Kant Anthropologie H20
Kant Anthropologie H20
Kant Anthropologie H20
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Le bilan de l’anthropologie pragmatique quant à la destination de l’homme et la
caractéristique de son développement est donc le suivant. L’homme est destiné par sa raison
à exister en société avec des hommes et à se cultiver, se civiliser, se moraliser, dans cette
société, par l’art et les sciences, si grand que puisse être (325) son penchant animal à
s’abandonner passivement aux séductions du confort et du bien-vivre qu’il appelle félicité :
bien plutôt est-il destiné à se rendre activement digne de l’humanité, en luttant contre les
obstacles dont l’accable la grossièreté de sa nature.
L’homme doit donc nécessairement être éduqué en vue du bien ; mais celui qui a le
devoir de l’éduquer est à son tour un homme qui est encore plongé dans la grossièreté de la
nature et doit pourtant produire ce dont lui-même a besoin. De là vient le constant écart de
l’être humain par rapport à sa destination, avec toujours des tentatives répétées pour y
revenir. Nous allons indiquer les difficultés inhérentes à la solution de ce problème et les
obstacles qu’elle rencontre.
A
La première destination physique de l’homme réside dans l’impulsion qu’il éprouve à
conserver sa race comme race animale.
B
L’impulsion qui conduit vers la science, considérée comme une culture qui ennoblit
l’humanité, est, dans toute l’espèce, hors de proportion avec la durée de la vie. Le savant,
quand il a avancé dans la culture au point d’en élargir lui-même le champ, est rappelé par la
mort, et c’est un disciple qui prend sa place et qui à son tour, peu avant la fin de sa vie, après
avoir fait lui aussi un pas supplémentaire, cède sa place (326) à un autre. Quelle masse de
connaissances, quelles découvertes de méthodes nouvelles seraient déjà depuis longtemps en
réserve si un Archimède, un Newton ou un Lavoisier, avec leur application et leur talent,
avaient reçu de la nature la faveur de vivre, sans amoindrissement de leur énergie vitale,
pendant un siècle supplémentaire? Mais le progrès de l’espèce dans le domaine scientifique
n’est jamais que fragmentaire (dans le temps) et n’offre aucune garantie contre le retour en
arrière dont il se trouve toujours menacé par la barbarie qui vient en interrompre le cours dans
les périodes de bouleversements politiques.
C
De même l’espèce semble-t-elle tout aussi peu atteindre son but du point de vue de la félicité
vers laquelle sa nature la pousse constamment à tendre, mais que la raison vient limiter à la
condition d’être digne du bonheur, c’est-à-dire à la condition de la moralité. […] »