérêts internationaux, régionaux et sous
régionaux. Les registres de légitimation sont davantage fondés sur le droit
international ou le droit régional, tandis que les registres de délégitimation font
recours à des répertoires variés (inertie, inaction, manque de moyens de sa
politique, manque de leadership politique, etc.). Ce qui n’est pas sans trahir les
disfonctionnements au sein de la subsidiarité de premier niveau ou de second
niveau dans la paix et la sécurité internationales. L’absence de clarification de
rôles et la persistance de la volonté d’autodétermination entretiennent des
conflits de sens et de perceptions dans le maintien de la paix en Afrique. Il s’en
suit deux formes de dessaisissement autoritaire dans le maintien de la paix en
Afrique. La subsidiarité de premier niveau entre l’ONU et l’UA produit le
dessaisissement autoritaire de l’Afrique et de sa solution dans la résolution des
conflits ivoirien et libyen par l’ONU avec ses conséquences durables sur la
coopération entre l’ONU et l’UA, pourtant partenaires indissociables dans le
maintien de la paix en Afrique. La subsidiarité de second niveau entre l’UA et les
CER a conduit au dessaisissement autoritaire de la CEEAC par l’UA en RCA.
En effet, bien que prévu pour un mandat de vingt (20) mois, la MICOPAX 2 sous
conduite de la CEEAC a été interrompue par une décision du CPSUA, le 17 juin
2013, autorisant le déploiement de la MISMA. Toutefois, ce dessaisissement
autoritaire qui consacre le pouvoir discrétionnaire de l’organisation centrale ne
s’effectue pas sans en informer au préalable l’organisation subsidiaire engagée ;
il se fait dans le cadre d’une transition et consacre l’autonomie encadrée des
organisations subsidiaires (UA et CER) dans le maintien de la paix en Afrique.

Conclusion

Au sortir de cette réflexion sur le maintien de la paix en Afrique, il était question


de solder les controverses conceptuelles et lever le voile sur les ambiguïtés
édulcorées çà et là dans l’appréhension de l’expression « africanisation de la
gestion des conflits », afin d’en préciser le sens et la consistance. L’approche
décisionnelle dans l’analyse de l’africanisation de la gestion des conflits permet
de montrer que le maintien de la paix en Afrique est un champ de forces entre
les organisations intervenantes. L’Afrique y est vue comme un partenaire aux

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

initiatives multiples. Il s’agit d’un partenaire intéressant, important mais pas


toujours déterminant dans le maintien de la paix sur le continent. Au final,
l’africanisation de la gestion des conflits est une utopie au sens d’Elias, c’est-à-
dire qu’elle oscille entre illusion et réalité. D’où, dans le maintien de la paix en
Afrique, la solution qui s’impose s’explique par la position que vous occupez ou
qu’on veut bien vous concéder.

Notes

1. Voir le Protocole portant création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine


adopté le 9 juillet 2002.
2. Une adaptation de la perspective développée par (Snyder, Bruck et Sapin, 2002 ; Hudson
2007 : 4).
3. Voir article 24 alinéa 1 de la Charte des Nations Unies.
4. Ce début de coopération a été limité par la guerre froide.
5. De plus, en 1995, le Supplément à l’Agenda pour la paix apporte de nouveaux éléments,
dans son chapitre IV paragraphe 86, sur les différents types de coopération pouvant être
mis en place entre les organisations régionales et l’ONU.
6. Voir l’article sur « le partenariat entre l’ONU et les organisations régionales africaines »
du Réseau de recherches sur les opérations de paix, sur le site :
http://www.operationspaix.net/145-lexique-partenariat-entre-lonu-et-les-organisations-
regionales-africaines.html, consulté le 14 décembre 2014.
7. Voir Doc. ONU A/RES/57/48, 21 novembre 2002, intitulé « Coopération entre
l’Organisation des Nations Unies et l’Union africaine ; l’article 17 du Protocole du
Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA ; la résolution 1631 du Conseil de sécurité des
Nations Unies de 2005.
8. Doc. ONU S/PRST/2004/44, 19 novembre 2004.
9. Protocole du CPS, article 17, para 4.
10. Résolution 2033 (2012).
11. Adopté à Lomé le 11 juillet 2000 et entré en vigueur le 26 mai 2001.
12. Adopté le 9 juillet 2002 à Durban et entré en vigueur le 26 décembre 2003.
13. Sur le début de la coopération entre l’OUA et les Nations Unies en matière de maintien
de la paix, lire Doc. OUA AHG/Decl. 3 (XXIX), juin 1993, para. 25.
14. Article 2 alinéa 1 du Protocole de Durban créant le CPS.
15. Voir le Préambule du Protocole relatif à la création du CPS.
16. Protocole du CPS, article 16, para. 4, 6, 7 et 8.
17. Ibid, article 16, para. 4.
18. Bien avant l’Union Africaine, une réflexion menée par les Chefs d’Etat et de
gouvernement lors de leur 26ème Sommet à Addis-Abeba en juillet 1990 sur l’instauration
d’un climat de paix et de stabilité sur le continent, aboutissait le 30 juillet 1993 à la
Déclaration du Caire instituant le Mécanisme pour la prévention, la gestion et le
règlement des conflits. Le mécanisme ainsi créé fonctionne autour d’un Organe central
qui doit, aujourd’hui, être considéré comme l’ancêtre du Conseil de paix et de sécurité.
Sur l’actif de ce mécanisme qui a survécu quelques mois après la succession de l’OUA,
lire (Gueuyou, 2013 : 270).

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Yves Paul Mandjem

19. Voir le Préambule de l’Acte constitutif de l’UA.


20. Voir le film La chute du faucon noir de Ridley Scott.
21. Voir la décision PSC/PR/Com (LXIX) de la 69ème session du CPS de l’UA.
22. Résolution 1744 du 21 février 2007 par laquelle le Conseil de sécurité décide d’autoriser
les Etats-membres de l’UA d’établir l’AMISOM pour une période de six mois.
23. Valéry Giscard d’Estaing, Discours prononcé au Palais de Koulouba, Bamako (Mali), 14
février 1977.
24. Nicolas Sarkozy, Discours devant le Parlement sud-africain, le Cap, 28 février 2008.
25. Pour un inventaire de tous les programmes de renforcement des capacités africaines de
maintien de la paix, se référer (Berman et Sams, 2000 ; Liegois, 2011 : 183-200).
26. Discours de Abdou Diouf, président de la République du Sénégal, à l’occasion de la
cérémonie de remise du Prix international Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de
la Paix de l’UNESCO, au président sud-africain De Klerk et au leader historique de
l’ANC Nelson Mandela, en 1991, à Paris.
27. Voir le Rapport du secrétaire général sur la création, au sein de l’OUA, d’un Mécanisme
pour la prévention, la gestion et de règlement des conflits, qui a été repris par les
(Services d’information et de publication de l’OUA, 1993 : 5-12 ; Naldi, 1999 : 24-29).
28. Créée en juin 2013 et approuvée le 27 mai 2013 par la Conférence de l’Union, elle
apparaît comme une formule provisoire en attendant la mise en place de la FAA. Voir
sixième réunion ordinaire du Comité technique spécialisé sur la défense, la sûreté et la
sécurité (CTSDSS), Rapport de la présidente de la Commission sur l’opérationnalisation
de la capacité de déploiement rapide de la Force africaine en attente et la mise en place
d’une « capacité africaine de réponse immédiate aux crises », Addis-Abeba, du 29 au 30
avril 2013, (RRPT/Exp/VI/STCDSS/(i-a) 2013).
29. La Mission de l’UA en Somalie (AMISOM) a été créée par décision PSC/PR/Com
(LXIX) lors de la 69ème session du Conseil de paix et de sécurité de l’UA tenue le 19
janvier 2007 et autorisée par le Conseil de sécurité des Nations Unies par la résolution
1744 du 21 février 2007.
30. Voir le supplément de l’Agenda pour la paix de 1995.
31. Conformément à la résolution 1769 du 31 juillet 2007 du CSNU.
32. Résolution 2085 du 20 décembre 2012 du Conseil de sécurité des Nations Unies
33. Résolution 2127 du 05 décembre 2013 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Cette
résolution autorise également l’opération française Sangaris à apporter son soutien à la
MISCA.
34. Résolution 2100 du 25 avril 2013 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Cette
résolution autorise également l’opération française Serval à apporter son soutien à la
MINUSMA.
35. Résolution 2149 du 10 avril 2014 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
36. Au début des années 1960, le président N’Krumah propose la constitution des Etats-Unis
d’Afrique au service duquel une armée continentale, dotée de composantes navale,
terrestre et aérienne ainsi que d’une capacité de réaction rapide, aurait pour principale
mission de défendre l’Union en tant qu’entité indivisible, voir OAU, Union Military
Command-Proposals by Ghana, Def.1/Memo3, Accra, 1st Meeting of the Defense
Commission, october 1963.
37. La conception panafricaine de la sécurité amendée par ce dernier en 1964 intègre l’idée
de défense des Etats individuels mais continue de considérer les menaces comme
provenant des « puissances néocolonialistes » et de leurs agents en Afrique, les « régimes
racistes » d’Afrique australe, lire (Cervenka, 1977 : 38).

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Essai d’analyse politiste du procès de l’africanisation de la gestion des conflits africain

38. Le « gouvernementalisme correspond à une attitude qui tend à soutenir le gouvernement


et plus généralement l’autorité politique à la tête de l’Etat » (Esmenjaud, 2011 : 38).
39. Voir la Déclaration de Bamako sur les changements anticonstitutionnels de
gouvernements de 2000 ou la Charte africaine de la Démocratie, des élections et de la
gouvernance de 2007.
40. Réunion spéciale du Conseil de sécurité des Nations Unies sur l’Afrique, 25 septembre
2007.
41. Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine, Communiqué de presse, 500ème
réunion, Addis-Abeba, 27 avril 2015.

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72 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


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74 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les configurations de la culture stratégique
Camerounaise :
Essai de caractérisation.

par
Aïcha Pemboura,
Université de Yaoundé II

Le concept de culture stratégique remet au goût du jour la prééminence de


l’environnement culturel dans la détermination des choix stratégiques d’un pays
en matière de politique étrangère et de défense. La puissance culturelle doit être
prise au sérieux parce qu’elle marque l’assujettissement des esprits, le contrôle
des manières de penser, de représenter ou de signifier par un groupe ou par un
individu2. Ceci parce que la culture est un phénomène complexe qui se crée et
dont l’évolution peut être pilotée pour atteindre un but précis. L'anthropologue
anglais Edward B. Tylor3 propose à ce propos une première définition
conceptuelle en 1871. Il soutient en effet que : « La culture est un tout complexe
incluant les connaissances, les croyances, l'art, la morale, le droit, les coutumes
ainsi que toutes autres dispositions et habitudes acquises par l'homme en tant que
membre d'une société ». La culture se définit donc comme l’ensemble des valeurs,
normes, pratiques de la vie quotidienne acquises et partagées par un groupe de
personnes4.

La culture stratégique traite du rôle des influences culturelles sur la façon dont
les entités politiques déterminent quand il convient d’employer la force,
comment l’employer au cours d’un conflit et sur quelle base il convient de mettre
fin à celui-ci5. Cet article esquisse une analyse des trajectoires de la culture
stratégique camerounaise. Il s’agit de comprendre le comportement du
Cameroun en matière de politique étrangère et de défense, mais aussi de cerner
davantage les choix stratégiques que ce pays opère depuis son indépendance, à
partir du conflit frontalier entre le Cameroun et le Nigéria à la lutte actuelle
contre la secte terroriste Boko Haram dans sa partie septentrionale. Il importe
dans ce contexte de cerner le déploiement de la culture stratégique camerounaise
qui est née et évolue dans un environnement culturel qui influence ou détermine
en partie les décisions qu’il prend en matière de politique étrangère et de
défense. L’élite civile et/ou militaire) est dépositaire de la culture stratégique au

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Aïcha Pemboura

Cameroun. Elle fixe en dernier ressort le cap à donner à la culture stratégique.


Cette réflexion appréhende la culture stratégique camerounaise dans son
environnement, ses manifestations et sa dynamique (I). Cela nous permet de
mieux comprendre la logique de détermination des choix stratégiques et des
priorités en matière de politique étrangère et de défense (II).

I. L’environnement culturel de déploiement de la culture


stratégique Camerounaise : entre domination interne d’une élite
civile et contraintes internationales

Le concept de culture stratégique est complexe. Pour cerner le champ de


l’analyse, il est judicieux de mettre au préalable en évidence cette complexité (A)
avant d’interroger le processus d’acquisition d’une culture stratégique, de son
origine à son évolution (B). On peut alors mieux élucider certains aspects
importants mais peu explorés de la littérature sur la culture stratégique,
notamment la détermination du groupe dépositaire de la culture stratégique
dans un pays : les civils ou les militaires ? (C).

A. La culture stratégique : une approche conceptuelle complexe

Le débat conceptuel sur la culture stratégique n’est pas récent. Depuis la fin des
années 1970, ce concept connaît une multitude de définitions selon l’objet d’étude
choisi. Ces définitions ont en commun le fait qu’elles contribuent à mettre en
valeur la dimension culturelle des stratégies. C’est ainsi que Snyder6 définit le
premier la culture stratégique comme la somme totale des idéaux, des réponses
émotionnelles conditionnées et des modèles de comportements habituels que les
membres d’une communauté nationale stratégique ont acquis au travers de
l’instruction ou de l’imitation. Dans le même sens, Carnes Lord7 la définit comme
l’ensemble des pratiques traditionnelles et des habitudes de pensée qui, dans
une société, gouvernent l’organisation et l’emploi de la force militaire au service
d’objectifs politiques. Kenneth Booth8, quant à lui, conçoit la culture stratégique
comme l’ensemble des traditions, valeurs, attitudes, types de comportement,
habitudes, coutumes, réalisations et manières particulières de s’adapter à
l’environnement et résoudre les problèmes d’une nation relatifs à la menace ou
l’emploi de la force. Pour d’autres auteurs, c’est un ensemble d’idées, attitudes,
traditions, façons de penser et méthodes préférées, durables et transmises
socialement qui sont plus ou moins propres à une communauté de sécurité
géographiquement définie, ayant une expérience historique unique9. Dans cette

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Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : essai de caractérisation

perspective, Jack Snyder, à la différence des autres, apporte une précision


particulière sur la manière dont se transmet la culture stratégique. L’auteur
évoque précisément l’instruction ou l’imitation. Ce qui amène certains auteurs à
penser que bien que la plupart de ces définitions aient été couramment reprises
dans la littérature, elles ont tout de même souvent manqué de rigueur et de
précision10.

Cependant, d’autres définitions ont tout de même apporté une approche plus
précise sur le plan stratégique et opérationnel en mettant l’accent sur la manière
dont les sociétés font la guerre en fonction de leurs préférences culturelles. Dans
cette optique, Ytzhak Klein11 pense que la culture stratégique peut aller de la
conception la plus large englobant les préférences relatives aux politiques de
sécurité et de défense à la plus étroite qui intègre les croyances concernant
l’objectif politique de la guerre et la méthode la plus efficace pour l’atteindre.
Stephen Rosen12, dans ses travaux, estime que la culture stratégique oriente les
choix portant sur le comportement militaire international, surtout en ce qui
concerne les décisions d’entrer en guerre, les préférences pour des modes de
confrontation offensifs, expansionnistes ou défensifs et le niveau de pertes
acceptable. Dans la même veine, Christoph O’Meyer13 considère que la culture
stratégique englobe des normes concernant : i) les buts acceptables de recours à
la force qui peuvent aller d’une conception stricte de la légitime défense à une
vision extensive de la préservation d’intérêts ou de valeurs ; ii) la manière dont
la force doit être utilisée (en dernier recours avec le maximum de retenue et en
minimisant les risques ; ou à l’inverse sans restriction) ; iii) les relations avec des
partenaires dans le domaine de la défense (neutralité, alliances ou liens
spéciaux) ; iv) les modalités d’autorisation juridique du recours à la force, aux
niveaux national et international. Par rapport aux approches culturalistes, un
autre pan de la littérature exprime des craintes quant à la réification des
facteurs culturels qui risquent de réduire les acteurs à des dupes culturels,
répliquant infiniment des schémas préétablis14. C’est dans le but de ne pas
tomber dans cette dérive que d’autres travaux plus actuels considèrent la culture
comme un milieu ou comme un ensemble de ressources que les décideurs
peuvent manipuler en fonction de leurs préférences15. C’est également le
problème que posent les « cultural studies»16.

Des auteurs comme Bradley Klein17, bien que concédant qu’il existe des
traditions nationales, estiment que la culture est en fait un discours manipulé
par les dirigeants qui s’y réfèrent pour masquer leurs motivations réelles. En

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Aïcha Pemboura

référence au constructivisme conventionnel, les auteurs comme Theo Farrell18


pensent que l'action et les croyances sont façonnées par la culture et les idées qui
eux-mêmes façonnent les acteurs et leur action dans la politique mondiale. Ainsi,
la culture retient la possibilité de choix pour les agents. Le rôle de l'agence est ici
sous-théorisé dans les approches constructivistes conventionnelles. Par contre,
selon Olivier Schmitt, les constructivistes classiques affirment que la culture est
créée par la socialisation, les interactions, les perceptions et les expériences qui
sont un processus plutôt qu'une donnée. Cette approche est cependant mal
équipée pour expliquer l’incohérence dans le comportement en politique
étrangère. Selon eux, les changements se produisent rarement et prennent un
certain temps. Mais que faire si les changements se produisent fréquemment ou
rapidement ? Cela peut s’expliquer en menant une recherche sur les décideurs.
Dans ce cadre, les discours et les représentations vont reproduire des structures
de domination et vont être manipulés par les acteurs pour faire avancer leurs
propres agendas19. Cette approche semble donc concevoir l’agent comme pris au
piège par la culture. Et dans ce cas, il s’agit de la culture de l’élite dominante20.
C’est dans ce contexte que «la culture influence l'action...par la mise en forme
d'un répertoire de «boîte à outils» des habitudes, des compétences et des styles à
partir de laquelle les gens construisent des stratégies d'action ».

L’on constate, au vu de tout ceci, qu’en réalité, ces approches, loin d’être
incompatibles, peuvent être complémentaires. En effet, dans un certain
environnement culturel où l’acteur est dominant, il donne une orientation
culturelle à une culture stratégique. Pourtant, il peut être agi ou est agi dans un
autre environnement culturel structuré par des acteurs qui le dépassent. Dans
ce second cas, il peut subir cette autre culture en étant un agent obligé de
s’aligner à la politique dominante sous peine de se retrouver en marge de la
communauté dominante21 ou chercher à apprendre et à s’approprier les secrets
de la domination des autres, tout en restant un acteur dominant dans son
environnement propre.

C’est le cas de la République du Cameroun qui, indépendant depuis 1960, est


membre des Nations-Unies, de l’Union Africaine et de beaucoup d’organismes
internationaux, au sein desquels elle développe une coopération multilatérale et
bilatérale. L’on peut même à ce propos constater une constance dans sa politique
étrangère depuis son indépendance qui s’articule autour des points suivants : les
principes d’indépendance nationale conformément à la Charte des Nations
Unies, la coopération et l’unité africaine, le non-alignement, la prégnance de

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Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : essai de caractérisation

l’impératif de développement et le pacifisme22. Outre ces principes pris dans leur


globalité, les points spécifiques du non-alignement et du pacifisme en particulier
font partie des choix de politique étrangère et de défense que l’élite dominante a
construits et institués dans la durée et qui permettent de comprendre, dans une
certaine mesure, la direction que le pays donne à sa culture stratégique. Dès
lors, comment s’acquiert la culture stratégique ? Quelle est l’orientation que
l’élite dominante au Cameroun a donnée à sa culture stratégique ? Qui est cette
élite dominante ? Qui est dépositaire de la culture stratégique au Cameroun : la
corporation militaire ou les civils ?

B. La problématique de l’acquisition d’une culture stratégique :


des origines à son évolution

Selon Guy Rocher23, la culture résulte de la socialisation qui passe par le


développement des mécanismes d’apprentissage et d’intériorisation par une
personne ou un groupe des éléments socioculturels de son milieu. Ceci est bon à
savoir quand on constate que, dans le cadre de l’acquisition, de la transmission,
du fonctionnement et même de l’évolution de la culture stratégique, les auteurs
ont encore du mal à trouver un consensus. En réalité, peu d’auteurs explorent les
institutions d’apprentissage de la culture stratégique telles que de l’école (civile
ou militaire) où un certain nombre de valeurs, d’idéologie, de normes, etc.
peuvent être véhiculées et transmises de générations en génération. Patry et
al.24, contrairement aux autres auteurs, évoquent les différentes formes de
culture stratégique qui peuvent exister dans un Etat, en particulier, la culture
stratégique institutionnelle militaire sans en préciser toutefois le mécanisme
opérationnel. Ils subodorent juste que cela serait en fait la résultante de la
culture militaire. Notre travail25 par contre essaie de systématiser et
d’approfondir davantage cette réflexion dans ses travaux sur le processus de
formation de la culture stratégique camerounaise à travers notamment le rôle
des écoles militaires. Snyder, par exemple, évoque trois sources : l’histoire, les
institutions politiques et la situation stratégique tandis que Colin Gray26 met
seulement l’accent sur l’expérience historique, la géographie mais aussi la
politique. L’histoire et la géographie sont des éléments qui semblent être les
déterminants essentiels sur lesquels l’on peut trouver un consensus dans la
littérature. Carnes Lord propose une liste de facteurs : la géopolitique, les
relations internationales, la culture politique et l’idéologie, la culture militaire
(histoire militaire, traditions et éducation des soldats), les relations civilo-

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Aïcha Pemboura

militaires dans l’organisation bureaucratique et des équipements, des


armements et des technologies disponibles.

Ces derniers facteurs ont été mobilisés par Colson Bruno27 dans l’étude de la
culture stratégique française. Cependant, ces études mettent en évidence les
difficultés à expliciter la manière dont ces déterminants se cristallisent en
culture. Cette difficulté apparait autrement dans d’autres travaux comme ceux
de Patry et al.28. Ces auteurs ont également éprouvé la difficulté à préciser
comment la culture influence les choix stratégiques. Jack Snyder parle certes de
« filtre perceptuel » (perceptual lens) au travers duquel sont appréciés les
problèmes de sécurité. Mais Colin Gray estime plus généralement que « la
culture stratégique fournit le milieu dans lequel les idées stratégiques et les
décisions relatives à la politique de défense sont débattues et prises »29. De ces
différents paramètres, la géographie est le plus immuable, mais l’histoire et la
culture politique sont également difficiles à modifier. Cela explique la
persistance des valeurs et des normes constituant la culture stratégique, en
dépit des modifications de la situation internationale qui peuvent affecter la
sécurité d’un pays. La plupart des auteurs s’accordent à considérer que la culture
peut évoluer et s’adapter probablement en réponse à la confrontation répétée
avec des facteurs incohérents30. En bref, Colin Gray31 estime que les évolutions
sont lentes parce que la culture est « généralement invisible et silencieuse »,
qu’elle constitue un contexte dont les acteurs ne sont pas nécessairement
conscients. Une culture ne peut donc selon lui être modifiée simplement.

Les modalités de « fonctionnement » de la culture stratégique sont donc


diversement appréciées dans la littérature. Il est communément admis que les
croyances et les normes culturelles interviennent, soit comme filtre
d’interprétation de la réalité, soit comme délimitation du champ des possibilités
dans la fabrication des options politiques et stratégiques d’un pays.

Cependant, dans l’étude du fonctionnement de la culture stratégique, on peut


rechercher les traces d’une culture dans l’observation des régularités de
comportement (préférences) que l’on rattache ensuite à une origine historique ou
géopolitique. La démarche analytique habituellement retenue par les chercheurs
pour traiter la question de l’existence de la culture stratégique est de nature
inductive. Ils recherchent des constantes de comportement dans les politiques
étatiques de sécurité et les stratégies de défense. Ces constantes sont
interprétées par rapport à l’évolution de l’environnement international de l'État

80 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : essai de caractérisation

considéré. La culture des décideurs intervient alors pour fournir un ensemble de


références (idées, préjugés) servant à orienter les choix à travers des préférences
tendancielles que n’explique pas la seule rationalité32.
De toute évidence, l’étude de la culture stratégique d’un pays ne consiste pas à se
poser la question de l’efficacité ou non des stratégies mises en place par un pays
pour l’atteinte d’un objectif de politique étrangère ou de défense, mais de
comprendre sa logique et ses préférences résultant de son histoire, de sa
géographie, de sa culture politique dans la détermination de ses choix en matière
de politique étrangère et de défense.

C. Le groupe dépositaire de la culture stratégique : civil ou


militaire ?

Les premiers travaux sur la culture stratégique s’intéressaient aux États et


tentaient de discerner des préférences nationales reflétant une expérience
collective conditionnée par la géographie. Mais, on y trouvait peu de précisions
sur les groupes dépositaires de la culture. Les études des années 1990 se sont
intéressées à ce problème. La contribution des institutions militaires a
particulièrement retenu l’attention, certains auteurs allant même jusqu’à
considérer la culture stratégique comme l’apanage des institutions militaires
professionnelles qui sont les seules au sein d’une collectivité nationale à pouvoir
intégrer les préférences de manière cohérente, les enseigner et les utiliser33.
Cependant, d’autres auteurs attribuent la culture à la fois au monde civil et aux
armées. On constate que la dimension civile de la culture stratégique fait encore
l’objet de débat : faut-il la limiter aux organisations et individus directement
concernés et impliqués dans la sécurité, ou peut-on considérer que le public est
aussi porteur de telle culture ? Cette dernière conception reste marginale34.
Ainsi, il parait logique de comprendre que dans une République comme le
Cameroun, les militaires étant sous les ordres des civils tel que consacré par la
Constitution35, le Chef de l’Etat est dans ce contexte le chef des forces armées et
veille de ce fait à la sécurité intérieure et extérieure de la République (alinéa 3 de
l’article 8 de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution
du 02 juin 1972). Bien avant 1972, l’un des textes fondateurs de la défense
Camerounaise qu’est la loi n°67/LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation
générale de la défense disposait déjà en son article 6 que : « le Président de la
République veille à la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat. Il définit la
politique de défense et pourvoit à sa mise en œuvre ».

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 81


Aïcha Pemboura

Dès lors, l’on constate que la légalité textuelle consacre le Président de la


République au Cameroun depuis 1960 comme garant de la défense et de la
sécurité. De même, le ministère de la défense est dévolu depuis l’indépendance
aux civils. Et c’est un ministre délégué à la Présidence qui est chargé de la
défense. Aussi le Le Président de la République définit et met en œuvre la
politique camerounaise en matière de défense, mais aussi de politique étrangère.
C’est le cas lorsque le Président Ahmadou Ahidjo affirme en 1980 que : « Le
Cameroun est et sera toujours un pays profondément pacifique, résolument
attaché aux idéaux de l’OUA et des Nations Unies…Les forces armées concourent
à l’affirmation de la personnalité nationale dans le monde et au progrès général
de la nation dans l’unité et la solidarité »36. Dans la conyinuité, le Président Paul
Biya précise en 1990 devant les élèves officiers de la promotion unité et solidarité
de l’EMIAC que : « Le Cameroun, pour sa part, ne nourrit aucune ambition de
puissance, le Cameroun est un Etat libre dont le développement n’est possible que
dans la paix et la stabilité. La mission principale des forces armées est de
préserver cette paix, dans le cadre de nos options fondamentales :
• l’indépendance nationale ;
• la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats ;
• le respect de leur souveraineté et de leur intégrité territoriale ;
• le non-alignement et la recherche de la paix entre les Nations ;
• la coopération sans frontière ;
• l’unité et la solidarité africaine. »

Selon Marcel Merle37, chaque pays fait le choix de ses priorités en matière de
politique étrangère en fonction de sa taille, de sa puissance, de sa situation
géographique mais aussi de sa tradition historique. Narcisse Mouellé Kombi38
ajoute dans le contexte camerounais que « Yaoundé essaie de mettre en œuvre
une politique étrangère empreinte de réalisme et de pragmatisme, axée sur
quelques principes fondamentaux mais se prêtant opportunément et utilement à
des adaptations commandées par les circonstances ».

En effet, les relations internationales, selon Luc Sindjoun, « en tant que relations
sociales particulières, sont influencées par les normes, les valeurs, les idéaux, les
représentations et autres sanctions ou significations, c’est-à-dire, la culture. Par
conséquent, la puissance culturelle est celle qui détermine le sens des relations
internationales, qui détermine le permis et l’interdit, le légitime et l’illégitime »39.
En dépit de la légalité qui légitime la prépondérance de l’autorité civile sur le
militaire, l’influence de la corporation militaire sur l’orientation de la politique de

82 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : essai de caractérisation

défense du Cameroun depuis 1984 doit être prise au sérieux. Il apparait par
conséquent évident que les institutions militaires participent autant que les
civils à la culture stratégique. L’existence d’une culture stratégique au
Cameroun limite de par son existence même les choix stratégiques camerounais.
A la lumière des développements précédents, il apparait de toute évidence que
les civils aussi bien que les militaires sont dépositaires de la culture stratégique
nationale.

II. La logique camerounaise dans la détermination de ses choix


stratégiques et de ses priorités en matière de politique étrangère
et de défense

La culture stratégique camerounaise dans une situation de conflit est constante :


le recours à la diplomatie dans le but d’éviter la confrontation militaire si
possible et le recours à la force en dernier ressort (A). Le concept de défense
camerounaise étant structuré autour de la défense populaire, l’on comprend donc
qu’en cas de recours à la force face à une menace extérieur, la défense populaire
se matérialise et est renforcée par une coopération civilo-militaire accrue (B).

A. Le recours à la diplomatie comme préalable et le recours à la


force en dernier ressort au Cameroun

Le recours à la diplomatie comme préalable

La diplomatie est l’ensemble des relations entretenues entre les Etats conduites
de façon avisée et habile. Le Cameroun dans cette perspective, entretient depuis
1960 des relations bilatérales avec les pays africains et d’autres pays dans le
monde40. La politique étrangère du Cameroun contribue à la recherche de la paix
interne et internationale41. La culture stratégique à titre de rappel traite du rôle
des influences culturelles sur la façon dont les entités politiques déterminent
quand il convient d’employer la force, comment l’employer au cours d’un conflit
et sur quelle base il convient de mettre fin à celui-ci42. C’est pour cette raison que
la démarche Camerounaise consiste à privilégier toujours le dialogue et la
négociation et ne recourir à la force qu’en dernier ressort. Quand on sait que la
politique étrangère des Etats n'a qu'un seul objectif : la protection et la
promotion de l'intérêt national43, l’on comprend les choix stratégiques
camerounais qui sont dictés par ses intérêts. Les intérêts du pays sont ici la

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 83


Aïcha Pemboura

préservation de la paix, la sécurité et le développement à l’intérieur de ses


frontières dans le respect des idéaux des Nations Unies et de l’Union Africaine.
La diplomatie Camerounaise est fortement empreinte du dialogue et de
négociation. Le dialogue a pour but d’établir une coopération propre à créer les
conditions fondamentales de la paix. Tandis que négocier c’est :
• dialoguer avec l’autre jusqu’à trouver un terrain d’entente. Ce n’est pas
imposer sa volonté par la force, bien que la pression ne soit pas exclue ;
• expliquer sa position et chercher à bien comprendre ce que veut l’autre ;
• déterminer ce qui est le plus important pour chaque partie afin
d’équilibrer les concessions, dépasser les contradictions par un effort
d’imagination, clé du succès.

C’est ainsi que le Cameroun depuis le début des assauts de Boko Haram sur son
territoire et les multiples prises d’otage qui s’en sont suivies44 a très souvent
réussi à obtenir la libération des otages par la négociation.

Le recours à la force en dernier ressort

La démarche camerounaise tout au long de son histoire militaire à toujours


laissée une place de choix en amont de l’action militaire à la diplomatie. Cela a
été le cas lors du conflit frontalier entre le Cameroun et le Nigéria pour le
contrôle de la presqu’ile de Bakassi. La logique camerounaise du non-alignement
qui s’était déjà matérialisée lors du conflit du Biafra au Nigeria, a continué
lorsque le Cameroun a évité de se prononcer et de s’impliquer dans la lutte que
mène depuis des années son grand voisin qu’est l’Etat nigérian contre la secte
terroriste Boko Haram. Cette position ce point s’est affirmée malgré les pressions
internationales pour que le Cameroun prenne position, mais aussi et surtout
permette le droit de poursuite des membres de la secte sur son territoire45. Le
pays, par la voix de son Président, n’a déclaré la guerre à ce groupe terroriste
qu’à la suite des attaques répétées, incessantes et inquiétantes du mouvement
sur son sol, mettant en insécurité constante les personnes et les biens dans
l’Extrême-nord du pays. De même, bien que repoussant les assauts incessants du
groupe sur son territoire, un dispositif militaire adéquat de lutte contre les
tentatives d’atteinte à l’intégrité et à l’indépendance du pays n’a été mis en place
que plus tard. C’est dans ce contexte que le Président Paul Biya va déclarer la
guerre à Boko Haram au Sommet de Paris du 14 mai 201446. Il s’en suit un
redéploiement du dispositif militaire à la hauteur de la menace. L’on peut le voir,
l’action du pays dans la lutte contre le terrorisme jihadiste ne répond qu’à ses

84 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : essai de caractérisation

principes en matière de gestion de sa politique étrangère et dans l’élaboration de


ses stratégies de sécurité et de défense.

Le Cameroun a donc toujours affirmé et réaffirmé son refus du droit de poursuite


des malfaiteurs en territoire étranger y compris le droit de poursuite du Nigeria
sur le territoire camerounais. Cependant, il a décidé de mettre à la disposition de
la Communauté du Bassin du Lac Tchad un effectif de 700 militaires pour la
lutte contre Boko Haram47, ce qui montre son attachement constant à
la solidarité africaine et internationale48, sa fidélité aux normes, idéaux et
valeurs prônés sur la scène internationale mais dans une logique qui laisse une
place de choix à la recherche constante de son intérêt national. Le Cameroun,
dans ce contexte, décide de recourir à la force, non pas parce que les autres le
font (non alignement), mais parce qu’il y est obligé pour assurer l’intégrité de son
territoire, tout en garantissant sa souveraineté et son indépendance.

De la menace symétrique à la menace asymétrique : la défense


populaire comme option stratégique choisie

Dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, le gouvernement Camerounais a


plus que jamais besoin du soutien entier de la population en termes
d’information et de soutien à la force. C’est dans ce contexte que la défense
populaire qui a une place importante dans la politique de défense du Cameroun49
retrouve tout son sens. Pour le Président Paul Biya, cela signifie « organiser et
encadrer les populations dans l’esprit de la défense populaire qui doit viser la
préparation, la mobilisation et la mise en état de défense de la nation entière, en
cas de conflit, permettre une rapide conversion de toutes les énergies humaines et
matérielles ainsi que leur meilleure utilisation et leur protection efficace…La
défense nationale devant être populaire, globale, intégrée et permanente, elle doit
opérer la structuration rationnelle et judicieuse de toutes les forces populaires.»50.
Pour le gouvernement Camerounais, la réponse à la crise de sécurité passe par la
relation civilo-militaire. L’on observe une mobilisation générale pour une
coopération civilo-militaire accrue. Le 15 août 1970 lors de la sortie des officiers
de la promotion du 10ème anniversaire de l’EMIA, M. Ahidjo avait défini le
concept de défense en ces termes : « Notre défense doit être populaire, c’est-à-dire,
l’affaire de tous, l’affaire du peuple camerounais tout entier. Les menaces
auxquelles nous pouvons être amenés à faire face exigent des moyens que seule la
défense populaire peut fournir. Les armées ne suffisent pas pour sauver une
nation tandis qu’une nation défendue par le peuple est invincible ».

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 85


Aïcha Pemboura

Ainsi, sous le signe de la vigilance, la défense est devenue à la fois totale et


permanente. Les forces armées n’en représentent plus qu’un aspect. Leur
mission, ce n’est plus seulement d’être l’élément armé dans la nation, mais
d’armer moralement, psychologiquement, civiquement la nation, de manifester
sa volonté d’indépendance51.

Notes
1. Stéphane Roussel, « La recherche sur la culture stratégique : quelques pistes de
réflexion », Diplomatie 29, Novembre-Décembre 2007.
2. Luc Sindjoun, « A la recherche de la puissance culturelle dans les relations
internationales : essai de caractérisation du concept et d’appréhension du
phénomène », Revue camerounaise d’études internationales n°001, 1er semestre.
3. Edward B. Tylor, Primitive Culture : Researches into the Development of Mythology,
Philosophy, Religion, Language, Art and Custom (2 vol.), Londres, 1871.
4. Jean-Paul Simonnet, « La culture : définition et caractéristiques », Juillet 1997.
www.lyc-arsonvalbrive.ac-limoges.fr (Consulté le 28 Décembre 2014)
5. Martha Finnemore, National Interests in International Society, Ithaca, NY : Cornell
University Press, pp. 69-73, pp. 86-88, 1996 ; John Glenn, « Introduction », Neorealism
Versus Strategic Culture, ed. John Glenn, Darryl Howlett et Stuart Poore, Burlington,
VT : Ashgate, pp.8-10, 2004 ; Lawrence Sondhaus, Strategic Culture and Ways of War,
New York : Routledge, Taylor & Francis Group, pp. 123-129, 2006.
6. Jacques Snyder, The Soviet Strategic Culture: Implications for Nuclear Options, Santa
Monica ind. Corporation, 1977.
7. Lord Carnes, American Strategic Culture, Comparative Strategy, Volume 5, 1985.
8. Kenneth Booth, Strategy and Ethnocentrism, Croom Helm, 1979.
9. Colin S. Gray, « Comparative Strategic Culture », Parameters, Vol. XIV, Winter, 1984.
10. Patry et al., « L’élaboration d’une culture stratégique européenne dans le domaine «
aérospatial », Recherches et documents N°11/2010, Fondation pour la Recherche
stratégique, www.Frstrategie.org, 2010. (Consulté le 28 Décembre 2014)
11. Ytzhak. Klein, « A Theory of Strategic Culture », Comparative Strategy 10, n° 1,
January, p. 12, 1991.
12. Stephen P. Rosen, « Military Effectiveness: Why Society Matters, » International
Security, vol.19, n° 4, spring, 1995.
13. Christoph O. Meyer, The Quest for a European Strategic Culture, New York, Palgrave
McMillan, pp. 22-23, 2006.
14. Patry et al , « L’élaboration d’une culture stratégique européenne dans le domaine «
aérospatial », Recherches et documents N°11/2010, Fondation pour la Recherche
stratégique, www.Frstrategie.org, 2010. (Consulté le 28 Décembre 2014)

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Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : essai de caractérisation

15. Carolin Hilpert, Strategic Cultural Change and the Challenge for Security Policy:
Germany and the Bundeswehr's Deployment to Afghanistan, Palgrave Macmillan, 280
pages, 2014; Fitzhugh, M-L. and Leckie, W-H. 2001, ‘Agency, Postmodernism and the
Causes of Change’,History and Theory, Vol. 40, No. 4, pp. 59–81.
16. Armand Mattelart, et Erik Neveu, Introduction aux culturals studies, Paris, Editions
la Découverte, 2003.
17. Bradley S. Klein, “Hegemopny and strategic culture: American power projection and
alliance defence politics”. Review of international studies. Volume 14. Number 2, 1988.
18. Theo Farrell, ‘Constructivist Security Studies: Portrait of a Research Programme,
International Studies Review, Vol. 4, No. 1, p. 50, 2002.
19. Olivier Schmitt, “Strategic Users of Culture: German Decisions for Military Action”,
Contemporary Security Policy, 2012.
20. Ann Swidler, ‘Culture in Action: Symbols and Strategies’, American Sociological
Review, Vol. 51, No.2, p. 273, 1986.
21. Niagalé Bagayoko, et Bernard Hours, Etats, ONG et production des normes
sécuritaires dans les pays du Sud, Harmattan, décembre, 313 pages, 2005 .
22. Narcisse Mouelle Kombi, La politique étrangère du Cameroun, Paris, l’Harmattan,
1996 ; J. Kenfack, « Fiche d'information de l'État : Cameroun », Réseau de recherche
sur les opérations de paix, www.operationspaix.net , 2014, (Consulté le 28 Décembre
2014).
23. Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, Paris, ed HMH, 1968.
24. Patry et al., « L’élaboration d’une culture stratégique européenne dans le domaine «
aérospatial », Recherches et documents N°11/2010, Fondation pour la Recherche
stratégique, www.Frstrategie.org, 2010. (Consulté le 28 Décembre 2014)
25. Aïcha Pemboura, « Le processus de formation de la culture stratégique camerounaise :
analyse du rôle des écoles militaires », Mémoire de Master II en science politique,
Université de Yaoundé II, 2005 ; Aïcha Pemboura, « Le Processus de formation de la
culture stratégique camerounaise entre extraversion et introversion », Thèse de
doctorat PhD en science politique, Université de Yaoundé II, 2011.
26. Colin S. Gray, « Comparative Strategic Culture », Parameters, Vol. XIV, Winter, 1984.
27. Bruno Colson, La culture stratégique américaine, FEDN, Economica, 1993.
28. Patry et al., « L’élaboration d’une culture stratégique européenne dans le domaine «
aérospatial », Recherches et documents n°11/2010, Fondation pour la Recherche
stratégique, www.Frstrategie.org, 2010. (Consulté le 28 Décembre 2014)
29. Colin S. Gray, Colin S. Gray, Out of the Wilderness: Prime Time for Strategic Culture,
Washington (D.C.), SAIC Report for Defense Threat Reduction Agency, October 2006,
p. ii. p. 18, 2006.
30. Patry et al., « L’élaboration d’une culture stratégique européenne dans le domaine «
aérospatial », Recherches et documents n°11/2010, Fondation pour la Recherche
stratégique, www.Frstrategie.org, 2010. (Consulté le 28 Décembre 2014)
31. Colin S. Gray, Out of the Wilderness: Prime Time for Strategic Culture, Washington
(D.C.), SAIC Report for Defense Threat Reduction Agency, October 2006, p. ii. p. 18,
2006.

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Aïcha Pemboura

32. Patry et al., « L’élaboration d’une culture stratégique européenne dans le domaine «
aérospatial », Recherches et documents N°11/2010, Fondation pour la Recherche
stratégique, www.Frstrategie.org, 2010. (Consulté le 28 Décembre 2014)
33. Ytzhak Klein, « A Theory of Strategic Culture », Comparative Strategy 10, n° 1,
January, p. 12; Pemboura, A. 2011, « Le Processus de formation de la culture
stratégique camerounaise entre extraversion et introversion », Thèse de doctorat PhD
en science politique, Université de Yaoundé II, 1991.
34. Patry et al., « L’élaboration d’une culture stratégique européenne dans le domaine «
aérospatial », Recherches et documents N°11/2010, Fondation pour la Recherche
stratégique, www.Frstrategie.org, 2010. (Consulté le 28 Décembre 2014)
35. Voir à ce propos la constitution camerounaise de 1972, la Loi N° 96/06 du 18 janvier
1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972.
36. Ahmadou Ahidjo, Anthologie des discours 1957 à 1979. Les Nouvelles Editions
Africaines, Tome 2, 3, 4, p. 2008, 1980
37. Marcel Merle, La politique étrangère, Paris, PUF, p. 24, 1984.
38. Narcisse Mouelle Kombi, La politique étrangère du Cameroun, Paris, l’Harmattan,
1996.
39. Luc Sindjoun, « A la recherche de la puissance culturelle dans les relations
internationales : essai de caractérisation du concept et d’appréhension du
phénomène », La revue camerounaise d’études internationales n°001, 1er semestre.
40. Conférence-débat, à l’occasion de la 40ème Fête Nationale du Cameroun sur le thème «
Le Cameroun dans la coopération Nord-Sud depuis son indépendance : Quelle
diplomatie européenne hier, aujourd’hui et demain ? ».
41. J. Kenfack, « Fiche d'information de l'État : Cameroun », Réseau de recherche sur les
opérations de paix, www.operationspaix.net , 2014, (Consulté le 28 Décembre 2014).
42. Martha Finnemore, National Interests in International Society, Ithaca, NY : Cornell
University Press, pp. 69-73, pp. 86-88, 1996 ; J. Glenn, « Introduction », Neorealism
Versus Strategic Culture, ed. John Glenn, Darryl Howlett et Stuart Poore, Burlington,
VT : Ashgate, pp.8-10, 2004 ; Glenn, J. 2004, « Introduction », Neorealism Versus
Strategic Culture, ed. John Glenn, Darryl Howlett et Stuart Poore, Burlington, VT :
Ashgate, pp.8-10
43. Narcisse Mouelle Kombi, La politique étrangère du Cameroun, Paris, l’Harmattan,
1996.
44. Le 19 février 2013 : une famille française de sept personnes a été enlevée dans le parc
naturel de Waza, situé à l’Extrême-Nord du pays. Il s’agit du premier kidnapping
d’Occidentaux revendiqué par Boko Haram et de la première action de grande
ampleur perpétrée sur le territoire national du Cameroun. Depuis, les attaques du
groupe terroriste se sont multipliées sur le sol camerounais, avec plusieurs rapt
notamment ceux du prêtre français Georges Vandenbeusch en novembre 2013, celui
des clercs Italiens et Canadiens début avril 2014, ou celui de dix ressortissants chinois
qui ont été enlevés par des membres présumés de Boko Haram lors d’une attaque
dans la localité de Waza. Plus spectaculaire encore a été le rapt de la femme du Vice-
premier ministre Amadou Ali, du maire délégué de Kolofata et de quelques membres
de sa famille.

88 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : essai de caractérisation

45. « Le Cameroun opposé au droit de poursuite dans le Bassin du Lac Tchad »,19 mars
2014, www.237online.com, (Consulté le 10 décembre 2014, 12h09).
46. « Sommet de l'Elysée: «déclarer la guerre» à Boko Haram, Radio France
Internationale, www.rfi.fr , (Consulté le 10 décembre 2014, 12h09).
47. «Lutte contre Boko Haram : vers la création d'une force multinationale », 2014. Jeune
Afrique, www.jeuneafrique.com (Consulté le 23 juillet 2014, 16h50).
48. Discours du Président Paul Biya en 1990 devant les élèves officiers de la promotion
unité et solidarité de l’Ecole Militaire Interarmées du Cameroun.
49. Joseph-Vincent Ntuda Ebodé, « Politique de défense du Cameroun : évolution du
concept d’emploi des forces et perspectives », Tribune, www.defnat.com, 2011,
(Consulté le 02 Septembre 2011).
50. Discours à l’ occasion du triomphe de la promotion « vigilance » de l’EMIAC, Yaoundé,
le 30 juillet 1983.
51. Discours du Président Paul Biya à l’occasion du triomphe de la promotion « vigilance »
de l’EMIAC, Yaoundé, le 30 juillet 1983.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 89


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis »
dans le jeu politique Camerounais. Esquisse d’analyse
de la construction historique de la rivalité politique.

par
Aristide Mebouf Mimbana,
FALSH, Université de Yaoundé I
et
Patrice Bigombe Logo,
GRAPS, Université de Yaoundé II

Le jeu politique au Cameroun prend, parfois, les allures d’une arène, c’est-à-dire,
« un espace social où prennent place les confrontations et les affrontements »1, ou
d’un champ, au sens de Pierre Bourdieu, c’est-à-dire, « un espace structuré de
positions (ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans cet
espace »2, ou encore, pour reprendre Yves Alexandre Chouala, «un espace au sein
duquel des acteurs à la nature, aux ressources et aux positions inégales sont en
concurrence ou en luttes pour le monopole des capitaux efficients qui y sont en jeu
ainsi que pour la transformation ou la conservation de la configuration des
rapports de force qui structurent le champ »3. Cette situation n’est pas
désincarnée. Elle tire ses origines dans l’histoire politique du pays. En effet, si
l’histoire politique du Cameroun ne correspond pas au modèle d’évolution
politique de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, elle entre bien dans le
cadre plus large de la décolonisation de l’empire colonial français4. Mais aussi,
elle permet de saisir les dynamiques contradictoires et les dommages collatéraux
que la colonisation française a induits dans ce pays. Il est établi aujourd’hui que
la France a mené, dans la majorité des colonies et des territoires qu’elle a
administrés, une politique de commandement directe et centralisée.

Face aux revendications populaires soutenues par des partis nationalistes


comme l’Union des Populations du Cameroun (UPC), la « mère patrie » a opposé
une fin de non-recevoir et mis en branle une spirale aveugle de la violence5. Elle
n’a prêté aucune oreille attentive aux conseils de Paul Henri d’Estournelles de
Constant dans le cadre du protectorat Tunisien qui recommandait ce qui suit :

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 91


Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,

En résumé, respectons les Arabes, ne serait-ce que pour les obliger à se


respecter eux-mêmes ; ménageons du moins leur fierté, ne les
humilions pas : on s'abaisse en avilissant ceux qu'on veut dominer, et,
puisque c'est par eux que nous devons gouverner, stimulons leur
activité, ne les laissons pas s'abandonner, devenir passifs,
irresponsables ; encourageons-les, au contraire, à croire en nous, à
devenir nos auxiliaires, nos associés. Pour y réussir, continuons à leur
montrer que leur intérêt est de nous suivre; ne cherchons pas à en faire
des pseudo-Européens ; songeons que cinquante années de
cohabitation avec nous ont glissé sur les Algériens sans les modifier;
ils tiennent tant à ne pas nous ressembler, même en apparence, qu'ils
n'ont même pas changé la forme de leurs vêtement6s.

Dans le contexte de l’accession du Cameroun à l’indépendance, les autorités


publiques ont riposté à la rébellion et “pratiqué une répression, sans doute
excessive, avec l’aide des troupes françaises restées au Cameroun »7. Autrement
dit, la naissance et la construction de l’État moderne au Cameroun doit être
pensée comme une recherche hégémonique de la part des groupes sociaux
prétendant à la domination et comme le produit de la résistance et du
retournement de la domination des autres groupes sociaux considérés comme
dominés8 ; mais aussi et surtout comme une configuration de la rivalité
politique9. Pour mieux appréhender cette réalité, il faut bien saisir la trame des
luttes politiques dans la naissance de l’État au Cameroun. Cela est possible au
travers de l’analyse des fondements et des repères historiques de construction de
la rivalité politique (I) et celle de ses formes d’expression, de ses effets et de ses
dynamiques de régulation (II).

I. Les fondements et repères historiques de construction de la


rivalité politique au Cameroun

L’histoire politique du Cameroun est à l’image du pays, c’est-à-dire, diverse et


plurielle. Grand carrefour des trajectoires migratoires des peuples africains, ce
territoire rentre en contact avec le monde extérieur (les Européens
principalement) vers le XVème siècle. De par sa position géographique qui donne
une large ouverture sur l’océan atlantique, il fera donc l’objet de plusieurs
convoitises. Suite aux deux grandes guerres, le Cameroun sera successivement
placé sous l’autorité de la Société des Nations (SDN) puis de l’Organisation des
Nations Unies (ONU). La vie politique au Cameroun trouve donc ses origines
vers les années 1940. La conférence de Brazzaville du 30 janvier au 08 février

92 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

1944 a introduit dans ses recommandations la possibilité pour les Africains des
colonies françaises de créer les syndicats professionnels10. Dans la foulée, les
partis politiques vont occuper le terrain afin de combler l’espace ouvert par les
syndicats. C’est dans ce cadre que le samedi 10 avril 1948 se produit
discrètement un évènement important dans la vie politique Camerounaise. Au
café Sierra, dans le quartier Bassa de la ville de Douala, naît l’Union des
Populations du Cameroun (UPC), sur un schéma élaboré depuis l’extérieur11.

Dès ses premières heures, elle a aussitôt cristallisé beaucoup d’attention


et d’énergie. A partir des années 1950, les germes d’une rivalité ou d’une
compétition politique commencent à prendre corps. Dans la configuration de ces
rapports, l’interaction et la compétition entre des équipes dans une arène se
composent de deux choses : l’élaboration d’un soutien et l’action de sape du
soutien de son adversaire au moyen de la subversion. C’est au autour de ce nœud
que va s’articuler les stratégies et les combats politiques au Cameroun pendant
la période coloniale. Celle-ci trouve ses origines dans la volonté du colonisateur à
orienter le développement politique et socio-économique du Cameroun dans le
sens de ses intérêts et surtout à museler tout mouvement de contestation.

A. Les fondements idéologiques de la rivalité politique

Depuis la naissance du terme idéologie créé par Antoine Destutt de Tracy à la fin
du XVIIIème siècle, le sens de ce mot a sensiblement évolué12. Du sens originel
« d’analyse scientifique de la faculté de penser »13 que lui réservait de Destutt de
Tracy, à celui de « représentation collective »14 que l’on retrouve chez les
sociologues, en passant par toute une gamme de significations péjoratives,
l’idéologie est bien expliquée différemment. Cette confusion sur le terme explique
qu’une multitude de théories différentes et souvent contradictoires, aient vue le
jour. Malgré leurs disparités, la plupart des théories sur l’idéologie semblent,
pourtant, dans la majorité des cas, être assez vraisemblable15. De manière
générale, l’idéologie renvoie à un ensemble d’idées, de pensées philosophiques,
sociales, politiques, morales, religieuses propres à un groupe, une classe sociale
ou à une époque. Autrement dit, c’est un système d’idées, d’opinions et de
croyances qui forment une doctrine pouvant influencer les comportements
individuels ou collectifs. Dans le cadre de cette analyse, l’idéologie prend le sens
qu’en donnent de P. Bonnafé et Michel Cartry.16 Pour ces auteurs, en effet, « une
idéologie politique est un ensemble d'idées, de représentations, de croyances

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 93


Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,

propres à un groupe social déterminé, relatives à la structure et à l'organisation


présentes et futures de la société globale dont il fait partie »17.

A la différence des vielles démocraties où la différence idéologique politique est


plus ou moins marquée, et où chaque parti politique représente un courant, une
certaine pensée propre et une certaine identité, au Cameroun, pendant la
période coloniale et même postcoloniale, les idéologies politiques sont restées
embryonnaires. C’est à juste titre que Jean-François Bayart analysant la ligne
idéologique des partis politiques Camerounais semble se retrouver dans
l’embarras et pense qu’ils se référent aux idéologies de la métropole. Il écrit, à cet
effet qu’ « il n’est pas une péripétie de l’évolution politique du Cameroun à cette
époque qui ne revête une signification à l’égard des rivalités partisanes
métropolitaines. Mais, avec le recul, on voit mieux que les responsables
Camerounais de l’époque ont utilisé les partis politiques français, beaucoup plus
qu’ils n’ont été utilisés par eux »18.

Les courants idéologiques qui émergent et se cristallisent au Cameroun sont liés


aux forces politiques métropolitaines. La présentation des courants idéologiques
présents au Cameroun épouse, à quelques nuances près, la division des familles
politiques faite par Jean-François Bayart19. Il le fait avec une certaine habileté
en classant en deux catégories, les partis politiques Camerounais à la veille des
indépendances. De cette catégorisation, il en ressort d’un côté les conservateurs
et de l’autre les libéraux ou la gauche nationaliste20.

1. Le groupe des conservateurs

Le conservatisme est l’opinion ou l’état d’esprit de ceux qui refusent les


innovations politiques, sociales et techniques. A ses origines, au cours de la
première moitié du 19eme siècle, le conservatisme était avant tout un courant
contre révolutionnaire qui considérait les principes de la révolution française
comme contraires à la nature de l’homme. Leurs stratégies de conservation, de
reproduction ou de succession sont celles où les individus qui monopolisent le
champ spécifique et qui cherchent à conserver ou à améliorer leur position en
perpétuant le jeu qui est en leur faveur. Ce sont les défenseurs de l’orthodoxie du
jeu tel qu’il est. Leur position dominante leur confère la possibilité de définir les
règles du jeu les plus favorables à leurs intérêts21. Dans le cadre du Cameroun,
peuvent être considérés comme conservateurs, tous les partis politiques pro-
administratifs. Ils militaient pour le maintien du statu quo entre le Cameroun et

94 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

la France. Pour illustrer leur pensée, ils perçoivent le Cameroun comme un


jeune enfant qui a encore besoin de son tuteur pour grandir dans de bonnes
conditions. De leur point de vue, pour être totalement indépendant, « il faut être
un grand pays peuplé de dizaine de millions d’habitants et avec des richesses
considérables […] Pouvons-nous croire sincères ceux qui nous disent qu’avec si
peu d’hommes, si peu d’argent et si peu d’équipement, nous pourrions du jour au
lendemain nous proclamer indépendants et être plus heureux qu’avant ? »22.

Les partis politiques Camerounais inscrits dans cette logique sont issus du Bloc
Démocratique Camerounais (BDC). Il s’agit de l’Union Camerounaise (UC)
d’Ahmadou Ahidjo et du Parti des Démocrates Camerounais (PDC) d’André-
Marie Mbida. On peut ajouter à cette liste, l’Evolution Sociale Camerounaise
(ESOCAM) de Pierre Dimala, l’Union Sociale Camerounaise (USC) de Charles
Okala23 et le Front Populaire pour l’Unité et la Paix dans une certaine mesure. Il
n’est pas question ici de mener une étude en profondeur de ces partis politiques,
mais de s’appesantir sur le discours politiques de leurs leaders politiques24.
L’essentiel de leur pensée politique l’idéologie tournait autour de la glorification
de l’œuvre de la « mère patrie »25.

Ainsi, pour les conservateurs, il fallait aller à l’indépendance de manière


progressive, maintenir la présence française au Cameroun et se hâter
lentement à l’égard de la réunification des deux Cameroun26. Autrement dit,
l’exigence de la réunification n’était pas à l’ordre du jour parce qu’il fallait
d’abord avoir une notoriété interne avant de se lancer à la conquête du
Cameroun occidental. Qu’en est-il de la gauche libérale et nationaliste ?

2. La gauche nationaliste et libérale

La gauche nationaliste, que représentait l’UPC, a été interdite le 13 juillet 1955


suite à un décret du gouvernement français27. Cette gauche nationaliste a pour
stratégie la subversion et apparaît comme des individus moins bien dotés en
termes de capitaux spécifiques, autrement dit des ressources. Ce sont les
nouveaux entrants qui apparaissent comme les prétendants. Ils sont considérés
comme hérétiques dans la mesure où ils contestent le bien-fondé de la hiérarchie
des positions dans le champ politique en essayant de changer les règles du jeu et
la nature même de l’enjeu du champ afin d’améliorer leur position28. Pour P.
Bonnafé et Michel Cartry, ces partis se présentent généralement comme «
progressistes ». Ce qui frappe c'est l'inexistence d'une pensée « réactionnaire », au
sens propre du terme, chez les doctrinaires politiques. Il ne peut être question

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Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,

pour eux de proposer le maintien de l'ordre colonial, encore moins de postuler le


retour à une situation antérieure. D'autre part, l'ossature politique des régimes
n'étant pas formée par les classes sociales, l'idéologie ne saurait passer pour le
reflet des intérêts d'un vaste groupe constitué qui détiendrait le pouvoir, elle ne
se présente pas comme la justification d'un état ancien. En effet, « devant
l'urgence des problèmes quotidiens et l'immensité des tâches à accomplir dans le
présent, tous les leaders situent leur ligne d'action par rapport à un progrès
nécessaire. Pour le faire accepter, une mobilisation des émotions s'impose : ce sont
les sacrifices et les dépenses qu'il faut ici justifier. Les doctrines sont ainsi
conduites à mettre en avant l'image de l'économie et de la société à construire.
Même les plus modérées proposent un ordre nouveau, une culture nouvelle : de là
les différentes formulations du « socialisme africain » par exemple »29.

On peut, à cet effet, comprendre l’ambiguïté dans laquelle se trouve le leader


upéciste. En rapport avec l’idéologie de ce parti, Um Nyobé donne des précisions
qui traduisent clairement ce quiproquo. Il estime qu’en tant qu’un « mouvement
de regroupement et d’union de tous les Camerounais qui a pour but de lutter pour
l’unité et l’indépendance du pays, il ne pouvait en aucun cas prendre la forme
d’un parti de classe et par conséquent ne pouvait se placer sous l’obédience d’une
idéologie politique »30.

Néanmoins, après l’interdiction de l’UPC, une autre tendance va faire son


apparition : la gauche libérale. Dans ce cas, le Mouvement d’Action Nationale
Camerounaise va se positionner comme une sérieuse alternative sur le terrain
laissé vacant par l’UPC. En effet, il avait pour base les revendications formulées
auparavant par l’UPC. Cette gauche va relancer et maintenir les contacts avec la
gauche nationaliste malgré leur interdiction. Elle fera de la réunification et de
l’indépendance son credo. Elle va aussi prôner la décolonisation authentique du
Cameroun. Dans cette perspective, elle va souhaiter une amnistie et, à partir de
1959, une table-ronde de tous les partis qui permettraient la réconciliation
nationale31. Elle va se distinguer, par ailleurs, par le contenu qu’elle entendait
donner à l’indépendance du pays en harmonie avec la condamnation du
terrorisme et de la violence. Elle va marteler, avec constance, le respect des
libertés fondamentales du peuple Camerounais.

Dès cet instant, la rivalité politique va, dans l’histoire du Cameroun, se


transporter dans un autre champ dont les fondements seront moins politiques.
Ces fondements vont reposer essentiellement sur les éléments sociaux.

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Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

B. Les fondements sociaux de la rivalité politique

La rivalité politique qui émerge dans le champ politique va progressivement


affecter les mentalités politiques au Cameroun. Ainsi, comme le souligne
Raymond Aron, « le récit des événements comporte par définition la
compréhension des acteurs »32. On ne saurait écrire l’histoire politique du
Cameroun sans se plonger dans la permanence des conflits nés des relations
entre différents acteurs. Le positionnement sur le terrain des forces qui
contestaient le principe même de la lutte anticolonialiste va entrainer une
rivalité dans le champ ethnique.

1. Les fondements ethniques de la rivalité politique

L’ethnicité apparaît comme le modèle d’explication et de catégorisation de tout


phénomène culturel, tout comme les critères qui peuvent être influencés par la
conception de l’Etat-nation Européen33. Il apparaît clairement que ces modèles
de pensée ne peuvent rendre compte des significations sociales diversifiées,
souvent contradictoires et changeantes, des dénominations des habitants d’un
lieu à l’intérieur d’une même époque et d’une même région.

La diversité ethnique fait du Cameroun un pays riche et vivace qui se manifeste


à travers la variété de son folklore, de son artisanat, de son habitat et de ses
modes de vie. Depuis la période coloniale, et particulièrement en milieu urbain,
les stratégies de certains hommes politiques se sont construites autour de
l’argumentaire ethnique. Avec le décret du 7 août 1944, la scène politique est
rapidement occupée par des syndicats, des associations à caractère tribal et plus
tard par les partis politiques. Il s’agit, principalement, des associations
traditionnelles telles que le Ngondo chez les Douala, le Kumzé en pays bamiléké,
le Kolo Beti et l’Anagsama dans le Nyong et Sanaga, l’Assemblée traditionnelle
Bamoum à Foumban et l’Union Tribale Bantou (Efoulameyong) en pays bulu34.
Au Grand Nord, on pouvait recenser des associations comme l’association
Amicale de la Bénoué, fondée en 1948 par Ahidjo et en 1956, de la fédération des
associations modernistes dans le Grand Nord. Malgré son existence éphémère, le
mouvement politique pour l’évolution du Nord Cameroun voit le jour et est
immédiatement remplacé par le mouvement des "jeunes musulmans", qui lui
aussi n’avait pas fait long feu. On peut signaler le mouvement des "jeunes turcs",
l’association amicale des musulmans du Diamaré fondée par le lamido de
Maroua, l’association progressiste, sociale et évolutive de Nana Djafarou ou

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Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,

encore de l’association pour le progrès et l’évolution du Margui-Wandala de


Haman Adama35.

Il faut noter que ces associations exercent une influence qu’il ne faut pas négliger
dans la configuration politique du Cameroun. Elles ont, entre autres, le rôle de
lancer les idées, de provoquer des mouvements de masse et donc de créer une
opinion qui finalement pèse sur les options politiques même dans les milieux
ruraux et traditionnels36.

Ainsi, le colonisateur, fidèle à la logique du « diviser pour mieux régner », va


largement contribuer à entretenir le sentiment d’appartenance ethnique au
Cameroun. Mais, ce sont surtout les dirigeants politiques qui instrumentalisent
l’ethnicité dans le champ politique. A cet effet, on se souvient de la lettre
qu’André-Marie Mbida avait adressée aux autorités Françaises dont Daniel
Abwa fait état dans son ouvrage : « j’estime indispensable de vous rappeler,
Excellence, que je suis actuellement, non certes le seul, mais le tout premier
interlocuteur valable du Cameroun en tant que le seul et tout premier député
entièrement autochtone du Cameroun à l’Assemblée Nationale Française (…). En
outre, je suis encore le seul député qui représente une masse de population
économiquement puissante : c’est dans la circonscription du centre, en effet, que le
taux de l’impôt personnel ou de capitation est le plus élevé. Par contre, M. Soppo
Priso est le plus petit, le tout dernier interlocuteur valable (…). Le nom Béti
signifie les Seigneurs, les Maîtres. Les populations Béti forment le groupement
principal de ma circonscription électorale sont donc des seigneurs, très libres, de
noble hommes loyaux, francs, honnêtes, justes, inébranlables, d’une énergie et
d’un caractère indomptable, sans peur ni reproche »37.

Réduisant la conception du pouvoir à l’organisation de sa tribu, André-Marie


Mbida estime qu’il est un être supérieur. C’est dans cette logique qu’il s’est
toujours appuyé sur son groupe ethnique chaque fois qu’il en avait le besoin et la
possibilité. On se souvient de l’aide précieuse que lui avait apporté le cercle Eton
lors de sa première élection à l’Assemblée Territoriale Camerounaise en 195238.
C’est grâce à la « race des Seigneurs » qu’il a pu prendre l’étoffe et l’envergure en
tant qu’homme politique. On peut aussi souligner, à juste titre, son
comportement hostile envers les Bassa. Il prononcera, à cet effet, des menaces
dont les célèbres restent celles proférées à Eséka et à Boumnyébel le 9 novembre
1957 et le 7 février 195839. Dans ce message du 7 novembre 1957, le Premier
ministre prononça un discours martial dans lequel il lança un ultimatum « à tous

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Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

les Bassa upécistes ou non qui se trouvent dans la forêt, pour rentrer au village
dans un délai de 10 jours »40.

Cette rivalité se matérialise aussi dans la dynamique régionale. C’est dans ce


cadre que la création des partis politiques au Cameroun va obéir à cette logique.
Au Grand Nord, on aura l’Union Camerounaise qui va régner en grand maître.
Dans le Grand Sud, on aura l’ESOCAM qui regroupera exclusivement les
ressortissants de la Sanaga Maritime. Les partis politiques vont avoir pour
assise le village, l’arrondissement ou la région de son fondateur41. Cette pratique
tribaliste et ethniciste de la rivalité politique a fait son lit au Cameroun et ouvert
la voie à l’Etat clientéliste et communautaire42.

Les sociétés multiethniques comme le Cameroun sont viables à condition que les
forces endogènes et exogènes ne viennent remettre en question ce jeu dialectique
du personnel et l’impersonnel, du subjectif et de l’intersubjectif, de l’ethnique et
du national qui rend la coexistence entre les individus ou entre les groupes
toujours possible et toujours plus désirée que la guerre43. Dans cette nouvelle
dynamique des rivalités ethniques en Afrique et au Cameroun, les intellectuels
et les hommes politiques jouent un rôle prépondérant. De ce climat délétère qui a
toujours existé et qui continue aujourd’hui entre certaines ethnies, les individus
se regardent en adversaire remettant en question les fondations même de l’Etat.
Toutes choses qui donnent un visage atypique à la libéralisation politique au
Cameroun, où la compétition politique semble en effet s'être muée en
compétition ethnique44.

2. Les fondements religieux de la rivalité politique

La prééminence de la disparité régionale entre le Nord et le Sud est une donnée


essentielle de l’histoire politique du Cameroun. La rivalité politique est
influencée par les configurations religieuses stéréotypées. Bien que la réalité soit
beaucoup plus complexe, l’instrumentalisation des identités religieuses oppose
chrétiens et musulmans ou, simplement, le Nord et le Sud. Le Nord-Cameroun
est présenté comme une partie à prédominance islamique45. Le Sud, quant à lui,
est plus ouvert et largement dominé par le christianisme. De façon empirique, le
territoire du Cameroun peut se diviser en deux pôles de civilisation qui n’ont rien
de commun. Le premier est le Nord du pays où l’hégémonie foulbé a fait du
mode de vie musulman, une pratique quotidienne. Le deuxième est le Sud, à
l’époque, en majorité chrétien, où la colonisation a influencé les populations pour

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qu’elles adoptent le mode de vie occidental. Ces éléments vont nourrir, pendant
toute la période coloniale, une méfiance entre les deux parties du pays.

La rivalité religieuse, jusque-là latente au Cameroun, se retrouve au-devant de


la scène au moment où le Président Ahidjo démissionne de ses fonctions pour
passer le flambeau à son dauphin constitutionnel, le Premier ministre Paul Biya.
Elle s’amplifie par le fait que le Président Ahidjo ait plutôt préféré un sudiste
chrétien au détriment de son frère musulman. Julius Ngoh relève que « la
démission d’Ahidjo avait gravement entamé ses relations avec Moussa Yaya qui,
dans un premier temps, n’aurait pas apprécié la nomination de Paul Biya en tant
que Président de la République »46. Il faut se rappeler que Moussa Yaya était un
apparatchik du système et un fidèle des fidèles, l’homme de tous les combats et
de tous les défis. Depuis le début de la vie d’homme politique d’Ahidjo, Moussa
Yaya était collé à son image. La logique aurait voulu que ce soit lui ou alors un
autre des lieutenants originaire du Grand Nord qui puisse succéder à Ahmadou
Ahidjo. C’est en tant que homme de confiance du Président Ahidjo qu’il sera
envoyé dans la province de l’Ouest avec pour mission, « d’apaiser les inquiétudes
nées parmi « nos frères Bamiléké » apparemment menacés par les appels à la
« rigueur, à l’intégrité et à la moralisation » de Paul Biya dans la conduite des
affaires de l’Etat. Moussa Yaya devait faire savoir à « nos frères Bamiléké » que
Paul Biya ne changerait pas la politique d’Ahidjo »47. Une fois surplace, ce
dernier aurait plutôt mené une contre campagne à l’endroit d’Ahidjo et de Biya
et avait qualifié la démission d’Ahidjo de trahison48. C’est dans ce cadre que
Moussa Yaya va inciter les lamido du Nord-Cameroun à la révolte contre le
nouveau régime. Selon Philippe Gaillard, Moussa Yaya Sarkifada pense que
« Biya est un usurpateur et il compte s’appuyer sur les ethnies du Nord et de
l’Ouest qui sont les plus éloignées de celles de Biya », ceci en terme de culture et
d’organisation sociale49.

Dans le même temps, c’est un mauvais triomphalisme qui berce les populations
du Centre-Sud et une partie du clergé catholique. Jean Zoa, archevêque de
Yaoundé n’hésita pas à proclamer « qu’un Président catholique est une
bénédiction pour le Cameroun »50. Sachant quelle proximité il entretenait avec
l’ancien régime, ses déclarations viennent traduire le malaise vécu dans une
partie du peuple Camerounais de voir à la tête de l’Etat un homme de confession
musulmane surtout après l’éviction d’un autre catholique André-Marie Mbida en
1958.

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Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

En vérité, pendant cette période, au Cameroun, il ne fait pas bon vivre. La vie
politique est suivie au quotidien par les observateurs et les analystes. Chaque
geste posé par Ahidjo ou Biya est analysé afin de déceler les indices d’une
certaine rivalité. La preuve, lors de sa visite au Président de la République
voisine du Nigéria, la suite du Président Ahidjo sera exclusivement Peule, avec,
en l’occurrence le Premier ministre Bello Bouba Maigari, le ministre Aminou
Oumarou, le gouverneur Ousmane Mey.

Dans cette configuration de la rivalité politique, les camps s’organisent. Ceux du


Nord essaient de défendre leurs positions acquises. Plus discrets, des groupes de
musulmans prêchent la solidarité du Nord, se tiennent en liaison avec le
Président Ahidjo par le canal de certains membres du gouvernement originaires
de la région. Parmi les sudistes, ils critiquent amèrement l’ancien régime et ils
estiment que l’heure a sonné pour leur rayonnement. Des motions de soutien et
des comités de réflexion s’organisent, sudistes et catholiques dont l’un est animés
par Mgr Ama, évêque coadjuteur de Yaoundé et ils veulent faire savoir à Paul
Biya qu’ils sont à ses côtés51.

Après le remaniement du gouvernement du samedi 18 juin 1983, le camp


nordiste, sous la houlette de l’ancien Président, réuni tous les originaires du
Nord, ministres ou non, maintenus ou limogés. Lors de cette réunion secrète, on
se rappelle de l’astuce politique qui avait évincé André-Marie Mbida en 1958,
ouvrant les portes de la magistrature suprême au Président Ahidjo. Il va donc
inciter les membres du gouvernement originaires du Nord de démissionner en
bloc du gouvernement. A ce moment, tous les ingrédients étaient réunis pour que
la situation s’embrasse au Cameroun. Même dans les milieux de l’armée, c’est la
confusion entre les éléments nordistes sous les ordres du ministre des forces
armées, Maïkano Abdoulaye et de Abdoulaye Garoua, commandant des troupes
d’élites basées à Koutaba52.

Ce climat de tension entre le Nord et le Sud trouve son expression la plus


violente et la plus dramatique avec le coup d’Etat manqué du 06 au 07 avril
1984. C’est dans ce cadre qu’un pamphlet du ministre de l’information et de la
culture de l’époque soutient que : « La Garde Républicaine instigatrice du coup
n’était constituée que d’éléments et officiers qui tout comme Ahmadou Ahidjo,
étaient originaires de l’ancienne province du Nord (…). Ahidjo lui réservait des
privilèges tout à fait particuliers, notamment des promotions rapides, des salaires
très encourageants, des logements et des primes divers »53.

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Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,

La situation déplorable va se solder par de multiples arrestations et des


condamnations des principaux responsables politiques et militaires originaires
du Nord-Cameroun54. Cette lutte va entraîner la nouvelle répartition
administrative qui va disloquer le grand bloc nordiste en trois provinces, à
savoir, l’Extrême-Nord, le Nord et l’Adamaoua ; tandis que la province du
Centre-Sud sera divisée en deux provinces, le Centre et le Sud portant ainsi le
total des provinces à dix55.

Dans les faits, la rivalité politique s’exprime du dehors et du dedans.

II. Les formes d’expression de la rivalité politique : la rivalité


politique du dehors et la rivalité politique du dedans

L’histoire politique du Cameroun contemporain est, dans une large mesure, une
histoire de luttes de pouvoir, c'est-à-dire, des conflits noués autour de sa
conquête, de sa dévolution et de sa conservation. Cette perspective permet
d’envisager la configuration du rapport de forces comme un produit du conflit et
de la concurrence entre une diversité d’acteurs aux positions inégales et aux
ressources spécifiques56.

A. La rivalité politique apparente ou la rivalité du dehors : la


configuration adversaires-ennemis

On entend par rivalité politique apparente, la concurrence, la compétition et la


différence idéologique construite entre les principales formations politiques.
Cette différence se fait sur des réponses à apporter à une question précise, mais
qui, tout de même, vise le bien-être de la population. Ainsi, les partis sont
concurrents parce qu’ils rivalisent entre eux pour obtenir les mêmes trophées qui
sont rares, c'est-à-dire, la conservation et la gestion du pouvoir. Ces structures
politiques vont engager une compétition, dans la mesure où elles visent à utiliser
les mêmes ressources de l’environnement que ce soit en personnel, en énergie
politique ou en moyens financiers57. Dans cette perspective, écrire l’histoire
politique de cette période ne va sans rendre compte des motivations des acteurs
et la manière dont ils comprennent ce qu’ils font ou ne font pas58. Cette rivalité
tient du fait que les acteurs ne s’accordent pas sur la définition des enjeux et les
moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs visés. Pendant cette
période, au Cameroun, deux tendances se dégagent sur la démarche à suivre
dans la conduite du pays sur les chemins de sa souveraineté et de sa libération.

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Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

Les partis politiques dits « administratifs » ont largement bénéficié de l’appui de


l’administration coloniale pour porter la contradiction à l’UPC. Ce sont les partis
politiques que les autorités coloniales ont aidé à créer et des Camerounais
judicieusement choisis, avec des mots d’ordre précis59. Dans leur camp, ils sont
du côté de ceux qui dominent et entendent tirer avantage de cette situation,
néanmoins doivent compter avec la résistance, la contestation, la revendication,
les prétentions politiques ou non des dominés.

1. Les arguments de l’UPC face à aux questions de l’indépendance et de


la réunification

Face à la pugnacité de la France à gérer le territoire comme partie intégrante de


son grand empire de l’Afrique Equatoriale Française (AEF), l’Union des
Populations du Cameroun va s’insurger contre cette stratégie, et va déployer un
ensemble de moyens pour amener la France à respecter les prescriptions des
Nations Unies. Devant la complexité de la situation, Descartes estime qu’il faut
savoir « diviser les difficultés (…) en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il
serait requis pour mieux les résoudre »60. Stratégie sur laquelle va s’appuyer
l’UPC pour faire valoir ses arguments.

Dans son article 77, du chapitre XII alinéa (b), le but final de la tutelle est
annoncé aussi qu’il suit :

« La tutelle doit favoriser le progrès politique, économique et social des


populations ainsi que le développement de leur instruction, et favoriser
également leur évolution progressive vers la capacité à s’administrer eux-
mêmes ou l’indépendance, compte tenu des conditions particulières à
chaque territoire et à ses populations, des aspirations librement
exprimées des populations intéressées et des dispositions qui pourront
être prévues dans chaque accord de tutelle »61.

Cette disposition demandait à l’administration coloniale de tenir compte des


aspirations de la population sous leur responsabilité, tout en respectant le statut
international des différents territoires. Les prescriptions ainsi clairement
énoncées par cet article vont en droite ligne avec les préoccupations des
nationalistes Camerounais qui en profitent pour réclamer non seulement
l’indépendance de leur pays, mais aussi la réunification de leurs deux territoires
séparés en 191662. Dans la même veine, l’UPC souhaite que le gouvernement

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Français précise une limite dans le temps en accord avec la résolution 558 (VI)
du 18 janvier 1952 de l’Assemblée Générale qui « invitait les autorités
administrantes à donner des informations sur le délai dans lequel on s’attendait
à ce que les territoires atteignent l’indépendance »63.

En 1952, Um Nyobé fait le déplacement de l’ONU afin d’exposer ses arguments


devant l’Assemblée générale. Dans son argumentaire, il reproche au
gouvernement Français d’administrer le Cameroun de la même manière que ses
autres colonies africaines64. Il fustige l’accord de tutelle proposé par la France en
1946 et estime que cet accord est nul et non avenu car le peuple Camerounais ne
s’était pas exprimé à son sujet. Car, pense-t-il, que « les accords de tutelle qui ont
été conclus sans que nous ayons préalablement eu connaissance de leur texte
contiennent des lacunes importantes qu’il faut combler de toute urgence »65. De
plus, l’article 4 de l’accord de tutelle comportait une phrase, indiquant que le
Cameroun serait administré comme faisant partie du territoire Français, ceci
était en totale contradiction avec les buts de la tutelle et comme le demandait
l’UPC. Le parti avait toujours soutenu que le territoire devait être géré comme
un pays dont la destinée politique devait être l’autonomie ou l’indépendance
dans un délai précis.

En dehors des interventions onusiennes, l’UPC va s’activer dans la rédaction


des pétitions qui étaient, soit remises à la mission des Nations Unies lors des
visites de contrôle, soit envoyées au siège des Nations Unies ou encore à la
France métropolitaine. C’est dans ce sens qu’en novembre 1949, l’UPC va
présenter une pétition contenant une liste de dix-neuf revendications. Les plus
essentielles faisaient allusion aux réformes politiques, à l’industrialisation et à la
protection des intérêts économiques des Camerounais ainsi que des
améliorations dans les domaines de l’éducation et de la santé publique66.

L’UPC prit à son compte la revendication d’unification dans le but notamment


d’obtenir le soutien du Kumzé chez les Bamiléké et du Ngondo chez les Douala
qui d’ailleurs avaient transmis des memoranda à la mission de visite des Nations
Unies en 1949. A cet effet, le Ngondo déclarait dans l’un de ces documents remis
à la mission de visite de l’ONU en novembre 1949 : « Nous considérons le partage
du Cameroun en deux zones, comme une mesure arbitraire, prise sans le
consentement du peuple camerounais. Ce partage nous prive des plus importantes
relations que nous devons avoir avec les Territoires voisins. Aussi, nous faisons

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Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

des vœux sincères pour l’organisation immédiate d’une nouvelle réunion des deux
Cameroun, lesquels doivent jouir d’un même statut »67.

Cette situation était mal vécue par le peuple Camerounais, parce qu’elle ne
permettait pas une circulation fluide des personnes et des biens. Il fallait
toujours présenter ses papiers (un visa ou un laissez-passer) ou payer les frais de
douane afin d’avoir accès à l’un des territoires. Ainsi, au congrès de l’UPC
d’Eséka, le 29 septembre 1952, Um Nyobé glorifia l’idée d’unification. Il déclarait
à cet effet « chrétiennement parlant, le monde entier reconnaît que Dieu a créé un
seul Cameroun, c’est le point de départ »68. Pour lui, l’unification des Cameroun
français et britannique constituait un premier pas vers l’indépendance. Son vœu
le plus cher est que le Cameroun retrouve ses frontières de la période allemande.
Et il dira : « lorsque les premiers colonisateurs arrivèrent chez nous pour
s’emparer de notre pays, le Cameroun était un seul, sous administration
allemande »69. L’UPC faisait de l’unification un impératif politique et avait su
attirer la sympathie du peuple Camerounais derrière cet objectif.

2. Les arguments des partis politiques « fantoches » sur l’indépendance


et la réunification

En dehors des principales associations ethniques qui réapparurent dans la foulée


du nationalisme après la guerre, des dizaines de partis politiques, dont beaucoup
étaient créés par l’administration et confiés aux Camerounais, firent leurs
apparitions. Les plus importants étaient ceux qui, dès le départ, étaient hostiles
à l’UPC. Le 20 juin 1949, un certain nombre de notables menés par un ancien
membre du parti, Pierre Dimala forme l’Evolution Sociale Camerounaise
(ESOCAM)70. Il faut préciser ici que le leader de l’ESOCAM est un Bassa comme
Um Nyobé, issu cependant du canton Ndog Béa Nord, un ancien de l’UPC71. Plus
loin, dans son comité directeur composé de 17 membres, 14 sont originaires de la
Sanaga-Maritime, c'est-à-dire, Bassa. Bien que le siège de ce parti soit à
Yaoundé, c’est à Boumnyebel, un des fiefs d’Um Nyobé, qu’est lancé
officiellement le parti en juillet 194972. Pour que la confusion soit totale, l’article
1er de ses statuts reprend presqu’intégralement les objectifs que l’UPC s’est
assignée, à savoir, « unir et grouper les habitants du territoire en vue de permettre
l’évolution plus rapide des populations et l’élévation de leur standard de vie »73.

Au cours de cette visite, les responsables de l’ESOCAM demandent à


l’administration de leur venir en aide en leur facilitant des audiences auprès de

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la mission de visite des Nations Unies et par la même occasion déposer quelques
pétitions qui glorifiaient les actions du gouvernement Français74. A travers ce
parti, l’administration Française va réussir l’exploit de coller à l’UPC l’étiquette
de communiste qu’elle va largement utiliser pour la combattre dans les milieux
internationaux compte tenu de la guerre froide qui cristallise l’attention au
niveau mondial. Il faut cependant souligner que ces récompenses que les leaders
de l’ESOCAM exigent des autorités coloniales n’ont pas tout le temps été
accordées, ou alors, ce qu’ils ont reçu n’a jamais été suffisant et a souvent suscité
de nouvelles demandes75. Par ailleurs, si l’ESOCAM est un bon argument de la
France sur le plan international, il ne réussit pas cependant à circonscrire
l’implantation de l’UPC.76

De tous ses partis politiques pro-administratifs, le BDC créé en 1951, à


l’initiative du Dr Louis-Paul Aujoulat, alors député et secrétaire d’Etat à la
France d’Outre-mer, est celui qui porte une certaine réplique à l’UPC sur le plan
idéologique. Il se donne pour objectif de « promouvoir le progrès social et de
favoriser l’épanouissement de la démocratie au Cameroun. Contribuer l’évolution
civique et politique de l’opinion camerounaise. Défendre les intérêts économiques,
sociaux et politiques des populations camerounaises »77. Selon Daniel Abwa, le
BDC est, de tous les partis administratifs, celui qui donne la meilleure réplique à
l’UPC. A toutes les propositions de l’UPC, le parti va se positionner en faveur de
sa réalisation mais en introduisant toujours une conditionnalité. D’où la célèbre
formule « oui à tout ce que réclame l’UPC, mais attendre le bon moment »78. Dans
son organisation, le BDC va plus loin parce qu’il adopte presque la même
structure pyramidale que l’UPC et Zang Atangana dira à propos, « pour mieux
combattre ce parti, il fallait se servir des mêmes armes que lui et notamment la
même organisation »79.

Ce parti estime que la réunification n’est possible que dans le cadre de l’ONU à
partir d’une entente entre Français et Anglais. Celle-ci réalisée, les Camerounais
auront la possibilité de choisir la puissance tutrice qui devra conduire les
destinées du territoire. Il apparaît clairement que, dans sa stratégie de lutte, le
BDC reprend, en d’autres termes, les propositions de l’UPC qu’il avait même
tourné en dérision des années auparavant et surtout indique son choix pour la
puissance tutrice qui devra conduire cette unité. Cette réunification permettra
ainsi à la France, puissance choisie par le parti de conclure une confédération
avec le Cameroun. Concernant l’indépendance, le BDC, au cours de son congrès
qui se tient à Yaoundé le 30 avril au 1er mai 1955, ce parti va faire une tentative

106 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

pour se présenter comme l’autre parti du nationalisme Camerounais80. Dans son


Manifeste, le parti use de stratagèmes et se prononce en faveur de
l’indépendance mais qui respecterait certains préalables que lui seul juge
indispensable81.

La même démarche va se produire en décembre 1953 et en décembre 1954. En


1953, c’est Bisseck Guillaume de l’ESOCAM qui est envoyé et en 1954, c’est le
tour de Kamajou Daniel membre de l’ATCAM et conseiller de l’Union Française.
Cette stratégie a permis aux pétitionnaires pro-français de se rendre aussi à
New York pour les débats82. Aussi, en 1946, les délégués du Cameroun, le Dr.
Louis-Paul Aujoulat et Douala Manga Bell, sont envoyés par la France à l’ONU
pour soutenir l’accord de tutelle proposé par elle83. Dans la même dynamique,
Douala Manga Bell va préciser, « mes compatriotes ont eu connaissance du texte
d’accords préparé par la France ; ils le trouvent à leur goût. Je vous demande
donc de l’adopter sans modification »84. On fera même appel à l’ATCAM qui va
remettre une pétition protestant contre l’audition de Ruben Um Nyobé à
l’ONU85.
La rivalité politique apparente chemine avec la rivalité politique latente.

B. La rivalité politique latente ou la rivalité politique du dedans :


la configuration alliés-rivaux

La rivalité politique latente peut être considérée comme cette compétition qui se
joue à l’intérieur des formations politiques et qui participe de l’expression de la
libéralisation politique. Cette rivalité met en scelle les éléments d’une même
entreprise politique mais qui sont en compétition pour le contrôle des postes et
des trophées politiques. Toute organisation politique a des règles qui structurent
la compétition86. Les règles peuvent renseigner sur la manière dont un militant
peut gravir les échelons de la structure politique, occuper les postes de
responsabilité au sein du groupe. Dans ce cas, un concurrent se mesure à son
rival en faisant des déclarations avec des mots ou des actions au sujet des
moyens dont il dispose.

Pendant la période coloniale, au Cameroun, dans presque toutes les formations


politiques, la rivalité symbolisant le couple alliés-rivaux va apparaître comme un
mode de fonctionnement. On a vu cette compétition devenir parfois tragique
pour ceux qui étaient considérés auparavant comme des alliés et des partenaires.
Dans ce cas, les exemples sont légion. Mais, dans la compréhension de notre

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 107


Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,

analyse, nous allons nous attarder sur les exemples de l’UPC qui fut l’une des
formations politiques les mieux structurées du moment. Ce parti a été le théâtre
des dissensions internes d’une violence sans précédent. A partir de ce moment,
les ennemis, on ne les trouve plus en dehors des frontières des formations
politiques ; mais à l’intérieur, et ils sont identifiables non pas à leurs uniformes
mais à leurs prises de positions et leurs actions. Au sein de l’UPC, on a vu les
pro-russe affronter directement les prochinois pour le contrôle du parti.87 A cet
exemple, nous grefferons le cas du BDC où la rivalité Mbida-Aujoulat, a marqué
les esprits de par son caractère violent.

1. L’ère du chaos au sein de l’UPC : l’opposition sur les moyens et sur les
approches de lutte

Les dissensions se font sentir au sein de l’UPC dès les années 1955. Ces
dissensions sont le fait de quelques militants, appuyés sur la fibre tribale qui
trouvent que le Président n’a pas fait implanter l’UPC dans le Noun et certains
s’opposent à lui sur le plan idéologique. Ces divergences apparaissent lorsque le
gouvernement Français prend le décret interdisant le parti nationaliste le 13
juillet 1955. Face à la hargne de Roland Pré, Um Nyobé oppose un message non
violent, alors que le Président Moumié et son lieutenant Kingué demandent au
cours de la plupart des réunions qu’il fallait dorénavant répliquer aux multiples
attaques de l’administration88. C’est dans ce contexte que, lors d’une réunion
publique qui regroupa près de 250 personnes, un orateur
déclarait : « maintenant, tous les upécistes sont décidés à ne plus se soumettre aux
exigences administratives et éventuellement toute intervention d’un agent de
l’autorité dans une réunion sera repoussée par la force »89. Ce qui va arriver parce
que l’UPC va céder et à ses militants de répondre du « tac au tac » aux
provocations de l’administration90.

L’UPC des exilés est caractérisée par des intrigues et des luttes de leadership.
On va ainsi assister à la division du bloc en deux groupes. D’un côté, on a le
Président Moumié, Abel Kingué, Ndeh Ntumazah, Ossendé Afana comme les
principaux animateurs du camp dit « prochinois »91. De l’autre côté, Woungly
Massaga, Michel Ndoh, Jean Martin Tchaptchet venus fraîchement de Paris
pour Accra représentent le camp « prosoviétique »92. Ces deux groupes s’opposent
sur l’orientation que la branche extérieure doit donner à la lutte armée. Dans le
même sens, ils ne parviennent pas à trouver une direction collégiale des
opérations. A la fin de l’année 1960, ce groupe entend créer le « Secrétariat

108 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

Administratif’ » afin de pallier au décès de Moumié. En effet, cette disparition


pose un lourd problème de succession, du maintien du moral des troupes et de la
nécessité de convaincre les masses du triomphe et du bien-fondé de la lutte. Des
divergences internes opposent nombre de ses acteurs quant à la conduite finale
de la lutte.

C’est dans ces conditions que l’UPC extérieure entre dans la zone de tempête.
Elle va sombre dans les divisions. Il n’en subsistera bientôt plus en tant
qu’organisation, qu’une espèce d’image virtuelle, hologramme entretenu par les
médias93. Le danger réel que constituait l’UPC extérieure pour le régime restera
au fil du temps insignifiant. Cette division va aussi se manifester dans les
activités du front constitué par eux. C’est ce qui explique que pour un même but,
l’UPC extérieure se soit retrouvée au Congo Brazzaville avec deux colonnes
animées par deux leaders différents qui étaient incapables de s’entendre. Les
Chinois vont exprimer leur désarroi en doutant de la force de la rébellion
Camerounaise estimant que celle-ci n’a remporté aucun succès concret depuis
son existence94. Privé de soutiens extérieurs, ce front de l’ALNK va cheminer
doucement vers la fin de son existence sans résultat concret.

A la vérité, ces leaders extérieurs avaient-ils besoin de créer un second front sans
pour autant avoir totalement la maîtrise des foyers existants ? Il est clair que
l’éparpillement des forces n’a pas contribué à renforcer la lutte. Les leaders
upécistes n’ont pas pu constituer un bloc solide susceptible de favoriser la mise
en place d’actions communes et concertées. Car, par leur carnet d’adresses et
leurs connexions multiples, ils devaient veiller au ravitaillement des troupes au
combat. En d’autres termes, les dirigeants du deuxième front n’ont pas pu, en
raison de certaines divergences, impulser une dynamique unitaire au
mouvement nationaliste au moment idoine. C’est dans ce contexte de discorde et
de cacophonie généralisé qu’une première tentative de la guérilla est lancée par
l’universitaire Ossendé Afana. Il sera très vite assassiné le 15 mars 1966. Une
seconde tentative, animée par Woungly Massaga, sera entreprise sur pied. Mais,
elle va subir les mêmes déboires que la précédente.

L’insurrection avait perdu tout effet de surprise qui l’a toujours caractérisé. Ils
ont manqué d’esprit de créativité, d’anticipation et surtout de mobilisation.
Ainsi, il ressort que dans l’.PC, la division était tellement profonde qu’il était
difficile d’avoir des résultats probants. Les leaders de l’UPC extérieure ont
dépensé plus d’énergie à se combattre qu’à combattre leur véritable ennemi, le

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 109


Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,

colonialiste et ses alliés. Les problèmes structurels et de leadership que connaît


l’UPC en exil vont causer beaucoup de tort à toutes les actions entreprises au
Cameroun. Les exilés upécistes vont se lancer dans des intrigues, les coups bas,
la délation qui vont produire des effets dissonants sur le combat mené contre le
pouvoir colonial et néocolonial.

Les mêmes dissensions ne vont pas épargner la fraction de l’UPC nationale. Le


contrôle du parti et les ressources vont être la préoccupation des leaders de la
formation politique. Chaque groupe voulant prendre le parti en otage afin de
savourer une gloire personnelle oubliant le rôle des autres acteurs. Le capital de
confiance et de crédibilité s’effrite laissant à la merci des troupes coloniales et
néocoloniales, les militants abandonnés à leur propre sort. Situation qui va
précipiter le parti nationaliste dans les abîmes de la discorde et du désordre. La
situation n’est pas différente dans les partis pro-administratifs comme le BDC.

2. Le BDC dans la zone de turbulence

Le docteur Louis-Paul Aujoulat, médecin catholique qui arrive au Cameroun en


1935, avait réussi à construire en pays Eton une structure sanitaire comprenant,
en 1945, un bloc opératoire, une maternité, un service de gynécologie, un service
de chirurgie, un laboratoire et une pharmacie95. Alors député et secrétaire d’Etat
de la France d’Outre-Mer, il va mettre sur pied un mouvement politique pour
lutter contre l’omniprésence de l’UPC. Cette structure politique est créée en 1951
et choisit comme champ d’action la région du Nyong et Sanaga qu’il maîtrise
assez bien96. Pour mieux comprendre la crise entre Mbida et Aujoulat, il faut
remonter au début de leur rencontre.

La rupture entre Mbida et Aujoulat devient officielle en décembre 1954 lorsqu’il


va partir du BDC et former le Comité de Coordination du Cameroun
(COCOCAM)97. Les causes qui ont conduit à cette rupture sont diversement
analysées selon que l’on soit proche de l’un ou de l’autre protagoniste. Pour les
partisans de Mbida, la rupture entre les deux hommes est le fait des médisances,
de la calomnie et des coups bas que les nouveaux militants arrivant ont eu le
mérite d’entretenir entre les deux personnages. Abel Eyinga lui estime que c’est
l’opposition du Dr. Aujoulat à la candidature de ce dernier à l’Assemblée de
l’Union Française qui est à l’origine de la rupture. Pour lui, « élu malgré tout, dit-
il, Mbida tire les conséquences de l’attitude du laïc missionnaire en rompant
définitivement avec lui, avec l’organisation des ‘‘aujoulatistes’’ aussi : le BDC. »98.

110 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

Les opinions des proches d’Aujoulat estiment que Mbida avait trahi la confiance
de son mentor en jouant double jeu une fois élu à l’Assemblée. Selon une note
anonyme datée du 17 mai 1954, on peut lire ceci : « Peu de temps après son
élection à l’Assemblée de l’Union Française, André-Marie Mbida s’envole pour le
palais de l’Elysée où il exercera ses nouvelles fonctions (…). C’est ainsi qu’il a
accès aux réunions des Indépendants d’Outre-mer, qui, dans leur programme
d’action, n’avait pas à cœur les activités de l’Union Socialiste Camerounaise.
Grâce à son nouveau collaborateur politique, Okala Charles était au courant de
tout ce qui se passait à Paris. La réaction de ce dernier ne se fit pas attendre… »99.

Zang Atangana analyse cette situation et estime qu’elle est le fait des ambitions
démesurées de Mbida qui pensait qu’il faut « tuer le père pour que le fils vive ». Et
il précise ce qui suit : « et effectivement, dit-il, Mbida grandit docile dans l’ombre
du puissant maître (…, fatigué de jouer les brillants seconds, son ambition lui
commanda de sortir de l’ombre et de briguer la première place »100. Fatigué de
rester dans l’ombre de cette forte personnalité que fut son « père spirituel », il va
décider de prendre son indépendance et d’occuper la première place afin de
s’affirmer comme un véritable homme politique. Dans ces conditions, Mbida ne
cherchait plus qu’un prétexte, tel un félin, un lion qui veut se lancer sur sa proie,
pour abattre celui qui avait fait de lui un homme politique.

En fait, pendant l’élection partielle d’avril 1954, Aujoulat avait subi un revers
électoral en perdant la présidence de l’ATCAM101. Mbida s’est rendu compte
qu’Aujoulat n’était pas aussi indétrônable qu’on pouvait le penser. A partir de ce
moment, il fallait passer à l’offensive en détruisant la glorieuse réputation que
Louis-Paul Aujoulat s’était faite dans la région. En 1955, on attribue à Mbida
l’origine d’un tract qui faisait une campagne anti-Aujoulat. Dans ce tract, on
peut lire :
« Tous les Camerounais et les Camerounaises se rappellent que
Monsieur le Haut-Commissaire de la République a mis la population
au courant de l’arrivée au Cameroun de la mission de visite des Nation-
Unies en visite chez nous. C’est le moment précis où cette mission arrive
dans la circonscription du centre que notre député prend l’avion pour
Paris où rien ne l’appelle spécialement. Pour lui, la mission de visite ne
représente aucun intérêt sans oublier également que l’ATCAM siège en
session budgétaire, la plus importante session de cette institution.
Qu’est-il allé faire auprès de ses frères blancs ? »102.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 111


Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,

Mbida trouve là une occasion en or pour commencer à se positionner comme le


seul interlocuteur valable, capable de mieux porter les aspirations des électeurs
de la circonscription du centre. Ce travail de déstabilisation et de diabolisation
de son mentor apparaît à maints égards pour Mbida comme la seule condition
sans laquelle son ambition était sans avenir. Pour atteindre l’objectif qui était
celui d’évincer Aujoulat de la scène politique, Mbida va saisir toutes les
opportunités qui se présentent à lui pour abattre son père spirituel. En 1956, un
acteur politique témoigne : « face à un auditoire évalué à plus de dix mille
personnes (…), il harangua la foule surchauffée, (…) insista sur le danger
Aujoulat ... »103.

Pour être plus efficace et marquer la différence entre les deux hommes, Mbida
ne va pas hésiter à se dissocier de son mentor et de ses anciens camarades du
BDC en les présentant comme des traîtres à la cause nationaliste104. Dans son
positionnement stratégique, il va aussi chercher à s’attirer la sympathie des
électeurs de la circonscription du centre, mais aussi après la dissolution de
l’UPC, à démontrer aux nationalistes qu’il défend cette cause. Il va même jusqu’à
s’approprier les thèses nationalistes de l’UPC. Mbida, dans ce duel fratricide, va
s’appuyer sur la fibre tribale, indigène, autochtone contre Aujoulat qui était un
« Blanc », un Français en plus. Il le fait savoir dans sa profession de foi avec
beaucoup d’insistance : « Chers Electeurs et Electrices, si vous l’approuvez, si vous
estimez que la troisième circonscription mérite d’être représentée à l’Assemblée
Nationale par un natif et non par un nuisible intrus, votez tous, le 2 janvier 1956,
pour André-Marie Mbida »105.

Dans la même logique, il choisit pour slogan de campagne « le coq vigilant et


courageux » et entend régner en seigneur sur la basse-cour106. Ce duel Aujoulat-
Mbida va maintenir toute la population et surtout l’élite politico-administrative
en haleine. A ce propos, Georges Chaffard va dire que « tout le Cameroun a suivi
avec passion le match Aujoulat-Mbida »107. C’est assurément dans cette logique
qu’Abel Eyinga écrit :
« La victoire de Mbida sur « l’homme fort du Cameroun », le Dr.
Aujoulat, a été le fait politique majeur de cette élection. Mbida lui-
même se souvient encore aujourd’hui avec émotion de cet exploit qui le
catapulta sur l’avant-scène politique faisant de lui le héros fulgurant et
éphémère d’une tragédie riche de rebondissement»108.

112 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

A la veille de l’accession du Cameroun à l’indépendance, la scène politique est


champ de rapports de force et de luttes pour le contrôle du pouvoir. La rivalité
politique devient l’art de faire la politique. Ainsi que le souligne Luc Sindjoun,
« la conquête ou la conservation du pouvoir ont partie liée avec les logiques de
concurrence qui opposent les différentes élites (...) »109. Le cas Louis-Paul
Aujoulat et André-Marie Mbida est illustratif à plus d’un titre de cette situation.
L’ami et l’allié d’hier peut devenir le rival d’aujourd’hui et l’adversaire
l’ennemi110. En jeu la logique d’intérêt. Comme le dit Pierre Bourdieu, « l’intérêt
est à la fois la condition du fonctionnement du champ (…). En tant qu’il est ce qui
fait courir les gens, ce qui les fait concourir, se concurrencer, lutter et produit de
fonctionnement du champ (…). Tout champ en tant que produit historique
engendre l’intérêt qui est la condition de son fonctionnement »111. Le Cameroun
hérite de cette conflictualité. Elle va marquer l’évolution politique du pays.

Notes
1. De Sardan (Jean-Perre Olivier) ; Anthropologie et développement. Essai en socio-
anthropologie du changement social, Paris, Karthala, 1995, p. 178.
2. Bourdieu (Pierre) ; Questions de sociologie, Paris, Editions de Minuit, 1980, p. 113.
3. Chouala (Yves Alexandre) ; « Le paradigme du champ à l’épreuve de l’analyse
internationaliste », Revue Internationale de Sociologie, Volume 12, n° 3, 2002, pp. 521-
544.
4. V.T. Le Vine, Le Cameroun, 1970, p. 125.
5. Sur cette spirale de la violence qui va s’abattre sur le Cameroun, lire les contributions de
D. Abwa, Commissaires et Haut commissaires, 2002, pp. 346-350 ; R. Joseph, Le
Mouvement Nationaliste au Cameroun, 1977, p. 188-190 ; J-M. Zang Atangana, Les
forces politiques au Cameroun réunifié, tome 1, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 85.
6. Paul Henri d’Estournelles de Constant, La politique française en Tunisie : le protectorat
et ses origines, Paris, Plon, 1891, pp. 387-388. On peut aussi à juste titre évoquer ce
conseil qui a été prodigué aux Français en Indochine : « Je tiens à vous déclarer que si les
Français veulent désormais occuper l’Indochine en toute tranquillité, sans être gênés par
aucun mouvement révolutionnaire, ils doivent :1°) abandonner toute méthode brutale et
inhumaine ; 2°) se comporter en amis des annamites et non plus en maîtres cruels ; 3°)
s’efforcer d’atténuer les misères morales et matérielles en restituant aux annamites les
droits élémentaires de l’individu : liberté de voyage, liberté d’instruction, liberté
d’association, liberté de presse ; 4°) ne plus favoriser la concussion des fonctionnaires, ni
leurs mauvaises mœurs ; 5°) donner l’instruction au peuple, développer le commerce et
l’industrie indigènes ». (J.F. Horrabin, Deux ans d’Indochine. Un fleuve de sang, Paris,
Les Brochures de la Révolution Prolétarienne, n° 1, anti daté, p. 1.)
7. Jean François Bayart, L’Etat au Cameroun, Paris, Presses de la FNSP, 1985, p.90.
8. Jean François Bayart, Achille Mbembe et Comi Toulabor, La politique par le bas en
Afrique, Paris, Karthala, 2008, p. 76. Sur les dynamiques de retournement de la
domination des dominés, lire, avec intérêt, dans une perspective plus générale, De
Certeau (Michel) ; L’invention du quotidien, tome 1, Arts de faire, Paris, Gallimard, 350

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pages et Scott (James C.) ; La domination et les arts de la résistance. Fragments du


discours subalterne, Paris, Editions Amsterdam, 2009, 270 pages. Sur cette question et
s’agissant de l’Etat au Cameroun, lire Sindjoun (Luc) ; L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et
case vide. Paris, Economica, 2002, pages 188 et suivantes.
9. Bailey (F.G.) ; Les règles du jeu politique, Paris, PUF, 1971, pp. 42-48.
10. Le 07 août 1944, était publié un décret qui étendait le droit de fonder les
syndicats aux sujets Français conformément aux recommandations de la
conférence de Brazzaville. Mais, cette loi sera promulguée au Cameroun le 7
Septembre 1944. Dans la foulée, les filiales métropolitaines des syndicats vont
immédiatement occuper le terrain. Ce sera le cas de la Confédération Générale
du Travail (C.G.T), le plus grand syndicat de France dominé par les
communistes, l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (U.S.C.C). (V. T.
Levine, Le Cameroun du mandat à l’indépendance, 1970, p.28.) ; La
Confédération Camerounaise des Syndicats Croyants (C.C.S.C), une filiale de la
Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (C.F.T.C), de Force
Ouvrière (F.O), l’Union des Syndicats Autonomes du Cameroun (U.S.A.C), la
Confédération Générale des Travailleurs Kamerunais (C.G.T.K).
11. Pour plus d’informations, lire les ouvrages de Philippe Gaillard ; Le Cameroun,
Tome 2, 1989, p.183 ; Daniel Abwa ; Commissaires et Hauts-Commissaires,
2002, p.339. Entre 1949 et 1953, on aura, l’Evolution Sociale Camerounaise
(ESOCAM), les Indépendants Camerounais (INDECAM), la Renaissance
Camerounaise (RENAICAM), le Bloc Démocratique Camerounais (B.D.C),
l’Union Sociale Camerounaise (U.S.C) ; V. T. Le Vine Cameroun du mandat à
l’indépendance, 1970, p.33.
12. Il n’est pas question de faire une étude sur le sens du mot idéologie, mais de
présenter globalement ce qu’elle signifie. Pour d’amples informations sur
l’idéologie, se rapporter aux travaux de Louis Althusser ; « Idéologie et
appareils idéologiques d’État. Notes pour une recherche», Article originalement
publié dans la revue La Pensée, no 151, juin 1970, in Louis Althusser, Positions
(1964-1975), Paris, Les Éditions sociales, 1976, pp. 67-125 ; Fernand Dumont,
« Idéologie et savoir historique » in Cahiers internationaux de sociologie, vol. 35,
Paris, Presses Universitaires de France, juillet-décembre 1963, pp. 43-60. ;
Gilbert Larochelle, Philosophie de l’idéologie. Théorie de l’intersubjectivité,
Paris, Presses Universitaires de France, Collection « L’interrogation
philosophique »,1995. ; Karl Mannheim (1929), Idéologie et utopie. Une
introduction à la sociologie de la connaissance, Paris, Librairie Marcel Rivière
et Cie, Collection « Petite bibliothèque sociologique internationale»,1956.
13. Olivier Reboul, Langage et idéologie, Paris, Presses Universitaires de France,
1980, p. 17.
14. Louis Althusser, Position, Paris, Collection Essentiel, Editions Sociales, 1977,
pp. 79-135.
15. Luc Coté ; «L’idéologie des idéologies : une structure complexe dans la
philosophie de Louis Althusser », Mémoire de maitrise, Université du Québec,
juin, 1995, pp. 12-13.

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Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

16. P. Bonnafé et Michel Cartry ; « Les idéologies politiques des pays en voie de
développement », in Revue Française de Science Politique, 12e année, n°2, 1962.
pp. 417-425.
17. Ibid.,
18. J.F. Bayart, L’Etat au Cameroun, Paris, PresseS de la Fondation Nationale des
Sciences Politiques, 1985, p. 38
19. J.F. Bayart, L’Etat au Cameroun, 1985, p. 38.
20. Ibid. p.35.
21. A. Jourdain et S. Naulin, La théorie de Pierre Bourdieu et ses usages
sociologiques, Paris, Armand Colin, 2011, p. 105.
22. Lire à ce sujet J.M. Zang Atangana, tome 1, p. 184, cité par D. Abwa in André-
Marie Mbida, 1993, p. 136.
23. Aristide Mimbana Mebouf, « L’insurrection armée à l’Est-Cameroun », octobre
2010, p. 55.
24. Atéba Yéné, Cameroun. Mémoires d’un colonisé, 1988, p.114, cité par Assembé
Ndi in « Les ententes politiques au Cameroun : de la loi-cadre à l’institution du
parti unique 1956-1966 », Mémoire de Master en Histoire, Université de
Yaoundé 1, 2008-2009, p. 26. Lire aussi Jean-Pierre Fogui, L’intégration
politique au Cameroun, 1990, p. 67.
25. Ibid. p. 106. Pour ce courant de pensée, « le Cameroun n’a pas tout ce qu’il faut
pour vivre sans la présence d’une puissance tutrice […] sans la présence de la
France. Quand un orphelin est encore mineur, il a besoin d’un tuteur, un oncle,
un parent ou ami de la famille qui protège et protège ses biens. Au fur et à
mesure que cet enfant grandit, il rentre en possession des biens et de tout
l’héritage qui lui revient de droit. Il en est ainsi du Cameroun… ».
26. J.F. Bayart, L’Etat au Cameroun, 1985, p. 37.
27. Pour en savoir plus sur les circonstances de cette interdiction, lire Léonard
Sah ; « Les journées insurrectionnelles du mois de mai 1955 dans la région du
Mungo (Cameroun) », p.48 ; J.M. Zang Atangana ; Les forces politiques au
Cameroun réunifié, 1989, p. 85 ; Daniel Abwa ; Commissaires et Hauts-
Commissaires, 2002, p. 361 ; Richard Joseph, Le mouvement nationaliste au
Cameroun, 1977, p. 296 ; « Les émeutes de mai 1955 », p. 13…
28. A. Jourdain et S. Naulin ; La théorie de Pierre Bourdieu et ses usages
sociologiques, Paris, Armand Colin, 2011, pp. 105-106
29. P. Bonnafé, Michel Cartry ; « Les idéologies politiques… », op. cit., pp. 417-425.
30. Ruben Um Nyobé, Ecrits sous maquis, 1989, p. 214.
31. J.F. Bayart, L’Etat au Cameroun, 1985, p. 37
32. Raymond Aron ; Dimension de la conscience historique, Paris, Plon, 1985, p. 54.
33. Ibid.
34. E. Mveng, Histoire du Cameroun, Tome 2, 1985, p. 192
35. J.F. Bayart, L’Etat au Cameroun, 1985, p. 48

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36. E. Mveng, Histoire du Cameroun, 1985, p. 192. En son temps, Um Nyobé


dénonçait déjà cette politique qui consiste à exploiter la multiplicité ethnique à
des fins politiques. On pouvait lire :…la sale politique de division
qu’entretiennent les colonialistes pour mieux exploiter et asservir nos pays. Ils
dressent tribu contre tribu en faisant croire aux uns qu’ils sont plus intelligents
et aux autres qu’ils sont très riches et vont dominer le pays. Les uns et les
autres croient naïvement à cela et se livrent à des vaines luttes intestines qui
aboutissent finalement à la ruine de tous (…). Ils dressent chefs contre
intellectuels en faisant croire aux uns qu’ils sont les détenteurs de la tradition
et que le pouvoir leur revient, aux autres qu’ils sont « comme des Blancs » et que
c’est à eux que revient le privilège de la civilisation moderne. R. Um Nyobé,
Ecrits sous maquis, 1989, pp. 74-75.
37. Daniel Abwa ; André Marie Mbida, 1993, p. 116
38. Ibid., pp. 137-139
39. Ibid., pp. 26-27
40. Ibid., p. 118
41. R. Um Nyobé, Ecrits sous maquis, 1989, p. 245. Sur les risques d’ethnicisation
de la scène politique, Um Nyobé déclarait que « Nous reconnaissons la valeur
historique des ethnies de notre peuple, c’est la source même d’où jaillira la
modernisation de la culture nationale. Mais, nous n’avons pas le droit de nous
servir de l’existence des ethnies comme moyens de luttes politiques ou de conflit
de personne ».
42. J.F. Bayart L’Etat au Cameroun, 1985, p. 35.
43. Josiane Boulad-Ayoub et Luc Bonneville, Souverainetés en crise, 2003, pp. 450-
500,
44. Lire, à ce sujet, Luc Sindjoun ; L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide,
Paris, Economica, 2002, pp. 256 et suivantes ; Dieudonné Zognong et Ibrahim
Mouiche ; « Démocratisation et rivalités ethniques au Cameroun », n°1, 2010,
Publications du Centre Interafricain de Recherches Pluridisciplinaires sur
l'Ethnicité (CIREPE), p.15.
45. T.M. Bah et G.L. Taguem Fah, « Les élites musulmanes et la politique au
Cameroun sous administration française : 1945-1960 », p. 25.
46. V.J. Ngoh, Cameroun 1884-1985. Cent ans d’histoire, 1990, p. 246.
47. Ibid.,
48. Ibid., p. 245.
49. P. Gaillard, Le Cameroun, 1989, p. 79.
50. Ibid., p. 78.
51. Ibid., p. 81. On peut signaler en passant la pluie des motions de soutien qui
pullulent dans tous les cercles.
52. Ibid., p. 86.
53. V.J. Ngoh, Cameroun 1884-1985. Cent ans d’histoire, 1990, p. 260.

116 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

54. Pour en savoir plus sur les détenus politiques de cette période, lire les travaux
de Christian Tsala Tsala sur « Les détenus politiques au Cameroun de 1958 à
1997 ».
55. Les provinces étaient alors les délimitations administratives appliquées dans le
Cameroun indépendant qui remplaçaient les subdivisions coloniales. Cf. décret
n° 72/349 du 24 juillet 1972 portant réorganisation de la République du
Cameroun. Article 1er : Les cinq provinces francophones initiales allaient être
portées à huit par l’éclatement de la grande province du Nord en trois :
l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême Nord et dans le sciage du Centre-Sud en
deux : le Centre et le Sud, en 1983. Cf. MINAT, Décret n° 72/349 du 24 juillet et
n° 83/390 du 22 août 1983 portant création des nouvelles provinces.
56. Yves Alexandre Chouala ; « Le Paradigme du Champ à l’Epreuve de l’Analyse
Internationaliste », 2002, p. 527.
57. F.G. Bailley ; Les règles du jeu politique, Paris, Presses Universitaires de
France, 1971, p. 30.
58. Ibid., p. 35.
59. Ils doivent créer la confusion dans l’esprit de la population, prendre le contre-
pied de l’UPC et convaincre les Camerounais de l’inutilité de ses revendications
formulées par le parti nationaliste.
60. 1Nkolo Foé, Le post-modernisme et le nouvel esprit du capitalisme sur une
philosophie globale d’Empire, Conseil pour le développement de la recherche en
sciences sociales en Afrique (CODESRIA), Dakar, 2008, p. 175.
61. E. Mveng, Histoire du Cameroun, tome 2 ,1985 p.175.
62. Il faut rappeler ici qu’à l’occasion du mandat, le Togo avait été divisé au même
titre que le Cameroun entre la France et l’Angleterre. Dans sa quête pour son
indépendance, le Togo va saisir les Nations Unies afin de poser cette question
des populations qui se retrouvaient entre deux zones d’influences distinctes et
deux systèmes d’administration différents. C’est dans ce cadre qu’une
délégation togolaise porteuse d’une pétition sur la question des Ewé et de la
réunification du Togo va présenter sa requête à l’Assemblée Générale des
Nations Unies dans les années 1950.
63. 1 R. Joseph, Le Mouvement nationaliste au Cameroun, 1977, p. 206.
64. R. Joseph, Le Mouvement nationaliste au Cameroun, 1977, p. 206.
65. R. Um Nyobé, Ecrits sous maquis, 1989, p. 69.
66. Ibid., p. 219.
67. Anonyme, "De la Réunification", n°1506/PS2/LD/AMB, Yaoundé le 25 juin
1959, p. 9.
68. Philippe Gaillard, Le Cameroun, Tome1 1989, p.194.
69. Ruben Um Nyobé, Ecrits sous maquis, 1989, p. 84.
70. Daniel Abwa, Commissaires et Hauts-Commissaires, 2002, p. 347.
71. Dans l’article 2 de ces statuts, l’ESOCAM écarte clairement toute
d’indépendance et de réunification et en affirmant qu’il entend « lutter contre

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toute idée de politique communiste » dans « un esprit de loyale collaboration avec


les représentants de l’autorité administrante », ANY : 1A71(A), Sanaga
Maritime, Politique. Historique. 1922-1955. Partis politiques anti UPC.
ESOCAM et CNSPC. 1949-1956
72. Daniel Abwa, Cameroun : Histoire d’un nationalisme, 2010, p. 213.
73. Ibid., p. 213.
74. Ibid, p. 347.
75. Afin de mieux effectuer le travail à leurs assignés, les leaders de l’ESOCAM
vont exiger des récompenses aux autorités coloniales. Pierre Dimala, en 1952,
fera cette demande au chef de division d’Eséka, l’Administrateur Auzière :
"Faire aller Matip en prison et le remplacer par « son candidat » Kouang ou
Mbock, faire sauter le chef supérieur Mbem Mayi (canton Ndog Béa Nord) et le
remplacer par lui-même et son ami Gwet Bitemb assesseur principal qui
deviendra chef de groupement pour le Sud du canton. (…) Retirer les pouvoirs
d’arbitrages sur les petites affaires civiles aux chefs supérieurs » ; ANY, APA
12405, ESOCAM, INDECAM, RENAICAM, CHARFRAN-CAM 1950-1954
76. Car à la fin de 1954, l’UPC: « dans 17 régions sur les 19 que compte le Kamerun
(…) avec : 70.000 cartes placées en 12 mois, des centaines de comités de base, des
dizaines de comités centraux, six locaux entièrement construits par les militants
et consacré aux activités de l’UPC, (…), une publication hebdomadaire
nationale, « Etoile » tirant à 2000 exemplaires en plus de « la Voix du
Cameroun » seul journal de l’UPC jusqu’en 1953, une publication bimensuelle
régionale de la section du Nord : « Lumière ». D. Abwa, Cameroun. Histoire d’un
nationalisme, 2010, p. 219
77. . ANY : 1AC365/B Récépissé de déclaration d’association du BDC délivré le 11
octobre 1951.
78. Daniel Abwa, Cameroun. Histoire d’un nationalisme, 2010, p. 219.
79. J-M Zazng Atangana ; Les forces politiques au Cameroun réunifié, Tome 1,
Paris, L’Harmattan, 1989, p. 179.
80. R. Joseph, Le Mouvement nationaliste au Cameroun, 1977, p. 273.
81. Daniel Abwa, Cameroun histoire d’un nationalisme, 2010, p. 222.
82. Ruben Um Nyobé, Ecrits sous maquis, 1989, p. 75. C’est dans ce cadre que
l’ESOCAM a transmis au conseil de tutelle une pétition par laquelle elle
déclarait que « le Cameroun était trop arriéré pour poser de telle revendication ».
83. Ibid., p. 94. Ainsi, ils vont déclarer devant les Nations Unies : « (…). Nous
sommes allés plus loin encore ; nous avons donné à nos projets d’accords une
large publicité auprès des populations indigènes. Les textes ont été diffusés
officiellement, ils ont été longuement discutés par les autochtones en réunions
publiques. Ils ont reçu leur adhésion : celle-ci s’est traduite très correctement
au Cameroun par l’élection triomphale du candidat qui s’est engagé à faire
triompher ses projets devant l’ONU ».
84. Ibid., p. 94.

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Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Camerounais

85. Dans cette pétition, on pouvait lire : « Les membres de l’Assemblée territoriale
du Cameroun français réunis en session à Yaoundé, sont obligés de souligner
avec fermeté que le parti surnommé (UPC) et son secrétaire général n’ont aucune
qualité pour représenter les intérêts et les aspirations des masses camerounaises.
Ils rappellent qu’ils sont eux-mêmes les représentants de ces masses, ayant été
élus le trente mars dernier, et qu’à ces élections générales, sur cinquante sièges à
pourvoir, l’UPC, malgré une activité intense de propagande, n’en a obtenu
aucun ». Abel Eyinga ; L’UPC, une révolution manquée, Paris, Editions Chaka,
1991, pp. 174-175.
86. F.G. Bailley, Les règles du jeu politique, 1971, pp. 42-43.
87. Philippe Gaillard, Le Cameroun, Tome 2, p 57.
88. Richard Joseph, Le Mouvement nationaliste au Cameroun, 1977, p. 295.
Ainsi, Um Nyobé déclare : « En ce qui concerne l’argument selon lequel nous
devons avoir des armes pour revendiquer notre liberté, nous répondons que
cela est dépassé (…). Les libertés fondamentales dont nous revendiquons
l’application et l’indépendance vers laquelle nous devons marcher résolument
ne sont plus des choses à conquérir par la lutte armée ».
89. Léonard Sah ; « Les émeutes du mois de mai 1955 dans le Mungo », in Cahiers
d’Histoire et d’Archéologie, juin 2004-juin 2005, p. 153.
90. Richard Joseph, Le Mouvement nationaliste au Cameroun, 1977, pp. 279-281.
91. Philippe Gaillard; Le Cameroun, tome 2, p 57.
92. Ibid., p, 57.
93. Ibid., pp. 24-26.
94. ANY : 1AA 7, Synthèse bimensuelle de sûreté, 1966, p. 8.
95. D. Abwa, André Marie Mbida, 1993, p. 29.
96. Au départ, cette structure politique a pour dénomination Union Démocratique
et Politique Camerounaise. Après quelques tractations qui vont dans le sens de
la rivalité avec l’UPC et créer la confusion dans l’esprit des camerounais, elle va
prendre le nom d’Union Démocratique Camerounaise pour finalement adopter
l’appellation de Bloc Démocratique Camerounais.
97. Ibid, p. 34.
98. A. Eyinga, Introduction, 1984, p. 96.
99. ANY : 1AC/365B ; « Causes et conséquences du malaise grave qui persiste au
sein du Bloc Démocratique Camerounais ».
100. J.M. Zang Atangana, Les forces politiques, 1989, p. 216.
101. R. Joseph, Le Mouvement nationaliste au Cameroun, 1977, p. 257.
102. ANY, 1AC/365, "circulaire P31 du mardi 8 novembre 1955".
103. Cité par Abwa in André Marie Mbida, 1993, p. 41.
104. Ibid., p. 46.
105. Profession de foi du candidat André-Marie Mbida aux élections du 2 janvier
1956. Il faut dire que cette élection comptait sur trois circonscriptions

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 119


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électorales. La première circonscription est celle du Nord-Cameroun, la


deuxième celle de l’Ouest et la troisième la circonscription du Sud. Cette
dernière comprenait les régions du Nyong et Sanaga, du Ntem, du Haut-Nyong,
de la Boumba et Ngoko et le Mbam ; Daniel Abwa, André Marie Mbida, 1993, p.
42.
106. Cette bataille porte ses fruits dans la circonscription du centre, car il sort
vainqueur de l’élection par 66354 voix contre 47001 voix pour Charles Assalé et
20517 voix pour le Dr. Aujoulat. A. Eyinga, Introduction, 1984, p. 95.
107. G. Chaffard, Les carnets secrets de la décolonisation, tome I, Paris, Calmann-
Lévy, 1972, p. 300.
108. Abel Eyinga, Introduction, 1984, p. 95.
109. Luc Sindjoun, « L’Afrique », in Cohen Antonin, Lacroix Bernard et Riutort
Philippe (dir.) ; Nouveau manuel de science politique, Paris, La Découverte,
2009, 788 pages.
110. J.M. Donegani et M. Sadoun ; Qu’est-ce que la politique ?, 2007, p. 368.
111. Pierre Bourdieu ; Choses dites, Paris, Minuit, 1987, p. 125.

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Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 123


Les commémorations comme espace de
subjectivation :
La Journée Internationale de la Femme et
l’affirmation de soi

par
Nadine Machikou,
Université de Yaoundé II

Saisir le pouvoir dans son empiricité peut se faire pertinemment à travers


certaines de ses micro-expressions, un dispositif de commémoration, ici envisagé
comme ensemble composite d’institutions, d’agents, de pratiques, de discours,
d’objets, de dispositions réglementaires et législatives, de mesures
administratives, d’énoncés divers, etc. Dans ces termes, la commémoration est
expression d’un art de gouverner producteur et organisateur, porteur d’autorité
et d’action, pris dans des réseaux de pratiques, de discours et d’institutions
conférant du sens à l’espace mémoriel. La journée internationale de la femme
(JIF), manifestation à ressort mémoriel, est exemplaire de la dimension
disciplinaire de la commémoration dans la mesure elle donne à voir le contrôle
de la société sur les individus « pas seulement par la conscience ou par
l’idéologie, mais aussi dans le corps et avec le corps »1. Il n’est pas superflu de la
replacer dans le temps long des mobilisations protestataires fondatrices vieilles
de plus de cent ans et allant des évènements fondateurs reconstitués par
Françoise Pick, même si la postérité de ces mobilisations n’est pas toujours
clairement analysée: la revendication par Clara Zetkin, militante socialiste
allemande, d’une journée commémorative (« Journée internationale des
femmes ») dans le sillage de la revendication du droit de vote féminin en 1910,
les manifestations d’ouvrières à Saint-Pétersbourg le 8 mars 1917, réclamant du
pain et le retour de leurs maris du front, ce qui va déclencher la Révolution
russe2 (la mythique révolte de couturières newyorkaises du 8 mars 1857 n’ayant
jamais eu lieu mais procédant d’une tentative américaine de « désoviétisation »
de la commémoration dans un contexte de guerre froide)3. Deux décennies plus
tard, la Déclaration 32/142 aux Nations Unies invite « tous les Etats à proclamer,
comme il conviendra en fonction de leurs traditions et coutumes historiques et
nationales, un jour de l’année Journée des Nations unies pour les droits de la

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Nadine Machikou

femme et la paix internationale », ce que beaucoup feront de manière progressive


en retenant la date-symbole du 8 mars.

Pour sa part, le Cameroun l’officialise en 1985 même si des activistes féministes


avaient célébré la JIF un an plus tôt. Ce déplacement vers la sphère politico-
administrative met en perspective la dynamique commémorative à travers une
activité visant à cadrer les conduites par des catégories classificatoires,
homogénéisantes et spécifiantes. Il est révélateur des micro-pouvoirs visant à
camper et encadrer (au sens catégoriel) les individus pour que l’incorporation du
pouvoir se fasse, que les injonctions leur parviennent jusqu’au corps, jusqu’aux
gestes les plus intimes. Dans ce sens, Ann Laura Stoler suggérait d’opérer, dans
l’analyse des biopolitiques sécuritaires et impérialistes, un déplacement des
catégories analytiques du sexe et du genre vers celle du corps4. Ici, deux champs
s’articulent de manière très complexe : le gouvernement des corps et le
gouvernement de soi ou la subjectivation que Michel Foucault inscrivait dans le
souci de soi5. Ici, trois expressions de souci sont à l’œuvre : le souci de l’individu
pour sa propre vie, le souci populationnel de l’Etat et le souci de rationalisation
de l’action étatique (sorte de modernisation réflexive au sens d’Ulrich Beck6,
appelant et organisant son investissement en réflexivité et en connaissance pour
mieux gouverner). C’est du reste la notion de gouvernementalité plutôt qu’une
autre7 qui permet de tenir en un ensemble cohérent ces trois échelles de
gouvernement et de souci. Elle a le mérite de résumer assez bien deux des
grandes quêtes de Michel Foucault à partir desquelles il brise des mythes de la
modernité que sont la vérité, le sujet et l’histoire : l’axe théorique de la raison qui
s’intéresse à la manière dont les individus se connaissent, se comprennent et se
gouvernent par la production de connaissances et de vérités8 et l’axe pratique de
la société occidentale autour de la production, de la reproduction et de la
transformation de ces vérités par le pouvoir9. La gouvernementalité est aussi
une sorte de méta-récit10 permettant de penser la modernité prise comme
catégorie11. Ce méta-récit est transposable aux espaces extra-occidentaux, nous
l’avons établi par ailleurs en prenant au sérieux l’universel des micro-
expressions du pouvoir, du gouvernement populationnel mais aussi le pouvoir
dans son empiricité concrète12. Or, ceci passe également par une transformation
centrale dans la conception de l’exercice du pouvoir qui n’est plus autorité
révélée ou accaparée mais dispositif gouvernementalisé de gestion
populationnelle reconfigurant les rapports entre le sujet et la liberté. En même
temps, elle met au cœur de la rationalité politique la quête de la félicité et de la
prospérité terrestres. C’est d’ici que part la conjugaison des destins étatique et

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Les commémorations comme espace de subjectivation

populationnel voire individuel fondé sur une multiplication d’instances de police,


réglant les pratiques et les conduites individuelles (en matière religieuse,
alimentaire, d’habitat, santé, sexualité, etc.) dont le but avoué est de maximiser
les forces et l’utilité économique de la population.

Prendre au sérieux l’espace de commémoration de la JIF le 8 mars pour rendre


compte de la subjectivation, c’est affirmer que la manière dont le sujet historique
féminin se construit (sous et parfois contre) le regard de l’Etat a partie liée avec
des mécanismes de résistance bien que des réserves aient été émises quant à la
pertinence d’une mobilisation du souci de soi dans l’objectivation du féminin13.
Valerie Dubé avance notamment que « le souci de soi, tel qu’il est exposé par
l’analyse foucaldienne de la morale antique, constitue un concept dont l’accès est
considérablement oblitéré pour l’existence féminine. Il semble en outre qu’en ce
XXIe siècle, en dépit d’une émancipation féminine située aux antipodes de
l’Antiquité et d’un brouillage sensible des rapports sexués à soi et à l’autre, la
dichotomie demeure qui assure au masculin une plus grande latéralité dans la
faisabilité d’une discipline « du soi pour soi »14. Elle considère que la pérennité de
la femme libérée est menacée dans la mesure où la question de savoir pour qui
les femmes disposent-elles de leur corps et de leur esprit est entière. Cet article
affirme que si le rapport à soi est historiquement déterminé, c’est parce que c’est
entre domination et émancipation qu’il se construit et les dynamiques
commémoratives de la JIF au Cameroun en sont illustratives. L’art de gouverner
à travers les commémorations permet de dépasser la conception du pouvoir
comme domination grâce à l’introduction de la notion de subjectivation, du
rapport à soi par lequel les individus se constituent et se reconnaissent comme
sujets.

C’est dans et par des opérations de cadrage politico-administratif que se


construit la commémoration de la JIF mais aussi cette subjectivation.
Essentiellement disciplinaire et masculin (même si certains des agents à l’œuvre
peuvent être des femmes), ce cadrage est un espace définitionnel qui indique ce
qu’elle est et ce qu’elle n’est pas, en réponse à une interprétation réductrice,
frivole et féminine. La confrontation de ces deux expressions de la
commémoration s’inscrit dans des espaces temporelles différenciées et situées,
entre le jour (séquence disciplinée où les corps féminins parés du pagne officiel
de la JIF paradent docilement devant des autorités politico-administratives) ;
l’après-midi et la soirée (séquence carnavalesque où ces corps dansent,
s’abreuvent d’alcool voire se dénudent dans le rituel du « soulever les kaba ». Peu

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Nadine Machikou

connue15, la superposition de ces deux séquences qui peut aussi être envisagée de
manière spatiale16, est plus qu’articulation de soumission politico-administrative
et désobéissance morale, elle est révélatrice de la complexité des relations entre
Etat et société au Cameroun17. Or, c’est dans l’entreprise étatique de
normalisation des conduites (I) que l’individu-sujet se construit et que la
subjectivation s’affirme. De la sorte, penser le souci de soi, c’est lire la manière
dont les femmes se construisent dans des actes prohibés par un retour sur soi
(II).

I. La commémoration de la JIF comme normalisation des


conduites féminines : le souci de soi se construit dans la docilité

Le souci de soi individuel est relatif au travail que chacun est amené à
entreprendre pour lui-même et pour la cité. En substance, « la tâche de
s’éprouver, de s’examiner, de se contrôler dans une série d’exercices bien définis
[est] au cœur de la constitution du sujet moral »18. Le souci de soi renvoie aussi à
la façon dont l’individu vont faire preuve de tempérance, en « se commander soi-
même », et faire preuve d’une « culture de soi ». C’est sans doute dans
L’herméneutique du sujet que la notion de souci de soi est affinée par Michel
Foucault dans le cadre de sa chaire d’histoire des systèmes de pensée (chaire
qu’il tient de 1971 à 1984)19. En partant de « la culture de soi », chapitre de
l’ouvrage Le souci de soi, l’auteur révèle le tournant qu’il avait amorcé dans la
manière de concevoir le pouvoir et ses dispositifs sous l’hypothèse répressive.
Nous la lirons ici en relation avec la production étatique de la docilité dans le
cadre de la célébration de la JIF au Cameroun. Dans un contexte de faiblesse
persistante des mouvements sociaux protestataires malgré le fait que « la
défiance à l’égard des membres du gouvernement, des « élites » en général et
même du président de la République, au pouvoir depuis 1982, se fait entendre
quotidiennement »20, il est désormais banal de signaler la démobilisation
collective ambiante au Cameroun. Comme ressorts, Marie-Emmanuelle
Pommerolle invoque notamment quatre éléments, à savoir, les « manque de
représentativité, autocensure, double langage, hostilité de l’État »21. Est-il dès
lors surprenant que la commémoration de la JIF ne soit véritablement promue
que comme espace de production politico-administrative et d’expression de la
loyauté22 et de la docilité ?

L’on verra ici comment un espace et un instrument matériel privilégié, le pagne,


et un ordre de discours permettent de conduire les conduites le 8 mars.

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Les commémorations comme espace de subjectivation

1. Les douceurs insidieuses d’un dispositif producteur de docilité

L’injonction de porter le pagne du 8 mars et de parader devant les autorités est


une des expressions les plus abouties de la fabrique politico-administrative de la
docilité au Cameroun. L’encadrement étatique de l’effervescence populaire ne se
rapporte pas qu’aux corps féminins. Qu’il s’agisse des défilés civilo-militaires du
20 mai commémorant la fête nationale de la réunification ou du 11 février (fête
de la jeunesse), les grandes artères urbaines à Yaoundé ou dans les capitales
régionales, constituent l’espace matériel de cette performance du pouvoir. Pour
ces trois moments de parade, le rituel est souvent le même : les défilants, vêtus
de manière spéciale et organisés en « carré », passent à pas cadencés par la
musique d’une fanfare, devant deux groupes. L’un, constitué des autorités
politiques et administratives et des invités (femmes ayant jusqu’au rang de sous-
directeur de l’administration centrale particulièrement mais aussi des hommes)
est assis à la tribune. Ce premier groupe est souvent présidé par l’épouse du
Chef de l’Etat du Cameroun, Madame Chantal Biya ou, à défaut, par la Ministre
de la promotion de la femme et de la famille. L’autre formé de spectateurs
ordinaires, parfois eux-mêmes défilants ayant déjà participé, borde la chaussée
sous le soleil (ou la pluie, selon les caprices de la météo du mois de mars). Cette
superposition du « Haut » et du « Bas » est traversée par les « carrés » de
défilants disciplinés qui devant la tribune, saluent en levant le bras ou
s’inclinent.

La production de l’ordre tient d’abord à l’uniformisation vestimentaire qui


constitue une imposition administrative dès l’an 2000. En effet, à l’officialisation
de la JIF, la commémoration se fait en tenues diverses, chacune s’habillant à sa
guise ou en tenues d’association (« les kaba de réunions » ou de tontines », sortes
de grandes robes traditionnelles inspirées de la culture sawa de la côte
camerounaise qui peuvent être « ngondo », « nyango »23, « nkouk »24 ou
« cellulaire »25). Cette expression bariolée est dénoncée dans des acteurs
administratifs du Ministère des affaires sociales et de la condition féminine
d’alors comme source d’inégalités et de frustrations. La ministre d’alors, Yaou
Aïssatou, prescrit un pagne unique comme ressort de mixité sociale et
désormais, le ministère en contrôle la conception et la production26. Pour prendre
part au défilé, il faut en être vêtu. Les occupantes de la tribune n’en sont pas
dispensées elles-mêmes. Si les premières années de l’imposition, l’on pouvait
porter le pagne de l’année ou des années précédentes, seul le pagne officiel de

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Nadine Machikou

l’édition sera par la suite admis comme le prescrit des documents administratifs
produits à cet effet27. L’économie politique du pagne est révélatrice de la
mainmise de l’Etat et de certaines élites politiques sur les filières économiques,
expressive d’une forme de bienveillance et de prodigalité d'un pouvoir patriarcal
se substituant pour répondre aux obligations familiales à travers la fourniture de
cet objet socialement chargé de significations. Fabriqué par la Cotonnière
Industrielle du Cameroun (CICAM), entreprise créée en 1965 et anciennement
détenue par des capitaux étrangers et camerounais mais rachetée par la Société
nationale des investissements en 2009. Après une mauvaise passe financière28,
elle a réussi à inverser positivement la courbe de ses résultats grâce notamment
à des contrats institutionnels (fabrication à grande échelle de pagnes
spécifiquement créés pour de grandes organisations, publiques ou privées) à
l’instar du pagne du 8 mars qui est vendu à prix « social ».

Le pagne d’Etat, acheté et/ou distribué dans des organisations publiques est
l’instrument privilégié d’affirmation de l’allégeance29 qui va s’exprimer
également à travers le mouvement discipliné des corps sur la base d’un ordre de
passage et de règles déterminés à l’avance30 par le Ministère la promotion de la
femme et de la famille. Les femmes défilent au son d’une fanfare et adoptent
parfois la marche et le salut militaires en s’avançant devant les autorités
présentes. Au-delà du pagne, la parade est étroitement organisée par
l’administration publique que ce soit dans la capitale ou en région où le
Gouverneur y préside des festivités. Les activités annexes (causeries éducatives,
table-ronde, événements sportifs et culturels) sont fortement inspirées par le
ministère dédié et des comités d’organisation dans chaque organisation publique
mis en place longtemps à l’avance pour préparer l’évènement même si elles
mobilisent souvent faiblement puisque que l’obligation de participer au défilé est
finalement assez aléatoire31:
« Moi ça me fatigue quoi, qu’est-ce que c’est que cette histoire où on
vous donne un pagne et on exige que vous alliez défiler. Au début dans
mon organisation, on tenait une liste de présence des défilantes. Par
la suite, on a commencé à rembourser les frais de taxi, 2000 FCFA. Il
y a beaucoup de pagnes dans la vie des pagnes, un de plus … »,
s’agacera une femme. Elle ajoutera « Il y a beaucoup de choses qui se
font mais le kaba a vraiment pris le dessus. Si le MINPROFF se
retire, il n’y aura plus de 8 mars. C’est une journée qui donne
l’occasion de s’exprimer sur les violences et les inégalités qui touchent
la femme mais ce n’est pas véritablement le cas. Je souhaiterais qu’on

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Les commémorations comme espace de subjectivation

aille vers la fin de cette manière de fêter le 8 mars. J’achète le pagne à


au moins cinq femmes mais je peux aller au-delà. Je donne à ma
belle-mère, certaines des sœurs, des tantes. Ça coûte cher aux femmes
qui travaillent. Pour le 8 mars, je dépense au moins 50000 F entre
l’achat du pagne et parfois la couture »32.

On peut participer au défilé par soumission à sa hiérarchie, par intérêt ou


simplement par plaisir de parader avec son pagne ou montrer ses accessoires. Le
choix des modèles et parfois de la coiffure, prescrit par les autorités publiques au
nom de « l’harmonie des tenues et des coiffures »33, n’est pas très strict et laisse
des marges de manœuvre aux femmes. Puisque « plus il y a des femmes, plus le
carré est pourvu et visible, ce qui peut faire écho »34. A Soa, petite ville
universitaire à la périphérie de Yaoundé, en 2012, pour combler les carrés très
clairsemés, des organisateurs offrent 500 FCFA aux femmes qui consentiront à
faire plusieurs passages. Qu’il s’agisse de l’invitation à s’assoir à la tribune ou à
prendre part au buffet offert à la fin de la parade par la Première dame ou la
Ministre de la promotion de la femme et de la famille, le gouverneur, le préfet ou
le sous-préfet, les incitations ne sont pas minces.

L’ordre est assuré par la police qui n’hésite pas, en région où à Yaoundé, à
repousser violemment ou à assener des coups de matraque eux badauds et
spectateurs indisciplinés qui s’aventurent trop sur la chaussée. Les chants sont
interdits au motif de contenir toute velléité de revendication contestataire35. La
loyauté, des élites comme des gens ordinaires, au régime s'exprime de manière
explicite dans des mots d’ordre et autres slogans.

2. Normalisation discursive

Le cadrage commémoratif politico-administratif de la JIF est un espace discursif


où une mise en parole de la place de la femme camerounaise dans la société
s’opère. C’est en cela qu’elle repose aussi sur un « ordre de discours » pour
reprendre l’énoncé de Simone Bonnafous36. C’est cet ordre du discours qui
permet de contrôler, limiter, sélectionner et organiser le réel. Les brochures
gouvernementales et autres termes de référence (TDR) de l’évènement, sont
expressifs d’une production de savoirs administratifs nécessaires à la domination
bureaucratique37. Elles permettent la diffusion et la légitimation d’une vision
administrative de la JIF. Il s’agit de conduire les conduites par une forme de
codification bureaucratique. D’une année à l’autre, le thème international est

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Nadine Machikou

mis en relief par rapport au programme politique du président de la République


Paul Biya. En 2012, les termes de référence de l’évènement rappellent que :
« du point de vue du gouvernement, autonomiser les femmes rurales
[...], revient à mettre à leur disposition l’ensemble des ressources,
équipements, de savoir-faire, dont elles ont besoin pour s’épanouir et
participer comme il se doit à la vie de la cité comme citoyen, agent
économique, acteur avisé des dynamiques de développement, dans la
quête de l'émergence et dans la mise en œuvre des ‘‘Grandes
Réalisations’’ prescrites par le chef de l'Etat, son Excellence Paul
Biya »38.

Les femmes sont invitées à montrer leur loyauté au Président de la République


en s’investissant avec ardeur dans sont projet politique et sa vision de
développement du Cameroun. Ce faisant, l’enrôlement peut s’étendre au contrôle
social, insistera le Gouverneur du Sud à Ebolowa, en 2011, pour qui elles doivent
« barrer la route aux fauteurs de troubles et aux partisans du désordre. Ces
derniers, poursuit-il, refusent que soit assurée l’éducation des enfants et la
production des vivres pour une autosuffisance assurée dans notre région et dans
notre pays »39. Dans leurs adresses à l’entame des défilés, les autorités politico-
administratives reprennent très souvent en chœur les formules utilisées dans les
termes de références et autres brochures. Une de celles ayant eu le plus de
succès est sans doute la prescription de ce que la JIF est et de ce qu’elle n’est pas.
« Ce que la JIF [Journée internationale de la Femme] n'est pas:
- la JIF n'est pas synonyme du pagne
- la JIF n'instaure pas le libertinage
- la JIF n'est pas une incitation à l'insubordination des femmes vis-à-
vis de leurs conjoints
- la JIF n'est pas synonyme d'ivresse dans les bars
- la JIF n'est pas la prise de pouvoir par les femmes ».

Cet « investissement de forme »41 producteur d’ordre est contrôlé par une
Commission en charge du défilé relevant du Ministère de la promotion de la
femme et de la famille. Il s’agit d’une pratique présente dans d’autres défilés où
les performances des défilants sont rigoureusement encadrées. En effet, « les
chants patriotiques qui seront exécutés ont été auditionnés, après avoir été
sélectionnés sur les critères de l’exaltation de la paix sociale et l’unité nationale,
la lutte contre les fléaux sociaux, originalité, ainsi que la cadence. Certes,

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Les commémorations comme espace de subjectivation

beaucoup reste encore à faire pour coordonner les chants avec le défilé des élèves
[…] Les slogans ont été conçus et transmis pour validation à la hiérarchie »42.

En 2009, à Yaoundé, le défilé s’ouvre sur un gigantesque drapeau camerounais,


suivi des portraits un peu décatis de Paul Biya (jeune, sans doute datant de
1982) et de sa femme, Chantal Biya. On peut lire sur la première banderole
déployée ensuite: « Monsieur le président, les femmes du Cameroun sont avec
vous. Vous pouvez compter sur elles »43. Puis, « Avec Paul Biya, artisan de l’égalité
des droits ». Ce rappel de la loyauté attendue des femmes est d’ailleurs un
leitmotiv des performances discursives des représentantes féminines comme des
autorités. Ici et là, l’on « salue les efforts faits par les institutions républicaines »
(slogan sur une pancarte à Ebolowa); l’on proclame « Vive les femmes de
l’Extrême Nord, vive le Cameroun, et vive son excellence le président Paul Biya »
(slogan sur une pancarte à Maroua). Par sa photo tout particulièrement, l’épouse
du président Chantal Biya, objet d’une grande ferveur populaire44, est très
présente dans les instruments d’affirmation de l’allégeance sous les traits de la
mère protectrice.

L’ordre de la parade tient aussi à une reproduction des hiérarchies protocolaires


et parallèles dans une étrange intrication : les femmes de Présidence de la
République ouvrent le défilé institutionnel avec un vibrant : « Présidence de la
République. Le personnel féminin. Avec Paul Biya partisan des droits de la
femme ». Elles sont talonnées par celles de la Société nationale des
hydrocarbures et de la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures
affichant les traits de l’économie politique du pays. L’appareil sécuritaire suit
avec les femmes de la Délégation générale à la sureté générale et du Ministère
de la défense. Les différents ministères sectoriels et les établissements publics
administratifs dont ils assurent la tutelle. Les entreprises d’Etat, les
Universités45 mais aussi le personnel de représentations diplomatiques
étrangères, les ressortissantes de pays africains. En 2012, l’ambassade
américaine défile sous la conduite du chef de la mission diplomatique et son
épouse et est munie d’une pancarte sur laquelle on peut lire en un surprenant
pidgin english « Rural women, we de for wuna back »46. Ces derniers passages
tranchent avec la discipline quasi-militaire des carrés institutionnels
précédents : les tenues ne sont pas uniformes, quelques kabas ça et là, un
nombre important d’hommes dans les carrés, une femme transportant une
poussette pour bébé tente, tant bien que mal, de suivre la cadence. Beaucoup de
messages de promotion féminine mais aussi d’allégeance au projet de

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Nadine Machikou

développement national, ce qui remet en cause la domination supposée nette de


l’international sur les autorités publiques camerounaises.

Le défilé associatif, massif par les effectifs de Groupes d’initiative commune,


d’associations de ressortissantes des dix régions, de tontines, vient ensuite,
permet une replongée dans la docilité festive. Il témoigne de la capacité de
mobilisation du Ministère de la promotion de la femme et de la famille. Quelques
témoignages attestent d’une distribution de pagnes à beaucoup d’actrices du
monde associatif qui doivent en retour répondre par une puissance d’enrôlement
des femmes, attestation de leur force et de leur représentativité47. Seul bémol, le
secteur privé, catégorie la moins représentée et souvent dans une démarche de
marketing. Pour les employées de nombreuses entreprises privées, le 8 mars
n’est pas un jour férié et le pagne n’est que très rarement distribué gratuitement.

Pour buissonnier que soit ce chemin de domination, la docilité à travers le pagne


et le défilé ne peut se réduire en une mise au pas des corps féminins mais le
produit diffus de transactions sociales diverses.

II. La commémoration de la JIF comme détournement de la rhétorique


officielle : le souci de soi s’exprime dans la résistance

Dans l’espace politique, la docilité est d’autant réelle que l’Etat laisse la porte
ouverte à des formes de requalification et d’adaptation des normes
commémoratives par les individus. Ici, des transactions collusives entre groupes,
individus et Etat permettent de construire un lieu chargé d’un sens nouveau de
la commémoration. Les femmes qui s’engagent dans une discipline
commémorative matérialisée par le défilé, séquence de la matinée (et plus
largement du jour), se réapproprient la fête dans la séquence de l’après-midi
jusqu’à la nuit.

1. La subjectivation au cœur de la JIF : une réappropriation des


normes de conduites féminines

Il serait limité de voir dans la discipline commémorative une simple expression


de l’obéissance et la docilité. Dans son sens ancien, ce dernier terme comme
« capacité à apprendre »48 parait particulièrement pertinent, mais une ouverture
contemporaine, en référence aux espaces politiques en démocratisation est
nécessaire. Il requiert un dépassement de la lecture classique de la docilité faite

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Les commémorations comme espace de subjectivation

essentiellement en référence à des ordres politiques autoritaires. La production


de l’obéissance ne peut être limitée à trois ressorts alternatifs ou conjoints que
sont la coercition, la terreur ou l’arbitraire. Or, on le sait avec Max Weber, la
contrainte seule ne peut suffire à expliquer, à long terme, la servitude. Elle n’est
jamais exclusive des formes les invisibles et acceptées de la domination. On peut
retrouver ce raisonnement chez Béatrice Hibou au sujet de la Tunisie de Ben Ali
qui mettra en avant des variables d’économie politique : la docilité y est le
produit des « douceurs insidieuses »50 de la distribution sélective de biens et de
services51. Cette inclinaison permet de sortir des lectures intentionnalistes ou
purement morales de la docilité qui renvoient dos à dos l’acceptation et le refus
de se soumettre en « défilant » devant les autorités politico-administratives le 8
mars. Une lecture attentive des « dispositions à obéir » (expression empruntée à
Béatrice Hibou52) atteste de ce que la docilité n’est jamais totalement imposée :
elle est le produit d’un désir de conformité ou d’un désir d’Etat qui ne saurait
être entendu comme acquiescement ou résignation. Le désir de tranquillité, de
ne pas avoir à « rendre compte à la hiérarchie » (puisque le défilé est quasiment
obligatoire dans certaines organisations) ou tout simplement de jouer sa
partition dans une transaction « pagne offert-participation au défilé » illustrent
et fondent bel et bien le souci de soi. On peut dès lors se conformer
extérieurement sans nécessairement adhérer ou se soumettre.

Or, la rhétorique du pouvoir n’en demande pas tant et se contente d’une mise en
scène et en mots utiles aux gouvernants et rendant possible un détournement de
la rhétorique officielle. C’est cette nuance qui apporte une touche de douceur au
dispositif disciplinaire qui organise la commémoration de la JIF au Cameroun.
Le pouvoir de mobiliser les corps féminins pour le défilé devant les autorités
politiques et administratives doit se penser au cœur d’interactions fondées sur
des dépendances mutuelles et ouvrant à une variété de possibilités. En effet, « il
est impossible de conclure à l’existence d’un rapport de causalité entre une
mesure précise censée exprimer la sollicitude de l’Etat et l’acquiescement, même
tacite de la population »53. Il faut sans doute partir d’une forme de transaction
performative entre les femmes et Paul Biya pour le comprendre.

De fait, la riche expression de loyauté aux autorités politico-administrative le 8


mars semble s’inscrire dans une structure relationnelle dense et cohésive et
répondre à des hommages à elles adressées par l’illustre cible de tous ces
slogans. Paul Biya en effet déclare : « la condition de la femme est une de nos
préoccupations constantes. Notre action en sa faveur consiste à renforcer son

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intégration dans la vie politique et économique du pays »54. Cette bienveillance


qui s’étend dans les politiques publiques sectorielles à la femme enceinte, la
femme séropositive, la femme victime de violences domestiques, la femme rurale,
la mère d’enfant séropositif ou atteint du paludisme, la jeune fille scolarisée ou
non, exposée aux mariages forcés, etc. La femme est « si digne de notre
reconnaissance, de nos prévenances et nos attentions »55, clame t-il. De manière
récurrente, il a souligné les marques distinctives des lieux de la féminité, dont
l’économie morale est évidente : « Il y a des valeurs qui valent le sacrifice de la
vie. Et de toutes les valeurs, rien ne vaut autant que la vie(…). C’est l’homme dans
la famille où la femme joue un rôle primordial, la femme épouse, mère,
éducatrice, gardienne du foyer et des valeurs qui donnent, protègent et guident la
vie ; la femme citoyenne à part entière, partenaire égale et bien aimée, si digne de
notre reconnaissance, de nos prévenances et de nos attentions. Se sachant nantie
d’une si grande responsabilité et entourée de tant d’affection, puisse alors la
femme camerounaise faire sien ce proverbe : ‘‘la femme sage bâtit sa maison et la
femme insensée la renverse de ses propres mains’’ »56. Plus tard, il dira « Les
femmes camerounaises occupent, quant à elles, une place capitale dans l’économie
de notre pays. Elles ont toujours contribué activement et contribuent plus que
jamais à l’accroissement de nos productions vivrières et à l’exploitation de nos
produits de base. Au nom de tous les camerounais, Mesdames, merci »57. L’appel
aux femmes est large : « à toutes ces femmes, à travers elles, à toutes les femmes
du Cameroun. Epouses et mères, elles sont à la fois gardiennes de nos traditions
et promotrices de la modernité. Cultivatrices, employées des secteurs public ou
privé, commerçantes, revendeuses, … je ne peux les citer toutes, elles sont un
vibrant symbole de dynamisme et de dévouement»58.

C’est d’ailleurs un aphorisme de place de la femme dans la hiérarchie sociale.


L’énonciation reste paisible, rassurante comme en attestent les rares marques de
sexuations du discours. Tout en sublimant les femmes, les slogans n’en oublient
pas moins que les propriétés structurelles ne se prêtent pas à un tournant
révolutionnaire. Ils recherchent un subtil équilibre entre les structures sociales
marquées par des rapports sociaux de pouvoir et de domination fondé sur le
patriarcat59 et la nécessité de l’affirmation d’une égalité de genre. Construit sur
ce qui peut apparaître comme un stigmate, le discours de l’argument explicite du
genre reprend pour les sublimer les qualités stéréotypiques féminines, qui se
présentent comme un atout social : la générosité, la vitalité et le dynamisme, la
détermination et l’acharnement au travail sont exaltés. L’on invoque si souvent
la figure féminine dessinée par la sphère privée et porteuse de responsabilités

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Les commémorations comme espace de subjectivation

domestiques et professionnelle : la femme, épouse, mère, citoyenne et agent


public ou salarié du privé. Ne répond-t-elle pas aux multiples précautions dont le
Président de la République entoure la femme camerounaise, lui qui s’évertue à
célébrer ici et là « femmes du Nord, discrètes mais efficaces »60 ; « femmes de
l’Est (…) fortes et courageuses »61, « femmes militantes « animatrices
dynamiques de l’esprit du Renouveau » ou « avant-garde de l’action »62, « gage de
notre marche irréversible vers la démocratie »63, « si nombreuses, si engagées
dans notre combat »64, « gardiennes de la maison RDPC »65 ; « Femmes du
Cameroun, mères de nos enfants, nos épouses, nos filles, nos sœurs. Femmes du
Cameroun, vous qui forcez le respect par votre vitalité, votre dynamisme, votre
détermination et votre acharnement au travail, je vous propose le premier contrat
de confiance ».66 Paradoxalement, l’argument du genre est repris par les femmes
qui n’hésitent pas à faire valoir leurs qualités « naturelles » dans l’action
politique.

Paradoxalement, c’est cette figure exaltée de la femme qui est la plus ravagée
dans l’imaginaire collectif lors de la JIF dans la séquence nocturne de la fête. Le
témoignage d’une femme meurtrie par le déferlement de frivolité des femmes en
est saisissant :
« Je ne sors pas le soir, ça ne m’intéresse pas parce que pour moi ça ne
prouve rien. Ce n’est pas à travers cette journée là que je vais vraiment
m’affirmer en tant que femme. En plus, la façon dont on prend la
journée du 8 mars fait que les hommes prennent ça mal. Elles pensent
que c’est le jour où elles doivent sortir. C’est comme une journée de
rébellion, et c’est ce que les gens en général retiennent. ‘‘C’est votre
journée aujourd’hui, je sens que là où tu sors là, tu ne vas pas revenir
avant minuit’’. Je trouve que ça n’a pas un sens honorable. Au moins
trois hommes vont vous demander si vous avez soulevé les kabas.
Même les prêtres, avant de souhaiter bonne fête aux femmes dans leur
homélie disent ‘‘mesdames allez doucement, n’allez pas soulever les
kaba’’. Je crois que c’est plutôt les femmes des milieux populaires qui
font ça. Ce n’est pas sérieux, il y a en qui exige que le mari devienne la
femme ce jour là. Pour elles c’est une journée de libertinage, il y a une
déviation. Pourtant c’est même ce jour là qu’il faut montrer qu’on est
une bonne épouse, c’est le jour où tu peux faire quelque chose de
spécial pour ton mari. Nous avons une culture ! Tu peux même
revendiquer mais avec l’arme de douceur »67.

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Nadine Machikou

Dans cette prise de position, il apparait nettement que le monopole exercé par
l’Etat sur l’espace matériel et symbolique de la JIF est très relatif et traversé par
de la complexité et des tensions. La séquence de l’après-midi, du soir et de la nuit
de la JIF illustre le souci de soi comme mécanisme d’évitement ou de
contournement des mailles du pouvoir68. De fait, dans l’entreprise de
gouvernement des corps, parce que la population n’est pas essentialisée mais vue
comme un ensemble de processus qu’il faut gérer « dans ce qu’ils ont de naturel
et à partir de ce qu’ils ont de naturel »69 comme espèce humaine et comme public.
Or, « de l’espèce au public, on a là tout un champ de réalités nouvelles, réalités
nouvelles en ce sens qu’elles sont pour les mécanismes du pouvoir, les éléments
pertinents, l’espace pertinent à l’intérieur duquel et à propos duquel on doit
agir »70. Protéger la société, c’est aussi constituer l’anormalité. Le pouvoir de
normalisation sert ainsi à protéger la société contre toute menace intérieure que
les anormaux et les dangereux pourraient constituer. Il est essentiel, dans l’art
de gouverner, de prescrire les comportements utiles, fonctionnels et dociles71. Le
souci étatique pour l’individu ne peut être envisagé, tout au moins dans son
opérationnalisation, sans prise en compte de la part de la pratique de soi qui
amène les individus à se gouverner et à se laisser gouverner : c’est que Michel
Foucault nomme la culture de soi qui suppose un retour sur soi.

2. La commémoration de la JIF : un retour à soi

Le souci de soi individuel est relatif au travail que chacun est amené à
entreprendre pour lui-même et pour la cité. En partant des conceptions du
plaisir sous l’antiquité, Michel Foucault est amené à réfléchir à la morale qui les
sous-tend et à la façon dont les individus la cultivent de sorte que, faire preuve
de tempérance, c’est « se commander soi-même », et faire preuve d’une « culture
de soi ». Elle s’inscrit dans les arts de l’existence, c’est-à-dire, « des pratiques
réfléchies et volontaires par lesquelles les hommes se fixent des règles de
conduite, mais cherchent à se transformer eux-mêmes, à se modifier dans leur
être singulier et à faire de leur vie une œuvre qui porte certaines valeurs
esthétiques et répondent à certains critères de style »72. Formulée comme une
« éthique du sujet »73, ce peut être le fait de « prendre la mesure de ce dont on est
capable »74, ou alors le rapport libre et vertueux que l’on entretient avec soi-
même et avec les autres.

L’avènement du sujet « producteur de sa propre vie », au-delà de ses inscriptions


sociales, n’est pas anodin pour penser la validité et l’opérationnalité des

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Les commémorations comme espace de subjectivation

prescriptions gouvernementales en matière de normes festives dans les plis


desquels les individus se libèrent par des contre-conduites. A l’observation, la
séquence de la nuit dans la commémoration de la JIF en est saturée : bars
emplis de femmes passablement éméchées et dansant souvent de manière très
suggestive au son d’une musique tonitruante jusqu’à deux ou trois heures du
matin, sous-vêtements parfois dévoilés, etc. Yvette Mbassi-Bikele, dans le grand
quotidien national Cameroon Tribune observe : « Hélas, beaucoup de
Camerounaises semblent avoir oublié l'essence même de la Journée internationale
de la femme. Elles s'attardent encore sur des fanfreluches à l'heure où il faut
consolider les acquis et mieux faire que les générations précédentes. Certes, elles
n'achèvent pas toutes leur parcours au bistrot, le 8 mars, à débiter des insanités et
à poser des actes indignes. Mais, tant qu'il y aura une seule femme à soulever le
kaba ce jour-là, c'est la seule image que retiendront les détracteurs de cet
événement ». S’en suivent de doctes conseils : « Il est donc temps, mesdames, de
faire fonctionner nos cerveaux pour trouver les voies et moyens permettant de
capitaliser cette mobilisation de la gent féminine le 8 mars. Pour mieux faire
entendre notre voix, engranger plus de places dans les cercles de décisions et
obtenir davantage de visibilité dans la sphère politique »75.

Ces injonctions souvent morales dénoncent les contre-conduites relatives à


l’indécence de certaines tenues, au fameux rituel du « soulever le kaba »76 ou
encore à l’ivresse. L’expression de la résistance, c’est cette mère qui attablée
depuis quelques heures dans un bar, après plusieurs tour sur la piste de danse
où elle se « défoule » selon ses propres termes, lance aux spectateurs au regard
faussement désapprobateur, « aakah ! les hommes ont 364 jours dans l’année
pour nous commander, aujourd’hui, je bois ma bière et je rentre quand je veux».
Espace d’inversion des rôles sexués et de relâchement moral, beaucoup de
femmes se saisissent de la séquence de la nuit pour rompre avec les
énonciations normatives diverses des autorités politico-administratives et autres
prélats. Au rang des premiers, le gouverneur de la région du l’Extrême nord à la
fin de son adresse les somme de ne pas faire d’excès tandis que la déléguée du
Ministère de la promotion de la femme et de la famille de la région de
l’Adamaoua menace les femmes trouvées en état d'ébriété de répression
policière77. Les autorités religieuses dénoncent quant à elle, dans les colonnes du
journal catholique L’effort, un « vulgaire fond de commerce?" et une tragédie en
trois actes mettant en péril l’ordre social et familial :

Acte 1 : L'achat du pagne

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Nadine Machikou

La contribution de cette entreprise de fabrication de textile aurait


peut-être été applaudie, si elle avait envisagé une gestion sociale de ce
fameux pagne, en le proposant peut-être à un prix proche des réalités
de la femme camerounaise moyenne dont le pouvoir d'achat
s'amenuise au fil des ans. Que non ! Ce pagne est l'objet de toutes
sortes de surenchères. Et plus, la date fatidique approche, plus
chacune est prête à faire des pieds et des mains pour acquérir le
sésame tant recherché. Les plus privilégiées se le voient offrir par leur
employeur. Quant aux autres, tous les coups sont permis : argent de
ration alimentaire détourné ; d'autant plus qu'il faut en même temps
assurer son transport ainsi que l'équivalent d'un repas entre coquines,
accompagné de plusieurs bières de préférence. Même le chantage au
divorce est autorisé lorsqu'il est question de réunir ces fonds. A telle
enseigne que ce pagne est en passe de devenir " le pagne de la discorde
" En effet, salarié ou pas, chaque homme qui " se respecte " a le devoir
d'offrir le pagne de la femme à sa ou ses compagne(s), sinon bonjour
les représailles de toutes sortes.
Acte 2 : La confection du tissu et les préparatifs annexes
Après l'acquisition du tissu, il est question de prévoir les frais pour la
confection d'un modèle aussi recherché et excentrique que possible. Et
c'est tout à fait normal, chacune voulant être l'étoile la plus brillante
dans le ciel le plus noir. Par ailleurs, chaque femme se croit dans
l'obligation de prendre une " part active " à la célébration de cette
Journée. La première démarche consiste à s'assurer qu'on fait partie
d'un groupe avec lequel on ira manger et boire. Par conséquent, si l'on
fait partie d'une association, il faudra prévoir une contribution pour
un repas bien arrosé, de préférence dans un lieu chic plutôt que dans
un domicile anonyme. Il semblerait que la bière n'a pas le même goût,
selon qu'on la consomme seul, en groupe, à la maison ou dans un bar
ou un hôtel. Mais, là où le bât blesse, c'est qu'en dehors de ces
dépenses exorbitantes, certaines femmes ont trouvé en ce jour une
occasion unique, non pour réfléchir à leur condition de mère,
d'éducatrice, de ménagère, mais pour se livrer à toutes sortes de
beuveries. Au point où l'on se demande si la femme a conscience
d'encourager des déviances sociale, individuelle et collective.
Acte 3 : Voir le 8 mars et mourir !
[…] Peut-on comprendre que pour la plupart des Camerounaises, la
journée du 8 mars se limite à partager des tonnes de bière, à échanger

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Les commémorations comme espace de subjectivation

toutes sortes d'obscénités ? A quand une prise de conscience sur les


conditions de la femme ? Rappelons-nous l'engagement des ouvrières
russes et tous les privilèges que cela nous vaut aujourd'hui »78.

En dehors de femmes, beaucoup d’hommes réprouvent violemment ces contre-


conduites carnavalesques : « Vous faites quoi ici ? Vous avez fini de faire la
cuisine ? Malheur à vous si nous ne trouvons rien à manger en rentrant ce
soir ! »79. Regrettant l’interprétation féminine du thème de la JIF en 2012, l’un
d’eux dira « pour les femmes camerounaises, autonomie signifie ‘‘mon argent,
c’est mon argent’’. Comprenez bien qu’il ne s’agit plus ici de ‘‘ responsabilité
sociale’’, mais de ‘‘jouissance personnelle’’ […] Chaque 8 mars, leur journée
commence au pas de course et non-stop. C’est sa liberté à elle : pas de cuisine,
pas de ménage, rien. A la première heure, elle fonce à la douche, puis enfile son
cycliste et elle porte son Kaba-Ngondo. La voilà dehors en partance pour le défilé
à la place du 20 mai à Yaoundé ou au Boulevard Joss à Douala. […].
L’autonomie c’est donc ça. Avoir le pouvoir de dompter son mari par le chantage.
C’est le pouvoir du ‘‘sexe faible’’ non ? »80. Dans la séquence nocturne, repas et
boissons, danses, concours de chant, karaoké, défilé de mode et concours du plus
beau kaba mais aussi, soupçonnent beaucoup d’hommes, « occasions de nouer les
rendez-vous coquins »81.

La commémoration de la JIF reste un traceur pertinent de l’art de gouverner au


Cameroun. Elle permet de voir que le pouvoir, « débordant les règles de droit qui
l’organisent et le délimitent, se prolonge par conséquent au-delà de ces règles,
s’investit dans des institutions, prend corps dans des techniques et se donne des
instruments d’intervention matériels », nous disait Michel Foucault, tout en
laissant, bon gré mal gré, des plis à travers lesquels se construit la
subjectivation. En mettant en regard deux séquences, celle du jour et celle de la
nuit, cette contribution a voulu rendre compte de la complexité d’une situation
stratégique particulière faite d’intrication entre l’espace du pouvoir et celui de la
résistance82. La ligne centrale de la gouvernementalité est ainsi traversée des
affrontements et contre-conduites localisés, qu’ils soient spontanés, improbables,
sauvages, solitaires ou collectifs, conjoncturels ou structurels. Réactualisation du
politique par le bas83, disséminé dans les lieux les plus inattendus, le souci de soi
permet de fonder et de penser une nouvelle économie des relations de pouvoir
dans les sociétés contemporaines.

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Nadine Machikou

Notes
3. Foucault M., Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1966, p. 108 ; voir également
Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Ewald F.,
Fontana A. (dir.), par M. Senellart, Paris, Le Seuil - Gallimard, 2004. Voir
également Foucault M., « Pouvoir et corps », in Dits et écrits, Tome II, Paris
Gallimard, « La technologie politique des individus », in Dits et écrits, Tome IV,
1984, pp. 814-815.
4. Le 8 mars 1921, Lénine décrètera le 8 mars comme « Journée des femmes ». Il
faut dire que cette filiation soviétique tenant aussi de ce que les premiers pays à
commémorer le 8 mars (Chine, Vietnam et Cuba) sont communistes, va
beaucoup gêner l’historiographie féministe occidentale.
5. Pick F., Libération des femmes, quarante ans de mouvement, Brest, Éditions
Dialogues, 2011. Voir également Kandel L., Picq F., « Le mythe des origines, à
propos de la Journée Internationale des femmes », La revue d’en face, 12,
automne 1982.
6. Stoler A .A., « Beyond sex. Bodily exposures of the colonial at postcolonial
present » in A. Berger, E. Varikas (eds.), Genre et postcolonialismes. Dialogues
transcontinentaux, Paris, Editions des Archives Contemporaines, 2011, pp.185-
214. Elle dira notamment « A focus on sexual politics alone may not adequately
capture the colonial and postcolonial forms of governance that manage the
carnal, intimate, and domestic relations to which people are subject and by which
they, in turn, reorder what viscerally most shapes their lives » (p.186). Voir aussi
dans le même sens Pheng Cheah, « Female subjects of globalization », in A.
Berger, E. Varikas (eds.), Genre et postcolonialismes. Dialogues
transcontinentaux, Paris, Editions des Archives Contemporaines, 2011, pp.215-
228.
7. Voir notamment Foucault M., « Les mailles du pouvoir », in Dits et écrits,
Tome IV, 1981, pp.182-194 ; « Le sujet et le pouvoir », in Dits et Écrits, Tome II
(1976-1988), Paris, Gallimard, 2001; du même auteur « L'éthique du souci de soi
comme pratique de la liberté », Dits et Écrits, Tome II (1976-1988), Paris,
Gallimard, 2001 ; Histoire de la sexualité, vol.3 : Le souci de soi, Paris, Gallimard,
2004.
8. Beck U. "The reinvention of politics: towards a theory of reflexive modernization",
in U. Beck, A. Giddens, S. Lash (eds.), Reflexive Modernizatio : Politics, Tradition
and Aesthetics in the Modern Social Order, Cambridge, Polity Press, 1994, pp.1-
55.
9. L’on peut prendre l’exemple du biopouvoir ou de la biopolitique. Certes, c’est à la
faveur d’un déplacement théorique partant du biopouvoir (Histoire de la
sexualité, tome 1 : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 2003) par la suite
explicité plus largement dans d’autres cours dès 1976 (‘‘Il faut défendre la
société’’. Cours au Collège de France. 1975-1976, F. Ewald, A. Fontana (dir),
Paris, Gallimard, 1997 pp. 213-235 et Foucault M., Sécurité, Territoire,
Population. Cours au Collège de France. 1977-1978, F. Ewald, A. Fontana, par M.

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Les commémorations comme espace de subjectivation

Senellard, Paris, Gallimard, 2004, pp. 3-29) que la notion de gouvernementalité


est forgée.
10. Il est clair que l’une des obsessions foucaldiennes réside dans les mécanismes à
travers lesquels l’homme se donne à penser son propre être quand il se perçoit
comme en rupture avec un ordre dominant. Ceci traverse en particulier le
troisième volume de L’histoire de la sexualité : le souci de soi (Paris, Gallimard,
2004, pp.12-13). Didier Eribon l’amplifiera dans sa biographie de l’auteur en
s’interrogeant sur une des dimensions les plus fortes du souci de soi à savoir le
désir : « À travers quels jeux de vérité l'être humain s'est-il reconnu comme
homme de désir ? » (Eribon D., Michel Foucault, Paris, Flammarion, 1991, p.346).
11. Ces axes de l’art de gouverner sont construits par Sébastien Malette, La
‘‘gouvernementalité’’ chez Michel Foucault, Mémoire de maîtrise de Philosophie,
Université Laval, 2006, p.3.
12. Nous ne retiendrons ici que les deux premières expressions de la notion à savoir :
« l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions,
les calculs et les tactiques qui permettent d’exercer cette forme bien spécifique,
quoique très complexe, de pouvoir qui a pour cible la population, pour forme
majeure de savoir l’économie politique, pour instrument technique essentiel les
dispositifs de sécurité. Deuxièmement, par ‘‘gouvernementalité’’, j’entends la
tendance, la ligne de force qui, dans tout l’Occident, n’a pas cessé de conduire, et
depuis fort longtemps, vers la prééminence de ce type de pouvoir qu’on peut
appeler le ‘‘gouvernement’’ sur tous les autres : souveraineté, discipline, et qui a
amené, d’une part, le développement de toute une série d’appareils spécifiques de
gouvernement [et, d’autre part], le développement de toute une série de savoirs »
(Foucault M., « La ‘‘gouvernementalité’’ » [1978], in Dits et écrits, Tome III, Paris,
Gallimard, 1994, p. 655).
13. Voir sur ce point les options théoriques et les conclusions auxquelles parvient
Antony Giddens (Giddens A., The Consequences of Modernity, Cambridge, Polity
Press, 1990).
14. En effet, ici et là, la constitution de la population comme corrélatif des techniques
de pouvoir révèle toute une série d’objets nouveaux (voir par exemple la validité
heuristique de la mobilisation de cette notion dans la compréhension de l’art de
gouverner l’espace forestier en Afrique (Machikou N., « Gouverner l’espace
forestier : une expression de la volonté étatique de ‘‘surveiller, exploiter et
conserver’’», Polis, Revue camerounaise de Science politique, 2011).
15. Jonckers D., Carré R., Dupré M.C. (dir), Femmes plurielles. Les représentations
des femmes. Discours, normes et conduites, Paris, Editions de la Maison des
Sciences de l’Homme, Paris, 1999.
16. Dubé V., « Une lecture féministe du "souci de soi" de Michel Foucault : pour un
retour à la culture différenciée du genre féminin », Recherches féministes, 21(1),
2008, p.81.
17. Coulomb-Gully M., « Aux ‘‘unes’’, citoyennes ! Introduction à une comparaison
internationale de la médiatisation du 8 mars », Revue Sciences de la société, 70,
2007, pp.3-17.

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Nadine Machikou

18. Voir l’analyse faite par Sabine Planel qui suggère la formule de « structuration
scalaire pour penser l’espace de l’autoritarisme en Ethiopie (Planel S.,
« Structurations scalaires et exercice de la domination en Ethiopie », In Clerval
A., Fleury A., Rebotier J., Weber S. (eds.), Espace et rapports de domination,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 99-109).
19. S’appuyant sur un matériau ethnographique et archivistique, cet article est issu
d’une recherche réalisée conjointement avec Marie-Emmanuelle Pommerolle
portant sur les commémorations de la journée internationale de la femme au
Cameroun entre 2006 et 2013. Qu’elle trouve ici l’expression de toute ma
gratitude.
20. Foucault M., Histoire de la sexualité, tome 3 : Le Souci de soi, Paris, Gallimard,
1984.
21. Bénédicte Goussault rappelle que ce cours marque un tournant dans les
préoccupations de Foucault relatives aux questions de pouvoir, de ses dispositifs,
et de la domination : « Foucault analyse le souci de soi, le rapport à soi et les
techniques de maîtrise de soi, depuis l’antiquité. Que l’étude de l’Occident
moderne, et l’importance qu’y prennent les systèmes normatifs, de pouvoir et de
savoir sur les comportements individuels, l’avaient empêché de percevoir […] Il
préconise l’avènement d’un sujet « producteur de sa vie », c’est-à-dire, ni
déterminé par ses appartenances sociales et sa place dans l’organisation sociale,
ni condamné à la soumission aux rôles et statuts sociaux liés à l’intégration
sociale. Il oppose à une société rationaliste, scientifique, et technologique, la
recherche de l’unité intérieure, de la création, de la liberté et de la mémoire. En
écho à l’herméneutique du sujet, il y a la recherche d’un réenchantement du sujet
face au désenchantement du monde ! » (Goussault B., « Leçon de mots, leçon de
choses. Michel Foucault, L’herméneutique du sujet, cours au collège de France
1982, 2001.», EspacesTemps.net, 1er mai 2002, (http://espacestemps.net/
document344.html).
22. Pommerolle M.E. « La démobilisation collective au Cameroun : entre régime post-
autoritaire et militantisme extraverti », Critique internationale, 40, 2008, pp.74-
94.
23. Idem, p.74.
24. La loyauté est retenue ici en référence à la figure tripolaire suggérée par Albert
Hirschman (in, Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms,
Organizations, and States. Cambridge, MA, Harvard University Press, 1970).
25. Les deux sont des styles traditionnels de kaba, grandes robes avec de longues
manches.
26. Modèle de kaba cousu avec une découpe à la taille.
27. Style de kaba très court et aux modèles très inventifs.
28. Voir la Circulaire n°11/MINPROFF/CAB du Ministre de la Promotion de la
femme et de la famille.
29. C’est notamment la brochure préparée par le Ministère de le Promotion de la
femme et de la famille, intitulée XXVIIème édition de la Journée internationale

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Les commémorations comme espace de subjectivation

de la femme au Cameroun, distribuée dans la tribune présidentielle lors du défilé


du 8 mars ainsi qu'aux journalistes.
30. Il est rapporté en octobre 2003 que « la CICAM a subi un redressement fiscal de
l’ordre de 500 millions de FCFA. Après moultes négociations, ce redressement a
été ramené à 67 millions de FCFA dont 45 ont déjà été versés au fisc. Il est donc
surprenant pour le directeur délégué, M. Mvondo Bindjeme qu’au moment où son
entreprise a reçu une trêve fiscale de 10 mois (trêve qui commence ce mois
d’octobre) que l’administration fiscale soit encore amenée à entreprendre une
quelconque démarche pour rentrer dans ses frais. Ce d’autant plus que, les
fournisseurs de leur côté ne démordent pas. Les factures de la SNEC et de AES-
SONEL doivent être payées à temps […] Sans compter que le contrat d’achat des
4 000 t de coton qui le lie à la SODECOTON ne lui donne pas une grande marge
de manœuvre. Elle ne peut pas, par exemple, s’approvisionner ailleurs même si
les prix du marché du coton soient meilleurs. Bien plus, le ministère du
développement industriel et commercial a rangé dans les placards, les résultats
de l’audit commandé et effectué il y a quelques années sur la filière coton pour
limiter la contrebande. Aujourd’hui les 1400 employés des usines de Douala et de
Garoua vivent dans la peur permanente. Ils redoutent de perdre un jour leurs
emplois comme cela avait été le cas en 1992 pour certains d’entre eux » (in « La
Cicam broie du Noir », Cameroon-Info.Net, 13 octobre 2003 (consulté au site
http://www.cameroon-info.net/stories/0,13412,@,la-cicam-broie-du-noir.html ).
31. Il s’agit d’ailleurs d’une donne ancienne et répandue (Konaté D., « Women
Clothing, and Politics in Senegal in the 1940’s‐1950’s », in B. Fowkes Tobin and
M. D. Goggin (eds.), Material Women, 1750-1950: Consuming Desires and
Collecting Practices, Aldershot, Ashgate, 2009, pp.225-246).
32. Les femmes n’ont par exemple pas le droit de défiler avec leurs sacs à main et
certaines sortiront purement et simplement des rangs faute de se soumettre à
cette règle.
33. Entretiens de mars 2012 réalisés auprès de membres du personnel d’un
établissement public administratif et d’une administration publique.
34. Entretien avec une cadre du ministère de la fonction publique.
35. Ministère de la promotion de la femme et de la famille, Brochure officielle de la
JIF, 2012.
36. Entretien avec une défilante de Yaoundé.
37. « 8 mars : Les chants interdits au défilé », Mutations, 9 mars 2012.
38. Bonnafous, « Les déclarations de Journée internationale des femmes, entre récit,
occultation et performativité », Communication, 24(2), 2006, pp.49-73.
39. Max Weber ne souligne-t-il pas que cette domination se fait en vertu du savoir
en distinguant la Macht (puissance) de la Herrschaft (domination qui implique
un travail de légitimation pour rendre l’obéissance acceptable voire désirable (in
Economie et société, tome 1, Paris, Plon, 1995).
40. Minproff, 27e édition de la JIF au Cameroun. Termes de référence, Yaoundé.
41. « Ebolowa : les femmes en veulent plus », Cameroon Tribune, 8 mars 2011.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 145


Nadine Machikou

42. Brochure officielle de la 27e Journée de la Femme, 8 mars 2012.


43. Voir pour les détails Thevenot L., « Les investissements de forme », Cahier du
Centre d’étude de l’emploi, n°29, 1985.
44. Libam S., « Défilé du 20 mai : près de 20.000 participants civils attendus », 30
avril 2009 (consulté sur le site http://www.camerounlink.net/mobile/?
SessionID=G2IV5RFC2LCSK7WIKUF6MWPBST7CPV&cl1=8&cl2=69&bnid=8
4&wid=2&kid=45376&tid=50&seite=).
45. Vidéo : CRTV web, Journée internationale de la Femme, 2009
http://www.youtube.com/watch?v=WjPjF2GiZlk&feature=related
46. Eboko Fred, « Chantal Biya : ‘‘ fille du peuple’’ et égérie internationale », Politique
africaine, n°95, octobre 2004.
47. Dans l’Extrême-nord, les femmes de l’Université de Maroua (UMA) diront, «
l'UMA au service des femmes pour la conservation des aliments » en 2012.
48. Il s’agit d’un anglais local très populaire. La pancarte dit est « Femmes rurales,
nous sommes derrière vous ».
49. Bouilly E., « Mobiliser sans protester. Actions non-protestataires, techniques
d’enrôlement et répertoires de mobilisation développés par les leaders
associatives au Sénégal », communication au séminaire "Genre et mobilisations",
Paris 1, 2012.
50. Jeanmart G., Généalogie de la docilité dans l’antiquité et le haut moyen-âge,
Paris, Vrin, 2007, p.11.
51. Telle est là notamment la lecture qu’en fait un ouvrage coordonné par Stéphane
Courtois (Le livre noir du Communisme, Paris, Robert Laffont, 1997).
52. Cette formule est de Michel Foucault
53. Hibou B., La force de l’obéissance. Économie politique de la répression en Tunisie,
Paris, La Découverte, 2006.
54. Hibou B., L’anatomie politique de la domination, Paris, La Découverte, 2011.
55. Hibou B., Idem.
56. Paul Biya, discours à la Nation, après l’élection présidentielle du 11 octobre 1992.
57. Extrait du discours de politique générale, 4e Congrès ordinaire de l’Union
nationale camerounaise.
58. Rapport de politique générale du 4e Congrès ordinaire de l’UNC, 1982, p.362
59. Extrait du discours d’ouverture du Comice agropastoral de Maroua (06 janvier
1988).
60. Extrait du discours à l’occasion de la visite officielle dans la province du Sud,
Ebolowa, 06 septembre 1991
61. Dans son essence, ce terme renvoie à un système de subordination des femmes
qui consacre la domination du père sur les membres de la famille et plus
spécifiquement sur les femmes.
62. Extrait du discours de campagne pour l’élection présidentielle du 12 octobre
1997, Garoua, 06 octobre 1997).

146 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les commémorations comme espace de subjectivation

63. Extrait du discours de campagne pour l’élection présidentielle du 12 octobre


1997, Bertoua, 10 octobre 1997).
64. Rapport de politique générale du 4e Congrès ordinaire de l’UNC, 1982, p.345.
65. Extrait du discours à l’occasion de la visite officielle dans la province du Sud
(Ebolowa, 06 septembre 1991).
66. Extrait du discours d’ouverture du 1er congrès extraordinaire du RDPC
(Yaoundé, 08 octobre 1995).
67. Extrait du discours d’ouverture du 2e congrès ordinaire du RDPC (Yaoundé, 18
décembre 1996).
68. Extrait du discours de campagne lors de l’élection présidentielle du 10 octobre
1997(Maroua, 2 octobre 1997).
69. Entretien avec une femme cadre dans un établissement public administratif.
70. Foucault M., « Les mailles du pouvoir », in Dits et écrits, Tome IV, 1981, pp.182-
194 ; « Le sujet et le pouvoir », in Dits et Écrits, Tome II (1976-1988), Paris,
Gallimard, 2001; du même auteur « L'éthique du souci de soi comme pratique de
la liberté », Dits et Écrits, Tome II (1976-1988), Paris, Gallimard, 2001 ; Histoire
de la sexualité, vol.3 : Le souci de soi, Paris, Gallimard, 2004.
71. Foucault M., idem, p.72.
72. Ibidem, p.7.
73. Foucault M., Les anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975 ; F. Ewald,
A. Fontana (dir) Paris, Gallimard, 1999, p.44.
74. Foucault M., Histoire de la sexualité, tome 2 : L’usage des plaisirs, Paris,
Gallimard, 1984, p. 16.
75. Foucault M., L’herméneutique du sujet, Cours au Collège de France (1981-1982),
Paris, Gallimard/Seuil, 2001, p. 243.
76. Foucault M. Histoire de la sexualité, tome 3 : Le souci de soi, Op. cit., p.87. Voir
aussi du même auteur, « L'éthique du souci de soi comme pratique de la liberté »,
Dits et Écrits, tome 2 (1976-1988), Paris, Gallimard, 2001.
77. Mbassi-Bikele Y., « Cameroun: Dimanche, Journée internationale de la femme »,
Cameroon Tribune, 6 mars 2015.
78. « Allez, on soulève les robes ! Le péché mignon de ces dames camerounaises »,
Africa vox, 3 mars 2012.
79. « 8 mars sous fond de menaces à Ngaoundéré », Septentrion Infos, 2011.
80. Ondoa M.G., « Le 8 mars : arborer le pagne ou réfléchir sur les problèmes de la
femme ? », L’ Effort camerounais, mars 2008
(http://www.leffortcamerounais.info/2008/03/le-8-mars-arbor.html)
81. La Nouvelle expression (Douala), 9 mars 2006.
82. Tchakounté Kémayou Y., « 8 mars : l’ ‘‘autonomisation des femmes’’ à la
camerounaise », (http://matango.mondoblog.org/2015/03/04/8-mars-l-
autonomisation-des-femmes-la-camerounaise/).
83. Idem.

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Nadine Machikou

84. Foucault M., « Deux essais sur le sujet et le pouvoir » in H. Dreyfus et P.


Rabinow, Michel Foucault, un parcours philosophique, Paris, Folio Essais,
Gallimard, 1984.
85. Voir pour les détails Bayart J.F., L'Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris,
Fayard, coll. « L'Espace du politique », 2006, 2e édition ou par la suite Bayart

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Construction et dé (re) composition de la nation en
postcolonie : discontinuités et continuités des
trajectoires et figures du vivre ensemble au
Cameroun

par
Claude Abé,
Université Catholique d’Afrique centrale

Evaluer le processus de structuration de la nation amorcé depuis l’accession du


Cameroun à l’indépendance le 1er janvier 1960 est indispensable aujourd’hui. Il
s’agit de faire l’état des lieux de cette ingénierie de manière à déterminer la
fortune ou les infortunes auxquelles donne lieu sa mise en œuvre dans ce
contexte. Ce qui intéresse l’observateur dans ce sens, c’est le vécu quotidien de
cette expérience par les populations qui en sont les acteurs. C’est pourquoi, le
regard s’oriente particulièrement vers les formes et trajectoires que prennent le
sentiment national et l’articulation du vivre ensemble ici. L’enquête emprunte ce
détour pour questionner l’actualité de la nation tant son opérationnalité est
aujourd’hui remise en question (voir Habermas, 1998 : 68-77 ; Beck, 2006).

Pour beaucoup, en effet, la nation ne constitue plus un cadre d’action ou


d’observation pertinent. L’histoire des constructions nationales enseigne que,
d’une manière générale, ces dernières ont souvent emprunté deux voies qui sont
aujourd’hui remises en question. La première, c’est celle dans laquelle le
sentiment affectif naît de l’attachement d’un ensemble d’individus à un
territoire ; ce dernier organise alors le rapprochement affectif de peuples que rien
ne prédisposait à se reconnaître un dessein commun. Dans cette perspective,
comme l’observe fort à propos Habermas, la nation se conçoit comme une
association de citoyens (1998 : 71). C’est le cas des pays qui se sont inspirés du
modèle de la Rome antique comme la Suisse, la France, l’Angleterre ou encore
l’Allemagne.

Le sentiment d’appartenance à une même nation peut aussi naître de la


revendication d’une même histoire par des individus réclamant leur adhésion
aux mêmes référents culturels et à la même identité primaire. Dans cette

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 149


Claude Abé

seconde perspective, « la nation est conçue comme l’unité prépolitique d’une


communauté de destin historique » (Habermas, 1998 : 68). C’est cette conception
de la nation qui fonde les revendications kurde, sahraouie ou encore dans les
Balkans. C’est une approche de la nation qui table sur le rejet de l’hétérogénéité
culturelle et de la différence ; elle est construite comme une entité une et indivis.
C’est la technologie de construction nationale qu’avaient adoptée nombre de pays
africains juste après leur accès à la souveraineté internationale. Le Cameroun
constitue une illustration en la matière. M. Ahmadou Ahidjo, son tout premier
dirigeant, déclarait ce qui suit à la jeunesse à l’occasion de la fête qui porte le
même nom le 11 février 1967 : « beaucoup d’entre vous ne connaissent même pas
encore leur race ! Je souhaite qu’ils retiennent de n’être que d’une seule : la race
camerounaise ! ».

Mais, le problème c’est que chacune de ces manières de voir la nation connaît
aujourd’hui de sérieuses remises en question tant dans la littérature scientifique
que dans les événements qui meublent le quotidien. Pour ce qui est de la
première perspective, le débat tourne autour de la pertinence d’une analyse
fondée sur le territoire, cadre par excellence d’évolution de la nation pour cette
conception. Certains disent le territoire en voie de putréfaction, l’on parle alors
de la fin des territoires (Badie, 1995) à la faveur du retournement du monde
(Badie et Smouts, 1992). En clair, comme le démontre Cohen (1996), cette thèse
est fondée sur le constat selon lequel « l’opérationnalité de l’Etat-nation comme
forme d’organisation des sociétés humaines ou acteur de la vie internationale ne
va plus de soi » (Abé, 2001 : 314). Cette vision apocalyptique de la territorialité a
été tropicalisée par nombre de nos devanciers. Mbembé parle d’une menace
d’implosion de l’Afrique aux prises avec la question de la territorialité (1990).
Mazrui doute de la solidité des frontières africaines de type étatique et
s’interroge sur le nombre d’Etats qui conserveront leurs frontières intactes à la
fin du XXème siècle (1993 : 35).

Cette approche de la question pêche par sa sublimation du temps mondial et sa


négligence du pouvoir des temps locaux (Ben Arrous, 1996 : 9). En présence de
l’ailleurs, l’ici ne recule pas. La domination du global n’annonce pas la défaite du
local. Warnier l’a observé dans le rapport que les cultures locales entretiennent
avec celles dites hégémoniques en situation coloniale : « jamais les sociétés
colonisées n’ont été des jouets passivement voués à la violence du colonisateur.
En dépit du choc, les colonisés n’ont pas abdiqué leur initiative et leur inscription
dans l’histoire. Ils ont su réinventer les traditions, domestiquer l’apport

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Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie

occidental, se l’approprier et le retourner contre le colonisateur. Ils ont ainsi


participé à la production identitaire qui met en échec l’uniformisation par les
flux culturels » (1999 : 81-82). Appadurai vogue dans le même sens lorsque qu’il
montre qu’il y a une consommation locale, c’est-à-dire un point de vue localisé,
des produits de la globalisation (1995). Tout ceci atteste que « le village global »
n’est pas si global qu’on le présente. Les sociétés qui la composent ne sont pas
engagées dans une même historicité, leurs trajectoires socio-historiques diffèrent
sensiblement même si l’on peut retrouver nombre d’éléments en partage entre
elles en raison des contacts culturels divers » (Abé, 2008 : 590). Et, dans le cas
précis du Cameroun, le territoire reste un identifiant pertinent des individus
comme l’indiquent les travaux de recherche portant sur les querelles entre
autochtones et allogènes ayant pour substrat le foncier dans ce pays (Geschiere
and Nyamnjoh, 2000, 2001 ; Socpa : 2006). L’autochtonie se fonde sur le lien à la
terre et plus particulièrement sur l’ancienneté résidentielle sur cette dernière.
C’est ce qui la transforme en capital social, c’est-à-dire, en « enjeu de lutte entre
groupes résidents » (Rétière, 2003 : 126).

La seconde perspective table sur le rejet des différences, la nation étant une et
indivis, l’hétérogénéité est tout simplement reniée. C’est pourquoi, les replis
identitaires de tous bords que l’on observe aujourd’hui un peu partout
participent à contrarier cette perspective conceptuelle de la nation qui insiste sur
l’homogénéité culturelle. C’est justement la valeur que prennent des situations
d’affirmation violente de la différence tels que le génocide rwandais, les querelles
intestines entre Ivoiriens ou encore l’exacerbation des identités primaires à
laquelle l’on a assisté au Cameroun au cours de la libéralisation politique
(Zambo Belinga, 2002). Comme l’on peut se rendre à l’évidence, cette conception
de la nation remet en question toute possibilité d’articulation du vivre ensemble,
c’est-à-dire, d’une nation, dans une situation multiethnique comme celle du
Cameroun. Il s’agit, cependant, d’une lecture qui ne s’écarte guère de
l’apocalyptisme méthodogique initié par Francis Fukuyama.

Une autre approche peut être faite de ces dynamiques identitaires dans leur
rapport au sentiment national. C’est ce que l’on se propose de réaliser ici. Les
replis identitaires qui agissent comme marqueurs sociaux d’une remise en
question du modèle de construction nationale amorcée au Cameroun peuvent
aussi être interrogés sous l’angle des jeux d’acteurs dans leur rapport au
politique ou alors comme des prises de parole en actes visant à ouvrir un débat
sur ledit modèle. La mobilisation de la notion de capital social telle que

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 151


Claude Abé

conceptualisée par Bourdieu (1980 : 2-3) et par Putnam (1995) permet une telle
lecture. Selon Bourdieu, « le capital social est la somme des ressources, actuelles
ou virtuelles, qui reviennent à un individu ou à un groupe du fait qu’il possède
un réseau durable de relations, de connaissances et de reconnaissances
mutuelles plus ou moins institutionnalisées, c’est-à-dire, la somme des capitaux
ou des pouvoirs qu’un tel réseau permet de mobiliser » (1992 : 95). En clair, les
relations sociales (familiales, amicales ou professionnelles) qu’un individu
accumule représentent un capital auquel il peut recourir en les convertissant en
autant de possibilités d’action pour faire face à une situation de crise ou obtenir
un gain quelconque (Pirotte, 2007 : 47).

Ce qui précède suggère que l’on peut tout aussi bien se réclamer membre d’une
nation, comme celle que constitue les Camerounais, et marquer son attachement
à une cause ethnique, régionale ou une revendication autonomiste. Bien que cela
soit possible, il n’existe pas d’incompatibilité naturelle entre particularismes et
universalismes ; l’universel peut se penser dans le registre du particulier
(entendez de l’ethnie, de la région ou de la revendication autonomiste), tout
comme le particulier peut s’énoncer dans la grammaire de l’universel. Dans cette
perspective, les mouvements d’affirmation/revendication à caractère ethnique,
régional ou autonomiste apparaissent comme des sociabilités militantes (Rétière,
2003 : 122), des formes d’engagement civil. C’est cette hypothèse que l’on
s’emploie à vérifier dans le cadre de cette réflexion.

L’étude comprend deux principales parties. La première constitue une


ethnographie des logiques identitaires qui font du Cameroun une tour de Babel
au bord de l’implosion. La deuxième partie montre que la revendication ou
l’affirmation d’une identité primaire dans l’espace public ne peut être appréciée
exclusivement sous l’angle de la remise en cause de l’identité nationale. Ce qui
atteste que la contestation dont la nation est l’objet actuellement de la part des
dynamiques identitaires multiformes ne constitue qu’une crise. La crise est
cependant à apprécier dans le sillage de Balandier ou de Dobry, c’est-à-dire,
comme une déconstruction derrière laquelle se profilent des sociabilités
annonçant la recomposition de la communauté des citoyens telle qu’elle se vit au
Cameroun.

152 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie

I. Les trajectoires de décomposition de la nation : entre


attachements en deçà et projections au dehors

Cette partie traite des ruptures, c’est-à-dire, des discontinuités, que connaît
aujourd’hui le processus de construction d’une nation au Cameroun. Comme on
l’a souligné plus haut, dans ce pays, la construction nationale s’est voulue un
projet de type jacobin fondé sur le refus de toute différence, du pluralisme social
(voir Bayart, 1985). Toute remise en question de cette perspective de conception
de la nation peut donc apparaître comme une technologie de décomposition, une
figure de la discontinuité. Ainsi des rivalités ethniques ou encore des
revendications autonomistes et de l’attachement sentimental au dehors/externe.

1. Les rivalités entre communautés primaires

Analysant les dynamiques de réactivation de sites autonomes d’initiatives en


Afrique, J.-F. Bayart parle de la revanche de la société sur l’Etat (1992), l’on peut
dire autant du rapport de la mobilisation des dynamiques primordialistes au
projet de construction nationale si l’on s’en tient en tout cas au caractère jacobin
de ce projet. Le primordialisme renvoie ici à la communauté primaire. Cette
dernière prend habituellement trois formes : la communauté de sang (lien de
parenté), la communauté de lieu (fondée sur la proximité) et la communauté de
l’esprit (relations d’amitié). Cependant, dans le cadre de la présente étude, la
communauté primaire fait référence aussi bien à l’ethnie qu’à la région.

Pour ce qui est de la discontinuité introduite par l’ethnie, on a retenu que trois
exemples pour illustrer le propos bien que l’on dénombre une pluralité de
situations similaires. Les rivalités entre les Bamiléké et les Bëti constituent le
premier cas retenu. Le retour du Cameroun est venu mettre au devant de la
scène des querelles qui avaient été jusqu’ici savamment contenues. A la suite des
élections présidentielles de 1992 qui ont vu la victoire in extremis de M. Paul
Biya sur M. John Fru Ndi, un conflit d’une intensité jamais égalée a opposé les
membres de l’ethnie Bamiléké aux originaires de l’ethnie Bëti. Sur fond de
mobilisation de l’argument de l’autochtonie, ces derniers ont perpétré de
nombreuses violences aux Bamiléké. Il a été donné de l’observer dans les villes
du Sud-Cameroun où l’installation des populations des Grassfields (les Bamiléké)
date d’environ 50 ans environ, notamment de la période coloniale. Il s’agit de
Mbalmayo, Sangmélima et Ebolowa. Il est important de noter que les Bamiléké
occupent particulièrement la région de l’Ouest et une partie de celle du Littoral

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 153


Claude Abé

dans la localité de Nkongsamba. L’on peut dire que ces deux régions constituent
leur fief traditionnel. Mais, très actifs dans les activités commerciales, il existe
une forte tradition de migration dans le reste du pays. C’est ainsi que nombre
d’entre eux se sont installés dans les villes du Sud-Cameroun. C’est d’ailleurs
pourquoi, les Bëti, qui revendiquent l’ancienneté résidentielle dans cette partie
du territoire, les qualifient d’allogènes. Il y a cependant une autre raison sur
laquelle le groupe Bëti prend appui pour stigmatiser les Bamiléké : c’est le lieu
d’inhumation de leurs morts. Il est de règle, au Cameroun, que l’on enterre ses
morts aux côtés des ancêtres, c’est-à-dire dans le lieu avec lequel l’on entretient
des liens affectifs d’attachement. Or, lorsqu’un des migrants Bamiléké vivant
dans le Sud-Cameroun, l’on s’organise pour aller organiser ses obsèques à
l’Ouest, dans les Grassfields. Cela a fait dire aux Bëti que les Bamiléké ne se
reconnaissent pas d’attache avec leur lieu d’accueil et d’activités quotidiennes.

Cette assignation identitaire en termes d’autochtones et d’allogènes a été rendue


possible par le risque de défaite électorale de M. Biya, un membre du groupe Bëti,
face à M. Fru Ndi, d’expression anglaise et originaire des Grassfields comme les
Bamiléké. L’amalgame a été vite fait entre ce tikar de Mankon et ces derniers du
fait de leur proximité géographique. Les Bëti n’ont pas apprécié que les
Bamiléké ne se soient pas alignés derrière eux (Zambo Belinga, 2002 : 188). Les
violences subies par les commerçants d’origine Bamiléké ont ainsi été présentées
par leurs bourreaux Bëti comme une réaction légitime visant à les punir pour
avoir trahi leur hospitalité généreusement offerte. La sanction retenue était de
chasser ces allogènes, de les expulser de la terre de leurs ancêtres. On voit là se
dessiner l’idée d’un Cameroun pour Eux et d’autre pour Nous. L’on tente de
s’approprier une part de territoire en rejetant l’autre. La différence se crée dès
lors dans le registre de l’agressivité, celui de la stigmatisation de l’autre.

C’est la même technique de déconstruction du vivre ensemble au moyen de la


stigmatisation de l’autre que l’on a retrouvé dans ce qu’il est convenu d’appeler
l’affaire Mgr. André Wouking. En juillet 1999, ce prélat d’origine Bamiléké est
nommé archevêque de Yaoundé, en plein pays Bëti devenu une ville
multiethnique entre temps du fait des migrations. L’on a assisté à une levée de
boucliers de la part des chrétiens catholiques d’origine Bëti qui contestaient cette
nomination du Saint-Siège. « Non à un adorateur de crâne comme archevêque à
Yaoundé », « A bas les envahisseurs Bamiléké », « Non à un prélat commerçant
dans la maison de Dieu », pouvait-on lire dans les tracts distribués ici et là qui
avaient inondé toute la capitale politique camerounaise. L’on voit là la figure du

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Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie

rejet de l’autre. Ce refus d’accepter l’autre dans et avec ses différences culturelles
est une preuve que le primordialisme, notamment la mobilisation de
l’autochtonie, peut déboucher sur la déconstruction du vivre ensemble. Ce qui
indique que, dans certaines circonstances, elle constitue une menace pour le
processus de construction de la nation (Bayart, Geschiere et Nyamnjoh, 2001 :
192). C’est dans ce sens que l’appel à l’autochtonie apparaît comme une
dynamique en rupture/contradiction avec l’articulation d’une nation. C’est parce
qu’elle est décomposition de la nation par précarisation de toute possibilité du
vivre ensemble que la mobilisation de l’autochtonie contre l’autre constitue une
figure de la discontinuité du travail de structuration du sentiment national
amorcé.

La même analyse peut être faite dans le cas de la mobilisation de l’ethnie Duala
contre l’hégémonie Bamiléké dans les exécutifs communaux de la ville de Douala
après les municipales de 1996 qui ont vu la victoire du Social Democratic Front
(SDF) de M. John Fru Ndi et l’élection des originaires des Grassfields à la
présidence des exécutifs de mairie. L’argument convoqué ici c’est celui de la
protection des minorités reconnue par la constitution du 18 janvier 1996 (Bayart,
Geschiere et Nyamnjoh, 2001 : 186).

A côté de l’ethnie, il y a la région. Elle aussi introduit une discontinuité dans la


mise en ordre du vivre ensemble. La discontinuité vient ici du fait que sur le plan
du discours qui a accompagné le projet de construction nationale au Cameroun,
l’on a voulu ignorer les origines même au niveau géographique. Nombre de
travaux, dont celui de Fogui (1990) ou de Bayart (1985), ont apporté la preuve
que ce projet s’est structuré contre tout centre d’influence ou d’attrait
périphérique. C’est aussi en accord avec ce principe que le parti unique avait été
instauré pour éviter les divisions pouvant émanées de la périphérisation. Or,
dans sa conception, la région constituait une des figures de la périphérie. C’est
dans ce sens que sa résurgence actuelle peut être appréciée, sous un certain
angle, comme une remise en question du processus initial de production d’une
nation camerounaise. Cependant, le retour au multipartisme a coïncidé avec la
réactivation de l’identité régionale. L’on a vu naître des formations politiques à
vocation régionale. L’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP)
n’a jamais obtenu de victoire ailleurs que dans la partie septentrionale du pays,
celle que l’on désigne habituellement au Cameroun le Grand Nord. Sur le plan
du découpage administratif, ce dernier est actuellement constitué de trois
régions, celles de l’Extrême-Nord, du Nord et de l’Adamaoua. C’est de ce Grand

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Claude Abé

Nord que le Président Ahmadou Ahidjo, le prédécesseur de M. Paul Biya, l’actuel


dirigeant du pays, était originaire.

Aujourd’hui, l’on parle même d’un problème nordiste au Cameroun. En décidant,


le 6 novembre 1982, de passer la main à M. Biya, M. Ahidjo aurait passé un deal
avec lui pour poursuivre l’entretien de ce que l’on appelle localement « l’axe
Nord-Sud ». Ce dernier constitue le nom donné à l’alliance politique qui a permis
à M. Ahidjo de régner pendant 25 ans. Venant du Nord-Cameroun, il choisissait
ses principaux alliés dans le Sud (Sindjoun, 1999 : 75). De ce point de vue, ce que
l’on a coutume d’appeler axe Nord-Sud représente tout simplement un système
d’échanges politiques structuré sur le principe du don et du contre don dont parle
Mauss qui a érigé les deux sites d’évocation géographique « en pôles légitimes de
domination politique » (Sindjoun, 1999 : 75) au Cameroun. Ce qui précède
suggère que M. Biya n’héritait pas seulement du pouvoir mais aussi de cet axe
qu’il se devait d’assurer l’entretien et le bon fonctionnement. De cet avis, le
problème nordiste naît du fait que les ressortissants du Grand Nord ont le
sentiment d’avoir été dupés. Ils estiment que leur don n’a pas été suivi de contre-
don et qu’ils ne servent que force d’appoint pour M. Biya. C’est ce que révèle une
interview d’une élite originaire du Grand Nord, notamment M. Saidou Maïdadi
Yaya, alors secrétaire national à l’éducation ouvrière de la Confédération des
Syndicats Indépendants du Cameroun (CSIC), selon qui « pour ce qui est des
Nordistes plus précisément, on peut lire dans tous les discours ou entendre les
élites et élus dire que le pouvoir qui gère actuellement le Cameroun les a dupé
(sic) » (Les Cahiers de Mutations, n°005, 2002 : 17).

C’est peut être cette situation qui rend compte d’une autre beaucoup plus récente,
celle de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Maroua. Maroua est la ville qui
abrite les institutions de la région de l’Extrême-Nord, dont l’un des plus
importants centres urbains du Grand Nord. Au cours de l’année 2008, il a été
créé une université dans cette ville ainsi que l’école suscitée. Il a aussitôt été
organisé un recrutement des étudiants pour cette dernière. L’étude de dossiers a
été la formule choisie par la tutelle. Pour les deux cycles (celui des titulaires du
Baccalauréat et celui des titulaires du diplôme de Licence), 25.182 dossiers ont
été jugés recevables par le Ministère de l’enseignement supérieur (MINESUP)
pour 2000 places disponibles. Les résultats publiés le 8 décembre 2008 indiquent
que, « de manière globalisante, les trois régions du septentrion totalisent un taux
de 36% au premier cycle, soit 472 admis sur 1300, et de 30% au second cycle dont

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Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie

288 admis sur 953. Les sept autres régions se contentent des 66% des restants »
(L’anecdote n°396, 2008 : 6).

Le problème va naître ici du fait que certaines élites du Grand Nord parmi
lesquelles les 52 parlementaires que compte cette partie du pays vont estimer
leur aire géographique peu représentée pour une école qui se trouve chez eux. Le
chef de l’Etat est aussitôt saisi par ces élites qui lui ont adressé un mémorandum
faisant état de ces réclamations. Les parlementaires ont même menacé
d’écourter leurs mandats à la chambre des représentants en démissionnant en
bloc. Face à toutes ces manœuvres, le chef de l’Etat a instruit au Ministre de
l’enseignement supérieur d’admettre tous les candidats du Grand Nord à l’ENS
de Maroua, soit 5614 jeunes camerounais (Repères n°102, 2008 : 2 ; La Météo
n°217 : 2008 : 7). Si l’on s’en tient à la division qu’elle institue entre eux et nous,
une telle utilisation de l’appartenance régionale remet en cause le vivre
ensemble. Il s’agit de rejeter l’autre pour s’approprier un morceau du territoire
national et tous les biens qui s’y trouvent. Elle apparaît comme une discontinuité
parce que cela ne s’est jamais réalisé par le passé où l’on savait que les textes sur
l’équilibre régional réglementaient la répartition par région. C’est une rupture
qui introduit une crise dans le sentiment d’appartenance à la nation. En fait,
cette affaire de l’ENS de Maroua suggère que l’on s’identifie d’abord à la région
avant de se projeter sur le Cameroun, mieux que la région l’emporte même sur la
nation. Cette affectivité manifestée pour l’infranational brouille la relation à la
communauté des citoyens à l’échelle du pays et se structure comme une remise
en question du processus de construction d’une nation camerounaise. Ce qui est
mis en cause ici ce n’est pas le fait de se reconnaître une appartenance à une
région mais la préséance accordée à celle-ci face à la nation. La preuve de cette
préséance c’est la menace de démission des représentants de la nation au profit
des intérêts régionaux.

Tout ce qui précède montre que le primordialisme peut déboucher sur la


décomposition de la nation. Dans la mesure où il crée des attachements
contradictoires en-deçà d’elle, dans certaines circonstances, notamment celles
d’exacerbation de la conscience d’appartenance à l’en-groupe par opposition au
hors groupe, le primordialisme paraît comme une figure de la décomposition et
de déconstruction du vivre ensemble au même titre que les revendications
autonomistes ou l’attachement au dehors.

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Claude Abé

2. Les revendications autonomistes et l’attrait du dehors

L’Etat du Cameroun est le produit de la réunification en 1961 de deux territoires,


le Southern Cameroon et le Northern Cameroon. Le premier, constitué des
populations d’expression anglaise, a été colonisé par l’Angleterre. Il se trouvait
sur les actuelles régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Le second, quant à lui,
a vécu sous occupation française jusqu’en 1960. Il représente le reste du
territoire camerounais lorsque l’on a retranché les régions anglophones. C’est
pour respecter ces différences induites de la culture administrative de l’origine
de l’ancien occupant que le Cameroun va évoluer 11 ans durant sous un régime
étatique de type fédéral avec deux Etats fédérés. Mais, en 1972, le Président
Ahmadou Ahidjo va procéder à l’unification du Cameroun par la voie d’une
consultation référendaire qui a lieu le 20 mai.

Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Les populations anglophones se
sentent doublement minoritaires : sur le plan numérique, elles pèsent moins que
les francophones, et sur le plan sociologique, elles estiment être l’objet d’une
domination abusive. C’est ce qui leur fait dire qu’elles sont victimes de
marginalisation et d’exclusion ; c’est aussi ce qui les amène à qualifier l’Etat
camerounais de francophone (Sindjoun, 2002 : 219). La raison de cet ordre de fait
c’est que, depuis 1961, date de la mise ensemble des deux Cameroon cités plus
haut, ce sont les francophones qui ont toujours gouverné. Cette qualification de
la communauté politique par les anglophones représente une remise en question
du caractère bilingue et multiculturel du pays affiché et promu par le projet de
construction nationale mis en place.

Fort de ce ressentiment, certaines élites anglophones se sont engagées à faire


sécession quand elles ne contestent pas le caractère unitaire de l’Etat. C’est ainsi
qu’en décembre 1999, alors que l’on se préparait à célébrer le nouvel an, une
déclaration d’indépendance de la partie anglophone du Cameroun est prononcée
sur les antennes de la station régionale de la radio nationale dans le Sud-Ouest.
Cette déclaration est le fait des membres d’une formation politique clandestine
dénommée Southern Cameroon National Council. Le nom de baptême de ce
nouveau territoire est la République d’Ambazonie. En novembre 2007, sur
l’initiative du même parti, cette dernière se dote d’un exécutif (représenté par un
gouvernement d’un peu plus de 40 personnes) et d’une structure législative
constituée de 23 sénateurs (voir le journal Mutations du mercredi 26 décembre
2007 : 3).

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Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie

Sur le terrain, l’on est en face d’un activisme et d’une propagande sécessionnistes
qui indiquent le sérieux de ces entrepreneurs territoriaux. Cet activisme est si
significatif que les pouvoirs publics sont régulièrement amenés à procéder à
l’interpellation ou l’emprisonnement de ses acteurs. Ce qui indique qu’il ne s’agit
pas d’une simple agitation d’idées de division sans effet dans le champ social et
l’imaginaire national. C’est aussi ce que montre le fait qu’en 1999, la déclaration
d’indépendance ait été précédée d’un recours aux armes certains membres de la
Southern Cameroon National Council (voir Mutations du mercredi 26 décembre
2007 : 3). Même si les choses ne sont pas de nature à dire que l’on est en
présence d’une campagne militaire des sécessionnistes, ce qui se passe sur le
terrain indique que cette revendication souverainiste, similaire à celle que l’on
connaît en pays corse en France ou encore chez les Flamands en Belgique, prend
le sens d’une remise en question de l’intégrité territoriale du Cameroun et d’une
menace qui pèse sur l’articulation du vivre ensemble. Elle peut, en effet, servir
de « ferment [à] une inquiétante division nationale » (Dozon, 2000 : 53). Et dans
ce sens ce qu’il est convenu d’appeler la question anglophone au Cameroun
pourrait s’apprécier comme une remise en cause du sentiment d’être
camerounais. Le référent identitaire des souverainistes, c’est l’ailleurs de cet être
camerounais.

C’est aussi cette désaffection vis-à-vis de l’être camerounais que l’on peut
observer à l’œuvre dans la démarche des acteurs sociaux jeunes et adultes qui
vivent dans la hantise quotidienne de partir du Cameroun. En effet, « la plupart
des jeunes camerounais ont…fait de leur départ du pays une véritable obsession.
Toutes leurs petites économies n’ont de sens que parce qu’ils rêvent de prendre
un avion un jour…Ce désir est loin d’épargner même ceux d’entre eux qui
possèdent un emploi sur place. » (Abé, 2005 : 56). Il est de cette catégorie comme
il est des adultes. La fièvre du départ est quasi générale. L’allégeance à l’ailleurs
est tel que les pratiques vestimentaires, celles liées à l’esthétique corporelle
comme les alliances matrimoniales et même la consommation artistique s’y
réfèrent ouvertement avec ostentation et en sont très marquées (Abé, 2005 : 66-
65). Selon Séraphin, elle toucherait surtout ceux des camerounais qui
expérimentent la vie dure alors qu’ils possèdent des atouts pour réussir leur
insertion sociale et professionnelle (2000 : 200). Cette révérence à l’ailleurs de
l’Etat-nation, c’est-à-dire, à une trajectoire cosmopolitique est porteuse de sens.
Elle exprime l’entrée en crise de l’identification à l’ici ; c’est un défi auquel le
sentiment national est confronté. Comme on peut le constater, « la mise en route

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Claude Abé

du cosmopolitisme vient brouiller les repères identitaires renvoyant à l’Etat-


nation » (Abé, 2005 : 63).

Les dynamiques dont il vient d’être question peuvent cependant être


appréhendées sous un autre angle que celui du défi au sentiment national ou au
vivre ensemble. Ce que l’on veut dire, c’est que la catégorie du défi ou de la
déconstruction n’épuise pas le discours sur elles. C’est ce que montre la seconde
partie de ce travail.

II. L’universalisation du particulier et la localisation du dehors

Ce serait partiel et partial de ne retenir qu’une seule dimension ou modalité


expressive des dynamiques infra et supra nationales aux référents autres que
celui national. D’où le besoin de se tourner vers ces réserves de sens qui ne se
donnent ni à voir ni à saisir au premier coup d’œil.

1. Dynamiques sociales d’universalisation du particulier

De prime abord, le recours à l’ethnie ou à la région, bref aux origines peut être
apprécié comme un repli identitaire, un refus d’ouverture à ce qui est différent
de soi. Sous cet angle, « Le sentiment ethnique [ou régionaliste], c’est celui d’être
« nous », reliés à nos origines et différents des « autres » et de leurs origines »
(Gosselin 2001 : 122). Mais, nombre de travaux démontrent qu’il n’est plus
pertinent aujourd’hui d’opposer l’identité politique à l’identité culturelle car les
deux ne sont pas indissolublement incompatibles (Gosselin, 2001 : 125). On peut,
en effet, recourir l’une en tant que ressource pour articuler l’autre.

Par ailleurs, il est attesté que « l’identité ne dépend pas seulement de la


naissance », mais aussi « choix opérés par les sujets » (Warnier, 1999 : 9). C’est
parce qu’elle relève aussi bien de l’inné que de l’acquis que l’on peut entrer et
sortir d’une identité au gré des circonstances et des enjeux. C’est ce que traduit
le fait que les membres d’une même ethnie ou région possèdent des stratégies en
deçà ou au-delà de la communauté selon leurs intérêts du moment, leurs
mémoires ou leurs expériences (Diouf, 1998 : 47). Dès lors, l’attachement à une
communauté, qu’elle soit infra-nationale, nationale ou cosmopolitique, est loin
d’être une réalité figée/stable ; il s’agit toujours d’un équilibre instable parce que
dynamique et plastique. De plus, la mobilisation d’une même identité peut être
le lieu de mise en scènes de logiques d’acteurs contradictoires. Toutes ces

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Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie

remarques obligent à reconnaître qu’il existe des passerelles entre ethnie/région


et politique, entre appartenance primaire et sentiment national à condition que
ces référents aux origines ne se figent pas dans le primordialisme.

Dans le cas du Cameroun justement, le recours à l’appartenance ne s’est jamais


limité à un militantisme primordialiste. L’universalisation du particulier est
l’autre face de l’iceberg. Pour réaliser cette ingénierie, le passage au politique du
particulier a été la technologie retenue jusqu’ici par les différents acteurs. Elle
est à la fois le fait du haut (gouvernants) et du bas (gouvernés). Au niveau du
haut, ce processus s’est opéré de deux manières apparemment contradictoires.
On y a eu recours pour construire l’Etat-nation : la délégitimation de l’ethnie ou
de la région d’appartenance et leur instrumentalisation pour « la réalisation de
l’équilibre géopolitique national » (Ngayap, 1983 : 68). Ainsi la condamnation, la
diabolisation, puis la mise sous le boisseau des identités ethniques et régionales,
alors construites comme figures par excellence de la désintégration nationale
(Sindjoun, 2002 : 50-52), se sont accompagnées de « la polarisation ethnique du
champ géopolitique au Cameroun et [de] la tentative de réduction du jeu
politique aux groupes "ethniques" occupant les positions de domination dans
certaines aires » (Sindjoun, 2002 : 109). Les données collectées par Roger Gabriel
Nlep abondent dans le même sens en apportant la preuve que pour gouverner le
pays, le pouvoir en place a toujours pris appui sur trois grands complexes
ethniques majeurs, nordiste, bëti et bamiléké qui, au regard de la géographie du
Cameroun, se situent à trois points dont les positions figurent un triangle
équilatéral (1986 : 213-215).

C’est ce que le premier président du Cameroun a appelé la politique de l’équilibre


régional. Celle-ci est une disposition réglementaire qui fixe la répartition des
fonctions et postes administratifs selon l’origine ethno-régionale de manière à
garantir la participation de chaque grand complexe géopolitique et sociologique
dans la gestion des affaires du pays. Chacun dispose alors d’un quota plus ou
moins fixe selon le nombre de places disponibles. C’est cette politique de micro-
dosage qui est à l’œuvre dans le recrutement des fonctionnaires camerounais,
dans la formation des gouvernements ou encore dans la désignation des
dirigeants des structures de pouvoir les plus sensibles (Etat, parlement, etc.). A
l’origine de cette disposition, l’objectif de lutter contre l’exclusion sociale et les
divisions sur la base de l’appartenance primaire (Biloa Ebéné, 2007). Il ressort
ainsi que le processus d’universalisation du particulier a d’abord pris le visage du
recours à l’ethnie et à la région comme ressource de construction nationale au

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Claude Abé

Cameroun. Le particulier apparaît ici comme un capital social que le pouvoir n’a
pas hésité à utiliser pour ne tirer profit dans la réalisation de son projet de
construction d’une nation.

Et de ce point de vue, la mobilisation de l’origine, c’est-à-dire, de l’appartenance


primaire sous la forme de l’ethnie, de la région ou de la langue, comme ressource
par les entrepreneurs politiques depuis la libéralisation politique (1990) au
Cameroun ne vient pas contrarier le projet de construction nationale. Ce n’est
qu’une reproduction des dynamiques du haut pas le bas. Elle n’indique pas une
mise en déroute de la construction nationale, mais plutôt son enracinement.
C’est une figure de la continuité car « la prégnance du tribalisme [n’est pas] une
réalité contradictoire avec l’existence d’une lutte des classes. En fait, il est assez
vain d’opposer les deux sphères : les conflits inter-ethniques [sont] et demeurent
des parties intrinsèques de la structure » (Bayart, 1978 : 9). De cet avis, les
rivalités politiques peuvent tout aussi bien s’exprimer à travers des conflits
inter-ethniques comme cela s’est donné à voir dans le Sud-Cameroun par
exemple entre Bulu et Bamiléké ou encore entre Sawa et Bamiléké à Douala.
Dans ces cas de figue, les entrepreneurs identitaires, qui étaient aussi et
simultanément des entrepreneurs politiques, se sont servis « des populations en
dressant les ethnies les unes contre les autres » pour « satisfaire leurs propres
ambitions (accéder au pouvoir pour certains, s’y maintenir pour d’autres, briser
les monopoles que construisent les populations originaires de certaines localités
sur des pans entiers de l’économie nationale afin d’y réorienter les siens, etc.) »
(Zambo, 2002 : 197).

Par ailleurs, la conscience d’appartenance à une même communauté primaire


n’exclut pas une divergence d’intérêts entre ses membres. Bien que divergents,
pour les défendre, ils peuvent procéder de la même manière, notamment par la
mobilisation des origines. Dans ce sens, le recours aux origines « remplit deux
fonctions : modalité de production d’une identité collective et modalité de
légitimation de certaines exigences [revendications] politiques » (Mihailescu,
1991 : 4). Les querelles entre élites anglophones au sujet du problème
anglophone au Cameroun en sont une illustration parfaite. Bien que la cause
anglophone soit le mobile de chacun des groupes d’entrepreneurs identitaires qui
parlent au nom de cette communauté linguistique, l’on ne doit pas perdre de vue
qu’il ne s’agit pas d’un monolithe faisant bloc en toute cohésion et symbiose pour
déclamer la même symphonie (Nkoum-Me-Tseny, 1999 : 180-187). Deux types
de clivages existent en effet à l’intérieur du mouvement revendication

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Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie

anglophone : celui entre les régions administratives du Nord-Ouest et du Sud-


Ouest et celui à l’intérieur de chaque camp ainsi constitué (Nkoum-Me-Ntseny,
1999 : 180-187). Les acteurs appartenant à la région du Sud-Ouest dénoncent
leur domination par les anglophones du Nord-Ouest qui ont toujours été au
pouvoir qui auraient été coupables de nombre d’injustices à leur encontre par le
passé (Nkoum-Me-Ntseny, 1999 : 181). De même, dans chaque camp, les
souverainistes se distinguent de ceux qui ne se réclament pas de cette solution
radicale et préfèrent plus d’autonomie au sein de la République du Cameroun. Et
parmi les autonomistes, si l’on peut ainsi désigner les partisans de ce dernier
choix, il y a encore une division : certains veulent se débarrasser de ceux qu’ils
estiment avoir déjà suffisamment profité du régime.

Au regard de ce qui précède, l’on peut constater qu’il y a au moins trois niveaux
de clivages dans la grande composante constituée des défenseurs de la cause
anglophone. La deuxième observation, c’est que la cause anglophone constitue
tout simplement un prétexte, véritable capital social que les entrepreneurs
identitaires mobilisent pour s’affirmer dans le champ politique : « les « intérêts
individuels » des « représentants » anglophones sont défendus et présentés au
nom des « intérêts collectifs » » (Nkoum-Me-Tseny, 1999 : 187).

Le recours au repli identitaire apparaît dès lors moins comme une remise en
question de l’appartenance à la communauté nationale que comme une
dynamique d’articulation d’un espace de médiation des compétitions sociales, de
négociation entre acteurs en compétition pour jouir des biens appartenant à la
nation. Ces logiques d’affirmation identitaires sont donc à la fois des logiques de
différentiation au sein de la communauté primaire et des stratégies de
positionnement au niveau national à partir de cet appui pris sur la défense des
intérêts de l’en-groupe. De cette façon, lesdits replis identitaires s’actualisent
comme des manières de délimiter des territoires du lien social. Dans ce collectif
qui est magnifié, l’individu trouve des possibilités de s’inventer à travers la
construction des marges de liberté -sortes de zones d’incertitudes où le
particulier change de statut pour devenir universel- qui débouchent sur
l’individuation des acteurs à l’œuvre. Crozier et Friedberg ont apporté la preuve
que les individus peuvent s’emparer des revendications de l’ensemble pour s’en
servir à d’autres fins (1977). On est ici en face de la préséance du désir privé sur
les attentes du groupe primaire au nom duquel l’on dit parler. Le groupe
primaire laisse échapper une part de son emprise sur l’individu qui s’invente
ainsi une autre sphère d’attachement plus importante sur le plan de sa

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Claude Abé

dimension. Cet individu qui s’invente utilise la même stratégie que les
travailleurs se créent des zones de libertés en sortant de l’emprise de des
règlements et de la communauté (Flamant et Jeudy-Ballini, 2002). Le passage
du particulier à l’universel, c’est-à-dire, au politique s’effectue au moyen de la
résistance aux contraintes de l’appartenance à une communauté primaire.

Cet art de faire à l’intersection du culturel et du politique ne traduit pas une


rupture avec le projet de construction nationale amorcée dès les premières
années d’indépendance. C’est une figure de la continuité de la forme de vivre
ensemble imaginé par les premiers dirigeants. C’est aussi l’une des figures
contemporaines de l’attachement affectif à la nation. Une négociation similaire
se joue avec l’attrait de l’ailleurs.

2. Figures de la localisation du dehors

La construction de soi peut parfois prendre le détour de l’autre. Le lien social


naît alors ici du rapport imaginé ou réel à l’autre. Cet autre peut être un espace
géographique ou une catégorie sociale étrangère. Cette subdivision montre
justement que le dehors peut aussi être utilisé comme ressource structurelle de
construction d’un sentiment national. Deux exemples ont été retenus pour
illustrer cette thèse : les rapports avec un pays limitrophe et le sens du voyage
pour les jeunes camerounais.

Parmi les voisins du Cameroun se trouve le Nigéria. Les rapports avec ce grand
voisin, grand du fait de sa superficie, ont toujours été emprunts d’une
conflictualité larvée depuis le ralliement du Cameroun anglophone au Cameroun
en 1961 à la faveur de la réunification. La raison de cette situation de mauvaise
humeur, c’est que le Nigéria a toujours revendiqué des pans entiers du territoire
camerounais. Mais, en 1993, de larvée, la situation s’est davantage dégradée
avec l’ouverture d’un front armé par le Nigéria dans la péninsule de Bakassi. Les
deux pays auraient pu en venir aux armes si le Cameroun n’avait choisi la voie
d’un règlement pacifique du conflit en recourant à la Cour Internationale de
Justice de La Haye qui lui a donné raison en exigeant du Nigéria la rétrocession
de la partie du territoire occupée.

Malgré la nature conflictuelle des rapports entre le Cameroun et le Nigéria, il


existe une très longue tradition de migrations des ressortissants de ce dernier
pays dans le pays. Des secteurs entiers de l’économie camerounaise sont entre

164 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie

les mains des Nigérians. Par exemple, dans la vente des pièces de rechange pour
automobile, ils n’ont presque pas de concurrent à Douala et Yaoundé, bref dans
tout le pays. Ce sont ces migrants qui subissent les réponses de la société
camerounaise à l’attitude belliqueuse de leurs dirigeants. Ainsi, depuis les
années 1960, une rumeur accablant les Nigérians vivant au Cameroun circule de
manière récurrente, traversant décennies et changements politiques. C’est la
rumeur du vol des sexes. Cette rumeur au sujet de la disparition des sexes a
circulé dans les grandes métropoles urbaines camerounaises, notamment à
Douala et à Yaoundé, en 1975 (Cameroon Tribune, 2 janvier 1975 : 1-3) puis en
1976 (Cameroon Tribune, 3 décembre 1976 : 2) et même en 1983. En 1996, au
plus fort de la crise frontalière de Bakassi entre le Nigéria et le Cameroun, la
même rumeur est revenue au devant de la scène. La situation est telle que l’on
peut faire l’hypothèse d’un recours à l’imaginaire pour tirer profit de la présence
de l’étranger sur son territoire pour articuler le sentiment national grâce à l’effet
produit par sa diabolisation. C’est la technique du bouc-émissaire qui est alors
expérimentée.

Selon le bruit en question, des Nigérians parcourent les rues les plus fréquentées
de ces villes pour faire disparaître les organes génitaux des individus. Le procédé
est le suivant : un individu, généralement un inconnu, vous aborde gentiment
sur la voie publique pour s’enquérir de l’heure qu’il est. Puis, quelques temps
après, vous constatez, comme par enchantement, que votre sexe a disparu. Dans
une autre version, c’est la poignée de mains en guise de salutation qui provoque
l’émasculation. Toujours d’après le bruit, les auteurs de cette pratique
détiennent le pouvoir de vous rendre votre sexe.

On remarquera que, excepté en 1983, la circulation de cette rumeur correspond à


chaque fois avec l’escalade des tensions entre le Nigéria et le Cameroun au sujet
de la frontière qu’ils ont en partage. A l’analyse, il est facile de constater que
cette rumeur remplit une fonction sociale de labellisation. Elle agit comme
instrument de marquage identitaire. Emerge alors un Eux et un Nous, c’est-à-
dire, deux groupes bien distincts et opposés l’un à l’autre. Cette symbolisation
imaginaire de la tension camerouno-nigériane attribue alors à la rumeur du vol
des sexes une fonction d’agrégation des individus. C’est dans ce sens qu’elle
apparaît comme une dynamique de renforcement du lien social ou, pour être plus
précis, du sentiment national camerounais. Comme le souligne Maurice
Enguéléguélé, « le lien entre acteurs sociaux, le "nous" camerounais, se pose et se
solidifie…il est nécessaire pour ces acteurs afin de rétablir ou consolider sa

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 165


Claude Abé

consistance et sa cohérence, de déclarer "l’autre", l’étranger, le nigérian,


détenteur de violence et de l’exclure » (1998 : 370).

Ce qui précède indique que l’ailleurs, ici l’autre, a souvent servi de médiateur
pour faire émerger un sentiment d’appartenance nationale. Il est de la
construction de l’autre comme bouc-émissaire pour renforcer son attachement au
groupe comme du départ de son pays dont vivent les jeunes. Ceux d’entre-eux
qui se retournent vers l’ailleurs ne rêvent que de revenir ici. Dès lors, l’ailleurs
n’est donc aussi qu’un lieu de médiation des luttes et conflits individuels de
construction ou de projection de soi dans l’univers du bien être tel que conçu sur
le plan national. Etudiant l’art d’utiliser les règles dans une entreprise qui table
sur une disciplinarisation militaire de ses employés, Trompette démontre que
l’on peut se projeter vers l’ailleurs sans se détacher de l’ici ou en renforçant son
attachement à lui (Trompette, 2002). C’est ce que font les jeunes camerounais.
Pour les jeunes camerounais, le « départ n’est jamais conçu comme une solution
radicale » (Abé, 2005 : 67). L’idée n’est pas d’un exil définitif ; c’est simplement
un moyen comme tant d’autres de s’extirper de la misère et des difficultés
d’insertion ambiantes. De Rosny a donc raison lorsqu’il observe que « un trait
est…caractéristique à l’Afrique subsaharienne, et en tout cas au Cameroun, qui
demeure aussi bien dans l’esprit de celui qui a réussi à s’envoler que de celui qui
en rêve : c’est cette recherche d’un statut ou d’une reconnaissance sociale auprès
des siens. Peu de jeunes…partent avec l’idée de s’expatrier pour de bon » (2002 :
628). Il est donc clair que, même dans ce cas de figure, l’allégeance à l’ailleurs se
fait à regret, à son corps défendant. Le détachement du pays renforce même
davantage ceux que l’on a laissés au bercail. C’est une forme récente
d’articulation du vivre ensemble.

Les dynamiques identitaires à l’œuvre dans le champ social au Cameroun


placent l’observateur en présence de deux trajectoires contradictoires. D’un
certain point de vue, elles constituent des défis au processus de construction
nationale amorcé depuis l’accession du Cameroun à la souveraineté
internationale. Lesdites dynamiques débouchent sur l’articulation du vivre
ensemble à d’autres échelles que celle nationale, soit en-deçà de la nation, soit
au-delà de celle-ci. Mais, d’un autre point de vue, l’on s’est rendu compte que
cette façon d’appréhender les bricolages identitaires en face desquels l’on se
trouve n’épuise pas l’analyse. Elle reste partielle et partiale parce qu’elle ne
perçoit la mobilisation des identités primaires que sous l’angle du repli ou du
primordialisme. Or, comme on a pu le constater, la mobilisation des identités à

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Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie

caractère ethnique, régional, linguistique ou culturel constituent aujourd’hui, en


tout cas dans le cas du Cameroun, un mode d’expression des différences
politiques et des luttes de positionnement entre élites, de même qu’elle apparaît
comme une reproduction d’un schème ou d’une stratégie de construction du vivre
ensemble adoptée dès les premières heures par les premiers gouvernants
camerounais. Ce qui indique que le particulier peut être utilisé comme une
ressource, un capital social pour articuler l’universel de même que l’ailleurs peut
servir d’espace de médiation pour marquer son attachement à la nation.

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Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au
Cameroun :
Dynamiques et réalités dans l’exploitation du coton

par
Alawadi Zelao
Université de Dschang

Introduction

L’incursion des puissances européennes dans les territoires africains jadis


colonisés s’est accompagnée de l’introduction des cultures de rente et de traite
(Elikia M’Bokolo, 1985). Les régions ayant servi de colonies allaient désormais
être érigées en territoires économiquement viables davantage pour répondre aux
besoins socioéconomiques des puissances tutélaires (Levrat, 2008). La
colonisation a aussi fonctionné comme une opération de la mise en valeur des
colonies même si celles-ci n’avaient pas toujours des potentialités économiques
avérées dans leur ensemble. C’est ce qui va désormais amener les puissances
coloniales à élaborer des politiques agricoles plus ou moins différentielles selon
les régions, les territoires voire les pratiques socioéconomiques des sociétés
locales. L’entrée du coton en terre camerounaise a obéi à cette logique. Une étude
de faisabilité a d’abord précédé la mise en œuvre effective de cette culture1. Cette
étude a finalement conclu aux diverses opportunités qu’offrait la partie
septentrionale du Cameroun. C’est en effet, l’administration coloniale française
qui va préparer l’introduction et l’implantation de la culture cotonnière au Nord-
Cameroun dès la fin des années 1940 (Roupsard, 1970 ; Boutrais, 1973).

Au lendemain de l’indépendance, c’est l’Etat du Cameroun qui va désormais


s’occuper de cette culture agro-industrielle sans avoir rompu les liens
d’interrelation avec l’ancienne métropole que fut la France. La culture cotonnière
va ainsi assurer le lien de dépendance et d’extraversion de la politique agricole
du Cameroun (Ela, 1982, 1990). Cependant, l’agro-industrie cotonnière va jouer
un rôle stratégique dans l’aménagement du territoire à l’échelle nationale
(Boutinot, 1999). A l’échelle locale et villageoise, les sociétés agro-industrielles
sont des acteurs essentiels d’innovation et de développement des zones rurales

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(Courade, 1984 ; Konings, 1986). Elles véhiculent la vision étatique des
politiques agricoles essentiellement tournées vers la promotion des cultures de
rente. Cette réflexion qui se propose de scruter les usages sociopolitiques de
l’agro-industrie en territoire postcolonial ne vise pas, loin s’en faut, à
refaire l’histoire de la culture cotonnière au Cameroun. Inscrite dans un cadre
global, la réflexion tente de comprendre les enjeux sociopolitiques qui structurent
la régulation de la culture agro-industrielle dans l’espace public camerounais.
Dit autrement, il s’agit d’examiner, à partir des comportements des « acteurs »2,
les logiques qui se greffent autour de la culture cotonnière depuis son avènement
dans le paysage de l’agro-industrie au Cameroun.

L’étude a l’ambition de situer la portée sociopolitique et politico-idéologique de


l’agro-industrie dans un contexte institutionnel où il est difficile de dissocier
l’espace économique de l’espace politique, notamment dans des situations
d’enchevêtrement et d’interaction élective (Fauré et Contamin, 1990 ; Fauré et
Médard, 1995 : 289-309). En effet, afin de construire une argumentation en
congruence avec la problématique de l’étude, il importe d’aller au-delà de la
dimension institutionnelle pour s’intéresser aux conduites stratégiques des
acteurs qui, en territoire postcolonial, modulent des pratiques plutôt complexes
dans leur rapport aux appareils de pouvoir et aux sociétés d’Etat. Bien plus, le
rapport à l’Etat repose, de façon générale, sur la recherche des utilités diverses.
L’agro-industrie cotonnière sert ici de cadre d’illustration.

I- Le contexte historique d’introduction du coton au Cameroun

Aborder le contexte historique d’introduction du coton au Cameroun revient à


rendre compte du moment colonial comme conjoncture d’introduction de la
culture cotonnière au Cameroun et du moment postcolonial comme participant
d’une dynamique d’encadrement des forces paysannes.

1- Le contexte colonial

C’est en effet dans la mouvance coloniale des sociétés impériales que le coton a
été introduit au Cameroun. Après de vaines tentatives des Allemands (Bauer,
2002 : 119-131), c’est l’administration coloniale française qui va se donner les
moyens et la volonté d’installer définitivement la culture cotonnière en territoire
camerounais. C’est dans la partie septentrionale que la culture cotonnière sera
expérimentée en raison de la géographie et de la pédologie de cette région. La

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Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun

politique agricole du colon va s’inscrire en droite ligne de la mise en valeur des


territoires placés désormais sous son giron. L’administration procède ainsi par
une saisie empirique des potentialités agricoles dont disposait chaque territoire.
Pour le cas camerounais, pendant que la partie septentrionale accueille le coton,
le blé et le riz ; dans la partie méridionale sont installées les cultures comme le
cacao, le café, le caoutchouc, la banane, etc. Le colonisateur va ainsi dresser une
sorte de typologie de grandes zones agro-écologiques. Ce sont les autorités
coloniales qui vont même veiller à la mise en œuvre de ces produits dans les
différentes régions du pays.

Les populations rurales vont subir des campagnes de sensibilisation qui


permettent l’intégration de ces nouvelles cultures de rente dans leurs habitus.
C’est donc sous l’impulsion des autorités coloniales que la culture cotonnière va
connaître une nette évolution dans la partie septentrionale. Un des Hauts
commissaires de l’administration coloniale française disait alors : « Pour qu’elle
se développe avec le maximum de chances de succès (…) il faudra donc que cette
culture présente un certain attrait ; toutefois pendant la période de démarrage,
nous aurons à faire appel à toute l’autorité morale des Chefs de Région et de
Subdivision intéressés, eux-mêmes devront s’assurer l’appui des Chefs de la
Région qui jouissent encore dans le Nord, d’une très grande autorité sur leurs
ressortissants. Il faudra surtout que les expériences qui vont être tentées se fassent
dans les conditions optima à tous points de vue » (cité par Levrat, 2010 : 65). Une
telle méthode vise à faire du coton l’instrument stratégique de la politique
agricole telle que l’autorité envisageait l’inscrire dans les pratiques des paysans
au Nord-Cameroun. C’est pendant cette période qu’il a été ébauché la mise en
œuvre des « casiers de colonisation agricole » qui portaient sur l’identification des
zones devant servir à la production cotonnière parce que ces régions revêtaient
des atouts de fertilité avérés (Boutrais, 1973). Les principaux « casiers de
colonisation » ont été installés dans certaines localités de l’Extrême-Nord et du
Nord.

De toute évidence, la culture cotonnière va introduire de nouvelles pratiques


dans les comportements des paysans qui furent jadis ajustés à la production des
cultures vivrières. De même, le coton manifeste la présence du colonisateur dans
ce qui faisait figure de ses possessions en territoire extra-métropolitain. L’action
des autorités coloniales répondait à la vision colonialiste à ériger les colonies en
terre d’expérimentation des cultures de rente. C’est ce qui va justifier l’étude de
faisabilité qui accompagne la mise en œuvre effective de ces produits comme ce

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 173


fut le cas au Nord-Cameroun avec la mission de l’agronome René Dumont
survenue en 1949.

Les cultures de rente donnaient plus de vigueur à la volonté des puissances


coloniales à garder une mainmise sur les agro-industries nouvellement installées
dans les colonies. Ainsi, c’est sous la férule de la Compagnie Française pour le
Développement des Fibres Textiles (CFDT) que la France métropolitaine dut
assurer l’implémentation de la culture cotonnière au Cameroun. A l’évidence, les
Etats indépendants d’influence francophone au début des années 1960 vont en
hériter la configuration et l’orientation idéologiques (Levrat, 2008). De fait, en ce
qui concerne la culture cotonnière, il y aura comme une reproduction de la
politique coloniale en la matière. L’Etat postcolonial agit désormais à la suite de
l’Etat colonial comme un acteur central de l’aménagement du territoire dans la
perspective de sa mise en valeur pour l’accomplissement de développement
national.

2- Le contexte postcolonial et la dynamique d’encadrement des


forces paysannes

Dans les Etats nouvellement indépendants, les agro-industries constituent des


marques de souveraineté nationale. Advenues au lendemain des mouvements de
décolonisation, elles codifient ainsi la sortie des pays africains de la « nuit
coloniale » (Mbembe, 2010). Les pouvoirs postcoloniaux vont s’atteler à la mise
en place des sociétés agro-industrielles, piliers stratégiques du développement
socio-économique. Au Cameroun, c’est au milieu des années 1970 que la plupart
des sociétés agro-industrielles ont été créées (Courade, 1984). Ces agro-
industries étaient territorialement disséminées en fonction notamment des
potentialités économiques de chaque zone agro-écologique.

La stratégie de l’Etat postcolonial va donc consister à inscrire cette culture de


rente dans les pratiques agricoles des paysans qui, par le passé, s’adonnaient
pour l’essentiel aux cultures vivrières destinées à la consommation domestique.
Désormais, le coton occupe l’ensemble de l’espace territorial jugé fertile et utile à
sa production. Les zones identifiées en contexte postcolonial vont connaître une
codification systématique à travers des zones de « colonisation agricole », des
territoires réservés à cette culture et la mobilisation des forces paysannes. La
dynamique de migration va connaître une vitesse de croisière, qui prend des
formes autoritaires notamment dans des zones où les rapports sociaux restent

174 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun

encore clivés par des conflits socio-historiques (Motaze Akam, 1990). L’Etat
élabore toute une batterie de stratégies qui participent de la modernisation de
l’activité agricole au Cameroun (Courade, 1984 : 75-91). La mise en œuvre
effective des projets de développement rural tels que le Nord Est Bénoué (NEB),
Sud Est Bénoué (SEB), la Mission d’Etudes pour l’Aménagement et le
Développement de la Province Nord (MEADEN), la Mission d’Etudes pour
l’Aménagement de la Vallée Supérieure de la Bénoué (MEAVSB), le Secteur de
Modernisation Rurale du Nord (SEMNORD) a permis à l’Etat de mieux assurer
l’encadrement des paysans tout en innovant leurs habitudes et leurs pratiques
agricoles3.

Toute la dynamique de la modernisation agricole va consister à donner une


orientation plutôt productiviste essentiellement adossée à la logique de
rentabilité à haute échelle. Notamment, dans le contexte politique du parti
unique, c’est à un véritable conditionnement que les paysans sont désormais
soumis. Conditionnement qui vise à les sortir de leur cadre de production
agricole primaire voire primitive destinée à la consommation familiale. La
symbolique étatique en matière de politique agricole repose en effet sur une
logique de transgression et de transmutation. Transgression du système agricole
traditionnel et de la vision qu’avaient les paysans de leurs pratiques culturales
et de leur rapport à l’espace, au foncier. Transmutation dans la temporalité de
l’activité agricole qui reste désormais ajustée à la dynamique des cultures de
rente. Particulièrement à ses débuts, la pénétration de cette culture s’opère de la
même façon que l’Etat dût procéder pour s’incruster dans les régions reculées et
dans la conscience des populations rurales. Elle fut adossée à la logique
autoritaire caractéristique des régimes monopolistiques d’alors. Le coton était un
élément de définition et d’expression de l’appartenance à la communauté
nationale. La pénétration de l’Etat en brousse (Ela, 1990) relève désormais de sa
volonté à maintenir une tutelle sur l’ensemble des activités agricoles, et surtout
sur des pans essentiels des cultures de rente. Dans ce sens, singulièrement dans
la partie septentrionale du pays, l’Etat a élaboré la politique de migration qui a
porté sur la décongestion des régions surpeuplées de l’Extrême-Nord afin de
déplacer et d’installer les paysans sur des espaces fonciers destinés à la
production de la culture cotonnière.

La dynamique de capture des forces paysannes dans les sociétés postcoloniales


d’Afrique noire souligne en effet leur inscription plus ou moins dialectique dans
la vision modernisatrice des pratiques agricoles (Geschiere, 1984 ; Hyden, 1985).

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 175


Certes, il n’y a pas, dans les pratiques agricoles des paysans africains, une table
rase du passé ; il est toutefois manifeste de constater que l’entrée dans la
modernité agricole s’est opérée sous le mode de l’extraversion et de
l’acculturation. Les paysans articulent des pratiques agricoles plutôt complexes
qui réactualisent à la fois les méthodes du passé et réintègrent les techniques
innovantes actuelles (Alawadi Zelao, 2009). L’Etat postcolonial constitue
cependant le principal acteur des mutations qui travaillent les milieux ruraux
africains aujourd’hui. Quant aux paysans, ils essaient toujours de manifester des
conduites ambigües, ambivalentes et sans cesse innovantes (Desjeux, 1994 ;
Babakar Sall, 1993).

II- La Sodecoton4, la production d’une bourgeoisie locale et


l’émergence d’une classe sociale agricole

La mise en place d’une agro-industrie cotonnière, la Sodecoton, travaille à la


production d’une bourgeoisie locale et l’émergence d’une classe sociale agricole.

1- La Sodecoton et la bourgeoisie locale

La Sodecoton va désormais régir et réguler la politique agricole de l’Etat


postcolonial dans la partie septentrionale du pays. Bras séculier du ministère en
charge de l’Agriculture5, la Sodecoton va se structurer sur la base d’une
administration et d’une bureaucratie. Elle a ses démembrements dans les
différentes régions et localités où se mène la production cotonnière. Elle travaille
en étroite collaboration avec les représentants locaux du ministère en charge de
secteur agricole. Ainsi, les agents de la coton-culture sillonnent les confins des
villages pour sensibiliser les populations à la pratique de cette nouvelle culture.
Dans ce travail de sensibilisation, les agents de la Sodecoton s’appuient aussi sur
les pouvoirs traditionnels locaux constitués ici de grands chefs des villages et des
cantons (lamido). Progressivement, au regard des rentes et des privilèges que
génère le coton, une classe sociale va prendre corps dans ce contexte où la
nouvelle culture constitue un facteur de génération des devises et de
cristallisation d’intérêts divers. L’organisation et le fonctionnement de la
Sodecoton reposent essentiellement sur une bureaucratie dont le travail se
ramène à véhiculer le message officiel de la pratique de la culture cotonnière
chez l’ensemble des paysans du Nord-Cameroun. C’est cette bureaucratie qui
procède à la ventilation et à la dissémination des intrants agricoles, des
matériels d’attelage, des cordes, des graines, etc. Quant au paysan, il reste

176 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun

désormais prisonnier d’un contexte agricole qui échappe complètement à son


entendement et sur lequel il n’a plus prise. La Sodecoton s’incruste au Nord-
Cameroun sous sa forme quasi-monopolistique. Selon Eboussi Boulaga :
« (…) c’est la façon dont le modèle Sodecoton s’est constitué : par la contrainte, par
le renforcement et l’utilisation d’appuis autoritaires tels les goumiers, les chefs de
villages, les lamidos, par une sorte de servage. Toute une classe politique a trouvé
par là sa base et son assise, aussi bien sur le plan régional que dans la
représentation nationale (…) On dit que la Sodecoton a été un Etat dans l’Etat »
(Eboussi Boulaga, 1999 :153). Depuis lors, l’espace agricole reste largement
codifié par la culture cotonnière qui s’empare des terres arables et fertiles, codifie
un régime de pratique agricole essentiellement productiviste, tout en érigeant
désormais une classe sociale laborieuse travaillant et maniant la terre pour des
intérêts se situant au-delà de ses besoins économiques et domestiques.

La vision bureaucratique de la Sodecoton a fini par sécréter une élite locale qui
vit et survit grâce à la culture cotonnière6. Cette élite n’a pas intérêt à ce que la
Sodecoton subisse une quelconque récession malgré des périodes de crise que
traverse cette société. De toute évidence, il est loisible de parler d’une bourgeoisie
dont la Sodecoton a permis la sécrétion. Cette bourgeoisie est un véritable
complexe composé des catégories sociales plurielles. Il serait de toute façon
réducteur de n’y voir que la figure de la bureaucratie qui assume la direction de
cette entreprise et gère au quotidien l’administration de cette agro-industrie. La
bourgeoisie cotonnière est composée à la fois des bureaucrates, des moniteurs
agricoles, des pouvoirs traditionnels locaux, de l’élite qui détient un capital
foncier et des partenaires financiers extérieurs7. Elle constitue en effet un
véritable conglomérat d’acteurs qui modulent à quelque niveau que ce soit
l’activité de la production cotonnière au Nord-Cameroun. Cette bourgeoisie reste
fortement traversée par des logiques de capitalisation et d’accumulation des
rentes à partir de la culture cotonnière. Elle n’a pas toujours le souci de
l’efficacité et de la compétitivité de l’entreprise (Dévèze, 2006).

A travers la pratique de la dîme agricole (zakkât), le lamido sera désormais un


grand bénéficiaire de l’avènement de la culture de rente dans la partie
septentrionale. A propos, Boutinot écrit : « Au Nord Cameroun, certaines
réticences des chefferies traditionnelles à l’introduction de la culture cotonnière et
la nécessité d’utiliser ces dernières dans la transmission des directives et la
surveillance des cultures, amena l’entreprise à intéresser les lamibé aux bénéfices.
Ces derniers recevaient, jusqu’en 1991, une ristourne sur le tonnage de coton

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 177


produit sur leurs terres. La Sodecoton a ainsi su s’allier les chefs traditionnels »
(Boutinot, 1999 : 118). L’administration de la filière coton doit composer avec le
chef local pour une meilleure collaboration dans la transformation des habitudes
des paysans en matière agricole et particulièrement l’arrimage à la culture
cotonnière. Acteur central du développement rural au Nord-Cameroun, le
lamido médiatise aussi sa position comme un « courtier » (Motaze, 1999) qui
attend des retombées en termes de rentes, de prébendes et de gratifications
diverses.

2- La Sodecoton et les forces paysannes

Les forces paysannes sont l’épine dorsale de l’action de la Sodecoton. Sur elles,
repose toute la dynamique d’ancrage de cette culture agro-industrielle au Nord-
Cameroun. Ce qu’il convient de souligner c’est que, la politique de migration des
catégories paysannes fut en grande partie organisée en raison justement de la
production cotonnière. Les plaines et les régions identifiées devant servir à la
pratique de cette partie furent généralement éloignées des groupes sociaux qui
disposaient des traditions agricoles de longue date. Il s’agit notamment des Mafa
et de l’ensemble des peuples des montagnes. Vivant dans des régions connues
pour un dynamisme démographique, ces peuples seront soumis à la politique de
décongestion qui va se traduire par des départs massifs sous les injonctions des
pouvoirs publics appuyés par les autorités traditionnelles. La stratégie de la
Sodecoton visant à faire venir les paysans montagnards en plaine s’inscrit dans
un double objectif : d’abord amener les paysans à faire désormais corps avec la
production cotonnière, et ensuite avoir un contrôle plus strict sur des catégories
sociologiques qui ont toujours une attitude de défiance vis-à-vis de l’autorité
publique.

La Sodecoton procède au traçage des voies routières qui sont utilisées pendant la
période de récolte. Les premiers contingents des paysans migrants ont été
confrontés à de difficultés d’adaptation aussi bien au plan écologique qu’au plan
sociologique. Car pour le paysan montagnard, la plaine est un espace qui lui
rappelle l’époque des conquêtes esclavagistes conduites par les empires
musulmans. Au plan écologique, les paysans sont soumis à de nouvelles
pratiques qui restent fortement contraires à celles en vigueur dans les
montagnes. Ainsi sont-ils désormais assujettis à la législation musulmane à
travers le versement de la dîme agricole (zakkât) et de la spéculation foncière
dans un contexte économique fortement marqué par l’entrée en scène de la

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Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun

culture de rente qu’est le coton. La plaine apparaît à maints égards comme le


lieu de la « capture » (Geschiere, 1986) des paysans montagnards.

En effet, depuis la fin des années 1990 et au début des années 2000, marquées
par la démocratisation de la vie publique et la libéralisation de l’économie
nationale, les paysans ont adopté de nouvelles cultures telles que le maïs, les
arachides au détriment du coton. Aujourd’hui, dans les régions de Ngong, de
Touboro, de Bibémi, de Lagdo, les paysans qui ont émigré sous la tutelle de la
Sodecoton ont tourné le dos à cette culture pour expérimenter d’autres variétés.
Pour comprendre ce revirement dans le comportement du paysan, il faut prendre
au sérieux le contexte historique et sociologique qui avait présidé à l’avènement
de la culture cotonnière au Nord-Cameroun. En effet, c’est sous la pression que le
coton a fait son entrée dans les habitudes des paysans. Il revient dès lors à la
Sodecoton de procéder à des réajustements structurels, notamment dans le
rapport qu’elle doit désormais avoir avec le principal acteur de la filière que
représente le paysan au moment où ce dernier découvre de multiples
opportunités qui lui offrent une certaine marge d’autonomie qui lui manquait il y
a par le passé. A l’égard du coton, le paysan passe ainsi de la dépendance passive
à une dépendance active. Le rapport entre la Sodecoton et le paysan s’étant
largement distendu avec le temps.

III- La Sodecoton au cœur des batailles ethno-politiques


régionales

1- La Sodecoton et l’élite politique régionale

Au milieu des années 1990, la Sodecoton, comme d’ailleurs beaucoup de


structures publiques et parapubliques au Cameroun est confrontée aux
difficultés de rentabilité et d’efficience dans la productivité et la compétitivité. La
crise économique qui frappe le pays au milieu des années 1990 constitue une
véritable cure d’amaigrissement pour beaucoup des sociétés agro-industrielles.
C’est alors que l’Etat décide de placer la Sodecoton dans le registre des sociétés à
privatiser. La Société nationale d’investissement (SNI) est chargée de lancer
l’opération. C’est ainsi qu’une bonne fourchette des acquéreurs de la Sodecoton
est composée en majorité de l’élite politique du Nord-Cameroun8. Seulement, les
conditions dans lesquelles s’opère la privatisation de la Sodecoton échappent
largement à toute procédure managériale visant à redonner plus de vitalité à
cette structure (Kamto, 2003 : 303-311). Ce qui va amener l’Etat à supprimer

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l’opération de privatisation et replacer la Sodecoton sous sa tutelle comme par le
passé. En effet, pour comprendre cet échec dans la privatisation de la Sodecoton,
il faut minutieusement observer le rapport que l’élite politique du Nord a
toujours avec cette structure agro-industrielle.

Le contexte de privatisation de la Sodecoton qui advient dans un contexte


d’ouverture politique va également mettre en compétition les différents groupes
qui se disputent la scène politique à l’échelle régionale. Lorsqu’on regarde de
près le membership des acquéreurs de la Sodecoton, l’on se rend tout de suite à
l’évidence de leur connivence avec le Rassemblement démocratique du peuple
Camerounais (RDPC), s’ils n’en sont pas tout simplement les piliers essentiels.
C’est en effet du côté de l’opposition politique régionale que viendront les
critiques acerbes à l’encontre d’une opération de privatisation qui selon, le leader
du Mouvement pour la défense de la République (MDR), Dakolé Daissala,
s’apparente à une « véritable mafia régionale »9. La privatisation de la Sodecoton
va désormais réalimenter les luttes entre les grands acteurs de la scène politique
au Nord-Cameroun. Lesquelles luttes vont donner à voir le rejaillissement de
contentieux historique dans l’arène politique locale. L’enjeu politique de la
privatisation de la Sodecoton est nettement situé par Kamto lorsqu’il écrit
justement que : « (…) la Sodecoton est, de par son implantation économique et
son implication sociale, une entreprise éminemment stratégique dans la partie
septentrionale du pays, le principal instrument de développement de la région
réputée être la plus peuplée du pays. Dès lors, contrôler la Sodecoton, c’est tenir le
Grand Nord et, par suite, s’aliéner une base électorale déterminante comme l’ont
du reste montré diverses consultations électorales au Cameroun depuis le retour
du multipartisme » (Kamto, 2003 : 308). Comme l’ont montré Fauré et Contamin
(1990), s’agissant notamment de la Côte d’Ivoire, les entreprises publiques et
parapubliques ont rarement échappé à l’emprise des groupes qui contrôlent les
positions de pouvoir dans le dispositif étatique. Les relations entre pouvoir
politique et les structures agro-industrielles ont toujours reposé sur l’inféodation
de l’un à l’autre, en raison justement de la place hautement stratégique de l’agro-
industrie dans l’économie des pays africains. De ce fait, il serait réducteur de
dissocier l’enjeu politique de l’enjeu économique, étant désormais entendu que la
Sodecoton constitue un levier important dans la régulation de l’économie à
l’échelle locale et nationale. La privatisation des sociétés d’Etat s’effectue sous le
mode de la patrimonialisation des espaces de production qui n’a pas toujours à
voir avec la quête de la rationalité économique.

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Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun

2- La Sodecoton : marqueur de l’hégémonie d’un bloc historique

L’histoire de l’implantation de la Sodecoton au Nord-Cameroun peut renseigner


sur la dynamique d’appropriation qu’en ont opérée les groupes sociaux qui
dominaient la scène sociopolitique à l’échelle régionale. La stratégie va consister
à monopoliser les leviers de fonctionnement et d’administration de l’agro-
industrie cotonnière. Le contexte historique souligne en effet la domination des
communautés musulmanes dans la vie politique et sociale (Burnham, 1991).
L’élite musulmane hérite du pouvoir colonial. A l’indépendance, l’élite politique
dans son versant régional est en majorité composée des musulmans. Elle utilise
les positions de pouvoir comme d’un couloir d’accumulation prédatrice et
rentière. Par la suite, l’espace économique sera progressivement dominé par les
détenteurs de pouvoir politique. La stratégie de l’élite musulmane à garder la
Sodecoton sous son giron, va se traduire par la délocalisation de la structure en
1979 dans la ville de Garoua, ancienne capitale du Grand Nord. Jadis, localisée
dans la ville de Kaélé, en raison de fortes potentialités agricoles que cette région
recelait, la Sodecoton sera délocalisée pour être réinstallée à Garoua, la ville
natale du président Ahmadou Ahidjo, premier président camerounais. Une telle
délocalisation ne pouvait être justifiée pour des raisons autres que politiques et
stratégiques.

Le contingent des paysans migrants réinstallés dans les environs de Garoua


proviennent essentiellement des confins de l’Extrême-Nord. C’est dire que la
Sodecoton nourrissait les ambitions de la domination de l’élite musulmane qui
agissait en véritable « maître des lieux » sur l’ensemble du Nord Cameroun.
Peut-être qu’une lecture anthropologique peut aider à mieux comprendre le
comportement de l’élite musulmane vis-à-vis de la culture cotonnière. Les
communautés musulmanes, à l’opposé des populations kirdi, connues pour être
de grands éleveurs, n’ont commencé à intégrer l’agriculture qu’à l’issue d’une
sédentarisation progressive survenue au lendemain de la fin du jihad dans le
contexte de la formation de grands foyers islamo-peuhls. L’enjeu est d’extorquer
le surplus de la production agricole aux paysans. C’est là la base de la sécrétion
d’une classe laborieuse qui travaille pour le compte de la bourgeoisie constituée,
comme nous l’avons dit dans des lignes précédentes, d’un bloc d’acteurs
hétérogènes (autorités traditionnelles, de l’élite bureaucratique greffée autour de
la Sodecoton, des moniteurs agricoles…). Dans l’imaginaire du bloc islamo-peuhl,
le kirdi est celui qui travaille pour le musulman. Le kirdi est un serf agricole.
C’est une variable lourde qui régit le rapport du musulman au paysan dont la

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seule richesse réside dans la force physique. C’est la réactualisation d’un vieux
paradigme de la conflictualité historique entre « nomades et sédentaires » (Le
Cornec, 2002) ou encore entre « guerriers et paysans » (Duby, 1976) dont
l’historiographie s’est fait l’écho dans d’autres contextes, toujours avec des
résonnances presque congruentes (Lovejoy, 1987 ; Meillassoux, 1986).

IV- La Sodecoton entre enjeux nationaux et enjeux régionaux

1- Les conflits entre l’exécutif et le législatif

Le coton cristallise des enjeux aussi bien au niveau régional que national. Ainsi
au courant de la rentrée parlementaire de juin 2011, c’est le président de
l’Assemblée nationale Cavaye Yeguié Djibril, qui attire l’attention de la
représentation nationale sur les difficultés auxquelles est confrontée la
Sodecoton au Cameroun. Le président de l’Assemblée nationale s’en prenait
clairement aux responsables de la filière coton qui ne seraient plus au service de
l’entreprise dont ils ont la charge. Selon le président de l’Assemblée nationale,
ces responsables seraient partagés entre de « multiples passions » et ils
géreraient la société à partir des « lointaines arènes ». Plus loin, il stigmatise le
fait que le « coton connaît comme une descente aux enfers » et de demander à
l’exécutif de « sauver » la filière coton en mettant en place un « management
adapté et dévoué à la cause du coton » (Cameroon tribune, 07 juin 2011 : 2). Les
faits et les chiffres évoqués par le président de l’Assemblée nationale montrent
effectivement une nette déchéance10 de la filière coton en termes de productivité,
de rentabilité, de l’évasion et de l’abandon par des paysans qui se tournent de
plus en plus vers d’autres cultures. Il faut dire que la sortie du président de
l’Assemblée relève de l’inédit, ce d’autant que l’opinion n’est pas habituée des
critiques de ce genre entre les membres de l’establishment politique
camerounais. Alors que les députés, au-delà de leurs chapelles politiques,
reconnaissent la justesse des propos tenus par le président de la Chambre des
représentants (Le jour, n°952, 2011), l’exécutif va plutôt prendre le contre-pied
de la position du législatif et s’ériger en défenseur de la gestion de la Sodecoton
et de ses dirigeants. C’est en effet, par la voix du Ministre d’Etat en charge de
l’Agriculture, Jean Nkueté, qu’est dévoilée la position de l’exécutif. C’est lors de
son passage dans la région de l’Extrême-Nord, à l’occasion de lancement de la
campagne agricole 2011, que le ministre de l’Agriculture dresse le bilan de la
Sodecoton, bilan qui reste globalement élogieux. Il déclare : « Le gouvernement et
la direction de la Sodecoton se préoccupent de trouver des solutions pour

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Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun

permettre aux contonculteurs de bénéficier de la confiance de l’entreprise, dans un


environnement particulièrement difficile… La Sodecoton mérite d’être félicitée
pour tous les efforts qu’elle déploie. Le déficit qu’elle a accumulé ces dernières
années ne dépendait pas du management puisque des agriculteurs ont pris des
avances sur la production, ont bénéficié du matériel et des techniciens de la
Sodecoton et sont quand même allés vendre leurs produits à l’étranger »
(Mutations, n° 2930, 2011 : 5). Ainsi, la position du ministre en charge du secteur
agricole est, à l’évidence, en nette rupture d’avec le bilan brossé par le président
de l’Assemblée nationale lors de la rentrée parlementaire le 06 juin 2011.

En effet, la Sodecoton a mis sur l’espace public le type de relation qui existe entre
les différents pouvoirs au Cameroun. Cette relation loin d’être cordiale, reste
sujette à des contradictions de toutes sortes. Au Cameroun, si la Constitution (loi
fondamentale) admet la séparation de trois pouvoirs que sont l’exécutif, le
législatif et le judiciaire, la pratique institutionnelle indique la suprématie et
l’hégémonie du premier sur les autres. L’exécutif agissant depuis lors en bon
donneur de leçons et d’injonctions aux autres pouvoirs. La réplique du
gouvernement à l’encontre de la position de législatif réactualise en effet une
vieille tradition qui loge au cœur de fonctionnement des institutions au
Cameroun. L’Assemblée nationale n’étant alors qu’une « caisse d’enregistrement »
(Bayart, 1985) des ordres donnés par l’exécutif. .

2- La cristallisation des conflits de leadership régional

Il faut aller au-delà d’une lecture purement institutionnelle pour mieux cerner le
sens et la praxis des luttes qui se construisent autour de la filière coton au
Cameroun. C’est à l’épreuve des logiques de rapport de force à l’échelle locale
qu’il est loisible de comprendre la bataille entre le président de l’Assemblée
nationale Cavaye Yeguié Djibril et le directeur général de la Sodecoton, Iya
Mohammed. Ce sont en effet deux figures marquant de la scène politique
régionale. Ils appartiennent au parti au pouvoir, le Rassemblement
démocratique du peuple Camerounais. Dans un contexte de conjoncture
politique (élections présidentielles à venir), la scène politique s’offre désormais
comme une véritable arène où des acteurs échangent des « coups » (Dobry, 1992)
les plus aigus. Sans doute, c’est ce qui explique la forte médiatisation du discours
tenu par le président de l’Assemblée et qui dressait un sombre bilan de la filière
coton au Cameroun. Car la réaction du Directeur général de la Sodecoton, bien
que s’inscrivant sur celle du ministre en charge de l’Agriculture va également

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évoquer la dimension plutôt politique du bilan de la Sodecoton tel que ressorti
des déclarations du Président de l’Assemblée nationale. Selon Iya Mohammed,
« les raisons de la colère du président de l’Assemblée nationale sont liées à la
décision de fermeture des unités de production cotonnière de Mora et de Koza, de
la région de l’Extrême-Nord dont est originaire le président de l’Assemblée
nationale. Une mesure décriée par les populations de cette partie du pays qui
s’étaient tournées vers leurs élites pour égrainer leurs plaintes. Menaçant de
surcroît de voter pour l’opposition si cette mesure n’était pas levée » (Dikalo, n°
1436, 2011 : 5). S’agissant de la productivité de la Sodecoton, les responsables
dressent également un bilan qui s’inscrit en porte à faux des statistiques
données par le parlement. Ainsi comme le rapporte le journal Dikalo du 17 juin
2011 « Pour le Directeur général de la Sodecoton, contrairement au cri d’alarme
de M. Cavaye Yeguié Djibril, la société qu’il dirige se porte très bien. Il brandit les
chiffres de 2010 et de 2011 pour justifier cette embellie. La production est passée
de 120 000 en 2010 pour atteindre 155 000 tonnes en 2011. Avec un bénéfice de 2,
5 milliards de Fcfa après paiement de toutes les charges ». On le voit, le coton est
désormais au centre des batailles entre les acteurs politiques originaires du Nord
Cameroun. Cette conflictualité advient dans un contexte politique fortement
influencé par les élections présidentielles à venir11. C’est vrai, la Sodecoton
éprouve depuis quelques années des problèmes d’ordre managérial, de
compétitivité et de productivité. Les paysans qui constituent les principaux
acteurs de la filière coton se retournent de plus en plus vers d’autres cultures. La
modicité des prix par lesquels la Sodecoton achète aux paysans ne les incite pas
à faire du coton leur culture de choix. Depuis quelques années, il y a une
véritable évasion du coton camerounais vers le Nigéria. L’année 2010 a été
particulièrement une période de la saignée et de la ruée du coton vers ce pays12.
C’est que, contrairement au prix de la Sodecoton qui reste modique au
Cameroun, le Nigéria offre plutôt des prix assez valorisants13. L’enjeu de la
production cotonnière au Cameroun devra, à l’avenir, se situer au niveau de la
maîtrise de la contrebande sur les frontières. Cela devrait nécessairement passer
par le réajustement des prix à la base et la révision des subventions de certains
produits (urée, engrais, herbicides, graines, matériels d’attelage…). Le défi est de
restaurer le rapport de « mutualité » entre la Sodecoton et les producteurs de la
chaîne, ce d’autant que : « les agricultures cotonnières du nord [Cameroun]
restent jusqu’à maintenant un facteur primordial de stabilité dans une région
sensible sur le plan politique » (Dévèze, 2006 : 115).

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Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun

A l’échelle locale, les luttes autour du coton indiquent clairement qu’il se profile
en filigrane une question de leadership, lorsqu’on reconsidère la dynamique de
rapport entre les acteurs et les régions (Nay, 1997). Le conflit qui oppose Cavaye
Yeguié Djibril, président de l’Assemblée nationale à Iya Mohammed, directeur
général de la Sodecoton doit être saisie au-delà de son contexte institutionnel et
restitué à l’échelle locale. A cet horizon d’analyse, la réalité veut même que c’est
d’abord la quête du « leadership » (Sawicki, 2003) qui détermine les conflits entre
les « big men » sur leur propre terrain politique. Cavaye Yeguié Djibril, président
de l’Assemblée nationale, institutionnellement troisième personnalité de la
République14, ambitionne en effet d’assumer la primauté du leadership dans la
partie septentrionale du pays. En se faisant l’écho de la situation critique de la
Sodecoton, Cavaye Yeguié Djibril endosse du coup le costume de « porte-parole
collectif » des problèmes de développement du Nord-Cameroun. Il opère de la
sorte une mission de « porte-parole collectif » qui fait corps avec un travail de
délégation des rôles dans la société (Bourdieu, 1987 : 185-202). Le coton est
utilisé ici comme un instrument de conflictualité dans un contexte où les acteurs
politiques cherchent à conférer une certaine légitimité à leurs conduites et à
leurs actes. C’est la dialectique de l’interaction symétrique entre le « local » et le
« central » sous sa forme tensionnelle et transactionnelle (Sindjoun, 2002). Dès
lors, ce qui se joue sur le front de la restructuration de la Sodecoton, c’est d’abord
la monopolisation de la gestion des problèmes de développement concernant la
partie septentrionale du pays15. Dans la mesure où la relation au pouvoir central
reste médiatisée par l’élite locale, il y a dans le jeu des acteurs politiques, une
quête permanente de leadership.

Conclusion

L’agro-industrie a partie liée avec le politique en post-colonie. Leviers de


développement socio-économique, les sociétés agro-industrielles n’en constituent
pas moins des capitaux qui cristallisent les luttes politiques entre les groupes qui
bénéficient des positions de pouvoir. Au Cameroun, depuis la fin des années
1990, la privatisation des sociétés d’Etat a révélé la dimension hautement
politique de la gestion et de la régulation des structures agro-industrielles.
Rarement, la privatisation s’est opérée sous le mode de la quête de l’efficience et
de la bonne gouvernance managériale. La Sodecoton constitue un cas type
d’école. En 1995, la tentative de liquidation de cette société a finalement buté sur
des logiques qui ont totalement échappé à la rationalité de productivité et de
rentabilité. Désormais, ce qui prévalut, à l’époque, c’est « l’instrumentalisation

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politique des privatisations » (Kamto, 2003 : 313) qui déboucha sur des scènes de
compétition et de conflictualités entre groupes sociopolitiques tiraillés par des
intérêts composites.

A l’évidence, pour comprendre cette logique, il convient de reconsidérer les


sociétés agro-industrielles comme des patrimoines qui alimentent d’abord les
intérêts des groupes installés au pouvoir, plutôt que des instruments de
régulation de l’économie nationale. Le cas de la Sodecoton montre bien qu’une
entreprise peut être fortement « patrimonialisée », « prédatée » par des logiques
d’acteurs en raison justement de leur enkystement dans le dispositif étatique
et/ou de leur place dans l’espace politique local ou national. La gestion de l’agro-
industrie reste ainsi adossée aux rationalités de captation privative des
ressources nationales. C’est ce qui attise, à coup sûr, les luttes politiques qui
structurent le contrôle de celle-ci (agro-industrie) dans la plupart des pays
africains.

Notes
1. Cette étude fut conduite par l’agronome français René Dumont.
2. L’ « acteur » renvoie ici à un ensemble de groupes de personnes et de structures qui influent,
de près ou de loin sur la production cotonnière au Cameroun. Dans l’entendement
sociologique, l’acteur agit toujours en fonction d’une rationalité ajustée à une stratégie que
déterminent les intérêts en jeu. Lire (Touraine, 1984 ; Crozier et Friedberg, 1977).
3. Il faut noter que c’est dans un cadre de coopération multilatérale que le Cameroun a élaboré et
mis en œuvre ses différents instruments et dispositifs pour innover son espace agricole à
l’échelle régionale. Voir (Hengue & al., 2005).
4. Société de développement du coton du Cameroun.
5. Il s’agit aujourd’hui du Ministère de l’Agriculture et du développement rural (MINADER).
6. Ce n’est donc pas sans pertinence (sociologique) que de poser sous la forme interrogative
l’utilité et la destination du coton camerounais dans un contexte de conjoncture socio-
économique des années 1990. Lire à ce sujet l’édifiant article de Motaze Akam (1995).
7. Il faut évoquer ici le cas de Développement des Agro-industries du Sud (DAGRIS) qui veille
scrupuleusement sur les mécanismes, procédures et logiques de production des sociétés agro-
industrielles dans les différents pays d’Afrique noire.
8. Regroupée dans la Société mobilière d’Investissement du Cameroun (SMIC), cette élite était
constituée de : Sadou Hayatou, ancien premier ministre, Cavaye Yeguié Djibril, président de
l’Assemblée nationale, Ahmadou Moustapha, ancien Vice-Premier Ministre, Tikela Kemone,
conseiller à la Présidence de la République, Sadou Daoudou, ancien ministre de la Défense, le
lamido Abdoulaye de Rey-bouba et le lamido Moustapha Moussa de Demsa.

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Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun

9. Interview sur les antennes de la Radio nationale CRTV lors de l’émission « Dimanche Midi »,
en 1996.
10. Selon le président de l’Assemblée nationale, la Sodecoton subit « …une chute drastique qui est
passée de 300 000 tonnes en 1995-1996 à 114 000 tonnes en 2008…une évasion massive du peu
qui reste vers des pays voisins, le Nigéria par exemple, où les prix pratiqués sont trois fois plus
intéressants ».
11. Voir dossier Mutations « Batailles politiques autour du coton », n° 2944, 07 juin 2011, pp. 12-
13.
12. Cf. Le Messager, n°3323, 11 avril 2011 ; Le Messager, n° 3373, 24 juin 2011.
13. Au Cameroun le prix du coton oscille entre 200 et 250 francs CFA, alors qu’au Nigéria le coton
est racheté aux cotonculteurs camerounais à 650 francs CFA le kilogramme. Voir L’Actu
Quotidien, n° 041, 10 juin 2011, pp. 4-5.
14. A l’époque deuxième personnalité, mais depuis l’avènement du Sénat en 2013, chambre haute
du parlement camerounais, le président de l’Assemblée nationale (chambre basse) occupe, du
point de vue protocolaire d’Etat, la position de 3ème personnalité. Mais au plan régional (qui
vaut pour toute la partie septentrionale du pays), Cavaye Yeguié Djibril jouit de la position de
première personnalité et sa conduite en rapport avec les affaires « régionales » montre une
recherche permanente d’un leadership en quête d’ancrage, qui conteste toute modalité
d’opposition et de contradiction à son endroit. A la suite de Bourdieu, il est loisible de parler ici
du « fétichisme de représentation ». Voir Bourdieu (1987 : 185-202).
15. Ainsi en 2008 lors de la création de l’Université de Maroua. A la publication des résultats de
concours à l’Ecole normale supérieure de cette école, l’élite politique régionale s’est mobilisée
contre la faible représentativité

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L’Union Africaine et le maintien de la paix en
Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention1

par
Delmas Tsafack2
Université de Dschang/GRAPS

Introduction

Depuis l’accession à l’indépendance, un grand nombre de pays africains a connu


des crises importantes. L’Organisation de l’unité africaine (OUA) née au
lendemain des indépendances s’est donné des objectifs et des principes mal
adaptés aux situations de crises africaines. Alors que dès les travaux
préparatoires à la création de l’organisation, il s’est dessiné l’idée suivant
laquelle la future organisation devait représenter un facteur de paix et de
stabilité pour ses États membres. Deux organes principaux avaient été ainsi
institués à savoir la Commission de médiation, de conciliation de d’arbitrage3
d’une part, la Commission de défense4 d’autre part. Même si la Charte de l’OUA
prévoyait cette commission pour le règlement des conflits, celle-ci est restée non-
opérationnelle. En juillet 1964, au Caire a été mis en place un Comité d’arbitrage
afin de répondre aux défis du continent en matière de paix et de sécurité. Ce
Comité n’a jamais fonctionné car depuis le conflit Algérie-Maroc, des comités ad
hoc de chefs d’État étaient créés pour répondre à chaque conflit et cette tradition
s’est perpétuée. La gestion des conflits était déléguée de fait aux chefs d’État
ainsi qu’aux médiations bilatérales comme le souligne Félix Nkundabagenzi
(1998). Depuis la création de l’OUA, l’on note un manque d’intervention en ce qui
concerne la gestion des crises internes sur le continent. Même si l’organisation
n’exclut pas sa responsabilité dans la gestion des conflits en Afrique, la non-
intervention se manifeste dans ses principes et ses objectifs. Elle s’est accrochée
aux principes de la souveraineté de l’État et de la non-ingérence dans les affaires
internes des États membres et de l’intégrité territoriale conçus comme
« principes nobles » au lendemain des indépendances par les jeunes États
africains5. Malheureusement, ces principes n’ont pas permis d’assurer la sécurité
globale du continent (Faria, 2004). Avec la fin de la Guerre froide, l’OUA fut
obligée de revoir sa stratégie de résolution des conflits, ce qui aboutit à la

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Delmas Tsafack

création du mécanisme du Caire qui peut être considéré comme un tournant


dans l’histoire de la résolution des crises africaines par l’OUA.

Pour surmonter les difficultés de l’OUA en matière de gestion des crises en


Afrique, un nouveau mécanisme orienté vers la prévention, la gestion et le
règlement des conflits en Afrique a été pensé en 1990. L’élan pour la recherche
d’un nouveau modèle centralisé de gestion des conflits en Afrique renaît au
XXVIe Sommet de l’OUA en 1990, lorsque les chefs d’État et de gouvernement
s’engagent à œuvrer conjointement en vue du règlement rapide de tous les
conflits du continent, en donnant à l’OUA les moyens adéquats pour réduire les
tensions et régler les conflits en Afrique. Afin de traduire dans les faits ces
engagements, les chefs d’État et de gouvernement chargèrent le Secrétaire
général d’assurer la mise en œuvre de la déclaration et de prendre toutes les
dispositions pour y parvenir. Au terme de ce travail, le Secrétaire général
présenta au 29e sommet des chefs d’État et de gouvernement, tenu au Caire en
juin-juillet 1993, un rapport assorti d’un projet de déclaration portant création
d’un mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits en
Afrique. Cette Déclaration, adoptée au Caire le 30 juin 1993 par la 29e session de
la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’OUA, va ensuite servir de
cadre pour l’action de la future politique africaine de défense et de sécurité
(Ntuda Ebode, 2011).

Le Mécanisme du Caire laisse entrevoir la manifestation d’un certain aveu de


réalisme dicté par les limites de l’organisation sur le plan conceptuel et
opérationnel. En tout état de cause, ce Mécanisme quoiqu’il traduise un progrès
dans le processus de prise en charge par les africains de leur destin en matière
de paix et de sécurité, demeure terne, la situation à ce moment était paradoxale
au regard de la multiplication des foyers de tensions sur le continent et du
désengagement progressif des grandes puissances sur le terrain du maintien de
la paix. Il était donc temps d’introduire des changements radicaux au sein de
l’organisation continentale afin de la mettre en mesure de traiter avec efficacité
le problème de la conflictualité africaine. C’est ainsi que les États africains ont
pensé à une africanisation de la gestion et du règlement des crises sur le
continent.

Le passage à l’Union Africaine (UA) s’est accompagné d’un renouvellement des


principes de vision et d’action de l’organisation continentale en matière de paix
et de sécurité. Depuis sa création en 2002, l’UA affirme sa volonté d’assumer

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L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

davantage de responsabilités en matière de prévention, de résolution des conflits


et de maintien de la paix. En une dizaine d’années, elle s’est attelée à la
construction d’une architecture de paix et de sécurité continentale.
L’organisation apparaît désormais comme porteuse d’une nouvelle manière de
voir et d’agir dans le domaine de l’action contre les conflits. Pour ce qui est de la
sécurité collective, elle procède à une redéfinition de la notion en l’élargissant à
des nouvelles dimensions (Chouala, 2005). L'élaboration et la mise en œuvre
d'un mécanisme de maintien de la paix et de la sécurité prend du temps. C'est un
processus qui se construit, progressivement, au gré des conjonctures et des
évènements. Le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde est un
champ, au sens de Pierre Bourdieu, c'est-à-dire, un espace de luttes et de
confrontations, dans lequel l'Afrique forge encore sa place et fait face à des
contraintes à la fois endogènes et exogènes.

Au regard de la multiplicité des crises en Afrique, plusieurs observateurs


émettent des doutes quant à la capacité de l’UA à gérer les différents conflits sur
le continent. La littérature existante a beaucoup insisté sur les échecs et
l’incapacité de l’Union Africaine à gérer les crises en Afrique. Le présent article
rame à contre courant des idées qui critiquent systématiquement l'action de l'UA
dans la gestion des crises africaines en montrant qu’elle peut être un partenaire
sérieux dans la résolution des conflits sur le continent. L’article a pour ambition
de faire un bilan du chemin parcouru par l’UA dans la gestion et le règlement
des conflits depuis l’entrée en vigueur du Protocole portant création du Conseil
de Paix et de Sécurité de l’UA en 2003. Il veut présenter aussi les avancées
normatives et institutionnelles de l’organisation dans la gestion des crises en
Afrique. Le papier veut répondre à la question principale suivante : quels sont
les acquis majeurs de l'action de l'UA dans la gestion des crises africaines ? À
cette question peuvent se greffer d’autres questions secondaires à savoir : quel
est le rôle joué par l’UA dans la gestion et le règlement des conflits sur le
continent depuis une décennie ? L’organisation peut-elle assurer elle-même le
maintien de la paix sur le continent ? Pour répondre à ces questions, le présent
article présente d’abord la transformation de l’architecture de paix et de sécurité
en Afrique par l’UA (I), ensuite il montre que le bilan de l’intervention de l’UA
dans la résolution des crises sur le continent est prometteur (II).

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Delmas Tsafack

I - L’UA et la transformation de l’architecture de paix et de


sécurité en Afrique

La transformation de l’OUA en UA a été marquée par des changements


remarquables quant à ce qui concerne la gestion et le règlement des conflits.
L’OUA ayant été peu efficace dans la gestion des crises africaines, l’UA a donc
renforcé l’arsenal juridique et institutionnel de prévention, de gestion et de
règlement des crises en Afrique en instituant le protocole du Conseil de Paix et
de Sécurité (CPS) qui prévoit une Force Africaine Prépositionnée.

A - Le Protocole du CPS pour une sécurité collective renforcée en


Afrique

L’avènement du Protocole instituant le CPS a permis à l’Union Africaine de


renforcer l’architecture de paix et de sécurité en Afrique. Ce protocole a apporté
des innovations importantes et le CPS est devenu de plus en plus visible sur le
terrain des conflits dans la région.

Pourquoi renforcer l’architecture de paix et de sécurité de l’UA ?

La fin de la Guerre froide a eu un impact considérable sur la politique sécuritaire


africaine. Avec la fin de l’histoire proclamée par Francis Fukuyama, il est devenu
clair que le statu quo de l’ordre politique et économique africaine devient
intenable. Les leaders africains n’avaient plus de choix et étaient obligés de
s’adapter à ce qui semblait en ce moment le seul modèle, qui était celui de
démocratie et du libre échange (Fukuyama, 1992). Dès la fin de la Guerre froide,
les leaders africains étaient conscients d’avoir perdu la valeur stratégique dont
ils disposaient aux yeux des deux blocs protagonistes. L’intervention de la force
de l’Economic Community of West African States Monitoring Group (ECOMOG)
dirigée par le Nigeria dans la guerre civile du Liberia en août 1990, en
particulier, représentait un tournant décisif dans l’élaboration d’une réponse
africaine aux conflits sur le continent. Comme le souligne Jonah Victor (2010,
217), « les États de l’Afrique subsaharienne ont depuis la fin de la Guerre froide
accru de façon spectaculaire leur participation aux opérations internationales de
maintien de la paix en Afrique ».

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L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

Les échecs des occidentaux et des Nations Unies en Afrique ont intensifié leur
précaution à engager leurs forces de défense dans les opérations de maintien de
la paix de l’ONU sur les théâtres des conflits africains. Ceci est une preuve que
la communauté internationale n’avait plus un intérêt particulier pour
l’intervention dans les problèmes africains (Bafmann, 2011 : 23). Visant à bâtir
l’argumentaire en faveur de cette évolution, l’ancien Secrétaire général de l’ONU
Boutros Boutros-Ghali a soutenu dans son rapport Agenda pour la paix qu’il
conviendrait de recourir plus fréquemment aux mécanismes régionaux de
sécurité pour alléger le fardeau de plus en plus lourd que représentent pour
l’ONU les opérations de maintien de la paix depuis la fin de la Guerre froide.
Après cette déclaration générale, un sentiment comparable a été exprimé par le
Président français d’alors, François Mitterrand, en novembre 19946 , lorsqu’il
appela ouvertement les États africains « à résoudre leurs conflits eux-mêmes et à
organiser leur propre sécurité7 ». En 1995, après les débâcles en Somalie et au
Rwanda, le rapport de Boutros-Ghali intitulé Amélioration de la capacité de
prévention des conflits et du maintien de la paix en Afrique lui donna l’occasion
de se montrer encore plus précis quant à l’importance des organisations
régionales dans les activités de l’ONU sur le continent :

Au chapitre VIII de la Charte, les fondateurs de l’ONU envisageaient pour les


organisations régionales un rôle important dans le maintien de la paix et de la
sécurité internationales. Il est de plus en plus évident que l’ONU ne peut
s’occuper de tous les conflits et de toutes les menaces de conflits dans le monde.
Les organisations régionales ou sous régionales ont parfois un avantage
comparatif qui leur permet de jouer un rôle directeur dans la prévention et le
règlement des différends et d’aider l’ONU à les circonscrire8 .

Comme palliatif à l’intervention directe ou à la contribution aux troupes des


Nations Unies sur le sol africain, les États-Unis et certains grands États
européens ont opté pour l’investissement dans le renforcement des capacités des
États africains et des organisations régionales africaines afin que ceux-ci
puissent régler eux-mêmes leurs problèmes (Coning, 2010). Le traumatisme du
Rwanda à permis aux africains de penser à la mise sur pied d’un principe de
responsabilité de protéger en rupture avec le sacro-saint principe de non
ingérence dans les affaires internes des États membres tel que défendu par
l’OUA. Les Africains ont vite compris qu’il était temps de prendre leur sécurité
entre leurs mains. Comme l’indique Paul Williams, « les gouvernements
africains ont la responsabilité première » de s’occuper des divers conflits sur le

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Delmas Tsafack

continent et d’y réagir (Paul William, 2008 : 310). Il peut sembler logique
d’accroître la participation des pays africains à des activités telles que le
maintien de la paix sur leur propre continent. Cela renforce un sentiment de
prise en charge et de responsabilité. La persistance et la résurgence des conflits
sur le continent ainsi que le retrait ou la méfiance des grandes puissances vis-à-
vis des théâtres conflictuels africains ont d’ailleurs poussé à la création d’un
organe spécialisé au sein de la nouvelle organisation, qui s’est donné pour
mission sacrée de veiller à l’instauration et au maintien de la paix et de la
sécurité sur l’ensemble du continent noir9. C’est dans ce contexte que les États
membres de l’UA ont pensé à l’institution du Conseil de Paix et de sécurité (CPS)
de l’UA.

Les innovations du CPS

Le Protocole de l’UA relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité


marque un changement profond dans la vision et la pratique du maintien de la
paix et de la sécurité collective en Afrique. Stade avancé de la Déclaration du
Caire de 1993 dont l’essentiel de la philosophie se résumait en la prévention et
en l’anticipation des conflits (Nguembock, 1997 ; Adjovi, 1995), le Conseil de paix
et de sécurité inaugure une nouvelle dimension du maintien de la paix et de la
sécurité régionales qui place l’intervention en son centre (Chouala, 2005). Au
double principe de la rotation des États membres et de l’équilibre régional qui
organisait le fonctionnement de l’Organe central du Mécanisme du Caire en
dehors de la puissance et de l’hégémonie, le Conseil de paix et de sécurité
reconnaît et légitime le rôle des puissances dans la promotion de la sécurité
collective. Ce Protocole a répondu aux insuffisances du passé. Tout État membre
partie à un conflit ne peut intervenir dans les délibérations du CPS. Enfin, le
Protocole crée l’Architecture africaine de paix et de sécurité, qui est composée de
plusieurs instances, et de diverses structures (la FAA, le Groupe des Sages, les
Communautés économiques régionales (CER), qui ont été institutionnalisées,
etc.). Le Protocole est un instrument juridique contraignant, qui a été ratifié par
des États africains. Le CPS a des pouvoirs importants : il autorise le déploiement
des opérations de maintien de la paix (OMP), organise la prévention des conflits.
Contrairement à la défunte OUA, l’UA s’est ainsi dotée d’un cadre normatif lui
permettant, en principe, d’intervenir dans les zones de conflit et d’envisager des
actions diplomatiques voire militaires, lorsque les circonstances l’exigent. Le
Conseil est composé de quinze membres, dont dix sont élus pour un mandat de
deux ans et cinq pour un mandat de trois ans «en vue d’assurer la continuité».

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L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

L’une des nouveautés apportées par le Conseil de paix et de sécurité de l’UA est
le droit de cette dernière d’intervenir, dans certaines circonstances graves :
crimes de guerre, génocide et crimes contre l’humanité. Les fondateurs de la
nouvelle organisation panafricaine souhaitaient ainsi tirer les leçons des
insuffisances de l’OUA, qui n’a pas pu ou su intervenir militairement pour
mettre un terme aux violations massives des droits de l’homme sur le continent.
Il s’agit donc, tout en affirmant le principe d’égalité souveraine des États et
d’inviolabilité de leurs frontières, de permettre à l’UA d’assumer, dans des
circonstances définies, sa « responsabilité à protéger » les populations en danger,
inscrite dans son Acte constitutif, en entreprenant des interventions
humanitaires.

Le CPS promeut également le règlement pacifique des différends, le respect de


l’État de droit et des libertés fondamentales. Le terrorisme est aussi pris en
compte par le CPS qui prévoit la mise en œuvre d’une politique de défense
commune et de lutte contre le terrorisme. Enfin, il affirme concrètement le
principe de subsidiarité qui lie l’organisation panafricaine à l’ONU. Ainsi, le CPS
agit, conformément au chapitre VIII de la Charte des nations Unies relative au
rôle des Organisations régionales dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales, en coopération avec les Nations Unies dans la préservation et le
maintien de la paix, et échange régulièrement des vues avec les membres du
Conseil de sécurité, alternativement à Addis-Abeba et à New York.

Le CPS innove de manière significative par rapport aux mécanismes existant


précédemment. Son premier atout réside dans la permanence de sa structure, ce
qui se traduit par la convocation, au niveau des ambassadeurs, de cinq réunions
par mois en moyenne, avec la possibilité d’en tenir une à tout moment pour
examiner, en urgence, l’éclosion d’une crise. Des réunions doivent également être
organisées, au moins une fois par an, respectivement au niveau des ministres et
des chefs d’État et de gouvernement. Le CPS dispose d’autre part, depuis
juillet 2005, d’un secrétariat très actif, installé au sein du département paix et
sécurité de la Commission de l’Union (Lecoutre, 2009). Les statuts du CPS
soulignent l’interdépendance entre paix, sécurité et développement.

Le CPS a désormais la possibilité de conduire de véritables débats constructifs


dans la partie des réunions se déroulant à huis clos. Lors des séances publiques,
il écoute les rapports de la Commission et, si cela est nécessaire, les parties
concernées par le conflit examiné et d’autres États ou organisations. Après les

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Delmas Tsafack

éventuels échanges de points de vue et questions, les protagonistes du différend


et les invités quittent la salle pour permettre aux membres du CPS de délibérer
à huis clos. Les discussions aboutissent généralement à l’adoption d’un
communiqué ou d’un communiqué de presse. Le CPS réalise aussi des missions
dans les zones de conflits ou de reconstruction post-conflit, ce qui permet
d’enrichir l’expertise par la recherche d’observations de terrain et de
témoignages. Il signale aussi aux populations et communautés victimes d’un
conflit d’une éventuelle procédure de règlement. Des missions ont ainsi été
effectuées au Soudan, au Tchad et en République centrafricaine en 2007 ainsi
qu’en Guinée-Bissau et en Côte d’Ivoire en 2009.

Le CPS, contrairement aux mécanismes antérieurs de prévention, de gestion et


de règlement des conflits sur le continent accorde une place importante au
Président de la Commission et aux mécanismes sous-régionaux de maintien de
la paix. De tous les organes de l’Union, la Commission est celui qui entretien
avec le Conseil des liens les plus étroits. Le Président de la Commission au terme
de l’article 10 du protocole portant création du Conseil de paix et de sécurité est
le collaborateur le plus immédiat du conseil au nom duquel il peut prendre des
initiatives. A ce titre, il s’est vu assigné des missions qui dépassent largement le
strict cadre de celles qui reviennent d’habitude au premier fonctionnaire d’une
organisation internationale. Il peut en effet attirer l’attention du conseil sur
toute affaire susceptible de mettre en danger la paix et la sécurité sur le
continent. Il est également chargé du suivi et de la mise en œuvre des décisions
du Conseil dans le domaine visé. Il peut aussi mettre à la disposition du conseil
toutes informations de nature à l’éclairer dans le processus de prise de décision.
Par ailleurs, le Président de la Commission peut convoquer le conseil lorsqu’il
juge nécessaire une réunion de cet organe, proposé un ordre du jour provisoire.

En tant que charnière centrale du système de sécurité et de maintien de la paix


dans l’ordre juridique de l’Union, le Conseil est chargé de l’harmonisation et de
la coordination des activités des mécanismes régionaux en ce sens que l’article 16
du protocole du 9 juillet 2002 les intègrent dans l’architecture de la sécurité de
l’Union. Les rapports ici sont envisagés en termes de subordination des
mécanismes régionaux à la structure continentale en raison de l’impératif
d’ordre inhérent à ce secteur d’activité. L’article 7 paragraphe J du protocole visé
offre un fondement au statut hiérarchique du Conseil de paix et de sécurité et lui
confère des pouvoirs en ce sens, on y voit l’inspiration de la Charte des Nations
Unies notamment dans l’articulation des rapports entre le Conseil de sécurité et

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L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

les accords et organismes régionaux sur les questions du maintien de la paix et


de la sécurité internationales. Avec toutes ces innovations, le CPS est devenu de
plus en plus visible dans la gestion des conflits africains.

Un CPS de plus en plus visible dans le maintien de la paix en Afrique

Des progrès significatifs ont été effectués en vue de la montée en puissance de la


FAA, les principaux documents cadre ayant été adoptés. Il s’agit principalement
de la Doctrine ; de la Directive sur l’entraînement et la formation ; du Concept
logistique ; du Concept sur la chaîne de commandement ; du Concept sur les
systèmes de communication et d’information et des Procédures opérationnelles
permanentes. L’élément de planification et l’État-major de Brigade ont aussi été
mis en place au niveau continental ainsi que dans plusieurs régions, tandis que
les unités en attente devant composer la brigade ont été identifiées dans chacune
des zones, sauf en Afrique du Nord. Sur le papier, les régions Centre et Est ont
progressivement rattrapé le retard pris sur les brigades Sud et Ouest,
initialement plus avancées. Pour pallier au retard de la mise sur pied de la FAA,
l’UA a créé la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC). La
CARIC, groupement tactique de 1 500 hommes, déployable en 10 jours, a été
conçu comme un mécanisme transitoire en attendant l’opérationnalisation de la
FAA. Il s’agit d’un outil destiné à faire face aux défis sécuritaires immédiats.
L’objectif est de pallier les retards dans la mise sur pied de la FAA, en tant que
force africaine de stabilisation sur le continent. La CARIC est un dispositif
exclusivement militaire pourvu d’une grande réactivité pour intervenir
rapidement, sur décision politique, afin de résoudre certaines situations de
conflits sur tout le continent (Ramtane, 2013). Selon Solomon Ayele Dersso
(2013), « La CARIC met l’accent sur la capacité militaire, en privilégiant
quelques États membres dotés d’une capacité militaire éprouvée, au lieu
d'inclure les soldats de chaque État membre »

Malgré les difficultés du CPS, il se montre d’ores et déjà actif, visible, et tente
d’avoir un véritable impact politique dans la gestion des crises continentales.
Réfléchissant à l’amélioration de ses méthodes de travail, il dispose d’un groupe
des sages, mis en place en 2007, chargé de l’appuyer et de le conseiller. Cette
instance est composée de cinq personnalités africaines hautement respectées,
d’une grande intégrité et indépendance, qui ont apporté une contribution
exceptionnelle au continent dans les domaines de la paix, de la sécurité et du
développement. Ils ne doivent pas occuper de poste politique actif au moment de

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Delmas Tsafack

leur nomination et tout au long de leur mandat en qualité de membres du


groupe des sages (Lecoutre, 2009). Le protocole portant création du CPS a
institué un Système d’alerte rapide « pour faciliter la prévision et la prévention
des conflits10 ». Il fonctionne comme le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Cette unité se réunit à chaque fois qu’il y a menace à la paix dans un État
membre et un communiqué ou une décision du CPS est immédiatement diffusé
sur Internet et dans les régions ou pays en proie à une crise. Cette salle de veille
est dénommée Situation Room et dispose d’un système de lettre d’information
qui fonctionne à merveille. Le Commissaire à la Paix et à la sécurité de l’Union
se réfère régulièrement à la salle de veille pour faire des déclarations qui sont
instantanément relayées dans le continent.

De l'expérience de l'UA et des organismes sous-régionaux au cours de la dernière


décennie, un modèle africain des opérations de paix a émergé et est en
contradiction avec les missions ponctuelles d’antan. Le modèle montre que l'UA
a utilisé ses opérations de paix pour contenir des conflits violents et pour aider à
stabiliser la situation de sécurité dans les pays touchés. Simultanément, l'UA a
utilisé ses mécanismes d’envoyés spéciaux et de bons offices pour rechercher des
solutions politiques aux problèmes africains. Les opérations de maintien de la
paix en Afrique fonctionnent toujours aux côtés des missions conduites par les
organismes sous-régionaux, l'ONU ou l'Union Européenne. Cela crée des défis de
duplication, de chevauchement et de rivalité, mais fournit également à l'UA, aux
organismes sous-régionaux, à l’Union Européenne et à l'ONU des occasions de
collaborer, de coordonner leurs rôles et de partager la charge. L’institution de la
Force Africaine Prépositionnée, dispositif d’intervention du CPS dans les crises
sur le continent constitue un apport considérable à l’architecture de paix et de
sécurité de l’Afrique.

B - La FAA : dispositif de légitimation de l’usage de la force par


l’UA dans les États membres en crise

Dans le contexte de la création de l’UA en 2002, une nouvelle Architecture


Africaine de Paix et de sécurité a été établie. Sous l’égide d’un Conseil de Paix et
de Sécurité, celle-ci est composée d’une Force Africaine en Attente (FAA), d’un
Conseil des Sages, d’un Fonds Africain pour la Paix et d’un Instrument pour la
Reconstruction Post-conflit et le Développement. Dans ce dispositif, la FAA revêt
une dimension particulière car elle doit permettre au continent de disposer des
moyens nécessaires pour effectuer ses propres interventions (Honoré, 2011). Le

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L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

dispositif de déploiement de la puissance militaire de l’UA est satellisé autour


d’un système continental d’alerte rapide qui se compose d’un centre et des unités
d’observation et de contrôle des mécanismes régionaux, ainsi que d’une Force
Africaine Prépositionnée composée de contingents multidisciplinaires en attente,
avec des composantes civiles et militaires, stationnées dans les pays d’origine et
prêtes à être déployées rapidement aussitôt que requis. Selon le Conseil de Paix
et de Sécurité de l’UA, la réaction rapide permet de maitriser les situations de
crise, mais aussi d’implémenter l’interdépendance entre développement socio-
économique et la sécurité des peuples et des États.

Des efforts sont en cours pour que la Force africaine en attente et son
déploiement rapide atteignent leur pleine capacité opérationnelle à travers le
cycle d'exercices AMANI et la mise en œuvre de la capacité de la FAA révisée par
la feuille de route de la CARIC. Cette dernière a atteint la capacité
opérationnelle initiale en Décembre 2014. Alors que la FAA ne peut être déployé
en tant que tel, elle continuera à être une valeur importante pour les opérations
futures en tant que dépositaire de la doctrine, des normes et des lignes
directrices de formation, et à fournir une compréhension commune d'une
approche nettement africaine des opérations de maintien de la paix et de la
sécurité (Coning, Gelot et Karlsrud, 2015 : 13). Comme le confirme Michel
Luntumbue (2014 : 3), « la FAA a été conçue avec une structure pyramidale se
déclinant du niveau continental vers les États membres et passant par le niveau
des organisations sous-régionales, celui des communautés économiques
régionales (CER), avec une répartition de responsabilités à chaque échelon
concerné ».

Le schéma initial de la FAA prévoyait sa mise en place progressive jusqu’en


2010 ; s’appuyant sur cinq brigades régionales :
1. La Brigade Ouest (ECOBRIG), mise en place au sein de la
Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDAO) ;
2. La Brigade Centre (FOMAC), dans le cadre de la Communauté
Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC) ;
3. La Brigade Sud (SADCBRIG), dans le cadre de la Communauté de
Développement d’Afrique Australe (SADC) ;
4. La Brigade Est (EASBRIG) dans le cadre de l’Autorité
Intergouvernementale pour le Développement (IGAD). Mais, cette
communauté économique régionale, à qui a été initialement confié le

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 201


Delmas Tsafack

rôle de coordination de la montée en puissance de cette brigade, ne


comprenait qu’une partie des 13 États désignés pour la composer :
Comores, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Madagascar, Maurice,
Ouganda, Rwanda, Seychelles, Somalie, Soudan et Tanzanie. Un
nouveau mécanisme de coordination, l’EASBRICOM, a donc été créé en
2007 ; et la même année, le Burundi est devenu le 14e membre du
mécanisme.
5. La Brigade Nord (NASBRIG) dans le cadre de l’Union du Maghreb
Arabe (UMA), désignée initialement pour cette zone, ne correspondait
pas aux contours du groupe supposé constituer la brigade. Elle ne
comprend pas l’Égypte, mais compte parmi ses membres le Maroc, qui
ne participe pas au projet de FAA. L’organisation a donc laissé la place à
la Capacité Régionale de l’Afrique du Nord (NARC) comprenant
l’Algérie, l’Égypte, la Libye, la Mauritanie, le Sahara Occidental et la
Tunisie.

Chaque élément régional est constitué de contingents multidimensionnels de la


taille d’une brigade, stationnés dans leurs pays d’origine et en disponibilité
opérationnelle pour être rapidement déployés sur un terrain de crise. Au niveau
continental, ainsi que dans chaque région, doivent être mis sur pied un État-
major et un Élément de Planification. Chaque zone doit également disposer d’un
dépôt logistique ainsi que de centres d’entraînement (Ntuda Ebode, 2011). En
somme, il ne s’agit donc pas d’une armée africaine telle que Kwame N’Krumah
ou plus récemment, le colonel Kadhafi, l’ont envisagé ; le schéma défini étant
plus proche de celui de la Brigade multinationale d’intervention rapide des forces
en attente des Nations Unies (SHIRBRIG).
A l'avenir, la FAA devrait rester le principal cadre des opérations de paix en
Afrique. C'est important d'harmoniser les concepts de CARIC et de Système
d’alerte rapide, de réfléchir davantage sur les divers scénarios les plus probables
pour le déploiement de la mission africaine de maintien de la paix, et de se
concentrer sur les capacités spécialisées. Il ya un besoin pour des conversations
et des discussions régulières entre partenaires stratégiques sur des normes
communes, des objectifs et des besoins. En outre, il est important de promouvoir
la coordination interétatique et l’adoption d'objectifs communs pour éviter le
cloisonnement et la duplication des efforts. Les efforts pour développer
davantage les analyses conjointes de conflits devraient être centrés sur cet ordre
du jour, afin de permettre un accord sur les causes profondes, sur les facteurs

202 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

déclenchants et sur la façon de prévenir les conflits et de travailler avec la


médiation.

II - L’intervention de l’UA dans le maintien de la paix en Afrique


depuis 2003 : un bilan prometteur

Depuis 2003, l’UA a marqué quelques avancées dans la résolution des crises sur
le continent grâce à la création du Conseil de paix et de sécurité. En quelques
années d’existence, l’expérience de l’organisation dans la résolution des conflits
en Afrique laisse présager un avenir prometteur. Dans ce sens, l’organisation
s’achemine dans le futur vers une prise en charge des conflits africains

A - Quelques expériences prometteuses de l’UA dans la gestion des


crises sur le continent

Depuis quelques années, l’UA a intervenu dans des terrains de conflit en


Afrique. Ses interventions au Burundi, au Soudan, en Somalie et aux Comores
laissent croire que l’organisation est à mesure de juguler certaines crises en
Afrique. Plusieurs missions africaines ont depuis lors été transférées à l’ONU et
certaines d’entre elles ont été transformées en mission hybride UA-ONU.

Les missions africaines au Burundi, au Soudan, en Somalie et aux


Comores

Au cours de la dernière décennie, l’UA a déployé trois grandes missions de


maintien de la paix au Burundi (AMIB), au Darfour (AMIS) et en Somalie
(AMISOM), et bien d’autres types de missions de maintien de la paix au
Comores en 2004 et en 2007-2008. Ce sont là quelques unes des expériences
prometteuses de l’Union dans la gestion et le règlement des conflits en Afrique.
Dans chacune de ces missions, l’Union a fait une contribution significative pour
stabiliser la situation. Au Burundi, AMIB a contribué à la transition d’un fragile
cessez-le-feu impliquant une seule partie à un accord de paix complet avant de
transmettre la mission à l’ONU (ONUB). Au Darfour, l’UA a fait une
contribution en protégeant les populations dans les régions où elle était présente,
par exemple autour des camps des déplacés internes, et au moment où la
communauté internationale décida de prolonger sa mission sous le prisme d’une
mission hybride avec les Nations Unies (UNAMID). Même avec la
transformation de la mission de l’UA en mission hybride, l’Afrique a gardé le

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 203


Delmas Tsafack

poste de direction. Quant à l’ONU, elle a encouragé le leadership africain et s’est


engagé à jouer ce que Jean Marie Guéhenno appelle le rôle d’arrière plan dans
l’appui des missions de maintien de la paix de l’UA (Anuidoho, 2012). Avant la
mise sur pied de l’architecture de paix et de sécurité de l’UA, l’organisation
n’avait jamais eu un tel exploit.

En Somalie, l’UA a d’abord créé une poche de stabilité autour de la capitale


Mogadishu et sur l’ensemble du territoire. La Mission de l’UA en Somalie est
considérée par certains observateurs et ses promoteurs comme l’une des
réussites de l’organisation panafricaine en matière de gestion des conflits (Saleh
Annadif, 2012). L’AMISOM est une exception des opérations de maintien de la
paix en Afrique. Grâce à cette mission, l'UA a dû se battre dans une campagne
de contre-insurrection intensive et soutenue pour déloger al-Shabaab.
L’AMISOM est considérée comme une avancée pour l'avenir de la FAA. Au prix
de pertes élevées (des milliers d’hommes selon certaines estimations), les troupes
panafricaines ont réussi à ramener un espoir de paix, là où les forces
américaines mieux équipées avaient échoué au début des années 1990 (Gayffier-
Bonneville, 2011). Forte de 17 700 hommes issus de cinq pays (Burundi,
Djibouti, Kenya, Ouganda et Sierra Leone), l’AMISOM a été mandatée par le
CPS de l’UA en janvier 200711 . Elle représente actuellement le deuxième
déploiement par l’importance de troupes engagées en Afrique, juste après
l’opération MONUSCO menée par l’ONU en République démocratique du Congo.
Son but était de mener des opérations d’appui au retour de la paix en Somalie,
contribuer à la stabilisation de la situation dans le pays afin de créer les
conditions favorables à la conduite des activités humanitaires, et enfin, porter
assistance et protéger les institutions fédérales transitoires somaliennes (IFT)12 .
Avec l’entrée du Kenya par le Sud de la Somalie et avec leur entrée officielle
dans la force de l’AMISOM, la mission africaine est actuellement capable
d’étendre son influence de stabilisation sur une large partie de la Somalie (Gelot,
Gelot et Coning, 2012 : 11). En tant que mission d’imposition de la paix,
l’AMISOM a largement contribué à faire reculer militairement les milices
islamistes Shebab, liés à Al-Qaïda, et renforcé la position du Gouvernement de
transition somalien.

Au Darfour et en Somalie, la Communauté internationale a mandaté l’UA de


prendre en main les opérations de maintien de la paix parce qu’elle était la seule
organisation ayant la crédibilité politique et la capacité de maintien de la paix
dans les théâtres des conflits pour agir ainsi (Gelot, Gelot et Coning, 2012 : 11).

204 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

Dans cette situation, la communauté internationale a eu la volonté de fournir le


financement et la logistique à l’Union pour lui permettre de s’engager dans ces
opérations par elle-même. L’UA est donc devenue un acteur important des
opérations de maintien de la paix sur le continent.

En mars 2008, l’UA est intervenue militairement sur l’île d’Anjouan, dans
l’archipel des Comores, territoire de l’UA situé dans l’Océan indien, pour déloger
son dirigeant illégal Mohamed Bacar, à la demande du gouvernement central
comorien (Forite, 2008). L’opération baptisée « Démocratie aux Comores »,
intervient à la suite de l’élection contestée par l’UA, en juin 2007, au terme de
laquelle Mohamed Bacar a pris le contrôle de l’une des trois îles composant le
territoire comorien. Cette intervention militaire de l’UA marque un tournant
vers la régionalisation de la gestion de la sécurité sur le continent africain
(Luntumbue, 2014 : 10). Il s’agit de la première intervention militaire de l’UA
sur le territoire de l’un de ses États membres, conformément aux principes
définis dans son Acte constitutif. L’intervention avait pour fondement juridique
le Protocole de l’UA instituant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union. Elle
s’appuyait notamment sur l’article 4 (h), permettant à l’UA d’intervenir en cas de
circonstances graves et sur l’article 4 (j) qui consacre le droit des États membres
de solliciter l’intervention de l’Union pour restaurer la paix et la sécurité
(Quelhas, 2009). Face aux refus répétés de toutes les solutions diplomatiques
proposées à M. Bacar, l’UA a adopté, sans succès, des sanctions à l’égard
d’Anjouan.

Les missions africaines transmises à l’ONU et les missions hybrides UA-


ONU : indicateurs de l’avancée de l’UA en matière de gestion des crises

L’UA et les organisations sous-régionales sont très souvent les premiers


intervenants dans les crises africaines, utilisant parfois un niveau élevé de force
avant que leurs missions soient transformées en missions de maintien de la paix
complexes de l’ONU (Coning, 2007 : 9). Par exemple, la mission coercitive de
l’ECOMOG a d’abord stabilisé la situation et collaborée avec une petite mission
d’observateurs de l’ONU avant que cette mission ne soit transformée en une
mission multidimensionnelle de l’ONU (Gelot, Gelot et Coning, 2012). En outre,
quatre opérations de maintien de la paix ont connu un transfert de contrôle
opérationnel d’un organisme sous régional à l’UA ou à l’ONU. Il s’agit de
l’UNOCI (en Côte d’Ivoire), de la MINUL (au Liberia), de la MINUSMA (au
Mali) et de la MISCA (en République Centrafricaine). Fait intéressant, trois de

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 205


Delmas Tsafack

ces quatre transferts ont eu lieu entre la CEDEAO (Communauté économique


des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et l’ONU. Cela n’a rien de surprenant dans la
mesure où la CEDEAO a une expérience considérable en matière de opérations
de maintien de la paix dans la sous région, depuis le déploiement d’août 1990
dans la guerre civile du Liberia (Nikolas, 2014).

L’UA a aussi été l’initiateur de quelques opérations militaires transférées plus


tard aux Nations Unies. L’exemple le plus récent est celui de la Brigade
internationale d’intervention intégrée13 à la MONUSCO (Rémy, 2013). En
février 2013, l’UA avait permis l’émergence d’un « accord-cadre » décisif à Addis-
Abeba, qui jetait les bases d’une solution militaire contre la rébellion du M2314,
soupçonnée par les Nations Unies d’être soutenue par le Rwanda15 . Sur cette
base est née l’idée de la Force d’intervention de la MONUSCO. Les 3 069 soldats
de cette nouvelle brigade - composée essentiellement de soldats sud-africains,
tanzaniens et malawites - intervenus fin octobre 2013 aux côtés de l'armée
congolaise, ont eu raison du M2316. La brigade d’intervention de la MONUSCO
préfigure ce que pourrait être la CARIC, une structure ad hoc, qui garderait la
flexibilité pour répondre aux besoins du CPS. L’avantage de cette formule, de
forces rassemblées de façon ponctuelle et constituées par une Nation‐cadre ou
par un groupe d'États membres de l’UA, est de faciliter une action plus directe,
au lieu de suivre les complexités politiques de la FAA.

Les missions hybrides ONU-UA en Afrique constituent aussi un nouveau modèle


de maintien de la paix sur le continent. L’UA occupe de plus en plus le poste de
chef de mission hybride ONU-UA ou de missions de l’ONU en Afrique et les
États africains constituent depuis lors le plus gros contingent des troupes sur le
terrain. Ceci est indicateur de l’avancée de l’UA dans la gestion des crises sur le
continent. Les Nations Unies sont conscientes du fait que l’UA est un partenaire
non négligeable dans la gestion des crises sur le continent. Aujourd’hui, le
partenariat stratégique entre l’ONU et l’UA dans la gestion et le règlement des
crises africaines est une priorité pour l’ONU (Gelot, 2012). Il existe aujourd’hui
une reconnaissance grandissante dans les cercles de l’ONU que le succès du
mandat de l’ONU dans la gestion des crises sur le continent africain passe par
un appui à l’UA et aux organisations sous-régionale parce qu’elle ne peut pas
gérer les conflits africains seule. Plusieurs grands fonctionnaires de l’ONU et
autres responsables, tels que le président du Panel de haut niveau UA-ONU et
l’ancien Président de la Commission de l’Union Européenne Romano Prodi ont
souligné que si le Conseil de Sécurité de l’ONU veut que l’Afrique gère les

206 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

missions de maintien de la paix sur le continent, il doit automatiquement


renforcer les capacités de l’UA17. Depuis 1998, Kofi Annan avait montré qu’il
était nécessairement clair de se relayer sur les initiatives régionales et sous-
régionales africaines depuis que L’ONU manque de capacité, de ressources et
d’expertise pour résoudre seule les conflits sur le continent18.

B- L’Union Africaine : vers une prise en charge des conflits


africains

La volonté des États membres de l’UA de mettre fin aux conflits en Afrique se
manifeste aujourd’hui dans l’augmentation des budgets de défense des États
africains, dans l’augmentation des contingents africains sur les théâtres des
conflits dans la région et une envie de recherche des sources de financement des
opérations de maintien de la paix en Afrique.

Des budgets et des contingents militaires en constante augmentation

Depuis l’entrée en vigueur du protocole du CPS, l’on note une augmentation


quant à ce qui concerne les budgets de défense et les contingents des forces
africaines dans les missions de maintien de la paix de l’ONU. Selon le Stockholm
International Peace Research Institute (SIPRI), depuis 2010, les dépenses
militaires baissent en Europe et aux États-Unis mais explosent en Afrique19. Les
dépenses militaires continuent d’augmenter rapidement en Afrique, en Europe
de l’Est et dans le Moyen-Orient. Cette augmentation peut s’expliquer par la
hausse du prix du pétrole pendant l’année 2014 et la multiplication des conflits
en Afrique. En Algérie, le budget consacré à la défense est ainsi le plus
important du continent, avec 9.325 millions de dollars en 2012, d’après les
SIPRI. L’Afrique du Sud et l’Égypte suivent en deuxième et troisième position
avec un budget qui dépasse les 4.000 millions de dollars pour l’année 201220. Ces
deux pays sont d’ailleurs les seuls du continent à détenir leur propre industrie
d’armement21 . Depuis la mise sur pied du CPS, l’on a connu une augmentation
exponentielle des budgets de défense des pays africains comme l’expliquent les
graphiques 1 et 2 ci-dessous.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 207


Delmas Tsafack

Source : Conçu par l’auteur à partir des données extraites de « SIPRI Military Expenditure
Database», SIPRI, 2015, www.sipri.org/research/armaments/milex/milex_database,
www.sipri.org/research/armaments/milex/milex_database consulté le 7
août 2015.

Source : Conçu par l’auteur à partir des données extraites de « SIPRI Military Expenditure
Database», SIPRI, 2015, www.sipri.org/research/armaments/milex/milex_database consulté le 7
août 2015

Les deux graphiques nous montrent comment avant l’entrée en vigueur du


protocole du CPS, les budgets de défense des États africains étaient toujours en

208 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


2015
L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

dessous de 20 milliards de dollars. Ces dépenses évoluaient de façon contrastée


(graphique 1) entre 1988 et 2002. Depuis 2003, date d’entrée en vigueur du
protocole du CPS, les dépenses militaires africaines ont commencé à évoluer de
façon exponentielle au point de doubler (de 20 milles dollars en 2003 à 50 milles
dollars en 2014) en l’espace de dix ans (graphique 2). Le budget global de
l’armement pour le continent, actuellement de 50 milliards de dollars, devrait
augmenter de 20 milliards de dollars pendant la prochaine décennie22.

Les pays africains se dotent d’armées de plus en plus développées pour affronter
les conflits et les coups d’État qui sont monnaie courante depuis la fin de
l’époque coloniale. Les nouvelles forces militaires tiennent aussi un rôle dans la
lutte anti-terroriste, « particulièrement dans la zone sahélo-saharienne, la Corne
de l'Afrique et la côte orientale où les groupes djihadistes demeurent très
présents23 ». Les dépenses militaires africaines se sont accompagnées d’une
augmentation du déploiement des forces armées africaines dans les missions de
maintien de la paix de l’ONU en Afrique. Des huit missions de maintien de la
paix de l’ONU en cours en Afrique, les États africains disposent d’environ 55%
des troupes sur le terrain. À côté de cela, l’Union Africaine et les CER dirigent
des missions de maintien de la paix sur certains théâtres de conflits en Afrique
avec des armées africaines uniquement (AMISOM, ECOMIB). Ceci montre que
l’Union Africaine peut mobiliser les troupes pour la gestion des conflits sur le
continent. Le tableau suivant présente la physionomie des contingents africains
au sein des missions de l’ONU sur les terrains de conflits en Afrique.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 209


Delmas Tsafack

Tableau 1 : Proportion des contingents africains dans les Opération de maintien


de la paix (en cours) de l’ONU en Afrique
Effectifs Effectifs Ratio du contingent
N° OMP contingents contingent total africain par rapport au
africains* de la mission* contingent total (en %)
1 MINUSCA 6780 9176 73,88
2 MONUSCO 7094 21060 33,68
3 ONUCI 3755 7617 49,29
4 MINUL 2439 5819 41,91
5 MINUSMA 6315 9754 64,74
6 MINUAD (ONU/UA) 12118 15784 76,77
7 FISNUA 4037 4077 99,01
8 MINUSS 4409 11504 38,32
Total 46947 84791 55,36
*Effectifs au 1er janvier 2015
FISNUA : Force Intérimaire de Sécurité des Nations Unies pour Abyei
MINUAD : Mission Hybride des Nations Unies et de l’Union Africaine au Darfour
MINUL : Mission des Nations Unies au Libéria
MINUSCA : Mission Multidimensionnelle Intégrée de Stabilisation des Nations Unies en
République Centrafricaine
MINUSMA : Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation du
Mali
MINUSS : Mission des Nations Unies au Soudan du Sud
MONUSCO : Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en République Démocratique du
Congo
ONUCI : Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire

Source : compilation de l’auteur à partir des données du Réseau de Recherche sur les Opérations de
paix (ROP) : www.operationspaix.net/operations-en-cours.html.

Le tableau montre que sur les huit missions de maintien de la paix de l’ONU en
cours en Afrique, les troupes africaines disposent des plus grands contingents
dans quatre d’entre-elles. Sur certains terrains de conflits, les États africains
comptent plus du tiers du contingent total ; ce qui est un signe important en ce
qui concerne la capacité de l’Union Africaine à résoudre les conflits sur le
continent. La résolution du problème de formation des troupes africaines est
aussi liée au problème de financement. Depuis quelques temps, des réflexions
sont menées autour d’un éventuel cadre de financement des missions africaines.¨

210 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

Une réflexion permanente sur l’établissement d’un système solide et


durable de financement du maintien de la paix et de la sécurité en
Afrique

La dépendance financière à l’égard des partenaires extérieurs reste sans conteste


une limite majeure à l’appropriation africaine des prérogatives sécuritaires.
L’UA reste fortement dépendante des financements extérieurs, et
particulièrement de l'Union européenne, principale contributrice devant l'ONU
et les États-Unis. Les leaders de l’UA ont voulu démontrer à ce propos leur
nouvelle détermination en adoptant, en mai 2013, le rapport sur les sources
alternatives de financement de l'organisation (Kappès-Grangé, 2013).
Cependant, seule la mise en œuvre effective de ces pistes de financements
alternatifs permettrait à l’UA de s’affranchir progressivement de ses soutiens
extérieurs et de recouvrer la maîtrise de ses prises de décisions.

Certaines sous-régions, comme la Communauté Économique des États de


l’Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont été en mesure de soutenir leurs propres
missions à travers les prélèvements communautaires. Des efforts sont également
en cours au niveau panafricain pour identifier les sources de financement
alternatives. Une équipe d'experts dirigée par le Président Obasanjo a proposé
diverses façons dont l'UA peut lever son propre financement. Par exemple, un
prélèvement de 10 USD sur les billets d'avion vers l'Afrique et 2 USD sur
l'hébergement à l’hôtel pourrait lever plus de 700 millions de dollars par an. Ces
mesures n’ont pas encore été adoptées, mais elles servent d'exemples.
L'augmentation constante des budgets de la défense de nombreux États
africains, avec une augmentation moyenne de 65% au cours de la dernière
décennie, indique également une capacité croissante à financer et à soutenir les
opérations de paix en Afrique. Si cela devait se produire, il serait sans doute
donner à l'UA, un large éventail d'options. Sur la base de leurs déploiements de
maintien de la paix, neuf pays africains se distinguent : le Burundi, le Tchad,
l’Éthiopie, le Kenya, le Nigeria, le Rwanda, l’Afrique du Sud, la Tanzanie et
l’Ouganda. Beaucoup de ces pays ont pris des engagements significatifs de
maintien de la paix. Pourtant, alors qu’il est facile de désigner l’Afrique du Sud
et le Nigeria comme des leaders naturels en Afrique, en raison de leur pouvoir et
de leur influence militaire et économique disproportionnée, un certain nombre de
puissances hégémoniques émergent et jouent des rôles importants dans leurs
sous régions respectives et au-delà (Adekeye Adebajo et Landsberg, 2003). En
outre, les économies éthiopienne, nigériane et sud-africaine figurent parmi les

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 211


Delmas Tsafack

plus importantes de l’Afrique sub-saharienne. Cette capacité économique leur


permet également de jouer un rôle actif dans diverses interventions militaires
multilatérales en Afrique, parfois sur plusieurs fronts. Cependant, à court terme
l'UA semble contraint de mener le modèle des opérations de stabilité (Coning,
Gelot et Karlsrud, 2015 : 4).

L’une des caractéristiques des Opérations de maintien de la paix de l’UA est que
ces missions ont été « financées et soutenues par les pays contributeurs de
troupes africaines et les pays contribuant à la police, ainsi que des partenaires
internationaux. Cette dimension financière a été un facteur important dans la
détermination de la taille et de la portée des missions, ainsi que leur longueur »
(Coning, Gelot et Karlsrud, 2015 : 4). Les missions de l'UA ont eu à faire avec
moins de personnel et moins de ressources qu'une mission de l'ONU dans le
même théâtre. Par exemple, au Darfour, la mission des Nations Unies qui a
suivi celle de l’UA (MUAS) avait environ trois fois plus de personnel et quatre
fois le budget de celle-ci. La même tendance peut être observée dans les
transitions au Mali et en RCA. Tout ceci montre que si les troupes africaines sur
le terrain sont financées, l’organisation continentale peut véritablement faire
face aux crises en Afrique.

Conclusion

Au regard de ce qui précède, l’on constate que la grande majorité des


interventions militaires multilatérales en Afrique sub-saharienne ont été
entreprises avec un nombre important de troupes africaines. Souvent, ces actions
ont eu lieu sous le commandement africain et, de plus en plus, sous les auspices
d’une organisation africaine (Nikolas, 2014). Nous remarquons plusieurs
hégémons africains aspirant à être les principaux fournisseurs de troupes. Du
Burundi à la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo à la
Somalie, du Mali au Soudan et au Soudan du Sud, et plus récemment en RCA,
les États membres de l'UA n’ont jamais autant déployé de troupes dans le cadre
d’opérations de maintien de paix sur le continent. L’une des spécificités du
modèle de l'UA dans les opérations de paix est que ce sont des missions de durée
principalement courte qui sont remises à l'ONU dès que la stabilité de base a été
restaurée. Toutes ces opérations de paix en Afrique ont ensuite été prises en
charge par l'ONU après six ou 18 mois, sauf pour l'opération de l'UA en Somalie
(Coning, Gelot et Karlsrud, 2015 : 11).

212 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

L’UA est une jeune institution de 13 ans (2015) seulement. Elle représente une
évolution institutionnelle majeure par rapport à l'Organisation de l'Unité
Africaine (OUA), qu’elle a remplacée en 2002. L’Acte Constitutif de l’UA a
marqué un changement radical de doctrine en consacrant le droit de l'Union
d'intervenir dans un État membre en cas de crime de guerre, de génocide et de
crime contre l’humanité. Au lieu de critiquer, de remettre en cause et de
dévaloriser de manière systématique le dispositif africain, il faut plutôt le
prendre au sérieux, saisir les acquis de sa structuration et faire des propositions
objectives pour sa maturation, son renforcement et sa consolidation. Aucun
mécanisme de maintien de la paix et de la sécurité dans le monde n'est parfait et
totalement satisfaisant. Tous les mécanismes, y compris le dispositif multilatéral
onusien, font face aux contraintes structurelles, conjoncturelles et contextuelles.

L'organisation panafricaine est en train de devenir un partenaire sérieux et


incontournable de gestion des crises en Afrique. En dépit de sa dépendance
financière et logistique à l’égard de l'ONU, de l'UE et des grandes puissances,
l'UA est appelée à s'affirmer comme acteur majeur de la gestion des crises en
Afrique. Il faut seulement qu'elle mette en place un mécanisme africain fiable,
rapide et durable de financement des missions de paix et de sécurité en Afrique
et développe mieux la subsidiarité entre l'UA et les Commissions Économiques
Régionales dans le maintien de la paix et de la sécurité en Afrique. Un dialogue
structuré devrait être instauré entre l'ONU, l'UA, les CER et les partenaires
pour développer des modèles de soutien qui sont cohérents. Un système de
soutien international plus prévisible pour les opérations régionales est urgent.
Au regard des efforts consentis, cette organisation peut être considérée comme
un partenaire sérieux dans la résolution des crises qui minent le continent.

Notes
1. Cet article est une version remaniée et corrigée de la communication présentée lors du Congrès 2015
de la Société Québécoise de Science Politique tenu à l’Université de Concordia, Québec, Canada du
20 au 22 mai 2015. Je remercie grandement Patrice Bigombe Logo de la Société Camerounaise de
Science Politique pour ses remarques pertinentes qui m’ont permis de remanier l’ossature de ce texte.
Les remerciements vont aussi à l’endroit d’Émile Ouedraogo pour son évaluation préliminaire et aux
participants de l’atelier sur « L’Union Africaine face aux crises récentes du continent » pour leurs
suggestions en vue de l’amélioration de l’argumentaire de cet article. Merci aux évaluateurs
anonymes de la revue Polis pour leurs commentaires précieux.
2. Delmas Tsafack est chercheur en Histoire et en Relations Internationales à l’Université de Dschang et
au Groupe de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (GRAPS) de l’Université de
Yaoundé 2. Il est spécialiste des questions d’intégration régionale en Afrique, de la politique

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 213


Delmas Tsafack

étrangère des petits États et des questions de sécurité, défense et de gestion des conflits. Il est membre
de plusieurs sociétés savantes à l’instar du Conseil pour le Développement de la Recherche en
Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA), de l’Association Internationale de Science Politique
(IPSA) et de la Société Camerounaise d’Histoire (SCH).
3. Cf. Article 19 de la Charte de l’OUA.
4. Cf. Article 20 al. 3 de la Charte de l’OUA.
5. Le principe de non-ingérence est inscrit dans la Charte de l’OUA dans son article 3 al.2. Le même
article prescrit dans son alinéa 3 le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque
État et de son droit inaliénable à une existence indépendante.
6. Chose curieuse, quelques mois seulement après le génocide rwandais et la très controversée opération
Turquoise.
7. Cité dans Franke Benedikt F., « In Defense of Regional Peace Operations in Africa », Journal of
Humanitarian Assistance, 2011, 1, disponible en ligne sur [http://sites.tufts.edu/jha/iles/
2011/04/a185.pdf].
8. Improving Preparedness for Conlict Prevention and Peace-Keeping in Africa, rapport du Secrétaire
général, UN Document A/50/711 et S/1995/911, 1 novembre 1995.
9. Roger Paligwendé Konombo, « L’UA et son Conseil de paix et de sécurité à l’épreuve des crises du
continent », Tribune n°518, pp.1-7.
10. Article 12 alinéa 1 du Protocole relatif a la création du conseil de paix et de sécurité de l’UA.
11. La mission a été entérinée le 20 février 2007 par la résolution 1744 du Conseil de sécurité de l’ONU.
12. Présentation de l’AMISOM, site de la mission de l’UA en Somalie.
13. La Brigade d’intervention est une force militaire offensive créée par la Résolution 2098 du Conseil de
sécurité en mars 2013, avec le mandat précis de neutraliser les groupes armés de l’est du Congo. Cette
initiative à l’origine africaine et régionale, répondait à la situation de crise permanente dans les deux
provinces du Kivu, à l’est de la RDC, en proie à la violence des groupes armés et à l’ingérence
rwandaise depuis 15 années, en dépit de la présence de la Mission de maintien de la paix de l'ONU
(MONUC).
14. La rébellion du M23, est née en avril 2012 de la mutinerie d'anciens rebelles s'appuyant
essentiellement sur les populations rwandophones du Nord-Kivu qui avaient été réintégrés dans
l'armée congolaise trois ans plus tôt. Pour une information détaillée sur la problématique sécuritaire
au Kivu voir notamment, Georges Berghezan, « Groupes armés actifs en R. D. Congo - Situation dans
le Grand Kivu au 2ème semestre 2013 ». Rapport du GRIP, 2 décembre 2013.
15. Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo.
16. « En RDC, les rebelles du M23 annoncent leur abandon de la lutte armée », Le Monde, 5 novembre
2013.
17. Pour plus d’informations, lire UNGA-UNSC doc., Identical letters dated 24 Decembre 2008 from the
Secratary General addressed to the President of the General Assembly and the President of the
Security (Prodi report), A/63/666-S/2008/813, 31 December 2008. Romano Prodi, « G-8 focuses on
continent: Peacekeeping stressed as key to development success”, Washington Times, 8 juillet 2009.
18. Kofi Annan, Rapport du Secrétaire Général à l’Assemblée Générale et au Conseil de Sécurité : « Les
causes des conflits et la promotion de la paix et du développement durable en Afrique ».
19. SIPRI Yearbook 2015 Summary. Armaments, Disarmament and International Security, Stockolm,
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20. www.sipri.org/research/armaments/milex/milex_database, consulté le 26 août 2015
21. Le Nigeria a annoncé récemment qu’il créera son propre usine de fabrication d’armes.
22. SIPRI Yearbook 2015 Summary. Armaments, Disarmament and International Security, Stockolm,
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23. http://www.slateafrique.com/388886/defense-quels-pays-africains-depensent-le-plus-pour-leur-armee,
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214 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’intervention

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Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 217


La science politique en Afrique : entre légitimation du
pouvoir politique et recherche d’une pensée cognitive1

Par
Pélagie Chantal Belomo Essono
Université catholique d’Afrique centrale.

Introduction

La science politique en tant que science s’appuie sur des pratiques cognitives et
des pratiques sociales. D’après P. Favre, est scientifique une proposition
construite et exposée de telle manière que toute personne de même compétence
puisse, à des fins de vérification (plus précisément, de falsification éventuelle), en
réitérer la démonstration et en contrôler le rapport aux grandeurs observables.
Ce critère associe donc la logique- la correction des procédures du raisonnement
et la confrontation au réel et un critère social car la possibilité de réitération de
la démonstration implique l’existence d’une communauté scientifique2.

La question de la science politique se pose en Afrique non seulement à propos


d’une autonomisation de la discipline d’avec le droit mais surtout d’une
démarcation d’avec le politique. Cette discipline sera considérée comme une
science subversive durant l’époque coloniale et le début de la période
postcoloniale. Elle a d’ailleurs été inféodée au droit, lui-même inscrit dans une
dynamique d’« embbeding » avec le pouvoir politique en tant que le droit public
était un outil de légitimation des pouvoirs autoritaires. Les processus de
« décompression autoritaire » dans ces Etats ont ainsi permis une tentative
d’affranchissement de cette discipline du joug du pouvoir. Cependant, les
ambitions de « totalisation » de ces pouvoirs continuent de marquer l’influence
du politique sur la discipline et ses acteurs.

L’instrumentalisation de la science politique procède d’un triptyque dans un


ordre de déploiement. Elle s’inscrit premièrement dans une perspective
d’arrimage scientifique avec la Raison occidentalo-centrée qui réfute une
déconstruction et un questionnement scientifique autre que sa propre
objectivation et sa construction de la réalité politique et sociale. Le
développementalisme détermine cette idéologie et la posture dogmatique du

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Pélagie Chantal Belomo Essono

propos scientifique sur et par l’occident. L’écriture de l’histoire de l’Afrique se fait


donc ailleurs.

Secondairement, cette instrumentalisation est l’œuvre du politique dont les


ressorts sont liés à la capture de toutes les forces centrifuges et centripètes afin
de les inscrire dans l’espace de domination. Le propos sur le pouvoir que porte la
science politique ne pouvant être remis en cause suppose donc de l’intégrer dans
une ambition politique qui conduit à l’inféoder dans la pensée unique conduite
par le politique. En outre, l’obsession de la pacification qui taraude certains
régimes postcoloniaux comme celui du Cameroun parce qu’ayant connu une
guerre de décolonisation annihile le propos scientifique sur le pouvoir. L’exil
représente donc le seul moyen pour certains chercheurs de la discipline. La
réflexion sur le pouvoir représente non seulement une avanie pour le régime en
place mais surtout une démobilisation des forces dans un contexte de
construction de l’unité nationale. Cette dernière suppose une homogénéisation
de la pensée. Sur le plan politique, ceci s’explique par la prééminence du parti
unique considéré comme le creuset de l’unification. Le logos sur le politique en
tant que discours rationnel et structuré détermine la dissension non seulement
en termes d’éveil, de prise de conscience au-delà d’un engagement scientifique
mais surtout une menace contre l’Etat dans ses fondements de fabrication d’une
pseudo unité sociopolitique et de développement.

Troisièmement, le discours scientifique sur le politique contribue à la


légitimation du pouvoir politique. Dans cette perspective, l’instrumentalisation
de cette science par le pouvoir permet de capturer le politiste dans l’arène
politique. La distanciation et l’engagement gardent tout leur sens dans ce
contexte. Autrement dit, la distanciation et la neutralité axiologique sont
annihilées. Le politiste est capturé par son objet d’étude. Le savant devient donc
le politique.

Au demeurant, la principale tension de cette étude réside sur la dialectique entre


légitimation des pouvoirs et production d’une rationalité scientifique. Le
questionnement portant sur l’utilité de la science politique en Afrique achoppe
sur la construction de l’ordre politique dans cette région. En d’autres termes,
quelle est la téléologie de la science politique en Afrique ?

1) La science politique s’inscrit dans un rapport de forces qui suppose une


extraversion et une imposition de la pensée. Ainsi, les paradigmes, les

220 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et recherche d’une pensée…

cadres d’interprétation ainsi que les réalités sont assujettis à des


références occidentalo-centrées. Toutefois, si elle s’inscrit dans
l’universalisation de la pensée, elle s’autonomise et tente de produire un
discours scientifique singulier.
2) La construction scientifique de la réalité politique est éminemment adossée
au politique. La politique qui est l’objet de cette discipline procède à son
assimilation au point où la ligne de démarcation entre la pensée du
politique et la production de la science devient ténue.
3) Le système affinitaire entre le politiste et le politique conduit à une
légitimation du pouvoir. Dans ce contexte, la science politique permet à
certains politistes d’accéder à la haute administration. Cette pratique
participe de la fabrique d’une légitimité des dirigeants et du régime. La
stratégie politique consiste à dévoyer et à transformer l’essence du propos
scientifique pour une finalité politicienne.

Cette réflexion s’appuie sur deux approches théoriques. Premièrement, la notion


de champ bourdieusien3 nous permet de comprendre comment le champ
scientifique et partant le sous-champ de la science politique travaille à son
autonomisation par rapport aux autres disciplines et aux autres sphères. Le
rapport entre dominants et dominés s’effectue par le truchement de ce sous-
champ qui produit de la légitimité au champ politique. Les transactions entre les
deux sphères amène le champ politique à interférer dans ce sous champ en
termes de gratification, de cooptation et de sanction des indociles. Ce sous-champ
constitue dans son ensemble un champ de luttes internes pour l’accession à
l’administration et aux ressources étatiques. Sur le plan scientifique, il s’agit de
transformer le type de rapports de force en produisant un discours scientifique
sur le politique afin de transformer l’ordre politique. Si la relation demeure
dissymétrique entre le champ politique et le sous-champ de la science politique,
elle achoppe davantage sur la question de la gouvernance politique, de la
redistribution, de la démocratie et de la recherche du bien commun. Dans ce
sillage, l’engagement et la distanciation s’interpénètrent.

Secondairement, la sociologie des crises politiques de Michel Dobry4 contribue à


saisir les dynamiques qui se jouent dans le cadre des tensions existantes entre la
sphère politique et la sphère scientifique ou encore celle de la science politique.
Le recours à cette approche théorique demeure disproportionné face à la réalité.
Cependant, la pertinence de ce recours repose sur le fait que les Etats
autoritaires sont presque toujours dans une posture de conjoncture même s’ils ne

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 221


Pélagie Chantal Belomo Essono

sont pas toujours englués dans la crise politique. La rhétorique ne porte pas sur
les conjonctures de crise en tant que transformations d’état des systèmes sociaux
complexes. Il ne s’adresse pas non plus à des mobilisations multisectorielles,
c’est-à-dire celles qui se déploient simultanément dans plusieurs secteurs
sociaux. La désectorisation conjoncturelle de l’espace social entendu comme une
moindre prégnance des frontières entre les secteurs sociaux, l’incertitude
structurelle vue comme l’effacement ou le brouillage des repères routiniers du
calcul politique et les processus de désobjectivation compris comme la perte
d’objectivité d’aspects antérieurement stabilisés de la réalité sociale ne sont pas
pris en compte dans ce domaine. Mobiliser la sociologie des crises politiques
revient à analyser l’activité tactique, les calculs, les anticipations et les échanges
de coups entre acteurs qui se déploient dans des arènes en tant que lieux
d’interaction directe. Concrètement, cette théorisation s’applique davantage dans
les situations de conjoncture qui existent entre certains acteurs de la science
politique comme pourfendeurs des régimes et les acteurs politiques. Cette
conjoncture qui décrit les situations de tension entre les deux catégories
s’institue dans le long terme d’autant plus que la dissension porte sur les
modalités de gouvernance des Etats.

I - Science politique en Afrique entre importation de la pensée et


universalisme

La science politique en France s’est construite autour d’une guerre de position,


plus précisément à partir des conflits dans lesquels s’engagent les institutions
d’enseignement pour l’appropriation de la discipline. Elle se bâtit sur la base de
l’hétérogénéité des sources à savoir la philosophie, le droit, la sociologie et
l’histoire5. L’étude des phénomènes politiques en Afrique francophone va se
greffer à celle de la France dont elle va hériter la socialisation intellectuelle, les
modes de pensées, etc.

La rationalité sur le politique en Afrique est d’abord une rhétorique occidentale


sur les autres sociétés. Elle s’élabore dans une mouvance de divergence entre la
science politique sui generis et les recherches spécifiques sur l’Afrique. Si la
science politique africaine est étudiée selon les paradigmes de la société
occidentale, est parfois sécrétée et portée par les occidentaux, on assiste à une
production singulière de l’énonciation politologique de l’Afrique par des
africanistes occidentaux tels que J.F. Médard, G. Hyden ou C. Clapham, etc. et

222 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et recherche d’une pensée…

par des Africains eux-mêmes à l’instar d’A. Mbembé. Elle présente ainsi une
innovation en termes d’idées et d’approches.

A) Science politique en Afrique et défis de l’universalisme

L’universel n’est pas qu’une construction scientifique, il est une réalité qui
s’impose même dans ce domaine. Il n’est pas l’homogénéité, il s’énonce plutôt
comme un phénomène qui tient compte des singularités qui lui sont d’ailleurs
consubstantielles. L’explication du fait politique en Afrique va se réaliser à partir
de nombreuses théories. La mobilisation de ces théories dans le cadre de
l’intelligibilité de la science politique en Afrique revient à mettre en sens les
théories universalistes et particularistes qui consistent à produire l’entendement
du phénomène politique en Afrique. L’une des constructions scientifiques qui va
marquer le politique en Afrique est le développementalisme qui apparaît dans
les années 60 dans un contexte de décolonisation. Dérivée des théories
économiques des années cinquante en l’occurrence celle de Rostow6, les théories
« du développement politique »7 postulaient que les sociétés du tiers-monde
devaient s’acheminer vers un « plus être » supposé germer dans toute
organisation sociale. Le gène n’attendait que son déploiement sur un plan
linéaire tout tracé. Ceci supposait une tentative à l’universalisation de
l’expérience historique des nations européennes et nord américaines. Cette
expérience avait en toile de fond la rationalité. En postulant l’existence d’une loi
universelle du changement politique, il conduit à l’évolutionnisme ; dans cette
optique, les analyses anthropologiques sont éludées. Le développementalisme a
plutôt aidé à légitimer les politiques de coopération et les politiques d’aide
accordée au tiers-monde pour son progrès économique et l’accession à un modèle
de politique libérale et pluraliste. Le développementalisme va tomber en
désuétude à cause des trois crises : celle de l’universalisme, de l’explication et des
rapports entre analyse comparative et histoire.8

Selon l’approche du néo-marxisme, l’Etat ne représente qu’une arène où


s’affrontent les forces sociales pour la répartition des ressources rares. La
différence entre Etats développés et Etats sous-développés se conçoit en termes
de gap. Par exemple, le manque de formation des ingénieurs doit être pallié par
l’expertise du nord. L’idée de la coopération est de combler le fossé entre le nord
et le sud grâce au capital et à l’expertise. On met en place des plans de
développement qui doivent être des instruments macro économiques de gestion
économique. Pour certains auteurs, le contrôle de l’Etat en Afrique n’est pas

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 223


Pélagie Chantal Belomo Essono

exercé par une classe combattante et indépendante. En plus, les capitaux


nationaux sont contrôlés par une « bourgeoisie compradore » ou bureaucratique.
De manière générale, la littérature inspirée par le paradigme néo-marxiste
postule que les faits politiques et l’institutionnalisation du politique dans une
société sont déterminés par les rapports de production économique. Pour eux,
l’Etat n’est qu’une superstructure. Il est agit par une classe dominante à des fins
de domination. Chez les néo-marxistes, l’Etat est un obstacle structurel au
développement et doit être combattu.

Si le développementalisme et la théorie de la dépendance rendent comptent d’un


cadre théorique aporétique, l’universalisme s’inscrit dans une dynamique de
rénovation des études africaines. D’une part, les phénomènes tels la
démocratisation et les élections amoindrissent la portée des cadres scientifiques
particularistes qui les rendaient étrangers à l’Afrique. En outre, la
mondialisation rend illusoire toute tentative de localisme exclusif. Elle est au
cœur des systèmes d’emprunt9. Elle rend illisible la ligne de démarcation entre le
local et le global. A cet effet, les logiques de « glocalisation » selon l’expression
d’A. Appadurai contribuent donc à l’effectivité de cette dialectique entre le global
et le local. D’autre part, la science est d’emblée universelle. Les concepts d’ordre
politique ou du politique qui relèvent de l’universel font sens dans toutes les
sociétés.

B) Extraversion et politisation de la recherche

L’extraversion s’appuie non seulement sur un projet de domination mais aussi


d’assimilation dont les mécanismes conditionnent les acteurs. La politisation
quant à elle consiste en une problématisation de la science politique comme
ressource ou comme problème dans le champ politique. Elle relève aussi des
enjeux et de l’instrumentalisation politique et scientifique que les acteurs
scientifiques orchestrent d’un côté et les politiques d’un autre côté. Les études
ainsi que les terrains africains sont plus ou moins légitimés lorsqu’ils ne sont pas
considérés comme des areas studies. Le confinement de ces études dans des
sphères spécialisées s’explique également par les rapports de forces qui existent
entre groupes de recherche africanistes et ceux considérés comme relevant de la
science politique en général. L’exemple de l’ancien Centre d’Etudes d’Afrique
Noire (CEAN) de l’Institut d’Etudes de Bordeaux participe de cette structuration
des rapports de forces. Ceci est d’autant plus explicite que le CEAN va s’ériger en
une autre configuration. L’institutionnalisation du CEAN va suivre une autre

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La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et recherche d’une pensée…

trajectoire et se recycler finalement en Les Afriques dans le Monde (LAM).


L’insertion de ce groupe dans une logique plus universelle tend donc à gommer
les tendances particularistes des études spécifiquement africaines. On remarque
ainsi dans certains contextes, la marginalisation des études africaines qui
conduit certains africanistes à s’investir dans d’autres thématiques et d’autres
terrains plus universalisants à l’instar de J-F. Bayart.

La science politique en Afrique est inhérente aux mutations, contraintes et


paradoxes politiques internationaux. En clair, la recherche scientifique est
tributaire de la vision politique, de la priorisation et de la fabrication de l’agenda
international. Le classement, la disqualification ou la requalification politique de
l’Afrique dans l’arène internationale affecte également la recherche. Cette
dernière s’adosse sur des politiques qui elles-mêmes s’instituent autour de la
politique. Les financements constituent ainsi l’une des pièces maîtresses de cette
politique. A cet égard, la distribution des financements dans des groupes de
recherches est tributaire non seulement du positionnement scientifique des
groupes, de leur ancrage institutionnelle, de leur notoriété, mais aussi des
thématiques légitimantes qu’elles abordent. La temporalité et la notoriété de ces
études est parfois fonction des effets de mode et souvent des idéologies politiques
du temps mondial.

Cette ère de recherche constitue un terrain privilégié pour les chercheurs durant
les premières décennies de l’Etat postcolonial du fait de l’érection de nouveaux
Etats sur la scène internationale. Le champ scientifique est socialisé à la
caractérisation de l’Afrique. En d’autres termes, la rhétorique sur l’Afrique qui
s’articule autour du champ politique international, médiatique affecte le champ
scientifique. La récurrence du regard sur le chaos qu’elle représente s’appuie sur
une vision et une lecture du monde qui laisse apparaître un maelstrom en
termes de coups d’Etats, d’autoritarisme, d’ingouvernance, de thanatos, etc. Le
propos sur l’Afrique s’enchâsse donc sur une vision apocalyptique et
eschatologique.

La fin de la guerre froide constitue également une grille analytique importante


pour les africanistes. Elle se dévoile par une massification de la réflexion
internationale autour du déclin, de la fin consécutive à la finitude de la
bipolarité, créatrice de désordres. Ces désordres se matérialisent en Afrique par
l’accroissement des guerres de basse intensité.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 225


Pélagie Chantal Belomo Essono

Si les transitions démocratiques des années 90 entraînent un renouvellement de


la pensée politique du continent avec la transitologie et la consolidologie, il
n’empêche que le nouveau regard des acteurs internationaux se tourne
désormais vers les pays de l’Est. La massification des financements dans cette
partie du monde fait aussi écho à la lassitude due à l’incapacité des Etats
africains à produire du développement après des décennies d’aide publique au
développement.

Le paradigme de retrait qui marque le politique dans la décennie 90- 2000 va


également travailler le champ de la recherche. Le retrait progressif de la France
en Afrique au milieu des années 90 avec le désengagement progressif de la
politique d’interventionnisme a des répercussions sur les politiques de recherche
notamment en Afrique.

Toutefois, on constate un regain d’intérêt accordé à cette sphère de recherche


avec la requalification stratégique de l’Afrique. Cette requalification est
inhérente à la politique internationale post 11 septembre. Le discours
scientifique sur l’Afrique se dévoile sur deux ordres. D’une part, les questions
stratégiques et géostratégiques sont au cœur des problématiques scientifiques
actuelles dans cette région. Elles sont d’autant plus importantes que certains
chercheurs s’instituent spécialistes et géopoliticiens au détriment d’autres sous-
disciplines. Le spectre de cette nouvelle politique des grandes puissances en
Afrique trouve son ancrage dans la perpétuelle problématique de la sécurité. Le
changement majeur qui s’opère dans ce contexte est l’imposition de la
weltanschauung américaine sur la sécurité. En clair, la sécurité des Etats-Unis
est tributaire de la sécurisation du monde. La guerre contre le terrorisme
constitue donc une émanation de cette pensée politique. La floraison des idées
sur la sécurité portées par les instituts de recherche et les think tank
déterminent l’intérêt de cette question. La consécration des enjeux sécuritaires
et géostratégiques américains en Afrique s’applique à la massification des
financements qui s’opèrent sur des programmes et des ordres militaires en
Afrique et surtout sur les institutions de recherches. La division du monde en
espace sécurisé et sanctuarisé et insécurisé introduit l’Afrique dans cette
catégorie. Les désordres et l’instabilité politiques, les processus politiques et
démocratiques en panne, l’incapacité des Etats à la monopolisation de la
contrainte légitime sur le territoire qui conduit à la porosité des territoires
facilitant ainsi la circulation des mouvements djihadistes représentent une
menace à la stabilité internationale. Ceci confère ainsi une importance capitale

226 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et recherche d’une pensée…

au financement de la recherche et à l’érection de l’Afrique comme un champ


d’investigation.

D’autre part, la science politique en Afrique s’abreuve de la thématique de


l’économie politique qui repose sur la pensée politique des pays émergents.
Autrement dit, elle s’articule autour de leur positionnement politique,
économique et socio-culturel en Afrique. Cette question est consubstantielle au
déclassement stratégique des anciennes puissances, à leur déploiement et à la
concurrence qui se joue en Afrique dans le but de la production d’une historicité
mondiale.

Par ailleurs, dans une dynamique de dépendance scientifique les effets de


domination de l’agenda international consacrent l’écologie comme une priorité
politique et présente ainsi un impact sur la recherche. Les perspectives de
recherches se déclinent davantage dans le sens de la préservation de
l’environnement ou encore des enjeux énergétiques que représente une région tel
le bassin du Congo ou encore la question des peuples autochtones. Outre
l’environnement, on assiste aussi à la mise en lumière des problématiques
genrées en Afrique. Dès lors, les financements internationaux qui mobilisent
aussi les chercheurs contribuent à mettre de l’emphase sur ces problématiques.

Les actions scientifiques qui conduisent à la pensée des thématiques


internationales dans les champs scientifiques africains et/ou en Afrique relèvent
de plusieurs variables à savoir la captation des ressources, l’arrimage des
chercheurs sur le plan mondial (si tant est que la recherche interne demeure
encore embryonnaire) et l’inscription dans un cosmopolitisme scientifique
international.

Dans un autre registre, il est indéniable que l’Afrique n’est pas une
robinsonnade. Elle est en interaction avec le monde. Cependant, la timide
intégration des analyses africaines dans la science politique globale qui induit les
limites de son insertion dans le comparatisme relève de la rhétorique de son
exceptionnalité. On assiste également à un transfert de cadres d’analyse sans
construction préalable ni réadaptation sur les terrains africains. La légitimité
scientifique repose en effet sur l’utilisation des schèmes d’analyse externes
désignés comme référentiels scientifiques. La critique déconstructive qui résiste
à la volonté de forger des modèles ou des outils scientifiques, voire le refus de la
scientificité d’un tel programme oblige les chercheurs de cette sphère à s’arrimer

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Pélagie Chantal Belomo Essono

sur les protocoles de recherche et les théories déjà existantes dans les sphères de
légitimité scientifique.

En outre, la légitimité scientifique que portent les chercheurs africains est


relative à leur trajectoire scientifique occidentale. Ainsi, l’intégration dans les
networks, les think tank, la reconnaissance scientifique sont tributaires de leur
passage dans les universités occidentales. Les questions d’identité, de notoriété,
découlent de l’intégration dans ces espaces scientifiques reconnus. Elle est
également relative à leur alignement scientifique qui consiste en une inscription
dans un système de pensées et un cadre de construction et d’interprétation de la
réalité relevant du « scientifiquement correct ».

Malgré l’importation ou le transfert des modèles scientifiques, les africanismes


ont pu forger plusieurs grilles d’interprétation de la réalité politique en Afrique.
Les analyses institutionnelles ou par le haut vont connaître un déclassement
dans les années 80. Ainsi, la complexité des sociétés africaines, les dynamiques à
l’œuvre vont amener à penser autrement, avec de nouvelles matrices
d’interprétation. A ce titre, les dynamiques de participation politique et de
contestation sont désormais prises en compte contrairement aux approches
institutionnalistes qui les maintenaient dans une perspective holistique et
monolithique. Les « modes populaires d’action politique »10 permettent de
traduire les tentatives de déconstruction des systèmes autoritaires. En clair, la
démarche consiste à comprendre les mécanismes que les dominés mettent en
œuvre pour contrecarrer les situations de domination. Il s’agit de saisir
l’intelligibilité des sociétés africaines au travers de la « revanche des sociétés
africaines »11, de l’escapisme12, du « politique par le bas »13.

En résumé, il convient de noter que les constructions scientifiques en Afrique


marquées par l’apport de l’anthropologie politique avec Balandier ou encore
Evans Pritchard sont aussi l’œuvre de la politique comparée et de la sociologie
historique. Le socle commun de ces analyses est de démontrer la spécificité de
l’Etat africain qui se conjugue avec les pratiques sociales africaines. Il en ressort
une faible institutionnalisation, une faible légitimité du système politique, la
coercition, une forte allégeance communautaire au détriment de l’allégeance
citoyenne. Ces études dévoilent la reconstruction d’autres formes de solidarités
ethniques, régionalistes, communautaires ou primordialistes. Ces constructions
qui s’appuient également sur le développementalisme, vont être dépassées. On
assiste dès lors à l’émergence des théories postdéveloppementalistes en

228 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et recherche d’une pensée…

l’occurrence l’analyse des systèmes politiques africains au travers du néo-


patrimonialisme14. La prise en compte des trajectoires politiques différenciées
inscrites dans la longue durée et la structuration des espaces sociaux par des
réseaux multiples qui marquent l’érection des analyses sur l’énonciation du
politique, l’intervention des micro-procédures.

La science politique est donc le reflet des rapports de forces dans la production de
l’historicité scientifique en tant que l’occident dit et produit le monde et par
conséquent le discours scientifique. La singularité du propos scientifique sur le
fait politique en Afrique rencontre néanmoins l’épistémologie d’une science
politique universelle.

II - Science politique : finalité politicienne, engagement politique


et/ou validité scientifique ?

Le champ de la science politique est un champ de forces, de luttes et de


capitalisation de ressources. Il est en concurrence avec d’autres champs
disciplinaires et présente des dissensions dans son sein. Celles-ci émanent non
seulement des contradictions internes liées à la constitution de ce champ mais
aussi des faiblesses inhérentes à l’institutionnalisation de l’enseignement
supérieur en Afrique. Il est donc traversé par des enjeux multiples en termes de
positionnement et de circulation des élites scientifico-politiques entre le champ
politique et scientifique, d’engagement politique et de production scientifique.

A - Science politique entre rentes de situation et projet heuristique

En tant que science qui étudie le pouvoir, ce dernier façonne également les
acteurs qui l’étudient dans un sens ou dans un autre. Autrement dit, les
trajectoires des politistes se présentent dans une complexité qui se décline entre
distanciation et neutralité axiologique, association et assimilation au pouvoir
politique. Ces deux tendances sont parfois imbriquées faisant ainsi du savant un
politique. Le rapprochement avec le pouvoir se comprend dans une mouvance de
fabrication du pouvoir. Aussi, le politiste devient-t-il le conseiller du prince. Si la
politique est un art, le savant lui apporte une vision et une formulation
nécessaire à l’accomplissement des desseins politiques. Les rhétoriques
récurrentes sur le mandat illimité des chefs d’Etat et par conséquent la
problématique de l’alternance politique témoignent de ces stratégies politiques
dont les politistes sont parfois les porteurs de cause ou les thuriféraires. Les

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 229


Pélagie Chantal Belomo Essono

motions de soutiens apportées par les enseignants du supérieur au président


Biya candidat à sa propre succession en 2011 marquent un tournant décisif dans
cette inféodation au politique. Le politiste se comporte également en transfuge
dans un champ comme dans un autre. Il importe les catégories analytiques, les
desseins politiques et les contradictions d’une sphère vers une autre. Le travail
universitaire post politique qui consiste pour le chercheur à retrouver sa chaire à
l’université se caractérise par des habitus qui lui permettent de procéder à
l’énonciation du politique dans le champ scientifique et vice versa. Le chercheur
dans un espace scientifique peut difficilement opérer de la distanciation parce
qu’inséré dans des logiques partisanes, passionnelles. Le décloisonnement qui
procède de cette stature hybride se manifeste par une situation de schizophrénie
et de dédoublement de la fonction et de l’individu. Le travail politique du
politiste ne renvoie pas nécessairement à l’exportation des schèmes cognitifs
dans le champ politique, il s’agit pour ce dernier de s’adapter et de produire un
discours symbiotique qui conjugue les impératifs politiques et les catégories
scientifiques.

Les rentes de situation s’opèrent à plusieurs niveaux. La fonction politique ou


administrative que le politiste occupe concoure à fabriquer de la légitimité dans
un contexte de brouillage et d’indistinction entre les deux sphères. La course à la
nomination par les politistes se traduit par l’attraction que représente le pouvoir.
Le prestige participe donc de cette posture du savant vers la politique. Les
ressources issues de cette mutation (et/ou mue) sont de l’ordre économique,
symbolique, coercitive, politique etc. Ces rentes sont d’autant plus importantes
que le politiste va accroître sa reconnaissance scientifique au travers de son
statut politique. Les dynamiques entre amphithéâtre et l’arène ou l’espace
politique lui procurent davantage de notoriété. Cette mobilité contribue ainsi au
positionnement social et politique du chercheur. Les ressources symboliques sur
le plan scientifique qui sont de l’ordre scientifique seront plutôt attribuées à la
personnalité politique (à l’instar du grade de docteur honoris causa) du fait de
son appartenance politique plutôt qu’à son travail scientifique ; même si ce
dernier détient son ordre de mérite sur la base de référents scientifiques à savoir
les publications par exemple.

La science politique qui s’édifie dans un dualisme entre pratiques cognitives et


pratiques sociales est donc aux prises avec les passions politiques, la doxa,
l’embrigadement journalistique, la praxis politique, la prétention que peut avoir

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La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et recherche d’une pensée…

chaque individu à parler de la politique et à se penser savant et la scientificité


qui se constitue chaque jour au gré des évènements et des acteurs.

B - Champ politique et champ scientifique à l’épreuve des


transactions collisives et collusives.

Les dissensions internes dans le champ de la science politique sont la résultante


de plusieurs variables. Les questions de positionnement individuel dans l’ordre
de l’administration bureaucratique et pédagogique de la discipline sont parfois
sujettes à des controverses au sein de la discipline. Les problèmes liés à la
reconnaissance et les cloisonnements qui promeuvent les querelles de chapelle
interfèrent sur la constitution de ce champ. La redistribution des ressources
désigne en plus un espace d’affrontement. L’inscription personnelle dans la
trajectoire étatique donne lieu à la dispute. Le politique se saisit ainsi de toutes
ces divergences pour bâtir une relation ami-ennemi avec le champ scientifique.

Le contrôle de la science politique s’énonce à partir de son refus d’exister ou de sa


négation par le pouvoir postcolonial au Cameroun. On va assister à
l’emprisonnement de certains acteurs qui traitent de la nature du régime
politique au Cameroun. La prégnance est davantage marquée par le fait d’un
autoritarisme dur15 qui se traduit par la répression de la subversion. La
libéralisation politique s’édifie avec les habitus de l’autoritarisme et continue à
se déployer dans une perspective de confrontation et d’ennemi intérieur.

Les écrits pamphlétaires sur le régime et la nature de celui-ci représentent une


passerelle pour certains politistes. Car la récupération politique participe d’un
mode d’intégration de cette catégorie dissidence afin de produire un pseudo
consensus autour du pouvoir inscrit dans un éthos de l’illégitimité. Car si les
procédures et les règles démocratiques sont quelquefois respectées en ce qui
concerne l’élection des dirigeants, cependant la dissension est inhérente à la
gouvernance politique qui induit le plus souvent le néo-patrimonialisme. Dans
cette optique, toute tentative d’analyse politologique est considérée comme un
affront pour le régime. La stigmatisation permet d’être capturé par le régime
afin de compromettre le chercheur et ainsi de disqualifier le discours scientifique
ainsi que la discipline qui représentent un danger. Cette pratique s’avère
nécessaire parce qu’elle procède de leur sortie de l’espace de contestation et de
mobilisation pour en faire des alliés. Ce qui est considéré comme un
affrontement du politiste relève du simple fait d’analyser le régime politique

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 231


Pélagie Chantal Belomo Essono

dans la neutralité qui s’impose au chercheur. Il en résulte ainsi la sanction des


indociles. Cette sanction se caractérise par la paupérisation du champ
scientifique en vue de leur maintien sous le joug du régime ; les obligeant à
chercher la pitance auprès du pouvoir. Cette stratégie permet de procéder à la
rétribution des dociles. L’instrumentalisation des chercheurs dans le but de la
légitimation des actions du régime constitue une sorte de néguentropie. Il s’agit
de contester le discours qui constitue leur être de chercheur et de le déconstruire.
La tactique politique consiste à faire rentrer les acteurs de la science politique
dans le champ de domination étatique afin de fragiliser le champ scientifique. La
délégitimation de ce dernier champ par le politique est d’autant plus marquante
que les acteurs de la science portent le projet politique de mise en place d’un
système de transfuge qui consiste pour le pouvoir à coopter toutes les ressources
intellectuelles afin de procéder à leur assimilation. La pénétration du politique et
sa domination dans cette sphère produit un désenchantement qui oblige les
chercheurs à rentrer dans l’autre face de Janus qu’est le pouvoir.
L’instrumentalisation consiste également pour certains à intégrer le régime
qu’ils abhorrent et qu’ils ont précédemment remis en cause de manière
théorique. Le projet politique de déstructuration du champ de cette discipline
repose donc sur les manœuvres politiques d’éloignement, d’infiltration et
d’insertion des dociles dans l’espace du pouvoir.

Conclusion

La question de l’utilité de la science politique en Afrique repose sur une double


dimension. Primo, l’ontologie de la science politique est la production du savoir.
Elle se fonde sur l’objectivité, la rationalité, la validité. Tout ceci concourt à
l’universalisation de cette discipline. Elle procède d’un processus d’acquisition de
la connaissance et de ce fait détermine la construction du savoir en Afrique. Elle
est également insérée dans un processus de mondialisation qui suppose la
diffusion du savoir, l’import-export de la connaissance, les échanges, le partage
et l’édification d’une communauté épistémique. Secundo, la construction
scientifique du politique est assujettie aux rapports de forces qui président à la
constitution du champ scientifique d’une part et à la confrontation entre les
champs scientifique et politique d’autre part. En d’autres termes, la mécanique
de conflit n’est pas unilatérale. L’échange de coups consiste pour le pouvoir à
paupériser le champ scientifique et à capturer toutes forces intellectuelles
considérées comme dissidentes afin de le dépouiller de toute sa vitalité.
L’instrumentalisation consiste aussi en la légitimation des actions politiques

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La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et recherche d’une pensée…

portées par les politistes qui contribue dans une posture néguentropique à
saborder leur propre champ avec l’aide du politique. En revanche, certains
politistes incarnent les figures de la contestation de par leur engagement
politique et leur travail scientifique rendant difficile le déploiement de
l’autoritarisme.

La science politique en Afrique est un syncrétisme qui renferme l’éthos de la


politique, du politique, la prétention sociale à la production du sens scientifique
du fait du partage d’un espace communicationnel basé sur le fait politique ainsi
que l’usage de termes communs et la pensée cognitive.

Au fond, le fondement et la finalité de la politique se traduisent par la


gouvernance de la cité et la recherche du bien commun. Cependant, les moyens
pour y parvenir nécessitent d’autres rationalités inhérentes à la concurrence, à
la compétition, à l’adversité, aux tactiques et stratégies. Le politique intègre la
prise en compte de l’ami et de l’ennemi comme le soulignent C. Schmitt16 ou J.
Freund17. La rationalité, l’ontologie et la téléologie de la science en revanche
s’appréhendent comme la constitution d’un savoir objectif qui soumet sa validité
à la critique rationnelle. La production des savoirs qui en découle permet ainsi
de saisir le fait politique. Si les rationalités sont divergentes et ne peuvent se
recouper, le déploiement du savant dans l’arène politique sous le couvert de la
légitimité scientifique concoure à des conflits d’interprétation entre la science et
le politique. Le clash des rationalités entendu comme la prétention d’une des
rationalités à pénétrer l’autre non dans une cognition particulière renvoyant
finalement au fondement scientifique mais plutôt au travers des systèmes
d’action des acteurs qui se jouent dans les deux champs n’a pas lieu. Car si le
politique s’inscrit dans une prétention à la totalisation du champ scientifique, le
discours scientifique du politique est ontologiquement basé sur l’objectivité et la
rationalité.

Notes
1. Belomo Essono Pélagie Chantal, enseignante/ chercheure à l’Université catholique d’Afrique
centrale.
2. Favre, (P.), Naissance de la science politique en France 1870-1914, Paris, Fayard, 1989.
3. Bourdieu, (P.), « Sur le pouvoir symbolique », Annales, vol. 32, n°3, mai-juin 1977 ;
« Quelques propriétés des champs », Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1980 ; La
noblesse d’Etat, Paris, Minuit, 1989 ; « La domination masculine », Actes de la recherche en
sciences sociales, n°84, septembre 1990.

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Pélagie Chantal Belomo Essono

4. Dobry, (M.), Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations


multisectorielles, Paris, Presses de sciences Po, 3e édition, 2009.
5. Favre, (P.), op. cit.
6. Rostow, (W.), The stages of economic growth, Cambridge, Cambridge university press, 1960.
Pour lui, l’épanouissement progressif des sociétés se réalise à travers la succession des cinq
étapes à savoir : la société traditionnelle, les conditions préalables au démarrage, le démarrage,
la marche vers la maturité et l’ère de la consommation de masse. Il suggère également qu’à
chacune de ces phases correspond un modèle politique précis et que la dernière assure la
réalisation de la démocratie de masse. Le tiers monde quant à lui tente de sortir de la deuxième
phase et se trouve confronté aux problèmes économique et politique qu’a connus l’Europe dès
la fin du XVIIIe siècle.
7. Certaines analyses privilégiaient les causes du développement politique pour expliquer
l’inégalité des conditions de réalisation de celui-ci d’une société à l’autre. Le développement
politique s’assimilait de ce fait à la construction de la polyarchie (système marqué par la libre
concurrence pour l’obtention du pouvoir politique), R .Dahl compare ainsi les sociétés en
fonction de leur PNB en postulant la pertinence politique en fonction de l’accroissement de
celui-ci. D’autres analyses comme celles de G. Almond s’attache à démontrer des indices de
développement politique et met en lumière l’inégalité de ce développement d’une société à
une autre grâce aux critères de sécularisation et de différenciation politique.
8. Lire Badie, (B.), Le Développement politique, Paris, Economica, 1994 ; Badie, (B.), Hermet,
(G.), La politique comparée, Paris, Armand Colin, Dalloz, 2001.
9. Gazibo, (M.), Thiriot, (C.), (dir.), « L’Afrique en science politique », in Le politique en
Afrique. Etat des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala, 2009, pp. 13-18, pp. 14-15
10. Bayart, (J.-F.), Mbembé, (A.), Toulabor, (C.), Le politique par le bas en Afrique noire.
Contribution à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992.
11. Bayart, (J.-F.), « Revanche des sociétés africaines », « Les sociétés africaines face à l’Etat »,
Pouvoirs, n°25, 1983, pp.23-39.
12. Chazan, (N.), « Patterns of State-society incorporation and disengagement in Africa”, in
Rothchild, (D.), Chazan, (N.), (dir.), The Precarious Balance. State and Society in Africa,
Boulder, Westview Press, 1988, pp.121-148.
13. Bayart, (J.-F.), Mbembé, (A.), Toulabor, (C.), op. cit.
14. Médard, (J-F.), (dir.), Etats d’Afrique noire : formation, mécanismes et crise, Paris, Karthala,
1991.
15. J.F. Médard propose un modèle analytique des autoritarismes africains. Trois critères
essentiels permettent de mettre en évidence cette analyse à savoir le degré de personnalisation,
le degré de coercition et le degré d’autonomie que l’Etat concède à la société civile.
L’autoritarisme dur dans ce contexte se matérialise par une forte institutionnalisation, une forte
coercition. Cette forme d’autoritarisme se retrouve au Cameroun sous le régime du président
Ahidjo. « Autoritarismes et démocraties en Afrique noire », in Politique africaine, n° 43,
octobre 1991, pp. 92-104, p. 93.
16. Schmitt, (C.), La notion de politique, théorie du partisan, Paris, Flammarion, 1992.
17. Freund, (J.), L’essence du politique, Paris, Dalloz, 2004.

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La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et recherche d’une pensée…

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Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala
(1968-2015) : la reconnaissance d’un universitaire
brillant et d’un diplomate compétent.

par
Antang Yamo,
Département d’Anthropologie,
Université de Yaoundé I

Enseignant, Chercheur et Diplomate, Yves-Alexandre Chouala était une


personnalité plurielle. C’est cette multidimensionnalité de l’homme qui est
célébrée à travers la richesse et la diversité des témoignages qui ont suivi
l’annonce de son décès en janvier 2015. Ces témoignages illustrent à suffisance
que sur le plan académique et scientifique, Yves-Alexandre Chouala était une
synthèse d’interdisciplinarité alliant sociologie, philosophie, politiques publiques,
relations internationales et géostratégie. La richesse de ses travaux fait de lui un
universitaire brillant et un chercheur confirmé.

Sur le plan professionnel, Yves-Alexandre Chouala laisse dans le milieu


diplomatique camerounais, l’image d’un chef rigoureux, exigeant vis-à-vis de lui-
même et de ses collaborateurs. Diplomate compétent, il a contribué à la
compréhension et au rayonnement de la diplomatie camerounaise à travers un
ouvrage intitulé La Politique extérieure du Cameroun. Doctrine, acteurs,
processus et dynamiques régionales.

Yves-Alexandre Chouala était aussi une personnalité affable. Il laisse à tous


ceux qui l’ont connu, l’image d’un être humble, serviable et généreux, toujours à
l’écoute de tous ceux qui le sollicitaient. L’ensemble des témoignages recueillis
après sa mort dresse un portrait qui se décline en diverses facettes présentant
les dimensions scientifique, professionnelle et sociale de l’homme.

Témoignages académiques et scientifiques


Cette rubrique présente les témoignages des éminents universitaires et hommes
de science, qui reconnaissent et vantent les mérites scientifiques de Yves-
Alexandre Chouala et de la contribution de ses travaux au développement de la

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 237


Antang Yamo

science politique au Cameroun. Il s’agit particulièrement des hommages rendus


par :

Professeur Bertrand Badie (Institut d’Etudes Politiques de Paris,


France)

C'est avec une grande tristesse que j'apprends le décès de notre ami Yves
Chouala. Je garde un souvenir très fort de sa personnalité affirmée et
chaleureuse, ainsi que de ses travaux de très haute qualité. L'Université
camerounaise peut être fière de lui et de ce qu'il a apporté.
Recevez, avec mes amitiés, mes très sincères et fidèles condoléances.

Professeur Luc Sindjoun (GRAPS/FSJP, Université de Yaoundé II,


Société Camerounaise de Science Politique, Fondateur de Polis, Revue
Camerounaise de Science Politique, Cameroun)

Cher Yves, que puis je dire ? Que puis-je écrire ? Je peux dire et écrire que tu as
su donner la vie à tes vertes et luxuriantes années passées sur cette terre. Une
vie de curiosité scientifique, d'esprit critique, de méfiance a l'égard des
conventions et des évidences, de liberté d'esprit et de conscience. C'est cette vie
que nous célébrons, qui va défier la mort. Les intellectuels de qualité, comme toi,
ne meurent pas : leurs idées défient l'épreuve du temps et survivent à la chair.
En écrivant ces mots, j'ai encore le souvenir de notre dernier entretien, lorsque
nous échangions les vœux de paix, de santé, de plénitude et d'accomplissement
pour la nouvelle année. Et voici que cette année que nous voulions merveilleuse
pour l'un comme pour l'autre, commence avec ta mort. Oui, il a fallu se résoudre
à accepter cette triste nouvelle. Et, a commencé dans ma mémoire, le défilé de
toutes ces années passées : je te revois étudiant préparant et achevant deux
thèses de doctorat sous ma direction ; je te revois collègue et ami, menant une
activité scientifique exceptionnelle.
Cher Yves, que puis-je dire ? Que puis-je écrire ? Je peux dire et écrire que
l'intensité de ta vie a compensé la brièveté de ton existence terrestre. Une vie
intellectuelle intense au cours de laquelle tu as effectué de voyages incessants
dans les différentes provinces de la science en conjuguant de manière admirable
philosophie, sociologie, relations internationales, politiques publiques,
géostratégie et j'en passe. Chacun de ces voyages a été consacré par une
publication de qualité. Tu n'étais pas un sédentaire obnubilé par l'assignation à

238 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala (1968-2015)

résidence scientifique. Tu étais foncièrement un nomade intellectuel, remettant


toujours en cause ses acquis, sans cesse lancé à la découverte de l'inconnu, du
méconnu et du moins connu, ou alors au démontage des mythes, artifices et
fétiches qui obstruent la connaissance scientifique.
Cher Yves, que puis-je dire ? Que puis-je écrire ? Je peux dire et écrire que tu
étais un ami fidèle, que comme le roseau, tu savais plier sans rompre, que tu
savais ou tu allais et avec qui tu cheminais, que tu savais souffrir en silence et en
gardant ta dignité. Tu étais fort et, en même temps fragile.
Cher Yves, que de souvenirs ! Que de larmes ! Que de regrets ! Tu vivras dans
nos souvenirs et dans nos esprits. O destin cruel, O temps jaloux, toi qui
emportes mon ami dans l'au-delà, toi qui nous rends si impuissants, laisse-nous
pleurer.

Professeur Tukumbi Lumumba-Kasongo (Cornell University, Etats-


Unis d’Amérique)

C'est avec une profonde douleur que je présente les condoléances les plus
émues à la famille du Dr. Yves-Alexandre Chouala et à tout le monde qui l'avait
connu. C'est une perte immense pour sa famille et pour notre communauté. Un
jeune chercheur dévoué pour son travail. Ses contributions pour l’avancement du
savoir scientifique sont rayonnantes.
Que son Âme repose éternellement en paix.

Professeur Achille Mbembe (Université de Witts, Johannesbourg,


Afrique du Sud)

J'apprends, avec amertume, la nouvelle du décès de Yves que j'avais rencontré


lors de mon passage au CODESRIA et dont le dynamisme m'avait
singulièrement frappé. C'était il y a longtemps. J'ai, par la suite, suivi ses
travaux et ai toujours trouvé dans ses écrits des éclairages inattendus. Qu'il soit
tombé en pleine course, alors qu'il était sur le point de réaliser toutes ses
potentialités ne fait qu'ajouter au drame de la soudaine disparition de cet
homme généreux et attachant.
Antang Yamo

Professeur Claude Abé (Faculté des Sciences Sociales et de Gestion,


Université Catholique d’Afrique centrale, Yaoundé, Cameroun)

Yves restera pour moi un génie travaillé en profondeur par l’humilité et


l’acharnement au travail adossé sur un esprit vif et ouvert, tant à l’autre qu’à la
confrontation avec les préoccupations scientifiques dont la complexité n’a d’égal
que leur intérêt pour la conduite des enjeux qui structurent les sociétés
africaines. Cette générosité intellectuelle jusqu’à la frugalité nous manquera tout
en interpellant chaque jour notre cheminement de chercheur.

Professeur Yves Paul Mandjem (Agrégé de science politique, IRIC-


GRAPS, Université de Yaoundé II, Cameroun)
Pour accomplir de grandes choses sur terre, il faut vivre comme si demain nous
allons mourir. Dans les multiples facettes de la vie de l'homme (diplomatique et
académique), le Dr. Yves-Alexandre Chouala s'est comporté comme un messager,
un émissaire, un envoyé spécial, et surtout comme un plénipotentiaire. Il a
défendu avec beaucoup d'élégance et de détermination les intérêts du Cameroun
et a œuvré avec beaucoup d'ingéniosité, de rigueur, et de générosité au
développement de la science politique au Cameroun. Titulaire de la première
Thèse de science politique, option relations internationales, Yves-Alexandre
Chouala de par son itinéraire intellectuel, était un concentré
d’interdisciplinarité. Je retiens de lui qu'il était un sociologue aguerri, un
politiste brillant et prolixe, un internationaliste avisé. Sa mort est une perte
considérable pour la science politique en Afrique, à un moment où il avait
certainement atteint la phase de félicité. Comme tout émissaire, tout messager,
sa mort est une invitation à poursuivre le combat, le bon combat, celui du
développement d'une discipline qu'il a aimé jusqu'à la dernière minute et que
nous aimons tous.
Que la terre de nos ancêtres lui soit légère.

Professeure Nadine Machikou Ndzesop (Université de Yaoundé II et


Institut Supérieur de Management Public, Yaoundé, Cameroun)
Quelle perte immense, quel sort funeste, que celui de cet aîné qui a largement
participé à la construction d’un lieu pour la science politique camerounaise. Il a
contribué à l’institutionnalisation de notre discipline grâce à son investissement
notamment dans la valorisation scientifique. Ses différentes publications
témoignent de la très haute ambition qu’il portait pour lui-même et pour notre

240 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala (1968-2015)

discipline. Je tiens à saluer en particulier les lignes épistémiques qu’il a esquissé


pour l’analyse des politiques publiques en Afrique. Je me souviens de
l’universitaire diplomate (peu importe l’ordre), discret et incroyablement efficace.
Un inventaire exhaustif de sa contribution scientifique me semble impossible et
je voudrais affirmer ici mon profond respect et l’impérieuse nécessité de
perpétuer sa mémoire.
Souhaitons-lui une quiétude éternelle et que le Seigneur console sa famille
biologique et scientifique.

Professeure Marie Thérèse Mengue (Faculté des Sciences Sociales et de


Gestion, Université Catholique d’Afrique centrale, Yaoundé, Cameroun)

C'est vraiment une triste nouvelle. Le Docteur Yves-Alexandre Chouala était


vraiment un bon enseignant, un chercheur remarquable. C'est une perte pour
l'Afrique, pour le Cameroun et pour l'UCAC. Que son âme repose en paix.

Professeur Honoré Mimche (Maitre de conférences en Sociologie,


IFORD, Université de Yaoundé II, Cameroun)
Lorsque j’arrive à l’Université de Yaoundé I en octobre 1993, comme jeune
étudiant de Sociologie, j’ai rapidement eu le plaisir de découvrir au Cercle Philo-
Psycho-Socio-Antropo (CPPSA), alors situé dans l’actuel bâtiment qui abrite
l’AUF, un jeune aîné étudiant de philosophie quatrième année, toujours assidu
dans ses lectures dans la petite salle qui abrite ce café scientifique.
Mon cher Yves-Alexandre, tu nous quittes au moment où nous nous y attendions
le moins et où la communauté scientifique attendait encre beaucoup de toi. Je
sais que tu avais beaucoup de choses à nous faire lire dans tes tiroirs ou ton
disque dur et dont ton départ, si brutal, risque de nous sevrer.
Professeur, puisque tu y aspirais, voyage en paix !
Que la terre de nos ancêtres te soit légère !

Dr. André-Marie Yinda Yinda (Universitaire, Bruxelles, Belgique)


Yves-Alexandre Chouala était, c'est indiscutable, un universitaire brillant et un
diplomate compétent. Reconnu par ses pairs tant au niveau national
qu'international, ses publications et distinctions témoignent d'une aura
académique et diplomatique qui en faisait l'une des étoiles montantes de la
science politique africaine contemporaine. Par-delà sa ténacité et son ardeur au
Antang Yamo

travail, il a, très tôt, toujours su faire preuve d'une fine intelligence politique
largement tributaire d'une solide assise philosophique. Malgré tout le confort de
cette reconnaissance, le Docteur Yves-Alexandre Chouala laisse derrière lui
l'image d'un être humble, serviable, affable, généreux et volontiers bon vivant. Il
pratiquait l'auto-dérision avec un inégalable sens de l'humour. Je le revois
encore, lors de son dernier passage ici en Belgique, souriant, se moquant
gentiment des dérives universitaires bien de chez nous, nous entraînant ainsi
dans un moment d'hilarité dont lui seul avait le secret. Plus que d'un éminent
collègue, je voudrais partager le souvenir d'une connivence humaine et
fraternelle brève mais d'une exceptionnelle densité.

Dr. Joseph Keutcheu, Ph.D, Science politique (FSJP, Université de


Dschang)
Je suis simplement atterré depuis que j'ai appris le décès de cet aîné pour qui
nous avions admiration et respect. Grâce à lui, grâce à l'admiration que je lui
vouais alors que j'étais étudiant, grâce à l'envie d'être comme lui, je me suis
retrouvé dans le métier d'enseignant-chercheur en science politique. Yves laisse
un grand vide dans la Société camerounaise de science politique.

Monsieur Patrice Bigombé Logo (GRAPS, Université de Yaoundé II,


Société Camerounaise de Science Politique, Yaoundé, Cameroun)

La mort de Yves-Alexandre Chouala est une perte inestimable pour la science


politique au Cameroun et en Afrique. Chercheur rigoureux, fécond et prolixe,
Yves Alexandre peut être considéré comme l'un des meilleurs politistes de sa
génération sur le continent.

Professeur Mohamed Djouldem (Université de Montpellier, France)

Je suis profondément bouleversé par la disparition de notre collègue Yves-


Alexandre Chouala. C'est une terrible mauvaise nouvelle pour la science
politique africaine et camerounaise. Nous perdons un grand spécialiste, aux
qualités scientifiques et humaines remarquables, un enseignant-chercheur
sérieux, rigoureux et exigeant, dont la contribution à la compréhension
théoriquement ancrée du politique en action en Afrique est capitale. Je présente

242 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala (1968-2015)

mes profondes condoléances à sa famille, ses amis, collègues et à l'association


camerounaise de science politique.

Monsieur Abelin Fonkoué (Department of Humanities, Michigan


Technological University)
Yves Alexandre fut pour moi un modèle, avant de devenir un ami. Il ouvrait sa
porte, donnait de son temps, aidait sans compter. Il était un ami comme on en
voit peu. Qu’il nous manquera ! Par son altruisme et son ardeur au travail, Yves
était un véritable modèle pour moi. C’est ce legs que je garderai de lui, et
honorerai.

Monsieur Ibrahim Linjouom


Ma douleur est profonde et les mots me manquent pour t’exprimer toute ma
gratitude d’avoir été ton assistant de recherche. Tu as été pour moi un maître et
un parent. Tu étais le chercheur dont j’ai rêvé être à tes côtés et les circonstances
nous ont rapproché. Tu es celui qui m’a montré le chemin de la recherche
scientifique et m’a permis de me frotter aux critiques scientifiques
internationales. Je suis inconsolable. Depuis que tu es parti, je ne cesse de
pleurer car j’avais fondé mes espoirs scientifiques en toi. Tu étais un érudit. Tu
resteras un exemple pour moi et je ne te décevrai point. Je vais continuer toutes
nos entreprises de recherches. Que Dieu daigne t’accueillir dans sa maison et
que ton âme repose en paix. Adieu, prof., tu me manqueras à jamais.

Monsieur Charly Delmas Nguefack Tsafack,


Ton assistant de recherche
Cher Maître, je t’ai connu depuis le Cercle Philo-Psycho-Socio-Anthropo de
l’Université de Yaoundé I que j’ai eu l’honneur de présider comme toi, lorsque tu
fus étudiant de cette Université. Je t’ai admiré, j’ai voulu être comme toi, tu m’as
encouragé puis je suis entré à l’IRIC. Tu m’as juché sur tes épaules pour me
permettre de voir plus loin. Tu m’as ouvert tant de perspectives. Tu as semé tant
de graines. Vas et repose en paix car tes œuvres resteront. Adieu cher Maître.

Monsieur Bihina (MINREX, Yaoundé)


Antang Yamo

Le maître s’en est allé. O mort où est donc ta victoire ? Grand prof., le Cameroun
et toute l’Afrique te pleurent. Tous tes élèves te pleurent déjà. Combien de
jeunes Camerounais, d’Africains ne bénéficieront plus de tes enseignements, de
ta rigueur épistémologique ? Est-ce donc ainsi que s’achève grand professeur ta
lourde mission d’analyste des faits sociaux internationalistes, d’éveilleur et
veilleur des consciences, de Pigmalion qui lutte contre tous ceux qui ont choisi
l’obscurité comme mode de vie et l’ignorance ? A la fin, mon maître, tu étais un
esprit qui émerge, scintille en marquant son temps, puis monte dans les cimes de
l’immortalité humaine en laissant les pauvres humains gager sur son passage
dans l’univers.
Repose en paix mon Maître.

Les collègues et les collaborateurs de Yves-Alexandre Chouala ont, à la suite de


l’annonce du décès de celui avec qui, professionnellement ont collaboré, tenu à
témoigner leur reconnaissance à son égard. Il s’agit de :

Témoignages amicaux et familiaux

Les amis et les membres de la famille de Yves-Alexandre Chouala ont chacun en


ce qui les concerne, tenu à manifester leur reconnaissance à l’endroit de celui
qu’ils avaient, durant leur vie, admiration et sympathie. Ils l’ont exprimé à
travers ces quelques propos :

LEDAF (Dr. Armand Leka Essomba, Université de Yaoundé I,


Cameroun)

Devant le tombeau qui s’ouvre, pour ensevelir celui qui m’avait pris comme son
petit frère d’adoption, depuis 1995, il y aura sans doute un corps inerte. Mais, je
connaissais cet homme : Yves Alexandre Chouala. Il n’est pas mort. Sa
silhouette ne sera plus visible ; sa voix désormais sera inaudible ; il ne pourra
plus serrer la main de qui que ce soit. Pourtant, face à la sècheresse de cette
évidence, je reste accroché à une ultime consolation : Cet homme n’est pas
mort. Très cher frère Yves, accepte ma gratitude pour ces traces d’esprit, de
générosité, d’affection et d’humilité, mais aussi d’humanité partagées, semées et
léguées. Ce sont ces traces qui m’obligent à contester la vieille phrase prêtée à

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Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala (1968-2015)

Salomon dans le texte biblique : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Non…,
tout n’est pas vanité.

Monsieur Louis-Marie Magloire Nkoum-Me-Ntseny (Services du


Premier Ministre, Yaoundé)

Mon Cher Yves, en Toi Nous perdons un esprit vif, avisé, inventif et fécond ;
mais particulièrement modeste, sobre, discret et efficace. Quelques images fortes
resteront gravées dans ma mémoire, notamment :
1- ce jour où notre Frère Oloum Cyriac te conduit vers moi, se réjouissant de
ce qu’en Toi il a enfin trouvé un philosophe en herbe capable de relever en sa
compagnie le défi de l’émergence d’une génération dorée de philosophes
originaires de l’Est-Cameroun ;
2- à Ton admission à l’IRIC, alors que beaucoup ne perçoivent pas
l’importance de l’investissement intellectuel d’un futur diplomate, tu nous rejoins
au GRAPS où sous la houlette du Professeur Luc Sindjoun, tu as pleinement fait
honneur à la Science politique à travers enseignements et recherches. Ta
notoriété en ce domaine est avérée ;
3- encore plus saisissante est cette action emprunte de chaleur et de
fraternité le jour de ma soutenance de thèse à l’IRIC, Toi le Petit Frère, si
distant du protocole, tu as spontanément rallié le Comité d’Organisation pour
coordonner l’accueil et la mise en place des personnalités présentes au campus
de l’IRIC. Que dire d’autre Yves, si ce n’est qu’il n’ya que des génies et des gens
sincères et généreux qui sont précocement arrachés à la vie, sans doute pour que
la postérité garde d’eux cette image.
Que Ton âme repose en paix alors que Ton Œuvre immense innerve et inspire les
générations futures.

Paul Armand Ntogue (Libreville, Gabon)

Mon cher ami,


« Quelque soit ce que je suis devenu aujourd’hui, je n’oublie pas d’où je viens » me
lançait-il en juillet dernier à Libreville. Une haute personnalité avec qui avait
été toute la soirée, venait de prendre congé de nous. Il m’invitait ainsi à nous
installer dans un espace moins…insolent, financièrement. Les amis gabonais qui
Antang Yamo

nous accompagnaient ce soir là, étaient glacés d’admiration devant tant de


simplicité et de générosité. « Docta » ou « Yvess » comme on l’appelait, c’était ça.

Dr. Atangana Kouna

Merci pour ta pugnacité et ta générosité intellectuelles. Ton élégance en tous


points nous manquera. Puisse ta mémoire être perpétuée à travers tes œuvres.

Monsieur Louis-Paul Soh

Le temps de la vie se mesure à ce qu’on en fait. Tu as rempli la tienne de bien de


choses meilleures. Reposes-toi en paix.

Monsieur Auguste Essomba Asse

Yves, tu étais la rose intellectuelle de notre génération. Et comme toute rose, ta


vie n’aura duré que le temps d’un matin. C’est le cœur serré que nous assistons,
impuissant et meurtri, à ton départ de la terre des hommes. Hélas. On ne
remplace pas un diamant de ton espèce. Repose en paix brave frère.

Monsieur Antang Yamo

Cher Yves, je ne te fais pas d’éloges en tant qu’universitaire, encore moins


diplomate dont les qualités et mérites sont incontestables. Je te rends hommage
en tant qu’aîné auprès de qui, durant les années passées ensemble, ma
personnalité sociale et scientifique s’est forgée. Que la terre de nos ancêtres te
soit légère.

GABES.

Tu m’appelais Choumba Me Tchampanda et moi je t’appelais M’Achiga. Tu


tenais à cette référence à nos géniteurs et plus globalement à nos valeurs
culturelles de «l’orientalie ». Intellectuel brillant et humble, Ami sincère de tous
les instants, Frère comme il en existe peu de nos jours…puisse Dieu t’accueillir
dans sa félicité et sa paix.

246 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala (1968-2015)

RIP Moamaye.

Monsieur Alain Ganke, Président de l’ASEEEC (1997-1999)


Cher Yves,
Ce deuil brutal qui frappe la jeunesse de l’Est, enlève à jamais l’une de ses
fiertés. L’ASEEC perd un frère, un conseiller, un sage, un ami affable, fidèle et
sincère. Dr. Yves Alexandre Chouala, à travers l’ASEEC, nous avons entrepris
ensemble, d’œuvrer à l’édification à l’Est d’une Jeunesse ambitieuse, responsable
dynamique et intègre. Le destin en a décidé autrement.
Ton slogan « union des cœurs, des corps et des esprits », lancé au Congrès de
Bertoua en août 1997, reste le meilleur héritage que tu lègues à tes jeunes frères
que tu as tant aimé, de toutes tes forces.
Dr. Chouala Yves Alexandre, tu resteras à Jamais dans nos mémoires. La
Jeunesse orientale toute entière, de la Boumba et Ngoko, de la Kadey, du Lom et
Djérem et du Haut-Nyon, souhaite que la terre de nos ancêtres te soit légère. A
Dieu mon frère.

Adieu Moamaye !
Pour tes frères de Nkoul Tsieli,
Le Président, Daniel Lono Miasse

Comme un météore

« Kogogogo’ooo, Moamaye, M’Achiga, Docta, Prof, Excellence, » de là où tu


te trouves, tu vas te reconnaître dans ces appellations qui nous étaient
familières. Ces petits noms, marques particulières de notre fraternité vont
désormais nous manquer.
Tu perçois certainement la grande tristesse, la peine et le désarroi qui nous
hantent au moment où nous t’adressons ces paroles, tant nous n’imaginions pas
que tu nous quitterais si précocement. Tu avais encore beaucoup de choses à
donner au groupe Nkoul Tsièli, ainsi qu’à notre pays dont tu étais fier
d’appartenir. Erudit de la tradition et théoricien éclairé de la pensée
contemporaine, tu as su mener ta vie dans une parfaite symbiose de tradition, de
science et de modernisme.
Le groupe « Nkoul Tsieli » dont tu as été l’un des fondateurs (Founding Father,
pour reprendre une des expressions que tu affectionnais) s’abreuvait à ta
sagesse, aux orientations pertinentes que tu suggérais et à la clairvoyance qui te
Antang Yamo

caractérisait. A présent que tu quittes trop tôt le navire en nous laissant


orphelins, l’affliction et le chagrin sont grands. Nous nous sentons désorientés et
désemparés, à l’exemple d’un soldat coupé de sa logistique, tant nos rêves, nos
idéaux et surtout les projets et les ambitions que nous partagions ne sont pas
encore atteints. Quelle perte pour notre groupe !
Comme un météore, tu nous as illuminés le temps d’un battement de paupière et
tu t’en es allé. Yves ! Citoyen du monde, tu nous manqueras à jamais. Tu nous
laisses sans voix. Nous ne pourrions dire ici le dixième de nos histoires,
aventures et mésaventures communes dans tant elles sont nombreuses et
diversifiées.
Seulement, dans la poursuite de notre cheminement, ta mémoire sera à jamais
présente.

Dr. TSITSOL et Madame

Excellence,
Tu as symbolisé pour nous, au plus haut degré, l’altruisme, l’objectivité, la
sociabilité, la rigueur. Et tu as enjolivé toutes ces qualités d’un sourire sincère,
signe de ton amour pour les autres.
De plus, tes grands diplômes universitaires et tes hautes fonctions exercées ici et
là ne t’ont pas détaché de la société.
Tu t’en vas à la fleur de l’âge, abandonnant tes multiples chantiers inachevés.
Que le Tout-Puissant t’accueille dans son royaume. Nous ne t’oublierons jamais.

Tes sœurs (Rachel, Sara, Marguerite, Juliette et Eloïse)

Nous t’avons appelé grand Yves depuis ton enfance, tu représentais notre père,
toujours prompt à réagir quand tu étais sollicité. Pilier de toute la famille,
rassembleur, tu étais l’incarnation de l’amour, de la paix, de la tolérance et de la
simplicité. Tu laisses un vide qu’on ne saurait combler. Que ton âme repose en
paix.

Tes neveux et nièces (Raoul, Léa, Hermann et Vincent)

Tonton Yves,

C’est ainsi que nous t’appelions affectueusement. Tu as été et tu resteras pour


nous une source de sagesse, d’amour et d’humilité. Ces valeurs d’excellence

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Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala (1968-2015)

académique et du travail bien fait que tu nous as inculquées resteront notre


héritage que nous transmettrons à nos enfants. Repose en paix Papa.

Tes enfants (Patrick, Alexandra, Manuella et Warren)

Papa, tu étais pour nous un ami, un conseiller gentil et aimable. Ta disparition


laisse un grand vide dans notre famille et dans nos cœurs. Que ton âme repose
en paix. Nous ne t’oublierons jamais.

Your Wife, Vivian CHOUALA

A Life of Surprises

Darling, as I fondly called you, your life has been a series of surprises to me but
your sudden disappearance remains the biggest of all. I wish you could come
back to tell me what really happened as you often did when I talked most of the
times without a response and you would eventually talk when I least expected.
Life is really a mystery. One thing I want to acknowledge here is making me
realize that after all I was a woman and that I needed a man and you alone
could be that man.
Patience is a virtue and you were a man of great patience which you showed in
our four years long period of courtship which culminated in our pre-honey moon
in Burgers Park and finally our marriage. Thank you for the patience and
endurance towards my child-like outbursts and behavior which you bore
lovingly. You were a man of few words but with deep meaning whenever you
decided to speak. Thank you again for all the words of wisdom, and even for the
hard times because in them I learnt a lot. You leave me with lots of fond
memories, Yaoundé, Kribi, Libreville, Pretoria, Cairo, Paris, etc., which I will
cherish for a longtime. Many thanks for teaching me to talk to someone
cheerfully immediately after we had had a quarrel and to have a peaceful night
thereafter. You were one in a thousand that made me know I was a woman after
all and needed a strong manly figure in my life that you were.
I will miss your fun and jokes which very few people knew about, the fine head
with a rich brain full of knowledge in several domains. But what makes me
proud is that you penned downed most of them in highly recognized and famous
Antang Yamo

international journals and your latest publication on Cameroon’s Foreign Policy


will make posterity know you lived and made an impact.
Go in Peace and may my loving mother in-law your sweet mom welcome you and
usher you into our Lord’s presence. May God Almighty forgive your
transgressions and weaknesses and receive you into his kingdom.

Mrs Ewang Mado

Yves, the blow is too heavy; it looks like a dream, but a bitter truth. It had to
happen that way; it’s so hard to believe that you are gone so soon, at this early
age. You were such a brave husband and friend. Between you and your wife
(Vivian), it’s the Almighty God who sees, knows and understands the intensions
of a man’s heart, and He always knows how to act accordingly. You were a
humble, quiet and peace loving man. However, God has your file in his hands.
The last time I came to your village was during the death of your mum. You
were so receptive and promised we will come back for a happy event. Yves you’ve
made us to come again in another sad mood. Why? Even though we may be sad,
we are happy to know you are resting in the bossom of the Lord, to Him we give
glory. Thank you for the love and care you showed to us although it was short-
lived especially as you left us without saying good-bye. You will continue to
remain lovely in our hearts. We love you but God loves you most. Rest in peace.
Pray for us Yves as we pray for you, Adieu Yves till we meet to part no
more.
Priscilla Song. (Friends and Witness during council wedding) .

Yves we will miss you but go.

Yves, When You came to the end of the road, and the sun set for you, You
wanted no rites in a gloom-filled room. Why cry for a soul set free ?

We will Miss you a little-but not too long And not with your head bowed low.

Remember the love that you once shared with Vivian, that faithful day in
Njinikom, when you and Vivian were to seal your love deal, I was there not only
as an onlooker, but you handed the pen to me, to include my signature on your
marriage Certificate as witness, I did it with all joy. I have been one of those
who saw you with Vivian from the day you started making advances to her, till
the day she said Yes to your requests, Yves I didn’t know that Marriage

250 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala (1968-2015)

certificate will one day expire, I was touched when you told Vivian your beloved
to change the lipstick she used that morning and use the colours that you love,
and like an obedient wife as she has been, she did it for you with all love, she
looked at you into your eyes and saw nothing but love. We Miss you --but we
will let you go. For this is a journey that we all must take, And each must go
alone. It's all a part of the Master's plan, A step on the road to home. When
Vivian is lonely and sick of heart she will Go to the friends you knew And bury
her sorrows in doing good deeds. We will Miss You and your intelligence - But
Will Let You Go!

Celestina Bi Ngohchia (Sis-in-Law)

Yves, May your soul rest in peace. We, your inlaws were connected to you
through marriage. Before that union you were a friend and a brother. We all
loved you from the day you came into our family. That love will remain forever
dispite all odds. Yves ALexandre chouala was a fine gentleman to all those who
knew him. You spoke very little and only did so when you were excited. You were
buried to your books most the time and enjoyed travelling either for work or just
for touristic reasons. We will all miss you. We saw you battle with your illness,
you tried your best but the good Lord thought it was time to take you into his
heavenly kingdom.

Goodbye Yves.

Mbeng Mildred (Friend).

Confused, perplexed, shocked is the I felt when I got the news, past memories
crowded my mind especially of brilliant and successful career that has gone
down the drain. You were a man with exceptional qualities, abilities, capabilities
and capacities. I remember the jurvial and receptive manner in which you
welcomed me to your home in 2007 when I came visiting from South Africa. You
usually called me “Milret” each time we chatted which was so comic. Your
demise "bobe" as I fondly called you, particularly as a friend, brother and low
profiled person has left a big vaccum with so many unanswered questions. Death
indeed is really an inevitable bitter pill to swallo and only God knows best. Bobe
you shall forever remain in our hearts and prayers, and I am sure the good Lord
whom you so faithfully served will welcome you in the land of no return.
Adieu Bobe.
Antang Yamo

Gisou

I still vividly remember the time and date the painful announcement of your
disappearance got to me, while I was about to enter the class to give an
information session to students session OH My God I screamed, cried and yet a
thousand of those were not enough to bring you back to life for God who is the
author and finisher of our lives had already said his final word. Tonton what
happened? What went wrong? Where have you gone too? These are few among
the questions I asked and have still been asking you are gone with your few
words and your unpredictable and calm nature. May the host of heavenly angels
welcome you to the Lord’s bossom. We will miss you. Forever in our Hearts.

Adieu Tonton.

Ben and Family

Docta, it was a shocking news that came to me on the 29th of January about
your journey to the land of no return of which I refused to accept it. I picked up
my phone and dialed your number and it was not going through. My family and I
are trying to accept that you are no longer with us. It is such a great loss to both
families but we only have to accept that you are gone to prepare a place for us till
we meet again to part no more. We loved you but God loved you most.

Bye bye Docta.

252 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Curriculum Vitae du Dr Yves Alexandre Chouala

Nom : Chouala
Prénoms : Yves Alexandre
Date de naissance : 19 mai 1968
Nationalité : Camerounaise
Région : Est
Département : Haut-Nyong
Arrondissement : Angossas
Fonction : Enseignant & Chercheur

Position actuelle :
• Enseignant à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC)
• Chargé de Cours Associé à l’Université Catholique d’Afrique Centrale
• Chargé de recherches, Groupe de Recherches Administratives, Politiques et
Sociale (GRAPS), Université de Yaoundé II
• Vice Président pour l´Afrique Centrale de l´Association Africaine de Science
Politique

Adresse Permanente : B. P : 1637 Yaoundé


Téléphone personnel : (00237) 7789 97 14
Courrier électronique : ychouala @yahoo.fr

TITRES UNIVERSITAIRES
• Habilité à Diriger des Recherches (HDR), titre de la thèse : «De la
relativisation des monopoles régaliens à la transnationalisation de la vie
internationale : une trajectoire de recherche à partir du terrain africain »,
Jury : Président : Bertrand Badie, Rapporteurs : Alain Didier Olinga,
Saïbou Issa, Membres : Jean Emmanuel Pondi, Luc Sindjoun (Directeur des
travaux), Date : 14 avril 2010, Université de Yaoundé II-Soa
• Docteur en Science Politique, titre de la thèse : "L’interétatisme dans le
Golfe de Guinée : Contribution du champ à la sociologie des relations
internationales", Jury : Président : Bertrand Badie, Rapporteur : Luc
Sindjoun, Membres : Augustin Kontchou Kouomegni, Jean Emannuel
Pondi, Narcisse Kombi Mouelle, Mention : Très Honorable avec Félicitations
du Jury. Date : 26 octobre 2003, Université de Yaoundé II-Soa

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• Docteur de 3ème Cycle en Relations internationales, Titre de la thèse :
"Désordre et ordre dans l’Afrique centrale actuelle. Démocratisation,
conflictualisation et transitions géostratégiques régionales", Jury :
Président : Bertrand Badie Rapporteur : Luc Sindjoun, Membres : Tessy
Bakary, Jean Emmanuel Pondi, Mention : Très Bien avec Félicitations du
Jury, Date : 25 janvier 2000, Institut des Relations Internationales du
Cameroun.
• Maîtrise de Philosophie (spécialisation : philosophie comparée)
• Licence de Philosophie (spécialisation : pensée africaine)

ACTIVITES DE RECHERCHE
2003-2004 : Chercheur invité, Centre d’Etude d’Afrique Noire, Institut d’Etudes
Politiques, Université de Bordeaux IV, France
2003-2004 : Conférencier invité à l’Ecole d’Etat Major de Libreville, Gabon
2002: Guest Research Fellow, African Institute of South Africa, Pretoria
2008 : Conférencier au Cours Supérieur Inter armé de Défense (CSID), Yaoundé

BOURSES ET SUBVENTIONS
2004 : Lauréat, subvention de recherche de la World Society Foundation,
(Zurich)
2004 : Fellow de la Harry Frank Guggenheim Foundation, New York
2003 : Boursier de l’Agence Universitaire de la Francophonie (Bourse
d’Excellence)
2002 : Lauréat, Campus Annuel des Sciences Sociales, CODESRIA
2001 : Fellow de la Harry Frank Guggenheim Foundation, New-York
1999 : Lauréat, Institut de Gouvernance, CODESRIA
1998 : Lauréat Programme de Petites Subventions pour Mémoires et Thèses du
CODESRIA

ANIMATION SCIENTIFIQUE
• Directeur du panel sur "Démocratisation, conflits et sorties de crises en
Afrique : le cas de l’Afrique centrale", Congrès de l’Association
Internationale de Science Politique, Durban, Juillet 2003
• Personne resource: African Association of Political Science/Harry Frank
Guggenheim Foundation Worksop on "Conflict over Natural Ressources »,
Yaoundé, avril 2004

254 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


ACTIVITES EDITORIALES
• Rédacteur en chef de POLIS. Revue Camerounaise de Science Politique
(Yaoundé)
• Membre du Conseil éditorial d’Alternatives Sud (Louvain-la-Neuve,
Belgique)
• Membre du Comité scientifique international de Revue internationale
Animation, territoires et pratiques socioculturelles (Université du Québec à
Montréal)
• Membre du Comité de rédaction de la Revue Camerounaise d’études
internationales (Yaoundé)

ENSEIGNEMENTS ET SEMINAIRES DISPENSES : (Institut des


Relations Internationales du Cameroun)

■ Conflits et résolution des conflits en Afrique/


Gestion des crises et des situations d’urgence)
■ Méthodes de recherche
■ Organisations Economiques Régionales Africaines

(Université Catholique d’Afrique Centrale)


■ Relations internationales
■ Carrières internationales
■ Géopolitique internationale

Cours Supérieur Interarmées de Défense de Yaoundé (CSID)


■ Typologie des menaces endogènes et exogènes an Afrique

TRAVAUX PUBLIES
OUVRAGES

La politique extérieure du Cameroun. Doctrine, acteurs, processus et dynamiques


régionales, Paris, Karthala, à paraître en mai 2014

I - CONTRIBUTIONS A OUVRAGES COLLECTIFS :

■ 2010 : « The Gulf of Guinea in the New American Century Project : A New Oil
Heartland? », in Malinda Smith, ed., Securing Africa. Post-9/11 Discourses on
Terrorism, University of Alberta, Canada, 2010

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■ 2008 : « Regional relations and conflicts situations in Central Africa », in
Chrysantus Ayangafack, ed., Political Economy of Regionalism in Central Africa,
ISS Monograph Series, Nov. 2008, pp. 67-77
■ 2008: « Société civile et développement communautaire au Cameroun:
éléments pour une appréciation critique », in Mariana Christen Jacob et Judith
Richmind, eds, Community Development : Local and Global Challenges, Genève,
Labor et Fides, 2008
■ 2007: « The Chad-Cameroon Pipeline and the Remaking of World Soceity in
Central Africa » dans Mark Herkenrath (Ed), The Regional and Local Shaping of
World Soceity, World Society Studies 2007/II, Zurich, LIT VERLAG, 2007, pp.
205-233
■ 2007: « Cameroon: Is its civil society ‘tainted’? », dans François Polet (Ed), The
State of Resistance. Popular Struggles in the Global South, London & New York,
Zed Books, 2007, pp. 135-138
■ 2007 : « La Libye, l’Afrique et l’Europe. L’enjeu africain dans les déterminants
de la politique libyenne de l’Europe », dans Nadir Marouf (dir), Les identités
régionales et la dialectique Sud-Sud en question, Dakar, Codesria, 2007, pp. 127-
148
■ 2004 : « L’installation des camerounais au Gabon et en Guinée Equatoriale :
Les dynamiques originales d’exportation de l’Etat d’origine », in Luc Sindjoun
(dir), Etats, Réseaux Et Individus Dans Les Relations Internationales Africaines,
Paris Karthala
■ 2004 : « L’action internationale de l’opposition : La transnationalisation de la
vie internationale camerounaise », in Luc Sindjoun, (dir), Comment peut-on être
opposant au Cameroun ? Politique parlementaire et politique autoritaire, Dakar,
Codesria, 2004, pp.295-330

II - ARTICLES DE REVUES AVEC COMITE DE LECTURE:

■ 2013 : « Le Cameroun dans les relations internationales : évolution et


projection », Revue Camerounaises d’Etudes Internationales, N° double, 1er et 2ème
Semestre 2013, pp. 189-213
■2013 : « Les villes africaines : foyers d’insécurité », Les Actes du Colloque sur
« Urbanisation et défis sécuritaires en Afrique », Ecole Supérieure Internationale
de Guerre (ESIG), Yaoundé, 2013, pp. 37-51
■ 2011 : « L’économie fiscale des transitions africaines. Eléments pour une
sociologie des luttes sociopolitiques autour de l’impôt », Polis. Revue
Camerounaise de Science Politique, Vol. 16, N°s 1&2, 2009, pp. 7- 37

256 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


■ 2010: « Post-Apartheid South Africa and Post-Genocide Rwanda: Comparing
the Socio- Political Life of Two Traumatic Memories », Africa Insight, (Prétoria)
Vol. 40, N° 3, Décembre 2010, pp. 116-129
■ 2010: « Les multilatéralismes en Afrique centrale : L’intégration régionale à
l’épreuve de la pluralité des communautés économiques régionales», Revue
Camerounaise d’Etudes Internationales, N° 003, 2ème trimestre 2010, pp. 37-57
■ 2007 : « Le champ sécuritaire africain : acteurs, enjeux et stratégies », Revue
Camerounaise d’Eudes Internationales, (Yaoundé) N° 001, 1er semestre 2007, pp.
43-63.
■ 2006 : « Ethique et politique internationale africaine du XXIe siècle : les
normes de civilité à l’épreuve du jeu réaliste des Etats », Politique et Sociétés,
(Montréal), Vol. 25, N° 2-3, pp. 183-217
■ 2006: « Patriotes rebelles. Légitimation et civilisation des luttes politiques
armées en Afrique », Revue Juridique et Politique des Etats Francophones
(Paris), Vol. 60, N° 4, pp. 560-584
■ 2005 : « La "belle famille" et la "famille élargie" : acteurs des violences
conjugales et domestiques dans les foyers camerounais », dans Boju, Jacjy et
Bruijn, Mirjam de, « Violences sociales & exclusions. Social Violence &
Exclusion », Le Bulletin APAD, N° 27-28, pp. 121-131
■ 2005 : « Puissance, résolution des conflits et sécurité collective à l’ère de
l’Union Africaine. Théorie et pratique », Annuaire Français des Relations
Internationales, Volume 5, (Paris), Mai
■ 2005 : « La crise diplomatique de mars 2004 entre le Cameroun et la Guinée
Equatoriale : fondements, enjeux et perspectives », Polis. Revue Camerounaise de
Science Politique, (Yaoundé) Vol. 12, Numéro spécial, pp.155 - 175
■ 2004 : « Quelles armées pour la démocratie en Afrique ? », Revue Défense
nationale (Paris) N°11, Novembre
■ 2004 : « Contribution de l’armée au jeu démocratique en Afrique », Revue
Juridique et Politique du monde francophone (Paris), Vol. 58, N° 4, octobre-
décembre, pp. 548-574
■ 2003 : « L’Afrique dans le nouveau partenariat international. Enjeux de
civilisation et de puissance », Revue Etudes Internationales, (Québec), Vol.
XXXIV, N° 1, Mars 2003, pp.53-78
■ 2002 : « Le paradigme du champ à l’épreuve de l’analyse internationaliste »,
Revue Internationale de Sociologie, (Rome), Vol. 12, N° 3, 2002, pp. 521-544

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 257


■ 2002 : « Galanterie masculine et «aliénation objective » de la femme : La
légitimation féminine d’un «habitus androcentrique » », Polis. Revue
Camerounaise de Science Politique, (Yaoundé), Vol. 9, Numéro spécial, 2002,
pp.153-175
■ 2001 : « Conjoncture sécuritaire, champ étatique et ordre politique au
Cameroun. Eléments d’analyse anthropo-politiste d’une crise de l’encadrement
sécuritaire et d’un encadrement sécuritaire de crise », Polis, Revue Camerounaise
de Science Politique, (Yaoundé), Vol. 8, Numéro spécial, 2001, pp.19-64
■2000 : « La paix réaliste : idéologie, construction politique et normativité
transcendantale. Sortir de l’illusion anthropo-philosophique », Dialogue et
Réconciliation. Revue Scientifique du Service Œcuménique pour la Paix,
(Yaoundé), N° 001, 2ème Semestre 2000, pp. 107-115

III - NOTES DE RECHERCHE

■ 2005: « Violence, Security and State in Cameroon and South Africa: State De-
monopolization of Organised Violence and Privatisation of Public Security’ AAPS
Occasional Paper Series, (Pretoria) Vol. 10, N° 2, 46p

IV- AUTRES PUBLICATIONS

■ 2003 : « Le point de vue d’Yves Alexandre Chouala », in « Autour d’un livre. De


la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine
d’Achille Mbembe », Politique Africaine, (Paris) N° 91, Octobre 2003, pp.181-184
■ 2002 : « Le marquage diasporique du jeu interétatique du Golfe de Guinée
(Cameroun, Gabon, Guinée Equatoriale) », Enjeux. Bulletin d’Analyses
Géopolitiques pour l’Afrique Centrale, (Yaoundé), n°13, Oct.-Déc. 2002, pp. 21-23
■ 2001 : « Criminalité organisée et insécurité au Cameroun », in « Le crime
organisé en Afrique centrale », Enjeux. Bulletin d’Analyses Géopolitiques pour
l’Afrique Centrale, (Yaoundé) n° 09, Oct-Déc. 2001, pp .11-13
■ 1998 : « Sorcellerie et Etat Post-colonial. Les ombres du discours de Peter
Geshiere », La Minerve. Une Publication du Cercle Philo-Psycho-Socio-Anthropo
de l’Université de Yaoundé I, Décembre 1998.

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V- TRAVAUX EN COURS DE PARUTION

■ « La construction de l’Etat démocratico-développeur au Cameroun », in


Mustapha Al Sayeed & Omano Edighedi, eds, The Democratic Developmental
State in Africa
■ « La politique des opérations de maintien de la paix en Afrique centrale : la
stratégie a l’épreuve de la tactique », EIFORCES, Yaoundé
■ « La redéfinition des frontières d’influence des grandes puissances en Afrique »,
Ecole Supérieure Internationale de Guerre, Yaoundé

VI- TRAVAUX EN COURS


■ « La diplomatie préventive en Afrique centrale : les mécanismes a l’épreuve des
faits »
■ « Le régionalisme conflictuel en Afrique centrale »
■ « Les citoyens, la politique et les politiques : une vision comparative a partir
des politiques publiques »
■ Le Cameroun et les grandes puissances (sous la direction de)

VI- TRAVAUX INEDITS

■ «Vers un nouveau pôle de sens ? Analyse internationaliste des rapports entre


Démocratie et Développement en Afrique », Annales du Campus annuel sur les
sciences sociales du CODESRIA (Dakar)
■« Amilcar Cabral et les guerres civiles dans les pays lusophones d’Afrique »,
Contribution au Colloque international du CODESRIA sur ‘La Lusophonie en
Afrique : histoire, Démocratie et intégration africaine’, Maputo, Mozambique, 12-
14 mai 2005
■ « Commandement opérationnel, Droits de l’Homme et libertés publique au
Cameroun. Eléments pour une sociologie juridique de la suspension légale de
l’Etat de droit », contribution aux Journées scientifiques de Tunis sur "Lieux et
non-lieux du sujet de droit", organisées par le Réseau "Etat de droit saisi par la
philosophie" de l’Agence Universitaire de la Francophonie, 20-26 novembre 2004
■ "Facing Trnasnational Crime in Central Africa: The role of Civil Soeity ",
Contribution au Berlin Rountables on Transnationality, Janvier 2004
■ « Mondialisation, identité et racisme. Les principes identitaires et culturels de
vision et de classement de l’Afrique dans le nouvel ordre mondial »,
Communication présentée au 14ème Congrès de l’Association Africaine de Science
Politique, Durban, 26-28 Juin 2003

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 259


■ L’interétatisme dans le Golfe de Guinée. Contribution du champ à la sociologie
des relations internationales, Thèse de Doctorat en Science Politique, Université
de Yaoundé II-Soa, 2003
■ « L’Union Africaine et la gestion des conflits. Le défi de la mise en œuvre de la
puissance dans la gestion des conflits en Afrique », Texte préparé pour le
séminaire sur African Scholars’ Reflections on African Union, Tripoli, Libya, 11-
13 Septembre 2002
■ Désordre et ordre dans l’Afrique centrale actuelle. Démocratisation,
conflictualisation et transitions géostratégiques régionales, Thèse de Doctorat de
3ème cycle en Relations Internationales, Université de Yaoundé II, IRIC, 1999.
■ « La politique post-totalitaire en Afrique subsaharienne. Démocratisation et
capacité internationale des Etats africains à l’ère de la pensée unique », Mémoire
de DESS en Relations Internationales, Université de Yaoundé II, IRIC, 1998.
■ « La puissance dans les relations internationales africaines post-guerre
froide », Texte présenté à l’Assemblée Générale du Codesria, décembre
1998.Inédit.

VI- DIRECTION DES TRAVUX SCIENTIFIQUES

MEMOIRES
■ Ndolo Balock Sabine Vivianne, « Le chevauchement institutionnel et ses
incidences sur la vie internationale de l’Etat. Le cas de la Francophonie et du
Commonwealth au Cameroun », Mémoire de DESS en Relations internationales,
Université de Yaoundé II/IRIC, 2006-2007
■ Sommo Pende Achille, « L’intégration sous-régionale dans la zone CEMAC à
l’épreuve de la liberté de circulation des hommes et des biens », Mémoire de
Master en Sciences Sociales, Université Catholique d’Afrique Centrale », 2009-
2010
■ Nzeugang Alexis, « L’éthique dans la politique africaine des Etats Unis après
le 11 septembre 2001 », Mémoire de Master en Relations internationales,
Université de Yaoundé II/IRIC, 2010-2011
■ Beyala Corine Eliane, « La structure de l’insécurité en Afrique centrale »,
Mémoire de Master en Relations internationales, Université de Yaoundé II/IRIC,
2010-2011
■ Kouma Jean Cotin Gelin, « Le facteur culturel dans la coopération sino-
camerounaise : Le cas de l’implantation de l’Institut Confucius à l’Institut des
Relations Internationales du Cameroun (IRIC), Mémoire de Master en Relations
internationales, Université de Yaoundé II/IRIC, 2010-2011

260 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


■ Ngono Ahanda Carine Love, « La diplomatie non-gouvernementale et sa
contribution au rayonnement international du Cameroun. Le cas de "Synergies
Africaines" », Mémoire de Master en Relations internationales, Université de
Yaoundé II/IRIC, 2010-2011
■ Linjouom Ibrahim, « La diplomatie camerounaise dans le Golfe de Guinée »,
Mémoire de Master en Relations internationales, Université de Yaoundé II/IRIC,
2010-2011

VII - COLLOQUES ET CONFERENCES

■ 2013 : Participant au colloque du Réseau International de l’Animation sur


« Animation et intervention sociale : quels projets de sociétés ? », Paris, 29,30 et
31 octobre 2103
■ 2012 : Participant au Colloque sur « Enjeux et perspectives du Forum sur la
coopération sino-africaine », Institut des Relations Internationales du Cameroun,
26-27 juin 2012
■ 2011 : Participant au 5ème colloque international sur l’animation socioculturelle
« Culture, Education Et Citoyenneté », Université de Saragosse, 26-28 octobre
2011
■ 2011 : Participant au Colloque international « La diplomatie et l’action
internationale du Cameroun », Institut des Relations Internationales du
Cameroun, Yaoundé, 26-28 avril 2011
■ 2011 : Participant, Quatrième Congrès international du réseau francophone
des Associations de Science politique : « Être gouverné au 21e siècle », 20-24 avril
2011, Bruxelles, Belgique
■2009: Participant-Discutant, European Report on Development Workshop on
« Transforming Political Structures: Security, Institutions and Regional
Integration Mechanisms », Florence, Italy, 16-17 avril 2009
■ 2009: Participant colloque international « La concurrence des organisations
régionales en Afrique » organisé à l’Université Montesquieu – Bordeaux IV, 28 et
29 septembre 2009
■ 2009: Participant-Discutant, ERD Conference
■ 2008: Participant, Expert Roundtable on « The Central Africa Security
Complex: Policy Options and Recommendations », 28th and 29th April, Hotel
Mont Fébe, Yaoundé
■ 2008 : Participant, Séminaire International sur « La prévention des crises et la
gestion des conflits dans le cadre de la CEEAC », Yaoundé, Institut des Relations
Internationales du Cameroun

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 261


■ 2007 : Participant, 3ème Colloque international sur « L’animation culturelle.
Enjeux locaux et globaux », University of Applied Social Science, Lucerne,
Suisse, 26-28 septembre
■ 2007 : Participant, Conférence du 25ème anniversaire de la World Society
Foundation, Zurich, Suisse, 25-29 octobre
■ 2007 : Coorganisateur du séminaire international sur « Plate Forme Nord-Sud
d’échange des savoirs » avec la HSA Lucerne et la Word-Drive Association de
Zurich, Yaoundé, 5-10 Février 2007
■ 2006 : Participant, Conférence de Partners in Development and Center for
Policy Studies sur « The Democratic Developental State in Africa », Le Caire, 25-
26 novembre 2006
■ 2006 : Participant, Conférence de Parners in Development and Center for
Policy Studies sur « The Democratic Developental State in Africa »,
Johannesburg, Juillet 2006
■ 2006 : Participant au colloque sur “L’Afrique des politiques publiques: Banalité
de terrains ou illusions méthodologiques”, 3-4 mars 2006
■ 2006 : Participant, Colloque international sur “Modèles, fabrication et usages
de modèles dans l’analyse de l’Afrique de la mondialisation”, Bordeaux 3-4
février 2006
■ 2006: Participant au Séminaire international de SEPHIs sur “Memory and
Amnesia in the South: How Societies Process Traumatic Memories and Violence
and Conflict”, Dhaka, Bangladesh, 20-23 janvier 2006
■ 2005 : Participant, Colloque international du CODESRIA sur ‘La Lusophonie
en Afrique : histoire, Démocratie et intégration africaine’, Maputo, Mozambique,
12-14 mai 2005
■ 2004 : Participant, réunion du Forum social africain, Le Caire, 27-30 Juillet
■ 2004: Participant, Conférence de l’Association Africaine de Science Politique
sur le thème « Réponses africaines aux défis des conflits et de la gouvernance:
une décennie d’espoir », Yaoundé, 27-30 Juin 2004
■ 2004: Participant, Berlin Rountables on Transnationality, Berlin, 2-8 January
2004
■ 2003 : Participant, Conférence sous régionale du CODESRIA pour l’Afrique du
Nord sur « L’Afrique du Nord et le Panafricanisme : rétrospective et
perspective », Le Caire, 27-28 Septembre 2003
■ 2003 : Participant, Conference on Strengthening Democracy Through
NEPAD : The Role of African Civil Soceity, Electoral Institute of South Africa,
25-27 Mai 2003, Johannesburg, South Africa

262 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


■ 2003 : Participant, 14ème Congrès de l’Association Africaine de Science
Politique, 24-28 Juin 2003, Durban, South Africa
■ 2002 : Participant, Forum Social Africain, Bamako, Mali, 3-9 Janvier 2002
■ 2002: Participant, Civil Society Meeting on NEPAD, Durban, South Africa, 1-2
July.
■ 2002 : Participant, Campus annuel sur les sciences sociales, CODESRIA,
Dakar, 26-29 Novembre
■ 2002: Participant Forum Social Mondial, Porto Alegre, Brésil
■ 2002 : Participant Continental Expert Meeting on the Implementation of the
New Partnership for Africa’s Development (NEPAD), Pretoria, South Africa, 17-
19 June.
■ 2002 : Participant Third Mediterranean Social and Political Research Meeting,
Florence, Italy, 20-24 March 2002
■ 2001 : Participant, 13ème Congrès Biennal de l’Association Africaine de Science
Politique, Yaoundé, 19 - 21 Juin 2001
■ 2000 : Participant aux Rencontres Scientifiques Internationales de Yaoundé
sur «Rethinking African Politics and Africa in World Global Changes », 2-4 mai
2000.
■ 1999 : Participant au Séminaire de Méthode du CODESRIA pour les Jeunes
Chercheurs d’Afrique Centrale, Yaoundé, septembre 1999.
■ 1998 : Participant à l’Assemblée Générale du CODESRIA sur «Mondialisation
et Sciences sociales en Afrique », Dakar, décembre 1998.

VIII- INTERVENTION DANS LES MEDIAS

Articles de Journaux

■ « Géopolitique des guerres ethniques transnationales en Afrique : vers une


remise en cause de l’ordre d’Addis-Abeba », Impact Tribune. Bulletin trimestriel
d’analyses et de débats de la fondation panafricaine de lutte contre le tribalisme,
N° 15, Juillet - Août - Septembre 1999.
■ « Information et Ecologie : La récupération idéologique », Ecovox, Le Magazine
de l’Environnement et du Développement Durable, N° 10, Décembre 1996.
■ « Conflits et écologie en Afrique : La géopolitique d’un chaos », Ecovox, Le
Magazine de l’Environnement et du Développement Durable, N° 19, Juillet -
Septembre 1999.
■ « Pauvreté et conflits : La guerre du pain », Ecovox, Le Magazine de
L’Environnement et du Développement Durable, N° 21, Janvier - Mars 2000.

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016 263


■ « L’épouvantail de Sisyphe : Prétextes, contexte et complexe démocratique en
Afrique », (en collaboration avec Armand Félix Leka Essomba), La Vespérale.
Mensuel panafricain des droits de l’homme et du développement culturel, n°00,
octobre 2002
■ « Diasporas, Etats et citoyenneté dans le Golfe de Guinée » Le Quotidien
Mutations, Vendredi, 7 mai 2004

Intervention dans les radios nationales et internationales

■ Invité à l’émission "L’Afrique en dedans", Radio Siantou (Yaoundé) sur le


thème "La renaissance africaine" (avec Prof. Kegne Fouodop et Maldjam ma
Wandi), 2002
■ Invité à l’émission "Histoire d’Afrique" de Africa N° 1 (Libreville) sur le thème
« Contribution des armées au processus de démocratisation en Afrique), 13 mars
2004
■ Invité à l’émission "Intelligentsia", Radio ESSTIC, (Yaoundé) sur la crise des
relations diplomatiques entre le Cameroun et la Guinée Equatoriale, 9 avril
2004-05-13

Dernière mise à jour, novembre 2012

Dr Yves Alexandre CHOUALA

264 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 20, Numéros 1 & 2, 2015-2016


Sommaire
Vol. 20, Numéros 1&2
Années 2015 - 2016
Patrice Bigombé Logo et Yves-Paul Mandjem
Yves Alexandre Chouala,un météore iconoclaste de la science politique en Afrique
Yves Alexandre Chouala (+)
La stratégie sécuritaire régionale de lutte contre Boko Haram : dynamiques et
dissonances
Yves Paul Mandjem
Le maintien de la paix en Afrique : essai d’analyse politiste du procès de l’africa-
nisation de la gestion des conflits africains
Aïcha Pemboura
Les configurations de la culture stratégique Camerounaise : Essai de caractéri-
sation
Aristide Mebouf Mimbana et Patrice Bigombe Logo,
Les « alliés-rivaux » et « les adversaires-ennemis » dans le jeu politique Came-
rounais. Esquisse d’analyse de la construction historique de la rivalité politique.
Nadine Machikou
Les commémorations comme espace de subjectivation : la Journée Internationale
de la Femme et l’affirmation de soi
Claude Abé
Construction et dé (re) composition de la nation en postcolonie : discontinuités
et continuités des trajectoires et figures du vivre ensemble au Cameroun
Alawadi Zelao,
Les usages sociopolitiques de l’agro-industrie au Cameroun : dynamiques et réa-
lités dans l’exploitation du coton
Delmas Tsafack
L’Union Africaine et le maintien de la paix en Afrique : Bilan d’une décennie d’in-
tervention
Pélagie Chantal Belomo Essono
La science politique en Afrique : entre légitimation du pouvoir politique et re-
cherche d’une pensée cognitive

Antang Yamo
Les hommages au Dr. HDR Yves Alexandre Chouala (1968-2015) : la reconnais-
sance d’un universitaire brillant et d’un diplomate compétent

Curriculum vitae du Dr Yves Alexandre Chouala

I.S.B.N. 9956-18-000-9

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