Le Nombre Géométrique de Platon.

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Bulletin de l'Association

Guillaume Budé : Lettres


d'humanité

Le « Nombre géométrique » de Platon. Essai d'interprétation


Georges J. Kayas

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Kayas Georges J. Le « Nombre géométrique » de Platon. Essai d'interprétation. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé :
Lettres d'humanité, n°31, décembre 1972. pp. 431-468;

doi : https://doi.org/10.3406/bude.1972.3491

https://www.persee.fr/doc/bude_1247-6862_1972_num_31_4_3491

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Le « Nombre Géométrique » de Platon.

Essai d'interprétation

excessive
refaire
littérature
J'aiqu'elle
une
toujours
conception
— permît
l'immense
reculéd'en
si devant
claire
travail
raisonner.
dela de
ladifficulté
se

Paul Valéry.

Introduction

Après le grand nombre de travaux consacrés, depuis


l'antiquité à nos jours, à l'interprétation du Nombre géométrique,
dont Platon parle dans la République (546 B), ce problème
épineux ne semble pas avoir reçu une réponse satisfaisante.
Bien au contraire, il apparaît dans la littérature accumulée
(du moins à partir de la Renaissance) que cette recherche s'est
engagée (pour ne pas dire embourbée) dans une sorte d'impasse,
plus irritante que satisfaisante pour tout esprit épris de clarté
et préférant les explications rationnelles aux réalités
métaphysiques.
La tendance générale semble, en effet, s'orienter vers une
mystique des nombres qui n'a rien à envier aux premiers
pythagoriciens.
On peut en voir la cause dans le fait que Platon lui-même
pythagorise souvent, plus particulièrement dans ce passage
où il utilise un langage laconique et à première vue ésotérique,
voire surprenant dans son contexte.
Il n'est donc pas étonnant que Cicéron1 trouvait déjà ce
passage obscur, mais il serait probablement faux d'affirmer en
bloc qu'il en était de même au temps de Platon ; car s'il en
était effectivement ainsi pour tous ceux qui n'avaient pas une
bonne connaissance des théories pythagoriciennes de la Musique,
de la Géométrie, de l'Arithmétique et de la Théologie (théories
ésotériques et au-delà de la portée du commun des mortels),
Platon avait, dit-on, inscrit sur le portail de l'Académie
(l'authenticité de cette inscription nous importe peu ici 2) l'épigraphe
bien connue MyjSeiç àYeco^érprjToç elotra) ; ce qui laisse présumer
que dans cet établissement les problèmes les plus actuels et les

1. Cicéron, Lettres à Atticus, VII, 13.


2. H. D. Saffrey, Rev. Et. grecques, 81.67 (1968).
432 LE « NOMBRE GEOMETRIQUE )) DE PLATON

plus ardus étaient largement débattus et que l'enseignement


dispensé ne visait point à les escamoter, comme Platon1, en
passant, nous le laisse entendre.
qu'Victor
« une Cousin2
phrase écrite
était par
au fond
Platon
de et
cetcommentée
avis, quandpar
il affirmait
Aristote
est fort intelligible par elle-même, alors même qu'elle ne le
serait plus pour nous ».
Rien d'étonnant donc à ce que ce curieux problème ait
passionné les chercheurs de toutes les époques et ceux de la
nôtre en particulier.
Il serait fastidieux de retracer ici l'historique du sujet que
A. DiÈS 3 a reconduit jusqu'à Platon lui-même à quelques détails
près. La question à laquelle F. Hultsch, dans l'édition du
commentaire de Proclos à la République par Kroll4, avait
proposé une solution, a été relancée par le remarquable travail
de James Adam 5 en Angleterre, suivi de celui de A. G. Laird 6
en Amérique et, un peu plus tard, de celui de A. Diès en France.
J. Adam arrivait finalement à deux nombres :
a) 63 = 216 pour la période de la génération divine, qu'il
interprétait assez curieusement comme le temps de gestation
humaine, ce qui est déjà contradictoire en soi.
b) 604 = 12.960.000, nombre unique représentant les deux
harmonies dont il est question dans le texte de Platon et qu'il
identifie avec la Grande Année (= 36.000 ans, Méyaç 'Eviauroç),
solution que Sir Thomas Little Heath7 n'admettait pas,
tandis que G. Kafka8 l'acceptait dans l'abstrait.
De ces deux nombres A. Diès, dans un désir d'unification
(assez étrange par ailleurs), rejetait le premier pour ne garder
que le second, qui lui semblait rendre parfaitement clair tout
le passage en question.

1. Platon, Timée, p. 53 b et suiv. 'AXXà yàp hizzl [xs


toxiSeuchv ôSwv Si' cï>v èvSetxvuaGat, rà Xsyopieva àvàyxT),
2. Victor Cousin, Platon, Œuvres : X, 325 (1834).
3. A. Diès, Le Nombre géométrique de Platon ; Essai d'exégèse et
d'histoire. Paris, 1936. Ce travail contient une bibliographie quasi-complète
du sujet. L'interprétation donnée a été aussi adoptée par E. Chambry
dans son édition de la République. Paris, 1964 (éd. Les Belles Lettres),
ainsi que par A.-J. Festugière dans sa traduction du Commentaire de
Proclus à la République, Paris, 1970.
4. Proclus, Commentaire de la « République, » éd. G. Kroll. Vol. II, avec
un excursus par F. Hultsch.
5. James Adam, Plato's Republic. Oxford (1902) ; and The Nuptial
Number of Plato. London (1891).
6. A. G. Laird, Plato's Geometrical Number and the Commentary of
Proclos. Madison, Wisconsin (1918).
7. Thomas Little Heath, History of Greek Mathematics, vol. I, 306.
Oxford (1921).
8. G. Kafka, Philologus, 73.109 (1914).
essai d'interprétation 433

A. Ahlvers1 adoptait une attitude analogue en postulant


qu'un seul et même nombre était suffisant pour exprimer les
deux harmonies. Il signalait d'autre part très justement :
« Aber wir brauchen doch schwerlich zu fùrchten, dass wir wie
so viele frùhere Erklârer, die von der Richtigkeit ihrer Lôsung
ûberzeugt waren, in einem Irrtum befangen seien, wenn wir
der vor uns prâzisierten Diès'schen Lôsung gegenûber allen
frûheren den Vorzug einer bestechenden Folgerichtigkeit und
Einheitlichkeit zubilligen. » En se demandant ensuite si les
facteurs ne sont pas plus importants que le nombre lui-même
et essayant de rapprocher notre passage de la page 460 E de
la République, il arrive à la conclusion que la « Hochzeitszahl »
n'a rien à faire avec l'âge du mariage. Il est alors fatalement
conduit, pour la génération divine, au nombre de 12.960.000 jours
de l'année babylonienne, qui serait en même temps le Nombre
géométrique de la génération humaine par la manière suivant
laquelle il se décompose en facteurs.
Dans une attitude différente M. Dekinger2, en combinant
de différentes manières les facteurs 3, 4 et 5, mais rejetant
l'arrangement de Diès, comme étant de plus en plus difficile
à défendre, écrit : « Nous avons abouti au même nombre
12.960.000 que nous sommes réduits à contempler et qui doit
être le Nombre de Platon » et plus loin : « Nous pouvons nous
écrier : notre hypothèse est probable puisqu'elle réussit. »
Malheureusement on voit mal en quoi consiste cette réussite.
Dernier en date vient le travail de Frida von Ehrenfels3,
qui attribue au mot atfÇ-yjoxç une signification plus extensive :
« jedes nach einem bestimtem ê7u^6piov-Verhâltnis vorgenom-
mene Fortschreiten in einer Verhaltnisreihe ». Estimant ensuite
que la proportion à construire doit se baser sur les nombres 3
et 4 sans aucune relation déterminée (bestimmte Relation)
avec 5, elle établit la suite 27, 36, 58, 64 ; mais comme 64 n'est
pas divisible par 3, elle rend la suite mymâ.81 ou^uyEtcav et
suivant le procédé de Proclos4 arrive à la proportion
27 : 36 = 36 : 48 = 48 : 64.
Ensuite, utilisant les additions 27 + 48 = 75 et 36 + 64 =
100 et la multiplication par 100, elle rétablit le rapport correct
de la proportion 3:4.
Malheureusement cette analyse n'est pas (à notre sens)
poussée assez loin et la signification du nombre divin et du
nombre humain reste ainsi dans l'ombre. ;

1. A. Ahlvers, Zahl und Klang bei Plato : Noctes Rotnanae 6.38


(1952).
2. M. Dekinger, Rev. Et. grecques 65.38 (1955).
3. Frida von Ehrenfels, Zur Deutung der platonischen «
Hochzeitszahl » : Archiv Gesch. d. Philos. 44.240 (1962).
4. Voir la note 4 de la page 440.
434 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

Dans un important travail, R. S. Brumbaugh1, « working


rather informally, and using the notion « function of » as
meaning an integer resulting from arithmetical opérations or
summarising a geometiical construction with given éléments,
we shall see that it is possible to set up the passage as a set
of équations, and to examine the interprétations wich re-
present solutions of them », semble convaincu que 24300
« this is « the number » summarising dimensions of the final
géométrie figure, and this solution seems to follow quite
strictly from the passage out of context... ». Suivant cet
auteur, les deux harmonies seraient les deux faces d'un prisme
carré droit, à savoir la face carrée 3 x 3 = 9 et l'une des
quatre faces latérales de surface 3 X 9 X 100 = 2700. Ce
faisant, l'auteur commet l'erreur grave d'identifier « le
diamètre irrationnel de cinq » avec la racine carrée de ce même
nombre et « le diamètre rationnel de cinq » avec le nombre 2.
Prisonnier d'un structuralisme mathématique moderne
(fonctionnels, calcul matriciel...) l'auteur rejette la leçon èxarov
signalée dans les appareils critiques du texte, malgré
l'autorité de Proclos qui, à notre sens, est préférable aux leçons
de tous les manuscrits (ils sont tous bien postérieurs à
Proclos) ; il est alors conduit à une solution fausse à priori.
Le présent travail était terminé quand nous avons pris
connaissance de la contribution toute récente de M. Paiow2,
qui insiste plutôt sur le côté littéraire de la question, tout en
commettant des erreurs inadmissibles de traduction. Notre
allemand est certes scolaire, mais les traductions :

Verbindung = harmonie
et tov ÈTurpiToç... rpiç a.ùZ.rfitiç, = uni ein Drittel vermehrte
Wurzelzahl der Fiinf, die mit zwei Harmonien zusammengespannt,
gibt (von sich) dreimalige vermehrungen

nous semblent violenter fortement le texte, ainsi que


l'interprétation du « diamètre irrationnel de cinq » par s/^. Il nous
semble parfaitement clair que la diagonale (que Platon
appelle diamètre) d'un nombre ne peut pas être la racine carré
de ce nombre, mais la diagonale du carré ayant ce nombre
pour côté. Nous attendons néanmoins la seconde partie de
ce travail annoncé par l'auteur pour connaître son
interprétation.
Il ressort de cette rapide analyse que le mystère du nombre
platonicien reste entier et qu'une nouvelle tentative
d'interprétation n'est peut-être pas superflue.

1. R. S. Brumbaugh, Plato's Mathematical Imagination. Bloomington,


1954-
2. M. Paiow, Archive for History of Exact Sciences, 8. 1, 1971.
ESSAI D'INTERPRÉTATION 435

Mais avant cela il nous semble utile de placer le problème


dans son contexte, afin de suivre l'enchaînement de la pensée
platonicienne.

Le contexte platonicien et sa critique par Aristote

Après avoir défini1 la Cité parfaite et son gouvernement,


constitué par les meilleurs philosophes et les généraux
distingués dans les guerres, Platon passe en revue les différentes
formes de gouvernement (constitutions), dont il expose les
défauts (àjjLapT^fjLaxa), voire même les carences (voct^ézoctoc). Il
existe alors, poursuit-il, autant d'espèces d'hommes
(politiques) que de gouvernements, dont il faut bien étudier les
caractéristiques, si l'on veut découvrir celles de l'homme juste.
Vient ensuite l'étude en parallèle des différentes formes de
gouvernement et des hommes et du processus suivant lequel
une forme de gouvernement se transforme en une autre, quand
la révolte éclate parmi les gouvernants. Mais, avant de discuter
comment la discorde funeste se glisse parmi les gouvernants
et les magistrats et dresse les uns contre les autres les membres
du gouvernement ou, comme on dirait aujourd'hui 2, l'exécutif
contre le législatif, Platon change brusquement de ton et
s'adresse aux Muses non pas pour chanter la colère d'Achille
mais pour parler des méfaits de la discorde, cause de tant de
maux dans la Cité. C'est d'ailleurs le vieux Socrate qui parle ;
Comme toutes les choses périssables sont soumises à un
perpétuel changement, de même les gouvernements sont assujettis à
des transformations et finiront par se décomposer complètement
un jour, tout comme les animaux et les plantes, qui traversent des
périodes de fécondité et de stérilité, quand leur cycle se fermera.
Ainsi pour nos savants dirigeants, si habiles et expérimentés
qu'ils soient, un jour viendra où ils n'auront plus ni discernement
ni sagesse en ce qui concerne la période de la fécondité humaine,
qui leur échappera complètement, et ils donneront ainsi naissance
à des enfants au moment où il ne faudrait pas. Car

"Ecm Se 6eîtù f/,èv yevvTjTÛ 7cep(o$oç ^v àpi0fj.oç


àv8pco7re[itjj Se èv <î> 7rpa>T<i> aù^7)CTeiç Suvâ(xevat te xal
rpeïç à7ToaTaa£iç, TÉxrapaç Se ôpouç Xa6oûoai ô^oioûvtcov te xal àvofxoioûv-
rtov xal aô£6vTwv xal çÔivovtcùv 7câvxa 7cpoar)yopa xal p7]Ta 7rp6ç écXXyjXa
àTCécpirjvav, &v STrtTpiToç 7ru6[X7]v tzz\vkx8i ouÇuyslç Sûo àpjjiovtaç
xai Tplç aùÇyjôetç, tyjv fxèv ïcrrçv îaâxiç, éxarèv Tocjaurâxiç, tt)v
(ièv if), 7tpo[i.if]X7} Se, êxaràv [zèv àpiOfZwv omb Sta^érptov pYjiôJv 7re[X7ràSoç,
8eo(xévwv év6ç éxàoTtov, àpp^Tov Se Suoïv, éxa-rèv 8è xil6wv rpiàSoç.

1. Platon, République, VIII, début.


2. Platon n'utilise pas cette expression, mais elle est dans l'esprit du
texte.
436 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE )) DE PLATON

Eô[ZTuaç Se o5toç àpiGpiàç yscoptcrpixoç toioutou xûpioç, àfzeivovcov


xal /etpovwv yevéaecov, aç àyvorjaavTsç ôpûv oî cpùXaxeç cuvoi
oùS'
vuptcptoiç roxpà xaipov, oùx £Ù<pusïç sùruxeïç toxïSeç ecovtoci.
Les meilleurs, malgré leur incapacité, accéderont quand même
de père en fils au pouvoir. En sous-estimant alors, comme il n'est
pas permis de le faire, la Musique d'abord, la Gymnastique
ensuite, vos jeunes deviendront de plus en plus incultes (àixoucc-
Tepm) et avec des tels jeunes, il n'est pas possible de faire des
archontes gardiens de la Cité [546 a-dj.

On le voit, abstraction faite du passage en grec, cet exposé


n'a rien de mystérieux ou de particulièrement
incompréhensible. Il en résulte que celui-ci doit s'insérer dans le contexte
d'une façon assez naturelle.
D'après l'avertissement de Platon, s'adressant aux Muses,
on s'attendrait d'autre part à quelques strophes homériques,
mais il est bien clair que Platon s'adresse aux Muses de Pytha-
gore plutôt qu'à ceUes de l'Olympe. Son langage politique se
transforme brusquement en langage arithmo -géo métrique et en
mystique des nombres dans le plus pur style pythagoricien.
Si on n'est pas en état de comprendre parfaitement ce
langage, c'est tout d'abord parce que le vocabulaire utilisé est
beaucoup trop éloigné et moins élaboré que celui, plus courant,
des grands mathématiciens du 111e siècle et encore plus, cela
va sans dire, du nôtre. C'est ensuite parce que nous sommes
loin d'avoir une bonne connaissance des doctrines
pythagoriciennes, car le grand maître de Crotone ne nous a rien laissé par
écrit. Finalement notre connaissance du pythagorisme nous
vient de Platon lui-même, d'Aristote et des néopythagoriciens
et néoplatoniciens beaucoup plus tardifs, comme Théon de
Smyrne, Nicomaque, Plutarque, Jamblique, Proclos et d'autres.
Que Platon pythagorise à maints endroits de ses œuvres
n'est un secret pour personne ; nous n'accablerons pas le
lecteur par des preuves mille fois citées, car ce fait n'est pas à
établir, n'étant contesté par personne.
Pour nous arrêter un court instant sur la personnalité aussi
attachante que mystérieuse de Pythagore, dont, la légende
s'était emparé déjà de son vivant (n'avait -on pas vu en pleins
Jeux Olympiques qu'il avait une jambe d'or?)1, nous dirions,
avec Aristote2, si peu enclin au mysticisme :
Tou Àoyixou Çww to \ièv écm 0£oç, to S' âvQptùizoç, to 8' oîov
Hu0ay6paç.

1. Diels-Kranz, Fragmente der Vorsocratiker I.99 (1951).


2. Aristotelis Fragmenta selecta. Éd. W. D. Ross. Oxford (1964),
p. 132 : « Parmi les êtres doués de raison il y ad'abord dieu, puis l'homme,
puis une espèce intermédiaire comme Pythagore. »
essai d'interprétation 437

Sa renommée (dans le monde grec) fut si large et son prestige


si grand que, bien des siècles plus tard, Proclos1 nous le
présentera dans le panthéon grec en seconde place, après Thaïes,
où tout commence, comme celui qui a élevé la Géométrie de
l'état artisanal et utilitaire des arpenteurs de terrains en une
science libérale, indépendante de toute application pratique.
D'après la tradition aussi bien proche que lointaine, il serait le
premier philosophe à avoir tenté une interprétation
mathématique du monde2, en réduisant tous les phénomènes à des
nombres obéissant à certaines relations.
Philosophie ou science bien naïve, dirait-on, mais qui ne
s'inquiétait pas moins pour autant à construire un modèle
mathématique du monde, qui, poui être plus naïf et moins
élaboré que nos modèles actuels, ne représentait pas, il y a
vingt-six siècles, une vue moins grandiose que nos théories
actuelles les plus audacieuses. Y a-t-il aujourd'hui un
mathématicien ou un théoricien ou expérimentateur de la Physique qui
ne soit pas convaincu que la nature est parfaitement descrip-
tible à l'aide d'un modèle mathématique, qui reste, hélas, à
découvrir?
Avait-il commencé ses réflexions par la musique, dont il
a donné une théorie mathématique plus harmonieuse peut-
être, plus maniable certainement, qu'un sentiment acoustique
vague et indéfinissable, ou bien par la géométrie, dont il avait
embrassé l'espace infini, continu, homogène et isotrope, qu'il
a doué d'une métrique aujourd'hui nommée euclidienne, ou
bien encore par ses considérations sur les nombres, qui
embrassaient tout et reliaient les phénomènes les plus divers par des
relations quasi-magiques? Peu importe ici ; ce qui est certain
c'est que toute découverte de l'école de Crotone de quelque
nature que ce soit lui était atribuée d'office (ocûtoç sça) 3.
Quoi d'étonnant alors que la sensibilité de Platon se soit
laissée séduire par ces vues audacieuses et sans précédant dans
l'histoire de la pensée grecque, et où mieux chercher les échos
de ce pythagorisme en voie de disparition que chez Platon
lui-même ?
Pour revenir à notre sujet nous nous permettrons encore une
petite digression pour rappeler une critique du passage résumé
de la République par Aristote4, qui incidemment ne manque
pas d'actualité.
La discussion de Socrate dans la République au sujet du
changement des gouvernements n'est pas très bonne, car elle n'explique

1. Proclos, Commentaire au Ier livre des « Éléments » d'Euclide, éd.


Friedlein.
2. Proclos, Hypotypose, éd. Manitius, p. 18, 2.
3. Dicton de l'époque de Pythagore toujours en usage.
4. Aristote, Politique, 1316. Nous traduisons librement.
438 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

particulièrement pas comment se transformera sa république


parfaite qu'il considère en premier lieu. Il dit, en effet, que cette
transformation s'opère du simple fait que rien ne reste au repos
mais tout change au bout d'une certaine période et qu'à l'origine
de ces changements ce sont les nombres du rapport épitrite, qui
conjugués à 5 fournissent deux harmonies, en sous-entendant par
là que, quand le nombre qui traduit le diagramme correspondant
devient solide, la nature engendre des êtres pervers (çocûXouç) et
inaptes à l'éducation. Or, si cet argument n'était pas fallacieux...
(Puisqu'il est concevable que quelques uns de ces hommes ne
pourraient jamais devenir éminents par l'éducation) on pourait se
demander quel serait donc ce changement particulier de
gouvernement, que Socrate appelle le meilleur, qui ne s'appliquerait pas à
toutes les autres formes de gouvernement ou à toutes les choses
périssables.
Et dans la période du temps dans laquelle, comme il le dit,
s'effectuent toutes ces transformations, est-ce que les choses non
engendrées simultanément se transformeraient-elles
simultanément? Par exemple une chose engendrée la veille du tournant
(Tpo7nj) serait-elle transformée simultanément (avec la chose
engendrée antérieurement) ? En outre pour quelle raison cette forme
particulière de gouvernement se transformerait-elle en celle du
gouvernement de Sparte, par exemple? Car, d'habitude, un
gouvernement se transforme en son contraire plutôt qu'en son
semblable ; et cet argument est aussi valable pour toutes les autres
transformations.
Il prétend de plus que la forme de gouvernement à la Spartiate
se transformera en oligarchie, celle-ci en démocratie et cette
dernière en tyrannie ; néanmoins les transformations inverses sont
tout aussi bien possibles...
Par ailleurs, quant à la tyrannie, il ne nous dit pas si oui ou
non elle sera elle-même transformée, ni par quelle cause, ni vers
quelle forme ; et pour cause, car la chose étant indéterminée,
suivant sa logique il faudrait revenir vers la première et meilleure
forme, puisque c'est seulement de cette façon que la transformation
serait continue et cyclique. Or une tyrannie peut très bien évoluer
vers une autre aussi bien qu'en oligarchie, en démocratie ou en
aristocratie. . .
Il serait donc absurde d'admettre qu'elle évoluera de préférence
vers l'oligarchie pour la seule raison que les archontes seraient
devenus avares et exploiteurs (capitalistes) et non pas parce que
les gens exagérément riches ne voudraient pas que les pauvres
participent sur un pied d'égalité aux affaires de la Cité. En effet en
plusieurs oligarchies il est difficile de s'enrichir, car il y a des lois,
qui s'y opposent, mais en Carthage démocratique ils s'enrichissent,
sans avoir encore changé de constitution pour autant.
De surcroix il est également absurde de prétendre qu'il existe
deux cités oligarchiques, une pour les riches et une pour les pauvres ;
car qu'arriverait-il dans une telle cité de plus qu'à Sparte ou à
n'importe quelle autre, où les gens n'ont pas des fortunes égales,
ou ne sont pas également vaillants que les Spartiates?
Ainsi donc sans que personne ne devienne plus pauvre
qu'auparavant on passe malgré tout de l'oligarchie à la démocratie, quand
les pauvres sont en majorité et réciproquement de la démocratie
à l'oligarchie si la classe des gens aisés est plus forte et si les
essai d'interprétation 439
pauvres négligent les affaires de la Cité, tandis que les riches s'en
occupent.
Les causes de ces changements étant multiples Socrate n'en
mentionne qu'une seule, à savoir que tous étant dans la majorité
riches au départ, ils deviendraient tout d'un coup pauvres par
prodigalité ou bien en se laissant exploiter, ce qui est faux.

On le voit, Aristote, qu'on a souvent critiqué de n'avoir jamais


rien compris à Platon (ce dernier l'avait surnommé le cerveau de
VAcadémie) , ne va pas par quatre chemins pour combattre la fausse
société platonicienne ; mais ce qui importeici, c'est ce quinous
rapporte relativement à notre passage et on ne retire pas du tout
l'impression qu'il n'y ait rien compris ; tout au contraire il semble
considérer le problème comme trivial et ne nécessitant pas des
plus amples explications. Avec son style télégraphique il nous
laisse, il est vrai, sur notre faim, parce que justement il poursuit
d'autres fins ; ce n'est pas un commentateur mais un critique
impitoyable de Platon. Il indique néanmoins que notre passage
implique une figure (Siàypafi^a) géométrique, à partir de laquelle il
faut construire un nombre solide. C'est tout de même un élément
à ne pas négliger.

MÉTHODE D'APPROCHE

Une première lecture du texte suffit déjà pour nous convaincre


que le contenu de notre passage est purement mathématique
et aussi bien la critique d 'Aristote que le commentaire de
Proclos abondent en ce sens. Il s'agit donc de chercher une inter-
piétation mathématique satisfaisante et libre de contradictions,
qui s'incorpore d'une façon naturelle dans le contexte, sans
rupture de la continuité. De plus, cette interprétation ne doit pas
faire intervenir des notions mathématiques postérieures, mais
se limiter strictement à la mathématique pythagoricienne,
compte tenu, bien entendu, des progrès réalisés depuis Pytha-
gore tant par l'école pythagoricienne elle-même que par les
cercles de l'Académie. L'histoire des mathématiques de cette
période nous est malheureusement très mal connue, faute de
documents écrits (à part quelques courts fragments) ; force
nous est donc de nous adresser aux auteurs postérieurs,
néopythagoriciens et néoplatoniciens, tels que Théon de Smyrne,
Nicomaque de Gérasa, Plutarque, Chalcidius, Jamblique ou
Proclos. La difficulté ne vient alors plus tant du manque des
documents mais du filtrage indispensable pour ne pas attribuer
à Platon des notions mathématiques qu'il ne possédait pas,
étant donné que (contrairement à une opinion bien répandue)
il n'était pas spécialement mathématicien ; nous ne
connaissons, en effet, aucun ouvrage de ce genre pouvant lui être
attribué. Tous les commentateurs étant bien postérieurs au
440 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

grand siècle alexandrin (IIIe), il importe donc de ne pas


confondre dans leurs commentateurs ce qui vient après avec ce qui
vient avant ou pendant Platon.
Il nous faudra donc exploiter au mieux les renseignements
fournis par Platon lui-même, sans pour autant exclure ces
commentateurs, qui sont tous d'une compétence
mathématique et philosophique incontestable.
Ces considérations nous dictent alors presque
obligatoirement le chemin à suivre :
Dans un premier stade nous analyserons presque mot à mot
le texte de manière à le rendre intelligible et libre de toute
contradiction interne. Nous tenterons par la suite une analyse
mathématique du problème en nous inspirant du
commentaire de Proclos, dont la compétence nous semble indiscutable,
malgré la contestation dont il a été l'objet par des gens moins
qualifiés que lui1.
Nous donnerons ensuite une interprétation géométrique des
nombres et des proportions impliquées par le texte à l'aide
d'un modèle dynamique, qui, nous l'espérons, traduit d'une
manière satisfaisante les vues platoniciennes. Dans un stade
subséquent nous tenterons une interprétation statistique du
Nombre Géométrique de Platon dans l'optique précédente,
que l'on confrontera aux conceptions de la médecine actuelle
sur la question. Le chapitre suivant sera consacré à la critique
des travaux antérieurs et à l'autocritique du présent travail.
Enfin, en guise de conclusion, nous présenterons notre
traduction du passage en grec, conformément à l'interprétation
adoptée ici, en ajoutant entre parenthèses le ou les mots qu'il
nous semble nécessaire d'intercaler pour l'intelligence du texte.

Analyse du texte

a) "Ecm Se Qdcp... lèksioç : Cette première phrase ne


présente pas des difficultés particulières. Comme Plutarque2 et
Proclos3 l'ont bien vu, la créature divine n'est autre que le
monde, en tant que créature corporelle, douée de vie et
susceptible de génération et de destruction incessante.
Pour le nombre parfait*, la plupart des auteurs antérieurs

1. Par exemple P. Tannery, La géométrie grecque. D. Lacombe,


Thaïes 4.37 (1949-1950), en note.
2. Plutarque, La création de l'âme dans le « Timée », 1017 c : oùx écXXo
xocXwv 6eïov Yevv7î^ov ^ T^v x6afzov.
3. Proclos, op. cit., p. 14 et 30 (' Afii>aoç) .
4. Malgré Proclos, p. 14, qui pense qu'il n'est pas nécessaire de
chercher de quel nombre particulier il s'agit ; malgré aussi le fait que le
nombre parfait par excellence était la tetractys (10= 1+2 +3 + 4)
(Philon, Sacrifices d'Abel et Caïn, V, 136). Les nombres parfaits sui-
ESSAI D'INTERPRÉTATION 441

ainsi que nous-mêmes, dans un premier stade1, ont adopté


le nombre 6 dans la signification mathématique du terme
(égal à la somme de ses diviseurs) 2 :
6 = 1 + 2 + 3 = 2. 3
qui est aussi le produit (mariage pythagoricien) du premier
nombre pair par le premier nombre impair (si l'on adopte
le point de vue que l'unité n'était pas considérée comme
nombre mais comme origine et principe générateur des nombres) .
Cette interprétation ne nous satisfait pas entièrement. En
effet, cette définition du nombre parfait, que l'on rencontre
pour la première fois chez Euclide, ne nous semble pas
connue ni de Platon ni d'Aristote. Elle est certes très simple et
facile à découvrir et il n'est pas du tout impossible qu'elle
fût connue des pythagoriciens, mais le critère de simplicité
ne nous semble pas suffisant en l'occurrence. Pour poser une
telle définition la simplicité du terme à définir n'est pas
suffisante ; encore faut -il être en possession de la méthode qui
sert à découvrir les objets englobés par la définition, mais
cette méthode ne se trouve que dans Euclide3, auquel par
conséquent on doit l'attribuer. Pour Platon en particulier
la seule chose que l'on puisse affirmer c'est que la définition
ne se trouve pas dans ses œuvres existantes et la seule fois
où il avait l'occasion d'en parler4 il ne mentionne que la
commutativité de la multiplication (2x3=3x2 = 6)
et le fait que 6, 2x3, 3x2, 4 + 2 et 3+2 + 1 expriment
bien la même chose ; il n'est pas question du nombre parfait.
De même, sa référence5 au nombre 28 ne concerne que le
nombre de Gérontes, sans plus. Quant à Aristote, il ne
connaît comme nombre parfait que le nombre 10 6, c'est-à-dire
la petite tetractys (la grande étant représentée par le nombre
36). Théon de Smyrne fait effectivement état de cette
propriété du nombre 6, mais il s'empresse d'ajouter7 que les
pythagoriciens appelaient parfait, et cela pour une toute autre
raison, le nombre 10 ; il s'en explique plus loin8 : « L'Univers,
composé de ces onze tetractys, serait parfait, parce que
harmonisé selon la géométrie, la musique et le nombre et (de

vants sont 28, 496, 8128... mais il n'y a pas de raison spéciale de les
faire intervenir ici.
1. F. I. KAFIA, IlapvaCTCToç, 14. 1, 1972.
2. Euclide, Élément, VI, Déf. 23. — Nicomaque, Introd. Arithm.,
p. 39, ip.
3. Élément, IX, Proposition 36. — Nicomaque, Introd. Arithm.,
p. 40, 23 ss.
4. Théétète 204 b, Critias 11 6a donne aussi 6 = 2X3.
5. Lois 692 a.
6. Aristote, 910 b 32, 968 a 8, 990 a 23...
7. Théon de Smyrne, p. 46, 12.
8. P. 97 ss.
Bulletin Budê 29
442 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

ce fait?) contiendrait potentiellement toutes les natures du


nombre, aussi bien simple que composé, et d'autre part (il
serait aussi parfait) parce qu'il contiendrait toutes ses
parties ( ! !), sans faire lui-même partie de quoi que ce soit. » De
son côté Jamblique1, parlant de Speusippe, premier diadogue
de Platon à l'Académie, grand admirateur des doctrines
pythagoriciennes et surtout des écrits de Philolaos, dit que
celui-ci avait écrit un charmant (yXa<pup6v) ouvrage sur Les
nombres pythagoriciens dont la deuxième moitié traitait de
la décade et cite textuellement : « En effet 10 est un nombre
parfait et c'est avec raison et tout naturellement que nous
les Grecs et tous les hommes en général arrivent à ce nombre
de quelque façon qu'ils comptent et en ne faisant aucun effort
particulier pour cela. Car (ce nombre) possède beaucoup de
propriétés particulières, comme il se doit pour un nombre
parfait, et beaucoup d'autres propriétés, qui sans lui être
particulières sont nécessaires pour sa perfection... »
On aurait pu s'attendre à trouver plus de précisions chez
Proclos, mais malheureusement il n'en est rien. Dans son
commentaire de notre passage Procrus pense2, à tort, qu'il
n'est pas nécessaire de chercher de quel nombre particulier
il s'agit ici. De même, dans son commentaire sur le Timée 3,
« il tourne autour du pot » en déclarant tout d'abord (13 a),
qu'il ne nous reste plus qu'à savoir quel est ce nombre, qui
exprime le rotation de la sphère des étoiles fixes pour la
connaissance du jour et de la nuit, puis en coupant court par
une phrase déconcertante : eh, bien, ce nombre n'est ni
intelligible ni pensable, mais seulement 8o£acmx6ç (=
conjectural?), il enchaîne ainsi4 : « II est clair de ce qui précède de
quel nombre parfait il s'agit, comment il est construit et
quelle perfection il communique à l'univers. Il faut néanmoins
ajouter à ce que l'on vient de dire que ce nombre parfait il
faut bien le différencier de celui de la République, qui embrasse
la période de l'ensemble de l'Être divinement engendré, car
il est plus partiel et il ne boucle que les périodes des huit
planètes seulement. » Et Proclus ne semble pas voir une
contradiction quelconque avec ce qu'il avait dit une page
auparavant : « II ne faut pas considérer (ce nombre) SoÇaaTixûç,
en accumulant des myriades sur des myriades ( ! !), comme le
font certains qui cherchent le plus petit multiple commun... »
C'est un comble, et nous regrettons sincèrement de contredire
à ce point le brillant scholarque de la nouvelle Académie, qui

1. Jamblique, Théol. Arithm., p. 82, 10 ss., ainsi que Diels-Kranz


Fr. Vors., I, 400, 22, et Nicomaque, Introd. Arithm., p. 122, 18.
2. Commentaire à la République, p. 14.
3. Commentaire au Timée (Éd. E. Diehl), III, 85, 22; 301, 30; 57,
16. II, 290, 14.
4. III, 92 ss.
essai d'interprétation 443

fut certainement l'interprète le plus profond de Platon


malgré ses opinions personnelles et parfois byzantines. Pourtant
la décade est « cosmique » (13 b).
Ajoutons encore, en ce qui concerne la notion des nombres
parfaits, que ni le problème de l'Anthologie palatine1 ni la
référence d'Athénée2 au nombre 28 (deuxième nombre
parfait) n'ont une relation explicite quelconque avec cette
propriété mathématique.
De même, la note de A. E. Taylor3 n'est pas plus
convaincante que celle de F. Mac Donald Cornford4, ou celle plus
récente de Ivor Thomas5, pas plus que les considérations
étymologiques de ce dernier autour du mot SuvacTevofzevou.
Il est clair, pensons-nous, après ces développements un peu
longs, que toute interprétation du nombre parfait par le
nombre 6 se heurte à des difficultés insurmontables et doit
être abandonnée, dans le sens qui deviendra clair par la suite.
Il devient en effet transparent que Platon fait allusion à la
tétractys (7cavTéXet,a, Kôa^oç, Oôpavoç, tocv, atcov...), c'est-à-dire
au nombre 10 (= 1 + 2 + 3 X 4), qui est aussi la « période
convenable » du Politique6 et du Tintée^, « nombre parfait
de temps, expression arithmétique (xax5 àpi0[ièv îouoa) de
l'image fluide de l'Éternité persistante ([lévouaaj que le
mouvement du Ciel a pour conséquence (ouvaTCpYàÇeToc!.) 8 ». Nous
disons donc le nombre 10 en tant que Nombre-Idée et dans
sa pleine signification symbolique que Pythagore lui a assigné.
On comprend alors mieux pourquoi Platon utilise la
périphrase t}v apiQy.bc, TOpiXa^dcvei réXeioç. Il ne s'agit pas du
nombre 10 lui-même, mais bien des nombres 2 et 3 qui sont
compris (ainsi que leur produit 2 X 3) ou plutôt renfermés
à l'intérieur de la tétractys par les termes extrêmes de celle-ci,
1 et 4.
Ainsi ce nombre est le nombre 6, produit par le mariage
par multiplication de 2 par 3, qui, eux, sont contenus
(enfermés, embrassés, compris, délimités...) dans le nombre
parfait 10 9.

1. Anthologie palatine, XIV, 1.


2. Athénée, Deipnosophistes , I, 4 e.
3. A. E. Taylor, A Commentary on Plato's Timaeus. Oxford, 1928,
P- 142, n. 3.
4. F. M. Cornford, The Republic of Plato. Oxford, 1944, p. 263, n. 3.
5. Ivor Thomas, Greek Mathem. works. Cambridge, Mass.-London,
I957. I» 398 notes a, b et c.
6. 269 d.
7- 39 d-
8. Cf. aussi Sextus Empiricus, Aux mathématiciens (Ed. Bekker,
p. 721.
9. Jamblique, Theolog. arithm., p. 46 : (ô xû[3oç) xatà tov ££, çocvtocÇs-
Tca... CTuyxs<paXatco(jia ûmicpxsi xû^ou ajj.a xal xwv xoct' èvépystav sxaxépcov
444 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

En se reportant alors au Tintée1, on trouve le fameux


Çœov êv 6pa-c6v de la création platonicienne ainsi que les quatre
éléments Feu, Eau, Air et Terre, dont le démiurge s'est servi
pour la création. Le seul de ces éléments qui nous intéresse
ici, est l'élément Terre, représenté par le cube (troisième corps
platonicien), soit le cube d'arête 6 et de volume V = 63 =
216 unités de volume. C'est le solide le plus harmonieux, nous dit
Proclos2, avec ses 6 faces, ses 8 sommets et ses 12 arêtes,
nombres qui satisfont à la proportion harmonique3 :

—hr = - avec a = 6, b = 12, c = 8


abc)
c étant le moyen harmonique entre a et b.
Quant au nombre 216, on sait qu'il représentait entre autres
le nombre des métempsycoses de l'âme de Pythagore, comme
nous le relate Jamblique, qui tire son renseignement d'Eubou-
lide, d'Aristoxène, d'Hippobote et de Cléanthe4.
Ainsi cette phrase exprimerait la période des créatures divines
(Terre, Soleil...), qui serait régie par le nombre parfait 6, c'est-
à-dire par 63 = 216.
Il se pose alors la question importante : comment faut-il
entendre ce nombre, ou, ce qui revient au même, en quelle
unité faut -il l'exprimer5?
De toute évidence il ne s'agit pas d'un nombre abstrait, mais
d'une période de temps qui doit exprimer un certain cycle,
celui des créatures divines.
Il nous faut donc chercher quel multiple entier de 216,
appelons le k, est susceptible de représenter une telle période T.
En d'autres termes il s'agit de déterminer k de manière que T
dans l'équation
2i6.k = T
soit un cycle connu.

tou 1 xod tou 8 xocl tou 27 ô 36 (= i3 + 23 + 33). De même p. 47 : xocxà


é£à8a ô TÎjç ^i>XÎjç xuPi<Jfi,6ç, ainsi que Plutarque, Sur l'E de Delphes,
388, et Théon de Smyrne, Connaissances mathématiques utiles à la
lecture de Platon, éd. Hiller, p. 102.
1. Platon, Timée, 31 b.
2. Proclos, Commentaire de la « République », p. 114 ô xûfioç àppiovia,
p. 135 : yscopLexpiXTjv Se àpfzoviav çaaiv tov xûfîov âizb tou xaxà ià xpia
SiacrrrjfxaTa 7)pfjt.6a0oa îaàxiç ïaa Laaxiç ' Iv yàp toxvtI xûp<o ■rçSs i) [xsnô-
TTjç évo7iTp[^£Tat,, 7iXeupal jjlèv yàp toxvtoç xô(3ou 12, ycoviai 8è 8, érctaeSa
Se 6. Mectottjç #pa 0^8 tcov 6 xal t&v 12 xaxà tt)V àp[xovixy)V...
3. La proportion harmonique s'écrivait (en notation moderne) c =
2ab /(a + b) ou encore c-a = a(b-c) /b.
4. Jamblique, Théolog. arith., p. 52.
5. Le nombre 63 = 216 est aussi le moyen entre 64 (= 43 = 82) et
729 (= g3 = 272), qui, étant en même temps carrés et cubiques
vérifient la proportion 43 : 63 : : 63 : 93, qui exprimait l'harmonie de l'âme :
Jamblique, op. cit., p. 47 (ô -njç ^yy\Z xu(3iafz6ç).
essai d'interprétation 445

Or, dans l'antiquité grecque (disons de Thaïes à Platon) il


existait une grande variété de tels cycles, tous appelés Grande
Année, et sur lesquels les anciens commentateurs et les
traducteurs d'ouvrages grecs ont longuement épilogue, pour qu'on
puisse se dispenser de dresser ici une liste exhaustive. Ainsi
Démocrite1 avait, semble-t-il, écrit un ouvrage intitulé Méyaç
'Eviamroç 7^ ' Aaxpovo^T) dans lequel il était question d'un cycle
de 82 années solaires; Œnopide (d'autres disent Philolaos)2,
qui avait découvert l'oblicité de l'écliptique3 (découverte
qu'Aetius attribue à Pythagore), aurait parlé, selon Eudème,
d'un cycle de 59 ans (Treptexaoiç tou {jteyàXoi) èviauTou) qui
représenterait le temps de retour des sept planètes au même point
du ciel, appelé La Tête du Monde (KsçaX-rç xoû K6ofxou). Il y
avait aussi, entre autres, la Grande Année de 18.000 ans d'Hé-
raclite4 (Censorinus6 a transcrit 10.800 pour ce too 6soô èviau-
t6ç), celle de 19 ans de Méton, etc.
Par tâtonnements on peut alors retenir en premier lieu dans
cette variété de nombres la Grande Année d'Heraclite qui,
exprimée en jours, se présente sous la forme :
2i6.k = 18000.360 = 2i6.io4.3
d'où k = 3. io4.
Or io4 = 10.000 est le cycle bien connu des âmes des à86Xcoç
cpiXoaocptcàvToov ; il n'est donc pas surprenant que Platon le fasse
intervenir ici. De plus il dérive de la très célèbre tétractys de
Pythagore (10 =1 + 2 + 3 + 4), <3ui était le nombre
parfait par excellence et le pythmen de toutes les puissances de 10.
D'autre part la multiplication par 3 n'est pas moins habituelle
à Platon6.
Il est de plus étonnant de constater qu'avec le cycle d'Œno-
pide (Pythagore) on obtient aussi un résultat tout à fait analogue
et plus satisfaisant :
59 »365 = 216 . 100 (approximativement),
100 étant cette fois-ci la durée de la vie humaine de la
République (615 a).
Il est bien évident qu'il y a mille façons de torturer les
nombres pour leur faire dire ce que l'on veut bien qu'ils disent
et tel nous semble bien être le cas avec la grande année d'Hé-
raclite ci-dessus, qui laisse l'impression d'être tirée par les
cheveux.

1. Diels-Kranz, II, 91 (1952).


2. Id., I, 394 (I951)-
3. Diels-Kranz, I, 78 (1951).
4. DlOGÈNE LaËRCE, IX, 8.
5. Censorinus : De die natali, XVIII, 10.
6. Platon, Phèdre, 248 c.
446 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

Par contre, le cycle de Philolaos-Œnopide-Pythagore nous


semble mieux convenir au texte. Bien entendu, il serait fort
étonnant que Platon se soit permis une telle liberté pour la
période de l'Être divinement engendré, et cela nous amène
à formuler deux remarques :
a) Platon ne fait aucune approximation en utilisant la
périphrase dont il a été question plus haut.
b) En nous attachant à l'approximation de 216 vies
humaines nous n'avons pas le sentiment de violer notre texte.
En effet, dans un cas pareil, nous pensons avoir le droit de
nous retrancher derrière les Lois x, où Platon précise que «
chercher à tout exprimer avec précision n'est ni facile ni même
toujours possible ».
Ajoutons enfin que tout autre cycle de temps (Démocrite...)
conduit à des interprétations compliquées et peu cohérentes.
Il serait par contre dangereux et incorrect de vouloir
rattacher le nombre en question au phénomène de précession des
équinoxes (25.700 ans environ), pressenti peut-être par
Heraclite, mais découvert bien plus tard par Hipparque selon le
témoignage incontestable de Claude Ptolémée2.
b) àv9pco7rs£<p Se... 8uva<TTsu6fj.evoa : Après Se nous pensons
qu'il faut intercaler le mot àpiQ[iàq comme sous-entendu.
Le mot a&Ç-rçaiç ou au^vj dans le vocabulaire mathématique
de Platon 3 signifie distance ou dimension ou encore extension en
longueur, car la première auÇvj est la longueur, la deuxième la
largeur et la troisième la profondeur ou la hauteur, les trois
dimensions de la géométrie euclidienne.
Aûva^iç est le carré ou deuxième puissance d'une longueur
rectiligne (segment), car le côté (d'un triangle par exemple)
est capable d'un carré et Suvà^evoç est celui qui est capable d'un
carré4. Mais ici le côté est en même temps Suvacrreué^svov ou,
comme disent les mathématiciens, obéit (est soumis) à
certaines conditions ou contraintes. En effet, dans le cas d'un
triangle les deux côtés sont contraints par le troisième de

1. 818 a. Ai' àxpi(3eiocç 8k Çtjtsïv 7ràvxa ours pdcStov ouxe xo TOXpà-


toxv 8uvoct6v ; 987 e. XocXercàv toxvtoc rà xoiaura àvajjtcpKT^TTjTtoç IÇsupi-
axetv.
2. Proclos, Hypotypose, p. 136 : ô Se Gaufzâcrioç Uiokz\Lciïoc, o'ierai
TrpoaTraSeixGrjvoa to xal ttjv à7tAav7J açaïpav xiveïaôai...
Platon, Épinomis, 990 d : roùç Tplç Tjû^rjfjtivouç xal -rf) arepsqc
çi ô[iofouç... Cf. aussi Jamblique (Théol. arithm., p. 51) à 35
ÎE,(k8i oa>Ç-y)0eiç : 35 X 6 = 210; à 45 kZ,â.8i aù^7)6eîç : 45 X 6 = 270.
Ibid. (Introd. à Nicom., p. 97) : ttocç xû(3oç t?) Iocotou 7rXeupà ocû^ir)-
Qsiç TETpàycovov 7roi£Ï : a3a = (a2)2, ainsi que la scolie p. 137. Nicomaque
(Introd. arithm., II, p. 106) : éfxaaToç Se xû^oç •y)ûÇr)[zevoç wv è£ éxoccttou
pY
4. Platon, Théétète, 147 d : uepl Suvàjjiecov ti tjjjLÏv ©soScopoç 6Ss
£ypa<pe... ; Timée, 31 c : ... àpiO^cov Tpiwv el'xe 6yxtov zlxs 8uvà[jiecov. . .
essai d'interprétation 447

plusieurs façons : la somme des deux côtés est toujours


supérieure au troisième, leur différence lui est inférieure et dans le
cas particulier du triangle rectangle une contrainte plus forte
est imposée par le théorème de Pythagore :
(2) a2 + b2 = c2

où a et b sont les côtés perpendiculaires et c l'hypoténuse1.


Ainsi donc les créatures humaines (= les enfants) sont régis
par un nombre, dans lequel pour la première fois (dans l'ordre
naturel des nombres) on rencontre des segments (= mesures)
obéissants à certaines contraintes (numériques).
On devine déjà qu'il doit s'agir d'un triangle pythagoricien,
notamment du premier triangle rectangle à côtés entiers (3,
4 et 5) assujettis à la condition :
(2') 32 + 42 = 52 î

on a d'ailleurs aussi :

(3) 33 + 43 + 53 = 63 = 216

où l'on retrouve le nombre parfait 6, qui est devenu solide


(cube) 2.
c) Tpeïç à7ro<TTà<T£iç... Xapouaai : On peut immédiatement
identifier les trois distances avec les trois nombres 3, 4 et 5,
qui doivent être déterminés entre quatre extrémités (termes).
Or selon la définition euclidienne3 :

« Les extrémités d'une ligne sont des points. »


II nous faut donc de toute évidence prendre ces trois distances

1. Proclos, op. cit., p. 36 : Sovàpievat. -noirjcscci reTpayckvouç, Suvacxsuo-


[xevai S' cm èxelvcov tôv Sovàjxeow (...) tcov TSTpaywvcov. Alexandre
d'Aphrodise. Éd. Acad. de Berlin (Hayduck), p. 75 : 'Avixîav 8é çocoiv
Û7t6 tcov IIu0ayopsicov XéyeaOai. xrp rcevràSa ' touto Sè on twv èpBoycovîcùv
Tpiycovcov twv è/ovrcov fi>7)Tàç ràç 7tXeupàç upÔTOV è<m twv TOpiexouocov
op6r}v ycovîav 7rXsupcov ■/) (xèv rptôiv, tj Sè Tsooàpwv, 7) Sè Û7TOTSivouaa
7iévTe. 'E7rel toîvuv y\ ÛTTOTeîvouoa ïaov Sûvaxat à[i.(poièpaiq à(xa, Sià
Touro Y] [iïv Suva[j.év7) xaXstxaL, al Sè xaxaSuvaaTevdfJievai, xal ectti tcévts...
2. Aristote, Politique, 1316 et suiv., et J. L. Heiberg, Euclidis Ele-
menta, vol. V, p. 213 (axoXia) : Toioûtov yàp èo-ri t6 èv xy) IIoXiTeîa tpî-
ywvov, o5 tt]V èp6r)v 7repiéxou<Jiv Ôts Tpîa xal ô xécoapa Û7roxetvei Sè ô
Tzbnz. Cf. aussi Plutarque, 5«y Isis ef Osiris, et A. Quintilien (Éd.
Meibomius), p. 150.
3. Euclide, Éléments, I, Déf. 3 : rpa^^ç Sè répara
448 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE )) DE PLATON

entre quatre points ; d'où les deux possibilités suivantes :

Fig. ia. Fig. ib.


Représentation Représentation
géométrique des trois géométrique des trois
distances entre distances entre
quatre points sur quatre points
le plan. dans l'espace.

La première figure ne répond pas à une autre définition d'Eu-


clide 1, qui veut que toute figure soit délimitée de toutes parts :
« Une figure est ce qui est compris entre une ou plusieurs
limites. »
Obligatoirement donc il nous faut adopter la fig. ib, soit les
trois distances AB, AC, AD entre les quatre points A, B, C,
D, avec :
AB = a, AC = b, AD = c
a, b, c étant trois entiers positifs.
A l'aide de ces trois nombres on peut alors construire le
volume :
V = a.b.c
qui est fonction des trois dimensions linéaires a, b et c.
Parmi la triple infinité de ces volumes, tous ceux ayant les
trois dimensions égales (a = b = c) où équimultiples des a,
b, c sont semblables entre eux (cubes et parallélépipèdes à
arêtes proportionnelles), tous les autres sont dissemblables2.
C'est par ces volumes qu'on interprétera les expressions
ô(/.oioûvT<ùV xal àvo[i.oioiSvxo)v.
D'une manière analogue les volumes V avec c > b > a sont
croissants et ceux avec a > b > c sont décroissants (atfÇovxeç xal
<p6£vovxeç) .
Si d'autre part, comme nous l'avons supposé, a, b, c sont
des entiers, les volumes V ont des noms spéciaux (xû(3oç, izXwQiç,
Soxlç, oçvjviffxoç)3 et leur rapport est toujours une fraction

1. Déf. 14 : E/Tj^à ècm xo utco xivoç f\ xivcov opwv 7repiex6[j.svov.


2. VI, Déf. 1 : "O[xoi.a o/7)piaxa eû6ûypa{Ji(Jt,à êcmv, ôaa xàç xe ycoviaç
ïacLÇ, ï%zi xaxà fxfocv xal xàç Trepl xàç icaç ycoviaç 7rÀ£upàç àvàÀoyov.
3. Nicomaque de Gérasa, Introduction arithmétique, éd. R. Hoche II,
essai d'interprétation 449

rationnelle ; ils sont donc 7Tpoo^yopot xal pareil npbç àXX^Xouç *.


d) &v... Tplç aù^rj0s[ç. La phrase commençant par un génitif
absolu, nous le faisons précéder (ou bien suivre) du mot àpiOfzwv,
sous-entendu par le texte.
Le pythmen (= fond) épitrite ne fait que traduire les termes
du
, rapport epitnte (,3n+nni
dans le cas gênerai,
,,, avec -
4 comme
fond), c'est-à-dire les nombres 4 et 3, qui, conjugués à 5,
conduiraient aux deux harmonies, s'ils étaient augmentés trois fois.
Les deux harmonies en question ne représentent que les deux
moyens termes d'une proportion continue de la forme a : b : :
b : c : : c : d, c'est-à-dire les nombres b et c, si a et d sont
les termes du rapport épitrite trois fois augmentés.
Or, d'une part la conjugaison des termes 3 et 4 de l'épitrite
à 5 ne peut être que la relation de Pythagore, c'est-à-dire la
relation (2'), qui les relie à 5. D'autre part, d'après ce qui
précède, l'augmentation s'identifie d'une manière assez naturelle
avec une triple extension de chaque terme, soit avec leur
élévation à la troisième puissance (cube). Sans aucunement forcer
le texte on peut donc adopter pour cette triple extension les
nombres 43 et 33.
Remarquons de plus qu'à cause de la relation (3), ces deux
cubes, additionnés avec le cube de 5, nous donnent le cube de 6,
c'est-à-dire le cube représentatif de la Terre, qui, devant
enfermer toutes les créatures vivantes, doit être plus grand que
chacun des autres cubes.
é) rrçv (jtiv... Tocauxàxtç : A ce stade Platon nous invite à
construire deux harmonies tout en nous indiquant la méthode
à suivre. Cette méthode découle de celle employée dans le
Timée 2, où Platon explique que si la figure du monde devait être
plane, un seul moyen terme aurait été suffisant pour relier ses
constituants entre eux, mais comme il convenait (?) que ce
soit un solide (et puisque deux solides ne peuvent jamais être
reliés par un seul moyen terme, mais il en faut toujours deux) 3,
dieu a placé, entre le Feu et la Terre, l'Eau et l'Air, ayant pris

p. 144 : "Otocv toivuv Sûo ôpcov àxpcov Tpi/fj SiaoTOCTcov àficpoTÉpcov, eI'ts îcrobaç
itecov Eaàxiç, '(.'va xû(3oç f), 7^ toàxiç l'acov àvicaxiç, ïva ^ 8ox£8eç 7^ TvkivQi-
Seç coaiv, sl'xe àvicràxiç àviacov àviaàxiç, ïva cqjrjvtoxoi... Id.,p. 107 et 135.
1. Proclos, Comm. au Timée (Éd. E. Diehl), t. II, p. 210, 21 : ot
s7UTpiToi mievra ts pTjxà xal Tcpoarjyopa àXXr)Aotç auvap^éÇouaiv...
2. Page 32b.
3. Effectivement (cf. note 5 de la page 444), il est possible de construire
une proportion entre deux nombres cubiques à l'aide d'un seul moyen
terme dans le cas particulier où ces nombres sont aussi carrés. De même
entre deux nombres carrés ayant pour moyen un autre nombre carré, on
peut insérer deux moyens, comme par exemple :
a2/ac = ac/ca = c2 /bc = bc/b2 (a = 4, c = 6, b = 9).
450 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

soin de les mélanger pour satisfaire dans la mesure du possible


aux relations :
(Feu) : (Air) : : (Air) : (Eau) : : (Eau) : (Terre)
Le sens de la phrase devient alors clair, car étant donnés deux
nombres carrés a2 et b2 on peut toujours trouver un moyen
terme, tel que l'on ait :
(4) a2 : (a.b) = (a.b) : b2
tandis que pour deux cubes un seul moyen terme ne suffit pas,
mais il en faut toujours deux nécessairement, a2.b et a.b2,
pour satisfaire à la proportion1 :
(5) a3 : (a2.b) = (a2.b) : (a.b2) = (a.b2) : b3
Qu'il s'agisse des relations (4) ou (5) le rapport est d'ailleurs
le même a : b, et comme ce doit être le rapport épitrite, nous
avons par identification :
a = 4 et b = 3
et ces deux nombres déterminent complètement les proportions.
On arrive ainsi aux relations numériques :
(5') 444 = 443 = 4-3-3
44-3 4-3-3 3-3-3
dont les moyens termes et le rapport sont :
Premier moyen : 4.4.3
rapport : 4:3 (épitrite) ;
second moyen : 4.3.3
en effectuant les opérations, on met les relations (5') sous la
forme
(6) 64 = 48 = 36.
48 36 27
Or, en vertu d'un théorème de l'arithmétique, les relations (5)
peuvent aussi s'écrire sous l'une ou l'autre des formes suivantes :
a3 a2.b a.b2 a3 4- a2.b
_ âlT2 ~ b3"
a2.b a2.b + a.b2
(1) (2) (4)
a3 -f a.b2 a2.b 4- a.b2
(3) a3 -f- a2.b 4- a.b2
b3 + a2.b b3 4- a.b2 b=* + a2.b 4- a.b2
(5) (6) (7)

[xèv1. yàp
àvàXoyovNicomaque,
xei^évaiç...
èrciTieSoi Introd.
[AiatoxXiv
(j.eaox7]xi
arithm.,
Sûo xûpcov
ouvexovxai
p. CTuve/cov
129 : to&vxmç,
IlXaxawixov
8ûo (jlovoi
ol eûptaxovxai
8è 0ea>p7)fxa
oxepeol Sucrlv
àvà-
: ol
Xoyov (Jtiaoi ôpot xaxà xt)V yecopiexpiXTjv àvaXoytav, uXeloveç 8è où8é7roxe '
xpta àpa 8wccTxV)^axa... Jamblique (Introd. à Nicom., p. 93) est aussi
d'accord.
ESSAI D'INTERPRÉTATION 451

et l'on peut indifféremment garder trois rapports quelconques


parmi les sept et dans n'importe quel ordre. Choisissons alors
les termes (1), (5) et (3) dans cet ordre1, après les avoir
multipliés en haut et en bas par 100 et après la substitution a = 4,
b = 3. Nous avons la proportion :
(6') 6400 10.000 3600
~~ ~~
4800 7500 2700
Conformément au texte on peut donc identifier la première
harmonie avec le premier moyen terme 10.000, qui est
effectivement un nombre carré (ioo2 = 10.000) et en même temps
le centuple d'un carré (100. io2).
Remarque : On aurait tout aussi bien pu garder les relations (6),
mais le premier terme 48, tout en étant à base carrée (par les
facteurs 4.4), n'est pas le centuple d'un carré (il en est le triple
seulement) .
/) tt)v 8k... rpidcSoç : Pour la construction de la deuxième
harmonie il n'y a plus aucun problème, car elle est
parfaitement déterminée par le choix des rapports ; il nous faut
pourtant vérifier qu'elle satisfait Jes conditions de Platon :
1) Elle vaut 100 fois la diagonale rationnelle de 5, diminué
de 1.
En effet la relation :

52 + 52 = 72 + 1 = 48 + 2 -

Fig. 2a. Valeur approximative Fig. 2b. Valeur exacte


de s/50" = 7V50 /49 = 7V/ÏTÔ2 ~ 7. de \Jiyy

et la fig. 2a montrent que la diagonale approximative,


exprimable par un nombre rationnel, de 5 est 7 (diagonale
rationnelle).
En multipliant par 100 on a 48.100 = 4800
2) Elle vaut 100 fois la diagonale irrationnelle de 5, diminuée
de 2.
En effet la relation :
52 + 52 = 2.25 = 50 = 48 + 2

1. Avec ce choix on arrive aux harmonies de Proclos, mais ce choix


n'est pas limitatif en ce qui concerne la proportion.
452 LE « NOMBRE GEOMETRIQUE » DE PLATON

montre que la diagonale irrationnelle de 5 (= exacte) est la


v/50, un nombre irrationnel (fig. 2b). On a alors, comme il se
doit :
(V50-2)2 = 48 et 48.100 = 4800
3) A ce nombre 4800 on doit, selon la prescription de
Platon, ajouter le centuple du cube de 3, soit 2700, ce qui nous
donne pour la deuxième harmonie le nombre :
4800 + 2700 = 7500 = (75 X 100).
Si ce nombre représente réellement la deuxième harmonie
platonicienne il doit remplir deux conditions supplémentaires :
5) Avoir même longueur que la première harmonie ; ce qui
est vrai par le facteur 100, commun aux deux nombres.
6) Être promèque1 à celle-ci, c'est-à-dire de la forme a.b,
avec a = 100, ce qui est vrai par le facteur 75.
Remarque : Le nombre 36, pris isolément, est aussi isomèque
à 48 par son premier facteur 4 et hétéromèque 2 à celui-ci par
son facteur 3. Il est de plus inutile de vérifier que le rapport des
harmonies est conservé, cette propriété étant assurée par les
relations (5) dans le cas le plus général.

Nous avons donc pour les deux harmonies :


Première harmonie : 10.000
Rapport : à _ épitrite.
seconde harmonie : 7.500
A ce point il nous faut, et de façon presque impérieuse,
justifier pourquoi Platon a recours à une multiplication par 100, en
utilisant les nombres 10.000 et 7.500 (ou encore 4800 et 3600),
tandis qu'il aurait pu se contenter de 48 et 36.

1. Diogène Laerce (III, 24) dit que c'est Platon qui a défini pour la
première fois le nombre promèque (Théétète, 148a : uaç ô dcSûva-roç
loàxiç 'tcoç ysvécOai). Nicomaque (p. 108), 113) le définit par a
(a + b), b > 1.
Littéralement ce serait un nombre rectangulaire de la forme a.b avec
une longueur supérieure à sa largeur (oblong). Ainsi par exemple H. Ste-
phanus, Thésaurus Graecae Linguae : oblongus, praelongus. Par contre
Théon, Jamblique, Nicomaque, Proclos... imposent en plus la condition
b > a -j- 1 d'origine plus récente.
2. Le mot hétéromèque (Théétète 148a) est aussi utilisé par
Platon dans un sens différent de celui que lui donnent les
néopythagoriciens et néoplatoniciens (a. (a -f- 1) Jamblique (Introd. à Nicom., p. 83)
et Théon, p. 37, etc.). Platon l'emploie dans son sens étymologique :
longueur différente de la largeur, par opposition à isomèque (ainsi
Stephanus : altéra parte longior). C'est donc à tort que Th. Martin
(Rev. archéol., 13, 257.1857) jugeait l'expression de « grammaticalement
claire et mathématiquement fausse ».
ESSAI D'INTERPRÉTATION 453

La question ainsi formulée relève certes de l'art divinatoire,


mais on peut essayer d'apporter un élément de réponse par
les arguments suivants :
a) Ou bien il a voulu encore une fois faire intervenir la
tetractys et alors il fut obligé, pour maintenir l'homogénéité
des formules, de l'introduire par son carré, en remplaçant
dans la relation (5) les nombres a et b du rapport a2.b /a.b2 par
lo.a et lo.b respectivement, ce qui lui permet d'ailleurs de
conjuguer 5 à 4 et 3 par le produit 2.5 (comme a = 4 et b = 3
il utilise alors complètement les nombres du triangle divin
3-4-5) pour la construction des deux harmonies ; et ce n'est pas
du tout une astuce banale.
b) Ou bien, comme Proclos1 a l'air de le suggérer, ayant
construit successivement à partir du triangle ABC de côtés 3,
4 et 5 un triangle plus grand AfBC (fig. 3a), il détermine les
termes des relations (6) par les segments en traits épais BD = 27,
DE = 36, EF = 48 et FC = 64, qui se trouvent former un
escalier dont la hauteur des marches est 100 = 36 + 64. D'où
l'idée de multiplier par 100 tous les côtés, ce qui revient à la
construction d'un triangle semblable plus grand.

Fig. 3a. Représentation Fig. 3b. Représentation des


géométrique des deux harmonies selon Patérios.
harmonies selon Proclos (Nesto-
rios?).

Le même argument serait encore valable, si, suivant la


méthode de Patérios2, on construisait un triangle plus petit que

1. Op. cit.
2. Dans la figure que Proclos attribue à Patérios il y a de nombreuses
454 LE (< NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

celui de la triade 3-4-5. Dans ce cas il ne faut d'ailleurs pas se


fier aux chiffres des manuscrits où à ceux de la figure donnée
par Kroll, mais adopter les corrections de Hultsch (fig. 3b).
Si alors on adopte ce point de vue, on voit mal pourquoi,
selon Proclos, il faut regarder le triangle « hiératiquement »
ou bien faire appel à la magie pour « prévoir les impondérables ».
Mais il est très visible, surtout dans le Mémoire sur les
Hypothèses Astronomiques, que Proclos, tout platonicien qu'il se
veut, s'est laissé beaucoup influencer par les doctrines
orientales des Chaldéens et surtout de Zoroastre ; autrement on
comprendrait mal les « hypothèses astronomiques1 ».
Il se pose alors aussitôt la question : est-ce que Platon lui-
même n'est pas influencé par la science orientale beaucoup plus
ancienne que celle donc Proclos porte les traces?
Il n'est pas possible de débattre ici cette importante
question, qui sort nettement du cadre de ce travail et exigerait de
longs développements 2.
Nous dirons simplement que Platon n'a jamais dédaigné et
encore moins discrédité la science barbare (Hérodote non plus
d'ailleurs !), dont il nous donne sa propre appréciation bien
dans son style3 :
« Nous postulerons d'autre part que tout ce que les Grecs ont
appris des barbares, ils l'ont finalement élaboré au mieux. »
c) II est plus probable, comme nous l'avons déjà signalé,
que Platon ait voulu faire intervenir à propos de ces
harmonies la durée de la vie humaine de cent ans ; néanmoins, nous
ne pensons pas que cela soit d'une clarté éblouissante.
g) Eôfxraxç... è'aovTca : Remarque préalable : Très justement,
pensons-nous, les éditeurs de la République ont séparé cette
phrase de la précédente par un point ; car elle se rapporte
plutôt à la phrase b) ci-dessus, comme on peut s'en rendre compte
par le singulier àpiQy.6<;.
« Ce nombre dans sa totalité », le plus important de tous (à

erreurs sur les longueurs des différents segments ; il faut tenir compte des
corrections de Hultsch dans l'excursus de l'édition de Kroll.
1. Ainsi, par exemple, p. 55 : Seï toùç ap^ovraç sic, to Tràv ôpôvTaç
T£X[iaîpec6at Sià icov çaivoptivcov èv xaïç xcôv y&ynùv avvép^zaiv, xlç toc-
Çiç xocrpuxT] TÎjç à[i.eîvovoç oîïcmxT] Çwtjç xal xiç ttjç ytipavoç,.
De même p. 56 : xov xaipov 07]pav xaxà fxèv xtjv ôm'kixvri 8tà te tuv
cbpocrx67rcov xal tcov xoûtoiç TcapavaTeAXovTwv àcrépcov te xocî, Sexocvwv ( ! !).
Toute autre est l'attitude de Platon, comme par exemple pour la
conception (Lois, 775 c) : ayeSbv yàp àSyjÀoç ÔTrola vùÇ tj cpcoç ocûto yev-
v^asi {jteTa OsoG.
2. Toute théorie des influences orientales sur la pensée grecque doit
nécessairement expliquer l'absence totale, en particulier chez les
pythagoriciens et Platon, de la numération sexagésimale. Ce n'est pas le cas
des théories qui circulent actuellement.
3. Platon, Épinomis, 987 d : Aàpco^ev Se àç ôxirap av "EXAïjveç [3ap-
pàpcov TOXpaAâpoùCTi, xàXXiov toûto sic téàoç àÇ
essai d'interprétation 455

notre avis), possède pour Platon, en ce qui concerne les bonnes


et les mauvaises naissances, une telle puissance, que, si les
gardiens de la Cité ignorant les lois qui régissent ces naissances,
ils marient entre eux leurs filles et leurs garçons à contretemps,
ils seront la cause de naissances d'enfants mentalement
diminués et malheureux, inaptes à l'éducation et dangereux s'ils
accèdent au pouvoir. De toute évidence il s'agit d'un nombre
très important à connaître, afin de ne pas commettre d'erreur,
nombre qui représente l'âge fatal au-delà duquel il est
recommandé d'éviter les unions matrimoniales (pour des raisons
biologiques?).
Pour déterminer ce nombre, si le point de vue adopté
jusqu'ici est correct, il nous faut revenir au triangle pythagoricien
{3> 4> 5) trois fois augmenté. Mais contrairement à l'attitude
précédemment adoptée, le mot Çùpiraxç impliquant une addition1
et non pas une multiplication, nous interpréterons ce mot par
la somme 3 + 4 + 5 trois fois augmentée, c'est-à-dire par
l'expression 2 :
(3 + 4 + 5)-3 = 12.3 = 36 = 62
ce qui nous conduit à un nombre carré (donc géométrique),
comme il se doit, soit finalement à un âge critique de 36 ans.
Ce nombre d'une importance capitale, on vient de le dire
pour l'interprétation de tout notre passage, ne peut pas être
admis en bloc sans autre justification ; il nécessite sinon
démonstration du moins à être corroboré par d'autres arguments,
qui ne peuvent d'ailleurs plus être d'ordre mathématique. Il
n'est pas impensable à ce niveau que Platon ait fait appel à
des considérations astronomiques (voire même astrologiques :
conjonction d'étoiles, magie, horoscopes...), mais nous savons
par ailleurs que ce genre de philosophie était battu en brèche
par la naissance de l'esprit rationaliste. Nous ne retiendrons
donc pas ici ce point de vue, en nous contentant de renvoyer
le lecteur au commentaire de Proclos pour une plus ample
discussion, avec toutes les précautions d'usage sur ce terrain
glissant.
Pour poursuivre notre enquête sur un terrain plus sûr nous
reviendrons donc à la page 460 E de la République afin
d'essayer de pénétrer un peu plus pro fondement la pensée de
Platon.
« L'âge moyen de la maturité de la femme », lit -on, « est de
20 ans, celui de l'homme de 30 ans » et un peu plus loin « la

1. Tel est aussi l'avis de Jamblique (Théol. arithm., p. 45 ss.).


2. Cette interprétation pourrait sembler en contradiction avec celle
précédemment adoptée ; il n'en est rien, car il s'agit ici d'un problème
plan et par conséquent l'augmentation ne peut être prise que dans le
sens de multiplication (éventuellement élévation au carré) et non
d'exponentiation.
456 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE )) DE PLATON

femme doit donner des enfants à la Cité entre 20 et 40 ans,


l'homme entre 30 et 55 ans x ».
A l'aide de ces données véridiques mais non forcément exactes
on peut alors faire le calcul simple suivant :
20 + 40
Age moyen de la femme mure : (xd = = 3° ans>

Age moyen de l'homme mûr : fx2 = — = 42 ans (en"


2 viron 2)

Moyenne générale : M = — — = 36 ans.

On retombe donc sur le fameux pythmen épitrite triplé sans


aucune manipulation étrangère à la pensée platonicienne.
Mais si l'on pouvait consolider ce résultat, qui ne laisse déjà pas
trop de chance au hasard, par d'autres considérations, il
n'aurait pjSèv ôÉyav. Nous allons dans un stade ultérieur essayer de
voir si une étude statistique, aussi sommaire soit-elle, n'est
pas en mesure de corroborer notre conclusion.

Représentation géométrique
des harmonies planes et solides

Les relations (4) et (5) sont susceptibles d'une


représentation géométrique simple, la première dans le plan et la seconde
dans l'espace.
En effet (4) ne fait intervenir que des carrés et des produits
de deux facteurs (rectangles) et les deux rectangles étant égaux
(commutativité de la multiplication) leur surface a.b est la
moyenne proportionnelle unique entre les deux carrés, ou,
comme l'exprime Platon, un seul moyen terme suffit pour
relier entre eux les deux carrés.

Fig. 4a. Représentation géomé- Fig. 4b. Représentation


géotrique plane d'une harmonie métrique plane d'une har-
dans le cas où les extrêmes monie dans le cas général,
sont des carrés parfaits.

1. Autrement il est préconisé (Lois, 775 c) un impôt sur le célibat


après la cinquante-cinquième année. Les Lois, 721 b, 772 e, conseillent
le mariage avant 35 ans.
2. Il est assez curieux de constater que ces mêmes nombres, exprimés
essai d'interprétation 457

La figure 4a traduit cette condition. Il est d'ailleurs évident


que le théorème est plus général et s'applique pour tout
parallélogramme (fig. 4b), puisque les parallélogrammes dits «
suppléments 1 » (hachurés) sont égaux. Il est de même évident que
s'il existe un moyen proportionnel c entre les nombres a et b,
(a : c = c : b), nous avons aussi la relation
a2 a.c c2 c.b (9)
a.c c2 c.b b2

qui donne la fausse impression d'avoir intercalé deux moyens


entre deux nombres carrés.
La situation est tout à fait analogue dans le cas de l'espace
à trois dimensions et la figure 5 fait nettement ressortir
pourquoi il est besoin de faire intervenir deux moyens termes au
lieu d'un seul.
Il est clair sur cette figure que la face droite du cube b3
constitue un « lien » entre ce cube et le prisme b2a, et il en est
de même entre la face arrière de ce dernier volume et la face
avant du volume a2b, relié lui-même par sa face supérieure
à la face inférieure du petit cube a3.
Tel est, selon nous, le sens de ces SeayLol, dont Platon parle
si souvent dans le Tintée.
On voit de plus que la « première harmonie » est
effectivement ter) tadbaç et que la seconde est bo{X7]X7]ç à celle-ci par
le facteur b et en même temps êTepo^x-rçç par le facteur a
(arrête). Il s'agit donc bien de volumes (par la nature même
du problème) et non de surfaces, comme on le prétend
souvent.
Spéculons un peu plus sur cette figure. Il est évident que
la multiplication par 100 de tous les termes de la relation2
n'affecte pas la topologie de la figure ; elle revient tout
simplement à une dilatation de celle-ci traduit par un facteur
de dilatation linéaire de s/ 160 = 4,64. L'interprétation
donnée par Proclos (et nous avons vu qu'elle n'est nullement
obligatoire) revient à faire fusionner ensemble chaque cube
avec le parallélépipède qui lui est adjacent de sorte que
finalement on est en présence de deux volumes parallélépipédiques
de valeur relative 75 et 100.
Si maintenant on considère les termes de la proportion (6')
comme étant des âges relatifs par rapport à l'âge de cent ans
(durée de la vie humaine), on voit, qu'après les avoir ordon-

en jours, représentent pour Hippocrate le temps de formation du foetus


mâle et femelle : Hippocrate, Nature de l'enfant, 18, 1 : Kal yéyovev
$§7) toxiSîov xal èç toûto àçwevésrai, -rô (xèv OîjXu êv TsacspàxovTa
7)(xép7)CTt xal Sùo tô [zaxpoTOCTOV, rb Se àpaev èv Tpt^xovxa yjjjtipflcTi t6
[ZOCXpOTOCTOV.
1. Euclide, Éléments, II, Déf. 2.
Bulletin Budê 3o
458 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE )) DE PLATON

nés, on trouve entre l'âge de la première jeunesse (27 ans)


et celle de la mort (100 ans) les âges intermédiaires de 36-
48-64 et 75 ans, qui peuvent s'interpréter comme étant
respectivement les âges de la jeunesse, de la maturité, du déclin
et de la vieillesse. Une interprétation analogue peut être
donnée aux termes de la relation (6), c'est-à-dire aux nombres
27-36-48-64. Mais insistons encore une fois sur le fait qu'il
ne s'agit là que des spéculations purement gratuites et qui,
sans être tout à fait aberrantes, peuvent tout aussi bien être
étrangères à la pensée de Platon, qui n'y fait aucune allusion
dans notre passage.
La figure 5 a été construite avec des valeurs arbitraires de
a et b et ne possède a priori aucune valeur esthétique pouvant
rappeler l'accord dont Platon fait état.

y s c

Fig. 5. L'harmonie entre deux cubes.


La figure se généralise facilement.

On peut néanmoins visualiser en quelque sorte cet accord


de la manière suivante : partant d'une valeur très grande du
rapport a : b et maintenant a fixe, faisons varier de façon
continue b par valeurs croissantes ; supposons de plus la
variation assez lente de manière à pouvoir cinématographier le
phénomène. En projetant le film ainsi obtenu nous aurons des
impressions optiques, qui, pour certaines valeurs du rapport
a : b provoqueront au spectateur un sentiment d'harmonie
(par exemple pour les valeurs 5/3,3/2, 4/3,9/8,1...), telle
l'harmonie en marbre du Parthénon.
Il serait tout aussi facile de réaliser une harmonie musicale
en considérant les arêtes des solides comme autant de cordes
vibrantes et l'ensemble des solides comme une caisse de
résonance à quatre compartiments communiquants.
Une représentation plane des harmonies platoniciennes a été
essai d'interprétation 459

donnée par Proclos1 (fig. 3), à l'aide du triangle pythagoricien


dans lequel les quatre termes de la proportion sont représentés
par les quatre segments en trait épais formant les marches
d'un escalier.
Notons enfin que ce genre de représentations était monnaie
courante dans l'antiquité, comme en témoignent les nombreux
commentaires 2.
Dans ce qui précède nous n'avons retenu comme
termes extrêmes que les cubes 33 et 43, mais il est évident que tout
autre couple parmi les trois cubes 33, 43 et 53 conviendrait tout aussi
bien, à cette différence près que le rapport de la proportion doit
être modifié en conséquence (5/3 ou 5/4) et les moyens ne seront
pas les mêmes. Or ici le rapport épitrite nous est imposé.

Confrontation des résultats précédents


avec quelques données statistiques actuelles

Sans aucun doute la statistique était inconnue du temps de


Platon et toute confrontation des résultats obtenus ici
pourrait sembler absurde ou anachronique. Il faut néanmoins
prendre en considération les facteurs suivants :
a) L'analyse statistique conduit très souvent à des résultats
pratiquement imposés par le bon sens (et Platon n'en
manquait certainement pas), qui, pour ne pas être des résultats
entre grandeurs rigidement liées entre elles, comme les
grandeurs géométriques par exemple, présentent souvent une
certaine finesse de régularité statistique, mise en évidence à grande
échelle, si l'on dispose d'un nombre important d'observations
sur une population concrète, d'une structure bien déterminée
et invariable dans toutes les comparaisons qu'on peut y
effectuer (population type).
b) Si l'interprétation statistique n'est pas facile, il convient
de suspendre son jugement ; les hypothèses à la base du calcul
n'ont pas la souplesse nécessaire.
c) L'étude statistique convenable d'une population actuelle
peut conduire à des résultats applicables à une population
fictive de même nature malgré l'impossibilité de son
observation, moyennant quelques hypothèses simples et vraisemblables.
Il est clair que nous n'entendons pas faire ici une étude
statistique exhaustive sur des donnés que nous ne possédons pas ;

1 . Proclos, Commentaire de la « République ». Excursus par F. Hultsch.


N. B. Les nombres portés sur la fig. 3 b sont les nombres corrigés par
Hultsch.
2. Proclos, Commentaire du « Timée », entre autres, et son scoliaste
anonyme (p. 324) ainsi que Chalcidius dans R. Klibansky : Plato
Latinus. IV. Timaeus a Chalcidio translatus . . . Éd. J. H. Waszink.
London-Leiden, 1962, plus spécialement p. 66.
460 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE )) DE PLATON

il s'agit uniquement de savoir si nos résultats sont confirmés


ou infirmés statistiquement avec tout ce que ce terme comporte
du point de vue de sa signification et de l'incertitude inhérente.
Pour essayer de trouver un élément de réponse aux
différentes questions soulevées par notre passage nous allons
examiner un certain nombre de problèmes sur le mouvement actuel
de la population française et chercher dans quelle mesure ces
résultats peuvent être extrapolés à l'époque de Platon1.

1400

1000 ;i

600 ■ il
1
200

10 20 30 40 ans
Fig. 6. Coefficient de Fig. 7. Fécondité générale pour
nuptialité (nouveaux différents pays en i960. De
mariés pour 10.000 gauche à droite :
personnes de chaque France-Allemagne- Angleterre -Bulgarie -
âge). — Hommes... Danemark-Finlande-Hongrie- Italie-
Femmes. Pays Bas-Suède-U. S. A.-Japon-
N. Zélande.

Pour ce faire regardons d'abord ce que les statisticiens


appellent le Quotient de Nuptialité, c'est-à-dire la répartition
des nouveaux mariés (hommes et femmes) en fonction de leur
âge (fig. 6). Ce quotient présente un maximum très accusé situé
à 20 ans pour les femmes et à 23 ans pour les hommes, puis
diminue rapidement. On constate facilement que 6 %
seulement des mariages ont lieu après 35 ans. Cette tendance
générale, on peut raisonnablement le penser, n'était pas très
différente dans l'antiquité. Nous avons donc un premier fait établi,
que dans une société saine les mariages après 35 ans ne
représentent qu'une faible proportion du total. C'est un fait
expérimental. Avant d'essayer de l'expliquer, considérons un
autre facteur important, celui de la Fécondité de la Femme en
fonction de son âge (nombre moyen des naissances pour
1 000 femmes).

1. Ces résultats sont pris dans V Annuaire statistique de la France (1968).


ESSAI D INTERPRETATION 461

Cette quantité est pratiquement une constante pour tous


les pays, comme le montre la figure 7, qui donne la fécondité
générale en 1960. La figure 8 montre comment cette quantité
varie avec l'âge de la femme ; après la trente-cinquième année
sa valeur est 10 % seulement de la valeur maxima, qui se
situe aux environs de 28 ans.

50
200 .
40

30

100 20

10'

20 30 40 50 ana
Fig. 8. Fécondité de la femme en fonction Fig. 9. Coefficient 'de
de l'âge (= nombre moyen de naissances fécondité en fonction
pour 1.000 femmes de chaque groupe). de l'âge de la femme.

Un autre paramètre plus parlant est ce qu'on appelle le


coefficient de fécondité, représenté sur la figure 9. La conclusion
est évidemment la même.
La figure 10 donne le % des couples stériles suivant l'âge de
la femme. On constate une fois de plus, qu'après 35 ans ce %
augmente très rapidement pour devenir tout à fait
catastrophique après 40 ans.
L'ensemble de ces résultats donne évidemment l'explication
de la fig. 6. Il est en particulier clair qu'une société dont les
membres se marieraient après 35 ans serait condamnée, à
disparaître, tandis que Platon désire plutôt une société équilibrée
(Rép. 460 a).
Il est donc évident que l'âge de 36 ans est un âge critique
aussi bien pour l'homme que pour la femme. Il est de plus un
facteur très important pour la conservation de la société.
Ainsi notre interprétation se trouve considérablement
renforcée.
On peut tirer un argument supplémentaire en examinant la
fig. 11, qui donne le % d'enfants nés vivants suivant l'âge de
la mère. La conclusion est toujours la même.
462 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE )) DE PLATON

Évidemment on peut se poser la question : dans quelle

40

20

20 25 30 35 40 ans 20 30 40 ans
Fig. io. Pourcentage des cou. Fig. ii. Pourcentage des
pies stériles en fonction de enfants nés vivants en
l'âge de la femme. fonction de l'âge de la
mère.

mesure ces résultats peuvent être considérés comme valables


dans l'antiquité ; un peu de réflexion suffit pour montrer que
la situation ne pouvait pas être meilleure qu'elle ne l'est au-

60

20

25 35 45 ans 12 20 ans

Fig. 12. Distribution Fig. 13. Mortalité des


des enfants enfants de la fig. 12. En
mongoloïdes en fonction pointillé la même quantité pour
de l'âge de la mère. les enfants normaux.

jourd'hui, ne serait-ce qu'à cause des progrès de la médecine.


ESSAI D'INTERPRÉTATION 463

II nous reste encore à chercher dans quelle mesure se vérifie


la seconde opinion de Platon, suivant laquelle les enfants nés
de tels mariages ont tendance à être anormaux et inaptes à
l'éducation. Malheureusement nous ne possédons pas des
données statistiques suffisantes de ce point de vue ; on peut néanmoins
se former une idée approximative par la fig. 12, qui montre la
distribution d'une classe particulière d'enfants anormaux
(mongoloïdes) avec l'âge de la mère. On constate de nouveau
que la fréquence des naissances anormales passe par un
maximum à 36 ans, ce qui est un résultat pour le moins surprenant 1.
La figure 13 donne l'indice de mortalité de ces enfants avec leur
âge. Cette mortalité, très grande jusqu'à 5 ans, diminue pour
devenir à peu près constante autour des 20 ans, mais elle reste
toujours supérieure à celle des enfants normaux.

60
40

30
20
10

5 10 15 20 ans
Fig. 14. Quotient intellectuel des
enfants mongoloïdes par
rapport à celui des enfants
normaux (pourcentage).

Un autre renseignement peut être tiré de la fig. 14, qui


représente le quotient intellectuel de ces enfants suivant leur âge
et qui se passe des commentaires.
Platon prétend de plus que ces enfants sont dangereux dans
le cas où ils prendraient en main le pouvoir. Nous n'allons pas
par un zèle excessif faire ici l'étude de la criminalité des
enfants anormaux, des résultats de laquelle on se doute à
l'avance.
Mais tous ceux qui se rappellent les années 1930-1945 et
leurs héros, qui avaient pour noms Hitler, Staline, Hirohito...
ne refuseraient pas leur consentement à l'opinion de Platon.
On connaît par ailleurs les recommandations de Platon en ce
qui concerne les enfants anormaux, question qui suscite de
nos jours même un intérêt certain.

1. Résultats provenant de Cl. Lévy, Les jeunes handicapés mentaux.


Paris, 1970.
464 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

Proclos de son côté, malgré ses maigres connaissances de


génétique, a mis l'accent sur le fait que les résultats de
l'hérédité commencent à se faire sentir à la quatrième génération1.
Sans donc vouloir absolument tirer un avantage quelconque
en faveur de notre interprétation à partir des résultats
précédents on peut néanmoins dire qu'ils ne l'infirment pas. Nous
n'insisterons pas davantage.

Critique et autocritique

Nous n'entendons pas faire ici la critique des critiques sur


l'abondant matériel existant quant à l'interprétation du
nombre de Platon ; cela nous entraînerait à des longueurs qui
pourraient vite devenir ennuyeuses. Nous nous bornerons donc
à l'essentiel.
L'aventure moderne du sujet commence pratiquement avec
l'édition par Kroll du commentaire de Proclos et plus
spécialement avec Y excursus de F. Hultsch, qui figure dans cette
édition et où pour la première fois apparaît le nombre 12.960.000,
qui est la quatrième puissance de 60. Le plus étonnant de la
part de Hultsch, qui était un fin connaisseur de la
mathématique de la période grecque, est qu'il se soit laissé entrainer
par le produit 3.4.5, élevé à la quatrième puissance, qui est
aussi égal au produit 4800.2700 des deux moyens ; or une telle
interprétation est incohérente en géométrie tridimensionnelle.
Ni le texte platonicien ni le commentaire de Proclos
n'autorisent une telle excursion et nous avons vu que Platon est
explicite là-dessus : il s'agit d'un problème solide, donc à trois
dimensions.
Cette erreur s'est par la suite propagée d'une manière assez
naturelle, puisque en dernière analyse les chercheurs suivants
se sont attachés à justifier d'une façon plus ou moins plausible
cette interprétation, en créant éventuellement la légende
gratuite d'une Grande Année platonicienne, dont Platon ne parle
pas2.
D'une manière assez curieuse A. Diès, pensant que Platon a
voulu « nous divertir, nous avertir, nous faire chercher », a cru
« tenir le bout du fil » dans certaines multiplications
aboutissant à un nombre unique (12.960.000) aussi bien pour les deux
harmonies que pour les deux périodes (divine et humaine).

1. Commentaire de la « République » : to TCpl T7)V êxXoy/jv <T<pàX[/.a tou


xaipoû y£vr)creTat piÇoc twv ETTOfzévcov xœxcov xai ttjç Àôaecoç -rîjç 7raAiT£Îaç
y.cd TÎjç otocoscoç, à<p' 3jç rj Xûoiç, êv toïç Térapaiv àrco tcov Tipcortov àpiap-
TOÔVTCOV aujJ.TCOOUCT7)Ç.
2. P. Duhem, Le système du monde. Paris, 191 1, vol. I, p. 84. A part
la conjecture de J. Dupuis sur la Grande Année de 760.000 ans, Duhem
mentionne en plus l'année de Méton (19 ans de 235 lunaisons).
ESSAI D'INTERPRÉTATION 465

Cette interprétation se heurte donc dès le départ à des


difficultés insurmontables et à des contradictions difficiles à lever,
puisque la notion de proportion même n'a plus de raison d'être.
Le dispositif à peine différent de Dekinger ne résiste pas plus
à cette critique et il en est de même de l'interprétation de
Ahlvers.
Laird et Ehrenfels, en suivant, de plus près Proclos, sont
arrivés à une interprétation correcte de la proportion
intervenant dans le calcul et il est plus spécialement regrettable
qu'Ehrenfels n'ait pas poussé ses conclusions jusqu'au bout.
Par ailleurs son explication de la multiplication par 100 des
deux moyens est peu satisfaisante, car le nombre qui contient
les trois facteurs 3, 4 et 5 est 60, tandis que 75 = 3.5.5 et
100 = 4.5.5 de sorte que l'on peut écrire :
2700 = 100.33
4800 = 75. 43
7500 = 60. 43
10000 = 80. 53.
On remarque alors que 2700, 4800 et 7500 sont les cubes de
3, 4 et 5 respectivement multipliés par ioo, 75 et 60, qui sont
les deux côtés perpendiculaires et la hauteur d'un triangle
pythagoricien dont l'hypoténuse est 125. Ainsi sa troisième
conclusion n'est pas très cohérente. De plus elle ne donne
aucune explication du nombre de Platon.
La conclusion d'AhlVers rattachant le nombre de Platon à la
Grande Année babylonienne de 36000 années appelle deux
remarques1 :
1) II y a contradiction interne dans l'affirmation :
période humaine = période divine
qui implique : génération humaine = génération divine.
2) Rien ne nous autorise à penser que Platon ait suivi ici
une doctrine babylonienne.
Quoique cette question déborde largement le cadre du
présent travail on peut faire remarquer que la mathématique
babylonienne est basée sur le système sexagésimal, inconnu
tout aussi bien de Pythagore que de Platon.
C'est pour des raisons analogues que nous ne pouvons pas
suivre Proclos dans ses explications astrologiques, qui dérivent
du zoroastisme plutôt que du platonisme.
L'interprétation avancée par J. Dupuis2 à la fin du siècle

1. C'est, je pense, par une erreur typographique qu'un zéro a été omis
à cet endroit par Ahlvers.
2. J. Dupuis, Le nombre géométrique de Platon. Paris, 1882; Ibid.,
Annuaire de l'Association pour l'Encouragement des Études grecques
18, 218.1884; Ibid., Théon de Smyrne, Exposition... (ouvrage
couronné...). Paris, 1892 ; Ibid., Rev. Et. grecques 15, 288.1902, où Platon
est présenté comme un grand géomètre !
466 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON

dernier repose sur une mauvaise compréhension du texte et


de surcroît l'auteur s'est octroyé la liberté de corriger le texte
en lui enlevant ainsi toute signification ; un simple
déplacement d'une virgule, en transformant un pronom en article,
perturbe considérablement le texte. Nous ne discuterons pas
cette solution, qui a mérité son oubli.
Sur la solution proposée par Brumbaugh, nous n'avons
rien à ajouter à ce qu'il a été dit précédemment, sauf peut-
être pour insister sur l'incohérence mathématique totale de
cette solution, et sur le fait que la leçon exocotov au lieu de
sxoctov, qui figure dans certains manuscrits, est irrecevable
pour deux raisons : a) ce mot figure à trois endroits du texte,
et cette correction ne concerne que les deux premiers
seulement sans raison apparente ; b) les manuscrits de Proclos
portent bien èxax6v, ce qui constitue une vérification croisée
autrement plus importante que tous les manuscrits
platoniciens, qui sont bien postérieurs à Proclos (les siens y
compris). Nous pensons donc que ces arguments nous autorisent
à rejeter la leçon ëxoccrov.
Quant à la solution de Paiow, elle ne nous est pas encore
connue, mais la voie dans laquelle cet auteur s'est engagé
dans la première partie de son travail ne nous semble pas
la bonne. En effet, interpréter le diamètre irrationnel de 5
par l/j à l'aide de la relation i2 x 22 = (V 5)2 n'est pas
conforme au texte, qui parle du diamètre de 5 et non du diamètre 5.
Cette nuance semble avoir échappé à l'auteur ; elle montre
néanmoins que ce n'est pas 5 lui-même qui est le diamètre
en question, mais le côté du carré dont le diamètre est \]$o
et que Platon approxime par V^50-i pour trouver sa valeur
rationnelle.
La solution proposée ici présente (on s'en doute) ses
avantages et ses inconvénients.
Nous laisserons à l'appréciation du lecteur les avantages
pour nous attacher un peu plus aux inconvénients. Tout
d'abord notre interprétation de la période divine au moyen de
la période héraclitéenne entre deux embrasements du monde
nous oblige à une approximation de 2 % (année de 360 jours
au lieu de 365 1/4), tandis que le cycle d'Œnopide de 59 ans
cadre beaucoup mieux. L'une et l'autre de ces deux
interprétations présentent par contre l'avantage de faire appel à une
tradition grecque directe1.

1. On connaît les vertus du nombre 6 et Jamblique (Théol. arithm.,


p. 54) attribue au pythagoricien Aristée la phrase : où Suvoctov eûpsïv
ëxepov àpiQ^ov tcov tyjç ^uX*)Ç àpjzoviaç Xoycov é7u8ex-n,x6v. De même
(p. 47) : xarà sÇàSa ô ir\c, tyuyriq x $ig\xôc,... tj é£àç cplXwatç, eîprjvT),
xoa(i.oç • xal yàp ô xoapioç, coarcep ô ££, è£ êvavûcov 7ioXAdbaç coçOv) au-
vscttwç xa0' àppiovîav...
ESSAI D'INTERPRÉTATION 467

Toutefois l'année d'Heraclite ne nous semble pas convenir


à notre passage.
En second lieu nous ne pensons pas avoir rendu transparente
la raison pour laquelle Platon multiplie par 100 les termes de la
proportion (5). Notre explication de ce fait ne nous satisfait
donc pas pleinement ; elle est un peu boiteuse.
Troisièmement, l'interprétation de la période humaine de
36 ans n'est peut être pas de nature à satisfaire tous les esprits.
Elle présente tout au moins l'avantage considérable d'être à
l'échelle humaine, comme cela semble requis par le texte ;
nous pensons d'autre part l'avoir dûment consolidée par des
considérations statistiques, qui ne semblent pas à priori
inacceptables. De toute façon
« qui peut prétendre avoir absolument raison?
le champ visuel de l'homme est minuscule ».
(A. de Saint-Exupéry.)

Conclusion

Tenant compte de ce qui précède, nous traduisons donc de la


manière suivante le passage dont nous avons donné au début
le texte grec :
D'une part la génération divine est régie par une période, qui
s'exprime à l'aide d'un nombre compris à l'intérieur du (plus)
parfait des nombres (tétractys) et d'autre part la génération
humaine (est aussi régie par un nombre, à savoir) le nombre
où l'on rencontre pour la première fois (dans la suite naturelle
des nombres) trois distances entre quatre points, capables de
carrés et soumises à certaines contraintes et à l'aide desquelles on
peut rendre exprimables (par des noms spécifiques) et rationnels
tous les volumes, aussi bien les semblables que les dissemblables,
les croissants et les décroissants. Ce sont les nombres du rapport
épitrite 4 sur 3, qui, conjugués à S, fournissent deux moyens en
proportion continue, si on les prend à la troisième puissance :
a) Un moyen ayant une base carrée, multipliée par zoo.
b) Un moyen ayant pour base un rectangle de même longueur
que le précédent mais plus allongé et qui est égal à la somme de
cent fois la diagonale rationnelle du carré de côté 5 diminué
d'une unité, ou bien de la diagonale irrationnelle du même carré
diminué de deux unités, et de cent fois le cube de 3.
Et ce nombre géométrique tout entier possède une telle puissance
pour les bonnes et les mauvaises naissances, que si (par malheur)
vos gardiens, ignorant les lois de ces naissances, contractent des
mariages à contretemps entre leurs filles et leurs garçons ils
seront la cause de naissances d'enfants diminués et malheureux...
Cette manière de comprendre le texte de Platon n'est, on
s'en doute, certainement pas la seule, si l'on en juge par la lit-
468 LE (( NOMBRE GEOMETRIQUE » DE PLATON

térature à laquelle il a donné lieu. Si on la présente ici, c'est


probablement parce qu'on l'estime meilleure que les autres ;
mais en fin de compte le seul juge est le lecteur.
Il nous semble d'autre part que le passage que nous venons
d'examiner confirme une fois de plus (après le Timée) le grand
attachement de Platon aux doctrines pythagoriciennes1, et il
n'est pas du tout juste de lui attribuer, par une
incompréhension fort compréhensible, des doctrines ésotériques inavouables,
qui ne sont que l'expression d'un obscurantisme littéraire
étranger à Platon.
Il faut enfin mettre un terme à cette doctrine apocryphe,
qui veut, coûte que coûte, faire de Platon un éminent
mathématicien du ive siècle, ce qui est fondamentalement faux2.
Néanmoins, il faudrait bien se garder de l'excès contraire
dans lequel tombe par exemple Neugebauer 3 quand il écrit :
« In book VIII of the « Republic » Plato gives some cabba-
listic rules as to how guardians of his dictatorially ruled com-
munity (les italiques sont nôtres) should arrange for proper
marriages. »
Georges J. Kayas.

1. République, 600 a : iluOayopaç SiacpspovTtoç i]yav:-ipr\.


2. Il y a sur ce sujet une grande confusion à cause surtout du Tintée
et de quelques antres passages mathématiques de Platon [Ménon,
Théétète, etc.) ainsi que du passage que nous venons d'examiner. Il
est d'autre part certain que Platon n'était pas inculte du point de vue
mathématique, mais de là à faire de lui un mathématicien dans le sens
plein du mot, il y a un abîme. A ce sujet, nous pensons que Platon a
eu (entre autres) le mérite d'avoir reconnu après Pythagore et Démo-
crite qu'il devenait impossible de comprendre quoi que ce soit dans
la nature sans une solide culture mathématique. Il ne s'est pas privé
lui-même de crier bien haut cette vérité fondamentale, que les
phénomènes naturels étaient parfaitement descriptibles par un langage
mathématique (tout le Timée en témoigne) et qu'il n'était pas possible
par une autre méthode de acpÇeiv Ta çaivojxsva. Nous n'allons pas
accabler le lecteur de citations, mais il nous semble clair que, si dans
le programme de l'Académie les mathématiques tenaient une grande
place, ce n'était pas Platon qui les enseignait. Il était aussi
parfaitement clair pour lui que : oûtoç ô xpoîioç, aûxT] r) Tpocpr), Tocura rà
fxa67)[xaTa ' eÏte ^aXercoc, eÏts paSia xauxT) 7ropeuT£ov, phrase sur
laquelle on ne s'arrête pas assez (Epinomis, 992 a).
3. O. Neugebauer, The Exact Sciences in Antiquity. Providence
(H. S. A.), 1957, P- 27-

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