Vivre Et Faire Vivre Son Territoire DEF
Vivre Et Faire Vivre Son Territoire DEF
Vivre Et Faire Vivre Son Territoire DEF
SON TERRITOIRE
Initiatives jeunesse et dynamiques de territoire
Mai 2010
-2-
Sommaire
4. Conclusion.....................................................................................................84
LES TERRITOIRES DU POLITIQUE ......................................................................180
Les dynamiques de développement territorial................................................180
L’espace public : du territoire de vie à l’espace du politique ........................182
Une politique de la reconnaissance .................................................................184
Conclusion .........................................................................................................184
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................186
-2-
AVANT PROPOS
Patricia LONCLE
Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique
Le rapport « Vivre et faire vivre son territoire» constitue une excellente initiative dans
la mesure où il se propose de réunir dans une même analyse les questions
d’agency, de ressource que constituent les jeunes et les questions d’approche
territoriale. La démarche est pour le moins originale : peu de travaux d’étude ou de
recherche sont consacrés dans notre pays aux contributions sociales et culturelles
des jeunes et encore moins à l’effet positif de leur présence dans les territoires.
Ce groupe de population apparaît, en effet, le plus souvent fustigé pour ses pratiques
et comportements, sa présence suscite rapidement l’inquiétude, voire la peur. Dans
les territoires, il est difficile de leur faire une place sans provoquer des mouvements
de rejet, parfois totalement irrationnels.
Les territoires, quant à eux, sont largement abordés sous l’angle institutionnel :
comment se structurent-ils ? quelles sont les forces en présence dans les
territoires ? quelles sont leurs caractéristiques socio-économiques ? Si un certain
nombre de travaux s’intéressent aux manières d’habiter, aux sentiments
d’appartenance, les jeunes sont peu mobilisés sous cet angle. Cette population est
en effet couramment envisagée comme étant avant tout mobile, mondialisée,
individualisée. Tout laisse penser que l’usage aisé que font les jeunes des nouvelles
technologies les éloignait de la pratique concrète du territoire.
Rompant avec ces traditions, l’étude « Vivre et faire vivre son territoire » propose une
image résolument positive des jeunes, de leurs productions et de leur ancrage
territorial. Pour ce faire, elle étaye son propos sur des études de cas et des
témoignages fouillés et libres de ton. Ce choix méthodologique rend l’administration
de la preuve très convaincante et la lecture infiniment vivante.
De plus, les pistes suggérées se révèlent particulièrement fructueuses pour les
décideurs, les professionnels et bien sûr les jeunes eux-mêmes. Parmi celles-ci nous
en retiendrons trois qui nous ont semblé particulièrement intéressantes :
- l’idée que les pratiques professionnelles peuvent se trouver interpellées par les
usages que les jeunes font des territoires, ce qui suggère un mouvement circulaire
possible entre jeunes et professionnels qui ne soit plus ancré sur des logiques
verticales héritées que les professionnels sont le plus souvent les premiers à
remettre en cause ;
- l’idée que les formes de l’engagement sont aujourd’hui plus difficiles à repérer que
par le passé, qu’elles sont plus labiles, plus délicates à circonscrire mais que
cependant, elles existent et sont le signe d’une résistance des jeunes à des
évolutions sociales qu’ils révoquent. Cette affirmation et les observations qui
s’ensuivent, non seulement procurent une image optimiste de ce que véhiculent les
jeunes, loin de leur individualisme supposé mais donne également à réfléchir aux
manières d’en tenir compte pour faire progresser la société dans son ensemble ;
- l’idée, qu’au-delà des représentations des uns (jeunes) et des autres (décideurs),
des dialogues puissent se nouer, voire même des partenariats, pour permettre de
renforcer, d’améliorer la vie dans les territoires.
Pour toutes ces raisons, l’étude « Vivre et faire vivre son territoire» apparaît
précieuse : elle renverse le regard et apporte une vision renouvelée et féconde des
deux protagonistes que sont les jeunes et les territoires.
30 mars 2010
INTRODUCTION :
Précisons quelque peu les choses : cette étude s’attache à comprendre certaines
initiatives portées par des jeunes et à déterminer quelles en sont les plus values pour
un territoire. La notion de territoire n’est pas ici secondaire, mais bien au cœur de la
réflexion. Agir sur son environnement peut prendre des formes diverses, répondre à
des intentions multiples qui ne s’arrêtent que rarement aux frontières administratives.
Les intentions, les volontés que portent ces jeunes sont bien souvent polymorphes et
perturbent les modes de lecture des pouvoirs publics. Il s’agit donc pour nous de
sortir des approches classiques de « l’initiative jeunesse » pour aller au plus proche
de l’expérience, du vécu, du ressenti aussi. C’est dans cette perspective qu’une large
part sera faite aux récits des acteurs de ces actions, associations, collectifs.
Nous avons construit notre approche sur une définition en creux de la jeunesse. En
effet, plutôt que de s’enfermer dans une catégorisation trop rigoriste, nous avons
souhaité comprendre ce « nouvel âge de la vie » comme un processus, un temps
dans lequel l’expérimentation est au cœur des trajectoires. La mise en lumière d’un
processus ne peut avoir de sens que si on peut en analyser des manifestations
concrètes. Cela implique une double précaution : il nous fallait observer des
expériences déjà engagées, et qui s’inscrivent dans le temps. Il sera donc fait état ici
d’actions inscrites dans des territoires (locaux) et qui possèdent une histoire plus ou
moins longue.
Un questionnement problématique
Notre démarche n’est pas anodine, et, travaillant dans le domaine de « l’initiative
jeunesse » depuis des années, nous avons identifié certaines questions qui nous
servent ici de problématique préalable. Notre recherche s’étant construite sur ces
éléments de réflexion, il nous semble « naturel » d’en faire part en introduction. Entre
constats et questionnements, nous livrons ici l’état de nos réflexions, que nous
savons partagées par un grand nombre d’individus concernés, et qui sont à l’origine
de notre étude.
Les jeunes participent à la vie locale en proposant des actions, en mettant en place
des projets innovants, impliquant les citoyens sur des problématiques locales. Ces
pratiques, souvent peu mises en lumière, interrogent profondément les modes de
participation citoyenne et invitent à une réflexion sur les transformations des rapports
entre les citoyens, les institutions et le territoire. Les nouvelles formes
d’engagements et de mobilisations des jeunes sont à bien des égards des pistes
prometteuses et constituent potentiellement un capital social et démocratique à venir.
étrangères. Il serait d’ailleurs plus juste de parler « d’empowerment » tant l’idée d’un
lien à l’environnement social et politique se centre sur une prise de pouvoir sur soi et
sur le monde. Une citoyenneté en acte en quelque sorte, qui consiste à rendre les
individus acteurs de leur propre vie et des actions portées sur leur environnement.
Mais les projets portés sont-ils un support permettant l’accès à cette nouvelle forme
de citoyenneté tant souhaitée par les jeunes ? Quel sens y projettent-ils ? Y voient-ils
une possibilité d’exercer leur citoyenneté ? En somme, ces actions sont-elles un
moyen pour atteindre l’engagement citoyen ou une fin en soi ?
On sait aujourd’hui que l’exercice de la citoyenneté des jeunes se construit sur une
dimension plus réduite que l’implication sur le territoire national. A ce titre, ces
expériences sont d’un intérêt majeur : sont-elles pensées comme une résolution
locale de problématiques sociales ?
Est-ce de la participation ?
Malgré cet intérêt profond de la jeunesse pour la transformation de son territoire, ces
actions sont très peu considérées comme de la participation citoyenne. Il convient
donc de se questionner sur la manière dont les acteurs historiques de la participation
citoyenne prennent en compte l’évolution des pratiques jeunes, comment ils laissent
une place à ces expériences. Il y a là, à n’en pas douter, une possibilité
d’enrichissement mutuelle importante.
C’est pourquoi il convient aujourd’hui de rendre visibles ces pratiques qui ont
longtemps été considérées comme périphériques, marginales ou simplement
méconnues pour en mesurer la profondeur, tant dans la construction individuelle des
jeunes vers une citoyenneté contemporaine que dans les effets collectifs que celle-ci
peut produire sur la scène publique. Nous ne doutons pas que la jeunesse
représente l’avenir d’une société, mais au-delà, qu’elle construise dès aujourd’hui cet
avenir. Ainsi nous faut-il prendre en compte cette construction pour éviter de
pérenniser une rupture de génération déjà à l’œuvre et pour ouvrir une véritable
réflexion sur le devenir de l’engagement citoyen.
Suivre des jeunes dans leurs trajectoires de prise d’initiative revient avant tout à
entrer dans une aventure parfois déconcertante mais toujours originale. Cela nous a
amené à repenser notre démarche de recueil de données, à retravailler notre relation
à l’interviewé. Avant de présenter notre « protocole » d’enquête qui comporte
quelques éléments originaux et explique la forme finale de ce rendu, nous ferons
état, au préalable, du projet dans son ensemble, puisque la présente étude n’est
qu’une partie d’un ensemble plus vaste.
LE PROJET
Pour tenter de répondre à la problématique décrite plus haut, nous nous sommes
engagés, dans le prolongement de nos précédents travaux, dans une étude qui a
une double fonction : donner à comprendre les processus à l’œuvre dans les modes
d’inscription de jeunes porteurs d’initiatives en interaction avec les territoires et les
institutions, et partant de là, porter une réflexion sur la citoyenneté contemporaine
des jeunes.
Ce travail a été réalisé par deux sociologues, Olivier GRATACAP pour Cap Berriat et
Bernard BIER pour l'INJEP. C’est ce qui fait l’objet du présent ouvrage.
Par ailleurs, ces entretiens ou situations ont été filmés. Ils donneront lieu à des clips
et à un document filmé plus « didactique » (de 12 à 15 minutes), qui sera une
contribution à la mise en visibilité de ces initiatives, un outil d’introduction à des
débats publics, et un apport à l’analyse collective.
LE « PROTOCOLE »
Le choix des situations
Nous avons délimité notre population d’étude de la façon suivante.
- l’âge : les jeunes dont nous parlons ont de 16 à 30 ans. Il nous semble qu’une telle
population correspond au temps de l’expérimentation, objet de notre étude ;
- être en position de portage de projet : les projets recueillis ont été conçus et/ou
réalisés par les jeunes eux-mêmes ;
- les lieux de réalisation du projet : autant de projets réalisés en territoire urbains que
sur des territoires ruraux ;
- des projets collectifs : à la fois des projets qui impliquent un grand nombre de
jeunes et des actions n’en regroupant qu’un petit nombre. Dans tous les cas, les
projets sont collectifs, donc concernent au moins deux participants.
A partir de la liste qui nous a été proposée, nous avons choisi quinze « cas » en
respectant le cadre défini plus haut permettant une certaine diversité, en privilégiant
toutefois les initiatives s’inscrivant dans plusieurs thématiques (cette diversité nous
semblant a priori un levier de développement).
Des entretiens non-directifs ont été menés auprès des jeunes porteurs de ces
initiatives. Cette phase a été l’occasion de mettre à jour les préoccupations et les
éléments majeurs pour les acteurs concernés.
Cette modalité de travail, faite d’aller-retour entre les jeunes et les chercheurs,
répond pour nous à un double objectif :
- ne pas déposséder les acteurs de leurs propos, en les leur restituant d’une part et
en leur permettant d’y retravailler d’autre part ;
- leur permettre de s’inscrire dans un travail de réflexivité, dans le double mouvement
de l’entretien d’abord, puis du regard distancié sur leurs propos et leurs actions, lié
au travail de l’écriture.
Le but final poursuivi au travers de ce travail réflexif est de permettre à ces acteurs
de concevoir leurs actions comme relevant à part entière de la participation à la vie
locale, mais surtout de pouvoir partager ces expériences avec d’autres acteurs. Donc
de participer à les inscrire dans une logique d’empowerment (prise de pouvoir sur soi
et sur le monde), dans lesquels ils sont déjà engagés au quotidien par les processus
liés à leurs initiatives.
A noter que cette démarche a été particulièrement bien accueillie, tant dans son
principe que dans sa mise en œuvre.
Au rebours de nombre de travaux (universitaires ou non) qui renvoient les textes des
acteurs en annexe ou qui se contentent d’en donner des extraits au travers de
citations « bien choisies », nous avons fait le choix d’inclure dans le rapport même
les textes de ces entretiens remaniés et validés par leurs auteurs, comme
contribution à l’analyse et production d’un savoir, et organisés par ordre
alphabétique.
Mockuery Tivi est une chaîne de télévision sur internet (web TV) qui met en valeur la
population dunkerquoise en y diffusant des reportages qui reflètent la réalité de la
ville.
Il s’agit d’une chaîne généraliste qui aborde plusieurs domaines : sportif, culturel,
associatif et familial avec une programmation éclectique : reportages, séries,
événements, informations, dialogue et pédagogie.
Elle se veut plus proche des gens en partant de la population et mettant en valeur
leurs talents, leurs qualités, leur engagement : une Web TV faite par les habitants
pour les habitants avec l’ambition de s’étendre à toute l’Europe.
COMPRENDRE LES
PROCESSUS
L’ORIGINE DE L’INITIATIVE
Notre analyse se propose de comprendre dans quelle mesure les initiatives portées
par des jeunes s’inscrivent dans un développement du territoire local. Cet élément
n’est que peu présent ou difficilement identifiable à l’origine des initiatives observées.
Nous sommes en fait aux prémices d’un processus : étape floue, complexe, qui mêle
beaucoup d’aspects – parfois contradictoires – dans une dynamique forte. A ce
stade, nous ferons porter notre réflexion sur la manière dont l’initiative se construit et
cherche à prendre forme à partir d’un flot continu d’envies et d’intentions. Nous
tâcherons tout de même d’identifier quelques points particuliers pour les besoins de
l’analyse, tout en sachant qu’ils sont dans la réalité en articulation, en
complémentarité, dans des liens faits et refaits sans cesse. Ce préalable posé,
tentons de comprendre comment ce processus se met en œuvre.
1
Nous reprenons ici la définition des enjeux de N. Diebold, « Parier sur l’habileté sociale des jeunes », Agora
Débats/Jeunesse, n°43, 1er trimestre 2007, INJEP/L’Harmattan.
« Au départ c’était des gens qui avaient une envie et une passion, mais qui ne savaient pas
trop comment organiser les choses. » Slam connexion
« Mais j’aimerais parler de l’avant association, c’est vraiment la base : dans notre
quartier, Saint-Bruno, on était 5 déjà présents, tous du même quartier, une bande d’amis,
plus plein d’autres jeunes, tous des passionnés de foot. » Assil
« En fait ça vient de moi, je faisais des études à Toulouse, et je m’ennuyais beaucoup là-bas.
J’avais envie d’avoir un projet qui me tienne parce que j’étais un peu frustrée d’avoir
rien… » Zipakeu
La passion est pensée au travers d’un vécu limité par l’insatisfaction, la frustration.
C’est ici la première fois qu’intervient dans les récits une parole sur le territoire.
L’espace local est défini par des éléments de contexte intériorisés, il est vu comme
espace de vie, de ressenti. Le territoire est pensé comme un environnement
statique, limitant, un cadre qui n’offre pas de marge de manœuvre propice à
l’expression des intentions. La passion semble être une manière de dépasser cette
insatisfaction, de compenser cette frustration.
« Ben, en fait, nous on était… ben, justement, vu qu’il ne se passait rien ici, qu’il n’y avait
aucun évènement, on partait… souvent, nous on partait dans la région Rhône-Alpes, on
allait sur des festivals, sur des évènements festifs quoi. Et on s’est dit ben pourquoi ne pas
créer ça chez nous ? Parce que finalement, c’est quand même bien sympa. Donc c’est pour
ça qu’on a voulu faire ça chez nous quoi. Et en plus, ici au Abrets, c’est vraiment... […] Ah
ben, c’était vraiment désert. Ca l’est encore maintenant. » Peacetoch’.
« Et puis Dunkerque, ce n’est pas une super ville, y’a des spots pour skater, mais t’en as
vite fait le tour. Et à un moment donné, on se retrouvait un peu limité, on ne savait plus où
aller. On en avait un peu marre. » ASBD
« Et c’est une ville qui ne bouge pas au niveau culturel et ça a été pour dynamiser la ville »
Zipakeu
« On est passé de l’état d’enfance à l’état d’adulte un peu ici et que donc, on avait envi
d’agir en tant qu’adulte sur notre endroit en fait… Parce qu’on pense que si tout le monde
s’occupait d’abord de son endroit, ben ça serait déjà vachement bien. C’était plus que faire
un festival, c’était faire un festival aux Abrets. Parce que c’était et ça reste un énorme
défi. » Peace Toch, extrait clip vidéo
C’est justement dans ce cadre-là que nous allons parler de mise en dynamique. En
effet, dépasser l’insatisfaction par ses propres œuvres – plutôt que d’être dans une
posture de revendication – et ainsi apporter des éléments positifs à une situation
considérée comme inadéquate nous apparaît comme la condition même d’une mise
en dynamique. Nous allons tâcher maintenant de voir comment se traduit
concrètement cette dynamique.
La frustration engendre une réponse par l’agir. C’est dans le registre du concret que
s’ouvre une marge de manœuvre. L’objet de cette mise en dynamique sera bien
entendu la consécration des passions évoquées plus haut. Mais ce qu’il est
intéressant de souligner, c’est que ces passions ne sont pas pensées au travers
d’une forme préalable. La volonté de se mettre en dynamique n’aura comme limite
que celle de l’imagination collective. Les jeunes se proposent de créer de toutes
pièces leur réponse plus que d’obtenir satisfaction au travers d’une solution
« Ils étaient quatre, et ils en avaient marre de courir les bars… aller à gauche, à droite,
payer cher des verres pour finalement pas forcément une très bonne ambiance. Ils ont
décidé d’essayer de créer un bar, de faire une activité ici. » L’Etabli (74)
« En fait, ce projet, c’est parti un peu d’un délire. Je crois que c’est un après-midi où on
traînait un peu par les champs, et puis on se faisait un peu chier. On a imaginé un gros
concert à travers le champ. On s’est imaginé, à travers ce grand champ justement, et ben…
des concerts, des pyramides humaines, de l’harmonica, des barbes à papa… » PeaceToch
« Et on a fait une série qui s’appelait Mockuery justement, et on est allé la proposer aux
chaines parisiennes du câble… Et après, ça n’a pas forcément plu parce que ça ne vendait
pas de coca-cola. Donc on a décidé de créer notre propre moyen de diffusion en fait […]
Parce qu’au départ, l’idée ça a été de créer nous même notre propre scène. C’était un peu
l’idée. » Mockuery
Nous pouvons considérer ici que si le choix de la mise en dynamique se porte sur la
réalisation concrète d’une action – et ne se contente pas de dénoncer un manque –
c’est que l’agir est une réponse adaptée à la frustration initiale. C’est-à-dire que
l’action est en lien, en adéquation avec la difficulté rencontrée. En somme, il s’agit
d’un moyen de rester au plus proche des attentes des principaux concernés, puisque
ce sont eux-mêmes qui envisagent de mettre en place leur propre solution.
Ces jeunes rentrent dans une dynamique qui se centre sur la passion, se traduit en
action concrète sans que soit définie au préalable une forme particulière. Il reste à
comprendre ce qui borne cette dynamique, ce qui définit ses contours.
3.1. L’OPPORTUNITÉ :
Cette dynamique qui n’est en rien limitée – à ce stade – par des conditions objectives
va tout de même être confrontée aux possibilités de son exercice. L’imagination tout
azimut à l’origine de ces initiatives va chercher à tirer les bénéfices de l’ensemble
des opportunités concrètes qu’offre l’espace local, sans distinction préalable. Tous
les moyens sont bons à prendre, l’intention cherchant une forme pour se réaliser. Il
n’y a pas de jugement a priori des moyens dont vont pouvoir bénéficier ces
initiatives. Les rencontres et les réseaux sont ici particulièrement sollicités, c’est
d’ailleurs grâce à eux que l’opportunité peut être connue et utilisée :
« Parce qu’au départ, l’idée ça a été de créer nous même notre propre scène. […] Et nous,
on n’est pas du tout web master ou technicien internet donc on a su ça par rapport aux
rencontres qu’on avait faites avant » Mockuery
« Je suis allé les voir à la mairie. J’ai dit : moi je veux ça ! Ils m’ont répondu : Oui, mais il
faut faire ça. Et j’ai dit : allé, on y va. Et voilà, le résultat il est là aujourd’hui. » ASBD
« Nous on a quand même eu une petite particularité d’avoir toujours eu ce potentiel. Nous
on est dans une ferme, mes parents étant super cool à ce niveau-là, ils ont toujours laissé
les possibilités. […] On a toujours eu de l’espace. On a quand même eu toujours le
potentiel de faire quelque chose comme ça.» L’établi (74)
« Ils se sont dit qu’il faudrait en faire un vrai quelque chose, qu’il faudrait faire un vrai
festival à Lusignan et que eux n’avaient pas les épaules pour et qu’il faudrait le relais
d’une asso. Swing troubadour intervient à ce moment là… une personne qui avait ramené
cette asso et elle ne savait pas encore trop quoi en faire et elle a vu ça… et elle a trouvé ça
super. » Swing Troubadour
« Et puis quelqu’un m’a dit : Ben, fais-le ! J’ai dis : Bon ben d’accord. Et j’ai pris rendez-
vous en urgence avec le maire de Castelnau-le-Lez, la ville où à lieu le festival, et je lui ai
dit : Bon ben voilà, je monte une association, est-ce que vous pouvez me prêter la salle ?
On veut monter un festival. Et c’est parti direct. » Zipakeu.
L’opportunité ne doit pas être pensée comme un objectif lointain qu’il faudrait
travailler ou développer, mais comme une capacité à réagir vite, une possibilité de
concrétisation immédiate. Ici vient se poser la question de la mise en place d’un
contexte favorable à ces émergences, question extrêmement importante pour notre
3.2. LE POTENTIEL :
Si nous voyons que les opportunités peuvent jouer le rôle de levier dans cette mise
en dynamique, il faut également comprendre que c’est en s’appuyant sur les
potentiels de chacun à l’intérieur du groupe des initiateurs que va être pensée la
mise en place de l’action. Les ressources mobilisées pour définir le projet vont être
puisées à l’intérieur du collectif. Ici, il ne s’agit pas de complémentarité des capacités
de chacun pour répondre à des obligations définies au préalable, mais bien du fait
que tous doivent pouvoir bénéficier de l’initiative pour mettre en oeuvre leur savoir
faire. La forme du projet dépend de cette combinaison de capacités et n’est donc pas
posée a priori.
« Bon chacun était lié à la culture africaine d’une manière ou d’une autre. Julie avait fait
des cours de danse depuis 7-8 ans. Donc elle connaissait bien et aimait ça. Modou est
percussionniste de profession, et puis ben moi, j’ai toujours été attirée par l’Afrique. Et
Liliane, pareil. Donc du coup, on avait envi de faire ça. » Koukou
« J’ai appelé Malo, je lui ai dit : Ecoutes, j’ai besoin d’un technicien, est-ce que tu viens ?
Il a dit oui. Déjà, bon point quoi. […] On a monté l’association tous les deux, » Zipakeu
« Parmi toute la bande de potes qu’on était, il y avait du potentiel dans plein de
domaines… artistiques… Et du coup, on s’est dit qu’avec tout ce potentiel-là, toute cette
matière, on pourrait vraiment faire quelque chose d’énorme… tous ensemble quoi » Peace
Toch’ extrait clip vidéo.
« … c’est encore un truc qui permet de lier les gens, de bosser sur un projet commun, où
chacun donne ses compétences… » Epsylonn
3.3. LA DYNAMIQUE
Nous avons rencontré deux types de concrétisation : soit l’action est déjà bien
construite dans sa phase d’élaboration, soit celle-ci est encore flottante, mouvante,
non déterminée.
Dans le premier cas de figure, la mise en place va directement commencer par ce
que nous avons nommé la phase de test. Dans le deuxième cas de figure, une forme
encore flottante, l’action va d’abord être portée auprès du groupe des initiateurs ou
du groupe d’amis élargi, voire dans des rencontres construites à cette occasion.
Nous n’avons pas cherché à comprendre ce qui peut créer une distinction entre ces
deux manières de passer à l’acte. Peut-être la nature plus incertaine et non
conventionnelle de certain projet peut expliquer cette étape supplémentaire qui
consiste à réaliser un premier essai auprès de ses pairs. Peut-être que quand le
projet est à l’initiative d’un groupe très réduit de personnes, l’idée étant plus claire car
plus personnelle, celui-ci aurait moins besoin de cet effet d’amorce et de mise en
confiance auprès des siens. Quoi qu’il en soit, l’entre soi semble pouvoir jouer un
rôle de levier selon les projets.
Il est probable que ce qui est recherché dans cette étape d’amorçage est une
certaine proximité relationnelle, un environnement favorable et bienveillant qui va
faire office de tremplin pour oser tenter l’aventure à plus grande échelle.
« Donc au début, il n’y avait rien, on à juste mis un bout de bois, un bar vraiment très
simple, il n’y avait vraiment rien derrière et pas de concerts. La première saison c’était ça.
On a juste fait un concert en fin de saison avec nos connaissances, on connaissait des
groupes, on les a fait jouer. Et c’est là que ça s’est lancé, après cette première saison. »
L’établi
« …au départ, on ne voulait pas non plus être trop… Tout de suite créer des trucs avec le
gros skate parc, non. On voulait skater pour nous et se faire plaisir. […] Et à force de faire
des compétitions et de faire des animations, et de travailler avec le réseau… enfin, ça a
marché trois ans en réseau. Enfin, disons que nous, on avait une structure, on avait une
salle, donc forcément ça marchait pour nous. » ASBD
« L’association a été créée en 2002 par des jeunes, moyenne d’âge 17-18 ans, avec un axe
principal qui était sur la pratique de danse hip-hop. A la base c’était pouvoir se retrouver,
pouvoir faire des petites présentations dans des villes etc. donc on a décidé de créer cette
association, association « la New School ». […] Au départ c’était vraiment pour des
rassemblements entre jeunes. » La New School
Quel que soit le cas de figure dont nous parlions plus haut, le lancement de l’action
est toujours considéré comme une phase de test. Produire une action pérenne n’est
pas encore à l’ordre du jour, et c’est cette première action qui permettra de mesurer
la pertinence, la raison d’être de l’action. L’agir n’est donc pas pensé comme la
conséquence, la conclusion d’un projet déjà finalisé, mais comme une première
étape qui va servir à construire le reste de la démarche.
« Et c’était un test pour tout le monde. C’était un test pour moi, c’était un test pour l’asso,
c’était un test pour les gens. Moi, quand j’ai commencé en mars, j’ai dit je me lance, mais
je ne sais pas si je vais y arriver, je ne sais pas si ça va me plaire, je ne sais pas si ça va
plaire aux gens. » Koukou
« Comme le concert de fin de saison avait bien marché, on s’est dit : « on continue ». »
L’établi
Cette phase de test est pensée comme telle, et sa valeur se mesure aux effets
produits au travers de cette première mise en acte. En clair, il s’agit de voir in fine si
cette action rencontre un certain succès, sans savoir a priori si elle va aboutir au
résultat escompté. Ce sont donc des expérimentations car leur l’aboutissement n’est
pas anticipé, qu’elles se transforment et se modifient chemin faisant, et que leur sens
émerge à l’issu de celles-ci. Il s’agit avant tout de tenter, de proposer. En d’autres
mots, cela consiste à poser la question par l’agir plutôt que de répondre à un objectif
prédéterminé. Cette posture, souvent critiquée pour son côté incertain, est
revendiquée par ces jeunes.
« On n’avait pas d’objectif, on s’est lancé et on s’est dit : on va voir ce que c’est. »
Cybercité
« On était flippé toute la soirée mais… Tout s’est super bien passé. […]Et tout est parti
comme ça et on s’est senti fou là. […]Et puis c’est le premier truc qu’on faisait. […] Et
quand le festival s’est terminé, gros cafard… Oh non, non, on ne peut pas attendre jusqu’à
octobre de l’année prochaine. » Zipakeu.
5. Quand faire, c’est être : agir sur son territoire c’est agir sur
soi.
Ce temps d’amorçage, cette phase de test ne donnent pas seulement des éléments
pratiques et concrets pour la poursuite de l’action. Il permet également aux auteurs
de s’inscrire comme de véritables acteurs, revenant sur les conditions de réalisation
de soi sur le territoire dont il était question plus haut.
Il semble ici que porter une action, au-delà de l’effet voulu, a des effets induits. Les
auteurs de ces initiatives en tirent une sorte de plus-value de l’ordre de la réalisation
de soi, ils acquièrent une réelle identité d’acteur.
Tout se passe comme si remplir le vide dont nous parlions plus haut, contourner la
frustration et l’ennui par l’agir, permettait de prendre possession de soi-même (hors
des frontières assignées) ou plutôt d’ouvrir un espace de négociation avec soi-
même.
« … ce que ça apporte, c’est la réalisation de quelque chose, c’est d’être allé au bout de
quelque chose et en plus de… et en plus l’énorme plaisir de modeler quelque choser à son
idée… Quand on commence à bosser, quand on commence, même dans nos études et tout
ça, on ne fait que se mettre dans des moules ou s’adapter à des horaires ou s’adapter à des
gens. Et là, sur un truc comme ça, on se réalise un peu de nous même quoi, mais plus
profondément. Et puis le fait que ça soit public, ça donne la sensation d’être vraiment
présent au monde… parce qu’on communique avec le monde à travers ça, tout en
s’exprimant soi-même. Donc, c’est plénifiant. » Peace Toch, extrait clip vidéo.
« Des lieux comme ça… on a toujours eu de quoi se faire notre euh… se faire soi-même
quoi. » L’établi
« À Cybercité, on a fait nos preuves, on a fait ce qu’on avait à faire. [...]Et nous, voilà, on
va faire sa propre éducation, son propre apprentissage de la vie par l’échange… se faire
tout seul. Donc voilà, on a ce projet-là. » Cybercité.
Agir, c’est avant tout une manière d’exister en dehors des "manques à être" relevés
plus haut. Le territoire n’est plus subi, il est un territoire à modeler pour devenir un
espace qui permet de se construire à sa manière (« …en plus l’énorme plaisir de
modeler quelque choser à son idée » dans la citation précédente). Agir sur son
environnement devient un agir sur soi ou plutôt l’expression d’une existence propre
sur le territoire ( « …on se réalise un peu de nous même quoi, mais plus
profondément »). C’est un élément central du processus qui s’illustre ici. La
dimension publique, sur laquelle nous reviendrons plus largement, joue le rôle d’un
support sur lequel il est possible de se construire une identité dynamique dont on a
redéfini les contours et de s’ouvrir vers un "vouloir être".
L’action n’est pas seulement une réponse concrète ou occupationnelle ; elle ouvre un
espace de négociation sur la place que ces jeunes souhaitent se construire, un
espace d’affirmation. Il existe à ce niveau plusieurs types de réaction à cet
avènement de soi dans l’espace local. Nous venons de voir que cela peut être une
réponse à des conditions limitées d’expression de soi-même ( « …on ne fait que se
mettre dans des moules ou s’adapter à des horaires ou s’adapter à des gens »).
Mais cela peut également jouer à d’autres niveaux, comme le fait de vouloir
s’affirmer autrement qu’au travers d’un schéma réducteur qui opposerait une
jeunesse inscrite dans le monde du travail à une jeunesse marginale :
« C’est un projet assez commun autour de la musique, d’une manière de concevoir les fêtes,
d’une manière de jouer notre musique, de vouloir s’intégrer aussi dans la société dans
laquelle on évolue, de ne pas forcément vouloir être marginal à tout prix. C’est une passion
pour nous. On avait envie de casser le cliché de ceux qui vont vendre de la drogue pour
pouvoir se payer leurs enceintes ou aller voler sur les routes. On s’est dit que non, on a une
passion, on travaille tous, on a envie de mettre en commun nos énergies pour pouvoir faire
des fêtes dans le même état d’esprit, de la gratuité, offrir un espace de liberté. » Epsylonn
Dans le même ordre d’idée, mais sur un registre légèrement différent, il peut s’agir
de la volonté de transformer l’image des jeunes, de dépasser les
stéréotypes véhiculés autour de la jeunesse:
« Non seulement on donne une bonne image parce que les gens voient qu’on s’implique,
qu’on se bouge, qu’on est dynamique, qu’on n’est pas des branleurs…malgré notre t-shirt,
notre capuche… malgré tout, ce n’est pas l’habit qui fait le moine. Donc voilà, ils voient
que les jeunes ils se bougent sur Dunkerque, ça se responsabilise…[…] Donc, il y a aussi
ça qu’on essaye de faire comprendre aux gens, c’est que nous, on fait du skate… oui, on en
fait dans la rue, mais ce n’est pas pour ça qu’on est des délinquants. On est aussi
responsable, on gère des associations, on emmène les gamins à droite à gauche… Tu vois,
il y a un discourt derrière aussi. » ASBD
Quoi qu’il en soit, cette démarche permet aux individus qui la mettent en œuvre de
sortir d’une identité assignée, figée et souvent considérée comme réductrice par ces
jeunes. C’est une prise de possession de soi, l’ouverture d’une marge de manœuvre
quant à la possibilité de se composer une "identité dynamique"2.
« Nous voulons nous donner les moyens de nous exprimer, la place, et le temps. Le festival
ne dure qu'un jour et deux soirs, mais la multitude des choix et des manières de le réaliser,
c'est aussi du temps où l'on s'exprime. Nous aimerions parler de ce que l'on sait, sur ce que
l'on voit, sur ce que l'on est et ce que l'on veut, réflexions philosophiques, politiques,
expression de sentiments divers, d'identités diverses. Il s'agit d'être présents au monde,
d'affiner et d'affirmer nos idées, plutôt que l'on parle à notre place. Par réaction au monde
- on est bien vivants - et pour créer le nôtre, le temps d'un jour, voilà le départ ! »
Peacetoch, texte de présentation sur le site internet.
« Et puis c’est pourquoi aussi ? C’est parce que on a tous plus ou moins habité aux
alentours des Abrets. On voit très bien comment ça se passe. C’est que les gens, ils se
rencontrent au supermarché, tu ne connais même plus ton voisin… Enfin voilà, c’était ça
aussi, c’est sortir les gens de chez eux. Qu’ils ne restent pas coincés devant leur télé. C’est
créer un lieu où les gens puissent se rencontrer, se retrouver ailleurs qu’au supermarché.
Et voilà, que tu puisses faire connaissance avec ton voisin. Vu que dans la vie de tous les
jours ça ne se fait pas, ben, au mois, peut-être que sur peacetoch’, t’auras peut-être
l’occasion de rencontrer ton voisin. » Peacetoch
« On a envie de mettre en commun nos énergies pour pouvoir faire des fêtes dans le même
état d’esprit, de la gratuité, la liberté… offrir un espace de liberté. » Epsylonn
2
Schehr S., « Vers un nouvel individualisme juvénile ? l’individualisation réflexive et l’expérience des jeunes »,
in Agora/Débats/jeunesse n° 27, 1er trimestre 2002, INJEP/L’Harmattan
L’origine de l’initiative que nous venons d’aborder doit donc être comprise dans un
double mouvement. Il s’agit tout d’abord d’un mouvement d’affirmation de soi, d’une
quête identitaire qui ne peut s’exprimer qu’au travers de ses propres œuvres, évitant
ainsi de se plier à des identités assignées. Mais ce mouvement ne peut se réaliser
sans son corollaire, sans que soit prise en compte un contexte favorable à cette
émergence. Ici, le territoire local à toute sa place et les conditions, les opportunités
dont vont pouvoir se saisir ces jeunes pour manifester concrètement leur « vouloir
être » jouent un rôle majeur.
La partie précédente a donné la part belle à une approche intériorisée, délimitée par
l’espace du désir du groupe des initiateurs. Il nous faut maintenant suivre les
parcours au-delà de leur origine pour prendre en compte des dimensions
extrêmement importantes de ces projets et trop souvent oubliées dans la lecture
qu’en ont les pouvoirs publics. Toutes les initiatives présentées ici agissent auprès
de la population locale (c’est d’ailleurs un des critères majeurs de sélection de ces
initiatives). Il en ressort que ces jeunes prennent en compte des réalités de plus en
plus vastes. En agissant, ils recomposent et élargissent leur vision de la population,
redéfinissent leurs manières d’agir pour répondre à des enjeux toujours plus étendus
sur le territoire.
3
Pour nous le terme renvoie autant au fait de s’associer (association de fait) qu’à des formes plus
instituées (association de droit).
L’ouverture dont il va être largement question dans cette partie se concentre tout
d’abord sur le fait que ces initiatives ne s’adressent pas à des initiés ou à des publics
ciblés qui seraient déjà sensibilisés à certaines pratiques. L’action est pensée
comme s’adressant potentiellement à toute la population locale, pour peu que celle-ci
fasse la démarche d’y participer.
« Il y a la volonté vraiment de faire découvrir aux publics au pluriel, ce n’est pas comme
beaucoup de lieux culturels qui finalement ne parlent qu’à des initiés et n’ont pas envie
d’ouvrir. » Rencontres Audiovisuelles
L’initiative doit être suffisamment ouverte pour que tous puissent en bénéficier. Ces
projets pensent donc des manières de mettre en place un contexte favorable en
évitant les sélections par l’argent, que chacun puisse y venir sans se sentir exclu par
une approche qui distingue et différencie les publics (handicapés ou non, « jeunes à
problème ou non »).
1.1. UNE ACCESSIBILITÉ QUI NE DOIT PAS ÊTRE LIMITÉE PAR LE PRIX
La gratuité semble être l’horizon poursuivi. Dans le cas où l’action mise en place
serait tout de même payante, une attention toute particulière est portée sur le fait
qu’en aucun cas elle ne doit être un frein à la participation.
« Sur le bassin de Thau qu’il y a très peu d’activité pour les jeunes, on est le seul
évènement qui est réalisé pour les jeunes, et accessible. Et n’y pas d’autres activités pour
les jeunes, malheureusement. Ici, c’est le tourisme, les touristes et rien d’autres. Tu as des
supers concerts d’IAM à 30 euros la place qui est inabordable… Il y a des choses pour les
jeunes, mais encore faudrait-il pouvoir se les payer » CUSF
« […] c’est surtout l’accès pour tous, le plus facilement. On pourrait le faire gratuit, on le
ferait gratuit. » Zipakeu
« Les personnes qui vont venir vont être libres, elles ne vont pas payer, il n’y a pas de
discrimination par l’argent … » Epsylonn
« Ce qu’on essaye de promouvoir, c’est de proposer pour tous les publics des activités à un
prix vraiment moindre. » L’établi
Dans les différents projets mis en place, il ne semble pas y avoir une lecture de la
population déclinée en tranches d’âge. Certaines pratiques sont, bien entendu, plus
appréciées par les jeunes, comme lorsqu’il s’agit de hip hop, de la pratique du skate
board ou du foot en salle. Mais il s’agit ici d’un état de fait (les jeunes sont plus
sensibles à ces pratiques) et absolument pas d’une approche programmatique qui
distinguerait les publics en fonction de leur âge. Toutes ces initiatives refusent de se
voir réduite à n’agir qu’auprès d’un public défini et délimité par son âge.
« Le but, c’est de réunir tous les publics. Là, on s’est retrouvé avec des gens jeunes, très
jeunes, vieux, très vieux, moyen, c’est la folie, ça va de 6 à 80 ans […] » Zipakeu
« C’est tout public. J’ai juste mis à partir de 8 ans, c’est vrai qu’on n’a pas d’activité pour
les moins de 8 ans, pour les tous petits. Mais par contre, Joëlle que tu as vu danser hier, 65
ans, jusqu’à 3 heure du mat… Voilà, donc ça va de 8-10 ans, la petite qui vient à tous nos
stages avec sa percussion, qui est là, même si elle est toute seule, pas de problème, jusqu’à
presque 70 ans. Donc c’est intergénérationnel. […] A Bon-En-Chablais, ils avaient tous 80
balais, et ils sont restés… ils étaient un peu décoiffés mais… (rires) » Koukou
« [Le] but, c’était de populariser l’outil informatique et ensuite de créer des échanges avec
les personnes qu’on amenait à l’ordinateur, à ses fonctionnalités. Donc, […] on a fait des
formations informatique à des personnes âgées, à des enfants, de 7 à 77 ans, de l’initiation…
[…] Et en même temps, on amenait les jeunes de façon ludique, à partir de petits jeux, de
tournois, à entrer dans l’univers informatique, puis les enfants, les adolescents, les personnes
âgées. Le but, c’est de créer une « communauté virtuelle » au sein du quartier […] On a créé
ce microcosme au sein de la cité. » Cybercité
Dans le même ordre d’idée, ces projets ne distinguent pas de types de publics et
considèrent comme naturel d’agir auprès de tous ceux qui se sentent concernés.
Ainsi, il n’y a pas de distinction ou de cloisonnement entre les publics valides et
handicapés, entre « des jeunes compliqués ou non ».
« Là en l’espace d’un an et demi, j’ai travaillé avec des prisonniers, j’ai travaillé avec des
adolescents dans une PJJ, j’ai travaillé avec des handicapés, j’ai travaillé avec des
personnes âgées, avec des personnes retraitées, j’ai travaillé avec des parents, des mères de
famille, j’ai travaillé avec des enfants en difficulté scolaire, sociale, des enfants en milieu
scolaire classique…» Slam connexion
« […] c’est ouvert. Avec les handicapés aussi beaucoup. […] Donc vraiment, on est super
content quand il y a un mélange, quand on peut toucher tous les publics, que ça touche tout
le monde. » Koukou
« Nous on prend tout le monde, c’est une des valeurs de l’asso : peu importe : handicapé
ou pas handicapé, jeune compliqué ou jeune pas compliqué. On a travaillé notamment avec
un foyer de vie, avec des handicapés en fauteuil roulant. On a fait une création avec eux. A
chaque évènement, sur chaque projet, ils sont 6 personnes en situation de handicap avec
nous. On les invite. Je me rappelle au début l’handicapé qui arrive : « Mon dieu, mais qui
c’est ? ». Et puis quand on leur explique le projet, au final ils sont devenus amis avec ces
gens-là. Et ceux-là me disent : « il se passe quelque chose ». Il y a toujours des gamins qui
sont un peu compliqués, notamment des jeunes qu’on suit qui sont en foyer. A travers la
pratique Hip-hop, on travaille avec le foyer pour qu’ils puissent venir sur nos
événements. » La New School
« Le Slam c’est un principe d’ouverture à tous déjà. N’importe qui peut en faire, de
n’importe quel âge, de n’importe quelle couleur, de n’importe quelle origine, de n’importe
quelle taille… , on a tous un mini poète en nous et bon ou mauvais, tout le monde a le droit
de dire son mot et a le droit de participer. […] Comme c’est nos objectifs et que c’est
vraiment nos valeurs, il n’y avait aucune raison qu’on s’enferme et qu’on s’enclave. [ …] »
Slam connexion
L’ouverture n’est pas pensée comme un objectif parmi d’autres mais se rapporte à
une évidence. Elle est l’expression "naturelle" d’une volonté de s’adresser au plus
grand nombre, sans distinction préalable. Le fait que dans la citation précédente,
l’ouverture soit considérée comme un droit (à s’exprimer, à participer) n’a rien
d’anodin et confirme qu’elle est conçue comme un terrain propice à la participation
de chacun. C’est sur la base d’une appréhension de la population locale non-
cloisonnée a priori que se met en place l’intervention dans l’espace public.
Si nous avons décrit l’ouverture propre à ces initiatives, exprimée dans différentes
dimensions (pas de discrimination par l’argent, par l’âge, par le type de public), c’est
que ces jeunes pensent comme nécessaire d’avoir des formes facilitatrices de
l’accès pour tous. Mais nécessaire ne semble pas ici suffisant, et d’autres actions,
plus volontaristes, vont être mises en œuvre pour que cette ouverture initiale puisse
être enrichie, qu’elle permette de toucher toujours plus d’individus. L’ouverture initiale
permet de « goûter » à la population locale, à sa diversité et entraîne une volonté de
développer l’action à destination du plus grand nombre.
Nous avons relevé deux types de démarches volontaires pour enrichir l’ouverture
constitutive de ces initiatives : la première s’attache à trouver des formes nouvelles
ou renouvelée pour permettre une participation plus large de la population ; la
seconde a pour objectif d’amener la population à s’ouvrir à des contenus différents
dans les actions proposées.
« Nous notre but, c’est vraiment de faire venir les gens qui justement ne sont pas sensibles
à ça. [ …] Mais plus les années passent, et plus je me rends compte qu’il y a encore du
travail pour arriver à vraiment ce qu’on voudrait faire. Je pense que ce serait… encore
arriver à mobiliser vraiment les gens des Abrets… À ce qu’ils viennent quoi. [ …] Tu vois,
la finalité du festival, ce serait ça. Organiser un truc comme ça, ça voudrait dire toute
l’année, de faire une résidence de création où t’accueille des artistes qui travaillent là-
dessus… après, ce serait un truc vraiment énorme. Si tu veux, ça tend plus vers ça.» Peace
Toch’
Mais c’est également par la prise en compte des multiples centres d’intérêts des
individus, et de leur réseau de sociabilité, qu’est pensée une ouverture plus grande.
Dans la citation suivante, le fait de se retrouver avec d’autres individus que les
usagers du skate parc pousse à penser une forme d’accueil renouvelée.
« Il faut s’ouvrir. Les gens ont d’autres passions que le skate, ils s’intéressent aussi à la
musique, ils s’intéressent aussi à d’autres choses. Et puis t’as des frères, t’as des sœurs, t’as
les cousins. A un moment donné, t’as même les parents. Ici, on voudrait que ça soit un peu
plus accueillant, avec un petit emplacement verdure pour que les gens puissent se sentir
bien… » ASBD
Nous avons également trouvé des démarches qui consistent à produire des formes
attractives pour que l’ensemble de la population puisse s’y retrouver. Une web tv qui
se penche sur la valorisation d’un passé historique va, par exemple, mettre en scène
ce passé au travers d’une forme plus accessible, ici un road movie. Le but étant de
ne pas créer de distance par un langage trop spécialisé.
« Et il y a des programmes […] qui sont plus didactiques : on fait des road movies
historiques sur les attaques au gaz à Ypres par exemple. C’est vu par des artistes et on le
met sous forme de road movie pour que ça devienne plus accessible. […] Il y a des fois,
peut-être plus maintenant parce qu’on a quand même changé un peu sur la ligne éditoriale
par rapport au début, il y a un souci d’accessibilité. Après six mois de pratique, on avait
peut-être un peu poussé… à ne plus être compris. Donc on fait un discours un peu d’entre
deux maintenant. » Mockuery
Les formes sont d’une importance majeure pour éviter l’exclusion ou une distance
non désirée face au public. Mais il semble aussi que les contenus des actions qui
sont portées par ces jeunes puissent offrir plus qu’une consommation attendue,
puissent être une véritable découverte. C’est-à-dire que tout en répondant aux
attentes d’un public pour une certaine « prestation », ces initiatives enrichissent les
horizons d’attentes des individus en les accompagnant vers d’autres contenus.
« Le but réel lors des spectacles est de faire découvrir des activités artistiques au public par
le biais de ce qu'ils ont l'habitude de voir. Par exemple quelqu'un qui vient voir de la
chanson découvrira les contes ou l'improvisation théâtrale. […] Et c’est ça, l’accès à la
culture pour tous. Et surtout l‘accès… la découverte de tout ce qui existe et pas s’arrêter
qu’à un concert. Faire découvrir des jeunes artistes, tout ça quoi. On a de tout. T’as ceux qui
viennent pour l’improvisation théâtre et puis qui découvrent la chanson… Ils pensent partir
au milieu et puis finalement ils restent. » Zipakeu
« Il y a aussi des gens qui viennent et qui découvrent. Parce que souvent on a dansé dehors,
dans des fêtes où il y avait plein de choses, on m’a souvent parlé de la fête de la musique. Il
y a plein de gens qui m’ont dit que c’était super. Tu vois dans la rue des gens comme ça,
qui ne connaissaient pas. Donc au départ, ce n’est pas forcément une attente, c’est aussi
peut-être une découverte. » Koukou
« […] Il y a les attentes du public et ce que nous on veut pousser. Et justement, pour que ça
fonctionne, il faut qu’on trouve un juste milieu : si on reprend l’exemple de la fête de
l’animation, on va programmer, des longs métrages grand public qui ont eu des sorties en
salle, qui en l’occurrence n’ont pas forcément besoin de nous… et on répond à une demande
du public qui peut avoir envie de voir ça. Et du coup, ce public, on en profite pour lui montrer
autre chose qu’il n’a pas forcément demandé mais que du coup il va découvrir… parce qu’il
n’avait pas identifié ça. On joue un peu entre les deux ». Rencontres Audiovisuelles
Le fait d’apporter des contenus inattendus, riches et toujours plus variés conduit à
développer l’offre sur le territoire. Mais il s’agit également de faire découvrir la
richesse de ce territoire à une population locale qui n’en a pas toujours
connaissance.
« Un autre objectif : en faisant venir des pros à chaque édition qui attirent le public, on en
profite pour faire découvrir un jeune artiste local. » Zipakeu
« On essaye de faire un appel aux artistes, à l’expression, de manière locale. Donc ils se
produisent sur le festival, ce n’est pas la totalité de la programmation, mais on essaye en
partie de faire ça. » Peace toch
Beaucoup, pour ne pas dire tous les collectifs que nous avons rencontrés, ont
développé des actions qui ont révélé des besoins non encore formulés ou qui ont
suscité des demandes de la part de la population locale. L’attention que portent ces
initiatives aux habitants du territoire semble pouvoir permettre de révéler des attentes
nouvelles. Certaines d’entre elles sont naturellement liées à l’objet de l’association,
par exemple quand une association de slam met en place des ateliers d’écriture ou
qu’une structure de diffusion audiovisuelle organise des ateliers d’éducation à
l’image.
« Au départ, on a juste fait quelques petites scènes Slam à droite à gauche, dans les bars etc.
Ca marchait plutôt pas mal, et puis de rencontre en rencontre : « Tiens, mais vous ne faites
pas des ateliers ? ». C’est une bonne idée, on va peut-être faire des ateliers. On a commencé
comme ça. » Slam Connexion
« Avec les compétences qu’on a développées dans le festival, on a été repéré par un certain
nombre de structures qui nous ont demandé de développer d’autres choses. Et nous, à partir
de ce qu’on a découvert sur le terrain ou de ce qui ne pouvait pas se faire au sein du festival,
on a créé notre action. » Rencontres audiovisuelles
« On n’avait pas d’objectif, on s’est lancé et on s’est dit : on va voir ce que c’est. […] Et
l’objectif, il s’est fait après, de fil en aiguille. […] Et justement, c’est grâce aux échanges
qu’on a pu faire ça. […] Nos compétences, on les a mises au service de ceux qui en avaient
besoin. » Cybercité
« En fait on n’agit qu’avec des constats. On a fait le constat que l’informatique, ce n’était
pas connu, pas populaire dans un quartier. On a fait le pari d’amener des personnes vers ça,
parce qu’on estime que c’est une nécessité à l’heure actuelle, ça a marché. Maintenant, on
fait un autre constat, c’est que ces personnes ne vont pas à la rencontre d’autres personnes.
Et on se dit : on va essayer de faire quelque chose. […]On voudrait maintenant rebondir sur
un projet de café social, créer un lieu de rencontre entre les personnes de quartier et hors
quartier, de tous milieux, pour créer des débats, des concerts, pour qu’il y ait vraiment un
échange. Parce que chaque personne est dans son coin. » Cybercité
Il semble ici qu’au-delà de l’exercice de leur passion, les jeunes porteurs d’initiatives
soient amenés à prendre en compte une population de plus en plus élargie, nous
l’avons dit, mais également des problématiques de plus en plus larges qui
concernent cette population.
Ici, le partage est tout d’abord considéré comme une possibilité de connaissance
réciproque :
« Ca m’a apporté quoi ? Ben, euh… voilà, des connaissances, des rencontres, c’est surtout
ça en fait l’essentiel. De se voir tous ensemble réunis, nous par exemple c’est du futsal, ben…
de se voir tous réunis, c’est surtout ça que ça m’apporte. C’est vraiment d’aller vers les gens,
de mieux connaître les gens. » ASSIL
Si l’activité peut avoir pour effet de mieux connaître la population à qui elle s’adresse,
conduire à développer de l’inter-relation, il s’agit également pour ces jeunes de s’en
servir pour créer un autre mode de vivre ensemble. Ici, encourager le lien est un
objectif central, que nous avons retrouvé dans chaque initiative. La dimension
relationnelle évoquée pour l’instant dans le cadre du collectif (Chapitre 1) semble
être de plus en plus présente dans la démarche elle-même, jusqu’à lui être
intrinsèquement liée.
« Et après tu te rends compte que tu as aussi développé des capacités relationnelles, t’as
rencontré plein de monde, et ça tu veux le développer et tu veux l’offrir au plus grand
nombre. Notre projet, il est né de ça, […] il a servi à ça. A mixer les publics. […] Et
justement on voudrait développer ce vivre-ensemble à travers ce café social, […] Un lieu
de rencontre et d’échange, avec des débats autour de l’actualité, de la politique, de ce qui
se passe à l’étranger, de tout et de rien. On veut justement créer une révolution à ce
niveau-là. Parce qu’on sent qu’il y a un manque et qu’il y a une richesse à développer. »
Cybercité
« Notre projet, ce qu’on voulait, c’est qu’il y ait quelque chose dans le coin, accessible à
tous et qui bouge quoi ! Beaucoup de concert, c’est ce qui marche. On a même fait des
activités avec d’autres associations… pour que des enfants viennent faire des stages de
théâtre avec le théâtre de Massongy. On a fait plein de trucs comme ça. On essaye vraiment
de faire en sorte que ça tourne pour tout le monde. Et ce n’est pas évident. […] C’est cool de
pouvoir discuter avec les gens, de pouvoir se poser. C’est aussi pour que les gens se
rencontrent. Ce n’est pas que pour nous. C’est aussi principalement dans le but de faire que
ces gens viennent se poser là… On se rencontre, on discute. » L’établi
L’objet de l’association n’est donc plus le seul horizon poursuivi puisqu’il est
désormais intrinsèquement lié aux relations qu’il offre à la population locale. C'est-à-
dire que cet objet va devenir le cadre évolutif, le catalyseur de l’échange et du
partage. Mais ne nous y trompons pas, cet objet associatif n’en devient pas pour
autant un prétexte ou un élément périphérique. Simplement, cet objet se voit
repositionné par l’intention de relation avec la population et ne peut donc plus être
considéré comme une pure et simple activité.
« À Slam Connexion, le slam n’est pas une activité, c’est un mot qui est banni. On n’est pas
une activité. On est un temps d’expression. Et ce temps d’expression est très important pour
beaucoup de gens. […] Il y a des gens qui en ont besoin, et qui ne sont pas capables de
s’exprimer ailleurs, qui n’ont pas l’occasion dans les familles de s’exprimer. […] Moi,
j’aime bien quand je ne viens pas que pour de la consommation pure et dure, pour une
« activité ». J’aime bien quand il y a un projet derrière… quand on nous appelle pour
quelque chose. Quand on fait de la relation entre les gens, c’est génial. » Slam Connexion
« Et ça nous a permis de créer vraiment du lien, chose qu’on n’arrivait pas à faire sous une
forme évènementielle. Les gens apprécient beaucoup ce côté décalé et la convivialité. Rien
que de pouvoir voir une soirée de courts métrages dans un canapé avec une bière à la
main, puis de pouvoir rencontrer des gens… […] Donc du coup, ce que les gens apprécient
et ce qu’ils viennent chercher ici, c’est cette dimension là, c’est cette partie échange,
partager des choses dans une salle, partager des choses avec d’autres personnes. »
Rencontres Audiovisuelles
Ce principe se réfère plus à une coopération avec la population qu’à une intervention
en terme d’activité : ici s’ouvrir c’est offrir un temps et un espace à la population
locale, ancrés sur une pratique mais ne se résumant pas à celle-ci.
« Mais on veut s’ouvrir à d’autres choses, plein de gens avec qui on traîne ne sont pas
forcément skateurs, ils passent de temps en temps et viennent nous voir. Ils passent, on boit
une petite bière… Ou quand il y a des compétitions, ils passent, ils font l’animation au niveau
de la sono, ils passent la musique. J’ai des gens qui passent ne serait-ce que pour passer… »
ASBD
Ce partage voulu avec la population locale, cet échange avec des individus vont
développer une certaine approche de la population. C’est la possibilité de rencontrer
ces individus en dehors de leurs rôles pré-assignés, en dehors d’une identité figée
de consommateurs d’activité. Ce qui revient de manière récurrente dans leur
discours, c’est l’humain.
« Du point de vue humain, c’est encore une autre dimension, parce qu’il y a tellement de
monde dans les soirées que tu rencontres, que tu discutes, tu partages avec eux… puis ils
reviennent, alors ces gens tu finis par les connaître, ça fait énormément de liens d’amitié. »
L’établi
« On les voit grandir, avec les parents qui s’investissent, il se passe quelque chose au sein des
familles… Moi je suis jeune, je vais avoir 21ans. Je me dis que les liens que j’ai créés avec
des plus jeunes… il se passe plein de choses humainement. Et les parents nous font
confiance. » La New School
« Donc c’est une expérience humaine qui est super importante, qui fait évoluer chacun. Enfin
moi, j’évolue tous les jours, J’ai jamais autant appris qu’ici, parce qu’avec toutes mes
connaissances, tout ce que j’ai pu faire à côté, même si j’ai des études truc machin, j’ai
appris un certain nombre de choses que peut-être d’autres n’ont pas. Mais par contre, il y a
cet échange qui est possible ici et c’est enrichissant. » Espylonn.
« On est des personnes privilégiées, parce qu’on a les deux. On a eu la vie de quartier et la
vie en dehors du quartier. Et donc on peut faire profiter de ces deux richesses et montrer
qu’elles sont compatibles. Parce qu’on entend souvent des a priori, des préjugés, qu’ils soient
dans le quartier ou ailleurs, on en a souffert […] Si on est resté toute sa vie casanier dans un
quartier, on connaît rien de la vie, et vice versa, le mec qui n’a pas vu ce qu’il y avait dans les
quartiers, il ne connaît rien de la vie. On a deux mondes, pourquoi ne pas les rapprocher,
échanger pour qu’il y ait des points communs, des différences qu’il faut développer, des
compétences qu’il faut joindre pour créer des projets… […] tu veux les partager et tu veux
les offrir au plus grand nombre. » Cybercité
« …parce que, franchement, l’associatif, l’aide qu’on peut apporter aux personnes, c’est
magnifique, c’est quelque chose qui [nous] apporte beaucoup. » Cybercité
« … le plaisir, il est immense, clairement. Le Djéliya pour moi, c’était ce que nous avons eu le
plus de mal à géré cette année, mais hier, je rayonnais, j’étais trop heureuse. […] Les gens
sont réceptifs, c’en est incroyable. Ils sont contents. Tout le temps, ils nous disent : c’est génial
ce que vous faites. Il y a une énergie énorme, on sent qu’il y a quelque chose. Ils sont étonnés.
Il y a une bienveillance de la part de chacun aussi qui se met naturellement entre les gens. Il y
a la notion de don aussi souvent qui sort. Souvent quand on est en spectacle, les gens nous
disent : c’est incroyable, à Koukou, on dirait que tout ce que vous avez là [elle montre son
cœur], vous donnez vraiment ! Ca, ça marque les gens beaucoup. » Koukou
Ici le plaisir avec lequel ces jeunes produisent leur action est articulé avec les effets
de celle-ci sur la population locale. Nous retiendrons de la citation précédente l’idée
d’une « bienveillance de chacun » pour comprendre ce principe du plaisir basé sur
un enrichissement réciproque.
Plaisir ne doit pas être compris comme jouissance personnelle, mais bien en lien
avec les effets produits pour la population. Ainsi, les jeunes découvrent l’utilité de
leur action. Il ne s’agit pas d’une utilité définie à l’avance en répondant à une priorité
d’intervention élaborée par des experts, mais du fait d’éprouver cette utilité dans le
contexte de l’action et au travers de ces interactions, au travers de l’approche
relationnelle dont nous parlions plus haut :
« Et puis dans ces moments, là c’est personnel, j’ai vraiment l’impression d’être reconnue
pour ce que je fais. Moi, mon plus gros bonheur, c’est quand les gens viennent me dire, à la fin
de l’atelier ou d’une scène : merci beaucoup, t’as donné deux heures de bonheur à ces gamins
qu’ont pas l’habitude… Ou alors : vous savez, ces hommes ils sont emprisonnés, donc merci,
ça leur a fait vraiment du bien. […] Et quand tu vois les yeux des gens qui se disent : mais j’ai
jamais entendu mon enfant dire ce genre de truc, ou alors : on ne pensait pas que ces patients-
là étaient capables de sortir des choses pareilles, en fait ce n’est pas moi qui y arrive, c’est le
slam qui arrive à faire dire à des gens des choses dont jamais ils ne parlent. » Slam Connexion
« Pour nous, l’associatif, c’est un vrai plaisir. De voir les gamins apprendre, comprendre et
s’épanouir avec ce qu’on a produit, c’est magnifique. Que demander de plus. On n’était pas
payé, mais c’était ça notre salaire, il était là, de voir leurs yeux ébahis par ce qu’on pouvait
faire avec un ordinateur. Des personnes âgées pour qui l’informatique est une montagne, et
qui après 2, 3 semaines, un mois, qui naviguent, qui savent « tout faire » sur un PC, c’est que
du bonheur, parce que quand on les recevait, on avait des discours défaitistes : "moi,
l’ordinateur, c’est trop compliqué pour moi, je suis trop vieux, je suis dépassé. Mais non, vous
allez voir, on va faire le pas". On leur a mis un peu le pied à l’étrier. » ASBD
Il semble ici que l’échange et le partage ne soient pas des vœux pieux, mais la
réunion spontanée de différents éléments. Les actions ne se contentent plus
uniquement de répondre à des attentes identifiées. L’action devient contexte pour
proposer un mode relationnel à la population locale, fait de connaissance réciproque,
d’enrichissement par le partage, de co-construction d’une utilité.
« Les participants, les adhérents et les bénévoles et ceux qui viennent en tant que public disent
que ça permet d’ouvrir les yeux sur ce qui se pratique et de valoriser ce que font les jeunes. Et
eux, se sentent valorisés, complètement, dans ce festival. Ca devient une vitrine de la
solidarité, des cultures urbaines, de l’éco-citoyenneté et de la jeunesse. » CUSF
« Notre objectif, c’est surtout de partager des moments forts. Parce que aussi, avec les cours
de Koukou donnés par Julie, il y a aussi ce côté thérapie, entre guillemets, pour que les gens se
lâchent, pour que ça fasse du bien aux gens. Donc, là c’est encore une autre chose, […] c’est
vraiment les cours, où les gens sont heureux tout simplement. C’est aussi le but de
l’association de faire ça. » Koukou
« Même après six ans d’existence, hier soir par exemple, j’ai croisé un gars du village que je
connais bien, et c’était la première fois qu’il venait. Il savait que L’Etabli existait, jamais il
n’était venu, et quand il a vu ça, il m’a dit : « c’est incroyable, le bonheur est là et j’étais
jamais venu », ça m’a fait quand même bien plaisir. C’est surtout ça, on n’est pas dans un
village très actif. On est dans un village de personnes âgées, de parents, les gens ne se parlent
pas trop. […] S’il n’y avait pas de plaisir, on ne le ferait plus. Je sais que ça me fait vraiment
plaisir quand tu es en soirée, et que ça se passe bien, t’es content. Parce que tu te dis, ce n’est
pas nous, mais c’est quand même grâce à notre action que ça se lance aussi. Et puis quand les
gens arrivent en disant : Mais c’est trop beau, c’est trop classe ce que vous avez fait, les
cabanes elles sont bien, ça fait un petit pincement au cœur. Il y a de la fierté aussi… »
L’Etabli
Cette utilité est bien entendu une utilité sociale puisqu’elle se concrétise au travers
de la mise en relation des individus participants à ces actions. Nous parlerons
d’ailleurs plus volontiers de co-construction, tant les allers-retours entre les jeunes
porteurs d’initiatives et la population locale sont consubstantiels à cette utilité sociale.
Mais pour pouvoir clairement identifier cette utilité comme sociale, il faut également
comprendre son inscription dans un champ plus vaste de problématiques vécues par
la population locale.
Pour les projets dont la nature s’adresse de fait à un public plus particulier, ici la
population jeune au travers des pratiques de hip hop (La New School) et la pratique
du skate board (ASBD), impliquer l’ensemble de la population qui gravite autour de
ces activités est une valeur importante.
« Les parents qui viennent déposer leur gamin, on leur parle. […] Donc on parle et puis
quand on explique un peu au niveau des compétitions, les parents, des fois, s’ils voulaient
venir nous donner un petit coup de main. […] les parents voient aussi qu’on fait attention à
leur gamin, ça leur fait plaisir, donc ils ont peut-être plus envie de s’impliquer en retour. Je
ne dis pas que c’est tous les parents. » ASBD
« On a des jeunes de quartier qui à la base menaient une vie très compliquée On les voit
grandir, avec les parents qui s’investissent, il se passe quelque chose au sein des familles.
Je me dis qu’on a quand même une capacité à rassembler les parents autour de leur enfant.
J’espère que les gens sont conscients de ce qui se passe dans la tête des jeunes, et de ce que
ça leur fait. Je me dis qu’on a évité à certains jeunes un mal être parce qu’ils se sont
retrouvés dans l’activité, parce qu’on les a accompagnés.[…] un petit jeune de 12 ans […]
qui a vraiment évolué, et aujourd’hui toute sa famille est dans le projet de l’asso,
accompagne leur enfant.» La New School
« Aujourd’hui on se dit que c’est la crise et patati et patata, et on peut peut-être se dire que
[le Slam] c’est une préoccupation qui peut sembler secondaire, qu’il y a des urgences
comme remplir son frigo ou être sûr de pouvoir payer les frais de scolarité de ces enfants
ou je ne sais quoi. Mais je pense avant tout qu’un individu, pour qu’il puisse se réaliser, il
faut qu’il se sente bien et dans son corps et dans sa tête. Et ce que propose l’association ce
n’est pas de dire : le slam va vous changer la vie ; c’est que simplement, c’est parfois aussi
important de prendre le temps de s’arrêter, de discuter et que de venir à une scène Slam
c’est juste un prétexte pour pouvoir échanger avec d’autres personnes autour de la poésie
ou de ce qu’on a envie. » Slam Connexion, extrait interview filmée
L’utilité sociale n’est pas ici définie comme action ciblée a priori dans le champ de
l’intervention sociale ; elle est découverte pas à pas, elle se développe en situation,
dans des actes.
4. Appropriation du territoire.
Ce principe qui consiste à inscrire son action dans les préoccupations toujours plus
élargies de la population locale, transformant le projet lui-même, est un temps des
plus importants de la dynamique que nous observons. C’est le temps de
l’appropriation du territoire. Il nous faut être très attentif au fait que nous sommes
face à une appropriation bien particulière : s’approprier le territoire ne doit pas être vu
comme une maitrise qui s’exercerait sur un mode possessif. C’est nettement du côté
d’un apport dans la trame des relations, d’un être ensemble co-construit que peuvent
être entendues les dynamiques que mettent en œuvre ces jeunes. C'est-à-dire que
nous sommes face à une inscription de ces initiatives dans le territoire, et non à leur
intégration. L’intégration reviendrait à dire que les actions portées par ces jeunes
seraient mises en conformité par rapport à des attentes préalables, seraient
restreintes à ce qu’on pouvait a priori attendre d’elles, seraient limitées à des
possibles définis par d’autres. Nous avons vu qu’il en était tout autrement, et que loin
de se dissoudre dans des représentations préalables, c’est au travers d’une
ouverture sans cesse « négociée » avec la population locale, une ouverture créatrice
d’un être-ensemble renouvelé, que ces initiatives se projettent dans l’espace public.
S’inscrire dans un territoire – et non s’y intégrer, comme nous l’avons précisé –
consiste tout d’abord à situer son action. C’est dans une trame relationnelle que va
se positionner l’initiative dans l’espace locale. Curieusement, la diversité des
individus (et de leurs préoccupations) rencontrée par ces jeunes tout au long de leurs
parcours ne semble pas entamer la raison d’être de ces projets, n’en érode pas
« l’âme ». Bien au contraire, ces initiatives en ressortent renforcée, la confrontation
avec d’autres conduisant à préciser leur identité. Dorénavant, ces jeunes ne seront
plus simplement des porteurs d’une pratique particulière, ils sont les membres d’une
culture (d’une sub-culture pour être exact). Il en ressort qu’ils se voient maintenant
investis comme gardien-passeurs de ces « cultures », et vont mettre en place les
moyens de leur reconnaissance. Il peut s’agir de culture « émergente » ou d’une
référence à une culture plus traditionnelle.
« Les gens pensent effectivement que le teufeur, il est en général sans travail, Rmiste… il a
surement merdé quelque part dans sa vie quoi… et en plus, ben, il est drogué quoi. Et c’est
ce que je répondais à un chasseur l’autre jour, en étant sur un table ronde avec des maires,
et puis je lui disais : "ben nous on pensait que les chasseurs c’était tous des gens qui étaient
saoul au vin rouge dès 10 heure du matin et qui tiraient n’importe où…" Il a fait des grands
yeux… et je lui ai dit : "ben oui, moi aussi je fais les mêmes yeux parce que c’est exactement
pareil… Je suis sûr que chez vous y’en a surement quelques uns qui sont comme ça, ben chez
nous, y’en quelques uns qui sont comme ça. Mais c’est certainement pas eux qui sont
majoritaires… ben chez nous c’est pareil." C’est pareil, mais c’est tellement plus facile de
montrer ce qui ne va pas que de montrer ce qui ca bien malheureusement… » Extrait clip
vidéo Epsylonn
« On a fait des expos pour faire comprendre ce monde-là, on a fait des rencontres.. »
Epsylonn
« Et à côté on souhaite qu’il y ait une parole, une parole de jeunes sur la culture hip-hop
en général, mais aussi sur ce que ça leur apporte. » La New School
« Il y a un respect vis-à-vis de la tradition qui est fort. Et puis un partage, une envie de
découvrir. Un partage autour de la tradition. Comme si la barrière de la tradition qui est
souvent là, on l’ouvrait justement à nous occidentaux, blancs, qui ne connaissons pas du
tout cette culture-là. En apprenant vraiment la tradition avec un respect et des explications,
des réflexions, des questionnements, qu’on partage du coup autour de ça. La musique,
comment ça marche ? Cette danse, qu’est-ce qu’elle a comme signification ? Pourquoi on
la danse comme ça ? Et avec nos interprétations, nos questions, on rajoute, on mélange les
deux.. » Koukou.
Dans tous les entretiens, les jeunes insistent sur le fait qu’ils ne sont pas des porte-
paroles de ces « cultures » associées à la pratique, ils en sont des membres,
apportant leur pierre à l’édifice.
« Pas du tout pour organiser à la place de, surtout pas pour représenter, on ne représente
personne. C’est libre, donc on ne peut pas avoir une personne qui serait le représentant
d’une fédération. C’est pour ça que le collectif des sound system a toujours été informel. »
Epsylonn
« Je ne veux pas me faire la porte parole parce que c’est des gens que je ne connais pas et
c’est juste une impression que j’ai eu […]. Le jour où on me demande ça, ça va être direct :
écoutez ce qu’ils ont à dire eux. » Slam Connexion
Mais au-delà, ils ne positionnent pas ces cultures en opposition à d’autres, ils
cherchent simplement à les faire reconnaître pour ce qu’elles sont, en dehors des
préjugés stigmatisants.
« D’arrêter un peu d’avoir des clichés tout fait de cette culture et de cette musique et de
cette danse. » Koukou
« … organiser un travail de médiation avec les pouvoirs publics. Je me suis retrouvé assez
rapidement à la table des négociations avec les préfectures, a essayer, avec d’autres, de
faire que notre mouvement, notre culture puisse être respectée et tout simplement reconnue.
Ben, il y a un enjeu énorme parce qu’on est vu pas comme une activité musicale ou
culturelle, on est vu comme un problème de sécurité. » Extrait clip vidéo Epsylonn
Le principe que nous venons de mettre en lumière en décrivant ces jeunes comme
membres d’une culture et non plus simplement porteurs d’une initiative personnelle
(ou concernant simplement le collectif d’initiateurs) pose la question d’une
responsabilité qui dépasse la sphère individuelle. Nous avons relevé que cette
responsabilité était très souvent décrite sur un mode actif, articulée avec l’agir. Le
verbe (se responsabiliser) serait d’ailleurs ici nettement plus approprié que le nom (la
responsabilité).
« Et on donne une bonne image parce que les gens voient qu’on s’implique, qu’on se
bouge, qu’on est dynamique. Ils voient que les jeunes se bougent sur Dunkerque, ça se
responsabilise. » ASBD
« Le fait de travailler dans l’associatif, ça nous oblige à nous responsabiliser parce qu’on
porte le nom de l’association. » Assil
« Cette culture-là, elle est basée beaucoup sur l’autoresponsabilité. C’est-à-dire qu’on va
dans un lieu, on va y être responsable pendant 24 heures, 48 heures, de A à Z. Les
personnes qui vont venir vont être libres, elles ne vont pas payer, il n’y a pas de
discrimination par l’argent, il n’y a pas de discrimination par la nationalité ou par les
vêtements… Chacun va venir librement et après chacun va devoir effectivement trouver sa
zone de liberté là-dedans. C’est-à-dire, où est-ce que je vais pouvoir me garer, comment je
vais pouvoir aider pour que la fête soit plus sympa, est-ce que je vais ramasser mes
déchets, est-ce que je vais faire attention à ce que l’autre à côté de moi n’ait pas trop bu ou
pas trop fumé… Moi, c’est vraiment ça qui m’intéresse dans ce milieu-là, c’est que au lieu
d’être assisté complètement de la société, du cercle familial, des autorités… là, on est dans
un espace où les gens doivent trouver eux-mêmes leurs limites… » Epsylonn, extrait clip
vidéo
Il est tout à fait fondamental de comprendre la manière dont ces jeunes posent la
question de la responsabilité : pour eux elle est une « compétence agie » et en
aucun cas possédée comme une identité. En réaction au discours moraliste et
médiatique qui impose « d’être responsable », ces jeunes répondent en posant in
situ l’exercice de leur responsabilité.
Les différents éléments que nous avons identifiés dans cette partie, qu’il s’agisse de
l’appropriation d’une identité liée à une culture et de la lutte pour sa reconnaissance
ou de l’exercice de la responsabilité qui en découle, permettent de spécifier
l’engagement de ces jeunes : c’est un engagement plein et entier, qui va se décliner
à travers un ensemble d’investissements, qui sont de plusieurs types.
Presque tous les jeunes que nous avons rencontrés ont mobilisé leur propre argent
dans les actions menées, pour compenser un manque de fond. Mais ils ne décrivent
pas cet apport personnel comme une obligation pour la survie de leurs actions (bien
que de fait ce soit le cas), mais comme moyen de faire vivre leurs actions, attestant
de leur engagement.
« Enfin, il y a du rêve là-dedans aussi. C’est un mélange de tout quoi. C’est pas de la
solidarité, c’est pas des vacances, c’est pas… mais en même temps si. C’est des vacances,
c’est de la solidarité internationale, c’est l’histoire du sound-system aussi, c’est faire de la
musique. C’est un mélange de tout quoi. C’est pareil, ce n’est pas vraiment dans des cases
quoi. On me demandait : Est-ce que vous demandez des subventions pour ça ? Ben non, on
a jamais demandait. On se saigne quoi, franchement, on se saigne. » Epsylonn
« On a même travaillé, moi personnellement, je suis partie en colo, lui, il a fait ingénieur
du son, pour combler les trous. En fait, c’était pour couvrir les déficits. […] parce que la
région ils ne nous ont pas donné un sous. La ville de Castelnau qui avait promis de nous
financer n’a pas donné un sous […] Malo a offert son cachet d'ingé son de la fête de la
musique et moi, je suis partie en colo deux semaines pour combler les trous, parce que pas
grand monde veut donner des petits sous. Et en avril on s'était retrouvé puis dit : on ne va
pas annuler un truc comme ça ! Zipakeu, c’est notre projet, donc ça nous a pas dérangés
d'aller travailler pour ça. Je préfère donner des sous à Zipakeu qu’à moi-même, même si je
n’en ai pas vraiment plus. » Zipakeu
Ce qui est peut-être le plus surprenant, c’est qu’ici pour faire vivre sa passion et
l’offrir au plus grand nombre, il semble « acceptable » d’en passer par un
investissement financier personnel. L’appropriation (« c’est notre projet » citation
précédente) et la responsabilité (« on ne va pas annuler un truc comme ça ») sont à
l’œuvre dans cet engagement désintéressé et sont tournées entièrement vers ce qu’il
apporte à la population concernée.
« Parce que nous, on ne fait pas ça pour l’argent. On n’a jamais fait ça pour l’argent.
Aujourd’hui, on a été capable de débourser de notre poche pour emmener des jeunes etc.
Nous ce qu’on s’est dit, c’est qu’il y a toujours eu du retour pour les jeunes. […] même si il
faut payer 10 euros la place du jeune, ben on veut bien le faire… » La New School
« Moi, regardes tu vois, j’ai une demi après-midi de libre, je viens, je me fais plaisir… Bon,
c’est ma passion en même temps, c’est normal. Dans chaque association, y’a des
passionnés. Tu t’investis, si tu crées une association, c’est que… tu fonces ou tu ne fais
rien, mais ce n’est pas à moitié. En tout cas, c’est ma façon de voir les choses. » ASBD
« J’ai été animatrice pour la ville de Rennes avant, c’était mon job machin. J’ai
démissionné pour pouvoir faire mon volontariat associatif. Donc j’ai perdu 300 euros de
salaire en un mois, pour travailler plus que ce que je ne travaillais avant, ça a été un choix
vraiment personnel parce que j’avais envie de découvrir ce que c’était, […] J’ai su ce que
c’était assez rapidement. A savoir que tu n’as pas tous tes week-ends, on t’appelle à 20h un
soir pour te prévenir d’une réunion le lendemain à 8h. Plein de petites choses comme ça. Et
j’adore ! Je me plais là-dedans, je kiffe, ça ne me fait pas peur, parfois, ça va être un peu
frustrant certes, mais vraiment j’adore. Toujours en action. Et des fois tu as l’impression de
ne jamais sortir de ton travail parce que même sur ton temps personnel, on t’appelle. »
Slam Connexion
« On est parti de zéro, on a tout fait tout seul, on a géré tout ça en autonomie, en solidarité,
et puis… ben voilà, quand on aime ce qu’on fait, nous on ne compte pas nos heures, on est
totalement investi. Il y en a qui ont des emplois à 35 heures, qui travaillent toute la
semaine, et qui ont le temps quand même de s’en occuper. Donc on s’investit totalement. »
Assil
Un dernier point doit être abordé. Lorsque nous avons évoqué avec les jeunes la
question du lien aux autres pratiques, ils faisaient quasiment tous référence à
d’autres pratiques « émergentes » sur leur territoire. Il n’a pas été fait référence à
des actions plus traditionnelles ou plus « institutionnelles » que peuvent produire des
structures socioculturelles ou des institutions publiques. Le rapport qu’entretiennent
ces initiatives à ces dernières est envisagé sous l’angle d’un partenariat avec des
structures, mais pas comme un lien entre différentes pratiques d’un territoire. C’est
pourquoi nous traiterons de cette relation particulière dans le chapitre suivant « Le
territoire comme enjeu : institutions et initiatives ». Dans ce chapitre-ci, il sera donc
évoqué avant tout les liens que ces initiatives construisent avec d’autres actions
« émergentes », avec d’autres associations du même « genre ».
Parfois ce croisement voulu des pratiques est à l’origine même de l’initiative. Il s’agit
de ne pas avoir à faire un choix réducteur au sein d’une offre qui les catégoriserait.
Ce type de croisement fait appel à la proximité que peuvent entretenir les pratiques
entres elles, nous parlerons alors de porosité des pratiques.
« Et en même temps j’adorais la danse, le théâtre, la musique et j’en avais marre des gens
qui décidaient, ce soir on va voir de la musique, ce soir on va voir un spectacle de théâtre.
Je me disais que ce serait bien de tout mêler ». Zipakeu
Dans cet exemple, l’objet même du festival de l’association Zipakeu est de proposer
un spectacle pluridisciplinaire, mêlant musique, théâtre, danse et conte.
Mais il apparaît également que la porosité des pratiques peut être découverte en
chemin. Quand bien même elles ne correspondraient pas stricto sensu à l’objet de
l’association, elles semblent pouvoir l’enrichir et attester de son ouverture.
« Au fur et à mesure que l’association fait des activités, des arts pluridisciplinaires se sont
intégrés, de façon complètement naturelle, spontanée. Je pense aux acrobaties, à la
Capoeira qui est un art brésilien, au jonglage, ou même l’essai avec d’autres instruments,
qui ne sont pas du tout des instruments traditionnels, l’accordéon par exemple. C’est des
petites touches comme ça dans l’association Koukou qui font que cet espace d’échange et
de partage est ouvert. […] De toute façon, c’est des pratiques qui se lient très facilement et
tout ça, ça peut se parler… » Koukou
Dans un cas comme dans l’autre, une attention particulière est portée au fait que les
pratiques ne soient pas cloisonnées, qu’elles ne soient ni excluantes, ni exclusives,
qu’elles « se parlent » (extrait précédent).
« Au début c’était plus concert tout court. Depuis deux ans on fait pas mal de soirées à thème
: théâtre, rock, africain, tzigane il y a deux semaines. Le public change avec les thématiques,
c’est aussi pour ça qu’on a fait aussi ce type de thématiques. Et le fait de faire des soirées à
thèmes, le thème tzigane, une soirée pour la terre… c’est un public bien différent qui vient.
[…]C’est clair que ça a bien ouvert les publics… mais c’est un boulot de longue haleine. »
L’établi
Il ne fait aucun doute que les initiatives qui permettent ce croisement bénéficient d’un
public plus nombreux et plus divers. Néanmoins, le but n’est pas de « faire du
chiffre », mais bien de mettre en contact ces populations, de créer une véritable
mixité. Les pratiques sont considérées dans ce cadre comme un moyen d’assurer la
découverte dont nous avons déjà parlé, mais également de réunir en un même lieu
une population aux affinités diverses. Nous parlerons ici de complémentarité des
pratiques, puisque ce croisement permet de répondre plus largement aux attentes
variées de la population locale.
« Et le soir après, c’est beaucoup plus festif, on est sur trois plateaux de scène musicale qui
fonctionnent en même temps. On peut justement dispatcher les sons et puis faire découvrir
plein de sons différents aux gens, en même temps, mélanger les cultures, puisqu’on peut
avoir aussi bien du reggae, du punk, de l’électro, du drum and bass… Enfin voilà, tous ces
sons-là mélangés qui fait qu’il y a aussi une mixité des gens, qui viennent de tous les
milieux. » CUSF
« Il fallait laisser un temps de parole, un temps de regard sur les actions qui se passaient. On
a essayé d’être généraliste, de vraiment la diversifier. On a travaillé en direction du sport,
on a suivi toute une saison l’équipe de baseball, d’athlétisme aussi avec la partie plus
technique sur la physiologie et sur le corps. Après on a suivi des peintres aussi, des
plasticiens qui étaient plus en art contemporain, mais aussi des créations de groupe de
musique de la première répète jusqu’au concert et à la création de maquette. […] Il n’y a
vraiment pas à douter des qualités de ces gens-là. La seule chose, c’est la mise en éclairage.
Ils manquent d’éclairage, il y a beaucoup d’ombre. Il y a beaucoup de pratiques qu’on met
au bord […] Il s’agit que ces marges ne fassent pas peur ou qu’elles ne soient pas
effrayantes, mais il y a des moments plus spécifiques où on les laisse. » Mockuery
Dans cet extrait, avoir une approche généraliste, c’est assurer une équité dans la
médiatisation tout en reconnaissant la diversité constitutive de chacune de ces
pratiques. Nous sommes donc à mille lieues d’une approche médiatique
commerciale qui standardise en lissant, qui équilibre en alignant par le bas la
diversité des contenus.
« D’où l’idée d’avoir une association qui gère un lieu où différentes associations viennent
profiter du lieu, participer aux activités. C’est un petit peu ce qu’on cherche à faire avec le
skate parc, c'est-à-dire par le biais de concerts, on essaye de travailler avec des groupes
locaux. » ASBD
Dans le même état d’esprit, Rencontres Audiovisuelles, qui bénéficie d’un lieu
particulièrement convivial pour sa programmation habituelle de courts-métrages,
ouvre ces portes à des groupes de musique, des compagnies de théâtre qui
voudraient s’essayer à l’intégration de l’audiovisuel dans leur création.
« On a aussi des concerts, des compagnies qui intègrent l’audiovisuel dans leur création et
qui viennent soit faire une représentation, soit carrément s’installer en résidence pendant
une semaine. En fait, c’est l’audiovisuel sous toutes ses formes […] Sur les projets, on a
accueilli pas mal de collectifs, ça a aidé certaines personnes à pouvoir créer des contacts ou
être vues. » Rencontres Audiovisuelles
Bien entendu, le fait d’avoir la gestion d’un lieu, tant dans son fonctionnement que
dans sa « programmation », est un atout majeur pour offrir à d’autres pratiques une
scène pour leur valorisation. Mais cette valorisation ne s’arrête pas à « laisser une
place » à un moment donné. Ces initiatives vont également jouer sur une certaine
notoriété pour assurer les conditions les plus favorables à cette valorisation.
Le croisement des pratiques que nous venons d’aborder ne doit pas masquer les
inégalités qu’il peut y avoir entres elles. Certaines initiatives que nous avons
rencontrées ont gagné au fil des ans une certaine notoriété, que ces jeunes vont
maintenant mettre à disposition d’autres pratiques considérées comme plus
marginales ou plus amateurs. La valorisation fait donc appel à une scène pour
rendre visible ces pratiques, nous l’avons dit, mais joue également du « prestige »
assuré par la notoriété pour permettre la reconnaissance la plus favorable possible.
A ce titre, Culture Urbaine Sans Frontière est exemplaire. Il s’agit pour son créateur
de proposer aux praticiens des cultures urbaines « qui se créent dans la rue, avec
des gens qui n’avaient pas forcément les moyens de se payer des licences en club
ou qui ne trouvaient pas de lieux d’expressions4 » de venir faire des démonstrations
dans le cadre du festival « festipop ».
« C’est un montage d’abord de jeunes, de projets de jeunes, qui ont envi de monter… tient
un contest de skate comme ça. […] parce qu’à un moment donné je connaissais des gars
qui faisaient du sport, des gars qui faisaient du graff. Moi, j’ai monté la partie street ball
parce qu’à l’époque je faisais du street ball […] Donc le basket de rue qui se joue 3 par
3[…] on leur met donc à disposition le lieu, on se sert du nom Festipop avec la notoriété
que ça a maintenant… Maintenant hein, pas avant. Ca a pris du temps. » CUSF
Deux aspects de cette valorisation doivent être retenus : permettre l’accès à une
scène (« on leur met à disposition le lieu », extrait précédant) et utiliser le levier de la
notoriété pour assurer des conditions favorables (« on se sert du nom festipop, avec
la notoriété que ça a maintenant » extrait précédent). Parfois, il n’est pas fait appel à
la notoriété de la structure elle-même, mais à la renommée d’artistes invités à cette
occasion.
4
Extrait de la vidéo de présentation du « festipop 3 », site internet de CUSF
créneau un peu rap, même si on n’est pas trop dans les artistes renommés, ce n’est pas trop
notre truc, mais on s’est dit on va faire un essai, on va voir comment ça répond. Et à côté
de ça, il y avait des jeunes danseurs, qui savent plus ou moins danser, qui ont fait la
première partie de « la Fouine » et qui ont dansé après, ça a été une réussite aussi pour
nous… et une volonté de pouvoir dire « …aujourd’hui il y a des jeunes qui veulent
s’exprimer, et qui savent aussi bien faire des choses ». La New School
« En fait, le but de Zipakeu, c’est de faire venir une petite tête d’affiche à tendance
humoristique et par le biais de cette tête d’affiche faire connaître des artistes locaux. Et
faire connaître d’autres activités, d’autres disciplines. » Zipakeu
Cette volonté de valoriser d’autres pratiques est liée à un but. Il s’agit de transformer
l’image des pratiques considérées comme marginales ou stigmatisées.
Parallèlement, c’est le regard sur les individus qui participent à ces actions qui va
être modifié, notamment quand il s’agit du regard porté sur les jeunes qui pratiquent
des activités de « culture urbaine ».
« Alors, il y a 6 ans, les cultures urbaines, elles étaient montrées du doigt. En disant : c’est
quoi ces jeunes à capuches, ces jeunes avec ces skates, ces jeunes avec les cheveux comme
ça, ces jeans troués […] Sauf que, ben sur ces 6 ans, on a réussi à faire entendre aux
pouvoirs publics locaux, parce que je ne parle pas d’au-dessus, je parle juste d’ici, au
niveau de l’Hérault et de la région, que ces pratiques urbaines, finalement, elles étaient
valorisables, elles avaient vachement d’importance au sein des jeunes, et qu’il ne fallait
pas du tout les mettre de côté et encore moins les montrer du doigt. Parce que du coup on
était en train de sectoriser les cultures urbaines, et tout un milieu de jeunes qui se
retrouvaient dedans. Les jeunes qui sont dans le reggae et qui font du skate et machin. […]
Donc c’est ouvrir les yeux un petit peu là-dessus, le médiatiser. » CUSF
Mais ici encore, ce travail volontaire pour inscrire d’autres pratiques dans un paysage
local qui ne les reconnaît pas toujours ne se limite pas à faire une place, il s’agit
Beaucoup des collectifs que nous avons interrogés ont des actions qui consistent à
regrouper différentes pratiques au sein d’un même projet. Si les éléments évoqués
précédemment sur les vocations du croisement des pratiques restent vrais ici
(permettre une scène pour la valorisation et les conditions favorables de la
reconnaissance), il faut néanmoins y voir une autre dimension. Le croisement permet
également d’associer des individus impliqués dans une activité à une action plus
vaste, dont les objectifs dépassent les préoccupations des pratiques elles-mêmes.
Nous reprendrons pour comprendre ce phénomène l’exemple de Culture Urbaine
Sans Frontières.
« Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour intégrer les jeunes dans notre action de solidarité
[…], et que eux puissent aussi se sentir valorisés avec cette action-là. J’ai parlé avec mes
potes qui étaient dans le milieu de la culture urbaine, j’étais dans la solidarité, et eux dans
la culture urbaine. Donc on a allié les deux. Eux ils ont amené la partie Graff’, le skate, qui
ont été les premiers ateliers il y a 6 ans. Et on en est arrivé à une conclusion de faire une
journée sportive avec une soirée. Et avec les fonds qu’on récoltait, aussi bien dans la
buvette que le soir, les reverser sur le Secours populaire pour une action bien précise. Et
de valoriser ça pour les jeunes. » CUSF
Dans cet exemple, organiser un festival autour des « cultures urbaines » permet
dans un premier temps de valoriser les praticiens mais également d’y inclure une
dimension « solidarité internationale » qui était la vocation originelle de son créateur.
Croiser les pratiques permet ici d’impliquer différents praticiens autour d’une valeur
fédératrice, regroupement qui n’aurait peut-être pas eu lieu s’il n’y avait eu cette
entrée par les pratiques.
« Dire aux jeunes que c’est bien ce qu’ils font, tous le monde vient, 3000 personnes qui sont
venues c’est excellent. Derrière, on fait un bénéfice de 4000 euros, vous pouvez en plus
aider des gens qui sont à 800, 1000 kilomètres de chez vous, et donner de l’eau pendant 20
ans à des gens. Donc il y a un mouvement et on le sens. Et donc de plus en plus, il s‘est
grossi. Et donc nous, localement, ce qu’on a pu faire, au niveau du noyau dur, c’est
impliquer les jeunes. » CUSF
Il semble que cette implication qui commence par la valorisation des pratiques
jeunes puisse être un levier important pour sensibiliser cette population à des
préoccupations d’envergure plus vaste, comme la solidarité internationale dans notre
exemple.
« "Moi, je vous dis qu’avec 8000 euros, on peut aider 8000 personnes pendant 20 ans". Et
ils m’ont dit : "mais comment on peut faire, qu’est-ce qu’il faut faire, on y va, on va
t’aider". "Ben voilà, on peut créer des puits d’eau au Niger. Une entrée payante à 10 euros,
égal de l’eau pour 2 Nigériens pendant 20 ans". […] Au niveau des jeunes, ils ont dit :
"avec juste 8000 euros, tu fais 8 puits et tu aides 8000 personnes ?" Ils ont tous votés oui. A
deux mains. Pas de problèmes, on fait ça. » CUSF
Ce regroupement semble jouer le rôle de levier pour fédérer les praticiens autour
d’un projet plus vaste en donnant un sens et un débouché à ce regroupement. Ce
qui nous semble important dans cette perspective, c’est la manière dont les
individus, ici les praticiens jeunes des cultures urbaines, sont impliqués dans un
projet dont les valeurs dépassent le cadre d’une pratique particulière. Il ne s’agit pas
de profiter d’un public captif pour injecter « de force » de la solidarité internationale
dans un projet qui en serait dépourvu, mais bel et bien de permettre à des individus
valorisés par leur compétence de praticien de s’investir et de s’approprier une action
au rayonnement plus vaste. Ici, le regroupement peut être considéré comme un
élément déclencheur pour sensibiliser les praticiens à d’autres valeurs que celles
liées à leurs activités propres.
« Parce que tout le monde l’a cet aspect solidarité, mais il est oublié. Des fois, il te faut
prendre une claque et te dire : Ah mais non, mais il y a plein de gens en fait qui font ça. Ca
existe encore tu vois. » CUSF
« On est resté dans le même thème, donc culture urbaine et solidarité, les deux se lient très
bien. On en a rajouté un cette année, c’est l’écologie, qui déjà gambergeait depuis des
années parce qu’on est jeunes et qu’on est dans ce mouvement. Et que cette année on a pu
vraiment le mettre en valeur. Et donc, tous ces projets émergent de jeunes qu’on rencontre
dans nos permanences qu’on a le mardi où on fait… on a fait apparaître qu’on est présent
sur l’organisation du Festipop et que c’est ouvert à tous. Que ce n’était pas des
organisateurs qui préparaient tout en amont. Pas du tout. Et c’est ça le but d’une
association et d’un évènement comme celui-là. » CUSF
Ce qui nous semble singulier dans ces différentes perspectives, c’est que les
pratiques ne sont jamais considérées comme de pures et simples activités. C’est-à-
dire que les individus qui y participent ne sont pas pensés comme des
consommateurs d’une activité, mais comme des acteurs d’une pratique. Ce qui
suscite notre intérêt à présent, est la manière dont ces jeunes vont chercher à
permettre aux « praticiens » rencontrés à une occasion ou à une autre, de bénéficier
d’un accompagnement vers cette position d’acteur. Nous allons maintenant tenter
d’expliciter ce travail pour consacrer une identité d’acteur.
Cette posture se décline dans un premier temps en direction des praticiens que ces
jeunes rencontrent dans les actions qu’ils mettent en place. En effet, lorsque ces
jeunes proposent une action, un ensemble d’individus est concerné par cette
pratique et c’est vis-à-vis de ce public qu’ils vont se positionner comme de véritables
accompagnateurs. Cela se concrétise tout d’abord autour de l’autonomie accordée à
ce public. Ce qui est recherché, c’est d’éviter un lien de dépendance entre les
organisateurs et les praticiens.
« Notre méthode de travail principal et là où on joue dessus, c’est à fond dans l’autonomie.
On n’a pas les ressources et l’énergie suffisante pour être tout le temps là, et ce n’est pas
notre souhait. L’idée à la naissance de l’association, c’était justement de se dire que si on
fait un cours à un endroit, on ne va pas pouvoir revenir l’année d’après pour que justement
ce cours-là, il puisse être mis ailleurs. Donc on fait en sorte que ces jeunes qui ont
pratiqué, ils puissent continuer à pratiquer par eux-mêmes. » Extrait clip vidéo, La New
School
La place accordée aux participants est un levier important dans cette volonté de
consacrer le public en tant qu’acteur. Mais il ne s’agit ici que de l’entrée en matière et
d’autres façons de fonctionner avec les praticiens vont permettre de « positionner »
ces individus au cœur de leur activité. Pour atteindre cet objectif, les jeunes vont
également permettre à ce public de faire la démonstration de ses compétences, non
seulement au travers de la maitrise technique d’une pratique particulière (c’était
l’objet de la partie 1.3.), mais également en leur offrant une place où ils vont pouvoir
à leur tour encadrer et transmettre cette activité.
capables quoi ! […] Les jeunes là-dedans, qui ont entre 16 et 30 ans, ils veulent bouger. Et
ils veulent qu’on leur donne les moyens de bouger. » CUSF
Ce qui nous semble intéressant dans cette manière d’accorder une place
d’encadrant à des individus qui ne sont souvent compris que comme des praticiens
amateurs, c’est le fait de leur offrir la possibilité d’exercer une responsabilité. Nous
avons déjà abordé cette question de la responsabilité. Mais il ne s’agissait alors que
de celle que les jeunes porteurs d’initiatives assument. Ici, cet exercice est offert aux
praticiens rencontrés à l’occasion d’une action particulière.
« On a pris une vielle bagnole, on l’a posée, les jeunes ont eu l’idée de faire un module [de
skate] pour passer au dessus. Moi, je suis arrivé, je leur ai juste donné quelques indications
par rapport à la commission de sécurité. Mais par expérience de ces 6 dernières années qui
se sont passées. Une fois qu’ils l’ont appris, ce que je leur ai dit, l’année prochaine, ils sont
à même de le faire tout seul. […] Bon, il suffit de leur expliquer. Je leur ai dit : Imagine le
gamin qui va faire ça. C’est vrai qu’on fait de l’initiation aussi. […] Y’en a un qui m’a dit :
« Et là, regardes, y’a une vis qui dépasse ». Tout de suite tu vois, il a vu que là on pouvait
s’accrocher, c’est venu de lui-même. » CUSF
« Tout le public de l’Hybride est adhérent au lieu, on arrive à 4500 adhérents en 2 ans. Et
en fait, on a un fonctionnement un peu participatif dans le sens où le public est invité à
l’assemblée générale annuelle et s’il le souhaite, il peut se présenter au CA. » Extrait clip
vidéo Rencontres Audiovisuelles.
« On a des jeunes de quartier qui à la base menaient une vie très compliquée. Aujourd’hui
ce sont des danseurs, ils vont à Brest faire un Battle et ils remportent le Battle. […]
J’espère que les gens sont conscients de ce qui se passe dans la tête des jeunes, et de ce que
ça leur fait. Je me dis qu’on a évité à certains jeunes un mal être parce qu’ils se sont
retrouvés dans l’activité, parce qu’on les a accompagnés.. » La New School
Nous parlons ici d’une implication du public dans un contexte particulier. En effet,
c’est dans le cadre associatif que les individus peuvent devenir des acteurs. Cela
implique quelques considérations particulières. Le domaine associatif, qui vit souvent
sur des subventions publiques en montant des dossiers auprès des institutions, fait
appel à des compétences spécifiques que ne possèdent pas de prime abord les
praticiens dont nous parlons. Ici encore, les jeunes porteurs d’initiatives que nous
avons rencontrés vont accompagner leur « public » en leur transmettant des savoirs
faire pour répondre à ces exigences.
« C’est ce que moi je rencontre et que je veux défendre parce que les 30 ou 40 jeunes qui
se sont impliqués dans le Festipop pop pour monter les différents projets, ils sont
arrivaient comme ça, en déboulant, en te disant tout, en commençant par l‘envers au lieu
du début quoi. Donc c’est d’arriver à faire ce lien là, avec le service public, et après ben
de laisser vraiment place aux jeunes et leurs idées quoi. Et j’arrive à faire le lien, ça va »
CUSF
« ET dans le CA, c’est vrai que c’est un CA avec plein de monde. Avec des jeunes qui ne
savent pas parler, qui ne savent pas écrire. N’empêche, ils sont là et on les valorise
comme ils sont. […] On arrive à accompagner nos jeunes dans l’écriture ce qui est
super. Mais il y a deux ou trois ans on s’est fait envoyer bouler sur des projets parce que
c’était un peu mal écrit, il y avait des fautes d’orthographes, le budget ne tenait pas
debout. Je trouve que c’est une violence par rapport aux jeunes… de ne pas être dans les
clous. » La New School
Nous reviendrons dans le chapitre suivant sur cette « violence » des injonctions
institutionnelles dans le montage de projet porté par des jeunes et les conséquences
induites par un tel positionnement. Mais il nous semblait que ce qui devait être
montré ici était l’ensemble des conduites des porteurs d’initiatives auprès de leur
public pour lui permettre d’accéder à cette place d’acteur sur son territoire. Si
l’ensemble de ces conduites n’est pas forcément formalisé dans les projets
associatifs que nous avons interrogés, la démarche, quant à elle, semble être
communément partagée. C’est pourquoi nous parlons plus de posture que de la mise
en place d’outils clairement identifiés pour atteindre ce but. Chaque initiative, à sa
manière, va chercher à être ce vecteur pour permettre à des individus entrés dans
cette aventure par une activité circonscrite de devenir une force vive de son territoire.
Ces jeunes ne se contentent pas d’agir auprès de leur public, ils développent la
même posture d’accompagnement vis-à-vis de l’ensemble de la population locale.
Néanmoins, dans les cas où ils agissent auprès d’autres individus que ceux qui
participent à leur action, ils le font en tant qu’acteurs associatifs. La différence
principale se situe dans le fait que dans ce cas, l’entrée en matière pour
accompagner les individus ne se fait pas par la seule pratique ; beaucoup de ces
initiatives ont acquis au fil des ans une place dans le paysage associatif d’un
territoire. Ils vont donc bénéficier d’une identité qui dépasse le cadre de leur pratique,
et vont être sollicités à ce propos.
« Nous essayons de faire le relais. Bien qu'il y ait une com’ au niveau du service jeunesse et
au niveau du CLAP sur « montez vos projets » etc., certains ne savent pas ou n’osent pas
aller en mairie, ils n’osent pas aller voir directement les services. Et du coup, ils viennent
plutôt voir les associations et ceux qui organisent. Et c’est là où nous donnons les contacts.
Faut faire aussi le relais. Et en dehors de faire le relais, nous pouvons nous associer sur
une animation, apporter notre soutien en réunion, organiser les rencontres, partager notre
expérience. » ASBD
Cet accompagnement est donc mis à la disposition de l’ensemble des personnes qui
souhaiteraient agir sur le territoire. Epsylonn a d’ailleurs créé une structure
associative annexe pour pouvoir salarier un de ces créateurs et réaliser cet
accompagnement le plus largement possible et dans les meilleures conditions.
« Il y a un an et demi, une autre structure, en asso 1901, qui s’appelle Techno-tonomy à été
créée. J’étais bénévole et maintenant je suis salarié, […] qui a pour but d’accompagner
toutes les structures ou les acteurs du secteur des free parties qui veulent, qui ont un projet
amateur. Que ce soit sur un évènement légal ou illégal, un événement organisé, que ce soit
sur un simple évènement avec 500 personnes ou quelque chose où il y a 3 à 5000
personnes. Le seul objectif, c’est vraiment d’accompagner, d’aider, d’être une ressource
d’information en termes d’organisation, un petit peu de prévention et d’hygiène, enfin de
les mettre en contact avec les personnes qui peuvent les aider à avancer plus
rapidement. […] et aussi à organiser un travail de médiation avec les pouvoirs publics…
Je me suis retrouvé assez rapidement à la table des négociations avec les préfectures, a
essayer, avec d’autres, de faire que notre mouvement, notre culture puisse être respectée et
tout simplement reconnue. » Epsylonn
Nous souhaitons tout de même attirer l’attention sur un point particulier. Dès lors que
l’on parle d’accompagnement, il faut avoir à l’esprit que ce travail ne peut se réduire
à une réponse technique face à une attente particulière. La posture
d’accompagnement défendue par ces jeunes consiste également à travailler en aval,
en direction des pouvoirs publics notamment, pour que ceux-ci prennent en compte
et reconnaissent ces « nouveaux venus » comme de véritables acteurs. C’est tout le
sens qu’il faut accorder au « travail de médiation » dont nous parle l’association
Techno-tonomy dans l’extrait précédent. Mais si cette association accompagne des
collectifs qui appartiennent à son « champ » d’activité (« le secteur des free parties »
dans l’extrait précédant), il peut également se trouver que cette démarche se tourne
vers d’autres « champs » que le sien propre.
« Ils sont cinq ou six, donc ils n’ont pas non plus un poids politique important. Et c’est pour
ça aussi que je leur dis de venir. Moi, j’apporte mon soutien, on va travailler ensemble à la
mairie, qui ouvre les yeux en se disant, ce n’est plus cinq personnes, c’est un collectif. Mais
attention, il faut une volonté que chacun veuille bien travailler ensemble.» ASBD
La posture d’accompagnement que nous décrivons est donc largement plus qu’une
activité annexe d’un projet global. C’est une véritable ambition pour le territoire. Il
nous reste à comprendre l’objectif d’une telle démarche.
L’ambition que nous venons d’aborder doit être comprise comme un double objectif.
Il s’agit dans un premier temps de susciter l’envie le plus largement possible et de
faire la démonstration en acte que « c’est possible ».
Cette démonstration dépasse le « champ » particulier des actions que ces jeunes
mettent en place. Néanmoins, il est important de comprendre que la dimension
« généraliste » de cette ambition ne s’oppose pas à l’aspect particulier des projets
que les individus peuvent porter sur un territoire. Cela nous semble particulièrement
bien mis en avant par l’association Cybercité qui, sans perdre de vue son action
singulière, prétend également défendre une dynamique plus large d’implication des
habitants de quartier populaire.
« C’est l’entre-aide, le conseil dans le quartier, […] et du soutien. C’est pour les valeurs,
mais c’est aussi un exemple. On a voulu donner l’exemple, on vient d’une cité, mais on
fait des choses. On fait des choses bien, on fait des choses pour vous et pour nous. »
Cybercité
Toutes les initiatives que nous avons rencontrées partagent à leur manière cette
démarche. Mais au-delà, nous pouvons voir que celle-ci est pensée comme un enjeu
crucial de la dynamique d’un territoire, voire même, dans l’extrait suivant, un enjeu
pour le niveau national.
« Qui chacun, avec des petits projets, ça va être un petit concert, un petit atelier
d’écriture comme je t’ai dit autour du slam. Ca va être une petite fripe mais avec des
vêtements de jeunes, de la mode éthique… y’a plein de choses qui se font. C’est fédérer
tous ces petits trucs et d’arriver à le remonter au niveau national en disant qu’il faut
aider tout ça. Faut laisser l’ouverture d’expression. » CUSF
Il faut être attentif au fait que le terme « fédérer » tel qu’il est utilisé dans l’extrait
précédent, ne doit pas être confondu avec la création d’une fédération. Nous verrons
dans la partie suivante que les passerelles imaginées entre ces différents « acteurs »
suivent une articulation particulière que nous appellerons la logique de réseau. Ce
terme de réseau, très employé aujourd’hui, a tendance à masquer les situations
différentes qu’il recouvre. C’est pourquoi nous nous attacherons dans la dernière
partie de ce chapitre à préciser ce que ces jeunes entendent par « logique de
réseau » et ainsi mesurer en quoi elle répond aux objectifs que nous venons
d’identifier.
Le réseau auxquels les jeunes font référence peut être tout d’abord compris comme
un réseau d’acteurs « similaires », c’est-à-dire agissant dans le même champ. Il
s’agit d’un réseau de fait, puisqu’il semble « naturel » pour ces jeunes de penser un
regroupement des acteurs de la même pratique sur un territoire.
« . Il faut savoir qu’on n’est pas la seule association qui pratique le futsal sur Grenoble.
[…] Dans tous les secteurs, il y a des associations comme la nôtre. On a la chance d’en
connaître deux ou trois. En 2010, on va mettre en place un projet d’échange, on va de
temps en temps jouer avec eux chez eux, de temps en temps ils vont venir chez nous, […] Et
on va essayer de faire bouger tout ça. Ce n’est pas facile, mais on essaye ». Assil
Partager une même pratique semble donc être un support « naturel » pour créer du
réseau. Mais précisons : il ne s’agit pas d’un regroupement aveugle et automatique
qui se contenterait de rassembler les acteurs d’une même pratique. Deux
Pour reprendre l’exemple de Assil que nous venons de citer, cette association ne se
lie pas avec tous les praticiens du futsal de Grenoble. Les clubs de futsal, qui au dire
de cette association ont une approche compétitive, ne sont pas « invités » à faire
partie de ce type de réseau. Ce regroupement est conditionné par une démarche
commune, partagée par ces différentes « associations ». Pour poursuivre notre
exemple, la démarche commune sera ici la convivialité et l’esprit « bon enfant ».
« Parce que dans un club, il y a un coach, c’est entouré, c’est suivi… Alors que nous là, on
ne s’attache qu’à notre expérience… et puis on essaye de gérer ça en fait. […] Ben la
plupart, ils viennent pour jouer au futsal, ils n’ont pas forcément envi de faire de
compétition… […] parce qu’il n’y a pas de rivalité en plateau… On se retrouve avec des
équipes, que ce soit de Mistral, de Fontaine, de Meylan et tout ça, ça reste des collègues.
On est des collègues et on joue entre nous. Nous sur un plateau, on connaît presque tout le
monde. Tandis qu’en club, c’est rivalité, eux contre eux… C’est des coups et des insultes
tout ça, alors que là, nous, non. C’est bon enfant, tout le monde rigole. » Assil
« C’est des connaissances à nous, qui ramènent des connaissances, ça fait un certain
réseau. […] On va inviter d’autres associations sur nos créneaux pour partager des trucs »
Assil
Ce qui nous intéresse dans cette manière de constituer un réseau c’est qu’ici la
démarche est très éloignée de ce que l’on pourrait nommer un réseau formel. En
effet, la tendance actuelle est au fonctionnement en réseau. Mais cette tendance très
développée sur l’ensemble des territoires masque en quelque sorte la diversité des
modes de faire coopératif. Les réseaux « institutionnels » sont souvent construits de
manière formelle, c’est-à-dire qu’ils sont construits ex nihilo, et sont sensés
regrouper l’ensemble des acteurs concernés par une même problématique sans
autres distinctions, et sans que ces acteurs se connaissent forcement au préalable.
Nous avons vu qu’ici il en est tout autrement, que le réseau n’est que la forme souple
du partage d’affinités au sein d’un même champ entre acteurs qui se connaissent et
qui pensent collectivement des modes de coopérations.
« On veut fonctionner en réseau tout simplement parce qu’on a les mêmes passions, à des
endroits différents - mais on n’est pas très loin, on est en Rhône-Alpes, et que l’esprit c’est
vraiment de partager et d’échanger, et de ne pas se marcher dessus. Et surtout pour
évincer l’esprit de compétition. Et du coup, on a organisé une soirée inter-associative, il y
avait 10 asso, une cinquantaine de personnes. Il y a pas mal de gens qui sont au Djéliya qui
étaient là-bas. Et c’était une soirée extraordinaire. » Koukou
Cet exemple illustre bien un des objectifs communs qui peut naître de cette
conception originale du réseau. Il s’agit d’évincer l’esprit de compétition et, pour ce
faire, de mettre les différents protagonistes d’un même territoire autour de la table.
Les objectifs se « découvrent » donc au fur et à mesure et ne font pas l’objet d’une
définition préalable. Pour reprendre notre dernier exemple, partager et échanger
avec d’autres qui « ont les même passions » fait émerger un objectif coopératif qui
permet d’éviter toute forme de compétition entre acteur d’un territoire. Le réseau
n’est pas ici une « coquille vide » où chacun doit composer entre ses objectifs et
ceux des autres, mais un espace qui, s’ouvrant sur une connivence entre acteurs, va
amener à des fonctionnements coopératifs.
« Et l’idée de ce réseau en fait, moi ce qui m’intéresse c’est de dépasser les intérêts
personnels : « oui, mon asso elle a besoin d’argent. Mon asso, elle n’a pas de
bureau ». C’est de se demander comment on peut faire vraiment ensemble. De se dire :
« Ok, ben il y a des problématiques qu’on a recensé, qui sont communes à plusieurs asso,
donc comment ensemble on arrive à se serrer les coudes et a obtenir ce dont on a besoin ».
L’idée de ce mouvement, c’est de mutualiser des compétences, des savoir-faire, de mettre
en relation les différents acteurs… » Extrait interview vidéo, Slam Connexion
Ces réseaux sont construits au départ avec « les pairs », mais ne s’y arrêtent pas. Ils
vont avoir des effets en interne axés sur le soutien que peuvent s’apporter les
différents protagonistes. Ce soutien ne se fait pas sur un élément identifié à l’avance,
mais se concentre sur la résolution des problèmes particuliers rencontrés ça et là par
l’un ou l’autre des acteurs qui constituent le réseau. Ici, il ne s’agit plus véritablement
d’un accompagnement, mais d’une forme de solidarité où les plus armés vont aider
ceux qui rencontrent des difficultés. Ce « suivi », d’égal à égal, où chacun apporte
les compétences acquises dans son parcours associatif, va devenir la matrice d’une
histoire collective mouvante.
« Quand tu as 20, 22-23 ans, tu ne connais pas tout le fonctionnement associatif. T’as
l’impression que c’est facile une asso. On s’inscrit à la préfecture, six mois plus tard tu
reçois ton papier, Ok, c’est cool, on est une asso, on peut faire ce qu’on veut. Mais non. Et
au fur et à mesure, tu te rends compte qu’il y a vachement de truc à assimiler. Et donc le
fait de rentrer dans un réseau, vous, vous êtes un peu plus vieux que nous au niveau
associatif, est-ce que tu sais remplir un dossier de sub ? Et puis on est dans l’échange et
puis ça discute, ça circule … J’ai entendu parler d’une nouvelle subvention qui sortait…
déjà pour l’information, pour vraiment l’échange et le partage de savoir, pour tout ça … Il
y a une histoire collective. » Slam Connexion
« Et tu peux lancer tes idées. Le week-end africain, c’est parce qu’on connaissait
« Koukou », on s’est dit : « on pourrait faire un truc ensemble ». On lance l’idée et on le
fait. C’est la deuxième année maintenant. Y’en a d’autres qui ne se sont pas faits cette
année. Mais d’autres associations viennent nous voir en disant : « on ferait bien quelque
chose… » Et nous on répond : « OK, on va trouver une date », on fait quelque chose
ensemble. On est vraiment ouvert à aller faire d’autres choses avec d’autres gens, ça c’est
agréable. […] Il n’y a pas beaucoup d’associations qui travaillent comme ça, ensemble ».
L’Etabli
« Parce que la première chose que tu fais c’est : vous êtes une compagnie de théâtre et
nous, « les clochards célestes » sommes en train d’organiser un festival, ça ne vous dirait
pas de jouer dans notre festival ? Et si vous cherchez des danseurs, nous on a des potes qui
ont une asso de danse. Et donc le réseau et toujours le réseau. Le réseau, ça reste le mot
phare de l’associatif, au-delà des belles amitiés qui peuvent se créer, parce qu’il y en a eu
et qu’il y en a encore de très belles, c’est tous ces échanges là… Et de soutien aussi. En
étant dans la galère, il nous manque dix bénévoles pour notre soirée de samedi soir, un petit
mail au réseau RéaJ et puis t’as tes dix bénévoles, ça c’est génial. » Slam Connexion
Mais cependant si ce type de réseau n’a pas vocation à être une entité autonome et
englobant la somme des individualités associatives qui le composent, il n’en possède
pas moins une certaine identité. Cette identité (évidement collective) s’exprime
notamment lorsqu’il s’agit de faire reconnaitre l’ancrage de ce « tissu »
d’associations sur le territoire.
« Maintenant, l'association fait partie du comité régional de skate, donc bosser avec
l’association de Lille, donc « la hall de glisse », bosser avec l’association de Calais, qui a
déjà un brevet d’Etat. On a tout un petit réseau au niveau de la région, donc du territoire je
dirais local, où maintenant on est installé. On a mis nos marques. » ASBD
4. Conclusion :
Les précédents chapitres se sont attachés à décrire la manière dont les jeunes
porteurs d’initiatives construisent leur ancrage territorial. Mais le territoire n’est pas
un espace vierge, sur lequel il y aurait tout à construire. Il est également un territoire
politique et administratif, sur lequel d’autres acteurs ont agi depuis des années et
continuent d’agir. Qu’il s’agisse d’institutions ou d’associations d’éducation populaire
traditionnelle, nous avons choisi de traiter de leur relation avec les jeunes dans un
même chapitre, pour deux raisons.
Tout d’abord, certains jeunes assimilent, voire englobent dans le même jugement
institutions et associations « instituées ». Si l’on se réfère à certains discours des
jeunes, ces deux types de structures « fonctionnent » plus ou moins de la même
manière, dans une étroite collaboration tout à fait compréhensible mais qui
développe cette confusion.
Ensuite, ces deux types de structures sont les interlocuteurs majeurs (parfois
exclusifs) que ces jeunes rencontrent sur un territoire. Ils représentent donc l’existant
d’un territoire. Leurs relations sont presque toujours envisagées sous l’angle d’un
partenariat complexe qui n’est pas sans effet (positif ou négatif) sur les dynamiques
de ces initiatives.
Entre freins et levier au développement des actions des jeunes, entre cadre limitant
et support incitant, nous traiterons dans ce chapitre des convergences et des
divergences entre les initiatives de jeunes et les institutions ou les structures
traditionnelles d’éducation populaire faisant du territoire un enjeu autour duquel ces
acteurs se réunissent ou s’affrontent.
Lors des premières rencontres entre les jeunes et les institutions, il semble parfois
que les préjugés jouent à plein régime et pèsent largement sur les relations. Ces
rencontres ne se centrent que rarement sur le contenu des projets proposés, étant
plus souvent des moments où chacun « juge » l’autre au travers de stéréotypes. Bien
sûr, ces relations ne sont pas une fatalité et vont évoluer. Néanmoins, les
représentations attachées à la jeunesse ne semblent pas épargner les acteurs
institutionnels d’un territoire et c’est notamment au moment où s’amorce la rencontre
qu’elles s’expriment le plus fortement. Deux aspects de cette image négative vont
nous intéresser ici, celle qui est associée aux jeunes eux-mêmes (notamment au
travers de leur apparence) et celle qui est associée à leurs pratiques (ce que nous
avons nommé des « pratiques émergentes »).
« La première rencontre avec le maire, lorsqu’on lui a présenté le projet, il a dit : Ah non,
je ne veux pas de rave party aux Abrets. Parce qu’on est arrivé, on devait être habillé avec
des chaussures un peu défoncées, des pantalons un peu troués, donc ça n’a pas trop plu.
Genre : "c’est quoi ces sauvages là ?" […] Les premières années, les échos qu’on avait
c’était : "c’est un festival de baba cool, c’est un festival de drogués, ça picole, ça fume…"
voilà, le bon cliché qui fonctionne très bien. […] C’est que tu dois déployer quinze fois plus
d’énergie quand tu es face à une mairie qui ne te soutient pas» Peacetoch
Mais il n’y a pas que l’apparence qui est la matrice de ces préjugés. Les pratiques
que les jeunes proposent semblent être soumises au même régime. Apparemment, il
y a une confusion de la part de l’institution entre « style » vestimentaire et « pratique
émergente » qui encourage et développe une image négative tant des pratiques que
des jeunes eux-mêmes. C’est donc souvent sur la base d’une stigmatisation – au
sens le plus strict du terme – que vont débuter les relations entre jeunes et
institutions.
« Il faut savoir que le futsal, ce n’est pas très apprécié par les administrations. Quand on
dit qu’on veut faire du foot dans une salle, ça ne passe pas. C’est vite : il va y avoir des
dégradations. D’où le refus de certains créneaux et de certaines subventions, soit disant
parce qu’on risque de casser du matériel. » Assil
Les amalgames qui découlent de ces stigmates (associant « jeans troués » à « baba
cool » et ensuite à « drogué » ou les praticiens du futsal à des délinquants qui vont
commettre des dégradations) rendent souvent difficile l’ouverture d’une relation et
vont demander aux jeunes eux-mêmes de lutter contre le stigmate qui leur est
associé. Mais bien plus, certains de ces amalgames sont institutionnalisés
nationalement (c’est le cas par exemple pour le monde des « free party ») et l’effort
doit donc être porté en direction des responsables institutionnels au plus haut niveau
« Ben, il y a un enjeu énorme parce qu’on n’est vu pas comme une activité musicale ou
culturelle, on est vu comme un problème de sécurité où on est géré, administré par le
ministère de l’intérieur et pas par le ministère de la culture ou pas par le ministère de
jeunesse et sport. Parce qu’on est vu comme un problème de sécurité. Il y a une rave party,
c’est d’abord un problème de sécurité. » Epsylonn
« Alors moi, j’ai envi de tirer cette culture là de ce schéma là vers le ministère de la
culture, le ministère de la jeunesse… C’est des gens qui savent se cadrer, qui savent se
gérer, il n’y a pas des débordements, il y a des gens qui sont très responsables là-dedans. »
Extrait clip vidéo Epsylonn
Cette réalité ne décourage pas ces jeunes qui vont – pour y répondre – mettre en
place des temps plus spécifiques pour faire comprendre leur « culture » et la faire
reconnaître à sa juste valeur.
« Parce que, la cible principale, c’est ça, c’est les élus. Parce que, c’est eux les plus frileux,
c’est eux qui vont tout de suite crier dès qu’il va y avoir quelque chose sur leur territoire
parce qu’ils ne veulent pas. C’est eux qui sont dans toutes ces institutions et qui
finalement… …/… Faire de la médiation avec les institutions, parce qu’avec les années j’ai
acquis de l’expérience, des savoirs faire, des savoirs parler. Les gens me reconnaissent, ils
m’identifient. Les gens, dans les préfectures, m’identifient bien maintenant. Tout le monde
n’a pas le temps, on est tous passionné ici. 90% des gens sont au boulot tous les jours, ils
n’ont pas le temps d’aller en réunion à 14h30 en préfecture. » Epsylonn
« … la perception du milieu par rapport à mon travail… […] Alors, la phrase super simple
que j’entends tout le temps c’est : c’est l’Etat qui te paye. Tu vois… et comme l’Etat pour
les gens c’est que le gouvernement que tu vois à la télé. Donc voilà, l’Etat c’est Sarkozy, tu
vois, les mecs ils arrivent à tout un truc… Alors tu dis : attendez, on est vraiment pas du
tout sur la même optique. Et même chez moi quoi, les gens disent ça. La phrase simplifiée
de tout ça, c’est ça quoi. Ben ouais, c’est une asso qui est subventionnée par qui ? Par une
institution. Institution, c’est un mot qui ne parle pas donc on dit Etat. Donc tu travailles
pour l’Etat. Qui plus est dans un mouvement qui est anti… pas-anti Etat mais qui aime bien
être à côté quoi. » Epsylonn
Nous avons donc à faire à deux types de préjugés : les institutions d’un côté voyant
la jeunesse et ses pratiques comme une menace et des jeunes de l’autre assimilant
les institutions locales aux déclarations des représentants du gouvernement. Face à
cela, les jeunes porteurs d’initiatives sont « entre le marteau et l’enclume », ayant à
faire face à la fois à l’accusation de l’institution pour des actes qu’ils n’ont pas
commis, et à un discrédit de la part des autres jeunes puisqu’ils sont « payés par
l’Etat » (extrait précédent).
La rencontre débute donc sur une véritable méconnaissance, laissant libre court aux
préjugés les plus grossiers. Mais cette inquiétude ne se décline pas simplement dans
le registre des représentations. C’est également la mise en place concrète de ces
initiatives qui inquiète les acteurs institutionnels. C'est-à-dire que ne sachant pas à
quoi s’attendre, les acteurs institutionnels d’un territoire vont être particulièrement
frileux, anticipant des débordements possibles.
« Je pense qu’ils aiment bien ce qu’on fait parce que ça bouge, que ça fait une activité dans
la commune… après, je pense qu’ils n’étaient pas assez au courant de ce qu’on faisait, et
ça les a fait stresser. » L’établi.
« Ils avaient les pétoches au début : le premier jour de montage, quand ils ont vu les
camions arriver… Et on a aménagé absolument tout le site, on a même créé une terrasse
qui n’existait pas, on a squatté un pôle pour faire nos bureaux, un autre pour faire les
loges. Enfin, on s’est étalé. La secrétaire à l’accueil était là : mais qu’est-ce que vous
faites, c’est quoi cette invasion ? Et puis finalement, dès que c’était parti, la directrice est
venue me voir en disant : c’est incroyable, ça me donne des idées… » Swing troubadour
L’inquiétude est présente également du côté des acteurs jeunes de ces « pratiques
émergentes ». Ils sont un certain nombre à penser que porter une action
« alternative » au travers d’une association légale et reconnue les expose plus
fortement à des « sanctions » ou des « blocages » de la part ces institutions.
« En fait la sensibilité assez partagée chez les adeptes de ces musiques est que
l’association, les contacts avec les institutions ou tout simplement une certaine
formalisation seraient en contradiction avec l’esprit de cette culture, et avec le désir de
liberté et la créativité. Dans ce milieu, les gens aiment bien rester informels, un peu
cachés. Ils n’aiment pas trop se mettre en asso, parce qu’ils ne sont pas informés. Ils ont
l’impression que s’ils sont en asso, on va leur taper plus facilement dessus. Alors que
justement, ils sont bien mieux protégés en asso. » Epsylonn
Les jeunes porteurs d’initiatives ont eu souvent à faire à cette situation de départ
difficile. Le temps et l’opportunité de « faire leur preuve » ont permis de dépasser et
de pacifier ces relations conflictuelles de prime abord. Ils en retirent une
« expérience » qu’ils vont maintenant mettre à profit plus largement, pensant que si
les préjugés peuvent être évités dès le départ, tant du côté des jeunes que des
institutions, les choses pourront avancer plus vite. Certains porteurs de projets vont
directement mettre en place des actions pour sensibiliser les institutions à une
« culture » particulière et souvent mal comprise. Mais c’est également à destination
des autres jeunes d’un territoire, qui pourraient être tentés par cette même aventure,
qu’ils vont porter leur message.
Il semble que deux facteurs permettent de dépasser ces représentations réciproques
négatives : la rencontre à l’occasion d’une action concrète, et la connaissance de
l’autre.
Pour ce qui est de la représentation que les jeunes ont de l’institution, la démarche
consiste à faire la preuve de ce que peut apporter une mairie par exemple (extrait
suivant) et ainsi permettre de dépasser les jugements hâtifs pour reconstruire une
lecture de la relation initiative / institution qui soit plus juste. C’est sur la base d’une
expérience concrète, visible, sur laquelle chacun pourra se faire un jugement, que
peut se mettre en œuvre une coopération des jeunes et des institutions.
« Mais, moi je vois, même quand tu as des amis qui n’ont rien à voir avec le skate… et
quand je leur parle du skate parc, qu’ils passent voir et qu’ils se rendent compte du truc, ils
disent : « Ah ouais, bien, c’est sympa, y’ a de quoi faire ». Et ça donne une bonne image.
Parce que du coup, même au niveau de la mairie : « C’est bien, la mairie elle vous a aidée
à faire ça ».Je leur explique aussi que derrière, il y a un discourt qu’il faut tenir. Faut aussi
que nous en tant qu’association… Non, ce n’est pas nous qui faisons tout. » ASBD
Il faut noter également que lorsque les acteurs institutionnels ont une lecture fine et
juste des « pratiques émergentes » des jeunes, leur jugement en est changé, une
réelle marge de manœuvre est ainsi offerte à leur possible coopération.
« Parce que aussi, mine de rien, on a des nouvelles générations dans les services publics.
Moi, je le sens un peu là. Il y a quelques personnes qui ont réussi à se faufiler dans ces
méandres de gens très politisés… Il en a qui sont passés entre les mailles du filet et qui
sont bien placés. Ces gens, qui sont jeunes ont une autre vision, ils savent que faire du
skate, prendre une bombe sur un mur et faire du graff, et du coup laisser libre expression
sur les murs et ne pas interdire les murs municipaux qui ne servent à rien, qui sont peints
uniformes et qui ne veulent rien dire, ce n’est pas signe de délinquance » CUSF
« A ceux qui critiquent, je dis : "OK, restez indépendant. Ne vous plaignez pas que cela
n'avance pas. Tu veux peindre un mur légal ou organiser un événement ? Créez une
association ! Vous vous y mettez à deux, une association, c’est deux personnes. Ou alors,
tu viens me voir et je m'occupe de la partie institution"…./… Et c’est ça que j’essaye de
faire comprendre. Même si les gens veulent rester des fois hors de ces structures-là, c’est
notre rôle à nous, en tant que responsables d’association, de comprendre […] et d'être le
relais avec les institutions. » ASBD
« CUSF, ce n’[était] pas connu. Le Secours populaire a une notoriété beaucoup plus
importante. Et pour monter le festival, je m’en suis aussi un petit peu servi de cette
notoriété. Et pareil au niveau des subventions… en expliquant qu’on était soutenu par le
Secours, de suite, ça passe beaucoup mieux. Après, j’ai décroché un partenariat avec le
Secours populaire régional. Donc, les choses se sont montées un peu en crescendo. Et
l’année dernière, j’ai décroché un partenariat avec le Secours populaire national. » CUSF
Mais parfois, les jeunes ne découvrent que plus tard qu’ils ont bénéficié de cet
« effet de confiance » en raison des relations qu’ils entretiennent avec d’autres
acteurs plus reconnus.
« Plus tard, on s’est rendu compte qu’organiser ce festival par le biais de la MJC nous a
donné plus de crédibilité face aux institutions et d’avoir pu acquérir un minimum de
confiance vis-à-vis de la mairie. » Peace’Toch
La démarche peut d’ailleurs également se faire dans l’autre sens, lorsque ce sont
les acteurs institutionnels eux-mêmes qui prennent les devant et jouent la carte de la
confiance avec les initiatives portées par les jeunes.
« Et derrière Guillaume Brillant [du Conseil Général] vient me voir et il me dit : c’est pas
mal, est-ce qu’on peut se rencontrer, j’aimerais bien mettre en avant le monde de la free-
party.[…] On l’a fait, […] ça s’est vraiment bien passé, ça a eu un peu de répercussions
dans la presse et puis ça a montré que les institutions commençaient à s’intéresser un peu à
notre culture. » Epsylonn
Dépasser les préjugés associés à la jeunesse est donc une affaire complexe, qui est
tout de même facilité quand d’autres acteurs (ici des associations d’éducation
populaire ou des techniciens d’institution) viennent soutenir, d’une manière ou d’une
autre, ces initiatives. Nous précisions dans le premier chapitre (L’origine de
l’initiative) que les jeunes ne souhaitent pas qu’on leur offre une place « privilégiée »
sur le territoire, qu’ils préfèrent avoir l’opportunité de faire leur preuve. Il semble ici
que les préjugés que véhicule parfois l’institution soient un frein à cette opportunité,
que le manque de confiance et de crédibilité qui leur est associé soit un obstacle à
la prise d’initiative. Mais, nous venons de le voir, quand ces associations sont
soutenues par d’autres acteurs, elles peuvent alors bénéficier de cet effet de
confiance qui leur était jusqu’alors refusé.
Nous avons jusqu’ici abordé ce qui relève du démarrage des relations entre les
jeunes et les institutions. Le dépassement des préjugés réciproques est à n’en pas
douter une étape nécessaire à la construction de relations entre acteurs jeunes
proposants des actions sur l’espace local et acteurs institutionnels ayant la charge de
ces territoires.
Mais au-delà de ces prémices, d’autres relations, plus formelles, vont se tisser avec
les initiatives que nous avons rencontrées. Dans une certaine mesure, l’institution
délimite et détermine ce qu’il est possible de faire sur l’environnement local. Les
initiatives de jeunes sont soumises, comme pour n’importe quel autre acteur qui
ferait appel à l’argent public ou simplement agirait dans l’espace public, à des
Les procédures auxquelles les jeunes qui mettent en place des actions dans l’espace
public doivent répondre, qu’il s’agisse de dossier de subvention, de demande
d’autorisation d’intervention dans l’espace public, de matériel ou autre, si elles
répondent à des impératifs républicains garantissant le bon usage de l’argent public,
font néanmoins appel à des « codes », des lexiques et des compétences qui peuvent
parfois les disqualifier. Ces procédures particulières peuvent créer des difficultés de
différents ordres.
Le temps que demande l’administration d’un dossier tout d’abord ne correspond pas
toujours à l’attente de réactivité des jeunes qui souhaiteraient porter une action.
Cette réactivité souhaitée par les jeunes ne tient pas à l’envie d’avoir « tout, et tout
de suite » (bien que ce soit ce qui leur est en général reproché) mais est en lien avec
la réalisation d’un projet. C'est-à-dire que cette temporalité est liée au public auprès
duquel ces jeunes interviennent. Fidèles à leur volonté de l’impliquer dans la mise en
place de l’action, ils se soumettent à un devoir de réactivité auquel les institutions ne
semblent pas devoir répondre. Cette difficulté pour accorder les temps entre eux
(temps de l’institution et temps des projets de jeunes) semble d’ailleurs moins bien
acceptée quand il s’agit de la mise à disposition d’un matériel existant et non utilisé
que quand il s’agit de demande de subvention.
« Bon, c’est sûr qu’on avait des jeunes à côté… Les jeunes étaient plus dans la pratique
quoi… moins dans l’organisation. Et c’est vrai aussi que se dire, la complexité, dès qu’on
organisait, on était toujours disponible. Souvent on se disait, allé, on va à cet évènement là
et ça se faisait juste une semaine avant. …ben même si une semaine avant on décide de
faire le projet, ben il se fait. Bon ben ça, c’est une des fragilités qu’on nous a reproché au
sein des collectivités puisque forcément, ça plait pas toujours… Pour des histoires
pratiques de camion, de location de camion. Forcément, quand on le fait une semaine
avant, « ben, écoutez, administrativement… », « ben ouais, mais bon, votre camion il dort
tout le week-end ». La New School
Mais les difficultés liées à la lourdeur des procédures sont également présentes à
d’autres niveaux. C’est le cas notamment quand il faut se retrouver dans le paysage
administratif des différentes institutions qui peuvent financer un projet.
« On a fait la mairie, on a fait la région, on a fait microprojet aussi… Et là, c’est un peu le
far west quoi.» Mockuery
Toutes ces instances de financement ne fonctionnent pas sur les mêmes critères et
demandent une connaissance approfondie de chaque dispositif pour y répondre de
manière adéquate. Dans l’extrait suivant, il apparait que les professionnels de ces
administrations ne sont pas toujours au fait des meilleures stratégies pour guider les
jeunes dans la jungle des dispositifs et que parfois se glissent des erreurs aux effets
néfastes pour les initiatives.
« On a été financé par le Crous, le conseil général qui nous avait donné « Cap Jeune », et
Jeunesse et Sports avec le dispositif « Envie d’Agir », on a été très mal conseillé, le gars
nous avait dit : "surtout ne faites pas un défi jeune, demandez plutôt un projet jeune et
économisez votre défi jeune pour l’année prochaine". On l’a économisé, eu que 900 euros
avec le Projet Jeune et on ne pourra jamais avoir le défi jeune pour l’année prochaine
parce qu'ils ne financent que les premiers projets. Et c’était pourtant le gars
responsable ! » Zipakeu
Pour poursuivre la compréhension des difficultés que peuvent induire ces relations
d’ordre formel, nous soulignons bien entendu la compétence que requiert la
rédaction d’un dossier de demande de subvention, qui, au dire des jeunes, est jugé
d’avantage sur la forme que sur le fond, la faute d’orthographe pouvant à l’occasion
entraîner la décision politique.
« On arrive à accompagner nos jeunes dans l’écriture ce qui est super. Mais il y a deux ou
trois ans on s’est fait envoyer bouler sur des projets parce que c’était un peu mal écrit, il y
avait des fautes d’orthographes... Je trouve que c’est une violence par rapport aux jeunes…
de ne pas être dans les clous. » La New School
« On nous demande des critères, des choses qu’on n’avait pas du tout l’habitude de
faire.[…] Depuis six mois, on est vraiment en train d’apprendre et difficilement, parce
qu’on ne vient pas de ces parcours là. » Mockuery
« Beaucoup souhaiterait organiser des choses mais on lui demande de faire une
association, des papiers, de faire un dossier, d’aller chercher des subventions. Et donc du
coup, il ne se passe rien. » ASBD
Nous terminerons cette description des obstacles formels en évoquant une dernière
difficulté. En effet, pouvoir s’engager sur du long terme sans s‘essouffler, connaître
les différentes institutions qui peuvent financer une partie de l’action et savoir y
répondre de manière adéquate revient à travailler cette question à temps plein. Les
compétences nécessaires et le temps qu’il faut y consacrer requièrent
potentiellement un salarié dédié à cette tâche, permettant au reste de l’association
de se concentrer sur son projet, l’accompagnement de son public et sa dynamique
associative. Néanmoins, l’institution ne finançant pas (ou très peu) le
fonctionnement, privilégiant les subventions sur projet, cette question semble
insoluble et ressemble plus à un cercle vicieux qu’à une garantie de la bonne gestion
de l’argent public.
« Malheureusement, les subventions marchent au projet et pour les avoir, c’est plus
pratique d’avoir un salarié qui lui est payé sur du fonctionnement. Et ça n’est jamais payé,
le fonctionnement…./… du coup, on n’a pas un budget suffisant, parce que c’est tout neuf,
et on n’a pas de subvention, on n’a pas une personne disponible pour aller à la recherche
de subventions qui nous permettraient d’avoir un salarié, ce salarié nous permettrait
d’avoir une base de bureau beaucoup plus stable, beaucoup moins stressante… » Koukou
« Ce qui est désolant, c’est que toute l’énergie perdue pendant les derniers mois à courir
après un écrit et après des chiffres, n’a pas été mise dans l’accompagnement des jeunes,
dans le développement. Parce qu’on est tous bénévoles, on n’a pas de permanent et je n’ai
pas pu parce qu’on ne peut pas être partout. » Swing troubadour
« A 21 ans je m’interroge. Je ne dis pas qu’on mérite d’avoir un poste, mais dans certaines
institutions qui reçoivent des enveloppes assez énormes, des fois il n’y a pas tout ça. » La
New School
Cette réalité amène ces jeunes dans deux réactions différentes : soit ils vont
chercher à se détacher le plus possible de ces contraintes institutionnelles, soit ils
vont exprimer vis-à-vis des institutions des attentes de soutien et d’aide face à ces
contraintes.
Nous n’avons rencontré qu’une initiative qui affiche d’emblée une absence de lien
avec les institutions de son territoire. Remarquons tout de même que les rapports
avec les institutions ne sont pas refusés par principe, mais l’énergie et le temps qu’ils
nécessiteraient « n’en valent pas la peine ».
« Zéro subvention. On avait monté un dossier pour en demander, on l’a fait trop tard
(rires). En fait, les subventions, c’est un boulot monstre, ça te demande trop de
paperasse. On pourrait avoir des subventions de la Région, peut-être pas mal, mais les
villages aux alentours ça donnerait par grand-chose. Pour le temps que ça nous
demande, ça ne valait pas le coup. Ca serait bien, mais on n’en a pas besoin, on s’en sort
sans. » L’Etabli
Face à la déclaration du président de « l’Etabli » qui précise « qu’ils n’en ont pas
besoin, qu’ils s’en sortent sans » (citation précédente), nous tenons à rappeler la
situation de ces bénévoles.
« Pas de salariés, ça viendra peut-être, parce que là, on y a bossé beaucoup, et c’est vrai
qu’on ne travaille pas à côté. Sans tunes, sans revenus, ça foire des fois. Mais non, on
essaye quand même de faire tout en bénévolat. Quand on peut, on le fait. » L’Etabli
Garder ses distances vis-à-vis des institutions est surtout ici affaire d’autonomie dans
les moyens et d’indépendance dans les choix. C'est-à-dire que même dans le cas où
certains financeurs étaient prêts à subventionner cette association, sous certaines
conditions, ces jeunes ont préféré refuser pour conserver un maximum de liberté. Ce
refus est donc la garantie de ne pas avoir à transformer son projet à cause des
attentes de tel ou tel partenaire.
« Et puis quand tu commences à demander des subventions, ils te demandent des comptes
aussi. Nous on essaye quand même de faire un truc qui soit vraiment autonome. On
essaye de pas trop avoir besoin d’aller chercher des fonds ici ou là. […] Mais pareil, ils
étaient OK pour donner de l’argent, mais il aurait fallu qu’il y ait au moins ça ou autre
chose. On a dit non, nous on voulait savoir si vous étiez OK pour nous aider dans le
principe, mais on ne va pas tout changer pour avoir des subventions. » L’Etabli
Si « l’Etabli » est un cas particulier dans notre corpus, d’autres initiatives, comme « la
Mockuery tivi », vont chercher, après avoir répondu à ces exigences institutionnelles,
à s’en détacher le plus possible. Il s’agit encore ici d’assurer par d’autres moyens
une véritable autonomie des pratiques, de les sortir d’une relation de soumission à
l’institution, de « se recentrer sur des projets ».
« Donc, c’est pour ça que nous, on se monte en entreprise pour faire des prestations. Donc
là, on a quinze produits. Ce qu’il faut, c’est que cette entreprise autonomise la Mockuery
qui se recentrera sur des projets purement artistiques. Le but, c’était d’autonomiser les
pratiques artistiques, sans les mettre aux dépends d’une sub. […] Nous ne voulons plus
attendre un oui ou un non de la part des commissions de subventions alors nous
diversifions nos pratiques pour alimenter notre projet artistique et de le vivre avec plus de
tranquillité. » Mockuery
Néanmoins, ces situations ne sont pas les plus nombreuses ; il s’agit plus souvent
pour les jeunes de réagir à ces contraintes en exprimant leurs attentes vis-à-vis des
institutions.
La majorité des initiatives que nous avons observées ont connu, à un moment ou à
un autre, un soutien de la part des institutions ou des structures associatives
d’éducation populaire présentes sur leur territoire. C’est d’ailleurs souvent ce qui leur
a permis de traverser ce que nous avons nommé le « parcours du combattant ».
Ce qui nous intéresse dans ce contexte, c’est qu’il s’agit véritablement d’un
accompagnement dans lequel il ne serait pas demandé d’emblée des savoir-faire et
des compétences administratives. L’accompagnement souhaité par les jeunes
permet tout d’abord de se centrer sur la pratique (l’organisation plutôt que
l’administratif) et sur le projet. C’est-à-dire que les contraintes administratives
peuvent être dans un premier temps assumées par les acteurs institutionnels qui
« C’est bien de demander de faire ci, de faire ça, d’organiser plein d’animations et plein
d’activités, mais il faut aussi derrière que les institutions, les collectivités, si elles veulent
développer le territoire, aident ces jeunes justement aux premiers pas. Les premiers pas,
c’est un peu comme un gosse, il faut l’aider à se tenir débout, lui apprendre à marcher. Et
c’est ce qu’ils nous ont fait : ils nous ont appris à marcher, à fonctionner tranquillement, à
trouver les sous, à générer un peu de trésorerie à l’année pour pouvoir nous-mêmes nous
autofinancer sur des évènements, faire un peu ce qu’on veut. Ne pas être tout le temps
dépendant du service jeunesse. C’est aussi important pour l‘association parce que ça
permet aussi de se faire plaisir, de n’être pas obligé à chaque fois de demander à la mairie
si on peut faire. Aujourd'hui je vois beaucoup de jeunes qui aimeraient bien bouger,
avancer, faire des choses mais ils ne savent pas comment faire, où aller, à quelle porte
taper. » ASBD
Cette posture institutionnelle souhaitée par les jeunes est souvent très différente des
manières de faire des professionnels qui travaillent dans ces institutions, ce qui peut
expliquer dans la citation précédente l’opposition entre l’occupationnel (organiser
plein d’animations et plein d’activités) et l’accompagnement. De plus, derrière cet
accompagnement, sont présentes des valeurs et des perspectives pour l’implication
de la jeunesse de l’ensemble d’un territoire.
« Il faut aussi, si la mairie veut créer une émulation, si elle veut dynamiser les jeunes, les
responsabiliser, si elle veut que les jeunes s’impliquent, il faut aller les chercher. Il faut
leur dire : "on est prêt à vous aider, mais on ne pourra pas tout faire". Comme on nous a
dit : "c’est votre truc, c’est votre projet, on est là pour vous soutenir". » ASBD
« C’est compliqué aujourd’hui d’aller voir des professionnels, et je ne sais plus quel
professionnel aller voir. Si c’est des directeurs de MPT pour qu’ils nous filent un coup de
main ? Est-ce que c’est des chargés de mission ? Est-ce que c’est des gens de la Ville qui
s’occupent des gros dossiers ? Et quand j’y vais, au final […] je n’ai pas eu les réponses.
Heureusement qu’on a Armelle, l’élue à la jeunesse, parce que si elle n’était pas là, on
n’aurait pas été jusqu’à…Et il y a aussi l’élu à la culture… C’est eux qui nous
encouragent. » La New School
Les relations entre les institutions et les jeunes ne sont pas seulement appréhendées
sous l’angle formel des demandes administratives. Bien souvent, les jeunes
expriment leur rapport aux institutions dans une volonté de coopération. Nous
définissons une « coopération » comme un partenariat articulé sur une action
concrète. Il ne s’agit pas ici de considérer l’institution uniquement comme un
« guichet », mais comme un partenaire qui aide concrètement à la réalisation d’une
action.
Pour comprendre ce fonctionnement souhaité par les jeunes en relation avec les
institutions, il nous faut revenir sur ce que nous nommions la « dynamique » à
travers laquelle les jeunes ont développé leurs initiatives. En effet, une réelle
appropriation du territoire a lieu au travers de deux « vecteurs ». Le premier est
centré sur l’ouverture de l’initiative qui va de plus en plus intégrer dans son projet
d’autres préoccupations. Le deuxième moyen pour développer la « dynamique » est
articulé sur une coopération avec d’autres acteurs du territoire dans un réseau. Ces
deux éléments (ouverture à d’autres préoccupations et travail en réseau) sont la
matrice sur laquelle ces initiatives construisent leur place et leurs ambitions sur le
territoire.
Nous allons donc étudier ici la manière dont l’institution s’insère ou non dans ce
mouvement d’appropriation du territoire que les jeunes ont développé jusqu’ici.
Deux situations vont nous intéresser à ce propos. Tout d’abord nous nous
attacherons à comprendre les effets lorsqu’une réelle coopération est assurée entre
les jeunes et les institutions. Ensuite, nous tâcherons de voir ce qui se produit dans
le cas où cette volonté ne serait pas satisfaite.
Une précision doit être apportée dès maintenant. Les cas où les coopérations entre
initiatives de jeunes et institutions fonctionnent sont peu nombreux dans notre
corpus.
Néanmoins, nous avons relevé des cas où les relations peuvent se centrer sur une
réelle coopération pour faire aboutir un projet. La capacité des deux partenaires à
« s’associer » pour la réalisation d’une action est alors considérée comme un
échange « d’égal à égal ». Centré sur la tâche à réaliser, il semble que dans ce
cadre puisse être évité le sentiment de subordination et de disqualification que
peuvent induire les procédures administratives dont nous parlions plus haut.
« Nous la mairie, ils nous achètent le bois, à nous de construire. Donc, il y a un vrai
partenariat, un vrai échange. Et on donne une bonne image parce que les gens voient qu’on
s’implique ». ASBD
« Le projet du lieu, c’est d’inclure et d’intégrer les usagers de la Maison des projets et
notamment les jeunes dans la programmation culturelle. Il y a donc deux politiques qui
vont ensemble, deux envies complémentaires. La directrice a accueilli notre projet sans
problème. On est parti là-dedans. » Swing troubadour
Ces jeunes envisagent de manière favorable une relation avec l’institution dès lors
qu’elle se manifeste dans le concret et à la condition que chacun « joue le jeu ». La
complémentarité est pensée comme un enrichissement mutuel, valorisant chacun
des partenaires dans son rôle. Mais c’est surtout du côté d’un gain de légitimité
« institutionnelle » pour les jeunes que cette coopération a des effets. L’
« association » de l’institution et des jeunes démontre que ces derniers sont
maintenant reconnus comme de véritables acteurs d’un territoire.
« Le Cinésoupe est le dispositif qui a servi de base à tisser un vrai maillage du territoire
régional. A partir des collaborations qu'on a mises en place dans ces villes et les villes
voisines nous ont identifiés avant de nous appeler aussi elles-mêmes. Aujourd'hui, nous
intervenons dans une trentaine de municipalités sur de la mise en place de projections et/ou
d'ateliers très divers. » Rencontres Audiovisuelles
« Il s'agit à chaque fois de projet mis en place sur mesure avec le partenaire, qui s'intègre
dans le projet global de celui-ci. Il peut s'agir d'établissements scolaires, de centres
culturels, de centres sociaux, de bibliothèques, de mairies directement » Rencontres
Audiovisuelles
Nous avons repéré une majorité de situations où cette coopération, voulue par les
jeunes, n’est pas satisfaite. Les jeunes sont pourtant en attente de ces coopérations,
considérant comme « normal » que différents acteurs (y compris institutionnels) d’un
même territoire s’associent pour faciliter la mise en place d’une action. Par exemple,
une structure implantée sur la même commune que ces jeunes, financée par la
municipalité et possédant une salle de spectacle, est considérée comme un
partenaire « naturel ». S’il arrive que ce partenaire ne facilite pas l’accès à sa salle,
une incompréhension s’installe.
Ce qui nous paraît tout à fait intéressant, c’est que lorsque que cette situation de
coopération ne fonctionne pas, elle n’est pas interprétée comme un problème de
moyen (le fait de louer la salle à la MJC). L’interprétation qu’en font les jeunes est
exprimée sous l’angle d’un refus de reconnaissance de leur place d’acteur, une
invalidation de ce que leur action peut apporter à un territoire.
« L’idée était de dynamiser la ville, mais ce qui est difficile maintenant, c’est que la ville
n'est pas toujours réceptive. On a l'impression qu'ils ne s'aperçoivent pas du succès de
l'événement et ce que cela peut créer. » Zipakeu
Cette situation, assez courante dans notre corpus, réduit les initiatives à une stricte
activité, ce qui n’est pourtant pas l’unique vocation des associations que nous avons
rencontrés (voir chapitre 2). Cela crée un déséquilibre entre les partenaires. C'est-à-
dire que bien souvent, l’institution va chercher à intégrer ces initiatives en tant
qu’activités au sein de structures « instituées » (souvent des structures
« Je leur renvoie juste : " OK, vous aimez notre travail, c’est bien, vous appréciez.
Maintenant qu’est-ce qui se passe ? Vous ne voyez que des MPT pour créer un projet, et
qu’il y en ait deux, c’est super". Mais aujourd’hui, on est en train de créer un dynamisme
au sein de la culture Hip-hop et là, ils nous pondent un truc culture urbaine. Et quand on
leur demande ce qu’ils veulent y mettre dedans, je me dis qu’il y a un problème. […] Là on
ne sait pas encore trop bien où ça va aller, puisque les MPT ont des enjeux différents, n’ont
pas les mêmes publics. » La New School
Ce qui nous apparaît central dans la citation précédente est la rupture qui s’opère
entre l’activité en elle-même, reprise au sein de la MPT, et les enjeux et les publics
auprès desquels intervenait la New School qui semblent laissés de côté. Une telle
situation est considérée comme une atteinte à l’identité même de cette initiative.
« J’ai le sentiment qu’ils veulent prendre les trucs, les mettre là. Et on nous retire en
quelque sorte une identité. » La New School
« Moi, ça m’a fait violence quand j’ai cru comprendre que : " demain, si vous ne travaillez
pas en partenariat très serré avec la MPT et le pôle culture urbaine, vos subventions, elles
vont être coupées" » Et c’est vrai qu’aujourd’hui, ce n’est pas que c’est fatiguant, mais je
me dis : « ils sont où les retours en fait ! ». Et à Quimper ou ailleurs, je me demande si ça
a vraiment un impact ce qu’on fait. » La New School
Le partenariat dans cette situation est un passage obligé et va peser lourdement sur
la vocation de ces associations.
« Mais aujourd’hui, nous, on voit des jeunes qui ne demandent qu’à créer des projets, et ils
sont 10, et ils sont prêts à tout. […]Est-ce que, si demain on n’est pas là, nos petits jeunes
vont être soutenus ? Est-ce que demain il va y avoir des professionnels au sein de la ville
qui vont vraiment accompagner ces projets ? » La New School
Cette divergence profonde entre les ambitions que les jeunes portent pour le
territoire et la « logique territoriale instituée » va amener ces jeunes à questionner le
fonctionnement de l’institution centré sur des « catégories » définies par avance et
dans lesquels chacun doit rentrer pour pouvoir agir. Swing Troubadour en témoigne.
« J’ai aussi monté un dossier au niveau de l’agglo qui n’a pas de compétence culturelle,
j’ai réussi à trouver le CUCS. Et en lisant les 40 pages d’objectifs, je me reconnaissais
dans au moins 25. Mais on m’a répondu qu’on ne rentrait pas dans les cases parce qu’on
faisait du culturel. Pourtant on ne fait pas que du culturel : ce n’est pas culturel OU social,
ce n’est pas les jeunes OU la culture, on brasse les trois. » Swing Troubadour
Avoir un projet qui s’attache à plusieurs domaines (jeunesse, culture et social) est
considéré par cette association comme une richesse. Néanmoins, le fait que ce
projet ne rentrait pas dans les cases (extrait précédent) est ressenti comme une
disqualification de l’initiative. Mais au-delà, les jeunes vont remettre en cause le
principe même d’un territoire abodé au travers de catégories figées. Dans l’extrait
suivant, Cultures Urbaines Sans Frontière oppose d’ailleurs le service public et sa
vocation à ce fonctionnement en catégories exclusives et excluantes.
Une autre réaction des jeunes porteurs d’initiatives va également s’exprimer pour
répondre à ce refus de l’institution de les considérer comme de véritables acteurs
concernés par les enjeux d’un territoire. Ils vont interpeller leurs interlocuteurs
institutionnels pour qu’ils se positionnent non seulement sur l’activité que ces jeunes
mettent en place, mais également sur son intérêt pour un territoire. La démarche est
ici intéressante puisque ces jeunes vont chercher à échanger avec les acteurs
institutionnels pour qu’ils prennent position par rapport aux enjeux de ces initiatives.
Ces échanges avec les institutions sur le sens de leur action (et non simplement sur
l’activité mise en place) peuvent être assez virulents puisqu’ils répondent à la
disqualification dont nous parlions plus haut.
« A un moment, on leur a dit [à la mairie] : Stop, ce n’est pas assez. Nous, ce qu’on veut,
c’est un réel engagement, pas que financier, mais moral avant tout, un réel soutien. Est-
ce que vous voulez de ce projet, oui ou non… » Swing Troubadour
« C'est-à-dire ne pas penser qu’à l’évènement, mais penser le projet qu’il y a derrière,
ça, ils ne sont pas du tout réceptifs. Et puis, les réunions, elles sont expédiées en 20
minutes, tu présentes le projet et puis c’est :" oui, oui, c’est la même chose que l’année
dernière. Donc bon, concrètement, comment ça va se passer ? Quel jour ? Quelle
heure ?" Enfin, c’est vraiment plus sur des choses très pratiques. […] Mais tu as
l’impression qu’ils ne pensent rien du projet. Une fois, je me souviens, en fin de réunion,
je leur ai demandé : "j’ai juste une question à vous poser, j’aimerais savoir - parce que
vous n’avez jamais vraiment eu l’occasion de nous le dire - ce projet là, qu’est-ce que
vous en pensez? Comment vous le voyez ?" Et ils ont répondu : "Ah ben, si on accepte
que vous le refassiez, c’est que tout va bien". D’accord, et on n’en a pas vraiment su
plus. » Peacetoch
« Et c’est l’hésitation pour savoir s’il n’y a pas une autre ville qui nous suivrait plus en
fait. » Zipakeu
« Il y a quelqu’un qu’il faudrait qu’on rencontre, qui est maire de Pressins, un village
juste à côté, et qui fait partie du Conseil Général, qui est monsieur Serge Revel. La
première année, on est allé lui demander une subvention du Conseil Général. On l’avait
rencontré et on lui avait présenté le projet, il nous avait dit : « vous avez un terrain ?
Parce que sinon, je vous prête le terrain qui est là. ». Là c’est vraiment le cas d’un maire
qui répond aux attentes de ces habitants. Ce qui n’est pas le cas aux Abrets. »
Peace’Toch
Le regard disqualifiant que porte l’institution sur ces initiatives, les réduisant au mieux
à une simple dimension d’activité ou les poussant à chercher d‘autres territoires plus
favorables, va entraîner une méfiance des jeunes vis-à-vis de la parole politique.
« Ici, il faut se battre, anticiper les réponses à la moindre demande que l’on va faire. De
la reconnaissance, on en a eu de la part de la mairie, plus cette année. Mais justement,
moi je me méfie un peu, je me dis : est-ce que ce n’est pas non plus, est-ce qu’il ne cache
pas un peu son jeu aussi. » Peace’Toch
Cette parole politique va d’ailleurs dans ce contexte devenir un « code » qu’il faut
maîtriser pour faire aboutir son projet. Ici les « codes » de négociation politique sont
« Voilà, quand à 20 ans il faut aller s’expliquer, expliquer son projet devant tout ce
monde, ça fait violence aussi et je me dis que je ne sais pas s’ils se rendent compte de ça.
Ou quand… de ne plus dormir pendant je ne sais plus combien de semaines pour être au
taquet et les jeunes ils sont derrière… tout ça, j’ai l’impression qu’ils ne le savent pas et
qu’ils croient qu’on a de la chance… qu’on arrive à faire ça comme ça. » La New School
« Enfin, je pense qu’on manque vraiment de bagages sur tout ce qui est des enjeux
politiques, arriver à argumenter auprès de la mairie, parce qu’on est face à des gens qui
ont peut-être plus de bagages que nous. Si nous on ne se prépare pas de bons bagages, je
pense qu’à un moment donné on va se faire avoir. Je l’ai senti déjà un peu cette année.
Je crois qu’il y a peut-être des choses qu’on n’arrive pas à exprimer… ou il y a une
manière aussi de leur amener les choses, je pense qu’il faut vraiment y aller avec des
pincettes avec eux, et puis être assez subtil. » Peace’Toch
Cette parole politique est ressentie comme éloignée des réalités de terrain. Elle
semble s’opposer à la dynamique que les jeunes ont mise en place auprès de la
population locale et mettre de côté les ambitions souhaitées pour le développement
du territoire. Les jeunes se sentent, dans cette situation, dépossédés de leur
initiative, réduits à n’agir que dans un cadre politiquement défini comme légitime, à
propos duquel ils n’ont pas la possibilité d’exercer leur responsabilité d’acteurs. Ici se
produit une rupture dans la dynamique qui a constitué ces initiatives, et crée une
fragilité dans la poursuite des projets mis en œuvre.
4. Conclusion
Les jeunes porteurs d’initiatives ont développé, dans leurs trajectoires, des vocations
(impliquer le plus largement possible la population locale, chapitre 2) et des
ambitions (permettre à chacun d’agir sur l’espace local, chapitre 3). Il apparaît
néanmoins que leur relation avec les institutions de ces territoires ne reflètent pas
cette implication et minimise souvent leurs engagements. La procéduralisation de
l’espace public ainsi que le cortège de compétences administratives requises ne
facilitent pas cette reconnaissance. Mais au-delà, la non prise en compte de ces
vocations et de ces ambitions pour le territoire les dépossède profondément de la
raison d’être de leur initiative. Si certains semblent avoir réussi à traverser ce
« parcours du combattant », ils sont nombreux à devoir encore lutter pour leur
reconnaissance institutionnelle, bien que l’intérêt et l’impact de leur action auprès de
la population soit avérée. Voir réduites leurs initiatives à de simples activités,
intégrées et soumises à des dispositif d’action détenus par d’autres acteurs reconnus
comme plus légitimes, freine largement les bénéfices qu’elles pourraient apporter au
territoire. Bien plus, cela crée une opposition entre le territoire des politiques et le
territoire des initiatives, préjudiciable tant aux initiatives des jeunes qu’à la volonté
institutionnelle de leur participation à la vie locale.
donné, tu ne peux plus avancer comme tu voudrais, t’es obligé de faire face en
créant un emploi associatif pour que ça tourne, que les portes soient ouvertes tout le
temps, que le nettoyage soit fait quand il faut, qu’on ne soit pas en retard sur la
compétition. Je ne peux plus tout faire, ça me prend trop de temps. L’idée de créer
un emploi permettrait d'avoir plus de créneaux horaires, accueillir d'autres disciplines
(roller, bmx), que les graffers peignent les murs plus régulièrement, accueillir les
écoles. Il y a plein de chose à faire.
Donc le but d’avoir cette salle, c’était de pouvoir construire des modules, d’avoir nos
escaliers, nos plans inclinés, nos courbes, de les faire à la taille qu'on souhaitait. On
n’a jamais eu de plans inclinés, donc on va faire un plan incliné. Alors, le premier
plan incliné qu’il y a eu, je raconte pas. L’objectif de l’association, c’est la pratique du
skate dans un lieu couvert pour que les gens puissent pratiquer en tout temps, en
toute sécurité. Quand on allait skater en ville, avant le skatepark, il y avait beaucoup
de gamins qui nous suivaient, ils ne faisaient pas attention. Beaucoup de parents
préfèrent amener leur gamin ici, ils savent qu’ils skatent dans un lieu où il y a
quelqu’un, il y a un grand, c’est encadré, c’est plus ou moins surveillé, sans être non
plus une garderie. C’est surveillé, mais on n’est pas là pour faire les profs. On est
entre potes. Il y a un petit règlement, un minimum à respecter. Mais les gens savent
que c’est tranquille, qu’on peut pratiquer en toute sécurité et pour tous niveaux.
Après viennent se greffer les animations puisqu’on a le lieu pour pouvoir le faire. Des
compétitions, on en fait trois par an, voire quatre, quand on a des possibilités. Et
l’année prochaine, on vise la création d’un poste et donc plus d’animations, aller voir
d’autres associations, essayer d’ouvrir. Mon objectif, si tout se met en place comme il
faut, c’est en 2011-2012, de créer un festival glisse, graff, et tout le bazar, ça fait des
années qu’on en parle.
Il faut s’ouvrir. Les gens ont d’autres passions que le skate, ils s’intéressent aussi à
la musique, ils s’intéressent aussi à d’autres choses. Et puis t’as des frères, t’as des
sœurs, t’as les cousins. A un moment donné, t’as même les parents. Ici, on voudrait
que ça soit un peu plus accueillant, avec un petit emplacement verdure pour que les
gens puissent se sentir bien, les parents, quand ils viennent, au lieu de rester trois
heures, ils restent dix minutes, c’est bruyant, ils en ont marre, ils se cassent.
S’il y a une association de musique qui a envie de venir faire, on y va. On fonce. Si
les graffers veulent venir, je leur file les murs. Cela fait aussi partie d’un projet
municipal avec une association. On ne peut pas non plus laisser tout le monde venir
graffer comme ça, donc je leur laisse les murs extérieurs. C’est un peu crade pour
l’instant. Mais je préfère ça, qu’ils viennent graffer là en toute tranquillité plutôt que
sur le mur blanc en face, pour se faire chopper.
L’année prochaine, on fête les dix ans de l’association. Donc je vais voir avec deux-
trois associations pour mettre des tentes ici, des VTT pourquoi pas, quitte à faire un
champ de bosse, à l’arrache, voir avec un groupe de musique, des locaux. Si je
pouvais mettre un podium, on leur donne le lieu gratuitement, ils peuvent venir jouer.
Et nous, on organise le bazar.
Un concert, c’est aussi l’occasion de créer une dynamique, les gens en parlent : j’y
étais l’année dernière, c’était super, c’est original, ça fait du bien de voir des trucs
comme ça.
Mais il faut que les associations jouent le jeu quand il y a un projet, si elles veulent se
montrer et se faire connaître. Sachant aussi que tu ne peux pas non plus prendre
tout et n’importe quoi. Notre park, si on veut le développer, il faut qu’on ait une
certaine image, une certaine communication vis-à-vis des partenaires. Et quand je
dis partenaires, c’est surtout les gros fournisseurs pour les contests. Parce que si ça
ne correspond pas à leur image, ils ne vont pas nous aider. On veut rester vraiment
skate parce que notre métier, entre guillemets, c’est le skate. Mais on veut s’ouvrir à
d’autres choses, plein de gens avec qui on traîne ne sont pas forcément skaters, ils
passent de temps en temps et viennent nous voir. Ils savent que le vendredi soir, on
se fait une session entre vieux. Ou quand il y a des compétitions, ils passent, ils font
l’animation au niveau de la sono, ils passent la musique. J’ai des gens qui passent
ne serait-ce que pour passer, et puis pour annoncer leur événements, ils viennent
faire de la pub un petit peu.
Pour l’instant ça reste très skate donc c'est un public limité, et ça tourne surtout
autour des amis. C’est pour ça qu’il faudrait que nous, à côté de cette salle, on
puisse avoir quelque chose qui retienne. Pour l’instant c’est un parking. Mais par
exemple si dans le bâtiment qui est juste en face, c’était les associations de graff ou
autre, il y aurait plus de dynamisme. Le seul souci aujourd’hui, c’est qu’on a
quelques lieux mais qui sont éloignés. Si je veux aller voir les gars du graff ou les
gars de la musique ou autre, je vais devoir prendre ma voiture. Donc un lieu où les
gens pourraient se rencontrer directement, ça serait sympa. Pour faire des
rencontres, des échanges. Nous, on ne peut pas vraiment accueillir tout le monde,
d’abord parce qu’on n’a pas la place, mais c’est un peu le but, on va essayer.
A un moment donné, tu te retrouves avec des prestataires qui font, parce ils ont la
possibilité de faire, pas cher. Mais derrière, il n’y a pas de suivi, ce n’est pas leur
métier. Je vais prendre l’exemple du skate parce que je le connais bien : beaucoup
de mairies et de collectivités achètent, dans les quartiers, des modules sur
catalogues. Et ces catalogues, quand on tourne une page, on vend aussi du terrain
de basket, on vend du plot, on vend de la barrière, on vend du terrain sportif, tu as
trois pages avec des rampes de skate. Mais le matériel n’est pas bon, les tailles ne
sont pas bonnes. Ils ont mis une rampe de 2 mètres 50 de haut sur 6 m de large. Ils
voulaient cette rampe, ils l’ont. Et tu te retrouves avec des petits éléments à droite, à
gauche qui ne correspondent pas, qui ne vont pas, et puis, c’est de l’argent dépensé.
Et nous, c’est un peu ce qui s’est passé. On a passé notre commande, on a dit on
veut ces modules-là, telle taille, et résultat, on n’a pas eu vraiment ce qu’on voulait.
On a eu la forme générale, pas la bonne courbe. Moi, je suis constructeur, je l’ai vu
tout de suite. Les hauteurs n’étaient pas respectées. J’ai dit stop, on arrête tout. Le
budget, au lieu de le dépenser, c'est-à-dire d’acheter pour 30 000 euros de modules,
nous on va acheter trois modules, avec le même budget, je fais trois fois plus de
modules, bénévolement au sein de l’asso, mais au moins le fais ce que je veux. Et
cela correspond à une demande. Moi, je pratique avec eux, donc je sais que le
gamin de sept ans, il ne va pas monter un truc qui fait trois mètres de haut. Après, je
sais que dans notre asso, t’as des gars qui font déjà des compétitions, qui sont
presque sponsorisés, et donc, je m’adapte à leurs besoins. Et on va essayer de
s’adapter à tous les niveaux. Moi, j’ai une demi après midi de libre, je viens, je me
fais plaisir, il fait beau, c’est ma passion. En même temps, c’est normal. Dans
chaque association, il y a des passionnés. Tu t’investis, si tu crées une association,
tu fonces ou tu ne fais rien, mais ce n’est pas à moitié. En tout cas, c’est ma façon de
voir les choses. Et l’avantage, c’est que nous on a un budget bois, et on achète
chaque année X bois par rapport au temps qu’on a, on essaye de planifier, cet été on
va refaire toute la rampe en bowl, il y a pour au moins trois mois de boulot tous les
soirs à fond. Mais au moins on fait ce qu’on veut.
Et puis derrière, l’avantage, c’est qu’on fait participer les jeunes, peut-être pas à tenir
les machines, mais on leur apprend à construire un module. Les gamins, ils sont
comme des dingues. Ils apprennent à faire un truc. Et tu leur expliques un petit peu.
T’as payé 60 euros, il y a une partie c’est pour l’assurance parce qu’on ne peut pas
faire autrement, une partie pour le loyer parce qu’on a un petit loyer qui est de rien
du tout, c’est dix euros par tête, c’est presque rien, c’est la mairie.
Parce qu’il y a ici une volonté politique aussi : ils nous ont filé le bâtiment. Ils ont
remplacé le toit, tout le sol a été refait, le bureau, les toilettes, toutes les serrures. Il y
a eu de l’investissement. Il y a une volonté derrière.
Il faut aussi, si la mairie veut créer une émulsion, si elle veut dynamiser les jeunes,
les responsabiliser, si elle veut que les jeunes s’impliquent, il faut aller les chercher. Il
faut leur dire : on est prêt à vous aider, mais on ne pourra pas tout faire. Comme on
nous a dit : c’est votre truc, c’est votre projet, on est là pour vous soutenir et vous
dire attention : la sécurité… Et derrière, c’est à nous aussi de faire les démarches.
Parce qu’en même temps, j’ai appris. J’ai appris à aller voir, à serrer des mains, à
sourire même si je n’avais pas envie de sourire. Je me suis tapé des réunions
cocktail de la piscine, du judo. Oui, je recevais les invitations en tant que président,
forcément. Et j’y allais, mais j’y allais en skateboard. Donc t’entends un bruit qui
arrive, tu as tout le monde qui se retourne. Quand tu arrives dans la réunion cinq
minutes en retard et que tu fais tomber ta planche : Ah les skaters sont arrivés. Voilà,
je me suis fait remarquer, et puis après il faut foncer, on essaye. Et puis ça a pris, ils
ont accroché.. C’est vrai que c’est dix ans de ma vie que je viens de passer, c’est
vraiment beaucoup de temps. Et en même temps, nous avons une structure et nous
avons des modules à construire, forcément j’y passe du temps, mais j’aime ça. Je le
veux bien. Et si derrière je n’avais pas eu des personnes, des institutions qui nous
aident. Et en même temps je pense qu’ils sont là pour ça. Si on veut développer un
territoire, les territoires, c’est avant tout les gens qui y vivent ! Et si on veut un petit
peu les intéresser à la vie sociale, politique, ou autre…! Pour moi, ça ne correspond
pas à un découpage administratif, sachant que j’ai des gens qui viennent de Calais,
de Belgique, de Boulogne, mais j’ai beaucoup de gens de Dunkerque.
On voulait skater pour nous et se faire plaisir. Et puis depuis deux ans, on se rend
compte qu’on a la possibilité de faire plus, de faire plus gros, alors on y va. On va
voir les partenaires, je profite de mes contacts. Maintenant l'association fait partie du
comité régional de skate pour bosser avec l’association de Lille, donc « la hall de
glisse », bosser avec l’association de Calais, qui a déjà un brevet d’Etat. On a tout un
petit réseau au niveau de la région, donc du territoire je dirais local, où maintenant on
est installé. On a mis nos marques. Les gens nous connaissent. Quand je parle aux
gens du skate parc de Dunkerque : « bien sûr, je connais ». On fait beaucoup la télé
locale, on fait « La voix du Nord », on appelle « Dunkerque magazine »… tu vois, on
met des affiches en ville, on va dans les lieux aussi bien ciblés… Donc à partir du
moment où on s’est bien implanté au niveau local, on a les gens de la région parce
que ça commence à se savoir. Parce que nous, on bouge aussi, et puis les gens
bougent et ils parlent. Et puis tout doucement tu te rends compte que tu touche un
public beaucoup plus large. Et puis tu dis : je peux commencer à organiser des
évènements à un niveau un peu plus régional.
Les parents qui viennent déposer leur gamin, on leur parle. En même temps, pour
les gamins qui ont 7-8 ans, les parents sont à peine un peu plus vieux que moi. Donc
on parle et puis quand on explique un peu au niveau des compétitions, les parents,
des fois, s’ils voulaient venir nous donner un petit coup de main, faire les entrées. On
a eu un parent qui est venu nous donner un coup de main sur des modules, il était là,
il tenait les bois, il mesurait. Il y a des parents qui se proposent de temps en temps
de faire des gâteaux. C’est normal, c’est leur enfant qui vient skater. Ils restent là
pendant un quart d’heure et ils voient leur gosse qui fait des allers-retours, qui
s’amuse comme un petit fou, ils sont contents. Et puis nous, on va voir les parents en
leur disant : votre gamin ça va, il progresse, il faudrait peut-être voir au niveau du
matériel, peut-être changer ça ou ça. Ou alors pour dire attention, il va un peu dans
tous les sens. Essayez de lui dire, parce que nous quand on lui parle, il nous tire la
langue. Mais les parents voient aussi qu’on fait attention à leur gamin, ça leur fait
plaisir, donc ils ont peut-être plus envie de s’impliquer en retour. Je ne dis pas que
c’est tous les parents… En plus souvent le gars il préfère filer ses 200 euros à une
association qui se bouge, parce que son fils il vient faire du skate même qu’une fois
dans l’année. Et puis tu crées des contacts, même s’il ne va pas te filer de la tune, le
jour où tu as besoin, un père qui travaille dans la pharmacie, il nous a filé de la
Bétadine, des compresses, des trucs. Parce qu’il voit qu’on se bouge, qu’on
s’occupe de son gosse, qu’on fait attention, qu’on est là. Cela crée une bonne image.
J’ai beaucoup de réflexion comme quoi les skaters, c’est des branleurs, dans la rue,
on traîne par terre, on fout le bordel, on casse le matériel, on détruit l’urbanisme, on
est des vandales. Alors que notre objectif c’est de faire du skate, ce n’est pas de
foutre le bordel. Moi depuis que je skate, je n’ai jamais cherché la merde. Au
contraire, j’étais concentré sur mon skateboard, à faire mes figures toute la journée,
plutôt que d’aller taper une bagnole ou d’aller faire le sac d’une vieille. Donc, on
essaye de faire comprendre aux gens que nous, on fait du skate, on en fait dans la
rue, mais ce n’est pas pour ça qu’on est des délinquants. On est aussi responsable,
on gère des associations, on emmène les gamins à droite à gauche, quand on peut.
On essaye de les emmener sur d’autres skateparks ou même en ville, on va skater
avec eux. On les encadre, et donc du coup, on leur explique un peu, on ne va pas
dire le code de la route, mais attention les gamins, vous n’avez pas forcément le droit
de rouler là. Tu leur apprends à skater en ville. On essaye de leur inculquer deux ou
trois trucs. C’est un peu aussi notre boulot, on se considère un peu comme des
grands frères. Si quand on était jeune, on avait eu des gars comme nous. Nous, on
n’avait rien. On n’est pas là pour faire la morale non plus, bien que de temps en
temps je reprends les gamins parce qu’il y a des petits branleurs (rire). Mais on
faisait partie de ces petits branleurs quand on avait leur âge.
J’ai eu la chance déjà par mes études de voir le fonctionnement des asso. Donc,
pour moi, ça a été assez facile. Et puis, il y a la lourdeur administrative. Dès qu’on
veut faire une demande de subvention, c’est dans un an, mais le projet, c’est pour
dans trois mois, comment on fait ? Donc, il faut aller chercher des partenaires
comme des magasins spécialisés, des marques. Tu fais face à des obstacles
administratifs, d’organisation, de gestion, de sécurité. Parce que tu te rends compte
qu’il faut de la sécu, il faut que les pompiers passent, il faut qu’il y ait tant de
barrières, que cela a un coût. C’est tout des trucs lourds, c’est compliqué parfois, et
donc les gens laissent un peu tomber.
Nous, la chance qu’on a eue, c’est déjà d’avoir une salle. On avait déjà une
dynamique. Quand on est allé taper aux portes, on avait déjà une structure, on avait
des images, on avait un dossier, on avait déjà des compétitions, on avait des pros
qui étaient déjà passés. Donc on avait déjà 3-4 pages avec des choses bien précises
et bien carrées.
Et il y a aussi surtout, et c’est ce qu’il faut dire, une volonté politique derrière. Il faut
que derrière, les structures institutionnelles soient OK et vous suivent. Si c’est pour
dire oui et que six mois après ça ne bouge toujours pas, ce n’est pas la peine. On a
eu la chance d’avoir le service jeunesse, Patrick Colmann et Patrick Cordonnier.
Nous avons organisé des réunions, on pouvait aller au service, avoir une salle et tout
doucement dire : ben voilà, on veut faire ça, est-ce qu’on peut le faire ? Comment on
peut le faire ? Le service jeunesse était là pour dire : attention, il y a ci, il y a ça,
faudra peut-être penser à ça, appeler untel, untel et untel. Ou on va le faire nous-
mêmes parce que ça rentre dans le cadre de notre budget, parce que le skatepark
est un bâtiment municipal. Donc à un moment donné, une enveloppe de
fonctionnement est mise en place. Mais voilà, c’est, de réunion en réunion, beaucoup
de temps passé, des fois, pas forcément pour rien, mais on a l’impression que c’est
pour rien, mais un an après, c’est là. Mais un an, c’est long pour des jeunes.
Des fois, on nous claque la porte au nez, t’as préparé un dossier pendant six mois et
puis on te dit non. Je comprends qu’il y ait des associations qui laissent tomber, ils
en ont marre, ça je l’ai eu, mais ce n’est pas grave. On va faire autre chose. Et puis
on essaye autre chose, et puis encore autre chose. Et puis tout d’un coup, il y a un
truc qui prend et donc on s’accroche à ça.
Beaucoup souhaiterait organiser des choses mais on lui demande de faire une
association, des papiers, de faire un dossier, d’aller chercher des subventions. Et
donc du coup, il ne se passe rien. Et après, tout revient sur la faute de la mairie, ils
disent : « Ah la mairie, ils ne font jamais rien, il ne se passe jamais rien ». Quand je
parle du skatepark, les gens passent voir et se rendent compte du truc, ils disent :
« Ah ouais, c’est sympa, y’ a de quoi faire ». Et ça donne aussi une bonne image de
la mairie : « C’est bien, la mairie elle vous a aidés à faire ça ». Je leur explique aussi
que la ville nous aide, nous accompagne mais que nous en tant qu’association nous
avons notre part de travail… Nous ne faisons tout. Nous la mairie, nous aide à
monter le dossier, achète le bois, à nous de construire et d'organiser. Donc, il y a un
vrai partenariat, un vrai échange. Et on donne une bonne image parce que les gens
voient qu’on s’implique, qu’on se bouge, qu’on est dynamique. Ils voient que les
jeunes se bougent sur Dunkerque, ça se responsabilise.
C’est bien de demander de faire ci, de faire ça, d’organiser plein d’animations et plein
d’activités, mais il faut aussi derrière que les institutions, les collectivités, si elles
veulent développer le territoire, aident ces jeunes justement aux premiers pas. Les
premiers pas, c’est un peu comme un gosse, il faut l’aider à se tenir débout, lui
apprendre à marcher. Et c’est ce qu’ils nous ont fait : ils nous ont appris à marcher, à
fonctionner tranquillement, à trouver les sous, à générer un peu de trésorerie à
l’année pour pouvoir nous-mêmes nous autofinancer sur des évènements, faire un
peu ce qu’on veut. Ne pas être tout le temps dépendant du service jeunesse. C’est
aussi important pour l‘association parce que ça permet aussi de se faire plaisir, de
n’être pas obligé à chaque fois de demander à la mairie si on peut faire. Aujourd'hui
je vois beaucoup de jeunes qui aimeraient bien bouger, avancer, faire des choses
mais ils ne savent pas comment faire, où aller, à quelle porte taper.
C’est un peu notre rôle aussi maintenant d’apporter nos conseils, notre technique. Je
ne peux pas dire, je vais vous apprendre à construire un module, mais je peux vous
aider à construire un dossier, ne serait-ce que trois ou quatre pages. Vous avez
besoin de sous, allez voir untel ou untel, là, il va plus vous donner des sous, là il va
plus vous donner de l’aide matériel. Nous essayons de faire le relais. Bien qu'il y ait
une com’ au niveau du service jeunesse et au niveau du CLAP sur « montez vos
projets » etc., certains ne savent pas ou n’osent pas aller en mairie, ils n’osent pas
aller voir directement les services. Et du coup, ils viennent plutôt voir les associations
et ceux qui organisent. Et c’est là où nous donnons les contacts. Faut faire aussi le
relais.
En dehors de faire le relais, nous pouvons nous associer sur une animation, apporter
notre soutien en réunion, organiser les rencontres, partager notre expérience.
A ceux qui critiquent, je dis : OK, restez indépendant. Ne vous plaignez pas que cela
n'avance pas. Tu veux peindre un mur légal ou organiser un événement ? Créez une
association ! Vous vous y mettez à deux, une association, c’est deux personnes. Ou
alors, tu viens me voir et je m'occupe de la partie institution. J’avais fait ça, il y a cinq
ans avec un gars qui voulait peindre sur un mur, je lui ai dit : écoute, passe par
l'association. J’ai fait le dossier, j’ai dit : nous on veut repeindre le mur du skatepark,
justement on a un gars qu’a envie de faire une fresque, on s’associe tous les deux. Il
a fait la fresque, c’était un truc méchant. C’était terrible. Il l’aurait fait vite fait à
l’arrache le soir, le gars il serait en taule depuis longtemps. Et c’est ça que j’essaye
de faire comprendre. Même si les gens veulent rester des fois hors de ces
Assil
Contact
Baïzid Bourali
06 20 93 94 76
Amine Ghazouani
06 45 35 80 25
(Ce texte est le résultat d’un entretien collectif avec 5 membres de l’association)
A l’origine de la démarche
C’est une longue histoire, ça a commencé en 2005, avec les grands de notre
quartier. Ils ont créé l’association, pour avoir des petits créneaux entre eux de futsal.
Et entre 2006 et 2007, nous les petits, on a commencé à être invités, le samedi
matin, de temps en temps, quand il manquait des équipes. En fait, je suis le petit
frère du président. Et on avait toujours une équipe qui était opérationnelle le samedi
matin. Et de temps en temps dans l’année, on allait jouer le samedi matin, jusqu’à
l’année 2007-2008, où on a pu être vraiment adhérents, pour tous les samedis matin
et les mardis soir. Les grands allaient engager deux équipes en compétition, il y avait
déjà une équipe, et ils ont pensé à nous engager en deuxième équipe. On a fait la
compétition avec eux, et ils nous ont dit de nous investir un peu plus.
Mais j’aimerais parler de l’avant association, c’est vraiment la base : dans notre
quartier, Saint-Bruno, on était 5 déjà présents, tous du même quartier, une bande
d’amis, plus plein d’autres jeunes, tous des passionnés de foot. On ne fait que ça
depuis qu’on est tout jeune. Et nos grands frères aussi. Mais dans le quartier, il n’y a
jamais eu d’activité de football, que ce soit en salle ou en club. On jouait tous dans
un club quand on était enfant, mais loin de chez nous, à Seyssinet, Fontaine. Et on a
toujours voulu avoir des équipements sportifs. Il n’y a pas longtemps qu’il a un
citystade, une dizaine d’années, on nous a construit un petit terrain à Waldeck. Et
quelques années après, il y a les grands qui ont essayé de faire cette association, et
d’avoir un créneau futsal au gymnase à Saint Bruno. Et c’est de là qu’est partie
l’association ASSIL.
Les plus vieux, c’était surtout pour se retrouver entre eux. Et petit à petit, on a pu
incorporer le créneau, ça a commencé par une fois par semaine, quand il manquait
du monde, ils nous appelaient. pour dépanner. Ceux qui ont créé l’association, ils ont
du travail et une vie de famille, ce qui fait qu’ils ne pouvaient plus s’occuper de
l’association. Donc, on est monté au créneau et on a géré les choses. Ils ont vu
qu’on était sérieux et qu’on était motivé.
Fin de l’année 2008, le président est parti travailler à Paris, et ceux qui l’entouraient,
tout son staff, ils ne géraient plus trop. Tout le monde avait un travail fixe, CDI et tout
ça, il n’y avait vraiment plus personne dans l’association, il ne restait vraiment plus
que nous, les jeunes. Cette année 2009-2010, on est en train de refaire tous les
statuts et c’est nous qui allons reprendre. Petit à petit. On n’est vraiment pas rentré
pour être dans une association, on s’en foutait. Nous, on ne voulait vraiment que
jouer au foot. On ne voulait pas perdre les créneaux. C’est tellement une bénédiction
d’avoir les mardis et les samedis pour le futsal.
Surtout qu’au centre Chorier Berriat, c’est difficile d’avoir des créneaux, parce que
c’est la priorité aux collèges, lycées, et le badminton et l’escrime, ils ont vraiment la
mainmise sur ce gymnase, ils sont vraiment prioritaires. C’est pour ça que l’ex-
président et les autres, ils se sont vraiment battus pour avoir un créneau et on ne
voulait pas que ça tombe à l’eau. Ce n’est pas parce qu’ils partaient à Paris qu’on
allait tout lâcher. Si on laisse tomber, c’est comme s’ils avaient fait ça pour rien.
Et petit à petit, on commence à voir le monde associatif. On ne connaît encore pas
trop, on débute. On se fait aider par Cap Berriat avec Toufik et Kheir-Eddine, et on
fait notre petit bonhomme de chemin. Aujourd’hui, on peut dire, avec une certaine
fierté, que nous sommes une quarantaine d’adhérents. On a développé une autre
activité en parallèle au futsal : c’est l’activité stretching, détente. Cette année, on
arrive à réunir 40 jeunes en tout et pas que du secteur 1, mais de tout Grenoble.
C’est des connaissances à nous, qui ramènent des connaissances, ça fait un certain
réseau. De fil en aiguille, ça fait plusieurs jeunes qui viennent de tout Grenoble et
des communes aux alentours, Fontaine, Meylan…
Il faut savoir que c’est ouvert à tout public, une année, on avait des étudiants qui
n’étaient pas Grenoblois. Et on ne compte pas s’arrêter là, parce que cette année, vu
qu’on va tout reprendre nous-mêmes, on va inviter d’autres associations sur nos
créneaux pour partager des trucs. Il faut savoir qu’on n’est pas la seule association
qui pratique le futsal sur Grenoble. Beaucoup se battent pour avoir des créneaux et
n’y arrivent pas. Dans tous les secteurs, il y a des associations comme la nôtre. On a
la chance d’en connaître deux ou trois. En 2010, on va mettre en place un projet
d’échange, on va de temps en temps jouer avec eux chez eux, de temps en temps ils
vont venir chez nous, de temps en temps on va faire des plateaux, des tournois. Et
on va essayer de faire bouger tout ça. Ce n’est pas facile, mais on essaye.
Il faut savoir que le futsal, ce n’est pas très apprécié par les administrations. Quand
on dit qu’on veut faire du foot dans une salle, ça ne passe pas. C’est vite : il va y
avoir des dégradations. D’où le refus de certains créneaux et de certaines
subventions, soit disant parce qu’on risque de casser du matériel.
Pour l’instant on n’a pas de partenaires, mais il faut dire aussi que ce n’était pas
notre recherche. Ce serait plus pertinent que nous pose cette question dans 6 mois.
L’ouverture
On est là, on bouge, on fait du sport, on essaye de faire partager notre passion à
tous les jeunes, tout le monde est invité, c’est ouvert à tout le monde. Aucune
discrimination. Aucun critère d’acceptabilité. Si t’es jeune et motivé, c’est tout. Il faut
dire que pour la plupart, on est parti sur les bases de l’année dernière. Sur les 40, il
doit y en avoir 25/30 de l’année dernière. Et là, cette année, vu qu’on est dans un
journal, je ne me rappelle plus lequel, le journal des asso, un truc comme ça, il y a
des gens extérieurs, même des autres villes, qui nous ont appelés pour savoir s’ils
pouvaient jouer au futsal. On les a accueillis, et maintenant ils sont adhérents avec
nous. On ne les connaissait ni d’Eve ni d’Adam et maintenant c’est des potes. Il y a
un mec qui vient de Paris, il vient d’habiter sur Grenoble, il avait l’habitude de jouer
là-bas, il est venu ici, il ne trouvait pas de club. Donc il y a une petite ouverture,
peut-être pas avec nos jeunes de nos quartiers, mais avec les gens extérieurs.
Ce n’est pas que des potes, c’est ouvert à tout le monde. On a un numéro et les
gens nous appellent, et on gère. Franchement, ils se mettent dans le bain. De toute
façon, le foot, c’est international, quand tu viens et que tu mets tes crampons, c’est
tous tes potes, t’es dans une équipe…
Si on a des limites par rapport au nombre d’adhérent, c’est vis-à-vis de
l’assurance. Et même vis-à-vis de la pratique, du créneau. Parce qu’au-delà de 5
équipes, c’est injouable. C’est pour ça que pour le jeudi, il faut absolument
convaincre, Il faut savoir que 5 équipes, ça fait 25 joueurs, sur un petit terrain, sur un
créneau horaire de 1h30. Alors nous, on essaye de faire jouer tout le monde de la
même façon, sur 1h30. Mais c’est quand même rare qu’ils viennent tous en même
temps.
On sent en fait qu’on a des responsabilités, qu’on a fait des trucs, qu’on a bougé. Et
on va être obligé d’être autonome. Parce que franchement, des aides, même juste
pour avoir du matériel, c’est vraiment une guerre aussi. Je ne dis pas qu’on ne les a
pas, mais il faut les réclamer, tout ce qu’ils ont et apparemment, on pourrait avoir des
ballons et des jeux de dossard.
L’année dernière on a organisé un tournoi d’une journée de 10 équipes sur fonds
personnels, préparation de sandwichs pour les 10 équipes pour reprendre l’après
midi, installer une sono, tout ça de notre propre chef. A un moment, t’es obligé d’être
autonome et de ne compter que sur toi-même et sur tes adhérents. Il faut dire qu’on
a démarré de notre poche.
Dans un club, il y a un coach, c’est entouré, c’est suivi, alors que nous, on ne
s’attache qu’à notre expérience, et on essaye de gérer ça. Ce n’est pas très bien
encadré, par exemple en compétition, on est que les joueurs, on n’était pas
accompagné, il n’y avait pas d’entraîneur, Le président quelque fois est venu avec
nous pour voir. Mais on n’était pas entraîné. Alors qu’en club, il y a un entraîneur qui
fait des séances spécifiques, nous, c’est surtout des matchs entre nous.
Pendant la coupe d’Isère, on les voyait, ils avaient tous un équipement, un coach,
nous on arrivait avec notre sac de foot, chacun son propre maillot, son propre
short,et on allait en finale, c’était entre le truc vraiment club privé et le truc associatif.
Il n’y a pas de rivalité en plateau, on se retrouve avec des équipes, que ce soit de
Mistral, de Fontaine, de Meylan et ça reste des collègues. On est des collègues et on
joue entre nous. Tandis qu’en club, c’est la rivalité, eux contre eux. C’est des coups
et des insultes, alors que nous, non, on connaît presque tout le monde, c’est bon
enfant, tout le monde rigole.
La plupart des gens, ils viennent pour jouer au futsal, ils n’ont pas forcément envie
de faire de compétition. Cette année, ça n’a posé de problème à personne de ne pas
avoir engagé d’équipe en compétition, les entraînements ça leur suffit. C’est surtout
sur le loisir.
On est simplement une équipe de futsal, on est une « famille », un groupe de pote,
un groupe de 40 potes qui partagent la même passion.
Franchement, sans le futsal, on n’aurait pas connu tout ce monde. parce que grâce à
ces personnes, mardi, y’a 5 mecs de Mistral. Et à Mistral, ils s’occupent aussi d’un
créneau, au gymnase Ampère, et hors période du mardi et du samedi, ils nous
invitent le dimanche. Donc, on connaît une trentaine de personnes de plus. On
ramène notre équipe là-bas le dimanche, et on joue avec eux. Ca fait qu’on connaît
encore d’autres personnes. Ca se passe super bien.
Maintenant, on connaît un peu tout le monde, Mistral aussi, bientôt on va s’ouvrir au
Clos d’or. Et il y a des gens de Meylan qui viennent. Et je sais que sans le futsal, je
ne les aurais pas connus. Alors que dans un club, c’est chacun dans son coin, tu
connais ton équipe et c’est tout.
on frappe à toutes les portes, je ne dis pas qu’elles s’ouvrent, mais on frappe. Et s’ils
nous donnent un gymnase à Meylan, on ira. Pour l’instant c’est à Choriet, mais si ça
peut s’ouvrir, on ira.
Au niveau associatif, on n’est pas trop reconnu dans le quartier. Ils nous voient
encore comme des jeunes du quartier. Les jeunes, ils savent qu’on fait du futsal.
Pour l’instant, il n’y a rien de tout ça, on va essayer d’aller bouger et de se faire
connaître cette année petit à petit.
On est resté vraiment à 4 à reprendre l’association. Mais sinon, tous nos potes sont
adhérents avec nous. Je pense que c’est surtout l’envie de faire bouger les jeunes
du quartier, et au-delà même, une sorte de solidarité entre les jeunes. Mais, on ne se
dit pas que c’est une valeur, tellement c’est logique.
La jeunesse, pour le moment, au niveau sportif, elle ne répond pas trop. Mais on ne
désespère pas, on attend de voir la suite. De toute façon, on vient de commencer.
Pour le moment, on va essayer de s’accrocher déjà, de garder déjà ce qu’on a en
acquis et pas le perdre.
Contact
Fabien Albert
Président de CUSF
Tel : 06 70 80 72 47
Mail : [email protected]
Site internet : www.cusf.fr
J’ai lancé cette initiative quand j’étais salarié au Secours populaire français, j’ai
commencé à 19 ans, j’étais l’un des plus jeunes de la région et on m’a de suite
demandé de m’occuper de la jeunesse du secours pop’ du coin. Et ça m’a amené à
une rencontre au Parlement européen à Strasbourg en 2002, directement on m’a
envoyé là-bas, pour rencontrer d’autres jeunes qui venaient d’autres pays européens
et parler eux aussi de leur asso de jeunes, comment ils s’impliquaient et tout ça. Et
un des gros points qui est ressorti de ce congrès, c’est qu’en France, on était très
peu investi, nous les jeunes, dans la solidarité, qu’on était plus dans la culture, le
sport, qu’on était branché plutôt par notre petit quotidien, les fringues, la mode… Et
que par contre, ne serait-ce qu’en Angleterre, tu avais plein de jeunes qui étaient
contre le Ku klux klan, qui étaient contre ces idées là, qui avaient monté des asso
contre ça. Tu en avais en Roumanie, dans des pays de l’Est qui défendaient les
droits de l’homme, alors que nous on en est loin.
De ce constat, je me suis dit : qu’est-ce qu’on pourrait faire pour intégrer les jeunes
dans notre action de solidarité au sein du secours pop’, et que eux puissent aussi se
sentir valorisés avec cette action-là. J’ai parlé avec mes potes qui étaient dans le
milieu de la culture urbaine, j’étais dans la solidarité, et eux dans la culture urbaine.
Donc on a allié les deux. Eux ils ont amené la partie Graff’, le skate, qui ont été les
premiers ateliers il y a 6 ans. Et on en est arrivé à une conclusion de faire une
journée sportive avec une soirée. Et avec les fonds qu’on récoltait, aussi bien dans la
buvette que le soir, les reverser sur le Secours populaire pour une action bien
précise. Et de valoriser ça pour les jeunes. Le premier ça a été une kermesse, il n’y
avait que des bénévoles du Secours pop’, ça s’est passé un dimanche après midi et
le concert le dimanche soir. Donc on ne pouvait pas espérer grand monde, on a été
une cinquantaine. En attendant, l’organisation a été carrée, les choses se sont faites
proprement, ça a pas été un truc de teuffeurs comme certains ont pu l’imaginer de
suite au sein du secours pop. Parce que c’est une image un peu vieille le secours.
Quand on est à mon âge, j’avais quoi ? 20 ans, j’étais le petit du secours quoi. Et de
faire entendre des idées comme ça de graffiti, de skate, à l’intérieur de cette asso, ce
n’est pas évident. Donc les choses se sont bien passées dans l’organisation et ça du
coup ça a plu aussi bien à la mairie qui nous a accueillis qu’au sein du Secours pop.
Et on a pu faire le Festipop 2, qui lui a été un peu plus organisé, un peu plus rempli
au niveau du public, on est passé à 200, 300 personnes. On a pu avoir par exemple
le samedi soir pour faire une soirée et pas le dimanche soir. Les choses petit à petit
ont évolué.
J’ai dû subir un licenciement économique au sein du Secours pop, j’y étais rentré en
tant qu’emploi jeune à l’époque, donc comme beaucoup d’asso à ce moment là,
merci beaucoup et au revoir, on n’a pas les moyens de vous garder. Et j’en étais
arrivé où moi, j’avais quand même construit une vie de famille et où il fallait bien aller
travailler parce qu’il faut faire manger les enfants. Donc j’ai continué en travaillant
dans une entreprise de nettoyage. Parce qu’en fait les horaires me convenaient
parfaitement. Je travaillais très tôt le matin et l’après midi, j’avais mon temps pour
monter une association qui a pris le relais à la place du Secours pop. Puisque quand
je suis parti, ils m’ont dit, le Festipop, il va s’arrêter aussi, il n’y a personne pour s’en
occuper. J’ai dit : ça ne doit pas s’arrêter. Parce qu’on avait déjà atteint 1000
personnes sur le festival, le message commençait à passer, les gens venaient au
rendez-vous chaque année, et il y avait vraiment un engouement sur ce projet-là. Et
même au niveau des subventions du Conseil Général et de l’agglo. Et aussi les
copains qui disaient qu’il ne faut pas que ça s’arrête - et c’est surtout eux qui m’ont
donné envie de continuer -, on s’est lancé dans l’idée de monter une association. Et
en 2007 on a créé Culture Urbaine Sans Frontière. Et on a repris l’organisation du
Festipop. J’ai gardé le volet partenariat avec le Secours populaire les actions de
solidarité et leurs suivies.
Aujourd’hui on est 91 bénévoles qui ont adhéré à CUSF. Ils sont du bassin de Thau
et même d’ailleurs. Il y en a qui viennent de Perpignan. Des copains de Paris, qui
prennent une semaine de congé et descendent pour créer l’événement avec nous et
le monter. Parce que c’est avant tout une rencontre humaine.
Et « on va essayer d’embaucher deux mi temps pour janvier prochain (2010). Un
pour moi et un pour une secrétaire. Parce que la partie administrative reste très
lourde. J’aimerais bien embaucher des gens dans l’animation, mais avant, il faut que
l’association soit carrée. Il faut qu’au niveau administratif, quand on écrit des papiers
pour des subventions, ça tienne la route, et pas que ça ne fasse qu’une page. Ils
attendent plus, ils attendent des plannings, etc. Et il n’y a qu’une secrétaire et moi qui
aient de la compétence là-dedans aussi, donc à tous les deux on pourra arriver à
faire quelque chose de plus carré.
faisaient du graff. Moi, j’ai monté la partie street ball parce qu’à l’époque je faisais du
street ball aussi en compétition à Montpellier. Donc le basket de rue qui se joue 3 par
3.
Festipop, on fait de la musique, du sport, de la solidarité. Il y a eu une rencontre
autour d’un site qui s’appelle « les mouettes » qui était parfait pour créer l’atelier
déco parce qu’on avait besoin de place pour peindre les panneaux, faire de la bombe
un peu, ne pas être en intérieur. Fabriquer des cendriers, on a fabriqué des cendriers
en mégots pour pas jeter les mégots par terre, partie écologique. Toute la partie
décoration a été faite avec du recyclage, c’est-à-dire des matériaux récupérés en
déchèterie, récupérés dans la forêt. Que de la récup’, on n’a rien acheté. On a
essayé de les sensibiliser sur ces parties-là : Eco-citoyenneté, solidarité.
Et ça a permis aussi à 150 jeunes de descendre faire du camping en bord de plage,
d’accéder à la plage direct et en plus de participer au festival qui, durait de vendredi
soir avec des soirées musicales et des spectacles en interlude, et le samedi toute la
journée et le samedi soir. Le samedi toute la journée c’était des pratiques sportives,
et aussi de l’expression graphique, de la musique avec le tremplin rap. Et le soir
après, c’est beaucoup plus festif, on est sur trois plateaux de scène musicale qui
fonctionnent en même temps. Un terrain de 30 000 à 40 000 m², où on peut
justement dispatcher les sons et puis faire découvrir plein de sons différents aux
gens, en même temps, mélanger les cultures, puisqu’on peut avoir aussi bien du
reggae, du punk, de l’électro, du drum and bass… enfin voilà, tous ces sons-là
mélangés qui fait qu’il y a aussi une mixité des gens, qui viennent de tous les milieux.
Et c’est comme ça qu’on arrive à avoir cette année, un festival qui a ramené dans les
3 000 personnes, sur l’ensemble du festival, plus de 300 jeunes bénévoles qui ont
entre 18 et 40 ans, qui sont venus mettre la main à la patte pour créer cet
événement.
Porter le projet avec le local, ça a été un truc qu’on a travaillé cette année parce
qu’on a eu plus de temps, plus de bénévoles l’année dernière qui se sont impliqués,
et nous, on s’est libéré du temps. Donc on a pu trouver pas mal subventions, autour
d’un FAJ par exemple. Cinq jeunes ont organisé la partie skate, six jeunes ont
organisé la partie BMX et voltige un peu acrobatique, avec une piscine en mousse. Il
y a eu l’implication de trois jeunes sur la partie concours graff, avec vingt et un
panneaux qui ont été mis à disposition, un appel à candidature à travers les journaux
pour les jeunes du coin qui viennent s’inscrire et montrer un peu ce qu’ils savent faire
sur des panneaux. Et les trois premiers lauréats ont remporté un concours :
l’autorisation d’aller graffer un mur de la SNCF à Montpellier, à la gare routière - ce
qui est innovateur, parce que c’est la première fois que la SNCF autorise un graff sur
leur mur en gare. Donc ça aussi on le valorisera, c’est en octobre que ça doit se
passer. Les trois lauréats ont été récompensés et la fresque doit se faire en octobre
à Montpellier.
Y’a eu un chantier d’implication pour les jeunes qui s’est mis en place, c’est un
chantier international. Alors, on a pris dix jeunes de Frontignan, pour les impliquer
localement. Ils ont été envoyés par la mission locale d’insertion de Frontignan et dix
jeunes qui viennent d’un organisme qui s’appelle Concordia, qui est sur la partie
internationale et qui propose un projet à des jeunes pour perfectionner leur français
et integret un projet autour de l’évènementiel
Cela fait deux que nous sommes sur une action de solidarité avec le secours
populaire, plus précisément la commission jeune nationale du Secours populaire
français, il s’agissait d’aider à financer des puits d’eau au Niger. L’année dernière on
a reversé 4000 euros, et ça a permis de créer quatre puits d’eau, pour une
population de 800 habitants par village pour un puits, l’année dernière on a aidé pas
mal de gens, mine de rien, ces puits sont remis en état pour environ 20 ans.
de suite, parce que personne n’était payé pour le faire. Et les fêtes à la base, c’était
ça. C’était les gens eux-mêmes qui avaient envie de créer quelque chose et puis de
le faire par eux-mêmes et sans être payés à la fin. Donc là, on essaye de retrouver
cette ambiance là, cet esprit-là.
Les jeunes là-dedans, qui ont entre 16 et 30 ans, ils veulent bouger. Et ils veulent
qu’on leur donne les moyens de bouger. Et ça malheureusement, les asso, elles ne
l’ont pas réussi ce pari là. Comme les Secours populaires, qui ont 70 000 bénévoles
qui se disent énormes. C’est clair, ils ont une image énorme, les restos du cœur. Ils
ont des gros moyens, mais malheureusement, c’est dirigé par des vieux, qui
n’acceptent pas les idées de nouveaux jeunes, et qui ne veulent pas laisser le
pouvoir à de nouvelles personnes parce que c’est leur petit pouvoir. Ils sont à la
retraite, ils n’ont plus que ça.
Ces gens ne sont pas là pour donner, il faut arrêter avec le bénévolat où on te dit
qu’il faut venir la semaine pratiquement, tant d’heures pour remplir votre quota. Il n’y
a pas de quota dans le bénévolat. Tu donnes ce que tu peux et comme tu peux. A
nous de nous adapter à ces gens, à ces jeunes, au temps qu’ils ont à donner. Faut
arrêter de dire..Ils font des horaires qui ne sont pas adaptés. Alors qu’à côté, tu as
plein de gens qui travaillent, qui sont prêts à donner de leur temps Et on a ces 300
jeunes qui sont là, qui n’arrivent pas à se mettre à l’intérieur de ces secours
populaire parce que les horaires ne sont pas cadrés avec 9h-midi, 14h-17h, ça ne
colle pas du tout.
Pour préparer Festipop, je n’arrive pas le jour J avec des professionnels qui ont tout
monté et avec qui j’ai passé des contrats. C’est un montage d’abord de jeunes, de
projets de jeunes, qui ont envie de monterdes projet ou des compet de skate. Ils ont
trouvé finalement quelque chose qui leur plaisait, de festif, plus culturel, adapté à
eux, et j’ai suivie l’engouement de tous ces jeunes. Eux, ils viennent parce qu’ils ont
trouvé le projet génial, mais c’est l’inverse, il tient parce que eux ils viennent. Il y a
des animateurs dans chaque atelier et c’est les jeunes qui ont monté les projets qui
sont encadrant.
Il y a plein de jeunes dans la rue à Sète, qui s’amusent avec un ballon, avec une
planche de skate, qui sont pas obligés d’aller payer 350 euros de fédération, de
licence pour des maillots et des machins, et pour pouvoir s’amuser quoi. Et pour
pouvoir s’occuper avec pas cher. Voilà, avec une balle, tu peux faire du tennis ballon.
Avec un ballon, tu peux faire du foot de rue, du urban ball… Il y a plein de choses
qu’on peut faire. Avec une planche et 4 roues, c’est pareil, on peut faire à bloc de
choses.
J’ai essayé par d’autres moyens, par des réunions, par des choses un peu plus
formelles. Et finalement, il n’y a plus que l’informel qui marche… et qui fait bouger les
jeunes en tout cas. Il faut aussi être très flexible sur les horaires. Il ne faut pas faire
des horaires de bureau quand les jeunes ne sont pas là. Ce que je reproche au
Secours populaire, c’est de ne pas avoir de permanences qui soient ouvertes le soir.
Chacun, avec des petits projets, ça va être un petit concert, un petit atelier d’écriture
comme je t’ai dit autour du slam, ça va être une petite fripe mais avec des vêtements
de jeunes et pas des vieux vêtements, de la mode éthique. Il y a plein de choses qui
se font. Il faudrait fédérer tous ces petits trucs et arriver à le remonter au niveau
national en disant qu’il faut aider tout ça. Faut laisser l’ouverture d’expression.
Les participants, les adhérents et les bénévoles et ceux qui viennent en tant que
public disent que ça permet d’ouvrir les yeux sur ce qui se pratique et de valoriser ce
que font les jeunes. Et eux, se sentent valorisés, complètement, dans ce festival, ça
devient une vitrine de la solidarité, des cultures urbaines, de l’éco-citoyenneté et de
la jeunesse.
Des gens de différents milieux se retrouvent au festival et reviennent chaque année
pour retrouver les copains qu’ils se sont créés à l’intérieur du festival et qui ne se
connaissaient pas. Et tous ils sont issus de différents horizons, de différents villages.
Et à chaque fois qu’on envoie une invitation pour faire un compte-rendu, un bilan, un
apéro ou un machin, tout le monde a envie de venir et de dire : Ah, on va se
retrouver, c’est cool.
jeunes, on est le seul évènement qui est réalisé pour les jeunes, et accessible. Et n’y
pas d’autres activités pour les jeunes, malheureusement. Ici, c’est le tourisme, les
touristes et rien d’autres. Tu as des supers concerts d’IAM à 30 euros la place qui est
inabordable. Il y a des choses pour les jeunes, mais encore faudrait-il pouvoir se les
payer.
CUSF, ce n’est pas connu. Le Secours populaire a une notoriété beaucoup plus
importante. Et pour monter le festival, je m’en suis aussi un petit peu servi de cette
notoriété. Et pareil au niveau des subventions… en expliquant qu’on était soutenu
par le Secours, de suite ça passe beaucoup mieux. Après, j’ai décroché un
partenariat avec le Secours populaire régional. Donc, les choses se sont montées un
peu en crescendo. Et l’année dernière, j’ai décroché un partenariat avec le Secours
populaire national.
Et on a des nouvelles générations dans les services publics. Moi, je le sens un peu
là. Il y a quelques personnes qui ont réussi à se faufiler dans ces méandres de gens
très politisés. Il y en a qui sont passés entre les mailles du filet et qui sont bien
placés. Ces gens, qui sont jeunes ont une autre vision, ils savent que faire du skate,
prendre une bombe sur un mur et faire du graff, et du coup laisser libre expression
sur les murs et ne pas interdire les murs municipaux qui ne servent à rien, qui sont
peints uniformes et qui ne veulent rien dire, ce n’est pas signe de délinquance.
Cybercité
Contact
Lamine Kebir
[email protected]
A l’origine du projet
On a commencé entre 2003 et 2004. On était 6 étudiants en informatique, en
tertiaire, à Grenoble, tous issus du quartier Mistral (quartier sud de Grenoble). Cette
association est partie sur un constat. On a remarqué que certaines personnes
arrivaient à l’école, au collège, au lycée, sans avoir jamais vu un ordinateur, sans
rien y connaître. On faisait tous des études qui touchaient à l’informatique, avec les
questions de personnes qui voulaient acheter des ordinateurs, qui voulaient des
renseignements, et qui voulaient apprendre. On s’est lancé, on a créé l’association
Cybercité. Son but, c’était de populariser l’outil informatique et ensuite de créer des
échanges avec les personnes qu’on amenait à l’ordinateur, à ses fonctionnalités.
Donc, on a commencé avec la MPT Mistral, on a eu des projets, on a fait des
formations informatique à des personnes âgées, à des enfants, de 7 à 77 ans, de
l’initiation, de la création de sites internet pour certaines structures. On a créer le site
d ‘ « Envie d’agir » par exemple.
On a eu des subventions et grâce aux sites qu’on faisait, on percevait des sommes
d’argent. Et en même temps, on amenait les jeunes de façon ludique, à partir de
petits jeux, de tournois, à entrer dans l’univers informatique, puis les enfants, les
adolescents, les personnes âgées. Le but, c’est de créer une « communauté
virtuelle » au sein du quartier, d’amener des gens sur le PC, de faire des jeux en
ligne. On a créé ce microcosme au sein de la cité.
A Cybercité, on a fait nos preuves, on a fait ce qu’on avait à faire. Maintenant il y a le
pôle multimédia, les gens sont aptes à aller sur internet, faire des initiations
bureautique, ils savent faire un CV sur Word, ils savent se servir d’un ordinateur.
L’objectif est atteint.
On a fait un autre constat : maintenant les jeunes délaissent un peu toutes les MJC,
c’est devenu un peu « ringard ». Donc on veut populariser un autre type de lieu en
créant un point de chute, un point de rencontre de jeunes de cité, et de jeunes qui ne
sont pas de cité, pour développer la démocratie participative. C’est la seconde étape.
Maintenant ces gens voient ce qu’est l’outil informatique. Ce qu’on voudrait, c’est
sortir un peu ces personnes, ces gamins du quartier. Le Plateau, il a porté ces fruits.
On voudrait maintenant rebondir sur un projet de café social, créer un lieu de
rencontre entre les personnes de quartier et hors quartier, de tous milieux, pour créer
des débats, des concerts, pour qu’il y ait vraiment un échange. Parce que chaque
personne est dans son coin. Je viens d’un quartier, je ne connais pas les personnes
qui sont hors du quartier. Je suis arrivé au lycée, je n’avais jamais vu de personnes
qui ne sont pas comme moi, ça m’a fait un choc de cultures. Et justement on voudrait
développer ce vivre-ensemble à travers ce café social, amener des rockeurs et des
rappeurs… Un lieu de rencontre et d’échange, avec des débats autour de l’actualité,
de la politique, de ce qui se passe à l’étranger, de tout et de rien. On veut justement
créer une révolution à ce niveau-là. Parce qu’on sent qu’il y a un manque et qu’il y a
une richesse à développer.
En fait, on se sert de ce qu’on a vécu. Grâce à la fac, j’ai appris à connaître d’autres
personnes. Parce que si on a pas eu un grand cursus scolaire, si on est resté toute
sa vie casanier dans un quartier, on connaît rien de la vie, et vice versa, le mec qui
n’a pas vu ce qu’il y avait dans les quartiers, il ne connaît rien de la vie. On a deux
mondes, pourquoi ne pas les rapprocher, échanger pour qu’il y ait des points
communs, des différences qu’il faut développer, des compétences qu’il faut joindre
pour créer des projets, pour créer des compétences techniques en informatique, tu
veux les partager et tu veux les offrir au plus grand nombre. Et après tu te rends
compte que tu as aussi développé des capacités relationnelles, t’as rencontré plein
de monde, et ça tu veux le développer et tu veux l’offrir au plus grand nombre.
Notre projet, il est né de ça, le Plateau, il a servi à ça. A mixer les publics. Mais sans
qu’il y ait ce lieu de rencontre : on faisait des cours pour les personnes âgées, on ne
pouvait pas les mélanger avec des enfants. Et là, on a fait ce constat ; ils avaient les
mêmes questions : pourquoi internet ? pourquoi ceci ? pourquoi cela ?
On est passé par la MPT, le Plateau, et on a profité du changement, de l’ouverture
du quartier Mistral Eaux Claires, parce que Mistral c’est un quartier populaire et que
les Eaux Claires, c’est moins un quartier populaire. Et on a créé une première mixité
comme ça. On a profité d’avoir les deux publics.
La vie associative
On n’avait pas d’objectif, on s’est lancé et on s’est dit : on va voir ce que c’est. Parce
que l’associatif, on ne connaissait pas. La MPT nous a aidé à créer les statuts. Parce
qu’il faut être familier de ça, ils nous ont mis le pied à l’étrier. On avait une sorte de
convention entre eux et nous, on se servait des locaux de la MPT et puis après du
Plateau, on était assuré par eux. On avait notre libre fonctionnement, c’était un
échange de bons procédés. Et l’objectif, il s’est fait après, de fil en aiguille. Au début
on a commencé par les gamins, parce que c’était les principaux demandeurs. C’est
ceux qui venaient à la MPT. Et justement, avec la création du Plateau, on avait des
personnes âgées, ils voyaient le Plateau, ils se disaient : elle est jolie cette structure.
Ils rentraient : Ah, on peut apprendre l’informatique, je suis intéressé. J’ai une amie,
on est intéressés. Voilà, on fait un groupe, on cale des créneaux, et on s’inscrit. Et
justement, c’est grâce aux échanges qu’on a pu faire ça. Et c’est pour ça qu’on a
rebondi sur le lieu d’échange. Nos compétences, on les a mises au service de ceux
qui en avaient besoin.
Maintenant, c’est un petit peu en stand by, parce que tous les fondateurs et co-
fondateurs ont un petit peu lâché prise par rapport à leur situation professionnelle.
Des personnes se sont déplacées. Mais l’association existe encore. Maintenant, elle
est au Plateau, qui a pris le relais de la MPT Mistral. On a encore nos bureaux là-
bas, et on attend de redonner un nouveau souffle à l’association.
Le CA est encore en place, l’association n’est pas dissoute. Moi, je suis vice-
président de l’association. Mais concrètement, on ne fait rien. On ne peut pas se
permettre d’être bénévole toute la journée. Il faut remplir le frigo. Mais ce n’est pas
l’envie qui manque parce que, franchement, l’associatif, l’aide qu’on peut apporter
aux personnes, c’est magnifique, c’est quelque chose qui apporte beaucoup.
Là on est en train d’écrire ce qu’on veut faire pour le soumettre à Cap Berriat, avec
Kheir-Eddine qui va accompagner ce projet-là, pour ensuite le défendre avec nous.
On veut populariser dans toute la ville, dans tous les secteurs. Et se servir de Cap
Berriat pour ça, parce que Cap Berriat c’est très très connu. On veut se servir de la
réputation et de ce que fait Cap Berriat pour nous donner un souffle nouveau. Et
comme on vient de quartier populaire, on va amener des personnes, et on veut que
la mixité se fasse comme ça.
Pour nous, l’associatif, c’est un vrai plaisir. De voir les gamins apprendre,
comprendre et s’épanouir avec ce qu’on a produit, c’est magnifique. Que demander
de plus. On n’était pas payé, mais c’était ça notre salaire, il était là, de voir leurs yeux
ébahis par ce qu’on pouvait faire avec un ordinateur. Des personnes âgées pour qui
l’informatique est une montagne, et qui après 2, 3 semaines, un mois, qui naviguent,
qui savent « tout faire » sur un PC, c’est que du bonheur, parce que quand on les
recevait, on avait des discours défaitistes : moi, l’ordinateur, c’est trop compliqué
pour moi, je suis trop vieux, je suis dépassé. Mais non, vous allez voir, on va faire le
pas. On leur a mis un peu le pied à l’étrier.
Apprendre, s’apprendre
On a toujours voulu faire ça, parce qu’on est des quartiers populaires et on est allé à
la fac. On a fait des écoles, on s’est ouvert, on s’est fait des amis ailleurs, on l’a fait
grâce à l’école. Mais les personnes qui n’ont pas l’école, comment ils peuvent faire ?
On n’a eu que des bons retours, que ce soit les professionnels, que ce soit les
habitants, les mamans…
Ca a fait un peu boule de neige, avec des collègues qui se disaient : oh non. Et
quand ils ont vu, ils se sont dit : pourquoi pas ? Bien sûr, ça se fait automatiquement.
Parce que quand on doit apprendre quelque chose, on est fainéant, mais ils voient
que de façon ludique, on a appris des choses. De fil en aiguille, c’est ce qu’on a eu,
ça fonctionne. Comme on sort du quartier, on sait comment les gamins veulent
apprendre. Ils ne veulent pas que ce soit comme à l’école.
C’est l’entre-aide, le conseil dans le quartier, on avait les petits frères de nos
collègues et du soutien. C’est pour les valeurs, mais c’est aussi un exemple. On a
voulu donner l’exemple, on vient d’une cité, mais on fait des choses. On fait des
choses bien, on fait des choses pour vous et pour nous.
Contact
Jean Habib : 06 07 47 75 80
[email protected]
Site internet :
www.epsylonn.org
www.technotonomy.org
On est vraiment tous dans cet état d’esprit là et on aime beaucoup donner pour faire
en sorte de perpétuer cet état d’esprit, mais à notre manière. Des fêtes, on en
organise pas mal, ça va de la petite fête avec 200 personnes à celle jusqu’à 10 000
personnes. Et plus on grandit, plus on a envie de faire des choses d’une manière un
peu plus construite. Donc, on a décidé aussi de temps en temps de faire des choses
déclarées, dans la légalité.
En 2003 l’asso s’est montée, et dans les statuts on est toujours sur la même base.
Mais par contre, sur ce qu’on fait, nous avons évolué. Le matériel qu’on a est
multiplié par 3, les véhicules, les investissements qu’on a fait. On est autonome, on a
un poids lourd qui appartient à l’association et plus des poids lourds personnels, le
groupe électrogène de 60 KW On s’était dit qu’on aurait dû le descendre quand il y
avait eu les tempêtes dans le sud de la France. Si on avait eu le camion à cette
époque… On peut, en énergie, quasiment faire tourner une petite ville de 200
habitants. C’est des bons plans, des trucs, du system D’ un peu de troc et de
récupération. Donc on a réussi à construire un petit peu… On est capable de gérer
un festival à 10 000 personnes de manière autonome sans avoir aucun coût
financier, mis à part le gasoil. Donc, de la lumière à la prestation des artistes, à la
décoration, au spectacle. On est capable de faire danser 10 000 personnes
gratuitement pendant 24 ou 48 heures.
Je suis en emploi tremplin. La Région Bretagne a mis la main à la pâte, parce qu’ils
se sont dit que ça représentait pas mal de monde derrière. Donc la Région Bretagne,
le conseil général du Finistère, Jeunesse et sport un petit peu, et la même
structuration de financement pour les pays de la Loire. Parce qu’on est sur deux
régions. On est un mi-temps ici, un mi-temps sur les Pays de la Loire. T’es obligé
aussi d’avoir une connaissance du secteur et des acteurs. J‘ai accepté ça au bout de
quelque temps. Guillaume Brillant (du Conseil général) m’avait déjà dit que ça serait
peut-être pas mal. Et moi, j’avais peur de… et puis j’ai toujours peur, c’est toujours
des débats d’ailleurs, la perception du milieu par rapport à mon travail. La phrase
que j’entends tout le temps c’est : c’est l’Etat qui te paye, et comme l’Etat pour les
gens c’est que le gouvernement que tu vois à la télé. Donc, l’Etat c’est Sarkozy, les
mecs ils arrivent à tout un truc. Alors tu dis : attendez, on est vraiment pas du tout
sur la même optique. Même chez moi, les gens disent ça : c’est une asso qui est
subventionnée par qui ? Par une institution. Institution, c’est un mot qui ne parle pas,
donc on dit Etat. Donc tu travailles pour l’Etat. Qui plus est dans un mouvement qui
est anti… pas-anti Etat mais qui aime bien être à côté. Et certains dans ce
mouvement sont politisés à l’extrême gauche, et utilisent aussi certaine fois
justement des manifestations ou des grands évènements pour faire un petit poids
politique. Donc c’est toujours un débat. Les gens qui voient notre travail, ici ou à
côté, sont tout à fait contents et comprennent bien la différence, qu’on fait de
l’accompagnement.
En fait la sensibilité assez partagée chez les adeptes de ces musiques est que
l’association, les contacts avec les institutions ou tout simplement une certaine
formalisation seraient en contradiction avec l’esprit de cette culture, et avec le désir
de liberté et la créativité. Dans ce milieu, les gens aiment bien rester informels, un
peu cachés. Ils n’aiment pas trop se mettre en asso, parce qu’ils ne sont pas
informés. Ils ont l’impression que s’ils sont en asso, on va leur taper plus facilement
dessus. Alors que justement, ils sont bien mieux protégés en asso.
ça veut dire « qui vient du cœur » en Breton et l’idée c’était la solidarité.. le maître
mot. C’est ce qu’on fait tous ensemble mais on l’a différencié statutairement parce
que, effectivement, on pouvait peut-être prétendre à des choses en allant en
Roumanie, qu’on ne pouvait peut-être pas avoir nous. Mais c’est de la solidarité.
Grosso modo, c’est un peu les nanas d’ici qui sont membres du bureau C’était
Tout l’argent qui rentre, il rentre pour le pot commun, en général, c’est utilisé pour
remettre le matériel à niveau. On a un camion pour l’asso. Parce que vu qu’on habite
tous dans les camions, il n’y a plus de camions pour le week-end, pour y aller, c’est
un peu le chat qui se mord la queue.
Le matériel, c’est pareil, il est à un seul endroit en même temps. A force d’avoir le
truc chez papa, maman, chez les copains, on s’est rendu compte qu’on avait
beaucoup de matériel de côté, beaucoup de choses qu’on pouvait peut-être vendre
parce que ça nous servait à rien, ça restait là, ou alors refabriquer du matériel avec
d’autre matériel. Sur la qualité du matériel on a pu bien avancer. Sur l’énergie
dépensée, au lieu d’être à 2 pour vider un camion, t’es à 10 ou t’es à 12. Donc ça te
fatigue beaucoup moins, ça t’énerve beaucoup moins de le faire. Quand c’est
dimanche soir, que t’es à deux, que tu dois vider ton camion parce que tu pars au
boulot le lendemain avec, et que t’as encore la moitié de la teuf dedans, que t’as
encore les sacs poubelle que t’as ramenés avec toi, ça dynamise forcément le truc.
Après c’est un coût. On ne pourrait pas se l’offrir si jamais on ne vivait pas dedans.
On ne pourra pas avoir ce local là… C’est pour ça que je sais très bien que même si
ce n’est pas légal ce qu’on fait (Ils habitent dans un hangar où ils n’ont pas
l’autorisation d’y vivre), on ne vit pas dans la merde. Nos camions, ils sont très bien
aménagés, on a tout ce qu’il faut dedans, il n’y a pas de risque pour nous en termes
d’hygiène. On est dans nos camions, chauffage, four, eau chaude, douche. C’est le
camping toute l’année.
C’est lié à une réalité. Si on était tous à habiter dans un appart’ à Rennes à 400
euros par mois, on serait peut-être plus en train de mourir de faim comme la plupart
des étudiants. On ferait partie des gens qui sont encore plus pauvres parce qu’on
n’aurait pas les moyens de subvenir à tout ça. Alors que là, avec un loyer diminué et
par la vie en communauté, quand il y a un petit pépin, il y a toujours quelqu’un, t’es
pas obligé de demander à un électricien de venir. On a tout sur place, ça te permet
d’économiser de l’argent et de faire en sorte qu’on peut plutôt mettre cet argent-là
dans nos projets. Si tu veux faire avancer ton asso actuellement et que tu n’as pas
envie de rentrer dans un système, déjà qu’on fait des soirées payantes, tu es déjà
obligé à un moment ou à un autre, de faire payer. Si tu veux te payer un local comme
ça, t’as intérêt à te faire du pognon tous les mois. Ou alors tu habites dedans, et du
coup personne n’a d’appart’ à payer à côté. On paye tous 125 euros par mois. C’est
le loyer le moins cher que tu puisses imaginer. On est à dix bornes de Rennes, tout
le monde a du boulot autour, et puis chacun est dans son camion, chez soi. Tous les
soirs, les portes se ferment et chacun est dans son 16 ou 20 m², et t’es chez toi. Par
contre, ce qui est cool, c’est que dès qu’il te manque un truc, tu peux aller frapper
chez le voisin. Déjà les quatre mois qu’on a passé dans le petit local, ça nous avait
permis de faire le point sur pas mal de choses. On sent qu’il y a de la capacité, du
potentiel, on sent qu’on peut effectivement se permettre de faire des projets plus
fous, stocker des vieilles bagnoles derrière et construire un truc pour faire de la déco,
on fait le parc des expos, on récupère des moquettes, le bois, le machin parce qu’on
sait qu’on peut stocker, on sait que ça va nous servir un jour, et que ça nous fait
gagner beaucoup de temps et beaucoup d’argent, c’est une chance, c’est un mode
de vie qui est même pas particulier, tout le monde bosse, on est tous intégrés.
C’était au château de Keriolet, un lieu assez mythique parce que c’était là qu’une des
premières grandes raves payante avait eu lieu : Astropolis. On l’a fait, il y a eu du
monde qui est venu, ça s’est vraiment bien passé, ça a eu un peu de répercussions
dans la presse et puis ça a montré que les institutions commençaient à s’intéresser
un peu à notre culture. Cette année, je l’ai refait dans le cadre de la Quinzaine de la
jeunesse, dans le Finistère : 15 jours où tu développes un peu les initiatives des
jeunes. Cette fois-ci, je l’ai fait sans le chapeautage du conseil général et de Musique
et danse en Finistère, je l’ai fait directement, avec Epsylonn, j’ai organisé
entièrement le truc de A à Z avec un lieu que la mairie de Brest avait mis à
disposition. Et c’est pareil, quelques élus sont venus. Parce que, la cible principale,
c’est ça, c’est les élus. Parce que, c’est eux les plus frileux, c’est eux qui vont tout de
suite crier dès qu’il va y avoir quelque chose sur leur territoire parce qu’ils ne veulent
pas, c’est eux qui sont dans toutes ces institutions et qui finalement…
Des apprentissages
Je pense qu’on a tous appris. On apprenait déjà l’été parce que on faisait 4 mois
ensemble. Mais là, quand tu le développes à l’année entière, c’est beaucoup plus
intéressant parce que l’été, il y a un côté festif, il fait chaud, c’est les vacances, tu
vas te baigner dans la mer noire, t’es content. Mais là, l’hiver ça caille, la nuit dans
un hangar, il fait moins 2 degrés. La porte de ton camion elle est gelée. C’est déjà
beaucoup plus difficile. Tout le monde travaille, t’as plus de fatigue, donc c’est là que
les relations tu peux vraiment les construire, les créer et les renforcer. Et les coups
de gueule, ils sont bons, parce qu’ils sont faits ensemble et qu ils font avancer. Il y en
a rarement deux qui se prennent la tête. Par contre, on fait des réunions souvent et
là, on parle des sujets qui fâchent, c’est comme ça qu’on les appelle. On évite la
discussion entre deux personnes qui du coup est inintéressante pour tout le monde.
Mais j’essaye, je note ou je me rappelle ce qu’on me dit. Par contre, c’est animé. Au
moins les choses sont dites, sortent et les choses en commun, tout le monde le dit
avec tout le monde, en même temps. Parce qu’on habite tous ensemble. Et que si
jamais tu commences à faire des discussions et des décisions deux par deux,
personne n’en profite et ça peut faire plus de mal que de bien. Des fois ça peut faire
perdre une semaine d’attendre que tout le monde soit là, mais au moins, tout le
monde est au courant du truc, même si ça ne t’intéresse pas. Même si c’est un truc
où tu n’as rien à voir avec, t’es quand même au courant qu’il y a cette gêne-là et
même si c’est pas pour toi qu’il faut que tu fasses attention, il faut faire attention à ce
que les autres ne le fassent pas. Donc c’est une expérience humaine qui est super
importante, qui fait évoluer chacun. Enfin moi, j’évolue tous les jours, J’ai jamais
autant appris qu’ici, parce qu’avec toutes mes connaissances, tout ce que j’ai pu
faire à côté, même si j’ai des études truc machin, j’ai appris un certain nombre de
choses que peut-être d’autres n’ont pas. Mais par contre, il y a cet échange qui est
possible ici et c’est enrichissant. Et puis faire de la médiation avec les institutions m’a
aidé parce qu’avec les années, j’ai acquis de l’expérience, des savoirs faire, des
savoirs parler
Il y a beaucoup d’asso qui font comme nous, et même plus encore. D’autres asso qui
ont peut-être la même envie. Donc forcément, s’ils sont 5 et qu’il y en a 3 qui
bossent, le week-end il est foutu. Alors que nous, le week-end dernier on est parti
faire un technival à Bourges, sur les 30 de l’asso, on était que 4 à être motivé. Mais,
avec 4 on pouvait quand même y aller. Ce que je ressens souvent avec les gens,
c’est que le fait qu’on continuait et qu’on essayait de faire des choses encore plus
grosse, ça a peut-être poussé d’autres à vouloir le faire, ça a fait évoluer. Sur le
secteur, je pense qu’il y a des gens, dans la dynamique qu’on avait lancée, qui ont
dit : ils l’ont fait, on peut encore le faire. C’est la plus belle des récompenses, c’est
possible pour les autres, c’est possible simplement, c’est possible de vivre de
manière alternative. Et puis, ce que j’adore, c’est tout le projet. Tout le projet de
rénovation, on va refaire tous les boxes, on a le projet de tout repeindre. On va faire
ça par étape. Déjà qu’on avait plein de choses à faire, c’est encore un truc qui
permet de lier les gens, de bosser sur un projet commun, où chacun donne ses
compétences et d’avoir la fierté de prendre un lieu qui est dans un état comme ça et
qui peut-être dans un an aura changé de gueule. Et puis le propriétaire qui revient et
qui dit : Oh, effectivement vous habitez dedans, mais de l’autre côté, vous avez
remis de la vie dans un endroit qui n’en avait plus. Et lui, ça l’arrange bien aussi.
Donc on essaye un peu de jouer sur ça. Ici, l’avantage, c’est que tu ne peux rien en
faire. Le hangar est trop bas pour mettre un gros poids lourd dedans, il est trop
insalubre pour mettre des choses de valeurs. Si le mec voulait le louer à une
entreprise, il fallait qu’il mette 30 000 ou 40 000 euros sur la table pour remettre le
truc en état, t’as pas une porte qui ferme bien, t’as 70 carreaux de pétés… Par
contre, je ne dis pas que si dans trois ans le truc il est un peu rafraîchi, je m’attends à
ce qu’il me dise : merci bien et bonjour chez vous. Si déjà on a tenu ce temps-là,
pour moi c’est une victoire.
Koukou
Contact
Nouvelle présidente : Guillemot Marie
Association KouKou
4 allée de la Roseraie
74200 Thonon
06.14.55.34.02
[email protected]
site internet :
www.myspace.com/associationkoukou
Florence raconte :
A l’origine
A la base il y avait une autre association, qui avait à peu près le même objectif, mais
ce n’était pas les mêmes personnes. Leur objectif était de promouvoir la culture
africaine à travers les échanges, les rencontres, comme on le fait aussi à l’heure
actuelle. Mais il y a eu un désaccord dans cette association, et au final l’association a
été dissoute. Les membres du bureau et notamment le président sont partis. On est
donc parti de cette asso et on a créé Koukou. On était quatre à la création de
Koukou : moi-même, Florence, qui a été d’abord présidente puis vice présidente et
aujourd’hui vice secrétaire ; un ami percussionniste professionnel ; l’initiateur de
notre motivation commune et membre actif de l’asso, Modou ; aujourd’hui la
référente chargée de com de l’asso et danseuse, Julie et Liliane, qui était secrétaire.
La création s’est faite autour d’un bon repas où le nom a été trouvé.
Koukou, c’est une danse, c’est le nom du rythme le plus populaire de toute l’Afrique
de l’ouest. C’est lourd de sens, cela renvoie à la tradition : dès que tu parles de
Koukou, tout le monde connaît. Mais notre objet, c’est aussi aller vers la rencontre.
Koukou, quelque part, c’est aussi bonjour.
Chacun était lié à la culture africaine d’une manière ou d’une autre, Julie avait fait
des cours de danse depuis 7-8 ans, elle connaissait bien et aimait ça. Modou est
Sénégalais, percussionniste de profession, et Liliane et moi avons toujours été
attirées par l’Afrique et ses richesses culturelles. Du coup, on avait envie de faire ça.
Et ça a commencé fin janvier 2008.
des filles qui étaient intéressées, des amies, c’était plutôt entre copines, parce que
les hommes n’étaient pas très intéressés pour danser. Et Modou accompagnait avec
quelques percussionnistes, qui par contre sont des hommes. C’était des
percussionnistes débutants, que Modou avait déjà en cours. En fait, trois semaines
après avoir commencé, on a fait une manifestation, un carnaval. Et puis on s’est dit,
on va continuer, des gens sont venus se greffer au fur et à mesure et puis ça a
donné la compagnie Koukou.
En fait, il y avait déjà un cours de danse africaine sur Thonon depuis plusieurs
années, qui marchait bien, à la MJC, avec la même prof. Mais il y avait une demande
qui porte plus sur la culture traditionnelle. Donc forcément Modou a apporté ça.
Il y a un respect vis-à-vis de la tradition qui est fort. Et puis un partage, une envie de
découvrir. Un partage autour de la tradition. Comme si la barrière de la tradition qui
est souvent là, on l’ouvrait justement à nous occidentaux, blancs, qui ne connaissons
pas du tout cette culture-là. En apprenant vraiment la tradition avec un respect et des
explications, des réflexions, des questionnements, qu’on partage du coup autour de
ça. La musique, comment ça marche ? Cette danse, qu’est-ce qu’elle a comme
signification ? Pourquoi on la danse comme ça ? Et avec nos interprétations, nos
questions, on rajoute, on mélange les deux. On recherche le partage, la rencontre, à
travers la promotion de la culture africaine.
Notre objectif, c’est surtout de partager des moments forts. Parce que aussi, avec les
cours de Koukou donnés par Julie, il y a aussi ce côté thérapie, entre guillemets,
pour que les gens se lâchent, pour que ça fasse du bien aux gens. Donc, là c’est
encore une autre chose, c’est en dehors de la compagnie, c’est vraiment les cours,
où les gens sont heureux tout simplement. C’est aussi le but de l’association de faire
ça.
Au fur et à mesure que l’association fait des activités, des arts pluridisciplinaires se
sont intégrés, de façon complètement naturelle, spontanée. Je pense aux acrobaties,
à la Capoeira qui est un art brésilien, au jonglage, ou même l’essai avec d’autres
instruments, qui ne sont pas du tout des instruments traditionnels, l’accordéon par
exemple. C’est des petites touches comme ça dans l’association Koukou qui font que
cet espace d’échange et de partage est ouvert. Respect de la culture, mais des deux
cultures aussi. On part d’un schéma établi, traditionnel, mais pas recopié. Nous ce
qu’on fait, ce n’est pas pour être exactement pareil. C’est une inspiration au départ,
et après on essaye de fusionner par rapport à ce que nous on est.
Pour le moment, nous avons été pris dans l’action et la volonté de faire beaucoup.
Nous avons fait en fonction de ce qu’on nous demande : voilà, on vous a vu, on
aimerait que vous veniez jouer, alors comme notre but est de partager et de faire
découvrir le peu que nous connaissons de la culture de l’Afrique, nous acceptions la
plupart des demandes. Du coup on était tout le temps pris. On n’a pas eu vraiment
de temps mort pour se concentrer sur les autres projets. Mais nous avons quand
même organisé quelques événements en dehors des stages et des cours
notamment le week-end découverte, qui était un projet qui émanait du CA. C’était
une ouverture vers la Capoeira, le Balafon, d’autres types de musique, mélanger un
peu les styles artistiques nous paraissait important pour répondre à notre objectif
d’ouverture et de rencontre. Grâce à ce projet, nous avons obtenu une subvention.
Il y a aussi un truc dans Koukou, c’est la volonté de s’ouvrir aux autres associations
avec lesquelles on ne travaille peut-être pas forcément, mais en tout cas qu’on côtoie
depuis le début. Et l’idée de se tenir au courant les uns les autres, de créer une
certaine solidarité, un partage autour des mêmes valeurs pour lutter aussi contre le
phénomène de concurrence bien inscrit dans notre société et aussi dans un souci
d’élargir nos objectifs communs en dehors de Thonon. Nous tenons a faire des
choses au niveau local, mais aussi de prendre en compte qu’il y a d’autres
associations qui sont autour, qui sont à Grenoble, qui sont à Genève, qui sont à
Sallanches, à Chambéry... Et d’entretenir le lien informatif entre ces associations.
D’ailleurs, on a deux chargés de com’ uniquement pour ça, en plus du bureau. On
veut fonctionner en réseau tout simplement parce qu’on a les mêmes passions, à
des endroits différents - mais on n’est pas très loin, on est en Rhône-Alpes -, et que
l’esprit c’est vraiment de partager et d’échanger, et de ne pas se marcher dessus. Et
surtout pour évincer l’esprit de compétition. Et du coup, on a organisé une soirée
inter-associative, il y avait 10 asso, une cinquantaine de personnes. Il y a pas mal de
gens qui sont au Djéliya qui étaient là-bas. Et c’était une soirée extraordinaire.
On s’est fait un pique-nique canadien, on a donné rendez-vous à Thonon, et on a fait
une soirée, on a joué on a dansé, et surtout après on a fait un tour de table de toutes
les asso qui étaient là et qui ont chacun présenté leur asso, leur projet à venir…
C’est l’idée. Il y en a un qui a dit : le stage on le prévoyait à tel moment, ça tombe le
même week-end où vous allez faire un spectacle, on va décaler. Pour que tout le
monde puisse en profiter, sans se marcher dessus.
C’est tout public. On a juste mis à partir de 8 ans, c’est vrai qu’on n’a pas d’activité
pour les moins de 8 ans, pour les tout petits. Mais par contre, Joëlle 65 ans, qui a
dansé hier jusqu’à 3 heure du mat. Voilà, donc ça va de 8-10 ans, la petite qui vient à
certains de nos stages avec sa percussion, qui est là, même si elle est toute seule,
pas de problème, jusqu’à presque 70 ans. Donc c’est intergénérationnel.
On retombe aussi forcément sur des gens qui sont déjà attirés par ça. Mais des fois
c’est surprenant, parce qu’on a joué la dernière fois dans Thonon, t’avais des gamins
plutôt hip-hop qui étaient vraiment impressionnés par la percussion, qui avaient envie
de danser, mais par complexe, ils n’ont pas dansé. Mais c’est ouvert. Avec les
handicapés aussi beaucoup. La dernière fois, dans la rue justement, il y avait un
handicapé, trisomique, qui a dansé, il était à fond. Donc on est super content quand il
y a un mélange, quand on peut toucher tous les publics, que ça touche tout le
monde. A Bon-En-Chablais, ils avaient tous 80 balais, et ils sont restés, ils étaient un
peu décoiffés (rires).
Mais du coup, on n’a pas un budget suffisant, parce que c’est tout neuf, et on n’a pas
de subvention, on n’a pas une personne disponible pour aller à la recherche de
subventions qui nous permettraient d’avoir un salarié, ce salarié nous permettrait
d’avoir une base de bureau beaucoup plus stable, beaucoup moins stressante…
Malheureusement, les subventions marchent au projet et pour les avoir, c’est plus
pratique d’avoir un salarié qui lui est payé sur du fonctionnement. Et ça n’est jamais
payé, le fonctionnement. Et puis avant de parler de développer des projets, il faut
d’abord savoir si les gens suivent derrière. Et ça, c’est un gros questionnement.
Dans le bureau, on doit être une dizaine, disons qu’on fonctionne par deux sur
chaque place de bureau. Et quand on fait des événements comme celui-là, on a 6 ou
7 bénévoles en plus, ça fait 16 bénévoles sur un festival comme celui-là. Ce qui est
pas mal.
Marjo, présidente de l’asso : Cette année, on s’est vachement plus calé que l’année
dernière. Tu vois, le Djéliya, ça roule mieux. Mais ce n’est pas encore tout à fait ça.
Et puis pour plein de petites choses, on apprend. On apprend tous les jours, mais
c’est vrai qu’en termes de fonctionnement associatif, c’est très très riche, mais du
coup c’est aussi épuisant. Comme on le disait tout à l’heure, on n’a pas que ça dans
nos vies, donc c’est aussi fatigant. Mais je trouve qu’on a fait des progrès énormes.
Au niveau budgétaire, au niveau de notre fonctionnement entre artistes, bénévoles,
semi-professionnels, amateurs. Toutes ces catégories qui sont parfois délicates dans
le lien social, qu’il faut gérer. Je trouve qu’il y a quand même beaucoup plus de
clarté. Après je pense que le nœud des associations, c’est l’investissement de
chacun, sur combien de temps et pourquoi. Je pense que régulièrement, t’es obligé
de retourner le panier et de dire : « où est-ce que vous en êtes, qui veut faire quoi,
est-ce que quelqu’un en a marre de ça, et voudrait plus aller ailleurs. Au niveau des
tâches et tout ça. » Bref, on est une équipe et avant tout des amis donc on veut que
tout le monde se sente bien, sans obligations et que les choses avancent
sereinement et toujours dans le but de faire plaisir et de se faire plaisir.
La new school
Contact
Association La New School,
53 impasse de l’Odet, 29 000 Quimper
[email protected]
Marlène Nicolas,
Ty Glas,
29120 Plomeur
06.28.72.57.79
[email protected]
projets soient bien écrits. Il y a eu un impact fort pour la Ville, pour les collectivités en
général, puisque c’était un peu plus carré. Et, à partir de 2006, on a vu une création
réelle en termes d’événements. On avait un festival, sur une période d’un mois à peu
près. On faisait beaucoup de déplacements avec des jeunes, mais aussi beaucoup
d’actions de proximité, ce qu’on a appelé les « block party », en plein air, gratuits.
Sur le quartier notamment on a beaucoup utilisé ce concept là. Plus des
déplacements sur des évènements à l’étranger, en France, avec des jeunes…
On a créé un réseau. C’est vrai qu’Ali, il est déjà danseur à la base, et qu’on va sur
beaucoup d’événements et qu’Ali connaît les danseurs, c’est pour ça qu’on arrive à
faire venir aussi des gens renommés, qu’on voit à la télé…
On va jusqu’à Brest donner des cours, donc on touche un maximum de jeunes avec
des situations carrément différentes. C’est pour ça qu’on a un projet de mixer les
cours, les rencontres, voir comment on peut essayer de faire des rencontres entre
tous ces jeunes pour qu’il se passe quelque chose. En termes de public, tous les
âges.
Les cours commencent à partir de 11 ans. Avant, il faut faire un éveil à la danse. Il y
a des gens compétents pour faire ça, nous on ne l’est pas. Après dans la dynamique
du projet, on est sur une tranche d’âge de 15 ans et plus. Mais ça c’est vu aussi, un
petit jeune de 12 ans avec la patate, qui a vraiment évolué, et aujourd’hui toute sa
famille est dans le projet de l’asso, accompagne son enfant.
Nous on prend tout le monde, c’est une des valeurs de l’asso : peu importe :
handicapé ou pas handicapé, jeune compliqué ou jeune pas compliqué. On a
travaillé notamment avec un foyer de vie, avec des handicapés en fauteuil roulant.
On a fait une création avec eux. A chaque évènement, sur chaque projet, ils sont 6
personnes en situation de handicap avec nous. On les invite. Je me rappelle au
début l’handicapé qui arrive : « Mon dieu, mais qui c’est ? ». Et puis quand on leur
explique le projet, au final ils sont devenus amis avec ces gens-là. Et ceux-là me
disent : « il se passe quelque chose ». Il y a toujours des gamins qui sont un peu
compliqués, notamment des jeunes qu’on suit qui sont en foyer. A travers la pratique
Hip-hop, on travaille avec le foyer pour qu’ils puissent venir sur nos événements.
Et dans le CA, il y a plein de monde, des jeunes qui ne savent pas parler, qui ne
savent pas écrire. N’empêche, ils sont là et on les valorise comme ils sont.
marquer un instant de ce qui s’est passé. Et à côté on souhaite qu’il y ait une parole,
une parole de jeunes sur la culture hip-hop en général, mais aussi sur ce que ça leur
apporte.
Mais aujourd’hui on est dépassé par le temps qui passe, c‘est hallucinant le nombre
de projets dans le placard, et puis le nombre d’écrits qu’il y a à faire.
On ne fait pas ça pour l’argent. On a été capable de débourser de notre poche pour
emmener des jeunes. Ali et moi on a chacun des projets de notre côté… Il va quand
même falloir qu’il se passe quelque chose parce qu’on va être essoufflé et qu’on a
des priorités personnelles qui font que… même si il faut payer 10 euros la place du
jeune, on veut bien le faire mais au bout de tant d’années d’existence, je pense qu’il
y a d’autres solutions pour accompagner les projets.
Moi je suis pour l’échange, parce que c’est compliqué aujourd’hui d’aller voir des
professionnels, et je ne sais plus quel professionnel aller voir. Si c’est des directeurs
de MPT pour qu’ils nous filent un coup de main ? Est-ce que c’est des chargés de
mission ? Est-ce que c’est des gens de la Ville qui s’occupent des gros dossiers ? Et
quand j’y vais, au final je suis dégoûtée parce que je n’ai pas eu les réponses.
Heureusement qu’on a Armelle, l’élue à la jeunesse, parce que si elle n’était pas là,
on n’aurait pas été jusqu’à…Et il y a aussi l’élu à la culture… C’est eux qui nous
encouragent.
Moi, aujourd’hui j’interroge la Ville, qui nous dit OK, pour votre association, vous
voulez ci, vous voulez ça, vous voulez qu’il y ait des partenaires et tout ça… Mais
aujourd’hui la Ville est notre plus petit financeur. Comparé aux partenariats privés,
c’est presque rien. A 21 ans je m’interroge. Je ne dis pas qu’on mérite d’avoir un
poste, mais dans certaines institutions qui reçoivent des assez énormes, des fois il
n’y a pas tout ça. Je leur renvoie juste : « OK, vous aimez notre travail, c’est bien,
vous appréciez. Maintenant qu’est-ce qui se passe ? Vous ne voyez que des MPT
pour créer un projet, et qu’il y en ait deux, c’est super. Mais aujourd’hui, nous, on voit
des jeunes qui ne demandent qu’à créer des projets, et ils sont 10, et ils sont prêts à
tout ». Je les interpelle là-dessus.
avait des fautes d’orthographes, le budget ne tenait pas debout. Je trouve que c’est
une violence par rapport aux jeunes… de ne pas être dans les clous. C’est
interrogeant sur la pertinence de ces projets là.
On est en train de créer un dynamisme au sein de la culture Hip-hop et là, ils nous
pondent un truc culture urbaine. Et quand on leur demande ce qu’ils veulent y mettre
dedans, je me dis qu’il y a un problème. Ils sont à côté de la plaque ou alors ils n’ont
rien compris. Voilà, quand à 20 ans il faut aller s’expliquer, expliquer son projet
devant tout ce monde, ça fait violence aussi et je me dis que je ne sais pas s’ils se
rendent compte de ça. Ou quand… de ne plus dormir pendant je ne sais plus
combien de semaines pour être au taquet et les jeunes ils sont derrière… tout ça, j’ai
l’impression qu’ils ne le savent pas et qu’ils croient qu’on a de la chance… qu’on
arrive à faire ça comme ça.
L’Etabli
Contact :
Bruno Mathieu
04 50 36 35 41
[email protected]
[email protected]
site internet
http://letabli74.com
A l’origine
En fait, c’est la ferme de mes parents, ils nous ont filé cet espace. On a fait une
location, mais qu’on n’a pas payé comme on n’avait pas les moyens, donc, ce n’est
pas vraiment une location. Le bâtiment n’avait même pas le toit, il n’y avait vraiment
rien. Quand ils ont fait ce bâtiment (une grosse grange juste à côté de la ferme), on
s’est appuyé dessus, on s’est dit qu’on prenait cette zone. C’est là que ça a vraiment
commencé. Forcément quand tu as un lieu comme ça, avec le soleil couchant, ça
s’est lancé. Eux, ils sont encore là aujourd’hui dans le bureau de l’association, sauf
que les bénévoles, ça tourne. Ils ont fait beaucoup sur les trois premières années,
énormément, ils ont lancé le gros…
Et en 2005, ils ont demandé que nous prenions la suite. Donc moi, Yohann et des
potes, on s’est dit, on continue.
Nous, c’est plutôt la bringue (rire). C’est un lieu où on fait pas mal de concerts et tout
ça, il y a un côté bringue qui ressort pas mal. Ce qu’on essaye de promouvoir, c’est
de proposer pour tous les publics des activités à un prix vraiment moindre. C’est
aussi essayer de faire pour les enfants des après-midi où ils ont des jeux à
disposition, c’est plus ou moins dur à réaliser parce que… ce n’est pas ça qui fait que
ça marche à L’Etabli. Ce qui fait que L‘Etabli s’est lancé, c’est quand même les
concerts. Surtout que dans le coin là, un bar comme ça avec des concerts, ça
n’existe pas vraiment. A Massongy, c’est mort, il n’y a rien.
Notre projet, ce qu’on voulait, c’est qu’il y ait quelque chose dans le coin, accessible
à tous et qui bouge quoi ! Beaucoup de concert, c’est ce qui marche. On a même fait
des activités avec d’autres associations , pour que des enfants viennent faire des
stages de théâtre avec le théâtre de Massongy. On a fait plein de trucs comme ça.
On essaye vraiment de faire en sorte que ça tourne pour tout le monde. Et ce n’est
pas évident. Et puis quoi d’autre ? L’esprit, on est quand même dans une ferme bio.
Donc on essaye de respecter un maximum, l’environnement. Par exemple on a mis
au point, c’est à L’Etabli le premier endroit où je l’ai vraiment vu, les verres en
plastique où tu écris ton nom dessus pour n’en utiliser qu’un, pour que les gens les
gardent… avec des pinces à linge au bar pour que tu puisses laisser ton verre
pendant que tu danses et puis tu récupères ton verre dans la soirée. Et chez nous,
ça fait cinq ans que ça existe… et on l’a vu partout après, ça se retrouve quoi.
Même, dans les premières années de L’Etabli , il y avait un jardin associatif, les gens
venaient pour faire le jardin. Mais c’est tombé à l’eau. Quand tu habites trop loin, les
gens ne venaient plus, les mauvaises herbes prennent le dessus… Mais on essaye
quand même de garder un esprit vert.
C’est cool de pouvoir discuter avec les gens, de pouvoir se poser. C’est aussi pour
que les gens se rencontrent. Ce n’est pas que pour nous. C’est aussi principalement
dans le but de faire que ces gens viennent se poser là, à plusieurs associations. On
se rencontre, on discute. Parce que nous, au final, on n’est pas non plus tous à
100% dans le bio et tout ça. On promeut sans forcément être tous tributaires.
Même après six ans d’existence, hier soir par exemple, j’ai croisé un gars du village
que je connais bien, et c’était la première fois qu’il venait. Il savait que L’Etabli
existait, jamais il n’était venu, et quand il a vu ça, il m’a dit : « c’est incroyable, le
bonheur est là et j’étais jamais venu », ça m’a fait quand même bien plaisir. C’est
surtout ça, on n’est pas dans un village très actif. On est dans un village de
personnes âgées, de parents, les gens ne se parlent pas trop.
Tous ceux qui viennent du village trouvent ça bien. C’est vrai qu’on a effectivement
un voisin qui est un peu trop près et qui se plaint un peu. Mais à part ça, les gens du
village ne sont pas pénibles. A part une, on n’a vraiment pas de personnes qui se
plaignent. 90% de gens sont contents que L’Etabli existe.
Ce qui a fait que ça marchait bien, c’est aussi la proximité. On est bien situé à
Massongy, on n’est pas loin de la Suisse, on est à côté du lac, et on a une région où
il y a quand même pas mal d’activités, des festivals, de trucs comme ça qui
tournent. On a toujours trouvé que c’était hors de prix. Comment les gens font ?
Comment ils peuvent lancer des initiatives à ces tarifs ? Et c’est pour ça qu’on s’est
lancé là-dedans On voulait vraiment faire un truc qui soit hors normes, qui soit un
peu indépendant, qui ne soit pas très gros. On ne veut pas une grosse structure.
C’est-à-dire qu’on ne tient pas à avoir 3 000 adhérents, on ne veut pas non plus
agrandir notre espace. On est bloqué par les champs à côté. On ne veut pas non
plus faire un truc trop gros. Après, ça demande trop. On est tous bénévoles, on est
tous là pour s’amuser au final, donc il faut que ça reste cool.
S’il n’y avait pas de plaisir, on ne le ferait plus. Je sais que ça me fait vraiment plaisir
quand tu es en soirée, et que ça se passe bien, t’es content. Parce que tu te dis, ce
n’est pas nous, mais c’est quand même grâce à notre action que ça se lance aussi.
Et puis quand les gens arrivent en disant : Mais c’est trop beau, c’est trop classe ce
que vous avez fait, les cabanes elles sont bien, ça fait un petit pincement au cœur.
Il y a de la fierté aussi…
Et tu peux lancer tes idées. Le week-end africain, c’est parce qu’on connaissait
« Koukou », on s’est dit : « on pourrait faire un truc ensemble ». On lance l’idée et on
le fait. C’est la deuxième année maintenant. Y’en a d’autres qui ne se sont pas faits
cette année. Mais d’autres associations viennent nous voir en disant : « on ferait bien
quelque chose… » Et nous on répond : « OK, on va trouver une date », on fait
quelque chose ensemble. On est vraiment ouvert à aller faire d’autres choses avec
d’autres gens, ça c’est agréable.
Il n’y a pas beaucoup d’associations qui travaillent comme ça, ensemble. Nous, on
ouvre vers les autres associations. Mais pour être franc, on ne travaille pas non plus
énormément avec d’autres associations. C’est surtout des interventions qu’ils font.
On ne va pas chercher d’autres associations, ça se fait tout seul, quand il y a besoin,
on le fait. Et quand eux, ils ont un besoin, ils le font. On essaye quand même
beaucoup de le faire. Il y a beaucoup d’asso, mais souvent, c’est quand même très
autonome.
Et si on ne travaille qu’avec des asso, on sera perdu aussi. Il faut quand même qu’on
ait un noyau, une identité, que ça soit nous. Et L’Etabli, c’est L’Etabli.
Il n’y a pas beaucoup d’associations qui travaillent comme ça, ensemble. Nous, on
ouvre vers les autres associations. Mais pour être franc, on ne travaille pas non plus
énormément avec d’autres associations. C’est surtout des interventions qu’ils font,
on ne travaille pas plus que ça avec eux.
Nous, ça fait quand même la sixième année qu’on est là, on a un lieu qui est toujours
le même, ce n’est pas comme des asso qui font des événements ponctuels à tel
endroit ou à tel endroit. Nous on a un site, on a quelque chose de construit, qui est
physique et qui est durable. Contrairement à beaucoup d’autres, ils viennent, ils
installent leur truc pour une activité, ils vont ici, ils vont là-bas. Nous on est en dur, on
a un noyau, on est sur quelque chose de fixe, de posé. C’est un petit peu un noyau
de personnes qui sont bien ensemble aussi.
L’idée d’avoir un lieu c’est quand même ça… Tu vas avoir un projet, une activité etc.
Quand tu peux ancrer ça sur un lieu particulier, en général, c’est aussi là-dessus que
tu peux construire. Il y a une histoire d’identité derrière, ça se fait avec le temps.
Parce qu’ici, c’est l’histoire de cinq ou six ans pour en arriver là.
Cette année, on a douze soirées, et ça fait neuf week-ends. Là par exemple en août,
on a tous les week-ends quelque chose. Tous les samedis soirs, il y a quelque
chose.
Le public change avec les thématiques, c’est aussi pour ça qu’on a fait aussi ce type
de thématiques. Etant donné qu’on n’est pas cher, il fallait aussi qu’on ait quand
même un petit peu de monde pour que ça marche. Et le fait de faire des soirées à
thèmes, le thème tzigane, une soirée pour la terre… c’est un public bien différent qui
vient. C’est des gens qui sont intéressés pour une soirée, et ils viendront pour cette
soirée. Et c’est vrai que ça nous a fait aussi monter le monde. C’est clair que ça a
bien ouvert les publics… mais c’est un boulot de longue haleine.
Aujourd’hui, sur 2008, on a 1400 adhérents, enfin 1390, et sans compter les
fraudeurs (rire). Ils ne sont pas adhérents, mais ils sont présents, ils font partie du
public.
Vu qu’on est en plein air, on fonctionne l’été, en général de la mi juin à la mi
septembre.
On va dire qu’en général on est huit sur site à être bien actifs. Et dans ces huit, il y a
des têtes qui changent.
On a eu, il y a trois ans maintenant, deux personnes qui étaient bénévoles ici, ils ont
bossé comme des acharnés, mais ils ont trop bossé. Ils en ont eu marre, et à la fin
de la saison, ils ont dit on arrête. Ce qui était dommage.
C’est privé ici. Il y’a beaucoup de matos de L’Etabli, mais même pour la sono, on a
du matos qui n’est pas à nous, qui nous a été prêté à durée indéterminée. On a eu
beaucoup de trucs donnés. Donc, on a eu de la chance pour ça. On a toujours eu
pas mal de chance. En fait, on a eu des connaissances. C’est surtout ça. Ce qui faut
aussi pour créer un lieu comme ça, c’est avoir la chance de connaître des gens qui
avaient fait ça aussi. Parce qu’ils te disent : tiens, tu peux faire ça, tu peux faire ça, tu
peux aller prendre ça là-bas…
Zéro subvention. On avait monté un dossier pour en demander, on l’a fait trop tard
(rires). En fait, les subventions, c’est un boulot monstre, ça te demande trop de
paperasse. On pourrait avoir des subventions de la Région, peut-être pas mal, mais
les villages aux alentours ça donnerait par grand-chose. Pour le temps que ça nous
demande, ça ne valait pas le coup. Ca serait bien, mais on n’en a pas besoin, on
s’en sort sans. Et puis quand tu commences à demander des subventions, ils te
demandent des comptes aussi. Nous on essaye quand même de faire un truc qui
soit vraiment autonome. On essaye de pas trop avoir besoin d’aller chercher des
fonds ici ou là.
Les seuls à qui on avait demandé, c’était mon frère qui connaissait le club des
milliardaires… vers Annemasse, le Rotary Club. C’est vraiment le truc, ils ont de la
tune. Mais pareil, ils étaient OK pour donner de l’argent, mais il aurait fallu qu’il y ait
au moins ça ou autre chose. On a dit non, nous on voulait savoir si vous étiez OK
pour nous aider dans le principe, mais on ne va pas tout changer pour avoir des
subventions.
La municipalité ? Je pense qu’ils aiment bien ce qu’on fait parce que ça bouge, que
ça fait une activité dans la commune. Après, je pense qu’ils n’étaient pas assez au
courant de ce qu’on faisait, et ça les a fait stresser. Toutes les cabanes qu’on a
faites, on l’a quand même fait comme ça, on a travaillé sans rien demander à
personne. On n’est pas allé chercher toutes les autorisations. La commune, ils nous
l’ont dit, on les a vus plusieurs fois, en a encore un rendez-vous avec eux la semaine
prochaine. On parle quand même. On n’est pas en froid avec la mairie. C’est vrai
qu’il n’y a pas toujours forcément les mêmes visions, on n’est pas forcément
d’accord sur tout. Ils nous ont quand même toujours dit : on a vu que vous faisiez
des cabanes, on vous laisse faire. Après, vu qu’on est une scène, qu’on fait du bruit,
la mairie étant responsable au niveau de la commune, c’est eux qui se feront taper
sur les doigts si on fait trop de bruit. En même temps, ils ne veulent pas trop
s’investir. Je ne sais pas trop ce qu’on peut en dire pour l’instant parce qu’on n’en a
pas encore assez parlé avec eux. On n’est jamais trop allé les voir non plus. En fait,
ils ne suivent pas du tout. Ils ont même été surpris quand on leur a dit qu’on avait 1
400 membres sur l’année. Ils n’y croyaient quasiment pas. Ils pensaient qu’on était
beaucoup plus petit, mais ils ne sont jamais venus voir plus que ça. Mais ils ne sont
pas contre nous. C’est déjà un bon point. Ils ont dit que si quelqu’un venait leur
demander la clef de la mairie, ils ne pourraient pas la refuser.
Pas de salariés, ça viendra peut-être, parce que là, on y a bossé beaucoup, et c’est
vrai qu’on ne travaille pas à côté. Sans tunes, sans revenus, ça foire des fois. Mais
non, on essaye quand même de faire tout en bénévolat. Quand on peut, on le fait.
Mockuery Activity
Contact
Allan Willemot
06 14 08 57 39
03 61 38 30 74 (bureau)
[email protected]
site internet :
www.mockuery.fr
L’origine du projet
En fait nous, on vient du théâtre, on a fait plusieurs pièces de théâtre ensemble,
Eddie en tant que metteur en scène, moi comme comédienne, Allan qui faisait la
musique des pièces de théâtre. On a fait une série qui s’appelait Mockuery
justement, et on est allé la proposer aux chaînes parisiennes du câble, ça n’a pas
forcément plu parce que ça ne vendait pas de coca-cola. Donc on a décidé de créer
notre propre moyen de diffusion, on a créé l’association en juillet 2007 et le
lancement de la chaîne le 27 octobre 2007, en présence du maire, dans le cadre
d’"Atout jeune" présidé par David Coulon (technicien au service jeunesse de la Ville
de Dunkerque). Donc à la base, on a tous une formation artistique, conservatoire de
musique, de théâtre et école des beaux arts. On a créé après plusieurs petites
séries, plusieurs programmes. On l’a voulu diversifier. On a gardé les langages
spécifiques, c’est ce qui nous intéresse. C'est-à-dire pas de synthétiser, il fallait
laisser un temps de parole, un temps de regard sur les actions qui se passaient. On
a essayé d’être généraliste, de vraiment la diversifier. On a travaillé en direction du
sport, on a suivi toute une saison l’équipe de baseball, d’athlétisme aussi avec la
partie plus technique sur la physiologie et sur le corps. Après on a suivi des peintres
aussi, des plasticiens qui étaient plus en art contemporain, mais aussi des créations
de groupe de musique de la première répète jusqu’au concert et à la création de
maquette. On a fait des reportages, il y en a pas mal, on a eu un reportage sur
l’ufologie (science qui se tourne vers les apparitions d'OVNI) aussi.. On en est à peu
près à 50 programmes, 52, dont chaque programme a peut-être 10 épisodes tournés
en moyenne. On en est à… entre 450 et 500 vidéos tournées et diffusées. On a suivi
aussi pas mal de soirées, des soirées électroniques ce qui faisait des grosses
organisations, c’est des choses qu’on a découvertes aussi au fur et à mesure.
Maintenant, on arrive quand même entre 2 500 et 5 000 personnes par semaine qui
vont sur le site, sans une communication énorme. Le but, ce n’était pas de faire un
buz, c’était de progresser, on a un an et demi. I l y a de plus en plus de monde qui
viennent nous voir et qui sont intéressés par ce moyen de diffusion. Cette année on
a ouvert la porte à d’autres réalisateurs. Et on a une dimension plus nationale aussi
maintenant avec le festival du net. Il y a des gens qui agissent, mais à distance. Ils
nous envoient leurs vidéos. Et c’est vrai qu’au fur et à mesure cette chaîne a trouvé
sa place et son utilité.
On s’est retrouvé dans des soirées électro et on n’avait pas du tout pensé à faire des
films sur de l’électro. Comme on s‘est retrouvé au service jeunesse, on a trouvé qu’il
y avait de l’esthétisme partout. Et qu’on pouvait y apporter une touche.
Le but, c’est quand même de devenir un média à part entière. Mais il faut encore une
vague financière. Parce que là, on a appris à travailler avec des petits moyens.
Maintenant, ce qu’on veut c’est donner un peu plus en montage. On est en
partenariat avec l’école des Beaux-arts, et eux, ils ont pu diffuser leur vidéo. C’était
un moyen aussi d’aider les étudiants, on a fait un workshop d’une semaine, où le pari
était qu’ils prennent en charge la ligne éditoriale de la semaine. Et ils ont livré quinze
jours de vidéo. Voilà, c’est tout ça et ça nous amène après en DLA, Développement
Local Associatif. Ils nous amènent peut-être à créer des web-TV pour des lycées,
pour des agences d’urbanisme et des villes.
Dans notre idée, ça serait vraiment, au lieu de prendre le gros média qui passe par la
grande artère nationale, de faire des tous petits média, et les amener dans toutes
les communes dépassant les 7 000 habitants. Et de ce dire que le média, il passera
par les petites veines plutôt que par les grosses artères pour faire quelque chose.
Notre but c’est ça : inverser le gros média, de la graine jusqu’à la grosse artère, et
même pas la grosse artère mais c’est essayer d’aller dans nos veines ?.
Il n’y a vraiment pas à douter des qualités de ces gens-là. La seule chose, c’est la
mise en éclairage. ils manquent d’éclairage, il y a beaucoup d’ombre. Il y a beaucoup
de pratiques qu’on met au bord… ça fait des expos pour 400 euros, alors que c’est
quatre mois de boulot. Et pour quatre cents euros, on a plus envie de faire ça. En
échange, on donne des DVD pour qu’ils aient un objet de communication. On est
aussi dans cette économie solidaire et sociale. Enfin dans ces échanges-là. On a
Moi, j’en ai un peu marre de ça, de plus miser sur un oui ou un non, ou de baisser les
prix pour faire… De toute façon, à un moment donné, ça fait fuir. Y’en a qui se gare.
Moi, j’appelle ça comme ça. Ils se garent en disant : je dois me nourrir. Voilà, c’est
des choses vraies et à un moment donné, ils arrêtent vraiment leur pratique pour
passer à autre chose. On essaie d'être résistants. Mais c'est usant. Moi, je suis des
années 90, il y avait plus cette notion de résistance. On ressentait plus ça.
Maintenant les asso. ne sont plus dans cet esprit-là. Et je trouve que ça vivote. On
essaye de vivoter avec cet esprit-là et je ne sais pas si on va y arriver. Le but c’est
quand même de ne pas brader ! Il y a beaucoup de braderies dans le spectacle,
dans la création. Et à un moment donné, on nous dit : vous êtes un peu cheap, mais
on est cheap parce qu’on n’a pas les moyens. Après on va être marginaux ou un peu
originaux et ça met des distances avec le public. Et ça joue énormément sur le
contenu et la forme.
Peace’toch
Contact
Vanessa Romero
06 88 15 06 41
[email protected]
Site internet
http://www.peacetoch.com/
En fait, ce projet, c’est parti un peu d’un délire. C’était un après-midi où on ne savait
quoi faire d’autre que traîner par les champs. C’est là qu’on a imaginé une grande
fête avec concerts, harmonica, barbe à papa... A cette époque-là, Pauline était
rédactrice en chef de la gazette du village. Et on rencontrait Lionel de la MJC des
Abrets, qui faisait le lien entre la gazette et nous, on lui a évoqué ce délire, et il s’est
montré très enthousiaste face à cette idée: Ah, c’est trop bien, c’est génial… Et une
semaine après, il nous a rappelé et nous a dit : j’en ai parlé lors du dernier CA, c’est
possible d’organiser un projet de ce genre par la MJC. Nous, on ne savait même pas
qu’il était possible d’avoir des subventions, l’initiative jeunesse, on ne connaissait pas
du tout. On s’est un peu posé des questions et puis on s’est dit : on nous donne
l’opportunité de mettre en œuvre cette idée folle, c’est parti. Au début on a été un
peu ambitieux, on voulait organiser ça en deux mois, entre faire les demandes de
subventions, et tout ça, on s’est vite rendu compte que ce n’était pas possible. Donc
on a mis un an et demi à organiser la première édition, en sachant qu’on ne
connaissait rien du tout. On y allait vraiment comme ça. Après on a rencontré Loïc
qui est notre régisseur général sur le festival, qui est intermittent du spectacle. Il nous
a filé des contacts de jeunes qu’il connaissait, qui avaient déjà organisé des
événements. Lui-même connaissait pas mal de choses. Et voilà, on a eu des alliés
qui nous ont vraiment soutenus.
les bénévoles de se retrouver à ces occasions-là. Pour ce qui est du public abrésien,
le fait qu’il y ait des évènements plus ponctuels dans l’année et que ça puisse faire
un lien, c’est : Ah le Peace’toch approche.
On a encore beaucoup de travail parce que jusqu’à présent on n’a organisé que des
concerts, mais on voudrait organiser autre chose, je ne sais pas, on pensait à des
projections de films, de documentaires, on avait aussi l’idée cette année d’organiser
un petit festival de théâtre sur trois jours, ça ne se limite pas non plus qu’à la
musique, il y a plein de choses qu’il nous reste à exploiter et à créer. Par exemple, le
fait d’être déguisé pour la diffusion de tracts main à la main, t’es déjà dans un rôle,
dans une démarche créative. C’est un moyen de donner une couleur aux gens sur
l’esprit de l’événement. Et ça, on voudrait l’élargir sur l’ensemble du festival, faire en
sorte que la moindre tâche dans l’organisation tende vers cette démarche de
création.
Les premières années, on voulait sensibiliser les gens à tout ce qui est tri des
déchets, plutôt que de faire des pancartes informatives, c’était plus l’idée de créer
une structure qui par elle-même allait donner ces informations, mais toujours à
travers l’art. Pas avoir une manière trop frontale pour ne pas avoir ce côté
moralisateur.
Durant le mois de juin on était une dizaine à cohabiter ensemble chez des amis pour
préparer le festival. Sur l’année on n’a pas énormément de temps, et le plus gros du
travail se fait au dernier moment. Quand on est tous ensemble, il y a une énergie qui
circule, alors que quand t’es tout seul à travailler dans ton coin, tu passes déjà une
heure à te préparer psychologiquement avant de te mettre à l’œuvre. En collectif, les
idées fusent beaucoup plus vite. Par exemple, quand tu te lances dans un projet
déco à plusieurs, la mise en œuvre est plus efficace que quand tu es tout seul.
Sur le festival on est trois organisateurs. Il y a une équipe de 80 bénévoles le jour
même et une soixantaine d’artistes. La première année, on a accueilli 1 200
personnes sur la journée. Et l’année dernière, on a atteint quasi 1 900 entrées sur la
journée, ça fait quand même du monde.
Une bonne partie du public est un public habitué à aller sur des festivals, déjà
sensibles à ces événements, et tant mieux, mais notre but premier ce n’est pas
forcément de faire venir ces gens-là, mais plutôt d’attirer les gens qui justement ne
sont pas sensibles à ce genre d’évènement.
Il y a des choses qui ne sont encore pas claires, plein de gens n’ont encore pas saisi
le fond qu’on donnait à ce festival, on l’a vu très clairement lors d’une réunion qu’on a
fait en janvier avec les bénévoles les plus impliqués, notamment au niveau de la
tarification d’entrée qui passe de 3 à 5 euros cette année. Ces bénévoles qui étaient
complètement hallucinés nous disaient : les artistes, il n’y a pas besoin de les payer
plus, s’ils viennent c’est parce qu’ils adhèrent au projet, et ce qu’ils attendent c’est
des applaudissements du public. On a entamé un débat houleux. C’est une
conception de la culture qui est autre que ce qu’on a nous. On leur répondait : ces
gens là, ils vivent de leur passion, t’aimerais pas vivre de ta passion toi ? moi
j’aimerais bien bosser dans la culture aussi, les places se font de plus en plus
chères, c’est de plus en plus compliqué pour vivre dans ce milieu-là, le statut
d’intermittent est en train de disparaître, il faut encourager ces gens-là. Si nous, sur
un petit festival, on leur demande de venir bénévolement, et que tous les festivals
fonctionnent comme ça, ils vont vivre comment les artistes ? Il n’y en aura plus. On
va faire quoi s’il n’y a plus de culture.
C’était à l’époque du vote sur la constitution européenne qui avait fait beaucoup
débat. Et ils savaient que l’association Attac serait présente, et la municipalité avait
demandé à ce que le débat sur la constitution européenne ne soit pas abordé sur le
site du festival, que ce n’était pas le lieu pour ça.
Extrêmement curieux comme idée ! C’est quand même incroyable d’avoir des gens
qui sont incapable de s’exprimer sur la dimension politique de votre projet - à tel
point que tu ne sais même pas ce qu’ils en pensent - et qui pourtant se rendent bien
compte du risque politique qu’ils prennent avec un évènement comme ça, et là ils
arrivent à s’exprimer en disant pas le débat sur la constitution européenne. Y’a un
petit côté police politique, non ? Nous on a laissé courir. Moi, je ne suis pas allée voir
le responsable d’Attac en lui disant : Ecoute tes prospectus sur la constitution
européenne, tu les ranges, genre on ne veut pas de ça ici ! Et j’ai laissé faire. Enfin,
j’ai rien dit et puis on ne nous a jamais rien redit à ce propos […]
Il y a quelqu’un qu’il faudrait qu’on rencontre, qui est maire de Pressins, un village
juste à côté, et qui fait partie du Conseil Général, qui est monsieur Serge Revel. La
première année, on est allé lui demander une subvention du Conseil Général. On
l’avait rencontré et on lui avait présenté le projet, il nous avait dit : « vous avez un
terrain ? Parce que sinon, je vous prête le terrain qui est là. ». Là c’est vraiment le
cas d’un maire qui répond aux attentes de ces habitants. Ce qui n’est pas le cas aux
Abrets. Ici, il faut se battre, anticiper les réponses à la moindre demande que l’on va
faire. De la reconnaissance, on en a eu de la part de la mairie, plus cette année.
Mais justement, moi je me méfie un peu, je me dis : est-ce que ce n’est pas non plus,
est-ce qu’il ne cache pas un peu son jeu aussi.
couvert de l’association MJC, mais ce n’est pas l’association MJC qui organise le
festival.
En fait, je fais partie du CA de la MJC depuis trois ans, parce qu’on n’est pas monté
en association, mais c’est quand même important de s’intéresser à ce qui s’y passe
et d’être présent au CA pour représenter le festival. Même si je me sens loin, parce
que je n’habite plus ici, et que quand il s’agit de la tarification du cours de yoga ou du
cours de piscine, je suis à mille lieux de tout ça. Mais ce qui est intéressant c’est de
voir aussi les gens qui constituent le CA, voir les orientations qu’ils ont. Mes
premières années au CA j’étais horrifiée. Franchement, ce n’était plus une
association, les gens concevaient ça comme une entreprise, il fallait des activités qui
rapportent de l’argent, il fallait. C’était un peu flippant.
Au sein de la MJC, ça faisait trois ans qu’ils entendaient parler de Peace’toch.
L’année dernière, une femme du CA de la MJC est venue me voir et me dit : mais le
repas de 250 personnes que vous avez fait, c’était pour le public ? Non, non. C’était
juste pour les artistes et les bénévoles. Ah bon, mais vous êtes combien de
bénévoles ? 80 bénévoles… Des membres de la MJC, qui au bout de quatre ans se
rendent compte de ce que ça implique et qui prennent conscience de ce qui se
passe. Cette année, j’ai ouvert les portes aux gens du CA, je leur ai dit : si ça vous
intéresse de venir nous aider, d’être bénévole sur l’événement, vous êtes les
bienvenus. Il n’y a eu personne.
Heureusement, on a un fonctionnement qui est tout autre. Et du coup, au niveau de
l’association MJC, c’est vraiment Lionel qui nous chapote. Beaucoup de choses
reposent sur lui. Et dès qu’il y a un pépin, ça lui retombe un peu dessus.
Enfin, je pense qu’on manque vraiment de bagages sur tout ce qui est des enjeux
politiques, arriver à argumenter auprès de la mairie, parce qu’on est face à des gens
qui ont peut-être plus de bagages que nous. Si nous on ne se prépare pas de bons
bagages, je pense qu’à un moment donné on va se faire avoir. Je l’ai senti déjà un
peu cette année. Je crois qu’il y a peut-être des choses qu’on n’arrive pas à
exprimer… ou il y a une manière aussi de leur amener les choses, je pense qu’il faut
vraiment y aller avec des pincettes avec eux, et puis être assez subtil.
Rencontres audiovisuelles
Contact :
Antoine Manier
06 88 14 49 87
03 20 53 24 84 (bureau)
[email protected]
site internet :
www.rencontres-audiovisuelles.org
www.lhybride.org
Rencontres audiovisuelles, ne s’est pas créé sur la base des activités qu’on a
aujourd’hui. A l’origine, c’est un groupement de gens issus du lycée audio-visuel qui
ont constitué l’asso pour faire des films en vidéo, pour la production et la diffusion de
nos films et de ceux réalisés par des asso locales. On est en 1998 et la vidéo
numérique se développe. Très vite on s’est retrouvé à diffuser tous les films qui
étaient produits en vidéo dans la région et qui ne trouvaient pas de diffusion. Et on a
fait cette double activité jusqu’en 2000.
En 2001 on a créé un festival sur le numérique, qui mêlait la diffusion avec une partie
d’ateliers et de conférences sur les nouveaux outils. Et ce festival s’est développé
petit à petit, il a pris toute notre énergie et la partie production a disparu. Avec les
compétences qu’on a développées dans le festival, on a été repéré par un certain
nombre de structures qui nous ont demandé de développer d’autres choses. Et nous,
à partir de ce qu’on a découvert sur le terrain ou de ce qui ne pouvait pas se faire au
sein du festival, on a créé notre action. On se retrouve donc aujourd’hui avec deux
évènementiels, reconnus au niveau international et au niveau professionnel. Plus
tout un travail de fond à l’année, plutôt de diffusion et d’éducation à l’image, une
démarche socioculturelle, où on va dans les écoles, les centres sociaux, les centres
culturels sur l’ensemble de la région, et un lieu, « L’Hybride », qui a deux ans, avec
une programmation régulière.
Mais on est plutôt sur de l’artistique, on défend une démarche artistique. On aborde
des thèmes importants au travers des films, mais on ne va pas forcément montrer un
film qui a un message important mais qui est nul pour parler d’un sujet. Notre
démarche est assez différente de beaucoup d’autres asso ici en région, qui sont en
fait d’abord dans une démarche politique ou sociale. Nous, on a d’abord une
démarche artistique. Mais l’art touche plein de sujets. Et les valeurs qui sont derrière,
ce sont des valeurs qui rejoignent la culture en général.
Du bénévolat à la professionalisation
Dès 2002 on a lancé un projet : la nuit de l’animation, qui était d’abord juste une nuit,
mais qui est devenue la fête de l’animation en 2004. En fait, c’est notre deuxième
festival. Au sein du festival, on avait une dimension courts métrages d’animation ; on
a identifié que le public était fortement en demande de ce type de programmes.
Nous, on était plutôt fiction à la base, mais on s‘est pris de passion petit à petit pour
ça. On a eu envie de développer un peu un autre temps, mais à six mois d’intervalle
du festival. C’était donc dix heures de programmation avec un petit dej’. La première
édition : 600 personnes, deuxième édition : 1300 personnes…
Et du coup on s’est dit qu’il y avait un deuxième truc à créer : donc on a créé autour
de cette nuit une fête de l’animation qui a ensuite grandi… En 2008, on a fait 18 000
entrées ; donc on a dépassé le festival. Ce sont nos deux activités.
Le festival s’est élargi en termes de diffusion surtout en balayant toute la partie court
métrage au niveau international. C’est la compétition qui est devenue le cœur de
l’évènement. On s’est un peu déplacé par rapport au positionnement numérique du
début. Donc c’est 1600 courts métrages reçus chaque année avec 100 en
compétition, plus des programmes hors compétition autour de différentes actions. La
fête de l’animation, ce n’est pas le format classique de festival parce qu’on a toute
une partie salon, cette année de 5000 m², on y mêle de l’expo, de l’atelier pratique,
des activités ludiques, et ensuite toute une partie de projections en salle. Et dans le
salon, on ouvre vers des domaines transversaux qui sont la BD, les jeux vidéo, les
arts numériques. Là c’est vraiment les techniques d’animation, ce n’est pas que le
film d’animation. Avec en plus un volet économique qu’on a lancé il y a deux ans en
parallèle de la partie grand public des journées de conférences destinées aux
professionnels. Il comprend un travail sur la mise en réseau des professionnels
régionaux (au niveau international, en profitant de la présence d'autres pros) ;
aujourd'hui on touche essentiellement les producteurs d'animation régionaux,
parisiens et belges de l'animation, quelques pros nationaux ou belges dans le jeu
vidéo, les arts numériques, les industries techniques. Et plus large au niveau régional
: producteurs, créateurs en anim et jeu vidéo, institutionnels, industries techniques,
monde de la comm : agences.
La fête est deux fois plus grosse en deux fois moins de temps. C’est que pour le
court métrage, il n’y a pas de demande du public ou c’est une minorité. Notre façon
pour essayer de toucher les gens, c’est d’inventer des formes, et non pas sur le fond,
c’est sur la forme. C’est créer une nuit du court métrage, créer un concept dans le
métro. C’est quelque chose qu’il faut qu’on crée. Alors que sur l’animation, c’est déjà
plus structuré.
En 2002, suite au festival, notre volonté était de faire circuler les films en région au-
delà d’une semaine par an. On a créé un concept qui s’appelle le « ciné soupe », qui
est un programme de courts métrages : c’est le palmarès du festival, à l’issue duquel
on a un buffet soupe qui permet un débat plus convivial qu’un truc classique. Donc
ce volet en soirée et un volet scolaire en journée. On a proposé cela dans les villes ;
on en a fait 4 en 2002 et 28 en 2003.
Notre lieu s’appelle L’Hybride parce qu’on est dans le mélange des formes
artistiques, parce que c’est un lieu qui est à la fois un lieu culturel et un bar. Et puis
on a aussi beaucoup de films, ce qu’on appelle des films hybrides, qui mélangent les
techniques.
L’échange, la convivialité sont au cœur du projet : le mot rencontre est dans le nom
de l’association. L’idée c’était d’abord de trouver quelque chose de convivial pour
que les gens puissent rester après, voire arrivent avant et restent après le film pour
échanger. D’où le bâtiment de l’Hybride en lui-même, avec les canapés, le bar. Et
puis, il y a le système d’adhésion. C’est-à-dire qu’on ne paye pas un ticket à la
séance, on est adhérent du lieu. Donc il y a pas mal de gens qui comparent ça à
l’esprit du ciné club : donc on prend une carte d’adhésion pour un mois et pendant un
mois on accède à tous les films. Donc ça permet de faciliter l’accès à des films qui ne
sont pas forcément attractifs ou identifiés à la base. Et du coup de créer une
appartenance à un groupe, enfin à l’association, ça n’a rien à voir avec un cinéma
parce qu’on est en non commercial. Il n’y a pas du tout le même système de
négociation de droit. De toute façon on n’est pas sur le même fond en terme de films.
On a peut-être une moitié de longs métrages et le reste c’est du court métrage, du
transdisciplinaire… On a aussi des concerts, des compagnies qui intègrent
l’audiovisuel dans leur création et qui viennent soit faire une représentation, soit
carrément s’installer en résidence pendant une semaine. En fait, c’est l’audiovisuel
sous toutes ses formes, mais celui qu’on ne voit pas, celui qui n’est pas diffusé au
cinéma ou plus diffusé parce qu’on a quand même des gros longs métrages, et qui
Le lieu, ça fait deux ans. C’est la dernière action. En fait, par rapport à notre activité
évènementielle sur Lille, on avait envie de montrer des films qu’on ne pouvait pas
montrer parce qu’un festival c’est assez fermé ; c’était des choses qu’on n’arrivait
pas à exprimer, mais qui pouvaient prendre forme dans ce projet, des demandes
aussi de réalisateurs ou de collectifs, on a identifié qu’il y avait un problème : il
manquait un lieu sur la métropole pour montrer un certain nombre de choses. Et puis
après, c’était la demande du public. C’est-à-dire qu’à chaque événement, des
personnes venaient nous demander : où est-ce que je peux revoir ça ? On disait :
soit tu vas à Clermont-Ferrand, Annecy, ou à Bruxelles ou tu attends un an.
A la base, c’est juste notre passion qu’on veut partager : on a découvert la richesse
du court-métrage ou du film d’animation, on veut que les autres puissent profiter de
ça et comme ces formes sont peu visibles, on met en place des actions pour que ce
soit visible et que ça puisse toucher différents publics. Il y a la volonté vraiment de
faire découvrir aux publics (au pluriel), ce n’est pas comme beaucoup de lieux
culturels qui finalement ne parlent qu’à des initiés et n’ont pas envie d’ouvrir. Toute
notre action part de ce principe-là, c’est-à-dire qu’on va mettre en place, on va aller
faire des projections dans le métro par exemple, avant le festival, pour attraper les
gens tout public, et non pas lui demander de faire la démarche de venir en salle. Et
après l’avoir sensibilisé dans le métro, on aura réussi s’il vient en salle alors qu’il ne
serait pas venu avant. Donc c’est vraiment le partage d’une passion vers différents
publics, leur montrer des films et les accompagner. Il y a aussi une dimension qui est
l’éducation à l’image : apprendre aux gens à comprendre comment est construit un
film, ce qu’est le langage audio-visuel. C’est un axe sur lequel on est un petit peu en
retard en France : il y a des cours de français, il y a des cours de tout, mais on
n’apprend pas encore au public à comprendre ce que c’est qu’une image, alors qu’on
est dans une société où, avec les téléphones, internet…, on est cerné d’images. Et
l’image véhicule plein de choses différentes, donc c’est apprendre au public à
identifier ce qu’on lui dit.
Donc ce n’est pas seulement montrer des films, c’est de l’accompagnement, avec
des débats avec des invités, la mise en place d’ateliers pratiques.
Pour les courts métrages expérimentaux, la moyenne de fréquentation depuis deux
ans a été multipliée par cinq peut-être. On avait cinq personnes en salle, maintenant
on fait des salles pleines. Sur les projets, on a accueilli pas mal de collectifs, ça a
aidé certaines personnes à pouvoir créer des contacts ou être vues.
On est content. On n’a pas démarré de zéro non plus, parce qu’on avait le public
avec les évènements, les fichiers de com., etc. Mais ce n’était pas gagné. Et au-delà
du public qui vient, les gens connaissent le lieu, au moins le nom et ont une petite
idée de ce qui s’y passe. Et ça nous a permis de créer vraiment du lien, chose qu’on
n’arrivait pas à faire sous une forme évènementielle. Les gens apprécient beaucoup
ce côté décalé et la convivialité. Rien que de pouvoir voir une soirée de courts
métrages dans un canapé avec une bière à la main, puis de pouvoir rencontrer des
gens. Et le lieu en lui-même et la programmation. C’est un certain type de public. Et
c’est d’autant plus important qu’on est dans un moment où le rapport à l’image
évolue. Et notamment la fréquentation du cinéma par le public jeune est en chute
libre, parce qu’ils peuvent maintenant avoir accès ailleurs aux films. Dès la sortie et
gratuitement. Ce que les gens apprécient et ce qu’ils viennent chercher ici, c’est
cette dimension-là, la partie échange, partage.
Il y a les attentes du public et ce que nous on veut pousser. Et justement, pour que
ça fonctionne, il faut qu’on trouve un juste milieu : si on reprend l’exemple de la fête
de l’animation, on va programmer, des longs métrages grand public qui ont eu des
sorties en salle, qui en l’occurrence n’ont pas forcément besoin de nous, et on
répond à une demande du public qui peut avoir envie de voir ça. Et du coup, ce
public on en profite pour lui montrer autre chose qu’il n’a pas forcément demandé
mais que du coup il va découvrir… parce qu’il n’avait pas identifié ça. On joue un peu
entre les deux.
En plus il y a plein de structures régionales avec qui on peut travailler et créer du
lien. Du coup, c’est plus sympa. Ce qui est compliqué c’est que c’est permanent, ce
n’est pas la même énergie ni la même façon de travailler. Parce que ce qu’on faisait
avant, même si on avait une activité permanente, c’était jamais chez nous. On
bougeait. Et après il y a les histoires de thunes, mais là, c’est autre chose.
Slam Connexion
Contact
Charlotte Bonnin
06 84 76 00 72
[email protected]
site internet :
www.myspace.com/slamconnexion
Slam connexion, c’est des personnes qui sont passionnées par le Slam, et qui ont
décidé d’en faire une association Rennaise en 2003, qui s'appelait Slam Zone Ouest,
au moment où ça a commencé à bien monter en France. Ce n’est pas forcément des
amis à la base, c’est des gens qui se sont croisés et qui se sont rencontrés, qui
deviennent nécessairement amis au fur et à mesure, dans l’associatif, ça marche
beaucoup comme ça. Ils ont monté leur petite association et puis ils se sont donnés
des objectifs. Le but de Slam Connexion qui s'est créé à la suite de Slam Zone Ouest
en 2006, c’est une ouverture à la poésie pour tous. Au fur et à mesure, l’association
a bien marché et ils ont commencé à lancer des ateliers avec des gens qui faisaient
ça bénévolement. Et puis l’année dernière, ils m’ont embauché en tant que volontaire
associatif. Donc j’ai fait mes six mois de missions, qui a été une période super. Le
volontariat associatif, c’est un truc que je conseille à tout le monde. Je me suis
éclatée, j’ai rencontré plein de gens de toute la France quand il y avait le
regroupement à Paris. Et puis, au sortir de ce volontariat, on a fait un petit bilan et
puis on s’est rendu compte que le téléphone n’arrêtait pas de sonner de lui-même,
qu’on avait pas besoin d’aller chercher des contrats et que le mois de septembre,
sans animateur, ça allait être chaud. Donc ils ont décidé de m’embaucher.
Ma collègue Aurélia Décordé est bénévole mais elle bosse mille fois plus que moi
dans l’association. Et elle est hyper motivée, elle a énormément de contacts, et on
essaye dès qu’il y a un contact, une petite ouverture, de l’élargir encore plus. Ce qui
fait qu’elle est partie avec la Ligue française un mois au Mexique, avec une personne
de l’asso aussi, pour un festival de poésie pour Slam Connexion. Elle est repartie en
Algérie, fin mai. De là se sont liées des envies de partage et on essaye de faire venir
à notre tour les algériens pour qu’ils participent. Et on essaye de leur faire un petit
réseau dans la France pour qu’ils puissent aller voir différentes asso de Slam et voir
comment ça se passe en France. On a aussi un plan, on part à un festival de Slam à
Berlin au mois de septembre. Et puis on est en train de monter un projet pour partir
aux Antilles aussi, on essaye d’avoir une ouverture parce que ça nous fait voyager
de façon plutôt sympathique, et puis on étend nos contacts, voilà, la poésie pour
tous.
Au départ, on a juste fait quelques petites scènes Slam à droite à gauche, dans les
bars etc. Ca marchait plutôt pas mal, et puis de rencontre en rencontre : « Tiens,
mais vous ne faites pas des ateliers ? ». C’est une bonne idée, on va peut-être faire
des ateliers. On a commencé comme ça. C’est comme ça que c’est né. Une
première asso qui en est devenue une deuxième avec des gens plus motivés que
pour la première.
L’association et le réseau
Je n’étais pas encore dans slam connexion quand ils ont intégré RéaJ. (voir à la fin
de l’entretien).
J’ai rencontré Slam connexion par rapport à RéaJ. Parce qu’à l’époque, j’étais
présidente des « clochards célestes », je suis restée cinq ans présidente. Et on en a
entendu parler par la compagnie « 3ème acte » qui étaient déjà nos amis et qui eux
venaient de rentrer dans RéaJ. Et là, j’ai rencontré Aurélia. Et à l’époque Barbara de
« Fédé Rennes 2 » était dans « animafac’ » et faisait son volontariat associatif. Donc
elle m’a parlé du volontariat, en a parlé à Aurélia, qui est venue me voir en me
disant : j’aurais besoin d’un volontaire. Et moi de lui dire que je cherchais une asso.
Et ça s’est fait comme ça. Et toutes les asso de RéaJ, s’inscrivent dans ce réseau là,
pour se faire des contacts. Là-dessus, il n’y a pas photo.
Au départ c’était des gens qui avaient une envie et une passion, mais qui ne savaient
pas trop comment organiser les choses. Il manquait juste la tête pensante, quelqu’un
capable de prendre son agenda et son téléphone et puis de dire : je veux vous
rencontrer parce qu’on existe, on est ça… Et voilà, c’est tout ce que fait Aurélia.
L’asso ne fonctionnerait pas sans elle. Moi, j’ai des compétences associatives, mais
qui ne sont pas les mêmes qu’elle. Et à nous deux, on fait un très bon binôme. Mais
toute seule, je ne m’en sortirais pas et elle non plus, parce qu’elle ne pourrait pas
tout gérer. Elle a réussi, petit à petit, à lier des contacts avec la mairie, avec les
directions de quartier, avec des gens à droite à gauche, que ce soit la Ligue de
l’enseignement, on a travaillé en prison aussi.
On a fait le calcul en début d’année, ton salaire ça sera tant, avec les frais ça fait
tant, donc il faut tant d’ateliers par mois pour que tu aies ton salaire. Nécessairement
ça motive, ça te booste, et ça t’oblige à te démener pour ramener des contrats, à
négocier à ce que tu ne baisses pas trop les tarifs, parce qu’on est très souple aussi
au niveau des tarifs, parce que nécessairement on bosse avec des asso, qui n’ont
pas un radis comme nous. Et on travaille aussi avec des grosses institutions et là on
ne va pas hésiter à pratiquer des tarifs plus que raisonnables mais qui valent le prix.
Du coup, quand c’est une association, OK, je donne trois heures de mon temps, ton
atelier je te le fais à moins 50%, parce qu’on sait ce que c’est que l’associatif. Après,
on fonctionne de façon très large par rapport aux tarifs, même si on aimerait quand
même trouver le juste prix et pouvoir l’appliquer à tout le monde. Mais ce n’est pas
facile. Donc comme mon poste a été autofinancé, la question ne se posait pas trop.
On était quand même relativement libre de nos budgets. L’année prochaine, ça va
être une autre paire de manche, comme on embauche Aurélia, là, par contre, on n’a
pas le choix, on est obligé de se faire subventionner.
On est un peu une asso de gonzesses, grosso modo, c’est Aurélia et moi qui gérons
tout. Je dois presque être la plus jeune, on est sur une tranche de 25 à 30 ans. On a
un véritable conseil d’administration, on est dix, moi je suis dedans, mais je ne
m’implique pas parce qu’en tant que salariée je n’en ai pas forcément le droit. J’ai
juste l’oreille, je donne mon avis et ils en font ce qu’ils veulent. Donc, le conseil
d’administration se réunit, mais comme en gros c’est à peu près le nombre total des
adhérents qu’on a, on a quand même un fonctionnement assez free. On essaye
d’institutionnaliser les choses, comme on a de plus en plus de rapport avec des
grosses institutions, on nous demande forcément derrière les rapports d’activité, les
comptes rendus de CA. Donc on a été obligé de se mettre un peu à la page. Donc là,
on a un fonctionnement normal. On a un bureau, ils sont trois dedans, le bureau ne
se réunit jamais sans le CA. On se réunit toujours en CA, on est en démocratie
participative à fond, donc il n’y a jamais une seule personne qui va décider de tout.
Même si parfois, nécessairement, comme Aurélia est impliquée sur le terrain, c’est
elle qui apporte beaucoup d’idées, mais elle ne les validera jamais toute seule. Si on
n’a pas l’accord de tout le monde, on laisse tomber un truc. Donc tout le monde a sa
part de décision dans l’asso. c’est arrivé dans le CA la dernière fois… parce qu’on a
conclu l’année au niveau administratif, et deux personnes nous ont dit : nous on a un
projet pour l’année prochaine, voilà le dossier, on a envie de faire ça et ça. Et avec
Aurélia, on s’est dit : c’est nous d’habitude qui apportons les projets… Et puis on
s’est dit : allez-y ! Faites-le, c’est tant mieux, il y a vraiment un CA vivant, qui
proposent, qui s’investissent, qui sont bénévoles lors des grosses manifestations, et
qui sont eux-mêmes slameurs. Donc ils participent aux scènes, ils animent les
scènes aussi.
Quand tu as 20, 22-23 ans, tu ne connais pas tout le fonctionnement associatif. T’as
l’impression que c’est facile une asso., on s’inscrit à la préfecture, six mois plus tard
tu reçois ton papier, Ok, c’est cool, on est une asso, on peut faire ce qu’on veut. Mais
non. Et au fur et à mesure, tu te rends compte qu’il y a vachement de truc à
assimiler. Et donc le fait de rentrer dans un réseau, vous, vous êtes un peu plus
vieux que nous au niveau associatif, est-ce que tu sais remplir un dossier de sub ? Et
puis on est dans l’échange et puis ça discute, ça circule … J’ai entendu parler d’une
nouvelle subvention qui sortait. Déjà pour l’information, pour vraiment l’échange et le
partage de savoir, pour tout ça. Il y a une histoire collective. Parce que la première
chose que tu fais c’est : vous êtes une compagnie de théâtre et nous, « les clochards
célestes » sommes en train d’organiser un festival, ça ne vous dirait pas de jouer
dans notre festival ? Et si vous cherchez des danseurs, nous on a des potes qui ont
une asso de danse. Et donc le réseau et toujours le réseau. Le réseau, ça reste le
mot phare de l’associatif, au-delà des belles amitiés qui peuvent se créer, parce qu’il
y en a eu et qu’il y en a encore de très belles, c’est tous ces échanges là… Et de
soutien aussi. En étant dans la galère, il nous manque dix bénévoles pour notre
soirée de samedi soir, un petit mail au réseau RéaJ et puis t’as tes dix bénévoles, ça
c’est génial.
« J’ai débarqué, mon premier atelier, Aurélia m’a dit : « t’es volontaire associatif,
donc tu vas être notre animatrice, c’est la semaine prochaine à la prison de
Rennes ». OK. Moi, jusque-là, je travaillais avec des gamins de 6-12 ans, donc là,
des prisonniers d’un coup, j’ai été jetée dans le bain assez rapidement.
Etre sur le terrain, moi c’est mon kiffe. Je rencontre de tout de tout de tout. Alors que
pendant cinq ans, je n’avais que des mômes de 3 ans à 12 ans, là en l’espace d’un
an et demi, j’ai travaillé avec des prisonniers, j’ai travaillé avec des adolescents dans
une PJJ, j’ai travaillé avec des handicapés, j’ai travaillé avec des personnes âgées,
avec des personnes retraitées, j’ai travaillé avec des parents, des mères de famille,
j’ai travaillé avec des enfants en difficulté scolaire, sociale, des enfants en milieu
scolaire classique, mais plus en centre de loisirs, en intervenant à l’intérieur d’une
classe, j’ai rencontré des instits, des profs merveilleux, des gens, d’autres où tu te
dis, lui c’est un connard, si je peux éviter de revenir c’est génial… mais des gens
impliqués, des gens qui ont le sourire constamment. C’est ça que je ressors vraiment
de mon année de bilan, c’est les rencontres que j’ai faites à l’intérieur de ce travail.
C’est plus que les gens qui participent à l’atelier, les gens qui organisent ces ateliers.
Parce que les gens qui participent à l’atelier, tu les vois à l’heure où tu arrives, tu
repars et tu ne les vois plus, ça reste que des rencontres furtives. Alors que les gens
qui organisent ces ateliers-là, tu les as par mail régulièrement, tu les as au téléphone
souvent… Et puis parfois, c’est marrant, c’est des gens que je vouvoie par mail et
puis quand tu les as au téléphone, parce qu’ils viennent de lire ton mail, c’est : Ouais,
salut, alors au fait, et tu te rends compte que les rapports sont tellement faciles avec
les gens, que ça ne sert à rien d’y mettre des cravates et des cheveux bien coiffés,
t’as vu ma tête, donc au début je cachais vachement, je mettais des chignons,
j’essayais de mettre des tenues… Et puis au fur et à mesure je me suis dit : t’as juste
à être toi-même et puis ça ne sert à rien d’aller chercher plus loin, de cacher ton
apparence. Parce que j’ai un rapport facile avec les gens, c’est un truc dont je me
suis rendue compte. Et aussi bien avec une mère supérieure dans un collège privé
qu’avec le gardien de la prison. Donc, c’est agréable.
Et puis dans ces moments, là c’est personnel, j’ai vraiment l’impression d’être
reconnue pour ce que je fais. Moi, mon plus gros bonheur, c’est quand les gens
viennent me dire, à la fin de l’atelier ou d’une scène : merci beaucoup, t’as donné
deux heures de bonheur à ces gamins qu’ont pas l’habitude… Ou alors : vous savez,
ces hommes ils sont emprisonnés, donc merci, ça leur a fait vraiment du bien. Et
souvent, la chose la plus concrète c’est la scène slam qui se passe derrière les
ateliers. Parce qu’en atelier, c’est assez intime. C’est tout un travail d’écriture, c’est
très calme, il n’y a pas de bruit, les gens sont concentrés sur leur feuille… Parfois, tu
sens qu’ils ont du mal à écrire. Il y en a qui ronchonnent un peu… ou des gosses qui
vont claquer la porte : j’y arrive pas ton truc ! Et puis deux jours après, tu as la scène
slam. Où c’est le flippe, parce que c’est la restitution de tout ton travail de la
semaine, que tu dois faire bien souvent devant le maire, les élus de la commune, les
responsables culturels etc. Et là tu te dis : j’espère que j’ai bien fait mon boulot parce
que… ils ne m’ont pas encore payée (rire).Et quand tu vois les yeux des gens qui se
disent : mais j’ai jamais entendu mon enfant dire ce genre de truc, ou alors : on ne
pensait pas que ces patients-là étaient capables de sortir des choses pareils, en fait
ce n’est pas moi qui y arrive, c’est le slam qui arrive à faire dire à des gens des
choses dont jamais ils ne parlent.
principe de démocratie partagée. Comme c’est nos objectifs et que c’est vraiment
nos valeurs, il n’y avait aucune raison qu’on s’enferme et qu’on s’enclave. Sur
Rennes on est l’unique association de Slam, à proposer des ateliers, à proposer des
scènes Slam, à se déplacer à 400 km un dimanche après midi. On est la seule de
Rennes et j’ai presque envie de dire de la région rennaise et de l’Ille-et-Vilaine. Donc,
forcément, les gens nous ouvrent les bras.
On est dans l’ouverture et on voit qu’à un moment donné les gens, ils sont exigeants
aussi, des clients quelque part. Ils ont toujours un thème à t’imposer, on fonctionne
énormément aussi avec tout le réseau du « printemps des poètes », « droits de
l’enfant ». Donc t’as toujours des thèmes imposés, parfois, t’as des petits
excentriques qui vont demander une forme particulière qu’on n’a pas forcément
encore testé et on se dit : tant pis, c’est vrai que nous on est pour le Slam pur, à
savoir sans musique, sans costume, sans décor, etc. , mais, quand il y a un contrat
qui se profile avec un peu d’argent au bout et qu’ils nous disent : on voudrait associer
un groupe de bretons, est-ce que vous ne pouvez pas faire une scène Slam, pas de
problème ! Parce qu’on reste dans l’expression. Donc effectivement on dévie un peu,
mais il n’y a pas de soucis, ça se fait partout, il n’y a pas de raison qu’on ne le fasse
pas. Par contre, on aura toujours le petit discours à côté qui va dire que : attention, là
on n’est pas dans du Slam pur. On va toujours le dire. Là, on est dans une scène
ouverte, où on associe le Slam et la musique, mais on n’est pas dans une scène
Slam. On est dans une scène ouverte d’expression.
Comme on ne fait que sortir ce que les gens ont en eux, la seule chose qu’il
découvre eux-mêmes, c’est : tiens, je sais écrire ! Tiens, je sais être drôle quand
j’écris ! ou je sais émouvoir ! Donc là, il y a des petites choses qui sont très
personnelles et qui sont identifiables. Au niveau des valeurs, au niveau du respect,
de l’écoute, de la critique c’est important aussi, c’est vraiment une valeur que
j’essaye d’amener en atelier, qu’on essaye de développer au maximum, c’est une
question de respect. Parce qu’il peut très bien y avoir dans le même atelier des gens
très forts, qui sont très cultivés, qui lisent énormément, qui ont beaucoup de
références littéraires, et d’autres à côté qui ne vont pas être impliqués dans tout ça,
ça fait des différences de niveau énorme. On sait bien par exemple que les enfants
sont très moqueurs, ils sont très francs, et que ça va vite aller à : t’étais trop nul ! Là,
c’est un truc sur lequel je travaille énormément, de dire non : ce n’est pas qu’il est
mieux que toi, ce n’est pas que tu es moins bien, c’est toi, c’est ce que tu es. On
arrive avec des valeurs, on les diffuse et après ils en font ce qu’ils veulent. Mais on
les diffuse constamment.
Parfois, ça va être intégré dans un festival d’expression, par exemple. Mais des fois,
c’est juste en tant qu’activité et c’est moins intéressant, c’est sûr. Mais une autre fois,
c’était pour une initiative de quartier, c’était super intéressant. il y a des laveries
communes dans un quartier, au bas des tours, pour les gens qui n’ont pas les
moyens d’avoir une machine à laver dans les immeubles, c’est des bénévoles, des
habitants du quartier qui gèrent la laverie. Et ils nous ont embauchés pour que je
fasse des ateliers réguliers là-bas pour animer la laverie pendant que les gens
viennent faire leur linge, c’est hyper intéressant parce qu’il y a un vrai projet derrière.
Moi, j’aime bien quand je ne viens pas que pour de la consommation pure et dure,
pour une « activité ». J’aime bien quand il y a un projet derrière… quand on nous
appelle pour quelque chose. Quand on fait de la relation entre les gens, c’est génial.
On s’est posé la question l’autre jour, on s’est dit : si Total nous appelle pour faire un
atelier pendant ses camps de vacances, qu’est-ce qu’on fait ? j’ai tout de suite dit à
Aurélia que je n’irai pas. Et après elle me dit : mais s’ils nous proposent 10 000
dollars pour faire des ateliers, on aurait même plus besoin de demander de
subventions, on pourrait se créer un poste à temps plein. Et en fait, je ne sais pas.
Tant que ce n’est pas arrivé, je n’en ai aucune idée… Je pense qu’on le ferait quand
même. Personnellement à contre cœur, mais en tant qu’animateur, dans un réseau
d’ouverture justement, et de dialogue et de démocratie, de partage et d’échange. Et
parce qu’on aime bien le troisième degré aussi et que ça serait l’occasion d’y intégrer
du troisième degré.
Les jeunes n’aiment pas Sarkozy, chez les ados notamment, sur un atelier de quinze
personnes, il y en a au moins trois qui vont m’écrire un texte anti politique… actuelle.
Les thèmes qui reviennent le plus souvent, c’est politiquement, l’immigration, parce
que j’ai beaucoup à faire à des personnes immigrées ou qui ont des origines, les
discriminations beaucoup aussi, ce sont des thèmes qu’on nous oblige aussi pas mal
à traiter. Moi, je ne suis pas fan de traiter des thèmes imposés parce que ça manque
un peu de variété du coup dans le spectacle final. Mais, grosso modo, quand ces
choses-là ressortent, les gens ne sont pas très impliqués politiquement, enfin ce
n’est pas qu’ils ne sont pas très impliqués politiquement… si, au contraire, je trouve
qu’ils s’y connaissent pas mal, ils ne sont pas fous du tout, ils savent très bien ce qui
est en train de se passer et on en entend pas mal parler dans les textes. C’est un
truc qui revient régulièrement et même voire chez les tous petits… 6-7 ans, ça arrive.
Mais ça, c’est juste des gosses qui retransmettent la parole de leurs parents. Mais ça
fait leur culture politique aussi. Et sur l’environnement aussi, leur point de vue sur
l’environnement. L’autre jour, un gosse écrivait sur l’environnement et disait : y’en a
ras le bol de dire tout le temps arrêtez de gaspiller l’eau, y’en ras le bol de dire tout le
temps arrête de jeter ton papier par terre, arrêtez de le dire et maintenant faites-le !
Et comme ça on arrêtera d’en parler et puis la terre ira mieux. Je trouvais que c’était
une réflexion vachement poussée mine de rien par rapport à l’âge de ce gamin. Je
me rends compte qu’ils ont vachement conscience des choses et parfois, les ados,
ont quand même une conscience vachement torturée, ça me rappelle à quel point
l’adolescence c’était dur. Ils en parlent énormément… l’amour, les relations
amicales, les relations avec les parents. C’est des thèmes qui sont récurrents chez
eux.
Je ne veux pas me faire la porte parole parce que c’est des gens que je ne connais
pas et c’est juste une impression que j’ai eu sur deux heures. Le jour où on me
demande ça, ça va être direct : écoutez ce qu’ils ont à dire eux.
Réa-j c'est:
L’origine de l’initiative
C’est une initiative qui est vraiment née de jeunes, à Lusignan, un petit bled à 25
bornes de Poitiers, à la campagne, avec un foyer de jeunes qui fait aussi local de
répétition. A l’époque c’était très sommaire. Ces jeunes répétaient, commençaient à
avoir des groupes et à avoir envie d’en faire quelque chose et de sortir de leur cave.
Il y avait une animatrice qui les accompagnait mais c’est eux qui ont fait. Ils se sont
dit : si on organisait un truc pour jouer. Ils ont posé une scène sur la plage de
Lusignan, au bord de la Vonne, un petit ruisseau… et ils ont joué. Elle, elle a juste
regardé, suivi et pris des notes, parce qu’elle était en cours de DEFA. Très vite ça a
marché. Ils se sont dit qu’il faudrait en faire un vrai festival à Lusignan mais qu’ils
n’avaient pas les épaules pour et qu’il faudrait le relais d’une autre asso.
Swing troubadour intervient à ce moment-là : une personne avait créé cette
association pour faire tourner ses potes et ne savait pas encore trop quoi en faire.
Elle a vu ça et a trouvé ça super : un projet qui a besoin d’une structure et qui a des
compétences dans le domaine culturel et d’organisation. Et c’est comme ça que
Swing Troubadour, dès la deuxième année, en 1996, a repris le projet.
L’animatrice en question a fait son mémoire de DEFA là-dessus, qui s’appelle «Le
Sens de l’Action », le titre c’est quand même important de le dire, et qui lui a valu un
18/20. Elle a suivi le projet et le suit toujours de loin, elle m’a souvent conseillée
depuis son départ en 2006, elle en a été présidente, vice-présidente, et avant ça
trésorière quand elle n’avait que 21 ans.
De là est venue l’idée du festival dans un champ où il y a plus de place, avec l’idée
d’intégrer les jeunes du coin dans la structure, en leur apprenant à organiser un
festival. Avec la mise en place d’ateliers d’organisation, des stages techniques pour
le son et les lumières, des stages déco… Petit à petit, le festival prenant de
l’ampleur, commençant à rayonner un petit peu, a commencé à s’étendre à tous les
villages de la communauté de communes. Il a commencé à s’y passer des choses.
ensemble. Ce qu’on disait aussi aux jeunes : ce qu’on vous propose, ce n’est pas
des ateliers comme à la maison de quartier, c’est une activité dans un projet global.
Autre exemple : sur le concert qu’on avait fait avant le 10 avril, au Carré bleu, une
salle qui appartient à la MJC qui en dessous a des locaux où les jeunes viennent et
en haut une salle de spectacle qui est utilisée essentiellement par une association
qui s’appelle « Jazz à Poitiers » qui fait du Jazz et des musiques improvisées. Les
jeunes de la MJC nous avaient dit qu’ils n’osaient pas monter l’escalier parce que ce
n’était pas chez eux, c’était aux élitistes. Enfin, ils ne le disaient pas comme ça mais
c’était clair, ce n’était pas pour eux… Et on a réussi à leur faire monter l’escalier
parce qu’on a fait un concert de métal et de hardcore là-bas, avec des groupes
locaux et un groupe professionnel. Des jeunes de 15 à 18 ans sont rentrés pour la
première fois dans cette salle. On a vu des salariés, comme le gardien de carré bleu,
un petit vieux qui est là depuis 30 ans, qui m’a dit : je n’ai jamais vu ça, c’est un
bonheur. Il m’a dit : moi j’en ai marre de voir toujours la même intelligentsia poitevine
ici. Il se passe quelque chose. Et puis avec une envie de recommencer parce qu’on
avait fait un partenariat justement avec jazz à Poitiers, ils étaient ravis aussi parce
que eux ça leur permet aussi, quand on fait des coproductions avec eux de faire
jouer des groupes qui sont trop rock pour eux, qu’ils ne savent pas où foutre. Du
coup, ils les font jouer là.
structure, et il y a aussi des supers animateurs qui savent aussi aller les chercher
dans la rue. Donc pour nous, mélanger les deux groupes, c’était un peu
compliqué…Et même au niveau des salariés les structures ne fonctionnent pas du
tout de la même manière, avec chacun qui pense qu’on marche sur le territoire de
l’autre. On passe notre temps à essayer de mettre des passerelles, à leur rappeler
où est l’objectif du projet, où est son intérêt.
Les jeunes nous voyaient débouler dans leur structure, ceux qu’on allait chercher
dans la rue étaient dans un cocon sécurisant qu’ils connaissent et qu’ils
reconnaissent, et on leur apportait un truc nouveau, qui pour la grande majorité leur
était étranger, et en même temps ils percevaient quand même que c’était un gros
truc, avec la pétoche d’aller rencontrer les gens qui font un gros truc. Donc il y a une
appréhension. Il fallait vraiment qu’on aille vers eux et qu’on attende de se faire
connaître et reconnaître. Et tant qu’il n’y avait pas le premier festival et les premières
choses, ça ne pouvait pas être aussi aisé qu’on l’aurait voulu. D’autant plus à la
MJC, ils ne viennent pas de manière régulière. Ils sont plus difficiles d’accès. D’un
autre côté, il y avait un intérêt quand même assez énorme pour la musique.
L’animateur des plus âgés, c’est en théorie 15-20, les a poussés à se mettre en asso
pour s’autonomiser et il les a accompagnés dans cette démarche là. Et sur toutes les
rencontres, ils ont vu l’intérêt qu’ils avaient pour eux. Ils se sont dits : je pourrais
apprendre à faire de la lumière, je pourrais apprendre à faire du son. Cela nous
intéressait. Sauf qu’après, sur le suivi ça a été compliqué. Et c’est là qu’on aurait
aimé qu’il y ait une prochaine année, pour que ça se construise avec le temps, il y a
un truc qu’on tient et qui est super.
Donc on a pour l’instant juste frôlé ce qu’on voulait faire. On l’a fait quand même il y
a eu les ateliers, moins que prévu, on en a annulé à cause du fric, et un seul parce
qu’on avait personne, c’était un atelier de prévention. On voulait les rendre acteurs
de la prévention, rien ne marche mieux que quand c’est la prévention par les pairs.
On va chercher les gars des Couronneries pour leur expliquer qu’ils vont expliquer à
leurs potes qu’il y a des dangers, qu’il y a des risques liés à la fête. Il y en a deux ou
trois qui ont dit : pourquoi pas ? On avait pensé à des stages de sensibilisation sur le
produit de leur choix ou le thème de leur choix à voir ce qui les touche le plus, une
sensibilisation et après une retranscription artistique, ça pouvait passer par du
théâtre, par une fresque. Et on avait quelqu’un dans ce collectif Ekinox, qui est en
formation sur ce thème-là. 2-3 gars dans l’année ont dit : ça dépend si machin y va.
Et puis, à un moment ils se sont démotivés, ils ont flippé, ils ne sont pas venus. On
s’est dit ce n’est pas grave parce que pendant le festival ils verront le stand, ils
verront que ce n’est pas des leçons de morale, ils verront ce que ça représente,
qu’on est plutôt là pour essayer de dire : attention, on fait tous la fête, on est les
premiers à la faire, mais on est aussi conscient qu’il y a des risques, et c’est mieux
quand ce n’est pas un vieux croulant qui vient te le dire. Et du coup, ceux qui étaient
là ont commencé à le voir de loin : c’est pour ça que c’est hyper frustrant d’être dans
la situation dans laquelle on est aujourd’hui, à ne pas pouvoir envisager l’année
prochaine, parce qu’on a juste commencé, ce qu’on voulait faire.
Je suis arrivée sur le tard comme stagiaire. Puis, petit à petit, on nous a supprimé les
postes, En fait ils ont fait partir les gens et n’ont pas renouvelé les postes. Le
nouveau maire un maire à trois casquettes, maire, président de la communauté de
communes et conseiller général. Et cette personne, pourtant de gauche, comme il
passait après un élu de droite, a eu pour mission - je pense inconsciente - de
détruire tout ce qu’avait fait l’autre élu. Il n’a jamais compris Aquarock. On lui
demandait du matériel, de participer, de se montrer un petit peu volontariste, mais…
il suffit que trois vieux à côté du champ passent deux coups de fil à la gendarmerie et
c’était : la population n’est pas d’accord. Les commerçants, eux, n’étaient pas du
même avis, ils étaient parfaitement contents. Et du coup, il a sabré petit à petit, il a
remplacé les mises à disposition humaines et matérielles, les prêts de petit et surtout
gros matériel, par des subventions (moins engageantes et facilement réductibles), en
supprimant les postes. C’est arrivé conjointement au désengagement de la DRAC,
qui à ce moment-là, s’est mise à ne plus soutenir la diffusion. Tout ça en même
temps, ce qui a fait que petit à petit on s’est essoufflé.
Je suis arrivée comme stagiaire, mais pas vraiment stagiaire, parce qu’il n’y avait pas
de permanent pour accompagner. On est deux, on gère tout, on se démerde. Si on a
de la chance, on a des gens au bout du téléphone. C’est formateur : quatre mois
dans un bureau comme ça, on n’a pas le choix.
Donc sur la fin, on n’avait plus les moyens de développer les projets périphériques et
on ne pouvait plus que faire le festival. Or le projet de Swing Troubadour, ce n’est
pas le festival, c’est tout ce qu’il y a autour. On s’est dit : déployer autant d’énergie,
suer sang et eau pour avoir des élus qui font tout ce qu’ils peuvent pour nous
démotiver, et en plus, pour ne pas faire ce qu’on a envie de faire, ça commence à
devenir lourd. Donc, le dernier festival a eu lieu en 2003.
Quand on a commencé à monter 2004, on avait un petit déficit, que le Conseil
général s’est proposé de combler en grand partie. Mais pas les élus locaux. A un
moment, on a dit à la Mairie et surtout Communauté de Communes de Lusignan :
Stop, ce n’est pas assez. Nous, ce qu’on veut, c’est un réel engagement, pas que
financier, mais moral avant tout, un réel soutien. Est-ce que vous voulez de ce projet,
oui ou non… Puisque vous nous dites que c’est une question d’argent, on reporte à
2005, on veut bien faire des efforts… Donc on en a remonté un pour 2005. Et à
l’automne 2004, on a commencé à leur dire que pour bien faire les choses, si
vraiment ils voulaient suivre leur engagement, il fallait aider à financer un poste. On
n’était pas gourmand à l’époque, on avait demandé un demi poste à l’année,
cofinancé par tout le monde, L’emploi aurait été en partie financé par un dispositif
régional (l’« emploi tremplin » associatif) qui apporte une aide dégressive sur trois
ans avec une prime pour les créations de poste. On avait essayé de réunir un
maximum de gens : Mairie, Communauté de Communes, Pays des Six Vallées (donc
des musiques actuelles… Je dis ça sans que ce soit péjoratif, mais des festivals de
baba-cools en campagne, il y en a plein, mais avec le rock- and-roll, c’est plus
compliqué. On s’est dit : on va peut-être arrêter de foncer dans les murs, on va peut-
être tout simplement se dire qu’on a un projet urbain et se recentrer vers la ville. On
a commencé à réfléchir à Poitiers, qu’on connaît suffisamment pour ne pas avoir
rêvé trop longtemps. On s’est rapproché des maisons de quartiers qui avaient
vraiment une politique culturelle assez forte, parce que toutes n’en ont pas. On est
allé les voir, en leur proposant d’imaginer un festival à côté. Et de travailler avec les
jeunes, les assos qui gravitent autour.
Mais Poitiers est une coquille pleine, donc on a pensé à l’agglo. Et là, illumination :
un nouvel instrument qui s’appelle la Maison des projets, à Buxerolles, propose ce
que nous on veut faire : ils ont une structure, ils ont une salle de spectacle, c’est tout
jeune, ils se cherchent un peu. Ils ont des centres de loisirs de tous âges : ça va
jusqu’à 17-18 ans… avec un accueil ado. Et surtout une salle de spectacles, avec
une programmation qui pour l’instant n’a pas vraiment de cohérence artistique. Le
projet du lieu, c’est d’inclure et d’intégrer les usagers de la Maison des projets et
notamment les jeunes dans la programmation culturelle. Il y a donc deux politiques
qui vont ensemble, deux envies complémentaires. La directrice a accueilli notre
projet sans problème. On est parti là-dedans. Et on va voir les politiques. Un nous
dit : c’est super, moi je suis à la retraite dans deux ans et j’aimerais bien faire un gros
coup, Aquarock je connais bien. Il m’a testé pendant un an, avec des coups de fil de
dernière minute : J’ai la fête de la musique, je cherche 10 groupes, tu peux m’en
trouver, t’as deux jours. Je lui ai trouvés…
A l’époque j’étais secrétaire, et en gros on était quatre actifs. Donc quand le projet de
Saint – Julien est tombé à l’eau, les filles et l’ancienne présidente sont parties. Et du
coup il a fallu rafraîchir l’équipe, ça a été aussi quelque chose d’intéressant : c’est
des gens que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam, qui connaissaient le projet avec
Lusignan, qui sont arrivés en disant : il se passe quelque chose, il y a une nouvelle
AG, moi j’ai envie de faire quelque chose. Et puis des copains, qui avaient été sur
des projets autour, ont dit : j’aimerais bien m’investir un peu plus. Et ça a été un peu
compliqué parce que quand on est dans une période d’inactivité, où on est
simplement dans la réflexion, dans l’écriture et puis dans la rencontre avec des élus,
où on maîtrise mal le projet, ça a marché quand même. Mais on a quand même été
presque, disons deux à maîtriser le projet, donc à être vraiment en mesure dele faire
avancer pendant deux ans. C’était épuisant aussi. Et là, ça commençait à se
concrétiser à Buxerolles, ça commençait à se savoir, des gens commençaient à
frapper à la porte et à dire : il y a plein de nouvelles énergies qui arrivent. On était
entre l’énergie de continuer et un déficit de 30 000 euros après l’édition des 22-23
mai 2009. On s’est tourné vers les partenaires existants. C'est-à-dire le conseil
général qui nous avait toujours soutenus avant, mais qui nous a dit : on a changé
d’époque, ce n’est plus les 20 000 qu’on vous donnait avant, aujourd’hui si vous avez
2000 c’est bien. Et on vous suit déjà beaucoup plus que les autres. La mairie ne m’a
jamais donné de chiffres alors que je les voyais tout le temps… Et je suis retournée
voir à la DRAC, j’ai tapé dans trois services différents : avant on était sur la diffusion,
je suis allée voir la nana du développement territorial et celle de l’éducation
artistique.
Entre temps, en 2007, j’avais réussi - et ça j’en étais très contente – à avoir
l’agrément jeunesse et éducation populaire. Même si on n’a presque jamais eues de
subventions (on en a eues en 2008 et 2009), par principe j’y tiens. Et puis, j’ai eu
mon expérience au CDJ et au CNJ. Même si j’ai démissionné avec pertes et fracas,
et de manière rock-and-roll… d’ailleurs presque pour ça, l’éducation populaire, c’est
quelque chose à laquelle je tiens.
Finalement aucun problème avec l’Etat, de droite, avec le Conseil général, de droite,
avec la Préfecture, de droite. La Région donne beaucoup d’argent mais a une
répartition un peu obscure… A l’inauguration, j’avais le nouveau chargé du spectacle
vivant qui m’a dit : on ouvre à une quatrième structure l’année prochaine et je
voudrais que ça soit vous. Etant donné leurs critères, de professionnalisme, de
cohérence artistique et de vrai travail de fond, j’ai trouvé ça encourageant. La
SACEM également nous aide. Elle a su reconnaître que c’était le seul festival de
musiques actuelles dans la Vienne Et à côté, il y avait nos petits élus de gauche, de
la mairie de Buxerolles et de la mairie de Poitiers. On a voulu y associer la mairie de
Poitiers puisqu’on bosse aussi avec les jeunes du quartier des Couronneries à
Poitiers, qui est un quartier en ZUP. On avait un projet de bosser avec les éduc’ de
prev’ pour essayer de toucher les jeunes qui ne fréquentaient pas les structures.
Mais comme on s’y est pris un peu tard avec eux, ils avaient déjà d’autres projets.
On s’est quand même rapproché d’eux en leur disant que si jamais ils avaient
l’opportunité ils pouvaient nous envoyer un gars ou deux. On a touché aussi sur le
festival, une structure d’accueil et d’insertion, le « Relais Georges Charbonnier ». Il y
a un restaurant social, des éduc’ de prèv’… Ils viennent pour faire le montage et le
démontage, pour essayer de se socialiser, de bosser sur un projet, de se lever le
matin. La réponse de Poitiers a été qu’ils voulaient bien soutenir le projet, mais pas
plus que Buxerolles. A Buxerolles, ils disaient la même chose. J’ai aussi monté un
dossier au niveau de l’agglo qui n’a pas de compétence culturelle, j’ai réussi à
trouver le CUCS. Et en lisant les 40 pages d’objectifs, je me reconnaissais dans au
moins 25. Mais on m’a répondu qu’on ne rentrait pas dans les cases parce qu’on
faisait du culturel. Pourtant on ne fait pas que du culturel : ce n’est pas culturel OU
social, ce n’est pas les jeunes OU la culture, on brasse les trois.
Ce qui est désolant, c’est que toute l’énergie perdue pendant les derniers mois à
courir après un écrit et après des chiffres, n’a pas été mise dans l’accompagnement
des jeunes, dans le développement. Parce qu’on est tous bénévoles, on n’a pas de
permanent et je n’ai pas pu parce qu’on ne peut pas être partout. Et j’ai mon portable
aujourd’hui qui sonne toutes les dix secondes avec des gens qui me demandent des
chèques.
Le festival a eu lieu quand même, en 2009. Les 22 et 23 mai 2009. le 22 mai, j’ai
ouvert ma boite à lettres avant d’aller sur le site, après quelques jours de montage où
je me disais alea jacta est… Un mois avant, j’avais appelé la mairie en
disant j’annule, le collaborateur du maire m’avait dit : non, non, vous passez en
commission le 5 mai. Et puis le 5 mai rien, le 6 mai rien. Et puis au bout d’un moment
on m’a dit : ce n’est pas passé en commission. Vous êtes au courant là, des chèques
que j’ai faits, des gens que j’engage, parce qu’il y a l’argent, il y a les gens aussi.
Mais là on est le 15, le festival est dans une semaine, on ne peut plus. Et le 22 mai,
dans ma boite à lettres, je trouve un courrier de la mairie me disant qu’on ne serait
pas aidé, pour deux raisons. Parce que 1) la maison des projets recevait des
subventions pour aider les porteurs de projet. 2): Il aurait fallu un soutien plus global,
sous entendu, il aurait fallu que Poitiers aide, ainsi que le Conseil général et l’Etat, ce
qui est le cas ! ! Donc, d’abord j’ai rangé l’enveloppe dans mon sac, j’ai respiré très
fort, je ne l’ai dit à personne, le festival s’est fait. Avec un petit problème de
fréquentation (260 personnes) parce que pas les bonnes dates (erreur de
communication aussi !)… Avant on tournait sur du 2000-2500. Tous les acteurs de
la vie culturelle de Poitiers étaient au bar ce soir là parce qu’il y avait les 5 ans du
bar. Pour ce qui est du bar en question, un mois avant, je suis allée les voir et je leur
ai dit : y’a Aquarock le même jour ! Ils m’ont dit : on ne peut pas décaler, c’est
l’anniversaire. Que eux ils fassent ça c’est une chose, mais de voir toutes les
grandes gueules qui sont ceux qui font le moins et qui préfèrent aller au bar où ils
vont tous les jours... Et je l’avais un petit peu mauvaise.
En même temps on a été naïf sur un point, on a réfléchi en fonction de Lusignan,
notamment la politique tarifaire, avec des pass : les gens venaient à Lusignan pour
deux jours, ils plantaient la tente. Et on ne s’est pas rendu compte qu’en changeant
de territoire, on changeait aussi de public, que les gens venaient une journée, peu
sont venus deux jours. C’était une volonté de notre part de s’adresser à un nouveau
public, mais on l’a mal réfléchi, on n’a pas su fidéliser.
On est à deux doigts de la liquidation… parce que les 30 000 euros, moi, je ne les ai
toujours pas. Là, j’en suis à payer la boulangère. J’ai reçu sa facture il y a deux jours,
ça m’a fait marrer. Et puis je ne peux pas lui faire, je suis interdite bancaire. Enfin,
pour l’instant à la banque, on n’est pas à moins 30 000. Mais on a quand même trois
gros chèques de bloqués et les autres ne sont pas faits.
Après le festival et la blague du maire, je lui ai réécrit en lui expliquant en quoi la
Maison des projets nous avait aidés, j’ai valorisé toutes les aides qui nous sont
apportées en termes de matos, de local…, de soutien même moral. Parce que eux
sont ravis de ce qu’on a fait là-bas, même s’ils avaient les pétoches au début : le
premier jour de montage, quand ils ont vu les camions arriver… Et on a aménagé
absolument tout le site, on a même créé une terrasse qui n’existait pas, on a squatté
un pôle pour faire nos bureaux, un autre pour faire les loges. Enfin, on s’est étalé. La
secrétaire à l’accueil était là : mais qu’est-ce que vous faites, c’est quoi cette
invasion ? Et puis finalement, dès que c’était parti, la directrice est venue me voir en
disant : c’est incroyable, ça me donne des idées, on n’avait jamais utilisé la Maison
des projets comme ça, dans son ensemble, en tant que maison des projets. Et en
plus, ça fait reconnaître encore sa structure, ça fait que les gens commencent à
connaître la route. Ils étaient contents. Et quand on est parti quand même, le tout
dernier jour, la secrétaire qui flippait au début m’a dit : ça fait un gros vide. Donc là,
ça fait des frissons, on se dit : là il s’est passé quelque chose. Il y a une dimension
plaisir.
Donc j’expliquais au maire pendant une page en quoi le partenariat avec la maison
des projets avait été plus qu’honorable. Et sur la deuxième page, je lui ai détaillé les
aides de toutes les autres institutions en lui disant ce qu’ils promettaient en plus…
parce que je suis retournée les voir tous, plusieurs fois entre temps. Et tout le monde
pouvait remettre la main à la poche, s’il y avait un engagement du local.. Et suite à
ça, 10 000 coups de fil pour essayer de l’avoir en direct parce que son adjoint, je
l’avais compris entre temps, n’était pas un bon interlocuteur, qu’il y avait des
problèmes de communication entre eux, que l’un s’engageait sur un truc et qu’il
oubliait de le dire à l’autre… Et au bout d’un moment je n’appelais plus que le cabinet
du maire, et je disais que je voulais le voir lui. J’ai eu son collaborateur uniquement,
pas mal de fois. Il m’a renvoyé sur l’adjoint encore une fois, avec qui j’ai déjeuné le
1er juillet, et qui m’a dit : tu auras un écrit dans la semaine. Comme je ne crois pas au
père noël, j’ai dit aux créanciers qui me courent au cul, « je dois avoir un écrit dans
les deux semaines ». Et le 14 juillet, je lui ai écrit, en lui disant : écoute, depuis notre
déjeuné du 1er, j’ai reçu 3000 euros de la DRAC, j’ai reçu une notification d’attribution
de la préfecture, mais je n’ai toujours pas reçu d’écrit du maire. Donc, où est-ce
qu’on en est, qu’est-ce qu’on fait ? Et il m’a répondu dans les deux heures, un mail
mémorable, je pense que je vais l’imprimer et l’encadrer, il m’a dit : j’ai vu le maire,
ça a du mal à passer en municipalité, je pars en vacances, t’auras un courrier
bientôt. J’ai trouvé ça génial. Il sait qu’il a fait une énorme connerie parce que c’est
lui qui, depuis un an et demi, a poussé, m’a fait croire monts et merveilles… Et là, il
se barre en vacances, il me dit : tu auras un écrit. Donc l’écrit, je l’ai reçu, vendredi
dernier… Et c’est du grand : le maire m’explique qu’il ne peut pas aider puisque l’Etat
et le Conseil général notamment ne nous aident pas. Non mais… ils nous aident en
plus déjà. Il a listé avec la Région et Poitiers, sauf que la Région, je lui ai expliqué
dans mon courrier, que le mec était venu, que j’avais un début d’engagement sur
l’année prochaine. Parce qu’à l’inauguration, j’avais tout le monde, sauf la mairie. Ils
ne sont pas venus, on n’a rien eu derrière. Alors qu’à l’inauguration, on a eu la mairie
de Poitiers quand même. Donc je trouve ça fort de café. Et ma dernière tentative
avant de partir en vacances, c’est que je suis allée voir les collaborateurs des
Conseils généraux de gauche. Les deux permanents, qui ont tout compris, qui
connaissent le projet, sont tombés des nues. Ils se sont engagés, et je leur fais
confiance… Ils m’ont dit : soit il change d’avis et ce n’est pas gagné, soit on lui fait
comprendre qu’il fait une grosse connerie, soit on le force à ce qu’il donne des
explications… parce que ça ce n’est pas possible, ce projet on le connaît, on sait son
importance, le sens qu’il a. C’est les dernières billes que j’ai jouées.
Zipakeu
Contact
Virginie Nieddu
06 64 15 37 44
[email protected]
site internet
http://www.zipakeu.fr/
! C’est trop par rapport à nos activités parce qu’on ne fait pas que ça et que, bien
entendu, ce n’est pas ce qui nous fait vivre non plus, ça prend vraiment trop de
temps.
Malo a offert son cachet d'ingé son de la fête de la musique et moi, je suis partie en
colo deux semaines pour combler les trous, parce que pas grand monde veut donner
des petits sous et avril on s'était retrouvé puis dit : on ne va pas annuler un truc
comme ça ! Zipakeu, c’est notre projet, donc ça nous a pas dérangés d'aller travailler
pour ça. Je préfère donner des sous à Zipakeu qu’à moi-même, même si je n’en ai
pas vraiment plus.
Malo : « Moi, ça me fait bosser dans ce qui me plait, même si c’est gratuit. Etre
directeur technique ça m’a appris, c’est moi qui gère la scène. Avant, j’ai jamais
vraiment été technicien son. J’avais fait ça sur des concerts, mais c’était des petits
concerts. Là j’ai vraiment une place… il y a une salle de 350 personnes, à la
technique, je suis tout seul, ça »
En janvier il y a eu un spectacle jeune public avec clown, jongleurs… Les gens ont
adoré le spectacle. La salle était pleine. En avril, c’était une programmation assez
locale. Avec de la chanson, des sketches et un groupe de musique instrumentale,
avec de la peinture impro dessus, et en même temps il y avait des expos. Demain,
28 juin, c’est un spectacle danse, chanson française et conte sur l’écologie. Et en
octobre, là c’est la folie, il y aura deux jours les 23 et 24 octobre 2009 ! Avec Oldelaf
et Monsieur D, la méga tête d’affiche, surtout que c'est leur dernière tournée de toute
la vie. Ils feront leur dernier concert à l'Olympia, c'est trop cool ils vont passer de
l'Espace Rencontre avec Zipakeu à la salle la plus mythique ! Il y aura aussi de la
danse humoristique et ça c’est fou, et Coko, qui est de Montpellier et qui sort son
album la veille... Le lendemain, il y a « Alex et sa guitare », lui il déchire tout niveau
humour. Il y aura aussi Benoît Ramos, le présentateur officiel des soirées Zipakeu
qui, là, fera un plateau de contes improvisés puis Yeti et Julia. Yeti est une
allemande qui fait de la chanson française et Julia est comédienne.
On a aussi une politique tarifaire. Même si on n’a pas de sous, on ne veut pas que
les gens payent cher, donc le plus haut tarif est à 10 euros. Pour ceux qui viennent
avec un canard en plastique c’est 8 euros, et on s’est aligné sur les prix Crous alors
qu’on n’a même pas le pass culture. Normalement, c’est avec le Pass Culture. Mais
on s’est aligné sur les prix. Et c’est 5 euros pour les étudiants, les moins de 18 ans,
les chômeurs, les rmistes et compagnie. Et 1 euro pour ceux dont c’est l’anniversaire
le jour même.
On a de tout. T’as ceux qui viennent pour l’improvisation théâtre et puis qui
découvrent la chanson. Ils pensent partir au milieu et puis finalement ils restent
jusqu'à la fin... Dans le public, on a remarqué que les artistes amenaient les trois
quarts du public mais que le reste ce sont des gens de Castelnau ou d’ailleurs qui
étaient contents et qui venaient parce qu’il y avait un évènement dans la petite ville.
Le but de Zipakeu, c’est que les gens ne viennent plus parce qu’il y a une tête
d’affiche, mais qu’ils viennent parce que le concept leur plaît, et qu’ils savent qu’ils
vont trouver une qualité de plateau même s’il n’y a pas de star.
J’ai choisi de le faire à Castelnau-le-Lez, parce que c’est la ville où je suis née et où
j'ai grandi. C’est une ville qui ne bouge pas au niveau culturel et le but est donc de
dynamiser la ville. Certains jeunes de l’agglo sont étudiants à Montpellier mais
n’habitent pas Montpellier. Leurs parents ont toujours habité dans les villages
alentours, c’est l’occasion de leur proposer aussi, pour une fois, de ne pas aller en
ville comme d’habitude, au Rockstore et compagnie, mais de rester dans l’agglo. Et
aussi de faire se déplacer les montpelliérains, qu’ils s’aperçoivent que Castelnau ce
n’était pas le bout du monde. Parce qu’il n’y a que dix minutes en tramway depuis le
centre ville de Montpellier, le tram arrive directement, pas très loin de la salle.
L’idée était de dynamiser la ville, mais ce qui est difficile maintenant, c’est que la ville
n'est pas toujours réceptive. On a l'impression qu'ils ne s'aperçoivent pas du succès
de l'événement et ce que cela peut créer. Ils nous prêtent la salle quand on en a
besoin, c'est super mais on aimerait que ça aille plus loin. Je pense qu'il faut qu'on
fasse nos preuves. On est cependant très soutenu par le service communication. Et
en même temps, on n'a pas envie de l’exporter à Montpellier parce qu’il s’y passe
tellement de choses déjà qu’on a envie de dynamiser notre ville.
Il nous est très vite apparu que ces initiatives participaient de fait au développement
de leur territoire, sur un mode particulier. L’implication de ces jeunes est d’abord
5
in Durkheim E., De la division du travail social, 1986 (1893).
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définie par des communautés de passions, sur un bassin de vie, répondant à des
manques, en créant des occasions de rencontres, d’ouvertures. De là se dégage une
vision du territoire ne se posant pas dans l’opposition ou la concurrence avec
d’autres territoires, mais visant les complémentarités, la mise en réseau, les
enrichissements voire les fécondations mutuelles. Le territoire n’est pas, en effet, la
forme finale que ces jeunes cherchent à atteindre et intégrer, ce n’est pas un donné
d’avance, mais le plus petit dénominateur commun sur lequel il est possible
d’éprouver des affinités communes, support à l’élargissement de l’engagement. Le
local devient la condition d’accès au global, puisqu’il leur est alors possible de
conserver et de redéfinir, au fur et à mesure que grandit l’échelle territoriale
considérée, le sens accordé aux multiples enjeux qui traversent ce territoire élargi.
Cette approche pourrait paraître tout à fait anodine si elle ne créait pas une rupture
vis-à-vis des représentations traditionnelles de la place des individus-citoyens sur un
territoire.
Traditionnellement, l’accès à l’espace public local (entendu dans son sens politique)
est accordé aux « bons » citoyens, c’est-à-dire à ceux qui se sont soumis aux
devoirs républicains. L’institution a pour rôle de vérifier le bien fondé des actions que
portent ces ayants-droit et « soupçonne systématiquement tous les autres de vouloir
bénéficier indûment des bienfaits de cette citoyenneté » (Joël Roman)6. L’accès à
l’espace public local est donc une sorte de privilège, voire de récompense, accordé à
partir d’une citoyenneté définie au préalable. Agir sur un territoire n’est légitime que
si a été fait en amont la démonstration que l’individu a intégré, incorporé, la
citoyenneté républicaine. C’était d’ailleurs la tâche de l’Ecole de permettre aux
individus d’acquérir les règles, les normes et les valeurs républicaines, pré-requis à
leur reconnaissance en tant que citoyen. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse que ces
présupposés ont contribué à faire de l’accès à l’espace local une démarche qui n’est
pas sans lien avec les procédures de validation scolaire. C’est à ce propos que l’on
peut légitimement parler, avec L. Roulleau-Berger de « procéduralisation de l’espace
public »7.
Ce qui nous semble intéressant dans les trajectoires de ces jeunes porteurs
d’initiatives, c’est la place qui est accordée à l’espace local. Celui-ci n’est pas une
finalité mais un moyen, un lieu d’apprentissages (non scolaire, informel), d’essais et
d’erreurs, une matière malléable qui offre la possibilité de former (de manière
réflexive) une représentation en devenir de la citoyenneté. Aux antipodes d’un
modèle républicain qui ne connaissait que le face-à-face entre l’Etat garant de
6
Roman J., « Penser la citoyenneté », in Bier B., Roudet B. (coord.), Citoyenneté/Identités
(actes du colloque INJEP automne 1995). 1996, INJEP.
7
Roulleau-Berger L., « Procéduralisation, fragmentation et résistances juvéniles dans l’espace
public » in Bier B., Roudet B, op. cit.
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- 182 -
l’intérêt général et l’individu-citoyen, sans que rien ne doive venir interférer dans
cette relation, les jeunes porteurs d’initiatives font de l’espace local un corps
intermédiaire, la matrice d’une nouvelle modalité du « vivre ensemble », d’une
citoyenneté à construire plus qu’à acquérir.
Nous ne doutons pas que l’approche traditionnelle (procédurale) soit assez éloignée
des manières de faire des élus et techniciens aujourd’hui. Mais, comme toute
représentation fondatrice, elle reste assez présente comme trame de fond de la
lecture de la place des citoyens sur un territoire. Il semble à ce sujet que simplifier
l’accès à l’espace public local, en facilitant les procédures, puisse encourager les
processus d’engagement dans la vie locale des jeunes porteurs d’initiatives. Penser
le territoire comme un espace d’expérimentation pour le public jeune est ici un levier
pour leur participation et semble jouer un rôle important dans l’effet de « confiance »
que ces jeunes revendiquent tant.
De plus, nous l’avons souligné, ces jeunes ne sont pas opposés à toute forme de
procédure puisqu’ils reconnaissent comme nécessaire qu’il y ait des règles dans
l’accès à l’espace public. Néanmoins, ils attendent des techniciens et des élus qui
administrent ces territoires un accompagnement dans l’acquisition des compétences
nécessaires pour répondre à ces procédures. Renverser les procédures de sélection
pour en faire des portes d’entrée vers une relation d’accompagnement des jeunes
accorde à ceux-ci une légitimité et leur permet de développer leur responsabilité en
tant qu’acteur du territoire.
La forme même des regroupements que créent ces jeunes peut amener une difficulté
vis-à-vis de leur prise en compte en tant qu’acteur d’un territoire. En effet, il s’agit de
Ainsi, revendiquer une place (pour soi comme pour tous) dans le territoire, dans
l’espace public au sens où l’entendent les sociologues de l’urbain, c’est définir
d’autres figures du politique : le territoire devient alors espace public de rencontres
voire de délibérations (J. Habermas)8. D’une délibération qui ne passerait pas
exclusivement par les ressorts de la rhétorique politique et démocratique usuelle
8
Habermas J., L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de
la société bourgeoise, 1978, Payot ; Théorie de l'agir communicationnel, Fayard, 1987, (2
vol ).
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faisant de la politique une affaire de spécialistes mais mobilisant des pratiques, des
formes sensibles, des espaces d’échanges et de confrontations, dépassant les
antagonismes entre logique verticale et logique horizontale, mais prônant les
interactions institué-instituant.
Il ne faut pas y voir ici une volonté que chacun puisse faire ce qu’il veut sur un
territoire et les garde-fous restent de mise. C’est d’ailleurs à ce propos que ces
jeunes en appellent à l’institution. Sur la base décrite plus haut d’une institution
garante de l’intérêt général (mais non propriétaire de ces contenus), ces jeunes
souhaitent que cette dernière soit véritablement une instance de reconnaissance de
l’ensemble des singularités constitutives (considérées comme une richesse) des
populations dont elles ont la charge, bien plus qu’une mise en conformité des
individus au travers d’une « égalité » abstraite.
Conclusion
Ce qui peut paraître difficile à saisir dans la perspective politique portée par les
jeunes, c’est le bouleversement profond de la place de l’institution (dans son sens
tout autant administratif que politique) vis-à-vis de l’individu-citoyen. En effet,
9
Honneth A., La lutte pour la reconnaissance, 2000, Cerf. ; La société du mépris, 2006, La
Découverte.
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