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«LES ÉNIGMES DE L'UNIVERS »


Collection dirigée par Francis Mazière
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PAUL GHALIOUNGUI

LA MÉDECINE
DES PHARAONS
Magie et science médicale
dans l'Égypte ancienne

Préface du Pr François Daumas

ÉDITIONS ROBERT LAFFONT


PARIS
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Si vous désirez être tenu au courant des publications de l'éditeur de cet ouvrage, il
vous suffit d'adresser votre carte de visite aux Éditions Robert LAFFONT, Service
«Bulletin », 6, Place Saint-Sulpice, Paris, VI Vous recevrez régulièrement, et sans
aucun engagement de votre part, leur bulletin illustré, où, chaque mois, se trouvent
présentées toutes les nouveautés - romans français et étrangers, documents et récits
d'histoire, récits de voyage, biographies, essais —que vous trouverez chez votre
libraire.
© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 1983
ISBN 2-221-01179-1
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A mafemme qui,
avec une patience infinie,
a subi mes longues heures de travail.
A mes enfants et petits-enfants,
le fruit d'un long labeur.
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SOMMAIRE

PRÉFACE/11
INTRODUCTION/15
Chapitre 1
DE LA MAGIE À LA MÉDECINE/17
Chapitre 2
LES SOURCES/38
Chapitre 3
LE PAPYRUS EDWIN SMITH
LE LIVRE SECRET DES MÉDECINS/51
Chapitre 4
ANATOMIE ET PHYSIOPATHOLOGIE/61
Chapitre 5
LES GUÉRISSEURS :
PRÊTRES, MÉDECINS ET MAGICIENS/82
Chapitre 6
LA CHIRURGIE/104
Chapitre 7
LA GYNÉCOLOGIE. L'OBSTÉTRIQUE.
LES FONCTIONS REPRODUCTRICES/125
Chapitre 8
LES SPÉCIALITÉS.
LA MÉDECINE VÉTÉRINAIRE/142
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Chapitre 9
LES PREUVES MATÉRIELLES170
Chapitre 10
PHARMACOLOGIE ET PHARMACIE/182
Chapitre 11
HYGIÈNE PERSONNELLE ET GÉNÉRALE/194
Chapitre 12
MORT, SÉPULTURE ET EMBAUMEMENT/204
Chapitre 13
ADHUCSUB JUDICE LIS EST/214

(Voir la table des matières détaillée enfin de volume)


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PRÉFACE

A première vue notre documentation sur la médecine


égyptienne paraît considérable. Ebers a publié en 1875 une
très belle et précieuse édition, enfac-similé, du plus grand
papyrus médical qui, depuis, porte son nom. Les papyrus
médicaux et vétérinaires de Kahoun ont vu lejour en 1898.
Puis ont paru les papyrus Hearst en 1905; ceux de Londres
et de Berlin en 1909 et en 1912; le fameux papyrus
chirurgical Edwin Smith en 1930. Les documents médicaux
faisant partie du don Chester Beatty au British Museum et
ceux qui provenaient du Ramesseum furent mis à la
disposition du public en 1935 et 1953. Les excellentes
transcriptions de Wreszinski, la traduction anglaise du
papyrus Ebers par Ebbell, les diverses études des mêmes
savants et celles de Loret, Chassinat, Grapow, Dawson,
Jonckheere ont accumulé un trésor de données positives sur
ces connaissances médicales qui inspirèrent la science
grecque.
Cependant, aucune tentative de regroupement et de
synthèse nefut faite avant 1952, date à laquelle parut le
magistral Essai sur la médecine égyptienne de Gustave
Lefebvre. Presque en même temps, Grapow donnait le
premier volume d'une œuvre monumentale, qu'il devait
mener à bien avec l'aide de H. von Deines et W. Westen-
dorf: Manuel de Médecine des anciens Egyptiens, en huit
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volumes. Sans doute ces savants avaient-ils consulté des


praticiens, mais leurs travaux sont avant tout philologi-
ques. Al'exception de Ebbell, docteur en médecine, tous les
autres furent essentiellement des égyptologues. C'était
d'ailleurs une nécessité que l'on commençât par là. Mais,
dans l'état actuel de la science, il est bon que l'on connaisse
les réactions d'un médecin égyptologue devant cet énorme
labeur philologique.
Il est donc fort important que le Pr Paul Ghalioungui
nousfasse part de ses impressions de clinicien sur la masse
de textes si patiemment amassés et traduits. C'est ce qu'il a
fait dans le présent ouvrage dont la première édition
anglaise date de 1963. Il n'a pas cherché à donner des
traductions nouvelles ou plus strictes, non plus qu'il n'a
apporté des identifications inédites de matière médicale
encore fort obscure pour nous. Son but est essentiellement
historique. Tout d'abord, qu'est exactement cette méde-
cine? science rationnelle ou sorcellerie? Qu'est-ce qui est
valable? Quelle influence réelle a-t-elle exercé sur la
médecine grecque qu'on dit lui devoir beaucoup?
Paul Ghalioungui essaie de répondre à ces questions et,
cheminfaisant, traite de beaucoup de points qui avaient à
peine été effleurés par ses prédécesseurs ou même ne
l'avaient pas été du tout : tels les instruments médicaux ou
chirurgicaux et les descriptions cliniques de quelques
maladies plus particulières à l'Egypte.
Cette édition française présente même un chapitre tout
nouveau concernant les apparences pathologiques que l'on
peut observer sur les restes humains provenant de l'Egypte
ancienne. Et il était bien placé pour lefaire, car il a pu voir
lui-même, surtout au musée du Caire qui est d'une richesse
inépuisable, mais aussi dans plus d'un musée d'Europe ou
d'Amérique, bien des pièces originales et les analyser. Il n'a
cessé aussi d'enrichir ses remarques pathologiques sur les
œuvres d'art qui nous sont parvenues. De toute cette
recherche historique incessante la présente édition fran-
çaise a largement profité.
Il a décrit aussi beaucoup de malformations pathologi-
ques que l'on peut voir dans les tombes connues, mais aussi
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dansdesmonumentsinéditsdeSaqqara,commelemastaba
de Mekhou et d'autres encore. L'auteur de Health and
Healing in Ancient Egypt, après avoir analysé et illustré
solidement les documents archéologiques, enfait ici une
synthèse remarquable à bien des points de vue.
Eninterprétantlesœuvresd'art, ilconvientdelenoter,le
Pr Ghalioungui n'est pas de ces savants qui, se laissent
emporterpar leursphantasmes; il admet très bien que les
sculptures amarniennes soient beaucoup moins la traduc-
tionpureetsimplederéalités médicalesqu'unart expressif
et symbolique dont on pourrait donner maints exemples
dans l'histoire. Ce qui ne l'empêche pas de discerner
médical. éléments qui peuvent prêter à un diagnostic
quelques
La connaissance directe qu'il a de l'Égypte et de son
ethnologie lui permet maintes comparaisons entre les
prescriptions antiques et la médecinepopulaire actuelle. Il
y a là, en effet, unesource de renseignements depremière
importance. Il faudra l'approfondiret il n'estpas excluque
certaines pratiques actuelles n'éclairent unjour quelques
détails
obscurs.des textes anciens qui nous demeurent toujours
Lorsqu'il tente de montrer comment les connaissances
médicales égyptiennes ont pu influencer les débuts de la
médecinegrecque, il n'est pas dupe de la pauvreté de nos
sources. Et nous devons, pour terminer, insister sur ce
point.
Noms remarquions, en commençant, que le nombre de
papyrusmédicaux quinomsontparvenus était aupremier
abordconsidérable. En réalité,par rapport à ce quiexiste,
c'était très peu. Et l'analyse du plus long et du mieux
conservé de ces livres, lepapyrus Ebers, montre que nous
n'avonspas là souslesyeux undes traités dela Maisonde
Vie, mais plutôt un compendium privé de praticien de
province; il contient des extraits anatomiques etphysiolo-
giques, comme les livres du cœur et des vaisseaux, des
études depharmacologie, telle celle sur l'huile de ricin, et
des compositions de remèdes, sans compter les formules
magiques. Par bonheur, nous avons trouvé la copie d'un
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traité chirurgicalqui, mêmetronqué, révèleuneprécisionde


pensée, une lucidité dans la connaissance et une sûreté de
traitement qui n'ont de comparable que la rigueur de son
exposé et de sa méthodepédagogique. Celivre très ancien,
que le scribe n'a pas copié en entier, a été repris par un
charlatan qui a ajouté sur les pages blanches une recette
pourfairepousserlescheveux.. Maisil suffit à nousrévéler
le haut degré atteint par la science égyptienne en ce
domaine.
Notre analyse, évidemment, ne peut prétendre à la
certitude totale. EnFrance, il existe encore denosjours (et
il y en avait davantage il y a une cinquantaine d'années)
desMédecinesdeFamilles oudesCampagnes. C'étaientdes
recueils de données anatomiques etphysiologiques accom-
pagnées de diagnostics et de remèdes empruntésparfois à
des ouvrages scientifiques, parfois à des publications de
matière médicale ou de phytothérapie, plus ou moins
sérieux, et mêmeà des remèdes de bonnefemme, d'origine
plus discutable encore. Ce sont ces documents qui nous
paraissent les plus proches de nos papyrus médicaux
égyptiens, à l'exception toutefois dupapyrus EdwinSmith.
Mais notre analyse ne serait tout àfait sûre que lejour où
nous parviendraient quelques exemples des rouleaux qui
étaient conservés dans la bibliothèque du temple de Ptah à
Memphis.
L'ouvrage du Pr Ghalioungui apporte donc à la fois
d'utiles sources d'information et desjugements nuancés qui
le recommandent à tous ceux qu'intéressent l'histoire de
l'art de guérir et celle de l'humanisme médical.
Montpellier, 1983.
FRANÇOISDAUMAS.
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INTRODUCTION

Cet ouvrage n'est pas une simple traduction de notre :


«House of Life. Magic and Medical Science in ancient
Egypt. »Condensé en partie, il a été élargi en d'autres par
de nouvelles notions et par un chapitre entier d'anatomie
pathologique.
Comme l'a dit Anatole France : «Sans doute les raisons
scientifiques de préférer un témoignage à un autre sont
parfois très fortes. Elles ne le sont jamais assez pour
l'emporter sur nos passions, nos préjugés, nos intérêts, ni
pour vaincre cette légèreté commune à tous les hommes
graves. En sorte que nous présentons constamment les
faits d'une manière intéressée ou frivole. »
L'auteur n'est pas égyptologue. Il s'en est remis, pour la
traduction des textes, aux spécialistes dont il a comparé les
interprétations. Son excuse est sa conviction que sa
connaissance de son pays et sa familiarité avec le folklore
régional peuvent contribuer à mieux comprendre les
anciens Egyptiens.
Mais il a été malheureusement impossible de remplir
une lacune inévitable qui tient à la difficulté de publier
toute l'iconographie qui justifie l'ouvrage. Nous référons
le lecteur intéressé aux publications spécialisées et à nos
deux ouvrages : «Health and Healing in Ancient Egypt »et
«The Physicians of Ancient Egypt ».
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Ce travail eût été impossible sans l'aide totale des


dirigeants du Service des antiquités égyptiennes et du
musée du Caire, des Inspecteurs provinciaux aux antiqui-
tés et surtout de l'érudite Dr Dia Abu Ghazi.
Aux regrettés Prs Ch. Kuentz et S. Sauneron, je dois des
conseils, des indications et des éclaircissements précieux.
Le Pr. F. Daumas a été un guide indulgent, un maître et un
ami merveilleux qui a considérablement élargi mon
horizon égyptologique et qui eut la patience admirable et
infinie de relire ce texte, de le critiquer et de lui consacrer
une préface.
Mes sincères remerciements, enfin, à Francis Mazière
qui, en accueillant mon livre dans sa collection, me
permet d'atteindre le public français.
P.G.
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Chapitre 1
DE LA MAGIE À LA MÉDECINE

J'ai desformulesqu'afaiteslemaîtreuniverselpour
écarterladouleurcauséeparundieuouunedéesse,
par un mort ou une morte, et qui est dans cette
mienne tête, dans ces miennes vertèbres, dans ces
miennesépaules, danscette miennechair, dansces
miensmembres,etpourchâtier leCalomniateur,le
chef
miendneecchair
euxquiet font
la mentrer
aladie dleandésordre
s ces midenasnsm
cette
em-
bres.. J'appartiens àRê.Il adit:«C'est moiqui le
protégerai contre ses ennemis. Cesera Thot son
guide,lui quifaitparler lesécritsetquiestl'auteur
durecueil (de formules)»(Eb. 1).

La dernière phrase de cette prière acquérait une force


d'incantation si le patient ajoutait : «C'est moi que le dieu
aime et il me gardera vivant! »Des prières pareilles à ce
texte sur lequel s'ouvre le papyrus Ebers ont longtemps
jeté sur la médecine pharaonique un soupçon de magie qui
commence à peine à se dissiper. Graduellement, comme
dans un bain révélateur, un triple visage deJanus apparaît
où magie, empirisme et théorie se détachent avec une
précision croissante.
Cependant, magie et médecine, qui en ce siècle
constituent deux disciplines distinctes, étaient souvent
entremêlées car, dit le papyrus Ebers (Eb. 3), «puissants
sont les mots sur les drogues et vice versa ».

Les bases de la magie


Que l'homme se soit imaginé un «microcosme » soli-
daire de l'univers ou «macrocosme », qu'il ait attribué à
tout cequi l'entourait une volonté propre ou qu'il ait déifié
les éléments, ses croyances ont été les inspiratrices de ses
pratiques thérapeutiques.
Elles peuvent se réduire à ceci :
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1. Lacroyance enl'existence d'une force immatérielle et


impersonnelle que le magicien peut asservir à ses fins. Si
elle est déjà fixée à un être, il peut la libérer par des rites
spéciaux, mais à condition de la fixer à nouveau sur un
nouvel objet.
2. La loi de participation qui énonce que tout se tient
dans l'univers et que le moindre changement dans une
partie provoque des réactions dans le tout.
3. Unelogiquequi conclut àl'identité oula solidarité par
la ressemblance de forme ou de nom ou par une allusion,
pour nous, tout aussi fortuite; qui admet que la ressem-
blanced'une plante àun organepar son nomousaforme lui
octroie la vertu de guérir cet organe; que les propriétés
mathématiques des nombres et des figures leur confèrent
desvertus correspondantes; queverser del'eau provoque la
pluie; que nouer une corde arrête le sang, la maladie, ou
l'acte sexuel; que sévir contre l'effigie d'une personne cause
àcelle-ci la mêmesouffrance; quel'on peut, par calembour,
agir sur un être àtravers son homonyme ou son nom écrit;
que l'union du prince ou du prêtre avec une femme ou une
courtisane sacrée peut assurer la prospérité dupays comme
la pluie féconde la terre.
Une autre conséquence qui découle de cette logique est
la loi d'homéopathie qui déclare que le semblable appelle le
semblable, qui affirme que deux événements qui se sont
suivis une fois se suivront forcément à l'avenir, que
l'anniversaire d'un malheur demeure toujours une date
funeste, qu'il y a des jours heureux et des jours malheu-
reux, etc. De longs fragments de ces calendriers sont
connus. Ils variaient probablement d'après les nomes, les
oracles et les temples, ce qui devait permettre de circon-
venir certaines interdictions en changeant l'oracle (Mon-
tet, 1946).
4. La loi de solidarité qui veut qu'un corps demeure à
jamais solidaire de tout fragment qui en a été tiré, de tout
objet qui l'a touché, même de l'ombre qu'il porte. D'où la
possibilité d'agir sur les êtres à travers une rognure
d'ongle, un vêtement utilisé, etc.
5. La conception primitive de la mort comme un long
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sommeil au cours duquel le décédé poursuivait sa vie


habituelle et pouvait remplir ses devoirs conjugaux,
comme Osiris qui, mort, eut commerce avec Isis et en
conçut Harpocrate (Horus enfant) (de Iside, 19), ou visiter
les vivants sous la forme de rêve ou de fantôme et
revendiquer de ses héritiers ses biens, ses femmes et tous
ses autres droits.

L'acte magique. La puissance des mots.


De ces idées naquit l'acte magique qui repose sur un
trépied : l'incantation, le rite et la personne du sorcier.
L'incantation est, de loin, la plus importante des trois.
C'est elle qui porte toute la puissance du culte. Elle est
constituée par l'ensemble de mots que doit prononcer
l'exorciste. Son efficacité réside dans sa forme et dans le
son et le rythme de ses mots, sans tenir compte de leur
sens, des intentions du récitant, ou de la personne du sujet.
D'où la nécessité d'en réciter fidèlement les termes sous
peine de l'entacher de nullité. Sa force, une fois lâchée, ne
peut plus être neutralisée; elle poursuit son cours inexo-
rable et, si elle n'atteint pas son but, elle se retourne
comme un boomerang contre son auteur même. C'est ce
qu exprime le dicton arabe : «Laparole est une pierre, une
fois lancée, rien ne l'arrête. » La force de la parole
imprègne les philosophies antiques et les traditions
ésotériques, où elle s'exprime par l'idée de «parole
créatrice », de «verbe primordial », ou par les croyances
grecques, hébraïques et chrétiennes relatives au logoset au
verbe (l'évangile selon saint Jean).
Dans la pensée philosophique égyptienne, le monde fut
créé par «ce que le cœur a pensé et que la langue a
commandé ». L'instrument de l'esprit est le mot parlé qui
donne à l'idée sa réalité matérielle (G., I, 41).
La force du mot est décuplée dans le nom. Les mots les
plus redoutables sont les nomspropres. Dire ou écrire un
nom, c'est créer l'objet nommé. Lexa (1925) précise :
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«Les Égyptiens, au lieu de postuler que toute chose a un


nom, supposaient que la chose qui n'a pas de nom n'existe
pas. Effacer le nom d'un mot c'était donc le supprimer,
empêcher son âme de s'y réincarner. Lemartelage du nom
de Hatchepsout ne fut pas l'œuvre d'un fanatique aveugle;
ce fut le résultat d'une volonté déterminée (Capart et coll.,
1921). Ceci peut aussi bien s'appliquer au cartouche et au
masque d'or de Smenkh-ka-Rê, à divers bas-reliefs d'Ak-
henaton, etc.
En revanche, chanter le nom d'un être, c'était «le faire
apparaître », le «faire sortir à la voix »: «Un nom
prononcé est utile dans le tombeau, c'est le nom qui donne
la vie et la répétition des noms des morts dans la bouche
des vivants, garantit leur survie »(p. Chester Beatty, IV).
La connaissance du nom octroyait le pouvoir sur la
personne nommée : «Je connais ton nom », dit un
papyrus, «ne connais-je pas ton nom? »
Les noms étaient cachés même aux dieux : «Formule
pour le dieu qui s'est créé lui-même, qui a des noms
multiples, dont les dieux ne connaissent ni celui-ci, ni
celui-là »(Tu. 1, 131). De même, Osiris à Dendérah se dit
«celui dont le nom est caché » (Daumas, 1957).
Dans une légende du papyrus magique de Turin, le dieu
Rê, dont le nom était caché pour qu'aucun pouvoir
magique ne pût s'exercer sur lui, est obligé de le dire à sa
fille Isis, qui déclare ne pouvoir l'aider que s'il lui dévoile
son vrai nom. Et la même scène se répète entre Horus et
son frère, mordu par un serpent.
Un nom chargé d'un potentiel magique particulière-
ment redoutable était celui de Tabithet, une femme
d'Horus. En effet, aussitôt après l'origine du monde, la
déesse, après avoir été déflorée par Horus, lui avait révélé
son vrai nom dont le seul énoncé avait duré trois ans.
Pendant ce temps le sang de la défloration continuait de
couler et, d'avoir été le seul témoin mortel qui eût jamais
entendu la redoutable et colossale confidence, cesang avait
acquis un pouvoir magique exceptionnel. Sa seule men-
tion déclenchait la puissance du nom sacro-saint que la
déesse avait dévoilé au seul Horus dans les circonstances
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les plus secrètes de son existence (Grdseloff, 1942).


Lapeur du nom n'était pas particulière aux Égyptiens. Il
était interdit auxjuifs de prononcer le nom de Dieu, nom
qui fut soigneusement caché à Abraham, à Isaac et à Jacob
et qui nefut révélé qu'à Moïse(Exode, 6, 3). Elle explique la
nécessité d'identifier par son nom la personne à exorciser
ou le démon à chasser : «Ouvrez vos bouches, 0 vaisseaux
d'un tel, fils d'un tel, fils d'une telle »(p. Leyde, 1, 345). Les
obstacles de l'autre monde ne pouvaient de même être
surmontés que si le défunt prononçait les «noms », après
quoi il franchissait les portes secrètes de l'enceinte des
seigneurs d'Éternité (stèle du British Museum, 797,I, 631).
L'importance du son des mots en lui-même explique
aussi l'obligation pour l'exorciste de reproduire fidèle-
ment les formules magiques, toute déviation étant sus-
ceptible de leur faire perdre leur vertu ou, même, de les
retourner contre l'officiant. Certaines de ces formules,
importées de l'étranger, devaient même être récitées dans
leur langue d'origine (Ley., 31-11, 4-6).
La force des formules ne liait pas seulement les objets
inanimés ou les simples mortels. Les dieux mêmes n'y
échappaient pas et devaient s'incliner devant ceux qui, les
connaissant, se présentaient au combat à armes égales.
Ainsi, c'était sa connaissance des rites et non pas ses
mérites qui ouvraient au pharaon Pepi les portes du ciel :
«Celui qui connaît ce chapitre de Rê et qui les fait, ces
formules magiques d'Horus, celui-là est comme Rê,
celui-là est l'ami d'Horus. »
Elles lui permettaient de menacer les dieux : «Tout
esprit, tout dieu qui étendra son bras contre Pepi... On ne
lui labourera pas la terre; on ne lui abattra pas d'offran-
des; il ne se rendra pas au souper à Héliopolis (Pyr. 978). »
La force de ces formules était indubitablement renfor-
cée par le charme incantatoire des mots désuets qu'elles
avaient conservé, de leurs formes archaïques, du rythme
qui les scandait et du jeu savant des assonances, des
parallélismes, des allitérations, des répétitions et des
longues énumérations qui les ponctuaient et qui, encore
aujourd 'hui, s'emparent de nos oreilles.
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La force du mot parlé se déployait aussi dans le mot


écrit. Un mot étant la chose qu'il représente, les hiéro-
glyphes «lion », «vipère », «homme»et plusieurs autres,
n'étaient souvent écrits qu'amputés ou poignardés afin de
les mettre hors d'état de nuire, et l'invocation écrite
exerçait le même effet que la formule orale.
Mieux, le mot était par homonymie toutes les choses
qu'il représente. Le calembour devenait ainsi un instru-
ment magique, comme dans la formule : «... des oignons
qui te détruisent »(Zaub. 2, 4) où lejeu de mots porte sur
les mots «oignons »et «détruisent ».
Demêmepour les nombres. Sans aller dans ce domaine
aussi loin que les cabalistes, les Égyptiens reconnaissaient
à certains chiffres des vertus mystiques. Ils soumettaient
volontiers l'administration des remèdes et la récitation
des formules aux lois des nombres magiques : 3, 4, 7et ils
croyaient que, de mêmeque le son et le rythme des mots
commandaient leurs pouvoirs, l'arrangement des mots et
des chiffres, la forme qu'on leur donnait sur la feuille
écrite leur octroyaient des vertus nouvelles.

Le rite
L'ensemble des gestes dont l'officiant accompagne ses
incantations constitue le rite. Ce n'est en général qu'un
renforcement des formules, mais il constitue parfois
l'essence mêmedu sortilège. Il est basé sur les mêmeslois
de mimétisme qui déterminent la vertu des mots magi-
ques; il doit être accompli avec la même méticuleuse
fidélité. Il implique alors que le sorcier peut transformer
le jeu scénique en réalité.
Mais, afin d'atteindre le sujet visé, le rite doit lui être
directement appliqué. Plusieurs subterfuges devaient per-
mettre d'éviter les écueils de l'action à distance et
«téléguider » le sortilège : la prononciation du nom,
l'usage d'un objet-véhicule ou l'application du rite à un
objetayant appartenu ausujet. Lapratique la plus efficace,
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toujours en faveur aujourd'hui, consistait à faire subir le


traitement que l'on voulait infliger à la victime, à une
poupée de cire ou d'argile. Ainsi, une incantation du
papyrus de Leyde (I, 348, 22, 6) devait être récitée quatre
fois sur un nain d'argile à placer sur le front de la
parturiente.
Le rite peut prendre plusieurs formes, depuis l'accom-
pagnement banal des formules jusqu'au jeu de scène
complet représentant les événements dont on souhaite
l'accomplissement.
Au cours de ces séances, différentes substances hallu-
cinogènes, chanvre indien, lotus (Embden, 1981),aidaient
à créer des extases ou des visions attribuées à des visites
divines. Ces drogues sacrées, dont la connaissance était
limitéeauxinitiés, étaient entourées dumêmesecret et des
mêmes rites que les séances de magie elles-mêmes.
Certaines, comme la mandragore, le demeurèrent jus-
qu'au MoyenAge.
Les sentiments les plus refoulés se frayaient alors leur
chemin avec violence, et ces rites acquirent dans leur
exécution une frénésie que l'on peut discerner dans la
violence de certaines incantations : «Arrière! Rête perce
la tête, il te balafre la face, il divise ta tête, il l'écrase dans
sa main, tes os sont brisés, tes membres sont mis en
pièces »(Budge, 1951).

L'amulette et le talisman
En raison de leur signification symbolique, certaines
matières ajoutaient au rite un appui matériel. C'étaient
surtout l'eau, l'huile, levin, les parfums et l'encens. Parmi
les objets douésdevertus particulières, une place dechoix
était réservée aux amulettes et aux talismans qui, d'ail-
leurs, pouvaient
formules verbales.être utilisés indépendamment de toutes
Les vertus des amulettes peuvent être intrinsèques,
déduites par analogie ou symbolisme de leur matière
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même. La patte d'antilope, animal agile s'il en fût, devait


assouplir les membres, etc. Néanmoins le talisman n'est
qu'un véhicule deforces créées par la magie. Commel'eau
que l'on versait sur la stèle de Djeb-Hor et que l'on
recueillait ensuite à des fins curatives, dont la vertu
dérivait des écritures qu'elle avait touchées.

Le magicien
La magie étant donc à la portée de quiconque savait les
rites capables de lier et de dénouer, il était essentiel de
choisir avec un soin extrême ceux à qui l'on remettait cet
arsenal redoutable. On les élisait dès leur naissance,
souvent même avant, soit par leur ascendance, soit sous
l'inspiration de rêves ou de phénomènes extraordinaires,
commel'astre qui apparut auxrois mages. Lesélus étaient
ensuite assujettis à d'innombrables tabous et menaient
souvent une vie à part.
L'isolement, l'entraînement spirituel et les restrictions
dont l'apprenti sorcier payait le pouvoir qu'on lui
accordait devaient aiguiser ses facultés psychiques et le
persuader, ainsi que son entourage, de sa nature et de ses
dons exceptionnels.
Mais il est aussi certain qu' il cachait jalousement une
science qui dépassait de loin celle de ses contemporains,
qu'il devait jouir d'une habileté politique, d'un sens
opportuniste et d'une finesse psychologique qui lui per-
mettaient de choisir les occasions d'agir, de devancer
certains phénomènes naturels,etdedeprévoir les saisons
ainsioàuses
les
fins naturelles des maladies faire croire
dons de prophétie.

Le rôle social de la magie


Le papyrus magique de Londres-Leyde, écrit trois
siècles ap. J.-C., prouvequelescroyancespersistaient alors
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aussi fortes qu'auparavant, malgré le christianisme.


D'après une vieille tradition égyptienne, le grand Aristote
lui-même aurait cru à la magie, à telle enseigne qu'il
aurait donné à son élève, Alexandre le Grand, un coffret
contenant des armes tordues, des javelots dont la pointe
était tournée vers le bas et des arcs aux cordes brisées qui
devaient, par la récitation de certaines formules, rendre
inoffensives les armes qu'on lui opposerait (Budge, 1896).
En fait, la magie a survécu parce que, ressortissant d'un
domaine étanche à la logique, elle a pu la côtoyer sans
l'exclure, comme, au dire de Dawson (1929, p. 59), les
premiers bateaux à vapeur avaient gardé leurs voiles.
D'ailleurs, n'a-t-elle pas donné à l'homme l'assurance qui
lui manquait, en le persuadant de son pouvoir sur la
nature et, par le truchement des tabous, imposé l'ordre
dans l'anarchie? Mais cejugement purement pragmatique
ignore les phénomènes dont la science actuelle ne peut
rendre compte mais qu'il serait vain pour cela de nier.
Certains de ces phénomènes qui paraissent doués de but et
de volonté sont aujourd'hui explorés par des moyens
objectifs et ils se révéleront unjour, n'en doutons pas, aussi
justiciables du calcul et de l'analyse que la lumière ou le son.

Médecines magiques et sacerdotales


«Il n'y a aucune force dans la vie de lh' omme
d'autrefois, dont l'influence pénètre toutes ses acti-
vités, autant que la faculté religieuse. Ses imagina-
tions lui expliquent le monde; ses peurs sont ses
maîtressesàtouteheure;sesespérances,sonMentor;
ses fêtes, son calendrier. Sesusages extérieurs four-
nissent, pour unegrande part, l'éducation et l'invi-
tation nécessaires à l'évolution des arts, de la
littérature et des sciences.. »(Breasted, 1959.)
Ressemblances et divergences. Dans la loi de Moïse, la
maladie frappe l'homme en punition d'une infraction à la
morale ou aux rites, comme la lèpre qui frappa Osias (II.
Chron. 26, 16 —21) et comme les sanctions dont étaient
punis ceux qui, sans être purs, consommaient une
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nourriture sacrée (Lév. 22 : 3). Pour le sorcier, en revan-


che, la maladie est le fait de forces occultes avec lesquelles
il peut se mesurer. Les médecines du prêtre et du sorcier
devraient donc être différentes, mais la distinction n'a
jamais été nette en Égypte, sauf peut-être chez quelques
esprits éclairés.
Il est, en fait, difficile de tracer la frontière qui sépare la
magie de la religion. Pour certains, la religion est le
dogme, la magie est le rite. Pour d'autres, la religion
sollicite les esprits bénéfiques, la magie ne s'adresse
qu'aux faux dieux. Mais aucune de ces distinctions n'est
satisfaisante. La première réduit à peu de chose la religion,
car un credo sans culte n'est plus qu'une simple opinion
philosophique, tandis que la seconde méconnaît l'éléva-
tion spirituelle de certains «païens ».
Reste la divergence entre leur conduite qui reste
peut-être la seule valable : la magie contraint les esprits
par ses sortilèges; la religion négocie la soumission aux
dieux. Or, la médecine égyptienne a mêlé les deux.
Lesprêtres. En Égypte, le clergé spécialisé dans les cures
thérapeutiques était principalement celui de la déesse
Sekhmet avec sa propre hiérarchie qui s'échelonnait
depuis le simple prêtre jusqu'aux «chefs des prêtres », dont
deux furent impliqués dans une conspiration contre
Ramsès III (de Buck, 1937) et au «chef des prêtres de toute
l'Egypte », comme Semtoutefnekht (Erman, 1893).
Nous ne savons pas si son clergé wabw recevait un
enseignement médical. Il est vraisemblable qu'il n'agit, au
début, qu'à titre d'intermédiaire entre le patient et la
déesse, mais que les prêtres ne tardèrent pas à acquérir
certaines connaissances scientifiques, de sorte qu'ils fini-
rent par pratiquer une médecine mixte. Ils furent même
comptés, en compagnie des médecins laïques parmi ceux
qui pouvaient prendre le pouls (S. 1. 6).
Cependant, certains d'entre eux portèrent des titres
médicaux à côté de leur qualité de prêtres de Sekhmet,
comme Wenen-Nefer (Mariette, 1889) prêtre de Sekhmet
et médecin inspecteur et Nedjemou, directeur des prêtres
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Le Pr Paul Ghalioungui est professeur de médecine au


Caire et égyplologue ; sur la magie et la science médicale
dans l'Égypte ancienne, il a publié, en anglais, plusieurs
ouvrages qui font autorité. Ici, allant plus loin, analysant
les papyrus dits "médicaux" et tous les documents icono-
graphiques connus, il présente le tableau le plus sûr de la
"médecine des pharaons".
Cequ'il nous apprend touche à tous les domaines : la chi-
rurgie, l'anesthésie, la gynécologie, l'obstétrique, la der-
matologie, l'ophtalmologie, les maladies artérielles, le
système digestif, le système nerveux, les désordres psy-
chiques, la pédiatrie, etc. Etencore aux instruments médi-
Enfin ààlalapharmacie,
caux, mort et à l'àembaumement...
l'hygiène, à la médecine vétérinaire.
Il fait vivre devant
nous le corps médical et recherche les influences que la
médecine égyptienne ancienne a exercées sur les mé-
decines hippocratique, arabe et indienne.
Richeen informations et en révélations, ce livre d'un grand
spécialiste jette sur toute une civilisation une lumière
neuve. Les médecins, en particulier, le liront avec passion.
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